Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 25 mars 2010

On ne voit que ce qu'on regarde

Les sciences exactes ne servent pas qu’à empêcher les adolescents d’être heureux au collège. Elles apprennent la rigueur. Et l’économie, si elle n’est pas une science exacte, utilise ces sciences pour étudier le comportement humain avec cette rigueur.

Et s’il est une leçon que l’économie donne à tous, c’est précisément de se méfier des fausses évidences, des erreurs de corrélation (croire que si A et b augmentent simultanément c’est que A et B sont liés), et de rechercher les vraies causes d’un phénomène.

Deux ouvrages vous en feront la démonstration : “Freakonomics”, de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, traduction Anatole Muchnik (qui notamment vous démontrera que la plus spectaculaire baisse de la criminalité aux États-Unis n’a rien à voir avec la politique de “tolérance zéro” de M. Giuliani, mais doit tout à une jeune fille de 21 ans qui ne voulait pas être enceinte), et “Sexe, drogue… et économie : Pas de sujet tabou pour les économistes !”, par mes amis Alexandre Delaigue et Stéphane Ménia, auteurs du blog “Econoclaste”.

Cette sagesse des économistes est fort utile au juriste, plus intéressé aux conséquences du comportement des hommes qu’à ses causes. Et même les plus estimables d’entre eux peuvent parfois s’égarer.

Et c’est à mon sens ce que fait l’avocat général Philippe Bilger, dont mes lecteurs savent le respect teinté d’admiration que j’ai pour lui, respect et admiration que ce désaccord laisse intacts, tout comme je sais qu’il goûte trop au plaisir de la contradiction pour me tenir rigueur de la lui porter ici.

Tout commence avec les déclarations à l’emporte-pièce, pardonnez le pléonasme, d’Éric Zemmour à l’émission produite et présentée par Thierry Ardisson sur canal+, “Salut les Terriens”. Le polémiste déclarait qu’il était normal que la police controlât plus volontiers l’identité d’individus typés noirs ou maghrébins, car “la majorité des trafiquants de drogue sont eux-même noirs ou maghrébins, c’est un fait”. J’attire votre attention sur ces quatre derniers mots, qui constituent l’intégralité de la démonstration de M. Zemmour, et probablement une des argumentations les plus développées qu’il ait jamais produite.

Les propos ont fait scandale, c’était d’ailleurs leur but. Le CSA a réagi, mal, comme d’habitude, la LICRA a menacé d’un procès, comme d’habitude, avant d’y renoncer après avoir reçu une lettre d’excuse, comme d’habitude.

Mais c’est avec un certain regret que j’ai vu un esprit d’une autre envergure voler à son secours, en la personne de monsieur Philippe Bilger, avocat général à la cour d’appel de Paris.

Un petit mot ici pour rappeler qu’un avocat général n’est pas plus avocat qu’il n’est général. C’est un magistrat du parquet d’une cour d’appel, dont les fonctions consistent plus particulièrement à requérir aux audiences et spécialement devant la cour d’assises. On ne l’appelle donc pas “maître”, mais monsieur, comme tous les magistrats, sauf les dames, bien évidemment.

Dans un billet sur son blog, l’avocat général vole au secours du polémiste qui en a bien besoin, en tenant, sur l’affirmation litigieuse, les propos suivants :

En effet, je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles et parfois criminelles à Paris et il ne pourra que constater la validité de ce “fait”, la justesse de cette intuition qui, aujourd’hui, confirment un mouvement né il y a quelques années. Tous les noirs et tous les arabes ne sont pas des trafiquants mais beaucoup de ceux-ci sont noirs et arabes. Je précise car rien dans ce domaine n’est inutile : qu’il y ait aussi des “trafiquants” ni noirs ni arabes est une évidence et ne me rend pas plus complaisant à leur égard. Il n’est point besoin d’aller chercher des consolations dans les statistiques officielles dont la finalité presque exclusive est de masquer ce qui crève les yeux et l’esprit si on accepte de regarder.

On voit d’entrée l’habileté du rhéteur, qui d’emblée laisse entendre que toute personne qui contesterait cette affirmation serait de mauvaise foi. Ça tombe bien, je suis avocat, la mauvaise foi, ça me connaît, et les audiences correctionnelles, j’y assiste, sans doute plus souvent qu’un avocat général, et je suis même pas trop mal placé.

Et je confirme que pour les audiences de “service général”, vols, violences et petit trafic de stupéfiant, les prévenus ont des noms qui évoquent les sommets de l’Atlas, l’immensité du Sahara ou les grands fleuves serpentant dans d’impénétrables forêts. Curieusement, c’est nettement moins le cas aux audiences économiques et financières ; il n’y avait qu’un arabe dans l’affaire Clearstream, et ce n’était même pas un maghrébin, mais ce doit être une décimale flottante qui fausse les statistiques.

Car le vice du raisonnement saute d’emblée aux yeux. S’il semble acquis, puisque ni le grand magistrat ni le petit polémiste ne contestent que la police contrôle plus volontiers noirs et arabes -et je confirme que sur ces trente dernières années, je n’ai fait l’objet que de deux contrôles d’identité sur la voie publique ou dans l’enceinte du métro, tandis qu’un estimable confrère d’origine martiniquaise a remarqué qu’il devait exhiber sa carte d’identité une fois par mois-, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient plus nombreux dans le box. C’est confondre cause et conséquence.

En outre, il faut rappeler une autre évidence : n’est prévenu que celui que le parquet décide de poursuivre. Il n’y a pas tirage au sort dans une population homogène : chaque dossier est étudié, au pas de charge, par un parquetier débordé qui en quelques minutes va décider en cochant une case s’il y a lieu à classement après rappel à la loi, alternative aux poursuites, CRPC ou citation devant le tribunal (je mentionne pour mémoire l’ouverture d’une instruction tant qu’elle existe). Il y a donc un filtre totalement subjectif : cette décision repose sur des critères qui n’ont jamais à être motivés, certains objectifs (existence d’antécédents judiciaires au casier, gravité exceptionnelle des faits), d’autres moins (instructions générales du chef du parquet : mettre la pression sur tel type de délits plutôt que tels autres), et les derniers enfin beaucoup moins : le pifomètre qui va diriger le stylo ver telle ou telle case après un bref moment d’hésitation les sourcils froncés.

Je ne dis pas que les parquetiers soient mus par des réflexes xénophobes : simplement ils prennent rapidement une décision non motivée. Tirer des conclusions de données statistiques passés par un tel filtre ne peut que mener à des erreurs.

Donc tout citoyen de bonne foi se rendant à une audience correctionnelle, exercice que je lui conseille ardemment, saura qu’il ne doit rien déduire de la couleur dominante dans le box.

Car c’est triste mais c’est ainsi, il y a des détails qui sautent aux yeux, et la couleur de la peau en fait hélas partie, mais d’autres auxquels on ne fait pas attention. Je pense en effet que les deux tiers des prévenus à une audience ordinaire sont typés noirs ou maghrébins (ce qui ne les empêche pas d’être le plus souvent français). Une prédominance de 66%, nonobstant les biais qui faussent la population statistique que je viens de détailler, peut sembler néanmoins pertinente et représentative, du moins dans les juridictions des grandes villes où se trouvent les population d’origine immigrée depuis les Trente Glorieuses (je pense que le tribunal correctionnel de Guéret voit moins de prévenus noirs que celui de Bobigny, tandis que celui de Fort-de-France en verra sans doute plus).

Soit, mais il y a une autre prédominance, que je pense supérieure à 95%, qui a fortiori apparaît encore plus pertinente et dont personne, et spécialement M. Zemmour, ne semble vouloir tirer de conclusion.

95% des prévenus, et c’est un minimum, sont des hommes. Le sexe semble être un critère beaucoup plus pertinent pour repérer les délinquants potentiels, mais M. Zemmour ayant pour les hommes les yeux de Chimène, il semble balayer ce critère d’un revers de main. La sociologie juridique a des limites.

Mais il demeure ce fait : en région parisienne et dans les grandes villes, la population noire et maghrébine se taille la part du lion dans le box des prévenus, avec les gitans pour les juridictions du sud de la France. Aucune statistique fiable n’existe, puisque tout traitement de données sur des bases ethniques est interdit comme contraire à la Constitution (CC, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007), ce qui laisse, effet pervers, la part belle aux préjugés et à l’argumentation selon laquelle les bien-pensants préfèrent se voiler la face.

Admettons le principe de cette sur-représentation et demandons-nous pourquoi elle existe.

C’est là que mes modestes connaissances peuvent servir. Ces prévenus, je les défends. J’ai accès au dossier, je m’entretiens avec eux, je fouille un peu dans leur vie pour chercher des moyens d’éviter la détention. Et pour le passage à l’acte, je constate que les mêmes critères réapparaissent avec une constance inébranlable.

Et d’emblée, le cliché du parasite cynique, qui hait la France et se croit tous les droits de s’emparer de ce que bon lui chante parce que nous sommes trop gentils avec lui, est tout simplement inexistant.

Le délinquant type gibier de correctionnelle (en excluant la délinquance routière qui est un cas à part, une délinquance d’honnêtes gens, bien intégrés et ayant un métier, et qui d’ailleurs est traitée différemment) est un homme, je l’ai déjà dit, plutôt jeune, pauvre, issu d’une famille pauvre, sans formation, ayant souvent abandonné l’école dès 16 ans, au chômage ou connaissant la précarité du travail, trimballé de “plate-forme de mobilisation” (oui, c’est un terme tout à fait authentique de la novlangue de Pôle Emploi) en formations inadaptées. Quand il a le droit de travailler, ce qui n’est pas le cas d’un étranger en situation irrégulière (soit dit en passant, dépouiller un homme de son droit de travailler est une des plus grandes atteintes à sa dignité qui se puisse commettre, et c’est l’État qui le commet en notre nom). L’alcool ou la drogue (le cannabis, le plus souvent) sont souvent présents, pour l’aider à tenir dans cette vie sans espoir de s’en sortir, et sont parfois la cause de la délinquance (énormément de petits dealers font ça uniquement pour financer leur consommation, et ce sont ces amateurs qui sont des proies faciles pour la police).

Allez à une audience de comparutions immédiates, vous entendrez la litanie des enquêtes de personnalité, vous verrez si je dis vrai (à Paris, du lundi au vendredi à 13h30, 23e chambre, escalier B, rez de chaussée, le samedi à 13h30 dans les locaux de la 25e chambre, escalier Y, rez de chaussée, entrée libre, c’est gratuit).

Mettez un homme, quelle que soit son origine, sa race, ou sa religion, dans cette situation, et vous en ferez probablement un délinquant. Or ce portrait robot correspond majoritairement à des personnes issues de familles noires et arabes, venues travailler en France dans la seconde moitié du XXe siècle où la France manquait de main d’œuvre et touchées de plein fouet par la crise.

Et tout ce que retiennent Eric Zemmour et Philippe Bilger, c’est l’origine ethnique des délinquants, comme si elle était pertinente. C’est s’arrêter à la surface. Et pointer du doigt toute une population qui partage ce trait physique majoritaire chez les délinquants. Comme si elle avait besoin de ça.

Regardez donc les grands criminels, ceux qui peuplent les assises, ceux qui violent ou tuent. Marc Dutroux est-il arabe ? Michel Fourniret et Monique Olivier sont-ils noirs ? Francis Heaulme ? Didier Gentil ? Marcel Petiot ? Patrick henry ? Yvan Colonna ? Les tueurs de l’ETA ? Ou sans aller chercher les grands criminels, Céline Lesage, Véronique Courjault, Marc Cécillon puisqu’il faut bien que je parle encore un peu de rugby ? On me rétorquera Youssouf Fofana et Omar Radad ; mais je n’affirme nullement que les noirs et les arabes sont à l’abri du crime. Mais ôtez le moteur de la pauvreté et du désespoir social (et le crime de Fofana, avant d’être raciste, est avant tout crapuleux), et miracle, la part de la population pauvre diminue instantanément. Il n’y a pas de gène de la criminalité. En est-on à devoir rappeler de telles évidences ?

C’est aussi à mon sens des facteurs sociaux qui expliquent la si faible part des femmes dans la délinquance. La société repose encore sur l’image qu’un homme doit gagner sa vie voire celle de sa famille. Une femme qui gagne sa vie a du mérite, un homme, non, c’est ce qu’on attend de lui, depuis la préhistoire où il partait chasser le mammouth. Pour un homme, ne pas avoir cette perspective est humiliant : cela pousse au mépris de soi, et quand on se méprise on ne peut respecter les autres, et à trouver des expédients pour avoir de l’argent. Les femmes d’une part n’ont pas cette pression sociale, et d’autre part ont immédiatement à l’esprit que pour avoir un travail, elle devront étudier. D’où leurs meilleurs résultats à l’école dès le primaire et leur part de plus en plus importantes dans les études supérieures (les écoles d’ingénieurs étant le dernier bastion des mâles, mais les murs s’effritent chaque année, courage mesdames !). La faculté de droit est tombée depuis longtemps, pour mon plus grand bonheur (Ah, les amphis au printemps, quand les beaux jours reviennent : comment s’intéresser aux servitudes et à l’exception de litispendance dans ces conditions…?)

Les box des tribunaux correctionnels ne sont pas remplis de noirs ou d’arabes. Ils sont remplis de pauvres désespérés. C’était déjà le cas il y a un siècle, quand le blanc était la couleur dominante.

La France n’a pas échoué à intégrer les populations qu’elle a fait venir d’Afrique ces cinquante dernières années. Elle n’a même pas essayé. C’est cela que la couleur des prévenus nous rappelle à chaque audience. C’est que pas un seul d’entre eux, bien que né en France, n’a pensé une seule seconde qu’il avait une chance de devenir lui aussi médecin, avocat, juge, journaliste au Figaro ou avocat général.

La honte est sur nous et pas sur eux.

samedi 20 mars 2010

Juste trois mots

1 : Youpi.

2 :

PositionNationMatchsPointsTableau des
points
JouésgagnésNulsPerdusMar-
qués
Encais-
sés
Diffé-
rence
Tries
1 Vainqueurs triomphaux550013569+661310
2 Perdants530210695+1196
3 Mauvais Perdants52128876+1265
4 Perdants5203113117−4104
5 Perdants511383100−1733
6 Perdants510469137−6852

(Tableau Wikipedia EN)

3 : À l’année prochaine.

Devine qui vient prendre sa pâtée ce soir ?

Mon cœur mon cœur ne t’emballe pas,
Fais comme si tu ne savais pas
Que l’Anglais est revenu !


Mon cœur arrête de répéter
Qu’on va venger l’affront de l’an passé
De l’Anglais qui est revenu !

Mon cœur, arrête de bringuebaler
Souviens-toi qu’il nous a déchiré,
L’Anglais qui est revenu !

Mes amis ne me laissez pas !
Dites-moi, dites-moi qu’il y a de la bière au froid
Maudit Anglais, puisque te v’là !

Le crunch ! France - Angleterre, avec un parfum de revanche du match de l’an passé (34-10, avec un essai assassin de Mark Cueto au bout d’une minute et une équipe de France stérile toute la première mi temps).

Ce sont nos pires amis, ou nos meilleurs ennemis, comme vous préférez, qui débarquent ce soir : la terrible, orgueilleuse, et perfide Angleterre. Quelle joie de la retrouver !

Drapeau de l'Angleterre

Voici donc le drapeau  anglais, dit drapeau de Saint George. Il vous dira sans doute quelque chose : il rappelle en effet celui de la Géorgie, que nous affrontâmes lors de la dernière coupe du monde.

La croix rouge sur fond blanc est un emblême très répandu dans la chrétienté, Saint Georges étant le Saint Patron, outre de l’Angleterre et de la Géorgie, de l’Aragon, de la Catalogne, du Canada, de l’Ethiopie, de la Grèce, de la Serbie et du Montenegro, du Portugal, de la Russie et même de la Palestine, ainsi que des villes de Beyrouth, Barcelone ou Moscou. C’est ainsi que le symbole du club de footabll de Barcelone, le fameux Barça, comporte la croix de Saint George.FC Barcelone

Ce symbole remonte aux Croisades, où il était le symbole des chevaliers et soldats français, le pape ayant décidé que les anglais porteraient une croix blanche sur fond rouge, les germains ayant une croix bleue et jaune, devenue le drapeau suédois. Les Anglais ont néanmoins adopté le croix rouge sur fond blanc, et la croix de St George est ainsi devenue le symbole des croisés dans leur ensemble, étant à son tour adoptée par les Templiers. Lors de la Réforme, tous les drapeauxs représentant des saints ont été abandonnés en Angleterre à l’exception de celui de St George. Dans la Navy, le drapeau de Saint Georges indique un navire amiral.

Le drapeau du Royaume Uni s’appelle le drapeau de l’Union, ou Union Jack dans la marine (“Jack” indiquant un pavillon de marine), car il est composé de la réunion des drapeaux des trois couronnes réunies sur la tête des rois d’Angleterre, chacun représenté par une croix liée à un saint : la croix de Saint George pour l’Angleterre, la croix de Saint André pour l’Ecosse, et la croix de Saint Patrick pour l’Irlande. Cette union s’est faite en deux temps : en 1606, quand James VI d’Ecosse devient roi d’Angleterre sous le nom de James Ier, les croix de Saint George et Saint André sont réuniesNaissance du drapeau d'Union pour faire le premier drapeau d’Union. Puis en 1801, la croix de Saint Patrick est ajoutée quand l’Acte d’Union (Acte désignant une loi) fusionne les royaumes d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande pour former le Royaume Uni, dénomination encore officielle de nos voisins d’Outre Manche. Le pays de Galles n’est pas représenté dans ce drapeau car il ne s’agit pas d’un royaume mais d’une principauté, dirigée par les héritiers du trône d’Angleterre (actuellement le Prince Charles, Prince de Galles, le titre de princesse étant vacant nonobstant le second mariage du prince).

L’équipe joue ainsi isolément car le Royaume Uni n’a pas de fédération de rugby. A la place, chaque royaume a sa propre fédération, reconnue par l’IRB. Il en va de même au football, d’où le match d’ouverture Brésil Écosse lors de la coupe du monde 1998.

Le symbole du XV d’Angleterre est la rose rouge. RFUIl s’agit d’une allusion à la rose rouge des Lancastre, famille opposée à celle d’York au cours de la guerre des Rose, qui aboutit à la chute de la maison des Plantagenêts, dont Lancastre et York étaient deux branches, au profit de la maison des Tudor. Je ne crois pas que la fédération anglaise prête allégance à la maison des Lancastre cinq cent ans après la fin du conflit, mais le maillot de l’équipe d’Angleterre étant blanc (couleur royale, comme le maillot du Real Madrid, que je me devais de citer ayant mentionné le Barça afin d’éviter une autre guerre civile), une rose blanche ou la rose des Tudor (rouge et blanche pour marquer la réconcilation du royaume) serait peu visible sur le maillot.

L’Angleterre n’ayant pas d’hymne officiel propre, c’est bien le God Save The Queen qu’entonne le XV d’Angleterre, qui est pourtant l’hymne du Royaume Uni. Une scène fort cocasse a lieu quand l’Angleterre joue contre l’Ecosse à Murrayfield, quand l’hymne (lui aussi non officiel) écossais, Flower Of Scotland, est entonné, car on voit la Princesse Anne, fille de la reine Elisabeth et Duchesse d’Edimbourg, chanter de bon coeur cet hymne nationaliste célébrant la victoire des Ecossais contre les Anglais à Bannockburn en 1314 (la bataille qui clôt le film Braveheart). Au  Royaume Uni, le pragmatisme est la vraie religion d’Etat.

Mais en réalité, le XV à la rose a un hymne non officiel, qui galvanise autant les Anglais qu’une Marseillaise fait oublier la fatigue aux Français. 

Priez, mes amis, priez pour ne point entendre résonner cet hymne païen (même si c’est un gospel) près de la basilique qui accueillit l’Oriflamme…

Le Swing Low, Sweet Chariot, la kryptonite universelle. 


Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home
Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home


L’histoire de cette chanson se confond avec l’histoire de notre vieille rivalité rugbystique qui nous oppose à nos cousins d’Outre Manche. En fait, une vieille rivalité oppose l’Angleterre à un peu tout le monde, et c’est une des équipes les plus cordialement détestées, chacune de ses (trop rares) défaites étant savourée d’un hémisphère à l’autre, mais la France jouit d’une position de détestation cordiale privilégiée. Un adage écossais dit ainsi “I support two teams : Scotland and whoever is playing England” : je soutiens deux équipes : l’Écosse, et celle qui joue contre l’Angleterre, quelle qu’elle soit.

Tout d’abord, l’Angleterre n’a accueilli la France dans le concert des nations rugbystiques qu’avec réticence en 1910. Le sport de l’aristocratie anglaise était en France pratiquée par les paysans rugueux du sud, et l’Anglais n’aimait guère se mélanger. Il faut dire qu’au début, la France a tout fait pour lui donner raison. En 1913, la foule envahit le terrain pour assommer l’arbitre de France-Ecosse. La France est exclue du tournoi, mais sauvée si j’ose dire par la première guerre mondiale qui suspend le tournoi, qui reprend en 1918 toutes rancoeurs oubliées au nom de la fraternité d’armes. En 1927, c’est la première victoire contre les Anglais (le pays de Galles résistera jusqu’en 1948). En 1931, la France est à nouveau exclue pour son comportement violent jusqu’en 1939. En fait, deuxième guerre mondiale oblige, la suspension durera jusqu’à la reprise du tournoi en 1947. En 1952, l’Angleterre accuse la France de professionnalisme des joueurs (ironie de l’histoire, l’Angleterre sera la première à passer au professionnalisme dans les années 90 : en Angleterre, le pragmatisme est religion d’Etat) et des joueurs français sont définitivement exclus de la sélection pour apaiser les Anglais. Voilà donc le terreau de la rivalité. La fleur éclora à la fin des années 80.

En 1988, le XV d’Angleterre était en train de traverser une des plus mauvaises passes de son histoire, battu notamment par la France plusieurs années de suite, y compris sur son sol sacré, à Twickenham. L’Angleterre jouait face à l’Irlande, et avait perdu 15 de ses 23 derniers matchs du Tournoi des Cinq Nations, tournoi qu’elle n’avait plus gagné depuis 1980. En deux ans et demi, les supporters de Twickenham n’avaient vu qu’un seul misérable essai marqué par les Anglais. A la mi temps, l’Irlande menait 3 à 0. Et puis comme cela arrive parfois au rugby, l’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, et tout à coup, rien ne semblait plus pouvoir arrêter les Anglais, qui gagnèrent 35 à 3, dont trois essais marqués par Chris Oti, qui faisait ses débuts de jour là. Les collégiens d’une école bénédictine de Woolhampton qui assistaient au match entonnèrent alors un gospel en l’honneur d’Oti, Swing Low, Sweet Chariot, que la foule reprit en choeur.

Ce fut le signal d’une résurrection, et d’un nouvel âge d’or pour le XV à la rose, l’époque de Will Carling et Brian Moore, époque qui se construisit sur le dos de l’équipe de France. Pendant sept ans, nous ne gagnerons jamais, et toujours pour la même raison : être poussé à la faute par les Anglais, de préférence à 20 mètres en face de nos poteaux, ce qui donnait trois points aux Anglais, et faisait résonner le Swing Low. Le clou était enfoncé par Will Carling qui félicitait les Français vaincus d’un “Good game” dont l’évocation fait encore monter les larmes aux yeux des joueurs de l’époque. Il faudra des années pour que le XV de France vole aux Anglais leur sang froid, et il est encore fragile : la propension des Français à garder le ballon au sol, à le talonner à la main, quand ce n’est pas distribuer des baffes sous les yeux de l’arbitre est pudiquement appelée “le jeu latin” des Français. C’est la défaite assurée quand il pointe son vilain nez. 

Cette rivalité prendra fin brutalement, du jour au lendemain, lors de notre inoubliable victoire en petite finale de la coupe du Monde en 1995 (19 à 9), où enfin, la série noire prendra fin, et au plus beau moment, la Coupe du Monde. Les joueurs Français sont tous allés serrer la main de Will Carling abattu en lui disant un “Good game !” chantant avec l’accent du sud ouest. La partie s’est en réalité terminée le lendemain à l’aube, les joueurs des deux équipes s’étant donné rendez vous pour faire une fête de tous les diables jusqu’à l’aube, enterrant définitivement la hache de guerre. Cela sera aidé par le virage vers le professionalisme, des Anglais venant jouer en France et des Français allant jouer en Angleterre (Sébastien Chabal a joué cinq ans dans le club de Sale, près de Manchester), ce qui comblera un peu le fossé d’incompréhension, les Anglais allant jusqu’à recruter un entraîneur français, Pierre Villepreux en 1995. Il fut naturellement tondu à son retour, rassurez-vous.

Cette époque a laissé une tradition, une rivalité qui fait que vaincre l’autre équipe est un plaisir sans nul pareil, mais la terrible tension 1988-1993 a disparu. On la rejoue pour s’amuser. Il n’empêche : piétiner les Anglais est toujours une coupe d’ambroisie. 
Un petit point sur ce Tournoi qui, déjà, touche à sa fin. 
PositionNationPartiesPoints
Tableau des Points
JouéesGagnéesNullesPerduesMarquésEncaissésDifférenceEssais
1 France440012359+64138
2 Irlande43018672+1496
3 Méchants42117864+1455
4 Pays de Galles410380107−2772
5 Italie410359104−4542
6 Écosse40136080−2021

La France l’a quasiment gagné, l’Angleterre, avec ses deux défaites, l’a déjà perdu. Seule l’Irlande pourrait nous le voler sous le nez, en écrasant l’Écosse, à condition que l’Angleterre nous écrase elle aussi, de façon à remonter les 50 points d’écart sur le goal average. Peu probable. L’enjeu essentiel de ce match est la récompense suprême, le Grand Chelem, 5 matchs, 5 victoires, 10 points tout rond au tableau du score. Ce serait le premier de l’ère Lièvremont - N’tamack - Retière, et le premier pour Sébastien Chabal, qui n’avait pas été retenu dans l’équipe de France en 2002 et 2004, date de nos deux derniers Grand Slami. Et à un an de la Coupe du Monde, ça ferait le plus grand bien à cette équipe si jeune et qui se construit encore. 
Ceux d’entre vous qui le souhaitent pourront suivre mes commentaires éclairés en direct sur Twitter, sur le compte spécial @EolasRugby.

Alors, plus que jamais… ALLEZ LES BLEUS ! ! !
Mise à jour : Youpi.

vendredi 19 mars 2010

Avis de Berryer : David Abiker

La Conférence Berryer continue ses travaux ce mardi 23 mars à 21 h, en recevant monsieur David Abiker, journaliste et écrivain, analyste des rapports homme-femme, blogueur et twittereur, et également enseignant à Sciences Po.

Sur le rapport de monsieur Karim Makram-Ebeid, 8ème secrétaire, les candidats seront priés de maltraiter les sujets suivants :

1. Les femmes sont-elles des mecs bien ?

2. Faut-il donner sa langue au chatroulette ?

La séance se tiendra exceptionnellement dans la salle de la 17e chambre du tribunal (en haut de l’escalier B, c’est la porte à votre gauche), la prestigieuse chambre de la presse, là où d’ordinaire les Johnny et autres Laëtia s’étripent avec les Voici et autres Gala. C’est dire si on reste dans le people.

Attention, bien que la salle soit plus grande que celle des Criées, il y a nettement moins de places, je le crains.

Qu’on se le dise !

jeudi 18 mars 2010

À l’immortalité !

par Sub lege libertas


Ce jeudi 18 mars à quinze heures, Madame Simone Veil sera reçue comme membre de l’Académie française pour y occuper le treizième fauteuil de cette compagnie.

Profitons au passage pour rappeler à la présidence de la République, que le terme d’« intronisation » employé dans son communiqué de 9 heures 46 pour désigner la réception « sous la Coupole » de Madame Simone Veil est impropre, sauf à y lire une certaine forme d’ironie involontaire ou déplacée. Comme protecteur de cette Compagnie, le Président de la République assistera donc à cette cérémonie de « réception » que ses services eussent été mieux inspirés de désigner par son nom. La maîtrise de la langue française s’impose lorsqu’on protège l’Académie dont le seul rôle officiel est de veiller sur elle.

Pourquoi Sub lege libertas sombre-t-il dans l’académisme ?

Pour saluer ici Simone Veil, magistrat, qui rejoint cette assemblée si singulière. Je n’ignore pas que la carrière dans la magistrature de la récipiendaire n’est pas à l’origine de son élection à l’Académie. Mais, je souligne qu’aucun magistrat de l’ordre judiciaire n’avait siégé à l’Académie française depuis André Dupin, élu en 1832 alors qu’il était Procureur Général près la Cour de cassation – André Dupin avait adopté comme devise personnelle lors de sa nomination à ce poste « sub lege libertas ». Lui non plus d’ailleurs ne devait son élection à son office de magistrat, mais comme Madame Simone Veil, à son parcours d’homme d’État.

Si le monde de la robe – et je ne parle pas ici du sexe de Madame Simone Veil, sixième femme à siéger quai Conti – était plus fréquemment représenté à l’Académie au XVIIe et XVIIIe siècle – citons le Baron de Montesquieu qui émerge de l’oubli avec Malesherbes, la tendance s’inversa par la suite. Au XXe siècle, si nous exceptons François Albert-Buisson qui fut magistrat consulaire et Président du Tribunal de commerce de Paris et Pierre Moinot qui fut procureur général près la Cour des comptes, seuls quelques avocats siégèrent à l’Académie française. Saluons notamment parmi eux, Maurice Garçon et Georges Izard, le premier car il fut l’incarnation de l’éloquence judiciaire ; le second car s'il ne fut des quatre-vingt députés qui, le 10 juillet 1940, refusèrent de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, du moins ne prit-il pas part au vote et fut ensuite un vrai résistant.[1] Aujourd’hui, Jean-Denis Bredin représente le Barreau dans cette docte assemblée.

Saluer la réception à l’Académie française du magistrat Simone Veil, c’est aussi une façon de rendre hommage à la femme et son parcours sans répéter ici les éloges convenus, quasi nécrologiques, lus çà et là. C’est aussi, à travers le kaléidoscope des portraits des 719 immortels qui siégèrent quai Conti, avoir un autre regard sur l’identité française qui fait qu’à cinq fauteuils du siège occupé par le Maréchal Pétain, siégera désormais Madame Simone Jacob épouse Veil déportée le 13 avril 1944 à Auschwitz-Birkenau en application de l’acte dit loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs promulgué par ledit Pétain.

Madame vous siégerez aussi sur le fauteuil jadis occupé par Jean Racine qui fit chanter à Esther :

Eh ! que reproche aux Juifs sa haine envenimée?
Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
Les a-t-on vu marcher parmi vos ennemis?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis?

Madame, la robe que vous avez portée, votre histoire et vos combats vous font encore la digne héritière du Baron de Montesquieu au sein de cette Compagnie.

À votre immortalité !

Notes

[1] merci à GPS, pour sa lecture vigilante qui me permet de souligner que la notice biographique officielle de l'Académie française est ... erronée sur ce point ! (rectification du billet et note ajoutée le samedi 20 mars à 18 heures 32)

mercredi 17 mars 2010

Erratum sur la Question Prioritaire de Constitutionnalité

Erratum important sur la procédure de Question Prioritaire de Constitutionnalité : en fait, la procédure de filtrage devant la cour de cassation ou le Conseil d’État est bien soumise au ministère d’avocat aux conseils dans les matières où ce ministère est obligatoire en cas de pourvoi : cela résulte des articles R.771-20 du Code de justice administrative (CJA) et 126-9 du code de procédure civile (CPC), issus du décret n°2010-148 du 16 février 2010. En matière pénale, elle est dispensée du ministère d’avocat aux conseils, comme tous les pourvois en cette matière.

J’ai rectifié le billet mais tenais à attirer votre attention sur mon erreur pour qu’elle ne devienne pas vôtre. Merci à mon avocat aux conseils préféré qui s’est empressé de me signaler que je n’échapperais pas à ses factures aussi facilement.

Avec mes sincères excuses à mes lecteurs.

mardi 16 mars 2010

Question prioritaire de constitutionnalité, mode d'emploi

NB : ce billet est la suite de ce premier épisode.


— Bonjour Maître. Bonjour Jeannot.

— Bonjour la Miss. Entre donc, et sers toi donc une coupe. C’est la fête.

— Oui, j’ai cru comprendre que nous vivions un moment historique dans l’histoire. Du droit, certes, mais ça reste de l’histoire.

— Les occasions de dire du bien de notre président de la République sont trop rares pour bouder notre plaisir.

— À propos de bouder, pourquoi Jeannot ne dit-il rien, et me regarde-t-il, bouche bée ?

— Disons que le champagne n’est pas la seule cause de son ivresse. Laissons-le à son extase et buvons à ce grand jour.

— Mais au fait, concrètement, comment ça marche, cette Question Prioritaire de Constitutionnalité ?

— Curieusement, assez simplement. La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) peut être posée devant toute juridiction, aussi bien judiciaire qu’administrative. Seule exception : la cour d’assises.

— Pourquoi ?

— On pourrait dire parce que le jury représente le peuple souverain rendant la justice (d’où le fait que les audiences de cour d’assises se tiennent en la forme solennelle : hermine de rigueur, même sur les épitoges parisiennes). Mais ce serait une mauvaise réponse : le peuple souverain est le premier soumis à la Constitution, car s’il est souverain, il n’est pas monarque absolu.

— Quelle est la bonne réponse ?

— Elle est pragmatique. La cour d’assises a comme caractéristique unique dans notre ordre juridictionnel d’être une juridiction temporaire. Elle ne siège que par sessions, en principe, de quinze jours par trimestre, plus si besoin (et à Paris, il y en a trois qui siègent simultanément de janvier à décembre, sans compter la Spéciale jugeant les actes de terrorisme). De ce fait, elle siège “sans désemparer”, c’est à dire sans interruption autre que le repos des juges, jusqu’à rendre sa décision. Or la Question Prioritaire de Constitutionnalité suppose un sursis à statuer, incompatible avec la cour d’assises.

— Un accusé de crime ne peut donc soulever que la loi qu’on lui applique serait inconstitutionnelle ?

— Si, Dieu merci. Mais selon des modalités différentes sur lesquelles je reviendrai. Procédons par ordre.

— Je suis toute ouïe.

— La Question Prioritaire de Constitutionnalité peut être posée à tout stade de la procédure, même pour la première fois en appel, dérogeant à la règle judiciaire de prohibition des moyens nouveaux, et même devant la cour de cassation.

— Voilà qui facilitera son entrée en vigueur.

— Absolument. Les instances déjà engagées peuvent bénéficier de ce nouveau droit. Sur la forme, la Question Prioritaire de Constitutionnalité doit impérativement être posée par écrit, et par un écrit distinct des autres pièces de procédure comme les requêtes et les mémoires devant la juridiction administrative, et les conclusions et mémoires devant la juridiction judiciaire.

— Pouvez-vous me rappeler brièvement la différence ?

— Devant la juridiction administrative, on appelle requête l’acte qui introduit l’instance, qui met en route le procès. Les argumentations écrites produites par la suite pour y répliquer, puis par le demandeur pour combattre cette contre argumentation, etc. s’appellent tous des mémoires (en défense, en demande). Cela qu’on soit devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel ou le Conseil d’État. Devant la juridiction judiciaire, le procès civil est introduit par une assignation, le procès pénal par une citation. Les arguments présentés par les particuliers (demandeur, défendeur, partie civile, prévenu ou accusé) sont des conclusions. Les arguments du parquet sont des réquisitions (s’il ne fait que saisir un juge, c’est un réquisitoire). Les arguments présentés devant la cour de cassation et devant la chambre de l’instruction s’appellent des mémoires.

— La procédure judiciaire est plus compliquée.

— Toujours. La procédure administrative est un modèle de simplicité formelle, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne présente aucune difficulté de fond. Les publicistes sont capables de subtilités qui auraient lassé les byzantins.

— Revenons-en à la Question Prioritaire de Constitutionnalité.

— J’allais vous le proposer. L’écrit doit être distinct, et motivé, c’est-à-dire expliquer en quoi la loi applicable serait contraire à la Constitution. Formellement, la Question Prioritaire de Constitutionnalité prendra donc la forme de l’écrit habituel : mémoire, conclusion… Ce sera nécessairement une exception au principe de procédure civile d’unicité des écritures, qui veut que toutes les argumentations figurent dans les conclusions et que toute demande qui n’est pas reprise dans les dernières conclusions est réputée abandonnée.

— Et que doit faire le juge saisi d’une telle question ?

— Il en vérifie la recevabilité, qui repose sur trois conditions (article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; enfin, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Pour résumer, il s’assure de sa pertinence au litige, de sa nouveauté, et de son sérieux, encore que j’aie du mal à imaginer un cas qui remplirait les deux premières conditions mais pas la troisième.

— Faut-il argumenter cette recevabilité dans la Question Prioritaire de Constitutionnalité ?

— Ce n’est pas obligatoire, juste vivement conseillé. Mâcher le travail du juge ne nuit jamais. Notamment, lui fournir copie de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi contestée (s’il a été saisi) me paraît un minimum, pour qu’il puisse s’assurer si la disposition en question —C’est le cas de le dire— a été examinée et ce qu’il en a été dit.

— Je suppose que si le juge estime qu’une de ces conditions n’est pas remplie, il rejette la QPC. Et s’il estime qu’elles sont remplies ?

— Il n’est pas compétent pour y répondre. Le législateur a fait l’option d’une compétence exclusive du Conseil constitutionnel. Cette défiance vis à vis du justiciable est loin d’avoir disparu du cœur du législateur. Aux États-Unis, la Constitution est une norme comme les autres, et tout juge saisi peut juger de la conformité d’une loi à la norme suprême. Les Cours suprêmes de chaque État et la Cour Suprême des États-Unis n’agissent que comme cour de cassation, pour unifier l’interprétation de la Constitution.

— Nous connaissons tous votre proaméricanisme béat, qui n’est battu en béatitude aux yeux de vos détracteurs que par votre européisme. Revenons-en à la France.

— Soit. Le juge estimant la QPC recevable la transmet dans les huit jours à la cour de cassation s’il porte une robe ou une médaille en sautoir[1] et au Conseil d’État s’il ne porte aucun signe distinctif de sa fonction.

— Pourquoi ce passage obligé ?

— C’est un filtrage, comme l’ancienne chambre des requêtes de la cour de cassation, dont on n’a jamais eu autant besoin que depuis qu’on l’a supprimée en 1947.

— Sur quels critères ?

— Les mêmes que la recevabilité devant le juge du fond : pertinence, nouveauté, et sérieux (article 23-4 de l’Ordonnance du 7 novembre 1958)

— Article qui est redondant, puisque le législateur, après avoir renvoyé au 1° de l’article 23-2, reprend le caractère sérieux comme condition de la transmission au Conseil constitutionnel.

— Tu as remarqué ? C’est que le législateur se méfie encore plus du juge que du peuple.

— Et pour la cour d’assises ?

— La QPC doit nécessairement accompagner un appel. La QPC accompagne la déclaration d’appel ; il est aussitôt transmis à la cour de cassation, sans examen de la recevabilité, pour la procédure de filtrage.

— Comment se passe cette procédure de filtrage ?

— Sans ministère d’Avocat aux Conseils. Les QPC sont transmises avec les écritures des parties, et la Cour ou le Conseil ont trois mois pour se prononcer. Soit ils confirment la nouveauté, la pertinence et le sérieux et saisissent le Conseil constitutionnel, soit ils estiment qu’une de ces conditions manque et font retour de la procédure devant le juge. Notons que ce refus peut contenir la réponse à la question : par exemple “Attendu que dans sa décision du 31 février 2010, le Conseil a déjà estimé que l’article 63-4 du Code de procédure pénale était contraire à la Constitution en ce qu’il ne permet pas une assistance effective par un avocat tout au long de la garde à vue ; Attendu qu’en conséquence, la question soulevée ne présente pas de caractère de nouveauté, par ces motifs, dit n’y avoir lieu à saisine de Conseil constitutionnel, ordonne le retour de la procédure au tribunal de Framboisy”.

— Et si on est déjà devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État ?

— L’étape 1 saute, on passe directement à la 2 : le réexamen approfondi de la recevabilité avant saisine éventuelle du Conseil constitutionnel. La QPC prend la même forme que les écritures habituelles : un mémoire, rédigé par un avocat aux Conseils sauf dans les procédures où on peut avoir la folie de s’en passer (le pénal, essentiellement).

— Ça me paraît un peu bizarre, ce double contrôle portant sur les mêmes critères.

— En vérité, ça l’est. Mais je pense qu’avec l’usage, une répartition du travail se fera : le juge du fond se contentera d’un contrôle de l’irrecevabilité manifeste, notamment en se référant aux décisions déjà rendues par la cour de cassation ou le Conseil d’État, tandis que ces deux cours suprêmes opéreront un filtrage plus méticuleux et rigoureux pour éviter le risque de surmenage au neuf sages et deux moins sages de la rue Montpensier.

— Et si la QPC est transmise au CC, que se passe-t-il ?

— La procédure est réglée par une décision réglementaire du Conseil du 4 février 2010. Les étudiants en droit découvriront à cette occasion que la prohibition des arrêts de règlement connaît des exceptions. L’audience est publique ; une salle a été aménagée pour que le public puisse la suivre depuis la salle du conseil où elle se tiendra.

— Et ensuite ?

— De deux choses l’une. Soit la réponse à la QPC est négative : la loi est conforme : le dossier retourne au juge initialement saisi qui applique la loi avec l’esprit serein du juge qui respecte la Constitution. Soit la réponse est positive ; dans ce cas, la disposition inconstitutionnelle est abrogée au jour de la publication de la décision au Journal Officiel, sauf si le Conseil décide d’aménager les effets de cette abrogation dans le temps (nouvel article 61-1 de la Constitution).

— Comment ? Mais une loi violant la norme suprême devrait être nulle ! Et voilà un bien étrange accommodement que de décider comment une loi va peu à peu cesser de violer la Constitution !

— Tu as remarqué ? Le pragmatisme l’emporte sur la rigueur juridique. L’idée étant de limiter les remises en cause de situations passées : la sûreté juridique est aussi un droit de l’homme.

— Un an et demi à peine après avoir réduit le délai de prescription de trente à cinq ans, voilà un bien tardif souci.



— Il est vrai. Sans doute aussi le règne de la loi qui a marqué un siècle de notre histoire institutionnelle laisse cette dernière trace : la loi ne peut si mal faire qu’il faille la traiter comme un vulgaire décret. Le Conseil d’État a lui aussi pris l’habitude de retarder dans le temps l’effet de ses décisions, permettant ainsi au gouvernement de prendre les mesures urgentes nécessaires.

— Et cette procédure est-elle promise à un grand succès ?

— Sans nul doute, surtout les premières années, le temps de soumettre au Conseil Constitutionnel toutes les questions que les parlementaires ne lui ont pas soumises. Une fois cette phase de rattrapage terminée, le rythme sera moins effréné. En attendant, la machine tourne à plein régime. À ce jour, 16 mars 2010, la cour de cassation est saisie de 18 QPC en matière civile et de 4 questions en matière pénale (dont une sur la conformité du système actuel de la garde à vue), tandis que le conseil d’Etat est saisi de 28 QPC.

— Vivement que la première QPC soit transmise au Conseil constitutionnel !



— Tous les juristes de France attendent ce moment comme une pucelle attend le bal. Sois certaine que nous en reparlerons ici.

— Merci, cher maître, je vous laisse travailler.

— Je suis ton serviteur, Malika. N’oublie pas d’emporter Jeannot en partant. Il va finir par baver sur mon tapis

Notes

[1] Les magistrats professionnels et les juges de commerce portent la robe ; les juges de proximité et conseillers prud’hommes une simple médaille en sautoir, ce que je trouve parfaitement anormal soit dit en passant).

samedi 13 mars 2010

Indovina chi viene a cena ?

I nostri amici italiani !

C’est à présent l’Italie que le XV de France va affronter demain.

Un petit bilan sur ce tournoi. Aujourd’hui s’est produit un événement rare : un match nul. L’Ecosse a fait jeu égal avec l’Angleterre, décidément en petite forme, même si ce diable de Johnny Wilkinson est entré dans l’histoire en devenant le meilleur marqueur de l’histoire du tournoi. Pas de cuiller de bois pour l’Ecosse, l’Angleterre lui ayant ainsi donné un point, et c’est bien la dernière de qui les Ecossais attendaient leur salut.

La France est en tête, et ce même avec un match de retard. Elle est seule en lice pour le Grand Chelem. La deuxième place semble promise à l’Irlande, Tout se jouera le week end prochain, mais j’y reviendrai.

L’Italie, donc.

Drapeau Italie

Le drapeau italien fait partie des nombreux drapeaux tricolores nés au lendemain de la Révolution française. Celle-ci ayant adopté le drapeau tricolore, cette configuration en trois bandes verticales est devenue au XIXe siècle un symbole de bouleversement chargé d’espoir, et de nombreux pays ayant connu des changements politiques majeurs ont choisi un drapeau inspiré du drapeau français : citons l’Irlande, la Roumanie, la Belgique et beaucoup de drapeaux africains : le drapeau de Côte d’Ivoire est d’ailleurs le drapeau irlandais renversé, l’orange contre le mat et le vert au vent.

Les origines exactes sont controversées. Voici les différents possibilités, je vous laisse faire votre choix.

- Les Italiens ayant reçu Napoléon en libérateur pour avoir chassé les Autrichiens, ils ont adopté le drapeau français en changeant le bleu en vert, couleur préférée de l’empereur.

- Le premier drapeau vert blanc rouge a été adopté par l’éphémère république transpadanienne, mêlant le rouge et le blanc, couleurs de Milan, avec le vert des uniformes de la milice civile de la ville.

- Une œuvre de Dante Alighieri (le 18e chant des Purgatoires) décrit les trois vertus théologales en les représentant par trois couleurs : Le vert pour l’espoir, le blanc pour la foi et le rouge pour la charité.

Aujourd’hui, une explication est donnée aux cours d’instruction civique en Italie ; elle est jolie mais sans nul doute largement postérieure à l’adoption du drapeau : le vert pour les collines des Appenins, le blanc pour la neige des Alpes, et le rouge pour le sang des martyrs des guerres d’indépendance.

Et pourquoi pas le vert du gazon, le blanc des poteaux, et le rouge du carton de Zidane pendant qu’on y est ?

L’histoire mouvementée de l’Italie fera que le drapeau de ses diverses entités connaîtra beaucoup de changements, mais les trois couleurs en seront toujours le dénominateur commun, seul un liseré bleu ayant fait son apparition lors de l’apposition du blason des Savoie, afin que la croix blanche ne fût pas confondue avec le blanc du drapeau. Royaume d'Italie C’est ce liseré bleu, couloir de la famille royale de Savoie, qui a donné la couleur du maillot de l’Italie (qu’on n’appelle pas squadra azzura en Italie mais gli azzuri, les bleus, comme chez nous.

Ce drapeau a été définitivement adopté en sa forme actuelle avec la République, le 19 juin 1946, en retirant les armes royale des Savoie qui ornaient le blanc.

Le rugby est arrivé en Italie à la fin du XIXe siècle. D’une part à Gênes, par l’importante colonie anglaise qui y était établie, mais surtout par le grand nombre d’étudiants français venant étudier dans les prestigieuses universités du nord de l’Italie. La raison de ce succès est similaires à celles qui ont fait que le rugby a pris dans le sud de la France et pas dans le nord (si on excepte Paris) : ce sport faisait écho à d’anciennes traditions de se mettre sur la figure en tenant un ballon à la main, comme la soule en France. Ainsi, ceux qui ont eu le bonheur de visiter Florence auront pu assister médusé à une très ancienne tradition, le calcio storico. D’ailleurs, le régime fasciste de Mussolini a tenté de faire du rugby le sport officiel du régime, mais avec peu de succès, même si le rugby a traîné pendant longtemps en Italie une mauvaise image du fait de cet attrait montré par le Duce, même s’il a tourné le dos au rugby du jour au lendemain voyant que la sauce ne prenait pas.

Le rugby est donc clairement un sport du nord, principalement de la vallée du Pô, l’essentiel des pratiquants étant dans les régions de Lombardie et de Vénitie.

L’Italie a été intégrée en 2000 au Tournoi des Cinq nations, devenu les Six Nations, afin d’encourager le développement de la discipline et permettre à l’équipe nationale, en affrontant les meilleures de l’hémisphère nord, de se hisser à un meilleur niveau. Le sport devient de plus en plus populaire dans toute l’Italie, ou sa réputation (méritée) de fair play et de bon comportement des supporters présente un charme certains aux désabusés des meutes qui peuplent les tribunes de certaines équipes et qui feraient passer le kop de Boulogne pour l’Académie Nobel.

Et ça marche. Le niveau de jeu de l’équipe d’Italie a notablement augmenté depuis 2000. Elle a cette année mis en difficulté l’ogre anglais, et battu les Écossais. C’est donc un adversaire à ne pas prendre à la légère. Et puis au moins, au rugby, quand un Italien roule sur la pelouse, vous pouvez être sur que quelqu’un l’a bien fait tomber.

Et n’oublions pas : allez les blancs ! (Puisque l’Italie jouera en bleu, courtoisie de l’hôte).

Incapables majeurs

Par Gascogne


Avez-vous remarqué à quel point l’État français peut être inquiet pour la santé de ses citoyens ?

Pas seulement en cas de pandémie mondiale qui nécessite plus de vaccins que d’habitants de notre beau pays, ce genre de peste nouvelle étant fort heureusement rare.

Je vous parle plutôt de l’intérêt de l’État pour notre vie de tous les jours. Le dernier exemple en date est la loi n° 2010-238 du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation, qui est venu modifier le code de la construction et de l’habitation, et de quelle manière :

Art.L. 129-8.-L’occupant d’un logement, qu’il soit locataire ou propriétaire, installe dans celui-ci au moins un détecteur de fumée normalisé. Il veille à l’entretien et au bon fonctionnement de ce dispositif. Cette obligation incombe au propriétaire non occupant dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, notamment pour les locations saisonnières, les foyers, les logements de fonction et les locations meublées. Ce décret fixe également les mesures de sécurité à mettre en œuvre par les propriétaires dans les parties communes des immeubles pour prévenir le risque d’incendie. L’occupant du logement notifie cette installation à l’assureur avec lequel il a conclu un contrat garantissant les dommages d’incendie.

Art.L. 129-9.-Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application de l’article L. 129-8, notamment les caractéristiques techniques du détecteur de fumée normalisé et les conditions de son installation, de son entretien et de son fonctionnement.

Bon, étant légaliste, il va bien falloir que je m’adapte. La seule chose qui m’ennuie pour la tranquillité de ma petite famille, c’est que j’ai une cheminée qui ne tire pas bien, avec plein de fumée dans la pièce principale à chaque tirage. J’ai passé l’étape difficile des nuits pas tranquilles à cause de mes p’tits bouts, me voilà parti pour des nuits encore plus agitées, à cause de ma cheminée…

A noter que pour une fois, le législateur n’a pas prévu de sanctions pénales à ces dispositions, juste une possibilité pour l’assureur de “prévoir une minoration de la prime ou de la cotisation prévue par la police d’assurance garantissant les dommages incendie lorsqu’il est établi que l’assuré s’est conformé aux obligations prévues aux articles L. 129-8 et L. 129-9 du code de la construction et de l’habitation” (Art. L. 122-9).

Les sanctions pénale ont par contre été prévues par la loi du 3 janvier 2003, concernant la sécurité des piscines, non pas municipales, mais personnelles.

Article L128-1 du code de la construction et de l’habitation

A compter du 1er janvier 2004, les piscines enterrées non closes privatives à usage individuel ou collectif doivent être pourvues d’un dispositif de sécurité normalisé visant à prévenir le risque de noyade. A compter de cette date, le constructeur ou l’installateur d’une telle piscine doit fournir au maître d’ouvrage une note technique indiquant le dispositif de sécurité normalisé retenu. La forme de cette note technique est définie par voie réglementaire dans les trois mois suivant la promulgation de la loi n̊ 2003-9 du 3 janvier 2003 relative à la sécurité des piscines.

Article L152-12 Modifié par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 - art. 125 Le non-respect des dispositions des articles L. 128-1 et L. 128-2 relatifs à la sécurité des piscines est puni de 45 000 Euros d’amende.

Vous voilà donc avertis, pour le cas où, inconscients que vous êtes, vous seriez amenés à laisser votre famille mourir par l’eau ou le feu, l’Etat pense à vous. Et il est même tout à fait prêt à faire prononcer contre vous une peine d’amende si par votre faute, vos propres enfants venaient à mourir atrocement par noyade…En tant que procureur de la République, je ne peux que reconnaître qu’une sanction supplémentaire, fut-elle uniquement pécuniaire, est nécessaire (j’aurais, à titre personnel, rajouté de la prison, mais je dois être depuis trop longtemps du côté obscur de la force).

Et au cas où cela vous aurait échappé, ce n’est pas la première fois que l’État s’occupe de vous. Souvenez vous, si vous êtes un conducteur automobile, voire en moto, que vous fumez, et qu’en plus, il vous arrive de boire un coup. Je n’oserais ajouter que si vous êtes en outre une femme enceinte, vous êtes d’autant plus concernée.

Et je ne parle de ce que la loi impose, la pression sociale allant parfois encore plus loin :

“Quoi, tu ne mets pas de casque et de genouillères à tes enfants qui font

✔ du ski,

✔ du vélo,

✔ de la luge,

✔ un aller retour jusqu’à leur école

✔ du roller

✔ du patins à glace

✔ tout autre sport dangereux[1]

Je vous rappelle donc, aux termes de la loi, qu’il faut boire de l’alcool avec modération, que fumer nuit gravement à votre santé, qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour, et bouger plus, et que si vous prenez un moyen de locomotion, outre le fait qu’il ne faut pas avoir bu de l’alcool ou fumé du cannabis, voire les deux, il faut mettre sa ceinture de sécurité, ou son casque, ou les deux si vous êtes encore plus parano que l’État (mais pas dans le métro ni en vélib’, à l’impossible, nul n’est tenu). Car vous êtes dangereux pour autrui si vous avez bu ou fumé. Vous êtes dangereux pour vous-même si vous ne portez pas la ceinture, ou un casque en moto. Et il vous est interdit d’être dangereux pour vous même, numéro 6

De toute manière, le petit pictogramme sur les bouteilles d’alcool ne vous échappera pas, pas plus que les mentions en gras sur les paquets de cigarettes (et bientôt les photos de poumons cancéreux, si vous n’étiez pas encore convaincu…). Le bip-bip de plus en plus fort dans votre véhicule vous rappellera à l’ordre en tant que de besoin. A ce titre, j’ai voulu faire 500 mètres en voiture avec mon fils au volant, et j’ai dû mettre ma ceinture, sans que mon fils en profite, sauf à l’étrangler, pour conduire sur cette distance, à moins de devenir dingue, tout les deux, à cause du fameux bip-bip…Mais c’est pour mon bien.

On me répondra à juste titre que l’intervention des pompiers en cas d’incendie ou de noyade dans une piscine, ou encore d’accident de la route, coûte de l’argent. Certes. Sans jouer la démagogie, j’aurais tendance à dire que les systèmes de secours de nos sociétés dites évoluées sont financés avant tout par l’impôt.

Pour le reste, près de ma cheminée, de ma piscine, dans mon automobile ou à bord de mon scooter, à table ou ailleurs, en fumant ou non, j’en viens à me demander s’il est très sain que l’État s’occupe à ce point de moi. Car finalement, où est la limite de mon bien être ?

Jusque dans mon lit ?

Notes

[1] rayer la mention inutile

mercredi 10 mars 2010

Le crime administratif, en action

Aujourd’hui 10 mars sort sur les écrans un film de Roselyne Bosch, intitulé “La Rafle”, sur la rafle dite “du vel’ d’hiv”, en juillet 1942.

Je n’ai pas vu ce film, et ne connais pas la réalisatrice. Je ne puis émettre d’opinion sur la qualité du film.

Mais cette sortie me donne une occasion de mettre en ligne un document qui mérite l’effort de sa lecture.

J’ignore si c’est un document historique qui a déjà été publié ou non. Sa source est sure, il provient des archives d’une organisation syndicale policière à présent dissoute, qui disperse ses archives.

Je vous préviens, il est glaçant.

On a coutume de dire que le crime contre l’humanité qu’a constitué l’extermination des juifs en Europe au cours de la Seconde guerre mondiale est unique en ce qu’il est un crime administratif. Ce n’est pas l’oeuvre d’un fou, car un fou seul n’aurait pas pu tuer autant en aussi peu de temps. C’est un crime commis à l’aide de la machine administrative, froide, efficace, organisée et insensible.

En voici la démonstration.

Le document est un pdf, c’est une photocopie de photocopie d’une copie faite au carbone d’un document vieux de 70 ans, d’où sa piètre qualité. Grâce à la gentillesse et à la disponibilités de mes lecteurs, vous trouverez une retranscription de la circulaire ci-dessous, qui respecte dans la mesure du possible la mise en page originale. Seule la page 4 a dû être retranscrite au format pdf, il s’agit d’un tableau, qui cause des problèmes d’affichage selon la taille de l’écran du lecteur.

Je n’ai aucun droit de propriété intellectuelle sur ce document, et vu sa nature et son ancienneté, il est libre de droit. Vous pouvez copier le fichier, et en faire ce que vous voulez. La retranscription suivra ce statut et pourra être librement recopiée.

Un dernier mot : il est devenu très à la mode de se lancer à la figure cette période terrible que fut l’Occupation pour insulter son adversaire politique. Je vous remercie de ne pas profiter des commentaires pour faire des parallèles abjects entre une politique menée aujourd’hui, notamment en matière d’immigration -et vous savez combien je suis volontiers critique sur la question- quelle que soit l’indignation que vous pouvez ressentir à ce sujet. Lisez ce document, attentivement, et vous comprendrez en quoi la différence n’est pas de degré, mais de nature, et respectez la mémoire des “fiches” visées par ce document, qui n’ont pas eu le même traitement et le même sort que ceux que je défends bec et ongles aujourd’hui, avec d’autant plus de courage que ce faisant, je ne risque rien personnellement.

Ces prolégomènes seront terminés dès que j’aurai précisé que je publie ce document sans la moindre arrière pensée politique. C’est un document qui mérite d’être public, et internet me fournit l’outil pour vous le livrer tel quel. Merci de m’épargner tout procès d’intention qui serait indécent

Voici donc le crime administratif en action, la forme crue qu’il prend quand il se commet : voici la circulaire n°173-42 de la préfecture de police du 13 juillet 1942, c’est-à-dire les instructions officielles données à la police, par la voie hiérarchique, pour la réalisation de ladite Rafle du Vel’d’hiv.


Transcription de la circulaire : (Merci à tous les volontaires).


Préfecture de Police                              C O P I E

—————————
Direction de la

Police Municipale

-
Etat-Major
Bureau - A

                                          S E C R E T


Paris,le 13 Juillet 1942.

 

CIRCULAIRE N° 173 - 42

 

à Messieurs les Commissaires Divisionnaires, Commissaires de Voie
Publique et des Circonscriptions de Banlieu.
( En communication à Direction P.J. - R.G. - Gendarmerie et Garde
de Paris).

______________

 

Les Autorités Occupantes ont décidé l’arrestation et le rassemblement d’un certain nombres de Juifs étrangers.

 

I - PRINCIPES

1 - A qui s’applique cette mesure ?

a ) Catégories :
 

La mesure dont il s’agit, ne concerne que les Juifs des nationalités suivantes :

- Allemands
- Autrichiens
- Polonais
- Tchécoslovaques
- Russes ( réfugiés ou soviétiques, c’est à dire “blancs” ou “rouges”)
- Apatrides, c’est-à-dire de nationalité indéterminée.

b) Age et sexe :
 

Elle concerne tous les Juifs des nationalités ci-dessus, quel que soit leur sexe, pourvu qu’ils soient âgés de 16 à 60 ans ( les femmes de 16 à 55 ans).

Les enfants de moins de 16 ans seront emmenés en même temps que les parents.


Dérogations :


Ne tombent pas sous le coup de la mesure :

- les femmes enceintes dont l’accouchement serait proche
- les femmes nourrissant au sein leur bébé
- les femmes ayant un enfant de moins de 2 ans, c’est-à-dire né après le 1er Juillet 1940
- les femmes de prisonniers de guerre
- les veuves ou veufs ayant été mariés à un non-juif
- les juifs ou juives mariés à des non juifs, et faisant la preuve, d’une part de leurs liens légitimes, et d’autre part, de la qualité de non-juif de leur conjoint.
- les juifs et juives porteurs de la carte de légitimation de l’Union Générale des Israélites de France, carte qui est de couleur bulle ou jaune clair.
- les juifs ou juives dont l’époux légitime est d’une nationalité non visée au paragraphe a)
- les parents dont l’un au moins des enfants n’est pas juif.


-2-


Dans le cas où un membre de la famille bénéficie de la dérogation, les enfants ne sont pas emmenés, à moins qu’ils ne soient juifs et âgés de 16 ans et plus

 

Exécution :

              Chaque israélite (homme et femme) à arrêter fait l’objet d’une fiche. Ces fiches sont classées par arrondissement et par ordre alphabétique.

 

              Vous constituerez des équipes d’arrestation. Chaque équipe sera compos d’un gardien en tenue et d’un gardien en civil ou d’un inspecteur des Renseignements Généraux ou de la Police Judiciaire.

 

              Chaque équipe devra recevoir plusieurs fiches. A cet effet, l’ensemble des fiches d’un arrondissements ou d’une circonscription sera remis par ma Direction ce jour à 21 heures.

 

              Les équipes chargées des arrestations devront procéder avec le plus de rapidité possible, sans paroles inutiles et sans commentaires. En outre, au moment de l’arrestation, le bien-fondé ou le mal-fondé de celle-ci n’a pas à être discuté. C’est vous qui serez responsables des arrestations et examinerez les cas litigieux qui devront être signalés.

 

              Vous instituerez, dans chacun de vos arrondissements ou circonscrip-tion, un ou plusieurs centres primaires de rassemblement, que ferez garder. C’est dans ce ou ces centres que seront examinés par vous les cas douteux. Si vous ne pouvez trancher la question, les intéressés subiront momentanément le sort des autres.

 

              Des autobus dont le nombre est indiqué plus lion, seront mis à votre disposition.

 

              Lorsque vous aurez un contingent suffisant pour remplir un autobus, vous dirigerez :

a)     sur le Camp de Drancy les individus ou familles n’ayant pas d’enfant de moins

b)     sur le Vélodrome d’Hiver : les autres.

 

En ce qui concerne le camp de Drancy, le contingent prévu doit être de 6.000. En conséquence, chaque fois que vous ferez un départ pour Drancy, vous ferez connaître le nombre de personnes transportées dans ce camp à l’Etat-Major qui vous préviendra lorsque le maximum sera atteint. Vous dirigerez alors les autobus sur le Vélodrome d’Hiver.

 

              Vous affecterez à chaque autobus une escorte suffisante. Les glaces de la voiture devront demeurer fermées et la plate-forme sera réservée au bagages. Vous rappelerez aux équipes spéciales d’arrestation, en leur donnant lecture, les instructions contenues dans les consignes que vous remettrez à chacune d’elle avant de procéder aux opérations.

             

              Vous leur indiquerez également, d’une façon nette, les renseignements qu’ils devront, après chaque arrestation, porter au verso de la fiche afférente à la personne arrêteé.

 

              Vous ne transmettrez que le 18 au matin :

I° - les fiches des personnes dont l’arrestation aura été opérée

2° - Les fiches des personnes disparues.

3° - Les fiches des personnes ayant changé d’adresse, et dont la nouvelle résidence est connue à moins que cette dernière ne se trouve dans votre arrondissement.



-3-

Enfin, vous conserverez pour être exécutées ultérieurement les fiches des personnes momentanément absentes lors de la première tentative d’arrestation.

 

Pour que ma Direction soit informée de la marche des opérations, vous tiendrez au fur et à mesure, à votre Bureau, une comptabilité conforme au classement ci-dessus.

 

Des appels généraux vous seront fréquemment adressés pour la communication de ces renseignements.

 

Parmi les personnes arrêtées, vous distinguerez le nombre de celles conduites à Drancy de celles conduites au Vélodrome d’Hiver.

 

Pour faciliter le contrôle, vous ferez porter au dos de la fiche, par un de vos secrétaires, la mention « Drancy  ou  Vélodrome d’Hiver », selon le cas.

 

II.                 Effectifs et matériel

 

A. Dispositions générales

 

Les permissions seront suspendues du 15 courant à 18 heures au 17 courant à 23 heures et tous les cours supprimés jusqu’à la reprise des permissions.

 

Le service de garde des Etablissements allemands ne sera pas assuré, sauf celui des parcs de stationnement et des garages installés dans les passages souterrains, du 15 courant à 21 heures 30 au 17 courant à 21 heures 30, sauf quelques rares exceptions dont vous serez seuls juges.

 

En conséquence, les renforts fournis habituellement pour ce service spécial ne vous seront pas envoyés.

 

De cette situation, il résulte que chaque arrondissement peut sans difficulté affecter à la constitution des « équipes spéciales » 10 gardiens par brigade de roulement et la brigade D au complet, sans que le service normal de l’arrondissement en soit affecté, assuré qu’il sera par le reste de la brigade de roulement (dont l’effectif, du fait de la suppression des permissions, correspond au moins à son effectif habituel).

 

Les gardiens désignés pour constituer les équipes spéciales seront exemptés de leur service normal d’arrondissement à partir du 15 courant à 16 h. ils assureront à nouveau leur service habituel à partir du 17 courant à 23 heures.

 

Ceux qi (sic) prendront la surveillance des établissements allemands le 17 courant à 21 h.30 devront être libérés de tout service dans l’après-midi du même jour.

 

B. Equipes spéciales d’arrestation

 

I.                  Renforts les 16 et 17 juillet

 

Les services détachant les effectifs ci-dessous indiqués devront prévoir l’encadrement normal, les chiffres donnés n’indiquant que le nombre des gardiens. Les gradés n’interviendront pas dans les arrestations, mais seront employés selon vos instructions au contrôle et à la surveillance nécessaire.




Page 4 (format pdf, s’agissant d’un tableau)

- 5 -

 

2 – Horaire de travail des équipes spéciales.

 

                            Les inspecteurs et gardiens constituant les équipes spéciales d’arrestation prendront leur service au Central d’Arrondissement désigné, le 16 courant à 4 heures du matin. Ils effectueront leur service :

 

                            1°- le 16              de 4 heures à 9 heures 30 et

                                                        de 12 heures à 15 heures 30

                            2°- le 17              de 4 heures à 13 heures.

 

              C – Garde des centres primaires de rassemblement et accompagnement des autobus

 

                            1Renforts des 16 et 17 Juillet :

 

                            Pour leur permettre d’assurer la garde de leurs centres primaires de rassemblement et l’accompagnement des détenus dans les autobus, les arrondissements les plus chargés recevront, en outre, les 16 et 17 Juillet les renforts suivants :

 

2me Arrt              :              15 Gardes à pied

3me  -                            :              30 Gardiens de la CHR

4me  -                            :              15   -                   des Cies de Circulation

                                          5   -      de l’Ecole Pratique

                                          25 Gardes à pied

5me  -                            :              10   -

9me  -                            :              15   -

10me -                            :              10 Gardiens de l’Ecole Pratique

                                          30 Gardes à pied

11me -                            :              10 Gardiens de l’Ecole Pratique

                                          10   -                   des Cies de Circulation

                                          40 Gardes à pied

12me -                            :              10   -

                                          5 Gardiens de l’Ecole Pratique

13me -                            :              10 Gardes à pied

                                          5 Gardiens de l’Ecole Pratique

14me -                            :              10 Gardes à pied

                                          5 Gardiens de l’Ecole Pratique

15me -                            :              10 Gardes à pied

16me -                            :              10 Gardes à pied

                                          5 Gardiens de l’Ecole Pratique

17me -                            :              10 Gardes à pied

18me -                            :              25 Gardiens des Cies de Circulation

                                          15 Gardes à pied

19me -                            :              20 Gardiens des Cies de Circulation

                                          15 Gardes à pied

20me -                            :              30 Gardiens des Cies de Circulation

                                          30 Gardes à pied

 

                            2 – Horaire :

 

                            Les renforts destinés à la garde des centres primaires de rassemblement et à l’accompagnement des autobus prendront leur service au Central d’Arrondissement désigne le 16 courant à 5 heures du matin.

 

                            Ils assureront leur service les 16 et 17 Juillet :

 

                            Equipe N° 1 de 5 heures à 12 heures


- 6 -
 
 
 
 
                            Equipe n° 2 de 12 heures à fin de service
 
                            En ce qui concerne les effectifs de la Garde de Paris, la relève aura lieu au gré du commandement.
 
                            D – Circonscriptions de Banlieue.
 
                            Toutes les circonscriptions de banlieue, sauf celles des Lilas, de Montreuil, Saint-Ouen et Vincennes, constitueront leurs équipes spéciales d’arresta-tion, assureront la garde de leurs centres primaires de rassemblement et d’accompa-gnement, à l’aide de leurs propres effectifs.
 
                            En ce qui concerne le matériel, celui-ci vous sera envoyé après communications des chiffres aux appels généraux, de manière à organiser des itinéraires de transfé-rement.
 
                            Suivant l’horaire et les dates fixées pour Paris, chapitre B, paragraphe 2, les renforts suivants seront fournis:
 
–    SAINT-OUEN : 20 gardiens en tenue et 12 gardiens en civil fournis par le 2ème Division sur ses effectifs de banlieue.
 
–    LES LILAS : 20 gendarmes et 14 gardiens en civil de l’Ecole Pratique
 
–    MONTREUIL : 25 gendarmes et 18 gardiens en civil de l’Ecole Pratique
 
–    VINCENNES : 15 gendarmes et 9 gardiens en civil de l’Ecole Pratique.
 
              Dans les Circonscriptions des Lilas, Montreuil et Vincennes, les Commissaires commenceront les opération dès 4 heures du matin avec leurs propres effectifs et les gendarmes, et recevront les gardiens en civil de l’Ecole Pratique par le pre-mier métro : c’est à dire aux environs de 6 heures 15.
 
                            E – Matériel :
 
              La Compagnie du Métropolitain, réseau de surface, enverra directement les 16 et 17 Juillet à 5 heures aux Centraux d’Arrondissement où ils resteront à votre dispo-sition jusqu’à fin de service :
 
–   Ier  Arrdt : I autobus
–   2ème   -   : I   -
–   3ème   -   : I   -
–   4ème   -   : 3   -
–   5ème   -   : 3   -
–   6ème   -   : I   -
–   7ème   -   : I   -
–   8ème   -   : I   -
–   9ème   -   : 2   -
–   10ème   -   : 3    -
–   11ème   -   : 7   -
–   12ème   -   : 2   -
–   13ème   -   : I   -
…/.

-7-


- 14ème  -   : I autobus

- 15ème  -   : I    -

- 16ème  -   : I    -

- 17ème  -   : I    -

- 18ème  -   : 3    -

- 19ème  -   : 3    -

- 20ème  -   : 7    -

 

A la préfecture de Police (Caserne de la Cité):

 

              Lorsque vous n’aurez plus besoin des autobus, vous en aviserez d’urgence l’Etat Major P.M.; et, de toute façon vous ne les renverrez qu’avec son accord.

 

              En outre la Direction des Services Techniques tiendra à la disposition de l’Etat Major de ma Direction, au garage, à partir du 16 juillet à 8 heures :

            

                 10 grands cars.

 

              Les Arrondissements conserveront jusqu’à nouvel ordre les voiturettes mises à leur disposition pour le service spécial du 14 juillet, contrairement aux instruct—- de ma Circulaire n° 170-42 du 13 juillet.

              De plus, de 6 heures à 18 heures, les 16 et 17 juillet, un motocycliste sera mis, à la disposition de chacun des : 9ème, 10ème, 1-ème, 18ème, 19ème et 20ème Arrdts.

 

                            F – Garde du Vélodrome d’Hiver

 

              La garde du Vélodrome d’Hiver sera assurée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieu- par la Gendarmerie d . la Région Parisienne et sous sa responsabilité.

 

                            G – Tableau récapitulatif des fiches d’arrestations :

 

1er Arrdt              134-             : Asnières           32

2ème Arrdt             579-             : Aubervilliers      67

3ème Arrdt             2 .675-          : Boulogne           96

4ème Arrdt             2 .401 -         : Charenton          25

5ème Arrdt             414-             : Choisy-le-Roi       8

6ème Arrdt             143-             : Cliohy             62

7ème Arrdt             68-              : Colombe            24

8ème Arrdt             128-             : Courbevoie         34

9ème Arrdt             902-             : Gantilly           95

10ème Arrdt            2 .594-          : Ivry-sur-Seine     47

11ème Arrdt            4. 235-          : Les Lilas         271

12ème Arrdt            588-             : Levallois          47

13ème Arrdt            563-             : Montreuil         330

14ème Arrdt            295-             : Montrouge          34

15ème Arrdt            397-             : Neuilly-sur-Seine  48

16ème Arrdt            424-             : Nogent-sur-Marne   50

17ème Arrdt            424-             : Noisy-le-sec       45

18ème Arrdt            2. 075-          : Pantin             93

19ème Arrdt            1. 917-          : Puteaux            38

20ème Arrdt            4. 378-          : Saint-Denis        63

                                        : Saint-Maur         45

 

…/…

 


-8-

 

Saint-Ouen              261

Sceaux                   37

Vanves                   52 

Vincennes               153

 

            


  Le Directeur de la Police Municipale

 

              HENNEQUIN


mardi 9 mars 2010

Outreau, ad nauseam

Par Gascogne


Est-il possible de mettre le dossier d’Outreau à toutes les sauces ? Visiblement, oui, Xavier BERTRAND, secrétaire général de l’UMP, ne s’est pas privé de ressortir l’antienne d’Outreau face à la mobilisation de l’ensemble des personnels du Ministère de la Justice et de grand nombre d’avocats.

Xavier BERTRAND est allé jusqu’à dire que lui, au moins, avait de la mémoire, et qu’il se souvenait d’Outreau, tel une sorte de vase de Soissons.

Visiblement, sa mémoire est fort sélective. A-t-il déjà oublié qu’une commission d’enquête parlementaire avait fait un énorme travail, que peu de monde avait critiqué lors de la sortie de son rapport ? Et que concluait cette commission ? Qu’il ne fallait pas supprimer le juge d’instruction, mais plutôt instaurer une collégialité de l’instruction. Malheureusement, et comme cela se fait habituellement en France, cette réforme s’est faite sans étude d’impact[1], et le moment venu, à savoir le 1er janvier 2010, le législateur s’est rendu compte qu’il était impossible de mettre en place cette collégialité, et en a fort opportunément retardé la mise en place, au 1er janvier 2011. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’une nouvelle loi interviendra d’ici à la fin de l’année pour retarder encore l’échéance, dans l’attente de la nouvelle réforme de la procédure pénale qui résoudra bien plus sûrement le problème.

Je rappellerai également à Xavier BERTRAND qu’à force d’amalgames simplistes, il risque de se fâcher avec beaucoup de monde. Cracher au visage des magistrats est certes facile et payant en terme d’image, tant il est aisé de trouver dans l’auditoire des justiciables mécontents (par définition, au minimum un justiciable sur deux). Mais concernant la manifestation du 9 mars, Xavier BERTRAND en profite pour cracher sur les personnels pénitentiaires, les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse, les greffiers et fonctionnaires des tribunaux, les avocats, dont nul ne contestera qu’ils sont tous autant responsables les uns que les autres des dégâts du dossier d’Outreau.

Et bien sûr, c’est également un moyen de nier les évidences, en l’occurrence qu’une telle mobilisation, jamais réalisée jusqu’alors entre tous les services d’un même ministère, démontre a minima qu’il existe un véritable malaise au sein de celui-ci.

Ceci dit, je n’étais pas, aujourd’hui, à une nausée près, après avoir commencé ma journée en écoutant Jean-Pierre ELKABBACH interroger sur Europe 1 les représentants de l’Union Syndicale des Magistrats et du Syndicat de la Magistrature. Visiblement, le fil conducteur de l’interview était de ressortir tous les poncifs possibles et imaginables pour discréditer le mouvement : corporatisme, conservatisme, dossier catastrophique des juges d’instruction, absence de remise en cause…

Les deux interviewés ont eu beau lui dire,

- que quant au corporatisme, supprimer le juge d’instruction ne nous privera pas de travail, mon cher Jean-Pierre, ça n’est donc pas notre gamelle que nous défendons.

- que nous voir comme opposés à toute réforme explique difficilement les propositions faites systématiquement par les syndicats de magistrats (sur la carte judiciaire, sur les différentes réformes envisagées), jusqu’aux ateliers de travail mis en place par l’USM avec le Conseil National des Barreaux sur la réforme de la procédure pénale.

- qu’un dossier d’instruction qui aboutit à un non lieu au bout de quinze ans n’est pas nécessairement un dossier qui a échoué. Les raisons conduisant à une telle longueur, inadmissible, sont nombreuses, et ne peuvent se réduire à la seule responsabilité des magistrats (longueur d’exécution des commissions rogatoires, des expertises, des demandes d’actes diverses et variées des parties…). En outre, un dossier aboutissant à la condamnation d’innocents est une catastrophe judiciaire. Mais un dossier qui aboutit à ne pas condamner quelqu’un qui se dit innocent le serait aussi ?

- que les magistrats réfléchissent aux mutations de leur profession, mais qu’ils n’ont pas à s’excuser pour les erreurs de quelques uns. Les journalistes de la presse écrite, des radios, ou encore de la télévision, sont-ils dans l’obligation de s’excuser dés qu’un journaliste chroniqueur du matin fait annoncer le décès d’une personnalité qui n’est pas morte ?

Faire de la démagogie n’est visiblement pas donné à tout le monde, même si Jean-Pierre ELKABBACH et Xavier BERTRAND semblent avoir partagé les bancs de la même école. A cracher contre le sens du vent, on risque de subir soi-même quelques dégâts. Le moindre d’entre eux est de participer au dégoût général dont Dadouche vous a parlé. A moins que cela ne soit à dessein…

Notes

[1] mais comme l’a dit Pascal CLEMENT à une réunion syndicale “si on devait attendre d’avoir les moyens pour voter des lois”…

lundi 8 mars 2010

Ils reviennent... et ils ne sont pas contents

Par Dadouche, revenante


Depuis plusieurs années, on dirait que les magistrats passent, dans un ordre aléatoire, par toutes les phases du deuil : le choc, la dépression, la colère, le marchandage, l’acceptation.

Il y a eu le marchandage.
Nous étions débordés ? C’était tout l’honneur, toute la noblesse de notre fonction que d’accepter sans nous plaindre.
On jugeait des gens à 23 h 30 ? C’était pour leur éviter de revenir, et qu’importe si on n’était plus très frais.

Il y a eu le choc.
Le séisme d’Outreau, personne ne l’a vu venir. Après tout, on savait, nous, qu’on faisait ce qu’on pouvait pour écoper la mer à la petite cuillère.
Nous sommes aussi restés sidérés d’entendre qu’il fallait que “le juge paye”, ou qu’il “suait la haine”.

Il y a eu l’acceptation.
Après tout, il fallait bien s’y faire : après tout ce qu’on avait entendu sur l’irresponsabilité supposée des magistrats, comment s’étonner que certains ne s’inquiètent pas plus de la mise en minorité des magistrats au Conseil Supérieur de la Magistrature, organe de discipline, mais surtout de nomination des magistrats.

Il y a eu la dépression.
Ce n’est pas “magistrats en colère” qu’Eolas aurait du intituler l’espace qu’il nous a laissé le 23 octobre 2008.
C’est plutôt “magistrats sous Valium”.

Si vous ne les avez pas encore lus[1], certains titres ne respirent pas franchement la joie de vivre :
- Amertume
- Malaise, vous avez dit malaise ?
- Le dégoût
- Paranoïa
- Je voudrais m’excuser
- Le malaise
- L’angoisse du gardien des libertés au moment du penalty
- Réflexions désabusées d’un juge d’instance.

Et puis, il y a la colère. La vraie.

C’est la phase que nous traversons actuellement.

Demain, 9 mars, tous les syndicats et organisations professionnelles de magistrats appellent à un mouvement national, en collaboration avec des syndicats de greffiers et fonctionnaires de justice, de personnel pénitentiaire, d’éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et plusieurs organisations d’avocats, ainsi que nos collègue magistrats des juridictions administratives et financières. Une manifestation aura lieu entre le Palais de Justice de Paris et la place Vendôme.

Pas pour nous.
On ne demande rien pour nous.

Mais parce que c’est notre responsabilité de vous dire, le plus visiblement possible, que l’institution judiciaire au bord de la faillite, sur tous les plans.

Parce que nous ne pouvons plus nous résoudre à accepter la Justice boiteuse qu’on nous impose de rendre au nom de nos concitoyens.
Parce que certaines de nos juridictions n’ont même plus de quoi nous payer des codes.
Parce que plus un expert ne va accepter de travailler pour un si mauvais payeur.
Parce que les fonctionnaires dévoués auprès desquels nous travaillons chaque jour ne vont pas tenir bien longtemps.
Parce que si ça continue, nous n’aurons plus de papier pour imprimer les jugements attendus des justiciables.
Parce que les réformes actuelles, qui vont vers toujours plus d’automaticité, toujours plus de rapidité, vont tuer l’office du juge
Parce que les justiciables qui dépendaient de juridictions supprimées ne se déplacent plus aux audiences.
Parce que certains veulent “tenir” la Justice.
Parce que 53 euros par an et par habitant, c’est quand même pas lourd.
Parce qu’on ne peut pas à la fois prononcer des peines planchers et vider les prisons avec des aménagements de peine automatiques
Parce que le discrédit régulièrement apporté aux décisions de justice affaiblit chaque fois un peu plus l’autorité de nos décisions et donc leur efficacité
Parce que des magistrats dont l’indépendance n’est pas assurée par leur statut, c’est la suspicion qui pèse sur chacune de nos décisions

Parce que nous n’en pouvons plus de faire le deuil de la Justice.

Je ne sais pas combien nous serons demain. Ce ne sera sans doute pas une marée humaine. Nous ne sommes que 8.000, et beaucoup n’ont pu se résoudre à annuler des audiences pour se rendre à Paris.

Tout ce que j’espère, c’est que nous pourrons rester dans cet état de colère.

Car si rien ne change, nous retomberons dans l’acceptation. Et le jour où nous aurons terminé notre deuil et renoncé à la Justice, c’est l’équilibre démocratique qui subira la plus grande perte.

Alors demain ayez une pensée pour les petits pois rouges de colère, et espérez qu’ils ne deviennent pas tous grisatres.

Notes

[1] grave lacune à réparer d’urgence…

dimanche 7 mars 2010

In memoriam Roger Gicquel

Roger Gicquel (22 février 1933 - 6 mars 2010) était un journaliste, présentateur du 20 heures de TF1, alors chaîne publique, à la fin des années 1970.

Les plus jeunes d’entre vous ne le connaissent pas, il avait disparu des écrans depuis longtemps.

Pour rendre hommage à ce journaliste dans le sens le plus noble de ce terme, voici l’ouverture du 20 heures du 28 juillet 1976, jour de l’exécution de Christian Ranucci. En plein été, au beau milieu des JO de Montréal (où Guy Drut va remporter la médaille d’or du 110m haie), la guillotine a tué, une fois de plus, à Marseille.

Le journaliste doit rendre compte de l’information. La loi lui interdit de le faire autrement qu’en signalant l’exécution. Les sondages d’opinion montrent qu’une majorité de français se dit favorable à la peine de mort, mais nous sommes en pleine affaire Patrick Henry, cynique kidnappeur et assassin d’un jeune enfant de huit ans (le rapt a eu lieu le 30 janvier de cette année, l’arrestation de Patrick Henry le 17 février). Pourtant nous sommes à cinq ans de l’abolition.

Roger Gicquel est journaliste. Et abolitionniste. Et il ne peut pas se taire. À l’époque où toutes les télévisions étaient publiques, où le Conducteur, c’est à dire le sommaire du journal, était préalablement relu par un ministre, vous n’imaginez pas le courage qu’il a fallu pour faire cette ouverture, aussi modérée soit-elle.

retrouver ce média sur www.ina.fr

Et pour tous ceux qui ne retiennent de lui que le “La France a peur” lancé le 18 février de la même année, voici l’intégralité de cette ouverture. Cette phrase fait partie des plus gros contresens, avec le “la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde” de Rocard. Vous verrez que loin de surfer sur la vague de l’émotion, il en appelle au contraire à la raison contre la haine.

retrouver ce média sur www.ina.fr

C’est un grand nom du journalisme qui s’est éteint. Cette nouvelle ne peut que nous rendre tristes.

PS : Problème des vidéos réglées. Ce n’était pas la faute de l’INA mais de Dotclear. Merci à Beldom de m’avoir soufflé la réponse.

mardi 2 mars 2010

Bienvenue à la Question Prioritaire de Constitutionnalité

Ce lundi 1er mars 2010 fut un grand jour, un jour historique. La France est enfin devenue un État de droit.

— Qu’est-ce qu’un État de droit, maître ?

— Mon Jeannot, quelle surprise ! Tu es revenu de ton congé paternité ?

— Vous me manquiez. Et j’ai entendu dire que vous aviez une nouvelle stagiaire très jolie…

— Tu es marié, Jeannot.

— Rassurez-vous. J’ai un contrat de confiance qui me lie à mon épouse.

— Me voilà garanti. Donne moi donc cette bouteille de champagne que tu as amenée, et nous trinquerons à nos vies qui viennent de changer.

— Volontiers. Mais vous n’avez pas répondu à ma question.

— Je manque à tous mes devoirs. Un État de droit est un État auquel le respect du droit peut être imposé par la voie juridictionnelle.

— C’est à dire par un juge ?

— Oui, mais en France, cette expression est ambiguë, car notre pouvoir juridictionnel est bicéphale. Disons que tout citoyen à qui on veut appliquer une loi peut désormais demander à un juge de constater que cette loi est inapplicable car elle viole la Constitution.

— Rappelez-moi ce qu’est la Constitution ?

— Formellement, une loi, publiée au Journal Officiel. Juridiquement, elle est la norme suprême, la loi des lois, celle de laquelle découle toute autorité, y compris celle de la loi. Elle organise l’État, fixe sa nature (République, Monarchie), sa forme (régime parlementaire, présidentiel…), la répartition des pouvoirs et leur contrôle, la désignation de leur titulaire et la durée de leurs fonctions. C’est sa dimension organique. Elle en a aussi une symbolique : c’est la Constitution qui pose que le drapeau français est le drapeau tricolore et que l’hymne est la Marseillaise. Mais aussi et surtout, elle consacre des droits inaliénables, auxquels, de par leur nature constitutionnelle, la loi ordinaire ne peut toucher.

— Pourquoi cela ?

— Parce que la loi tient son pouvoir de la Constitution. Donc la loi ne peut porter atteinte à ce que la Constitution interdit de toucher. C’est ce que le grand juriste autrichien Hans Kelsen a appelé la hiérarchie des normes. Chaque norme ne peut violer une norme de nature supérieure. Cette hiérarchie est, de haut en bas : la Constitution, les Traités et Conventions internationales régulièrement ratifiées, les lois organiques, les lois ordinaires, et les décrets. Il existe des normes de rang encore inférieur, comme les arrêtés, mais ceux-ci ne sont habituellement pas inclus dans cette hiérarchie car ils tirent leur autorité non pas de la Constitution mais d’une délégation de la loi ou du décret. Un État de droit doit permettre à tout citoyen de contester la conformité d’une norme à une autre qui lui est supérieure.

— Ainsi, je puis contester qu’un décret soit conforme à la loi ?

— Absolument, depuis l’arrêt Cadot (CE, 13 décembre 1889). C’est là le rôle exclusif du juge administratif, Conseil d’État en tête, puisqu’il est la plus haute juridiction administrative.

— Je puis contester qu’une loi soit conforme à un Traité ?

— Oui, même si la loi est postérieure au Traité, depuis l’arrêt Jacques Vabre (24 mai 1975) pour le juge judiciaire, et Nicolo (20 octobre 1989) pour le juge administratif.

— Et je ne pouvais pas contester qu’une loi fût contraire à la Constitution ?

— Non. La Constitution en vigueur, celle du 4 octobre 1958, la cinquième adoptant la forme républicaine (encore que la première n’ait jamais été appliquée, et que la troisième n’en était pas vraiment une, mais passons), prévoyait un contrôle très restreint, conforme à la vision gaullienne du pouvoir : le président a une légitimité telle qu’il ne peut mal faire. En fait, dans l’esprit des rédacteurs de la Constitution, le Conseil Constitutionnel était là pour protéger les prérogatives du président. Il ne pouvait être saisi que par le président, le premier ministre, et les présidents des deux assemblées. Il faudra d’ailleurs attendre la mort du Général de Gaulle pour que le Conseil constitutionnel ose assumer une prérogative qui n’était pas prévue par le père de la Constitution —et de l’actuel président du Conseil constitutionnel.

— Un coup d’État ?

— Juridique, donc légal. Dans une décision du 16 juillet 1971, liberté d’association, le Conseil va examiner la conformité d’une loi au préambule de la Constitution, et non aux seuls articles d’icelle.

— Qu’est-ce que cela change ?

— Tout ! Le préambule de la Constitution de 1958 cite le préambule de celle de 1946, dite de la 4e république. Et ce préambule citait lui-même la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, proclamait plusieurs droits (droit de grève, liberté syndicale…) plus récents et posait l’existence de “principes fondamentaux reconnus pas les lois de la République”, catégorie qui permet au Conseil de donner une valeur constitutionnelle à des principes contenus dans des lois ordinaires.

— Un exemple ?

— La liberté d’association, posée par la loi du 1er juillet 1901. La loi censurée prévoyait de substituer au régime de déclaration en préfecture un régime d’autorisation préalable. Нет a dit le Conseil. Le Conseil a été récompensé de cette audace puisqu’en 1974, sa saisine va être élargie à 60 députés ou 60 sénateurs, permettant à l’opposition d’exercer un contrôle de constitutionnalité. La loi HADOPI en fit les frais il y a peu. Néanmoins, la situation n’était pas satisfaisante.

— Pourquoi ?

— Pour deux raisons. Tout d’abord, le contrôle reste aux mains de l’exécutif et du législatif. Le peuple est tenu à l’écart du contrôle de ceux qui légifèrent en son nom. Or la démocratie repose sur la méfiance du peuple envers ses gouvernants : c’est le despotisme qui repose sur la méfiance des gouvernants à l’égard du peuple. La France a 1500 ans de tradition monarchique, c’est un atavisme dont il est difficile de se débarrasser.

— Et quelle autre raison ?

— Ce contrôle ne pouvait se faire qu‘a priori. Il fallait que la loi fût examinée avant sa promulgation. Après, c’était trop tard.

— C’est contrariant.

— Oui. Et anti-démocratique. Le système du “pas vu pas pris” n’est pas républicain. Et enfin, enfin, après 52 ans d’errance, et pour la première fois de son histoire, la France permet à tout citoyen de soulever par voie d’exception l’inconstitutionnalité d’une loi.

— Gné ?

— Je décompose. On peut agir en annulation de deux façons, qu’on appelle voie : l’action et l’exception. L’action consiste à demander au juge d’annuler l’acte qu’on estime illégal. On est en demande. L’exception consiste à demander cette annulation quand on tente de nous appliquer l’acte qu’on estime illégal. On est en défense. La réforme constitutionnelle de juillet 2008, entrée en vigueur sur ce point le 1er mars 2010 (le temps que soit votée la loi organique appliquant cette réforme et que soient pris les décrets d’application) permet de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi par voie d’exception seulement, en posant ce qu’on appelle une Question Prioritaire de Constitutionnalité, la voie d’action restant l’apanage des trois présidents (de la République, du Sénat et de l’Assemblée), du premier ministre et de 60 députés ou sénateurs.

— Les premières questions ont été posées ?

— Oui, dès lundi, l’Ordre des Avocats de Paris, en accord avec le Conseil National des Barreaux, l’organe qui représente la profession au niveau national, a posé une Question Prioritaire de Constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de la garde à vue sans avocat. Dans trois mois, la question sera tranchée. Mais pour la petite histoire, la première Question Prioritaire de Constitutionnalité sera celle déposée lundi à 00h01 par mon confrère Henri Braun, sur le statut des gens du Voyage.

— Et concrètement, comment ça marche ?

— Ça, mon Jeannot, fera l’objet de la deuxième partie de ce billet, une fois que nous aurons dégusté cette bonne bouteille. Va donc chercher trois coupes, je m’occupe d’aller chercher Malika.

dimanche 28 février 2010

Les PG flingueurs

Par Gascogne et Eolas (très aidés par un certain Monsieur Audiard)


Suite au changement de loi concernant la procédure pénale, la Ministre de la Justice de Framboisy madame Chimère Mariole-A-Ri, apprend que, conformément au texte (« Si la chancellerie s’aventurait à donner des ordres de non-poursuites d’une affaire, le procureur général (PG) - qui est nommé en conseil des ministres - pourrait s’y opposer. De même, le procureur pourra s’opposer à des instructions qui seraient “contraires à la recherche de la vérité” de son PG. Un substitut pourra agir de même à l’égard de son procureur », selon Le Monde.), un procureur, nommé Gascogne, à choisi de désobéir et de poursuivre des siens amis. Furieuse, elle se rend au tribunal du magistrat, accompagnée de son procureur général Sub Lege, bien décidée à régler ses comptes. La joyeuse équipe arrive, alors que les magistrats et avocats locaux sont en plein buffet de l’audience solennelle de rentrée.

Dans la salle des pas perdus


MAITRE EOLAS : Charmante soirée, n’est ce pas ? Vous savez combien ça va nous coûter ? 200 dossiers d’AJ. Tarif 2010.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE, jetant un œil aux procédures d’amendes forfaitaires : Y’en a qui gaspillent, et y’en a d’autres qui collectent … Hein ? Qu’est ce que vous dites de ça ?
 
LE JUGE PAXATAGORE, pensif près du buffet : Faudrait encore des dossiers en CRPC, ils partent bien ceux-là.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE,  tendant un gros sac à Maître Eolas : Voilà vos copies de pièces en retard … et avec quelques unes en avance en plus. (Maître Eolas avise un trou dans la robe du procureur Gascogne) La ministre et le proc’ général ont essayé de flinguer mon juge d’instruction, oui, maître.
 
MAITRE EOLAS : Ce n’est pourtant pas leur genre.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Et ben ça prouve qu’ils ont changé de genre. Voilà.
 
LE JUGE PAXATAGORE, sortant d’une boîte à biscuit un code de procédure pénale 2010 : Quand ça change, ça change, faut jamais se laisser démonter.
 
MAITRE EOLAS :Vous croyez qu’ils oseraient venir ici ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Les politiques ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît.
 
La ministre et le procureur général entrent au tribunal.


LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : T’es sûre que tu t’es pas gouré de crèche ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI: J’me goure jamais, en rien.
 
FANTOMETTE, les accueillant à la porte en titubant (de joie) : Bonjour, justiciables. Avocat choisi ou commis d’office ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Rien !
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Si c’est notre budget qu’ils sont en train d’arroser les petits comiques, ça va saigner ! … Dites donc mon brave.
 
LE JUGE PAXATAGORE : Madame ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Il est là, l’taulier ?
 
LE JUGE PAXATAGORE : Qui demandez-vous ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Le procureur Gascogne.
 
LE JUGE PAXATAGORE : Le procureur Gascogne… ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : … Gascogne l’emmerdeur, Gascogne le malhonnête, c’est comme ça que j’l’appelle moi.
 
LE JUGE PAXATAGORE : Ah, lui. Si ces messieurs-dames veulent bien me suivre …
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Et comment. (au procureur général) Alors, tu viens dis !
 
LE JUGE PAXATAGORE,indiquant la salle des pas-perdus : Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer.
 
 
Dans la salle des pas-perdus



LA MINISTRE MARIOLE A RI : Bougez pas ! Les mains sur la table. J’vous préviens qu’on a la puissance politique d’un Taser® et des députés de calibre 49-3. L’IGSJ est avec nous.
 
LE JUGE PAXATAGORE, dégainant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : Si ces messieurs-dames veulent bien me les confier…
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Quoi ?
 
LE JUGE PAXATAGORE : Allons vite, quelqu’un pourrait venir, on pourrait se méprendre, et on jaserait à Strasbourg. Nous venons déjà de frôler l’incident avec l’arrêt Medvedyev.
 
Le ministre et le procureur général, tout penauds, remettent leurs instructions écrites et leurs projets de loi à Maître Eolas.

LE PROCUREUR GASCOGNE, au ministre : Tu sais ce que je devrais faire ? Le tweeter, rien que pour le principe …
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Tu ne trouves pas que c’est un peu trop fréquenté ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : (Au ministre) J’te disais que cette démarche ne s’imposait pas. (Au procureur) Au fond maintenant, les diplomates prendraient plutôt le pas sur les hommes d’action. L’époque serait aux tables rondes et à la détente. Hein ? Qu’est ce que t’en penses ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : J’dis pas non. (Il s’assoit et commence à trier des procédures arrivées au courrier)

LA MINISTRE MARIOLE A RI : Bé dis donc, on est quand même pas venu pour faire du chiffre ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Pourquoi pas ? Il n’y a plus de substitut placé pour ça. Au contraire, les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse. Surtout lorsqu’elles constituent le premier pas vers des condamnations fructueuses. Hein ? … (Maître Eolas lui donne une pile de dossiers) Merci.
 
Les yeux du ministre sont attirés par un exemplaire du Rapport Léger trainant sur la table, ouvert à la page suppression du juge d’instruction).

LE PROCUREUR GASCOGNE : Maître Eolas, vous avez oublié de planquer les motifs de fâcherie.
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Oh, procureur Gascogne…
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Tu connais la vie monsieur Sub Lege…. Mais pour en revenir au travail manuel, ce que vous disiez est finement observé. Et puis, ça reste une base.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ça, c’est bien vrai. Si on connaissait mieux la réalité du terrain, on aurait moins souvent la tête aux bêtises.
 
Fantômette fait irruption en titubant (de fatigue) dans la salle des pas-perdus …

FANTOMETTE : Bonjour. Mais il est où le juge Paxa ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Qu’est ce que vous lui voulez ?
 
FANTOMETTE : Y’a plus de prévenus au dépôt et y’a plus de mises en examen !
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Maître Eolas, donnez lui des CI, allez …
 
FANTOMETTE : Pas d’AJ ! Des prévenus solvables ! Vos CI vous pouvez vous les…
 
MAITRE EOLAS :… Allons cher confrère ! Monsieur le procureur Gascogne vous dit qu’il n’y a plus que des compas, un point c’est tout.
 
FANTOMETTE : Vous n’avez qu’à m’en donner, en me recommandant à vos clients… (elle tend la main vers les dossiers de Maître Eolas)

MAITRE EOLAS : Touche pas au grisby, salope !!
 
Elle ressort en titubant (de surprise).

LE PROCUREUR GENERAL : Des clients persos, à c’t’âge là !
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : C’est un scandale hein ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Nous par contre, on est des adultes, on pourrait peut être se faire un petit dossier médiatique ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Ça, le fait est. Maître Eolas ?
 
MAITRE EOLAS : Seulement, le tout-venant a été piraté par les mômes commis d’office. Qu’est ce qu’on fait, on s’risque sur le bizarre ? (Il sort un dossier de la nouvelle loi sur l’inceste). Les faits datent des années 80. Ça ne va rajeunir personne.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ben nous voilà sauvés !
 
MAITRE EOLAS : Sauvés… Faut voir.
 
LE JUGE PAXATAGORE, de retour d’audience, avisant le dossier : Tiens, vous avez sorti le formol ?
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Pourquoi vous dites ça ?
 
MAITRE EOLAS, goguenard : Eh ! (Il lui tend un PV d’audition du prévenu)

LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Il a pourtant un air honnête.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Sans être franchement malhonnête, au premier abord, comme ça, il a l’air assez curieux.
 
MAITRE EOLAS :Il date du Périgourdin, du temps des grandes heures ; seulement on a dû modifier la fabrication des magistrats depuis, y’a des piou-pious qui devenaient indépendants. Oh, ça faisait des histoires.
 
Ils lisent le Code pénal actualisé de la loi sur l’inceste, sur la répression des violences de groupe et sur la prévention de la récidive criminelle (trois lois votées en moins d’un mois)

LA MINISTRE MARIOLE A RI : Faut reconnaître, c’est du brutal !
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Vous avez raison, il est curieux hein ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : J’ai connu un roi de Pologne qu’en promulgait des pareils au petit déjeuner.(Un temps de réflexion) Faut quand même admettre que c’est plutôt un Code gaulois. (Il tousse)

Ils continuent à lire.

LA MINISTRE MARIOLE A RI : Tu ne sais pas ce qu’il me rappelle ? C’t’espèce de drôlerie qu’on instruisait dans une petite taule du Ch’Nord, pas tellement loin d’Hazebrouck. Les codes rouges et la taulière, une blonde komac. Comment qu’elle s’appelait, non de dieu ?
LE PROCUREUR GASCOGNE : Lulu la nantaise.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : T’as connu ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE, le nez dans le Code : J’lui trouve un goût de démagogie.
 
MAITRE EOLAS : Y’en a.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI,continuant sa discussion avec le procureur Gascogne : Et bien c’est devant chez elle que Clems le cheval s’est fait dessouder.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Et par qui ? Hein ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ben v’la que j’ai pu mon CASSIOPEE.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Par Ed, un fondu qui travaillait qu’à la dynamite.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Toute une époque !
 
MAITRE EOLAS, perdu dans ses pensées : D’accord, d’accord, je dis pas qu’à la fin de sa carrière, Anatole, il avait pas un peu baissé. Mais n’empêche que pendant les années terribles, sous Besson, il faisait sauter des procédures à tout va. Il a quand même vidé tout un centre de rétention.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ah ? Il était avocat?
 
MAITRE EOLAS : Non, JLD. Soit à c’qu’on t’dit !
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI, fondant en sanglots : J’ai plus ma tête …
 
MAITRE EOLAS : Il avait son secret, le loup.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI (se lève précipitamment) : C’est où, le dépôt ?
 
LE JUGE PAXATAGORE : A droite, au fond du couloir.
 
MAITRE EOLAS, visiblement ému : Et … Et … Et … une ramette de 500 pages, une cartouche de toner, il te sortait 250 refus de maintien en rétention ; un vrai magicien, Anatole. Et c’est pour ça que je me permets d’intimer l’ordre à certains préfets salisseurs de réputation qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde ! (Il regarde en coin le reste des convives pour juger de l’effet de sa plaidoirie)

LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE, toujours dans son Code : Vous avez beau dire, y’a pas seulement que de la démagogie, y’a autre chose. Ce serait pas des fois de l’amateurisme ? Hein ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Si, y’en a aussi.
 
Un peu plus tard ; maitre Eolas s’est endormi pendant la lecture d’un assommant rapport de synthèse. On pose le tome 2 sur la table.

LE PROCUREUR GASCOGNE, repoussant le dossier en soupirant : J’prendrais bien quelque chose de consistant moi !
 
LE MINISTRE MARIOLE A RI, revenant dans la salle des pas-perdus : Dis donc, elle est maquée à un jaloux la Fantômette ? Je faisais un brin de causette, le genre réservée —tu me connais : j’suis pas celle d’avant. V’là tout à coup qu’un p’tit chroniqueur judiciaire est venu me chercher ! Les gros mots : « indépendance de la justice », « secret professionnel », « droits de la défense » et tout !
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Quoi ! Monsieur Specq ! Ça suffit pas de lui faire franchir les portes du prétoire, faut p’t’être le faire passer au travers !
 
LE JUGE PAXATAGORE, philosophe : Je serais pas étonné qu’on ferme notre tribunal…

vendredi 26 février 2010

Devine chez qui on va dîner ce soir ?

Chez nos ami Gallois !

Faisons un bref point à l’aube de cette troisième journée du Tournoi des 6 nations. En tête, les deux équipes qui ont gagné leur deux matches : la France, première grâce à la meilleure différence de points (merci l’Irlande), et l’Angleterre. Puis les deux équipes qui ont gagné un match et perdu l’autre : le Pays de Galles, et l’Irlande. Enfin, les deux équipes qui ont perdu à deux reprises : l’ Ecosse et l’Italie.

Le Pays de Galles n’est pas une équipe à prendre à la légère, surtout quand elle joue à domicile, dans le Millenium Stadium, où il ne pleut jamais, car il a un toit amovible (qui culmine à 145m).

Drapeau du Pays de Galles : divisé en deux bandes, blanche en haut et verte en bas, et frappé d'un dragon rouge vu de profil, tête vers la gaucheLe drapeau du Pays de Galles, appelé le Dragon Rouge (Y Ddraig Goch) est un des plus vieux qui existent, à tel point que son origine se perd dans la nuit des temps.

Une théorie plausible est que l’emblème aurait été apporté par la cavalerie romaine lors de la conquête de l’île au premier siècle, cavalerie qui avait emprunté cet emblème aux Daces (peuple barbare vivant dans l’actuelle Roumanie) ou aux Parthes (actuel Iran).

Il est réputé avoir été l’emblème de bataille du roi Arthur Pendragon, mais l’usage le plus ancien attesté remonte au 9e siècle.

Le drapeau Gallois est composé de ce dragon rouge sur fond blanc et vert, couleurs de la Maison des Tudor, qui étaient non pas des meuniers mais rois d’Angleterre de 1485 à 1603, et l’unique dynastie galloise à avoir ceint la couronne. C’est depuis cette époque que le Pays de Galles est devenu l’apanage de l’héritier du trône, à l’instar du poste de président de l’EPAD du Dauphiné chez nous, ou des Asturies en Espagne. Il est à noter que ces couleurs sont également celles de l’autre symbole du Pays de Galles : le poireau.

Ce symbole remonte au VIIe siècle, à l’époque du roi Cadwaladr ap Cadwallon, roi de Gwynedd (la langue galloise raffole des consonnes et méprise les voyelles). Ce sont les Armes de ce royaume qui sont aujourd’hui les armes du Pays de GallesArmes du Pays de Galles : écartelé : aux 1 et 4, d'or au lion rampant de gueule, armé et lampassé d'azur : aux 2 et 3, de gueule au lion d'or rampant armé et lampassé d'azur. Lors d’une bataille contre les Saxons, envahisseurs germains venus de l’est, il ordonna à ses troupes de porter sur leur casque un de ces légumes qui abondaient dans la plaine où il se tenait, pour s’identifier (la notion d’uniforme était à l’époque fort contingente). La victoire fut écrasante, et le poireau, adopté.

Le drapeau du Pays de Galles ne figure pas dans l’Union Jack. Cela est dû au fait que le Pays de Galles a été annexé par Edouard Ier (Les Longues Pattes, le méchant de Braveheart, celui-là à qui l’hymne écossais rend un vibrant hommage) en 1282 et a été intégré juridiquement à l’Angleterre au XVIe siècle. Drapeau de Saint David : une croix jaune couchée sur fond noirDepuis, des projets d’intégrer le drapeau du Pays de Galles ont vu le jour, ou à tout le moins la croix de Saint-David, Saint patron du pays (fête le 1er mars), mais avec peu d’adhésion populaire. En fait, les Gallois sont bien contents de ne pas se mélanger aux Anglais même sur un drapeau.

L’équipe de rugby galloise joue en rouge, couleur du dragon. Son symbole représente trois plumes d’autruche ceintes d’une couronne. Logo de la Wales Rugby UnionCela remonte à la terrible bataille de Crécy (1346), première des trois honteuses défaites de la Guerre de Cent Ans (avec Poitiers en 1356 et Azincourt en 1415). Les archers gallois et leur redoutable Long Bows ont fait ces trois fois des ravages dans la chevalerie française, et à Crécy, les troupes anglaises étaient dirigées par Edouard, The Black Prince Of Wales, le Noir Prince de Galles. Du côté français se trouvait Jean Ier de Luxembourg (Jang de Blannen), roi de Bohême, un chevalier old school qui nonobstant sa cécité voulut participer à la bataille. Il monta à cheval et guidé par deux écuyers, se rua au combat. Où il fut tué, étonnamment. Le Prince de Galles, impressionné par tant de conn… bravoure, prit le cimier du casque de Jean ,composé de trois plumes d’autruche, et en fit son emblème personnel, de même que de sa devise, Ich dien, “Je sers”.

L’hymne du Pays de Galles est Hen Wlad Fy Nhadau, Vieux Pays de mes Ancêtres. Si vous voulez le chanter sportivement, en voici les paroles :

Mae hen wlad fy nhadau yn annwyl i mi,
Gwlad beirdd a chantorion, enwogion o fri;
Ei gwrol ryfelwyr, gwladgarwyr tra mâd,
Dros ryddid collasant eu gwaed.

(Refrain)

Gwlad, gwlad, pleidiol wyf i’m gwlad.
Tra môr yn fur i’r bur hoff bau,
O bydded i’r hen iaith barhau.

Le vieux pays de mes ancêtres est cher à mon coeur,
Pays de poètes et chanteurs, et d’hommes à la fameuse renommée,
Ses braves guerriers, splendides patriotes,
Ont versé leur sang pour la Liberté.

Mon pays, Mon pays, je suis fidèle à mon Pays,
Que la mer soit un rempart pour la terre pure et bien-aimée
Ô puisse le vieux langage perdurer.

Les Bretons qui me lisent auront la surprise de reconnaître leur hymne : c’est en effet la même musique qui est utilisé pour le O Breizh ma bro.

Le duel à distance de ce week end opposera la France et l’Angleterre, seuls pays encore en lice pour le Grand Chelem. L’Angleterre reçoit l’Irlande demain à Twickenham. En attendant le Crunch, qui aura lieu en clôture du Tournoi, le 20 mars prochain.

Alors… ALLEZ LES BLEUS ET ALLEZ LES VERTS !!!


Crédits images : Wikipedia.

lundi 22 février 2010

Ali Soumaré et Francis Delattre sont-ils des délinquants ?

Les campagnes électorales, c’est comme la campagne tout court. On se dit que c’est la nature, de la République dans le premier cas, que l’air y est sain et pur, mais une fois qu’on y est, on se rend compte que c’est fangeux et que ça pue.

Illustration nous en est fournie dans le Val d’Oise où un candidat de l’UMP, Francis Delattre, maire de Franconville, soulève que son adversaire PS Ali Soumaré serait un « délinquant multirécidiviste », invoquant à l’appui de cette affirmation plusieurs condamnations complaisamment relayées par le Figaro :
-En 1999, six mois de prison pour vol avec violences (j’ignore s’il y avait ou non du sursis, mais c’est probable).
-En 2007, 80h de travail d’intérêt général pour un autre vol avec violences et usage d’une carte de paiement contrefaite.
-En 2009, deux mois fermes pour rébellion semble-t-il, le Figaro n’étant pas clair sur ce point. -Enfin, le 16 février dernier, une ordonnance pénale l’a condamné pour conduite malgré annulation du permis.

Le PS semble soulever comme défense non pas que ces faits seraient faux mais que l’UMP ne devrait pas le savoir.

Comme à chaque fois que le droit fait irruption dans le débat public, et surtout quand Daniel Schneidermann, malgré mon hétérosexualité inébranlable, me fait du pied, je me dois de vous apporter quelques lumières. Je prendrai comme hypothèse que ces condamnations sont vraies, pour en rester aux seules questions juridiques.

Tout d’abord, sur l’affirmation selon laquelle monsieur Soumaré serait un « délinquant multirécidiviste » lancée par Francis Delattre. Elle est totalement fausse.

Nous avons déjà traité de la délicate question de la récidive. Une relecture ne sera pas inutile ici.

La récidive suppose la réitération d’une même infraction ou d’une infraction que la loi assimile à la première (vol, extorsion, chantage, escroquerie et abus de confiance sont ainsi assimilées au regard de la récidive, art. 132-16 du code pénal). La multi-récidive suppose donc à tout le moins deux condamnations en récidive.

Ici, nous avons deux condamnations pour des mêmes faits. Donc au pire, une récidive, mais certainement pas une multi-récidive.

Y a-t-il récidive simple ?

S’agissant d’un délit puni de cinq ans de prison (vol aggravé par une circonstance), nous sommes dans le cas de la récidive spéciale et temporaire (art. 132-10 du Code pénal). Il faut pour qu’il y ait récidive que moins de cinq ans séparent la commission des nouveaux faits et l’expiration de la première peine. Or ici, le Figaro nous dit que les faits pour lesquels il a été puni en 2007 ont été commis en 2004, alors que la première condamnation était en 1999. mais quid de la date des premiers faits ? Le Figaro est muet sur la question. On est à la limite de la récidive. Gageons toutefois que dans son souci de rigueur et d’information du lecteur, si la deuxième condamnation, celle de 2007, avait été prononcée en récidive, le journal n’aurait pas manqué de l’indiquer. J’ajoute que 80h de TIG (en fait de la prison avec sursis et assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général) ne ressemble pas tellement à une peine de prison pour vol avec violences en récidive.

Ali Soumaré est donc probablement un délinquant simple, au même titre que Messieurs Huchon, Juppé, Emmanuelli, Bové, ou Tibéri, pour ne citer que quelques exemples. C’est dire s’il a sa place sur les listes de candidature.

Deuxième question : peut-on légitimement le savoir et comment ?

Le casier judiciaire, régi par les articles 768 et suivants du code de procédure pénale (CPP), est un fichier tenu à Nantes, sous la direction d’un procureur de la République. Pour faire simple, toute condamnation pour crime, délit ou contravention de la cinquième classe (les plus graves) y figurent, ainsi que celles pour des contraventions des quatre premières classes si elles sont assorties d’une mesure d’interdiction, de déchéance ou d’incapacité (une suspension de permis par exemple est une mesure d’interdiction). Pour le détail des condamnations qui y figurent, voyez à l’article 768 du CPP.

Cette fiche peut être communiquée sous forme de relevés, qu’on appelle bulletins. Le bulletin n°1, ou « B1 », est le relevé intégral. Il ne peut être communiqué qu’aux autorités judiciaires : juges et parquets. Il figure dans tout dossier venant pour être jugé, et c’est la première pièce que regarde l’avocat, car il va considérablement encadrer les débats.

J’en profite pour lancer un appel à mes jeunes confrères. Parfois, on tombe sur un dossier où le B1 ressemble au sommaire du Code pénal. C’est contrariant, j’en conviens, tant cela limite les possibilités pour la peine. Mais ne dites jamais au tribunal de ne pas tenir compte du casier dans un geste de clémence. C’est ridicule, et encore je pense que le terme qui viendra à l’esprit des magistrats sera nettement moins courtois. D’abord, ils ne le peuvent pas, la loi les oblige à tenir compte d’une éventuelle récidive (si elle a été visée dans la prévention ou si le parquet le requiert, sinon il est libre de la soulever d’office ou non) et en tout état de cause limite les possibilités de sursis ou de sursis avec mise à l’épreuve, voire oblige à prononcer un mandat de dépôt en cas de récidive de violence. La loi est dégueulasse, mais ils l’appliqueront, parce que c’est ce qu’ils ont juré de faire. Ensuite, c’est souvent, surtout en comparution immédiate, le seul élément de personnalité qu’il y a au dossier pour personnaliser la peine (hormis l’enquête rapide de personnalité, je suis désolé des répétitions du mot personnalité, mais c’est le seul terme juridique pour cela), et l’obligation de personnaliser la peine est de valeur constitutionnelle. Évitez-vous ce ridicule, et évitez de faire passer tous les avocats pour des branquignoles. Oui, je pense à toi, cher confrère, qui le fis il y a quelques mois à ta première permanence CI. L’avocat qui passait juste après, c’était moi.

Le B1 est absolument confidentiel. D’ailleurs, à Paris, le tribunal refuse de nous en délivrer copie comme pièce du dossier, en toute illégalité à mon sens. La cour d’appel, elle, le fait sans se poser de question. Toute personne peut demander à consulter son B1, en adressant une demande écrite au procureur de la République de son tribunal de grande instance (art.777-2 du CPP). Vous recevrez quelques semaines plus tard une convocation pour le consulter au tribunal, vous pourrez le lire, en recopier les mentions mais en aucun cas en emporter copie. C’est pour vous protéger, vous allez voir.

Le bulletin n°2 (ou « B2 ») est une version expurgée mais assez complète du B1. On y a ôté essentiellement les condamnations à des mesures éducatives quand l’intéressé était mineur (pas des peines), les condamnations avec sursis réputées non avenues (elles restent au B1), les peines pour lesquelles le tribunal a ordonné l’exclusion du B2, et les contraventions. Pour la liste complète des mentions ôtées du B2, voyez l’article 775 du CPP. Le B2 est délivré aux autorités figurant aux articles 776 et R.79 du CPP. Il s’agit essentiellement de permettre à l’administration de s’assurer de la probité d’un candidat à un poste.

Enfin, le bulletin n°3 (ou « B3 ») est une version très expurgée, qui est délivré à la demande du seul intéressé. C’est cette demande qui peut être faite sur internet, mais uniquement par l’intéressé lui-même. Sinon, c’est un délit puni de 7500 euros d’amende (art. 781 du CPP). Le B3 ne contient, là encore pour simplifier, que les peines de prison ferme supérieures à deux ans sans sursis, et les interdictions dont vous faites l’objet (pour la liste complète, voyez l’article 777 du CPP). C’est ce bulletin que vous demandera un éventuel employeur, mais c’est à vous de le commander; C’est pourquoi la loi vous interdit de commander copie du B1 : pour éviter que votre employeur n’exige cette version. Vous pouvez bien sûr refuser de lui montrer votre B3. Tout comme il peut refuser de vous embaucher. Comme ça tout le monde est content.

Donc si Francis Delattre s’est procuré, d’une façon ou d’une autre le casier judiciaire de monsieur Soumaré, il a commis un délit. Soit délivrance indue de casier judiciaire, soit, si une personne y ayant accès le lui a remis, un recel de vol ou de violation du secret professionnel.

Mais il n’est pas certain qu’il ait employé cette voie car il existe un chemin tout à fait légal pour se procurer les preuves du passé pénal d’une personne. À condition d’être bien renseigné.

En effet, les jugements pénaux sont publics, et délivrés gratuitement à qui en fait la demande : art. R. 156 du CPP. C’est une application du principe de publicité des débats. Il suffisait à Francis Delattre de demander au greffe de la juridiction ayant prononcé le jugement une copie de ce jugement en précisant le nom du prévenu et la date du jugement et le tour était joué.

La seule question qui se pose est : comment a-t-il eu connaissance de ces condamnations, surtout d’une vieille de 11 ans ? Mais là, nous quittons le domaine du droit pour entrer dans celui de l’enquête journalistique. Car en ce qui concerne la dernière, datée du 16 février dernier seulement, qui a probablement mis la puce à l’oreille du candidat UMP, il y a sans nul doute une anomalie, qui relève probablement du pénal. En effet, une ordonnance pénale n’est pas rendue publiquement mais notifiée par courrier au condamné qui a 45 jours pour faire opposition. Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai qu’elle devient définitive et donc publique (art. R. 156 du CPP), et on en est loin (le délai expire au plus tôt le 5 avril 2010). Il y a eu nécessairement une fuite, et si elle provient du tribunal de Pontoise (et je vois mal d’où elle pourrait venir sinon), c’est une violation du secret professionnel, et un recel si Francis Delattre en a bénéficié en connaissance de cause. Et mon côté psychorigide me pousse à dire que violer la loi pour pouvoir accuser autrui d’avoir violé la loi n’est guère un exemple républicain.

La justice et la mort

Le dernier, vraiment dernier cette fois, rebondissement de l’affaire Treiber, au-delà des considérations liées à ce dossier et qui n’ont pas leur place sur ce blog, amène à soulever une question à portée plus générale. Quel est donc l’effet de la mort sur le cours de la justice, et pourquoi ?

Le droit étant la science des distinctions et des exceptions, il faut distinguer les hypothèses.

La division pertinente se fait ici entre la justice civile et la justice pénale. La justice civile oppose des personnes privées (personnes physiques comme vous et moi, sauf si vous êtes un robot, ou morales : sociétés, associations, syndicats de copropriétaires, etc.) qui ont un conflit entre elles. La justice pénale oppose la société (représentée, et avec quel talent, par le ministère public) à une personne privée (physique ou morale) ou publique (à l’exception de l’État, car en France, quand on fixe les règles, on veille à ce qu’elles ne s’appliquent pas à soi même) soupçonnée d’avoir commis un fait que la loi punit : ce qu’on appelle de manière générale une infraction.

La mort n’a en principe aucun effet sur la justice civile, peu importe que la personne décédée soit le demandeur ou le défendeur. En effet, la mort d’une personne fait que son patrimoine, terme qui en droit désigne l’ensemble des biens et des droits d’une personne, passe à ses successeurs (en principe, son conjoint et ses enfants, je ‘entrerai pas dans le détail de la détermination des successeurs qui mériterait un billet à elle seule). Le procès continue donc, la partie décédée étant remplacée par l’ensemble de ses successeurs, qu’on appelle consorts.

Ainsi, si monsieur A. fait un procès à monsieur B. et que ce dernier décède en cours d’instance, le jugement sera rendu contre les consorts B. Et quand bien même le décédé avait eu la ferme intention de faire un procès avant que la Camarde ne lui signifie un jugement sans appel, ses successeurs peuvent engager l’action en son nom, puisque ce droit d’agir en justice figure dans son patrimoine. Cette hypothèse n’a rien de rare : toutes les actions en réparation d’un décès, accidentel (accident de la route, du travail) ou non sont par leur nature même toujours exercées par les héritiers (la nécromancie étant expressément prohibée par l’Ordre des avocats comme étant du démarchage de clientèle illégal).

Il y a des exceptions qui tiennent à la nature du procès en cours. Ainsi, une instance en divorce prend fin avec le décès d’un des époux, puisque ce décès dissout immédiatement et de plein droit le mariage. Il ne reste donc plus rien à dissoudre pour le juge. Le décès d’une personne peut aussi faire courir un délai pour exercer certaines actions, comme l’action en recherche de paternité, qui doit être intentée au plus tard dans les dix ans suivant le décès du père supposé (art. 321 du Code civil). Mais le principe demeure le même : on présente ses condoléances et on continue.

Au pénal, le principe est le contraire, mais il faut au préalable bien comprendre une chose. Devant une juridiction pénale (juge de proximité, tribunal de police, tribunal correctionnel ou cour d’assises), deux actions différentes sont jugées en même temps.

L’action principale, c’est l’action publique. Le demandeur est le ministère public. Il demande au juge de déclarer le prévenu coupable et en répression, de le condamner à une peine qu’il suggère dans ses réquisitions.

Mais une action accessoire peut venir s’y greffer : celle de la victime qui demande réparation du préjudice que lui a causé l’infraction. Cette action s’appelle l’action civile par opposition à l’action publique, et elle est de nature civile.

Cela posé, il faut donc distinguer deux hypothèses.

Le décès de la victime est totalement indifférent, hormis bien sûr quand il est à l’origine de l’action publique (poursuites pour meurtre ou homicide involontaire). Mais peu importe que la victime d’un vol décède avant le jugement de son voleur. Les héritiers exercent l’action au nom du défunt. C’est ainsi les conjoints, enfants ou parents de la victime qui s’assoient sur le banc des parties civiles.

En revanche, le décès de la personne poursuivie, elle, met fin à l’action publique. Le juge pénal rend un jugement constatant l’extinction de l’action publique.

Pourquoi ? Pour deux raisons.

Tout d’abord, parce que l’action publique est intrinsèquement liée à la personne de l’accusé. On va juger un fait qu’il a commis, et s’il est reconnu coupable, prononcer une peine pour sanctionner son comportement, qui sera fixée en fonction de sa personnalité. L’article 132-24 al. 2 du code pénal fixe l’objet de la peine ;

La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions.

Comme vous pouvez le constater, la mort de l’accusé prive la peine de tout intérêt. Quand bien même serait-il condamné, la société n’est pas menacée par un mort, sauf dans les films de George A. Romero. Le mort est à l’abri de tout châtiment, comme Arvirargus le chantait sur la tombe d’Imogène (qui d’ailleurs n’était pas vraiment morte mais passons). Les intérêts de la victime, dont la mention ici est un cadeau démagogique de la loi du 12 décembre 2005, sont sans effet sur la mort, c’est vérifié. La question de l’insertion du condamné se résume à trouver un cercueil à sa taille. Quant à la commission de nouvelles infractions, il y a été pourvu de manière fort efficace, le taux de récidive des morts étant de 0%, même si l’Institut pour la Justice prépare sûrement une étude pour démontrer le contraire.

À cela, des lecteurs pourraient m’objecter que pour les victimes, ce procès garde un intérêt et qu’on pourrait bien leur faire ce cadeau. Pourquoi pas, au Moyen-Âge, on faisait en effet des procès en effigie, qui le cas échéant étaient brûlées sur le bûcher. La démagogie victimaire justifie bien un retour au droit archaïque ; comme ça, les cellules de garde à vue seront raccords avec les culs-de-basse-fosse. Que diantre, on fait bien des procès à des fous pour leur complaire, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Néanmoins, un ultime problème se pose, au-delà de l’inutilité absolue du procès fait à un mort. C’est l’exercice des droits de la défense. Le but du procès pénal est quand même que l’accusé puisse s’expliquer. Soit sur les éléments qui l’accablent alors qu’il prétend être innocent, soit sur les raisons qui l’ont poussé à commettre ce geste s’il reconnaît les faits. Retirez cela et vous n’avez plus un procès, mais un simulacre.

On pourra m’objecter que si l’accusé est bien vivant mais en fuite, le procès a tout de même lieu. En effet, c’est ce qu’on appelle le défaut. Mais la loi admet elle même que ce procès est un simulacre puisqu’il suffit que le condamné par défaut réapparaisse (volontairement ou soit interpellé) et il pourra exercer une voie de recours spécifique, l’opposition, qui n’est pas un appel puisqu’il réduit à néant la première décision et donne lieu à un nouveau premier procès, qui pourra lui-même faire l’objet d’un appel. En fait, le but principal du défaut est de faire échec à la prescription de l’action publique en lui substituant après l’audience la prescription de la peine, qui est bien plus longue (trois ans pour une contravention au lieu d’un an, cinq ans pour un délit au lieu de trois, vingt ans pour un crime au lieu de dix ans). Un procès par défaut est par nature provisoire, en attendant le vrai procès de l’accusé.

En outre, la justice a déjà assez de mal à juger les vivants pour qu’en plus on lui ajoute la clientèle des morts.

Dernière question pour conclure : la victime, qui à ce stade n’est que plaignante, n’a-t-elle donc aucun recours si l’accusé se fait la belle par la dernière porte ?

Sur l’action publique, non, aucun. Elle est éteinte, il n’est plus possible pour la justice d’établir sa culpabilité ou son innocence. Le dossier passe aux historiens, s’il les intéresse. Il ne relève plus de la justice des hommes.

Mais l’action civile, elle n’est pas affectée par le décès, comme je l’expliquais en ouverture.

Simplement, elle ne peut plus être portée devant la juridiction répressive puisqu’elle n’est plus saisie du dossier. La jurisprudence a apporté un tempérament de taille à ce principe : cette règle ne s’applique pas si l’affaire est en appel, car il a déjà été statué sur l’action publique. Dans ce cas, la cour constate l’extinction de l’action publique, mais reste compétente pour juger l’action civile, c’est-à-dire sur les dommages-intérêts, que ce soit le condamné défunt qui ait fait appel ou la partie civile. Et ce même si le défunt avait bénéficié d’une relaxe (s’il était jugé pour un délit) ou d’un acquittement (s’il était jugé pour un crime). On peut donc discuter de la culpabilité du défunt en appel ; mais il faut qu’il ait été jugé une première fois de son vivant.

La victime peut donc en cas de décès avant tout jugement au pénal porter son action devant le juge civil, suivant les règles du code de procédure civile, pour demander une indemnisation aux héritiers de la personne soupçonnée, ou devant une juridiction spécifique, la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction, qui est bien de nature civile (c’est la 2e chambre civile qui connaît des pourvois sur cette procédure), quand bien même elle est réglée par les articles 706-3 du CPP. Les mystères du droit.

La première voie n’est quasiment jamais empruntée car elle est très périlleuse. Il faut prouver la culpabilité du défunt, en se fondant notamment sur le dossier de l’instruction, et devant les juridictions civiles, la présomption d’innocence est bien mieux respectée : pas d’intime conviction du juge, c’est de la certitude qu’il faut apporter. La procédure devant la CIVI suppose uniquement de prouver que les faits à l’origine du dommage « ont le caractère matériel d’une infraction » (art. 706-3 du CPP), peu important de savoir qui est coupable. Le but même de cette procédure, initialement créée pour les actes de terrorisme, est de permettre aux victimes d’être indemnisées même quand les auteurs des faits demeurent inconnus.

Voilà la situation dans cette tragique affaire, ou trois familles pleurent désormais un être cher et devront continuer à vivre avec leur convictions mais aussi leurs incertitudes. Nous ne sommes ici que pour faire du droit, je vous demanderai donc de ne pas aborder la question du coupable-pas coupable. Nous n’avons aucune qualité pour en discuter et le chagrin des familles impose un silence respectueux.

jeudi 18 février 2010

Un homme dispensé de peine en raison des conditions indignes de sa garde à vue

Le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières a rendu il y a peu une décision remarquée par la presse, à raison tant elle sort de l’ordinaire.

Un homme de 45 ans a été interpellé pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique (CEEA) caractérisé par la présence dans l’air expiré d’environ 1 mg d’alcool par litre d’air expiré (qui est la nouvelle mesure usuelle de l’acoolémie au volant, le gramme par litre de sang, nécessitant une prise de sang et des tests en laboratoire, ayant été de fait abandonné depuis l’apparition d’éthylomètres électroniques qu’on nous assure être très précis et fiables (c’est sans doute pour ça qu’ils ne donnent pas la même mesure à cinq minutes d’intervalle). La conversion est facile, puisque le taux d’alcool dans le sang est 2000 fois supérieur à celui de l’air expiré (2000 fois tout rond, quel que soit le sexe et la morphologie du conducteur, magie de la science et des chiffres ronds).

Ainsi, notre héros du jour a eu un résultat d’environ un milligramme d’alcool par litre d’air expiré, ce qui donne pour ma grand-mère et le journaliste de Libération environ 2 grammes d’alcool dans le sang. Même dans les Ardennes, c’est prou.

D’où garde à vue non comptabilisée dans les statistiques, avec placement en cellule de 2,30 m² avec deux autres personnes, ce qui fait 0,76m² par personne, une cabine téléphonique et demie. Je rappelle que le Code rural impose pour un chenil un minimum de 5m² par chien (Vous croyez que je plaisante ? Arrêté ministériel du 25 octobre 1982, Annexe I, chap. II, §5, a).

Au bout de deux heures, la fraternité républicaine ayant atteint ses limites, le gardé à vue, ne supportant pas l’idée de passer plus de temps dans ces conditions, agresse un des policiers. Ledit fonctionnaire n’ayant pas apprécié la chose (je ne l’en blâme pas) la met sur le compte de l’alcool plus que sur la géométrie et voici notre Bacchus du volant en cellule de dégrisement.

Une cellule de dégrisement, c’est une cellule spécialement aménagée, sans le moindre mobilier, aux murs capitonnés, où une personne en état d’ivresse (ou de manque…) un peu trop excitée est mise, parfois peu vêtue, le temps de reprendre ses esprits, sans pouvoir se blesser dans l’intervalle.

Il va y passer dix heures, ce qui est en effet à peu près le temps nécessaire pour qu’un taux d’alcoolémie d’un milligramme redescende en dessous du seuil légal, pour un homme de 70 kg ayant commencé à boire deux heures avant son interpellation (la gueule de bois est une peine complémentaire non prise en compte procéduralement).

Poursuivi pour CEEA et violences sur agent (donc passibles de prison même sans blessures), il encourait un maximum de trois ans de prison, trois ans de suspension de permis, et 45000 euros d’amende, sauf erreur de ma part (je n’ai pas mon Crocq sous la main, je vérifie ça plus tard).

Lors du procès, la défense va soulever un argument tiré des conditions indignes dans lesquelles s’est déroulée la garde à vue, invitant le tribunal, comme il en a le pouvoir (art. 456 du Code de procédure pénale), à aller constater sur place ce qu’il en est. Ce qu’il va faire.

Et le jugement ne mâche pas ses mots. Il a estimé que le prévenu avait subi une « expérience traumatisante » et qu’il avait « déjà payé cher (..) des infractions qui ne relèvent pas d’un niveau de grande délinquance ». « Si des cellules de garde à vue sont d’une saleté révulsante, si l’on y maintient des gens en surnombre pendant des périodes conséquentes, sans dispositif minimum d’hygiène personnelle (..), force est de constater là, un traitement objectivement indigne et dégradant » ajoute-t-il. Fermez le ban. J’applaudis, bien sûr.

En conséquence, le tribunal va prononcer une dispense de peine.

Et là je n’applaudis plus. J’objecte.

La dispense de peine est prévue à l’article 132-59 du code pénal :

La dispense de peine peut être accordée lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé.

Elle suppose donc préalablement une déclaration de culpabilité, et trois conditions cumulatives :le trouble doit avoir cessé, le reclassement du coupable est acquis et le dommage a été réparé.

J’ai beau relire cet article 132-59 (avec une tendresse quasi maternelle), je ne vois pas que les conditions matérielles de la garde à vue, aussi épouvantables fussent-elles, y figurent. Elles ne peuvent servir de fondement légal à une dispense de peine.

À mon sens, les conséquences à tirer de cet état de fait sont plus radicales : les traitements inhumains, indignes et dégradants sont interdits en France comme dans toute l’Europe (art. 3 de la convention européenne des droits de l’homme). Cette interdiction s’applique en premier chef à l’État : à tout seigneur tout honneur, même en République.

Or ici, le bras séculier de l’État, j’ai nommé le parquet, demande qu’une personne soit frappée dans sa liberté (peine de prison), dans ses droits (interdiction de conduire un véhicule), dans ses biens (amende et frais de procédure) pour avoir violé la loi. Soit. Mais pour cela, l’État a lui-même violé la loi qu’il édicte lui même. Il a promis un beau matin de novembre 1950 qu’il ne soumettrait personne à des traitement inhumains et dégradants, et 60 ans après il continue pourtant à le faire. Il demande à ce que toute personne qui viole la loi soit sanctionnée ; je l’approuve, et demande qu’on applique cette excellente maxime à lui-même.

Dans notre affaire, le processus légal devant aboutir à sanctionner notre prévenu est illégal. Donc faire reposer toute condamnation pénale là-dessus serait illégal. Le juge doit s’y refuser, et relaxer. Concrètement par une annulation de la procédure. La différence est réelle : pas de déclaration de culpabilité, pas de frais de procédure (90€ tout de même), pas de mention sur le casier judiciaire, et surtout pas de perte de points de permis (6 points dans cette affaire tout de même).

L’usage de la dispense de peine ici m’apparaît de prime abord (je n’ai pas eu accès au dossier et ne connait du jugement que les attendus repris dans une dépêche AFP, donc c’est sous toutes réserves comme disent mes confrères civilistes) comme une cote mal taillée, un jugement de Salomon qui veut ménager la chèvre et le chou, et je ne dirais lequel de ces deux rôles tient le parquet pour m’éviter une procédure disciplinaire.

“Bon, la procédure est illégale et honteuse pour la république, donc je prononce une culpabilité, le parquet est content, et je dispense de peine comme ça la défense est contente (et on peut raisonnablement espérer que personne ne fera appel de cette décision juridiquement bancale)”.

Je réalise parfaitement que ma position d’orthodoxie juridique est commode étant extérieur au procès. Si j’étais l’avocat de la défense, ce que je ne suis pas puisque c’est mon excellent confrère Pierre Blocquaux du barreau de Charleville-Mézières qui a défendu, je me satisferais sans nul doute de ce jugement et interdirait bien à mon client d’en faire appel (je doute d’ailleurs que je pourrais l’en convaincre). Mais c’est le luxe du blogueur de pouvoir en rester aux principes éthérés du droit quand l’avocat de la défense descend dans les tranchées fangeuses pour tenter de sauver la mise à son client.

Mais le strict respect du droit est tout de même une pierre angulaire de la justice, et ce n’est pas aux juges de pallier la carence du législateur et l’incurie de l’État qui se nie à assumer pleinement ses fonctions en finançant comme il se doit de le faire les services concernés. Et ce n’est pas en faisant du bricolage juridique pour réparer à grands coup d’équité les fautes de l’État que l’on contraindra celui-ci à y remédier.

Le combat contre l’actuelle garde à vue est une guerre. Il y aura forcément des victimes parmi les procédures.

mardi 16 février 2010

Un petit mot d'un avocat qui sait ce qu'il veut

Oui, oui, j’ai vu passer l’annonce d’une future loi Besson sur l’immigration. Je reviendrai sur ce projet parce que là, il y en a qui se sont lâchés. Et ce n’est pas le respect élémentaire de la Constitution qui les a arrêté : même l’intégrité du territoire est piétinée, c’est dire si c’est fort.

Mais je voudrais faire un nouveau billet sur la question de la garde à vue pour contrer un argument que j’entends beaucoup : les avocats ne sauraient pas ce qu’ils veulent, puisque d’un côté, ils se plaignent qu’il y a trop de gardes à vue, et que de l’autre, ils soulèvent des nullités de procédure parce que leur client n’a pas été placé en garde à vue. Cet apparent paradoxe révélerait la mauvaise foi de ceux qui soulèvent ce raisonnement.

Quand j’entends cet argument, je me dis que décidément, il y a un code de procédure pénale (CPP) pour les avocats et un autre pour les policiers.

Mais comme, officiellement du moins, il n’en est rien, voici ce que dit la loi sur la garde à vue.

Art. 63 du CPP :

L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République.

La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.

Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.

Voilà. Le reste des articles précise les droits accordés au gardé à vue : être informé du motif de la mesure, faire prévenir un proche, voir un médecin, s’entretenir avec un avocat.

C’est là le nœud de l’affaire. On arrive de deux façons dans un local de police ou de gendarmerie : volontairement, ou non. S’il est établi que toute personne qui fait l’objet d’une contrainte doit être placée en garde à vue pour bénéficier de ces droits, la jurisprudence admet l’existence d’une “audition libre”, La personne interrogée étant supposée être là de son plein gré et, bien que libre de partir, rester là car elle aime être interrogée et si possible s’incriminer elle-même. Toute personne convoquée par la police ou la gendarmerie “pour affaire la concernant” sans autre précision, selon la formule d’usage, sait combien le droit de se lever et partir est illusoire, la menace du placement en garde à vue venant rapidement calmer les ardeurs voyageuses. Je me souviens ainsi d’un mien client, convoqué au commissariat pour une affaire qu’il pensait banale et a réalisé une fois sur place qu’en fait, il était le sujet de l’enquête qui portait sur des faits graves. Alors qu’il patientait sur un banc, il m’a appelé avec son portable pour me demander conseil. À peine avais-je décroché que j’ai entendu un policier le sommer de raccrocher, quand bien même était-il au téléphone avec son avocat. C’est ce que la jurisprudence appelle une audition libre : pas le droit de parler à son avocat. Le prix de la liberté ?

En tant qu’avocat, je souhaite que toute personne qui met un orteil dans un commissariat parce qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction puisse bénéficier des droits du gardé à vue, et que ces droits lui soient notifiés. Ce qui suppose le statut de gardé à vue,puisqu’il n’y en a pas d’autre.

D’où réaction stupéfaite : comment, moi, avocat, donc Némésis de la garde à vue, j’implore ce statut pour mes clients ? Aimerais-je en fait la privation de liberté, ou n’y verrais-je qu’une occasion supplémentaire de facturer des honoraires à un taux forcément indécent ?

Non, j’aime les droits de la défense, et s’il faut le statut de gardé à vue pour pouvoir les exercer, ainsi soit-il. Que le nombre de gardes à vue double ou triple ne me gêne pas plus que ça. Il ne fera ainsi que s’approcher du réel.

Car il faut garder à l’esprit que nulle part — et croyez-moi, j’ai cherché—, nulle part la loi ne prévoit que garde à vue implique nécessairement mise en cellule, port des menottes, confiscation des effets personnels susceptibles dans l’esprit de l’officier de police judiciaire d’être dangereux (et ils ont de l’imagination, croyez-moi : ça inclut les lunettes de vue, les montres et les lacets) et fouille à nu (j’appelle comme ça toute fouille qui implique d’exhiber ses parties intimes, même si le pantalon reste autour des chevilles, mais sans recherche dans les cavités internes, qui est une mesure spécifique qui ne peut être pratiquée que par un médecin (art. 63-5 du CPP). Il y a même là une véritable perversion du système, qui consiste à associer nécessairement les droits élémentaires de la défense (la Convention européenne des droits de l’homme fixe des minima, pas des objectifs utopiques) avec des mesures de contrainte telles que l’intéressé préférera souvent tout faire pour les éviter, y compris renoncer à ses droits. Nous vivons dans un pays formidable, où on entend des policiers menacer d’une garde à vue, c’est à dire vous menacer de vous permettre d’user des droits de la défense.

Une garde à vue peut très bien se passer sans papouilles, vêtu tel que l’on est arrivé, les inévitables temps d’attente pouvant opportunément se passer à lire avec ses lunettes de vue un livre qu’on aura apporté, dans tout local autre qu’une cellule, voire un banc dans le couloir. Utopie droitdelhommiste, angélisme criminogène ? Je ferais juste remarquer que dans la plupart des autres pays européens, bien des gardes à vue se passent comme ça. Et leurs petits vieux ne tremblent pas plus que les nôtres. Je ne comprends toujours pas (mais je reste ouvert à toute explication) pourquoi une personne qui a obéi à une convocation et se présente spontanément à l’heure dite devrait être entravée pour prévenir toute évasion, ou s’assurer qu’elle n’est pas dangereuse pour elle même (si elle avait voulu se suicider, elle avait toute latitude pour ce faire avant de venir) ou pour autrui (pas besoin de convocation pour agresser autrui), quand bien même elle manifeste le désir de rentrer chez elle. J’ajoute que le traitement que suppose la garde à vue dans son modèle actuel, dans les conditions matérielles dans lesquelles elles se passent (et dont les policiers ne sont absolument pas responsables, quand un commissariat est vétuste, ce ne sont pas eux qui l’ont dégradé) facilite sans nul doute le passage à l’acte violent du gardé à vue (pour le contrepoint, je vous invite à lire ce billet de Bénédicte Desforges, qui manie aussi bien la plume qu’elle maniait la matraque).

Quel est donc l’intérêt des droits du gardé à vue dans le cadre d’une présentation volontaire sur convocation ? À peu de choses près le même que pour une présentation contrainte. Faire prévenir un proche n’en a effectivement aucun si on permet à la personne se présentant au commissariat de téléphoner à qui elle veut (après tout, elle est libre, n’est-ce pas ?). On sait que c’est loin d’être le cas. Mais deux droits essentiels gardent tout leur intérêt : le droit de connaître le motif de sa convocation (qui ne figure pas sur la convocation papier, c’est toujours “pour affaire vous concernant”, donc aucun conseil utile n’a pu être sollicité au préalable auprès d’un avocat), et une fois cet élément connu, de s’entretenir avec un avocat pendant trente minutes dans des conditions de confidentialité absolue, avocat qui pourra faire des observations écrites versées au dossier, donc lues par les policiers, mais aussi le procureur, l’avocat saisi ensuite du dossier, et le juge. Ce n’est pas satisfaisant en soi et probablement pas conforme en l’état aux exigences minimales de la Convention européenne des droits de l’homme, mais c’est déjà ça.

D’où les nullités que je soulève régulièrement en cas de procédure “libre”. S’il ressort en quoi que ce soit du dossier que la liberté de mon client, à commencer par celle de se lever et partir, est atteinte, j’estime que le statut de garde à vue s’imposait, avec la notification des droits qui s’y attache et bien sûr la possibilité de les exercer. Je soulève une nullité fondée sur la violation des droits de la défense. J’estime que non seulement cela n’a rien d’aberrant de la part d’un avocat de la défense, mais qu’en plus ça mérite d’être discuté. Après tout, il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Salduz c. Turquie).

Et pour finir, une mise au point et une invitation.

La mise au point : on assiste depuis quelque jours à une contre-offensive médiatique sur le thème des pauvres policiers/gendarmes que personne n’aime alors qu’on est bien contents qu’ils soient là. Ça me paraissait pourtant clair depuis le début mais puisque les choses qui vont sans dire vont mieux en le disant ; les policiers ne sont pas visés par le combat mené pour réformer la garde à vue. Je respecte profondément les policiers qui sont à mes yeux des clients potentiels comme les autres. Exceptions faites de comportements individuels fautifs, qui sont très rares, les policiers ne font qu’appliquer la loi telle qu’interprétée par les directives et circulaires émises par leur hiérarchie. Ils les appliquent et seraient sanctionnés s’ils ne le faisaient pas. C’est à leur hiérarchie, et plus précisément à la hiérarchie de leur hiérarchie, en dernière analyse le législateur, que nous adressons nos reproches. La police est le bras armé de la République, et une police républicaine doit avant tout appliquer la loi de la République, quelles que soient les objections que je puis émettre sur la qualité de cette loi. La théorie des matraques intelligentes a ses limites : permettre à la police (au sens large) de ne pas appliquer un ordre manifestement illégal ne peut pas lui permettre de refuser d’appliquer la loi. Donc je l’absous de toute responsabilité dans l’état actuel du droit français, quand bien même elle le trouverait satisfaisant. Et j’ai particulièrement conscience des conditions dans lesquelles elle doit travailler. Et la préfecture de police en a conscience puisqu’elle ne donne des autorisations de filmer aux journalistes que dans le commissariat central du 20e arrondissement, qui vient d’être refait à neuf.

L’invitation : je serai cet après midi l’invité d’un chat du monde.fr sur le thème de la garde à vue. C’est de 15h30 à 16h00, c’est fort bref, donc si je ne puis garantir que votre question aura une réponse (mais les commentaires ici fonctionnent plutôt bien), si le sujet vous intéresse, la discussion continuera là bas, et les questions des autres peuvent aussi être intéressantes.

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