Pourquoi mon anonymat ?
Par Eolas le mardi 27 juin 2006 à 15:36 :: General :: Lien permanent
J’ai eu le plaisir d’être invité ce samedi par l’équipe du Big Bang Blog, soit Daniel Schneidermann, David Abiker et Judith Bernard, que ceux d’entre vous qui comme moi regardent régulièrement Arrêt sur Image connaissent bien.
Il s’agissait d’une conversation à bâtons rompus sur le thème général du pouvoir des blogues, en écho à la chronique de Daniel Schneidermann dans Libération. Je n’étais pas le seul invité : je partageais les fauteuils du salon du chalet avec l’auguste Professeur Frédéric Rolin, et l’ennemi public numéro 1 à l’Ouest de la Seine, Christophe Grébert.
Je ne déflorerai pas le contenu de ce plaisant entretien qui devrait être en ligne prochainement, mais souhaite revenir sur un des points qui a été abordé au cours de cette discussion, celui de mon anonymat. Daniel Schneidermann m’a semblé être très intrigué là dessus, et il est vrai que j’étais le seul des six personnes présentes à celer ma véritable identité, ce qui, ajouté aux pouvoirs que l’on me prête bien indûment, semble faire de moi une sorte de super-héros.
J’ai été assez pris de court par les questions insistantes de Daniel Schneidermann, qui m’a même gentiment provoqué en me demandant tout de gob : “Mais en fait, qu’est ce qui me prouve que vous êtes bien avocat ?”
Je vais donc revenir sur ce point à tête reposée et développer les raisons de ce choix.
Ce choix remonte à avant même la création de mon blogue, fin 2003, début 2004. Comme beaucoup de blogueurs, j’ai commencé à commenter chez les autres. C’était l’époque de la discussion de la LCEN qui devait faire tomber sur internet une chape de plomb et la fermeture de tous les blogues, un peu comme aujourd’hui la loi DADVSI va jeter en prison tous les internautes. Il est d’usage d’utiliser un pseudonyme quand on commente afin d’identifier l’auteur du commentaire. Or Eolas est un pseudonyme que j’utilise depuis longtemps, qui présente des avantages nombreux : il fait 5 lettres, est très fréquemment disponible, et représente assez bien ma démarche que j’ai toujours voulu pédagogique. En effet, Eolas est un mot gaëlique irlandais, qui veut dire information, connaissance, au sens d’issue de l’expérience. A l’aéroport de Dublin, vous verrez ainsi “Eolas” écrit partout : cela indique tout simplement les renseignements.
Quand, sur la recommandation amicale d’une blogueuse chez qui je laissais d’interminables commentaires, j’ai ouvert mon propre blogue, j’ai naturellement pris le nom d’Eolas pour le nommer, choisissant comme titre “Journal d’un avocat”, et comme sous titre “Instantannés de la justice et du droit”. Au début, je racontais surtout des anecdotes d’audience, amusantes ou émouvantes. Puisque je n’étais que conteur, il était dans la logique de ma démarche de ne pas me montrer : Je n’étais qu’un spectateur anonyme, que je reste donc anonyme. Ce qui comptait, c’était que je fusse avocat, et que j’avais la compétence pour expliquer ce que je racontais. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à faire des commentaires juridiques tirées de l’actualité et non d’une audience.
Le deuxième avantage m’était aussitôt apparu et a été déterminant pour entériner ce choix : les blogues étaient une nouveauté, et l’Ordre ne s’était pas encore penché sur la question. L’anonymat me mettait à l’abri de la question : était-ce un site d’avocat ou non ? Grâce à mon anonymat, la réponse était clairement non, je ne tombais pas dans la réglementation restrictive de la publicité des avocats, tout en restant soumis, du fait que je faisais état de ma qualité d’avocat, à la déontologie de ma profession. Afin d’être cohérent, je posais dès le début un principe toujours en vigueur : je ne consulte pas ni n’accepte de dossier via ce blogue. Mon anonymat m’a d’ailleurs mis à l’abri des lecteurs qui me trouvant fort sympathique, décideraient de m’appeler au téléphone histoire de me parler une heure de leur dossier pour que je leur dise ce que j’en pense, pro bono[1] s’entend.
Je crois pouvoir affirmer que c’est ce qui m’a donné une certaine crédibilité dans la blogosphère, outre les qualités de pédagogue qu’on veut bien me prêter : je ne pêche pas de clients, je ne me mets pas en scène, et mon blogue ne supporte pas de publicité (hormis un lien vers Dotclear et un autre vers Kozlika, mais ce sont des crédits plus que de la pub, Dotclear étant le logiciel que j’utilise et Kozlika ayant créé le thème que j’utilise). Le fait que je blogue est totalement gratuit. Je n’ai rien à y gagner, pas même la gloire puisque personne ne sait qui je suis.
Enfin, presque personne.
Cette réflexion a été faite à une époque où j’espérais tant bien que mal attirer une petite centaine de lecteurs quotidiens. Aujourd’hui que je suis à cent fois plus et que mon blogue est lu par mes confères et des magistrats, je me trouve parfois pris au piège de ces principes. Des magistrats viennent commenter et parfois engager des controverses avec d’autres lecteurs, avec une liberté de ton qui leur est interdite dans l’exercice de leur fonction (liberté due pour eux aussi à l’anonymat qu’ils choisissent). Toutefois, certains se sont présentés à moi sous leur vrai nom. J’estimerais discourtois qu’ils ôtassent leur masque sans que je retirasse le mien, surtout que cette situation crée le risque qu’un jour je me retrouve face à eux professionnellement, eux ignorant que je suis Eolas, et la situation ambiguë ainsi créée me dérangerait profondément. Je préfère prendre les devants et répondre à leur confiance par la confiance. Il y a donc une poignée de magistrats qui connaissent mon vrai nom. Et je n’ai jusqu’à présent jamais eu à plaider face à eux. Plusieurs confrères savent également qui je suis, qu’ils m’aient contacté via mon blogue ou que je les connaisse d’avant : l’existence de mon blogue n’est pas un mystère pour mes proches.
De même, il m’arrive de me rendre, à visage découvert, à des réunions de blogueurs. Mon identité n’est pas un secret honteux, c’est une démarche qui m’a semblé naturelle. Je précise pour ceux qui auraient des doutes que dans le barreau pléthorique où j’exerce, mon nom ne dira rien à la plupart de mes confrères ni à la plupart des magistrats, seuls les juges d’instruction étant assez durablement au contact des avocats de leurs dossiers pour arriver à coller un nom sur un visage.
Voilà donc ce point sur mon anonymat, qui ne cache rien d’autre que mon nom : pas de secret honteux, pas de scandale en germe, juste la volonté de séparer ce blogue, qui est un acte totalement gratuit, un cadeau que je fais à qui veut bien me lire, de mon activité professionnelle, qui est tout sauf gratuite, mes clients me le font régulièrement remarquer.
Notes
[1] : Litt. “Pour le Bien”. C’est une expression latine qui permet d’éviter de dire “gratuit” qui est un mot obscène chez les avocats.
Commentaires
1. Le mardi 27 juin 2006 à 15:49 par NeverBeen
2. Le mardi 27 juin 2006 à 15:55 par Neville
3. Le mardi 27 juin 2006 à 15:56 par Kaoru
4. Le mardi 27 juin 2006 à 15:58 par arno
5. Le mardi 27 juin 2006 à 16:02 par mathieu
6. Le mardi 27 juin 2006 à 16:11 par GroM
7. Le mardi 27 juin 2006 à 16:27 par xave
8. Le mardi 27 juin 2006 à 16:37 par Alexis Mons
9. Le mardi 27 juin 2006 à 16:40 par Authueil
10. Le mardi 27 juin 2006 à 16:49 par Wulf
11. Le mardi 27 juin 2006 à 16:51 par Charivari
12. Le mardi 27 juin 2006 à 16:59 par Gastiflex
13. Le mardi 27 juin 2006 à 17:21 par GCX
14. Le mardi 27 juin 2006 à 17:24 par Flolivio
15. Le mardi 27 juin 2006 à 17:33 par Luka
16. Le mardi 27 juin 2006 à 17:38 par La Vieille
17. Le mardi 27 juin 2006 à 18:13 par BBBruno
18. Le mardi 27 juin 2006 à 18:28 par bart
19. Le mardi 27 juin 2006 à 19:33 par Irène Delse
20. Le mardi 27 juin 2006 à 19:34 par Héron
21. Le mardi 27 juin 2006 à 19:44 par Irène Delse
22. Le mardi 27 juin 2006 à 19:56 par koz
23. Le mardi 27 juin 2006 à 21:51 par Souplounite
24. Le mardi 27 juin 2006 à 23:59 par Nathanael
25. Le mercredi 28 juin 2006 à 00:38 par Le Monolecte
26. Le mercredi 28 juin 2006 à 12:58 par zerbinette
27. Le mercredi 28 juin 2006 à 14:52 par coco
28. Le mercredi 28 juin 2006 à 14:56 par Nicob
29. Le mercredi 28 juin 2006 à 21:14 par The Jedi
30. Le jeudi 29 juin 2006 à 14:47 par Thomas
31. Le jeudi 29 juin 2006 à 15:09 par lmpo
32. Le jeudi 29 juin 2006 à 15:31 par Thomas
33. Le jeudi 29 juin 2006 à 16:16 par Cobab
34. Le jeudi 29 juin 2006 à 16:30 par yves
35. Le jeudi 29 juin 2006 à 23:35 par yves
36. Le mercredi 5 juillet 2006 à 10:37 par Anne
37. Le vendredi 28 juillet 2006 à 15:51 par titalex