Amertume
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 02:14 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Caliméro, soutier au parquet[1]
Je suis amer.
Il n'y a pas si longtemps que cela je passais le concours de l'ENM[2], avec en tête une idée de ma future profession, qui peut se résumer à ces quelques mots: rendre la justice dans le respect des lois et des autres.
Pensant faire partie d'une institution indispensable à toute démocratie digne de ce nom, je m'imaginais que l'État allait traiter ceux qui œuvrent (magistrats et greffiers) pour cette pierre angulaire de la démocratie, de façon exemplaire, afin que ceux ci puissent donner le meilleur d'eux-même, pour servir aux mieux les autres.
Que j'ai été naïf, que de désillusions.
J'ai l'impression d'être dans un mauvais remake du film "un jour sans fin".
J'en suis à ma deuxième juridiction, et dans les deux, j'ai été confronté à la même situation ubuesque qui se répète quotidiennement : comment faire face à une demande de justice dont la croissance est exponentielle avec toujours moins de personnels?
A cette problématique vous pouvez ajouter plusieurs variables:
- des chefs de juridictions qui n'ont en général aucune notion de management, et qui sont plus préoccupés par la carrière que l'intérêt général, mais vous tiendront toujours le discours contraire ;
- une opinion publique qui exige tout et son contraire en fonction de l'écho médiatique donné à telle affaire du lundi, et à celle du mardi...
- un politique qui s'empresse d'amplifier le phénomène, toujours prompt à désigner un fautif (surtout quand il n'y en a pas), afin d'éviter que lui soit posé une question sur sa propre responsabilité dans ce désastre ;
- une chancellerie frénétique qui ne pense que par chiffres, statistiques et autres indices de performance, pour calibrer au mieux le budget.... pas la peine de faire de commentaire sur ce qu'il faut entendre par là en ces temps de vache maigre ;
- des parquets généraux qui font caisse de résonnance, et qui, tout aussi frénétiquement, exigent d'être informés à la seconde de tout événement, aussi insignifiant soit-il, au cas où la chancellerie demanderait des informations sur telle ou telle affaire, défrayant la chronique de la feuille de chou locale. Avec l'effet que l'on connaît (le ministère de la justice n'a jamais apporté aucun commentaire aux dépêches du parquet général relatives à l'affaire d'Outreau).
Et au milieu de tout cela, il y a nous (magistrats, greffiers, fonctionnaires et auxiliaires de justice). A ce propos je suis toujours admiratif de voir avec quel courage les greffiers et fonctionnaires des tribunaux remplissent leurs missions dans des conditions parfois indignes (bureaux au sous sol, dossier par milliers empiétant sur l'espace vital...).
Les magistrats sont légèrement mieux traités, même si parfois exercé dans un bureau de 8m² sous 35 °C en été ou 12 °C en hiver (problème de budget pour le chauffage) est un peu difficile.
Soyons aussi objectif, nous avons un peu contribué à ce tableau par notre inaction, découlant de conception rigide du sacro-saint devoir de réserve (par peur de la sanction disciplinaire). De plus la jeune génération est en train de payer un peu les erreurs de l'ancienne, qui a permis à de trop nombreux opportunistes d'avancer dans la carrière au détriment d'autres plus compétents mais trop occupés à travailler leurs dossiers.
La coupe est donc pleine.
Comme à chaque fois, je participerai à l'action locale organisée par mes collègues, sans aucune illusion sur l'effet que cela aura.
Puis je retournerai à mon bureau avec toujours cette amertume, mais la volonté vissée au corps de bien faire mon travail dans le respect des lois et des autres.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 14:54 par Gari
2. Le mercredi 29 octobre 2008 à 21:40 par Maitre Yogi