Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 2 mars 2010

Bienvenue à la Question Prioritaire de Constitutionnalité

Ce lundi 1er mars 2010 fut un grand jour, un jour historique. La France est enfin devenue un État de droit.

— Qu’est-ce qu’un État de droit, maître ?

— Mon Jeannot, quelle surprise ! Tu es revenu de ton congé paternité ?

— Vous me manquiez. Et j’ai entendu dire que vous aviez une nouvelle stagiaire très jolie…

— Tu es marié, Jeannot.

— Rassurez-vous. J’ai un contrat de confiance qui me lie à mon épouse.

— Me voilà garanti. Donne moi donc cette bouteille de champagne que tu as amenée, et nous trinquerons à nos vies qui viennent de changer.

— Volontiers. Mais vous n’avez pas répondu à ma question.

— Je manque à tous mes devoirs. Un État de droit est un État auquel le respect du droit peut être imposé par la voie juridictionnelle.

— C’est à dire par un juge ?

— Oui, mais en France, cette expression est ambiguë, car notre pouvoir juridictionnel est bicéphale. Disons que tout citoyen à qui on veut appliquer une loi peut désormais demander à un juge de constater que cette loi est inapplicable car elle viole la Constitution.

— Rappelez-moi ce qu’est la Constitution ?

— Formellement, une loi, publiée au Journal Officiel. Juridiquement, elle est la norme suprême, la loi des lois, celle de laquelle découle toute autorité, y compris celle de la loi. Elle organise l’État, fixe sa nature (République, Monarchie), sa forme (régime parlementaire, présidentiel…), la répartition des pouvoirs et leur contrôle, la désignation de leur titulaire et la durée de leurs fonctions. C’est sa dimension organique. Elle en a aussi une symbolique : c’est la Constitution qui pose que le drapeau français est le drapeau tricolore et que l’hymne est la Marseillaise. Mais aussi et surtout, elle consacre des droits inaliénables, auxquels, de par leur nature constitutionnelle, la loi ordinaire ne peut toucher.

— Pourquoi cela ?

— Parce que la loi tient son pouvoir de la Constitution. Donc la loi ne peut porter atteinte à ce que la Constitution interdit de toucher. C’est ce que le grand juriste autrichien Hans Kelsen a appelé la hiérarchie des normes. Chaque norme ne peut violer une norme de nature supérieure. Cette hiérarchie est, de haut en bas : la Constitution, les Traités et Conventions internationales régulièrement ratifiées, les lois organiques, les lois ordinaires, et les décrets. Il existe des normes de rang encore inférieur, comme les arrêtés, mais ceux-ci ne sont habituellement pas inclus dans cette hiérarchie car ils tirent leur autorité non pas de la Constitution mais d’une délégation de la loi ou du décret. Un État de droit doit permettre à tout citoyen de contester la conformité d’une norme à une autre qui lui est supérieure.

— Ainsi, je puis contester qu’un décret soit conforme à la loi ?

— Absolument, depuis l’arrêt Cadot (CE, 13 décembre 1889). C’est là le rôle exclusif du juge administratif, Conseil d’État en tête, puisqu’il est la plus haute juridiction administrative.

— Je puis contester qu’une loi soit conforme à un Traité ?

— Oui, même si la loi est postérieure au Traité, depuis l’arrêt Jacques Vabre (24 mai 1975) pour le juge judiciaire, et Nicolo (20 octobre 1989) pour le juge administratif.

— Et je ne pouvais pas contester qu’une loi fût contraire à la Constitution ?

— Non. La Constitution en vigueur, celle du 4 octobre 1958, la cinquième adoptant la forme républicaine (encore que la première n’ait jamais été appliquée, et que la troisième n’en était pas vraiment une, mais passons), prévoyait un contrôle très restreint, conforme à la vision gaullienne du pouvoir : le président a une légitimité telle qu’il ne peut mal faire. En fait, dans l’esprit des rédacteurs de la Constitution, le Conseil Constitutionnel était là pour protéger les prérogatives du président. Il ne pouvait être saisi que par le président, le premier ministre, et les présidents des deux assemblées. Il faudra d’ailleurs attendre la mort du Général de Gaulle pour que le Conseil constitutionnel ose assumer une prérogative qui n’était pas prévue par le père de la Constitution —et de l’actuel président du Conseil constitutionnel.

— Un coup d’État ?

— Juridique, donc légal. Dans une décision du 16 juillet 1971, liberté d’association, le Conseil va examiner la conformité d’une loi au préambule de la Constitution, et non aux seuls articles d’icelle.

— Qu’est-ce que cela change ?

— Tout ! Le préambule de la Constitution de 1958 cite le préambule de celle de 1946, dite de la 4e république. Et ce préambule citait lui-même la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, proclamait plusieurs droits (droit de grève, liberté syndicale…) plus récents et posait l’existence de “principes fondamentaux reconnus pas les lois de la République”, catégorie qui permet au Conseil de donner une valeur constitutionnelle à des principes contenus dans des lois ordinaires.

— Un exemple ?

— La liberté d’association, posée par la loi du 1er juillet 1901. La loi censurée prévoyait de substituer au régime de déclaration en préfecture un régime d’autorisation préalable. Нет a dit le Conseil. Le Conseil a été récompensé de cette audace puisqu’en 1974, sa saisine va être élargie à 60 députés ou 60 sénateurs, permettant à l’opposition d’exercer un contrôle de constitutionnalité. La loi HADOPI en fit les frais il y a peu. Néanmoins, la situation n’était pas satisfaisante.

— Pourquoi ?

— Pour deux raisons. Tout d’abord, le contrôle reste aux mains de l’exécutif et du législatif. Le peuple est tenu à l’écart du contrôle de ceux qui légifèrent en son nom. Or la démocratie repose sur la méfiance du peuple envers ses gouvernants : c’est le despotisme qui repose sur la méfiance des gouvernants à l’égard du peuple. La France a 1500 ans de tradition monarchique, c’est un atavisme dont il est difficile de se débarrasser.

— Et quelle autre raison ?

— Ce contrôle ne pouvait se faire qu‘a priori. Il fallait que la loi fût examinée avant sa promulgation. Après, c’était trop tard.

— C’est contrariant.

— Oui. Et anti-démocratique. Le système du “pas vu pas pris” n’est pas républicain. Et enfin, enfin, après 52 ans d’errance, et pour la première fois de son histoire, la France permet à tout citoyen de soulever par voie d’exception l’inconstitutionnalité d’une loi.

— Gné ?

— Je décompose. On peut agir en annulation de deux façons, qu’on appelle voie : l’action et l’exception. L’action consiste à demander au juge d’annuler l’acte qu’on estime illégal. On est en demande. L’exception consiste à demander cette annulation quand on tente de nous appliquer l’acte qu’on estime illégal. On est en défense. La réforme constitutionnelle de juillet 2008, entrée en vigueur sur ce point le 1er mars 2010 (le temps que soit votée la loi organique appliquant cette réforme et que soient pris les décrets d’application) permet de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi par voie d’exception seulement, en posant ce qu’on appelle une Question Prioritaire de Constitutionnalité, la voie d’action restant l’apanage des trois présidents (de la République, du Sénat et de l’Assemblée), du premier ministre et de 60 députés ou sénateurs.

— Les premières questions ont été posées ?

— Oui, dès lundi, l’Ordre des Avocats de Paris, en accord avec le Conseil National des Barreaux, l’organe qui représente la profession au niveau national, a posé une Question Prioritaire de Constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de la garde à vue sans avocat. Dans trois mois, la question sera tranchée. Mais pour la petite histoire, la première Question Prioritaire de Constitutionnalité sera celle déposée lundi à 00h01 par mon confrère Henri Braun, sur le statut des gens du Voyage.

— Et concrètement, comment ça marche ?

— Ça, mon Jeannot, fera l’objet de la deuxième partie de ce billet, une fois que nous aurons dégusté cette bonne bouteille. Va donc chercher trois coupes, je m’occupe d’aller chercher Malika.

lundi 22 février 2010

La justice et la mort

Le dernier, vraiment dernier cette fois, rebondissement de l’affaire Treiber, au-delà des considérations liées à ce dossier et qui n’ont pas leur place sur ce blog, amène à soulever une question à portée plus générale. Quel est donc l’effet de la mort sur le cours de la justice, et pourquoi ?

Le droit étant la science des distinctions et des exceptions, il faut distinguer les hypothèses.

La division pertinente se fait ici entre la justice civile et la justice pénale. La justice civile oppose des personnes privées (personnes physiques comme vous et moi, sauf si vous êtes un robot, ou morales : sociétés, associations, syndicats de copropriétaires, etc.) qui ont un conflit entre elles. La justice pénale oppose la société (représentée, et avec quel talent, par le ministère public) à une personne privée (physique ou morale) ou publique (à l’exception de l’État, car en France, quand on fixe les règles, on veille à ce qu’elles ne s’appliquent pas à soi même) soupçonnée d’avoir commis un fait que la loi punit : ce qu’on appelle de manière générale une infraction.

La mort n’a en principe aucun effet sur la justice civile, peu importe que la personne décédée soit le demandeur ou le défendeur. En effet, la mort d’une personne fait que son patrimoine, terme qui en droit désigne l’ensemble des biens et des droits d’une personne, passe à ses successeurs (en principe, son conjoint et ses enfants, je ‘entrerai pas dans le détail de la détermination des successeurs qui mériterait un billet à elle seule). Le procès continue donc, la partie décédée étant remplacée par l’ensemble de ses successeurs, qu’on appelle consorts.

Ainsi, si monsieur A. fait un procès à monsieur B. et que ce dernier décède en cours d’instance, le jugement sera rendu contre les consorts B. Et quand bien même le décédé avait eu la ferme intention de faire un procès avant que la Camarde ne lui signifie un jugement sans appel, ses successeurs peuvent engager l’action en son nom, puisque ce droit d’agir en justice figure dans son patrimoine. Cette hypothèse n’a rien de rare : toutes les actions en réparation d’un décès, accidentel (accident de la route, du travail) ou non sont par leur nature même toujours exercées par les héritiers (la nécromancie étant expressément prohibée par l’Ordre des avocats comme étant du démarchage de clientèle illégal).

Il y a des exceptions qui tiennent à la nature du procès en cours. Ainsi, une instance en divorce prend fin avec le décès d’un des époux, puisque ce décès dissout immédiatement et de plein droit le mariage. Il ne reste donc plus rien à dissoudre pour le juge. Le décès d’une personne peut aussi faire courir un délai pour exercer certaines actions, comme l’action en recherche de paternité, qui doit être intentée au plus tard dans les dix ans suivant le décès du père supposé (art. 321 du Code civil). Mais le principe demeure le même : on présente ses condoléances et on continue.

Au pénal, le principe est le contraire, mais il faut au préalable bien comprendre une chose. Devant une juridiction pénale (juge de proximité, tribunal de police, tribunal correctionnel ou cour d’assises), deux actions différentes sont jugées en même temps.

L’action principale, c’est l’action publique. Le demandeur est le ministère public. Il demande au juge de déclarer le prévenu coupable et en répression, de le condamner à une peine qu’il suggère dans ses réquisitions.

Mais une action accessoire peut venir s’y greffer : celle de la victime qui demande réparation du préjudice que lui a causé l’infraction. Cette action s’appelle l’action civile par opposition à l’action publique, et elle est de nature civile.

Cela posé, il faut donc distinguer deux hypothèses.

Le décès de la victime est totalement indifférent, hormis bien sûr quand il est à l’origine de l’action publique (poursuites pour meurtre ou homicide involontaire). Mais peu importe que la victime d’un vol décède avant le jugement de son voleur. Les héritiers exercent l’action au nom du défunt. C’est ainsi les conjoints, enfants ou parents de la victime qui s’assoient sur le banc des parties civiles.

En revanche, le décès de la personne poursuivie, elle, met fin à l’action publique. Le juge pénal rend un jugement constatant l’extinction de l’action publique.

Pourquoi ? Pour deux raisons.

Tout d’abord, parce que l’action publique est intrinsèquement liée à la personne de l’accusé. On va juger un fait qu’il a commis, et s’il est reconnu coupable, prononcer une peine pour sanctionner son comportement, qui sera fixée en fonction de sa personnalité. L’article 132-24 al. 2 du code pénal fixe l’objet de la peine ;

La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions.

Comme vous pouvez le constater, la mort de l’accusé prive la peine de tout intérêt. Quand bien même serait-il condamné, la société n’est pas menacée par un mort, sauf dans les films de George A. Romero. Le mort est à l’abri de tout châtiment, comme Arvirargus le chantait sur la tombe d’Imogène (qui d’ailleurs n’était pas vraiment morte mais passons). Les intérêts de la victime, dont la mention ici est un cadeau démagogique de la loi du 12 décembre 2005, sont sans effet sur la mort, c’est vérifié. La question de l’insertion du condamné se résume à trouver un cercueil à sa taille. Quant à la commission de nouvelles infractions, il y a été pourvu de manière fort efficace, le taux de récidive des morts étant de 0%, même si l’Institut pour la Justice prépare sûrement une étude pour démontrer le contraire.

À cela, des lecteurs pourraient m’objecter que pour les victimes, ce procès garde un intérêt et qu’on pourrait bien leur faire ce cadeau. Pourquoi pas, au Moyen-Âge, on faisait en effet des procès en effigie, qui le cas échéant étaient brûlées sur le bûcher. La démagogie victimaire justifie bien un retour au droit archaïque ; comme ça, les cellules de garde à vue seront raccords avec les culs-de-basse-fosse. Que diantre, on fait bien des procès à des fous pour leur complaire, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Néanmoins, un ultime problème se pose, au-delà de l’inutilité absolue du procès fait à un mort. C’est l’exercice des droits de la défense. Le but du procès pénal est quand même que l’accusé puisse s’expliquer. Soit sur les éléments qui l’accablent alors qu’il prétend être innocent, soit sur les raisons qui l’ont poussé à commettre ce geste s’il reconnaît les faits. Retirez cela et vous n’avez plus un procès, mais un simulacre.

On pourra m’objecter que si l’accusé est bien vivant mais en fuite, le procès a tout de même lieu. En effet, c’est ce qu’on appelle le défaut. Mais la loi admet elle même que ce procès est un simulacre puisqu’il suffit que le condamné par défaut réapparaisse (volontairement ou soit interpellé) et il pourra exercer une voie de recours spécifique, l’opposition, qui n’est pas un appel puisqu’il réduit à néant la première décision et donne lieu à un nouveau premier procès, qui pourra lui-même faire l’objet d’un appel. En fait, le but principal du défaut est de faire échec à la prescription de l’action publique en lui substituant après l’audience la prescription de la peine, qui est bien plus longue (trois ans pour une contravention au lieu d’un an, cinq ans pour un délit au lieu de trois, vingt ans pour un crime au lieu de dix ans). Un procès par défaut est par nature provisoire, en attendant le vrai procès de l’accusé.

En outre, la justice a déjà assez de mal à juger les vivants pour qu’en plus on lui ajoute la clientèle des morts.

Dernière question pour conclure : la victime, qui à ce stade n’est que plaignante, n’a-t-elle donc aucun recours si l’accusé se fait la belle par la dernière porte ?

Sur l’action publique, non, aucun. Elle est éteinte, il n’est plus possible pour la justice d’établir sa culpabilité ou son innocence. Le dossier passe aux historiens, s’il les intéresse. Il ne relève plus de la justice des hommes.

Mais l’action civile, elle n’est pas affectée par le décès, comme je l’expliquais en ouverture.

Simplement, elle ne peut plus être portée devant la juridiction répressive puisqu’elle n’est plus saisie du dossier. La jurisprudence a apporté un tempérament de taille à ce principe : cette règle ne s’applique pas si l’affaire est en appel, car il a déjà été statué sur l’action publique. Dans ce cas, la cour constate l’extinction de l’action publique, mais reste compétente pour juger l’action civile, c’est-à-dire sur les dommages-intérêts, que ce soit le condamné défunt qui ait fait appel ou la partie civile. Et ce même si le défunt avait bénéficié d’une relaxe (s’il était jugé pour un délit) ou d’un acquittement (s’il était jugé pour un crime). On peut donc discuter de la culpabilité du défunt en appel ; mais il faut qu’il ait été jugé une première fois de son vivant.

La victime peut donc en cas de décès avant tout jugement au pénal porter son action devant le juge civil, suivant les règles du code de procédure civile, pour demander une indemnisation aux héritiers de la personne soupçonnée, ou devant une juridiction spécifique, la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction, qui est bien de nature civile (c’est la 2e chambre civile qui connaît des pourvois sur cette procédure), quand bien même elle est réglée par les articles 706-3 du CPP. Les mystères du droit.

La première voie n’est quasiment jamais empruntée car elle est très périlleuse. Il faut prouver la culpabilité du défunt, en se fondant notamment sur le dossier de l’instruction, et devant les juridictions civiles, la présomption d’innocence est bien mieux respectée : pas d’intime conviction du juge, c’est de la certitude qu’il faut apporter. La procédure devant la CIVI suppose uniquement de prouver que les faits à l’origine du dommage « ont le caractère matériel d’une infraction » (art. 706-3 du CPP), peu important de savoir qui est coupable. Le but même de cette procédure, initialement créée pour les actes de terrorisme, est de permettre aux victimes d’être indemnisées même quand les auteurs des faits demeurent inconnus.

Voilà la situation dans cette tragique affaire, ou trois familles pleurent désormais un être cher et devront continuer à vivre avec leur convictions mais aussi leurs incertitudes. Nous ne sommes ici que pour faire du droit, je vous demanderai donc de ne pas aborder la question du coupable-pas coupable. Nous n’avons aucune qualité pour en discuter et le chagrin des familles impose un silence respectueux.

jeudi 18 février 2010

Un homme dispensé de peine en raison des conditions indignes de sa garde à vue

Le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières a rendu il y a peu une décision remarquée par la presse, à raison tant elle sort de l’ordinaire.

Un homme de 45 ans a été interpellé pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique (CEEA) caractérisé par la présence dans l’air expiré d’environ 1 mg d’alcool par litre d’air expiré (qui est la nouvelle mesure usuelle de l’acoolémie au volant, le gramme par litre de sang, nécessitant une prise de sang et des tests en laboratoire, ayant été de fait abandonné depuis l’apparition d’éthylomètres électroniques qu’on nous assure être très précis et fiables (c’est sans doute pour ça qu’ils ne donnent pas la même mesure à cinq minutes d’intervalle). La conversion est facile, puisque le taux d’alcool dans le sang est 2000 fois supérieur à celui de l’air expiré (2000 fois tout rond, quel que soit le sexe et la morphologie du conducteur, magie de la science et des chiffres ronds).

Ainsi, notre héros du jour a eu un résultat d’environ un milligramme d’alcool par litre d’air expiré, ce qui donne pour ma grand-mère et le journaliste de Libération environ 2 grammes d’alcool dans le sang. Même dans les Ardennes, c’est prou.

D’où garde à vue non comptabilisée dans les statistiques, avec placement en cellule de 2,30 m² avec deux autres personnes, ce qui fait 0,76m² par personne, une cabine téléphonique et demie. Je rappelle que le Code rural impose pour un chenil un minimum de 5m² par chien (Vous croyez que je plaisante ? Arrêté ministériel du 25 octobre 1982, Annexe I, chap. II, §5, a).

Au bout de deux heures, la fraternité républicaine ayant atteint ses limites, le gardé à vue, ne supportant pas l’idée de passer plus de temps dans ces conditions, agresse un des policiers. Ledit fonctionnaire n’ayant pas apprécié la chose (je ne l’en blâme pas) la met sur le compte de l’alcool plus que sur la géométrie et voici notre Bacchus du volant en cellule de dégrisement.

Une cellule de dégrisement, c’est une cellule spécialement aménagée, sans le moindre mobilier, aux murs capitonnés, où une personne en état d’ivresse (ou de manque…) un peu trop excitée est mise, parfois peu vêtue, le temps de reprendre ses esprits, sans pouvoir se blesser dans l’intervalle.

Il va y passer dix heures, ce qui est en effet à peu près le temps nécessaire pour qu’un taux d’alcoolémie d’un milligramme redescende en dessous du seuil légal, pour un homme de 70 kg ayant commencé à boire deux heures avant son interpellation (la gueule de bois est une peine complémentaire non prise en compte procéduralement).

Poursuivi pour CEEA et violences sur agent (donc passibles de prison même sans blessures), il encourait un maximum de trois ans de prison, trois ans de suspension de permis, et 45000 euros d’amende, sauf erreur de ma part (je n’ai pas mon Crocq sous la main, je vérifie ça plus tard).

Lors du procès, la défense va soulever un argument tiré des conditions indignes dans lesquelles s’est déroulée la garde à vue, invitant le tribunal, comme il en a le pouvoir (art. 456 du Code de procédure pénale), à aller constater sur place ce qu’il en est. Ce qu’il va faire.

Et le jugement ne mâche pas ses mots. Il a estimé que le prévenu avait subi une « expérience traumatisante » et qu’il avait « déjà payé cher (..) des infractions qui ne relèvent pas d’un niveau de grande délinquance ». « Si des cellules de garde à vue sont d’une saleté révulsante, si l’on y maintient des gens en surnombre pendant des périodes conséquentes, sans dispositif minimum d’hygiène personnelle (..), force est de constater là, un traitement objectivement indigne et dégradant » ajoute-t-il. Fermez le ban. J’applaudis, bien sûr.

En conséquence, le tribunal va prononcer une dispense de peine.

Et là je n’applaudis plus. J’objecte.

La dispense de peine est prévue à l’article 132-59 du code pénal :

La dispense de peine peut être accordée lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé.

Elle suppose donc préalablement une déclaration de culpabilité, et trois conditions cumulatives :le trouble doit avoir cessé, le reclassement du coupable est acquis et le dommage a été réparé.

J’ai beau relire cet article 132-59 (avec une tendresse quasi maternelle), je ne vois pas que les conditions matérielles de la garde à vue, aussi épouvantables fussent-elles, y figurent. Elles ne peuvent servir de fondement légal à une dispense de peine.

À mon sens, les conséquences à tirer de cet état de fait sont plus radicales : les traitements inhumains, indignes et dégradants sont interdits en France comme dans toute l’Europe (art. 3 de la convention européenne des droits de l’homme). Cette interdiction s’applique en premier chef à l’État : à tout seigneur tout honneur, même en République.

Or ici, le bras séculier de l’État, j’ai nommé le parquet, demande qu’une personne soit frappée dans sa liberté (peine de prison), dans ses droits (interdiction de conduire un véhicule), dans ses biens (amende et frais de procédure) pour avoir violé la loi. Soit. Mais pour cela, l’État a lui-même violé la loi qu’il édicte lui même. Il a promis un beau matin de novembre 1950 qu’il ne soumettrait personne à des traitement inhumains et dégradants, et 60 ans après il continue pourtant à le faire. Il demande à ce que toute personne qui viole la loi soit sanctionnée ; je l’approuve, et demande qu’on applique cette excellente maxime à lui-même.

Dans notre affaire, le processus légal devant aboutir à sanctionner notre prévenu est illégal. Donc faire reposer toute condamnation pénale là-dessus serait illégal. Le juge doit s’y refuser, et relaxer. Concrètement par une annulation de la procédure. La différence est réelle : pas de déclaration de culpabilité, pas de frais de procédure (90€ tout de même), pas de mention sur le casier judiciaire, et surtout pas de perte de points de permis (6 points dans cette affaire tout de même).

L’usage de la dispense de peine ici m’apparaît de prime abord (je n’ai pas eu accès au dossier et ne connait du jugement que les attendus repris dans une dépêche AFP, donc c’est sous toutes réserves comme disent mes confrères civilistes) comme une cote mal taillée, un jugement de Salomon qui veut ménager la chèvre et le chou, et je ne dirais lequel de ces deux rôles tient le parquet pour m’éviter une procédure disciplinaire.

“Bon, la procédure est illégale et honteuse pour la république, donc je prononce une culpabilité, le parquet est content, et je dispense de peine comme ça la défense est contente (et on peut raisonnablement espérer que personne ne fera appel de cette décision juridiquement bancale)”.

Je réalise parfaitement que ma position d’orthodoxie juridique est commode étant extérieur au procès. Si j’étais l’avocat de la défense, ce que je ne suis pas puisque c’est mon excellent confrère Pierre Blocquaux du barreau de Charleville-Mézières qui a défendu, je me satisferais sans nul doute de ce jugement et interdirait bien à mon client d’en faire appel (je doute d’ailleurs que je pourrais l’en convaincre). Mais c’est le luxe du blogueur de pouvoir en rester aux principes éthérés du droit quand l’avocat de la défense descend dans les tranchées fangeuses pour tenter de sauver la mise à son client.

Mais le strict respect du droit est tout de même une pierre angulaire de la justice, et ce n’est pas aux juges de pallier la carence du législateur et l’incurie de l’État qui se nie à assumer pleinement ses fonctions en finançant comme il se doit de le faire les services concernés. Et ce n’est pas en faisant du bricolage juridique pour réparer à grands coup d’équité les fautes de l’État que l’on contraindra celui-ci à y remédier.

Le combat contre l’actuelle garde à vue est une guerre. Il y aura forcément des victimes parmi les procédures.

mardi 16 février 2010

Un petit mot d'un avocat qui sait ce qu'il veut

Oui, oui, j’ai vu passer l’annonce d’une future loi Besson sur l’immigration. Je reviendrai sur ce projet parce que là, il y en a qui se sont lâchés. Et ce n’est pas le respect élémentaire de la Constitution qui les a arrêté : même l’intégrité du territoire est piétinée, c’est dire si c’est fort.

Mais je voudrais faire un nouveau billet sur la question de la garde à vue pour contrer un argument que j’entends beaucoup : les avocats ne sauraient pas ce qu’ils veulent, puisque d’un côté, ils se plaignent qu’il y a trop de gardes à vue, et que de l’autre, ils soulèvent des nullités de procédure parce que leur client n’a pas été placé en garde à vue. Cet apparent paradoxe révélerait la mauvaise foi de ceux qui soulèvent ce raisonnement.

Quand j’entends cet argument, je me dis que décidément, il y a un code de procédure pénale (CPP) pour les avocats et un autre pour les policiers.

Mais comme, officiellement du moins, il n’en est rien, voici ce que dit la loi sur la garde à vue.

Art. 63 du CPP :

L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République.

La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.

Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.

Voilà. Le reste des articles précise les droits accordés au gardé à vue : être informé du motif de la mesure, faire prévenir un proche, voir un médecin, s’entretenir avec un avocat.

C’est là le nœud de l’affaire. On arrive de deux façons dans un local de police ou de gendarmerie : volontairement, ou non. S’il est établi que toute personne qui fait l’objet d’une contrainte doit être placée en garde à vue pour bénéficier de ces droits, la jurisprudence admet l’existence d’une “audition libre”, La personne interrogée étant supposée être là de son plein gré et, bien que libre de partir, rester là car elle aime être interrogée et si possible s’incriminer elle-même. Toute personne convoquée par la police ou la gendarmerie “pour affaire la concernant” sans autre précision, selon la formule d’usage, sait combien le droit de se lever et partir est illusoire, la menace du placement en garde à vue venant rapidement calmer les ardeurs voyageuses. Je me souviens ainsi d’un mien client, convoqué au commissariat pour une affaire qu’il pensait banale et a réalisé une fois sur place qu’en fait, il était le sujet de l’enquête qui portait sur des faits graves. Alors qu’il patientait sur un banc, il m’a appelé avec son portable pour me demander conseil. À peine avais-je décroché que j’ai entendu un policier le sommer de raccrocher, quand bien même était-il au téléphone avec son avocat. C’est ce que la jurisprudence appelle une audition libre : pas le droit de parler à son avocat. Le prix de la liberté ?

En tant qu’avocat, je souhaite que toute personne qui met un orteil dans un commissariat parce qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction puisse bénéficier des droits du gardé à vue, et que ces droits lui soient notifiés. Ce qui suppose le statut de gardé à vue,puisqu’il n’y en a pas d’autre.

D’où réaction stupéfaite : comment, moi, avocat, donc Némésis de la garde à vue, j’implore ce statut pour mes clients ? Aimerais-je en fait la privation de liberté, ou n’y verrais-je qu’une occasion supplémentaire de facturer des honoraires à un taux forcément indécent ?

Non, j’aime les droits de la défense, et s’il faut le statut de gardé à vue pour pouvoir les exercer, ainsi soit-il. Que le nombre de gardes à vue double ou triple ne me gêne pas plus que ça. Il ne fera ainsi que s’approcher du réel.

Car il faut garder à l’esprit que nulle part — et croyez-moi, j’ai cherché—, nulle part la loi ne prévoit que garde à vue implique nécessairement mise en cellule, port des menottes, confiscation des effets personnels susceptibles dans l’esprit de l’officier de police judiciaire d’être dangereux (et ils ont de l’imagination, croyez-moi : ça inclut les lunettes de vue, les montres et les lacets) et fouille à nu (j’appelle comme ça toute fouille qui implique d’exhiber ses parties intimes, même si le pantalon reste autour des chevilles, mais sans recherche dans les cavités internes, qui est une mesure spécifique qui ne peut être pratiquée que par un médecin (art. 63-5 du CPP). Il y a même là une véritable perversion du système, qui consiste à associer nécessairement les droits élémentaires de la défense (la Convention européenne des droits de l’homme fixe des minima, pas des objectifs utopiques) avec des mesures de contrainte telles que l’intéressé préférera souvent tout faire pour les éviter, y compris renoncer à ses droits. Nous vivons dans un pays formidable, où on entend des policiers menacer d’une garde à vue, c’est à dire vous menacer de vous permettre d’user des droits de la défense.

Une garde à vue peut très bien se passer sans papouilles, vêtu tel que l’on est arrivé, les inévitables temps d’attente pouvant opportunément se passer à lire avec ses lunettes de vue un livre qu’on aura apporté, dans tout local autre qu’une cellule, voire un banc dans le couloir. Utopie droitdelhommiste, angélisme criminogène ? Je ferais juste remarquer que dans la plupart des autres pays européens, bien des gardes à vue se passent comme ça. Et leurs petits vieux ne tremblent pas plus que les nôtres. Je ne comprends toujours pas (mais je reste ouvert à toute explication) pourquoi une personne qui a obéi à une convocation et se présente spontanément à l’heure dite devrait être entravée pour prévenir toute évasion, ou s’assurer qu’elle n’est pas dangereuse pour elle même (si elle avait voulu se suicider, elle avait toute latitude pour ce faire avant de venir) ou pour autrui (pas besoin de convocation pour agresser autrui), quand bien même elle manifeste le désir de rentrer chez elle. J’ajoute que le traitement que suppose la garde à vue dans son modèle actuel, dans les conditions matérielles dans lesquelles elles se passent (et dont les policiers ne sont absolument pas responsables, quand un commissariat est vétuste, ce ne sont pas eux qui l’ont dégradé) facilite sans nul doute le passage à l’acte violent du gardé à vue (pour le contrepoint, je vous invite à lire ce billet de Bénédicte Desforges, qui manie aussi bien la plume qu’elle maniait la matraque).

Quel est donc l’intérêt des droits du gardé à vue dans le cadre d’une présentation volontaire sur convocation ? À peu de choses près le même que pour une présentation contrainte. Faire prévenir un proche n’en a effectivement aucun si on permet à la personne se présentant au commissariat de téléphoner à qui elle veut (après tout, elle est libre, n’est-ce pas ?). On sait que c’est loin d’être le cas. Mais deux droits essentiels gardent tout leur intérêt : le droit de connaître le motif de sa convocation (qui ne figure pas sur la convocation papier, c’est toujours “pour affaire vous concernant”, donc aucun conseil utile n’a pu être sollicité au préalable auprès d’un avocat), et une fois cet élément connu, de s’entretenir avec un avocat pendant trente minutes dans des conditions de confidentialité absolue, avocat qui pourra faire des observations écrites versées au dossier, donc lues par les policiers, mais aussi le procureur, l’avocat saisi ensuite du dossier, et le juge. Ce n’est pas satisfaisant en soi et probablement pas conforme en l’état aux exigences minimales de la Convention européenne des droits de l’homme, mais c’est déjà ça.

D’où les nullités que je soulève régulièrement en cas de procédure “libre”. S’il ressort en quoi que ce soit du dossier que la liberté de mon client, à commencer par celle de se lever et partir, est atteinte, j’estime que le statut de garde à vue s’imposait, avec la notification des droits qui s’y attache et bien sûr la possibilité de les exercer. Je soulève une nullité fondée sur la violation des droits de la défense. J’estime que non seulement cela n’a rien d’aberrant de la part d’un avocat de la défense, mais qu’en plus ça mérite d’être discuté. Après tout, il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Salduz c. Turquie).

Et pour finir, une mise au point et une invitation.

La mise au point : on assiste depuis quelque jours à une contre-offensive médiatique sur le thème des pauvres policiers/gendarmes que personne n’aime alors qu’on est bien contents qu’ils soient là. Ça me paraissait pourtant clair depuis le début mais puisque les choses qui vont sans dire vont mieux en le disant ; les policiers ne sont pas visés par le combat mené pour réformer la garde à vue. Je respecte profondément les policiers qui sont à mes yeux des clients potentiels comme les autres. Exceptions faites de comportements individuels fautifs, qui sont très rares, les policiers ne font qu’appliquer la loi telle qu’interprétée par les directives et circulaires émises par leur hiérarchie. Ils les appliquent et seraient sanctionnés s’ils ne le faisaient pas. C’est à leur hiérarchie, et plus précisément à la hiérarchie de leur hiérarchie, en dernière analyse le législateur, que nous adressons nos reproches. La police est le bras armé de la République, et une police républicaine doit avant tout appliquer la loi de la République, quelles que soient les objections que je puis émettre sur la qualité de cette loi. La théorie des matraques intelligentes a ses limites : permettre à la police (au sens large) de ne pas appliquer un ordre manifestement illégal ne peut pas lui permettre de refuser d’appliquer la loi. Donc je l’absous de toute responsabilité dans l’état actuel du droit français, quand bien même elle le trouverait satisfaisant. Et j’ai particulièrement conscience des conditions dans lesquelles elle doit travailler. Et la préfecture de police en a conscience puisqu’elle ne donne des autorisations de filmer aux journalistes que dans le commissariat central du 20e arrondissement, qui vient d’être refait à neuf.

L’invitation : je serai cet après midi l’invité d’un chat du monde.fr sur le thème de la garde à vue. C’est de 15h30 à 16h00, c’est fort bref, donc si je ne puis garantir que votre question aura une réponse (mais les commentaires ici fonctionnent plutôt bien), si le sujet vous intéresse, la discussion continuera là bas, et les questions des autres peuvent aussi être intéressantes.

jeudi 11 février 2010

La chambre de l'instruction de Paris juge la garde à vue sans avocat conforme à la CEDH

Par un  arrêt du 9 février 2010, la chambre de l’instruction (pôle 7 chambre 5) a rejeté une requête en annulation de pièces d’une instruction qui se fondait sur la jurisprudence récente de la cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Son argumentation est intéressante, et mérite vraiment d’être attaquée par la voie d’un pourvoi en cassation, qui permettrait à la haute juridiction de trancher le débat en cours, et je l’espère dans un sens funeste à cet arrêt, dont je ne partage pas, et de loin, les conclusions.

En voici les passages pertinents. Mes commentaires sont en italique. Les passages importants sont graissés par votre serviteur. Le mot “cour” indiquera toujours la cour d’appel de Paris, la cour européenne des droits de l’homme sera désignée par son acronyme CEDH pour éviter toute confusion.


 

 

ARRÊT DU 9 Février 2010

 

 

COUR D’APPEL DE PARIS

 

PÔLE 7

 

CINQUIÈME CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

 

 

ARRÊT SUR REQUÊTE EN ANNULATION DE PIÈCES

 


 

 (…)

 

La cour commence par rejeter un argument tiré de la Résolution (73)5 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe édictant les règles minimales de traitement des détenus, en écartant tout bonnement le texte sans même l’examiner.  

 

            Considérant que les règles minimales édictées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe non reprises par une convention internationale n’ont pas de valeur juridique en tant que telles, et constituent de simples recommandations ;


Argument de pur droit, presque rien à redire. Si ce n’est que cette résolution a été prise dans le cadre du conflit d’Irlande du Nord et visait à émettre des directives à l’égard de l’armée britannique qui se livrait sur les militants pro-IRA à des actes de torture caractérisés. La cour d’appel estime donc qu’il n’y a pas à se demander si la France respecte ces “simples recommandations”. Il est permis de le regretter. le juge peut tout à fait s’inspirer de ces recommandations au moment d’interpréter et d’appliquer la loi. La CEDH ne se prive pas de tenir compte de ces recommandations : cf. arrêt Salduz, §55.


Autre argument écarté par la cour : les arrêts Salduz, Dayanan, et compagnie posent des principes applicables en France. Là, la position de la cour est pour le moins audacieuse. 

             Considérant qu’en application de l’article 46 de la Convention Européenne des droits de l’homme, seules les Hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour (Européenne de Strasbourg) dans les litiges auxquels elle sont parties, que tel n’est pas le cas en l’espèce des décisions citées  par la défense dans sa requête, sauf celle du 23 novembre 1993 Poitrimol c/ France, dont cependant  elle n’explicite pas  les termes pertinents et applicables en l’espèce ;

On retrouve ici un argument tenu par la Chancellerie : les arrêts Salduz et Dayanan concerneraient la Turquie et pas la France, donc ils ne sont pas pertinents. Le voir repris dans un arrêt de cour d’appel me chiffonne nettement plus, tant on sait que la CEDH applique les mêmes principes à tous les États membres. Il aurait suffit que la  cour d’appel lût l’arrêt Salduz pour voir ainsi que la CEDH invoque à l’appui de sa décision des arrêts qu’elle a antérieurement rendus contre la Suisse, la Bulgarie, le Royaume-Uni, l’Autriche et… la France. C’est un peu comme si la cour d’appel refusait d’appliquer la jurisprudence de la cour de cassation au motif que ses arrêts ne concerneraient que les parties en cause.

Quant au fait que la requête en annulation n’explicite pas les “termes pertinents et applicables en l’espèce” de ces décisions, je suis ravi d’éclairer la cour d’appel : c’est au §34 de l’arrêt que la CEDH dit que “Quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable.” Cette formule est reprise mot à mot dans l’arrêt Salduz au §51, en se référant expressément à l’arrêt Poitrimol. La cour dit donc clairement que ce dernier arrêt n’est qu’une application des principes du premier. La différence est que l’arrêt Poitrimol portait sur le droit à comparaître devant un tribunal, et Salduz sur l’assistance en garde à vue. Point sur lequel la CEDH précise : « À cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé ». Ça me paraît pourtant clair.


             Considérant que la défense, au soutien de sa requête se réfère essentiellement à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et plus spécialement aux dispositions de son alinéa 3, pour affirmer que la Convention a pour but de “protéger des droits non théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs”, et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance, elle en déduit que l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police, laquelle défense, admet  cependant que l’article 6 paragraphe 3 c) ne précise pas les conditions d’exercice du droit qu’il consacre, et concède que ce droit peut toutefois être soumis à des restrictions “pour des raisons valables”, dit-elle , sans citer les arrêts des 27 novembre 2008 (Arrêt Salduz) et 13 novembre 2009 (Arrêt Dayanan)de la Cour Européenne ;


            Considérant que X a été  placé en garde à vue, le 12 mai 2009 à 6h10, que cette garde à vue a été prolongée une première fois pour 24h00, le 12 mai à 23h05 et, à nouveau prolongée le même jour à 22h05, pour finalement être levée le 14 mai à 11h50, soit avant l’expiration du délai légal de 72 heures, heure au delà de laquelle, le droit à l’assistance d’un avocat pouvait être régulièrement exercé, conformément aux dispositions des articles 63, 63-4, 706-73 et 706-88 du code de procédure pénale ;

Nous étions donc dans le cadre d’une procédure dérogatoire, sans droit à l’avocat pendant trois jours. Comme précisément celle de l’arrêt Salduz.

 

            Considérant qu’il résulte de la lecture des procès verbaux de placement en garde à vue et de prolongation de cette mesure , que les droits du gardé à vue ont été notifiés régulièrement à X , conformément aux dispositions de l’article 64 du code de procédure pénale, et que celui-ci a pu régulièrement et effectivement  les  exercer , conformément à ses souhaits (avis à famille, examen médical) ;

 

            Considérant que le paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention Européenne des droits de l’homme dit:

 

« Tout accusé a droit notamment à:

« a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

« b)disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ,

« c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

« d)interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

                                                                                 

            Considérant que les dispositions actuelles du code de procédure pénale consacrent le principe que toute personne placée en garde à vue peut avoir accès à un avocat avec lequel elle peut s’entretenir, dès le début de cette mesure (article 63-4 et 154 du code de procédure pénale) , que l’effectivité de ce droit est réelle, l’avocat étant avisé de la nature et de la date des faits , cet entretien pouvant durer 30 minutes ,cette faculté étant renouvelée à chaque prolongation de la mesure ;

 Là, je m’étrangle en lisant ça. Et si la cour ne connaissait d’un dossier que la date et la nature des faits, s’estimerait-elle réellement et effectivement en état de juger ? Non, n’est-ce pas ? Alors comment un avocat dans cette situation est-il censé être en état d’assurer réellement et effectivement les droits de la défense ?


            Considérant que notre droit prévoit une intervention différée de l’avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour certaines infractions relevant de la criminalité organisée, du terrorisme, ou encore, comme en l’espèce, pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ensemble d’infractions estimées  d’une particulière gravité ;

 Comme le prévoyait le Code de procédure pénale turc. Qui a depuis été modifié pour être mis en conformité avec les droits de l’homme. 


            Considérant, ainsi que le concède la défense, que ces restrictions ne sont pas contraires à l’article 6 paraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et aux interprétations qu’en a fait la Cour Européenne de Strasbourg, qui admet les exceptions au principe de l’exercice du droit à un avocat, s’il est démontré, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ;

 Ah, pardon. Si en effet la cour dit bien que “Ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables”, c’est dans l’arrêt Salduz c. Turquie (§52), or la cour a dit plus haut que selon elle l’art. 46 de la Convention limitait l’effet de l’arrêt Salduz à la Turquie. Là aussi, il faudrait savoir. On ne peut pas dire qu’un arrêt s’applique à la Turquie quand il est favorable à la défense et à la France quand il soutient l’accusation. 


            Considérant que la participation à un trafic de stupéfiants constitue une infraction particulièrement grave de par ses conséquences, entre autres, sur la santé publique, de telle sorte que les restrictions temporaires instituées poursuivent une préoccupation légitime, apparaissent proportionnées à l’objectif social, tel que voulu par le législateur ; et ne se montrent   pas contraire au principe du procès équitable;

Pour ma part, j’ai tendance à penser que le meurtre a plus d’impact sur la santé publique que la toxicomanie, mais je ne suis pas médecin ni conseiller de cour d’appel. Puisque je ne suis que juriste, une question de droit : en quoi la gravité des conséquences d’une infraction justifierait-elle une restriction des droits de la défense ? Jamais la cour européenne des droits de l’homme n’a dit une telle chose, qui permet d’écarter la garantie des droits de la défense pour toutes les infractions graves, ne laissant le droit à un avocat qu’aux peccadilles et délits mineurs. C’est à dire en fait à toutes les infractions qui ne sont jamais soumises à une chambre de l’instruction. 

 

            Considérant enfin qu’en l’espèce, la mise en examen de  X n’a pas été uniquement fondée à partir de ses déclarations faites en garde à vue, mais aussi au regard d’autres indices graves ou concordants, tels les interceptions téléphoniques, les résultats positifs des perquisitions et les déclarations des autres protagonistes, que dès lors le requérant , qui n’encourt pas le risque d’être condamné au vu de ses seules déclarations initiales recueillies en garde à vue, pourra bénéficier d’un procès équitable ;

Fort bien, il y a d’autres éléments à l’appui de l’accusation. En quoi cela dispenserait-il d’annuler les déclarations obtenues en garde à vue ? Que la cour les annule, et on verra si le tribunal correctionnel trouvera dans ce qui reste de quoi fonder une condamnation. La Convention européenne des droits de l’homme n’est pas censée ne s’appliquer qu’aux accusés dont l’innocence est établie. 

 

            Considérant en conséquence que l’ensemble des droits et règles régissant la garde à vue ont été en l’espèce respectés, que les procès verbaux y afférent comme toutes pièces de la procédure subséquentes sont réguliers, que la requête en nullité sera rejetée dans son intégralité, et que la procédure , qui n’est pas entachée d’autres irrégularités , est régulière jusqu’à la cote D2958 ; (…)


 Cet arrêt de la cour d’appel est intéressant, car il a eu la vertu de renforcer ma conviction sur la non conformité du droit français, particulièrement les procédures dérogatoires, à la Convention européenne des droits de l’homme. Quand on voit l’argumentation déployée par la cour, qui est contradictoire en ce qu’elle écarte des arrêts de la CEDH qui ne concerneraient pas la France avant de les invoquer quand ils disent qu’ils admettent des exceptions, et se prononce sur la pertinence de ces exceptions par des motifs généraux et vagues quand la CEDH exige pour admettre des exceptions des justifications fondées sur les circonstances particulières de l’espèce. 

Qu’une cause soit si mal défendue révèle qu’elle est perdue. J’espère que mon confrère va se pourvoir en cassation et l’encourage vivement à le faire. 

Et si le salut ne venait pas du Quai de l’Horloge, Strasbourg est si belle au printemps.

mardi 9 février 2010

14 ans, en garde à vue en pyjama

France Info, décidément à la pointe sur la question de la garde à vue (c’est le chef de son service police-justice, Matthieu Aron, qui a révélé que les statistiques officielles étaient grossièrement maquillées à la baisse en ignorant les gardes à vue pour délits routiers, au nombre de 200.000), sort une nouvelle info aujourd’hui. C’est une info anecdotique, un cas individuel, mais qui selon les responsables de la radio d’information est révélateur de la dérive actuelle.

Une jeune fille âgée de 14 ans, Anne (je ne sais si c’est son vrai prénom) aurait, à la suite d’une bagarre à la sortie de son collège à Paris dans le XXe arrondissement, dans laquelle elle aurait été impliquée (pour tenter de séparer les belligérants dit la demoiselle) été interpelée à son domicile, au saut du lit, à 10h30 (rappel : c’est une adolescente, 10h30, c’est l’aube, pour eux), et conduite “en pyjama” et menottée au commissariat, où elle est restée 8 heures en garde à vue, avant d’être remise en liberté dans l’attente d’une convocation devant le juge des enfants.

Son récit peut être entendu sur cette page (cliquez sur “Récit d’une garde à vue en pyjama à 14 ans Par Grégory Philipps”, Flash® nécessaire).

Un responsable syndical de Synergie, interviewé sur l’antenne (toujours sur cette page, cliquez sur ” La version de Anne, démentie par Mohammed Douhane, commandant de police et membre du syndicat d’officiers de police Synergie”) il y a une heure environ a démenti les propos de la jeune fille. Quand bien même il était étranger à cette procédure, il dit avoir interrogé ses collègues, qui ont nié qu’elle était en pyjama mais ont reconnu qu’elle était dans une sorte de jogging qu’elle portait lorsqu’elle dormait (ce qui pour moi correspond assez bien à la définition de pyjama, mais je ne suis pas policier), qu’elle ait été menotté à un quelconque moment, ont affirmé que la procédure avait été scrupuleusement respectée (elle a pu voir un avocat et a été vue par un médecin comme c’est obligatoire) et que d’ailleurs, la jeune fille avait avoué sa participation aux violences, et était convoquée pour être jugée.

Tout cela appelle un commentaire de ma part.

Sur le pyjama : Il est parfaitement possible que si le policier a estimé que son jogging était un vêtement suffisant, il ait décidé de la conduire ainsi au commissariat. Qu’une personne interpellée ait besoin de s’habiller est un cas fréquent, les interpellations ayant souvent lieu à 6 heures, heure légale, pour être sûr que la personne sera chez elle et endormie, mais dans ce cas elle doit rester sous la surveillance constante d’un policier. Encore faut-il, dans le cas d’une jeune fille, que du personnel féminin soit présent. Si tel n’était pas le cas, il ne serait absolument pas étonnant que le policiers en charge de l’interpellation ait estimé que son jogging était parfait pour une garde à vue. Il va de soi que le simple fait de se coiffer est exclu. Le désaccord sera donc ici de vocabulaire : la jeune fille parle de pyjama, le policier de jogging. Admettons qu’il est acquis qu’elle n’était pas en robe de nuit.

Sur les menottes : Je ne crois pas une seule seconde que cette jeune fille n’ait à aucun moment été menottée. Le menottage est systématique, même sur les mineurs, lors du transport, et ce en violation de la loi. Les officiers de police judiciaire (OPJ) appliquent la loi de l’emmerdement minimum : si un gardé à vue s’enfuit, se blesse ou blesse quelqu’un alors qu’il n’était pas menotté, c’est de la faute de l’OPJ. Donc dans le doute, on menotte tout le monde. Ça fait gueuler les avocats, mais où irait une République qui accorderait de la considération à ce que disent les avocats, comme on dit à Téhéran ? Et puis là, les policiers ont un prétexte en or : elle est mise en cause dans une affaire de violences volontaires, donc elle est susceptible d’être violente, hop, les pinces. La seule exception est pour les très jeunes enfants (genre 10 ou 6 ans), mais là c’est parce que les poignets sont trop petits.

Sur le respect de la procédure : j’accorde très volontiers le bénéfice du doute à la police. Rien dans ce récit ne me permet de subodorer que le code de procédure pénale n’a pas été respecté. Tout ceci est parfaitement conforme à la loi en France. C’est bien là le problème. Mais il n’est pas de la responsabilité de la police de le résoudre, c’est au législateur de prendre ses responsabilités. Je vais attendre assis, si ça ne vous dérange pas.

Sur ses aveux : 14 ans, réveillée par la police qui l’arrête conduite en pyjama-jogging au commissariat, entendue pendant huit heures, sans la possibilité d’être assistée par un avocat qui aurait accès au dossier. Ça c’est de la preuve solide et irréfutable, largement suffisante pour dès 14 ans lui coller un casier judiciaire. J’espère que mon confrère Jean-Yves Halimi qui est saisi de ce dossier obtiendra la nullité de cette garde à vue qui colle parfaitement à l’arrêt Dayanan.

Et pour finir, une réflexion plus générale.

Nous sommes à la veille d’une réforme du droit pénal des mineurs. L’UMP, sur son site, prépare le terrain et appelle “à la fin de l’angélisme”.

Coïncidence ? Depuis début janvier, je n’ai jamais eu autant de garde à vue de mineurs. C’est peut-être les hasards de la commission d’office, donc je demande à mes confrères qui assurent les permanences, qu’en est-il de votre côté ?

Parce que non seulement on dirait qu’elles explosent, mais c’est pour des faits parfois hallucinants. Une jeune fille de 15 ans, sans casier, en garde à vue pour avoir tenté de voler une paire de chaussures en solde (40€ chez Monoprix, donc 20 € partout ailleurs ; je rappelle que ma venue a coûté 63€ au contribuable) ; un jeune homme de 15 ans, sans casier non plus, en garde à vue pour avoir fait un croc-en-jambe à un camarade à la sortie du collège. Sur ce dernier, quand l’OPJ m’a dit ça, j’ai demandé de combien était l’incapacité totale de travail de la victime : je m’attendais à une fracture ou un trauma crânien. Non, rien, elle est ressortie de l’hôpital au bout de 10 mn, pas un jour d’ITT. J’indique mon incompréhension : violences volontaires sans ITT, c’est une contravention de 4e classe, 750€ d’amende max, bref, c’est aussi grave que porter une burqa, mais ça ne justifie par une garde à vue faute de prison encourue. Réponse du policier : mais la victime est mineure de 15 ans puisque c’est un camarade de classe qui n’a pas encore fêté son anniversaire, et les faits ont eu lieu à proximité d’un établissement d’enseignement : deux circonstances aggravantes, donc cinq ans encourus, art. 222-13, 1° et 11° du Code pénal. Avis à la population : désormais, bousculer un camarade dans la cour de récréation, c’est deux heures de colle ET cinq ans de prison.

Donc, il y aurait eu des consignes pour mettre le paquet sur les gardes à vue des mineurs au nom des objectifs chiffrés que ça ne m’étonnerait pas. Ça y ressemble.

Ce qui aura pour effet mécanique et mathématique d’augmenter les chiffres des gardes à vue de mineurs et de délinquance des mineurs.

Je parie donc une bouteille de champagne contre une boîte de petits pois que quand le gouvernement sortira sa réforme de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, on aura un beau communiqué nous disant : regardez, la délinquance des mineurs explose, +30% sur le premier semestre, vite, vite, il faut voter une loi donnant à la justice les moyens de taper plus fort, car c’est en cognant nos enfants et en ayant peur d’eux que nous construirons la France de demain.

Voilà ce que révèle cette affaire, au-delà de l’anecdotique. Merci à France Info d’en avoir parlé.

samedi 6 février 2010

Cinq gardes à vue annulées par le tribunal correctionnel de Paris

C’est la radio France Info qui sort l’information : le 28 janvier, le tribunal correctionnel de Paris, suivant en cela l’exemple donné par les excellents quoique situés du mauvais côté du périphérique tribunaux de Nancy et Bobigny, a annulé d’un coup cinq gardes à vue pour violation de la convention européenne des droits de l’homme.

Les extraits du jugement cité sur France Info sont éloquents, le tribunal ne pouvait pas être plus clair :

”(…) Cet entretien de trente minutes ne correspond manifestement pas aux exigences européennesL’avocat ne peut remplir les différentes tâches qui sont le propre de son métier et dont quelques unes sont rappelées et énumérées par les arrêts récents de la Cour européenne.

Il lui est impossible de “discuter de l’affaire” dont il ne sait rien si ce n’est la date des faits et la nature de l’infraction retenue et ce que la personne gardée à vue (simplement informée de la “nature de l’infraction”, article 63-1 [du Code de procédure pénale]) peut en savoir elle-même.

Il lui est impossible “d’organiser la défense” dans la mesure où il ignore quels sont les “raisons plausibles” de soupçons retenus par l’officier de police judiciaire pour décider de la garde à vue.

La “recherche de preuves favorables à l’accusé” ne peut être qu’extrêmement aléatoire faute de savoir quelles sont les preuves défavorables et les circonstances de l’affaire.

Il en va de même de la préparation des interrogatoires auxquels il ne peut de toutes façons pas participer. Cette mission de spectateur impuissant est d’autant plus préjudiciable que la garde à vue constitue une atteinte majeure à la liberté individuelle, majorée par ses conditions matérielles et sa fréquence.

Il appartient au juge français dont la mission essentielle, énoncée par la Constitution, est d’être la gardienne de la liberté individuelle, de faire respecter les principes du procès équitable, notamment dans cette composante essentielle que sont les droits de la défense.

Il lui appartient également de faire prévaloir la Convention européenne, d’application directe en droit national. (…)”

Quelqu’un pourrait-il me donner les références de ce jugement, dont je ne connais que la date ? Quelle chambre l’a-t-elle rendu ? Je parierais sur la 12e, mais Dieu merci nous n’avons pas qu’un seul vice-président éclairé au tribunal.

J’ai hâte de connaître la réaction de Guillaume Didier, porte-parle de Garde des Sceaux, établissement fondé en 2007, à ce jugement. A-t-il été frappé d’un appel automatique par le parquet ? 

Je mène l’enquête, mais après avoir fini ma coupe de champagne.

mercredi 27 janvier 2010

Prix Busiris pour Éric Besson

Je serais Rachida Dati, je me ferais du souci pour mon record (et accessoirement, pour ma prestation de serment, mais passons) car nous avons avec Éric Besson de la graine de champion.

Portrait d'Éric Besson, dont la tête penche légèrement à droite. Photo ministère de l'Oriflamme et des Sarrasins.

C’est par une ordonnance rendue ce jour que le président de l’Académie a décerné le prix sans qu’il soit besoin de réunir une formation de jugement, tant il était manifestement mérité.

Les propos primés ont été tenus à Libération (papier signé “service Société”). Chaque réponse est un véritable bijou. Je vais donc devoir citer la totalité de l’article, je compte sur la compréhension du Service Société de Libération.

Les questions de Libération sont en caractères gras.

Début de citation.

Pour la première fois, le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) vous met en garde et exige que les réfugiés kurdes puissent bénéficier d’un examen complet de leur situation.

Le HCR n’a pas mis en garde la France. Il lui a demandé que chacune de ces personnes puisse bénéficier d’un examen individuel de sa situation, ce qui est le cas. La France respecte l’ensemble des demandes du HCR.

Mes lecteurs reconnaîtront d’entrée de jeu la technique dite de la négation des faits qui dérangent.

Voyons le communiqué du HCR (je graisse) :

Le HCR appelle les autorités françaises à s’assurer que toutes les personnes sollicitant la protection de la France puissent accéder à une procédure d’asile leur permettant de bénéficier d’un examen complet et équitable de leur demande assorti de la possibilité de présenter un recours suspensif en cas de décision négative. (…)

Tout en reconnaissant que les contrôles aux frontières sont essentiels pour combattre, notamment, la criminalité internationale, y compris la traîte d’êtres humains, le HCR souligne combien il est important que des mesures pratiques soient adoptées et mises en oeuvre permettant d’identifier les personnes ayant besoin d’une protection internationale afin que ces contrôles n’aboutissent pas à l’expulsion de réfugiés vers leur pays d’origine où leur vie ou leur liberté, pourraient être en danger.

Comme le soulève à juste titre Libé, ce communiqué est une première. Le HCR n’a pas l’habitude de publier des communiqués édictant des évidences. Et il y a bien mise en garde dans le second paragraphe : “Attention à ne pas prendre de décision d’expulsion à la légère”. Éric Besson dit que c’est ce qu’a fait la France : mes lecteurs supputent aussitôt qu’il n’en est donc rien. Ils ont raison, bien sûr.

En les orientant en rétention, l’examen de leur situation sera fait en urgence dans un délai de cinq jours au lieu de vingt et un…

Petite erreur de Libé : pas cinq jours, quatre, au lieu de quinze et non vingt et un. Et pas quatre jours, mais 96 heures exactement (ça ne se compute pas de la même façon). Pour les autres demandeurs, il n’y a pas de délai, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) traite le dossier en 3-4 mois (source : rapport d’activité 2008 de l’OFPRA, p. 32); toutefois le préfet qui reçoit la demande peut décider que le dossier devra être traité prioritairement en 15 jours. L’OFPRA n’a pas son mot à dire. Art. R. 723-3 du Code de l’Entrée et du Séjour et du Droit d’Asile (CESEDA). L’abus de ces procédures prioritaires est une plaie, mais le juge administratif y a récemment mis le hola. On y reviendra. Écoutons le lauréat.

L’examen de chaque situation individuelle a commencé dès le début de la procédure, à Bonifacio, puis dans les centres de rétention administrative. Par ailleurs, les personnes qui déposeront une demande d’asile en préfecture verront cette demande instruite par l’Ofpra en procédure normale, et non en procédure accélérée comme le prétendent certains.

Voici le cœur des propos qui entraînent le Busiris.

C’est extraordinaire. Éric Besson ose affirmer que, conformément à la demande du HCR, chaque situation individuelle sera examinée alors que les 147 kurdes ont été placés en centre de rétention.

Or pour entrer en centre de rétention, il faut obligatoirement un sésame préalable dont la liste est à l’article L.551-1 du CESEDA : ici c’est le 3° : un arrêté de reconduite frappant un étranger ne pouvant quitter le territoire immédiatement. Donc face au HCR qui lui dit : “attention, examinez bien chaque situation individuelle, de peur de renvoyer à la mort un vrai réfugié”, Éric Besson répond : “mais bien sûr, à présent que j’ai ordonné qu’ils soient renvoyés dans leur pays d’origine, on va pouvoir examiner chaque situation individuelle”. Et il le fait sans se marrer, notez bien.

Franchement, je vous le demande, contre quoi le HCR pourrait-il avoir envie de mettre en garde la France ?

Le festival continue.

Pourquoi ne pas avoir dirigé les réfugiés vers un centre d’accueil plutôt qu’en rétention ?

La loi prévoit en effet que les demandeurs d’asile peuvent être accueillis dans des Cendre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA, prononcer kada), gérés par des associations agréées.

Nous ne disposions pas immédiatement de 124 places adaptées dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile. Il n’était pas possible de faire attendre ces 124 personnes, avec des familles, des femmes enceintes et des enfants en bas âge, dans un gymnase.

Ben oui, les gymnases, c’est fait pour vacciner. Là attention, on touche au pinacle :

Et en les accueillant dans les centres de rétention, ces personnes ont pu immédiatement bénéficier d’un examen médical complet, des services d’un interprète, d’un accompagnement dans l’exercice de leurs droits et d’un hébergement adapté. Ce placement a aussi permis aux services de police et de gendarmerie de poursuivre leurs auditions dans le cadre de l’enquête judiciaire contre la filière clandestine.

J’adore le “en les accueillant dans les centres de rétention”. Ou comment faire passer une prison pour un hôtel. Un centre de rétention n’est qu’une chose : une salle d’attente avant l’embarquement. Certainement pas un point d’accueil. C’est la police aux frontières qui les garde, et les gentils membres n’ont pas le droit de sortir. Et on apprend au passage que “l’examen individuel” de chaque situation est en réalité une audition comme témoin dans une enquête judiciaire contre un réseau de passeurs.

Le placement en rétention d’enfants a été plusieurs fois sanctionné par la justice.

Aucun enfant n’a jamais été placé seul en centre de rétention.

C’est plus un festival, c’est une bacchanale ! Encore heureux qu’aucun enfant n’ait jamais été placé seul en centre de rétention, puisque seul un étranger en situation irrégulière peut être placé en centre de rétention ; or un mineur ne peut pas être en situation irrégulière, seuls les majeurs étant tenus d’avoir une autorisation de séjour. Placer un mineur seul en centre de rétention constituerait le crime de séquestration arbitraire.

Le placement de familles est en revanche parfaitement autorisé, en application de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant est de rester avec sa famille.

Un groupe de policier escorte une famille avec trois enfants après une audience de reconduite à la frontière au tribunal administratif de Cergy Pontoise. Photo :  AFP/Jack Guez Absolument. C’est l’argument invoqué par l’administration pour placer des enfants, parfois des nouveaux nés en centre de rétention : ce serait inhumain de séparer les familles. En négligeant le fait que les familles n’ont rien demandé et ne font de tort à personne, et qu’on pourrait leur foutre la paix, ce qui est une solution économique et respectueuse de la Convention internationale des droits de l’enfant. Malheureusement, le juge administratif valide ce point de vue.

Et une pierre dans le jardin de la gauche :

C’est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin a décidé d’aménager des espaces dédiés aux familles dans les centres de rétention. Et il a bien fait.

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Si les juges des libertés et de la détention décident de libérer tous les Kurdes, les orienterez-vous vers un centre d’accueil ? (C’était avant que les JLD ne libèrent TOUS les Kurdes en constatant l’illégalité de la procédure, NDLR)

Les dispositions ont été prises pour que les migrants amenés à quitter les centres de rétention soient immédiatement pris en charge par les services de l’Etat et qu’un hébergement leur soit proposé, en partenariat avec la Croix-Rouge.

Ah, donc une solution alternative au placement en centre de rétention était possible, finalement ?

Dans l’affaire des Afghans de Calais, le Conseil d’Etat a estimé que vous aviez porté une atteinte illégale et grave au droit d’asile.

Il y a des moments où Éric Besson ne peut plus nier la réalité.

Le Conseil d’Etat a effectivement jugé que pour les personnes interpellées lors du démantèlement de la «jungle» en septembre 2009, les demandes d’asile ne pouvaient pas être traitées selon la procédure accélérée. C’est pourquoi j’ai indiqué que les personnes interpellées en Corse, le 23 janvier, qui déposeront une demande d’asile en préfecture verront cette demande instruite en procédure normale, et non en procédure accélérée.

On dit prioritaire, pas accélérée. Mais là encore, c’est superbe : ceux qui déposeront une demande en préfecture verront leur dossier examiné selon la procédure de droit commun comme l’exige la loi. L’homme qui vous dit ça a juste avant pris la décision de placer en centre de rétention TOUS les demandeurs d’asile potentiel, s’assurant ainsi qu’aucun ne pourra déposer sa demande en préfecture. Ainsi, leur éventuelle demande ne sera pas traitée en 15 jours, selon la procédure prioritaire qui serait illégale, mais en… 96 heures, selon la procédure applicable en rétention. Elle est pas belle, la vie ?

Rappelons le piteux épilogue à cette ignominie nationale : les juges des libertés et de la détention ont découvert avec stupeur que les arrêtés de reconduite à la frontière ont été notifiés sans placement préalable en garde à vue, ce qui est complètement illégal, et ont remis en liberté tous les Kurdes concernés. Afin d’éviter de se faire bananer autant e fois devant le tribunal administratif (avec à chaque fois au moins 500 euros à payer en frais d’avocat), le ministre de l’immigration et de l’incompétence a rapporté, c’est à dire abrogé rétroactivement ses cent vint et quelques arrêtés. Sa tentative de les renvoyer vite fait en Syrie a avorté. Tiens ? C’était pas contre cette tentative éventuelle que le HCR avait mis la France en garde ?

L’ensemble de ces propos est donc logiquement récompensé d’un troisième prix Busiris, sous les yeux abondamment mouillés de larmes de Marianne.

Je vous laisse, je vais débattre de l’identité nationale avec mon préfet.

mardi 19 janvier 2010

Du rififi à la cour de cassation

La semaine dernière s’est tenue la rentrée solennelle de la cour de cassation. Sub lege libertas a expliqué en quoi consiste cette formalité obligatoire, celle de la cour de cassation étant bien entendue la plus importante par son prestige : le président de la République y est invité et vient de temps en temps annoncer au Parlement les réformes qu’il va décider de voter, et le garde des Sceaux est presque toujours présent. Cette année, le premier ministre avait fait le déplacement.

C’est d’ordinaire un moment ronronnant d’amabilités consensuelles et de congratulations co-respectives, où la Cour accueille ses nouveaux membres (on dit “les installe”) et fait le bilan de l’année écoulée. On s’y ennuie ferme (c’est à l’occasion d’une telle audience solennelle que le président de la République a lancé sa formule des “petits pois”), et le président de Harlay aurait pu lancer sa célèbre formule : “Si ces messieurs qui parlent voulaient bien ne pas faire plus de bruit que ces messieurs qui dorment, cela permettrait peut-être à ces messieurs qui écoutent d’entendre”.

Mais cette année, le mécanisme a connu des couinements inattendus et de ce fait réjouissants.

L’audience commence par un discours du premier président, qui après une brève introduction, cède la parole au procureur général, qui demande au premier président d’installer les nouveaux venus, ce qu’il fait après avoir vanté leurs mérites, puis reprend la parole pour son bilan de l’année passée. Le premier président reprend la parole et termine ensuite son discours.

Cette année, la cour accueillait trois nouveaux présidents de chambres nommés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Si le Conseil nomme au rang de président de chambre, c’est le premier président qui décide qui va où. Mais le premier président siégeant au CSM, il n’y a pas de suspens. Ainsi, Jacques Mouton, avocat général à la cour de cassation depuis sept ans, affecté au parquet de la chambre criminelle, après toute une carrière passée au parquet, était censé prendre la présidence de la chambre criminelle de la cour, celle qui juge les pourvois en matière pénale. À tel point que le procureur général s’est permis dans son discours de féliciter par avance ses futurs collègues.

M. Jacques Mouton, M. Christian Charruault, M. Dominique Loriferne, si nos usages et nos traditions confient à Monsieur le Premier président, le soin de rappeler vos mérites éminents que le Conseil supérieur de la magistrature a distingués, je tiens toutefois ici à vous adresser, avec le parquet général de cette Cour, mes plus chaleureuses félicitations pour votre nomination aux prestigieuses fonctions de président de Chambre. Vos parcours, marqués par l’excellence, sont différents. Pour vous, Christian Charruault et Dominique Loriferne, ils sont enracinés dans la fonction de juge, que vous incarnez avec éclat. Pour vous, Jacques Mouton, c’est dans l’exigente culture parquetière, jusqu’au ministère public de cette Cour, que vous avez forgé votre identité de magistrat, votre science du droit et de la procédure pénale. Nul ne doute que vous réussirez, chacun, pleinement, dans l’exercice de ces belles et passionnantes fonctions de président, menée avant vous, avec talent, par Messieurs Pierre Bargue, Jean-Louis Gillet et Hervé Pelletier, qui cèdent aujourd’hui leur place et à qui je rends également hommage en cet instant.

Mal lui en prit.

Car, si le premier président rappela bien les mérites des nouveaux présidents, après avoir fait lire le décret de nomination par le directeur de greffe de la Cour, il annonça :

Par ordonnance de ce jour :
- M. Christian Charruault est affecté à la présidence de la Première chambre ;
- M. Dominique Loriferne, à celle de la 2e chambre ;
- M. Jacques Mouton, à la direction du service de documentation, des études et du rapport, M. Bertrand Louvel prenant la présidence de la chambre criminelle.

Petit tour de passe-passe : le presidentus designatus de la chambre criminelle va à la Documentation, et le directeur de la documentation devient président de la chambre criminelle. D’après mes taupes, personne ou presque n’était au courant.

Pourquoi ce pronunciamiento ? Il ne saurait s’agir d’une sanction pour Jacques Mouton, magistrat très estimé par ailleurs, et aux mérites certains. La seule explication qui me vienne est que Jacques Mouton est un pur parquetier : il n’a jamais occupé de fonction de juge (on dit “au siège”, les juges étant assis quand ils parlent), et cette fonction de président de la chambre criminelle aurait été ses premières fonctions à ce poste. Tandis que Bertrand Louvel, lui, est au contraire un pur magistrat du siège, très réputé pour son indépendance d’esprit. D’un côté, un magistrat qui n’a jamais été indépendant dans ses fonctions de par leur nature, de l’autre, un électron libre. C’est le second qui va présider la chambre criminelle. Sans exagérer l’influence d’un président sur l’orientation de la jurisprudence (elle existe mais le président ne fait pas la pluie et le beau temps Quai de l’Horloge), il y a là un message, peut-être un avant-goût des conséquences de l’arrêt Medvedyev de la grande chambre de la cour européenne des droits de l’homme (mais si, vous savez, l’affaire du ”Winner”) attendu dans les semaines qui viennent ? En tout cas, un coup de théâtre à la cour de cassation étant aussi rare qu’un visage sans Botox dans le 16e arrondissement, je me réjouis de ce petit vent de liberté qui a soufflé quai de l’Horloge.

Mais ce ne fut pas le seul.

Remis de sa surprise, le procureur général reprit le fil de son discours. Et il ne fut pas en reste. C’est à la réforme de la procédure pénale en cours qu’il s’en prit. Annoncée dans le même lieux un an plus tôt devant le premier président par le président premier, les hauts magistrats n’avaient pas pu réagir. Mais telle la mule du pape qui retient son coup (avec cette précaution de ne pas attendre sept ans, louable prudence quand on a l’âge d’être à la cour de cassation) pour mieux le donner, le procureur général a illustré que même aux audiences solennelles, la parole du ministère public est libre. Il parla ainsi du projet de suppression du juge d’instruction (comme il le rappelle trèsjudicieusement : du juge d’instruction et non de l’instruction elle même, confiée au parquet.

Rappelons d’abord qu’au soutien de la suppression de la juridiction d’instruction, le principal argument, depuis longtemps présenté comme irréfutable, est qu’on ne saurait, comme la loi l’impose actuellement, instruire à charge et à décharge. Cet argument, la Commission Léger l’a repris à son compte en soulignant que le juge d’instruction, depuis sa naissance, vit toujours dans l’ambiguïté de sa double fonction. Mais elle a aussi balayé cet argument pour faire peser sur le parquet cette même obligation d’instruire à charge et à décharge. Ne faut-il donc pas craindre que l’ambiguïté, si elle existe, ne soit simplement transférée ?

Loin de moi cependant l’idée que l’institution ne doit pas évoluer. Je crois pour ma part, avec la Commission Léger, que le juge d’instruction du XXIème siècle n’a plus rien de commun avec le magistrat né, voici deux siècles, du code d’instruction criminelle, au point qu’il est légitime de reconsidérer la fonction. Je dis bien la fonction puisque c’est du juge qu’il s’agit et non de l’instruction dont personne n’envisage la disparition. Or, comparé à son lointain collègue du début du XIXème siècle, ce juge qui était peut-être, selon Balzac, l’homme le plus puissant de France, n’est-il pas aujourd’hui surtout le plus seul, voire le plus isolé ?

Solitude face à la complexité d’un code de procédure pénale toujours plus dense, au point qu’il réunit plusieurs codes en un seul, au point aussi qu’il génère la crainte récurrente de commettre une nullité à chaque pas et, partant, expose le juge au risque de détourner son attention vers des exigences purement formelles. Solitude face à une défense parfaitement en droit de s’organiser collégialement avec le souci légitime de ne laisser passer aucune des erreurs de procédure que le juge pourrait commettre ou laisser passer.

Solitude face aux médias dont l’irruption dans le procès pénal, aussi sacrée que soit la liberté d’informer, n’est pas toujours sans incidence sur le déroulement d’une procédure. Solitude face à l’opinion, curieuse et prompte à s’émouvoir, voire à s’enflammer, mais peu à même de comprendre la chose juridique. Solitude enfin, il faut bien le dire, face au ministère public, maître de la saisine du juge, au point que celle-ci est devenue résiduelle. Si la collégialité est une force, nul doute que celle-ci se trouve aujourd’hui du côté des parquets, structurellement organisés pour répondre aux pressions que je viens d’évoquer.

Et même si la qualité, la compétence et le dévouement des juges d’instruction ne sont pas en cause, n’est-il pas temps de considérer les mesures à envisager pour que soit toujours assurée la qualité de la justice à laquelle sont en droit de prétendre nos concitoyens ? Et si cette qualité exige maintenant une répartition différente des responsabilités, si elle se trouve du côté d’un élargissement des pouvoirs du parquet et d’un renforcement du contrôle par le juge, alors pourquoi ne pas l’envisager ? C’est ce qui me conduit à dire que le rapport Léger va dans la bonne direction.

in cauda venenum :

Encore faut-il être certain que la réforme, dont ne sont actuellement dessinés que les contours, franchira les obstacles dressés sur un parcours loin d’être achevé. Je veux parler, bien sûr, d’obstacles juridiques, même si le premier d’entre eux est aussi de nature politique, puisqu’il s’agit du statut du ministère public.

Je me garderai bien évidemment, depuis ce siège, de porter la moindre appréciation à cet égard. Ce n’est pas mon domaine. Mais si l’on regarde la chose d’un point de vue strictement juridique, ne faut-il pas s’inquiéter de la conformité aux principes constitutionnels qui nous gouvernent des pouvoirs nécessairement renforcés d’un parquet en charge de l’instruction des affaires pénales?

C’est que, contrairement à bien des idées reçues, la Constitution ne place pas explicitement, en son article 64, le ministère public parmi les composantes de l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle. C’est une difficulté que le Conseil constitutionnel a heureusement résolue par une jurisprudence jamais démentie jusqu’à ce jour, en jugeant le 11 août 1993 que “l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet”.

Mais que savons nous de la pérennité de cette analyse appliquée à un parquet en charge exclusive de l’instruction des affaires pénales ?

Le Conseil constitutionnel se montre en effet plus que vigilant à l’égard du contrôle et de la direction d’actes susceptibles d’entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle, actes dont l’initiative pourrait revenir au seul parquet. Et ne faut-il pas aussi s’attendre, dans cette nouvelle configuration, à voir se durcir la jurisprudence, certes indirecte et non définitive, par laquelle le juge de Strasbourg en vient à contester au parquet actuel le statut d’autorité judiciaire?

À ce stade du discours, le président du Conseil constitutionnel, présent dans la salle, a redemandé un verre de petit lait.

L’obstacle ici, n’est plus politique mais bien juridique et, pour ce qui me concerne, sauf à éloigner le ministère public du statut de la magistrature, ce que ne propose heureusement pas le rapport Léger, je ne vois pas comment il sera franchi sans que soit, tôt ou tard, reconsidéré le statut du parquet, sous peine de laisser perdurer une contradiction majeure dont la validation constitutionnelle et européenne paraît bien problématique.

L’arrêt Medvedev, toujours, qui annonce un coup de tonnerre dans le ciel juridictionnel français.

Mon souhait est que les paroles du Premier président Aydalot ne prennent pas une dimension prophétique quand, il y a maintenant quarante années, il s’inquiétait ici même de voir “le parquet rejeté dans les ténèbres extérieures”.

Un second obstacle se dessine, tout aussi difficile. Notre pays a connu, depuis le plus que centenaire arrêt Laurent-Athalin[1] jusqu’aux dernières lois renforçant les droits des victimes, une évolution favorable à ces dernières, dont la place dans le procès pénal, il faut bien le dire, n’a pas toujours été à la hauteur de leurs légitimes aspirations. Nul ne sait vraiment par quelle institution, par quelle procédure, ce droit ne subira aucune régression dès lors que, par définition, avec la suppression du juge d’instruction, disparaîtra la possibilité de mettre en mouvement l’action publique par le moyen d’une constitution de partie civile devant lui.

Le rapport Léger propose que le juge de l’enquête et des libertés ordonne au parquet d’enquêter sur les faits que lui dénoncerait une victime mais dont il aurait refusé de se saisir. Je ne vois pas comment ce dispositif pourrait, ne serait-ce qu’en termes d’apparence, constituer un substitut valable à l’actuelle constitution de partie civile devant le juge d’instruction.

Et voici le moment de la charge sabre au clair :

L’injonction de faire donnée par le juge au parquet qui ne voudrait pas faire paraît à cet égard bien illusoire. Quels seront les droits effectifs de la victime face à un refus de déférer à une telle injonction ? Et surtout, ce qui est pire, quels seront ses droits face à un parquet qui, sans opposer de refus explicite d’instruire, pourra, même sans faire volontairement preuve d’inertie, opposer qu’il est saisi de quelques dizaines ou centaines de milliers d’affaires ? Je suis en tout cas bien obligé de dire, sur ce point, ma totale incapacité, aujourd’hui, à suggérer le dispositif qui pourrait constituer ce substitut valable sans recourir à ce qui ressemblerait à un rétablissement de la juridiction d’instruction, sauf à amoindrir les droits des victimes, ce que personne n’envisage.

Admirez l’habileté consistant à dire “je suis d’accord avec le rapport léger qui reprend servilement la pensée présidentielle va dans la bonne direction ; mais le fait est qu’il dit n’importe quoi”.

Ce n’est pas encore la révolte des petits pois, mais après les récits désabusés de magistrats de province racontant comment les chefs de juridiction ont souvent tout fait pour neutraliser les velléités de protestation des magistrats à l’occasion des audiences solennelles (voir ce billet de Justicier Ordinaire par exemple), le fait que les plus hauts magistrats montrent l’exemple de l’indocilité, même si ça reste mesuré et que parvenu à ce niveau, ils ne risquent plus rien, permettez-moi de trouver une petite odeur de printemps dans cette brise qui souffle sur les bords de Seine.


Le discours du premier président Lamanda. Le discours du procureur général Nadal.

Notes

[1] Crim. 8 déc. 1906, Bull. n° 443 : c’est l’arrêt qui, bien avant la loi, a consacré le droit de la victime de mettre en mouvement l’action publique en saisissant elle même le juge d’instruction. C’est l’acte de naissance du droit des victimes, qui jusqu’à présent étaient soumises au bon vouloir du parquet.

samedi 16 janvier 2010

Le dilemme 2, le retour

Par Gascogne


D’un débat théorique sur la garantie des libertés individuelles dans une démocratie, qui peut amener à bien des commentaires plus ou moins savants, à une application pratique telle que les professionnels du droit peuvent en vivre, peut-être pas tous les jours, mais au moins assez fréquemment, il n’y a souvent qu’un pas, que je ne peux que vous convier à franchir.

Les dilemmes se posent souvent à différents stades de la procédure pénale (je ne vous parle que d’elle, c’est la seule que j’ai la prétention de connaître un peu). J’ai donc choisi de vous conter une histoire, fort peu probable, bien sûr, mais qui peut poser quelques questions :

Soit une personne interpellée pour une cause que je vous laisse libre (et quand un procureur vous laisse libre, profitez-en…) d’imaginer (une conduite en état alcoolique, un vol, un outrage à magistrat, un meurtre, ou même, mais cela est fort heureusement très improbable, des violences sur avocat précédées d’un enlèvement : j’en profite pour mettre le mode ironie en off, et adresser à Me Saint-Arroman Petroff tout mon soutien dans cette terrible épreuve).

Soit plusieurs coups de fils de l’officier de police judiciaire, pour avertir l’avocat de permanence, ainsi que la famille de l’intéressé et le médecin de garde.

Il s’avère très rapidement que la police a mis la main sur un gros poisson. Les déclarations du mis en cause ne font guère de doutes sur le fait que le motif de placement en garde à vue ne l’intéresse guère, et qu’il souhaite surtout, peut-être de manière un peu perverse, raconter son parcours criminel, qui n’a finalement pas grand chose à voir avec les motifs d’interpellation.

Le laboratoire du Pr D., interrogé en urgence sur le temps de la garde à vue, confirme les premiers doutes, et indique qu’il n’y a pas d’erreur possible : le gardé à vue est le tueur en série de vieilles dames, recherché depuis de nombreux mois. Et si la combinaison de son prénom avec son nom peut prêter à rire, les faits qui lui sont reprochés n’ont rien d’amusant. Meurtre de plusieurs personnes âgées, assortis de quelques actes de torture et de barbarie[1]

Les enquêteurs sont d’autant plus contents que le mis en cause ne fait aucune difficulté pour reconnaître les faits. Ils les assument pleinement, et affirme même qu’il recommencera dés qu’il sortira, pour toutes sortes de justifications (voix le lui ordonnant, besoin irrépressible, rejet de toutes règles de vie en société, ou psychopathie, fait qu’il est condamné par sa maladie, et que dés lors rien ne saurait l’arrêter…).

Un expert psychiatre passe voir le mis en cause sur le temps de la garde à vue, et confirme ce que tout le monde pensait déjà : il est particulièrement dangereux, au moins d’un point de vue criminologique. Les risques de récidive sont extrêmement élevés.

L’OPJ appelle le procureur de permanence pour un énième compte rendu. L’ouverture d’information se précise, feu le juge d’instruction est déjà dans les starting-blocks, le Juge des Libertés et de la Détention frétille d’avance à l’idée d’être confronté à ce tueur dont les médias parlent tant.

Seulement voilà : le procureur de permanence se rend compte qu’il n’a reçu l’avis de garde à vue par fax qu’au bout d’une heure quinze minutes, l’interpellation ayant pris un peu de temps. En outre, il n’a pas été appelé sur la ligne de permanence ou sur son portable au début de la mesure.

Or, si l’on s’en réfère à la Cour de Cassation (par exemple : Crim. 31 mai 2007), avec le peu de confiance que l’on peut lui faire en matière de droits de l’homme, il s’avère que cet avis est bien trop tardif et entraîne la nullité de la mesure de garde à vue.

Pour ceux qui pensent que la présence de l’avocat aurait été indispensable durant la garde à vue, même si notre mis en cause n’en veut pas, l’exercice est tout aussi possible.

Vient la fin de la garde à vue, et le moment du défèrement. C’est le moment de la prise de décision.

En tant que PR de permanence, faites vous lever la garde à vue purement et simplement, en remettant notre individu en liberté (si je puis me permettre un conseil, parlez-en tout de même avant à votre procureur général…) ?

En tant qu’avocat de permanence, soulevez vous la nullité ?

En tant que juge d’instruction, décidez vous de ne pas saisir le JLD ?

En tant que JLD, vous remettez dehors ?

En tant que greffier du juge d’instruction ou du JLD, parlez-vous de cette nullité à “votre” juge, qui ne l’a pas vue ?

En admettant qu’un tel dossier se traite devant le tribunal correctionnel, en tant que juge, et alors que vous savez que vous n’avez pas le droit de soulever d’office ce genre de nullité, vous le faites quand même, puisque constitutionnellement garant des libertés ? Vous en parlez “en off” au parquetier ? Vous appelez discrètement l’avocat ?

Ou finalement, et quel que soit l’intervenant que vous êtes dans cette longue chaîne qu’est le processus pénal, choisissez-vous de ne pas jouer votre rôle de défenseur des libertés publiques, et de laisser notre homme en détention ?

En plus théorique, et de manière peut-être un peu plus polémique, où placez-vous le curseur entre la défense des libertés individuelles et la défense de l’intérêt social ?

Notes

[1] ça fonctionne aussi avec des faits plus récents et du coup plus en adéquation avec les connaissances en matière d’acide désoxyribonucléique…

vendredi 8 janvier 2010

In memoriam Philippe Séguin

Je ne puis m’empêcher d’ajouter ma parole au flot de louanges qui accompagne l’annonce du décès brutal de Philippe Séguin, mais l’émotion que je ressens de ce fait est certaine. Et si un blog ne sert pas à exprimer ce qu’on ressent face à une telle perte et expliquer pourquoi, je me demande bien à quoi ça sert.

Je ne connaissais bien sûr pas Philippe Séguin personnellement, mais uniquement par sa carrière politique et professionnelle. Ceux qui l’ont connu sont ceux qui pleurent en parlant de lui, vous voyez à qui je fais allusion. Philippe Séguin

Philippe Séguin (crédit photo: cour des comptes ; sans jeu de mot, je compte sur sa compréhension, je trouve que cette photo est parfaite pour lui rendre hommage) était l’actuel premier président de la cour des comptes. C’était donc un magistrat, leur statut leur donne ce titre, mais d’un corps distinct des magistrats judiciaires (juges et procureurs, les magistrats stricto sensu) et administratifs (conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, Conseil d’État). C’est un ordre de juridiction spécifique, rattaché à l’ordre administratif, dont la fonction est de vérifier les comptes des fonctionnaires en charge de valider chaque dépense publique (qu’on appelle les comptables publics), et de manière plus générale de vérifier la gestion des administrations, organismes publics, établissements publics et privés recevant des subventions de l’État. Autant dire que le terrain d’action est vaste.

A côté de sa carrière à la Cour des comptes, il a eu une longue carrière politique, essentiellement parlementaire, commencée en 1978.

C’était un homme politique que je respectais beaucoup, et mes lecteurs savent qu’ils sont peu nombreux dans ce cas, malgré mes opinions divergentes sur l’Europe. Pour vous expliquer pourquoi, je voudrais vous inviter à lire le Journal Officiel des débats parlementaires, pour un moment d’éloquence parlementaire comme il n’y en que trop rarement.

Nous sommes le 17 septembre 1981. L’assemblée est saisie en première lecture du projet de loi porté par le Garde des Sceaux Robert Badinter portant abolition de la peine de mort. Robert Badinter vient de prononcer son discours entré dans l’histoire, qui s’est passé dans une ambiance électrique, les opposants à l’abolition jetant leurs dernières forces dans la bataille, parfois jusqu’à l’ignominie, comme quand Hyacinthe Santoni osera jeter à la figure de Robert Badinter le nom d’un de ses clients qu’il avait en vain défendu contre la peine de mort et avait accompagné jusqu’au supplice. Pascal Clément (oui, le Garde des Sceaux de 2005 à 2007) soutient la question préalable, qui vise, pour simplifier, à rejeter le texte sans débat. A la demande de Robert Badinter, c’est Philippe Séguin, député RPR et abolitionniste convaincu depuis longtemps (aux côtés de Jacques Chirac, qui s’était lui aussi prononcé pour l’abolition lors de la campagne présidentielle de 1981) qui va prendre la aprole contre la question préalable de Pascal Clément.

Beau geste et fine manoeuvre, les deux ne sont pas incompatibles. Beau geste car il permet à Philippe Séguin, qui avait déjà soutenu une proposition de loi portant abolition lors de la précédente législature, de prendre part au combat final. Fine manoeuvre car face à Philippe Séguin, les députés opposés à l’abolition vont être obligés d’écouter plus respectueusement.

Et ce qui va suivre est un des plus beaux moment d’éloquence parlementaire de l’histoire de la république. Une leçon de rhétorique pour tous les avocats, Et de respect de l’adversaire pour tout le monde. Voyez comment il va capter la bienveillance de l’auditoire, rejeter tout anathème à l’encontre de ses adversaires, réfuter leurs arguments tout en rappelant combien ils sont respectables. C’est ici.

C’est un .pdf, désolé, ça commence page 10 du document, milieu de la colonne de droite.

Mise à jour : Un administrateur de l’assemblée nationale m’informe qu’à la suite de mon billet, le site de l’assemblée a intégré ce discours au format html sur la page consacrée à Philippe Séguin ès qualité d’ancien président de l’assemblée. Merci mille fois, le confort de lecture est amélioré et ce discours sera désormais indexé par les moteurs de recherche taxés.

Voilà, c’était Philippe Séguin. Je suis sûr que même les magistrats financiers qui étaient en désaccord avec sa politique de réforme des chambres régionales des comptes, qu’il avait décidé de regrouper en structures interrégionales, sont eux aussi touchés par son décès. C’est au nombre de ses adversaires qui le pleurent qu’on juge le mérite d’un homme politique. Et Philippe Séguin était de ce point de vue extraordinaire.

vendredi 1 janvier 2010

Bonne année à tous

Bonne année à tous mes lecteurs, les anciens comme les nouveaux, qui me font l’honneur de venir me lire et pour certains de commenter.

2010 commence mal pour la justice, avec 178 tribunaux qui disparaîtront au douzième coup de minuit telle le carrosse de Cendrillon. 23 autres suivront dans un an. Je salue au passage mon ami Guillaume Didier, porte-parole du Garde des Sceaux, qui déclarait à ce sujet sur France Info que la justice de proximité, c’est important, mais il ne faut pas la confondre avec la proximité géographique : que la vraie proximité, c’est l’efficacité. La novlangue est entrée en vigueur avec 25 ans de retard, mais ça y est : la guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force, et la proximité c’est l’éloignement.

Pour ma part, j’ai une pensée pour le tribunal d’instance de Vincennes, où a eu lieu cette scène cocasse qui m’a inspiré un billet. J’ai une pensée pour Forbach (22 000 hab.), sous préfecture de la Moselle, qui perd son tribunal d’instance au profit de celui de Saint-Avold (16 000 hab.) à 20 km de là. Ca vous apprendra à avoir un maire PS. Saint Avold, mairie UMP, garde son tribunal.

Les avoués sont les prochains sur la liste des suppressions, la date restant à déterminer (le projet de loi est en attente de discussion en 2e lecture à l’assemblée). Survivront-ils à l’année 2010 ?

Et la garde à vue ? Les avocats ne lâchent pas le combat, et je piaffe d’impatience en attendant ma prochaine commission aux comparutions immédiates en janvier pour aller ferrailler avec le parquet.

Les juges d’instruction aussi sont sur la sellette, mais leur suppression n’est pas attendue avant deux ans. La réforme de la procédure pénale sera un gros morceau pour cette année. On en parlera ici, évidemment.

Je salue les secrétaires de la conférence 2009, qui vont rendre leur mandat sans avoir à rougir, et ceux de la promo 2010 qui leur succèdent. Soyez en forme, on aura besoin de vous.

Je salue également nos nouveaux bâtonniers, Jean Castelain et Jean-Yves Le Borgne, vice-bâtonnier, une nouveauté que nous inaugurons. Je me réjouis de savoir qu’un des meilleurs pénalistes de Paris veillera sur nos destinées pendant deux ans. Ceux qui l’auront vu faire une contre-correction à une conférence Berryer sauront pourquoi.

Je présente mes meilleurs voeux à mes colocataires, qui je l’espère vont à nouveau nous régaler de billets, tant ils ont eu l’occasion de se reposer de leurs activités bloguesques pour certain(e)s.

Je ne saurais commencer cette nouvelle année sans avoir une pensée pour tous les confrères et magistrats de permanence cette nuit, qui vont devoir gérer les débordements de certains de nos concitoyens. Une autre, naturellement, pour tous les policiers et gendarmes qui vont être en première ligne. L’année 2009 a mal fini pour eux, avec la mort du brigadier-major Patrice Point, 51 ans, mort au service en tentant d’arrêter des cambrioleurs. Ce n’est pas parce que je fais annuler leurs procédures que je ne respecte pas leur travail.

Bonne année 2010 à tous, et courage : plus qu’un an avant la coupe du monde de rugby.

mardi 29 décembre 2009

Pour l'honneur d'Alain Boniface

Au cours de cette trêve des confiseurs, j’ai le plaisir de lire l’excellent recueil publié par Le Monde, sous la direction de Pascale Robert-Diard, qui a eu la gentillesse de m’en offrir un exemplaire, Les Grands Procès 1945-2010 (sic.), aux éditions Les Arènes-Europe 1, qui ne sortira en librairies que le 5 janvier prochain.

Il s’agit d’une compilation de chroniques judiciaires sur les grands procès ayant défrayé la chronique, en commençant par celui du Maréchal Pétain (qui, je l’ignorais, a été jugé dans la salle même où j’ai prêté serment, la première chambre de la cour d’appel de Paris, ainsi que Pierre Laval et Joseph Darnand, d’ailleurs) jusqu’à l’affaire Clearstream (qui a eu lieu en 2009 si je ne m’abuse).

C’est une lecture passionnante, notamment parce que des photos des procès illustrent nombre d’affaires antérieures à 1954, date à laquelle les appareils photos ont été interdits dans les prétoires. Et voir Pierre Laval (un confrère…) haranguer la Cour les deux poings levés, Marcel Petiot brandir un doigt menaçant vers la cour d’assises, ou le grand Maurice Garçon plaider les bras levés comme le Christ est impressionnant.

Je voudrais juste m’attarder sur un de ces articles, qui n’est pas vraiment une chronique judiciaire.

Le 2 février 1978, une jeune journaliste du Monde, Josyane Savigneau, assiste à une audience correctionnelle à Pontoise. On y jugeait une jeune femme qui, âgée de 21 ans, a accouché seule et abandonné son enfant, qui avait heureusement été retrouvé deux heures plus tard.

Alors que le parquet avait requis “une peine de principe assortie du sursis”, le tribunal était allé au-delà et bien au delà en prononçant une peine d’un an ferme avec mandat de dépôt.

Le jugement avait à ce point choqué la journaliste qu’elle s’est présentée au domicile du président, Alain Boniface, pour lui demander les raisons de cette sévérité.

L’article fait une description balzacienne de ce vieux magistrat, maigre, malade et triste en raison d’un deuil récent, vivant dans un pavillon semblant à l’abandon à Conflans Sainte Honorine. Jardin en friche, volets perpétuellement fermés au point que la rouille les avait scellé, le magistrat sort sans manteau mais avec une toque noire sur la tête.

La réponse du magistrat sera brève, au point que le bref commentaire qui ouvre l’article estime que “les quelques mots du magistrat en disent plus sur une certaine justice de classe que tous les pamphlets”.

Le président se contentera de répondre à la journaliste indignée :

« Voyez-vous, mademoiselle, je vais vous confier ce que M. de Harlay — premier président du Parlement de Paris en 1689[1]— disait à Louis XIV : “un juge ne donne son opinion qu’une fois, lorsqu’il est assis sur les fleurs de lys”. ». Ainsi étaient ornés, à l’époque, les fauteuils des magistrats.

Je comprends la frustration de la journaliste, et que trente ans plus tard, on voit une justice de classe dans un juge qui invoque les mânes de Harlay face à une jeune mère désespérée.

Néanmoins, je pense qu’Alain Boniface mérite qu’une voix s’élève pour le défendre. Et comme me l’explique régulièrement le président de mon bureau de vote, de voix je n’en ai qu’une, ce sera donc la mienne.

La frustration de Josyane Savigneau, c’est celle de tous les avocats. Le principe est qu’un juge rend un jugement motivé. Cela ne veut pas dire que c’est un jugement qui écoute du Zebda, mais qu’il explique les raison qui amènent le tribunal à statuer ainsi qu’il va le faire. Cette partie du jugement, en principe la plus longue, s’appelle “les motifs”. Traditionnellement, chaque phase du raisonnement commence par “Attendu que…”, mais cette habitude est en train de se perdre, sauf à la Cour de cassation.

C’est la seule fois que le juge donnera son opinion, Alain Boniface et Achille de Harlay avaient raison. Cette opinion peut être attaquée par une voie de recours (appel ou pourvoi en cassation), mais le juge n’a jamais à revenir sur sa décision et encore moins à la commenter.

C’est d’ailleurs le sens du serment que prêtent aujourd’hui encore les magistrats : ils jurent entre autres, et au mépris de la laïcité, de garder “religieusement” le secret des délibérations.

Autant dire que quand un avocat reçoit un jugement, il se jette d’abord sur le dispositif, qui à la fin résume ce que le tribunal décide, puis lit avidement les motifs, pour savoir s’il va faire appel ou, s’il a gagné, si son adversaire va faire appel et sur quels points. C’est un élément essentiel à la décision de faire appel, d’où la revendication récurrente de plusieurs avocats d’obliger les cours d’assises à motiver leurs arrêts (ce qui me paraît souhaitable mais en pratique difficilement faisable, ce qui ne veut pas dire qu’il faut y renoncer).

Malheureusement, au pénal, ces principes, qui au civil sont d’airain, sont largement battus en brèche. Quand l’État fixe les règles qui s’appliquent à lui-même, il est plutôt indulgent.

Ainsi, le délai d’appel est de dix jours (contre un mois au civil). Le délai court à compter du prononcé du jugement, quand au civil il court de la signification par huissier (juridiquement, signification par huissier est un pléonasme, mais c’est pour les mékéskidis que je me le permets) d’un exemplaire écrit. Si le prévenu était absent, le délai ne coura qu’à compter de la signification, ce qui est un curieux encouragement à l’absentéisme. Pour des raisons de temps limité du fait du volume de dossiers à traiter, le prononcé du jugement se résume à “Le tribunal, par jugement contradictoire, vous déclare coupable de l’ensemble des faits qui vous sont reprochés et en répression vous condamne à la peine de …”. Parfois, le président prend la peine de dire quelques mots sur les éléments qui l’ont poussé à prendre telle décision, et les avocats bénissent silencieusement les présidents qui le font. Car sinon, c’est un appel à l’aveugle.

En effet, le jugement sera en pratique rédigé après que le délai d’appel est écoulé. S’il n’y a pas eu d’appel, le tribunal se contentera de dire “Attendu qu’il ressort du dossier et des déclarations du prévenu à l’audience qu’il y a lieu d’entrer en voie de condamnation”. Ce n’est que s’il y a appel que le jugement sera motivé.

C’est une pratique illégale, l’article 486 du Code de procédure pénale exigeant que la minute du jugement soit déposée au greffe au plus tard dans les trois jours du prononcé. Mais si certaines chambre s’y tiennent scrupuleusement (la 17e a toujours un “exemplaire de travail” contenant l’intégralité des motifs le jour même), et si les affaires extraordinaires comme Clearstream, AZF ou l’Angolagate respectent cette obligation car le président a pu s’y consacrer le temps nécessaire, c’est rigoureusement impossible à tenir pour une chambre comme la 23e qui fait des comparutions immédiates 6 jours sur 7. Illustration des conséquences du manque de moyens : la justice ne peut plus faire face à ses obligations légales, et ce sont les droits de la défense qui en payent le prix. Concrètement, à Paris, il faut deux mois pour obtenir la copie du jugement (et la situation s’est améliorée, on en était à quatre mois il y a cinq ans). Je précise que je ne sais pas ce qu’il en est dans les petites juridictions, je ne connais que la situation des juridictions d’Ile de France.

En conséquence, le président Boniface a eu raison de refuser de s’expliquer face à cette journaliste, qui n’avait qu’à demander au greffe une copie du jugement. Qu’il le fasse par une citation montre qu’en outre, c’était une personne cultivée.

Notes

[1] Le mot Parlement désignait sous l’ancien Régime la cour d’appel ; les magistrats des parlements prirent l’habitude de refuser d’enregistrer les lois du rois et de lui faire des remontrances, l’invitant à amender (c’est à dire améliorer) son texte sur tel et tel point avant d’accepter de l’enregistrer. Cette faculté de blocage des textes conduisit à la réunion des États généraux en 1789 puis à la Révolution. Les révolutionnaires veillèrent à dépouiller les juges de tout rôle législatif, notamment en s’attribuant le vocabulaire ; parlement, amendement, etc. Le président Achille III de Harlay (rien à voir avec les motos), troisième d’une lignée de magistrats, avait un hôtel particulier place Dauphine qui est aujourd’hui la maison du Barreau de Paris. C’est dans ce qui fut son cellier qu’aujourd’hui, nous nous réunissons pour comploter contre la garde à vue.

mercredi 16 décembre 2009

Le dilemme

À lire, ce beau — comme d’habitude— billet de mon confrère septentrional Maître Mô, qui explique merveilleusement bien le rôle de l’avocat lors de la première comparution, ce moment où on découvre enfin toute la procédure et où on peut et doit faire des choix. C’est exactement ça. La terrible question du client, et l’impitoyable constat d’impuissance de l’avocat, cette incertitude dans laquelle on est d’avoir fait les bons choix, cet écrasant fardeau dont le client se décharge sur nous et qu’on va traîner comme un Sisyphe, sans doute jusque sur notre lit de mort.

Tous ceux qui sont hostiles à l’intervention de l’avocat en garde à vue comme faisant obstacle à la manifestation de la vérité devraient lire ce billet, ils comprendraient peut-être qu’ils devraient se battre pour que nous soyons là le plus tôt possible.

Que les juges d’instructions le lisent aussi, ils comprendront (avant de disparaître) pourquoi on prend du temps dans le box et pourquoi il faut nous en laisser.

Et vous, les étudiants en droit qui rêvez de faire du pénal, demandez-vous si vous serez capable de supporter cette responsabilité : de faire un choix où l’enjeu est la liberté d’un autre. On en perd le sommeil.

Qu’est ce que je fais ?

dimanche 13 décembre 2009

Document : la circulaire de la Chancellerie sur les nullité des gardes à vue

Je publie ci-dessous la circulaire de la Chancellerie visant à donner au parquet un argumentaire pour répliquer aux demandes d’annulation des gardes à vue présentées par les avocats. J’en prépare un commentaire pour la démonter.

Vous noterez d’entrée que la circulaire ne dit à aucun moment “C’est la Turquie qui a été condamnée mais pas la France”. Au contraire, elle s’évertue à démontrer que la procédure pénale française est conforme à ce qu’exige ces arrêts.

Avouez qu’il est fascinant d’entendre un porte parole et un Garde des Sceaux asséner un argument qu’ils savent faux mais qui, comme il est juridique, ne risque pas d’être démenti parle journaliste. C’est une autre façon de faire de la politique, pour être poli.



(cliquez sur “une annexe ci dessous).

De quelques éléments d'une réforme de procédure pénale déjà fort avancée

Michèle Aliot-Marie a réuni ce 10 décembre mes pires cauchemars et mes pires cauchemars en chef, aussi appelés les procureurs de la République et les procureurs généraux.

Rappelons que le procureur de la République (PR) dirige le parquet au niveau d’un tribunal de grande instance, et le procureur général (PG) au niveau d’une cour d’appel, et qu’il est le supérieur hiérarchique des PR des tribunaux de grande instance situés dans le ressort de sa cour d’appel. Le procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, est ainsi le chef des procureurs de la République de Paris, Bobigny, Créteil, Évry, Fontainebleau, Meaux, Melun, Auxerre et Sens, mais pas de Nanterre, qui relève de la cour d’appel de Versailles, avec Pontoise, Versailles et Chartres.

À cette occasion, le ministre a livré pas mal d’informations sur la réforme de la procédure pénale en cours. Habilement déguisé en procureur général (une perruque blanche et deux rangées de médailles suffisent), j’ai pu me glisser dans la salle et prendre des notes.

Tout d’abord, ce qui n’est pas un scoop quand on connaît les méthodes de travail de la Chancellerie ces dernières années, la réforme est déjà prête, même si la concertation n’a pas encore commencé. Ceux qui pensaient que la politique du “cause toujours, tu m’intéresses” allait cesser avec le changement de ministre en sont pour leurs frais. La procédure pénale sera réformée comme la carte judiciaire, avec probablement le même résultat : une réforme que tout le monde souhaite ne satisfera en fin de compte personne.

La tombe des juges d’instruction est déjà creusée. Vouloir les sauver est un combat perdu d’avance (ce qui ne veut pas dire qu’il ne vaille pas la peine d’être mené). Et en fait de tombe, c’est un caveau puisque la réforme voulue par la commission d’enquête sur Outreau, à savoir la collégialité de l’instruction, déjà votée depuis mars 2007 et qui devait initialement entrer en vigueur le 1er janvier prochain est enterrée avec. On a eu chaud : on a failli appliquer une bonne idée du parlement et qui faisait l’objet d’un consensus entre la majorité et l’opposition. Ouf.

La création d’un Juge de l’Enquête et des Libertés (JEL) est confirmée. Au nom de tous les avocats de France amateurs de calembours, dont je suis, merci. Autant on séchait depuis 10 ans sur le Juge des Libertés et de la Détention (JLD), autant sur JEL, on va pouvoir se lâcher : on se les JEL, moi, je suis anti-JEL, etc., des opportunités sans nombre s’ouvrent devant nous.

Ce JEL serait seul compétent pour décider de toute mesure attentatoire aux libertés. La Chancellerie anticipe donc une confirmation par la Grande Chambre de la cour européenne des droits de l’homme de l’arrêt Medvedyev (Requête no 3394/03)—quelqu’un pourrait-il m’expliquer comment on fait un lien permanent vers un arrêt de la CEDH ?(ok, merci), puisque le JEL serait seul compétent pour prolonger une garde à vue (GAV) voire l’ordonner, mais le ministre n’a pas été très clair là-dessus. Si tel était le cas, l’hystérie des syndicats de policier sera telle que l’intervention de l’avocat en garde à vue leur paraîtra une aimable plaisanterie à côté.

Le JEL pourra être saisi par les parties (Au sens juridique seulement, sinon il y aurait outrage à magistrat) et autoriser, voire ordonner certains actes. Au parquet, donc. Je ne mets pas en cause la bonne foi des parquets, mais confier à la partie adverse l’exécution d’un acte demandé par la défense me paraît assez extravagant et je ne suis pas sûr que la Cour européenne des droits de l’homme, qui dans l’arrêt Medvedyev précité a bien précisé que le parquet n’était pas une autorité judiciaire faute d’indépendance, trouve elle aussi ce système satisfaisant.

Là où on glisse dans la très mauvaise idée, c’est que, contrairement à l’actuel JLD qui siège au niveau du tribunal de grande instance, les JEL siégeront dans les tribunaux de grande instance ayant actuellement un pôle de l’instruction (l’idée, à peine mise en place, étant de regrouper les instruction délicates, criminelles ou complexes, auprès des “gros” tribunaux du secteur ; encore une réforme coûteuse qui passera à la trappe avant d’avoir pu avoir des effets perceptibles, soit dit en passant). En région parisienne, on s’en fiche un peu. Tous les TGI sont pôles de l’instruction. Mais en province, ça signifie que les avocats vont devoir faire le déplacement jusqu’au tribunal du JEL pour plaider leurs demandes d’actes et leurs demandes de mise en liberté. Malheur aux avocats de Saint Malo et de Quimper, tribunaux de grande instance sans pôle de l’instruction, qui devront aller à Rennes ou à Brest à chaque fois (150 km aller retour).

Et la charge de travail de ces JEL va être hallucinante ts’ils sont en charge des gardes à vue. De fait, contrairement à l’actuel JLD, les fonctions de JEL seront forcément permanentes, je ne vois pas comment un juge aurait le temps de faire autre chose. Et quand je dis permanentes, c’est permanentes ; un JEL devra être joignable en pleine nuit. Ça promet des moments de rigolade et des nuits sur le canapé.

Pour la présence de l’avocat, le choix s’est fait sur la proposition du rapport Léger : avocat présent lors des auditions de son client (et des confrontations, je suppose, qui sont une forme d’audition du gardé à vue), et accès à la procédure en cas de renouvellement. Voilà, ça continue. On est autant les bienvenus qu’un clown à des funérailles. On nous a d’abord laissé venir à la 21e heure, mais sans rien savoir du dossier. Puis à la première heure, mais toujours pour 30 mn sans rien savoir du dossier. Quand la condamnation de la France se profile de manière évidente (le ministre le sait mais ne le reconnaîtra jamais, ce gouvernement a fait de l’art du déni une méthode de gouvernement), on entr’ouve encore un peu la porte mais pas totalement. RIEN ne justifie que ces pièces soient cachées à l’avocat (il n’y a pas d’autre mot : elles existent, le procureur peut même se les faire faxer s’il les demande), et si elle se contente de cette cote mal taillée, la France sera condamnée pour cette entrave absurde et inutile à la défense. Il suffit de lire l’arrêt Dayanan, bon sang de bois : «l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.» (§32). Comment discute-t-on l’accusation si elle nous est cachée, bande de gros malins ?

L’entrée en vigueur de la réforme est prévue pour le 1er janvier 2011. Oui, dans un an et quelques jours. C’est là que le ministre a reconnu implicitement que les textes étaient prêts, ils seront présentés dès janvier au parlement et que toute la concertation annoncée était du vent, un pur alibi, comme pour la carte judiciaire. On ne change pas une méthode qui marche.

Et devinez-quoi ? Cette réforme se fera à moyens constants. Pas un fifrelin de plus, pas un magistrat supplémentaire. Les tribunaux où la situation sera vraiment critique se verront peut-être accorder des Post-It supplémentaires, à valoir sur le budget 2012.

Ce n’est pas tout.

Puisque le parquet n’est pas indépendant, autant le rendre encore plus dépendant. Désormais, les parquets devront solliciter du préfet les effectifs de police nécessaires pour mener telle ou telle opération de police judiciaire. Et si le préfet refuse ? Et ben tant pis. Bon, là, je sens une censure du Conseil constitutionnel gros comme une maison. Violation de la séparation des autorités administratives et judiciaires par une tutelle de fait des préfets sur les procureurs, et empiètement de l’exécutif dans le judiciaire. Ce serait un siècle d’histoire de la police, avec la création des brigades mobiles par Georges Clemenceau en 1907, premières unités de police judiciaires sous les ordres du seul parquet, que l’on mettrait à la poubelle. Mais le fait qu’un tel projet ait pu germer au sein de la Chancellerie en dit long sur la volonté de reprise en main du judiciaire.

Si des personnes présentes à cette réunion voulaient rectifier ce que j’aurais peut-être mal compris, n’hésitez pas. En tout cas, je pense que ceux de mes confrères qui furent prompts à danser sur la tombe du juge d’instruction vont peut-être avoir des ampoules aux pieds.

jeudi 10 décembre 2009

Grève à l'OFPRA

Même si on entend beaucoup parler du RER A aujourd’hui, une autre grève, beaucoup plus discrète, a lieu aujourd’hui, et qui pourtant est un coup de tonnerre dans un ciel bleu.

Les Officiers de Protection de l’OFPRA font grève. Ça mérite de s’y arrêter, tout particulièrement sur ce blog où je traite volontiers du droit des étrangers et d’un de ses aspects : le droit de l’asile.

J’avais déjà expliqué à ma charmante lectrice ce qu’est le droit de l’asile et l’OFPRA à l’occasion d’une récente et honteuse décision du Conseil d’administration de l’OFPRA. Je n’y reviendrai pas mais vous invite à vous y rafraîchir la mémoire.

Ce sont donc les Officiers de Protection qui ont décidé de ce mouvement de grève, qui est assez contraire à leur mentalité et à leur tradition. Même si l’OFPRA a été rattaché, plus pour le symbole qu’autre chose, au ministère de l’immigration, de l’identité nationale, de l’intégration et du développement solidaire (M3IDS), il relève en fait de la tradition et de la culture du ministère des affaires étrangères, son vrai ministère de tutelle, auquel il finira par revenir dès la prochaine alternance (prochaine étant ici à prendre au sens de “suivante” et non “proche dans le temps”, vu comment vont les choses dans l’opposition). On y goûte le secret, on s’y plaît dans la discrétion, et on manie avec dextérité la courtoisie même si on a des envies de meurtre. Autant dire que pour médiatiser leur mouvement, ils sont aussi à l’aise qu’un Suisse face à un minaret.

Et même si je déploie à l’occasion toute mon énergie et mon talent pour obtenir que les décisions qu’ils prennent soient annulées en appel, je respecte leur travail et appuie leur mouvement.

Du fait de leur tradition de la discrétion, et de leur petit nombre, car les Officiers de Protection forment un corps à part dans la fonction publique, et ils ne sont que 200, et encore une partie, j’y reviendrai, est en fait du personnel contractuel lié par un contrat de travail, de ce fait donc, leur mouvement est destiné à passer quasiment inaperçu, ce que la direction de l’office sait bien. Mais ils exercent une prérogative essentielle de la République, qui a valeur constitutionnelle a rappelé le Conseil Constitutionnel : celui d’instruire et de statuer sur les demandes de statut de réfugié.

Pour résumer, quitte à simplifier, mais hélas sans caricaturer, l’évolution de la position de la France sur l’asile sur un siècle, on peut dire ceci. La France a accueilli durant la première moitié du XXe siècle des populations fort diverses dans sa tradition de l’asile, ne reposant sur aucun texte international ni aucun principe constitutionnel, et sans se poser de questions. Ce furent les Arméniens au lendemain de la Grande Guerre (n’est-ce pas M. Devedjian ?), les russes blancs dans la foulée, puis des russes rouges fuyant la répression stalinienne, et dans les années 30 les Républicains espagnols (500.000 en quelques mois, jusqu’à 15.000 par jour à l’effondrement de la République en 1939, alors quand on vous parle de raz de marée migratoire aujourd’hui, permettez-vous un sourire). Divers offices étaient créés au cas par cas pour traiter ces demandes d’asile, cette tâche étant confiée à des personnes ayant le statut de réfugié, car elles connaissaient fort bien la situation locale et pouvaient dire si ce prétendu baron n’était pas en fait un sbire du NKVD venu continuer en France le travail d’épuration — il y en eût. l’OFPRA naîtra de la fusion de ces différents office en un office unique et permanent. On raconte que dans les années 30, quand l’office occupait enfin des locaux uniques, un étage traitait les dossiers russes (globalement hostiles au communisme, on s’en doute) et un autre les réfugiés espagnols (globalement favorables au communisme, on s’en doute). Les occupants de chacun des étages ne s’adressaient jamais la parole et se croisaient dans les escaliers sans se regarder. Mais pourtant, ils vivaient sous le même toit sans s’entretuer, alors qu’ils se seraient égorgés avec les dents dans leurs pays d’origine. Il faudra que j’en parle à mon préfet, mais et si notre identité nationale, c’était ça, dans le fond ?

Au lendemain de la guerre, la France comme le reste du monde est frappée d’horreur en voyant ce qui s’est passé en Europe, tant dans les années 30 qu’au lendemain de la guerre (il y eut des déportations après l’armistice, trois millions de germanophones étant expulsés de force de Pologne et de Tchécoslovaquie, notamment des Sudètes, dans des conditions qui firent des milliers et des milliers de morts). Un peu saisie de mauvaise conscience aussi malgré le refoulement collectif, elle signa la Convention de Genève de 1950 qui aujourd’hui encore encadre le droit des réfugiés. Mais depuis les crises des années 70 et le chômage de masse, la question de l’immigration est devenue politiquement sensible. Et l’asile est une forme d’immigration. De plus, la tentative de fermeture des formes légales d’immigration va provoquer un afflux de demandes d’asile infondées visant à permettre l’accès au territoire.

Le problème est que dans ces demandes de plus en plus nombreuses, il y a toujours des vrais réfugiés. On ne peut pas les traiter un contentieux de masse. La réponse de l’État sera, à moyens constants bien sûr, d’augmenter les cadences, en créant des procédures particulières imposant des décisions à très bref délai. Mes lecteurs magistrats administratifs se diront “Tiens ? Ça me rappelle quelque chose” en songeant aux procédures de reconduite à la frontières (à traiter en 72 heures) et d’obligation de quitter le territoire (à traiter en trois mois), et ils auront raison : c’est absolument la même technique. Résultat : la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) se voit soumettre la quasi totalité des décisions de rejet (quand le taux d’appel, toutes juridictions confondues est plutôt de l’ordre de 20% au niveau national) ce qui en fait la première juridiction de France par le volume de dossiers traités, et sur l’ensemble des décisions accordant le statut de réfugié, les deux tiers viennent de la CNDA à la suite d’un appel et seulement un tiers directement de l’Office (alors qu’au niveau national, le taux de réformation en appel est de l’ordre de 5%). Cette différence s’explique aussi en partie par le fait que les avocats interviennent dans la procédure au stade de l’appel, alors que les réfugiés ne font que rarement appel à nous au stade de la première demande. À croire qu’on sert à quelque chose.

Les revendications de cette grève sont multiples, ce qui montre que le mécontentement montait depuis longtemps sur bien des griefs. La direction de l’OFPRA a appliqué depuis des années une politique de gestion dite du “parle à ma main”.

Les voici ; elles sont révélatrices de l’état de l’asile en France. Qui ne sont pas les pires en Europe loin de là. le taux d’accord est d’environ un tiers en France, ce qui est la moyenne européenne, ce qui fait qu’une fois de plus, Éric Besson ment en disant que la France est parmi les pays les plus généreux en la matière. Au niveau de l’UE, la France est, en taux de réponse positive en première instance, 24e sur 27 avec 16%, contre 65% pour la Pologne, 64% en Lituanie et au Portugal, 62% en Autriche, 58% au Danemark (source : Eurostat, pdf).

► Tout d’abord, il y a l’abus par les préfectures des procédures prioritaires. La loi prévoit que les demandes d’asile sont enregistrées par les préfectures. Il y a parfois des refus d’enregistrement des demandes qui sont absolument illégales de la part des préfectures, comme Versailles par exemple qui pendant longtemps, je ne sais pas si c’est encore le cas, n’enregistrait que quatre dossiers par jour parce que c’est comme ça. Et le préfet peut décider, sans avoir à s’en justifier, que le dossier devra être traité prioritairement. Dès lors, l’OFPRA est tenu d’examiner le dossier dans un délai de 15 jours (ce qui inclut la convocation pour entretien, les recherches et vérifications, et la rédaction de la décision, qui doit être motivée si c’est un rejet car il y a appel possible). Le demandeur dont le dossier est classé en “PP” n’a plus que huit jours, au lieu de 21, pour l’envoyer à l’OFPRA (l’OFPRA doit le RECEVOIR le 8e jour, dit la loi), sachant que depuis 2000, le dossier doit être rédigé en Français, l’OFPRA ne prenant plus en charge les frais de traduction. Le demandeur en “PP” n’a pas de droit d’asile au sens strict du terme : pas de droit au séjour ni d’allocation temporaire d’attente, il peut être arrêté, frappé d’un arrêté de reconduite à la frontière et placé en centre de rétention (CRA) en vue de son expulsion. La seule protection dont il bénéficie est qu’il ne peut être expulsé tant que l’OFPRA n’a pas statué. En cas de placement en CRA, l’OFPRA doit statuer dans les 96 heures. Ces décisions sont totalement arbitraires (un recours est théoriquement possible, mais les demandeurs ne sont en pratique jamais assistés d’un avocat à ce stade et il faut pour qu’un référé suspension soit utile que la décision n’ait pas épuisé ses effets, or généralement, l’OFPRA a statué quand le juge administratif examine ce recours). Le taux de PP atteint 30% en 2008 (source : rapport 2008 de l’OFPRA, pdf, page 15) au niveau national, mais il dépasse les 50% dans les DOM-COM et atteint 91% en Guadeloupe (réfugiés Haïtiens principalement).

► Les services dits “d’appui” sont insuffisants. Il s’agit du service de documentation, qui collecte en permanence les informations des divers pays afin de permettre de confirmer les détails d’un récit. Il s’appelle la division de l’information, de la documentation et des recherches (DIDR). C’est un service essentiel, mais qui a un personnel insuffisant (une quinzaine de personnes quand l’OFPRA traite 50.000 dossiers par an, alors que le service équivalent du Danemark, pays de 3 millions d’habitants en a 40, pour 1750 demandes par an). En plus, les consulats, qui sont une source d’information sur place, boudent les demandes de l’OFPRA en refusant d’y répondre.

► L’absence totale de concertation pour la nouvelle liste des pays d’origine surs (cf. mon billet précité). Les OP en charge des demandes turques ont appris avec stupéfaction que ce pays était désormais sûr (7% de taux d’accord, ça reste élevé).

► Malgré la demande des syndicats, il n’y a jamais eu de concertation pour fixer des grands critères communs d’acceptation des demandes selon leur origine. Chaque OP fait sa cuisine dans son coin, ce qui aboutit à une différence de traitement selon le bureau où atterrit votre dossier (certains OP, il faut bien le dire, trouvant saugrenue l’idée de faire droit à une demande).

► L’Office n’a plus de directeur des ressources humaines depuis 6 mois, et les demandes de mutation en interne (on a parfois besoin de changer de service) sont rejetées dans la plus grande opacité. Je ne vous parle même pas des demandes de mutation externe. Si vous voulez casser la motivation de quelqu’un, ne vous y prenez pas autrement.

► Il y a une inégalité salariale entre les OP titulaires et les salariés, alors qu’ils font exactement le même travail. Là aussi, pour casser une dynamique de travail, la discrimination salariale est très efficace. Outre le fait qu’elle est illégale.

J’ai été frappé en discutant avec des OP de ressentir exactement la même chose que lors des actions des magistrats judiciaires et administratifs ainsi que chez les policiers : ce sont des gens qui font un métier qu’ils adorent, mais dans des conditions qu’ils détestent. Une pure illustration de la schizophrénie administrative qui vous fait détester faire un travail que vous adorez. Imaginez les dégâts au bout de quelques années sur le psychisme.

J’apporte donc tout mon soutien à l’action des Officiers de Protection. Même s’ils n’en sauront rien, car mon blog est inaccessible depuis les ordinateurs de l’OFPRA.

Oui, des personnes qui ont besoin de chercher des informations sur internet pour leurs dossiers ont un PALC. Remarquez, le secrétariat d’État au numérique filtre aussi son accès à internet et notamment aux réseaux sociaux. Vivement qu’on interdise aux ordinateurs du ministère de la Justice d’accéder à Légifrance.

je trouve que ça colle bien avec le décor.

lundi 7 décembre 2009

Version doublée et sous titrée

Par Dadouche



La diffusion du film Parcours meurtrier d’une mère ordinaire s’achève et laisse une impression bizarre.

C’est un beau film, incontestablement, qui livre le portrait d’une femme à travers ses mots, dans des circonstances uniques, celles d’un procès d’assises.
Parfois poussée dans ses derniers retranchements par un président qui réclame de la cohérence et des explications qu’on “peut entendre”, parfois secourue par un avocat qui, selon le même président “casse la dynamique de l’interrogatoire”.

Une première impression : c’est un procès d’assises comme personne n’en verra jamais. Et pour cause, il n’a pas existé.

Certes, la reconstitution du dispositif est minutieuse : les robes, les jurés, le public, les dessinateurs, tout est là. Il paraît même que certains “personnages” ont joué leur propre rôle.
Le souci du détail est poussé très loin : on jurerait que Jean-Louis Courjault a prêté son blouson à son double télévisuel.
La retranscription des propos est sans doute fidèle, du moins dans les paroles “en longueur”.
On se doute, quand on connaît la procédure des Assises, que la dynamique des échanges a parfois été retravaillée. En effet, les témoins et experts doivent d’abord faire leur déposition et c’est ensuite, pour préciser leurs propos, que des questions sont posée. Le jeu de questions réponses qui apparaît dans le film est donc vraisemblablement l’équivalent scénaristique du montage.

C’est un procès qu’on n’a jamais entendu : quiconque a assisté à une audience dans une salle comme on en trouve dans tous les palais de justice sait que la sonorisation est souvent un problème majeur…

C’est un procès comme personne ne l’a vu : le point de vue est le plus souvent celui de l’accusée (avec des images d’ailleurs parfois très belles du reflet de celle-ci dans la vitre du box, regardant un témoin, le plus souvent son mari, au second plan, flou).
Aucun juré, aucun spectateur, n’a vu le procès comme cela. Il y a d’ailleurs très peu d’images du point de vue de la cour.
C’est un procès en gros plan, alors qu’une audience est toujours en plan large.

C’est un procès sous titré : les entretiens avec certains protagonistes, parfois juste après la reconstitution de leur audition à la barre, éclairent leurs propos, les précisent, les décryptent parfois.
Les interventions de Claude Halmos sont un contrepoint intéressant, qui contribue à dresser le portrait de cette femme.
Celles d’Henri Leclerc contribuent souvent à décrypter la difficulté de la “machine judiciaire” à appréhender une parole qui lui est parfois étrangère. Il a une réflexion très fine sur la sincérité des propos de sa cliente en garde à vue, qui complète ce qu’elle a essayé d’expliquer à la cour.

C’est un procès déconstruit. Le “plan” classique d’une audience d’assises, c’est généralement l’examen de la personnalité, avec le défilé des proches, des experts psychologues et psychiatres, puis l’examen des faits.
Le réalisateur a bouleversé la chronologie des interrogatoires et dépositions, dans un vrai travail journalistique de synthèse et de mise en perspective.

C’est un procès de regards : celui, fixé sur sa cliente, de Maître Nathalie Senyk, ceux qu’échangent les époux Courjault, ceux que voudrait fuir la famille Fièvre pendant qu’on parle d’elle

c’est un procès virtuel, mêlé au monde réel, entrecoupé d’images de la salle des pas perdus pendant les suspensions, des vrais journalistes en train d’enregistrer leurs sujets. On a parfois un temps d’arrêt devant une image de la porte de la salle d’audience : vraie ou fausse ?

C’est un procès d’experts, dont la parole retravaillée par les scénaristes à partir des “vrais” mots de l’audience devient pédagogique.

Mais c’est un procès qui n’existe pas, qui dure 105 minutes au lieu de dix jours d’audience, où tout est réduit, retravaillé.

C’est un beau film, un portrait de femme (et d’homme) saisissant, mais ça n’a rien à voir avec un procès.

C’est sans doute cela le plus intéressant ; le procès, l’objet de toutes les convoitises télévisuelles, a été détourné, malaxé, trituré pour en sortir quelque chose d’autre, qui va au delà du jugement des faits ou de celle qui les a commis.
Et des images du vrai procès, avec les contraintes que cela impliquerait quant au positionnement des caméras, le dérangement qui en aurait résulté dans l’ordonnancement judiciaire, n’auraient paradoxalement pas permis de faire ce film.

Je reste très réservée sur le principe de la reconstitution d’une audience. Mais il s’agissait là d’autre chose. Et c’est cet autre chose qui est si réussi.
Simplement, il ne faut pas y voir un procès, ni un compte rendu d’audience, juste un portrait.

jeudi 3 décembre 2009

Les gardes à vue sont-elles illégales ? (2)

— Maître, j’ai entendu un hélicoptère se poser sur le toit du cabinet. Vous êtes revenu ?

— Oui, mon Jeannot. Désolé d’avoir dû filer, mais l’Académie Busiris a dû siéger, et samedi soir, j’avais un match de rugby.

— C’est pour ça que vous êtes couvert de bleus ?

— Las, la zone d’en but néo-zélandaise n’a pas eu cette chance. L’équipe de France n’a pas marqué un seul point de la main, cette fois… Mais passons. Que veux-tu ?

— Vous apporter une tasse de thé.

— Toi, tu as une question à me poser. Oh, du thé de noël ? Bon, c’est un des rares thés parfumés que j’accepte de boire, plus par tradition que par goût. Que veux-tu donc savoir ?

— Ma foi, nous en étions à parler des gardes à vue…

— …Et nous en arrivions à la question : « que faire » ? Voyons les pistes qui s’offrent à nous, étant précisé qu’il ne s’agit ici que de réflexions que je fais à haute voix et destinées à être soumises à l’avis perspicace de mes commentateurs, tant les voies ouvertes par le code de procédure pénales sont limitées, et je n’ai pas la prétention d’avoir la compétence pour décider des modalités d’une action collective de ma profession. Mais ces voies existent, et nous nous devons de les utiliser, sous peine de perdre notre crédibilité quand nous en exigerons de nouvelles. L’indignation et la dénonciation de cette situation, c’est bien, mais nous sommes aussi des techniciens du droit en charge de la défense. Nous avons l’obligation d’exercer notre ministère sans attendre que le législateur daigne nous y autoriser.

— Vous savez comme je suis attaché à la Défense. Je vous écoute.

— Suivons la logique juridique et commençons par la fin.

— C’est logique, ça ?

— Les dossiers judiciaires sont ainsi faits : les actes les plus récents en haut, les premiers qu’on voit sont les derniers faits. Outre que cela réalise la Prophétie du Sauveur[1] dont nous allons bientôt fêter la naissance, ce sont ceux que l’on consulte le plus souvent pour voir où en est le dossier. Ça simplifie la consultation.

— Dit comme ça, c’est logique.

— Et l’objectif doit être de porter la question devant la cour européenne des droits de l’homme. Seule une condamnation de la France sera à même de convaincre le Gouvernement et Guillaume Didier. Encore que s’agissant du premier, j’ai l’impression qu’il a parfaitement réalisé la situation : le premier ministre a tenu des propos indiquant qu’il ne refusait pas le principe d’une réforme de la garde à vue ; le droit pour l’avocat d’y intervenir réellement nous est présenté par le Président de la République comme une contrepartie à la suppression du juge d’instruction, ce qui ne manque pas de toupet, mais le président n’a jamais présenté de carence de ce côté-là. Mais dans le doute, direction Strasbourg.

— Et pour cela, que faut-il faire ?

— Soulever la question devant le juge national, qui est le premier juge de la convention européenne des droits de l’homme. C’est de toutes façons obligatoire pour porter la question devant la cour européenne, sous peine d’irrecevabilité.

— Sous quelle forme ?

— Des conclusions écrites, impérativement, pour saisir le tribunal de la question ce qui l’oblige à y répondre (art. 459 du CPP) et constitue la preuve de ce que la question a bien été posée.

— Une autre condition ?

— Oui, épuiser les voies de recours internes. Ce qui veut dire aller jusqu’en cassation. Si des avocats aux Conseils sont intéressés par ce combat et accepteraient d’intervenir à l’aide juridictionnelle, qu’ils se manifestent, étant rappelé qu’en matière pénale, le pourvoi est dispensé du ministère d’avocats aux Conseils, mais aussi que selon le troisième Théorème de Cicéron, jamais l’assistance d’un professionnel n’est plus nécessaire que quand la loi nous permet de nous en passer. Le pourvoi est une procédure particulière, qui a sa logique propre. On n’attaque que le raisonnement en droit, selon des critiques appelées “moyens”, qui peuvent se diviser en branches et qui sont bien connus : violation de la loi, contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusion, dénaturation des faits, etc…, et est enserré dans des délais très stricts et des formes qui le sont tout autant. Si le pourvoi est une voir de recours extraordinaire, ce n’est pas pour rien. D’où l’intérêt des conclusions à l’audience, qui posent la question de droit qui pourra ensuite être critiquée Quai de l’Horloge.

— Et vous avez un modèle de conclusions ?

— Mon Jeannot, depuis le temps que tu fais ton stage ici, tu as pu te rendre compte que je ne répugne pas à faire travailler les autres. Des confrères illustres, et excellents, puisque parisiens, ont créé une association “je ne parlerai qu’en présence de mon avocat” et ont ouvert un site internet pour l’abolition de la garde à vue sans avocat : http://www.abolir-gardeavue.fr/ Il s’y trouve un modèle de conclusions libre de droits (un peu comme les gardé à vue, tiens…), à adapter et compléter. Je suggère notamment d’y ajouter les mentions des arrêts rendus en rafale par la CEDH et qui confirment expressément l’arrêt Salduz (Salduz était-il un arrêt pilote ?), notamment l’arrêt Danayan c. Turquie (no 7377/03) du 13 octobre 2009, Kolesnik c. Ukraine (requête no 17551/02), Boluçok c. Turquie (n°35392/04) du 10 novembre 2009 (en anglais seulement), Pishchalnikov c. Russie, requête n° 7025/04 du 24 septembre 2009. Et la rafale se confirme : la cour vient de rendre un nouvel arrêt dans le même sens le 1er décembre, Adalmis et Kiliç c/Turquie, req. n° 25301/04, Ajoutons que l’arrêt Danayan cite dans les précédents pertinents (§30 de l’arrêt) l’arrêt Poitrimol contre France de 1993, permets moi de graisser pour mon ami Guillaume Didier, où la cour disait déjà que la Convention exige de pouvoir être effectivement assisté d’un avocat. Le déni de réalité devient de plus en plus difficile.

— Mon papa a un ami qui est très fort pour ça.

— Je crains que même ce petit Hercule de la matière aura du mal à étrangler ce serpent là.

— Mais sans jeu de mot, quelles conclusions vos excellents confrères en tirent-ils dans leurs conclusions ?

— La nullité des PVs d’audition et de confrontation en garde à vue, en fait tous les actes liant le prévenu à cette garde à vue illégale, ou plutôt inconventionnelle, puisque si le code de procédure pénale a été respecté, c’est au prix du respect de la convention européenne des droits de l’homme, qui a une valeur supérieure.

— Et ça peut marcher ?

— Pas besoin d’être grand clerc pour deviner une certaine résistance des juridictions. Bien souvent, quand on plaide une nullité, on sent un désir de la juridiction de tout faire pour sauver la procédure. Le moyen le plus commode est d’invoquer l’absence de grief : art. 802 du CPP, dit le Fléau des Nullités, l’article de loi qui dit qu’il est légal de violer la loi tant que ça ne fait pas trop de mal à la défense, un concept bien français.

— J’entends déjà le téléphone sonner : tous vos lecteurs magistrats vont protester en commentaires.

— Je m’en doute bien, mais pour ma part, ma religion est faite depuis une affaire qui, par les hasards du traitement administratif est devenu un cas d’école assez unique : j’ai pu plaider deux fois le même dossier devant deux chambres à quelques jours d’intervalle. Et le résultat a été riche d’enseignement.

— Vous m’intriguez.

— C’est le but. Voici, une fois n’est pas coutume, une affaire que j’ai traitée.
Une belle et douce soirée de juillet, un groupe de lycéens fêtait sur les bords de Seine la fin des épreuves du baccalauréat. Les filles étaient jolies, la bière était fraîche, et la vue magnifique. La soirée s’annonçait bien. Au-dessus d’eux, sur les quais, une bagarre éclate à la terrasse d’un café. La police est appelée et arrive après la bataille. Elle ne s’avoue pas vaincue et munie de la description détaillée des sauvageons (“c’était des jeunes”), ils avisent les jeunes gens en contrebas. N’étant pas cacochymes, ils correspondent à la description. D’où contrôle d’identité. Goûtant peu d’être dérangés, les jeunes gens accueillent la maréchaussée plutôt froidement. Le ton monte. Une jeune fille a une parole qui déplaît à un des policiers qui s’estime outragé. La demoiselle est saisie et menottée (c’est important pour la suite) et embarquée. Son chevalier servant s’interpose, s’offusquant de ces méthodes et demandant qu’elle soit relâchée. La police, estimant que le jeune homme empêche leur véhicule de repartir, l’embarque aussi pour entrave à la circulation. Avec là aussi menottes. Tout ce beau monde est conduit au commissariat de l’arrondissement “pour présentation à l’OPJ”, dixit le procès verbal. Et va être entendu jusqu’à 3 heures du matin, avant d’être relaché (je précise qu’une mesure d’éthylomètre sera réalisée et révélera un taux très bas chez le jeune homme et nul chez la jeune fille). La procédure sera transmise au parquet par courrier, qui n’apprendra les faits qu’à ce moment car jamais ce jeune homme et cette jeune fille n’ont été placés en garde à vue. Donc pas d’avocat, pas d’avis à famille (les portables ont pourtant été confisqués) et le parquet n’a même pas été informé de cette rétention qui a tout de même duré presque cinq heures. Du coup, les courriers ayant été traités par deux substituts différents, le jeune homme a été convoqué devant une des chambres correctionnelles, et la jeune fille, la semaine suivante, devant une autre. J’ai donc déposé les mêmes conclusions de nullité devant les deux chambres et plaidé le même argument : le menottage révèle la contrainte, personne ne peut soutenir qu’ils sont restés volontairement au commissariat jusqu’à 3h du matin, après le dernier métro (c’était avant le Vélib), donc il y a eu contrainte, donc garde à vue, qui n’a jamais été notifiée, d’où nullité de la procédure, aucun des articles 63 n’ayant été respecté.

— Et qu’arriva-t-il ?

— D’abord, dans les deux cas, le parquet requit le rejet de la nullité. Là, je ne le comprends pas. En soulevant cette nullité, ce sont aussi ses prérogatives que je défendais : celles d’être informé des mesures de garde à vue afin de les contrôler, et au besoin ordonner qu’il y soit mis fin. Admettre que la police le mette devant le fait accompli, c’est abdiquer une fonction essentielle de garantie des libertés. Le fait qu’elle ne soit pas satisfaisante en l’état ne justifie pas qu’on s’en passe pour autant. Mais non, il faut sauver la procédure, le respect du rôle du parquet passe en second.

— Et le jugement ?

— La jeune fille a été relaxée après annulation de la procédure.

— Et pour son soupirant ?

— Mon exception de nullité, rédigée dans les mêmes termes et plaidée avec le même talent, a cette fois été rejetée.

— Pour quel motif ?

— Art. 802. Absence de grief.

— Mais la cour de cassation dit de manière constante que la violation des articles 63 du CPP fait nécessairement grief eu égard à la nature de ces garanties ?

— Je le sais, c’était même écrit dans mes conclusions.

— Vous avez fait appel ?

— Non. Mon client a été condamné à 100 euros d’amende avec sursis, décision extraordinairement clémente pour des faits de cette nature (deux ans encourus). Pourquoi voulez-vous qu’il fasse appel ? J’ai tenté de le convaincre, notamment en invoquant le fait qu’il n’échapperait pas aux 90 euros de droit de procédure du fait de sa condamnation. J’étais même prêt à le faire gratuitement, c’est dire. Mais il a choisi de tourner la page et d’oublier ce mauvais souvenir. L’orthodoxie juridique de la chose lui a échappé : il a été condamné à ne rien payer, ça lui allait. Je précise que je tiens à la disposition de tout magistrat dubitatif des scans anonymisés de ces deux jugements et de mes conclusions visées par le greffe. Donc, aujourd’hui, je n’accepte plus les protestations indignées des magistrats m’expliquant que non, seul le souci de la loi guide leur corps, jamais la volonté de sauver à tout prix un dossier pour la pédagogie judiciaire. Je ne dis pas que tous le font : la preuve, le premier juge a annulé la procédure sans hésiter plus que le temps du délibéré. Mais qu’on ne me dise plus qu’aucun ne le fait. J’en ai désormais la preuve.

— Donc vous supputez de faibles chances de succès devant les juges du fond ?

— Tu maîtrises fort bien le vocabulaire juridique, Jeannot. Tu as repris la fac ? Les juges du fond, pour mes lecteurs mékéskidis, sont les juges du fait et du droit (ils fixent au vu des éléments de preuves discutés par les parties quels faits sont établis avant de leur appliquer la loi) par opposition au juge du seul droit qu’est la Cour de cassation et qui tient pour acquis les faits tels que retenus par le juge du fond dont la décision lui est soumise. Le juge du fond, c’est le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels. Le juge du droit, c’est la cour de cassation. On peut contester que c’était bien son client qui s’est emparé du sac à main de la victime devant les juges du fond ; ce fait n’est plus contestable devant le juge du droit, qui s’assurera par contre que le juge a bien qualifié les faits de vol et pas d’escroquerie, par exemple. Oui, je pense que les chances sont faibles, pour plusieurs raisons. Depuis des années, de fait depuis leur début d’exercice professionnel, les juges estiment dans leur majorité que les règles actuelles de garde à vue, sans être pleinement satisfaisantes au regard des standards des autres nations démocratiques, sont conformes à la Convention. Dame, on ne remet pas en cause comme cela la pierre angulaire de la procédure pénale.

— Vous allez encore vous faire des amis.

— Mais il n’y a qu’à ses amis qu’on peut parler aussi franchement, et je ne doute pas que leur réplique témoignera par sa vigueur de la très haute estime en laquelle ils me portent aussi. Mais vois toi-même : jusqu’en 1993, l’absence totale de l’avocat en garde à vue ne les a pas ému plus que cela, alors qu’aujourd’hui, personne ne conteste que cette mesure était contraire à la convention européenne des droits de l’homme. De même que la première version de la loi, qui repoussait à la 20e heure l’intervention de l’avocat, alors qu’il est clair à présent qu’un tel retard systématique est aussi contraire à la Convention. Tiens, les juges ont également validé l’interprétation faite par la police que la phrase “Lorsque 20 heures se sont écoulées” devait s’entendre par la 21e heure, et non la première minute suivant la 20e heure. Une heure de grattée, contra legem. Vois aussi la règle du Code qui voulait qu’un prévenu qui ne comparaissait pas ne pouvait être représenté par un avocat. Si un avocat se présentait, le tribunal refusait de l’entendre. Pendant des années, en s’appuyant sur une jurisprudence très claire de la CEDH (Poitrimol c. France, 23 nov 1993), les avocats ont demandé à pouvoir être entendu. Refus obstiné (arrêts de la cour de cassation des 21 juin 1995, 6 mai 1997, 15 décembre 1998). La France a fini par se faire condamner très expressément par la CEDH pour cette pratique (arrêt Van Pelt c. France, n°23 mai 2000). Eh bien nous avions beau leur mettre cet arrêt sous le nez, rien n’y fit. Il fallut que la cour de cassation rendît en assemblée plénière un arrêt confirmant ce principe le 2 mars 2001 pour qu’enfin nous pûmes prendre la parole quand bien même notre client faisait défaut. Tiens, je me souviens même qu’un président de chambre des appels correctionnels, peu de temps après cet arrêt, refusa néanmoins d’entendre un avocat présent à l’audience qui s’était muni d’une copie de cet arrêt publié sur le site de la cour de cassation, car “cet arrêt n’avait pas encore été publié au Bulletin ni fait l’objet d’une information des magistrats par voie interne”. Le tollé fut immédiat chez tous les avocats présents, ce qui obligea le président à faire machine arrière et à donner la parole à l’avocat, mais le président manifesta sa désapprobation en lisant pendant la plaidoirie un autre dossier et en bavardant avec son voisin, pour montrer ostensiblement qu’il n’écoutait pas. Je te parle d’une scène dont j’ai été témoin direct, Jeannot. Il faudra finalement que le législateur, la mort dans l’âme tant cela allait à rebours de son inclinaison d’alors et actuelle, consacre ce principe en ajoutant par la loi Perben 2 du 9 mars 2004 un alinéa à l’article 410 du CPP pour mettre fin à la controverse. D’où je le concède un faible espoir que le changement vînt de la jurisprudence. Mais Dieu sait que j’adorerais que la suite des événements me donne tort.

— Mais ils ne peuvent pas réécrire le Code ?

— Non. Cela dit il n’en est nul besoin. Nulle part le Code dit que l’avocat n’a pas accès au dossier ni ne peut assister une personne interrogée. Le code ne fixe expressément qu’un droit à un entretien confidentiel pendant une durée maximale de trente minutes. Pour le reste, il ne dit rien, d’où il s’en déduit que l’avocat a droit à… rien. Mais absolument rien ne fait obstacle à ce que la jurisprudence estime que dans le silence de la loi et le fracas de la Convention européenne des droits de l’homme, désormais, l’avocat ne pourra se voir refuser l’accès à la procédure et assister aux interrogatoires. Mais on en est encore loin, quand on voit la jurisprudence actuelle. Le salut viendra plus surement, une fois n’est pas coutume, du législateur.

— Et justement, puisque nous progressons contre le cours du temps, au stade de la garde à vue, y a-t-il des choses à faire ?

— Oui, indubitablement. La défense commence au stade de la garde à vue. Même si nous ne pouvons pas faire grand’chose, le peu de chose que nous pouvons faire doit être fait.

— Et qu’est-ce donc ?

— Paradoxalement, ne pas parler de l’affaire qui motive la garde à vue.

— Voilà qui est étonnant.

— En apparence seulement. La loi ne nous donne que trente minutes et aucun accès au dossier. La qualification des faits n’est pas encore certaine (elle ne le sera que quand le parquet citera en justice). La seule version qu’on aura est celle du client, forcément partiale. Commencer à bâtir une défense là dessus, c’est construire un rempart sur des sables mouvants.

— Donc pas de défense ?

— Ai-je dit cela ? Non, nous devons dans ce laps de temps expliquer au gardé à vue ce qu’est une garde à vue, quelle est sa durée, quels sont ses droits, s’assurer qu’il a pu ou peut les exercer, et lui expliquer ce qui va se passer par la suite (de la remise en liberté pure et simple au défèrement pour placement sous contrôle judiciaire, comparution immédiate ou mise en examen) en passant par la citation directe, la convocation par officier de police judiciaire et les alternatives aux poursuites. S’enquérir brièvement des circonstances pour l’alerter des dangers les plus flagrants (si le gardé à vue d’une affaire de violences tient des propos racistes, il faut lui signaler que le mobile raciste est une circonstance aggravante et que son opinion sur la race de la victime n’intéresse que lui) et lui rappeler qu’il doit relire attentivement les PVs, qu’il n’est pas obligé de les signer et que dans le doute, il vaut mieux s’abstenir et que surtout il a le droit de se taire (Arrêt Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996), et que c’est un droit dont il ne doit pas hésiter à faire abondamment usage. Crois-moi, les 30 minutes passent très vite. Et à la fin, il est temps de dégainer notre seule arme.

— Laquelle ?

— Les observations écrites. Je suis affligé de voir que dans la quasi totalité des dossiers où un avocat est intervenu en garde à vue, il n’a pas jugé utile de laisser des observations. Des gardes à vue ne justifiant aucune observation, c’est comme les ministres de gauche : ça existe, mais c’est rare.

— Quels types d’observations doivent être faites selon vous ?

— Songe, mon petit Jeannot, que les observations doivent être versées au dossier. C’est une pièce de la procédure de garde à vue que nous rédigeons nous-même. La seule. Elle sera lue par l’officier de police judiciaire responsable de la garde à vue, par le procureur, par l’avocat chargé de la défense, et par le tribunal, en ordre d’apparition à l’écran. Et je t’assure que si un dossier est lu très rapidement, les observations écrites de l’avocat font partie des pièces sur lesquelles le lecteur s’arrête. Voici donc une occasion de faire passer un message. C’est à eux qu’il faut penser au moment de se saisir de son stylo.

— Et concrètement, quels sont vos conseils ?

— Après quelques années à rouler ma bosse dans les commissariats, voici mes modestes lumières. D’abord, à Paris, toujours utiliser les formulaires fournis gratuitement par l’Ordre (allez les réclamer au Bureau pénal) : ils sont autocopiants en trois exemplaires. Vous remettez l’original à l’OPJ, l’exemplaire jaune au bureau pénal, et le blanc est pour vos archives. Comme ça, vous avez une copie de vos observations sans dépendre du bon vouloir de l’OPJ et de l’état de fonctionnement du photocopieur du commissariat pour avoir une copie, la loi ne nous donnant aucun droit à cette copie. Pour les confrères de province dont le barreau n’est pas ainsi équipé, ce serait une bonne idée que le CNB s’occupe de fournir chacun des barreaux de formulaires similaires et uniformes au niveau national. On pourra y mettre notre beau logo. Vous pourrez opportunément si vous l’avez avec vous y apposer votre cachet. Cela permettra à votre confrère saisi du dossier de vous contacter en cas de besoin (sinon seul le nom de famille est mentionné ; si vous vous appelez maître Martin, notre confrère est mal).

— Et sur la forme ?

— Écrire lisiblement bien sûr, les médecins des urgences médico-judiciaires ayant le monopole des documents manuscrits illisibles (Ah, la joie de parvenir enfin à déchiffrer les mots “ecchymoses” et “extenseur ulnarien du carpe” après des longues minutes à s’esquinter les yeux… On se sent un peu Champollion). Être prudent dans l’expression : quand on relate ce que nous dit le client, le préciser et employer le conditionnel, et réserver l’indicatif pour ce que l’on constate personnellement. Ne rien relater qui pourrait nuire à son client, bien sûr. Et ne pas aborder les faits, jamais. Ce n’est pas notre rôle, on ne sait pas ce qu’il a déjà dit ni ce qu’ont les enquêteurs dans leur besace, et ces déclarations pourraient se retourner contre lui. Pas de défense sans visibilité.

— Alors de quoi parler ?

— De la garde à vue et de l’état du gardé à vue : nous seuls en parlerons. C’est un témoignage que nous apportons. Voici un exemple de ce qu’il ne faut pas faire, tout d’abord :

« Monsieur Dupipo a été frappé et insulté lors de son arrestation, et des policiers lui ont volé la somme de 300 euros qu’il avait dans sa poche. Il est innocent des faits qui lui sont reprochés et est un ami personnel du Garde des Sceaux. ».

Quelle que soit la sincérité apparente de M. Dupipo, vous n’étiez pas présent lors de son arrestation, vous ne pouvez affirmer qu’il a été frappé et volé. Vous ne bénéficiez d’aucune immunité contre la diffamation non publique et l’outrage dans les observations écrites. Ne faites pas du droit à l’avocat en garde à vue le droit à la garde à vue de l’avocat. De même, vous ne savez pas s’il est vraiment innocent, et si ça se trouve, l’OPJ attend qu’on lui amène l’enregistrement d’une caméra de surveillance montrant en gros plan monsieur Dupipo commettre les faits qui lui sont reprochés. Épargnez-vous le risque du ridicule, laissez cela à Éric Besson. Enfin, en invoquant une protection, vous allez mettre dans l’embarras votre client s’il a menti, ou le garde des sceaux s’il a dit la vérité, sans que cela apporte grand’chose à la défense.

— Alors comment feriez-vous ?

— Des allégations de violence sont un élément grave que vous ne pouvez passer sous silence. D’abord, informez votre client que vous vous proposez de le mentionner dans des observations écrites au dossier. Insistez sur le fait que les juges le verront et que s’il s’avérait qu’il a menti, ça se retournera immanquablement contre lui, tandis qu’à ce stade, ça reste confidentiel. Laissez-lui une porte de sortie élégante en lui disant que comme vous ne constatez aucune trace de coup, il se pose peut-être un problème de preuve. S’il insiste, notez par exemple :

« Le gardé à vue se plaint de douleurs consécutives aux gestes pratiqués lors de son interpellation. Il serait souhaitable qu’un médecin l’examinât.» N’hésite jamais, mon Jeannot, à glisser un imparfait du subjonctif : ça embellit le dossier. « De plus, il m’informe qu’il aurait eu sur lui une somme de 300 euros lors de son interpellation mais n’est pas certain qu’elle ait été mentionnée dans sa fouille. Il convient de le rassurer sur ce point. ». Ajouter à cela des observations sur le déroulement de la garde à vue, en fonction des réponses aux questions que vous lui aurez posées : « Le gardé à vue me dit être privé de ses lunettes depuis son interpellation. Il m’indique être fortement myope et ne voit que très mal sans elles. Il souhaiterait qu’on les lui rendît ; à tout le moins, il convient de s’assurer qu’il les a lors des auditions pour relire les PV. Il m’indique également ne pas avoir eu de repas chaud depuis son arrivée au poste à 18 heures alors qu’il est 23 heures. Enfin, bien qu’il n’ait pas initialement souhaité user du droit prévu à l’article 63-2 du CPP, il souhaiterait faire prévenir de la présente mesure sa compagne Babette Deveau, au 06 xx (ou dont le numéro est au répertoire de son téléphone au nom “mon loukoum d’amour”). Le gardé à vue, qui m’indique être un fumeur invétéré, demande en vain à pouvoir fumer une cigarette (il aurait un paquet à sa fouille) depuis le début de la garde à vue. Il m’indique que le manque de tabac lui cause une véritable souffrance. Il se plaint enfin d’une odeur nauséabonde d’excréments humains dans sa cellule. J’indique avoir en effet perçu pour ma part des relents méphitiques en passant près du couloir des cellules. ».

Ajoutez-y des observations personnelles où vous n’êtes plus que simple témoin mais aussi avocat : « ”Je constate que le gardé à vue a des marques rouges très marquées aux poignets ; il m’indique qu’il s’agit des menottes dont le port lui est imposé depuis son arrivée et qui sont trop serrées ; malgré ses plaintes, on ne les lui aurait pas desserrées. Le gardé à vue m’informe avoir fait l’objet d’une fouille à nu à son arrivée. L’opportunité d’une telle mesure intrusive et humiliante s’agissant d’une personne à qui on reproche un outrage me laisse réservé. De plus, je constate que le gardé à vue doit en permanence quand il se déplace retenir son pantalon avec les deux mains car on lui a retiré sa ceinture. Le gardé à vue m’informe ne pas avoir pu dormir de la nuit car au commissariat central du 21e arrondissement où il a été transféré, la lumière serait restée allumée toute la nuit dans sa cellule. De plus, il n’aurait pas eu de couverture et n’avait donc que sa veste pour se réchauffer. Je constate que le gardé à vue a grelotté pendant tout l’entretien.». Cela peut aller jusqu’à la demande d’acte : « Le gardé à vue a un comportement exalté, et tient des propos incohérents, parfois à la limite du délire. Il convient de demander à un médecin de l’examiner et d’envisager une consultation psychiatrique. »

Ces exemples sont des observations que j’ai déjà faites dans des dossiers (pas toutes dans le même, rassurez-vous).

— Et vous croyez vraiment qu’elles servent à quelque chose ?

— Je suis plus enclin à le croire que si elles ne figuraient pas au dossier. D’abord, cela donne un élément de contexte au tribunal. La garde à vue, il n’y était pas. Vous, oui. Alors racontez-lui comment ça se passe. Un juge n’est jamais trop informé. Ensuite, vous donnez des munitions à votre confrère chargé de la défense. A-t-il eu ses lunettes pour relire les PV ? A-t-il pu fumer, ou lui a-t-on fait signer ses aveux après 24 heures de privation de tabac contre la promesse de pouvoir s’en griller une ? Quand on dit qu’il a été “laissé au repos” dans le PV de fin de garde à vue, ça veut dire laissé toute la nuit dans une cellule lumineuse et sentant les selles, à grelotter de froid ? Ça peut expliquer pourquoi il a une tête de serial killer aux yeux injectés de sang en arrivant aux comparutions immédiates et pourquoi il s’endort sur le banc des prévenus, et qui sait ? Ça peut même permettre de détecter une erreur judiciaire, un jour. C’est important, je le maintiens, car comment exiger un rôle plus important lors de la garde à vue si on ne remplit pas déjà celui qui nous est dévolu aujourd’hui.

— Et faut-il demander à accéder au dossier ?

— Je me suis posé la question. Dois-je demander à accéder au dossier, voire à revenir pour l’audition, et mentionner le refus dans les observations ? J’opine pour le non. C’est inutile, ces demandes seront refusées et aucun tribunal n’en doutera, c’est la pratique actuelle et constante depuis la création du Tribunal de la Sainte Inquisition. L’OPJ risque de ne pas comprendre que cela s’inscrit dans une démarche collective du barreau et vous prendre pour un incompétent complet, et du coup il ne prêtera aucune attention à vos observations. Mais vos observations permettront de souligner en creux, en cas de recours devant la CEDH, combien votre rôle est limité. Un dernier conseil sur les gardes à vue…

— Oui ?

— Votre comportement doit être vis à vis des policiers d’une courtoisie irréprochable du début jusqu’à la fin de votre présence dans les locaux. Vous êtes avocat, et vous êtes bien élevé aussi je suppose. Vous verrez que les policiers sont eux-même très à cheval sur les règles de courtoisie et vous paieront automatiquement de retour. Et toute arrogance de votre part sera également payée de retour. Ce n’est pas s’abaisser de saluer les personnes que vous croisez dans les couloirs, de vous présenter spontanément en déclinant vos nom et qualité, de dire s’il vous plait et merci quand bien même vous exercez un droit garanti par la loi, et de dire au revoir en partant. Vous n’êtes pas chez vous, ce n’est pas à vous de tendre la main pour serrer celle de l’OPJ, mais à l’OPJ de le faire. Vous ne devez pas refuser de la lui serrer ni vous formaliser s’il ne vous la serre pas (généralement, ils ne le font pas), ce peut être une façon de marquer une distance du fait que nous intervenons à des titres fort différents dans la procédure, et il est des distances courtoises. Veiller à avoir à portée de main dès votre arrivée votre carte professionnelle et votre fiche d’intervention si vous êtes commis d’office sans que l’OPJ n’ait à vous les réclamer ni que vous ayez à fouiller dans votre sacoche. Vous êtes pressé, lui aussi. Et si vous tombez, c’est rare mais cela arrive, sur un OPJ mal embouché qui n’apprécie pas vos observations, laissez glisser sans réagir, ça ne sert à rien et vous n’êtes pas en position de force. Vous ne savez pas la journée ou la nuit qu’il a eue, ce qu’il a vu et ce qu’il a encaissé. Ils ont mérité de par leur métier un peu d’indulgence, et si une limite est franchie, vous en référez au Bâtonnier qui vous accompagnera pour une plainte à sa hiérarchie.

— Voilà qui me donnerait presque envie de commettre un délit de fuite au guidon de mon scooter, pour connaître les joies de la garde à vue et peut-être avoir un arrêt de la CEDH à mon nom.

— Comme “presque” est un joli mot, Jeannot. Tâche de ne jamais l’oublier. Et file refaire du thé pour mes invités qui vont venir commenter mes propos ci-dessous. Cela promet d’être intéressant.

Notes

[1] “Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers.” (Matt. 20,16)

jeudi 26 novembre 2009

Prix Busiris pour Michèle Alliot-Marie

Il est désormais acquis que tout Garde des Sceaux a vocation a recevoir au moins un prix Busiris. Pascal Clément a eu le sien, Rachida Dati, je n’en parle même pas tant elle est devenue l’incarnation du prix (même son départ de la Place Vendôme ne la met pas à l’abri, Dominique Perben n’y ayant échappé que parce que le prix n’a été créé que postérieurement à son départ. Michèle Alliot-marie, rayonnante à l'annonce de cette consécration tant attendue. «Dans ta face, Rachida » a-t-elle déclaré, avant d'ajouter « Il m'en reste sept pour la rattrapper mais je me sens inspirée. Je vais la mettre minable. »

Ce n’était qu’une question de temps avant que la titulaire ne soit dûment primée : voilà qui est fait.

L’Académie, en sous-sections réunies, a donc l’honneur et l’avantage de décerner son premier prix Busiris à madame le Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (notons que ce titre est à la limite du Busiris car il est une confusion volontaire : la justice s’entend non comme la vertu, qui prend parfois une majuscule, mais une administration, tandis que les libertés ne sont pas une administration mais relèvent des droits de l’homme).

Le propos primés sont les suivants, étant au préalable rappelé par l’Académie que côté connaissance du droit, madame Alliot-Marie ne joue pas dans la même division que son prédécesseur : docteur en droit (thèse sur le salarié actionnaire), docteur en sciences politiques (thèse d’État sur Les Décisions politiques et structures administratives), elle fut maître de conférence en droit public et a dirigé (brièvement certes) une UFR de sciences politiques à la Sorbonne. En plus, elle fut avocat. Bref, on a du solide. Ce qui rend l’Académie peu encline à l’indulgence.

Voici donc ces propos. Ils ont été tenus à l’occasion de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de l’Élysée. L’opposition a à cette occasion demandé une commission d’enquête sur la fringale de sondages de l’Élysée, dont les contrats étaient de plus passé dans des conditions douteuses (notamment sans marché public), qui aboutissait à rémunérer fort cher des services fournis par des sociétés où des conseillers de l’Élysée avaient des intérêts financiers. Ce qui est non seulement illégal mais constitue un délit de prise illégale d’intérêt.

Une telle demande a été rendue possible par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, voulue par l’actuel président. Elle devait d’abord passer par le filtre du président de l’assemblée, qui peut décider de la transmettre à la Commission des lois de l’assemblée qui décide après débat et vote s’il y a lieu ou non de réunir cette commission (le filtre du président vise à écarter les demandes infondées qui viseraient à charger artificiellement l’agenda de la commission pour l’empêcher d’examiner un texte par exemple).

Lorsque cette demande a été présentée au président Accoyer, le Garde des Sceaux a demandé à celui-ci de ne pas transmettre cette demande à la commission des lois. C’est une partie du raisonnement tenu à l’appui de cette demande qui est récompensé.

En effet, il demande au président de l’assemblée de constater l’irrecevabilité de cette demande en ce qu’elle serait contraire à la séparation des pouvoirs.

D’après le compte-rendu des débats, la réaction de l’académie à la lecture de cette affirmation fut : « KEU-W ?? ». Ce qui est exact mais mérite d’être un peu élaboré.

La séparation des pouvoirs est une expression impropre pour se référer en réalité à l’équilibre des pouvoirs, théorisé par Montesquieu dans l’Esprit des Lois (1748), étant précisé, Redde Caesari quae sunt Caesaris, que la distinction des trois pouvoirs est due à Aristote et que les vertus de leur séparation est due à John Locke (Traité du gouvernement civil,1690, que Montesquieu dévora).

Si ces trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) sont confiés à des personnes distinctes, il n’a jamais été question que les enfermer dans trois forteresses en leur interdisant de regarder ce qui se passe chez les autres, au contraire : Montesquieu expliquait que tout pouvoir tendant à s’étendre au delà de ses limites et à devenir despotique (“le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument” dira Emerich Lord Achton un siècle et demi plus tard), pour éviter la tyrannie, il faut que “par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir” (l’Esprit des Lois, livre XI). La disposition des choses, aujourd’hui, ça s’appelle la Constitution. Qui implique nécessairement que chacun puisse agir sur l’autre selon les modalités prévues par la Constitution (toute autre intervention non prévue par la Constitution étant, elle, une violation de la séparation des pouvoirs, qui suppose que ce soit des personnes distinctes et indépendantes qui exercent les attributs de chacun des pouvoirs).

Notre Constitution est loin d’avoir parfaitement intégré Montesquieu (de ce point de vue, c’est la Constitution des États-Unis qui en est l’application la plus aboutie, les Pères Fondateurs étant d’avides lecteurs de l’oncle Charles) mais de tels mécanismes existent qui excluent une séparation absolue des pouvoirs.

Ainsi l’exécutif peut dissoudre l’assemblée nationale (c’est arrivé en 1962, 1968, 1981, 1988, et 1997), maîtrise l’agenda parlementaire, peut déposer des projets de loi et a le droit d’amendement. Il nomme les magistrats et dirige l’action du ministère public. Il déclenche les poursuites disciplinaires à l’encontre des magistrats.

L’assemblée nationale peut renverser le gouvernement par le vote d’une motion de censure (c’est arrivé en 1962, d’où la dissolution) ou en lui refusant le vote de confiance (ce n’est jamais arrivé). Le parlement contrôle l’action du gouvernement par les questions écrites ou orales, ou par les commissions d’enquête. Il vote la loi que le judiciaire fait respecter au besoin par la force.

Le judiciaire peut juger les parlementaires ou les ministres, selon des modalités spécifiques pour protéger leurs fonctions (et non les titulaires de ces fonctions), Gaston Flosse vient d’en faire l’expérience. Seul le président est mis totalement hors de portée par l’article 67 de la Constitution, précisément en violation flagrante de cet équilibre des pouvoirs.

L’affirmation du Garde des Sceaux est juridiquement aberrante car précisément ce que se proposait de faire le parlement relève de ce contrôle d’un pouvoir sur l’autre : article 24 de la Constitution (“Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques.”). Le contrôle de la façon dont est dépensé le budget de l’État, qu’il vote, est l’essence de son travail. Sauf à dire que le vote du budget viole la séparation des pouvoirs puisque c’est l’éxécutif qui le dépense.

Ce d’autant plus qu’un indice aurait dû mettre la puce à l’oreille du ministre : cette couteuse pratique a été mise au jour par un rapport de la Cour des Comptes… qui fait partie du pouvoir judiciaire (même si c’est un corps à part de la magistrature). Dès lors que le judiciaire peut y mettre son nez, on ne voit pas pourquoi le législatif se le verrait interdire par la séparation des pouvoirs. 

L’affirmation est donc juridiquement aberrante.

La formation universitaire en droit public de la lauréate exclut toute errance de bonne foi.

L’affirmation est de plus contradictoire car précisément la lettre du garde des Sceaux visant à influencer la décision souveraine du président de l’assemblée nationale constitue une violation de la séparation des pouvoirs.

Le mobile d’opportunité politique consiste à voler au secours du président de la République qui pourrait être mis en difficulté s’il devait répondre de cette curieuse gestion des deniers publics.

L’Académie décerne donc le prix Busiris au Garde des Sceaux, avec les découragements du jury, et deux salves d’applaudissements de trois secondes chacune.

L’audience est levée ; rendez-vous à la buvette.

Épilogue : le président de l’assemblée a estimé recevable la demande de l’opposition, qui a été rejetée par la commission des lois. Il n’y aura pas de commission d’enquête.

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