le malaise
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 02:15 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par un parquetier
Sans verser ici dans la psychanalyse, je ne peux m'empêcher de saisir cette occasion pour décrire en quelques mots le malaise actuels de beaucoup de jeunes magistrats et en tout cas du mien:
- choix de ce métier par idéalisme: rendre la justice, en pesant sa décision et le temps de la réflexion, en écoutant les positions des parties, en travaillant avec conviction sur la base de textes votés démocratiquement et respectant une hiérarchie des normes garante des libertés individuelles. Rendre la justice pénale pour la victime bafouée tout en remettant l'auteur, par l'intermédiaire de la peine et du suivi judiciaire, dans un lien social.
- confrontation avec une réalité inique: disparition progressive du tissu social, associations mourantes faute de financement, exigence de gestion de masse d'une délinquance tristement et pauvrement visible, engluée dans des règles de plus en plus dures qui ne cherchent à traiter que le symptôme sans s'attaquer à la cause. La justice et les magistrats qui essaient de la rendre, se retrouvent en bout de chaîne à devoir gérer des situations qui se sont détériorées faute de prise en charge en amont: une école engorgée qui ne peut gérer ses "cas difficiles" autrement que par des sanctions et exclusions pour garantir un semblant de paix sociale pour les autres, une institution psychiatrique qui ne peut assurer des suivis adaptés des personnes en grande souffrance, qu'elles soient en liberté ou en détention, des injustices sociales de plus en plus criantes... des exclus ou en passe de l'être montrés du doigt comme inamendables... autant d'ingrédients pour enclencher le cercle vicieux de la désinsertion, dans lequel la justice se trouve embarquée, dans une logique inextricable de réponse de plus en plus sévère.
- confrontation avec une justice bricolée: accepter, pour écluser les stocks, de juger 30 dossiers dans l'après-midi, faire attendre, auteurs et victimes de 14 à 23 heures pour voir examiner leur affaire, diriger 30 enquêtes en même temps par téléphone en ayant à peine la possibilité de s'assurer que les règles élémentaires de procédure pénale sont respectées, juger en comparution immédiate des dossiers de violences graves alors que la victime, encore sous le choc, n'est pas en état de se déplacer à l'audience, maintenir à vie dans des centre fermés, des personnes qui ont purgé leur peine et dont la société n'a pas su s'occuper pendant 20 ans, prendre des réquisitions ou décisions de maintien en détention provisoire entre deux couloirs, deux décisions, 15 garde-à-vue, sans avoir pu prendre le temps d'examiner le dossier etc etc;
- un gouvernement qui veut faire croire qu'il assure la sécurité et protège les victimes alors qu'il créée des bombes à retardement en imposant de cogner plus forts sur des condamnés de plus en plus désinsérés à chacune de leur sortie de prison. En donnant l'illusion de donner toute leur place aux victimes en leur dédiant un juge alors qu'aucun tribunal n'est adapté et organisé pour les accueillir dignement hormis dans des procès exemplaires qui font office de vitrine; qui fait croire qu'il veut assurer le développement des aménagements de peine dans un souci de réinsertion alors que les partenaires indispensables aux aménagements de peine sont en situation de plus en plus difficiles, que les JAP sont mis en cause au moindre dérapage de probationnaires etc, etc.
Si c'était à refaire?.....
Signé : Un jeune magistrat ayant exercé au parquet dans une juridiction de taille moyenne, actuellement à l'administration centrale à tenter humblement de lutter pour une application des règles élémentaires du droit en démocratie et qui aurait rêvé d'être à Metz ce 20 octobre en tenant une pancarte "justice bafouée, démocratie en danger" au passage de celle dont la tâche est en principe d'incarner et de respecter la justice, pour tous.
Merci pour ce lieu de parole.
bien cordialement.
Commentaires
1. Le mardi 28 octobre 2008 à 12:04 par undeceuxquisubissent
2. Le mercredi 29 octobre 2008 à 21:59 par Maitre Yogi