Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 12 mai 2010

Copier n'est pas juger

Voilà ce qui arrive quand un juge d’instruction ne lit pas mon blog.

La suite des choses : le parquet a fait appel. La cour d’appel pourra soit considérer comme valable l’ordonnance de renvoi copie servile du réquisitoire définitif, et “évoquera l’affaire”, c’est à dire la jugera, soit elle considérera que le tribunal d’Évry avait raison et fera retour de la procédure au juge d’instruction pour qu’il régularise, c’est à dire prenne une ordonnance de renvoi conforme à la loi du 5 mars 2007.

La remise en liberté du prévenu est définitive jusqu’au jugement. Il sera donc jugé libre et le cas échéant retournera en prison en exécution de sa peine, ce qui est le principe, la détention avant jugement étant une exception. Aussi regrettable soit cette bévue du juge d’instruction, ce n’est pas un scandale.

Les mauvaises habitudes ont la vie dure.

mardi 11 mai 2010

De la QPC, du corporatisme des juges, et de quelques approximations intellectuelles...

Par Gascogne


Ce matin sur France Culture, Olivier Duhamel s’est livré dans le cadre d’une courte chronique, à un exercice de poujadisme radiophonique comme on en entend malheureusement trop souvent dés que l’on aborde des questions de justice, et ce d’autant plus si ces questions sont techniques.

Il a voulu démontrer qu’en matière de question préjudicielle de constitutionnalité, dont le Maître des lieux a expliqué les mécanismes ici et , les magistrats de la cour de cassation faisaient preuve, pour reprendre ses propres termes, de “conservatisme” et de “corporatisme”. C’est étonnant comme depuis quelques temps ces termes, bien évidemment péjoratifs dans la bouche de ceux qui les utilisent, servent utilement chez quelques chroniqueurs se voulant les garants d’une forme de morale politique qui ne souffre aucune contestation, d’alpha et d’oméga du raisonnement. Inutile d’aller plus loin dans la discussion, l’attribution de ces qualificatifs suffit à elle seule à dénigrer et à asseoir ce qui se veut être un raisonnement définitif.

Or, en matière de raisonnement, Olivier Duhamel nous avait habitués à mieux. La paresse intellectuelle semble quelque peu le gagner…

Que dit-il aux auditeurs de France Culture ? Tout simplement qu’en matière de transmission des questions préjudicielles de constitutionnalité, les juges du fond, qu’ils soient administratifs ou judiciaires, “jouent le jeu” (résumer une question de libertés publiques à un jeu laisse quelque peu perplexe, mais passons), mais que si le Conseil d’État mérite un satisfecit d’Olivier Duhamel dans l’application de la procédure (les sages du Palais-Royal en seront fort aises), la cour de cassation par contre fait tout pour “saboter” cette réforme.

Je passerai sur le fait que l’on se demande bien pour quel motif la cour de cassation chercherait à “saboter” une réforme constitutionnelle, à part éventuellement en vue de fomenter un coup d’État, le premier président de cette institution ayant peut-être quelques velléités de tourner dictateur malgré son âge vénérable, pour m’en tenir au fond du propos.

Première difficulté dans la raisonnement : notre constitutionnaliste aguerri n’est pas extrêmement précis dans les chiffres. Il parle de “centaines” de décisions transmises par les bons juges qui jouent le jeu. Affiner ses estimations aurait sans doute été utile, et aurait également permis de constater que si les juridictions du fond ont effectivement transmis un certain nombre de QPC, on a pu constater à chaque audience suite à l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle que bien des requêtes en transmission ont été rejetées, les juges considérant les demandes comme non sérieuses, tout comme vient de le faire la cour de cassation. Aucune statistique n’a encore été effectuée en l’état, seules les transmissions étant comptabilisées, mais je pense que les magistrats qui me lisent pourront confirmer avoir vu ces décisions dans toutes les juridictions de France et de Navarre. Qu’elles ne soient pas entrées en statistique ne veut pas dire qu’elles n’existent pas.

Là où on touche à la limite de la mauvaise foi, ou dans le meilleur des cas à de la désinformation, c’est lorsque notre chroniqueur matinal fait d’une décision de la cour de cassation refusant la transmission au conseil constitutionnel une généralité, dont il tire sa conclusion suprême et définitive : les hauts magistrats, par conservatisme et corporatisme, tentent de saborder la réforme constitutionnelle en refusant de transmettre.

Je suis certain que France Culture dispose d’une connexion internet. Je ne peux dés lors que proposer à Olivier Duhamel, lorsqu’il souhaite parler d’une décision de justice, de se rendre à sa source. Il découvrira alors à cette adresse, dédiée à la jurisprudence de la cour de cassation, notamment en matière de QPC, que le 7 mai 2010, date à laquelle la décision de refus de transmission critiquée[1] a été rendue, 4 autres arrêts ont été rendus. Un a porté refus de transmission (comme la réforme constitutionnelle l’y autorise si la cour estime que cette question n’est pas sérieuse), 3 ont porté transmission au conseil constitutionnel.

Alors on peut bien entendu critiquer les deux refus de transmission, sur le fond (car sur la forme, cela revient à critiquer la réforme constitutionnelle elle-même, et à dire que la cour de cassation ne devrait servir que de boîte au lettre, et non pas de filtre, comme Olivier Duhamel le rappelle pourtant au début de sa chronique). Mais si l’on est de bonne foi, on ne passe pas sous silence trois décisions qui démontrent à elles seules l’inanité des accusations si faciles de corporatisme et de conservatisme.

M. Duhamel est en droit d’espérer un plus grand libéralisme de la part de la cour de cassation. Les auditeurs de France Culture sont en droit d’espérer un peu plus de rigueur intellectuelle sur une radio qui ne mérite sans doute pas de telles approximations.

Notes

[1] portant sur le fait que l’article 9 de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 ayant inséré, après l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article 24 bis instaurant le délit de contestation de crimes contre l’humanité serait contraire aux principes constitutionnels de la légalité des délits et des peines ainsi que de la liberté d’opinion et d’expression

dimanche 9 mai 2010

Bonne journée de l'Europe

C’est une bien triste journée de l’Europe cette année. La crise qui frappe l’Europe, crise dont les dirigeants des pays européens (et je ne parle pas que de la Grèce, même si elle a poussé la gabegie vers de nouveaux sommets de l’Olympe) sont bien plus responsables que l’épouvantail habituels des méchants spéculateurs, met à rude épreuve la solidarité européenne qui est le ciment de l’Union.

Depuis le début, on sait que le pire ennemi de l’Union, et le poison du continent, sont les égoïsmes nationaux. Demandez aux Belges. Et qu’ils se nourrissent aussi de l’idée que l’Europe est devenue un acquis définitif, sur lequel on peut taper indéfiniment à peu de frais. Au risque, à force de lui mettre sur le dos tous les problèmes, de convaincre l’opinion que l’UE est la source de ces problèmes. On a vu le résultat en 2005, et on le voit encore aujourd’hui.

Alors rappelons nous des paroles de sagesse, celles à l’origine de cette journée de l’Europe puisqu’elles ont été prononcées un 9 mai, le 9 mai 1950, par Robert Schumann, ministre des affaires étrangères français.

La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.

La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d’une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre.

L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne.

Texte intégral de la déclaration Schumann.

L’Europe pour moi est comme une bicyclette. Soit on avance, soit on tombe. La crise actuelle démontre qu’il est plus que temps de relancer la construction européenne, vers une union encore plus forte, encore plus profonde. Nous savons bien que la ligne d’arrivée est un véritable fédéralisme. Croire que la France, ou même l’Allemagne, pèseront encore politiquement avec l’arrivée de ces géants que sont l’Inde et la Chine, qui regroupent quasiment la moitié de l’humanité, est se bercer d’illusions.

Alors haut les cœurs. L’Europe mérite qu’on se batte pour elle, plutôt qu’on se batte malgré elle.

Et comme il est de tradition sur ce blog en ce jour :

9e symphonie de Beethoven, BBC Philarmonic Orchestra, direction : Gianandrea Noseda.

Je sais que l’hymne de l’Europe est un arrangement de ce mouvement de la 9e symphonie de Beethoven fait par Herbert von Karajan en 1984. Mais je trouve que le chœur chantant l’hymne à la joie de Friedrich von Schiller manquerait trop. Surtout par les temps qui courent.

Bonne journée de l’Europe à tous.

mercredi 5 mai 2010

Gardes à vue : et si on se passait d'une loi ?

Saluons une heureuse initiative du parquet de Grenoble, dont le vice-procureur, a décidé d’autoriser une avocate à assister son client au cours de la garde à vue, c’est-à-dire d’être présente lors de l’interrogatoire, et de pouvoir faire des observations et poser des questions, en fin d’interrogatoire dans cette affaire, mais c’est un début.

Capitulation du ministère public face aux avocats ? Ce serait flatteur pour nous, mais il n’en est rien. Le souci principal, et à mon avis fondé, exprimé par le vice-procureur (interrogé par l’AFP) est la validité des procédures. La jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme en la matière est parfaitement claire, et la condamnation de la France apparaît inéluctable. De plus en plus de juridictions annulent des auditions effectuées en garde à vue sans l’assistance d’un avocat. C’est un risque que la sagesse exige de ne pas prendre. Si ça se fait au profit des droits de la défense, tout le monde est content.

Et quand je dis tout le monde, c’est tout le monde. Je profite de mes permanences garde à vue pour prendre mon bâton de pélerin et en parler avec les Officiers de Police Judiciaire (OPJ) que je rencontre. Et je constate que l’opposition à ce changement manifesté par certaines organisations syndicales n’est pas partagée sur le terrain. L’inéluctabilité de cette évolution est bien comprise, les OPJ sachant lire la Convention et les arrêts de la CEDH. Eux. Les seules réserves que j’entends, et je les comprends, sont que cette assistance ne doit pas nuire à l’avancée du dossier. À nous avocats de nous rendre disponibles. Je sais que ce sera difficile pour les petits barreaux (petits par le nombre d’avocat les composant s’entend). La question de la rémunération de l’avocat commis d’office dans ce cadre se pose aussi. Mais il s’agit là de questions pratiques d’organisation.

Car au-delà de cette première, qui montre bien que la République ne s’écroule pas en laissant un avocat faire son travail, cette affaire révèle un point intéressant. Il n’est nul besoin d’une loi pour appliquer les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (de son vrai nom Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et Libertés Fondamentales). Il n’y a pas à changer d’un iota le code de procédure pénale (CPP) pour appliquer la jurisprudence Salduz et Dayanan.

En effet, que dit le CPP ? C’est l’article 63 qui définit la garde à vue.

Article 63 :

L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République.

La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.

Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.

Pour l’application du présent article, les ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil constituent un seul et même ressort.

Pas un mot sur l’avocat. Celui-ci apparaît à l’article 64-4, au titre des droits associés à la mesure de garde à vue, dont la notification est obligatoire (art. 63-1) :

Article 64 :

Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.

Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

L’avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.

À l’issue de l’entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.

L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.

Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.

Si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 4°, 6°, 7°, 8° et 15° de l’article 706-73, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de quarante-huit heures. Si elle est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 3° et 11° du même article, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante-douze heures. Le procureur de la République est avisé de la qualification des faits retenue par les enquêteurs dès qu’il est informé par ces derniers du placement en garde à vue.

Fermez le ban.

L’interprétation actuelle de cet article, et qui, reconnaissons-le, était clairement la volonté du législateur quand cet entretien a été institué en 1993, est que cet entretien constitue le seul contact autorisé avec l’avocat. Tout ce que la loi ne prévoyait pas expressément était interdit : pas d’accès au dossier, pas de présence lors des interrogatoires et confrontations.

Mais sans changer une virgule à ce texte, on peut aussi se rappeler que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, pose dans son article 5 que

La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Donc dès lors que la loi n’interdit pas cette présence, elle ne devrait pouvoir être empêchée, d’autant plus qu’elle s’appuie sur les exigences des droits de la défense.

Il suffit donc d’interpréter cet article 63-4 comme prévoyant un droit à un entretien confidentiel, limité à 30 minutes en raison des délais de garde à vue (24 heures, renouvelables une fois), qui ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la défense, mais sa simple mise en place, l’avocat pouvant assister aux interrogatoires, à charge de l’OPJ de le prévenir en temps utile quand un tel interrogatoire va avoir lieu pour lui permettre de se rendre sur place immédiatement.

On objectera qu’il s’agit là d’aller très loin dans l’interprétation littérale, pour donner au texte un sens différent de celui voulu par le législateur. Certes, je reconnais la force de l’argument. Mais il n’est pas invincible. Si l’esprit de la loi est contraire à la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, quand sa lettre l’est, c’est la lettre qu’il faut appliquer. On applique la loi en vigueur aujourd’hui, et non la volonté du législateur d’il y a 17 ans.

D’ailleurs, nombreux sont les parquets qui acceptent la présence de l’avocat lors de la comparution devant le procureur qui notifie une comparution immédiate après avoir recueilli les déclarations du prévenu (art. 393 du CPP). Or cet article est clair sur la chronologie :

En matière correctionnelle, après avoir constaté l’identité de la personne qui lui est déférée, lui avoir fait connaître les faits qui lui sont reprochés et avoir recueilli ses déclarations si elle en fait la demande, le procureur de la République peut, s’il estime qu’une information n’est pas nécessaire, procéder comme il est dit aux articles 394 à 396.

Le procureur de la République informe alors la personne déférée devant lui qu’elle a le droit à l’assistance d’un avocat de son choix ou commis d’office. L’avocat choisi ou, dans le cas d’une demande de commission d’office, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, en est avisé sans délai.(…)

La loi est diaphane : le procureur reçoit les déclarations, puis seulement alors on permet à l’avocat d’entrer en scène, toutes les possibilités d’obtenir des aveux d’un type sans défense étant épuisées. Notons au passage que cet entretien, où des déclarations sont recueillies hors la présence de l’avocat est manifestement contraire à la jurisprudence Salduz et Dayanan. Bien des parquets (pas à Paris, hélas) permettent à l’avocat d’assister à cette comparution. Comme quoi, la loi est susceptible d’aménagements favorables aux droits de la défense, et il est évident qu’aucun tribunal n’annulera un procès verbal de comparution immédiate dressé en présence de l’avocat, tout simplement parce qu’il n’en résulte aucun grief pour la défense, au contraire même.

Alors, amis parquetiers, je vous propose de ne pas attendre que le législateur, trop occupé à se pencher sur comment les femmes doivent s’habiller pour se préoccuper d’un détail comme les droits de l’homme et ceux de la défense, qui sont un peu les mêmes, et de faire une interprétation restrictive de l’article 63-4 : il ne porte que sur l’entretien confidentiel et non le principe des droits de la défense qui exige l’assistance d’un avocat. Mettons nous à jour de la jurisprudence de la CEDH. On pourrait ainsi, dès aujourd’hui, faire progresser les droits de la défense. On aura quand même besoin de la loi, pour dire qu’on a bien eu raison de faire ainsi (mais ça, on le sait déjà), et pour prévoir l’indenisation des avocats commis d’office. Mais ça, c’est de l’intendance, elle suivra.

Chiche ?

vendredi 30 avril 2010

L'interdiction de la burqa dans l'espace public

Semaine burqa, désolé pour mes lecteurs, car j’ai parfaitement conscience de rentrer dans le jeu d’une opération de com’ gouvernementale. Mais le débat a lieu, et j’ai la faiblesse de penser que ma contribution, heureusement améliorée par les commentaires éclairés de mes lecteurs, peut y contribuer de façon modératrice.

Le gouvernement a fait connaître la teneur du futur projet de loi, qui sera très court (deux articles, vous voyez, quand il veut, il peut), et pénal.

L’article premier disposerait (et non stipulerait, lu dans un dépêche Reuters, terme réservé aux contrats et traités internationaux) que nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage, sous peine d’une amende de deuxième classe (150 euros max, 35 euros si on lui rend applicable la procédure d’amende forfaitaire). La peine complémentaire du stage de citoyenneté (131-16, 8°) est prévue pour cette contravention.

L’article 2 punirait celui qui impose le port d’un tel vêtement (je n’ai pas hélas la partie de l’article qui définit le vêtement, c’est pourtant une partie intéressante) par la «violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité», d’une peine de prison jusqu’à un an et 15 000 euros d’amende.

Le Figaro rapporte les propos suivants du rédacteur du projet de loi. Je crois qu’ils se passent de tout commentaire. Mais ce n’est pas une raison pour que je me retienne.

«Au nom des principes, nous avons opté pour une interdiction totale, explique un des rédacteurs du projet. Mais nous avons décidé des peines légères, car ces femmes sont souvent victimes.»

C’est une nouveauté : désormais, on punit les victimes. Mais d’une peine modérée, hein, on n’est pas des barbares non plus.

Sur la peine d’emprisonnement prévue pour le délit de port imposé du niqab :

[c’est une peine] «qui clarifie notre intention: cette loi n’est pas faite pour protéger la société française de l’islamisme mais bien les femmes et leurs droits».

Autre nouveauté : on peut mettre des gens en prison pour clarifier l’intention du gouvernement. Tant il n’est rien de pire en République qu’un malentendu.

Et là, un prix Busiris qui se perd, puisqu’on ne peut le décerner à un anonyme :

Le gouvernement n’a pas souhaité clarifier plus avant les bases de l’interdiction, qui repose implicitement sur la dignité ou encore ce que le Conseil d’État dans son étude avait appelé l’«ordre public immatériel», qui intègre la protection des valeurs de notre société.

«De toute façon, le Conseil d’État n’a trouvé aucun motif qui permette, selon lui, l’interdiction totale. Donc nous ne sommes pas étendus sur les fondements», résume un des auteurs du projet de loi.

Les bras m’en tombent. “C’était trop compliqué de rendre légal notre projet, alors on s’est dit : on s’en fout”.

Décidément, la politique est un monde qui m’est par trop étranger. Retournons vite faire du droit.

Sur ce projet de loi, tout d’abord.

Dès l’article premier se pose un problème constitutionnel. Ce n’est pas à la loi de prévoir des contraventions, qui relèvent du domaine réglementaire, c’est à dire du décret. On ne respecte pas la hiérarchie des normes. Dans ce cas, ce n’est pas trop grave, la constitution prévoit une procédure pour que le Conseil constitutionnel requalifie les dispositions législatives en dispositions réglementaires, qui peuvent dès lors être abrogées ou modifiées par un décret (art. 37 al. 2 de la Constitution). C’est comme ça que l’article de loi vantant le rôle positif de la colonisation avait été enterré sans fleur ni couronne. Mais qu’on en appelle la voix vibrante aux valeurs de la République et que dès l’article premier, on s’essuie les semelles sur la Constitution me paraît peu cohérent.

Ensuite, cet article premier crée un nouveau concept, qui va donner lieu à controverse : celui “d’espace public”. Qu’est-ce que c’est, où commence-t-il, ou finit-il ? Il exclut le domicile familial, c’est à peu près la seule certitude qu’on peut avoir. Ça tombe bien, c’est le seul lieu ou le port du niqab ne s’impose pas, sauf visite d’un homme extérieur à la famille proche.

L’article punit toute tenue “destinée à dissimuler le visage”. Donc une tenue qui dissimule le visage sans que cela soit sa destination, mais une conséquence accessoire, n’est pas concernée. Cela va donner lieu à des controverses byzantines. Les casques intégraux des motards ne sont pas concernés, de même que les masques anti-viraux, que Mme Bachelot se rassure. Ils dissimulent certes le visage, mais ce n’est pas leur destination. En revanche, tombent sous le coup de la loi les femmes portant le niqab ou la burqa, ainsi que les touaregs portant le chèche, les clowns et Lady Gaga.

L’article 2 instaure un délit. Nous sommes bien dans le domaine de la loi. Ça ne veut pas dire qu’il ne pose pas de problème, vous allez voir.

Il punit celui (ou celle, mais on se comprend, hein) qui impose le port d’un vêtement destiné à dissimuler le visage par “la violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité”.

Je voudrais dissiper un malentendu, tant le gouvernement a l’air pointilleux sur ce point. Le fait d’user de violence ou de menace à l’encontre d’autrui, surtout si c’est sa compagne ou son épouse, est déjà puni par la loi. Et plus sévèrement.

La loi punit ainsi les violences commises sur son conjoint (ou sa maîtresse si on habite à Nantes) même si elle n’ont pas causé d’incapacité totale de travail (des violences verbales suffisent) de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende : article 222-13, 4bis° du code pénal.

De même, la menace de commettre des violences est punie des mêmes peines quand elle est faite avec l’ordre de remplir une condition (“porte le niqab” -condition- “ou je t’en colle une” -menace de violence), peines portées à 5 ans et 75 000 euros quand il s’agit d’une menace de mort. Article 222-18 du code pénal.

Vous vous souvenez de la règle “les lois spéciales dérogent aux lois générales” ? Mais si, c’est la règle qu’invoquent les parquetiers pour expliquer que la détention provisoire est possible en cas de comparution immédiate même pour des peines encourues inférieures à trois ans. Eh bien en appliquant la même logique, le fait de battre sa femme ou de la menacer de mort pour qu’elle porte la burqa sera moins sévèrement réprimé que si c’était parce que le couscous a été fait avec du poulet (ce qui convenons-en est une abomination).

Le législateur n’a rien appris de la loi sur l’inceste.

Restent deux hypothèses, l’abus de pouvoir ou d’autorité.

Nouveau problème. Depuis 1965, l’époux n’a plus ni pouvoir ni autorité sur son épouse. Les époux sont strictement égaux en droit. Donc l’époux n’a ni pouvoir ni autorité dont il pourrait abuser. L’autorité morale qui lui reconnaitrait son épouse en vertu de ses croyances religieuses ne constitue pas l’autorité prévue par la loi, les croyances religieuses ne pouvant pas avoir de conséquences, positives ou négatives, sur l’application de la loi pénale. Laïcité oblige.

On a donc un article qui allège la répression dans deux cas, et en crée deux inapplicables. De la bien belle ouvrage. On se prend à rêver de ce qu’aurait été un article 3.

mercredi 28 avril 2010

Peut-on conduire habillé ?

Je reviens sur le billet de dimanche sur la burqa au volant pour développer un point qui n’a pas de lien direct avec ledit vêtement. J’en profite pour vous préciser que les commentaires seront fermés demain matin, les 300 commentaires ayant été atteints. Vient un moment ou le débat devient du bruit, et la profusion de commentaire n’est pas un gage de modération du ton.

J’ai rédigé ce billet en ayant à l’esprit la seule explication que donnait la presse, et qui semble-t-il a bien été le fondement de la contravention : le fait que le voile réduisant le champ de vision, il était incompatible avec la conduite pour le policier instrumentant.

Des lecteurs ont objecté que l’article R.412-6, II du code de la route prévoit deux hypothèses distinctes correspondant à ses deux phrases.

II - Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent. (première phrase) Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l’apposition d’objets non transparents sur les vitres (seconde phrase).

Et selon eux, le port du niqab, puisque c’est d’un niqab qu’il s’agit, entraverait assez les mouvements pour fonder la contravention.

J’objecte respectueusement.

Certes, la première phrase crée une première obligation sanctionnée d’une amende : se tenir en état et en position d’exécuter commodément les manœuvres. L’état et la position ne sont pas les vêtements portés.

La deuxième phrase mentionne bien le champ de vision et les possibilités de mouvement, qui ne peuvent être réduits par les quatre hypothèses mentionnées : nombre des passagers, position des passagers, objets transportés et apposition d’objet opaques sur les vitres. Donc la gêne provoquée par le port d’un vêtement ample ne tombe pas pour moi sous le coup du texte. C’est cette phrase qui a fondé pendant longtemps la verbalisation des conducteurs ayant un téléphone mobile à la main (ce qui est bien un objet transporté), jusqu’à ce qu’un décret de 2003 crée une contravention spécifique afin de permettre de l’assortir d’une perte de deux points sur le permis (la contravention générale n’étant pas assortie d’une telle perte de points).

Je passe rapidement sur l’argumentation par l’absurde qui a été soulevée par plusieurs lecteurs : on peut donc conduire les yeux bandés ou avec une camisole de force ? La réponse est bien sûr non. C’est matériellement impossible. Et comme il n’existe aucun cas documenté de conducteur ayant tenté de conduire avec une camisole de force (on se demande comment il aurait démarré) ou avec les yeux bandés (les conducteurs ayant une forte propension à aimer voir où ils vont), le législateur n’a pas ressenti le besoin d’interdire ces comportements.

L’argument par l’absurde est généralement ridicule ; il l’est toujours en droit. Prendre une règle, lui appliquer une hypothèse absurde et déduire de ce résultat absurde que la règle est absurde peut convaincre un auditoire, à condition qu’il soit en état d’ivresse avancé. Merci de considérer mes lecteurs comme raisonnablement sobres et intelligents. À ce train là, on peut aussi se demander, tout vêtement bardant le corps entravant ses mouvements, s’il n’est pas obligatoire de conduire tout nu.

Un deuxième mot sur la force probante des procès-verbaux. En matière de contraventions, le principe est que les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire apportée par écrit ou par témoins (art. 537 du CPP). On peut dès lors se demander si, du moment qu’un policier estime que tel vêtement entrave les mouvements, fermez le ban, le juge ne peut que s’incliner.

C’est là une très mauvaise compréhension de la règle de la force probante des procès verbaux. Cette force probante a deux limites (outre celle de la régularité de forme posée par l’article 429 du CPP). Elle ne porte que sur ce qui y est consigné, et surtout, elle ne porte que sur les faits.

Je développe.

On ne peut contester que par écrit ou par témoins le contenu de ces procès verbaux. Mais sur ce qu’ils ne disent pas, la preuve est libre.

Ainsi, prenons l’exemple d’un conducteur grillant un feu rouge. Le pv mentionnera “non respect d’un feu de signalisation rouge fixe, le véhicule sortant de l’impasse Rachida Dati et s’engageant à droite dans la rue Tabaga” (Oui, un PV de contravention n’est bien souvent pas plus long que ça). Le conducteur ne peut prouver que par écrit ou par témoins que le feu n’était pas rouge au moment où il l’a franchi. Mais il peut prouver par tout moyen que ce feu était endommagé et restait en fait en permanence au rouge. Par exemple, en le filmant avec son téléphone portable. Ainsi, la cour de cassation a cassé un jugement du juge de proximité qui s’était accroché à son PV constatant l’usage d’un téléphone au volant comme à une moule à son rocher, alors que le prévenu affirmait avoir été verbalisé à l’arrêt, l’obligation de ne pas voir ses mouvements réduits par un objet transporté ne s’appliquant qu’à un véhicule en circulation. Or le PV était muet sur ce point.

Enfin, la force probante ne porte que sur les faits constatés. Le fait qu’ils constituent effectivement l’infraction relève de l’office du juge. Cela ne pose généralement aucun problème, la plupart des contraventions, surtout au code de la route, étant purement matérielles. La simple constatation des faits met un terme au débat : le feu était rouge, le temps de stationnement était dépassé, point. Mais si les faits nécessitent une appréciation, elle relève du juge, et l’article R. 412-6 se prête volontiers à ce type de conflit d’appréciation. Ainsi, et nous en revenons à notre affaire, le fait que la conductrice portait un niqab, une fois consigné, est à peu près acquis, et le juge ne peut pas revenir là-dessus. Mais le fait de savoir si un niqab constitue effectivement une des entraves prévues par l’article R.412-6 du code de la route relève du juge et du juge seul, pas de la conviction personnelle du policier. Le fait que cette contravention ait été dressée ne met donc pas un terme au débat juridique.

dimanche 25 avril 2010

Cachez moi cette burqa avec laquelle vous ne sauriez voir

Ainsi donc, notre République, née d’une ivresse de liberté, s’enivre désormais d’interdictions. Et la dernière obsession de notre gouvernement semble être de vouloir interdire au nom de notre légendaire tolérance (légendaire comme le monstre du Loch Ness s’entend) le voile intégral, baptisé burqa pour l’occasion, le terme de niqab, plus exact, n’étant pas assez connoté Taliban.

Je laisserai de côté pour le moment le projet de loi d’interdiction générale annoncée, mais soyez surs que j’y reviendrai tant la chose s’annonce riche en prix Busiris.

La chasse à la burqa est déjà ouverte, tant la situation de notre pays ne connaît pas de thème plus urgent. Dernière illustration : une jeune femme circulant au volant d’une voiture ainsi vêtue a été verbalisée de 22 euros. La République ne s’est pas contentée de cette victoire contre les forces de l’obscurantisme, en les obligeant à la financer ; le ministre de l’intérieur s’est avisé que le mari d’icelle vivrait en état de polygamie, ce qui est une insupportable atteinte au monopole des présidents de la République. Et cet heureux homme se voit menacé de perdre sa nationalité française.

Et c’est là que la politique, je me retiens de dire démagogie, empiète sur mes terres, puisqu’elle se pique de faire du droit. Alors jetons un peu de lumière sur cette ténébreuse affaire.

L’amende pour conduite en burqa.

L’amende se fonde sur l’article R.412-6, II du code de la route, qui est un vrai code, et pas seulement un grand QCM illustré pour élèves d’auto-école.

II - Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent. Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l’apposition d’objets non transparents sur les vitres.

Le III de ce même article précise que

III - Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du II ci-dessus est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.

L’article 131-13 du Code pénal précise que le montant maximum de l’amende de deuxième classe est de 150 euros.

Vous vous doutez bien qu’on ne va pas toujours déranger un juge pour des amendes de ce montant. Surtout en matière de circulation routière où les amendes tombent comme à Gravelotte. Cette affaire a donc fait l’objet comme toutes les amendes de ce type de la procédure d’amende forfaitaire prévues par les articles 529 et suivants et R.48-1 et suivants du code de procédure pénale. Je n’entrerai pas dans le détail, disons que pour résumer, c’est : ne dérangez pas un juge et vous paierez un prix très réduit (35 euros pour une amende de 2e classe de droit commun, 22 euros pour une amende de 2e classe prévue relevant du Code de la route ; c’est précisément ce qu’a eu notre dame qui roule à voile et à moteur).

Se pose ici un premier problème, bien plus large que la question de la tenue de la conductrice : des condamnations pénales sont prononcées sans qu’un juge y tienne la main, ce qui est contrariant, surtout pour un avocat.

C’est plein de bonnes intentions que le législateur a inventé cette procédure, pavant ainsi un enfer procédural. Les contraventions concernées sont des infractions simples et purement matérielles, reposant uniquement sur la constatation d’un fait simple. Le feu était rouge quand la voiture l’a franchi ; le ticket horodateur était absent ou dépassé ; le contrôle technique a expiré ; etc. La loi donne donc à l’agent constatant l’infraction une grande foi dans ses propos. C’est l’article 431 du CPP :

Dans les cas où les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire ou les fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire ont reçu d’une disposition spéciale de la loi le pouvoir de constater des délits par des procès-verbaux ou des rapports, la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins.

De fait, c’est donc le policier qui est à la fois le parquet, juge de l’opportunité des poursuites, puisqu’il est libre de dresser ou non la contredance fatale, et juge, puisque son procès verbal simplifié (le fameux rectangle blanc autocopiant) vaut établissement de la culpabilité ET fixe la peine.

Oh bien sûr, on a sauvé les apparences. Vous pouvez faire opposition à cette amende et demander à être jugé par un tribunal, en l’occurrence la juridiction de proximité. Mais devant le tribunal, composé d’un juge unique, vous vous heurterez à cette règle de la preuve : la présomption d’innocence ne s’applique pas, c’est à vous de prouver votre innocence, et encore devez-vous le faire par écrit (essayez d’obtenir une attestation de verditude d’un feu tricolore) ou par témoins.

C’est à dire que vous pourrez tenir au juge les discours les plus convaincants sur votre innocence (je ne parle même pas du “mais non, il était orange bien mûr, le feu…”, préalable à une inéluctable aggravation de l’amende), il n’a même pas le droit de vous écouter. Il lui faut un écrit ou un témoin, certains juges voyant même dans le “s” final l’obligation d’en présenter au moins 2, mais la cour de cassation ne valide pas cette analyse. Et encore la force probante de vos écrits et témoins, conservons le s, sera-t-elle scrutée par le juge, qui pourra très bien les écarter. J’ajoute que si le témoin était dans l’habitacle du véhicule, le juge écartera probablement son témoignage du fait du mauvais champ de vision qu’il avait, burqa ou pas.

Une incise ici, destinée à certains confrères mais aussi à certains magistrats. Cette règle de force probante des procès verbaux est une exception. Notez bien le “Dans les cas où les policiers ont reçu d’une disposition spéciale de la loi le pouvoir de constater des délits par des procès-verbaux…”. J’entends régulièrement à des audiences, correctionnelles de surcroît, des gens de robe affirmer que “les procès verbaux font foi jusqu’à preuve contraire”, quand ce n’est pas inscription de faux. Non, NON et NON.

Le principe est posé par l’article 430 du CPP :

Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements.

Les policiers ont reçu une telle délégation exceptionnelle en matière de circulation routière (art.). Mais ce n’est pas le cas partout, et certainement pas en matière de délinquance de droit commun.

On peut donc contester le contenu d’un PV, et les tribunaux peuvent les écarter. N’hésitez pas à rappeler aux juges leur maigre force probante. Fin de l’incise.

Est-ce à dire que notre conductrice pudique est perdue et ne peut contester cette amende avec l’espoir d’un succès ?

Oh que si.

Car ce qui ne peut être contesté sont les faits matériels constatés par le procès verbal. Le feu était rouge. La rue était en sens unique. Le stop a été franchi sans marquer d’arrêt. Sur ces points, la messe est dite. Mais l’application du droit reste le monopole du juge.

Or ici se pose un vrai problème de droit.

En effet, rappelons que la loi pénale est d’interprétation stricte : article 111-4 du Code pénal.

Et l’article R. 412-6 du code de la route est une loi pénale puisque le III punit tout manquement au II d’une amende qui est une peine. Or que dit le II de cet article ?

Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent. Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l’apposition d’objets non transparents sur les vitres.

Comme vous le voyez, les vêtements portés par le conducteur ne sont pas couverts par ce texte.

“— Mais la burqa ne peut-elle être assimilée à un objet transporté ?” me demanderont des lecteurs soucieux de sécurité routière.

Non, car ce que vous faites est un raisonnement par analogie, ce qui est contraire à la règle d’interprétation stricte de la loi pénale qui exclut d’assimiler une situation voisine à une situation expressément visée par la loi pénale.

Pour moi, cette amende est illégale. Et le fait qu’elle frapperait une pratique qui n’aurait pas votre sympathie (je ne vous cache pas qu’elle n’a pas la mienne) ne la rend pas moins illégale pour autant. La juridiction de proximité devrait relaxer.

Mais les malheurs de cette famille ne s’arrêtent pas là.

La déchéance de la nationalité française du polygame

On le sait, l’identité nationale française s’est bâtie sur la fidélité à un seul partenaire, et aucun auteur français n’aurait osé écrire une pièce de théâtre où un homme aurait plusieurs maîtresses. Ce n’est certes pas chez nous qu’on verrait deux femmes pleurer un président de la République à ses funérailles. L’abrogation en 1975 du délit d’adultère n’a été que le constat d’une désuétude, et toutes les Françaises sont des Héloïse, et tous les Français, des Abélard. Ou des Tartuffe, je ne sais plus très bien.

Or celui qui est présenté comme l’époux de cette conductrice longue vêtue aurait simultanément trois ou quatre conjointes (trois selon le JDD de ce jour), auxquelles il aurait fait douze enfants (en tout, pas à chacune). Et, précise Brice Hortefeux, les épouses, c’est comme les Auvergnats : quand il y en a une, ça va, c’est quand il y en a plusieurs qu’il y a des problèmes.

Or chacune d’entre elles, ajoute perfidement le ministre de l’intérieur qui s’est saisi de l’aubaine l’affaire, toucherait l’allocation de parent isolé. Ah, la fraude aux allocations familiales, ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas utilisée celle-là. C’est donc que les élections présidentielles approchent ? Il est donc urgent de déchoir ce sinistre individu de sa nationalité française. Car pour M. Hortefeux, nul n’est prophète en son pays.

Revoyons tout cela en détail.

La déchéance de la nationalité française, tout d’abord.

Ce monsieur serait devenu français en 1999, du fait de son mariage à une française, notre conductrice voilée, d’ailleurs, par déclaration (pour un rappel du droit de la nationalité, voir ce billet).

La loi prévoit la possibilité de déchoir une personne ayant acquis la nationalité française (en aucun cas un français d’origine), mais à certaines conditions, posées à l’article 25 du Code civil.

L’individu qui a acquis la qualité de français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française :

1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ;

2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;

3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;

4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de français et préjudiciables aux intérêts de la France ;

5° S’il a été condamné en France ou à l’étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement. Mise à jour : alinéa abrogé, je ne sais pas pourquoi Légifrance l’avait affiché.

En outre, l’article 25-1 du code civil pose une double condition de délai : ces faits doivent avoir été commis dans les dix ans de l’acquisition de la nationalité française, et la déchéance doit être prononcée dans les 10 ans de la commission de ces faits.

Ces conditions sont-elles remplies en l’espèce ?

Selon toute apparence, non. Les faits qui lui sont reprochés seraient le délit de bigamie, commis à deux ou trois reprises, pour chaque mariage subséquent au premier.

Mais la bigamie est ainsi définie à l’article 433-20 du Code pénal :

Le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, d’en contracter un autre avant la dissolution du précédent, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.

Pour que le délit soit constitué, il faut contracter un mariage, c’est-à-dire passer devant Monsieur le maire, qui vérifiera avant de célébrer qu’il n’y a pas déjà un mariage inscrit sur l’acte de naissance. Difficile d’être bigame en France. Donc il est probable que ce monsieur n’est point marié avec ses trois ou quatre “épouses”, mais seulement avec une d’entre elles, vivant en concubinage avec les autres. Ce qui est parfaitement légal en France, sauf à rétablir le délit d’adultère.

En outre, eût-il contracté je ne sais comment deux ou trois unions matrimoniales surnuméraires, le délit de bigamie ne figure pas parmi les cas visés à l’article 25 du code civil pour une déchéance (le 2° suppose que l’auteur soit fonctionnaire et abuse de ses fonctions, et le 5° suppose une condamnation à au moins cinq ans de prison, la bigamie étant punie au maximum d’un an, quel que soit le nombre d’unions illicites).

Et la fraude aux allocs ?

Là encore, on se heurte à des problèmes.

Le premier, c’est qu’en supposant que cette fraude soit constituée, ce sont ces dames qui les commettent, puisque c’est à elles que les allocations sont versées. J’ajoute que pour que cette fraude relève du pénal, il y faut une élaboration telle qu’elle constitue le délit d’escroquerie (une simple fausse déclaration n’est pas suffisante). Sinon, elle n’ouvre droit qu’à une action en restitution de prestations indues, prévue par l’article L. 524-8 du Code de la sécurité sociale, qui présente l’avantage de ne pas nécessiter une preuve d’une fraude, puisqu’elle s’applique même aux prestations versées par erreur de la caisse.

Le deuxième, c’est que Brice Hortefeux se trompe en affirmant qu’elles touchent toutes l’allocation de parent isolé. En effet, l’article L.524-1 de Code de la Sécurité Sociale qui prévoit cette allocation est abrogé depuis le 1er juin 2009, cette allocation ayant été fusionnée avec le RSA. Il faut se tenir au courant des lois que fait voter votre gouvernement, monsieur Hortefeux.

Le troisième est que même avant le 1er juin 2009, rien ne démontre que celles de ses dames qui touchaient cette allocation n’étaient pas en effet des parents isolés, puisqu’on ne peut être le conjoint de trois voire quatre personnes simultanément (sauf dans certains clubs spécialisés dont la fréquentation n’est pas compatible avec la pratique salafiste de l’islam). La sécurité sociale accepte, depuis que la loi a expressément exclu toute tolérance de situation apparentée à la polygamie en 1993, ce qu’on appelle la décohabitation, c’est-à-dire de considérer comme célibataires des personnes ne vivant pas habituellement sous le même toit que celui qui se dit leur époux (souvent par un mariage “traditionnel”, simple bénédiction d’un imam auto-proclamé, qui n’a aucune valeur légale) quand bien même tous deux se considèrent encore en couple. Et afin de leur permettre d’assumer ce surcoût, l’allocation de parent isolé a toujours été accordé à ces épouses “décohabitée”. Et pour ceux qui s’étoufferaient d’indignation devant cette fraude organisée aux valeurs de la République, je répondrai que ce système a été voulu et organisé par une circulaire du 19 décembre 2001… du ministère de l’intérieur, monsieur Hortefeux.

En résumé, le ministre de l’intérieur se propose de déchoir de sa nationalité un Français en invoquant des fraudes non établies qui en tout état de cause ne justifieraient pas une action en déchéance. Une telle mesure supposant un décret pris avis conforme du Conseil d’État, c’est-à-dire que le gouvernement, contrairement à son projet de loi, ne pourra pas passer outre un avis défavorable du Conseil d’État, autant dire qu’elle n’a à première vue (et sous réserve d’éléments que j’ignorerais, bien sûr) aucune chance d’aboutir.

On comprend mieux l’empressement du ministre de l’intérieur à refiler la patate chaude à son collègue exécuteur des basses œuvres, Éric Besson, non sans avoir fait connaître publiquement sa position. Ça fait partie des amabilités entre ministres.

Comme vous le voyez, plus que la question de la burqa, cette affaire pose le problème du respect de la loi par le gouvernement lui-même, qui a tendance à considérer les obstacles juridiques à son action politique comme d’insupportables tracasseries, alors que ce sont précisément des gardes-fous, qui n’ont décidément jamais aussi bien porté leur nom.

mercredi 21 avril 2010

JLD

Suite du billet précédent.

Vous retrouvez votre client quelques temps plus tard au cabinet du juge des libertés et de la détention (JLD), pour ce qu’on appelle le “débat contradictoire”, étant rappelé que contradictoire, pour les juristes, signifie que les positions antagonistes ont toutes pu s’exprimer et répliquer à leur adversaire (bref, se contredire entre elles), la défense ayant toujours la parole en dernier.

Sur la forme, le débat est censé être public depuis la loi du 5 mars 2007, le JLD pouvant décider que l’audience se tiendra en audience de cabinet (c’est à dire dans son bureau, hors la présence du public) à la demande du ministère public si les faits sont visés à l’article 706-73 du Code de procédure pénale (CPP), ou si cette publicité est de nature à entraver les investigations spécifiques nécessitées par l’instruction, à porter atteinte à la présomption d’innocence ou à la sérénité des débats ou à nuire à la dignité de la personne ou aux intérêts d’un tiers (art. 145 al. 6 du CPP). Autant dire que l’exception peut facilement devenir le principe, et c’est le cas à Paris, où les audiences du JLD se tiennent quasiment systématiquement en audience de cabinet. Je sais que les autres tribunaux appliquent cette règle de la publicité beaucoup plus volontiers. Je me console en écoutant le procureur demander la publicité restreinte en invoquant le respect de la présomption d’innocence de mon client, juste avant de demander son placement en détention, qui est la pire atteinte à la présomption d’innocence qu’on puisse commettre.

Le mis en examen est introduit et démenotté (alors qu’il est censé entrer sans les menottes, mais c’est souvent le juge qui demande à l’escorte d’ôter les entraves), pour respecter la présomption d’innocence. L’escorte reste toutefois juste derrière lui, prête à bondir.

La première chose que fait le JLD est de constater l’identité du mis en examen, de rappeler la nature des faits qui l’amènent ici, et de s’assurer que le type en robe assis à côté de lui est bien son avocat. Ensuite, il demande si le mis en examen est d’accord pour que le débat ait lieu immédiatement ou demande un débat différé, pour pouvoir préparer sa défense. Ce délai est de droit, le débat doit avoir lieu dans les quatre jours ouvrables, mais implique à coup sûr ou presque que ces quatre jours sont passés en détention provisoire (je dis presque sûr car la loi dit bien que le JLD peut remettre en liberté dans l’intervalle - art. 145 al.8 du CPP- ; vous vous doutez que c’est rare). Ce délai est utile quand des pièces justificatives doivent être réunies. Souvent, on a découvert le dossier quelques heures plus tôt, on n’arrive pas à joindre la famille . A ce sujet, j’ai de plus en plus de cas où les mis en examen ne peuvent que me dire les profils Facebook de leurs proches pour entrer en contact avec eux. Le problème étant qu’une épouse morte d’inquiétude pour son époux ne pense pas à aller sur Facebook.

Puis le JLD pose la question de la publicité de l’audience, qui donne lieu à un premier débat (non public) le cas échéant.

Une fois cette question réglée, et après éventuellement transport dans la salle d’audience publique (ou simplement ouverture de la porte du cabinet), a lieu le débat sur la détention.

C’est le procureur, qui doit être physiquement présent, qui prend la parole le premier.

Les termes du débat sont posés par l’article 144 du Code de procédure pénale.

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique :

1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;

2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;

4° Protéger la personne mise en examen ;

5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;

7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois, le présent alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle.

Théoriquement, on n’est censé débattre que de ces 7 critères, ou des six premiers si on est en présence d’un délit. En pratique, si la question de la culpabilité est vraiment douteuse, il ne faut pas hésiter à porter le débat sur ce terrain. Étant entendu que les seules dénégations du mis en examen ne seront jamais suffisantes. Mais des contradictions, des actes d’enquête bâclés par la police, des éléments matériels de l’infraction qui ne sont pas caractérisés sont des arguments à faire valoir. Parce qu’un JLD sera toujours réticent à envoyer un mis en examen en détention s’il a un doute sérieux sur sa culpabilité. D’ailleurs, le procureur ne se gêne généralement pas pour souligner la probabilité de la culpabilité, quand il requiert sur les risques de renouvellement de l’infraction (car pour qu’il y ait renouvellement, il faut qu’il y ait eu nouvellement).

Je me souviens ainsi d’une audience du JLD où le prévenu (c’était non pas une mise en examen mais une comparution préalable pour placement en détention jusqu’à la prochaine audience de comparution immédiate) était poursuivi pour quatre chefs de prévention (quatre délits). SDF, un casier, pas de garanties de représentation, le parfait client pour la Santé. Mais en démontrant qu’en l’état du dossier, ces chefs de prévention ne tenaient pas (dont un superbe séjour irrégulier alors que la citation mentionnait “nationalité : française), j’ai obtenu la remise en liberté. Si je m’étais contenté de l’article 144, j’étais cuit car mon client qui criait son innocence n’était pas cru.

Pendant les réquisitions, on note à la va-vite les arguments du procureur sur ces points, et les arguments qui nous viennent à l’esprit pour y répliquer. C’est sur ce canevas que se bâtit la plaidoirie, qui se prononce assis si on est dans le cabinet (le juge n’étant pas sur une estrade, rester assis fait qu’on a le visage à la hauteur du sien, ce qui est plus courtois que de le toiser).

Le mis en examen a la parole en dernier, ce qui lui donne parfois une excellente occasion d’abîmer l’argumentation de son avocat. Ah, combien de fois un client épuisé (ils en ont parfois à trois jours sans sommeil digne de ce nom), déboussolé, terrifié à l’idée d’aller en prison se lance dans une logorrhée où il va contester tous les faits, même ceux qu’il a déjà admis, bâtir des théories du complot qui feraient rire les conspirationnistes du 11 septembre, quand ce n’est pas insulter et menacer la victime. Quand je vous dis que le droit de se taire est le premier des droits de la défense. Les magistrats ne me croient pas, mais mes clients non plus.

Puis le juge invite les parties et l’avocat à sortir le temps de délibérer.

Le procureur s’en va et ne reviendra pas, il sera informé du délibéré par le greffe.

Alors commence l’attente.

Car c’est long, un délibéré de JLD, même si la décision est déjà prise dans sa tête à la fin de la plaidoirie de l’avocat (ou avant la plaidoirie à Paris).

Car il faut rédiger le procès verbal d’interrogatoire, où les déclarations du mis en examen seront consignées (surtout s’il a fait son show à la fin), et l’ordonnance du juge. Soit il s’agit d’un contrôle judiciaire, et il va falloir motiver l’ordonnance, car le parquet peut être tenté d’en faire appel, et déterminer les obligations les plus adéquates (et la liste de l’article 138 du CPP est longue). Soit c’est un placement en détention provisoire, et il va falloir motiver l’ordonnance car l’avocat va en faire appel.

En outre, il faut préparer dans ce dernier cas un questionnaire de santé pour informer le chef d’établissement si le détenu est suicidaire, toxicomane, malade, etc.

C’est ordonner une détention provisoire qui prend le plus de temps. Plus le délibéré dure, et plus l’avocat stresse. Le pire est que chez le mis en examen, c’est le contraire. Il ne se sent plus stressé pour la première fois depuis trois jours puisque les dés sont jetés, et il devient plus volubile, reprend l’espoir, parfois plaisante avec l’escorte. C’est terrible, car on se doute que cette durée n’est pas bon signe. Alors, prudemment, on lui dit que rien n’est jamais sûr, on essaye de le préparer à une éventuelle détention, sans vouloir casser ce premier moment où il se sent mieux depuis des jours. Parfois, on finit par se convaincre soi-même que le juge prend autant de temps pour blinder son ordonnance de contrôle provisoire pour éviter un appel du parquet, qu’il prend le temps de vérifier dans le dossier les points qu’on a soulevé. Péché d’orgueil, mais si on n’y croit plus soi-même, il faut arrêter de défendre.

Puis la porte s’ouvre, le greffier nous prie de revenir. On entre le premier, et du premier coup d’oeil, on sait.

Il suffit de regarder le bureau du JLD. Le titre de l’ordonnance est écrit en gros caractères, les substantifs et adjectifs étant qui plus est en majuscule, seuls les articles étant en minuscule, ne me demandez pas pourquoi (ORDONNANCE de PLACEMENT en DÉTENTION PROVISOIRE, ORDONNANCE de REMISE en LIBERTÉ sous CONTRÔLE JUDICIAIRE). Ou tout simplement, c’est le questionnaire, dont le président a commencé à cocher les cases, qui trône sur le bureau et qui nous gifle en pleine face. Ah, tu y as cru, cette fois, hein, pauvre imbécile. Comme à chaque fois, hein. Prends ça.

A côté, le client ne se doute de rien. Il tend ses poignets à l’escorte qui lui ôte les menottes, et espère qu’on n’aura pas à les lui remettre. Quand c’est une détention, je n’ai jamais le courage de leur dire. Lâchement, je me tais, et je laisse le JLD faire le sale boulot. Si c’est une remise en liberté, je leur glisse à l’oreille un “c’est bon, vous ressortez”.

Le JLD indique donc quelle est sa décision. Par un curieux paradoxe, son ton est généralement plus sévère quand c’est un contrôle judiciaire que quand c’est une détention, qui demande plus de diplomatie pour l’annonce. C’est un peu “Je vous mets sous contrôle judiciaire, mais c’est pas passé loin, hein, gare à vous si vous ne le respectez pas !” contre “J’ai décidé, après avoir mûrement réfléchi, de vous placer en détention provisoire, pour les raisons suivantes…”.

Quand c’est un contrôle judiciaire, la suite n’est qu’une formalité (là encore, le code de procédure pénale interdit d’embrasser le JLD).

Quand c’est une détention, c’est plus difficile à gérer. On est soi-même accablé, et il faut pourtant aussitôt réconforter le client, voire le contrôler : il peut perdre ses nerfs, ou tenter de négocier à nouveau. Alors que c’est trop tard, la décision est rendue et elle est irrévocable : la seule voie de recours est l’appel. C’est dur et difficile d’expliquer cela, et de dire que le juge a rendu sa décision, en donne les raisons et que c’est fini, vous allez va dormir en cellule ce soir, alors que l’accablement laisse place en nous à la colère face à ce juge qui, forcément, n’a rien compris. Le moment n’est pas propice à la lucidité et au recul. L’objectivité, n’en parlons pas, elle est restée dans le couloir.

D’ailleurs, on a une façon légale d’exprimer son mécontentement face au juge. C’est un cas assez unique, qui peut entraîner un climat glacial dans le cabinet, mais comme on bouillonne intérieurement, on ne sent rien passer.

En effet, l’article 187-1 du CPP nous permet de former immédiatement appel auprès du greffier du JLD. C’est le seul cas à ma connaissance où on forme appel en présence du juge qui vient de rendre sa décision, sous son nez puisqu’on est dans son bureau. On peut même à cette occasion former en plus ce qu’on appelle un référé liberté, c’est-à-dire demander à ce que le président de la chambre de l’instruction examine rapidement (dans les trois jours ouvrables) cet appel et décide de la remise en liberté ou de ne rien décider et de renvoyer l’examen de l’appel devant la formation collégiale de la chambre de l’instruction.

Des JLD le prennent assez mal, ça se ressent dans leur comportement ; cela a même été pour moi jusqu’à un incident assez grave avec un JLD qui refusait d’enregistrer ma demande, même quand je lui mettais l’article 187-1 sous le nez, jusqu’à ce que sa greffière dise timidement que si, c’était possible, et qu’elle avait même le modèle d’acte pour ça. Un autre JLD a ostensiblement quitté son bureau sans me saluer le temps que je formalise l’appel et n’est pas revenu avant mon départ. Il est vrai que c’est une entorse à la courtoisie judiciaire que de contester une décision d’un juge sous son nez et à peine l’a-t-il rendu. Mais quand il est tard le soir et que le greffe correctionnel est fermé, cela fait gagner un jour ouvrable au client si on n’attend pas le lendemain. Ce droit existe, il est fait pour être usé, et je ne doute pas que bien des JLD le comprennent et ne s’en offusquent pas. D’autant que le taux de confirmation des détentions provisoires par les chambres de l’instruction leur assure d’avoir très probablement le dernier mot.

Une fois la tempête passée, on a le temps de dire quelques mots à notre client, de recevoir ses dernières instructions sur qui prévenir, et on regarde notre client s’éloigner, remplis d’une frustration que les mots peinent à exprimer.

C’est que les clients qui partent en détention emmènent toujours un petit bout de nous avec eux. Quoi qu’ils aient fait, ils ont demandé notre aide, nous avons accepté de la leur apporter et ils comptent sur nous. Nous sommes leur bouée de sauvetage dans ce naufrage qu’est devenu leur vie, et ils n’ont parfois que nous pour ne pas se noyer.

Si nous sommes commis d’office, notre mission dure jusqu’à l’examen de l’appel, pour lequel nous ne sommes pas indemnisés. C’est pour notre pomme. A titre d’information, une audience JLD prend au moins deux heures, attente comprise (ma dernière m’a pris cinq heures après l’IPC). Un référé liberté, une demi heure à une heure et demie. Une audience devant la chambre de l’instruction, une demi-journée.

Et c’est payé en tout et pour tout 2 unités de valeur, soit 48 euros. Que vous fassiez appel ou pas. Après ça, on vient nous dire qu’on fait ce métier pour l’argent.

La suite est une autre histoire. Celle de quelqu’un d’autre si vous étiez commis d’office, car à Paris, on ne garde pas ses dossiers de permanence, sauf exception, ou si ça reste la vôtre, une visite au juge d’instruction pour tâter le terrain afin de voir quand une remise en liberté serait envisageable, et solliciter son avis de libre communication, sésame qui nous permet d’aller voir notre client en prison (chers confrères, ne parlez jamais de “permis de visite”, terme réservé à la famille et aux proches du client, vous concernant : on ne vous permet d’aller le voir, c’est un droit absolu auquel nul ne peut s’opposer). C’est le temps des visites du samedi matin, des courriers désespérés et bourrés de fautes écrits sur une page de cahier d’écolier.

C’est le temps où le temps n’avance plus. Le temps où un de vos clients est en prison.

mardi 20 avril 2010

IPC

Bien souvent, c’est une personne que vous venez tout juste de rencontrer. Vous êtes de permanence, et la grande loterie judiciaire a fait atterrir ce dossier sur votre bureau, qui en l’occurrence est une simple table dans la galerie de l’instruction. Les avocats choisis sont assez rares, tout simplement parce que bien des avocats n’ont pas fait en sorte d’être joignables sept jours sur sept, ou même quand ils donnent un numéro de portable à leur client, ce numéro est consciencieusement enregistré dans la mémoire du téléphone, qui se trouve à la fouille, donc inutilisable.

Ah, petite incise. À bas la technologie. Apprenez par cœur les numéros de portable de votre compagne/compagnon-époux/épouse, de votre maman, de votre frère, de votre meilleur ami et de votre avocat, qui est aussi une sorte de meilleur ami. Car si un jour vous vous retrouvez en garde à vue, et statistiquement, vous avez chaque année pas loin d’une chance sur soixante, vous aurez besoin de connaître ces numéros sans avoir accès à la mémoire de votre portable.

Donc, ça tombe sur vous.

Votre client est déféré, c’est à dire qu’il sort de garde à vue, et va être présenté à un juge d’instruction en vue de sa mise en examen, ce qu’on appelle en procédure pénale l’interrogatoire de première comparution, ou IPC.

Bonne nouvelle : les droits de la défense peuvent enfin s’exercer. Mauvaise nouvelle : vous n’avez pas le temps de les exercer. Merveilles de la procédure pénale française.

Les droits de la défense s’exercent car vous avez accès à l’entier dossier de la procédure, depuis le moment où l’enquête a démarré jusqu’au moment où le procureur a dit au policier de mettre fin à la garde à vue et de lui amener l’intéressé pour lui faire ses compliments. Vous allez pouvoir vous entretenir avec votre client, théoriquement confidentiellement, en pratique, chaque étage n’ayant qu’un ou deux local adapté, sur un banc de la galerie, avec le gendarme mobile assis à côté de votre client qui vous écoute avec autant d’intérêt que lui, parfois plus parce que lui au moins a eu une nuit de sommeil et une douche avant de venir. Ça peut surprendre, mais c’est un usage ancien au palais, et les gendarmes, qui sont des gens d’honneur, ne répètent pas ce qu’ils ont entendu. Même si parfois, on aimerait bien, tant les déférés sont meilleurs dans cet entretien à voix basse que face au juge d’instruction où ils sont tétanisés par la peur.

Vous n’avez pas le temps de les exercer car le législateur nous a fait un cadeau empoisonné. Jusqu’en 2004, le statut de la personne déférée n’était encadrée par aucun texte. Il y avait privation de liberté, mais par pure pratique judiciaire. La cour de cassation n’y trouvait rien à redire. Avec une autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles (art. 63 de la Constitution) qui ne trouve rien à redire à une privation de liberté sans texte, en violation de la convention européenne des droits de l’homme, la liberté a-t-elle besoin d’ennemis ?

La loi Perben II a créé un statut pour cette privation de liberté entre le moment où la garde à vue prend fin et le moment où le déféré comparaît devant un magistrat, qu’on appelle rétention judiciaire : l’article 803-3 du CPP précise qu’il doit s’écouler un délai maximal de vingt heures entre ces deux moments, la comparution se faisant soit devant le juge d’instruction si instruction il y a, sinon devant le procureur de la République. À ce sujet, amis juristes, l’arrêt Medvyedev semble remettre en cause ce système, puisque le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens de la Convention. Je ne suis pas sûr que la rétention hors instruction soit conforme à l’article 5 de la Convention.

La jurisprudence est sévère : tout dépassement de ce délai rend la privation de liberté illégale et impose une remise en liberté immédiate, toute mesure postérieure, fût-ce de placement sous contrôle judiciaire (qui est une liberté surveillée) étant nulle. Du coup, ce délai sera invoqué pour vous demander de vous dépêcher, le juge finissant par procéder d’autorité à l’interrogatoire de première comparution. Certains juges d’instruction jouent le jeu des droits de la défense et font un IPC symbolique pour interrompre le délai : ils constatent l’identité du déféré, celle de son avocat, notifient qu’ils envisagent de mettre en examen pour les faits visés au réquisitoire introductif le saisissant, puis, constatant que le déféré souhaite s’entretenir avec son avocat, suspend l’IPC, le délai de vingt heure étant valablement interrompu. Puis l’interrogatoire reprend quand l’avocat s’estime prêt. C’est une pratique respectueuse des droits de la défense, mais elle n’est pas systématique, et devient de plus en plus rare avec l’avancement de l’heure.

Vous avez donc fort peu de temps pour vous imprégner d’une procédure parfois volumineuse, qui peut couvrir des mois d’enquête. Et le diable se cache dans les détails. Le document essentiel à ce stade est le rapport de synthèse, rédigé par l’officier de police judiciaire (OPJ), qui résume tout le dossier. Problème : son rédacteur est partie prenante au dossier, son résumé ne peut prétendre à l’objectivité, quelle que soit l’honnêteté intellectuelle de l’OPJ. Et des erreurs peuvent s’y glisser, qui seront immanquablement reprises par le juge.

Ainsi, lors d’un dossier récent, le juge d’instruction a retenu comme vérité d’évangile que le déféré, de nationalité étrangère, n’avait pas d’attaches familiales en France, puisque le rapport de synthèse le disait. Quand mon client expliquait que si, et d’ailleurs, il avait donné l’adresse de son frère chez qui il logeait, le juge d’instruction l’a accusé de mentir. Il a fallu que je mette sous le nez du juge le procès verbal d’audition où figurait cette information, ainsi que les noms et adresses de ses sept frères et sœurs, tous français, pour que le juge réalise que le rapport de synthèse était peut-être bâclé (je vous rassure, ça n’a pas empêché ce client de finir en détention, avec une ordonnance du JLD motivée sur l’absence d’attaches familiales, la chambre de l’instruction ayant confirmé la détention après avoir écarté ce motif erroné mais surabondant. J’aime mon métier.)

Voilà le tour de force que nous impose cet exercice : parcourir à toute vitesse 300 pages d’informations, retenir celles qui sont pertinentes, et être capable de les retrouver en quelques secondes si besoin est. Bien plus qu’apprendre par cœur des centaines d’articles de code (ça, c’est la partie facile), le métier d’avocat, c’est ça.

Autre document essentiel sur lequel nous nous jetons avidement, c’est le réquisitoire introductif. C’est le document qui saisit le juge d’instruction et limite sa saisine : il doit instruire ces faits mais ne peut instruire que ces faits. C’est ce qu’on appelle la saisine in rem. Le juge d’instruction n’est pas tenu par la qualification donnée par le parquet (il peut requalifier une escroquerie en extorsion, par exemple) mais il est tenu par la description des faits. C’est surtout à la fin de ce réquisitoire que figureront les lignes qui sonnent comme les trompettes de l’apocalypse pour l’avocat : les réquisitions de placement en détention provisoire. C’est ce qui fait que l’IPC va être une simple formalité ou un combat.

Car le déféré a un choix, qui va lui être proposé par le juge d’instruction. Une fois que le juge lui a notifié qu’il envisage de le mettre en examen, il lui propose de se taire (car le droit de se taire est le premier des droits de la défense, il faudra que je lui consacre un billet), de faire des déclarations que le juge reçoit, ou de répondre à ses questions. Si une remise en liberté est acquise, c’est simple : moins on en dit, mieux on se porte à ce stade. Le déféré (qui n’est pas encore mis en examen) sort de garde à vue, il est épuisé, stressé, vulnérable. Ce ne sont pas des conditions adéquates pour se défendre. Donc pour le moment, il se tait, rentre chez lui, et reviendra dans quelques jours, frais, dispos et lucide, pour un interrogatoire qui sera digne de ce nom.

Mais si la détention se profile, c’est un dilemme pour l’avocat. Si le déféré se tait, c’est donner un argument en or au parquet (j’allais dire au juge des libertés et de la détention, lapsus révélateur, vous verrez dans la deuxième partie) pour demander la détention : le risque de collusion avec ses complices et de pression sur les témoins. Il est tentant de lui dire d’accepter de répondre aux questions du juge, pour couper l’herbe sous le pied du parquet. Avec le risque qu’avec un client épuisé et un juge d’instruction découvrant parfois le dossier, cela tourne à la catastrophe. Il n’y a pas de bon choix. C’est la responsabilité de l’avocat, parce que ne nous leurrons pas, c’est lui qui fera le choix, le client s’en remettra totalement à lui.

Une fois ces déclarations faites ou non, ou les questions posées et les réponses notées au procès-verbal, le juge d’instruction notifie sa décision : soit mise en examen, soit placement sous statut de témoin assisté. Dans ce second cas, c’est Noël : ce statut rend impossible tout placement en détention provisoire et même tout contrôle judiciaire. C’est la liberté assurée. Le code de procédure pénale ne permet pas dans ces cas là d’embrasser le juge d’instruction, malheureusement.

Si c’est une mise en examen, il enchaîne aussitôt avec sa décision sur la liberté : remise en liberté pure et simple (rare, puisque le statut de témoin assisté suffirait alors), placement sous contrôle judiciaire, ou saisine du juge des libertés et de la détention en vue d’un placement en détention provisoire.

Rappelons en effet que depuis la loi du 15 juin 2000, ce n’est plus le juge d’instruction qui décide du placement en détention provisoire, cette décision étant confiée à un autre juge. C’est donc une procédure à deux étages : pour aller en détention, il faut que deux juges soient d’accord : le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention. C’était insupportable, et le législateur est vite revenu sur ce moment de folie respectueuse de la liberté et de la présomption d’innocence : depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, le parquet peut passer outre le refus du juge d’instruction de saisir le juge des libertés et de la détention, si les faits sont de nature criminels ou punis de dix ans d’emprisonnement (art. 137-4 du CPP). On se retrouve donc avec des mis en examen incarcérés contre la volonté du juge d’instruction en charge du dossier. Comme vous le voyez, la suppression du juge d’instruction est un processus en marche depuis longtemps.

Quand la nouvelle tombe, pendant que le mis en examen (ça y est, il l’est) signe les procès verbaux, le greffier décroche son téléphone pour avertir le greffe du JLD qu’il y a un dossier qui arrive, tandis que l’avocat commence déjà à cogiter sur les arguments à faire valoir.

Il sait d’ores et déjà que c’est une sale journée.

La suite au prochain épisode : le JLD.

lundi 19 avril 2010

Avis de Berryer : Charles Berling

Avec toutes mes excuses pour le retard, je vous annonce la tenue d’une Conférence Berryer le 20 avril 2010 à 21 heures (enfin, 21 heures, je me comprends…), salle des Criées du Palais de justice.

Sur le rapport de monsieur Guillaume Pellegrin, troisième secrétaire, la Conférence recevra Charles Berling, comédien, réalisateur, scénariste et producteur.

Charles Berling

Les sujets sont les suivants :

1er sujet : L’ennui vaut-il mieux que le ridicule ? (Un vrai dilemme de candidat de Berryer…)

2ème sujet : Faut-il rouler à toute Berling ?

Les candidats peuvent contacter monsieur Thomas Heintz, quatrième secrétaire, au 01.42.27.33.82 ou par mail theintz[at]fleurymares.com

Les spectateurs sont admis sans inscription préalable, au prix de la course.

Et déjà on murmure que Lorant Deutsch serait annoncé pour la prochaine.

vendredi 16 avril 2010

Peut-on faire un procès à la justice ?

Dans les commentaires sous le billet précédent concernant cet automobiliste emprisonné et qui n’aurait pas dû l’être (automobiliste, puisqu’il n’avait pas le permis, emprisonné, puisque la loi ne le permettait pas), une question intéressante m’est posée : cet automobiliste peut-il être indemnisé de sa détention et comment ? C’est, au-delà de cette affaire anecdotique quand on n’est pas directement concerné, la question de la responsabilité de la justice qui est posée.

Premier point : la responsabilité personnelle des magistrats concernés (le procureur qui a requis la détention, le juge des libertés et de la détention -JLD- qui l’a accordée) ne peut pas être directement recherchée par la personne injustement détenue. Leur faute n’est pas, selon les termes juridiques en vigueur, détachable du service : ils ont agi comme magistrats, c’est incontestable. C’est donc l’État qui est responsable, comme nous allons le voir, en application de l’article L.141-3 du Code de l’organisation judiciaire, sachant qu’il peut ensuite se retourner contre le ou les magistrats responsables pour se faire rembourser les sommes qu’il a payées (action dite récursoire, qui n’a à ma connaissance jamais été exercée) :

L’Etat est civilement responsable des condamnations en dommages et intérêts qui sont prononcées à raison de ces faits contre les juges, sauf son recours contre ces derniers.

La responsabilité pénale permettrait de les citer directement en justice, car ils n’ont aucune protection contre cette responsabilité. Mais la détention arbitraire suppose la preuve qu’ils savaient au moment de requérir ou d’ordonner la détention que celle-ci était illégale. C’est l’élément moral de l’infraction. Et ici, personne ne pense sérieusement que les deux magistrats concernés se sont amusés à placer illégalement en détention l’intéressé en connaissance de cause.

J’entends des voix dans le fond qui s’exclament “Mais nul n’est censé ignorer la loi, a fortiori un magistrat censé la connaître !”. J’entends bien.

Mais “nul n’est censé ignorer la loi”, je le rappelle est une règle de procédure qui dispense le parquet d’apporter la preuve que le prévenu connaissait l’élément légal de l’infraction (le texte qui incrimine les faits). Elle ne fait pas échec la présomption d’innocence. En vertu de cet adage, il sera interdit aux magistrats prévenus de prétendre qu’ils ignoraient qu’il est interdit de détenir quelqu’un arbitrairement. De fait, il est certain qu’ils le savaient. Encore faudra-t-il prouver qu’ils savaient qu’ils faisaient détenir quelqu’un arbitrairement. Et ici cette preuve apparaît impossible à rapporter car je ne doute pas de la bonne foi de ces deux magistrats (et Dieu sait qu’en matière de détention provisoire, j’ai épuisé depuis des années mes réserves d’indulgence à l’égard des magistrats). Bref, pas de responsabilité civile personnelle ni pénale. On a juste une nouvelle illustration de l’importance du droit à un recours effectif et une explication de la revendication sans cesse réitérée des avocats à un vrai habeas corpus, pas un “à la française”, non, un vrai, qui marche, c’est à dire un recours général contre toute privation de liberté, aussi courte fût-elle, dès lors qu’elle dure assez longtemps pour que le juge ait le temps de statuer.

J’entends d’autres voix venir du fond pester contre l’irresponsabilité des magistrats. D’abord, ils ne sont pas irresponsables (seul l’est le Président de la République, et on lui a confié le feu nucléaire, d’ailleurs), mais leur statut les protège de la responsabilité civile de leurs actes de magistrat. C’est une garantie commune à tous les fonctionnaires et qui en l’espèce se justifie pour protéger leur indépendance. C’est cette immunité relative qui fait que j’entre confiant dans un prétoire même quand mon adversaire est aussi fortuné que procédurier. Il ne peut faire pression sur le juge en le menaçant d’un procès s’il lui donne tort.

Le principe est donc que c’est l’État qui est responsable pécuniairement.

Comment obtenir réparation ?

La première possibilité qui vient à l’esprit est le système d’indemnisation des détentions provisoires infondées mis en place par la loi du 15 juin 2000.

Le système est simple : toute personne détenue bénéficiant d’une relaxe, d’un acquittement ou d’un non lieu a un délai de six mois pour saisir par simple requête le premier président de la cour d’appel d’une demande d’indemnisation. La décision est rendue après une audience en principe publique, avec un recours possible devant une commission nationale de réparation des détention qui siège à la cour de cassation. Toutefois, l’indemnisation est exclue en cas de relaxe pour irresponsabilité mentale (démence, quoi), amnistie, prescription de l’action publique postérieure à la libération et détention pour autre cause. Code de procédure pénale, articles 149 et suivants.

D’après mon excellent quoique provincial confrère François Saint-Pierre, le montant moyen de l’indemnisation est de l’ordre de 57 euros par jour (oscillant en fait entre 37 et 107 €. Une exception notable est celle des acquittés d’Outreau, qui se sont vus proposer une indemnisation de 4000€ par jour, qu’ils ont refusée. Après versement d’une provision de 250.000 €, une négociation a eu lieu, avec une clause de confidentialité qui leur interdit de révéler les montants perçus. Source : Le Guide de la défense pénale, 5e éd., Éd. Dalloz, oct. 2007.

Mais pour notre spinalien réfractaire, cette voie est fermée, et le restera probablement. En effet, il n’a pas bénéficié d’une relaxe : le tribunal a annulé la procédure à compter du moment où la loi a été violée, soit l’incarcération. Toute la procédure antérieure (interpellation, garde à vue, auditions, consultation du fichier nationale des permis de conduire…) reste valable (enfin, sous réserve qu’il ait eu la possibilité de se faire assister par un avocat pendant ses interrogatoires en garde à vue, mais j’ai un léger doute), et le tribunal en a fait retour au ministère public, qui peut le citer à nouveau, mais libre cette fois.

Et il semble acquis que le prévenu a bel et bien conduit sans permis. Cette affaire devrait se terminer par une condamnation, qui exclut toute indemnisation.

La deuxième possibilité est à mon avis la bonne : la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement du service public de la justice.

La procédure est prévue aux articles L.141-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire (COJ). C’est un cas rare de responsabilité de l’État devant les juridictions judiciaires, contraire au principe du Grand Divorce.

La procédure est simple : il suffit d’assigner l’Agent Judiciaire du Trésor (qu’on surnomme affectueusement “l’agité” - l’AJT) , qui représente l’État[1] devant, au choix, la juridiction de proximité (demandes jusqu’à 4000 euros), le tribunal d’instance (demandes de 4001 à 10000 euros) ou le tribunal de grande instance (demandes supérieures à 10001 euros), de Paris (tribunal du domicile de l’Agent Judiciaire du Trésor), le tribunal où s’est produit le dysfonctionnement ou celui du lieu où le dommage est survenu (Dans notre affaire, ces deux hypothèses renvoient à Épinal).

Ici, on a une exception à une règle fondamentale de la responsabilité civile : celle de l’égalité des fautes. La loi (art. L.141-1 du COJ) exige “une faute lourde ou un déni de justice”, le déni de justice étant le refus ou l’abstention par un juge de trancher un cas qui lui est soumis et qu’il est compétent pour trancher.

La définition de la faute lourde a été profondément modifiée par un arrêt d’assemblée plénière de la cour de cassation (c’est à dire tous les juges siégeant ensemble, vous imaginez l’autorité morale de ces décisions) du 23 février 2001 :

Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la jurisprudence est même allée plus loin en instaurant un système de responsabilité pour faute simple pour les dommages résultants de l’usage d’une arme par les services judiciaires.

Toutefois, l’action suppose que le plaignant ait usé des voies de recours que la loi mettait à sa disposition pour mettre fin à ce dysfonctionnement (qu’il ait fait appel, en somme): civ. 1re, 11 janvier 2005. Ici, pas de problème, notre conducteur sans sauf conduit n’ayant aucune voie de recours (art. 396 du CPP).

Ce système ne s’applique qu’aux magistrats professionnels, pas aux conseillers prud’hommes et juges consulaires (des tribunaux de commerce), qui relèvent d’une autre procédure, dite de prise à partie.

En première analyse, sachant que je n’ai pas accès au dossier, c’est cette voie que devrait emprunter (à pied, bien sûr) notre infortuné automobiliste : prononcer une détention provisoire dans un cas non prévu par la loi caractérise à mon sens l’inaptitude du service public à remplir la mission dont il est investi : appliquer la loi, et non la violer, et protéger les libertés individuelles, non y porter atteinte.

Notes

[1] Agent Judiciaire du Trésor, Direction des Affaires Juridiques du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 6 rue Louis-Weiss 75013 Paris.

jeudi 15 avril 2010

6, six, VI, the number of the best

Comme chaque 15 avril, ce blog fête son anniversaire, le 6ème en l’occurrence.

Il y a donc six ans, je me disais “Tiens ? Et si j’ouvrais un blog ?”.

Voici donc une rediffusion de mon premier billet, publié à l’époque sur u-blog.net/eolas, plate-forme de blogs aujourd’hui disparue. Ce n’est qu’en décembre 2004, lorsque je suis passé sur Dotclear et ai migré sur les serveurs de free que j’ai ajouté le “maitre” dans l’adresse (maitre.eolas.free.fr) car il fallait au moins huit caractères pour l’adresse. Et Eolas est devenu “Maître Eolas” ; le nom est resté.

Voici donc à nouveau mon hommage aux rois du baratin. Ils le méritent bien, tous les magistrats qui me lisent en ont croisé un dans leur prétoire. Car ils sévissent encore. N’hésitez pas à participer en racontant les vôtres, chers confrères et amis magistrats.

Je rends d’ailleurs hommage aux procureurs qui doivent réussir à ne pas éclater de rire, mais au contraire doivent garder un visage austère et feindre d’être indignés. Ce n’est vraiment pas un métier facile. Nous, au moins, sur les bancs des avocats, on peut se lâcher.

Pour info, ce billet avait eu une douzaine de commentaires en un mois.

C’était une autre époque…


Les rois du baratin. Publié par Eolas, le 15 avril 2004 à 23h50

J’assiste souvent à un phénomène récurent dans les prétoires : celui du roi du baratin.

Emules de Davinain, ils ont fait leur la phrase de celui-ci « n’avouez jamais ! »

Mais quand on ne veut pas avouer, il faut quand même répondre aux questions embarrassantes du Président, du procureur et de l’avocat de la partie civile.

Alors ils bâtissent un mensonge.

Soyons francs, la plupart des délinquants, même ceux qui font de la délinquance « astucieuse » ne sont pas des lumières. Les escrocs sont considérés en prison comme les plus intelligents. Sauf que la majorité de ceux qui retournent en prison, apprend-on en criminologie, retombent pour la même escroquerie.

J’en ai eu une magnifique illustration à une des premières audiences à laquelle j’ai assisté, avant que je ne prête serment.

Il s’agissait d’un vol à la roulotte (comprendre : dans une voiture garée sur la voie publique).

Le prévenu a été arrêté en flagrant délit un tournevis dans la main droite et un autoradio dans la main gauche, à côté d’une voiture qui n’était pas la sienne, dont la fenêtre côté conducteur avait été cassée et où à la place de l’autoradio ne se trouvait plus qu’un trou béant d’où sortaient quelques fils électriques.

Le parquet voyant le mal partout, il est jugé en comparution immédiate.

Voici l’histoire selon le prévenu.

Il se promenait tranquillement dans la rue, un tournevis à la main (on a le droit, après tout). Maladroit, il a trébuché et, en agitant les bras pour retrouver son équilibre, a cassé la vitre d’une voiture garée là.

Honteux et confus, il se disposait à laisser un mot sur le pare brise avec ses nom et adresse pour payer les dégâts.

Misère : il n’a pas de stylo ni de papier sur lui. Il va donc aller en demander au premier commerce ouvert, mais il s’avise alors qu’il laisserait une voiture grande ouverte, et y aperçoit un superbe autoradio de marque, d’un modèle récent.

Cette société est hélas en pleine déliquescence morale. Laisser un tel appareil à la portée du premier malhonnête est une tentation à laquelle aucun voleur ne résisterait.

Or, s’il n’a pas de stylo, qu’a-t-il, notre samaritain ? Un tournevis ! La solution s’impose d’elle même : il va démonter l’autoradio, ira chercher un stylo avec l’autoradio sous le bras, reviendra, laissera le mot, invitant le conducteur à prendre contact avec lui pour son dédommagement et la restitution de l’autoradio.

Las, l’arrivée intempestive de la maréchaussée, appelée par des citoyens un peu trop zélés et soupçonneux, au moment où il venait de démonter l’appareil, a provoqué un regrettable malentendu qui l’amène devant le tribunal de céans.

Le Président l’a écouté poliment, avant de lui demander si ce genre de malentendus se produisaient souvent selon lui.

Non, bien évidemment, répond le prévenu, c’est ce qui fait que cette histoire est extraordinaire.

Donc, reprend le président, les 11 condamnations pour vol en 9 ans qui figurent sur votre casier ne sont pas, quant à elles, le fruit d’un concours de circonstance ?

Le prévenu restant muet, le président a ajouté : « franchement. Voler un autoradio. A votre âge… »

6 mois fermes et révocation des sursis antérieurs pour une durée totale de deux ans.

Le pire, c’est que je suis persuadé que le prévenu a été sincèrement choqué et déçu qu’on ne l’ait pas cru sur parole.

mercredi 14 avril 2010

Vous reprendrez bien un peu de mille-feuilles ?

Par Gascogne


Non, je ne concours pas à une quelconque émission culinaire…Pas plus que je ne suis capable de procéder à la fabrication du gâteau dont il s’agit…(mais vous avez un large choix de recettes ici, si le cœur vous en dit, du plus classique au plus original).

Je me fais simplement l’écho du dernier billet du Maître des lieux concernant les accumulations de réformes diverses et variées, sans aucune cohérence entre elles.

La qualité du travail législatif et réglementaire étant aujourd’hui ce qu’elle est[1], il ne se passe quasiment plus une journée sans que nous ayons dans les tribunaux et les cabinets d’avocats la surprise de voir apparaître un nouveau texte, le plus souvent en fonction de l’actualité médiatique du moment. Et parfois, la rapidité avec laquelle ces textes sortent peut laisser quelque peu pantois.

Dernier exemple en date, le décret n° 2010-355 du 1er avril 2010 relatif à l’assignation à résidence avec surveillance électronique et à la protection des victimes de violences au sein du couple. La date semblait propice à la boutade, nous voilà servis.

Anticipant sans aucun doute les désirs du Ministre, pour qui la réforme se poursuit, malgré, selon le Canard Enchaîné de ce jour, quelques doutes sérieux émis du côté cette fois-ci de la Cour de Cassation, l’exécutif a d’ores et déjà mis en place le “Juge de l’enquête et des libertés”. Je n’invente rien :

Art. D 32-26 du code de procédure pénale :

En cas d’assignation à résidence avec surveillance électronique au domicile des représentants légaux du mineur, le juge d’instruction spécialement chargé des affaires concernant les mineurs, le juge de l’enquête ou des libertés ou le juge des enfants compétent pour ordonner la mesure recueille préalablement l’accord écrit de ces derniers.

Après les décrets d’application, voici venu le temps des décrets d’anticipation.

A noter également qu’un nouveau “juge de l’instruction”, si cher au cœur de l’ex-député Fenech sous l’appellation de “juge de l’enquête”, a également été institué par ce même décret, dans le cadre des nouveaux article D 32-19 et D 32-20 du CPP. On n’est plus à ça près…

Remarquez bien que l’avant-projet-de-futur-code-de-procédure-pénale-soumis-à-concertation[2] (à consulter pour ceux qui en ont le courage ici), qui veut voir supprimer le juge d’instruction, et remplacer nos actuels “mis en examen” par des “parties pénales” (je trouve ce terme très laid, mais bon, ça n’engage que moi), réussit le tour de force de parler dans certains de ses articles de … mis en examen. (Cf. les art. 422-4, 432-9, 433-28, qui parle à la fois de partie pénale et de mis en examen sur seulement deux alinéas).

A force de mélanger tous nos concepts pénaux, la Chancellerie va-t-elle finir par aboutir à un système cohérent ? Peut-être. On est tout de même en droit de se demander si à la place du mille-feuilles, ce n’est pas un gloubi-boulga procédural que l’on est en train de nous servir…

Notes

[1] Merci à Georges Moréas d’avoir soulevé le poisson, et aux collègues des différentes listes de discussion d’avoir cuisiné la bouillabaisse.

[2] si la Chancellerie dit dans le titre même du texte qu’il y a concertation, ça ne peut-être que vrai

lundi 12 avril 2010

Détention illégale

Le tribunal de grande instance d’Épinal nous offre, à son corps défendant, une magnifique illustration du danger que constitue un code de procédure pénale délabré, fonctionnant par des renvois multiples avec à chaque fois un risque de mauvaise application pour peu qu’on aille pas lire les textes auxquels il est renvoyé.

Tout commence mardi dernier à Thaon Les Vosges, riante bourgade bâtie sur les rives de la Moselle et du Canal de l’Est. Un automobiliste y fut interpellé manœuvrant un véhicule sur le parking d’un supermarché alors qu’il n’était point titulaire du permis y afférant. Ce qui n’est pas bien, convenons-en, mais vous savez que le droit n’est pas la morale. C’est surtout illégal.

Premier détail amusant, ce qui n’était qu’une contravention autrefois est devenu un délit en 2004 (Loi Perben II du 9 mars 2004, art. 57 modifiant l’article L.221-2 du Code de la route). Puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.

Deuxième détail amusant, le délit est commis en état récidive légale, ce qui met le procureur de permanence en grand courroux, et double la peine encourue, soit 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende. Retenez bien ce quantum, il a son importance.

Il décide donc de se faire déférer l’impénitent, et conformément à l’article 395 du code de procédure pénale (CPP), de le faire juger en comparution immédiate.

Fatalitas. Le Vosgien est benoît, et des comparutions immédiates, à Épinal, il n’y en a pas tous les jours, et en tout cas point le mardi. Peu importe, le même code prévoit, en son article 396 la possibilité pour le procureur de saisir le juge des libertés et de la détention pour un placement en détention provisoire jusqu’à la prochaine audience utile du tribunal correctionnel. Dans notre cas, la prochaine audience utile était le vendredi suivant, soit à la limite des trois jours ouvrables que permet l’article 396.

Attachez vos ceintures, le grand flipper juridique commence.

L’article 396 dispose que :

Dans le cas prévu par l’article précédent, si la réunion du tribunal est impossible le jour même et si les éléments de l’espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention, statuant en chambre du conseil avec l’assistance d’un greffier.

Le juge, après avoir fait procéder, sauf si elles ont déjà été effectuées, aux vérifications prévues par le sixième alinéa de l’article 41, statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de détention provisoire, après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat ; l’ordonnance rendue n’est pas susceptible d’appel.

L’article 41 vise ce qu’on appelle l’enquête de personnalité.

Il peut placer le prévenu en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal. L’ordonnance prescrivant la détention est rendue suivant les modalités prévues par l’article 137-3, premier alinéa, et doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision par référence aux dispositions des 1° à 6° de l’article 144. Cette décision énonce les faits retenus et saisit le tribunal ; elle est notifiée verbalement au prévenu et mentionnée au procès-verbal dont copie lui est remise sur-le-champ. Le prévenu doit comparaître devant le tribunal au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. A défaut, il est mis d’office en liberté.

Ah. L’ordonnance est rendue suivant les modalités de l’article 137-3 du CPP. Allons donc voir ce qu’il raconte.

Article 137-3 :

Le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance motivée. Lorsqu’il ordonne ou prolonge une détention provisoire ou qu’il rejette une demande de mise en liberté, l’ordonnance doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait sur le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire et le motif de la détention par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144.

Dans tous les cas, l’ordonnance est notifiée à la personne mise en examen qui en reçoit copie intégrale contre émargement au dossier de la procédure.

Fort bien. Le juge des libertés et de la détention (JLD) doit motiver, c’est à dire donner les raisons de droit et de fait qui fondent sa décision, mais uniquement par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144. Laissons de côté l’article 144 pour aujourd’hui. Mes lecteurs le connaissent bien, c’est l’article qui précise que la détention provisoire ne peut être prononcée que quand elle est l’unique moyen de prévenir la réitération des faits, la collusion entre accusés, les pressions sur les témoins et victimes, la conservation des preuves et de s’assurer que le prévenu ne prendra pas la fuite.

Certains de mes lecteurs pourraient à la lecture de cet article froncer leurs sourcils et se dire qu’il ne semble point avoir été écrit pour s’appliquer à une conduite sans permis, fût-elle commise en récidive. À ceux-là je répondrai l’adage plein de sagesse des JLD parisiens : “Plaidez moins fort, maître, je n’arrive pas à rédiger le mandat de dépôt”.

Voilà pour le 144. Allons plutôt voir le 143-1, il est bigrement intéressant.

Art. 143-1 du CPP :

Sous réserve des dispositions de l’article 137 (qui rappellent que la détention provisoire doit être exceptionnelle, NdEolas), la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l’un des cas ci-après énumérés :

1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;

2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement.

La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l’article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.

Et c’est là que le bât blesse. Notre conducteur sans permis encourait, du fait de la récidive, un maximum de deux ans de prison. Le seuil des trois ans n’était pas atteint, et cette dernière trace de la sagesse d’un législateur des temps anciens qui croyait encore à la nécessité de limiter la détention aux cas où elle s’imposait vraiment faisait obstacle juridiquement à ce que notre cancre des auto-écoles croupît en prison.

Et il y croupit pourtant, jusqu’au vendredi suivant où la présidente du tribunal devant le juger, qui connaissait mieux son CPP que les autres, s’émût de la situation et annula la procédure, invitant de plus le prévenu à demander à être indemnisé pour cette détention illégale.

L’affaire s’envenime néanmoins, car le parquet général (le parquet de la cour d’appel donc) de Nancy envisage de faire appel de la décision. Un porte parole du parquet général précise au Figaro que :

“La possibilité de placer (ce prévenu) en détention provisoire ne paraît pas à première vue illégale” et le juge des libertés et de la détention (JLD) qui avait pris cette mesure sur réquisition du parquet était saisi “tout à fait régulièrement”, a indiqué Jacques Nicolle, magistrat chargé de la communication à la Cour d’appel de Nancy, dont dépend Epinal.

Selon M. Nicolle, le JLD s’est basé sur les articles 395 et 396 du code de procédure pénale qui autorisent la détention provisoire dès l’instant où le prévenu encourt deux ans de prison, comme c’était le cas à Epinal. La magistrate semble pour sa part s’être basée sur les articles 137-3, 143-1 et 144-2 selon lesquels la détention provisoire n’est possible que lorsque la peine maximale encourue est de trois ans, selon M. Nicolle.

“Il y a un débat juridique qui peut se faire entre les conditions d’application de la détention provisoire telles qu’elles ont été vues par” le JLD et par la juge, a reconnu M. Nicolle, évoquant des textes “d’une mise en oeuvre complexe” et pouvant “laisser place à une interprétation divergente”. Le parquet d’Epinal envisage de faire appel de la décision de nullité “de manière à permettre un second regard sur cette difficulté de texte”, a-t-il ajouté.

Sur ce blog, la com’ comme la morale n’ont pas leur place. On fait du droit. Et en droit, la position du parquet général paraît difficilement tenable.

Sa thèse est que les articles 395 et 396 du CPP seraient une exception à la règle de l’article 143-1 du CPP qui exige un minimum encouru de trois ans. 143-1 ne s’appliquerait qu’à l’instruction judiciaire, tandis que 395 et 396 permettraient une détention provisoire sans autre limite de peine encourue que celles posées pour recourir à la procédure de comparution immédiate, soit un minimum de deux ans, et six mois en cas de flagrant délit.

Outre qu’aucune décision de la cour de cassation ne valide ce point de vue, la loi est claire, même si elle procède par renvois successifs. C’est l’article 396, celui-là même qu’invoque le parquet général, qui renvoie pour le placement en détention provisoire à l’article 137-3, sans aucune réserve. Ledit article 137-3 renvoie à son tour à 143-1, sans réserve non plus, et cet article impose un minimum de trois ans encourus, ce qui entre nous soit dit n’a rien d’extravagant dans une société démocratique. Ite missa est. J’ai pour ma part déjà obtenu devant un JLD, et un JLD parisien qui plus est, un refus de détention provisoire pour quantum encouru insuffisant.

Reste un bien triste bilan : un parquetier qui a requis une violation de la loi, qui lui a été accordée par un JLD, dans une décision non susceptible de recours (art. 396 du CPP). J’ignore si l’avocat de la défense l’avait vu lors de ce débat, je crains que non puisque le problème semble avoir été soulevé lors de l’audience du vendredi.

Et surtout, un homme détenu illégalement pendant trois jours.

mercredi 7 avril 2010

Ni fleurs ni couronnes

Plusieurs sources corroborent l’information, autant la rendre officielle ici.

La réforme annoncée de manière tonitruante par le président de la République, validée comme toujours a posteriori par une commission feignant une concertation pour conclure que l’idée du chef était bien la meilleure, bref, la suppression du juge d’instruction, est abandonnée.

Le revers électoral subi aux régionales a fait prendre conscience à l’actuelle majorité que son maintien en place en 2012 n’est pas acquis. Du coup, une réforme gigantesque comme celle-ci, qui nécessite un consensus bi-partisan pour prospérer, consensus qui est inexistant actuellement, et qui prend déjà l’eau sous les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l’homme, qui disqualifie le parquet comme autorité judiciaire, sans compter l’hostilité manifestée à mots couverts par le président du Conseil constitutionnel et même par le procureur général de la cour de cassation.

À la place, on votera un texte a minima sur la garde à vue, car la Chancellerie a parfaitement compris que le système actuel viole la Convention européenne des droits de l’homme, bien qu’elle affirme le contraire. Bon, à sa décharge, les juridictions françaises font dans l’autisme et valident à tour de bras ces procédures. La seule urgence, c’est la Question Prioritaire de Constitutionnalité pendante devant la cour de cassation sur ce point.

Rassurez-vous, ce sera vraiment a minima. je suis prêt à parier que le système qui en sortira ne sera toujours pas conforme à la Convention. On le justifiera en disant que c’est “à la française”.

À ce sujet, j’ai assisté la semaine dernière au procès intentée par mon Ordre bien-aimé au syndicat Synergie Officiers pour injures publiques à l’encontre de ma profession, traitée de “commerçants dont les compétences sont proportionnelles aux honoraires”. À cette occasion, l’Ordre avait fait venir un aréopage prestigieux d’avocats européens : l’Espagnol Alvaro Gil Robles, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lord Peter Goldsmith, ancien attorney general de Tony Blair de 2001 à 2007, le bâtonnier de Naples, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature italien, et le bâtonnier de Munich, tous venus expliquer comment ça se passait dans leurs pays respectifs. C’était passionnant, et pour tout dire, humiliant pour la France.

En Espagne, la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est inscrit dans la Constitution de 1978. Seule bizarrerie : l’avocat ne peut avoir un entretien confidentiel qu’après le premier interrogatoire. En Angleterre, le principe est centenaire, et le budget de l’aide juridictionnelle est d’1,4 milliards d’euros, contre 250 millions en France. En Allemagne, la garde à vue ne peut excéder 48 heures, car toute personne arrêtée doit être présentée à un juge au plus tard le jour suivant. L’avocat peut assister son client tout le long, et il ne viendrait pas à l’esprit d’un policier de placer en garde à vue quelqu’un qui n’encourt pas une peine de prison ferme effective.

Sur le front de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions continuent à pleuvoir (plus de 40 à ce jour). La Pologne a rejoint le groupe des pays condamnés (CEDH, 2 mars 2010, Adamkievicz c. Pologne, n°54729/00), et j’ai relevé un arrêt Boz c. Turquie du 9 février 2010 (n°2039/04) où la Cour a décidé de parler lentement et en articulant pour des pays comme la France qui ne comprenaient toujours pas le message (je graisse) :

33. En ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’avocat pendant la phase d’enquête préliminaire, la Cour renvoie aux principes posés par l’arrêt Salduz qui fait autorité en la matière (précité, §§ 50-55). 34. En l’espèce, nul ne conteste que le requérant a été privé de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue – donc pendant ses interrogatoires – (paragraphe 5 ci-dessus) parce que la loi en vigueur à l’époque pertinente y faisait obstacle (Salduz, précité, §§ 27 et 28). 35. En soi, une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 33-34, 13 octobre 2009).

C’est clair, ce me semble. Enfin, visiblement pas tant que ça, vu le nombre de juges qui valident toujours ces gardes à vue et condamnent en s’appuyant sur ces PVs. Que voulez-vous ? On fait comme ça depuis un siècle. C’est un produit du terroir, la garde à vue.

Enfin, le juge d’instruction est sauvé, pour le moment, et c’est pas plus mal vu ce qu’on proposait à la place. J’espère que cela permettra l’entrée en vigueur, enfin, de la collégialité de l’instruction, votée en 2007 et reportée sans cesse depuis. Je place beaucoup d’espoirs dans cette réforme, qui évitera les difficiles transitions lors des changements de juge, et qui surtout mettra fin à une anomalie : le juge d’instruction est la seule juridiction nommée en France. On plaide devant la 23e chambre, on fait appelle devant le Pôle 4 chambre 8 (à paris du moins), mais c’est Madame Lulu, juge d’instruction, qui instruit. Aucun condamné ou presque ne connaîtra le nom du président qui l’a condamné, mais tous se souviennent du nom du juge d’instruction. Cette personnalisation de la juridiction lui a été sans nul doute néfaste, avec l’apparition de juges-stars, et de juges épouvantails.

Bon, la garde à vue va un peu s’améliorer, on va moins y recourir, et on ne va pas se lancer dans une réforme aventureuse dont les conséquences n’avaient que très mal été évaluées. Appelons ça une hirondelle, faute de pouvoir l’appeler le printemps.

jeudi 1 avril 2010

Nouveaux horizons

Cela fait plusieurs semaines que ça se négociait, d’où une baisse du rythme des billets, mais c’est désormais officiel, le décret a été signé et sera publié demain au J.O.

Dans le cadre du nouveau projet de loi réformant le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile, je me suis vu confier une mission par le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Développement Solidaire pour constituer le service juridique du ministère (qui en était jusque là dépourvu, ce qui explique bien des choses).

Cela me contraint à refuser la proposition de collaboration avec le site jeanmarcmorandini.com, projet exaltant qui me passe sous le nez au profit de Nicolas Vanbremeersch, qui l’a lui aussi annoncé ce matin.

Du coup, devoir de réserve oblige (je serai assimilé fonctionnaire de par mon statut), je devrai cesser de traiter du droit des étrangers ici, sauf pour reproduire les communiqués officiel du ministère.

Je ne doute pas qu’en travaillant main dans la main avec Éric Besson, nous arriverons à mettre au point une politique humaine et efficace, respectueuse des droits de l’homme et des horaires de décollage.

C’est avec fierté que je me mets au service des Français.

mardi 30 mars 2010

And there is no Winner

La Cour européenne des droits de l’homme statuant en Grande Chambre (qui est la formation d’appel de la cour) a rendu hier son arrêt Medvedyev c. France, dans l’affaire dite du “Winner”, du nom du navire cambodgien arraisonné par la marine française au large du Cap-Vert dans le cadre de la lutte contre le trafic international de stupéfiants. Et oui, je sais, Medvedyev n’est pas un nom cambodgien ; ce sont les joies du droit maritime, où marins et navires n’ont jamais la même nationalité (les marins du bord étaient ukrainiens, roumains, grecs et chiliens).

Le problème soulevé par les requérants était leur privation de liberté treize jours durant, confinés à bord de leur navire sous la garde de la marine française, avant leur arrivée à Brest où ils seront placés en garde à vue, Si la privation de liberté que constitue la garde à vue n’était pas contestée en soi (l’absence de l’avocat n’ayant malheureusement pas été soulevée), restait cette détention 13 jours durant. L’article 5 de la CSDH stipule en effet ceci :

Article 5 – Droit à la liberté et à la sûreté

§1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

§2 Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

§3 Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

§4 Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

§ 5 Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

On se souvient qu’en première instance, la cour européenne des droits de l’homme avait précisé, alors même que le débat ne portait pas sur ce point, que la garde à vue française ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 5 car cette privation de liberté n’était pas placée sous la surveillance de l’autorité judiciaire (je vous rappelle qu’en effet, un gardé à vue n’a AUCUN moyen légal de saisir un juge de sa situation : il ne pourra la contester qu’une fois cette mesure terminée, et encore, seulement s’il est poursuivi), car selon elle le parquet français ne saurait être une telle autorité au sens de la Convention faute pour ledit parquet d’être indépendant.

Autant dire qu’à la veille d’une réforme de la procédure pénale faisant du parquet le moteur unique des poursuites, c’était un caillou dans la chaussure du Garde des Sceaux, un caillou de la taille d’un pavé, même. Cet arrêt de grande chambre était donc attendu impatiemment.

Et il faut bien le dire, on en est un peu pour ses frais. La grande Chambre ne dit pas un mot sur la question, mais n’en pense pas moins vous allez voir, tout en confirmant la solution de première instance : la détention en mer de 13 jours viole l’article 5§1 de la Convention faute de base légale à une telle privation de liberté (bref, la France s’est livrée à un acte de piraterie…) mais une fois arrivés à Brest, la détention ne viole pas l’article 5§3. C’est sur les raisons de cette absence de violation que cet arrêt est néanmoins intéressant, car d’une part, la cour adresse un message discret mais clair à la France, et surtout, surtout l’argumentation déployée par le Gouvernement français est d’un cynisme qui laisse pantois. Vous allez voir, il fallait oser.

La différence de raisonnement des deux formations se situe sur un pur élément factuel, une preuve qui n’avait pas été apportée en première instance.

En première instance en effet, la cour avait décidé que le moment où la privation de liberté redevenait légale était la présentation au juge d’instruction, après deux jours de garde à vue sous la surveillance du parquet, estimant que le placement en garde à vue dont avaient fait objet les marins ne satisfaisait pas aux exigences de la Convention, car “le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié” (Arrêt Medvedyev I, §61).

En appel, le Gouvernement va apporter un élément nouveau qui change tout : en fait, dès le jour de leur arrivée à Brest, les marins ont été présentés à des juges d’instruction (Arrêt Medvedyev II, §19 et 127) entre huit et neuf heures après l’accostage. Note pour le Gouvernement : une audience devant la CEDH, ça se prépare.

La cour estime donc au vu de ces faits nouveaux que ce délai était tout à fait raisonnable, et que l’article 5§3 n’a pas été violé. Mutisme sur le statut du parquet, puisqu’en fait il n’est pas intervenu. Et communiqué triomphal du Garde des Sceaux :

La CEDH dans sa décision ne remet pas en cause le statut du parquet français. Cela met fin aux interprétations que certains ont voulu donner depuis le premier arrêt de la Cour, le 10 juillet 2008.

La Cour rappelle uniquement les principes qui se dégagent de sa jurisprudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par la convention européenne des droits de l’Homme, en matière de détention.

Qu’il soit permis à certains d’objecter que le ministre voit midi à sa porte. Car il est des mutismes fort bavards, et des arguments qui, s’ils permettent de gagner un procès, font perdre en cohérence.

La Cour n’a pas statué sur le statut du parquet puisque la question n’était plus pertinente. Mais néanmoins, le Garde des Sceaux a raison sur ce point, “la Cour rappelle uniquement les principes qui se dégagent de sa jurisprudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par la convention européenne des droits de l’Homme, en matière de détention.”

Et si nous les lisions ensemble, ces principes, puisque la cour prend la peine de les rappeler, comme si elle voulait que le Gouvernement en prenne connaissance avant de, par exemple, changer la procédure pénale, hmm ?

C’est le §124 de la décision. Je me permets de graisser les passages intéressants, à la Chancellerie, on a la vue basse, ces derniers temps.

124. Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention (voir, parmi beaucoup d’autres, Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 146 et 149). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l’affaire Schiesser précitée (§ 31) : « (…) A cela s’ajoutent, d’après l’article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp précité, § 60) ; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, § 199) », soit, en un mot, que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. et Aquilina, précités, respectivement § 41 et § 47).

Je la fais en plus court : la cour dit expressément que la privation de liberté doit être placée sous le contrôle d’un magistrat indépendant de l’exécutif et des parties, ce qui exclut le parquet puisqu’il n’est pas indépendant à l’égard de l’exécutif et quand bien même le serait-il, il sera partie poursuivante au procès pénal contre le gardé à vue, or on ne peut être juge et partie. Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me paraît clair. Le contrôle de la garde à vue par le parquet est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Encore une gifle pour la procédure pénale française. Vous comprenez pourquoi je la qualifie de médiévale ?

Et hâtons-nous de rire de peur de nous mettre à pleurer quand nous lisons l’argumentation du Gouvernement.

Je vous rappelle que le Gouvernement est en train de mettre en route une réforme de la procédure qui va supprimer le juge d’instruction pour confier ses prérogatives au parquet. Cette suppression est acquise, la Chancellerie oppose d’emblée une fin de non recevoir à toute proposition le maintenant en place (c’est ce qu’on appelle une “concertation”, aujourd’hui).

Et pourtant, voilà ce qu’il va soutenir devant la Cour : c’est le paragraphe 114. Attention, c’est d’un cynisme violent.

114 Le Gouvernement estime, s’agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, que si la Cour a jugé qu’un procureur ou un autre magistrat ayant la qualité de partie poursuivante ne pouvait être considéré comme un « juge » au sens de l’article 5 § 3 (Huber précité), une telle hypothèse ne correspond aucunement au juge d’instruction. Ce dernier est un juge du siège, totalement indépendant, qui a pour mission d’instruire à charge et à décharge sans pouvoir, ni exercer des actes de poursuite, ni participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites. En outre, le juge d’instruction français surveille toutes les mesures privatives de liberté prises dans les affaires dont il a la charge et il peut y mettre fin à tout moment, qu’il s’agisse de garde à vue ou de détention provisoire. S’il doit saisir le juge des libertés et de la détention lorsqu’il envisage un placement en détention provisoire, il dispose en revanche de tout pouvoir pour remettre une personne en liberté ou la placer sous contrôle judiciaire. Le Gouvernement rappelle que la Cour a déjà jugé que le juge d’instruction remplit les conditions posée par l’article 5 § 3 (A.C. c. France (déc.), no 37547/97, 14 décembre 1999).

Oui, vous lisez bien. Le Gouvernement ne tente même pas de contester que le parquet ne remplit nullement les conditions posées par la jurisprudence de la Cour. Mais, dit-il triomphalement, pas de problème : en France, on a le juge d’instruction, qui remplit, lui, les conditions exigées par la Convention ! D’ailleurs, la Cour l’a déjà jugé dans un arrêt de 1999. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes judiciaires. Et vous noterez que la cour donne raison au Gouvernement sur ce point en disant qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5§3 du fait de la prompte présentation au juge d’instruction, magistrat indépendant.

En shorter : pour le Gouvernement, le juge d’instruction, contrairement au parquet, remplit les conditions posées la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut donc le supprimer pour le remplacer par le parquet.

Car l’avant projet non négociable soumis pour concertation à condition qu’on soit d’accord sur tout précise dans son futur article 327-8 que c’est bien le procureur et le procureur seul qui aura la haute main sur la garde à vue.

Pour ceux qui avaient des doutes, vous voilà fixés : le Gouvernement sait que sa réforme n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, mais la passera aux forceps. De toutes façons, quand les condamnations tomberont, les ministres actuels seront loin, et le président de la république siégera au Conseil constitutionnel. En attendant, ce sont vos libertés individuelles qu’on flanque à la poubelle, en vous demandant d’applaudir, puisque c’est pour vous protéger des juges indépendants.





” Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le cynisme appuyé sur le bras de la trahison. Mme Aliot-Marie marchant soutenue par M. Besson ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du Président de la République et disparait. Aliot-marie venait jurer foi et hommage à son seigneur ; la docteure en droit, à genoux, mit les mains qui firent tomber les droits de la défense entre les mains qui étranglèrent le CSM ; le ségoléniste apostat fut caution du serment.”

Maître Eolas, Mémoires d’Outre Blog (d’après Chateaubriand).

dimanche 28 mars 2010

Lux Aurumque

Après le bruit et la fureur de cette semaine, un peu de douceur ne fera de mal à personne.

Eric Whitacre (prononcer ouaille-tékeur) est un musicien, chef d’orchestre et compositeur professionnel, et l’époux de la soprano Hila Plitmann. L’année dernière, une jeune fille, Britney Losee, a mis en ligne sur Youtube une vidéo lui étant adressée, où, en guise d’audition, elle chantait (fort bien) un de ses airs, Sleep, composé en 2000.

Cela a provoqué un déclic chez Eric Whitacre. Et si plusieurs personnes s’enregistraient ainsi en train de chanter, et que ces vidéos étaient mixées pour créer un chœur virtuel ? Avec l’aide se Scott Haines, qui a pris le rôle de producteur et a apporté ses connaissances techniques, il s’est mis au travail.

Après un premier essai plutôt réussi avec le morceau sleep, où chaque participant chantait en écoutant le morceau, Eric Whitacre est allé plus loin dans la constitution de ce chœur virtuel. Il a composé un morceau spécialement pour cette expérience, et a fait un appel à volontaires. Il leur a envoyé la partition, puis il a mis en ligne une vidéo ou, après avoir donné ses instructions de chef de chœur, il fait les gestes de direction du choeur, uniquement agrémenté d’un piano donnant le ton de chaque partie. Il a poussé la difficulté plus loin, en ajoutant des rubato et des gestes dynamiques spécifiques s’adressant, selon le cas, uniquement aux ténors, au sopranos, aux basses ou aux Altos, et les choristes ont parfaitement réagi.

Le succès de Sleep ayant attiré de nouveaux participants, Eric Whitaker a écouté toutes les vidéos mises en ligne, comme pour une audition traditionnelle.

C’est finalement un chœur de 185 choristes dont les prestations ont été retenues, de douze pays différents : l’Autriche, l’Argentine, le Canada, l’Allemagne, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni, et les États-Unis d’Amérique.

Alors, pendant que des gens bien intentionnés vous expliquent qu’internet est la pire saloperie jamais inventée, que ce n’est qu’un repaire d’escrocs, de pédophiles, de pirates et de pornographes, qu’il faut réglementer, policer et étouffer pour votre plus grand bien, pendant ce temps, des gens continuent d’explorer les possibilités de ce nouveau moyen de communication pour faire du beau. D’ailleurs, Scott Haines et Eric Whitacre, qui ont passé des centaines d’heure sur ce projet, ne se sont jamais rencontrés physiquement durant tout ce travail (ils se sont enfin rencontrés une fois postérieurement).

Mesdames et messieurs, voici Lux Aurumque (Lumière et or), composé et dirigé par Eric Whitacre, produit par Scott Haines. Solistes : Melody Myers, soprano, (Tenesse, États-Unis) ; Julie Pajueshfar, soprano, (Nevada, États-Unis) ; Evangelina Etienne, alto, (Massachusetts, États-Unis) ; Lauren Collis, alto, (Ontario, Canada) ; Robbie Bennett, tenor, (Oklahoma, États-Unis) ; Jamal Walker, basse (Texas, États-Unis). D’après un poème d’Edward Esch.

Bon dimanche à tous.

Via Embruns

samedi 27 mars 2010

L'esprit de Voltaire

Par Gascogne


Je n’aime pas ce qu’écrit Philippe BILGER. J’ai commenté dés les premiers jours de son blog son premier article, en faisant déjà montre d’un certain pessimisme, trop vite conforté, pour avoir lu quelques unes de ses œuvres. J’ai rapidement arrêté de le lire, voyant que le mal était trop profond. Trop d’égocentrisme. Trop de certitudes. Trop de plaisir à cracher dans la soupe. Ou comme disait ma grand mère, trop de bonheur à pisser contre le sens du vent.

Je ne suis même pas d’accord avec le Maître des lieux lorsqu’il ne le critique qu’avec un respect teinté d’admiration, mais vous savez comment j’ai pu rater mon UV diplomatie, à la faculté. Je ne respecte que peu les gens qui vous regardent de haut, enrobés de leurs certitudes. En bref, ceux qui se pensent supérieurs, mais qui enrobent leurs analyses cruelles d’une fort belle plume.

Je ne suis pas pour autant persuadé que cela me donne un quelconque crédit pour le défendre, et pourtant, c’est bien ce que je souhaite aujourd’hui faire. Car une fois de plus, j’ai survolé son article (je les lis rarement en entier, mais lorsque je vois sur mes fils RSS un article sur la justice, j’ai du mal à résister). Et une fois de plus, j’étais en désaccord quasi complet avec lui. Son propos souffre à mon sens, et sans aller aussi loin dans les analyses qu’Eolas ou SLL, de deux défauts majeurs : il applique, comme à son habitude, une analyse parisiano-parisienne à l’ensemble de la justice française, et il nous ressort l’habituel argument du Front National : le chroniqueur radio est puni car il ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

Alors pourquoi faire un billet sur mon nouvel ami P. BILGER ? Parce que je viens d’apprendre qu’il était convoqué par son supérieur hiérarchique pour son billet sur Eric ZEMMOUR.

Et là, je dois reconnaître que je ne comprends plus. Depuis le temps qu’il écrit sur internet (5 ans, si je ne m’abuse), il a marqué de tous les défauts que je lui reconnais l’empreinte de son blog. N’avait-il pas affirmé que l’ancienne Garde des Sceaux n’avait pas été engagée pour ses compétences ? N’avait-il pas tenu des propos plus qu’indignes sur les compétences des magistrats, qui hormis lui, étaient tout sauf aptes à s’exprimer, voire à exercer ? Et je ne vous parle même pas du scandaleux corporatisme des magistrats et de leurs syndicats représentatifs (c’est vrai, de quel droit un syndicat intervient-il dans l’intérêt professionnel de ses membres ?).

Et y avait-il eu la moindre réaction de la Chancellerie ? Non, arrei, queutchi, nada, nenni, rien… Certes, il prenait bien souvent la défense du Président de la République, mais tout de même…

Et aujourd’hui, il tient, dans des termes comme d’habitude fort bien écrits, et surtout très aménagés à la susceptibilité de ses lecteurs, des propos qui déplaisent au pouvoir, ou à tout le moins à sa hiérarchie, et d’un coup, celle-ci redécouvre tous les bienfaits du devoir de réserve ? L’association des jeunes magistrats avait d’ailleurs en son temps édité un très bon article sur le devoir de réserve des magistrats, mais on ne le trouve malheureusement plus sur le site (si un des membres de l’association me lit…). Et il se déduisait assez naturellement de leur analyse que le devoir de réserve ne devait pas se confondre avec un droit de censure absolu.

Dans une période où je reste persuadé que l’on tente de museler au maximum les magistrats, qu’ils soient judiciaires, administratifs ou financiers, où les réformes, sur la suppression du juge d’instruction, sur la prescription, sur la nouvelle procédure pénale, n’ont pour but que de tenir un peu plus encore un corps d’État qui n’est pourtant pas réputé pour son esprit révolutionnaire, faire taire un magistrat qui s’exprime haut et fort me semble un bien mauvais signe. Un de plus.

Car après mon ami Justicier Ordinaire, il me semble que la Chancellerie, sans l’accord de laquelle j’ai du mal à imaginer l’intervention du procureur Général de Paris, poursuit son grand nettoyage. Et j’ai beau ne pas apprécier la voix si particulière de Philippe BILGER, j’apprécie encore moins qu’on la fasse taire.

Alors oui, M. BILGER, je suis sans doute à l’opposé de vos conceptions de la justice, de ses membres, de vos conceptions politiques, de votre amour pour ceux qui ne vivent que de la provocation. Mais pour plagier nos lointains aïeux, je ne pense pas comme vous, mais je ferai tout pour que vous puissiez continuer à exprimer vos idées (encore que la citation soit, paraît-il, apocryphe).

jeudi 25 mars 2010

On ne répond pas aux questions qu’on se pose pas.

Par Sub lege libertas


Il n’y a pas mieux qu’un prétoire pour fantasmer sur la société et ses maux. D’ailleurs le café du commerce, qui en est le miroir aux suspensions d’audience, se remplit de ces brèves de sociologie judiciaire, de ces « faits » zemmouriens.

N’y voit-on que ce qu’on regarde, comme le demande Maître Eolas ? Importe-il tant d’analyser ce qu’on vient y regarder, même pour dissiper des illusions d’optique qui grossiraient l’importance de la couleur de la peau alors que la faiblesse des ressources serait un critère plus pertinent pour expliquer la présence sur le banc des prévenus de tel ou tel ? Et s'il valait mieux fermer les yeux, sortir des choses vues, pour s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu ? Alors les réponses différeraient.

Tentons l’expérience, en décentrant le débat des vaguement désignés “trafiquants” vers les agresseurs sexuels sur mineurs au sein de leur famille, les nouveaux monstres actuels, les « pédophiles incestueux ». Au quotidien dans ma région septentrionale, on ne voit guère dans le prétoire, accusés de ces choses, ni moult bons bourgeois, cadres dynamiques à la peau qui craint le soleil plus rare sous ces latitudes, ni d’ailleurs de nombreux méditerranéens du sud, ni de cohorte de sub-sahariens. Est-ce un « fait » qu’au Nord, seul le petit blanc inactif, alcoolique et pauvre soulage sa misère sexuelle sur sa progéniture ? On le lisait certes dans les tribunes du Parc des Princes, mais...

Et si la question n’étaient pas : “le maintien de structures familiales traditionnelles et d’interdits religieux forts quant à la sexualité et la consommation d’alcool diminuent fortement la prévalence du risque incestueux dans les familles issues de l’immigration maghrébine ou d’Afrique équatoriale ?” Des sociologues ou démographes ne rappellent-ils pas que le plus souvent, l’émigration vers l’Europe déstructure le tissu familial et s’accompagne aussi rapidement de l’adoption de comportements similaires à ceux des populations du pays d’accueil, à supposer d’ailleurs que cette acculturation n’a pas déjà eu lieu en grande partie dans le pays d’origine, ouvert aux cultures occidentales par l’effet de la mondialisation ?

Et si la question n’étaient pas non plus : “est-ce que la promiscuité, conséquence d’une précarité sociale plus accrue dans les bassins de population septentrionaux, fortement touchés par le chômage structurel de masse, favorise l’inceste dans des familles nombreuses recomposées au sein desquelles le désœuvrement alcoolisé et la déshérence des schémas familiaux traditionnels émoussent le sens moral ? ”.

Si les questions étaient :

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car dans ce type de milieu, l’enfant abusé sur-couvé dans la famille aurait moins d’interlocuteurs pour l’écouter, contrairement aux familles pauvres ou précaires très suivies par les services sociaux ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car un travailleur social ayant une suspicion se rassurerait plus facilement au sujet la situation de malaise de l’enfant, grâce à l’explication fournie par le parent agresseur sexuel maîtrisant bien l’art de conversation et ayant une image de notable ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car le mal être de l’enfant ferait l’objet par la famille d’une prise en charge par un psychologue, qui pourrait voir dans les dires de l’enfant un récit fantasmatique des relations familiales et conseiller une orientation vers le médecin de famille pour une prise de psychotrope ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car si l’enfant abusé en devient agressif à l’égard d’autrui ou de lui-même, ses parents le feront hospitaliser dans le meilleur service d’une clinique psychiatrique recommandé par relations familiales ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent entre soi ?
— Voit-on dès lors moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent aussi entre soi, qu’éventuellement la menace d’un « renvoi au pays » de l’enfant qui viendrait à s’en plaindre suffit à maintenir le silence pour cet enfant dont toutes les attaches sont sur notre sol où il est né ?

— Voit-on d’ailleurs un(e) jeune maghrébin(e )ou africain(e) abusé(e) dont les parents sont en situation irrégulière, comme lui /elle le cas échéant, aller porter plainte, alors qu’on a encore récemment vu récemment qu’une jeune adulte scolarisée et battue par son frère a bénéficié en s’en plaignant d’un vol affrèté par le ministère préféré de ce blog ?
— Voit-on aussi moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car le repli sur soi de certaine de ces familles peu insérées quoiqu’acculturées, mais sollicitant donc peu les services sociaux, contribue paradoxalement à enclore l’enfant dans son silence comme un fils ou une fille de la bourgeoisie ?

Et si je pose ces questions, ce n’est pas que la réponse est « c’est un fait ». Ce ne sont qu’hypothèses à vérifier, qui plus est sur des situations rarement observées ou observables par le magistrat, rapportées à la quantité de celles qu’il lui est donné de voir. Mais ces questions, le magistrat du parquet ne se les pose guère quand il traite journellement sa pile de signalement de suspicion de faits incestueux transmis par les services sociaux et concernant d’abord des familles précaires usagers de ce type de structures.

Dès lors la question ne pourrait-elle pas devenir cyniquement au sujet de ces pédophiles incestueux potentiels qu’on ne voit pas en correctionnelle :

— Faut-il que je saisisse la Brigade des mineurs du Commissariat du centre ville pour mener d’initiative une enquête du chef de non dénonciation de crime ou délit d’atteinte à l’intégrité corporelle et atteintes sexuelles aggravées, en entendant tous les élèves de l’Institut *** qui ne m’a jamais adressé en cinq ans le moindre signalement concernant ses pensionnaires ?
— Si je ne le fais pas alors que la rumeur, c’est à dire une personne digne de foi désirant garder l’anonymat comme le noteraient les policiers, ou un courrier anonyme reçu opportunément le rapporte, est-ce parce que « sociologiquement » ce type de faits se déroulent plus souvent dans d’autres milieux ?
— Et si je le fais et que l’enquête ne prouve rien, pourrai-je conclure que la « pédophilie incestueuse » se manifeste essentiellement dans les famille pauvres, « c’est un fait » ?

Ce que traite la justice pénale n’est pas un miroir de la société, c’est une effraction du regard collectif sur... ses marges.

Alors reprenons les « trafiquants » zémmouriens « factuellement » noirs ou arabes. Comprenons d’abord qu’il s’agirait de trafiquants de stupéfiant, et que le chroniqueur semble d’ailleurs plus désigner le dealer de rue qui aurait vocation à être repéré ou contrôlé facilement par la police en patrouille, plus que le chef de réseau propriétaire de six immeubles de rapport, ayant huit sociétés immatriculées au registre du commerce avec pour gérant sa femme, sa mère, ses filles et cousines, le tout servant au blanchiment de l’argent du trafic. Remarquons d’ailleurs, pour désespérer E. Zemmour, que celui-ci aussi, qui a l’air très organisé, peut être un maghrébin ou un africain, le monopole de l’intelligence - fût-elle dévoyée - n’étant pas réservé au petit blanc de banlieue devenu éditorialiste.

Alors quelles sont quelques unes des questions auxquelles on ne répond pas, si l’on se contente d’observer avec l’avocat général Bilger que les dealers de rue fréquentant la correctionnelle à Paris seraient souvent des noirs ou des arabes, ou des pauvres dans l’approche eolassienne :

— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car fournissant des clients de leur milieu, ils se donnent rendez-vous, non sous le nez de la police, Place Stalingrad sur laquelle ils zoneraient camés, mais à l’hôtel particulier de la famille dans une Cité privée de Passy où l’on entre au volant d’une voiture luxueuse après avoir indiqué au vigile discret le nom du propriétaire auquel on rend visite ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car opérant en appartement dans les beaux quartiers, loin de vivoter uniquement de leur deal avec comme ressource officielle au mieux le R.S.A., leur petit commerce est une récréation lucrative parallèle à une activité légale ou une visibilité sociale qui ne les rend pas suspect ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle car je n’ai pas souvenir, à l’époque lointaine où j’y vivais, que le préfet de police de Paris sollicitât beaucoup de réquisitions de contrôles d’identité à la sortie des établissements de nuit sis dans les rues adjacentes aux Champs Elysées ou du côté du Polo de Bagatelle ou du Tir au pigeon, de sorte que les consommateurs de produits stupéfiants invités par les services de police à indiquer leur fournisseur sont plutôt ceux qui se fournissent chez Momo fiché à la police et opérant à la Porte de la Chapelle ?

Il est temps que pour parler de notre société nous en quittions le spectacle, fût-il judiciaire. Ou s’il l’on veut parler de notre société au travers de ce prisme, que n’interroge-t-on pas le spectacle judiciaire sur ce qu’il ne représente pas ?

Alors honte sur nous non à cause de ceux qui sont attraits en justice et peu me chaut leur couleur de peau. Mais le règne de la loi ne garantit notre liberté que si nous y sommes tous soumis à égalité. Honte sur nous pour ceux-là seuls que l’on se garde de conduire devant leurs juges. Et « c’est un fait », il y en a.


Je ne recevrai pas de commentaires. Le débat avec le maître des lieux se poursuivra sous son billet, qui précède, en cliquant là !

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