Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 5 juillet 2010

L'affaire Bettencourt et l'affaire Woerth

— Bonjour Maître.

— Ah, bonjour mon petit Raymond, entre, entre, prends une tasse de thé. Chers lecteurs, et très chères lectrices, je vous présente Raymond, mon nouveau stagiaire. Après une brillante carrière dans le milieu associatif, Raymond envisage un changement d’orientation professionnelle. Défenseur un jour, défenseur toujours. Je l’accueille donc avec plaisir. Mais qu’y a-t-il, Raymond ? Je te trouve le visage bien chafouin. Ta visite à l’assemblée nationale ne s’est pas bien passée ?

— Non, tout va bien. C’est mon expression naturelle. Mais il est vrai que je suis perdu dans des abîmes de perplexité. J’ai essayé de comprendre l’affaire Bettencourt - Woerth, mais… Comment dire ? Je ne trouve pas les mots.

— Il va falloir que tu les trouves, je crois savoir que tu n’aimes pas lire ceux des autres.

— Ben je ne comprends pas, voilà.

— Je comprends, c’est d’un abord un peu compliqué. Au départ, il y a une affaire familiale très banale, dans une famille qui, elle, ne l’est pas. Elle concerne la première fortune de France, Liliane Bettencourt, qui, âgée de 87 ans, semble aux yeux de sa fille dilapider cette fortune sous l’influence de son entourage. Celle-ci essaie de placer sa mère sous tutelle, mais n’y parvient pas car sa mère s’y oppose : elle refuse d’être rencontrée par un médecin, ce qui fait obstacle à tout placement sous tutelle. Sa fille dépose alors plainte pour abus de faiblesse (art. 223-15-2 du Code pénal) au préjudice de sa mère. Le parquet de Nanterre diligente une enquête préliminaire, qui a abouti à un classement sans suite, le parquet estimant l’infraction non constituée.

— Pourquoi les choses ne se sont-elles pas arrêtées là ?

— Parce que le parquet n’est pas une juridiction, son avis n’est qu’un avis et n’a pour conséquence qu’une seule chose : il ne saisit pas le tribunal. Mais Françoise Bettencourt, la fille de Liliane Bettencourt, n’a pas baissé les bras. Le droit français permet à la victime de lancer elle-même les poursuites, et Françoise Bettencourt a saisi le tribunal correctionnel de Nanterre pour abus de faiblesse sur sa mère. Ce qui pose un problème sur lequel je reviendrai. L’audience devait se tenir du 1er au 6 juillet. Soit dit en passant, une semaine d’audience pour un abus de faiblesse, c’est du jamais vu, mais les sommes en jeu, et sans doute le nombre de témoins cités, expliquaient cela. L’audience réunissant trois ténors parmi les ténors du barreau parisien (Georges Kiejman défend Liliane Bettencourt, Olivier Metzner défend Françoise Bettencourt-Meyers — ces deux-là s’entendant aussi bien que leurs clientes— et Hervé Témime défend François-Marie Banier, le photographe. Quel casting ! C’est le choc des Titans. Mais avant l’audience, les choses ont pris un tour aussi imprévu que spectaculaire.

— C’est là que l’affaire Bettencourt devient l’affaire Woerth.

— Absolument, Raymond. Le maître d’hôtel de Liliane Bettencourt a trahi son employeuse et a enregistré en cachette des conversations de celle-ci avec Patrick de Maistre (prononcer de maître), qui est en charge d’administrer sa fortune. Ces enregistrements ont fini chez le journal en ligne Médiapart (€), et leur contenu est surprenant. On apprend ainsi que Liliane Bettencourt, qui soutient financièrement plusieurs personnalités de l’UMP, dont le ministre du budget de l’époque, Éric Woerth, a grâce à l’Élysée des informations sur l’enquête préliminaire pour abus de faiblesse ; ainsi, elle a su qu’un non lieu allait être rendu plusieurs jours avant l’annonce officielle. Ces révélations dans la presse font grand bruit.

— C’est dur d’être trahi par ses subalternes, je sais ce que c’est.

— Je n’en doute pas. Dans ces enregistrements, on apprend aussi que la société qui gère les biens de Liliane Bettencourt a embauché l’épouse de ce même ministre du budget de l’époque — semble-t-il sur la suggestion de ce dernier. Ces enregistrements ont été produits par Françoise Bettencourt lors du procès pour abus de faiblesse, car ils établiraient selon elle que sa mère a du mal à comprendre ce qu’on lui dit et fait tout ce que Patrick de Maistre lui demande de faire. Par voie de conséquence, ses importants dons à son ami photographe seraient dus à cet état de faiblesse due à l’injure du temps.

— Mais ces enregistrements sont illégaux, ils ne peuvent pas être produits en justice?

— Ils sont illégaux : ils constituent un délit de captation de conversation privée, puni par le Code pénal d’un an de prison et 45 000 euros d’amende (art. 226-1 du Code pénal). Mais ils peuvent être produits en justice, du moins en matière pénale. C’est une bizarrerie, appelons-ça comme ça, du système français. Pour la Cour de cassation, seules les preuves obtenues par la police ou un juge d’instruction doivent l’être de manière totalement légale. Mais un particulier, lui, peut produire des preuves obtenues illégalement (des documents volés par exemple) : le juge ne peut les écarter de ce fait, il doit examiner leur force probante (crim. 15 juin 1993, bull. crim., n°210).

— Décidément, que ce soit un vestiaire de stade, une commission parlementaire ou son salon, il n’y a plus d’endroits secrets.

O tempora, o mores se plaignait déjà mon confrère Cicéron. Disons que le défaut de précaution est le seul luxe que ne peut se permettre un milliardaire. Cela dit, aussi regrettables soient-ils dans la façon dont ils ont été réalisés, ces enregistrements existent, et leur contenu peut même justifier leur existence.

— Quoi ? Harald Schumacher avait raison, la fin justifie les moyens ?

—Certainement pas, et l’auteur de ces enregistrements, contrairement au Boucher de Cologne, encourt des poursuites. Tout comme d’ailleurs ceux qui en font usage dans un procès pourraient se voir reprocher des faits de recel (art. 321-1 du Code pénal). Mais l’importance de leur contenu pour l’intérêt général (en ce qu’ils révèlent les mœurs de la République et la façon dont les gouvernants accomplissent leur mandat) justifie cependant leur mise à disposition du public. C’est ce qu’a jugé le juge des référés de Paris saisi d’une demande de Lilianne Bettencourt de voir ces documents retirés du site du journal en ligne Médiapart.

— Eric Woerth a-t-il commis un délit, d’après ces enregistrements ?

— Je n’ai pas tous les éléments du dossier, je ne sais que ce que publie la presse. Mais en l’état, j’aurai tendance à dire que non. Le piston de son épouse ne devient répréhensible que s’il y a eu une contrepartie convenue, qui caractériserait le pacte de corruption ou le trafic d’influence.

—Quelle est la différence ?

— La corruption (Art. 433-1 du Code pénal…)

— Ah, vous aussi, vous avez un 4-3-3 ?

— On se concentre, Raymond. La corruption disais-je suppose que le corrompu convienne avec le corrupteur de faire, ou au contraire de s’abstenir de faire un acte lié à ses fonctions, en échange de la contrepartie convenue : de l’argent, généralement, mais pas forcément. Le trafic d’influence (art. 432-11 du Code pénal) consiste à user de son influence pour obtenir d’une autre personne, extérieure au pacte de corruption et qui n’aura généralement pas conscience de participer à une action illicite, qu’elle fasse ou au contraire s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction.

— Par exemple, si j’ai bien compris, un fonctionnaire qui reçoit une bouteille de whisky pour faire sauter une contravention commet un délit de corruption s’il a le pouvoir de classer sans suite le dossier, et un trafic d’influence s’il demande au fonctionnaire qui a ce pouvoir de le faire.

— Exactement, mon petit Raymond. J’ajoute que le corrupteur commet une corruption active (art. 433-1 du Code pénal) tandis que le corrompu commet une corruption passive (art. 432-11, 1° du Code pénal). Les deux sont punis des mêmes peines que le trafic d’influence : 10 ans de prison, 150 000 euros d’amende. Un simple service rendu, pour être agréable à un personnage clef du gouvernement ne suffit pas à qualifier la corruption. Les arrières-pensées ne sont pas illégales en soi. Et ici rien ne laisse supposer qu’Éric Woerth ait convenu d’une quelconque contrepartie à l’embauche de son épouse. On peut même ajouter que la réputation du ministre rend cette hypothèse peu crédible.

— Donc il n’y a pas d’affaire Woerth ?

— Pas d’affaire pénale, non. Mais politique, oui. Que la loi ait été respectée ne veut pas dire que ces faits sont dignes d’éloge. Acheter 12 000 euros de cigares est aussi légal. Les avocats sont sensibilisés à une situation qu’il nous faut éviter à tout prix : le conflit d’intérêt. Et là, on a un parfait exemple d’un mélange des genres dont l’existence même est anormale, au sens moral du terme — éthique, si tu préfères le grec.

— C’est-à-dire ?

— On peut être surpris d’apprendre ainsi que le ministre du budget, en charge notamment du recouvrement de l’impôt, demande un service au premier contribuable de France, au risque de se retrouver dans une position délicate si ce contribuable s’avérait frauder, ce qu’à Dieu ne plaise. Surtout quand ce service consiste à faire embaucher son épouse dans la société en charge de gérer cette fortune évanescente. Et on peut l’être tout autant quand on réalise que ce même ministre cumulait ses fonctions avec celles de trésorier de l’UMP, recevant de ce chef les dons faits par Mme Bettencourt, et même les sollicitant ! Tout comme il en recevra en sa qualité de candidat aux régionales dans la région Picardie.

— Les montants en question sont conformes aux maximum légaux prévus par le Code électoral ?

— Oui, absolument. Il ne manquerait plus que le trésorier de l’UMP acceptât des dons illégaux. Mais encore une fois le problème n’est pas la violation de la loi (dans ce cas, il y aurait lieu à saisine de la Cour de Justice de la République) mais de la façon dont elle est appliquée. Le service de la chose publique (qui en latin se dit res publica) suppose une rigueur de celui qui a reçu mandat, et le peuple a le droit d’exiger qu’on lui en rende compte (article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen). La femme de César ne doit pas être soupçonnée, et il en va de même de ses ministres. Or ce mélange des genres, assez typiquement français, qui voit le ministre en charge du recouvrement de l’impôt aller solliciter des dons pour son parti à des exilés fiscaux, ne peut que faire naître des soupçons de collusion et d’indulgence coupable, ce qui suffirait à le rendre politiquement condamnable en temps normal. Mais en ces temps de rigueur et de dure réforme des retraites, cela devient politiquement désastreux, quand on apprend en plus que les services du même ministre ont versé 30 millions d’euros à la femme la plus riche de France. Et la défense du ministre, entre dénis démentis par les faits et théorie du complot contre la réforme des retraites, n’est pas ce qui se fait de mieux en termes de damage control. À croire que depuis l’affaire Gaymard, aucune leçon n’a été tirée.

— Ah, ça, j’ai appris qu’avec une mauvaise défense, il n’est pas besoin que l’attaque soit bonne pour perdre…

— L’expérience, il n’y a que ça de vrai. Mais revenons sur le terrain du droit, avec l’affaire Bettencourt, qui elle est purement juridique. Encore que je m’avance peut-être un peu. Il y a d’autres considérations qui polluent là aussi cette affaire.

— La rivalité entre avocats ?

— Le choc des égos peut faire des dommages, mais ce travers n’est pas réservé à la profession d’avocat. D’autant que le code de procédure pénale veille depuis longtemps à ce que les avocats aient le moins de capacité de nuisance possible. Car cette affaire est échue à une magistrate, Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre (celle de la délinquance économique et financière, qui dans les Hauts de Seine a trouvé un Eden) avec qui le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye, est en mauvais termes. Et ça n’a pas manqué de s’exprimer à l’audience du 1er juillet.

— Que s’est-il passé ? Le parquet a fait grève ?

— Non, les magistrats n’ont pas le droit de grève.

— Décidément, ce métier me plaît de plus en plus. Mais alors, que s’est-il passé ?

— Une partie d’échec procédural entre le parquet et le tribunal pour retirer ce dossier à cette présidente, et je crains que le parquet n’ait fait échec au roi.

—Vous m’intriguez, maître, et pourtant je suis d’un naturel blasé.

— Concentre-toi, il va falloir suivre. D’abord, rappelons quelques principes essentiels. 1 : Le juge ne peut juger que ce dont il est saisi, et doit juger tout ce dont il est saisi. Ce sont les deux limites essentielles à son pouvoir : il ne peut décider de juger une affaire de son propre chef (c’est notre équivalent du hors-jeu), et ne peut refuser de juger une affaire, ce serait un déni de justice, le carton rouge assuré. 2 : On ne peut retirer un dossier à un tribunal qui en est saisi avant qu’il ne rende une décision. Généralement un jugement de l’affaire, mais pas forcément, et cela aura son importance ici.

— Jusque là, je suis.

— Un tribunal qui va examiner une affaire va dès le début de l’audience, après avoir vérifié l’identité du prévenu, sa compétence et la validité de sa saisine, s’assurer que l’affaire est en état d’être jugée, ou si elle doit être renvoyée à une date ultérieure. Cela se fait généralement à la demande des parties, mais peut être ordonné d’office par le tribunal, qui peut en outre ordonner des mesures d’investigation (on parle en procédure d‘instruction) complémentaires. Le tribunal confiera le suivi de cette mesure à un de ses membres qui se comportera comme un juge d’instruction, à ceci près qu’il pourra néanmoins juger l’affaire par la suite, ce qui est interdit à un juge d’instruction. Si le tribunal estime au contraire que l’affaire est en état d’être jugée, il va juger l’affaire.

— Je suis toujours, mais ça se complique.

— Rassure-toi, nous en aurons terminé une fois que je t’aurai précisé qu’on ne peut en principe faire appel d’un jugement que s’il a mis fin à la procédure, c’est à dire dé-saisi le tribunal en statuant sur le dossier.

— En principe ?

— Oui, Raymond, le droit est la science des exceptions. Si un jugement est rendu qui ne met pas fin à la procédure, on peut en faire appel, mais cet appel restera en sommeil jusqu’à ce qu’intervienne la décision sur le fond. Mais, exception à l’exception, l’appelant peut joindre à son appel une requête demandant à ce que cet appel soit examiné immédiatement. Dans ce cas, le président de la chambre des appels correctionnel a un mois, pendant lequel le jugement est suspendu, pour décider d’examiner immédiatement cet appel ou s’il devra attendre que le tribunal achève son office. C’est une décision discrétionnaire, non susceptible de recours.

— Et si le président fait droit à la requête ?

— On se retrouve comme dans le cas où le tribunal a mis fin à la procédure. Le dossier est transféré à la cour, puisque l’appel a un effet dévolutif : la cour d’appel est saisie de l’intégralité du dossier, deux juridictions ne pouvant en aucun cas être saisies du même dossier, pour éviter des décisions contradictoires.

— Et le dossier ne revient jamais au tribunal ?

— Dans une seule hypothèse : si le tribunal n’a pas tranché sur le fond, et que la cour confirme le jugement. Dans ce cas, elle ne peut évoquer et renvoie le dossier au tribunal. Par exemple, le tribunal refuse une demande d’expertise. Le prévenu fait appel de ce refus et demande un examen immédiat. Le président y fait droit, la cour d’appel examine l’appel et estime que le tribunal a eu raison de refuser l’expertise. Il confirme le jugement et fait retour de la procédure au tribunal. Si la cour au contraire estime que cette mesure d’expertise s’imposait, elle infirme le jugement, évoque l’affaire et ordonne elle même l’expertise. L’affaire ne retournera jamais au tribunal.

— On m’avait dit que la procédure pénale était plus compliquée que la règle du hors-jeu mais je ne voulais pas y croire.

— Ça va, Raymond ? Tu es en état de continuer ?

— Disons que ça va plus mal que si j’allais mieux mais mieux que si j’allais plus mal. Continuez donc, maître, je vous en prie.

— Brave Raymond. Transportons-nous dans la salle d’audience de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre ce 1er juillet au matin. L’ambiance est électrique. Trois avocats pour trois parties, donc une de trop, et un procureur qui veut que cette affaire ne soit pas jugée, ce qui est assez paradoxal.

— Pourquoi une partie de trop ?

— Si le prévenu est à sa place, il y a une partie civile de trop. La victime de l’abus de faiblesse supposé est Lilianne Bettencourt. Or elle n’est pas à l’origine du procès : elle est présente à l’instance et dit que non, le prévenu n’a pas abusé de sa faiblesse. Elle se constitue partie civile pour voler au secours du prévenu. Mais l’action a été mise en mouvement par la fille de la victime, qui dit qu’eu égard à son état de faiblesse, sa mère ne réalise pas qu’elle a été victime d’un délit. Cette question de recevabilité de la citation de Françoise Bettencourt-Meyers, qui n’est pas victime directe de l’infraction, mais agit à la place de quelqu’un qu’elle estime hors d’état d’agir, devra être tranchée par le tribunal. Là-dessus apparaissent les enregistrements, versés aux débats par Françoise Bettencourt-Meyers. Leur apparition in extremis fait que l’affaire n’apparaît pas en état d’être jugée : il faut s’assurer de la véracité de ces preuves. Ainsi, le parquet a demandé un sursis à statuer du tribunal, le temps pour lui de diligenter une enquête sur ces enregistrements.

— Qu’est ce qu’un sursis à statuer ?

— Un jugement par lequel le tribunal estime que vu les circonstances, il ne peut légalement juger cette affaire tant qu’un point de droit qu’il ne peut trancher lui-même n’aura pas été jugé. Par exemple, si se pose une question de nationalité, ou une question de propriété immobilière, qui échappent à la compétence des juridictions pénales. Ici, le parquet demande au tribunal de lui laisser le temps de faire son enquête, à charge pour lui de citer à nouveau tout le monde à une nouvelle audience quand il aura fini. Le tribunal va rejeter cette demande, préférant garder pour lui cette question, en expliquant, ce qui montre la bonne ambiance régnant dans ce tribunal, que cette enquête, par sa nature même, ne serait pas soumise au principe du contradictoire, qu’en outre le parquet pourrait choisir, en toute hypothèse, de ne pas verser ces pièces au tribunal qui doit juger l’affaire, puisqu’il revient au parquet de décider de l’opportunité des poursuites.

— Peste. J’ai connu un bus avec ce même genre d’ambiance.

— Le tribunal va donc ordonner une mesure d’instruction, qu’il confiera à sa présidente, ancienne juge d’instruction, donc tout à fait qualifiée pour y procéder. Mais là, le tribunal va à mon sens commettre une erreur.

— Laquelle ?

— Il va renvoyer cette affaire sans fixer de nouvelle date d’audience. Ce sera à la partie civile de citer à nouveau le photographe quand la mesure d’instruction aura eu lieu.

— En quoi était-ce une erreur ?

— Parce que la jurisprudence assimile à un jugement sur le fond immédiatement susceptible d’appel, sans même devoir faire une requête d’examen immédiate, le jugement qui ordonne le renvoi d’une affaire dont le tribunal est régulièrement saisi, sans fixer de date et en laissant à la partie poursuivante le soin de délivrer une nouvelle citation (Cass. crim. 20 juill. 1993, Bull. crim., n° 249). Faute de date d’audience fixée, le tribunal est déssaisi de ce dossier : l’appel est recevable. Que crois-tu donc qu’il arriva ?

— Le parquet courut au cinquième étage faire appel de ce jugement !

— Exactement, mon petit Raymond. La cour d’appel de Versailles est désormais saisie de ce dossier, pas besoin que le président de la chambre des appels correctionnels rende une ordonnance en ce sens. Même si mes taupes m’ont appris que le parquet avait fait une telle requête en examen immédiat, tout en ayant parfaitement conscience de son inutilité juridique.

— Pourquoi le parquet fait-il quelque chose d’inutile ?

— De juridiquement inutile, Raymond. Tactiquement, c’est autre chose. D’une part, cette requête a un effet suspensif immédiat, ce qui interdit à la présidente de commencer son supplément d’information. D’autre part, d’ici un mois, le président de la chambre des appels correctionnels constatera que cette requête est inutile puisque l’appel est recevable de plein droit, ce qui interdira définitivement à la présidente de procéder, et permettra au parquet de se réfugier derrière une décision du siège pour justifier de ce déssaisissement. Un coup de maître, si je puis me permettre.

— Quelle sera la suite ?

— De deux choses l’une : soit la cour infirme le jugement en quoi que ce soit, et devra évoquer (donc juger) l’affaire, soit elle confirme purement et simplement le jugement et le rendra alors à la 15e chambre du tribunal de Nanterre.

— En attendant, la présidente Prévost-Desprez ne peut absolument pas mener son enquête ?

— Non. L’effet suspensif de l’appel s’y oppose, et tout acte d’instruction serait nul (crim. 19 mai 1980).

— Le parquet de Nanterre gagne donc la première manche.

— Oui, et haut la main : il a obtenu ce qu’il voulait : retirer ce dossier à cette présidente. Reste à savoir si la cour le lui rendra. Les fameux enregistrements contiennent peut-être un élément de réponse… En tout état de cause, on peut parier que le parquet de Nanterre aura bouclé son enquête à temps pour l’audience devant la cour d’appel, ce qui permettra au parquet général — le parquet de la cour d’appel, Raymond— de soutenir que la mesure ne s’impose plus. Ça plus une motivation cinglante à l’égard du parquet, voilà deux bonnes raisons pour la cour d’appel d’infirmer le jugement du 1er juillet…

— Et donc de devoir évoquer l’affaire.

— Te voilà un expert en procédure pénale, Raymond.

— Ce serait quand ?

— Ce ne sera pas avant six mois ; je dirais entre six mois et un an.

— Quelle erreur de la part du tribunal.

— À sa décharge, les juges n’ont pas l’habitude de voir dans le parquet un ennemi dont il faut se garder. Ils ont déjà du mal à voir en lui une simple partie. Un parquet normal dans une affaire normale n’aurait pas fait appel et aurait laissé la présidente procéder, malgré qu’il en ait. Mais n’oublions pas Liliane Bettencourt, qui a commis de son côté une erreur tout aussi incompréhensible.

— Et laquelle ?

— Il ne faut jamais refuser une augmentation à son maître d’hôtel.

jeudi 1 juillet 2010

Le mépris

“Et ma Justice, tu l’aimes ?”

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mardi 29 juin 2010

HADOPI : l'opération Usine à gaz continue

Petit à petit, l’HADOPI fait son nid. Les décrets d’application commencent à sortir (on en attend quatre, les deux principaux étant la définition de la contravention de négligence caractérisée et la procédure, le premier est sorti). Et on nous promet une mise en mouvement pour… bientôt.

Rappelons ici un point essentiel : l’HADOPI est une autorité administrative ne prenant aucune part à la répression du téléchargement illicite. C’est une autre entité, la Commission de Protection des Droits (CPD), rattachée administrativement à la HADOPI (partage des locaux, budget unique de fonctionnement) qui s’en charge, mais aucun membre de la HADOPI ne peut siéger à la CPD et vice-versa (art. L.331-17 du Code de la propriété intellectuelle, CPI). Ainsi, la HADOPI est présidée par madame Marie-Françoise Marais, tandis que la CPD, composée de trois membres (un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation et un magistrat de la Cour des comptes) est présidée par madame Mireille Imbert-Quaretta, conseiller d’État.

La HADOPI proprement dite ne nous intéresse pas. Sans vouloir vexer ses membres, elle ne sert à rien. Pour vous en convaincre, lisez l’article L.331-13 du CPI qui définit son rôle. Je graisse.

La Haute Autorité assure :

1° Une mission d’encouragement au développement de l’offre légale et d’observation de l’utilisation licite et illicite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

2° Une mission de protection de ces œuvres et objets à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

3° Une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin.

Au titre de ces missions, la Haute Autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire. Elle peut être consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi ou de décret intéressant la protection des droits de propriété littéraire et artistique. Elle peut également être consultée par le Gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toute question relative à ses domaines de compétence.

Sa mission se résume à émettre des avis, son plus grand pouvoir étant la possibilité d’émettre un avis même si on ne le lui demande pas. En tout cas sa consultation n’est jamais obligatoire. Et tout ça pour la modique somme de 6,3 millions en 2009, avant même qu’elle ne fonctionne effectivement. Fermez le ban.

C’est au niveau de la CPD que ça se passera.

La CPD a en charge de recevoir et traiter les procès verbaux dressés par les agents assermentés des sociétés d’ayant-droits (SACEM et autres) qui relèveront que telle œuvre a été téléchargée par telle IP. On parle de 10 000 œuvres surveillées, moitié musicales, moitié audiovisuelles, réparties entre des classiques indémodables et des nouveautés amenées à changer régulièrement.

La CPD, composée de trois membres, six en comptant leurs suppléants, doit délibérer pour chacun de ces cas avant d’envoyer un courrier électronique d’avertissement au titulaire de l’adresse IP repérée (ce sera l’adresse de contact donnée au FAI), puis la lettre recommandée si malgré un e-mail, le même titulaire d’un abonnement se fait à nouveau repérer (les modalités étant attendues dans le décret “procédure”). Pour info, les représentants des ayant-droits, assoiffés de répression parlent sans rire de 50 000 signalements par jour.

La suspension de l’abonnement, menace suprême, ne pourra être prononcée que par un juge de police, prononçant une condamnation pour une contravention de « négligence caractérisée », après saisine du parquet, après transmission du dossier par la CPD.

Et cette contravention, on en a désormais le texte (Décret n° 2010-695 du 25 juin 2010 instituant une contravention de négligence caractérisée protégeant la propriété littéraire et artistique sur internet, JORF n°0146 du 26 juin 2010 page 11536, texte n° 11). Comme disait la présidente de la CPD devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, qui avait pu lire le projet de décret, « le résultat est d’une étonnante subtilité. » Traduire : “Ça a été écrit par un Orc”.

Accrochez-vous, et n’hésitez pas à lire à haute voix.

Article R. 335-1 nouveau du CPI :

I. ― Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne, lorsque se trouvent réunies les conditions prévues au II :

1° Soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ;

2° Soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen.

II. ― Les dispositions du I ne sont applicables que lorsque se trouvent réunies les deux conditions suivantes :

1° En application de l’article L. 331-25 et dans les formes prévues par cet article, le titulaire de l’accès s’est vu recommander par la commission de protection des droits de mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès permettant de prévenir le renouvellement d’une utilisation de celui-ci à des fins de reproduction, de représentation ou de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ;

2° Dans l’année suivant la présentation de cette recommandation, cet accès est à nouveau utilisé aux fins mentionnées au 1° du présent II.

III. ― Les personnes coupables de la contravention définie au I peuvent, en outre, être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un mois, conformément aux dispositions de l’article L. 335-7-1.

Un petit mot à mes amis parquetiers. Je sais que nous nous disputons souvent dans le prétoire. Nous avons curieusement des visions irréconciliables des mêmes dossiers. C’est ainsi, nous sommes adversaires. Mais quel que soit le fossé qui nous sépare, je vous respecte et je pense que vous n’avez pas mérité ça. Bon courage en tout cas pour caractériser les éléments de l’infraction à l’audience.

Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mais il y a un concours de mauvaise rédaction de textes législatifs, ou quoi ? Quelle horreur ! Des éléments constitutifs repoussés dans un second paragraphe, et pas moins de six renvois textuels pour une contravention. “Étonnante subtilité” : ce sont justement les mots que j’utilise quand ma fille me tend les yeux remplis de fierté l’ignoble gribouillage marron agrémenté de plumes roses collées au milieu qu’elle a fait pour moi au centre de loisir.

Tenez, je vais tenter de ré-écrire ce texte de manière plus lisible en ôtant les scories.

“Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne ayant fait l’objet d’une recommandation de sécurisation de cet accès par la commission de protection des droits en application de l’article L. 331-25, de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ou d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen si cet accès est à nouveau utilisé aux mêmes fins frauduleuses dans l’année qui suit cette recommandation.

Voilà. Ça dit la même chose, mais en plus simple.

Et force m’est de constater qu’en l’état, cette contravention est inapplicable.

Cette contravention suppose au préalable que le prévenu fasse l’objet d’une recommandation par la CPD car son abonnement a été utilisé pour télécharger (peu importe que ce soit par lui ou par un pirate, on ne se pose pas la question). Cette recommandation s’entend de la lettre recommandée, et non du premier mail d’avertissement sans frais. Si dans l’année qui suit la réception de cette recommandation, le même abonnement est à nouveau repéré en train de télécharger une œuvre protégée, la contravention peut être constituée. Mais il faut encore au pauvre parquetier prouver que la sécurisation n’a pas eu lieu ou a eu lieu tardivement, ce qui revient au même.

Car dans sa rédaction actuelle, le décret a fait de ce défaut de sécurisation un élément constitutif et non une exception. Et ça change tout.

Un élément constitutif doit être prouvé par le parquet (présomption d’innocence oblige). Une exception, au contraire, doit être prouvée par le prévenu pour échapper à la condamnation. Pensez à l’exception de légitime défense pour des violences.

Il y a bien une exception dans la contravention : c’est l’exception de motif légitime (notez les mots : “est puni le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire…” Si le prévenu établit qu’il avait un motif légitime de ne pas avoir sécurisé son accès (e.g. : il était en déplacement à l’étranger entre l’arrivée de la lettre AR et le deuxième usage frauduleux), il sera relaxé, mais c’est à lui de l’établir, et non au parquet d’établir l’absence de motif légitime.

Mais le défaut de sécurisation de l’accès n’est pas une exception, c’est un élément constitutif. Au parquet de le prouver.

De même, la rédaction actuelle ne permet pas de dire que le renouvellement de l’usage frauduleux établit le défaut de sécurisation. Ce sont des éléments distincts car un usage frauduleux peut avoir lieu malgré une sécurisation, et dans ce cas il n’y a pas négligence caractérisée du titulaire de l’abonnement — mais malveillance caractérisée du pirate.

Comment cette preuve pourra-t-elle être rapportée ? En diligentant une enquête de police voire une instruction avec expertise. Lourd et coûteux, et aux antipodes de la logique de la loi qui voulait une machine à suspendre les abonnements. Ou à travers les auditions des abonnés concernés par la CPD, mais cette audition n’a lieu qu’à la demande de l’intéressé (art. L. 331-21-1 du CPI).

Heureusement pour le parquet, la CPD opère une opération de filtrage des dossiers. Il ne devrait pas en voir arriver beaucoup sur son bureau. Surtout quand on sait que le représentant judiciaire à la CPD est le Conseiller à la Cour de cassation Jean-Yves Montfort, que j’ai pratiqué comme président de la 17e chambre (celle de la presse) et de la chambre de l’instruction de Versailles. C’est un excellent magistrat, très respectueux des droits de la défense, et rigoureux dans son application du droit. Mes lecteurs ont déjà pu apprécier son style ici. Il y aura donc filtrage, et les mailles seront serrées.

En tout état de cause, cette contravention me paraît de fait incompatible avec la procédure d’ordonnance pénale, qui suppose des faits parfaitement établis. La machine à suspendre les abonnements pourrait bien être une machine à relaxer.

Quant en traiter 50 000 par jour…

Je citerai pour conclure la lucidité de la présidente de la CPD, qui devant la commission des affaires culturelles, rappelait que s’agissant d’une contravention, l’article 40 du Code de procédure pénale ne s’applique pas, et que jamais la CPD n’est obligée de transmettre : “elle peut transmettre comme elle peut ne pas transmettre”.

“Elle peut ne pas”. Tout est dit.

Vous voyez qu’on pouvait faire simple, dans cette affaire.

lundi 28 juin 2010

Ne touche pas à ma FFF

Décidément, chaque coupe du monde me donne l’occasion de faire un billet juridique sur le ballon rond. Après le célèbre coup de tête, voici à présent l’ingérence gouvernementale dans les affaires du football, qui va contraindre le gouvernement à un spectaculaire rétropédalage.

Le contexte est connu. L’équipe de France de football a fait une Coupe du monde calamiteuse et vu l’importance médiatique mondiale de l’événement, le monde politique ne peut y rester indifférent, sous peine de recevoir sa part de la colère de l’opinion publique. Mieux vaut se ranger derrière le peuple et crier avec lui.

Le tête de l’entraîneur est déjà tombée toute seule puisque son mandat a expiré. Les joueurs portent leur part de responsabilité, mais ils sont plus difficilement touchables du fait de leur statut de stars et qu’on a besoin d’eux pour se qualifier pour l’Euro 2012 qui se tiendra en Ukraine et en Pologne, et dont les éliminatoires commencent dès septembre prochain avec un match contre la Biélorussie.

Reste le responsable idéal : le président de la Fédération Française de Football (FFF), jean-Pierre Escalettes, qui a joué un rôle déterminant dans la nomination de l’entraîneur Raymond Domenech en 2004 et surtout de son maintien en poste après la déroute à l’Euro 2008, qui rétrospectivement s’avérait annoncer celle de 2010. Son mandat actuel de 4 ans court jusqu’en 2012, mais il a d’ores et déjà annoncé qu’il ne comptait pas démissionner, sans doute par solidarité avec les Français touchés par la réforme des retraites, puisqu’il est âgé de 75 ans.

Le ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, qui depuis le début de cette affaire joue les plénipotentiaires du président de la République, que l’on sait authentique amateur de football, après avoir annoncé un audit privé de l’équipe de France, puis d’y renoncer devant la volonté du parlement de se saisir de la question, a donc annoncé que selon elle, la démission du président de la FFF était « inéluctable ».

Problème, non seulement il y a hors jeu, mais là, on risque fort le carton rouge.

Revoyons l’action au ralenti.

Au commencement était la FIFA

Le football est né au XIXe siècle et a connu un succès international croissant. La première partie internationale a eu lieu en 1873 (Ecosse - Angleterre, 0-0) et très vite s’est posé le problème d’une interprétation unique des règles et est apparue la nécessité d’une instance internationale chapeautant toutes ces compétitions.

Le 21 mai 1904 à Paris était fondée la Fédération Internationale de Football Association, la FIFA, dont la fédération française, à l’époque appelée Union des sociétés françaises de sports athlétiques (UFSA), est membre fondatrice. (Ci-contre : l’équipe de France de football 1900, médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Paris. Notez le logo français de l’époque : maillot blanc, deux anneaux entrelacés bleu et rouge pour rappeler le drapeau tricolore ; c’est ce logo qui inspirera le drapeau olympique conçu en 1913. Le coq apparaîtra sur le maillot cette même année. Crédit photo Wikipédia)L'équipe de France de football de 1900, médaille d'argent aux Jeux Olympiques CC Wikipedia

Aujourd’hui, la FIFA est une association inscrite au registre du commerce de droit suisse soumise aux articles 60 et suivants du Code civil suisse dont le siège est à Zurich (FIFA-Strasse 20, P.O. Box CH-8044 Zurich, Suisse) et dont voici les statuts (pdf).

Quel que soit votre désir d’y adhérer, c’est impossible. Seule une autre association peut y adhérer. Et encore faut-il qu’elle soit « responsable de l’organisation et du contrôle du football dans un pays.» (art. 10 des statuts). En France, seule la FFF est membre de la FIFA.

L’adhésion à la FIFA suppose l’adhésion à une des six confédérations géographiques en charge des compétitions internationales régionales ; pour l’Europe, c’est l’UEFA (Union of European Football Associations), qui organise le championnat d’Europe des nations tous les quatre ans (prochaine édition en 2012), et au niveau des clubs la Ligue des Champions et l’Europa League, successeur de la Coupe de l’UEFA. La FIFA organise les compétitions mondiales, comme la Coupe du monde, mais aussi la coupe du monde féminine, la coupe du monde de football en salle, la Coupe du Monde des clubs, etc…

Aujourd’hui, tout pays qui veut participer à des compétitions internationales de football doit adhérer à la FIFA, et tout joueur souhaitant participer doit être adhérent d’un club affilié à une association nationale membre de la FIFA. Notons une exception aux causes historiques : le Royaume Uni n’a pas une Association mais quatre : l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, qui jouent en outre un rôle prépondérant dans l’établissement des règles du jeu et sont connues pour être d’un conservatisme d’airain (le refus de l’arbitrage vidéo, c’est elles).

Ni Dieu ni Maître

Un des principes essentiels de la FIFA est posé à l’article 13, 1, g) des statuts. Toutes les Associations qui y adhèrent s’engagent à “diriger leurs affaires en toute indépendance et veiller à ce qu’aucun tiers ne s’immisce dans leurs affaires”. Et ce tiers, dans l’esprit de la FIFA, c’est avant tout l’État du pays concerné.

L’article 13,2 prévoit que le non respect de ses obligations par un membre entraîne une sanction, l’article 13,3 précisant même que s’agissant du 13,1,g) (ingérence d’un tiers), la sanction est encourue même si cette ingérence n’est pas imputable à l’association nationale.

Cette sanction figure à l’article 14 : c’est la suspension.

La FIFA est intraitable là-dessus. Et ce quel que soit le psychodrame national que peut provoquer une élimination précoce ou une prestation décevante. La FIFA refuse que la politique vienne interférer avec le sport, sauf quand l’État du pays en question a une attitude contraire aux principes sportifs de respect et d’égalité. L’Afrique du Sud a ainsi été longtemps exclue de a FIFA à cause de la politique d’Apartheid, et la Yougoslavie a été exclue de l’Euro 1992 pour cause de nettoyage ethnique, pour le plus grand bonheur du Danemark, remplaçant de dernière minute qui remporta la compétition.

Ainsi, un État qui mettrait un peu trop son nez dans les affaires du football verrait son pays rapidement suspendu de la FIFA jusqu’à ce que les choses rentrent dans l’ordre.

Et si la FFF était suspendue de ce fait, la France serait automatiquement exclue de toute compétition organisée par la FIFA ou par une des Confédérations qui lui sont affiliées, et même des matchs amicaux. Autant dire adieu à l’Euro 2012, et en cas de confirmation de la sanction par le Congrès de la FIFA en 2011, au Mondial 2014.

Mais rassurons-nous, l’État est parfaitement au courant de cette nécessité. D’ailleurs, le Code du Sport dispose dans son article L.131-1 que les Fédérations Sportives “exercent leur activité en toute indépendance.”

Je soupçonne d’ailleurs le ministre des sports d’avoir refilé le bébé au parlement avec un certain soulagement : à lui désormais de battre en retraite en rase campagne ou de créer une commission qui marchera sur des œufs de peur de s’immiscer dans les affaires de la FFF avec les conséquences désastreuses que cela aurait pour l’équipe de France et pire encore sur leur réélection. Autant dire en tout cas qu’une commission qui exigerait la démission du président de la FFF déclencherait le feu nucléaire de la FIFA.

Jean-Pierre Escalettes n’est pas pour autant à l’abri de toute sanction. Mais celle-ci ne peut venir que de la FFF. L’article 12 des statuts de la FFF (pdf) prévoit en effet que l’Assemblée Fédérale, composée de représentants des clubs amateurs et professionnels (je passe sur les modalités d’élection et de répartition des voix, assez complexes, ce qui est normal pour une fédération de 2 millions de licenciés), peut mettre fin au mandat du Conseil fédéral sur proposition du tiers de ses membres représentant un tiers des voix et après vote à la majorité absolue, ce qui entraîne démission de tout le Conseil, y compris son président.

Bref, ce qui menace le plus le président de la FFF n’est pas la colère d’en haut, mais la colère d’en bas.

I’ve got the power

Quelques uns de mes lecteurs pourraient objecter qu’il est scandaleux qu’une organisation non gouvernementale comme la FIFA, certes à but non lucratif mais brassant un budget énorme grâce à sa propriété des droits de retransmission des compétitions qu’elle organise, puisse dicter sa volonté à un État.

Je leur répondrai qu’au contraire, c’est heureux.

D’abord, tous les États ne sont pas démocratiques. C’est même plutôt l’exception dans les 208 pays membres de la FIFA (plus qu’à l’ONU, je le rappelle). La règle qui tient au loin le nez inquisiteur du politique français maintient également loin celui de leaders de compagnie nettement moins agréable. Et la seule façon de garantir à la Fédération nord coréenne de football un minimum de liberté ce qui dans ce pays tient de l’exploit est d’appliquer ce principe de façon uniforme à tous les pays

Ensuite, même s’agissant d’une démocratie, s’il est une chose plus belle qu’un pouvoir, c’est un contre-pouvoir. Et si ma colère de citoyen de voir mes élus décidés à traiter un thème totalement futile comme les déboires de l’équipe de France comme une priorité nationale est impuissante à y faire obstacle, je saurai gré à la FIFA de siffler la faute et de renvoyer les parlementaires à leur vrai travail : contrôler l’exécutif et voter des lois le moins souvent possible s’il vous plaît.

Ce qui devrait nous désoler, c’est qu’il faille une FIFA pour poser des limites à l’action du Gouvernement en France, parce que nous avons deux autres pouvoirs qui en sont incapables.

mercredi 23 juin 2010

Et si pendant la coupe du monde, on légalisait le financement occulte des partis politiques ?

Un lecteur attentif aux choses du parlement attire mon attention sur la proposition de loi n°268 du sénateur Bernard Saugey (UMP - Isère) “visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux” et qui vient à la séance publique du jeudi 24 juin à 9 heures.

Cette proposition de loi est fort courte, ce qui promet des débats brefs, d’autant qu’aucun amendement n’a été déposé.

Elle se propose de modifier légèrement la définition du délit de prise illégale d’intérêt (art. 432-12 du Code pénal) :

Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

Ce n’est pas l’article le mieux rédigé du Code pénal. Il réprime le fait pour les élus, et les fonctionnaires et assimilés, qui sont cette qualité en charge la gestion ou la surveillance de fonds publics, de faire sen sorte qu’une partie de ces fonds profite à eux, à leurs proches ou à toute personne qu’ils souhaitent ainsi favoriser. Par exemple, un président de conseil général qui fait embaucher son épouse pour une obscure mission fort bien rémunérée commet une prise illégale d’intérêt au profit de son épouse.

Ce n’est pas le détournement de fonds publics (art. 432-15 du Code pénal), plus sévèrement puni (10 ans de prison et 150 000 euros d’amende), qui est plus brutal : l’élu tape dans la caisse et se met l’argent dans la poche. La prise illégale d’intérêt s’inscrit dans le fonctionnement normal de l’institution, mais le choix fait par l’élu n’est pas totalement (voire pas du tout) fait dans l’intérêt général, il est pollué par des considérations extérieures de l’élu. Faire réparer un nid de poule dans une rue de la commune est conforme à l’intérêt général ; faire en sorte que ce soit son beau-frère qui effectue les travaux, non.

La proposition de loi Saugey se propose de remplacer un mot par un autre. Pas de quoi fouetter un chat, n’est-ce pas ?

Voire…

Le délit de prise illégale d’intérêt deviendrait alors (je simplifie la définition en élaguant les mots superflus, je raye le mot ôté et graisse les mots ajoutés) :

Le fait,… par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre…, directement ou indirectement, un intérêt quelconque personnel distinct de l’intérêt général dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte,… la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.

Un seul mot vous manque et le Code pénal est dépeuplé.

L’effet de cette loi serait donc de dépénaliser les situations ou l’élu favorise un tiers avec qui il n’a pas de lien personnel. Favoriser son épouse, son fils ou son beau-frère resterait puni, mais plus, par exemple et au hasard, le fait de faire en sorte qu’une partie des fonds publics que l’on gère favorise son parti politique.

Car quel est le refrain sans cesse entonné par l’élu pris la main dans le sac ? La phrase portant absolution de tous les péchés ?

« Mais voyons, il n’y a pas d’enrichissement personnel. »

Et bien grâce à cette loi, si elle était votée, il n’y aurait plus délit sans enrichissement personnel.

Et ce serait particulièrement pernicieux. Car ce que sanctionne la prise illégale d’intérêt n’est pas l’enrichissement personnel de l’élu mais l’appauvrissement de la collectivité publique. Pour elle, le préjudice reste le même que l’intérêt de l’élu pris dans l’opération ait été personnel ou non.

Et à propos de prise illégale d’intérêt, il ne vous aura pas échappé que le Sénat représente les collectivités locales et est élu par le collège des Grands Électeurs (conseillers régionaux, conseillers généraux, et délégués des conseils municipaux), c’est-à-dire que les Sénateurs, qui sont eux-même très souvent des élus locaux, sont élus par l’ensemble des élus locaux susceptibles d’être visés par le délit de prise illégale d’intérêt.

La lecture du rapport sur cette proposition de loi est édifiant : le rapporteur (madame le sénateur Anne-Marie Escoffier, RDSE, Aveyron), après avoir justement rappelé que ce délit s’appuie sur le devoir de probité des élus, justifie cette proposition par cette formidable affirmation, titre de la deuxième partie de son rapport : cette proposition de loi vise “à mieux réprimer la recherche d’un intérêt personnel”. Non, elle vise à uniquement réprimer la recherche d’un intérêt personnel. En somme, rechercher un intérêt non personnel, comme financer son parti politique, n’est pas contraire au devoir de probité. Qu’il me soit permis d’en douter. La chose a semble-t-il échappé à la Commission des lois du Sénat qui, lors de son examen de la proposition, a modifié… l’intitulé de la proposition, là encore en changeant un mot pour un autre : le mot “réformer” a été remplacé par “clarifier”, et l’allusion aux élus locaux a été retirée, un peu trop voyant sans doute.

J’invite donc l’ensemble des sénateurs, dont je ne doute pas un instant de la très haute probité, de ramener à la raison leurs deux collègues égarés et de rejeter d’un bloc cette proposition de loi jeudi matin, qui serait donner un blanc-seing à quelques élus peu soucieux du bon usage des fonds publics tant qu’ils ne profitent qu’à autrui et non eux-même.

La République a plus que jamais besoin de vertu. Ce n’est pas le moment de dépénaliser le vice, même si je le reconnais, cela “clarifierait” les choses.

lundi 21 juin 2010

Devine qui vient dîner ce soir ? (3)

À l’heure où j’écris ces lignes, une seule chose est sûre : l’équipe d’Afrique du Sud nous attendra sur le terrain cet après midi.

Drapeau de la République d'Afrique du Sud

L ‘actuel drapeau d’Afrique du Sud a été adopté en 1994, à l’occasion de la transition du régime d‘Apartheid vers un régime démocratique. Conçu par Frederick Brownell, ce drapeau devait au départ être provisoire. Il se veut un symbole de réconciliation, mélangeant l’ancien drapeau de l’Afrique du Sud (le Prinsevlag, Prinsevlag dérivé du drapeau des pays-Bas (àceci près que l’orange est devenu rougen comme dans l’actuel drapeau des Pays-bas), et celui de l’ANC, African National Congress, parti fondé en 1912 à… Bloemfontein, là où nous allons jouer (espérons-le) tout à l’heure. Drapeau de l'ANC

Le gouvernement sud-africain a précisé qu’aucun symbolisme particulier n’est à attribuer aux couleurs qui le composent, qui ne sont qu’un reflet de l’histoire du pays ; le seul symbole est la forme en Y couché qui symbolise la convergence de deux branches qui s’unissent pour n’en former plus qu’une seule.

Cette obsession de l’union et de la réconciliation est le legs du président Mandela, et se manifeste aussi dans la devise nationale (que les rédacteurs du défunt Traité de Rome de 2004 lui ont emprunté : Unis dans la Diversité, et dans le très bel hymne sud-africain, baptisé… l’hymne national sud-africain (les sud-africains partagent avec les mexicains un goût pour le descriptif).

Cet hymne comporte des couplets dans pas moins de cinq des onze langues officielles du pays. En effet, il commence par deux vers en Xhoso ( Nkosi sikelel’ iAfrika / Maluphakanyisw’ uphondo lwayo,), se poursuit en zoulou (Yizwa imithandazo yethu, / Nkosi sikelela, thina lusapho lwayo), s’attarde pendant quatre vers en Sesotho (Morena boloka setjhaba sa heso, / O fedise dintwa le matshwenyeho, / O se boloke, O se boloke setjhaba sa heso, Setjhaba sa, South Afrika - South Afrika), avant une strophe en Afrikaans qui n’est autre que l’ancien hymne d’Afrique du Sud, celui du temps de l’Apartheid - vous noterez un changement de musique (Uit die blou van onse hemel, / Uit die diepte van ons see, / Oor ons ewige gebergtes, / Waar die kranse antwoord gee”), avant de se conclure en anglais (Sounds the call to come together, / And united we shall stand, / Let us live and strive for freedom / In South Africa our land.)

L’équipe nationale sud africaine 100px-South_Africa_FA.png est affectueusement nommée les “Bafana Bafana” ce qui en zoulou signifie les garçons, the boys. D’où ce projet d’hymne, depuis abandonné. Les mauvaises langues disent que le public sud-africain aurait également trouvé un surnom à notre équipe : les “bananas bananas”, mais je n’ai pas trouvé ce mot dans mon dictionnaire zoulou.

Nous avons déjà rencontré les Bafana Bafana en coupe du monde, en 1998, où nous étions dans la même poule (match d’ouverture pour la France, victoire 3-0, buts de Dugarry et Henry, et Issa contre son camp). Disons par pudeur que la configuration des choses était alors différente (ne serait-ce que parce que cette fois, nous étions le pays hôte).

Et parce que le devoir patriotique ne s’embarrasse pas de fioritures rabat-joies comme la réalité : Allez les Bleus !

dimanche 20 juin 2010

La blague du jour

Une institutrice de maternelle demande aux enfants de sa classe la profession de leurs parents.

- Mon papa, il est policier, et ma maman, elle est ingénieur, dit le premier.

- Moi, mon papa, il est plombier, et ma maman, elle est dentiste, dit le second.

Le troisième dit d’une petite voix :

- Heu… Moi, mon papa, il est danseur nu dans un cabaret gay.

Tous les enfants éclatent de rire.

La maîtresse, un peu décontenancée, les rappelle à l’ordre : c’est un métier comme un autre, leur explique-t-elle, et ce qui est important, c’est que ce papa soit heureux de le faire.

- Bon, c’est l’heure de la récréation, annonce-t-elle avec un peu de soulagement.

Elle retient le troisième élève :

- Dis-moi, tu veux que nous parlions un peu de ton papa ? Tu avais l’air un peu embêté…

L’enfant regarde autour de lui pour s’assurer que lui et la maîtresse sont seuls.

- Non, en fait, mon papa, il joue en équipe de France de football, mais j’avais trop honte de le dire.

jeudi 17 juin 2010

Devine qui vient dîner ce soir ? (2)

C’est à présent le Mexique que la France va affronter dans ce deuxième match de poule. 800px-Flag_of_Mexico.svg.png

La drapeau mexicain a adopté le motif tricolore rouge blanc et vert depuis la guerre d’Indépendance face à l’Espagne (1810-1821), puisqu’il s’agissait des couleurs de l’armée des insurgés, soit antérieurement à l’adoption du drapeau italien (1848) dont il partage les couleurs (le vert et le rouge mexicain sont en fait un peu plus foncés et le drapeau est plus étroit et plus long que le drapeau italien). Il est en outre frappé d’un blason représentant un aigle dévorant un serpent, qui est le pictogramme aztèque pour désigner leur capitale, Tenochtitlan. Selon la légende en effet, le dieu de la guerre Huitzilopochtli révéla aux aztèques que l’emplacement de ce qui deviendra une grande cité prospère leur serait un jour indiquée par la vision d’un aigle dévorant un serpent sur un cactus (les dieux aztèques étaient défavorablement connus des services de police pour trafic de stupéfiant). Cette vision leur apparut un jour de 1325 sur un îlot marécageux au centre d’un grand lac. Comme les Aztèques n’aiment pas mettre les dieux en rogne, ils se sont exécutés et ont fondé la ville de Tenochtitlan, qui est devenue aujourd’hui la Ciudad de México, capitale du pays (et non Mexico City qui n’est pas de l’espagnol).

Le blason actuel reprend ce symbole, qui figure d’une façon ou d’une autre sur le drapeau mexicain depuis les origines. Le cactus actuel est un nopal qui porte ses fruits. C’est une plante indigène de la famille des cactus, qui est comestible, qui est cuisinée de nombreuses façons, et qui pousse même sur des terres ne recevant que peu d’eau. Le nopal repose sur un piédestal qui lui même repose sur un symbole aztèque (un pictogramme pour être exact, désignant le mot atl) signifiant “eau”. En dessous, une branche de laurier et une branche de chêne (représentant la victoire et la solidité) sont liées par un ruban aux couleurs du Mexique.

L’hymne national, habilement intitulé “Hymne national mexicain” (Himno Nacional Mexicano) a été composé en 1854 par Jaime Nunó, pour mettre en musique un poème de Francisco González Bocanegra. Les mexicains le chantent traditionnellement en mettant la main droite ouverte à plat, paume tournée vers le sol et posée contre la poitrine. C’est assez curieux, ne vous étonnez pas. 130px-Fedemexfut2009logo.svg.png

L’équipe de football du Mexique est une habituée de la Coupe du Monde (elle a participé à la première en 1930, où elle a été battue 4-1 par la France), mais elle ne l’a jamais gagné, et n’a jamais dépassé le stade des quarts de finale (en 1986, où elle se jouait au Mexique pour la deuxième fois après 1970).

maitrreeolascdm.pngAprès la cuisante défait de l’Afrique du Sud hier soir, l’Uruguay est provisoirement en tête avec 4 points et un différentiel de buts de +3, suivi par le Mexique avec un point et un but marqué, la France avec un point et aucun but marqué, et l’Afrique du Sud avec zéro point mise à jour : un point et un différentiel de but de -3. Une défaite nous éliminerait quasiment à coup sûr, un match nul nous mettrait en très mauvaise position. Donc plus que jamais…

ALLEZ LES BLEUS !

mardi 15 juin 2010

Prix Busiris pour Michèle Alliot Marie

C’est fièrement que l’actuel Garde des Sceaux a repris le flambeau de sa fonction, qui a vocation à la propulser au pinacle des primés du Busiris.

Rappelons que le prix Busiris récompense un mésusage éhonté et intentionnel du droit dans un discours politique, et se définit comme un propos juridiquement aberrant, si possible contradictoire, et prononcé de mauvaise foi dans un but d’opportunité politique. En somme, invoquer le cache sexe du droit pour cacher les parties honteuses de la politique.Michèle Alliot-Marie, bien décidée à montrer que les Basques ne laisseront pas les Auvergnats comme Brice Hortefeux ou Rachida Dati monopoliser les prix Busiris

En ce jour, c’est donc avec plaisir que l’Académie Busiris décerne à Madame Alliot-Marie, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (je suppose qu’on est ministre des libertés comme on est ministre du travail pour s’occuper du chômage…) un deuxième prix Busiris pour les propos tenus ce matin sur France Inter, dans la matinale animée pour quelques jours encore par Nicolas Demorand, que je salue au passage.

Le ministre était interrogé sur la réforme de la procédure pénale, qui est enterrée comme tout le monde le sait sauf le Garde des Sceaux. Elle annonce que la réforme va être saucissonnée en quatre ou cinq morceaux, dont certains ne devraient pas pouvoir être votées avant la fin de la législature, mais ça ne veut pas dire que la réforme est enterrée, c’est juste qu’elle ne va pas être votée. Ces morceaux seraient : les principes généraux dont la garde à vue, l’enquête, les juridictions de jugement et l’exécution des peines.

Le prix Busiris n’est pas là mais une analyse rapide s’impose. Le premier volet va sans nul doute être présenté car le gouvernement a parfaitement conscience que le système français de garde à vue viole la Convention européenne des droits de l’homme, même s’il ne l’admettra jamais, fût-ce sous la torture. Les autres volets, j’en doute, car le deuxième inclut la suppression du juge d’instruction (j’y reviendrai car c’est là que se niche le Busiris). Et surtout, s’agissant des voies d’exécution, je ferai observer à la Garde des Sceaux qu’elle a fait adopter par le parlement une grande réforme en la matière, promulguée le 24 novembre 2009 (Loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire). 100 articles tout de même ; on se demande ce qui a été oublié pour qu’on ait trouvé 300 articles de mieux sept mois plus tard. Pour ceux qui croyaient que le législateur s’était calmé…

Le prix Busiris porte sur la question de la suppression du juge d’instruction. Voici le verbatim, dressé par le greffier en chef de l’Académie Busiris. Les propos en italiques entre parenthèses sont des commentaires de votre serviteur.


Nicolas Demorand : Est-ce que le juge d’instruction sera supprimé ?

Michèle Alliot-Marie : Oui, parce que là, nous sommes dans une obligation européenne. Je vous le disais tout à l’heure, l’obligation européenne, c’est d’avoir un procès équitable (Sur ce point, c’est tout à fait exact : c’est l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dite convention européenne des droits de l’homme, CSDH). Le principe du procès équitable, c’est notamment que celui qui mène l’enquête n’est pas celui qui porte un jugement sur cette enquête. Et aujourd’hui, avec le juge d’instruction, nous avons un juge qui à la fois mène l’enquête et est juge de l’enquête. Donc même si ça ne concerne aujourd’hui que 3 ou 4% des enquêtes, nous ne sommes pas en conformité avec le droit européen.


Les bruits que vous entendez, ce sont les mâchoires des juges d’instruction et conseillers de chambres de l’instruction qui me lisent qui viennent de tomber sur leur clavier avant de rouler par terre.

Si je puis me permettre de souffler un conseil à madame le garde des Sceaux, avant de réformer le Code de procédure pénale, il peut être judicieux de le lire.

Le propos juridiquement aberrant est ici double : le juge d’instruction serait juge de l’enquête, et son existence serait contraire au droit européen.

D’une part, le juge d’instruction n’est pas juge de l’enquête. Le juge de l’enquête s’entend de celui qui juge de la légalité de celle-ci, et qui au besoin annule les actes faits en violation de la loi. Or l’article 170 du Code de procédure pénale donne compétence à la chambre de l’instruction, et à elle seule, pour prononcer cette nullité.

En toute matière, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté.

C’est une question-piège classique en oral de procédure pénale (n’est-ce pas, amis étudiants qui planchez ?). Si le juge d’instruction estime qu’un acte de l’instruction est nul, que ce soit un acte de l’enquête de police (un interrogatoire de garde à vue fait avant notification des droits par exemple), voire un de ses propres actes (un acte d’enquête sur des faits dont il n’est pas saisi), il doit demander à la chambre de l’instruction de les annuler, il ne peut en aucun cas le faire lui-même. Ce même droit appartient au procureur, et aux parties (mis en examen, partie civile), et même au témoin assisté qui n’est pas partie à l’instruction au sens strict.

Le seul acte qui échappe (relativement) à la compétence de la chambre de l’instruction est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, puisque le mis en examen devenu prévenu par l’effet de cette ordonnance ne peut pas la contester devant la chambre de l’instruction ; mais il peut le faire devant le tribunal correctionnel, second juge de l’enquête, puisqu’il peut annuler cette ordonnance (et renvoyer le dossier au juge d’instruction, art. 385 du CPP) et même à son tour ordonner des mesures d’instruction supplémentaires s’il estime l’instruction insuffisante.

Un reproche qui peut être fait au système actuel est de porter directement ce contentieux devant la cour d’appel, faisant perdre un degré de juridiction. On peut imaginer un recours en nullité de l’instruction en première instance devant un juge du tribunal, un JLD par exemple. Mais il est faux de dire que le juge d’instruction est juge de l’enquête, faute de pouvoir juridictionnel sur ce point.

On pourrait objecter que le juge d’instruction juge de l’opportunité d’effectuer tel ou tel acte, puisqu’il peut refuser d’effectuer un acte demandé par une des parties. À cela je répondrai que dans ce cas, le juge d’instruction ne juge pas l’enquête mais mène l’enquête en décidant de l’utilité d’un acte. Ce refus peut d’ailleurs être contesté devant la chambre de l’instruction, qui en cas d’annulation du refus peut même décider de confier l’enquête à un autre juge d’instruction (art. 207 du CPP). Les officiers de police judiciaire agissant en enquête de flagrance ont ce même pouvoir, en encore plus absolu puisqu’ils ne peuvent pas être saisis par le suspect ou la victime d’une demande d’acte dont il pourrait être fait appel. Faut-il supprimer les officiers de police judiciaire ?

D’autre part, dire que le droit européen exigerait la suppression du juge d’instruction est aussi faux qu’une prévision de déficit en France.

La cour européenne des droits de l’homme vient même de dire exactement le contraire le 29 mars 2010 dans l’arrêt Medvedyev c. France rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire dite du “Winner” dont je vous avais parlé ici.

Rappelons que dans cette affaire, la France avait d’abord été condamné pour avoir placé en garde à vue à leur arrivée à Brest des marins déjà confinés à leur bord depuis 13 jours, la Cour ayant estimé que le parquet n’était pas une autorité judiciaire au sens de la Convention apte à contrôler la légalité de cette mesure. En appel devant la Grande Chambre, la France a obtenu que cette condamnation soit annulée, en démontrant qu’en réalité, il n’y avait pas eu de garde à vue, mais que les marins avaient été directement présentés… à un juge d’instruction, qui lui, est une autorité judiciaire apte à contrôler de la légalité d’une mesure de garde à vue.

Et chers concitoyens, admirez avec quel cynisme le Gouvernement vous ment puisque voilà ce que le même Gouvernement, représenté devant la Cour notamment par l’adjoint du directeur des Affaires civiles et des grâces (DACG) au ministère de la Justice, et le chef du département des Affaires contentieuses au ministère de la Justice, donc autant vous dire que ce dossier est passé par le bureau du Garde des Sceaux lui-même, voilà ce que ce Gouvernement disais-je à soutenu devant la Cour (je graisse) :

§ 114. Le Gouvernement estime, s’agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, que si la Cour a jugé qu’un procureur ou un autre magistrat ayant la qualité de partie poursuivante ne pouvait être considéré comme un « juge » au sens de l’article 5 § 3, une telle hypothèse ne correspond aucunement au juge d’instruction. Ce dernier est un juge du siège, totalement indépendant, qui a pour mission d’instruire à charge et à décharge sans pouvoir, ni exercer des actes de poursuite, ni participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites. En outre, le juge d’instruction français surveille toutes les mesures privatives de liberté prises dans les affaires dont il a la charge et il peut y mettre fin à tout moment, qu’il s’agisse de garde à vue ou de détention provisoire. S’il doit saisir le juge des libertés et de la détention lorsqu’il envisage un placement en détention provisoire, il dispose en revanche de tout pouvoir pour remettre une personne en liberté ou la placer sous contrôle judiciaire. Le Gouvernement rappelle que la Cour a déjà jugé que le juge d’instruction remplit les conditions posée par l’article 5 § 3 (A.C. c. France (déc.), no 37547/97, 14 décembre 1999).

Ce qu’effectivement la Cour admet sans difficulté dans l’arrêt (§128) : « les juges d’instructions (…) sont assurément susceptibles d’être qualifiés de “ juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ” au sens de l’article 5 § 3 de la Convention. »

Oui, chers amis, vous avez bien lu. Devant la Cour, le Gouvernement sait, références jurisprudentielles à l’appui, que le juge d’instruction est conforme au droit européen. Au micro de France Inter, il vous dira exactement le contraire pour justifier sa réforme.

Voilà qui établit la mauvaise foi, puisque Michèle Alliot Marie sait qu’elle ment, et l’opportunité politique, puisque la réalité juridique est foulée au pied pour prétendre qu’une réforme est une nécessité alors qu’il ne s’agit que d’un choix politique non assumé.

En conséquence, le prix Busiris est attribué à Madame le Garde des Sceaux, au son des tambours et des vuvuzelas.


Annexe : le corpus delicti. Les propos primés sont à la sixième minute.

samedi 12 juin 2010

Le jugement condamnant Brice Hortefeux pour injure raciale

Voici le texte, commenté par votre serviteur, du jugement rendu par la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris le 4 juin 2010 condamnant Brice Hortefeux pour injure raciale, en la requalifiant d’injure raciale non publique (qui n’est pas un délit mais une simple contravention).

Il commence tout d’abord la synthèse des arguments des parties.

On apprend ainsi que l’action a été lancée par le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), et que se sont jointes à son action (on appelle cela intervenir) les associations Soutien Ô Sans-papiers (SOS), l’association AVER “Centre de Recherche et d’Action sur toutes les Formes de Racisme” (AVER), et l’association Les Indigènes de la Républiques (LIR).

La loi permet en effet aux victimes directes d’une infraction de mettre elle-même en mouvement l’action publique concurremment au Parquet, ainsi que, pour toute une série de délit, à des associations dont c’est l’objet social et qui ont au moins cinq années d’ancienneté. S’agissant des délits de diffamation, d’injure et d’incitation à la haine raciale, c’est l’article 2-1 du Code de procédure pénale (CPP). La partie civile qui met en mouvement l’action publique doit préalablement verser une consignation, une somme fixée par le juge saisi pour garantir le paiement d’une éventuelle amende civile pour action abusive. Faute de quoi, son action est irrecevable. Art. 392-1 du CPP. Les parties civiles intervenantes, elles, n’ont pas à consigner.

Les demandes du MRAP

…Le tribunal a entendu :

Le conseil du MRAP qui, développant ses conclusions écrites, a sollicité la condamnation du prévenu à payer au MRAP une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec versement provisoire, outre la publication intégrale du dispositif du jugement à intervenir dans trois quotidiens ou périodiques de son choix aux frais de Brice Hortefeux, et une somme de 3 588 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

La position du parquet

Le ministère public en ses réquisitions, d’avis que l’un des deux propos visés à la prévention relevait de l’incrimination d’injure à raison de l’origine, mais que la responsabilité pénale de Brice Hortefeux ne saurait être engagée, faute que soient établis, compte tenu notamment de la valeur probante incertaine des documents vidéos dont se prévaut la partie civile et des circonstances dans lesquels l’échange entre personnalités de l’UMP et militants a été capté puis diffusé, l’élément de publicité qui caractérise le délit et, en tout état de cause, l’intention de leur auteur que les propos reprochés soient entendus au-delà du cercle restreint et amical de sympathisants liés entre eux par une communauté d’intérêts,

La position de la défense

la défense qui a souligné l’insuffisante valeur probante des documents audiovisuels versés aux débats au soutien de la prévention, l’absence de caractérisation du délit, compte tenu notamment de l’aspect décousu de l’échange tel qu’il peut être perçu et dans lequel Brice Hortefeux n’évoque à aucun moment un groupe de personnes déterminées par leur origine, l’absence de toute publicité, les propos ayant été tenus entre militants d’un même mouvement politique qu’une caméra dissimulée a subrepticement surpris, l’absence, en tout état de cause, de toute intention de publicité, eu égard au “comportement trouble et déontologiquement tendancieux” du cameraman, et qui s’est prévalue de nombreux témoignages ou déclarations récusant toute tendance ou tentation raciste de Brice Hortefeux et faisant état de nombreuses initiatives de sa part aux fins de lutter contre toute forme de racisme ou de discrimination, pour solliciter la relaxe.

La défense de M. Hortefeux estime que les preuves sont insuffisantes, ce qui ne mange pas de pain, tout l’objet de l’audience est précisément d’apprécier les preuves produites ; qu’en tout état de cause, les propos litigieux sont décousus et en somme ne voudraient rien dire, ce qui n’est pas un délit ; que les propos n’ont pas été tenus publiquement au sens de la loi de 1881 sur la presse (j’attire votre attention sur ce point, car la défense va l’emporter sur cet argument), et que M. Hortefeux ne serait pas raciste comme en témoignerait ses amis et actions. Ce dernier argument est inopérant juridiquement mais peut être important pour le prévenu. La loi ne sanctionne aucune idée ou opinion, aussi abjecte fût-elle. C’est l’expression de cette opinion qui est sanctionnée. Un raciste authentique peut échapper à la condamnation en pesant ses mots, tandis qu’un anti-raciste tout aussi authentique peut malgré tout être condamné, comme l’a découvert à ses dépens l’humoriste Patrick Sébastien, condamné en 1995 pour un sketch où il imitait Jean-Marie Le Pen chantant un pastiche de la chanson de Patrick Bruel “Casser la voix”, rebaptisée “casser du noir”.

En outre, elle soulève deux arguments de procédure que nous allons voir tout de suite.

Sur l’exception de nullité

La défense excipe de la nullité de la citation directe au motif qu’elle a été délivrée au ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, place Beauvau à Paris et non, comme l’exigent les dispositions des articles 550 à 558 du code de procédure pénale, au domicile personnel du prévenu situé dans le Puy-de- Dôme.

La loi de 1881 sur la liberté de la presse pose des règles de procédure très strictes qui sont autant de protection à a liberté d’expression. L’une d’entre elle est que l’auteur des propos poursuivis soit cité, c’est à dire reçoive la convocation par huissier à son domicile personnel et non en un autre lieu, par exemple sur son lieu de travail. Or le MRAP a fait délivrer sa citation Place Beauvau, au ministère de l’intérieur. La défense ajoute que cela créerait une ambigüité sur le point de savoir si Brice Hortefeux était cité en tant que ministre ou en tant que personne privée, ce qui nuirait à sa défense. Réponse du tribunal, qui écarte l’argumentation :

C’est à juste titre cependant que la partie civile poursuivante, qui justifie au demeurant par une note en délibéré -qui n’a pas été factuellement contestée- que Brice Hortefeux dispose d’un logement de fonction au sein du ministère de l’Intérieur, où il réside habituellement, soutient que ce dernier pouvait régulièrement être cité à cette adresse, laquelle, compte tenu des fonctions qui sont les siennes, constitue une résidence revêtant les caractères de certitude et de stabilité qui lui confèrent, durant tout le temps d’exercice de ses fonctions ministérielles, la qualité de domicile, au sens de l’article 556 du code de procédure pénale.

Il sera au demeurant relevé que l’article 555 du même code fait obligation à l’huissier de “faire toutes diligences pour parvenir à la délivrance de son exploit à la personne même de son destinataire”, ce qui pouvait naturellement justifier, s’agissant d’un ministre en fonctions, que l’acte fût délivré à l’adresse du lieu d’exercice de la charge publique qui lui a été confiée -où il a été remis à son chef de cabinet-, le prévenu ayant d’ailleurs établi le pouvoir, appelé à être remis au tribunal, autorisant son conseil à le représenter aux audiences sur papier en-tête du ministère de l’Intérieur, place Beauvau à Paris, attestant ainsi la réalité de cette domiciliation.

Ça, c’est un beau #FAIL, comme on dit sur Twitter. Quand on prétend que son domicile n’est pas le ministère de l’intérieur (ce qui est possible, on sait qu’aujourd’hui, le domicile réel est distinct du logement de fonction, qui n’est pas forcément occupé par le titulaire de la fonction), on évite d’utiliser du papier à en-tête du ministère de l’intérieur pour sa correspondance privée.

Enfin, le grief allégué en défense tenant à l’ambiguïté, qu’aurait suscitée la délivrance de l’acte au ministère de l’Intérieur, sur la qualité en laquelle Brice Hortefeux était poursuivi devant le tribunal correctionnel est inopérant, cette juridiction étant dépourvue de compétence pour statuer sur des poursuites engagées contre des ministres à raison de faits commis en cette qualité dans l’exercice de leurs fonctions.

Aussi, le moyen de nullité sera-t-il rejeté.

Le tribunal rappelle que la Constitution a crée la Cour de Justice de la République pour juger les ministres pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Donc le fait que M. Hortefeux soit cité devant un tribunal de droit commun lève toute ambigüité : c’était forcément en qualité de personne privée. L’auteur approuve.

Sur le moyen d’irrecevabilité opposée à la partie civile poursuivante :

La défense soulève un deuxième argument : l’article 48-1 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse impose aux associations anti-racistes exerçant les droits de la partie civile dans le cadre d’une infraction visant un individu isolément de justifier avoir reçu l’accord de ce dernier. Or, Amine, le militant UMP un peu trop auvergnat, n’a pas donné son accord pour de telles poursuites.

Réponse du tribunal :

C’est vainement que la défense se prévaut des dispositions de l’article 48-1, deuxième alinéa, qui subordonnent la recevabilité des associations légalement habilitées à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne, notamment, l’infraction d’injures publiques envers des personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, à la justification de l’accord des personnes concernées, alors qu’une telle condition n’est faite que lorsque ” l’infraction poursuivie a été commise envers des personnes considérées individuellement” et non lorsque l’injure alléguée est poursuivie, comme en l’espèce, pour avoir été commise à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine.

Les arguments procéduraux étant écartés, le tribunal est valablement saisi et doit statuer sur la prévention. Place aux arguments de fond, tels qu’annoncés.

Sur la valeur probante des enregistrement audiovisuels produits au soutien des poursuites et la matérialité des propos poursuivis

L’argumentation du tribunal est longue mais se passe de tout commentaire. C’est le tribunal qui graisse.

Deux extraits vidéos ont été versés aux débats de la scène litigieuse, d’une durée inégale, mais manifestement tous deux issus de la même source et provenant des mêmes prises de vues et de son.

Le MRAP a, par ailleurs, fait constater par huissier, le 15 avril 2010, la présence sur le site internet “le monde.fr” de la vidéo dont la chaîne télévisée Public Sénat a revendiqué la paternité en la diffusant dans son intégralité le 11 septembre 2009, laquelle, intitulée “18h00: Hortefeux, la vidéo de Public Sénat”, a été gravée par l’huissier sur CD Rom, versée aux débats et visionnée à l’audience.

On y voit la présentatrice du journal de la chaîne Public Sénat annoncer la diffusion de ce document en ces termes : “Public Sénat a été témoin de cette scène. Nos équipes l’ont enregistrée Nous vous proposons ce soir de voir la scène en intégralité” avant de préciser : ” D’après nos journalistes qui ont assisté à la scène, Brice Hortefeux vient d’arriver à Seignosse sur le site du Campus de l’UMP pour le cocktail qui lance la traditionnelle soirée du samedi soir Il est aux environs de 20h” et d’ajouter, en commentant les images où l’on voit Brice Hortefeux deviser avec Jean-François Copé : “Une discussion inaudible par notre caméra”.

L’authenticité de ce document, il est vrai de qualité d’image et de son médiocre, n’est pas sérieusement contestable, compte tenu de la nature et de la qualité de la source et des précisons livrées par la chaîne Public Sénat aux téléspectateurs sur les circonstances du tournage par ses propres journalistes.

Il sera relevé, en outre, que la chaîne Public Sénat n’a jamais contesté l’authenticité des copies de son reportage disponibles en ligne sur plusieurs sites internet, parmi lesquels “lemonde.fr” -depuis lequel la version produite à l’audience a été gravée par huissier, à la diligence du MRAP-, excluant ainsi l’hypothèse, évoquée en défense et plus allusivement par le ministère public, d’une manipulation du son ou des images qui rendrait incertaine la matérialité des propos tenus.

La scène filmée a lieu lors de la rencontre annuelle organisée par les “Jeunes du Mouvement Populaire”, dénommée “Le Campus de l’UMP”, le samedi 5 septembre 2009, à Seignosse dans les Landes.

Brice Hortefeux bavarde, sur le campus, avec Jean-François Copé, sans que la conversation entre les deux hommes ne soit audible. Quelques personnes s’approchent de ces derniers et un jeune homme se détache d’un groupe pour demander au ministre s’il accepterait de poser à son côté pour une photographie.

Brice Hortefeux répond plaisamment “Non, parce que passé vingt heures, je ne suis plus payé”, ce qui provoque cette réflexion amusée de >Jean-François Copé : “N’oubliez jamais un truc, il est Auvergnat”, qui est suivie par l’échange suivant :
Brice Hortefeux : Je suis Auvergnat.
Jean-François Copé : Il est Auvergnat, c’est un drame. C’est un drame.
Brice Hortefeux : Enfin, bon, je vais faire une exception!

Le jeune homme prend alors place entre les deux hauts responsables de l’UMP, tandis que son prénom, ” Amine” , fuse à plusieurs reprises au sein du groupe, plusieurs personnes, munies d’appareils photos, profitant manifestement de l’instant pour prendre elles-mêmes un cliché de la scène.

C’est alors qu’un des participants s’exclame “Ah, ça Amine, c’est l’intégration, ça, c’est l’intégration” tandis qu’on entend une voix d’homme féliciter le jeune homme “Oh, Amine, bravo !” et une voix de femme dire “Amine, franchement …

Le ministre, de dos à la camera, fait une remarque sur la taille du militant (“Il est beaucoup plus grand que nous en plus”), puis un homme précise “Lui, il parle arabe, hein”, déclenchant quelques rires qui font dire à Jean-François Copé, blagueur, “Ne vous laissez pas impressionner, ce sont des socialistes infiltrés”.

La caméra contourne le groupe qui paraît se disloquer, une fois les photographies prises, et dorme à voir très distinctement, en un plan plus rapproché, une main de femme qui caresse affectueusement la joue du jeune hommes tandis qu’une autre, qui se trouve immédiatement à côté du ministre, ce dernier à cet instant de trois quarts dos à la caméra, précise : “Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière”, à quoi Amine B… (c’est le nom du militant en question) réplique : “Ben oui”, avant que Brice Hortefeux lance à la cantonade: “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, déclenchant à nouveau des rires.

Passons pudiquement sur l’injure à la langue française, le ministre confondant prototype et archétype.

La même militante, qui se trouve face au ministre, celui-ci toujours de trois quarts dos à la caméra, lui dit en le regardant : “C’est notre… c’est notre petit arabe”, ce à quoi Brice Hortefeux réplique, en regardant son interlocutrice : “Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”, avant de prendre congé du groupe par ces mots “Allez, bon, courage, hein”.

Seuls les propos ci-dessus reproduits en caractères gras sont poursuivis.

En dépit de la médiocre qualité de cet enregistrement, où Brice Hortefeux se trouve toujours de trois quarts dos, ignorant manifestement la caméra, l’enchaînement des propos échangés, comme la teneur de ceux qui sont proférés par les différents acteurs de la scène, ne sont susceptibles de contestation ni sur leur matérialité ni sur leur imputabilité.

Le tribunal porte ici une appréciation catégorique : tout argument visant à prétendre que ces propos n’ont pas été réellement tenus est sans fondement, car ils ne font aucun doute dans leur teneur et dans leur contexte. Demeure une question : sont-ils injurieux en raison de l’origine des personnes visées ? Voilà le cœur de la décision, et l’analyse est minutieuse.

Sur le caractère injurieux à raison de l’origine des propos poursuivis

Il sera rappelé que l’injure est définie, par l’article 29 , alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait” et qu’elle est plus sévèrement punie lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes “à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou encore, dans un autre registre, à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

La vidéo diffusée par la chaîne Public Sénat établit à l’évidence qu’en s’exclamant “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, Brice Hortefeux réplique à une militante qui venait de préciser que le jeune Amine, dont il avait été précédemment indiqué qu’il parlait arabe, était catholique, mangeait du cochon et buvait de la bière.

L’emploi du mot “prototype” appliqué à une personne - en l’espèce le jeune militant de l’UMP dont le groupe qui entoure Brice Hortefeux souligne l’origine arabe supposée-, déjà malheureux et incongru en lui-même [Ah, merci de relever d’office - NdEolas], laisse entendre que tous les Arabes de France seraient semblables, nécessairement musulmans et qu’ils se conformeraient tous aux prescriptions de l’Islam, seul le jeune Amine faisant exception.

Le propos peut surprendre par la généralisation à laquelle il procède et choquer, au regard du principe républicain de laïcité, par l’assignation qu’il opère entre un groupe de personnes défini par leur origine et telle religion ou telles pratiques religieuses déterminées, supposées constituer un élément d’identification du groupe en tant que tel et, nécessairement quoique implicitement, de différenciation de ce groupe du reste de la communauté nationale.

De nature à flatter le préjugé ou à favoriser les idées reçues, il est à tous égards contestable. Mais il ne saurait être regardé comme outrageant ou traduisant du mépris à l’égard des personnes d’origine arabe, auxquelles seule une pratique religieuse, de libre exercice, est imputée, le serait-elle abusivement ou inexactement.

S’agissant du second propos reproché, il n’est pas douteux, en dépit des premiers éléments d’explication qui ont pu être donnés tant par Brice Hortefeux que par le jeune militant de l’UMP, Amine B…, le premier ayant un temps soutenu qu’il évoquait les Auvergnats, le second que seuls les photographes de presse étaient visés, que la phrase “Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes” se rapporte aux personnes d’origine arabe.

L’enregistrement de Public Sénat est sans ambiguïté sur ce point : l’échange provoqué par l’initiative du jeune Amine qui souhaite poser pour une photo aux côtés du ministre suscite depuis quelques instants les exclamations du groupe qui hèle son prénom, précise qu’il parle arabe, qu’il n’est pas comme les autres, jusqu’à ce qu’une militante s’adressant à Brice Hortefeux lui glisse la phrase “C’est notre… c’est notre petit arabe”, laquelle suscite aussitôt la réplique du ministre, qui ne se rapporte à rien d’autre.

L’affirmation ainsi proférée, sous une forme lapidaire qui lui confère un caractère d’aphorisme, est incontestablement outrageante, sinon méprisante, pour les personnes concernées, qui -à la différence du propos précédent- ne se voient pas seulement exclusivement définies par leur origine, indépendamment de ce que postule le libre arbitre ou de ce qui fait une individualité, la singularité d’un parcours, les qualités ou les défauts d’un caractère, mais sont présentées comme facteur de “problèmes”, soit négativement, du seul fait de leur origine, laquelle révélerait une essence commune dans les limites de laquelle il conviendrait de les enfermer.

Ainsi exprimé, le propos ne se réfère à aucun fait précis, il souligne sinon une menace, du moins une difficulté ou une préoccupation d’ordre général, en ne l’imputant à rien d’autre qu’à l’origine réelle ou supposée des personnes, et à leur nombre.

Il est punissable aux termes de la loi, dès lors qu’il vise indistinctement un groupe de personnes non autrement identifiées que par un des éléments énoncés par l’article 33, alinéas 3 ou 4, de la loi du 29 juillet 1881 : origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou encore sexe, orientation sexuelle, handicap. Il le serait, sous cette forme (“Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”), pour tout autre groupe de personnes défini par un quelconque des critères, énoncés par la loi, de détermination du groupe des personnes à protéger (les juifs, les noirs, les catholiques, les femmes, les homosexuels, les non-voyants, etc.). Il l’est, en l’espèce, pour toutes les personnes d’origine arabe,

Je ne pense pas que cette partie du jugement appelle de commentaire. Elle est aussi claire que solidement étayée.

Point suivant, où la défense va enfin remporter une victoire ; la question de la publicité. Le tribunal l’explique fort bien lui même. Laissons-lui la parole.

Sur le caractère public ou non public du propos en cause

Il n’est d’injures publiques, aux termes de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, que si les propos ont été “proférés dans des lieux ou réunions publics“et si la preuve est rapportée de l’intention de leur auteur qu’ils soient entendus au-delà d’un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité.

À défaut, la loi punit les injures non publiques de peines contraventionnelles. Enfin, les propos revêtant un caractère confidentiel ne sont pas punissables.

Voilà la règle rappelée, le tribunal va à présent l’appliquer aux faits.

Il sera relevé, en l’espèce, que le propos reproché a été tenu lors d’un échange informel de Brice Hortefeux et Jean-François Copé, au ton badin et décontracté, avec des militants, seuls invités au Campus de l’UMP, lequel était toutefois ouvert à des équipes de journalistes manifestement autorisées par les organisateurs à œuvrer à leur guise pour rendre compte de ces rencontres. La scène se déroule dès lors en un lieu “privatisé” mais ouvert à la presse.

Les images témoignent d’une atmosphère manifestement à la détente, et le groupe d’une quinzaine de personnes qui fait cercle autour du ministre, lorsque le jeune militant UMP sollicite d’être pris en photo à ses côtés, est manifestement un groupe de connaissances : plusieurs d’entre elles se munissent d’appareils photos pour immortaliser l’événement, nombreuses sont celles qui appellent Amine par son prénom, ou évoquent tel ou tel aspect de sa personnalité.

Aucun élément résultant de ces images - seules produites au soutien des poursuites- n’atteste la présence d’un tiers étranger à la communauté d’intérêts que constitue à cet instant ce regroupement de militants qui partagent les mêmes convictions et témoignent de leur sympathie pour le ministre, hors la caméra, que manifestement ce dernier ne voit pas, l’ensemble de la scène le montrant de dos ou de trois quarts dos à l’objectif.

Au demeurant, ce dernier s’exprime sur le ton de la conversation et, s’agissant en particulier du propos retenu comme injurieux, à une militante à laquelle il répond en se tournant vers elle. Ni le niveau de la voix, ni l’attitude de Brice Hortefeux ne révèlent alors l’intention d’être entendu par d’autres que ce cercle de proches, ce dont témoigne d’ailleurs le fait que les auteurs du reportage ont dû incruster la transcription littérale du propos en bas d’image pour qu’il soit parfaitement compréhensible.

En cet état, l’élément de publicité qui caractérise le délit d’injure publique à raison de l’origine ne saurait être regardé comme établi.

Pour autant, l’échange était exclusif de tout caractère confidentiel, et sa révélation dépourvue de toute immixtion fautive dans un domaine protégé, s’agissant du propos d’un responsable politique de premier plan, tenu lors d’un échange avec des militants, dans une enceinte où des journalistes peuvent être présents.

Il sera relevé à cet égard, compte tenu des commentaires dont ce point a fait l’objet à l’audience, qu’il ne saurait être reproché à un journaliste invité à suivre une rencontre de nature politique de faire son travail et de souhaiter informer le public de la teneur des propos échangés en une telle occasion par l’un des principaux responsables d’un parti avec des sympathisants, dès lors que, par leur nature ou par leur tonalité, leur relation contribue à la légitime information du public sur ce dirigeant, exempte de toute immixtion attentatoire à ses droits de personne privée.

La meilleure défense, c’est l’attaque, disent les mauvais stratèges. La défense de Brice Hortefeux a donc tenté de faire le procès des journalistes suivant le ministre et ayant rapporté les propos tenus. Cela dit, elle n’a pas tort : tout le problème vient du fait, non pas que les propos aient été tenus, mais que les journalistes les aient rapporté. Fichue presse libre.

Le prévenu ne saurait cependant, en un tel cas, être pénalement comptable de la publicité faite à un propos non destiné à être rendu public.

Là aussi, rien à redire. Il est certain que le ministre ne voulait pas que ces propos fussent rapportés au public

Par conséquent, le délit reproché d’injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine sera requalifié en contravention d’injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, incriminée par l’article R 624-5 du code pénal qui la punit de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

Le tribunal ayant qualité pour requalifier l’infraction poursuivie et disposant de la compétence territoriale pour le faire, compte tenu de ce qui a été dit de la “résidence”, au sens de l’article 522 du code de procédure pénale, de Brice Hortefeux à Paris, ce dernier sera retenu dans les liens de la prévention et condamné à la peine d’amende de 750 euros.

C’est à dire au maximum, ce qui n’est pas innocent, sans jeu de mot. D’ailleurs, le tribunal a gardé un clou pour enfoncer dans le cercueil, vous allez voir.

Place aux parties civiles.

Sur l’action civile

L’article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse réserve les droits reconnus à la partie civile, s’agissant des infractions d’injures envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, aux seules associations qui se proposent par leurs statuts d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse” régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits.

Le MRAP [Fondé en 1949 - NdEolas] est dès lors recevable en sa constitution de partie civile.

C’est vainement que les parties civiles intervenantes font valoir que la condition d’ancienneté exigée des associations pouvant se constituer partie civile serait contraire à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en ce qu’elle limiterait leur accès au juge, alors que ce dernier se trouve au contraire facilité par la reconnaissance à certaines associations, aux côtés du ministère public et des victimes directes de l’infraction, du droit de mettre en mouvement l’action publique et d’intervenir au procès alors même qu’elles ne justifieraient d’aucun préjudice personnel autre qu’une atteinte à l’intérêt collectif qu’elles représentent, la condition d’ancienneté contestée n’ayant d’autre objet, compte tenu de la nature de telles prérogatives, que de s’assurer de la réalité et du sérieux de leur objet social.

Il en résulte que les associations “Soutien ô sans papiers”, déclarée en préfecture le 17 octobre 2007, et “Les Indigènes de la République”, déclarée en préfecture le 20 décembre 2005, soit moins de cinq ans avant les faits poursuivis, sont irrecevables.

L’objet social du “Centre de Recherche et d’Action sur toutes les Formes de racisme”, déclaré en préfecture le 19 juin 2000 et satisfaisant donc à la condition d’ancienneté de 5 ans exigée par la loi, est insuffisamment précis et univoque (“observer, répertorier, documenter et analyser les manifestations de discrimination fondée sur l ‘appartenance ethnique, sociale ou autre ceci afin d ‘établir les fondements d’une recherche systématique sur les mécanismes en jeu et de tenter de dégager des contre-mécanismes de défense et de prévention à l’intention des personnes susceptibles d’être victimes de ces diverses formes de racisme”) pour satisfaire aux prescriptions de l’article 48-1 de la loi, lequel exige seulement que l’association ait, notamment, pour objet statutaire d’assister les victimes de discrimination, ce que ces statuts ne prévoient pas explicitement. Aussi sera-t-elle déclarée irrecevable.

Faites rédiger vos statuts par un avocat. Ça vaut les honoraires, je vous assure. Là, c’est moi qui graisse.

Voici le dernier clou dans le cercueil dont je vous parlais. Lisez bien ce paragraphe, et demandez vous dans combien de pays démocratiques un ministre en exercice qui se verrait condamné en ces termes pour des faits commis alors qu’il était déjà en fonction pourrait rester en fonction.

Compte tenu de la nature du propos en cause qui instille l’idée auprès de militants politiques que le seul fait d’être “arabe” constitue un problème tout au moins quand “il y en a beaucoup, contrevient directement à l’objet social d’une association telle que le MRAP, et eu égard à l’autorité susceptible de s’y attacher, au vu de la qualité de responsable politique de premier plan de son auteur, par ailleurs en charge d’éminentes fonctions ministérielles, Brice Hortefeux sera condamné à payer à la partie civile une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L’effet délétère sur le lien social d’un tel propos, quand il est tenu par un responsable de si haut niveau, justifie qu’il soit fait droit à une mesure de publication judiciaire dans les termes retenus au dispositif.

Il sera fait droit, en outre, à la demande d’indemnité pour frais de procédure présentée par le MRAP.

La messe est dite.

Un petit mot car visiblement, des éléments de langage ont été distillés aux militants UMP pour rappeler sans cesse qu’il a été fait appel de cette décision et de rappeler l’existence de la présomption d’innocence du ministre.

La présomption d’innocence est avant tout une règle de preuve en matière pénale : ce n’était pas à Brice Hortefeux de démontrer son innocence, mais au MRAP de démontrer la culpabilité de celui-là. Point. L’appel de M. Hortefeux empêche ce jugement de devenir définitif, et cette même règle de preuve s’appliquera en appel, mais à ceci près que pour espérer triompher, il devra également combattre l’argumentation du tribunal qui sera au cœur des débats. Ce n’est pas gagné. Le meilleur terrain est celui de la publicité, mais politiquement, c’est une bien piètre défense : “Oui, je l’ai dit, mais vous n’étiez pas censé l’entendre”. Un peu comme “Oui, j’ai piqué dans la caisse, mais ça ne compte pas, vous n’étiez pas censé le découvrir”…

L’article 9-1 du Code civil protège la réputation des personnes en invoquant la présomption d’innocence, et interdit de présenter une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites comme étant coupable, mais seulement avant toute condamnation. Je ne sais pas par quel perversion du raisonnement (même si c’est un peu la définition du militantisme) certains en arrivent à affirmer doctement qu’il serait interdit de dire qu’un condamné serait coupable, la présomption d’innocence devenant ainsi une présomption d’erreur judiciaire, et interdirait de faire état des éléments, ici accablants, ayant mené à cette condamnation. Épargnez-vous le ridicule, l’anonymat sur internet n’a jamais empêché quiconque de passer pour un idiot.

Laissez-ça aux ministres.

vendredi 11 juin 2010

Devine qui vient dîner ce soir ?

Revoilà donc la Coupe du Monde de football, qui commence dès ce soir pour l’équipe de France avec son premier adversaire, l’Uruguay (prononcer ourou - gouaille), officiellement République Orientale d’Uruguay. Elle tire son nom de la rivière Uruguay qui forme sa frontière occidentale avec l’Argentine.

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Le drapeau uruguayen ressemble quelque peu à celui de son voisin argentin, dont il partage les couleurs, bleues et blanc, couleurs des troupes indépendantistes lors des guerres contre l’Espagne, et le principal symbole, le sol de mayo, le soleil de mai, inspiré d’une représentation du dieu Inca Inti. Les neufs bandes bleues et blanches représentent les neuf départements originaux de l’Uruguay (ils sont 19 aujourd’hui), et visaient à imiter le drapeau américain, autre colonie ayant accédé à l’indépendance.

L’Uruguay a comme particularité d’avoir trois drapeaux. Outre celui-ci, le plus connu à l’international, l’Uruguay a également le drapeau d’Artigas et le drapeau des Trente Trois.

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Le drapeau d’Artigas est ainsi dénommé en l’honneur de José Gervasio Artigas (19 juin 1764- 23 septembre 1850), père de l’indépendance de l’Uruguay, et sert principalement aux forces armées. Le drapeau des Trente Trois, frappé de la devise du pays, “La Liberté ou la Mort”, rend hommage au débarquement des Trente Trois Orientaux le 19 avril 1825 sur la plage d’Agraciada et qui, après la déroute d’Artigas, soulevèrent la Province Orientale contre l’Empire du Brésil, déclenchant la guerre argentino-brésilienne (1825-1828) qui aboutit à la fondation de l’Uruguay.

Les bâtiments officiels uruguayens arborent les trois drapeaux.

L’équipe d’Uruguay de football est surnommée les Charruas, du nom d’un peuple indigène qui y fut massacré en 1831, ou les Célestes, du nom du bleu ciel de leur maillot. L’Uruguay n’est pas une petite équipe à prendre à la légère : ils arborent quatre étoiles sur leur symbole, car ils ont gagné deux coupes du monde (dont la toute première en 1930 et 1950) et deux tournois olympiques en 1924 et 1928, qui faisait office de coupe du monde avant sa création officielle en 1930). 100px-Uruguay_football_association.svg.png.

L’Uruguay ne s’est cependant pas qualifiée facilement. Elle a fini cinquième de la zone amérique du sud, et a dû disputer un match de barrage contre le Costa Rica. La France et l’Uruguay se sont affrontés cinq fois : deux victoires, deux matchs nuls, une défaite.

Alors, comme d’habitude, en trois mots comme en cent… ALLEZ LES BLEUS !

jeudi 10 juin 2010

Prix Busiris pour Brice Hortefeux

Le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a visiblement eu peur que le prix n’échappe à l’attention de l’Académie Busiris car c’est en présence des médias, lors d’un point presse, que Brice Hortefeux a tenu les propos primés aujourd’hui, et repris intégralement sur le site du ministère.Brice Hortefeux, rougissant de fierté à l'annonce de son prix, à moins que ce ne soit de sa condamnation pénale.

Le sujet s’y prête, il est vrai, puisqu’il s’agit de l’affaire nantaise de ce boucher aux multiples maîtresses dont une au moins conduit en niqab.

Voici le corpus delicti, le communiqué du ministre. Les flèches sont d’origine. J’ai anonymisé le nom de l’intéressé, ce blog ayant le statut de réserve où la présomption d’innocence jouit de la protection du statut d’espèce en voie de disparition.

→ Lorsqu’à la fin du mois d’avril j’ai été informé du comportement de Liès H., j’ai immédiatement demandé au préfet de la Loire-Atlantique de saisir l’autorité judiciaire pour que la vérité soit connue.

→ Une enquête approfondie a été menée par la police judiciaire. Je tiens à en remercier le directeur général de la police nationale, Frédéric PECHENARD, et le directeur central de la police judiciaire, Christian LOTHION, ainsi que les policiers qui ont concouru à cette enquête.

Le prix Busiris n’est pas là mais ceci mérite quand même que nous nous arrêtions. Nous avons un boucher nantais soupçonné d’avoir plusieurs compagnes simultanément. On en induit un soupçon de fraude aux allocations familiales. Aussitôt, car ils n’ont rien de plus urgents à faire, nous avons les trois plus hautes autorités policières de l’État, plus celle du département de Loire-Atlantique, qui se saisissent de l’affaire. Sachons-leur gré de ne pas avoir saisi dans la foulée le Conseil de Sécurité de l’ONU.

→Liès H. est désormais livré à la justice.

Je crois que ce “livré” se passe de tout commentaire.

→Il est mis en examen pour différents délits : travail dissimulé, aide au séjour irrégulier, fraudes aux prestations sociales, c’est-à-dire fraude à l’obtention indue de l’allocation de parent isolé et revenu de solidarité active, fausse déclaration à la caisse d’allocations familiales, escroquerie par l’emploi de manœuvres frauduleuses pour tromper la caisse d’allocations familiales et se faire remettre indument des prestations.

→Il est désormais placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter le territoire français.

→Les peines encourues sont lourdes – de l’emprisonnement et de fortes amendes. La justice décidera.

Voyons cela en détail.

Travail dissimulé : 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende (art. L.8224-1 du Code du travail).

Aide au séjour irrégulier, le délit de solidarité qui n’existe pas, vous vous souvenez ? 5 ans de prison et 30.000 euros d’amende (art. L.622-1 du CESEDA).

Fraude aux allocs : 5000 euros d’amende (art. L.114-13 du Code de la Sécurité Sociale).

Escroquerie : 5 ans de prison, 375.000 euros d’amende (art. 313-1 du Code pénal).

Les peines se cumulant dans la limite du maximum, on aboutit donc, s’il devait être reconnu coupable de tous les chefs de prévention, à un maximum de 5 ans et 375.000 euros (les peines de l’escroquerie, qui sont les plus lourdes tant pour l’emprisonnement que pour l’amende).

Effectivement, ça peut sembler de lourdes peines, quand l’injure raciale n’est punie que de six mois de prison et 22.500 euros d’amende. Question de perspective…

→Il ne s’agit pas, pour moi, d’un simple fait divers mais d’un fait de société.

Pour moi, il ne s’agit pas d’un fait de société, mais d’un être humain.

Au-delà de cette situation particulière, il y a aujourd’hui des dérives, que l’on ne peut accepter et en face desquelles l’on ne doit pas fermer les yeux.

Je les bloquerai,

Quel courage. Il va vraiment assumer seule cette responsabilité ou ouvrir le parapluie ?

je les bloquerai sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, en liaison avec le Garde des Sceaux, avec le Parlement.

Comprendre : si ça marche, c’est grâce à moi, si ça marche pas, ce sera leur faute.

Mais assez ri, place au prix Busiris. Voici la contradiction. Je n’ai rien oté au texte, les deux affirmations contradictoires se suivent d’aussi près, sans respecter les distances de sécurité. Je graisse.

→Concrètement, nous n’avons pas besoin de nouvelle loi. Il faut d’abord appliquer celles qui existent. Et il faut les adapter à la réalité de notre temps.

Heu, chef, comment on adapte une loi sans nouvelle loi ?

Vous me direz, sans doute souhaite-t-il qu’on applique une loi existante à une situation à laquelle on n’ose pas le faire pour des motifs obscurs ?

Voyez la suite, il insiste, le bougre.

Il faut faire évoluer notre droit pour pouvoir lutter plus fermement contre certains comportements – « polygamie de fait », perception injustifiée de prestations sociales – qui ne sont, aujourd’hui, pas suffisamment réprimées.

Le propos est clair : il s’agit de modifier la définition d’un délit (la polygamie) et d’aggraver des peines. Cela ne peut se faire que par une loi (art. 34 de la Constitution). La suite ne fera que le confirmer.

La définition que le code pénal fait de la polygamie n’est pas adaptée à la réalité d’aujourd’hui :

• la polygamie, c’est le fait de se marier civilement alors qu’on est déjà marié civilement ;

Rien à y redire, c’est la définition du Code pénal (art. 433-20). C’est après que ça se gâte.

• c’est une définition qui a pour conséquence que personne ou presque n’est juridiquement polygame en France : le droit ne tient pas compte des mariages religieux ni des situations de communauté de vie et d’intérêts qui constituent, en réalité, une « polygamie de fait », organisée pour qu’un homme vive des prestations sociales perçues par ses femmes ;

C’est absolument faux sur le premier point. Votre serviteur, par exemple, n’est marié que religieusement. Je n’ai pas mis un orteil dans une mairie, c’est un prêtre catholique qui m’a marié (dans une cathédrale, cela va de soi). Et pourtant, j’ai un acte de mariage visé par les autorités françaises et un beau livret de famille frappé du sceau de notre République.

C’est que le mariage religieux ou civil n’est juridiquement qu’une forme de célébration. Or la forme de la célébration dudit mariage est régie par les règles du pays où il a lieu. Or le pays dans lequel je me suis marié, l’Espagne, reconnaît comme valable le mariage catholique (ainsi que le juif et le musulman). Dès lors que je me suis marié conformément aux formes du droit espagnol, les autorités consulaires n’ont fait aucune difficulté pour transcrire mon acte de mariage sur les registres français. J’ai ainsi échappé à la visite médicale obligatoire, à la publication des bans, et j’aurais aussi échappé au honteux entretien préalable avec le maire s’il avait été en vigueur à l’époque.

Sur le second, le ministre ne fait qu’énoncer une tautologie : la polygamie ne peut qu’être de fait puisqu’elle est illégale ; il n’y a donc pas de polygamie de droit (sauf quand on est président de la république, bien sûr).

• cette « polygamie de fait » est pourtant une réalité : 16 à 20 000 familles, soit jusqu’à 180 000 personnes (enfants compris), vivraient, dans les faits, en situation de polygamie dans notre pays (d’après un rapport de Commission nationale consultative des droits de l’homme).

Là, je ne puis que rejoindre le ministre pour dénoncer le scandale des enfants qui vivent en situation de polygamie. Attendez la puberté, quoi.

Je veux que, demain, nous puissions protéger les femmes et les enfants qui sont sous l’emprise d’individus sans scrupule imposant un système organisé de contrôle et d’exploitation.

Il parle des ministres de l’intérieur ?

Je veux que, demain, nous puissions empêcher tout à la fois la polygamie et la perception injustifiée de prestations sociales qui y sont souvent liées.

Concrètement, pour en finir avec ces dérives, je proposerai au Président de la République et au Premier ministre des mesures d’adaptation du droit.

Mais pas de loi nouvelle. J’attends avec impatience de voir ce que ce sera. Un coup d’État ?

Décidément, le ministre est chaud bouillant, prêt pour le Busiris. Mais comme un champion cabotin, il fait durer le plaisir.

→ Faut-il aller plus loin en adaptant aussi le droit de la nationalité ? [Toujours sans loi nouvelle, hein - Note d’Eolas] Ce n’est pas une question taboue ! Lorsqu’un étranger acquiert la nationalité grâce à son mariage avec une Française et que, dans les années qui suivent, il vit dans une situation de polygamie de fait en abusant du système d’aides sociales, est-il normal qu’il conserve la nationalité française ?

Heu… C’est pas facile comme question. Heu… Oui ?

Ma réponse est non !

Zut ! Presque bon ! Bon, le public est en effervescence, voici venu le cœur du Prix Busiris, l’affirmation juridiquement aberrante :

L’acquisition de la nationalité, c’est un contrat.

Première énormité.

Et comme tout contrat, il peut être rompu.

Deuxième énormité.

En droit, un contrat est un accord de volonté né d’une offre et d’une acceptation conforme créant une ou plusieurs obligations. J’en ai déjà parlé à ma stagiaire. La nationalité est un lien de droit unissant une personne à un pays qui le reconnaît comme un citoyen. Elle naît de diverses façons, détaillées dans cet article. S’agissant de l’acquisition par mariage, ce n’est pas un contrat, c’est un droit,auquel l’État peut s’opposer pour défaut d’assimilation dans un délai d’un an suivant la déclaration (art. 21-2 du Code civil). Et il ne se gêne pas pour le faire à l’égard des musulmans intégristes. Mais une fois ce délai écoulé, c’est terminé, l’acquisition de la nationalité française est définitive. Il n’y a eu qu’une exception.

Enfin, un contrat ne peut légalement être rompu. C’est la base du droit, depuis les romains : pacta sunt servanda, qui en droit français estdevenu l’article 1134 du Code civil (le texte est d’origine, de 1804, et le mot convention est à prendre au sens de contrat) :

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Certes, la loi peut prévoir des causes de rupture de contrat (alinéa 2), mais il est faux d’affirmer que tout contrat peut être rompu : la rupture autorisée par la loi est l’exception.

Laissons le ministre terminer ce monument de sottise.

Rejoindre notre communauté nationale, ce ne sont pas seulement des droits, c’est aussi le devoir de respecter les règles fondamentales du pays d’accueil.

Par exemple, ne pas proférer d’injure raciale. Non, mauvais exemple, au temps pour moi, puisque dans ce cas, on peut rester ministre de l’intérieur.

→ Ce sont des questions difficiles. Mais je n’ai pas peur de les traiter.

Vu la difficulté réelle de ces questions, il sera permis d’émettre des réserves sur l’étendue réelle du courage du ministre.

Je n’accepte pas que des fraudeurs narguent tous ceux qui travaillent, tous ceux qui paient les cotisations sociales, tous ceux qui veulent s’intégrer.

Que tous ceux qui l’acceptent lèvent la main.

En effet, une question difficile qui demande du courage.

Ceux qui travaillent ou recherchent du travail, ceux qui paient les cotisations sociales, ceux qui veulent s’intégrer doivent être défendus et respectés.

Les fraudeurs, eux, doivent être punis.

Ils doivent bien le savoir : la puissance publique finit toujours par l’emporter.

Et ce même quand elle a tort.

La mauvaise foi du ministre se confond avec le mobile d’opportunité politique, qui consiste à exploiter jusqu’au trognon un fait divers mineur, en mobilisant un ministre, un préfet, et les deux plus hauts chefs de la police pour ensuite pavoiser devant les micros, en foulant au passage du pied la présomption d’innocence qui fait partie des règles fondamentales du pays d’accueil. J’ajoute que les leçons de rectitude morale de la part d’un ministre qui a été pénalement condamné moins d’une semaine auparavant me font penser à des leçons de pudeur données par une prostituée, en m’excusant auprès de ces dames de les comparer à un ministre.

Pour l’ensemble de ces motifs, le prix Busiris est attribué, pour la seconde fois, à Monsieur Brice Hortefeux, avec triple huées.

lundi 7 juin 2010

Plaidoyer pour une Coupe du Monde

Dans quatre jours, la Coupe du Monde de football va commencer. Je sais, ce n’est pas un scoop. D’autant qu’elle revient avec une régularité de métronome chaque fois que nous sommes à équidistance de deux années bissextile.

Comme tous les quatre ans, la même fièvre va s’emparer d’une bonne partie de l’humanité, et un agacement profond va saisir le reste d’icelle. Et je vais ouïr et lire les mêmes rengaines qui n’ont absolument rien de nouveau. Alors, c’est à cette part de l’humanité, du moins de mon lectorat que je souhaite m’adresser.

Loin de moi l’idée de prétendre, en un billet, vous faire aimer le football. Mon enthousiasme pour le ballon rond est d’une modération qui ferait passer le plus placide des centristes pour un dangereux exalté. Mais j’espère à tout le moins vous expliquer pourquoi cet événement est loin d’être dépourvu d’intérêt, et mérite au pire votre bienveillante indifférence.

Le football, au-delà de toutes les critiques que l’institution est devenue, et qui sont fondées (notamment son aspect économique démesuré, qui fait que la Coupe du Monde ne connaît in fine qu’un seul vainqueur : la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), reste un phénomène unique au monde de par son universalité.

Universalité car c’est sans doute le sport le plus pratiqué au monde, grâce à sa simplicité (il suffit d’un ballon pour jouer et de cinq minutes d’explication pour assimiler les règles, sauf celle du hors jeu, où il faut Bac+4) et à sa faible dangerosité (il n’y a en principe pas de contact physique).

Universalité aussi car c’est une compétition véritablement mondiale. Il n’est pas un pays, aussi modeste soit-il, qui ne puisse s’il le souhaite prendre part à cette compétition. En effet, 208 pays sont affiliées à la FIFA, soit 16 de plus qu’à l’ONU et 5 de plus que le Comité International Olympique (il n’y a que l’athlétisme qui ait plus de pays affiliés, avec 213.

Car cette coupe du Monde se passe en deux parties. La première partie, qui commence trois ans avant la deuxième, voit tous les pays qui s’alignent (cette année, quatre ont manqué à l’appel : les Philippines, le Laos, Brunei, et le Bhoutan) s’affronter par zones géographiques. Même la Palestine a une équipe de football qui a participé aux qualifications (malheureusement, elle a été éliminée suite à un forfait face à Singapour du fait du refus d’Israël de laisser sortir l’équipe, équipe dont trois joueurs ont été tués au cours de l’opération Plomb Durci ; vous voyez que le football illustre pleinement l’actualité). Passons sur les règles complexes de sélection, mais à la fin, il ne peut en rester que 32. C’est la deuxième partie qui va commencer le 11 juin.

Ces 32 équipes sont réparties en huit groupes de 4 équipes qui sont toutes s’affronter une fois, ce qui garantit trois matches à chaque équipe. Une victoire rapporte trois points de classement, un match nul, un point à chaque équipe, une défaite, zéro. Des ex aequo sont départagés à la différence de buts marqués contre buts encaissés. Les deuxièmes de chaque groupe affronteront des premiers d’autres groupes en une série de matchs où cette fois il n’y a plus de matchs nuls possible, une des équipes devant être éliminée à la fin du match, au besoin après les fameux tirs au but. On parle de huitièmes de finale, quarts de finales, demi- finales et la finale, qui sera jouée le 11 juillet.

Cette finale sera regardée partout dans le monde, y compris dans les monastères tibétains.

“La belle affaire”, me direz-vous. “L’humanité se passionne pour un événement futile qui est une perte de temps et une affaire de gros sous”.

Une affaire de gros sous, sans nul doute. Futile, certainement. C’est là précisément tout son intérêt.

Bien sûr, nous pourrions hypocritement souhaiter que l’humanité saisisse chaque seconde pour philosopher et disserter métaphysique. Mais il est bon aussi que l’humanité se passionne pour du futile. Ce qui serait mauvais serait qu’elle ne passionnât que pour du futile, et n’en déplaise aux plus pessimistes d’entre vous, on en est loin.

Mais là, oui, elle va se passionner pour cet événement qui au fond n’est qu’un jeu et c’est formidable.

C’est là la dernière universalité du football, et la plus belle. Car c’est un intérêt commun qui transcende les barrières sociales. Dans les bars, des inconnus commencent à discuter comme de vieux amis. Dans les commissariats, les soirs de match, les policiers donnent les scores aux gardés à vue. Un peu de fraternité républicaine entre hommes que tout sépare pourtant.

Alors, quand dans les jours qui viennent, vous entendrez passer en klaxonnant des voitures dans la rue, célébrant bruyamment la victoire de leur équipe (ça ne devrait pas trop vous déranger cette année), plutôt que de maugréer des remarques désobligeantes, haussez les épaules en souriant et partagez un peu de leur allégresse. Elle ne peut pas vous faire de mal.

En tous cas, j’implore votre patience, car de foot, je parlerai ici. Et des à-côtés, car il n’y a pas de bonne coupe du monde sans ses controverses (Ah, la main d’Henry, comme j’aurais aimé trouver le temps de faire ce billet sur l’arbitrage qui vous aurait expliqué en quoi la qualification de la France était valide et ne saurait être remise en question) et son lot d’injustice. On peut même parler droit.

En tout cas, je reprendrai mes “Devine qui vient dîner ce soir” pour présenter nos adversaires d’un soir, et ces billets seront, avec mon accord, repris sur Rue89.

Si cela vous insupporte, manifestez votre mécontentement de la manière la plus cruelle : ne lisez pas le billet et passez à autre chose. Inutile en tout état de cause de laisser un commentaire rageur sur le désintérêt que malgré mes explications cette coupe du Monde provoque chez vous. Car le désintérêt des autres pour ce genre de commentaires n’a rien à envier au vôtre.

Il va de soi que mes billets purement juridiques continueront pendant la Coupe. Alors un peu de patience et de tolérance. Notre République en a bien besoin. J’y reviendrai.

vendredi 4 juin 2010

Renatus

Cette année, le barreau de Paris fête une date importante, qui a par ricochet une importance certaine pour tous les avocats de France : le bicentenaire de son rétablissement par le décret impérial du 14 décembre 1810.

L’Ordre des avocats, et avec lui la profession d’avocat elle-même, avait en effet été supprimée par l’assemblée Constituante par la loi des 16 août et 2 septembre 1790 (qui abolissait les corporations d’ancien régime, dont l’ordre faisait partie), pour des raisons qui restent assez mystérieuses pour les historiens, puisque les avocats étaient majoritaires au sein de cette assemblée (165 sur 300 députés). Le rapporteur de la loi était lui-même avocat (le lyonnais Bergasse) et de fait, les comptes-rendus des débats nous apprennent que l’unanimité des avocats de l’assemblée ont voté cette loi, sauf un : le député de l’Artois Maximilien Robespierre.

Toute partie aura le droit de plaider sa cause elle-même, si elle le juge convenable et afin que le ministère des avocats soit aussi libre qu’il doit l’être, les avocats cesseront de de former une corporation ou un ordre, et tout citoyen ayant fait les études et subi les examens nécessaires, pourra exercer cette profession : il ne sera plus tenu de répondre de sa conduite qu’à la loi.

(Rapport du député Bergasse, cité dans Histoire des avocats en France, Bernard Sur, Ed. Dalloz, 1997, qui a largement inspiré ce billet).

Apparaissent à la place de la profession d’avocat les défenseurs officieux, et est créée la profession d’avoué, qui représente, rédige les actes et plaide devant la juridiction à laquelle ils sont attachés. Elle ne sera pas supprimée lors du rétablissement de l’Ordre, malgré les protestations des avocats. Les avoués près les tribunaux de grande instance seront supprimés en 1971 et la suppression des avoués d’appel est sur les rails et devrait devenir effective en 2011, ces deux professions fusionnant avec les avocats.

Les avoués sont les héritiers des procureurs d’ancien régime, qui étaient clercs (alors que les avocats étaient laïcs) et plaidaient principalement devant les juridictions ecclésiastiques où la procédure était écrite, tandis que l’avocat plaidait devant les juridictions séculières à la procédure orale, d’où la séparation des tâches : l’avoué rédige les placets et les conclusions, et l’avocat les plaide. En Espagne, les avoués existent encore et s’appellent… procuradores.

Paradoxalement, 1790, année de la suppression de la profession sera aussi celle de la naissance de la profession d’avocat moderne. La Révolution a en effet profondément modifié l’organisation de la justice, réforme dont les principes sont encore en vigueur aujourd’hui : instauration d’une justice de paix pour les petits litiges, devenue les tribunaux d’instance et de proximité. En Belgique, elle porte encore ce nom. Création de 545 tribunaux de première instance (devenus 157 tribunaux de grande instance, une fois la réforme de la carte judiciaire entrée en vigueur), l’appel se faisant d’un tribunal à l’autre, des tribunaux de commerce, héritiers des juges consulaires du Chancelier de l’Hospital, des tribunaux criminels, avec jury criminel, ancêtre des cours d’assises, et du Tribunal de cassation, qui deviendra Cour sous l’Empire.

L’instauration des tribunaux criminels, avec jury (douze citoyens mâles, délibérants hors la présence du juge sur la seule culpabilité, la peine étant prononcée par le juge seul) et loi de procédure unique pour toute la France qui prévoit le droit à un défenseur, est la naissance de la défense pénale moderne. Et très vite, ce sont les anciens avocats qui vont assurer la défense devant cette juridiction. Et face aux dérives des défenseurs officieux qui ne se caractérisaient pas par leur probité, ceux-ci vont fonder un groupe informel, “les avocats du Marais”, du nom du quartier où ils étaient établis (3e et 4e arrdt de Paris), instaurant entre eux une déontologie rigoureuse. Leurs noms sont entrés dans l’Histoire : Berryer père, Bonnet, Bellart, Target, Férey, dont nous reparlerons, Delamalle, Chauveau-Lagarde, De Sèze, Billecoq, Théloriern Tronson du Coudray, défenseur de la Reine, qui sera arrêté aussitôt sa plaidoirie terminée et déporté en Guyane pour avoir trop bien défendu sa cliente. Ils organisent aussi des cours privés pour former leurs successeurs, l’Université ayant aussi été abolie. C’est l’ancêtre des Centre Régionaux de Formation des Avocats.

Le premier grand procès pénal sera celui de Louis XVI, qui fera appel à Tronchet, dernier Bâtonnier des avocats en 1790, Malesherbes, qui sortira de sa retraite pour défendre le roi, sachant que cela pourrait lui coûter la vie (et de fait il fut condamné à mort sous la Terreur) et de Sèze.

L’heure de gloire des avocats du Marais sera l’heure la plus sombre de la Révolution : le Tribunal Révolutionnaire, créé par le décret du 13 mars 1793, qui précise que la défense y est “autorisée”. Les audiences sont publiques, et le public est souvent surexcité et en armes. Les avocats sont convoqués le matin du procès, à l’aube, pour une audience ouverte à douze heures, une éventuelle sentence de mort étant exécutée dans la foulée, l’avocat devant accompagner son client jusqu’à la Place de Grève (place de l’Hôtel de Ville, ce qui tombait bien, c’était sur son chemin pour rentrer au Marais).

En 1794, Fouquier-Tinville, l’accusateur public, en ayant assez de ces avocats qui plaidaient trop bien, exige qu’ils présentent un certificat de civisme pour pouvoir plaider. Sachant que si ce certificat leur était refusé, c’était la mort assurée en vertu de la loi des Suspects. Une loi du 11 juin 1794 prévoit que désormais, c’est le Tribunal lui-même qui désignera les défenseurs parmi des “patriotes”. Comme disait Couthon, membre du comité de salut public (dont le fauteuil roulant est conservé au musée Carnavalet), il est inconcevable que tyrans et conspirateurs puissent obtenir un défenseur qui se permette de les justifier et de critiquer la Révolution ; ces “mercenaires” doivent être interdits. Il finira par admettre son erreur deux mois plus tard, quand lors du9 Thermidor, il sera arrêté aux côtés de Robespierre et Saint-Just, et immédiatement conduits à la guillotine, sans avoir droit à un défenseur. Déjà, on voyait apparaître ce travers du législateur qui trouve toujours saugrenue l’idée qu’on lui applique la loi qu’il vote.

Le Directoire sera une période d’apaisement et dès 1795, les “avocats défenseurs” reprennent leur office (ils étaient 305), et les avoués, interdits aussi sous la Terreur, sont rétablis. Les avoués sont attachés à un ressort, pas les avocats.

L’Empire mettra fin à la Révolution, mais la réorganisation de la République ne verra pas tout de suite le rétablissement des avocats (la profession est rétablie par la loi du 13 mars 1804, dans la foulée de l’entrée en vigueur du Code civil). Napoléon, comme de manière générale tous les monarques jaloux de leur pouvoir, détestait les avocats, dont nombre d’entre eux critiquaient durement la politique autoritaire de l’empereur, comme le duo Bellart et Bonnet, qui défendit avec brio Cadoudal devant le tribunal d’exception qu’il avait créé pour le juger (vieille tradition reprise par le général de Gaulle), qu’il avait voulu pour ce fait envoyer au bagne de Cayenne. Quand son ministre Cambacérès lui soumit un projet de décret rétablissant l’Ordre des avocats, il annota dessus : « Tant que j’aurai l’épée au côté, jamais je ne signerai un pareil décret. je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en sert contre le gouvernement ». Mais s’il les détestait, l’Empereur savait reconnaître leurs mérites : ce sont quatre avocats qui rédigèrent le Code civil, dont le Bâtonnier Tronchet, le défenseur de Louis XVI.

Le seul avocat qui trouva grâce à ses yeux fut Férey, qui gagna même l’amitié de l’Empereur (ce fut le seul avocat à recevoir sous l’Empire la Légion d’Honneur ; la chose s’est depuis banalisée). Et Férey fut un avocat rusé jusqu’au bout. À sa mort en 1807, il légua sa bibliothèque à “l’Ordre des Avocats”. Ce legs devait être validé par décret, ce qui était tout sauf évident puisque l’Ordre des avocats n’avait pas d’existence juridique. Pourtant, par attachement à son ami, l’Empereur signa le décret, reconnaissant implicitement l’existence d’un tel Ordre. Et comme l’Empereur aimait l’ordre faute d’aimer l’Ordre, il lui fallut bien se résoudre à l’organiser. Ce sera fait par un décret du 14 décembre 1810, mais à quelles conditions ! Amis magistrats, cela va vous faire rêver.

Le tableau des avocats est dressé par le Procureur Général est approuvé par le Garde des Sceaux (Camabacérès). La totalité du Conseil de l’Ordre est désigné par le Procureur Général. L’avocat ne peut plaider que dans son ressort. Ils doivent prêter serment de fidélité à l’Empereur. Les décisions du Conseil de l’Ordre peuvent être portées en appel devant la cour d’appel (règle encore en vigueur), et le Garde des Sceaux a un pouvoir de sanction directe.Enfin, les avocats doivent mentionner leurs honoraires au pied des actes (Une ordonnance de Blois avait tenté d’imposer cette règle en 1602, provoquant la première grève des avocats).

C’est dit-on de ces années terribles que les avocats ont hérité leur passion pour la liberté, qui transcende leurs opinions politiques ou philosophiques.

Delamalle devient le premier Bâtonnier de l’Ordre recréé, Bellart et Bonnet siégeant au premier Conseil de l’ordre (ce qui convenons-en est une meilleure villégiature que le bagne). La première décision du Conseil est de rétablir le Bureau de Consultation gratuite pour les pauvres et la Conférence du Stage, ancêtre de l’actuelle Conférence. Celle-ci se réunira dans la Bibliothèque de l’Ordre, constituée avec le fonds légué par Férey et 2000 ouvrages de l’Ordre aboli en 1790 et retrouvés conservés à l’Arsenal. Aujourd’hui encore, c’est dans la Bibliothèque de l’Ordre que se réunit la Conférence pour le concours d’éloquence qui désigne ses douze membres. Le 2 juillet 1812, l’Ordre obtient le rétablissement du monopole de la plaidoirie, au détriment des avoués, qui perdure encore aujourd’hui, sauf pour les incidents et au pénal, encore qu’on les y voit rarement (et encore plus rarement l’année prochaine…).

Alors, comme on n’a pas tous les jours 200 ans, trinquons virtuellement pour la seule profession qui a obtenu son rétablissement de celui qui voulait sa mort, et qui depuis deux siècles se fait une joie d’être un caillou dans la chaussure de ceux qui veulent nous mener où ils veulent et non où nous voulons, qui se fait un honneur d’être le dernier soutien de ceux qui n’en ont plus, d’être aux côtés des pauvres, des sales, des aubains, des abimés de la vie, des petits truands ou des grands malfrats, pour rappeler qu’avant tout, ce sont des êtres humains, ce sont nos semblables.

Champagne.

dimanche 30 mai 2010

Haut les masques

Depuis une quinzaine de jours, on parle beaucoup sur la toile d’une proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Louis Masson (Moselle, non inscrit), tendant à faciliter l’identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des « blogueurs » professionnels et non professionnels, dont le titre est presque plus long que le contenu.

Le contenu de la proposition de loi

Rappelons qu’on parle de projet de loi quand le Gouvernement en est à l’origine, et proposition de loi quand c’est un parlementaire, député ou sénateur.

Article unique

L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Au c) du 1 du III, après les mots : « Le nom », sont insérés les mots : « ainsi que l’adresse électronique » ;

2° Les deux alinéas du 2 du III sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne sont soumises aux obligations d’identifications prévues au 1. Par mesure de simplification, elles sont cependant assimilées au directeur de la publication mentionné au c) du 1 du III. »

Je sais, lu comme ça, c’est pas très clair. Je vais  prendre le texte actuellement en vigueur, mettre en gras les mots ajoutés, et barrer les mots retirés.

Article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (extrait) :

III.-1. Les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettent à disposition du public, dans un standard ouvert :

a) S’il s’agit de personnes physiques, leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone et, si elles sont assujetties aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription ;

b) S’il s’agit de personnes morales, leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social, leur numéro de téléphone et, s’il s’agit d’entreprises assujetties aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription, leur capital social, l’adresse de leur siège social ;

c) Le nom ainsi que l’adresse électronique du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 précitée ;

d) Le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse et le numéro de téléphone du prestataire mentionné au 2 du I.

2. Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne peuvent ne tenir à la disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné au 2 du I, sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d’identification personnelle prévus au 1.

Les personnes mentionnées au 2 du I sont assujetties au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, pour tout ce qui concerne la divulgation de ces éléments d’identification personnelle ou de toute information permettant d’identifier la personne concernée. Ce secret professionnel n’est pas opposable à l’autorité judiciaire. 

Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne sont soumises aux obligations d’identifications prévues au 1. Par mesure de simplification, elles sont cependant assimilées au directeur de la publication mentionné au c) du 1 du III.

C’est plus clair, comme ça, non ?

Non ?

Bon, rassurez-vous, j’arrête la torture. je voulais juste vous faire goûter un exemple de ce que nous vivons au quotidien avec la pratique des renvois d’un texte à un autre. 

Parlons français

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (dite LCEN), qui transpose pour l’essentiel la directive n° 2000/31/CE du Parlement et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, constitue le socle des règles de la responsabilité des intervenants sur l’internet, dont les blogueurs. C’est une loi très protectrice de la liberté d’expression, qui avait pourtant donné lieu lors de sa discussion à une mobilisation sur internet sur le thème, souvent recyclé, de “on veut nous censurer”. C’est d’ailleurs ce décalage entre le contenu de la loi et le contresens que faisaient ceux qui la lisaient (ou ceux qui prétendaient l’avoir lu) qui a en grande partie motivé l’ouverture de ce blog.

Les règles sont regroupées dans l’article 6, qui est sans doute un des pire exemples de mauvaise qualité de rédaction législative.

Il distingue les différents intervenants dans la publication en ligne et leurs responsabilités respectives. Ils sont au nombre de quatre.

Le premier est le fournisseur d’accès internet (FAI), défini comme la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne.

Le deuxième est l’hébergeur : défini dans le style élégant et léger de la loi comme la personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. En résumé : le propriétaire du serveur, qui met l’espace mémoire à disposition.

Le troisième est l’éditeur dont la définition à la clarté diaphane est : personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne. Bref l’éditeur est celui qui édite. On progresse.

Le quatrième, souvent oublié, est le destinataire du service, celui que la directive appelle le consommateur, l’internaute qui se connecte à un site. Il n’est pas expressément mentionné par la loi, puisque celle-ci ne crée aucune obligation à sa charge, mais elle apparaît nécessairement en creux : il n’est ni l’hébergeur, ni le FAI, ni l’éditeur du site puisque, même s’il participe à son contenu, ce n’est pas son activité d’éditer un service. 

La loi définit les régimes suivants de responsabilités pour chacun de ces intervenants.

Les FAI et hébergeurs ne sont pas responsables des contenus auxquels ils donnent accès ou stockent. Pas d’obligation générale de surveillance. Exceptions : l’autorité judiciaire peut ordonner des surveillances ciblées et temporaires, et les FAI et hébergeurs doivent permettre de signaler facilement des contenus illicites liés à l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence ainsi que des atteintes à la dignité humaine, et répercuter ces signalements à l’autorité judiciaire.

Autre exception spécifique à l’hébergeur : sa responsabilité civile est engagée s’il a connaissance d’un contenu illicite qu’il héberge et qu’il ne le retire pas promptement. Cette connaissance peut se faire via une notification qui doit remplir certaines conditions de forme (art. 6, I, 5), et il est regrettable de voir des hébergeurs frileux obtempérer à des notifications ne les respectant pas. 

L’éditeur est responsable de ce qu’il publie sur son site. De ce qu’il publie. Pas de ce que d’autres publient. C’est-à-dire que s’agissant des commentaires ou de tout contenu déposés par les destinataires du services, il est responsable si c’est lui qui fait la mise en ligne, et pas s’il n’y a pas de fixation préalable, selon le droit commun applicable aux propos tenus en direct à la radio ou à la télévision : art. 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle. Dans ce cas, c’est le destinataire du service qui a publié ces propos qui en est responsable. La jurisprudence pourrait donner à l’éditeur le statut d’hébergeur du commentaire, engageant sa responsabilité s’il ne le met pas hors ligne, mais à ma connaissance, la question ne s’est pas encore posée.

Voilà un résumé de la responsabilité en ligne.

La proposition Masson : l’excès de transparence

Le changement qu’apporterait la proposition de loi Masson concerne les mentions légales. L’éditeur professionnel doit indiquer sur son site son identité, son domicile et son numéro de téléphone. Dans l’esprit de la loi, il s’agit du commerçant qui vend des produits en ligne. Il doit s’identifier clairement pour que le consommateur sache avec qui il contracte et puisse facilement l’assigner en justice le cas échéant. S’agissant du non professionnel, comme les blogueurs, la loi leur permet de garder l’anonymat en indiquant uniquement les coordonnées de leur hébergeur, à qui ils doivent communiquer ces informations les concernant. Cette obligation est pénalement sanctionnée : y manquer est un délit puni d’un an de prison et de 75000 euros d’amende (art. 6, VI, 1 de la LCEN), soit plus sévèrement réprimé que le séjour irrégulier d’un sans papier comme Dora Marquez.

L’esprit de la loi est qu’en cas de problème avec du contenu mis par un non professionnel, la personne qui s’en plaint peut en référer à l’hébergeur qui engage sa responsabilité s’il ne met pas hors ligne un contenu illicite dont il a connaissance. En outre, l’autorité judiciaire peut ordonner à l’hébergeur de communiquer les coordonnées de l’éditeur. C’est une protection pour le non professionnel : on met un professionnel entre lui et un tiers mécontent, et si ce tiers veut en découdre avec l’éditeur non professionnel, il faut que le juge y passe.

Toute cela au plus grand profit de la liberté d’expression, car la perspective de devoir donner son adresse et son numéro de téléphone serait de nature à décourager de prendre la parole en public. 

En pratique, il faut savoir qu’identifier l’auteur d’un propos litigieux est relativement aisé. 

Soit les propos relèvent du pénal (injure, diffamation, provocation à la haine raciale), et une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction suffit. Le juge d’instruction confiera le travail à un service de police, qui contactera l’hébergeur (identifié au moyen d’un whois à défaut de mention légale) et par une réquisition judiciaire par fax, leur demandera de communiquer le nom de l’éditeur du site en question. Et si le texte litigieux a été laissé par un destinataire du service et non par l’éditeur, la police demandera  l’éditeur les données de connexion de l’internaute en question (concrètement, son adresse IP et l’heure de connexion). la police contactera alors le FAI correspondant à cette adresse, qui leur donnera en retour les coordonnées de l’abonné qui utilisait cette adresse IP ce jour là à cette heure-ci. 

Soit les propos relèvent du strict civil (dénigrement, concurrence déloyale,…) et dans ce cas, la demande est portée devant le juge civil, soit par ordonnance sur requête, soit en référé (on assigne l’hébergeur). Votre avocat devrait savoir faire ça, c’est le B-A-BA de la profession.

Jean-Louis Masson se propose de supprimer ce tampon juridique et d’imposer à quiconque édite un site de communiquer ses données personnelles (laissons de côté l’ajout de l’obligation d’indiquer l’adresse électronique du directeur de publication d’un site, qui n’a guère d’intérêt puisqu’en pratique il y a toujours une adresse électronique de contact). 

C’est une très mauvaise idée, mais il n’y a aucune raison de paniquer. Cette proposition a à peu près autant de chance de passer que la France de gagner l’Eurovision ce soir. 

D’une part, c’est une proposition de loi. Les sénateurs en ont déposé 166 ces douze derniers mois, dont une vingtaine doit arriver à la séance publique (je ne parle même pas de l’adoption). 

D’autre part, c’est une proposition de loi d’un sénateur non inscrit, ce qui limite son influence, et qui a une réputation auprès de ses collègues qui limite encore plus cette influence. Jean-Louis Masson est l’auteur d’onze propositions, dont deux déposées depuis la proposition de loi “anonymat”, et qui toutes prennent la poussière sur une étagère au Sénat.

Ajoutons à cela que plusieurs sénateurs un peu plus influents que Jean-Louis Masson, à savoir Jean Arthuis (Union centriste, Mayenne) et Alain Lambert (UMP, Orne) ont manifesté leur hostilité à ce projet et devraient convaincre leur groupe de ne pas y donner suite.

Aucune raison de paniquer donc.

En outre, je doute de la conformité de cette proposition de loi au droit européen, la directive transposée rappelant dans ses considérants que “la présente directive ne peut pas empêcher l’utilisation anonyme de réseaux ouverts tels qu’Internet” (cons. 14).

Tempête dans un verre d’eau, donc ? 

ce serait une analyse un peu rapide. Vu la taille du verre d’eau, il faut quand même que l’onde ait été forte pour causer autant d’embruns. De fait, comme le relève Vincent Glad sur Slate.fr, cette menace, pour chimérique qu’elle soit, a le mérite d’avoir ouvert un débat passionnant sur l’anonymat sur internet.

Des vertus de l’anonymat.

Le mot anonymat est malheureusement péjorativement connoté. Il renvoie à l’anonymat du délateur, et à ces milliers de lettres reçues par les préfectures sous l’Occupation signées par de “bons Français”. C’est à ce sens que font appel les contempteurs de l’internet, qui se complaisent à relayer des clichés d’internet comme ramassis de racistes, révisionnistes, calomniateurs et colporteurs de rumeurs, révélant surtout qu’ils ne savent pas ce que c’est et ne veulent surtout pas le savoir. Rappellons certaines évidences pour le cas improbable où ils viendraient trainer leur adresse IP par ces lieux.

Internet n’est pas un lieu.

La première tentation, quand on ne comprend pas quelque chose est de l’assimiler à quelque chose qu’on comprend. C’est une analogie. Le danger est de raisonner à l’envers, et de vouloir appliquer à ce qu’on ne connaît pas les raisonnements applicables à ce qu’on connaît. C’est une analogie foireuse. On se souvient de la mémorable analogie site internet - kiosque à journaux lors de l’affaire Fuzz, ou de la non moins mémorable analogie fichier téléchargé - baguette de pain (© Eddy Mitchell), pochon de drogue (© Luc besson) ou oranges (© Frédéric Lefebvre).

Or l’analogie la plus fréquente avec l’internet consiste à en faire un lieu. Tout le vocabulaire lié à internet est entaché de ce vice fondamental qui est à l’origine de beaucoup d’erreurs. On “va sur internet”, et avec le secours d’une synecdoque cela devient “tout internet ne parle que de ça”. Comme si des dizaines de millions d’internautes parlaient d’une seule voix, sorte d’hydre monstrueuse. Et puisque tout internet n’a qu’une seule voix,si une rumeur circule, c’est que tout le monde la colporte ; si des propos racistes sont tenus, c’est que tous sont racistes, etc. 

Internet n’est pas un lieu. C’est un réseau d’ordinateurs, auquel nous nous connectons. Comme le réseau téléphonique, qui fut d’ailleurs le premier support de l’internet (Vous vous souvenez de vos modems 56kbs ?) On ne va pas sur le téléphone, et même quand un événement important a lieu, personne ne dit que le téléphone ne parle que de ça. 

Sur l’internet, personne n’est anonyme.

Comme je l’ai expliqué plus haut, l’anonymat sur l’internet est une vue de l’esprit. S’agissant d’un réseau de communication entre ordinateurs, cette communication ne peut se faire que si l’émetteur et le destinataire du message sont parfaitement identifiés. Les informaticiens ont eux aussi recours à une analogie, celle du restaurant. L’ordinateur se connectant à un autre pour demander une information s’appelle le client, et celui qui reçoit sa requête le serveur. Le client passe une commande au serveur (« Bonjour Monsieur le serveur maitre-eolas.fr ; je voudrais  le billet du jour, s’il vous plaît.» - « Je vais vous chercher ça.»). Le serveur note la commande (Table n°1, client n°1 : le billet du jour), et va la traiter, en principe dans l’ordre d’arrivée (le serveur peut être paramétré pour traiter certaines requêtes ou certains clients prioritairement) . Il vous enverra une réponse qui peut être soit votre commande (le billet du jour s’affiche, tout le monde est content), soit un message d’erreur vous expliquant pourquoi il n’a pas pu satisfaire votre recherche. Ces messages portent un code numérique, les plus connus étant le 403 Forbidden, le patron a interdit au serveur de vous  laisser passer quelque commande que ce soit, le 404 Not Found, ce que vous avez demandé n’existe pas ou plus, et le 503 Service Unavailable, le serveur a planté sous une surcharge de commandes, il a mis toutes les commandes à la poubelle et vous demande de repasser un peu plus tard le temps qu’il arrête de pleurer et se remette en route. 

Pour éviter que les commandes se mélangent, toute personne connectée à internet a un numéro d’identification unique, qu’on appelle adresse Internet Protocol, ou adresse IP. Par exemple, l’adresse IP d’Overkill, mon serveur, est le 78.109.85.28 . Si vous entrez cette adresse IP dans votre navigateur, vous arriverez ici et nulle part ailleurs. C’est ce qui fait que vos commandes ne sont pas perdues mais satisfaites, c’est à dire que vous pouvez lire ce billet. Mais pour cela, il faut aussi qu’Overkill connaisse votre adresse IP pour vous envoyer la réponse à vous et à personne d’autre. Vous avez vous aussi une adresse IP qui au moment où vous l’utilisez est unique au monde. Cela  laisse une trace, dans ce qu’on appelle les logs de connexion, le registre des connectés en quelques sortes. 

Si vous vous contentez de lire mon billet, je n’en garde aucune trace, et n’aurais aucun moyen de vous identifier. Si vous laisser un commentaire, votre adresse IP est enregistrée avec celui-ci. Si elle ne me permet pas de vous identifier, elle me permet de connaître votre fournisseur d’accès (Free, Orange, SFR, etc) et la localisation géographique de votre nœud d’accès au réseau. pas votre domicile, mais l’équivalent de votre central téléphonique, qui est au maximum à quelques kilomètres de chez vous. Si je veux en savoir plus, il me faut saisir la justice.

Comme vous le voyez, l’anonymat sur internet est largement illusoire. Votre identité est protégée, mais certainement pas de manière absolue, sauf si vous avez des connaissances informatiques suffisantes pour savoir les dissimuler (c’est possible, mais le troll moyen ne sait pas ce qu’est un proxy).

Dans la vraie vie, nous sommes tous des anonymes.

L’anonymat sur internet est d’autant moins suspect qu’avec un peu de réflexion , on réalise que nous sommes tous des anonymes, dans la vie de tous les jours.

Connaissez-vous le nom de votre voisin dans le bus ? Je ne parle même pas de son adresse et de son numéro de téléphone. Quand vous allez au cinéma, vous passez un contrat avec celui-ci (avec la société commerciale qui l’exploite, plus exactement). Pour dix euros, il vous permet d’assister à la représentation d’une œuvre dans ses installations. Connait-il votre nom ? Non, il ne vous le demande même pas. 

Une démocratie digne de ce nom non seulement tolère l’anonymat, mais le protège. Nous pouvons sortir de chez nous sans avoir à justifier de notre identité à qui que ce soit. Les seuls moments où nous avons à le faire est quand un contrat (que nous avons librement contracté) ou la  loi nous l’impose (contrôle d’identité, qui sont encadrés par la loi, art. 78-2 du code de procédure pénale). La plupart de nos interactions se limitent à un “monsieur”, “madame”, ou “maître”, et personne ne songe à s’en plaindre. Notre visage sert à nous individualiser, mais pas à nous identifier (les thuriféraires des lois anti-burqa feraient bien de s’en souvenir). Je peux voir votre visage, je ne saurais pas pour autant qui vous êtes, hormis votre sexe (et encore…) et votre tranche d’âge, ce qui est largement suffisant pour une simple discussion.

Ce que voudrait M. Masson revient à exiger à toute personne voulant exprimer une opinion de se promener avec sa carte d’identité en sautoir.

Le nécessaire compris : le pseudonymat

Vous voyez que nous sommes ici face à deux nécessités contradictoires. Le fait de n’avoir à révéler notre identité que dans les cas où c’est absolument nécessaire, qui est fondamental en démocratie, et la nécessité technique de s’individualiser sur internet ; d’autant plus que le visage n’est pas visible, s’agissant d’une communication informatique. 

D’où le recours à un artifice littéraire aussi ancien que l’écriture : le pseudonyme. On prend un sobriquet, et on signe ainsi. Cela permet d’individualiser ses textes, et de savoir si on lit un texte de votre serviteur ou de Gascogne (ça ne peut pas être mes autres colocataires, ces feignasses ne s’étant pas fendues d’un billet depuis le Déluge), et d’entamer les discussions en commentaires qui ont fait la réputation de ce blog. 

Le reste, on s’en fiche. L’internet est un média qui a remis au goût du jour une valeur un peu suranée : l’égalité. Qui que vous soyez, quoi que vous soyez, vous parlerez sur un pied d’égalité avec votre prochain. 

Telle est l’étiquette qui s’est naturellement mise en place avec les réseaux, et déjà à l’époque, sur le Minitel. Individualisez-vous, mais nul besoin de vous identifier. 

Elle n’a rien de suspect ; c’est au contraire l’exigence d’un excès de transparence du législateur à l’égard des citoyens qui est suspecte. Le despote seul exige que ses sujets n’aient rien à cacher (comprendre à lui cacher). 

Revoilà la liberté d’expression

Car c’est bien elle qui se cache derrière le -relatif- anonymat sur l’internet. Obliger quelqu’un qui souhaite s’exprimer, non pas ponctuellement sur un forum ou en commentaires, mais régulièrement sur un site dédié (tout simplement un blog) à afficher de manière visible à quiconque ses coordonnées personnelles poussera naturellement la plupart de ces personnes à s’abstenir. 

C’est une incitation à se taire, donc une atteinte à la liberté d’expression. Et elle subit assez d’attaques comme ça pour qu’on ne s’offusque pas de celle-ci, aussi éventuelle soit-elle.  Cela explique en grande partie la vigueur de la réaction suscitée par ce projet de loi, et si elle a pu paraître disproportionnée à la gravité de la menace, elle est proportionnée à l’importance de la valeur attaquée.

Qui je suis ne vous regarde pas

Je ne saurais finir ce billet sans parler d’un sujet qui me tient particulièrement à coeur : moi.

J’ai d’emblée choisi de bloguer anonymement (au sens de la loi), c’est-à-dire sous pseudonyme.

Je m’en suis déjà expliqué il y a quatre ans. Je n’ai pas une virgule à y changer quatre ans après, ce dont je suis plutôt satisfait. Et de fait, après six ans de blogage, je suis arrivé à une situation paradoxale qui suffit à démontrer l’inanité de la position du sénateur Masson : aujourd’hui, c’est sous mon vrai nom que je suis anonyme.

Cela montre enfin et surtout que ce débat n’est pas nouveau, et que le fait d’y répondre sur un blog à grande visibilité ne suffit pas à y mettre fin.

Il faudra encore des trésors de patience et de pédagogie pour expliquer aux technophobes que l’internet est aussi anodin qu’un bal masqué, et qu’en tant que citoyens, nous sommes assez grands pour ne plus avoir peur d’un loup.

lundi 24 mai 2010

Peut-on être une célébrité si l'on est en situation irrégulière ?

Par Gascogne


En ce jour de pentecôte, chômé ou non, certains collègues parquetiers ont pris un jour de vacances, cependant que d’autres assurent les urgences. C’est ainsi que l’on peut se retrouver en charge d’un contentieux que l’on maîtrise assez peu : le droit des étrangers.

Et, loi de Murphy oblige, imaginez quelques secondes un pauvre parquetier de permanence averti d’un dossier fort particulier, et bien sûr très sensible. Un OPJ l’appelle pour l’avertir de l’interpellation d’une personne en situation irrégulière, ce qui en soi n’a rien d’extraordinaire. On comprend cependant mieux l’excitation qui perce dans la voix du policier lorsque celui-ci indique que la personne interpellée est une personnalité : une présentatrice d’émission pour enfants, très connue et appréciée, mais d’origine étrangère. Elle vient d’être interpellée en compagnie d’un membre de sa famille, dans une commune proche de la frontière. Elle n’a pas supporté son interpellation et s’est rebellée, obligeant les agents à se servir des “techniques de contrôle strictement nécessaires”. Résultat des courses, notre vedette a un œil au beurre noir, et l’OPJ en charge du dossier propose de faire parvenir par courriel une photo de la présentatrice, afin de visualiser les dégâts. Le traditionnel panonceau portant le nom de la personne et l’infraction reprochée donne son côté officiel au cliché, que l’on aurait sinon cru sorti d’une fiction télévisuelle.

Le renouvellement de la garde à vue, en matière de flagrance, se fait par un simple fax,sans présentation à un magistrat : mais au vu de la personnalité de la gardée à vue, et surtout d’une certaine curiosité face à celle qui fascine tant les enfants, un entretien en tête à tête n’est pas de trop.

La discussion qui s’en suit est surréaliste. Elle tient absolument à expliquer comment elle s’est retrouvée dans cette situation. Tout le monde pensait qu’elle était nécessairement en règle, voire même qu’elle n’était pas d’origine étrangère, malgré quelques traits et un léger accent trahissant ses origines hispaniques. Et immédiatement, elle enchaîne sur le côté inique des lois sur l’immigration. Comment elle, qui rend un tel service grâce à ses émissions éducatives, peut-elle être traitée de la sorte, et menacée d’expulsion ?

D’autant que le problème n’est pas tout à fait nouveau. Suite à quelques rumeurs sur son statut exact, la télévision qui l’emploie avait tenté un sondage. Grand mal lui en a pris. A la stupeur générale, 62 % des 3 500 personnes interrogées indiquaient que s’il s’avérait que la présentatrice préférée de leur progéniture était effectivement en situation irrégulière, ils interdiraient à leurs enfants de regarder son émission, par peur de leur donner un mauvais exemple.

Dans ce genre de situation si particulière, vous vous doutez bien que prendre une décision sur l’action publique n’est pas chose facile. Poursuite devant un tribunal, composition pénale, rappel à la loi ? L’infraction est constituée, tous les éléments recueillis dans le cadre de la garde à vue le démontrent, et la mise en cause ne nie d’ailleurs absolument pas être en situation irrégulière. Dés lors, un classement sans suite pur et simple est difficilement envisageable.

Alors dans ce genre de cas, l’implication de la hiérarchie est plus qu’obligatoire : elle est nécessaire, face à une situation qui sera qu’on le veuille ou non interprétée sur un plan politique. En effet, en plein débat sur l’encadrement juridique à apporter à l’immigration clandestine, il y a fort à parier que d’aucuns sauront utiliser ce fait divers pour alimenter la réflexion, voire la polémique.

Je vous laisse imaginer quelle serait votre propre décision. Soyez l’autorité de poursuite. Et faites vous une idée sur ce que doit être l’égalité de tous devant la loi, et quel degré de sévérité doit appliquer un État démocratique concernant ses lois en matière d’immigration. Et comment le citoyen moyen interprète cette sévérité, ou l’absence de sévérité, dans son application quotidienne.

Et si vous souhaitez plus de détails sur cette affaire hors norme, pour laquelle je n’ai pas souhaité, pour des raisons juridiques faciles à comprendre, dévoiler sur le blog lui-même l’identité de cette présentatrice, je vous renvoie à cet article de presse qui fait le point sur cet épineux dossier.

jeudi 20 mai 2010

Allez, viens boire un p'tit coup sur Facebook

Je n’arrive toujours pas à m’expliquer comment un épiphénomène qui ne mériterait même pas d’être anecdotique peut prendre une importance médiatique disproportionnée. La machine médiatique s’emballe-telle toute seule, ou joue-t-elle les idiots utiles en offrant sur un plateau une diversion bienvenue qui permet à un gouvernement qui vient de perdre la souveraineté budgétaire en pleine crise économique majeure (ce qui devrait avec la réforme des retraites suffire à occuper toutes nos conversations de citoyens actifs et responsables) de jouer les fiers-à-bras sur le thème de l’ordre et de la sécurité, avec dans le rôle de l’épouvantail, quand les intégristes islamistes sont occupés ailleurs, le grand méchant internet ? (Oui, ma phrase trop longue est en fait une question, relisez depuis le début, et de mon côté, promis, je ne recommence plus). En tout cas, la mission de hiérarchisation de l’info n’est à mon sens pas remplie dans cette affaire. Mais ce n’est pas typiquement français, la télévision belge ayant parfois des soucis du même type.

Cette fois-ci, on sonne le tocsin à cause des apéros géants qui ont lieu dans plusieurs villes, autour d’un rendez-vous donné via internet, principalement sur le site social Facebook. D’où leur sobriquet médiatique : les apéros Facebook. Rappelons que Facebook est un site qui propose gratuitement à chacun de s’inscrire sous son vrai nom ou sous un pseudonyme, et de se constituer un réseau de relations, baptisés uniformément “amis”, que ce soit un véritable ami, votre époux ou votre patron, cette relation étant établie par la demande de l’un acceptée par l’autre. Vous pouvez dès lors publier vos états d’âmes (votre “statut”, écrire sur le “mur” de quelqu’un, sorte de panneau d’affichage où vos amis et vous pouvez discuter facilement, créer ou rejoindre un groupe dont vous soutenez l’objectif (par exemple pour la généralisation du mandat d’amener en matière de diffamation) ou créer l’annonce d’un événement (par exemple la République des blogs du 26 mai prochain) destiné, au choix du créateur, à ses seuls amis (pour un restau entre collègues) ou à toute personne connectée (pour une exposition que l’on souhaite promouvoir).

Le principe de ces apéros est simple : un événement est créé sur Facebook invitant qui le veut à se réunir tel jour en tel lieu déterminé pour un apéro convivial, histoire de se rencontrer et de discuter même si on ne se connaît pas.

« Peste », diront des gens peu au fait des usages numériques. « Des gens qui ne se connaissent pas et qui souhaitent pourtant bavarder ensemble, comme c’est étrange ». « Ah bon ? » leur répondront un peu surpris les habitués des commentaires de ce blog ou d’autres, qui savent que le fait de discuter entre gens qui ne se connaissent pas est la pierre angulaire du web.

Le phénomène prend de l’ampleur, et se double désormais d’un esprit de clocher bien gaulois, chacun de ces apéros espérant attirer plus de monde que celui de son voisin. Et ce sont ainsi des rassemblements de plusieurs milliers de personnes, dont forcément une part boit plus que de raison, qui ont lieu un peu partout. Et un virage médiatique a été pris depuis qu’en marge d’un tel événement le 13 mai dernier à Nantes, un jeune homme de 21 ans a trouvé la mort accidentellement, en chutant d’une passerelle, en état d’imprégnation alcoolique avancée. Les pouvoirs publics montent au créneau et entendent décourager ces événements, tant le fait de se réunir par milliers dans la rue pour boire sans soif est inconnu de notre culture (je salue d’ailleurs les Nîmois qui me lisent et qui préparent la sobre féria de Pentecôte, et les Bayonnais dont les fêtes fin juillet sont réputés pour leur importante consommation d’eau ferrugineuse).

Cependant, il faut leur concéder un argument de droit : en l’état, ces apéros géants ne peuvent être regardés comme légaux.

En effet, qu’est qu’un apéro Facebook pour un juriste ? Un appel à se réunir sur la voie publique, dans un cadre non commercial ni sportif (qui relèvent de lois particulières). C’est donc l’exercice de la liberté de réunion, qui est une liberté fondamentale.

Rappelons que les libertés publiques (ou fondamentales, les termes sont équivalents) peuvent être soumises à trois régimes juridiques, le quatrième, l’interdiction pure et simple, étant interdit, s’agissant précisément d’une liberté fondamentale : le régime répressif, le régime de déclaration préalable, et le régime d’autorisation préalable, le plus libéral de tous étant le répressif et le moins libéral étant celui d’autorisation préalable.

Le régime répressif consiste à laisser chacun user de cette liberté à sa guise, seuls les abus de cet usage pouvant le cas échéant faire l’objet a posteriori de sanctions. La liberté d’expression relève de ce régime, par l’effet de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi » (art. 11).

Le régime de déclaration préalable soumet l’exercice de cette liberté à l’obligation de signaler préalablement aux autorités que l’on se dispose à faire usage de cette liberté. Le cas échéant, l’autorité publique peut s’opposer à cet exercice, conflit qui se résout devant le juge administratif. La liberté d’association relève de ce régime, une association n’ayant d’existence légale qu’une fois déclarée en préfecture (ce qui ne veut pas dire qu’une association informelle soit illégale, mais elle n’a pas la personnalité juridique (pas de compte en banque notamment).

Le régime de l’autorisation préalable est le plus restrictif : il faut demander l’autorisation à l’autorité publique, qui peut la refuser ou la soumettre à conditions. Un tel refus peut là aussi être porté devant le juge. La liberté de construire relève de ce régime, réglementé par le droit de l’urbanisme et de la construction.

Ici, nous avons affaire à la liberté de s’assembler, liberté fondamentale parmi les libertés fondamentales pour une démocratie.

La loi va toutefois opérer un distinguo, selon que le rassemblement a lieu sur la voie publique ou non. Dans ce deuxième cas, on parle de réunion publique. Dans le premier, on parle de manifestation. Une réunion ou une manifestation doivent avoir un objet, un objectif, un thème. À défaut, c’est un simple attroupement que la loi permet, en cas de risque de troubles à l’ordre public, de disperser par la force après des sommations légales[1]. Une réunion publique ou une manifestation deviennent des attroupements une fois l’ordre de dissolution donné par les autorités.

La réunion publique est réglementée par une des grandes lois libérales de la IIIe république, en un temps où le mot liberté n’avait pas été supplanté dans le cœur du législateur par celui de sécurité, la loi du 30 juin 1881.

Le principe est clair : les réunions publiques (c’est à dire ouvertes à tous) sont libres (art. 1er). Les réunions ne peuvent être tenues sur la voie publique (art. 6). Enfin, une réunion doit se doter d’un bureau de trois personnes élues par l’assemblée qui exercent la police de la réunion et peuvent le cas échéant demander à la force publique de dissoudre la réunion qui dégénérerait. Le préfet du département peut déléguer un fonctionnaire pour assister à la réunion, où il choisit sa place. Art. 8. Les infractions à la loi de 1881 sont punis des amendes de 5e classe. En outre, être porteur d’une arme quelle qu’elle soit (même hors d’état de marche) dans une réunion publique est un délit : art. 431-10 du Code pénal. La liberté de réunion est pénalement protégée : l’article 431-1 du code pénal punit d’un an de prison et 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de réunion (la peine étant aggravée au cas d’entrave concertée « et à l’aide de coups, de violences, voies de fait, destructions… » et passe à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende). Notons que cela s’applique aux étudiants qui lors des « blocages » des facs s’opposaient à ce que les étudiants opposés à ces blocages se réunissent pour se concerter.

Vous l’aurez compris, c’est ici le régime répressif qui s’applique. Le préfet peut prendre un arrêté interdisant la tenue d’une réunion publique autre qu’électorale (celles-ci ne peuvent être interdites) susceptible de troubler l’ordre public. Mais c’est au préfet de se débrouiller pour apprendre la tenue d’une telle réunion.

Les manifestations sur la voie publiques relèvent d’un autre texte, le décret-loi du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre public. Ce texte a été pris après les terribles manifestations de février 1934 (le 6 février 1934, lors de la présentation du gouvernement Daladier, les Croix de feu organisent une manifestation antiparlementaire place de la Concorde, qui dégénère et fait 17 morts dont un policier ; trois jours plus tard, les partis de gauche appellent à une manifestation antifasciste qui dégénère à son tour et fait 9 morts).

Après avoir rappelé que les réunions publiques sur la voie publique sont interdites, l’article 1er précise que “sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.” Cette déclaration doit être faite par les organisateurs au moins 15 jours à l’avance à la préfecture du département (ou en mairie dans les zones de gendarmerie). Notons qu’à Paris, la préfecture exige une déclaration faite un mois à l’avance, voire trois mois ou six mois si la manifestation est de grande ampleur. J’émets les plus grands doutes sur la légalité de cette exigence, même si je reconnais son caractère raisonnable. De même, quand Brice Hortefeux exige que les apéros Facebook soient déclarés au moins trois jours l’avance, il viole la loi en dérogeant au délai de 15 jours. En tout cas, pour déclarer une manif à Paris, ça se passe ici.

L’objet de cette déclaration est de permettre au préfet de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’ordre public, notamment la sécurité des personnes et des biens, aussi bien s’agissant des participants que des riverains (fermeture de certaines voies à la circulation, escorte, pose de barrières, déploiement de forces de l’ordre…), et le cas échéant d’interdire cette manifestation si le risque de trouble est trop important. C’est ainsi que la distribution de soupe de cochon par une association d’extrême droite a été interdite par arrêté du préfet, interdiction validée par le juge administratif malgré mes réserves sur ce point. La préfecture peut même fournir du matériel aux organisateurs (à paris, une vedette fluviale vous sera facturée 762,25 euros hors carburant, une barrière grise de 2m, 2,29 euros pour 48 heures).

Outre le fait qu’organiser une manifestation non déclarée est un délit puni de 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende (art. 431-9 du Code pénal), et que participer à une manifestation en étant porteur d’une arme est puni des mêmes peines que pour une réunion publique, le point essentiel est que dans le cas d’une manifestation régulièrement déclarée, c’est l’État qui est responsable des dégâts causés si la manifestation dégénère en attroupement. Si elle n’est pas déclarée, ce sont les organisateurs (en fait, l’État paye, et présente la facture aux organisateurs).

Revenons-en à nos apéros Facebook et appliquons leur la loi. La première tâche du juriste est de qualifier, c’est-à-dire prendre un fait et lui donner une qualification juridique, qui déterminera le régime légal qui lui est applicable.

L’invitation étant à se réunir sur la voie publique, cela exclut la qualification de réunion publique. De fait, ces apéros relèvent de du régime des manifestations. L’article 1er du décret loi de 1935 est clair :

Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.

Il ne fait pas de doute qu’un apéro géant est un rassemblement de personnes sur la voie publique.

Mais le problème qui se pose ici est celui de l’existence d’organisateurs, sur qui pèse l’obligation de déclaration.

Qui est l’organisateur d’une telle manifestation ? La réponse qui vient naturellement à l’esprit est : la personne qui crée l’événement sur Facebook, puisqu’elle choisit le thème, le lieu et l’heure.

Admettons, sur le plan administratif du moins, ne serait-ce que par défaut : on ne voit pas qui d’autre pourrait être qualifié d’organisateur. Encore que celui qui va relayer la proposition à ses 500 amis qui habitent le coin va plus être organisateur que celui qui s’est contenté de proposer de se retrouver à tel endroit.

Mais le problème est que la personne qui crée l’événement n’a probablement pas conscience d’être organisatrice d’une manifestation. Dans son esprit, cela revient à proposer à ses amis de se retrouver à tel endroit, sauf qu’avec Facebook, on a des centaines d’amis. Voire des milliers. Et elle peut même oublier avoir créé cet événement et n’être même pas présente sur les lieux du rassemblement. Bref, voilà une base bien légère pour fonder des poursuites pénales (l’article 431-9 punit le fait d’avoir organisé une manifestation non déclarée, or organiser suppose un peu plus d’implication de décider d’une date et d’un lieu), outre les difficultés à identifier l’organisateur qui pourra très facilement s’assurer un anonymat absolu (créer un compte éphémère avec un e mail jetable en se connectant en maquillant son adresse IP ; ne croyez pas que ce soit si compliqué que ça). En tout état de cause, l’obligation de déclaration 15 jours à l’avance risque de ne pas être remplie et les autorités d’être prises de court. Ce qui devrait toutefois nous rassurer sur l’état de la police politique en France. Les ex-RG semblaient avoir pour mission d’espionner la France. Voyez qu’un simple apéro Facebook les laisse désarmés. Amis paranos, dormez en paix.

La technologie permet aujourd’hui de lancer très simplement un appel à une manifestation (quelques secondes suffisent) qui va vivre sa propre vie même si celui qui l’a lancé s’en désintéresse, ce qui était autrefois impossible (organiser une manifestation exige en principe une dépense d’énergie considérable pour réussir à mobiliser un nombre substantiel de participants, demandez aux délégués syndicaux…). La nouveauté est là. L’internet en général, et Facebook en particulier vu le grand nombre de connectés actifs et la mode qui l’entoure ont créé un gigantesque porte-voix accessible à tous. Il faudra que les autorités publiques en prennent leur parti, car cet état de fait va durer. Et attention à l’effet déformant de la nouveauté : que le support soit nouveau ne signifie pas que le phénomène le soit, et les manifestations illicites ne sont pas nées avec le HTTP. De même que les jeunes de 20 ans n’ont pas attendu l’invention des liens hyptertextes pour se mettre inutilement en danger, quitte parfois à perdre la vie, et les vieux (qui ne sont jamais que des jeunes qui ont survécu à leur jeunesse) en ressentent toujours une rage impuissante. On a tous un copain de jeunesse qui est mort bêtement. Le mien s’appelait Éric.

Un dernier point : Facebook est-il responsable de ces apéros, et s’ils dégénèrent, peut-on le frapper au portefeuille ?

La réponse est à mon sens négative. La société Facebook UK Ltd (société de droit anglais qui gère le site pour l’Europe) n’a pris aucune part active à cette organisation et n’exerce aucun contrôle de son contenu. Il est hébergeur de l’événement au sens de la Loi sur la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN), qui est la transposition d’une directive européenne, donc il est certain que le droit anglais ne dit pas autre chose.

Je note avec satisfaction que le gouvernement semble ces derniers jours avoir renoncé à tenter d’interdire ces manifestations en surfant sur le décès de Nantes, ce qui aurait été matériellement impossible et au contraire leur aurait assuré un succès durable en leur donnait un cachet de rebellitude [2]. On finira par croire que la République a peut être des ennemis plus dangereux que les burqas et les apéros. L’ancien premier président de la Cour de cassation Pierre Truche est l’inventeur d’un concept que j’aime beaucoup et qu’il présentait comme un des ciments de la paix sociale : celui de l’illégal tolérable. Ou en somme, faute de pouvoir interdire ces événements, feignons de les tolérer.

A la vôtre.

Notes

[1] qui doivent être faites via haut parleur (ou à défaut après tir d’une fusée rouge) par une personne revêtue des insignes visibles de ses fonctions : écharpe tricolore pour les autorités civiles dont le préfet, brassard tricolore pour les autorités militaires. Sommations : 1 : « Obéissance à la loi. Dispersez-vous ». 2 : « Première sommation : on va faire usage de la force » 3 : « Dernière sommation : on va faire usage de la force ». Cette dernière sommation doit être doublée s’il va être fait usage des armes, bangkok style. Art. R. 431-1 et s. du Code pénal.

[2] PPlénitude de la rébellion.

mercredi 19 mai 2010

Avis de Berryer : Lorànt Deutsch

Thomas Heintz, Quatrième secrétaire de la Conférence, vous parle.

Peuple de Berryer ! Nous aurons l’honneur de recevoir M. Lorànt Deutsch, acteur et écrivain, le vendredi 21 mai 2010 à 21h00, Salle des criées.

La délicieuse et mutine Mlle Kee-Yoon Kim, 6ème secrétaire, sera chargée de réaliser son portrait approximatif.

Les sujets proposés aux valeureux candidats sont les suivants :

1. Les allemands du Flore sont-ils germanopratins ?

2. Paris est-il magique ?

Comme toujours, l’entrée est libre, sans réservation possible. Toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer. Il est recommandé d’arriver tôt pour avoir une place !

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Thomas Heintz, 4ème Secrétaire :

Tél.: 01 42 27 33 82 / theintz[at]fleurymares.com

http://laconference.typepad.fr/.a/6a0105369b12a4970b013480e2a872970c-pi

Qu’on se le dise !

vendredi 14 mai 2010

Qui a dit que le droit c'était difficile ?

Une grande partie du travail du juriste consiste à effectuer des recherches de jurisprudence. Ce qui suppose un fastidieux travail de lecture rapide pour repérer les arrêts pertinents.

Mais parfois ce dur labeur est récompensé par une perle, un arrêt qui arrache le sourire malgré son austère présentation.

Témoin cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 mai 1976 (bull. crim., n°140).

Le demandeur contestait devant la cour de cassation la confiscation des armes blanches qu’il détenait chez lui, ce qui est en principe légal, et qui avait été prononcée du fait que sa maison avait été qualifiée de dépôt d’armes illégal. Pas du tout, affirmait-il, ma maison n’était pas un dépôt d’armes, tout au plus suis-je un aimable collectionneur.

La réponse de la Cour de cassation se passe de tout commentaire.

Attendu que, pour condamner x… du chef de détention d’un dépôt d’armes et de munitions, l’arrêt attaque constate que ce prévenu se trouvait en possession, le 5 avril 1973, notamment de 55 fusils de guerre, 11 revolvers, 5 mitraillettes et pistolets automatiques avec 40 chargeurs, 7 pistolets automatiques avec 22 chargeurs, 16 canons de rechange pour fusils, 16 canons de rechange pour pistolets automatiques, 2500 cartouches, 55 baïonnettes ; attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a reconnu a bon droit a ces armes et munitions le caractère d’un dépôt au sens de l’article 31 du décret-loi du 18 avril 1939 ;

Qui a dit que c’était compliqué, le droit ?

jeudi 13 mai 2010

Crêpage de chignon au sommet

La France a une particularité (Ah, si elle n’en avait qu’une seule…) : elle a trois cours suprêmes. Une en matière judiciaire, la Cour de cassation (Quai de l’Horloge, Paris), une en matière administrative, le Conseil d’État (place du palais-Royal, Paris), et une en matière constitutionnelle, le Conseil constitutionnel (rue de Montpensier, Paris), juste derrière la Comédie Française.

Jusqu’à présent, les compétences de chacun étaient bien réparties : la cour de cassation unifiait la jurisprudence judiciaire, le Conseil d’État faisait de même avec les juridictions administratives (pour un rappel des raisons de cette coexistence de deux ordres, voir ce billet). Le Conseil constitutionnel n’exerçait qu’un contrôle de constitutionnalité de la loi a priori, c’est à dire avant que la loi ne soit promulguée (pour un exemple théâtral de décision du Conseil constitutionnel, voir ce billet).

Tout a changé avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, entrée en vigueur le 1er mars 2010, qui a instauré la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Désormais, tout justiciable peut soulever devant n’importe quelle juridiction une argumentation tendant à faire établir qu’une loi qu’on veut lui appliquer serait contraire à la Constitution. Pour un article plus détaillé, voir ici mon exposé à mon stagiaire, et pour la procédure, là l’exposé à ma stagiaire.

Le système mis en place passe par la cour suprême de chaque ordre avant de finir dans le meilleur des cas devant la troisième cour, la constitutionnelle. Ce qui immanquablement crée des conflits de compétence, d’autant que la Cour de cassation et le Conseil d’État n’ont pas l’habitude d’avoir une juridiction au-dessus d’eux. Je dis au-dessus car seul le Conseil constitutionnel pouvant, en principe, répondre à la Question prioritaire de constitutionnalité, il se retrouve organiquement au-dessus des autres, mais aucune hiérarchie nouvelle ne s’est créée.

Si les choses se sont passé sans accroc à ce jour devant le Conseil d’État, la cour de cassation a rendu deux décisions qui montrent une approche fort différente de la procédure. Olivier Duhamel s’en est ému sur France Culture en des termes virulents qui lui ont attiré les foudres corporatistes et conservatrices de Gascogne. Il est vrai que le chroniqueur de France Culture a été excessif dans son attaque, puisque sur les 8 QPC actuellement pendantes devant le Conseil constitutionnel, 5 ont été transmises par le Conseil d’État et 3 par la Cour de cassation. On est loin du sabotage, mais il est vrai que la cour ne les a transmises que le 7 mai, ce qui pouvait laisser croire à une mauvaise volonté de sa part.

Dernier rebondissement en date d’hier, avec l’entrée en scène du Conseil constitutionnel qui a répondu vertement à la Cour de cassation.

Revenons sur cet inédit crêpage de chignon aux sommets de la hiérarchie judiciaire.

Premier acte : la cour de cassation rend le 12 avril sa première décision sur une QPC, et c’est un coup de théâtre. Amis mékéskidis, concentrez-vous, c’est du droit pur et dur.

Le demandeur, un étranger sans papier, avait été contrôlé dans la bande des 20 kilomètres qui suit nos frontières et qui permet des contrôles volants par la police (art. 78-2 al. 4 du CPP). Le demandeur soulevait que cette bande violait le droit européen sur la libre circulation, puisque la France, au lieu de supprimer ses frontières intérieures, les a diluées sur 20 km de large. Certes, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que cette bande était conforme à la Constitution (Décision n° 93-323 DC du 05 août 1993) mais le demandeur invoquait un changement de situation dû à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui a modifié l’article 67 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) pour le faire désormais stipuler que “Union « assure l’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures »”. Ce changement du droit européen était susceptible de rendre cette disposition contraire à la Constitution, puisque son article 88-1 exige que la loi respecte le droit européen.

Au-delà de la question des droits de ce sans-papier, qui j’en ai conscience n’intéresse pas tous mes lecteurs, hélas, cette question concerne tout le monde, tant cette bande de 20 km pose un vrai problème, car elle inclut des métropoles comme Lille (14km de la frontière), Strasbourg (5km de la frontière) ou Mulhouse (16km de la frontière). Pourquoi les habitants de ces villes seraient-ils soumis à des contrôles d’identité quasi-discrétionnaires tandis qu’à Paris, ce ne serait pas possible ?

La QPC est, comme son nom l’indique, prioritaire, c’est à dire qu’elle doit être traitée en premier et promptement. Mais pour la cour de cassation, cela pose problème. Quand se pose une question d’interprétation du droit européen, il y a déjà une juridiction compétente : la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), qui siège au Luxembourg. Elle unifie l’interprétation du droit européen pour les 27 pays de l’UE. Elle peut notamment être saisie, en cas de difficulté, par tout juge européen d’une question dite préjudicielle, du latin pre-judicare, avant juger. Le juge demande si telle règle qu’il se prépare à appliquer doit s’interpréter comme ceci ou comme cela.

Or la question prioritaire du sans-papier lillois repose en fait sur du droit européen : c’est l’article 67 du TFUE qu’on veut interpréter, et non la Constitution, qui ne fait qu’y renvoyer.

Et la Cour de cassation estime qu’on est là face à un problème insoluble.

La QPC est prioritaire, elle doit être traitée en premier, et dans un délai de trois mois qui fait obstacle à ce qu’une question préjudicielle soit traitée par la CJUE. Et les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours, c’est la Constitution qui le dit (art. 62). Donc si elle tranche une question d’interprétation du droit européen, il n’est plus possible de saisir la CJUE de cette interprétation. Ce qui est contraire au droit européen, dont le respect est un impératif constitutionnel.

Alors, par sa décision du 12 avril, la cour de cassation va refuser d’examiner tout de suite cette question, et poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne, non pas sur la compatibilité de la bande des 20 km avec le droit de l’Union, mais sur la compatibilité de la loi organique organisant la procédure de QPC avec le droit de l’Union, en ce qu’elle risque d’écarter la procédure de question préjudicielle.

La question préjudicielle étant qualifiée d’urgente par la cour de cassation, elle va être examinée rapidement (on parle d’une audience courant juin). Elle peut aboutir à remettre en cause - provisoirement- la procédure de QPC si la CJUE déclare la loi organique organisant les modalités de cette procédure contraire au droit européen, contraignant le parlement à en adopter une autre. À suivre.

Deuxième acte : le 7 mai dernier, la cour de cassation a rejeté une QPC posée par l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol contestant la constitutionnalité de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 instaurant le délit de contestation de crimes contre l’humanité, qu’il estimait contraire à la liberté d’expression. Ce rejet reposait sur le caractère non sérieux de la demande, car, explique la Cour,

l’incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l’infraction de contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par des membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, infraction dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d’expression et d’opinion.

Mon ami Jules est chiffonné par cette décision et pour tout dire moi aussi. La Cour ne démontre pas dans cet attendu que la question posée n’était pas sérieuse, mais que la loi Gayssot est conforme à la Constitution, ce qui est répondre à la question. Et comme une QPC est irrecevable si la question a déjà été tranchée, la Cour de cassation vient de claquer la porte au nez du Conseil constitutionnel, qui ne se verra jamais transmettre cette question, sachant que la loi Gayssot n’avait à l’époque pas été déférée au Conseil constitutionnel. On peut le regretter, et je dirais même plus : on ne peut que le regretter. D’autant plus que le Conseil constitutionnel avait précisé, dans le commentaire de sa décision sur la loi organique sur la procédure de QPC publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel (pdf), que le manque de sérieux devait s’entendre comme une demande fantaisiste ou à but dilatoire uniquement. On peut ici douter que tel fût le cas.

Acte trois : le cave se rebiffe

Mais ils connaissent pas Raoul, à la Cour de cassation. Ce vent de rébellion soufflant des quais de Seine à travers les jardins du Louvre jusque dans la rue de Montpensier n’a pas échappé aux neuf sages et deux moins sages. L’affront ne pouvait pas rester impuni, et le Conseil a saisi l’occasion qui lui était fournie par l’examen de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Parmi divers griefs, tous rejetés par le Conseil, les parlementaires contestaient le fait que le Gouvernement, à l’origine de cette loi, prétendait que le droit européen obligeait la France à cette libéralisation alors que selon les parlementaires, il n’en était rien. Les parlementaires invoquaient précisément l’arrêt de la cour de cassation du 12 avril, celui-là même qui posait la question préjudicielle à la CJUE, en l’ayant très mal compris (ou alors ils sont facétieux, ce qui n’est pas impossible), puisqu’ils en déduisaient une invitation de la cour de cassation faite au Conseil constitutionnel à vérifier la conformité de la loi au droit européen (alors que la cour de cassation exprimait plutôt une crainte que le Conseil constitutionnel ne le fasse).

Le Conseil va bondir sur l’occasion pour répondre à la question qu’on ne lui a pas posée.

Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010.

10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;

11. Considérant, d’autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l’article 61-1 de la Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l’articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ; qu’ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité ;

12. Considérant que l’examen d’un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l’Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;

Le Conseil répond à la cour de cassation : non, nous ne nous occuperons pas de la conformité de la loi au droit européen, ça, c’est votre travail, et celui de notre voisin de l’autre côté des colonnes de Buren. Et il détaille.

13. Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ;

Ce considérant ne répond absolument pas au recours des parlementaires. On est loin de la loi sur les jeux en ligne. C’est bien à la cour de cassation que le Conseil constitutionnel s’adresse. Il répond à l’arrêt du 16 avril.

Et le Conseil enfonce le clou en livrant même un mode d’emploi détaillé de l’articulation QPC/question préjudicielle.

14. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d’examen est strictement encadrée, peut, d’une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d’autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu’il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l’article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23 1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige ;

15. Considérant, en dernier lieu, que l’article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu’elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, de l’obligation de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

En somme, transmettre une QPC n’interdit pas de poser également une question préjudicielle. Car les deux visent à vérifier la conformité de la loi à deux droits différents : la Constitution pour la première, le droit européen dans la deuxième. Pour que la loi survive à cette ordalie, il faut qu’elle soit conforme aux deux.

16. Considérant que, dans ces conditions, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 61 ou de l’article 61-1 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu’ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et européens de la France, en particulier avec le droit de l’Union européenne, doit être écartée.

Le Conseil constitutionnel répond ainsi à la QPC qui ne lui a pas été transmise : la bande de 20 km sera jugée conforme à la Constitution, comme le Conseil l’a dit en 1993 ; quant au fait de savoir si elle est conforme au droit européen, c’est au juge français, en dernier lieu à la cour de cassation de le dire (le premier juge du droit européen est le juge national), au besoin en saisissant elle même la CJUE d’une question préjudicielle.

La mise en place de telles réformes ne va jamais sans peine. Il y a des conflits de compétence, qui se règlent avec le temps.

Mais à ma connaissance, c’est la première fois qu’on voit ainsi deux des hautes juridictions s’engueuler par décisions interposées. On peut s’en amuser. On peut aussi se désoler d’y voir le signe d’une République peu apaisée.

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