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Actualité du droit

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jeudi 18 novembre 2010

Un jury d'application des peines ?

Dernière fusée présidentielle (j’emprunte cette expression à Philippe Bilger, elle est parfaite pour désigner ce genre de fulgurances jaillies de nulle part, qui font dire “hooo” à tout le monde et finissent toujours en fumée) : la création de jurys populaires aux côtés des tribunaux correctionnels mais aussi, là est la nouveauté, au niveau de l’application des peines.

Le sujet a beau être complexe, pour une fois, je vais faire assez court. Cette proposition se heurte à tellement de difficultés concrètes qu’elle a encore moins de chances de voir le jour que la suppression du juge d’instruction, que le changement de garde des Sceaux achève d’enterrer.

Entendons-nous bien. Sur le principe, je n’ai rien contre le jury populaire. Je le pratique assez pour savoir qu’il ne se confond pas avec l’opinion publique, que la quasi totalité des citoyens tirés au sort prend son rôle très au sérieux, et que prendre une décision après une audience judiciaire n’a rien à voir avec écrire un commentaire sur le figaro.fr. Les dérives ne sont pas impossibles, mais elles sont rares, et j’ai moins peur de neuf citoyens tirés au sort que d’un juge unique en matière correctionnelle, car si je tombe sur un exalté, il n’y aura personne pour le tempérer. Qu’on ne me fasse pas le procès d’intention de me méfier du peuple. Si je tiens un blog sur le justice depuis plus de 6 ans, c’est précisément pour rapprocher mes concitoyens de leurs juges.

Ceci étant réglé, matériellement, la réforme sera impossible à mettre en place, pour des raisons pratiques, car elle va à contresens de toute l’orientation de la politique pénale.

Un jury populaire a besoin de temps. Pour comprendre le dossier, pour comprendre les enjeux, pour délibérer à plusieurs, pour voter (car seul un vote secret garantit la sincérité de son opinion). Plaider devant un juge professionnel peut se faire en 5 à 15 minutes sur la plupart des dossiers. Un technicien du droit s’adresse à des techniciens du droit, le vocabulaire est technique et précis, on peut se contenter de citer un numéro d’article pour appuyer un argument de droit. Une plaidoirie d’assises ne peut faire moins de 30 minutes, la durée ordinaire étant plutôt autour de l’heure. Pas tant à cause de la complexité de l’affaire (une cavalerie bancaire est bien plus compliquée qu’un meurtre) mais parce qu’on s’adresse à des Mékéskidis. C’est exactement la même raison qui fait la longueur légendaire de certains de mes billets. Face à des magistrats, un avocat peut sprinter ; face à des jurés, il faut aller les prendre par la main et marcher à côté d’eux tout le long du chemin. C’est très enrichissant ; mais c’est mauvais pour les stats.

C’est antinomique avec la politique actuelle de traitement en temps réel, qui fait des audiences de comparution immédiate surchargées traitant parfois 25 dossiers en un après-midi. Et cette contradiction est irréconciliable. Elle suffit à condamner la réforme.

Mais il y en a d’autres.

La procédure correctionnelle se fonde sur un dossier. Il faut lire les procès verbaux reprenant les constatations des policiers, les déclaration des témoins et plaignant, et bien sûr ne pas lire les déclarations du suspect puisqu’elles sont nulles faute d’assistance d’un avocat. La procédure d’assises, elle, bien que précédée d’une instruction, est orale. Les jurés n’ont pas accès au dossier, seules certaines pièces sont lues, à la demande des parties ou au choix du président. Cela contribue encore plus à la durée des débats. Une telle réforme impose donc de bouleverser la procédure correctionnelle pour en faire une procédure orale. Ce qui implique l’obligation absolue pour le prévenu de comparaître en personne, ce qui n’est pas le cas actuellement, le prévenu peut se faire représenter par un avocat, et surtout implique la comparution en personne des policiers et témoins. En somme, une procédure anglo-saxonne.

Ce n’est pas impossible, puisque ça existe aux Etats-Unis et en Angleterre. Mais ces systèmes reposent sur le fait que seule une minorité des affaires sont effectivement jugées, la plupart étant traitées en plaider coupable, c’est-à-dire par des audiences de distribution de peines très encadrées par la loi.

Bon nombre d’audiences correctionnelles font l’objet de renvois faute de pouvoir être jugées. Déranger des jurés (NB : Partie mise à jour) qui coûtent de l’ordre de 150 euros par jour, pour que l’affaire soit renvoyée va rapidement rendre la mesure impopulaire. Mais ces renvois sont parfois inévitables, car imposés par le droit à un procès équitable (article 6 de la célèbre Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales – CSDH).

Le jury populaire a un coût important. Outre l’indemnisation des jurés, il faut mettre en place le système de tirage au sort, les envois et le suivi des convocations, traiter, au besoin pénalement, le cas des jurés ne répondant pas, et le suivi administratif des indemnités. Les tribunaux accueillant une cour d’assises auront moins de difficultés, mais le nombre de jurés à suivre va sans doute être multiplié par vingt ou trente ; quant aux tribunaux sans cour d’assises (une majorité), ils ne sont tout simplement pas équipés.

Bref, une fois de plus, notre président bien-aimé-sauf-dans-les-sondages risque de se casser le nez face à sa pire ennemie : la réalité.roue carrée

S’agissant du jury d’application des peines, s’ajoute la technicité aigüe de la matière, peu, trop peu pratiquée par les avocats hélas (il faut dire qu’elle n’est pas rentable financièrement). Il y a d’ailleurs une dizaine d’année encore, c’était une matière purement administrative, à tel point que les décisions de libération conditionnelle des criminels lourdement condamnés relevaient du Garde des Sceaux en personne. Plusieurs réformes ont profondément changé la matière en 2000, 2004 et 2009, il y a un an tout juste, avec la loi pénitentiaire. Vous voyez d’ailleurs la politique de gribouille à l’œuvre une fois de plus. La matière s’est profondément judiciarisée. Un juge d’application des peines ne se contente pas de dire si oui ou non il y a lieu à libération. La décision suit un long processus de préparation d’un projet de sortie : où le condamné habitera-t-il ? Que fera-t-il une fois dehors ? Il y a des expertises médico-psychologiques faisant appel à des notions médicales précises : une personnalité narcissique n’est pas une personne qui aime se recoiffer devant un miroir. Et elle s’accompagne d’obligations liées à sa situation. La loi offre une très vaste panel de mesures possibles. Il faudra que les jurés les connaissent pour statuer en connaissance de cause et puissent le cas échéant les modifier ou en proposer d’autres. Bref, qu’ils soient plus compétents que des avocats. Tenez, allez lire le Code de procédure pénale sur l’application des peines. Ca commence là. Juste la partie législative. Vous en avez dix fois plus dans la partie décrets.

En outre, le critère retenu des criminels condamnés est absurde. La loi répartit actuellement l’application des peines entre deux juridictions, le juge d’application des peines (JAP), statuant à juge unique, et le Tribunal d’application des peines (TAP), composé de trois JAP et siégeant au niveau de la cour d’appel (la plupart des tribunaux de grande d’instance n’ont qu’un seul JAP). La répartition se fait sur le critère de la peine restant à exécuter : le TAP est compétent pour les peines prononcées supérieures à dix ans et dont la durée restant à subir dépasse 3 ans. En dessous, le JAP est compétent, sachant que tout JAP peut décider , face à un dossier délicat, de le renvoyer au TAP pour bénéficier d’une prise de décision collégiale. Déranger des jurés pour savoir si un condamné pour meurtre dans les années 90 devant sortir dans 1 an va bénéficier ou non d’une libération conditionnelle me paraît quelque peu démesuré.

En outre, les praticiens de la matière savent que l’aménagement des peines, et notamment la libération conditionnelle, préparée et encadrée, est le meilleur moyen de lutter contre la récidive (le taux est beaucoup plus élevé pour les libérations “sèches”, en fin de  peine et sans encadrement possible, que pour les libérations conditionnelles qui sont suivies et encadrées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, sous la surveillance des JAP), et qu’il y a pour chaque condamné une fenêtre de tir, un moment optimal où le condamné est prêt pour se réinsérer. La rater en refusant une mesure adaptée peut tout gâcher, car la détention sera dès lors vécue comme injuste et disproportionnée. Or une société injuste ne donne pas envie de s’y insérer. Faire comprendre cela à un jury et le convaincre qu’on y est, que c’est maintenant qu’il faut tenter le coup suppose de lui transmettre une expérience qu’il n’a pas. Le risque de réinsertions gâchées par un jury trop prudent est grand, avec comme conséquence une forte augmentation de la récidive, ce qui n’est pas l’effet recherché.

J’attire d’ailleurs votre attention sur la plus grande erreur commise ces dernières années par le législateur en la matière : le traitement de la récidive au niveau de l’application des peines. C’est l’infâme loi Clément du 12 décembre 2005, dite “Récidive I” principalement, qui devrait faire mourir de honte son auteur. Qu’on prenne ne compte la récidive au niveau de la peine prononcée, c’est compréhensible, tant que c’est une prise en compte intelligente et non automatique à coup de peines plancher. Le renouvellement d’un comportement ayant déjà conduit à une condamnation appelle une plus grande sévérité, j’en conviens. Mais limiter les possibilités d’aménagement des peines pour les récidivistes comme l’a fait la loi Clément, en augmentant les délais avant de bénéficier d’une telle mesure, voire en interdisant purement et simplement les libérations conditionnelles parentales (possibles sans condition de délai) pour les récidivistes est une imbécilité profonde et une erreur gravissime. Les récidivistes sont précisément ceux qui ont le plus besoin des aménagements de peine permettant un retour à la liberté progressif et encadré pour une réinsertion définitive. Et la fenêtre de tir dont je parlais est trop souvent manquée pour des conditions de délai. Où on voit que la loi anti-récidive de M. Clément favorise de fait la récidive. On l’applaudit bien fort. Il est urgent d’abroger ces limitations au niveau de l’application des peines (les peines plancher, j’arrive encore à me débrouiller avec, car elles n’ont rien d’automatique). Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des directeurs d’établissement pénitentiaires.

Cette idée de réforme présente toutefois un avantage immédiat : le président ne pourra plus sauter à la gorge du juge quand un libéré sous conditionnelle repassera à l’acte. La démagogie interdit en effet de promettre de faire payer le peuple. Comme quoi il devrait y réfléchir à deux fois.

mardi 16 novembre 2010

Touche pas à mon fils

Une mésaventure venant d’arriver à un couple isérois ferait sourire le juriste s’il n’avait eu pour conséquence de gâcher une noce.

Elle est Chinoise, de Hong Kong, et belle ; il est Français, donc beau, et de Grenoble, ce qui ne gâche rien.

Ils s’aiment et ont décidé de convoler. Une cinquantaine de personnes ont été invitées pour célébrer l’hymen, dont certains ont fait le voyage depuis le Port Aux Parfums.

Mais patatras : la fête fut gâchée, et comme toujours, par un huissier. Les parents du fiancé formèrent une opposition à mariage en vertu de l’article 173 du Code civil, à la stupéfaction générale, y compris, et cela m’étonne, de mes confrères isérois interrogés par le journal le Dauphiné :

Aucun des nombreux avocats qu’ils contactent ne connaît cet article 173. « De ma vie professionnelle, je ne l’ai jamais croisé, confirme Jean-Luc Medina, bâtonnier de Grenoble. Ce texte est tombé en désuétude, il n’a jamais été abrogé ».

Je veux croire qu’ils se seront mal exprimés. L’article 173 du Code civil n’est pas tombé en désuétude, et est toujours en vigueur, bien qu’il ne soit que fort peu utilisé (j’ai trouvé trace d’une telle opposition formée à paris en 1983).

Mais prenons les choses dans l’ordre, voulez-vous.

Le mariage est une union à la fois publique et privée. Privée, car elle est une union consentie entre deux êtres et fait naître des obligations respectives, et tient de ce point de vue du contrat. Publique, car elle ne se forme que par une célébration, c’est à dire une formalité publique, et quiconque peut savoir si Untel ou Unetelle sont mariés, et avec qui, en demandant, sans frais, un extrait d’acte de naissance ou de mariage des intéressés.

Cette publicité est un élément fondamental du mariage. Le mariage clandestin est nul : article 191 du Code civil (ce qui me fait m’interroger sur la validité de l’hymen présidentiel, célébré en catimini à l’Elysée, qui n’est pas la Maison Commune et certainement pas accessible au public).

La loi exige donc préalablement à la célébration une formalité de publicité : la publication des bans, affichettes placardées à la mairie (le Code civil emploie une délicieuse expression surannée, la Maison Commune) où la célébration aura lieu, mentionnant les prénoms, nom, professions domiciles et résidence des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré. Cette publication doit avoir lieu au moins dix jours avant le mariage, faute de quoi la célébration ne peut avoir lieu, sous peine de voir les foudres de la loi s’abattre sur l’officier d’état civil, le frappant d’une terrible amende de 3 à 30 euros, le mariage restant valable. Cette publication vise à permettre à quiconque connaissant l’existence d’une cause d’empêchement du mariage de se manifester à temps. Ces causes étant principalement une trop forte parenté entre les époux (qu’ils pouvaient parfois ignorer eux-même dans la France du XIXe siècle), où l’existence d’un mariage non dissous (l’état civil étant rigoureusement tenu depuis deux siècles, il faut que le dit mariage ait été célébré  l’étranger et non transcrit pour que ce soit possible), ou une éventuelle fraude.

Cette formalité quelque peu folklorique (qui va lire les bans affichés dans les panneaux de publicité administrative à l’extérieur de toutes les mairies, alors qu’il peut lire mon blog ?), l’est un peu moins depuis 2003 et 2007 où le législateur, qui a cru nécessaire de venir glisser son nez jusque dans la couche nuptiale, a posé de multiples conditions préalables à cette formalité. Ainsi, désormais, le maire est censé recevoir les époux, au besoin séparément, pour s’assurer de la réalité de leur intention matrimoniale. Vous l’aurez deviné, cette formalité a été introduite (en 2003) et modifiée (en 2007) par des lois portant sur l’immigration ; car l’étranger est censé venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, et pas donner des fils à nos femmes. Heureusement pour mon maire bien aimé que je me suis marié à l’étranger et avant ces lois scélérates. Je redoute qu’un tel interrogatoire de police se serait déroulé dans une ambiance peu républicaine.

Rassurez-vous, le président de la République, lorsqu’il a épousé une étrangère, n’a pas eu à subir cette humiliation, qui n’est bonne que pour les gueux citoyens ordinaires. Et je suis prêt à parier que l’ancien ministre de l’immigration n’a pas eu non plus à passer par ces fourches caudines lorsqu’il a épousé sa ravissante épouse, pourtant native du mauvais côté de la Méditerranée. C’est l’article 63 du Code civil.

Une fois cette formalité respectée, la célébration a lieu selon les formes prévues par l’article 75 du Code civil, qui emprunte beaucoup au cérémonial liturgique, notamment par la lecture du Livre. Non point la Bible, laïcité obligé, mais le Code civil, dont certains articles sont lus aux époux, qu’il ne sont pourtant pas censés ignorer.

Cependant, la célébration ne peut avoir lieu en cas d’opposition à mariage.

Cette opposition se fait très simplement, par signification par huissier. Vous téléphonez à un huissier territorialement compétent pour la commune où le mariage va avoir lieu (actuellement, c’est le ressort du tribunal d’instance qui détermine cette compétence ; cela doit bientôt passer à l’échelle départementale, mais je ne sais plus où en est cette réforme ; je compte sur mes gentils lecteurs pour m’éclairer). Celui-ci va se rendre au domicile des époux et leur remettre en main propre un acte d’opposition à mariage, qui est également signifié à la mairie où la célébration doit avoir lieu.

Qui peut former opposition ?

À tout seigneur, tout honneur : le ministère public, gardien de l’ordre public, qui a des compétences peu connues mais très importantes en matière civile, notamment pour tout ce qui concerne l’état des personnes. N’oubliez pas que c’est le ministère public qui a fait appel du jugement de Lille annulant un mariage car la mariée avait menti sur son état virginal. Son droit d’opposition s’exerce chaque fois qu’il décèle une cause qui entraînerait la nullité du mariage ; c’est une opposition préventive (art. 175-1 du Code civil). Ainsi, le parquet de Bordeaux avait formé opposition au mariage que l’ancien maire de Bègles se proposait de célébrer entre deux hommes – ce qui n’empêcha pas le maire de passer outre.

L’époux ou l’épouse d’un des futurs conjoints, pour des raisons qui me semblent assez évidentes (art. 172 du Code civil).

Enfin, les parents des deux époux (art. 173 du Code civil), et si les deux sont décédés, les aïeux vivants. Si l’un des mariés n’a ni père et mère, ni aucun ascendant en vie, le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le cousin ou la cousine germains majeurs, mais seulement si l’un des époux est dément, ou sous tutelle et que le consentement du Conseil de famille n’a pas été obtenu (art. 174 du Code civil).

Pour nos presque mariés isérois, nous sommes dans le cadre de  l’article 173 du Code civil, opposition des parents.

Est-ce à dire que les parents peuvent, par un simple caprice, s’opposer au bonheur conjugal de leurs enfants ? Bien que cela soit la définition légale de la  belle-mère, la réponse est quand même non.

L’acte d’opposition doit comporter certaines mentions, à peine de nullité et de sanction de l’huissier ayant prêté son concours, dont une capitale : le motif de l’opposition. La Cour de cassation a jugé qu’une opposition fondée sur le seul rejet par les parents du futur conjoint est nulle.

Que faire en cas d’opposition ?

L’opposition peut d’abord être levée par celui qui l’a formée, par signification par huissier d’un acte qu’on appelle mainlevée.

L’opposition est valable un an, puis devient caduque. Mais dans ce cas, une nouvelle opposition peut être formée en cas de nouveau projet de mariage, retour au point de départ.

Enfin, le tribunal de grande instance peut être saisi de l’opposition. Il doit statuer dans les dix jours, de même que la cour d’appel en cas d’appel. Soit il ordonne la mainlevée de l’opposition, soit il la confirme, et dans ce cas, l’union matrimoniale est impossible, car l’opposition a révélé une vraie cause d’empêchement.

Le Code civil prévoit qu’en cas de mainlevée d’une opposition, une nouvelle opposition, même pour d’autres motifs, est irrecevable (sauf si la première opposition était nulle pour des raisons de forme, le fond n’ayant pas été abordé).

Pourquoi ces parents ont-ils fait opposition ?

Je l’ignore, les articles de presse étant muets là-dessus. Je ne vois guère que deux possibilités. Soit l’un des deux, si ce n’est les deux, ne supporte pas l’idée que leur fils épouse une fille de Confucius, soit le grand-père de l’époux ayant servi dans sa jeunesse dans la Coloniale a été envoyé en Indochine, et un soir de permission où il se rendit avec ses compagnons d’arme au tripot de madame Feng pour jouer sa solde au Mah-Jong, et la chance lui ayant souri, dans les vapeurs d’alcool de riz et d’opium, il fit la rencontre de la belle Feuille de Saule qui y vendait ses charmes pour aider sa famille souffrant de la famine dans un village perdu des sommets du Yunnan, et là, alors que sous leur fenêtre, la lune se reflétait dans le Mékong, il conçut par un accident voulu par les Dieux la mère de la mariée, faisant des futurs mariés des cousins germains tante et neveu, et donc rendant leur union impossible (phrase mise à jour). C’est cette dernière hypothèse que je juge la plus crédible, car je ne veux pas croire que des Français puissent être xénophobes. Des lecteurs soupçonneux pourraient se demander s’il n’y avait pas fraude, ce mariage ne visant qu’à donner des papiers à la mariée. Je leur ferais remarquer que si de tels mariages blancs existent, ils ne s’accompagnent généralement pas d’un banquet pour 50 personnes et la famille de la mariée ne fait pas 11000 km en avion pour venir assister à une fraude.

Faut-il abroger l’article 173 ?

Méfions-nous des décisions rapides et simplistes. Ça fait trente ans que la France est gouvernée ainsi, et l’expérience n’est pas concluante. Cet article est peu utilisé, mais conserve un intérêt. Le fait que ces époux attirent une sympathie naturelle pour leur malheur ne justifie par qu’on modifie la loi : on ne touche pas à la règle générale pour un intérêt particulier. Les parents n’ont pas un pouvoir discrétionnaire et arbitraire d’interdire à leur enfant de se marier (et accessoirement ils sont impuissants à empêcher un concubinage ou un PaCS), et ce sont les mieux placés pour connaître des causes s’opposant à un mariage, et parfois seuls eux les connaissent. Une opposition est désagréable, mais moins qu’une action en nullité postérieurement au mariage. De même que le fait qu’on abuse d’une loi ne rend pas la loi mauvaise. C’est l’abus qui l’est.

Que les époux acceptent néanmoins tous mes vœux de bonheur.

mardi 9 novembre 2010

La Constitution à géométrie variable

On me sait gardien vétilleux de la rigueur juridique, même si je confesse volontiers un biais favorable aux libertés en général, et notamment à la première d’entre elle, qu’on distingue d’un simple singulier : la liberté.

Mais j’avoue que des fois, le parquet de Paris me semble planer à des hauteurs d’abstraction juridique telles que moi, humble vermisseau de la pensée du droit, j’ai du mal à le suivre.

Ainsi, alors qu’il est établi, ré-établi et surétabli  que les gardes à vue actuelles violent la Constitution, la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), les droits de l’homme et les principes généralement reconnus dans les sociétés démocratiques, le parquet de Paris ne voit aucun problème à continuer de les appliquer telles quelles et à embastiller gaillardement avec des déclarations reçues en violation de tout ce qui fait un système judiciaire dont on n’a pas à rougir.

Soit. On l’a vu, le mauvais exemple, comme le mauvais temps, vient d’en haut.

Mais le parquet se veut inflexible contre quiconque viole la loi, et si pour cela il faut qu’il la viole lui même, qui suis-je pour y trouver à redire ?

Néanmoins, au risque de passer pour un mauvais coucheur, je crains de déceler une certaine incohérence avec les principes ci-dessus rappelés dans une récente décision de classement sans suite prise par le même parquet.

Les faits étaient les suivants. Un président de la République en exercice, dont je tairai le nom pour préserver la présomption d’innocence, même  si, comme vous allez le voir, il n’en a  pas besoin, puisqu’elle est pour lui irréfragable, a un insatiable appétit de sondages. Il en prend à tous les repas, espérant garder la ligne (en vain, celle-ci a néanmoins plongé vers les abysses de l’impopularité), ce qui génère un coût non négligeable.

Peu importe, me répondrez-vous en chœur. Il est bon que notre primus inter pares soit à l’écoute du Peuple, et la Pythie aujourd’hui écoute le nombril du peuple via des instituts de sondage ; et nous ne sommes que trop heureux de contribuer au financement de ce louable souci d’écoute.

Certes. Mais néanmoins, si le principe est louable, la réalisation pêche quelque peu. Ainsi, la Cour des comptes, en juillet 2009, a eu la surprise de tomber sur une convention d’une page confiant la commande de ces multiples sondages (pour un budget annuel d’1,5 millions d’euros) au cabinet Publifact, qui lui-même se chargeait de passer les commandes auprès des divers instituts de sondage. Premier problème, ce cabinet appartient à Patrick Buisson, conseiller politique du président de la République, donc premier destinataire de ces sondages. Conflit d’intérêt. Deuxième problème, vu le montant annuel de ce contrat, il aurait dû suivre la procédure instituée pour les marchés publics, c’est à dire être soumis à un appel d’offre public (au niveau européen, même) et à une mise en concurrence, afin de respecter l’égalité des candidats et économiser l’argent public. C’est-à-dire tout le contraire de confier la commande et la réalisation à la même personne. Or ne pas respecter les règles des marchés publics est un délit, le délit de favoristisme (art. 423-14 du Code pénal).

Une association Anticor, pour Anti Corruption, a déposé une dénonciation de ces faits auprès du parquet de Paris. Dénonciation, et pas plainte, car seule la victime directe peut porter plainte et éventuellement saisir elle même un juge si le parquet n’y pourvoit lui-même. Or cette association ne peut prétendre être victime directe : elle est, comme nous tous, victime indirecte car c’est de l’argent public qui est ainsi mésusé. La dénonciation est l’acte d’un tiers qui signale au parquet une infraction et l’invite à y donner les suites que la loi appelle.

Or le parquet de Paris, après s’être penché sur la question, a rendu une décision de classement sans suite, pour des motifs juridiques qui ont de quoi laisser perplexe.

En effet, le parquet considère que l’immunité pénale du chef de l’Etat, prévue par la Constitution doit aussi s’appliquer à ses collaborateurs, en l’occurrence, Patrick Buisson.

Et là, je tique. Et quand je tique, je sors un livre d’Histoire.

L’immunité du président de la République est en France une vieille tradition, qui remonte à la Révolution française. La Constitution de 1791 instaurait une monarchie parlementaire, et posait le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (chapitre II, Section 1re, article 2). On ne pouvait se saisir de sa personne, le juger ni lui faire le moindre mal. C’est là qu’on voit que violer la Constitution est aussi une vieille tradition en France.

Cette inviolabilité de la personne du chef de l’exécutif a perduré au-delà des régimes. Jamais formalisée sous Napoléon (qui n’en avait pas besoin), elle figure à l’article 13 de la Charte Constitutionnelle du 4 juin 1814 (la Restauration), l’article 12 de la Charte de la Monarchie de Juillet. La Constitution de la IIe république (1848) se méfiait de l’exécutif et a rendu le président pleinement responsable (article 68 de la Constitution). Ce qui n’a pas empêché ce président de  renverser le régime par un Coup d’Etat et de se faire nommer empereur, et de rétablir cette immunité par l’article 5 de la Constitution de 1852, assez habilement d’ailleurs : “Le président de la République est responsable devant le Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.” Je dois avouer l’idée de laisser le responsable seul décisionnaire de la nécessité d’en appeler ou non à son juge assez brillante.

La IIIe république, on l’oublie trop souvent, était censée préparer le terrain au retour d’un roi, la première chambre des députés étant dominée par les monarchistes (400 sur 675), mais trop divisés entre deux prétendants pour se mettre d’accord. En attendant, on a nommé un président de la République, aux pouvoirs restreints (il ne s’agit pas qu’il pique le trône au roi), qui n’est responsable qu’en cas de haute trahison (article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Vous connaissez la suite : les deux prétendants moururent simultanément, et les monarchistes furent balayés aux élections suivantes. Et voici comment naquit définitivement la République : par accident.

La loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940 est muette sur la question, puisqu’elle renvoie à une nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat est chargée de rédiger. Malheureusement, trop occupé à rédiger les statuts des juifs, le Maréchal n’a jamais trouvé le temps de rédiger cette nouvelle Constitution. Mal lui en a pris, puisque du coup, il a pu être jugé en 1945 et condamné à mort (peine commuée en prison à vie). Même si je doute qu’une Constitution eût suffi à le mettre à l’abri.

La IVe république revint à un système proche de celui de la IIIe, et l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 pose à nouveau le principe de l’immunité, sauf Haute Trahison, rapport au cas ci-dessus.

En 1958, tout change et rien ne change.

Tout change car le président de la République devient le personnage central de la République. C’est lui qui exerce le pouvoir, le premier ministre devient de fait un de ses subordonnés. Mais rien ne change : si le premier ministre peut être renversé par l’assemblée (ce qui n’est arrivé qu’une fois), le président, lui, est intouchable. L’article 68 posait le principe que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute Trahison, constatée par une juridiction spéciale, la Haute Cour de Justice. La Constitution était muette sur le sort des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, notamment avant son élection. La question ne s’est jamais posée sur le après, les présidents de la République ayant jusqu’à il y a peu eu l’habitude de mourir peu après la cessation de leurs fonctions, quand ce n’était pas pendant, exception faite du président Giscard d’Estaing, qui a eu la précaution de devenir immortel, et qui n’a depuis commis que des crimes contre la littérature.

La logique voulait donc que le président restât dans ce cas un justiciable ordinaire ; mais le cas concret ne s’est pas présenté tout de suite. C’est grâce à l’élection d’un président ayant plus de casseroles qu’une voiture de jeunes mariés que la question est revenue sur le devant de la scène.

Elle a d’abord été tranchée très gentiment par la Cour de cassation, bien qu’on ne lui ait rien demandé, dans un arrêt du 10 octobre 2001. Dans cette affaire de – déjà !- délit de favoritisme, un mis en cause (EDIT :) une partie civile demandait que le Président de la République fût entendu comme simple témoin sur des faits commis alors qu’il exerçait des fonctions municipales. Nenni répond la Cour :

…rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit Code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée

Bref, le président de la République ne peut être pénalement sanctionné. Ni donc être appelé à témoigner, car cette obligation de témoigner est pénalement sanctionnée. S’il refusait, il faudrait le sanctionner, donc on ne va pas lui demander au cas où. On se frotte les yeux.

En février 2007, sentant la fin de son mandat venir, ledit président de la République a brusquement ressenti le besoin de réformer cet aspect du droit, qui pourtant ne l’avait pas fait broncher pendant 12 ans. La Constitution fut révisée et le nouveau statut du chef de l’Etat est le suivant :

Article 67 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (mise en cause par la cour pénale internationale-NdA) et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Ladite loi organique a été examinée par le Sénat le 14 janvier 2010, a fait une brève apparition en séance publique avant qu’une motion de renvoi en commission ne soit adoptée, ce qui est un enterrement de première classe. Bref, 3 ans après cette réforme, faute de loi organique, l’immunité du président de la République est absolue. C’est ce qu’on appelle l’Etat de droit à la Française.

Voilà où nous en sommes.

Mais vous constaterez avec moi que depuis Louis XVI, l’immunité ne concernait que le chef de l’Etat. JAMAIS ses collaborateurs. Ne serait-ce que parce qu’ils sont nommés discrétionnairement par lui, et révoqués de la même façon, mais en aucun cas des élus du peuple. Leur existence n’est même pas prévue par la Constitution.

Ainsi, en étendant l’immunité du chef de l’Etat à ses collaborateurs, le parquet de Paris viole, par fausse application, la Constitution, et donne sa bénédiction pour que le délit de favoritisme devienne le mode normal de fonctionnement du principal organe de l’exécutif. 

Si l’avocat en moi n’a rien contre un peu d’impunité pénale, même s’il préfère que ce soit au profit de ses clients, le citoyen qui sommeille, lui, a un peu de mal à gober cette application pour le moins extensive, surtout quand il songe à l’application restrictive de cette même constitution qui est faite sur la garde à vue, oui, c’est une obsession, mais je me soigne, promis, en juillet je serai guéri.

Hélas, l’association Anticor ne peut rien faire contre cette décision de classement puisqu’elle n’a pas le pouvoir de déclencher les poursuites (elle n’est pas victime). Eventuellement, d’autres cabinets de conseil ayant pu proposer la même prestation que Publifact, et n’ayant pu concourir au marché, pourraient porter plainte, car ils seraient les victimes directes du délit qui les a évincés. Mais il n’est jamais bon de chercher des poux dans la tête au conseiller politique du Prince, qui reste un de leurs principaux clients.

Et l’immunité particulière devient impunité générale.

Laissons donc les puissants s’amuser et allons défendre les voleurs de sacs à main au butin de 50 euros. 50 euros, c’est un vol. 1,5 millions, c’est de la poésie. Ils comprendront.

jeudi 4 novembre 2010

Petit cours de droit à l'usage de la Chancellerie et des magistrats indépendants

Eh oui, la garde à vue, encore. Parce que je n’arrive pas à digérer ce qui est en train de se passer.

Petit résumé des épisodes précédents :

Le 23 novembre 1993, la Cour européenne des droits de  l’homme (CEDH) rend un arrêt Poitrimol c. Francecondamnant la France pour son système de garde à vue qui jusqu’en janvier 1993 ne permettait aucune intervention de l’avocat (la requête de M. Poitrimol a été déposée en 1988). La Chancellerie s’applaudit elle-même, en se réjouissant que ce droit soit devenu effectif depuis le mois de janvier 1993, ajoutant même qu’elle a repoussé en août de cette même année l’intervention de l’avocat à la 21e heure de la garde à vue afin qu’il soit encore plus effectif. keep right

Le 15 juin 2000, une loi ramène l’intervention de l’avocat à la première heure de garde à vue.

Le 27 novembre 2008, la  CEDH rend un arrêt Salduz c. Turquie qui précise sa position sur le droit à l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue (article 6 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – CSDH). Les principes généraux qu’elle dégage dans cet arrêt condamnent clairement les régimes dérogatoires de garde à vue existant en droit français, repoussant de deux, voire trois jours l’intervention de l’avocat. L’arrêt reste ambigu sur la conformité du simple entretien de 30 mn sans accès au dossier. La Turquie, ayant parfaitement senti le coup venir, a anticipé et s’est mise en conformité en 2005, soit trois ans avant cette décision la condamnant. Les autorités françaises ne voient aucun problème et estiment contre toute évidence que le code de procédure pénale est parfaitement conforme.

Le 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de  l’homme rend un arrêt Dayanan c. Turquie qui lève toute ambigüité : les principes qu’elle a dégagés signifient bien que l’avocat doit pouvoir assister son client pendant les interrogatoires, et ce quels que soient le régime de la garde à vue, de droit commun ou dérogatoire, le maintien à l’écart de l’avocat ne pouvant se justifier qu’au cas par cas. La Chancellerie réagit en chantant à tue-tête Tout va très bien, madame la marquise. Et afin de démontrer que la procédure française est parfaitement conforme, elle annonce une réforme en urgence.

Les avocats français soulèvent les nullités de garde à vue, et obtiennent quelques décisions y faisant droit, mais très minoritaires.

Le 30 juillet 2010, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel constate l’évidence : les gardes à vue en droit français ne sont pas conformes aux principes relevés par la Cour européenne des droits de l’homme, qui ont valeur constitutionnelle en France. Néanmoins, comme la Constitution le lui permet, il repousse les effets de cette décision au 1er juillet 2011 pour laisser le temps au législateur de voter une réforme. Les juristes suffoquent d’indignation de voir que des dispositions votées pour garantir la sécurité juridique, qui est un droit de l’homme, sont utilisées pour écarter les droits de l’homme. Mais peu importe, la CSDH, elle, ne connaît pas d’intermittence. La Chancellerie dit que décidément, c’est un monde merveilleux puisque la réforme qu’elle a dans les tiroirs est pile poil conforme à ce que dit le Conseil constitutionnel, la preuve, elle va la modifier pour en tirer les conséquences.

Le 14 octobre 2010, comme c’était parfaitement prévisible, la CEDH condamne la France dans un arrêt Brusco c. France dans lequel elle constate que le droit français viole la Convention en ne permettant pas à l’avocat d’assister son client dès le début de la garde à vue, ce qui implique d’être présent lors des interrogatoire et d’avoir accès au dossier. La Chancellerie annonce qu’elle s’est pâmée de bonheur en lisant cet arrêt tant il consacre sa réforme qui est parfaitement conforme à ce que demande la Cour. Le fait qu’elle ne soit pas encore en vigueur ne semble pas poser de problème à la Chancellerie, qui se réfugie derrière l’argument fallacieux que le régime de garde à vue en question est antérieur à la loi du 15 juin 2000 ; je vous avais expliqué alors pourquoi l’argument ne tenait pas.

Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation rend trois arrêts achevant d’enterrer la garde à vue à la française, précisant que même les régimes dérogatoires prévus pour le terrorisme, le trafic de stupéfiant et la délinquance organisée ne sont pas conformes à la CSDH. La Chancellerie réagit en disant que la lecture de ces arrêts l’a fait tomber amoureuse d’elle-même tant sa réforme est parfaitement conforme à ce que dit la Cour, et qu’elle va aussitôt l’adapter à ces nouveaux arrêts.

Croyez-vous que la farce s’arrête là ? Non, mes chers amis. Le dernier épisode date de ce jour, où la Chancellerie a produit cette merveilleuse dépêche à destination de ses magistrats bien-aimés.

depeche_4-11-2010_GAV

Ah, elle nous saurait gré de la tenir informée, sous le timbre du bureau de la police judiciaire, de toute difficulté qui pourrait survenir dans la mise en œuvre de cette dépêche ? Y’a qu’à demander.

Direction des affaires criminelles et des grâces,
Sous direction de la justice pénale générale,
Bureau de la police judiciaire ;
À l’attention de Maryvonne.

Chère madame la directrice des affaires criminelles et des grâces,

Mon attention a été attirée sur l’application disparate du droit dans certaines productions de votre ministère, notamment votre dépêche du 4 novembre 2010.

Afin de préserver un minimum d’État de droit et de garantir l’égalité des justiciables devant la loi, dont vous me ferez le crédit de croire que je suis au moins aussi soucieux que vous, je voudrais vous rappeler à certaines réalités essentielles.

Quelles que soient les (puissantes) réserves qu’appellent chez moi la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet dernier, qui à mon sens fait un mésusage de la faculté que lui donne la Constitution de repousser dans le temps l’effet de ses abrogations (je ne suis pas sûr en effet que le Constituant avait à l’esprit de lui permettre de repousser dans le temps les droits de l’homme, mais plutôt de lui permettre de s’assurer de leur effectivité immédiate et continue), et celles, plus puissantes encore qu’éveillent les arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre (je cherche encore le texte de loi lui permettant de repousser dans le temps les effets d’une illégalité manifeste, si vous avez un tuyau, je suis preneur), je découvre avec horreur qu’emportée par l’enthousiasme, vous avez oublié un détail : la CEDH, et son arrêt du 14 octobre.

L’article 15 de la CSDH prévoit les deux seuls cas où l’application de la Convention peut être écartée. Je vous la rappelle pour mes lecteurs, car je ne doute pas que vous le connaissiez par cœur :

    1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
    2. (…)
    3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.

Sauf à ce que vous m’informiez (sous le timbre de mon blog) de la date à laquelle vous avez notifié au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe la suspension de l’application de l’article 6 (et au passage, du pays avec lequel nous sommes en guerre, je commence à planifier mes vacances de Noël et je ne voudrais pas commettre d’impair), je crains fort que les décisions du Conseil constitutionnel et de la cour de cassation, mes confrères et moi nous en tamponnions comme vous de votre première circulaire, du moins jusqu’au 1er juillet 2011 en ce qui nous concerne.

Car les décisions de la Cour ont force obligatoire, vous le savez bien, mais oui, c’est l’article 46. Souffrez que je le rappelle à mes lecteurs.

Article 46 – Force obligatoire et exécution des arrêts

  1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
  2. (…)
  3. (…)
  4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette Partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1.
  5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen.

J’en profite pour rappeler à mes lecteurs que l’article 55 de la Constitution dispose que les Traités ont une force supérieure à la loi, qu’elle soit votée ou juste annoncée à cors et à cris.

Donc, quand je lis sous votre plume que vous invitez les magistrats, du siège et du parquet confondus, à écarter l’application d’un traité en vigueur, qui plus est, car vous êtes taquine, le jour de son 60e anniversaire (la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales a été signée le 4 novembre 1950), je tremble pour vous. Non mais Maryvonne, vous vous rendez compte à qui vous écrivez ? À tout le Parquet de France !

En effet, l’article 432-1 du Code pénal, dont l’application n’a pas été écartée par le Conseil constitutionnel ni la Cour de cassation, punit de 5 ans de prison et 75000 euros d’amende le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi.

Heureusement, vous écrivez à des magistrats indépendants, fussent-ils du parquet : ils ne vous obéiront pas, vous sauvant la mise, car l’article 432-2 du Code pénal prévoit que les peines sont portées à 10 ans et 150 000 euros d’amende quand les mesures sont suivies d’effet. Pensez-y au moment de distribuer les primes de fin d’année.

À la place, voici ce que vous allez leur dire. Afin de garantir l’égalité des justiciables devant la loi, vous allez dire aux parquetiers de soutenir les demandes en nullité des auditions de garde à vue et de les soulever eux-même quand la défense n’y penserait pas. Vous allez leur dire d’indiquer aux Officiers de Police Judiciaire (OPJ) de s’abstenir d’effectuer des auditions de garde à vue des personnes suspectées, et si les OPJ estiment qu’une telle audition est indispensable, de leur dire de rappeler au gardé à vue qu’il a le droit de se taire, de le mentionner dans le procès verbal et de lui proposer l’assistance d’un avocat au cours de cet interrogatoire, avocat auquel le dossier de la procédure sera tenu à disposition (en entier, bien sûr), après l’entretien confidentiel de 30 minutes. Le Code de procédure pénale actuellement en vigueur ne l’interdit nullement, et tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé.

Ainsi, vous mettrez la France en conformité avec la CSDH avant même que l’usine à gaz qu’est en train de bricoler la patronne ne soit prête, ce qui la plongera dans l’enchantement, et vous vaudra sans nulle doute une promotion méritée.

En attendant, et ce malgré tout le respect que j’ai pour vous et qui transpire de ce billet, je continuerai, avec mes confrères, à soulever sans relâche la nullité des auditions en garde à vue, et dans l’hypothèse improbable où je tomberais sur des magistrats ayant oublié leur indépendance sous un banc à l’ENM et qui rejetteraient mes exceptions de nullité, je ferais appel, je me pourvoirai, et ce jusqu’à la CEDH où, vous le savez bien, je gagnerai.

Les finances de mon pays me préoccupent trop pour que je les grève de dommages-intérêts versés à mes clients.

Faisons des économies. Appliquons le droit.

Je suis, Madame qui avez le privilège de diriger les grâces, votre plus éperdument fidèle serviteur.

vendredi 29 octobre 2010

Pourquoi je veux un habeas corpus en France

La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n'est pas toujours dans les Etats modérés. Elle n'y est que lorsqu'on n'abuse pas du pouvoir : mais c'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le diroit ! la vertu même a besoin de limites.

Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.

Montesquieu, L’Esprit des Lois, XI, chap.4.

Voilà pourquoi, chers confrères, le combat continue. Nous avons eu la peau de la garde à vue sans avocat, même si, à leur grand déshonneur, les juges français ont décidé de faire de la nécromancie avec elle le temps que le législateur daigne se pencher sur le respect de nos droits. Mais n’oublions pas l’autre message que nous a envoyé la Cour en mars dernier. Oh, avec encore moins de succès.  La défense de demain (allégorie)

Souvenez-vous de l’arrêt Medvedyev. Lui aussi condamne la garde à vue actuelle en France, et là, aucune solution n’est apporté par le projet de loi de madame Alliot-Marie, qui pourtant ne trouve pas de mots assez laudatifs pour se féliciter elle même.

Rappelons que la garde à vue est décidée souverainement par un officier de police judiciaire (OPJ), qui désormais n’a bien souvent d’officier que le nom, puisqu’un simple gardien de la paix peut être OPJ (et je vous rappelle que pour être gardien de la paix, le bac suffit). Le seul contrôle prévu par la loi est un contrôle du parquet. L’OPJ doit informer dans les meilleurs délais le procureur de la République de cette mesure. Concrètement, dans chaque ressort de tribunal de grande instance, un procureur est de permanence 24h/24. Il peut donner l’ordre de mettre fin à la garde à vue à tout moment.

Ca, c’est la théorie. Oh, je ne doute pas que les procureurs qui me lisent ne manqueront pas de me dire qu’il leur arrive régulièrement d’ordonner la levée de  gardes à vue qui ne leur semble pas s’imposer. Ce sont d’excellents procureurs. On les reconnaît d’ailleurs au fait qu’ils lisent mon blog (quand ils n’y écrivent pas). Mais c’est loin d’être une généralité, je vais y revenir.

D’une part, la réalité de ce contrôle, en tout cas à Paris, est largement illusoire. Un OPJ m’a ainsi un jour expliqué benoîtement que l’information d’une nouvelle garde à vue, de nuit, se faisait par fax au parquet, à la section P12. Qui la nuit est déserte. Concrètement, si le fax est bien envoyé immédiatement (avec copie de l’accusé de réception au dossier), il n’est découvert qu’à l’ouverture des bureaux, vers 9 heures le lendemain. Bien sûr, un procureur peut être joint, sur le portable de la  permanence (dont je me suis procuré le numéro). Mais la consigne est de n’appeler qu’en cas de vraie urgence, ce qui s’entend essentiellement par dossier criminel, ou médiatique. Le procureur doit pouvoir dormir. Le respect de la loi attendra les heures de bureau. Et oui, chers confrères, voilà ce qu’on fait à Paris des garanties de  l’article 63.

D’autre part, et cela est valable pour toute la France, se pose un problème de taille, qui naturellement est nié tant par le parquet que par le Gouvernement (ce Gouvernement a pour politique de ne pas résoudre les problèmes mais de les nier). Le parquet est juge et partie. C’est le même magistrat qui est chargé de juger la légalité et l’opportunité de la privation de liberté qui va ensuite soutenir l’accusation à l’audience. Il est juge de la mesure qui vise uniquement à lui fournir les preuves dont il a besoin. On imagine l’objectivité et l’impartialité. Le garde des Sceaux bredouille devant tous les micros qui lui passent sous le nez que la suppression du juge d’instruction s’impose car il est juge et partie, ce qui est faux, pour confier la conduite de toutes les enquêtes au parquet, qui, lui, est bel et bien juge est partie. Avouez que pour ce qui est de se moquer de vous, ça se pose un peu là.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a donc condamné la France (deux fois) pour ce système, qui ne donne au gardé à vue aucun accès à un magistrat indépendant. Chaque fois que je soutiens des conclusions fondées sur Medvedyev, le parquetier d’audience est vexé comme un pou. “Comment la défense ose-t-elle dire que je ne serais pas un magistrat indépendant, je suis outragé, la Constitution le dit alors c’est vrai.” D’abord, la Constitution, on sait la tenir à l’écart quand ça arrange les autorités. Ensuite, ce n’est pas la défense qui le dit, c’est la CEDH. On sait quelle attention on lui prête en France, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter.

124. Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention.

L’arrêt Medvedyev, dans le texte.

Ensuite, le fait que le parquet n’est pas indépendant n’est pas une nouveauté. Il a une organisation hiérarchisée, et un substitut qui n’obéit pas  aux ordres de son procureur s’exposerait à des sanctions disciplinaires. Heureusement, cela ne lui vient même pas à l’esprit. En haut de la pyramide se trouve d’ailleurs le Garde des sceaux, et les plus hauts parquetiers sont nommés en Conseil des ministres, comme les préfets.

Enfin, nul ne peut nier que c’est bien le parquet la partie poursuivante à l’audience. Je ne connais pour ma part aucune matière où les libertés fondamentales d’une partie sont assurées par son adversaire, avec comme seule la garantie le fait que cette dernière déclare la main sur le cœur : “monsieur, je ne vous permets pas de douter de moi”. C’est un peu léger, s’agissant de votre liberté, vous ne trouvez pas ?

Donc, notre prochain combat, qui sera lui aussi gagné à la fin, sera l’habeas corpus, c’est-à-dire la possibilité pour toute personne gardée à vue de soumettre à un juge un recours qui devra être examiné avec toutes les garanties du procès équitable, permettant de contester aussi bien la légalité que l’opportunité de la mesure. Pouvoir simplement demander à un juge : “Mettez fin à ma garde à vue, elle ne s’impose pas”. L’arrêt Medvedyev, rendu en Grande Chambre et définitif, l’impose expressément et on ne peut plus clairement (la Cour a compris qu’il fallait parler lentement, fort et avec des mots courts et simples aux autorités françaises).

Tant qu’il n’y aura pas de telles garanties, nous nous exposerons à des gardes à vue scandaleuses, et sans recours aucun.

Vous voulez  un exemple ? Le quotidien Le Dauphiné nous en rapporte un parfait par sa banalité.

A la suite du désormais célèbre lapsus de Rachida Dati, un habitant de Bourg-de-Péage, près de Romans sur Isère, dans la Drôme, lui a adressé un courrier électronique sur sa boîte du Parlement européen, lui demandant “une petite inflation”. Blague de mauvais goût, sans doute, avec des relents de sexisme, certainement. Mais une blague avant tout.

Eh bien ce monsieur s’est retrouvé place en garde à vue par la police judiciaire de Lyon, qui démontre ainsi son sens des priorités, pour le délit d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public. Le procureur de la République de Valence, a évidemment été immédiatement informé – du moins je le suppose.

Et que croyez-vous qu’il arriva ? Que le procureur s’est exclamé : “Mais vous n’y pensez pas ? Un député européen n’étant pas dépositaire de l’autorité publique, faute de pouvoir de décision délégué par la loi, il doit être regardé comme chargé d’une mission de service public ; or l’alinéa 1er de l’article 433-5 du Code pénal ne prévoit qu’une peine d’amende de 7500 euros maximum pour ces faits, en fût-il l’auteur. Pas de prison encourue. Or l’article 67 du Code de procédure pénale prévoit que la garde à vue n’est applicable qu’aux faits punis d’une peine d’emprisonnement. Il serait donc illégal de le retenir en garde à vue, et inopportun de priver de liberté quelqu’un qui n’encourt pas une privation de liberté pour ces faits. En outre, ses déclarations seraient reçues inconstitutionnellement et en violation de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (arrêt Brusco c. France), qui a une valeur supérieure à la loi en vertu de l’article 55 de la Constitution. Or en tant que magistrat, il est de mon devoir de faire respecter le droit. C’est le sens du serment que j’ai prêté. je vous ordonne donc de remettre ce monsieur en liberté ; et si vous avez des questions à lui poser, vous lui envoyez une convocation, en lui rappelant qu’il n’est pas obligé de répondre à vos questions, bien sûr”.

Perdu.

Sa garde à vue a été prolongée et il y a passé près de 48 heures. Illégalement, donc. Son logement a été perquisitionné et son ordinateur a été saisi. Il ne va probablement pas être expertisé, le coût prévisible de la mesure dépassant le montant de l’amende susceptible d’être prononcée. Et sa confiscation n’est même pas prévue à titre de peine complémentaire. Il devra lui être restitué.

A la décharge du parquet, quand on voit que, enfin déféré devant un juge des libertés et de la détention, celui-ci, au lieu d’exploser de colère devant cette procédure ridicule et à la légalité douteuse, a placé ce monsieur sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’entrer en contact avec Rachida Dati – ce que j’ai du mal à considérer comme une contrainte, on voit que même la vraie autorité judiciaire, composée de magistrats indépendants, eux, ne risque pas deperdre le sommeil à cause d’un souci excessif des libertés.

Voilà, mes chers citoyens, la totalité de la protection de votre liberté. Vous voulez rire du lapsus d’une élue ? Il vous en cuira. Deux jours dans les geôles du commissariat, dont personne ne pourra vous sortir, certainement pas le magistrat dont c’est le rôle selon la Constitution, puisqu’il est trop occupé à applaudir pour lire le Code de  procédure pénale. Ca vous apprendra le respect dû à vos supérieurs.

Cette affaire est une honte et un scandale, et oui, je suis en colère. On en est donc là, aujourd’hui ? Un “casse toi pauv’con”, un “Sarkozy je te vois”, un “une petite inflation” sont suffisants pour vous faire traîner devant les tribunaux, par l’autorité constituée qui se prétend, sans rire ni rougir, gardienne de la liberté individuelle ?

Il n’en est pas question. Si ceux qui sont les gardiens de la liberté individuelle trahissent à ce point leur ministère, c’est les gardiens des intérêts individuels, les avocats, qui y suppléeront. Attaquons sans relâche les gardes à vue confiées aux seuls procureurs. Nous serons déboutés. Nous ferons appel. Nous serons confirmés. Nous nous pourvoirons. Nous serons rejetés. Nous irons à Strasbourg, et nous gagnerons.

Relisez les propos de Montesquieu rappelés en exergue. Tout naturellement, un pouvoir qui n’est arrêté par aucun contre-pouvoir est sorti de ses limites et est devenu abusif. Les juges européens ont pointé cette dérive du droit, et nous ont justement rappelé à l’ordre.

Il y a 2000 ans, Juvénal se demandait déjà, dans la République romaine, Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ? L’interrogation est d’une actualité angoissante.

mercredi 27 octobre 2010

Quand les juges en perruque donnent une leçon aux juges en robe

Dans les commentaires sous le billet Verbatims, un lecteur signant Morgan Kane a attiré mon attention sur une décision (pdf) rendue par la –toute jeune- Cour Suprême du Royaume Uni. Cette Cour suprême remplace depuis le 1er octobre 2009 la Chambre des Lords comme plus haute juridiction judiciaire pour l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Ecosse. image

L’Ecosse qui a un droit largement autonome du droit anglais, et dont l’équivalent du Code de procédure pénale prévoyait qu’un suspect pouvait être interrogé pendant 6 heures avant d’être assisté d’un avocat.

Des avocats écossais ont soulevé devant la Cour Suprême l’incompatibilité de cette loi avec la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), en s’appuyant sur les désormais célèbres arrêts Dayanan c. Turquie et Salduz c. Turquie (personne outre-manche n’ayant eu l’audace de prétendre que ces décisions ne s’appliquaient qu’à la Turquie).

A l’unanimité, la Cour Suprême a décidé que la loi écossaise violait la CSDH, et que toutes les déclarations reçues en garde à vue devraient être annulées dans les procédures encore en cours.

La question de l’application immédiate de cette règle ne leur a pas échappé, d’autant que le nombre de dossiers affectés a été estimé à 76 000 par la Couronne.

Voici la réponse que les juges y apportent. Je la laisse d’abord en anglais, puis je vous en propose une modeste traduction.

There is no doubt that a ruling that the assumption [that there was anything wrong with this procedure] was erroneous will have profound consequences.  But there is no room, in the situation which confronts this court, for a decision  that favours the status quo simply on grounds of expediency. The issue is one  of law […].  It must be faced up to, whatever the consequences.

Ce qui se traduirait par :

Il ne fait aucun doute qu’une décision affirmant que la croyance que cette procédure était parfaitement conforme à la CSDH était erronée aura de lourdes conséquences. Mais il ne saurait être question, dans la situation à laquelle cette Cour est confrontée, de rendre une décision qui favoriserait le statu quo simplement sur des arguments d’opportunité. La question est de pur droit. Il faut y faire face, quelles qu’en soient les conséquences.

Ces mots devraient faire rougir de honte le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, et tous les juges qui aujourd’hui encore osent rejeter les conclusions de nullité soulevées devant eux sur Salduz, Dayanan et Brusco.

dimanche 17 octobre 2010

Le jour de gloire est arrivé

La nouvelle est tombée jeudi matin. Oh, elle n’a rien de surprenant, on l’attendait depuis longtemps, et je vous en parlais déjà il y a un an, mais ça y est. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France sur la question de la garde à vue.

Il s’agit de l’arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010, n°1466/07.

Alors puisque le mensonge et le déni de réalité est la méthode politique habituelle de ce Gouvernement quand surgit un problème (rappelez-vous : le délit de solidarité n’existe pas, et d’ailleurs, on va le modifier), il est évident que le Garde des Sceaux va nous entonner la chansonnette de “Meuh non, tout va bien, la garde à vue française est conforme à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentale (CSDH) et à la Constitution, d’ailleurs, on va changer la loi en urgence pour la mettre en conformité”.

Alors voyons ce que dit cet arrêt, démontons les mensonges à venir de la Chancellerie, et voyons ce que propose le projet de loi sur la garde à vue, qui a été révélé par la Chancellerie.

L’arrêt Brusco c. France

Dans cette affaire, le requérant fut condamné pour complicité de violences aggravées, pour avoir payé deux sbires pour “faire peur” au mari de sa maîtresse. Au cours de sa garde à vue dans cette affaire, il fût entendu sous serment comme témoin, et naturellement sans avocat. À cette occasion, il reconnut les faits.

Son avocat souleva devant le tribunal la nullité de ces aveux du fait du serment, mais le tribunal rejeta son argumentation (qu’en droit on appelle exception). Il en fit appel, et la cour confirma entièrement le jugement. Il se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut rejeté, quand bien même entretemps, la loi avait été changée pour supprimer cette obligation de prêter serment. Ayant compris combien il était saugrenu d’invoquer les droits de l’homme devant les juges français, il se tourna vers Strasbourg et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Bien lui en pris, et la Cour condamne la France pour violation de l’article 6, en l’espèce parce que cette prestation de serment violait le droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer. En effet, estime la Cour, le fait de lui faire prêter serment de dire toute la vérité, et de le menacer de poursuites en cas de fausses déclaration sous serment (quand bien même ces poursuites eussent été impossibles, puisqu’il n’était pas témoin des faits mais auteur des faits) constituait une pression contraire à la Convention, qui exige que d’éventuels aveux ne puissent être faits qu’une fois l’intéressé parfaitement informé de leur portée et que rien ne l’oblige à les faire.

C’est là que j’attire votre attention, car il est évident que la contre-argumentation de la Chancellerie va jouer à fond sur ce point. Elle dira que M. Brusco ne se plaignait pas de l’absence d’avocat, mais d’une obligation de prêter serment qui a été supprimée par la loi Perben II du 9 mars 2004, et que la Cour ne fait que sanctionner une non conformité de la loi française réglée il y a 6 ans.

Voyons donc ce que dit réellement la Cour. C’est aux paragraphes 44 et 45 (je graisse).

44.  La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray, précité, § 45). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).

45.  La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).

Ho, bée ma bouche, tombez mes bras, quelle surprise est la mienne ! La Cour insinue que les principes posés par les arrêts Salduz et Dayanan, que mes lecteurs connaissent bien, s’appliqueraient aussi à la France ? Mais pourtant la Chancellerie nous a soutenu exactement le contraire, rappelant même avec morgue que la France n’avait jamais été condamnée pour violation de l’article 6 de la Convention. C’était comme affirmer que le Titanic en train de sombrer était insubmersible, la preuve : il n’avait encore jamais coulé. Sur papier à en-tête d’un ministère de la République.

Eh bien voilà, c’est fait, la France a été condamnée. Comme c’était prévisible, inévitable, inéluctable, tous les juristes le savaient.

Et donc, après avoir rappelé (ou enseigné, en ce qui concerne la Chancellerie, visiblement) ces principes, la Cour les applique au cas de M. Brusco. Et en profite pour enfoncer le clou dans le cercueil de la garde à vue sans avocat.

54.  La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

Là encore, la Chancellerie, gageons-le va nous jouer le couplet de : “il s’agit du régime de garde à vue en vigueur en 1999, c’est-à-dire avant que la loi du 15 juin 2000 ne prévoie l’intervention de l’avocat dès la première heure ; à présent, l’avocat est là dès le début, il peut notifier ce droit de garder le silence”.

À cela, plusieurs choses à dire. À vous mes confrères, d’abord. J’espère que vous avez ouï la Cour. À toutes vos interventions en garde à vue, vous devez dire au gardé à vue qu’il a le droit de garder le silence, et lui conseiller d’en user d’abondance, faute de pouvoir être assisté d’un avocat. Je ferai un billet entier sur le droit de garder le silence, tant il est une pierre angulaire de la démocratie, et étranger à notre procédure pénale, je vous laisse en tirer vos conclusions. Mais je suis certain que la plupart d’entre vous ne le disent pas. C’est une erreur, c’est même une faute.

À vous mes concitoyens ensuite. Si le ministère ose tenir cet argument, il vous faudra user à son encontre de lazzi et de quolibets. Car c’est l’actuelle majorité qui a fait en sorte, par la loi du 24 août 1993, de revenir sur l’intervention de l’avocat dès la première heure votée par la loi du 4 janvier 1993. Et c’est la même majorité qui, par la loi Perben I du 9 septembre 2002, est revenue sur la notification du droit de garder le silence faite au gardé à vue, en application de la loi du 15 juin 2000. Par deux fois, l’actuelle majorité a voté une loi qui a bafoué la Convention européenne des droits de l’homme. Qui a bafoué vos droits. Dire que rien n’empêche l’avocat de suppléer à sa forfaiture à présent qu’il peut venir dès le début de la garde à vue serait un monument de cynisme. Je parie sur son inauguration prochaine.

À vous mes lecteurs enfin. Lisez bien ce que dit la Cour dans ce §54.

L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

L’article 6 de la Convention exige que l’avocat puisse assister le gardé à vue lors de toutes ses dépositions. Ite Missa Est. Il n’y a rien à ajouter. Tout est dit. Repose en enfer, garde à vue à la française.

Le projet de réforme, ou : continuons à violer la Convention, nous ne serons plus là quand la sanction tombera

Dans un pays respectueux du droit en général, ou professant une faiblesse pour les droits de l’homme, le pouvoir législatif se ferait un devoir de voter promptement une loi nous mettant en conformité avec ces principes. C’est par exemple ce qu’a fait la Turquie, et avant même d’être condamnée par les arrêts Salduz et Dayanan. Dès que les autorités turques ont compris, elles se sont mises en conformité en 2005 (les arrêts sont tombés fin 2008).

En France, on fera à la française. C’est à dire qu’on fera voter une loi qui tentera de contourner cette décision. Les droits de l’homme sont chez nous trop précieux pour fréquenter les commissariats sales et vétustes.

Voici ce que contient le projet de loi pondu (pour être poli ; il n’y a pas que les œufs qui sortent du cloaque) par la Chancellerie.

Le Gouvernement propose la création d’une audition libre, qui serait le principe, et la garde à vue, l’exception. Qu’est-ce qu’une audition libre ? Pas une garde à vue. Donc, aucun des droits attachés à la garde à vue ne s’appliquent à l’audition libre, à commencer par l’assistance d’un avocat, et naturellement le droit de garder le silence. Brillant, n’est-ce pas ? Et comme ce régime est destiné à devenir le droit commun, dans le baba, la Cour européenne des droits de l’homme !

Vous avez encore des doutes ? Vous ne pouvez croire à ce degré de cynisme ? Constatez vous même. Voici ce que dire le futur Code de procédure pénale (CPP). Je graisse.

Art. 62-2. - La personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, présumée innocente, demeure libre lors de son audition par les enquêteurs. Elle ne peut être placée en garde à vue que dans les cas et conditions prévus par les articles 62-3, 62-6 et 63.

«Art. 62-3. - La garde à vue est une mesure de contrainte prise au cours de l’enquête par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs pour l’un des motifs prévus par l’article 62-6. 

La formule que j’ai graissée est exactement celle de l’actuel article 63 du CPP définissant le cas dans lequel la garde à vue est possible.

L’article 62-3 qui exige pour la garde à vue que l’infraction soit passible d’emprisonnement n’apporte absolument rien, contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs, puisque c’est déjà le cas : article 67 en vigueur du CPP.

Voyons donc ce fameux article 62-6, qui expose les cas dans lesquels on pourra recourir à la garde à vue.

« Art. 62-6. - Une personne ne peut être placée en garde à vue que si la mesure garantissant le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs est l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 

« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ;

« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ; 

« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction. »

Vous noterez que le 2° permet de recourir à la garde à vue pour n’importe quelle affaire. Il suffit que le procureur de la République n’ait pas encore pris de décision sur les suites à donner, ce qui est systématiquement le cas, puisque c’est la prise de cette décision qui met fin à la garde à vue. Donc arbitraire total.

La notification des droits se trouve au futur article 63-1 :

« Art. 63-1. - I. - La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :

« 1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;

« 2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

« 3° De ce qu’elle bénéficie des droits suivants :

« - droit de faire prévenir un proche et son employeur conformément aux dispositions de l’article 63-2 ;

« - droit d’être examinée par un médecin conformément aux dispositions de l’article 63‑3 ;

« - droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat conformément aux dispositions des articles 63-3-1 à 63-4-2.

Ainsi, en audition libre, non seulement on ne vous dit pas que vous avez le droit fondamental de vous taire, mais vous n’aurez pas droit à un avocat pour venir vous le dire, et vous n’aurez même pas le droit de savoir la nature des faits qu’on vous soupçonne d’avoir commis, alors même qu’il existe des des raisons plausibles de soupçonner que vous avez commis ou tenté de commettre une infraction, mais en plus, contrairement à la garde à vue, l’audition libre n’est pas limitée dans le temps.

Bref, la chancellerie a réussi cet incroyable exploit de sortir une proposition de loi à la suite d’une déclaration d’inconstitutionnalité de la garde à vue et d’une condamnation de la France par la CEDH sur ce même régime de la garde à vue qui en fait revient à durcir le régime de la garde à vue. Faut-il haïr les droits de la défense…

Naturellement, ce nouveau régime n’est pas conforme à l’article 6 de la CSDH. Une nouvelle condamnation est inévitable si ce torchon acquerrait force de loi. Ce qui avec le Parlement servile que nous avons tient de la formalité. Qu’en dira le Conseil constitutionnel ? Je ne sais pas, mais sa non-décision sur la loi sur la Burqa a refroidi mes ardeurs à le voir comme garant des droits fondamentaux.

Alors si cette cochonnerie de projet de loi devait passer, retenez d’ores et déjà ce principe, et faites passer le mot : libre audition, piège à con. Si des policiers vous proposent une audition libre, acceptez, puis dites que vous décidez librement de ne faire aucune déclaration et de ne répondre à aucune question, et que vous allez partir librement, après leur avoir librement souhaité une bonne fin de journée. Si les policiers vous menacent alors de vous placer en garde à vue, vous saurez que cette proposition d’audition libre n’avait pour seul objet que de vous priver de vos droits. Vous voilà en mesure de les exercer. Vous les avez bien eus.

Pas un mot sans un avocat à vos côtés.

Et maintenant ?

Que faire dès aujourd’hui ?

L’attitude de la Chancellerie est claire. Il n’y a rien de bon à attendre de ce côté. Alors, baïonnette au canon, c’est dans le prétoire que la bataille doit avoir lieu.

Contrairement à la décision du Conseil constitutionnel de juillet dernier, cet arrêt est immédiatement invocable en droit interne. Vous devez déposer des conclusions dans tous les dossiers où votre client a été entendu en garde à vue, en demandant la nullité des PV où ses propos ont été recueillis, au visa de l’article 6 de la CSDH. En comparution immédiate, cela peut suffire à démolir le dossier. Au besoin, si votre client est d’accord, portez l’affaire devant la CEDH. Vous connaissez les conditions : épuisement des voies de recours interne, puis introduire la requête dans le délai de 6 mois.

Pour reprendre le mot du bâtonnier Marc Bonnant, du barreau de Genève (Mise à jour) de mon confrère Bertrand Périer, aujourd’hui, en France, le meilleur ami des libertés n’est ni le juge, ni la Chancellerie : c’est le TGV Est.

mercredi 13 octobre 2010

Cachez moi cette loi que je ne saurais voir

Le JO de ce jour est porteur de tristes nouvelles, sous la forme de la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dite loi anti-burqa, ce qui impose l’invocation du Tartuffe, qui sera ici comme un poisson dans l’eau, vous allez voir.

Car vous constaterez avec moi que, alors que le gouvernement a paradé devant les micros en annonçant qu’il allait étouffer l’hydre intégriste avec cette loi, que les débats parlementaires n’ont parlé que de la burqa, et que la presse ne parle de cette loi que comme une anti-burqa, cette loi ne dit pas un mot de la burqa, et que quand la religion y est mentionnée, c’est pour apporter une exception à l’interdiction de la dissimulation du visage.

Voyons un peu ce que dit cette loi. ce sera rapide. Avant de voir ce qu’en a dit le Conseil Constitutionnel. Ce ne sera pas plus long.

La loi

Elle se compose de sept articles, tous forts brefs. C’est le seul mérite que l’on peut trouver à cette loi.

L’article 1er pose sobrement :

Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

Rappelons ce que le dictionnaire entend par tenue : “(Ensemble de) vêtement(s) accompagné(s) de ses/leurs accessoires que porte une personne et qui varie(nt) selon les circonstances, selon son activité, sa profession.” Le juriste relèvera d’emblée que la tenue doit être destinée à dissimuler le visage. Si la tenue a pour effet de dissimuler le visage, mais n’est pas destiné à cela, l’interdiction ne s’applique pas. La tenue doit enfin dissimuler le visage, peu importe qu’elle ne dissimule que cela (sous réserve du délit d’exhibition sexuelle).  Lady Gaga, jaillissant hors de l'eau telle Aphrodite, avec un superbe masque-boule disco, dont le regard lance des éclairs semblant dire : "que celui qui m'a poussée se dénonce"

L’article 2 apporte une précision et une série d’exceptions.

La précision est la définition de l’espace public au sens de l’article 1er : l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

Les voies publiques sont tout simplement la rue et l’ensemble du réseau routier ouvert à la circulation. Les lieux ouverts au public incluent tous les lieux, publics ou privés (la loi ne distingue pas), ou quiconque peut entrer librement, en s’acquittant ou non d’un droit d’entrée payant salle de concert, bibliothèque, restaurant. Les lieux affectés à un service public incluent les tribunaux, mairies, gares et hôpitaux, entre autres. Vous le voyez, c’est large. En fait, si vous mettez un pied dehors, vous passez nécessairement par l’espace public.

La série d’exception est que cette interdiction ne s’applique pas “si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles”.

Le juriste tiquera sur cette loi qui prévoit qu’un vulgaire décret peut la mettre en échec avant de réaliser que la capitulation du Parlement est déjà chose acquise de longue date. En outre, la personne avançant masquée peut mettre en avant des raisons de santé (bandages sur le visage, masque anti-grippe A), des motifs professionnels (policier du GIGN,clown…), la pratique sportive (on pense notamment aux escrimeurs), de fête (Halloween et Carnaval sont sauvés), ou de manifestations artistiques (Daft Punk et Lady Gaga sont à l’abri) ou traditionnelles (là, je sèche).

L’article 3 pose les sanctions de cette interdiction.

La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au
8° de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.

Le pénaliste s’agacera de cette rédaction. “La peine complémentaire prévue au 8° de l’article 131-16 du Code pénal est applicable à la contravention prévue à l’alinéa précédent” aurait suffi et correspond à la rédaction habituelle, puisque l’article 131-18 du Code pénal pose déjà le principe général qu’une peine complémentaire peut être seule prononcée à la place d’une peine d’amende.

Le constitutionnaliste s’agacera aussi de cette rédaction, puisque la Constitution prévoit que la définition des contraventions relève non du pouvoir législatif mais du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire du décret. Violation de la Constitution de peu de conséquence, puisqu’il existe une procédure permettant de saisir le Conseil constitutionnel pour voir constater que cette disposition est de nature réglementaire, ce qui permet de la modifier ou de l’abroger par un décret. Néanmoins, quand l’État veut donner des leçons de valeurs républicaines, je pense que le minimum qu’on puisse demander est de respecter la Constitution.

L’article 4 crée un nouveau délit de dissimulation forcée du visage, en insérant dans le Code pénal cet article :

Art. 225-4-10. - Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende.

La création d’un délit visant, sans le dire, l’homme qui, pour des motifs religieux, obligera une femme à porter la burqa, peut se comprendre. Cela peut même avoir une utilité, en ouvrant une action en justice à la femme qui voudrait échapper à cette emprise. La femme forcée à porter la burqa n’est pas du tout le même problème que la femme portant la burqa volontairement et librement. Et ceux qui affirment que les femmes la portant sont toutes forcées en seront pour leurs frais : la présomption d’innocence exige d’apporter cette preuve. Cet article appelle le moins de réserves de ma part, hormis le fait qu’il met sur le même plan menaces et violences d’un côté, et contrainte, abus de pouvoir ou d’autorité de l’autre. Les menaces et les violences sur conjoint ou par personne ayant autorité sont déjà des délits, pas l’abus d’autorité ou de pouvoir. Cela risque de créer un conflit de qualification.

L’article 5 reporte l’entrée en vigueur des articles 1 à 3 (interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public et ses modalités) à six mois après la promulgation, soit au 12 avril 2011 à 0 heure. En attendant, merci de ne pas appeler la police dès que vous voyez une burqa : ça reste légal.

L’article 6 précise que cette loi s’applique sur l’ensemble du Territoire de la République. Ne soyez pas si étonnés. L’organisation de la France est complexe, et il faut préciser celles des lois votées par le parlement qui s’applique aux territoires d’Outre Mer que sont Mayotte, la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie française (mais pas l’île de la Réunion ni les Antilles françaises, qui sont des départements, et où toute la loi s’applique de plein droit. La loi risque de poser problème à Saint-Pierre-et-Miquelon, sauf à ce que la jurisprudence considère que le passe-montagne par jour de grand froid est justifié dans l’espace public pour raisons de santé.

L’article 7 prévoit une mesure sans intérêt destinée à aider l’industrie papetière.

La justice se voilera-t-elle la face  ?La décision du Conseil Constitutionnel

Le Conseil constitutionnel (CC) a été amené à statuer sur cette loi. Enfin, si on ose dire. Il a été saisi par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui ont ce droit individuel (les députés et sénateurs qui souhaitent saisir le CC doivent être 60 de la même chambre).

Le travail fourni par les présidents est admirablement synthétisé par le Conseil :

ils n’invoquent à l’encontre de ce texte aucun grief particulier.

Ah, qu’elle est bien défendue, la Constitution.

Le CC, saisi d’aucun argument, va se contenter d’un survol à haute altitude et ne va retoquer qu’un aspect oublié par le législateur, trop soucieux de jouer les Tartuffe : la liberté religieuse, dont le législateur, à force de ne penser qu’à elle, a totalement oublié de parler.

l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public.

Pas de bol. Les burqas restent légales dans les mosquées (et les églises, soit dit en passant). 

Pour le reste, le Conseil se contentera de constater que la loi ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté. Mon ami Jules s’en agace (mais moins que mon confrère Gilles Devers). Je les comprends. il aurait été éclairant que le Conseil nous expliquât en quoi, car c’est franchement loin d’être évident. Serge Slama est plutôt désabusé. Quant à mon ami Authueil, il soulève une question intéressante : et si le Conseil constitutionnel n’avait pas fait exprès de rester aussi vague pour faire échec à cette saisine opportuniste et permettre une vraie discussion via la procédure de Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) ? Mes lecteurs savent en effet qu’un particulier à qui on veut appliquer une loi peut en contester la constitutionnalité par la procédure de QPC, mais à la condition que la question n’ait pas déjà été tranchée par le Conseil lors de l’examen de la loi ou d’une précédente QPC. En ne répondant rien aux arguments inexistants, le Conseil laisse la porte ouverte aux QPC posées par les premières femmes verbalisées, et en cas de censure, n’aura pas à assumer seul cette responsabilité, tandis que le non-recours des présidents le laissait seul face à l’opinion publique, qui n’aurait pas forcément compris une censure de l’interdiction de la Burqa.(Mise à jour : Serge Slama, infiniment plus compétent que moi, émet de forts doutes sur la théorie d’Authueil. Strasbourg, nous voilà.).

L’avenir nous dira la suite. Ceux qui espéraient voir les burqas disparaître demain en seront pour leurs frais. Ils pourront méditer sur le sens exact de la liberté en République, qui nous impose de tolérer aussi ce qui nous dérange (quel mérite y a-t-il à tolérer ce qui nous convient ?), et sur l’humiliation que serait le fait de voir une femme en burqa nous donner une leçon de liberté. Attendons la suite des événements.

Après tout, le Tartuffe est une pièce en cinq actes.

Mise à jour : Admirons la logique législative. Le port de la burqa, qui mettrait en péril les fondements même de la République selon ses contempteurs (alors que ce sont les fondements de la République qui en permettaient le port, justement), est puni d’une contravention de 2e classe, soit 150 euros max. Au JO de ce jour, un décret a été pris qui sanctionne Free les fournisseurs d’accès qui refuseraient de transmettre un e-mail d’avertissement de la HADOPI de, tenez-vous bien… 1500 euros par e-mail non transmis.

Entre la laïcité et le respect de la femme d’un côté, et les royalties de Johnny Halliday de l’autre, l’État a choisi son camp.

lundi 20 septembre 2010

Menace démagogique : alerte maximale

Un vent de panique souffle dans les antichambres des ministères, à l’approche d’un remaniement annoncé, avec des affaires qui commencent à faire résonner le doux tintinnabulement des casseroles, des sondages plus bas que des mineurs chiliens, et une opération “sus aux Roms” qui tourne au fiasco diplomatique majeur. 

Dernier avatar du sauve-qui-peut : le ministre de l’intérieur, qui sent que sa fidélité canine au président risque de ne pas peser très lourd tant son passif commence à être aussi chargé qu’un animateur de France Télévision, vient de faire trois propositions dans le domaine judiciaire où la démagogie le dispute à l’absurde.

En somme, il a jeté ses cochonneries dans mon jardin.

Je ne vais pas laisser passer cela, même si je ne vais pas consacrer à ces sottises plus de temps que nécessaire, tant vous allez voir que ces propositions sont du vent, destinés à alimenter les plateaux télé en débats inutiles pendant qu’on oublie qu’il y a encore un ministre du travail.

Première proposition : Adjoindre des jurys populaires aux juridictions d’application des peines.

Là, comme le fait pertinemment remarquer mon confrère Maître Mô, ce n’est pas aller assez loin. il y a encore des risques que des gens sortent. il faudra veiller à ce que ces jurés ne soient autres que les victimes elles mêmes, et là, on sera bordé. c’est vraiment des amateurs, Place Beauvau. 

Les juridictions d’application des peines sont au nombre de deux : le juge d’application des peines (JAP) et les tribunaux d’Application des Peines (TAP). Pour faire simple : les JAP statuent seuls sur les dossiers les moins graves (peines inférieures à 10 ans ou moins de 3 ans restant à effectuer), les TAP, composés de trois juges, sur les dossiers les plus graves.

Je simplifie énormément, j’implore le pardon des JAP (et ex-JAP…) qui me lisent, mais un exposé du droit de l’application des peines serait faire trop d’honneur aux sottises de l’Auvergnat.

Ils statuent sur toutes les demandes liées à l’exécution d’une peine, et seulement à cette exécution. Ils ne peuvent en aucun cas statuer sur une difficulté liée à la peine elle-même : le contentieux de la peine appartient exclusivement à la juridiction qui l’a prononcée. 

Il s’agit principalement de l’aménagement des peines, si le condamné est encore libre, et des réductions de peines et libérations conditionnelles pour les condamnés incarcérés.

C’est un contentieux très technique (je mets tous les prix Nobel au défi de calculer de tête une mi-peine), profondément réformé en 2004 et en 2009 (j’y reviens…). Il s’agit d’évaluer le comportement du condamné en détention (l’administration pénitentiaire participe à la prise de décision), la solidité du projet de sortie (domicile, emploi, motivation du condamné, situation familiale), au vu des pièces produites par la défense, des rapports de l’administration pénitentiaire (dossier disciplinaire, activités, formation suivies) et parfois des expertises médicales (traitement suivi). 

Or un jury populaire ne peut s’envisager sérieusement que pour une procédure orale, comme l’est celle de la cour d’assises. Tous les éléments doivent être débattus oralement, les experts doivent être présents pour répondre aux questions, de même que le futur employeur, la famille, etc. 

En 2009, d’après les Chiffres clés de la justice (statistiques officielles du ministère), les cours d’assises ont traité 3 345 affaires, dont une petite partie traité sans jury (appel sur la seule condamnation civile, accusé en fuite…les stats ne distinguent pas). 

Sur le même laps de temps, les juridictions d’application des peines ont rendu 80 490 décisions directement liées à la liberté d’un condamné à de la prison ferme (les deux tiers étant des permissions de sortie).

Le fait que le ministre ait balancé sa fusée intellectuelle sans expliquer comment les jurys populaires vont pouvoir traiter 24 fois plus de dossiers, ni comment cela va être financé, sans même aborder le sujet de la formation des jurés à un droit technique, montre bien d’une part qu’il n’accorde pas le moindre sérieux à cette proposition, et d’autre part qu’il aurait tort de le faire puisqu’aucun journaliste n’a de toutes façons posé la question. 

Il a un temps été question de faire de même pour les tribunaux correctionnels. Là, j’y serais presque favorable. La tendance étant à augmenter sans cesse le domaine du juge unique en matière correctionnelle, ce retour de la collégialité serait somme toute une bonne chose. Juste un détail : en 2009, ce sont 584 549 décisions qui ont été rendues par les tribunaux correctionnels. Et un procès ordinaire en correctionnelle, ça prend de 20 minutes (comparution immédiate) à une demi journée. Parce qu’entre avocats et magistrats, on peut rentrer de plain-pied dans le débat technique. avec des jurés, il faudra compter le même laps de temps rien que pour faire de la pédagogie aux jurés. Et leur laisser le temps de préparer les dossiers (le dossier Clearstream, c’est 42 tomes, soit au bas mot 21 000 pages). On fait comment, m’sieur Hortefeux ?

Deuxième proposition : L’élection des juges d’application des peines.

La France connaît déjà des juges élus : les juges des tribunaux de commerce (litiges entre commerçants, redressement et liquidation des entreprises), et les conseillers prud’hommes (litiges individuels du travail). L’abstention y connaît des records impressionnants. 74% aux prud’hommales de 2008, malgré la mobilisation des syndicats pour qui cette élection est très importante ; quant aux élections des tribunaux de commerce, les juges élus n’ont généralement même pas de liste concurrente face à eux. On ne manque pas d’électeurs, on manque de candidats (il faut dire que les fonctions sont bénévoles…).

Oh oui, oh oui, confions des questions de sécurité publique à des juges élus ainsi, quelle bonne idée.

Troisième proposition : suppression de l’aménagement des peines de moins de deux ans.

Le Code de procédure pénale prévoit qu’une personne condamnée à une peine de prison ferme n’est en principe pas incarcérée immédiatement. Il y a trois exceptions : en comparution immédiate, le condamné peut être incarcéré sur ordre du tribunal quel que soit le quantum de la peine prononcée ; si la peine est au moins égale à un an, sur décision spéciale et motivée du tribunal (on dit décerner mandat de dépôt à la barre) ; et si le condamné est en état de récidive, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sur décision spéciale du tribunal qui n’a pas à être motivée (c’est même le fait de ne pas recourir au mandat dépôt qui doit parfois être motivé…).

Si le condamné est laissé libre et que sa peine ne dépasse pas deux ans, il doit être reçu par le juge d’application des peines (en principe, on lui remet une convocation dès le prononcé de la condamnation) pour envisager un aménagement de peine qui évitera l’incarcération sèche. Cela peut être un placement sous bracelet électronique, une semi détention (il sort la journée pour aller travailler et passe ses soirées et nuits en détention), un fractionnement de la peine (pour la purger en plusieurs fois), etc. La palette est vaste. Cela évite le caractère désocialisant de la détention (surtout si le condamné a un travail), et lutte aussi contre la surpopulation carcérale (rappel : au 1er janvier 2010, il y avait 54 988 places pour 60 978 détenus). 

Le ministre de l’intérieur n’a pas de mots assez durs pour critiquer cet état de fait : “Avoir quasiment l’assurance de ne pas effectuer sa peine de prison, quand on est condamné à moins de deux ans, est un dispositif parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes” (cité par LePoint.fr).

Juste un petit problème : cette limite de deux ans pour l’aménagement a été mise en place par ce même gouvernement, il y a moins d’un an (avant, c’était seulement les peines inférieures ou égales à un an) : Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite loi pénitentiaire, article 84.

Rappelons à Brice Hortefeux que quand cette loi était encore devant le parlement, le ministre de l’intérieur s’appelait Brice Hortefeux, et que c’est donc à lui qu’il faut s’en prendre si une loi parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes a été votée.

Sur ce point, je serai d’accord avec Brice Hortefeux : c’est inadmissible, la démission s’impose.

Car pour ce qui est de se moquer du peuple, visiblement, l’impunité est de rigueur.

samedi 28 août 2010

Roms, uniques objets de mon ressentiment… (Acte I)

Le Gouvernement a donc décidé, pour des motifs d’opportunité politique assez évidents sur lesquels je ne m’étendrai pas, ayant assez de choses à dire par ailleurs, de mettre en œuvre une politique d’expulsion, au sens premier du terme : « pousser dehors », les Roms étrangers vivant en France.

Ils sont fous, ces Roms, hein ?

Avant d’aller plus loin, qu’est-ce qu’un Rom ? Rom vient du mot Rrom, en langue romani (l’orthographe a été amputé d’une lettre en français, la double consonne initiale n’existant pas dans cette langue), qui signifie « homme » au sens d’être humain (féminin : Roma ; pluriel : Romané). Il s’agit d’un peuple parti, semble-t-il (la transmission de la culture étant orale chez les Roms, il n’existe pas de source historique fiable, mais tant la langue romani parlée par les Roms que la génétique confirme l’origine géographique indienne), du Nord de l’Inde (Région du Sindh, dans l’actuel Pakistan, et du Penjab pakistanais et indien) aux alentours de l’an 1000 après Jésus-Christ, sans doute pour fuir la société brahmanique de l’Inde qui les rejetait comme intouchables (c’est donc une vieille tradition pour eux que d’être regardés de travers par leur voisin).

Ils sont arrivés en Europe via la Turquie au XIVe siècle, suivant les invasions des Tatars et de Tamerlan, et s’installèrent dans l’Empire byzantin (qui les appelle Ατσίγγανος , Atsinganos, « non touchés », du nom d’une secte pré-islamique disparue, dont les zélotes refusaient le contact physique ; quand les Roms arrivèrent, les byzantins, qu’on a connu plus rigoureux dans leur réflexion, les prirent pour des membres de cette secte), ce qui donnera tsigane, Zigeuner en allemand et Zingaro en italien. Ceci explique que leur foyer historique se situe dans les actuelles Turquie, Roumanie, Bulgarie, pays qui restent les trois principales populations de Roms, et dans les Balkans (ex-Yougoslavie).

Outre des professions liées au spectacle ambulant, les Roms se sont spécialisés dans des professions comme ferronniers et chaudronniers, Γύφτοs, Gyftos, ce qui donnera Gypsies en anglais, Gitano en espagnol, et Gitan et Égyptien en Français (dans Notre Dame de Paris, la Recluse appelle Esmeralda « Égyptienne » ; et Scapin appelle Zerbinette « crue d’Égypte »).

Le roi de Bohême (actuelle république Tchèque) leur accordera au XVe siècle un passeport facilitant leur circulation en Europe, d’où leur nom de Bohémiens. De même, le Pape leur accordera sa protection (Benoît XVI est donc une fois de plus un grand conservateur) Leur arrivée en France est attestée à Paris en 1427 par le Journal d’un Bourgeois de Paris (qui leur fit très bon accueil) — C’est d’ailleurs à cette époque que se situe l’action du roman d’Hugo Notre Dame de Paris.

Pour en finir avec les différents noms qu’on leur donne, Romanichel vient du romani Romani Çel, « groupe d’hommes », Manouche semble venir du sanskrit manusha, « homme », soit le mot Rrom en romani, et Sinti semble venir du mot Sind, la rivière qui a donné son nom à la province du Sindh dont sont originaires les Roms. Sinti et Manouche désignent la même population rom établie dans les pays germanophones et presque intégralement exterminés lors de la Seconde guerre mondiale C’est pourquoi le mot Tsigane, évoquant l’allemand Zigeuner, d’où le Z tatoué sur les prisonniers roms, est considéré comme blessant aujourd’hui .

Il convient ici de rappeler que les Roms ont été, aux côtés des Juifs, les cibles prioritaires de la politique d’extermination nazie. Le nombre de victimes du génocide, que les Roms appellent Samudaripen (« meurtre collectif total »), se situe aux alentours de 500 000, avec pour les Sinti allemands entre 90 et 95% de morts.

Ces mots peuvent être utilisés indifféremment pour désigner les Roms, encore que les siècles d’installation dans des pays différents ont fait apparaître des différences culturelles profondes. Même la langue romani n’est plus un dénominateur commun, puisque les Roms d’Espagne et du sud de la France, les Gitans, parlent le kalo, un sabir mâtiné d’espagnol, depuis qu’une loi espagnole punissait de la mutilation de la langue le fait de parler romani (les espagnols ont un atavisme profond avec les langues, mais c’est un autre sujet).

En 1971 s’est tenu à Londres le Congrès de l’Union Rom Internationale (IRU) qui a adopté le terme de « Rom » pour désigner toutes les populations du peuple rom, d’où l’usage de ce terme dans ce billet (ce que les gitans refusent, eux se disent kalé). Le mot rom ne vient donc absolument pas de Roumanie, ni de Rome, bien que ce peuple se soit installé en Roumanie et auparavant dans l’Empire romain d’Orient.

Je ne puis conclure ce paragraphe sans vous inviter à lire les commentaires de cet article, où je ne doute pas que des lecteurs plus érudits que moi apporteront de précieuses précisions ou, le cas échéant, rectifications.

Tous les chemins mènent aux Roms

Les Gens du voyage sont-ils des Roms ? En un mot, non. Le nomadisme n’est pas une tradition chez les Roms, mais une nécessité historique. Aujourd’hui , entre 2 et 4% des Roms sont du voyage, c’est-à-dire ont fait le choix d’une vie nomade. Et beaucoup de gens du voyage ne sont pas roms, comme les Yéniches, que l’on prend souvent pour des Roms. Les forains sont aussi nomades, mais du fait de leur profession, et pour la plupart ne sont pas Roms. Et si demain, il vous prenait la fantaisie de vivre une vie nomade, vous deviendriez aussitôt Gens du Voyage, sans pour autant devenir Rom (sauf aux yeux des lecteurs du Figaro). Un abus de langage est apparu du fait que la Constitution française interdit toute distinction sur une base ethnique. Le terme de Gens du Voyage, neutre de ce point de vue, est souvent employé aux lieu et place du mot Rom. Or ce ne sont pas des synonymes.

Ce qui d’emblée montre que le problème des occupations illégales de terrains, publics ou privés, par des Roms ne vient pas uniquement du fait que la loi Besson (pas Éric, non, celui qui est resté de gauche, Louis) du 5 juillet 2000, qui oblige les communes de plus de 5000 habitants à prévoir des aires d’accueil, est allègrement ignorée par la majorité des maires.

Quand un Rom viole la loi, c’est mal. Quand l’État viole la loi, c’est la France. Laissez tomber, c’est de l’identité nationale, vous ne pouvez pas comprendre.

La majorité des Roms en France sont Français, et leur famille l’est même depuis plusieurs siècles. Les Roms ont de tout temps adopté le style de vie des pays où ils se sont installés, jusqu’à la religion (ils sont catholiques en France, protestants en Allemagne, musulmans en Turquie et dans les Balkans), et il ne viendrait pas à l’idée d’un Rom de donner à ses enfants un prénom qui ne soit pas du pays où il nait (lire les prénoms des enfants d’une famille rom permet parfois de retracer leur pérégrination ; exemple : Dragan, Mikos, Giuseppe, Jean-Pierre). Cela ne les empêche pas de garder vivace la tradition rom, à commencer par la langue romani, et l’importance primordiale de la famille élargie (la solidarité n’est pas un vain mot chez les Roms). Il est d’ailleurs parfaitement possible qu’un de vos collègues de travail soit Rom et que vous ne l’ayez jamais soupçonné.

Naturellement, ces Roms ne sont pas personnellement menacés par la politique actuelle, même s’il est probable qu’ils la vivent assez mal.

Les Roms étrangers sont donc quant à eux des migrants qui veulent une maison qui ne bouge pas, et habitent des habitations de fortune, triste résurgence des bidonvilles. Ils viennent de pays qui ont toujours refusé l’intégration des Roms, en faisant des parias dans leur propre pays. Même si l’intégration à l’UE de ces pays a conduit à un changement total de politique, les états d’esprit, eux n’ont pas changé, et le rejet répond hélas souvent au rejet. Certains Roms se sont sédentarisés et tant bien que mal intégrés, comme les Kalderashs (du roumain Căldăraşi, chaudronniers, habiles travailleurs du métal, en particulier du cuivre) ; d’autres, comme les nomades, forment une société fermée et hostile aux gadjé — aux non-Roms. La plupart des Roms de Roumanie qui viennent en France sont des kalderashs, et non des nomades, fuyant la misère et le rejet dont ils font l’objet dans leur pays. Donc, pas des gens du voyage.

Les roms des Balkans (ils sont nombreux en Serbie et au Kosovo) fuient eux aussi la misère, même si certains demandent l’asile (très peu l’obtiennent) prétendant faire l’objet de persécutions. Il faut reconnaître que lors de la guerre du Kosovo en 1999, des Roms ont été recrutés par les troupes serbes pour se livrer à des opérations militaires de nature à intéresser le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), et se sont acquittés de cette tâche avec un zèle qui n’a pas laissé de très bons souvenirs auprès des populations kosovares (j’entends par là : albanais du Kosovo).

Des Roms, des stats et de la bière nom de Dieu

Une question se pose, et je ne tiens pas à l’éluder : celle des Roms et de la délinquance. Le lien est certain, les chiffres ne mentent pas. Partout en Europe, les Roms sont bien plus victimes de la délinquance que les autres populations. Destructions de biens, agressions racistes, sur lesquelles les autorités ferment bien volontiers les yeux, d’autant plus que les Roms, on se demande pourquoi, ont développé à leur encontre une certaine méfiance, quand ce ne sont pas des pogroms. Sans compter les crimes contre l’humanité subis par ce peuple, que ce soit le génocide nazi ou la réduction en esclavage en Valachie et en Moldavie —oui, des esclaves en Europe— jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.

Ce n’est pas une boutade, c’est une réalité : la délinquance, les Roms en sont d’abord victimes. On a déjà vu que même en France, État de droit imparfait mais État de droit, l’État ne respecte pas la loi Besson. Vous verrez dans la suite de ce billet qu’au moment où je vous parle, il fait encore pire à leur encontre puisque la politique d’expulsion mise en œuvre est illégale. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les juges administratifs. L’Union européenne l’a remarqué. Le Conseil de l’Europe l’a remarqué. L’ONU l’a remarqué. Le Pape l’a remarqué. L’UMP n’a rien remarqué.

Mais n’esquivons pas la question de la délinquance de Roms. De Roms, pas DES Roms. Elle existe, c’est indéniable, ne serait-ce du fait qu’aucun groupe humain n’est épargné. Est-elle plus élevée que dans les autres groupes sociaux ? C’est probable.

Évacuons rapidement une question sur laquelle je reviendrai dans le prochain billet : l’occupation sans droit ni titres de terrains publics ou privés. Il ne s’agit pas de délinquance, puisqu’au pire (occupation d’un terrain public), ces faits sont punis d’une contravention de grande voirie.

Les causes premières de la délinquance, au-delà du mécanisme intime et personnel du passage à l’acte, qui fonde la personnalisation de la peine, sont la pauvreté (liée au chômage ou à la précarité de l’emploi ; un CDD est aussi rare dans une audience correctionnelle que la vérité dans la bouche d’Éric Besson), l’exclusion (qu’entraîne mécaniquement le fait d’être sans-papier, notamment), le faible niveau d’instruction (qui empêche d’accéder aux professions rémunératrices), outre le fait que la délinquance concerne surtout des populations jeunes (le premier enfant a un effet remarquable sur la récidive).

Vous avez remarqué ? Je ne viens pas de vous dresser un portrait du jeune versaillais. Plutôt celui du jeune Rom des terrains vagues. Ou du jeune des cités, soit dit en passant pour la prochaine fois ou on tapera sur eux. À vous de voir avec votre conscience si vous voulez y ajouter une composante génétique.

Parce qu’aucune statistique n’existe sur la délinquance des Roms. Aucune. Tout simplement parce que ce serait interdit : Rom est une origine ethnique, or la loi prohibe la constitution de fichier sur des bases ethniques ou raciales — suite à un précédent quelque peu fâcheux.

Donc quand le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, que l’on a connu plus méticuleux en matière d’arithmétique ethnique, prétend présenter des statistiques de la délinquance des Roms pour justifier la politique du Gouvernement, il ment. Je sais, ça devient une tradition de ce Gouvernement, mais que voulez-vous, je n’arrive pas à m’y faire. Quelqu’un, je ne sais plus qui, m’a mis dans la tête l’idée saugrenue de République exemplaire, du coup, je fais un blocage.

Le ministre de l’intérieur a cru devoir présenter publiquement (sur RTL) le 25 août des statistiques fondées sur « une étude des services de police », non sur l’origine ethnique, interdite, mais sur la nationalité du délinquant, roumaine en l’occurrence.

Mes lecteurs ayant suivi jusqu’ici ont déjà compris l’inanité de l’affirmation. Rom ne veut pas dire Roumain, et le ministre joue ici sur la ressemblance des termes, et l’inculture de son auditoire. Mes lecteurs sachant faire la différence entre un mot sanskrit et un mot latin, je ne m’attarderai pas sur ce stratagème grossier, qui ne trompera que qui veut être trompé.

De plus, les services de police, même si on leur fait perdre un temps précieux depuis des années à collectionner des statistiques inutiles hormis à la communication gouvernementale, ne sont pas un service de statistique. La méthode de récolement des données n’a rien de scientifique et n’a jamais eu la prétention de l’être. Elle repose sur les délits constatés ou dénoncés, ayant donné lieu à élucidation. Donc préalablement à enquête. Or la distribution des effectifs et des moyens (limités, et de plus en plus du fait de ce même Gouvernement) dépend pour l’essentiel des directives données par ce même Gouvernement.

Je m’explique. Le Gouvernement estime que l’opinion publique, qu’il confond hélas trop volontiers avec le peuple souverain, est particulièrement remontée contre les vols à la tire (les pickpockets) ou à l’arraché (qui en est une variante un peu plus bourrin) dans les transports en commun. Le ministre de l’intérieur va demander aux forces de police de mettre la pression contre cette délinquance. Le commissaire de police va recevoir cette instruction et va redistribuer ses effectifs, qui préalablement luttaient contre les violences faites aux personnes, sur les voleurs du métro. Mécaniquement, le nombre d’interpellation pour des faits de violence va baisser. Les policiers interviendront toujours lors d’une bagarre, mais n’arrêteront personne pour des faits de violences légères, puisque leur mission est de surveiller les voleurs à la tire. Un délit constaté de moins = baisse de la statistique correspondante, sans que la réalité n’ait changé en quoi que ce soit. En revanche, plus de voleurs à la tire seront arrêtés (car la police reste malgré tout plutôt efficace dans son boulot). Augmentation de la statistique, sans lien avec l’évolution de la réalité. Voilà la méthodologie qui préside à la confection de ces statistiques.

C’est pourquoi le ministre peut proclamer des chiffres aussi aberrants, et sans hélas faire tiquer qui que ce soit, qu’une augmentation de 138% en un an de la délinquance roumaine. Personne ne fait le lien avec une autre donnée, qui indique que 13,65% des auteurs de ces vols seraient Roumains (sous-entendu : Roms). C’est-à-dire que 13,65% des délinquants sont responsables d’une augmentation de 138% des délits. Qui a dit que les Roms étaient des feignants ?

D’autant plus que pour fréquenter un peu les prétoires parisiens, je suis assez bien placé pour savoir qu’il existe aussi une délinquance roumaine non-rom, assez active ces derniers mois, dite de l’escroquerie aux « Yes-card ». Une Yes-card est une fausse carte de crédit qui, quel que soit le code que vous tapez, renvoie toujours une réponse positive au lecteur, faisant croire que la banque a accepté la transaction. Des Roumains achètent ainsi des vêtements de marque et des parfums, et vont les revendre à Bucarest. C’est une atteinte aux biens, commise par des Roumains, mais pas par des Roms. Sauf dans les statistiques de M. Hortefeux.

Brisons là, ce billet mérite je pense d’être soumis à vos commentaires. Le deuxième volet sera centré sur le droit des étrangers et portera sur les mesures actuelles d’expulsion, pour lesquelles le Gouvernement use selon les cas de deux méthodes : soit violer la loi, soit se payer votre tête.

Et fort cher, si ça peut vous consoler.

mercredi 25 août 2010

Et si on réfléchissait un peu à l'affaire Ribéry ?

Parce qu’il n’y a que la Faculté pour garder les siennes quand un scandale portant sur le sexe éclate, je vous invite à lire les propos pondérés, raisonnables et étayés du professeur Francis Caballero, dans Le Monde daté du 23 août.

Je partage entièrement son point de vue (je vous indique d’ailleurs qu’en cas de condamnation, aussi légère fût-elle, les footballeurs impliqués seront inscrits au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, et obligés pendant 20 ans de déclarer leur adresse tous les ans à la police et de déclarer tout changement d’adresse dans les 15 jours, sous peine de deux ans de prison), et notamment sur la conclusion (ou comment détruire celle qu’on prétend protéger).

J’en profite d’ailleurs pour vous signaler que tout commentaire mentionnant le prénom ou le nom de famille de cette jeune fille sera purement et simplement supprimé. C’est assez d’avoir fait de son prénom, plutôt rare, un synonyme de prostitution, quand ce n’est pas d’un mot plus désobligeant. Et elle n’est pas le sujet de cet article.

Bonne lecture. Affaire Ribery : Défense du client d’une prostituée “mineure”

lundi 23 août 2010

Mise à jour sur l'affaire Bettencourt

— Bonjour, Raymond.

— Hi ! C’est vous, Maître ? Quelle peur vous m’avez faite ! Je croyais que vous étiez en vacances.

— En vérité, je le suis, mon petit Raymond. Mais avec un jet privé, on peut toujours faire un saut au bureau en rentrant de la plage.

— Et que me vaut l’honneur de votre visite ?

— D’abord, m’assurer que tu ne passes pas tes journées au cabinet à regarder en boucle Les Yeux Dans Les Bleus.

— C’est que vous connaissez mon goût pour la Science-fiction…

— Et ensuite, pour faire un point sur l’affaire Bettencourt, qui fut l’objet de notre première discussion. Billet dont la relecture est ici recommandée.

— Je m’en souviens. Mais pourquoi revenir au cabinet toutes affaire cessantes, et si je puis me permettre de rajouter en maillot de bain et tongs, en plein mois d’août, alors que vous n’attendiez rien de nouveau avant plusieurs mois ?

— C’est qu’il sera dit que rien ne sera normal dans cette affaire. Alors que j’ai pour ma part des appels qui languissent devant la Cour de la rue Carnot depuis bientôt un an, celle-ci a été audiencée le 17 août dernier. Si tu veux mon avis, Raymond, il n’y a pas que mon jet privé qui a été sollicitée de retour de la plage, puisque la Dream Team était au complet.

— À savoir ?

— Olivier Metzner pour la partie civile n°1, Françoise Bettencourt-Meyers, qui est à l’origine du procès. Georges Kiejman pour la partie civile n°2, Liliane Bettencourt, qui ne veut pas du procès. Et Hervé Témime pour le prévenu, François-Marie Banier, qui attend que les parties civiles n°1 et 2 aient réglé leur différend pour savoir ce qu’il advient de lui.

— C’est méritoire de leur part, même si je crois savoir qu’aucune des parties ne bénéficie de l’aide juridictionnelle.

— C’est certain. Cette audience a une vertu, c’est qu’elle m’a permis de faire le point sur l’état procédural du dossier, qui soulevait beaucoup d’interrogations, si tu t’en souviens.

— Dans le doute, rafraichissez-moi donc la mémoire.

— Louable prudence. Tu te souviens qu’à l’approche de l’audience devant le tribunal, prévue le 1er juillet, des enregistrements de conversations surprises entre la principale intéressée, Liliane Bettencourt, et diverses personnes, ont été rendues publiques par la presse.

— Certes.

— Devant cet élément nouveau, dont l’origine illicite était indifférente à leur recevabilité comme preuve, la présidente du tribunal a décidé d’un supplément d’information qu’elle s’est confiée à elle-même, ce qui est tout à fait légal, malgré l’opposition du parquet, qui se proposait de procéder lui-même à une enquête.

— Sans toutefois que la présidente ne fixât une nouvelle date d’audience.

— Ce qui était le nœud du problème juridique. Le parquet a aussitôt fait appel de ce jugement, ainsi que l’avocat de la partie civile n°2, un peu plus tard.

— Appel que vous estimiez immédiatement recevable, et donc dessaisissant la juge.

— Absolument. Deux précautions valant mieux qu’une, et l’erreur et moi partageant le fait d’être humains, le parquet a en outre déposé une requête en examen immédiat de cet appel. Mais pas la partie civile n°2.

— Formalité qui n’est exigée que dans les hypothèses où l’appel n’est pas immédiatement recevable, puisque le tribunal n’a pas statué au fond.

— Exactement. Or on a appris peu de temps après que le président de la chambre des appels correctionnels de Versailles, celui-là même que je me languis tant de voir pour mes dossiers, avait rejeté cette requête.

— Pour quel motif ?

— Voilà bien le problème. Il n’a pas à donner de motif à ce refus. Une simple mention « rejet » avec sa signature suffit. Je ne savais pas pourquoi il a refusé, ce qui a provoqué une situation fort rare.

— Laquelle ?

— J’ai douté de moi. Ce refus signifiait-il : « je rejette cette requête qui est infondée puisque l’appel est immédiatement recevable », ce qui était mon opinion, ou « je rejette cette requête car j’estime que le tribunal doit vider sa saisine, c’est-à-dire aller au bout et juger cette affaire », ce qui m’aurait contredit. J’étais dans les affres de l’incertitude jusqu’à l’annonce de cet audiencement augustin.

— Car il démontrait que vous aviez raison ?

— Eh oui, mon Raymond, car c’est bien l’appel de la partie civile n°2 qui était audiencé en même temps que celui du parquet, ce qui démontre que la cour a implicitement adopté une position identique à la mienne : l’appel était immédiatement recevable, de droit.

— L’affaire Bettencourt a donc été jugée ?

— Non, rassure-toi. Je te rappelle que l’appel ne peut porter que sur ce qui a été jugé. Or ici, la seule chose que le tribunal a décidé est de procéder à un supplément d’information. La cour a donc examiné l’appel sur ce supplément d’information.

— Ah, oui ! Si elle estime que le tribunal a eu raison, elle lui fera retour du dossier. Sinon, elle devra évoquer, et c’est à dire, juger l’affaire.

— Oui. On peut imaginer que la cour modifie et encadre le supplément d’information et rende néanmoins le dossier au tribunal. C’est théoriquement possible, mais ce n’est pas la pratique de la jurisprudence. Rendre un dossier à un juge qui a été partiellement désavoué par sa cour d’appel est délicat. Le juge en sort forcément affaibli. Et face à trois avocats de cette trempe, cela promet un hallali. Dans l’intérêt de la justice, il faudrait que la cour évoquât dès lors que le jugement est un tant soit peu infirmé.

— Cela suppose que dans ce dossier, l’intérêt de la justice prime en effet.

— Raymond, je te trouve bien cynique et ne puis partager cette vision négative. Je ne doute pas un seul instant que tout le monde n’ait à l’esprit que cet intérêt dans cette affaire.

— À présent, je n’ai plus aucun doute. Et que s’est-il passé à l’audience ?

— Le Nouvel Obs avait dépêché Éric Pelletier et Jean-Marie Pontaut qui nous ont gratifié d’un compte-rendu d’audience exhaustif dont voici la synthèse. Tout d’abord, la parole est donné à l’appelant, soit la partie civile n°2, Liliane Bettencourt, la victime qui ne cesse de dire qu’elle n’est pas victime. Celle-ci demande l’annulation du jugement ayant ordonné le supplément d’information et de tous les actes d’ores et déjà accomplis par la présidente. Dans cette hypothèse, la cour serait obligée d’évoquer, ayant annulé le jugement. Son avocat, Georges Kiejman, a eu des mots très durs pour qualifier la situation « chaotique » régnant à Nanterre.

— Que dit la partie civile n°1 ?

— Françoise Meyers-Bettencourt, fille de la victime qui dit que sa mère est victime sans le savoir, conclut en sens inverse. Le supplément d’information lui semble parfaitement légitime et elle demande que ce dossier retourne au tribunal.

— Son avocat veut donc savoir d’où proviennent ces enregistrements ?

— Non, il le sait fort bien. Tout semble indiquer que c’est lui qui a fourni ces enregistrements à la presse, comme l’a révélé Pascale Robert-Diard sur son blog.

— Alors pourquoi appuie-t-il ce supplément d’information qui risque de le mettre en cause ?

— Je ne puis prétendre être dans le secret des Dieux. Mais de ce supplément peut ressortir des éléments favorables à sa thèse d’une Liliane Bettencourt manipulée. Il faut se souvenir que le principal obstacle qui se dresse devant lui est la recevabilité de son action : sa cliente n’est pas victime directe de l’infraction et va probablement être déclarée irrecevable. Mais si avant d’être ainsi boutée hors du prétoire, elle peut obtenir de la justice qu’elle recherche une preuve qu’elle même est bien en peine de fournir, ce qui a conduit à l’échec de la procédure de mise sous tutelle, elle aura malgré tout gagné l’essentiel.

— À qui la parole ensuite ?

— Au ministère public. Qui va avoir une position fort curieuse.

— Qu’est-ce à dire ?

— N’oublions pas que le parquet de nanterre est appelant : lui aussi demande que le dossier soit évoqué par la cour, et donc définitivement retiré au tribunal.

— Je ne l’oublie pas.

— Pourtant, à en croire les deux journalistes présents, le parquet général (ainsi nomme-t-on le parquet d’une cour d’appel, par opposition à paruqet tout court pour celui d’un tribunal) n’a rien requis dans ses réquisitions.

— Comment ça ?

— Verbatim : « La jurisprudence ne correspond à aucun des cas vous ayant été soumis par Me Kiejman, puis par Me Metzner La jurisprudence, c’est aussi votre décision à venir. » C’est sur cet apophtegme cabalistique que l’avocat général s’est rassis.

— Nous voilà bien avancés.

— C’est ce qu’ont du penser les Conseillers de la cour. Je te rappelle, cher Raymond, que les juges siégeant dans une cour, que ce soit d’appel ou de cassation, prennent le titre de « conseillers », souvenir du temps où les cours d’appel, qu’on appelait Parlement, conseillaient le roi. Cette position en retrait du parquet général tranche avec l’activisme du parquet de Nanterre qui a fait des pieds et des mains pour torpiller ce dossier devant le tribunal. On dirait qu’il n’a pas réussi à communiquer son enthousiasme au parquet général.

— Et enfin, qu’en dit le prévenu ?

— Il se rallie à l’appel de Liliane Bettencourt et à la thèse de son avocat : l’appel est recevable (cela semble d’ailleurs acquis à ce stade) et la cour doit évoquer, cette affaire ne pouvant être jugée sereinement à Nanterre.

— Et qu’a décidé la cour ?

— Elle rendra son arrêt (une cour, cher Raymond ne rend pas des jugements, apanages des tribunaux, mais des arrêts) le 14 septembre prochain. Retour du dossier au tribunal avec sa bénédiction à la présidente Prévost-Desprez pour procéder à son supplément d’information, ce qui serait un camouflet pour le procureur Courroye ? Retour du dossier avec une modification de l’objet de ce supplément, ce qui serait un camouflet pour la présidente ? Infirmation et évocation, ce qui serait une victoire pour le parquet ? J’ai une légère préférence pour cette dernière thèse, car elle est le seul moyen de sortir du cul-de-sac dans lequel le tribunal s’est fourré en ne fixant pas une nouvelle date d’audience, outre le problème de la sérénité de la justice, qui n’existe visiblement pas à Nanterre pour cette affaire.

Je serai bien sûr là pour commenter cette décision et ses conséquences. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, cher Raymond, mais j’ai laissé mon Jet privé garé en double file.

lundi 2 août 2010

Gardes à vue : la victoire des avocats

Ce n’est pas parce qu’on s’y attendait que la nouvelle ne nous remplit pas de joie.

Ainsi vendredi 30 juillet, le Conseil constitutionnel, en se contentant d’énoncer une évidence, a fait entrer la procédure pénale française dans le XXe siècle.

Non, je ne me suis pas trompé, je dis bien le XXe siècle, car vous allez voir, si cette bataille a été gagnée, il en reste bien d’autres à mener pour doter la France de règles conformes aux standards européens. Le métier d’avocat est un métier de jamais contents. Étonnez-vous après ça que les Français y excellent.

Rappelons brièvement, en guise d’éloge funèbre, que la garde à vue est le pouvoir donné par la loi à un officier de police judiciaire (qui est un policier ou un gendarme ayant reçu une formation spécifique sur la procédure d’enquête, et qui conduit de telles enquêtes soit d’office soit sur les instructions d’un magistrat) de priver de liberté une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Cette privation de liberté peut durer 24 heures, renouvelables une fois, soit 48 heures. Cette privation de liberté se double d’une mise au secret : le gardé à vue ne peut communiquer avec qui que ce soit à l’extérieur. Tout au plus pouvait-il, et depuis 1993 seulement, faire prévenir par la police son employeur ou un membre de son entourage proche (parents, épouse…), demander à être examiné par un médecin, et à avoir un entretien avec un avocat. Cet entretien, initialement repoussé à la 21e heure, est limité à 30 minutes maximum, et surtout se fait à l’aveuglette, l’avocat n’ayant aucun droit d’accès au dossier. Il ne sait que la qualification des faits, et la date de ceux-ci. Pourquoi aucun accès au dossier ? Officiellement, c’est parce que le dossier est en cours de constitution, les PVs sont pas tapés, ou pas agrafés, l’encre n’est pas sèche, bref, c’est pas possible. Où l’on apprend que la liberté des citoyens est une variable d’ajustement aux problèmes de papeterie. La vérité est plus simple : il faut tenir l’avocat, cet empêcheur de condamner en rond, éloigné le plus longtemps possible. Le système judiciaire actuel repose sur les aveux, et on les obtient mieux sous la contrainte. Or une personne assistée d’un avocat a une furieuse tendance à ne pas s’accabler elle-même. C’est pourquoi les ministres de la République, quand ils sont entendus par la police, ne manquent jamais de se faire escorter par leur avocat. Notez bien que je ne le critique nullement. Je ne demande pas que les ministres soient jugés comme de simples citoyens : je préfère que les simples citoyens soient jugés comme s’ils étaient des ministres.

Voilà pour l’état des lieux.

Dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 , le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 62 (audition des personnes convoquées sans avocat), 63 (principe et modalités de la garde à vue), 63-1 (notification des droits), 63-4 (entretien limité avec un avocat : 30 mn max, pas d’accès à la procédure) et 77 (application de la garde à vue aux enquêtes préliminaires) du Code de procédure pénale (CPP). Il a cependant repoussé, comme le lui permet la Constitution, les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité au 1er juillet 2011 pour laisser au Gouvernement le temps de voter des règles conformes à sa décision, et éviter que dans l’intervalle, plus aucune garde à vue ne soit possible.

Rassurez-vous, je vais détailler tout cela.

Dans quel cadre cette décision a-t-elle été rendue ?

Dans le cadre d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Il s’agit de la nouvelle procédure créée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, sur l’impulsion du président de la République, et qui permet à tout citoyen de soulever, au cours d’une instance judiciaire (un procès, quoi) où il est partie l’inconstitutionnalité de la loi qu’on veut lui appliquer. La QPC est entrée en vigueur le 1er mars 2010 et a depuis amplement démontré son utilité et son efficacité. Cette réforme mérite sans aucun doute d’être portée à l’actif du bilan de l’actuel président de la République.

Les avocats étaient en embuscade et ont, dès le 1er mars 2010, déposé une rafale de QPC sur la question de la garde à vue. Ce sont à ces requêtes que répond la présente décision.

Que dit cette décision ?

L’évidence, ai-je envie de dire. Mais soyons plus précis.

La décision commence par un revers pour les avocats : le Conseil refuse d’étendre son examen à l’article 706-73 du CPP, qui prévoit les régimes dérogatoires de garde à vue, ceux où l’avocat est maintenu éloigné 48 voire 72 heures. Ils concernent le terrorisme, et la criminalité organisée. Le Conseil s’appuie pour cela sur sa décision du 2 mars 2004, dans laquelle il a jugé de la conformité à la Constitution de ce dispositif largement étendu par la loi qu’il examinait, la future loi Perben II. Or pour qu’une QPC soit recevable, c’est à dire puisse être examinée, il faut soit que la question soit nouvelle (posée pour la première fois) soit que depuis que le Conseil y a répondu, il se soit produit un changement de circonstances. Pour le Conseil, rien en six ans ne justifiait que le Conseil procédât à un nouvel examen (§13 de la décision).

Sur ce point, je disconviens respectueusement.

Il s’est produit un changement depuis la décision du 2 mars 2004 : la décision du 30 juillet 2010, qui a estimé la garde à vue de droit commun non conforme à la Constitution.

Or si j’admets que des cas exceptionnels justifient des mesures dérogatoires au droit commun, il demeure que ces dérogations ont été appréciées en 2004 par rapport au droit commun. Ces dérogations se retrouvent aujourd’hui bien plus importantes qu’elles ne l’étaient à l’époque : ce n’est pas un entretien de 30 mn que l’on repousse mais une assistance permanente et effective. Mes chers confrères, ne baissez pas les bras. Dès que la réforme du Code de procédure pénale aura été adoptée, il faudra à nouveau soulever la QPC sur le régime dérogatoire, cette réforme constituant un fait nouveau, je ne vois pas comment la cour de cassation pourrait prétendre le contraire.

Après ce revers, le combat change d’âme et la victoire change de camp. Le Conseil tourne ses yeux vers la garde à vue de droit commun, et ce sont les yeux de la Gorgone, qui vont la changer en pierre tombale.

La nouveauté de la question

Reste toutefois un obstacle à franchir : le même que précédemment, celui de la nouveauté de la question. Le Conseil reconnaît l’obstacle : il a déjà abordé la question de la garde à vue dans une décision du 11 août 1993.

Rappelons à mes lecteurs les plus jeunes qu’en janvier 1993, alors que le soleil de Waterloo se couchait sur la gauche française, puisqu’une large défaite lui était annoncée aux élections générales du mois de mars, celle-ci a voté une loi n°93-2 du 4 janvier 1993 révolutionnant les droits de la défense : l’avocat pouvait désormais prendre des initiatives au cours de l’instruction, et pouvait intervenir au cours de la garde à vue, dans les conditions actuelles.

La droite avait annoncée que, revenue aux affaires, elle saborderait cette loi, qui déjà à l’époque faisait pousser des cris d’orfraie aux syndicats de police sur le lobby des avocats commerçants et la fin de la répression efficace.

Elle tint parole, et après la déculottée historique de la gauche en mars 1993, vota une loi du 24 août 1993 qui détricota l’essentiel de cette loi, repoussant l’entretien avec l’avocat à la 21e heure. C’est à l’occasion de l’examen de cette loi que la garde à vue a été examinée, fût-ce de loin.

La Conseil va contourner l’obstacle, en soulevant deux arguments.

Le premier est tiré de l’évolution de la procédure pénale française :

… la proportion des procédures soumises à l’instruction préparatoire n’a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l’action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l’action publique est prise sur le rapport de l’officier de police judiciaire avant qu’il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise en oeuvrede l’action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l’objectif de bonne administration de la justice, il n’en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu’elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause ;

Le second vient du fait qu’en 1993, seul le corps des officiers de police (inspecteurs, inspecteur principaux, et inspecteurs divisionnaires, devenus lieutenant, capitaine et commandant de police, et des commissaires de police étaient officiers de police judiciaire (OPJ), alors que désormais, même les gardiens de la paix peuvent être officiers de police judiciaire, le niveau de recrutement ayant baissé (Gardien de la Paix, c’est un concours nécessitant le bac, officier de police, un concours nécessitant des études supérieures en droit), et du coup le nombre de ces OPJ a plus que doublé. Concrètement, je confirme que quand l’OPJ est un gardien de la paix, la qualification des faits relève parfois d’une certaine fantaisie.

La conséquence en a été une explosion du nombre de garde à vue, qui est devenue l’élément essentiel voire unique de la majorité des procédures pénales. La procédure pénale de 2010 n’est de ce fait plus la même qu’en 1993, ce qui constitue des circonstances nouvelles justifiant l’examen de la QPC.

Cette partie provoque beaucoup de critiques, car elle semble faire dépendre la constitutionnalité de la procédure des circonstances, alors que la Constitution ne saurait dépendre d’éléments conjoncturels.

Je ne partage pas cette critique. Les circonstances évoquées (l’explosion du nombre de gardes à vue) ne sont qu’une conséquence des deux changements juridiques abordés plus haut : la généralisation du « temps réel » qui est un choix de politique pénale matérialisé dans la loi (Lois Perben I du 9 septembre 2002, LOPSI 1 du 18 mars 2003, Perben II du 9 mars 2004…), et la disparition de la garantie de la formation des OPJ (matérialisée par les lois du 1er févier 1994, du 8 février 1995, du 22 juillet 1996, du 18 novembre 1998,du 18 mars 2003 et du 23 janvier 2006).

Et surtout, il fallait contourner cet obstacle, sans pouvoir dire que le Conseil s’était trompé en 1993 en ne voyant pas cette inconstitutionnalité que le Doyen Vedel, membre de 1980 à 1989, avait bien vue mais n’avait pas eu l’occasion de consacrer au cours de son mandat.

Alors la méthode manque peut-être d’élégance intellectuelle, mais si la rigueur du raisonnement exigeait de laisser perdurer une inconstitutionnalité du fait de l’erreur de 1993, je ne verserai pas de larmes sur son absence.

Enterrons à présent la garde à vue

Après avoir rapidement écarté l’argument tiré de l’atteinte à la dignité de la personne en répondant que le principe de la garde à vue ne porte pas en elle-même atteinte à cette dignité et que si les conditions matérielles actuelles le font, c’est au législateur d’apporter la solution, le Conseil va constater l’inconstitutionnalité de la garde à vue en retenant trois arguments.

Tout d’abord, il constate que la garde à vue de 24 h peut être prolongée à 48 h sans que cette faculté soit réservée aux infractions les plus graves. En effet, la quasi totalité des renouvellement de garde à vue a lieu pour des raisons de commodité des enquêteurs. J’ai ainsi vu une garde à vue renouvelée à 22 heures parce que la victime prétendue ne pouvait pas venir à une confrontation avant 18 heures le lendemain car elle travaillait. 18 heures en cellule pour cela.

Ensuite, il constate que la personne interrogée n’a pas droit à l’assistance d’un avocat, de manière générale, et non seulement dans les cas où les circonstances l’exigent, et que la personne gardée à vue ne reçoit pas notification de son droit de garder le silence.

Il faut savoir que ce droit de garder le silence était notifié depuis la loi du 15 juin 2000. Les syndicats de policier s’étant émus que des personnes apprenant qu’elles avaient le droit de se taire faisaient usage de ce droit ont obtenu que le législateur supprime la notification de ce droit par la loi du 9 septembre 2002. Notez la superbe hypocrisie : on ne touche pas au droit, on supprime juste sa notification. Je reviendrai sur ce droit, qui est à mon avis largement sous-utilisé en droit français alors qu’il est le premier droit de la défense, dans une prochaine note.

Ces éléments suffisent au Conseil à constater qu’en l’état, la garde à vue à la française ne fournit pas les garanties exigées par la Constitution.

Cependant, afin d’éviter que l’obstination du Gouvernement à refuser de voir l’évidence qui l’a conduit à ne strictement rien faire face aux signaux d’alarme s’allumant de toutes part n’ait des conséquences très graves sur la conduite des procédures en cours, et comme la Constitution le lui permet expressément (article 62-2), il a différé l’effet abrogatif des articles cités au début de ce billet au 1er juillet 2011, en précisant même (§30) :

les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Les conséquences de cette décision

Est-ce à dire que nous devons attendre patiemment notre dû, que nous réclamons depuis plus d’un an à présent ?

Certainement pas. Il faut bien comprendre les conséquences de cette décision, et bien les expliquer aux tribunaux, qui ont montré au cours de cette année passée que la question leur avait complètement échappé, hormis pour la demi-douzaines (dont la cour d’appel de Nancy) qui en avait tiré les conséquences.

Le Conseil interdit de contester les mesures prises avant le 1er juillet 2011. Le mot mesure ne désigne qu’une seule chose : les mesures de garde à vue. Elles restent légales ; conséquence : les policiers qui les décident ne commettent pas le délit d’atteinte à la liberté (art. 432-4 du Code pénal), et la mesure ne peut être annulée dans son ensemble.

Cela n’interdit pas d’entrer dans le détail. Or il demeure qu’à ce jour, les gardés à vue sont toujours entendus sans que le droit de garder le silence leur soit notifié, sans assistance effective d’un avocat, ce qui est une restriction aux droits de la défense, et une violation expresse de l’article 5 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH). Les auditions de nos clients sont des atteintes à leurs droits constitutionnels et conventionnels, et rien dans la décision du Conseil n’interdit de le soulever. Nous devons donc demander systématiquement l’annulation des PV recueillant des déclarations de nos clients sans que nous ayons été mis en mesure de les assister. Un PV n’est pas une mesure. C’est un acte. Et n’oubliez pas de viser l’article 5 de la CSDH : le chemin de Strasbourg reste ouvert.

Le prochain combat : l‘habeas corpus.

Le Conseil constitutionnel a rejeté un moyen important soulevé par les demandeurs : l’absence de contrôle par l’autorité judiciaire de la garde à vue, le parquet, qui exerce un “contrôle” de cette mesure ne pouvant prétendre à cette qualité.

Le Conseil constitutionnel valide la situation actuelle en disant (§26) :

Considérant que l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ; que l’intervention d’un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures ; qu’avant la fin de cette période, le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République qui peut décider, le cas échéant, de sa prolongation de vingt-quatre heures ; qu’il résulte des articles 63 et 77 du code de procédure pénale que le procureur de la République est informé dès le début de la garde à vue ; qu’il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté ; qu’il lui appartient d’apprécier si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est suspectée d’avoir commis ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution doit être écarté.

L’argument soulevé par les demandeurs reprenait l’arrêt Medvedyev de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Là aussi, il faut bien comprendre les limites de la décision du Conseil.

Le Conseil interprète la Constitution. Et pour la Constitution, l’Autorité Judiciaire de l’article 66, gardienne de la liberté individuelle, comprend les magistrats du siège et du parquet. Et en effet, j’admets volontiers que le parquet exerce un contrôle réel sur les mesures de garde à vue, puisqu’il peut ordonner qu’il y soit mis fin. Le fait qu’il fasse usage de ce droit avec une extrême parcimonie ne veut pas dire que ce droit n’existe pas. De manière plus générale, le parquet a un rôle de défense de l’intérêt général, puisqu’il représente la société (et non pas l’Etat) dans le prétoire. Enfin, j’admets sans réserve qu’un parquetier finissant par avoir la conviction de l’innocence d’un gardé à vue ordonnera qu’il soit remis en liberté. Il y a donc un contrôle, même s’il est un peu trop délégué aux policiers. Donc, j’admets volontiers que la Constitution est respectée, a minima.

Mais pas la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. L’arrêt Medvedyev le dit sans aucune ambigüité :

§.124 Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention. (…) Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l’affaire Schiesser précitée (§ 31) : « (…) A cela s’ajoutent, d’après l’article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp précité, § 60) ; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (…) », soit, en un mot, que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention ».

Or nous savons tous que les parquetiers suivent la quasi totalité des gardes à vue par téléphone, sur la base du seul rapport oral fait par l’OPJ. Certes, il peut demander à ce que le gardé à vue lui soit amené. Nous savons tous comme il fait usage de cette possibilité. Et cette possibilité relève de l’arbitraire du parquetier, alors que pour la Convention, c’est un droit du gardé à vue.

Surtout, il est l’autorité de poursuite, il soutiendra l’accusation à l’audience, et il a validé d’emblée la mesure en ne s’y opposant pas lors de son information au début de la mesure. En somme, il est partie aux poursuites en cours. Comment peut-on prétendre qu’il va aussi la contrôler en toute indépendance d’esprit ? On reprochait au juge d’instruction de ne pouvoir instruire à charge et à décharge, mais le parquet, lui pourrait poursuivre un suspect et défendre sa liberté en même temps ? De qui se moque-t-on ?

Donc, il faut continuer à soulever la violation de l’article 6 de la CSDH tant que seul le parquet exercera un simulacre de contrôle sur les gardes à vue, et tant que la loi ne nous permettra pas de saisir un juge, pas un procureur, un juge, de la légalité et de la nécessité de cette mesure. Le salut ne viendra pas de la rue Montpensier, mais de l’Allée des Droits de l’Homme à Strasbourg.

Reposez les flûtes de champagne, chers confrères, et à vos conclusions !

dimanche 25 juillet 2010

Bon débarras

Le nettoyage du Code de procédure pénale au Kärcher® par le Conseil constitutionnel a commencé. En attendant le gros morceau de la garde à vue (délibéré le 30 juillet).

Par une décision n°2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010 (Région Languedoc-Roussilon et autres), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 575 du Code de procédure pénale (CPP).

Cet article défunt (puisque cette décision vaut abrogation dès sa publication au JO) limitait la possibilité pour la partie civile, donc celui qui se prétend directement victime d’une infraction, de former un pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre de l’instruction sans qu’il fût besoin que le ministère public se pourvût lui-même préalablement, aux seuls cas qu’il prévoyait[1].

Le problème n’est pas évident, je le reconnais, parce qu’il apparaît en creux.

Le mis en examen, c’est à dire la personne fortement soupçonnée, et le ministère public peuvent se pourvoir en cassation, donc exercer la seule voie de recours possible, contre tous les arrêts de la chambre de l’instruction. Pas la partie civile, c’est à dire la victime (même si ce terme est prématuré, tant qu’un jugement ne dit pas les faits établis). Et ce sont les éléments absents de cette liste qui posaient problème, un tout particulièrement.

En effet, la partie civile ne pouvait former un pourvoi en cassation contre un arrêt de non lieu, qui pourtant met fin aux poursuites, pas plus qu’elle ne le pouvait en cas de violation de la loi par les arrêts de la chambre de l’instruction statuant sur la constitution d’une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure. Si le ministère public le faisait, elle pouvait se joindre à l’action et présenter ses arguments. Mais si le ministère public ne bougeait pas, la partie civile se trouvait Gros Jean comme devant. Cela mettait une partie dans une situation de dépendance à l’égard d’une autre sans que rien ne vînt le justifier, et portait une atteinte au principe d’égalité devant la justice.

Le Conseil constitutionnel y a mis bon ordre, puisque sa décision, publiée au JO d’hier, a abrogé cet article ce matin à zéro heure (je salue mes lecteurs avocats aux Conseils et ai comme eux biffé de rouge mon code le sourire aux lèvres).

C’est sans une des plus grandes avancées du droit des victimes de ces dix dernières années. Il est amusant de noter qu’elle ne provient nullement d’une initiative gouvernementale, mais du pouvoir judiciaire. Ça valait bien un billet un dimanche.

Notes

[1] Au nombre de sept : 1° Lorsque l’arrêt de la chambre de l’instruction a dit n’y avoir lieu à informer ; 2° Lorsque l’arrêt a déclaré l’irrecevabilité de l’action de la partie civile ; 3° Lorsque l’arrêt a admis une exception mettant fin à l’action publique ; 4° Lorsque l’arrêt a, d’office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l’incompétence de la juridiction saisie ; 5° Lorsque l’arrêt a omis de statuer sur un chef de mise en examen ; 6° Lorsque l’arrêt ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ; 7° En matière d’atteintes aux droits individuels telles que définies aux articles 224-1 à 224-5 (enlèvement et séquestration) et 432-4 à 432-6 (atteintes à la liberté individuelle par l’administration) du code pénal.

vendredi 23 juillet 2010

Profitons de notre liberté avant qu'elle n'expire

Le Gouvernement, qui n’a visiblement rien de mieux à faire de ses journées (Quelle crise ? Quelles affaire ? Où ça, une guerre en Afghanistan ?) a aujourd’hui décidé de rétablir une infraction de blasphème.

Le décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore est publié aujourd’hui au JO, et incrimine d’une contravention de 5e classe (1500 € d’amende max, 3000€ en cas de récidive)

le fait, lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :

1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;

2° Pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission.

Rappelons que cette loi indispensable est due uniquement à la photo ci-dessus, primée lors d’un concours de photographie de la FNAC de Nice sur le thème du politiquement incorrect. En effet, aucune loi ne permettait de punir cet artiste pour son oeuvre, vous réalisez le scandale : on se serait cru dans, horresco referens, un pays de liberté, du genre de celui qui écrirait ce mot sur le frontispice de ses bâtiments publics.

Déjà, depuis 7 ans, depuis la loi du 18 mars 2003 sur la Sécurité intérieure, un article 433-5-1 du Code pénal réprime le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore. Cet abominable attentat est puni de 7500 euros d’amende (c’est donc un délit), et même de six mois de prison s’il est commis en réunion, c’est à dire par au moins deux personnes agissant de conserve. Là aussi, c’était une loi de circonstance, destinée à réagir suite à la présence de Jean-marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle aux sifflets ayant résonné lors de la Marseillaise du match “amical” de football France-Algérie du 6 octobre 2001.

Avec l’efficacité que l’on sait.

Et à l’époque, le Conseil constitutionnel avait précisé que les oeuvre de l’esprit devaient être exclues du champ de cet article, et que le terme de manifestation réglementée s’entendait restrictivement aux manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d’hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu’elles accueillent (Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, §104)

Alors puisque ce gouvernement aime les lois, dans le sens où un pédophile aime les enfants, je voudrais juste lui en rappeler quelques unes.

Il s’agit de trois articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, déclaration qui figure, sans doute à la suite d’un moment d’égarement, dans notre Constitution.

Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 - La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Que faire face à cela ?

Le décret peut être attaqué dans le délai de deux mois devant le Conseil d’Etat. Le recours n’a que peu de chance d’aboutir, car il y a gros à parier que le Gouvernement a suivi les recommandations dudit Conseil consulté sur le projet de décret. Et pour porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, il faut que cette loi soit appliquée, c’est à dire qu’une personne soit poursuivie. Et je n’imagine pas un procureur en France qui trouvera qu’un tel outrage mérite autre chose qu’un rappel à la loi, et encore s’il est de mauvaise humeur.

En attendant, le décret est paru au JO aujourd’hui. Il entre donc en vigueur ce soir à minuit (art. 1er du Code civil) et ne peut s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur (art. 112-1 du Code pénal)

Outrage à une poubelle, anonyme du XXIe siècle

Je vous invite donc tous à profiter de votre liberté avant qu’elle ne disparaisse. Outragez un drapeau et publiez la photo avant minuit. Au douzième coup, une partie de votre liberté d’expression se transformera en citrouille.

Et à tous les patriotes qui viendront me dire que la liberté d’insulter le drapeau ne mérite guère de protection et que la face du monde ne sera pas changée par ce décret, je rétorquerai qu’il n’y a pas de liberté d’insulter le drapeau : il y a la liberté, point. Et que c’est un bout supplémentaire qu’on rabote, sans que rien ne le justifie, si ce n’est la volonté de bomber le torse et de se frapper la poitrine comme un Oran-Outang face… à une exposition de photographes amateur dans un grand magasin de Nice. Est-ce de cela que vous acceptez de laisser dépendre votre liberté ? Trouvez-vous normal que l’Etat, dont le rôle est de défendre votre liberté, vous interdise d’ne faire usage parce que ça colle bien avec sa communication électorale ? La face du monde ne sera pas changée, non, mais la surface de votre liberté, oui. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir une mentalité de valet.

Le mot France, étymologiquement, veut dire “le pays des hommes libres”. Je suis pour interdire tout outrage à ce nom par l’Etat.

mardi 29 juin 2010

HADOPI : l'opération Usine à gaz continue

Petit à petit, l’HADOPI fait son nid. Les décrets d’application commencent à sortir (on en attend quatre, les deux principaux étant la définition de la contravention de négligence caractérisée et la procédure, le premier est sorti). Et on nous promet une mise en mouvement pour… bientôt.

Rappelons ici un point essentiel : l’HADOPI est une autorité administrative ne prenant aucune part à la répression du téléchargement illicite. C’est une autre entité, la Commission de Protection des Droits (CPD), rattachée administrativement à la HADOPI (partage des locaux, budget unique de fonctionnement) qui s’en charge, mais aucun membre de la HADOPI ne peut siéger à la CPD et vice-versa (art. L.331-17 du Code de la propriété intellectuelle, CPI). Ainsi, la HADOPI est présidée par madame Marie-Françoise Marais, tandis que la CPD, composée de trois membres (un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation et un magistrat de la Cour des comptes) est présidée par madame Mireille Imbert-Quaretta, conseiller d’État.

La HADOPI proprement dite ne nous intéresse pas. Sans vouloir vexer ses membres, elle ne sert à rien. Pour vous en convaincre, lisez l’article L.331-13 du CPI qui définit son rôle. Je graisse.

La Haute Autorité assure :

1° Une mission d’encouragement au développement de l’offre légale et d’observation de l’utilisation licite et illicite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

2° Une mission de protection de ces œuvres et objets à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

3° Une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin.

Au titre de ces missions, la Haute Autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire. Elle peut être consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi ou de décret intéressant la protection des droits de propriété littéraire et artistique. Elle peut également être consultée par le Gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toute question relative à ses domaines de compétence.

Sa mission se résume à émettre des avis, son plus grand pouvoir étant la possibilité d’émettre un avis même si on ne le lui demande pas. En tout cas sa consultation n’est jamais obligatoire. Et tout ça pour la modique somme de 6,3 millions en 2009, avant même qu’elle ne fonctionne effectivement. Fermez le ban.

C’est au niveau de la CPD que ça se passera.

La CPD a en charge de recevoir et traiter les procès verbaux dressés par les agents assermentés des sociétés d’ayant-droits (SACEM et autres) qui relèveront que telle œuvre a été téléchargée par telle IP. On parle de 10 000 œuvres surveillées, moitié musicales, moitié audiovisuelles, réparties entre des classiques indémodables et des nouveautés amenées à changer régulièrement.

La CPD, composée de trois membres, six en comptant leurs suppléants, doit délibérer pour chacun de ces cas avant d’envoyer un courrier électronique d’avertissement au titulaire de l’adresse IP repérée (ce sera l’adresse de contact donnée au FAI), puis la lettre recommandée si malgré un e-mail, le même titulaire d’un abonnement se fait à nouveau repérer (les modalités étant attendues dans le décret “procédure”). Pour info, les représentants des ayant-droits, assoiffés de répression parlent sans rire de 50 000 signalements par jour.

La suspension de l’abonnement, menace suprême, ne pourra être prononcée que par un juge de police, prononçant une condamnation pour une contravention de « négligence caractérisée », après saisine du parquet, après transmission du dossier par la CPD.

Et cette contravention, on en a désormais le texte (Décret n° 2010-695 du 25 juin 2010 instituant une contravention de négligence caractérisée protégeant la propriété littéraire et artistique sur internet, JORF n°0146 du 26 juin 2010 page 11536, texte n° 11). Comme disait la présidente de la CPD devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, qui avait pu lire le projet de décret, « le résultat est d’une étonnante subtilité. » Traduire : “Ça a été écrit par un Orc”.

Accrochez-vous, et n’hésitez pas à lire à haute voix.

Article R. 335-1 nouveau du CPI :

I. ― Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne, lorsque se trouvent réunies les conditions prévues au II :

1° Soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ;

2° Soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen.

II. ― Les dispositions du I ne sont applicables que lorsque se trouvent réunies les deux conditions suivantes :

1° En application de l’article L. 331-25 et dans les formes prévues par cet article, le titulaire de l’accès s’est vu recommander par la commission de protection des droits de mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès permettant de prévenir le renouvellement d’une utilisation de celui-ci à des fins de reproduction, de représentation ou de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ;

2° Dans l’année suivant la présentation de cette recommandation, cet accès est à nouveau utilisé aux fins mentionnées au 1° du présent II.

III. ― Les personnes coupables de la contravention définie au I peuvent, en outre, être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un mois, conformément aux dispositions de l’article L. 335-7-1.

Un petit mot à mes amis parquetiers. Je sais que nous nous disputons souvent dans le prétoire. Nous avons curieusement des visions irréconciliables des mêmes dossiers. C’est ainsi, nous sommes adversaires. Mais quel que soit le fossé qui nous sépare, je vous respecte et je pense que vous n’avez pas mérité ça. Bon courage en tout cas pour caractériser les éléments de l’infraction à l’audience.

Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mais il y a un concours de mauvaise rédaction de textes législatifs, ou quoi ? Quelle horreur ! Des éléments constitutifs repoussés dans un second paragraphe, et pas moins de six renvois textuels pour une contravention. “Étonnante subtilité” : ce sont justement les mots que j’utilise quand ma fille me tend les yeux remplis de fierté l’ignoble gribouillage marron agrémenté de plumes roses collées au milieu qu’elle a fait pour moi au centre de loisir.

Tenez, je vais tenter de ré-écrire ce texte de manière plus lisible en ôtant les scories.

“Constitue une négligence caractérisée, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne ayant fait l’objet d’une recommandation de sécurisation de cet accès par la commission de protection des droits en application de l’article L. 331-25, de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ou d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen si cet accès est à nouveau utilisé aux mêmes fins frauduleuses dans l’année qui suit cette recommandation.

Voilà. Ça dit la même chose, mais en plus simple.

Et force m’est de constater qu’en l’état, cette contravention est inapplicable.

Cette contravention suppose au préalable que le prévenu fasse l’objet d’une recommandation par la CPD car son abonnement a été utilisé pour télécharger (peu importe que ce soit par lui ou par un pirate, on ne se pose pas la question). Cette recommandation s’entend de la lettre recommandée, et non du premier mail d’avertissement sans frais. Si dans l’année qui suit la réception de cette recommandation, le même abonnement est à nouveau repéré en train de télécharger une œuvre protégée, la contravention peut être constituée. Mais il faut encore au pauvre parquetier prouver que la sécurisation n’a pas eu lieu ou a eu lieu tardivement, ce qui revient au même.

Car dans sa rédaction actuelle, le décret a fait de ce défaut de sécurisation un élément constitutif et non une exception. Et ça change tout.

Un élément constitutif doit être prouvé par le parquet (présomption d’innocence oblige). Une exception, au contraire, doit être prouvée par le prévenu pour échapper à la condamnation. Pensez à l’exception de légitime défense pour des violences.

Il y a bien une exception dans la contravention : c’est l’exception de motif légitime (notez les mots : “est puni le fait, sans motif légitime, pour la personne titulaire…” Si le prévenu établit qu’il avait un motif légitime de ne pas avoir sécurisé son accès (e.g. : il était en déplacement à l’étranger entre l’arrivée de la lettre AR et le deuxième usage frauduleux), il sera relaxé, mais c’est à lui de l’établir, et non au parquet d’établir l’absence de motif légitime.

Mais le défaut de sécurisation de l’accès n’est pas une exception, c’est un élément constitutif. Au parquet de le prouver.

De même, la rédaction actuelle ne permet pas de dire que le renouvellement de l’usage frauduleux établit le défaut de sécurisation. Ce sont des éléments distincts car un usage frauduleux peut avoir lieu malgré une sécurisation, et dans ce cas il n’y a pas négligence caractérisée du titulaire de l’abonnement — mais malveillance caractérisée du pirate.

Comment cette preuve pourra-t-elle être rapportée ? En diligentant une enquête de police voire une instruction avec expertise. Lourd et coûteux, et aux antipodes de la logique de la loi qui voulait une machine à suspendre les abonnements. Ou à travers les auditions des abonnés concernés par la CPD, mais cette audition n’a lieu qu’à la demande de l’intéressé (art. L. 331-21-1 du CPI).

Heureusement pour le parquet, la CPD opère une opération de filtrage des dossiers. Il ne devrait pas en voir arriver beaucoup sur son bureau. Surtout quand on sait que le représentant judiciaire à la CPD est le Conseiller à la Cour de cassation Jean-Yves Montfort, que j’ai pratiqué comme président de la 17e chambre (celle de la presse) et de la chambre de l’instruction de Versailles. C’est un excellent magistrat, très respectueux des droits de la défense, et rigoureux dans son application du droit. Mes lecteurs ont déjà pu apprécier son style ici. Il y aura donc filtrage, et les mailles seront serrées.

En tout état de cause, cette contravention me paraît de fait incompatible avec la procédure d’ordonnance pénale, qui suppose des faits parfaitement établis. La machine à suspendre les abonnements pourrait bien être une machine à relaxer.

Quant en traiter 50 000 par jour…

Je citerai pour conclure la lucidité de la présidente de la CPD, qui devant la commission des affaires culturelles, rappelait que s’agissant d’une contravention, l’article 40 du Code de procédure pénale ne s’applique pas, et que jamais la CPD n’est obligée de transmettre : “elle peut transmettre comme elle peut ne pas transmettre”.

“Elle peut ne pas”. Tout est dit.

Vous voyez qu’on pouvait faire simple, dans cette affaire.

mercredi 23 juin 2010

Et si pendant la coupe du monde, on légalisait le financement occulte des partis politiques ?

Un lecteur attentif aux choses du parlement attire mon attention sur la proposition de loi n°268 du sénateur Bernard Saugey (UMP - Isère) “visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux” et qui vient à la séance publique du jeudi 24 juin à 9 heures.

Cette proposition de loi est fort courte, ce qui promet des débats brefs, d’autant qu’aucun amendement n’a été déposé.

Elle se propose de modifier légèrement la définition du délit de prise illégale d’intérêt (art. 432-12 du Code pénal) :

Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

Ce n’est pas l’article le mieux rédigé du Code pénal. Il réprime le fait pour les élus, et les fonctionnaires et assimilés, qui sont cette qualité en charge la gestion ou la surveillance de fonds publics, de faire sen sorte qu’une partie de ces fonds profite à eux, à leurs proches ou à toute personne qu’ils souhaitent ainsi favoriser. Par exemple, un président de conseil général qui fait embaucher son épouse pour une obscure mission fort bien rémunérée commet une prise illégale d’intérêt au profit de son épouse.

Ce n’est pas le détournement de fonds publics (art. 432-15 du Code pénal), plus sévèrement puni (10 ans de prison et 150 000 euros d’amende), qui est plus brutal : l’élu tape dans la caisse et se met l’argent dans la poche. La prise illégale d’intérêt s’inscrit dans le fonctionnement normal de l’institution, mais le choix fait par l’élu n’est pas totalement (voire pas du tout) fait dans l’intérêt général, il est pollué par des considérations extérieures de l’élu. Faire réparer un nid de poule dans une rue de la commune est conforme à l’intérêt général ; faire en sorte que ce soit son beau-frère qui effectue les travaux, non.

La proposition de loi Saugey se propose de remplacer un mot par un autre. Pas de quoi fouetter un chat, n’est-ce pas ?

Voire…

Le délit de prise illégale d’intérêt deviendrait alors (je simplifie la définition en élaguant les mots superflus, je raye le mot ôté et graisse les mots ajoutés) :

Le fait,… par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre…, directement ou indirectement, un intérêt quelconque personnel distinct de l’intérêt général dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte,… la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.

Un seul mot vous manque et le Code pénal est dépeuplé.

L’effet de cette loi serait donc de dépénaliser les situations ou l’élu favorise un tiers avec qui il n’a pas de lien personnel. Favoriser son épouse, son fils ou son beau-frère resterait puni, mais plus, par exemple et au hasard, le fait de faire en sorte qu’une partie des fonds publics que l’on gère favorise son parti politique.

Car quel est le refrain sans cesse entonné par l’élu pris la main dans le sac ? La phrase portant absolution de tous les péchés ?

« Mais voyons, il n’y a pas d’enrichissement personnel. »

Et bien grâce à cette loi, si elle était votée, il n’y aurait plus délit sans enrichissement personnel.

Et ce serait particulièrement pernicieux. Car ce que sanctionne la prise illégale d’intérêt n’est pas l’enrichissement personnel de l’élu mais l’appauvrissement de la collectivité publique. Pour elle, le préjudice reste le même que l’intérêt de l’élu pris dans l’opération ait été personnel ou non.

Et à propos de prise illégale d’intérêt, il ne vous aura pas échappé que le Sénat représente les collectivités locales et est élu par le collège des Grands Électeurs (conseillers régionaux, conseillers généraux, et délégués des conseils municipaux), c’est-à-dire que les Sénateurs, qui sont eux-même très souvent des élus locaux, sont élus par l’ensemble des élus locaux susceptibles d’être visés par le délit de prise illégale d’intérêt.

La lecture du rapport sur cette proposition de loi est édifiant : le rapporteur (madame le sénateur Anne-Marie Escoffier, RDSE, Aveyron), après avoir justement rappelé que ce délit s’appuie sur le devoir de probité des élus, justifie cette proposition par cette formidable affirmation, titre de la deuxième partie de son rapport : cette proposition de loi vise “à mieux réprimer la recherche d’un intérêt personnel”. Non, elle vise à uniquement réprimer la recherche d’un intérêt personnel. En somme, rechercher un intérêt non personnel, comme financer son parti politique, n’est pas contraire au devoir de probité. Qu’il me soit permis d’en douter. La chose a semble-t-il échappé à la Commission des lois du Sénat qui, lors de son examen de la proposition, a modifié… l’intitulé de la proposition, là encore en changeant un mot pour un autre : le mot “réformer” a été remplacé par “clarifier”, et l’allusion aux élus locaux a été retirée, un peu trop voyant sans doute.

J’invite donc l’ensemble des sénateurs, dont je ne doute pas un instant de la très haute probité, de ramener à la raison leurs deux collègues égarés et de rejeter d’un bloc cette proposition de loi jeudi matin, qui serait donner un blanc-seing à quelques élus peu soucieux du bon usage des fonds publics tant qu’ils ne profitent qu’à autrui et non eux-même.

La République a plus que jamais besoin de vertu. Ce n’est pas le moment de dépénaliser le vice, même si je le reconnais, cela “clarifierait” les choses.

dimanche 30 mai 2010

Haut les masques

Depuis une quinzaine de jours, on parle beaucoup sur la toile d’une proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Louis Masson (Moselle, non inscrit), tendant à faciliter l’identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des « blogueurs » professionnels et non professionnels, dont le titre est presque plus long que le contenu.

Le contenu de la proposition de loi

Rappelons qu’on parle de projet de loi quand le Gouvernement en est à l’origine, et proposition de loi quand c’est un parlementaire, député ou sénateur.

Article unique

L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Au c) du 1 du III, après les mots : « Le nom », sont insérés les mots : « ainsi que l’adresse électronique » ;

2° Les deux alinéas du 2 du III sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne sont soumises aux obligations d’identifications prévues au 1. Par mesure de simplification, elles sont cependant assimilées au directeur de la publication mentionné au c) du 1 du III. »

Je sais, lu comme ça, c’est pas très clair. Je vais  prendre le texte actuellement en vigueur, mettre en gras les mots ajoutés, et barrer les mots retirés.

Article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (extrait) :

III.-1. Les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettent à disposition du public, dans un standard ouvert :

a) S’il s’agit de personnes physiques, leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone et, si elles sont assujetties aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription ;

b) S’il s’agit de personnes morales, leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social, leur numéro de téléphone et, s’il s’agit d’entreprises assujetties aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de leur inscription, leur capital social, l’adresse de leur siège social ;

c) Le nom ainsi que l’adresse électronique du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 précitée ;

d) Le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse et le numéro de téléphone du prestataire mentionné au 2 du I.

2. Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne peuvent ne tenir à la disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné au 2 du I, sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d’identification personnelle prévus au 1.

Les personnes mentionnées au 2 du I sont assujetties au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, pour tout ce qui concerne la divulgation de ces éléments d’identification personnelle ou de toute information permettant d’identifier la personne concernée. Ce secret professionnel n’est pas opposable à l’autorité judiciaire. 

Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne sont soumises aux obligations d’identifications prévues au 1. Par mesure de simplification, elles sont cependant assimilées au directeur de la publication mentionné au c) du 1 du III.

C’est plus clair, comme ça, non ?

Non ?

Bon, rassurez-vous, j’arrête la torture. je voulais juste vous faire goûter un exemple de ce que nous vivons au quotidien avec la pratique des renvois d’un texte à un autre. 

Parlons français

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (dite LCEN), qui transpose pour l’essentiel la directive n° 2000/31/CE du Parlement et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, constitue le socle des règles de la responsabilité des intervenants sur l’internet, dont les blogueurs. C’est une loi très protectrice de la liberté d’expression, qui avait pourtant donné lieu lors de sa discussion à une mobilisation sur internet sur le thème, souvent recyclé, de “on veut nous censurer”. C’est d’ailleurs ce décalage entre le contenu de la loi et le contresens que faisaient ceux qui la lisaient (ou ceux qui prétendaient l’avoir lu) qui a en grande partie motivé l’ouverture de ce blog.

Les règles sont regroupées dans l’article 6, qui est sans doute un des pire exemples de mauvaise qualité de rédaction législative.

Il distingue les différents intervenants dans la publication en ligne et leurs responsabilités respectives. Ils sont au nombre de quatre.

Le premier est le fournisseur d’accès internet (FAI), défini comme la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne.

Le deuxième est l’hébergeur : défini dans le style élégant et léger de la loi comme la personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. En résumé : le propriétaire du serveur, qui met l’espace mémoire à disposition.

Le troisième est l’éditeur dont la définition à la clarté diaphane est : personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne. Bref l’éditeur est celui qui édite. On progresse.

Le quatrième, souvent oublié, est le destinataire du service, celui que la directive appelle le consommateur, l’internaute qui se connecte à un site. Il n’est pas expressément mentionné par la loi, puisque celle-ci ne crée aucune obligation à sa charge, mais elle apparaît nécessairement en creux : il n’est ni l’hébergeur, ni le FAI, ni l’éditeur du site puisque, même s’il participe à son contenu, ce n’est pas son activité d’éditer un service. 

La loi définit les régimes suivants de responsabilités pour chacun de ces intervenants.

Les FAI et hébergeurs ne sont pas responsables des contenus auxquels ils donnent accès ou stockent. Pas d’obligation générale de surveillance. Exceptions : l’autorité judiciaire peut ordonner des surveillances ciblées et temporaires, et les FAI et hébergeurs doivent permettre de signaler facilement des contenus illicites liés à l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence ainsi que des atteintes à la dignité humaine, et répercuter ces signalements à l’autorité judiciaire.

Autre exception spécifique à l’hébergeur : sa responsabilité civile est engagée s’il a connaissance d’un contenu illicite qu’il héberge et qu’il ne le retire pas promptement. Cette connaissance peut se faire via une notification qui doit remplir certaines conditions de forme (art. 6, I, 5), et il est regrettable de voir des hébergeurs frileux obtempérer à des notifications ne les respectant pas. 

L’éditeur est responsable de ce qu’il publie sur son site. De ce qu’il publie. Pas de ce que d’autres publient. C’est-à-dire que s’agissant des commentaires ou de tout contenu déposés par les destinataires du services, il est responsable si c’est lui qui fait la mise en ligne, et pas s’il n’y a pas de fixation préalable, selon le droit commun applicable aux propos tenus en direct à la radio ou à la télévision : art. 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle. Dans ce cas, c’est le destinataire du service qui a publié ces propos qui en est responsable. La jurisprudence pourrait donner à l’éditeur le statut d’hébergeur du commentaire, engageant sa responsabilité s’il ne le met pas hors ligne, mais à ma connaissance, la question ne s’est pas encore posée.

Voilà un résumé de la responsabilité en ligne.

La proposition Masson : l’excès de transparence

Le changement qu’apporterait la proposition de loi Masson concerne les mentions légales. L’éditeur professionnel doit indiquer sur son site son identité, son domicile et son numéro de téléphone. Dans l’esprit de la loi, il s’agit du commerçant qui vend des produits en ligne. Il doit s’identifier clairement pour que le consommateur sache avec qui il contracte et puisse facilement l’assigner en justice le cas échéant. S’agissant du non professionnel, comme les blogueurs, la loi leur permet de garder l’anonymat en indiquant uniquement les coordonnées de leur hébergeur, à qui ils doivent communiquer ces informations les concernant. Cette obligation est pénalement sanctionnée : y manquer est un délit puni d’un an de prison et de 75000 euros d’amende (art. 6, VI, 1 de la LCEN), soit plus sévèrement réprimé que le séjour irrégulier d’un sans papier comme Dora Marquez.

L’esprit de la loi est qu’en cas de problème avec du contenu mis par un non professionnel, la personne qui s’en plaint peut en référer à l’hébergeur qui engage sa responsabilité s’il ne met pas hors ligne un contenu illicite dont il a connaissance. En outre, l’autorité judiciaire peut ordonner à l’hébergeur de communiquer les coordonnées de l’éditeur. C’est une protection pour le non professionnel : on met un professionnel entre lui et un tiers mécontent, et si ce tiers veut en découdre avec l’éditeur non professionnel, il faut que le juge y passe.

Toute cela au plus grand profit de la liberté d’expression, car la perspective de devoir donner son adresse et son numéro de téléphone serait de nature à décourager de prendre la parole en public. 

En pratique, il faut savoir qu’identifier l’auteur d’un propos litigieux est relativement aisé. 

Soit les propos relèvent du pénal (injure, diffamation, provocation à la haine raciale), et une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction suffit. Le juge d’instruction confiera le travail à un service de police, qui contactera l’hébergeur (identifié au moyen d’un whois à défaut de mention légale) et par une réquisition judiciaire par fax, leur demandera de communiquer le nom de l’éditeur du site en question. Et si le texte litigieux a été laissé par un destinataire du service et non par l’éditeur, la police demandera  l’éditeur les données de connexion de l’internaute en question (concrètement, son adresse IP et l’heure de connexion). la police contactera alors le FAI correspondant à cette adresse, qui leur donnera en retour les coordonnées de l’abonné qui utilisait cette adresse IP ce jour là à cette heure-ci. 

Soit les propos relèvent du strict civil (dénigrement, concurrence déloyale,…) et dans ce cas, la demande est portée devant le juge civil, soit par ordonnance sur requête, soit en référé (on assigne l’hébergeur). Votre avocat devrait savoir faire ça, c’est le B-A-BA de la profession.

Jean-Louis Masson se propose de supprimer ce tampon juridique et d’imposer à quiconque édite un site de communiquer ses données personnelles (laissons de côté l’ajout de l’obligation d’indiquer l’adresse électronique du directeur de publication d’un site, qui n’a guère d’intérêt puisqu’en pratique il y a toujours une adresse électronique de contact). 

C’est une très mauvaise idée, mais il n’y a aucune raison de paniquer. Cette proposition a à peu près autant de chance de passer que la France de gagner l’Eurovision ce soir. 

D’une part, c’est une proposition de loi. Les sénateurs en ont déposé 166 ces douze derniers mois, dont une vingtaine doit arriver à la séance publique (je ne parle même pas de l’adoption). 

D’autre part, c’est une proposition de loi d’un sénateur non inscrit, ce qui limite son influence, et qui a une réputation auprès de ses collègues qui limite encore plus cette influence. Jean-Louis Masson est l’auteur d’onze propositions, dont deux déposées depuis la proposition de loi “anonymat”, et qui toutes prennent la poussière sur une étagère au Sénat.

Ajoutons à cela que plusieurs sénateurs un peu plus influents que Jean-Louis Masson, à savoir Jean Arthuis (Union centriste, Mayenne) et Alain Lambert (UMP, Orne) ont manifesté leur hostilité à ce projet et devraient convaincre leur groupe de ne pas y donner suite.

Aucune raison de paniquer donc.

En outre, je doute de la conformité de cette proposition de loi au droit européen, la directive transposée rappelant dans ses considérants que “la présente directive ne peut pas empêcher l’utilisation anonyme de réseaux ouverts tels qu’Internet” (cons. 14).

Tempête dans un verre d’eau, donc ? 

ce serait une analyse un peu rapide. Vu la taille du verre d’eau, il faut quand même que l’onde ait été forte pour causer autant d’embruns. De fait, comme le relève Vincent Glad sur Slate.fr, cette menace, pour chimérique qu’elle soit, a le mérite d’avoir ouvert un débat passionnant sur l’anonymat sur internet.

Des vertus de l’anonymat.

Le mot anonymat est malheureusement péjorativement connoté. Il renvoie à l’anonymat du délateur, et à ces milliers de lettres reçues par les préfectures sous l’Occupation signées par de “bons Français”. C’est à ce sens que font appel les contempteurs de l’internet, qui se complaisent à relayer des clichés d’internet comme ramassis de racistes, révisionnistes, calomniateurs et colporteurs de rumeurs, révélant surtout qu’ils ne savent pas ce que c’est et ne veulent surtout pas le savoir. Rappellons certaines évidences pour le cas improbable où ils viendraient trainer leur adresse IP par ces lieux.

Internet n’est pas un lieu.

La première tentation, quand on ne comprend pas quelque chose est de l’assimiler à quelque chose qu’on comprend. C’est une analogie. Le danger est de raisonner à l’envers, et de vouloir appliquer à ce qu’on ne connaît pas les raisonnements applicables à ce qu’on connaît. C’est une analogie foireuse. On se souvient de la mémorable analogie site internet - kiosque à journaux lors de l’affaire Fuzz, ou de la non moins mémorable analogie fichier téléchargé - baguette de pain (© Eddy Mitchell), pochon de drogue (© Luc besson) ou oranges (© Frédéric Lefebvre).

Or l’analogie la plus fréquente avec l’internet consiste à en faire un lieu. Tout le vocabulaire lié à internet est entaché de ce vice fondamental qui est à l’origine de beaucoup d’erreurs. On “va sur internet”, et avec le secours d’une synecdoque cela devient “tout internet ne parle que de ça”. Comme si des dizaines de millions d’internautes parlaient d’une seule voix, sorte d’hydre monstrueuse. Et puisque tout internet n’a qu’une seule voix,si une rumeur circule, c’est que tout le monde la colporte ; si des propos racistes sont tenus, c’est que tous sont racistes, etc. 

Internet n’est pas un lieu. C’est un réseau d’ordinateurs, auquel nous nous connectons. Comme le réseau téléphonique, qui fut d’ailleurs le premier support de l’internet (Vous vous souvenez de vos modems 56kbs ?) On ne va pas sur le téléphone, et même quand un événement important a lieu, personne ne dit que le téléphone ne parle que de ça. 

Sur l’internet, personne n’est anonyme.

Comme je l’ai expliqué plus haut, l’anonymat sur l’internet est une vue de l’esprit. S’agissant d’un réseau de communication entre ordinateurs, cette communication ne peut se faire que si l’émetteur et le destinataire du message sont parfaitement identifiés. Les informaticiens ont eux aussi recours à une analogie, celle du restaurant. L’ordinateur se connectant à un autre pour demander une information s’appelle le client, et celui qui reçoit sa requête le serveur. Le client passe une commande au serveur (« Bonjour Monsieur le serveur maitre-eolas.fr ; je voudrais  le billet du jour, s’il vous plaît.» - « Je vais vous chercher ça.»). Le serveur note la commande (Table n°1, client n°1 : le billet du jour), et va la traiter, en principe dans l’ordre d’arrivée (le serveur peut être paramétré pour traiter certaines requêtes ou certains clients prioritairement) . Il vous enverra une réponse qui peut être soit votre commande (le billet du jour s’affiche, tout le monde est content), soit un message d’erreur vous expliquant pourquoi il n’a pas pu satisfaire votre recherche. Ces messages portent un code numérique, les plus connus étant le 403 Forbidden, le patron a interdit au serveur de vous  laisser passer quelque commande que ce soit, le 404 Not Found, ce que vous avez demandé n’existe pas ou plus, et le 503 Service Unavailable, le serveur a planté sous une surcharge de commandes, il a mis toutes les commandes à la poubelle et vous demande de repasser un peu plus tard le temps qu’il arrête de pleurer et se remette en route. 

Pour éviter que les commandes se mélangent, toute personne connectée à internet a un numéro d’identification unique, qu’on appelle adresse Internet Protocol, ou adresse IP. Par exemple, l’adresse IP d’Overkill, mon serveur, est le 78.109.85.28 . Si vous entrez cette adresse IP dans votre navigateur, vous arriverez ici et nulle part ailleurs. C’est ce qui fait que vos commandes ne sont pas perdues mais satisfaites, c’est à dire que vous pouvez lire ce billet. Mais pour cela, il faut aussi qu’Overkill connaisse votre adresse IP pour vous envoyer la réponse à vous et à personne d’autre. Vous avez vous aussi une adresse IP qui au moment où vous l’utilisez est unique au monde. Cela  laisse une trace, dans ce qu’on appelle les logs de connexion, le registre des connectés en quelques sortes. 

Si vous vous contentez de lire mon billet, je n’en garde aucune trace, et n’aurais aucun moyen de vous identifier. Si vous laisser un commentaire, votre adresse IP est enregistrée avec celui-ci. Si elle ne me permet pas de vous identifier, elle me permet de connaître votre fournisseur d’accès (Free, Orange, SFR, etc) et la localisation géographique de votre nœud d’accès au réseau. pas votre domicile, mais l’équivalent de votre central téléphonique, qui est au maximum à quelques kilomètres de chez vous. Si je veux en savoir plus, il me faut saisir la justice.

Comme vous le voyez, l’anonymat sur internet est largement illusoire. Votre identité est protégée, mais certainement pas de manière absolue, sauf si vous avez des connaissances informatiques suffisantes pour savoir les dissimuler (c’est possible, mais le troll moyen ne sait pas ce qu’est un proxy).

Dans la vraie vie, nous sommes tous des anonymes.

L’anonymat sur internet est d’autant moins suspect qu’avec un peu de réflexion , on réalise que nous sommes tous des anonymes, dans la vie de tous les jours.

Connaissez-vous le nom de votre voisin dans le bus ? Je ne parle même pas de son adresse et de son numéro de téléphone. Quand vous allez au cinéma, vous passez un contrat avec celui-ci (avec la société commerciale qui l’exploite, plus exactement). Pour dix euros, il vous permet d’assister à la représentation d’une œuvre dans ses installations. Connait-il votre nom ? Non, il ne vous le demande même pas. 

Une démocratie digne de ce nom non seulement tolère l’anonymat, mais le protège. Nous pouvons sortir de chez nous sans avoir à justifier de notre identité à qui que ce soit. Les seuls moments où nous avons à le faire est quand un contrat (que nous avons librement contracté) ou la  loi nous l’impose (contrôle d’identité, qui sont encadrés par la loi, art. 78-2 du code de procédure pénale). La plupart de nos interactions se limitent à un “monsieur”, “madame”, ou “maître”, et personne ne songe à s’en plaindre. Notre visage sert à nous individualiser, mais pas à nous identifier (les thuriféraires des lois anti-burqa feraient bien de s’en souvenir). Je peux voir votre visage, je ne saurais pas pour autant qui vous êtes, hormis votre sexe (et encore…) et votre tranche d’âge, ce qui est largement suffisant pour une simple discussion.

Ce que voudrait M. Masson revient à exiger à toute personne voulant exprimer une opinion de se promener avec sa carte d’identité en sautoir.

Le nécessaire compris : le pseudonymat

Vous voyez que nous sommes ici face à deux nécessités contradictoires. Le fait de n’avoir à révéler notre identité que dans les cas où c’est absolument nécessaire, qui est fondamental en démocratie, et la nécessité technique de s’individualiser sur internet ; d’autant plus que le visage n’est pas visible, s’agissant d’une communication informatique. 

D’où le recours à un artifice littéraire aussi ancien que l’écriture : le pseudonyme. On prend un sobriquet, et on signe ainsi. Cela permet d’individualiser ses textes, et de savoir si on lit un texte de votre serviteur ou de Gascogne (ça ne peut pas être mes autres colocataires, ces feignasses ne s’étant pas fendues d’un billet depuis le Déluge), et d’entamer les discussions en commentaires qui ont fait la réputation de ce blog. 

Le reste, on s’en fiche. L’internet est un média qui a remis au goût du jour une valeur un peu suranée : l’égalité. Qui que vous soyez, quoi que vous soyez, vous parlerez sur un pied d’égalité avec votre prochain. 

Telle est l’étiquette qui s’est naturellement mise en place avec les réseaux, et déjà à l’époque, sur le Minitel. Individualisez-vous, mais nul besoin de vous identifier. 

Elle n’a rien de suspect ; c’est au contraire l’exigence d’un excès de transparence du législateur à l’égard des citoyens qui est suspecte. Le despote seul exige que ses sujets n’aient rien à cacher (comprendre à lui cacher). 

Revoilà la liberté d’expression

Car c’est bien elle qui se cache derrière le -relatif- anonymat sur l’internet. Obliger quelqu’un qui souhaite s’exprimer, non pas ponctuellement sur un forum ou en commentaires, mais régulièrement sur un site dédié (tout simplement un blog) à afficher de manière visible à quiconque ses coordonnées personnelles poussera naturellement la plupart de ces personnes à s’abstenir. 

C’est une incitation à se taire, donc une atteinte à la liberté d’expression. Et elle subit assez d’attaques comme ça pour qu’on ne s’offusque pas de celle-ci, aussi éventuelle soit-elle.  Cela explique en grande partie la vigueur de la réaction suscitée par ce projet de loi, et si elle a pu paraître disproportionnée à la gravité de la menace, elle est proportionnée à l’importance de la valeur attaquée.

Qui je suis ne vous regarde pas

Je ne saurais finir ce billet sans parler d’un sujet qui me tient particulièrement à coeur : moi.

J’ai d’emblée choisi de bloguer anonymement (au sens de la loi), c’est-à-dire sous pseudonyme.

Je m’en suis déjà expliqué il y a quatre ans. Je n’ai pas une virgule à y changer quatre ans après, ce dont je suis plutôt satisfait. Et de fait, après six ans de blogage, je suis arrivé à une situation paradoxale qui suffit à démontrer l’inanité de la position du sénateur Masson : aujourd’hui, c’est sous mon vrai nom que je suis anonyme.

Cela montre enfin et surtout que ce débat n’est pas nouveau, et que le fait d’y répondre sur un blog à grande visibilité ne suffit pas à y mettre fin.

Il faudra encore des trésors de patience et de pédagogie pour expliquer aux technophobes que l’internet est aussi anodin qu’un bal masqué, et qu’en tant que citoyens, nous sommes assez grands pour ne plus avoir peur d’un loup.

jeudi 13 mai 2010

Crêpage de chignon au sommet

La France a une particularité (Ah, si elle n’en avait qu’une seule…) : elle a trois cours suprêmes. Une en matière judiciaire, la Cour de cassation (Quai de l’Horloge, Paris), une en matière administrative, le Conseil d’État (place du palais-Royal, Paris), et une en matière constitutionnelle, le Conseil constitutionnel (rue de Montpensier, Paris), juste derrière la Comédie Française.

Jusqu’à présent, les compétences de chacun étaient bien réparties : la cour de cassation unifiait la jurisprudence judiciaire, le Conseil d’État faisait de même avec les juridictions administratives (pour un rappel des raisons de cette coexistence de deux ordres, voir ce billet). Le Conseil constitutionnel n’exerçait qu’un contrôle de constitutionnalité de la loi a priori, c’est à dire avant que la loi ne soit promulguée (pour un exemple théâtral de décision du Conseil constitutionnel, voir ce billet).

Tout a changé avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, entrée en vigueur le 1er mars 2010, qui a instauré la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Désormais, tout justiciable peut soulever devant n’importe quelle juridiction une argumentation tendant à faire établir qu’une loi qu’on veut lui appliquer serait contraire à la Constitution. Pour un article plus détaillé, voir ici mon exposé à mon stagiaire, et pour la procédure, là l’exposé à ma stagiaire.

Le système mis en place passe par la cour suprême de chaque ordre avant de finir dans le meilleur des cas devant la troisième cour, la constitutionnelle. Ce qui immanquablement crée des conflits de compétence, d’autant que la Cour de cassation et le Conseil d’État n’ont pas l’habitude d’avoir une juridiction au-dessus d’eux. Je dis au-dessus car seul le Conseil constitutionnel pouvant, en principe, répondre à la Question prioritaire de constitutionnalité, il se retrouve organiquement au-dessus des autres, mais aucune hiérarchie nouvelle ne s’est créée.

Si les choses se sont passé sans accroc à ce jour devant le Conseil d’État, la cour de cassation a rendu deux décisions qui montrent une approche fort différente de la procédure. Olivier Duhamel s’en est ému sur France Culture en des termes virulents qui lui ont attiré les foudres corporatistes et conservatrices de Gascogne. Il est vrai que le chroniqueur de France Culture a été excessif dans son attaque, puisque sur les 8 QPC actuellement pendantes devant le Conseil constitutionnel, 5 ont été transmises par le Conseil d’État et 3 par la Cour de cassation. On est loin du sabotage, mais il est vrai que la cour ne les a transmises que le 7 mai, ce qui pouvait laisser croire à une mauvaise volonté de sa part.

Dernier rebondissement en date d’hier, avec l’entrée en scène du Conseil constitutionnel qui a répondu vertement à la Cour de cassation.

Revenons sur cet inédit crêpage de chignon aux sommets de la hiérarchie judiciaire.

Premier acte : la cour de cassation rend le 12 avril sa première décision sur une QPC, et c’est un coup de théâtre. Amis mékéskidis, concentrez-vous, c’est du droit pur et dur.

Le demandeur, un étranger sans papier, avait été contrôlé dans la bande des 20 kilomètres qui suit nos frontières et qui permet des contrôles volants par la police (art. 78-2 al. 4 du CPP). Le demandeur soulevait que cette bande violait le droit européen sur la libre circulation, puisque la France, au lieu de supprimer ses frontières intérieures, les a diluées sur 20 km de large. Certes, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que cette bande était conforme à la Constitution (Décision n° 93-323 DC du 05 août 1993) mais le demandeur invoquait un changement de situation dû à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui a modifié l’article 67 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) pour le faire désormais stipuler que “Union « assure l’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures »”. Ce changement du droit européen était susceptible de rendre cette disposition contraire à la Constitution, puisque son article 88-1 exige que la loi respecte le droit européen.

Au-delà de la question des droits de ce sans-papier, qui j’en ai conscience n’intéresse pas tous mes lecteurs, hélas, cette question concerne tout le monde, tant cette bande de 20 km pose un vrai problème, car elle inclut des métropoles comme Lille (14km de la frontière), Strasbourg (5km de la frontière) ou Mulhouse (16km de la frontière). Pourquoi les habitants de ces villes seraient-ils soumis à des contrôles d’identité quasi-discrétionnaires tandis qu’à Paris, ce ne serait pas possible ?

La QPC est, comme son nom l’indique, prioritaire, c’est à dire qu’elle doit être traitée en premier et promptement. Mais pour la cour de cassation, cela pose problème. Quand se pose une question d’interprétation du droit européen, il y a déjà une juridiction compétente : la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), qui siège au Luxembourg. Elle unifie l’interprétation du droit européen pour les 27 pays de l’UE. Elle peut notamment être saisie, en cas de difficulté, par tout juge européen d’une question dite préjudicielle, du latin pre-judicare, avant juger. Le juge demande si telle règle qu’il se prépare à appliquer doit s’interpréter comme ceci ou comme cela.

Or la question prioritaire du sans-papier lillois repose en fait sur du droit européen : c’est l’article 67 du TFUE qu’on veut interpréter, et non la Constitution, qui ne fait qu’y renvoyer.

Et la Cour de cassation estime qu’on est là face à un problème insoluble.

La QPC est prioritaire, elle doit être traitée en premier, et dans un délai de trois mois qui fait obstacle à ce qu’une question préjudicielle soit traitée par la CJUE. Et les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours, c’est la Constitution qui le dit (art. 62). Donc si elle tranche une question d’interprétation du droit européen, il n’est plus possible de saisir la CJUE de cette interprétation. Ce qui est contraire au droit européen, dont le respect est un impératif constitutionnel.

Alors, par sa décision du 12 avril, la cour de cassation va refuser d’examiner tout de suite cette question, et poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne, non pas sur la compatibilité de la bande des 20 km avec le droit de l’Union, mais sur la compatibilité de la loi organique organisant la procédure de QPC avec le droit de l’Union, en ce qu’elle risque d’écarter la procédure de question préjudicielle.

La question préjudicielle étant qualifiée d’urgente par la cour de cassation, elle va être examinée rapidement (on parle d’une audience courant juin). Elle peut aboutir à remettre en cause - provisoirement- la procédure de QPC si la CJUE déclare la loi organique organisant les modalités de cette procédure contraire au droit européen, contraignant le parlement à en adopter une autre. À suivre.

Deuxième acte : le 7 mai dernier, la cour de cassation a rejeté une QPC posée par l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol contestant la constitutionnalité de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 instaurant le délit de contestation de crimes contre l’humanité, qu’il estimait contraire à la liberté d’expression. Ce rejet reposait sur le caractère non sérieux de la demande, car, explique la Cour,

l’incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l’infraction de contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par des membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, infraction dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d’expression et d’opinion.

Mon ami Jules est chiffonné par cette décision et pour tout dire moi aussi. La Cour ne démontre pas dans cet attendu que la question posée n’était pas sérieuse, mais que la loi Gayssot est conforme à la Constitution, ce qui est répondre à la question. Et comme une QPC est irrecevable si la question a déjà été tranchée, la Cour de cassation vient de claquer la porte au nez du Conseil constitutionnel, qui ne se verra jamais transmettre cette question, sachant que la loi Gayssot n’avait à l’époque pas été déférée au Conseil constitutionnel. On peut le regretter, et je dirais même plus : on ne peut que le regretter. D’autant plus que le Conseil constitutionnel avait précisé, dans le commentaire de sa décision sur la loi organique sur la procédure de QPC publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel (pdf), que le manque de sérieux devait s’entendre comme une demande fantaisiste ou à but dilatoire uniquement. On peut ici douter que tel fût le cas.

Acte trois : le cave se rebiffe

Mais ils connaissent pas Raoul, à la Cour de cassation. Ce vent de rébellion soufflant des quais de Seine à travers les jardins du Louvre jusque dans la rue de Montpensier n’a pas échappé aux neuf sages et deux moins sages. L’affront ne pouvait pas rester impuni, et le Conseil a saisi l’occasion qui lui était fournie par l’examen de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Parmi divers griefs, tous rejetés par le Conseil, les parlementaires contestaient le fait que le Gouvernement, à l’origine de cette loi, prétendait que le droit européen obligeait la France à cette libéralisation alors que selon les parlementaires, il n’en était rien. Les parlementaires invoquaient précisément l’arrêt de la cour de cassation du 12 avril, celui-là même qui posait la question préjudicielle à la CJUE, en l’ayant très mal compris (ou alors ils sont facétieux, ce qui n’est pas impossible), puisqu’ils en déduisaient une invitation de la cour de cassation faite au Conseil constitutionnel à vérifier la conformité de la loi au droit européen (alors que la cour de cassation exprimait plutôt une crainte que le Conseil constitutionnel ne le fasse).

Le Conseil va bondir sur l’occasion pour répondre à la question qu’on ne lui a pas posée.

Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010.

10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;

11. Considérant, d’autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l’article 61-1 de la Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l’articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ; qu’ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité ;

12. Considérant que l’examen d’un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l’Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;

Le Conseil répond à la cour de cassation : non, nous ne nous occuperons pas de la conformité de la loi au droit européen, ça, c’est votre travail, et celui de notre voisin de l’autre côté des colonnes de Buren. Et il détaille.

13. Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ;

Ce considérant ne répond absolument pas au recours des parlementaires. On est loin de la loi sur les jeux en ligne. C’est bien à la cour de cassation que le Conseil constitutionnel s’adresse. Il répond à l’arrêt du 16 avril.

Et le Conseil enfonce le clou en livrant même un mode d’emploi détaillé de l’articulation QPC/question préjudicielle.

14. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d’examen est strictement encadrée, peut, d’une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d’autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu’il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l’article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23 1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige ;

15. Considérant, en dernier lieu, que l’article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu’elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, de l’obligation de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

En somme, transmettre une QPC n’interdit pas de poser également une question préjudicielle. Car les deux visent à vérifier la conformité de la loi à deux droits différents : la Constitution pour la première, le droit européen dans la deuxième. Pour que la loi survive à cette ordalie, il faut qu’elle soit conforme aux deux.

16. Considérant que, dans ces conditions, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 61 ou de l’article 61-1 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu’ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et européens de la France, en particulier avec le droit de l’Union européenne, doit être écartée.

Le Conseil constitutionnel répond ainsi à la QPC qui ne lui a pas été transmise : la bande de 20 km sera jugée conforme à la Constitution, comme le Conseil l’a dit en 1993 ; quant au fait de savoir si elle est conforme au droit européen, c’est au juge français, en dernier lieu à la cour de cassation de le dire (le premier juge du droit européen est le juge national), au besoin en saisissant elle même la CJUE d’une question préjudicielle.

La mise en place de telles réformes ne va jamais sans peine. Il y a des conflits de compétence, qui se règlent avec le temps.

Mais à ma connaissance, c’est la première fois qu’on voit ainsi deux des hautes juridictions s’engueuler par décisions interposées. On peut s’en amuser. On peut aussi se désoler d’y voir le signe d’une République peu apaisée.

mercredi 12 mai 2010

Copier n'est pas juger

Voilà ce qui arrive quand un juge d’instruction ne lit pas mon blog.

La suite des choses : le parquet a fait appel. La cour d’appel pourra soit considérer comme valable l’ordonnance de renvoi copie servile du réquisitoire définitif, et “évoquera l’affaire”, c’est à dire la jugera, soit elle considérera que le tribunal d’Évry avait raison et fera retour de la procédure au juge d’instruction pour qu’il régularise, c’est à dire prenne une ordonnance de renvoi conforme à la loi du 5 mars 2007.

La remise en liberté du prévenu est définitive jusqu’au jugement. Il sera donc jugé libre et le cas échéant retournera en prison en exécution de sa peine, ce qui est le principe, la détention avant jugement étant une exception. Aussi regrettable soit cette bévue du juge d’instruction, ce n’est pas un scandale.

Les mauvaises habitudes ont la vie dure.

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