Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Actualité du droit

Le droit fait parfois la Une des journaux. Il y a gros à parier qu'il se retrouvera alors ici.

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jeudi 19 novembre 2009

Le brigadier Guissé est bien français

La cour d’appel de Rouen vient de confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de grande instance de la même ville qui avait débouté le parquet de sa demande de contestation de la nationalité formée à l’encontre du brigadier Ounoussou Guissé (voir ce billet pour les détails de l’affaire). Le parquet est déclaré forclos à agir, les faits invoqués ayant plus de trente ans, qui était l’ancien délai de prescription de droit commun (rappel : il est désormais de cinq ans). C’est à dire que la cour d’appel approuve les juges qui ont dit que la question de la nationalité du père du brigadier Guissé ne se pose même pas, le parquet ayant trop attendu pour se la poser.

Vous pourrez relire avec profit dans ce deuxième billet sur l’affaire le communiqué du ministère des Auvergnats En Surnombre, il prend avec le recul une certaine saveur.

Et pour le coup de pied de l’âne, qu’il me soit permis de faire remarquer à notre excellent ministre qu’avant de parler d’identité nationale, il faudrait peut-être qu’il apprenne à reconnaître un Français quand il en voit un. Surtout s’il porte l’uniforme de l’Armée dans un théâtre d’opération hostile et ce faisant expose sa vie. C’est plus que ce que ceux qui lui contestaient sa nationalité ont fait eux-même.

Peut-être que maintenant, la France pourra permettre à son citoyen de faire venir son épouse et ses enfants, ce qui lui était jusqu’à présent refusé par le pays qu’il sert et pour lequel il s’est battu.

Tout est bien qui finit bien ? Non. Dans cette affaire, le déshonneur des ministres de l’Immigration (qui s’est mêlé d’une affaire qui ne relève pas de ses attributions pour se faire mousser), de la Justice (qui a piloté l’action en justice) et des Affaires étrangères (qui refuse depuis des années l’entrée du territoire à deux enfants français donc) demeure. Je ne suis pas sûr qu’il se prescrive, même par trente ans.

jeudi 12 novembre 2009

Un peu de rigueur ne fait pas de mal

Des lecteurs m’ont signalé que mon billet précédent, rédigé un peu rapidement, était erroné dans son titre. C’est tout à fait exact, et je suis assez sévère avec les approximations des autres pour ne pas me pardonner les miennes, et je vous présente mes excuses.

Le jugement du tribunal administratif n’ouvre pas la porte à l’adoption pour les couples homosexuels puisque la loi n’ouvre l’adoption plénière qu’aux célibataires et couples mariés : c’est l’article 346 du Code civil

Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux.

Le principe est en effet que l’adoption ne concerne que deux personnes : l’adoptant et l’adopté. Par exception, la loi permet à aux deux membres d’un couple marié d’adopter; l’adoption visant à recréer un lien de filiation, la loi permet d’aller au bout de la logique : le mari sera père adoptif, l’épouse la mère adoptive. La loi exige pour cet exception le cadre légal le plus stable qui soit : le mariage. En effet, une séparation supposera nécessairement le passage devant le juge, qui pourra alors statuer sur le sort de l’enfant adoptif en s’assurant que son intérêt est respecté.

Or, comme je vous en avais entretenu il y a fort longtemps, le mariage n’est pas possible entre personnes de même sexe (il est possible pour deux homosexuels de se marier, s’ils sont de sexe différent, mais la chose présente dès lors moins d’intérêt pour eux). 

Donc, la situation actuelle est la suivante : si deux homosexuels (je rappelle que le masculin est neutre en grammaire, et que deux femmes vivant en couple sont des homosexuels comme les autres) vivent en couple, seul l’un d’entre eux pourra adopter un enfant.

Néanmoins, là aussi, les choses évoluent, et une autre décision récente apporte un sérieux tempérament.

La cour d’appel de Rennes vient d’accepter qu’une femme, ayant vécu en couple avec une autre femme et qui s’en était séparée, et qui avait eu un enfant à la suite d’une insémination artificielle pratiquée en Belgique (où la législation est plus souple qu’en France), qu’elles avaient élevé ensemble, délègue son autorité parentale à son ex-compagne. Notons au passage que le parquet a appuyé la requête de la mère en requérant que le juge y fît droit, ce qui semble exclure un pourvoi (encore qu’il y a des précédents…). 

La délégation de l’autorité parentale (art. 377 du Code civil) permet à un des parents de déléguer tout ou partie de son autorité à un “proche digne de confiance”. Cette délégation a lieu par un jugement du juge aux affaires familiales, s’il estime que c’est conforme à l’intérêt de l’enfant. Et ici, tel était le cas, pour que l’ex-compagne garde des liens quasi-maternels avec l’enfant, ui la considère comme sa deuxième mère.

Cette décision va même assez loin puisque cette délégation a été demandé par un couple séparé : ce n’est même plus le couple marié qui est recréé ici mais le couple divorcé. 

Donc un homosexuel vivant en couple pourra désormais adopter un pupille de l’État, puis, le jugement prononcé, demander une délégation de l’autorité parentale au profit de son compagnon. 

C’est une avancée certaine, mais pas encore une victoire, car le compagnon n’aura aucun lien de paternité avec l’enfant, et cela a des conséquences, notamment fiscales. 

Ce qui ne retire rien à l’inexactitude de mon titre d’hier, ce dont je vous demande encore pardon.

Et puisqu’on en est aux excuses, je suis désolé de mon absence des commentaires. Je n’arrive plus à les suivre, au rythme de 200 par jour. N’hésitez pas du coup à me signaler les commentaires que vous estimeriez douteux ou déplacés (page me contacter).

Bonne journée à tous.

mardi 10 novembre 2009

Premier agrément à l'adoption donné à un couple homosexuel

C’est tombé ce matin : le tribunal administratif de Besançon a annulé un refus d’agrément à l’adoption opposé à un couple homosexuel. La nouvelle n’était pas totalement inattendue, puisqu’il survient après la condamnation de la France par la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans cette affaire dont je vous avais entretenu ici.

C’est donc la fin d’une formidable hypocrisie vieille de plus de 20 ans. La France n’interdit pas en effet l’adoption par un couple homosexuel. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Gouvernement français qui expliquait cela benoîtement devant la CEDH (je me demande si Christine Boutin était au courant que son Gouvernement soutenait ça devant la cour…). Seulement, c’est ballot, en 20 ans, aucun couple homosexuel candidat à l’adoption n’offrait les garanties d’équilibre et de stabilité exigés pour cet agrément, préalable indispensable à ce qu’un jeune enfant adoptable leur soit confié en vue de l’adoption. C’est dingue, parfois, les probabilités…

Je vous renvoie à mon précédent billet sur cette affaire où vous verrez comment on évite soigneusement la question de l’homosexualité du requérant en s’interrogeant sur une conduite d’évitement de la « violence » de l’enfantement et de l’angoisse génétique à l’égard d’un enfant biologique, ou comment on parle pudiquement de “contexte d’accueil” et de “cadre de vie”.

Hop, dans les poubelles de l’histoire. Décidément, les 10 novembre, les murs ont tendance à tomber.

mardi 13 octobre 2009

Assez français pour se faire tirer dessus : l’affaire Guissé

Je vais vous parler aujourd’hui d’Ounoussou Guissé.

Celui que je traiterai dans ce billet comme mon compatriote, car au-delà de la controverse juridique que je vais vous expliquer, quiconque s’expose au feu parce qu’il porte l’uniforme de l’armée française est irréfragablement réputé français à mes yeux, ce brigadier au 1er régiment de hussard parachutiste, qui a servi en Afghanistan a eu la désagréable surprise de se voir assigner par le parquet de Rouen afin de voir constater son extranéité, c’est-à-dire le fait qu’il n’était pas français mais sénégalais.

J’avais déjà abordé le droit de la nationalité dans un précédent billet, où déjà plusieurs de nos concitoyens qui avaient des racines juives et algériennes se voyaient tracassés par l’administration, droit de la nationalité qui est un droit d’une particulière complexité du fait de la succession des lois sur ce sujet, succession qui traduit notre rapport passionnel, et donc irrationnel, à cet état. 

En effet, on acquiert la nationalité française une fois pour toute, en vertu de la loi en vigueur au jour où se produit l’événement donnant la nationalité, qui se transmet ensuite de parent à enfant. C’est donc un droit où on est amené à exhumer des textes forts anciens et depuis longtemps abrogés pour voir si en leur temps, ils n’avaient pas eu à s’appliquer à l’ancêtre d’une personne dont la nationalité française fait débat.

Tel est ici aussi le cas.

Bondissons tel le saumon à rebours du courant du temps pour frayer avec le droit. Jusqu’en 1960, si vous le voulez bien. Cette année là, le 20 juin 1960 (c’était un lundi), le soleil s’est levé sur un Sénégal libre et indépendant. Mais il ne s’est pas levé sur Daouda Guissé, futur père de notre futur hussard, qui se trouvait en France depuis le mois de mars de cette même année, sur le territoire métropolitain s’entend. Et c’est très important pour la suite.

En effet, le code de la nationalité alors en vigueur (ordonnance du 19 octobre 1945 dans sa rédaction issue de la loi du 28 juillet 1960) disposait en son article 13 que (je simplifie) les personnes domicilié ce lundi 20 juin sur le territoire du Sénégal étaient sénégalaises sauf :
- les personnes nées sur ce qui serait encore le territoire français le 28 juillet 1960 (qu’on appelle les originaires) et leurs enfants ;
- les personnes nées sur le territoire désormais sénégalais mais ayant leur domicile sur le territoire Français (tel qu’il se présentait le 28 juillet 1960, date de référence), j’attire votre attention sur cette catégorie, j’y reviens ;
- les personnes nées sur le territoire sénégalais mais ayant souscrit une reconnaissance de nationalité française.
- Tous ceux qui par la force des choses ne pouvaient acquérir une autre nationalité ce matin-là (règle de la voiture-balai). 

Et ce lundi matin là, le soleil de l’indépendance ne se lève pas sur Daouda, puisqu’il est en Normandie (il pleut donc) et s’en va travailler comme chaque jour. Ce matin-là, étant en France, il se réveille français.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais le tribunal d’instance de Rouen le 6 août 1962 qui lui délivre un certificat de nationalité française.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et Daouda est un français comblé, et plusieurs fois comblé puisque, tel un président de la République, il a plusieurs épouses (sauf que Daouda, lui, les a simultanément). Et je crois que son trop grand bonheur conjugal sera à l’origine des malheurs de son fils.

Car si Daouda est l’heureux époux de toutes ces magnifiques sénégalaises, elles vivent sous le soleil du pays tandis que lui affronte la rigueur basse-normande. C’est ainsi qu’Ounoussou Guissé naquit des œuvres de son père le 13 octobre 1982 (c’était un mercredi) — joyeux anniversaire, cher compatriote— au Sénégal. 

La fée du droit qui se pencha sur son berceau récita la formule magique : « Tu es français car né d’un père français, in nomine article 17 du Code de la nationalité, en sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, ton père étant français le jour de ta naissance non plus en vertu de l’article 13 désormais abrogé mais de l’article 153 dudit code, interprété a contrario[1].(Mes lecteurs auront reconnu Sub Lege Libertas dans le rôle de la fée du droit).

Son père, pour s’en assurer, va solliciter et obtenir pour son fils un certificat de nationalité française du tribunal d’instance de Rouen le 20 février 1990, s’appuyant sur un nouveau certificat de nationalité qu’il avait obtenu en avril 1989, après avis positif de la Chancellerie. 

Il en obtiendra même un deuxième le 15 novembre 1999 du même tribunal. Bref, l’administration a dit par deux fois à Daouda Guissé qu’il était français, et par deux fois à son fils qu’il l’était. Et la République n’a qu’une parole. C’est pourquoi elle bien obligée de la reprendre.

En 2002, notre ami et encore compatriote Ounoussou s’engage sous les drapeaux du premier régiment de Hussards Parachutistes, basé à Tarbes, dont les ancêtres, pas encore parachutistes, ont combattu à Valmy, Jemmapes, Castiglione, Sebastopol, entre autres faits d’arme, et dont la devise est : Omnia si perdas, famam servare memento (Si tu as tout perdu, souviens toi qu’il te reste l’honneur).

Il va servir en Afghanistan en 2007-2008 où son comportement ne lui vaudra que des louanges. Il atteindra le grade de Brigadier.

Mais voilà. Depuis 1993 et le tournant des lois Pasqua, la République fait la chasse aux faux français. La décolonisation a été un tel foutoir que des gens sont devenus français sans vraiment en remplir les conditions (ce qu’eux même ignoraient d’ailleurs). Et le parquet de Rouen, suivant en cela les instructions générales de la Chancellerie, je tiens à le préciser (un procureur de la République aujourd’hui est autant capable d’initiative individuelle que l’attaque de l’équipe de France de football sous Domenech, c’est dire), va contester la nationalité d’Ounoussou Guissé. 

Le raisonnement est le suivant.

Ounoussou est né au Sénégal d’un père né en Afrique Occidentale Française devenue le Sénégal pour cette portion. Pour qu’il soit français, il faut donc que son père Daouda ait été français à sa naissance ou ait acquis la nationalité avant ses 18 ans.

Pour que Daouda ait été français en 1989, il fallait qu’il eût son domicile en France le 20 juin 1960, date de l’indépendance. Or la jurisprudence de la cour de cassation, inspirée sur ce point par un vent mauvais, a créé le concept de domicile de nationalité distinct du domicile civil au sens des articles 102 et suivants du Code civil. Par des décisions répétées des 20 décembre 1955, 9 janvier 1957, 25 juin 1974 et en dernier lieu du 28 janvier 1992, la cour définit le domicile de nationalité comme d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles.

Vous avez compris. Le parquet constatant que Daouda Guissé avait non pas une mais plusieurs épouses et que celles-ci vivaient semble-t-il au Sénégal puisque tous les enfants de l’intéressé y étaient nés, il estime que son domicile de nationalité était en fait au Sénégal, et que l’article 13 du Code de la nationalité devenu l’article 153 modifié a contrario n’avait pu jouer. 49 ans après, le parquet estime que Daouda Guissé n’avait jamais été français et que par voie de conséquence son fils ne l’avait jamais été non plus. Cachez moi cet uniforme que vous ne sauriez porter, brigadier. Et comme on dit chez vous, Nationalitas si perdas, famam servare memento.

Mais on n’abat pas comme ça le hussard sur le droit.

Le procureur de la République s’est, comme on dit en termes juridiques, fait bananer en première instance. Le tribunal de grande instance lui a dit qu’il est bien gentil de se réveiller en 2006, mais que la prescription, c’était trente ans à l’époque. Il aurait dû se réveiller dans les 30 ans qui ont suivi la délivrance du certificat de nationalité de 1962, soit en 1992 au plus tard. 

Que croyez-vous qu’il arriva ? Le parquet fit appel, et c’est cet appel qui a été examiné par la cour d’appel de Rouen. Le délibéré sera rendu une semaine après la commémoration de l’Armistice de 1918 (tiens, le régiment du brigadier Guissé s’est illustré à la bataille de la trouée de Charmes et à la deuxième bataille de l’Aisne pendant la Grande Guerre), le 18 novembre prochain.

À ce stade du récit, je dois confesser mon impuissance à comprendre cet acharnement du parquet à vouloir dépouiller de sa nationalité un de nos soldats, au comportement exemplaire, et qui est allé à un endroit ou porter un drapeau cousu sur l’épaule vous expose aux balles, aux bombes et aux couteaux. 

D’autant plus que le bien fondé de l’action du parquet m’apparaît assez douteux. Nul ne conteste que le père d’Ounoussou Guissé a résidé en France de mars 1960 à 1975. Ce qui semble indiquer qu’il y avait bien son domicile. 

Il y avait pourtant une issue élégante : ne pas faire appel. Il y en d’autres, moins élégantes. L’article 21-13 du Code civil lui permettra, en cas de perte de la nationalité, de la récupérer aussitôt par la possession d’état. Il peut aussi bénéficier d’une naturalisation-éclair selon la procédure dite Carla Bruni. 

Donc Ounoussou Guissé restera français ou au pire le redeviendra. Alors pourquoi le faire passer par cette humiliante procédure ? 

Et comme la République ne fait jamais les choses à moitié, non seulement elle lui conteste sa qualité de français sur le plan judiciaire, mais sur le plan administratif, cela fait un an qu’il demande à faire venir sa fiancée en France pour pouvoir l’épouser. En vain, le consulat général de France à Dakar refuse le visa à sa fiancée, et ce malgré les interventions de Jean Glavany, député SRC de Tarbes. 

Ounoussou Guissé est juste assez français pour se faire tirer dessus. Pour pouvoir voter ou épouser celle qu’il aime, la République qu’il sert le prie gentiment d’aller se faire voir.  

Contrairement à son président, la République est bien ingrate envers ses enfants. 

Notes

[1] L’article 153 disposait que les personnes non originaires domiciliées sur un territoire accédant à l’indépendance pouvait recouvrer par déclaration la nationalité française si elles établissaient préalablement leur domicile en France. A contrario, on en déduisait que les personnes non originaires domiciliées en France avaient gardé leur nationalité et n’avaient donc pas à souscrire de déclaration.

mardi 29 septembre 2009

Quelques mots sur l'affaire Polanski

Les plus attentifs de mes lecteurs auront peut-être entendu parler de cette affaire dont les médias se sont discrètement fait l’écho : un cinéaste français a été interpellé en Suisse et placé en détention, à la demande des États-Unis d’Amérique, en raison d’une affaire de mœurs remontant à la fin des années 70.

Un petit point juridique sur la question s’impose pour mes lecteurs qui n’étant pas ministre de la culture désireraient avoir un point de vue éclairé sur la question.

Roman Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice américaine. Un mandat d’arrêt international est une demande émanant forcément d’une autorité judiciaire (en France, un juge d’instruction ou une juridiction répressive) et relayée par voie diplomatique, s’adressant à tous les autres États, d’interpeller telle personne et de la lui remettre. Le vocabulaire juridique parle d’État requérant et d’État requis.

En principe, un mandat d’arrêt international, restant un acte interne à l’État requérant, ne lie pas les autres États requis. Mais de nombreuses conventions internationales, bilatérales (liant deux États entre eux) ou multilatérales (liant plusieurs États : il y en a une en vigueur en Europe, en Afrique de l’Ouest, au sein de la Ligue Arabe, en Amérique du Nord, etc…), dites de coopération judiciaire, sont intervenues pour rendre obligatoire l’exécution de ce mandat par l’État requis. Ces conventions ne sont pas signées avec n’importe quel État : la France n’a par exemple pas de convention d’extradition avec l’Iran ou avec la Corée du Nord. Dans notre affaire, il s’agit du Traité d’extradition entre les États-Unis d’Amérique et la Confédération Helvétique signée à Washington le 14 novembre 1990 (pdf).

Concrètement, le mandat est notifié aux autorités du pays où se trouve la personne visée, ou enregistrée dans une base de données internationale, la plus connue étant celle de l’Organisation Internationale de police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol. Quand une personne se présente à la frontière, la police vérifie sur la base de son passeport si la personne est recherchée (les passeports actuels permettent une lecture optique, le contrôle ne prend que quelques secondes). En cas de réponse positive, la personne doit être interpellée, la police n’a pas le choix.

Le droit interne s’applique alors. Je ne connais pas le droit suisse en la matière, mais on peut supposer qu’il est proche du droit français en la matière. Le mandat d’arrêt vaut titre provisoire d’incarcération, généralement de quelques jours, le temps pour les autorités de notifier à la personne le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet, qu’elle sache qui a ordonné son arrestation et pourquoi. C’est capital pour les droits de la défense et le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté immédiate. Le détenu a naturellement droit à l’assistance d’un avocat. 

Le détenu est ensuite présenté à un juge qui va s’assurer que la notification a été faite et demander à l’intéressé s’il accepte d’être remis à l’État requérant (auquel cas son transfèrement est organisé dans les délais prévus par la loi, là aussi sous peine de remise en liberté immédiate. S’il refuse, le juge statue sur une éventuelle remise en liberté surveillée, et l’intéressé peut contester le mandat d’arrêt. 

Les arguments que l’on peut soulever sont divers. La régularité de forme, tout d’abord : le mandat d’arrêt international doit être conforme à la convention internationale liant l’État requérant à l’État requis, sinon ce n’est pas un mandat d’arrêt international. Classiquement, il doit indiquer l’autorité émettrice, la date d’émission, la nature des faits qui le fondent, et les textes de loi interne réprimant ces faits. Un État requis peut refuser une extradition pour certains motifs, qui généralement figurent dans la convention d’exclusion. Classiquement, ce sont les délits politiques (terrorisme exclu) et les faits qui ne constituent pas une infraction dans la loi de l’État requis, ainsi que le fait pour le détenu d’avoir déjà été jugé par un autre État pour ces mêmes faits : c’est la règle non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits (l’appel n’est pas un deuxième jugement mais une voie de recours). L’intéressé peut également soulever que le châtiment auquel il est exposé est illégal. L’Europe n’extrade pas quelqu’un exposé à la peine de mort, mais elle extrade si l’État requérant fournit des garanties que cette peine ne sera pas prononcée ou exécutée. Et oui, les États requérants (vous vous doutez que je parle surtout des États-Unis) tiennent parole, sous peine de se voir refuser toutes leurs futures demandes d’extradition.

Je passe sur le droit français qui est encore plus compliqué puisqu’il connait une phase judiciaire et une phase administrative, la cour de cassation et le Conseil d’État pouvant connaître du même dossier d’extradition (Cesare Battisti a fait le tour des juridictions françaises avant de faire le tour du monde).

Enfin, il existe un principe fondamental : un État n’extrade jamais ses ressortissants. C’est contraire à la protection qu’il doit à ses citoyens. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont l’abri de poursuites dans leur État d’origine.

J’ajoute que depuis 2004, le droit européen (de l’UE s’entend) a créé le mandat d’arrêt européen, qui exclut toutes les règles de l’extradition, notamment l’interdiction d’extrader un national. Il est de fait plus proche du mandat d’arrêt interne que du mandat d’arrêt international. Ce qui est conforme à la logique d’intégration européenne. Je me méfie autant des juges espagnols et allemands que Français, mais pas plus (c’est assez suffisant comme ça).

Et je crois nécessaire d’ajouter qu’aucune loi ni convention internationale ne prévoit d’immunité pour les artistes, oscarisés ou non.

Ah, une dernière précision ,décidément, on n’en a jamais fini : l’extradition ne se confond pas avec le transfèrement : ce terme concerne des personnes purgeant une peine dans un État autre que le leur, et prononcé par cet État. Le transfèrement vise à permettre au condamné d’être rapatrié dans son pays pour y purger sa peine. C’était le cas des condamnés de l’Arche de Zoé.

Revenons-en à notre cinéaste.

Il est de nationalité française (et polonaise, mais ici cela n’a aucune incidence). Il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice de l’État de Californie pour une affaire remontant à 1977. Il a à l’époque eu des relations sexuelles avec une mineure âgée de treize ans après lui avoir fait boire de l’alcool et consommer des stupéfiants. Si mon confrère Dominique de Villepin me lit, qu’il ne s’étouffe pas d’indignation en invoquant la présomption d’innocence : celle-ci a expiré peu de temps après les illusions de cette jeune fille, puisque Roman Polanski a reconnu les faits en plaidant coupable. La culpabilité au sens juridique de Roman Polanski ne fait plus débat. Roman Polanski, après quelques jours en prison, a été remis en liberté dans l’attente de l’audience sur la peine. Il en a profité pour déguerpir et a soigneusement évité le territoire américain pendant trente ans.

Au départ, l’accusation contenait cinq chefs d’accusation, dont une qualification de viol. À la suite d’un accord passé avec le parquet, comme la loi californienne le permet, Roman Polanski a plaidé coupable pour un chef unique d’abus sexuel sur mineur (unlawful sexual intercourse with a minor), code pénal californien section 261.5., délit puni de 4 ans de prison maximum. 

Le mandat d’arrêt vise à le faire comparaître pour prononcer la peine, la comparution personnelle du condamné étant obligatoire pour la loi californienne. 

La victime a été indemnisée et a retiré sa plainte. Cela faisait partie probablement de l’accord passé avec le parquet (la victime n’est pas partie au procès pénal en droit américain). Cela ne fait pas obstacle à la poursuite de l’action publique.

Tant qu’il résidait en France, il était tranquille : la France n’extrade pas ses nationaux. Et il ne pouvait être poursuivi en France, bien que de nationalité française, les faits ayant déjà été jugés aux États-Unis. C’est la règle non bis in idem dont je vous parlais plus haut.

C’est la vanité qui a piégé notre cinéaste : invité en Suisse pour y recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre (il ne se doutait pas qu’en effet, c’est bien l’ensemble de son œuvre qui allait recevoir ce qui lui revenait), il s’est rendu dans la sympathique confédération fédérale. Fatalitas : à l’aéroport, le contrôle de son passeport donne un ping Mise à jour : D’après la presse suisse, ce serait le cinéaste qui a donné l’alarme lui-même en demandant à la police suisse une protection, attirant ainsi l’attention des autorités sur sa venue : elles ont constaté que ce monsieur était l’objet d’un mandat d’arrêt international émis en 2005 (je vais revenir sur cette date curieuse de prime abord), il n’était pas suisse, il pouvait être arrêté. Et le voici qui goûte la paille humide des cachots helvètes, où il est en cellule individuelle, confiné 23 heures par jour. Ça vous choque ? À la bonne heure. Les prisonniers en France sont traités de la même façon en maison d’arrêt, sauf qu’en plus, ils sont dans une cellule surpeuplée. Pensez-y aux prochaines élections.

La Suisse va notifier par voie diplomatique l’arrestation de Roman Polanski. Les États-Unis ont 40 jours pour demander officiellement l’extradition à compter de l’arrestation (article 13§4 de la convention de 1990), soit jusqu’au 5 novembre 2009 à 24 heures, faute de quoi Roman Polanski sera remis en liberté. Ce dernier a indiqué qu’il refusait l’extradition et compte porter l’affaire devant le Tribunal pénal Fédéral (Bundesstrafgericht) et le Tribunal fédéral (Bundesgericht), la cour suprême suisse, le cas échéant. L’affaire est désormais dans les mains de la justice suisse et de mon excellent confrère Lorenz Erni.

Enfin, dernier point, sur l’ancienneté de cette affaire. Tous les soutiens au cinéaste invoquent à l’unisson l’argument que cette affaire est ancienne (à l’exception de Costa Gavras, qui lui soulève que cette jeune fille de 13 ans en faisait 25 ; il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument). Se pose en effet la question de la prescription.

Je ne reviendrai pas sur le magistral exposé des règles en la matière (sans oublier la deuxième partie) par Sub lege libertas, règles qui sont à l’origine d’une grande partie de la consommation de paracétamol par les juristes. J’ajouterai simplement une précision : la loi californienne prévoit une prescription de 6 10 ans pour des faits de la nature de ceux reprochés à Roman Polanski (Code pénal de Californie, section 801.1). Cela dit sous toutes réserves, je n’ai pas accès à l’évolution du droit pénal californien depuis 1977.

Mais il faut garder à l’esprit que la prescription n’est pas un laps de temps intangible qui une fois qu’il est écoulé fait obstacle aux poursuites. Il peut être interrompu, et repart dans ce cas à zéro. Il faut six ans d’inaction des autorités judiciaires pour acquérir la prescription. Or les autorités judiciaires californiennes ne sont pas restées inactives depuis trente ans et ont toujours interrompu la prescription. La preuve ? En 2005, elles ont délivré un nouveau mandat d’arrêt international, acte qui interrompt la prescription : ce n’était en l’état actuel des choses qu’en 2011 que la prescription aurait éventuellement pu être acquise (sauf éléments du dossier que j’ignore, bien sûr).

Enfin et j’en terminerai là-dessus, je trouve choquant deux choses dans le tir de barrage du monde artistique. 

Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.

Et je bondis en entendant le ministre de la culture parler de « cette amérique qui fait peur ». Ah, comme on la connait mal, cette amérique.

Tocqueville avait déjà relevé il y a 170 ans, la passion pour l’égalité de ce pays. Elle n’a pas changé. Il est inconcevable là-bas de traiter différemment un justiciable parce qu’il appartiendrait à une aristocratie, fut-elle artistique. Il y a dix ans, l’Amérique a sérieusement envisagé de renverser le président en exercice parce qu’il avait menti sous serment devant un Grand Jury. Quitte à affaiblir durablement l’Exécutif.

Une justice qui n’épargne pas les puissants et les protégés des puissants ? On comprend qu’un ministre de la République française, qui a soigneusement mis son président et ses ministres à l’abri de Thémis, trouve que cette Amérique fait peur.

PS : billet mis à jour, merci à nemo pour ses lumières sur le droit du Golden State.

mardi 22 septembre 2009

Souci de cohérence

Les députés, c’est comme les enfants : on ne peut pas les laisser tranquille cinq minutes sans qu’ils fassent des bêtises.

Les députés, c’est comme les enfants : quand ils sont pris la main dans le pot de confiture, ils feignent de ne pas savoir que ce n’est pas bien.

Et cette fois, dans le rôle du pot de confiture, l’article L.7 du Code électoral.

Flashback.

La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par ce qu’on a appelé “les affaires”. La France n’a pas été la seule concernée : c’était l’époque de mani pulite en Italie. Mais alors que l’Italie se débattait contre des affaires de corruption, en France, il s’agissait de financement occulte des partis.

Le financement des partis était censé se faire exclusivement avec les cotisations des adhérents. Autant dire que pour financer des campagnes modernes (la France était tapissée d’affiches électorales en 1981 et 1988), c’était insuffisant. Alors c’était la débrouille. Le parti au pouvoir puisait dans les fonds spéciaux mis à la disposition discrétionnaire du premier ministre (supprimés par le Gouvernement Jospin) et tous demandaient des rétrocommissions, c’est à dire que les entreprises qui se voyaient attribuer un marché public devait en reverser une part au parti gérant la collectivité territoriale attribuant le marché (le RPR s’étant fait une spécialité des marchés de construction des HLM, je vous laisse calculer combien de logements sociaux auraient pu être construits avec les fonds détournés). L’affaire Urba (qui concerne le PS) va révéler que ces rérocommissions se montaient à pas moins de 30% du marché. Sans parler du PCF qui percevait des subsides de puissances étrangères (il prétendait que c’était la vente du muguet du 1er mai qui lui a permis de financer la construction de son siège, place du Colonel Fabien à Paris). 

Bref, c’était le contribuable qui payait in fine. Russe, dans le cas du PCF.

À la suite de l’affaire Luchaire en 1988 (une affaire de ventes d’armes à l’Iran pendant sa guerre avec notre allié l’Irak, la cessation des livraisons d’arme va entraîner une vague d’attentats de décembre 1985 à septembre 1986 qui feront 13 morts et 300 blessés), une première loi sur le financement des partis va être votée à la va-vite le 11 mars 1988. Elle pose le principe du financement public des partis représentés à l’Assemblée (cette loi permettra à jean-Marie Le Pen de financer sa campagne de 1988 alors qu’il n’avait pas pu être candidat en 1981) et autorise ceux-ci à recevoir des dons. 

Une deuxième loi du 15 janvier 1990 étend ce financement aux partis non représentés au parlement et plafonne les dons des personnes morales à 500.000 francs (ce qui ferait aujourd’hui un plafond de l’ordre de 100.000 euros actualisés). Surtout, cette loi portera une amnistie très controversée de tous les faits délictuels liés au financement des partis, votés malgré l’hostilité de l’opinion publique dans des conditions peu glorieuses (les députés socialistes étaient peu nombreux mais les absents avaient “oublié” leur clef de vote à leur pupitre).

Une loi du 29 janvier 1993 tentera d’interdire les dons des personnes morales (car des entreprises attributaires de marchés publics faisaient des dons spontanés aux partis des élus attribuant ces marchés, outre le fait que le financement de la vie publique ne faisant pas partie de l’objet de ces personnes morales, on tombait dans l’abus de biens sociaux) mais les députés se contenterotn de baisser les plafonds et de prévoir la publication des comptes de campagne.

Enfin, une loi Séguin du 19 janvier 1995, votée par la droite de retour aux affaires (c’est le cas de le dire) après la démission de trois ministres impliqués dans des affaires de financement (Gérard Longuet bénéficiera toutefois d’une relaxe), va interdire le financement par les personnes morales et fixer les règles encore en vigueur actuellement : plafonnement des dépenses, collecte des dons par un mandataire ou une association de financement qui règle les factures sans que le candidat ait accès à ces fonds, tenue d’une comptabilité qui doit être déposée et vérifiée par une commission, sous peine d’inéligibilité pendant un an (et donc perte du mandat en cas d’élection. Même au bout de 12 ans, certains se font encore avoir comme des bleus. Dans un élan d’ivresse vertueuse, le législateur va même voter l’article L.7 du Code électoral, nous y voilà, qui interdit pendant cinq ans l’inscription sur les listes électorales d’une personne condamnée pour certains délits (concussion, corruption, trafic d’influence, menace et intimidation sur fonctionnaire, détournement de bien public , et leur recel), tous liés au financement des partis.

Or c’est cet article L.7 qu’après 14 ans de réflexion que les députés se proposent d’abroger, par un amendement à la loi pénitentiaire, déposé en commission par le député SRC Jean-Jacques Urvoas, député dont mon ami Authueil, qu’on ne peut suspecter de sympathie pour le PS, salue la probité, que je ne mets pas en doute en ce qui me concerne. Ce député se désole sur son blog d’être au cœur d’une tempête médiatique qu’il estime injuste.

Il s’agit de l’amendement CL (pour Commission des Lois) 185. cet amendement est ainsi motivé : 

L’article L. 7 du code électoral prévoit, pour les personnes condamnées pour l’une des infractions visées aux articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal, une peine automatique de radiation des listes électorales pour une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. Cette peine dite accessoire déroge au principe posé par l’article 132-21 du code pénal, qui dispose que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ».

Il apparaît nécessaire de mettre fin à cette incohérence entre deux textes législatifs.

Je m’en voudrais de pinailler. Ou alors, il faut que vous insistiez.

(La foule des lecteurs : Nous insistons, maître ! Pinaillez ! Pinaillez !)

Vraiment ?

Bon, si ça vous fait plaisir.

L’argument ne tient pas une seconde.

En effet, l’article 131-26 du Code pénal a été adopté en juillet 1992, dans le cadre de la réforme du code pénal. Soit deux ans et demi avant l’article L.7 du Code électoral (loi du 15 janvier 1995). Cette prétendue incohérence a été voulue et se règle aisément pour les juristes (vous allez voir qu’elle est de fait déjà réglée) puisque l’article L.7 dérogeait à l’article 131-26 qui lui était antérieur. L’article 131-26 a abrogé toute disposition antérieure prévoyant une privation des droits civils automatique. L’article L.7 en a réintroduit une. Cas pratique d’application de la loi dans le temps, programme de 1e année de droit. 

D’autant que la jurisprudence a clairement encadré la conjugaison de ces articles, grâce à Alain Juppé. Je vais y revenir tout de suite.

Car pour en finir avec ce souci de cohérence, un détail semble avoir, comment dirais-je ? échappé au législateur. Il y a un autre article dans le code électoral, l’article LO. 130 (L. signifie un article relevant d’une loi ordinaire, R. du pouvoir réglementaire, donc d’un décret en Conseil d’État, et LO d’une loi organique) prévoyant que 

Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale.

Bref, toute personne frappée par l’article L.7 est non seulement privée du droit de vote (sauf à Secret Story) pendant 5 ans mais inéligible pendant 10 ans. C’est la peine de mort pour les politiques. 

Et Alain Juppé a senti passer le vent du boulet. C’était dans l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine. En première instance, Alain Juppé, s’était vu appliquer le funeste article L.7 et par ricochet le LO 130. La République était menacée d’être privée du meilleur d’entre nous pendant dix ans. 

Heureusement, la cour d’appel de Versailles, dans un de ses rares accès de clémence, a écarté cette inéligibilité de dix ans en la réduisant à une inéligibilité de droit commun, en appliquant un article du code pénal (l’article 132-21 du code pénal) permettant au juge d’écarter toute peine d’interdiction automatique s’il l’estime opportun. Les plus cacochymes expérimentés de mes lecteurs se souviendront que j’avais traité de la question à l’époque (et hop, deux billets pour le prix d’un). Vous le voyez, le code pénal permet déjà en l’état au juge d’écarter l’inéligibilité de dix ans ou d’en relever le condamné s’il en fait la demande justifiée. Le droit actuel est donc parfaitement cohérent. Principe, exceptions. Si le législateur veut rétablir la cohérence, il peut aussi rajouter la mention “sans préjudice des dispositions de l’article L.7 du code électoral” à l’article 131-26 du Code pénal.

Par contre, l’abrogation de l’article L.7 aura pour effet automatique de relever de leur inéligibilité tous les élus frappés de cette sanction en application de cet article : application rétroactive de la loi pénale plus douce (rétroactivité in mitius disent les latinistes). D’où le reproche de loi d’amnistie déguisée : ça en aurait les mêmes effets.

En conclusion, la cohérence a bon dos. Et quand on est député, qu’on vote la loi et qu’on est en première ligne pour se voir appliquer l’article L.7, il ne faut pas s’étonner que la manœuvre ne passe pas inaperçue. Quant à trouver un député d’opposition à l’intégrité au-dessus de tout soupçon pour porter l’amendement, c’est là aussi une manœuvre classique. Sans réduire les qualités personnelles de cet élu, il est d’ailleurs assez facile d’avoir une réputation sans tâche quand on a été conseiller régional de Bretagne pendant 4 ans puis député pendant deux ans, sans jamais exercer de fonctions de direction dans un parti politique.

Et quand on se souvient que c’est cette même assemblée a voté les peines plancher, c’est-à-dire le principe d’une peine de prison minimale automatique, on voit qu’en effet, sa volonté d’abroger une peine d’inéligibilité automatique montre bien que la cohérence n’a jamais été le souci premier de l’assemblée nationale.

Mise à jour : 

Jean-Jacque Urvoas semble avoir réalisé qu’il s’est embarqué dans une mauvaise affaire et finalement souhaite le rejet de son amendement en commission mixte paritaire.

Authueil revient sur cette affaire dans un deuxième billet rédigé avant la publication du mien.

dimanche 20 septembre 2009

Douteuse initiative

Rue 89 m’apprend (Essonne : la délation par mail dans les quartiers passe mal, par Pierre Haski) que la Direction Départementale de la Sûreté Publique (La Sûreté Publique est une des divisions de la Police Nationale, la plus grande et la plus connue : les policiers de nos commissariats qui mettent le deux tons le dimanche à l’heure de la sieste pour dévaler une rue déserte, c’est eux) a mis à disposition des citoyens une adresse e-mail pour dénoncer les infractions dont ils ont connaissance, avec invitation à joindre photos et vidéos pouvant servir de preuve. Confidentialité garantie précise l’affichette reproduite ci-contre. Sous l'entête République Française, ministère de l'intérieur, de l'Outre Mer et des collectivités territoriales, Direction Départementale de la Sureté Publique de l'Essonne : Aidez la police nationale dans son action au service des citoyens. Vous pouvez transmettre vos renseignements (témoignage, photo, vidéo) à l'adresse suivante : (…) Confidentialité garantie. Poil au zizi. Non, cette dernière phrase n'y est pas, il est d'usage que je mette un peu d'humour dans mes textes alternatifs comme Easter Egg pour ceux qui auront la curosité de le lire ou pour les malvoyants qui ont droit à ce petit privilège.

L’article parle de la polémique suscitée par cette initiative. Certains y voient un retour de la délation, passée de mode depuis quelques décennies après avoir été en vogue quelques années, d’autres un constat d’échec et la conséquence de la suppression irréfléchie de la police de proximité par l’ancien ministre de l’intérieur. Bref, argumentation morale et politique.

Mais qu’en pense le juriste ? Vous allez voir que s’il n’a rien à redire au principe, les modalités choisies lui semblent en délicatesse avec la loi, ce qui est tout de même un comble.

Sur le principe, commençons par quelques définitions juridiques.

Le droit distingue la plainte de la dénonciation, la délation n’étant pas du vocabulaire juridique.

La différence est simple : la plainte émane de celui qui se prétend victime : à ce stade, il n’est que plaignant, il ne deviendra victime qu’une fois l’infraction établie par un jugement, d’où l’abus de langage des associations de victimes et des avocats se disant au service des victimes : ils sont essentiellement au service des plaignants, mais c’est vrai que c’est moins sexy. La dénonciation émane d’un tiers, qui porte à la connaissance des autorités une infraction dont il a été témoin mais qui ne le concerne pas directement.

La dénonciation a mauvaise presse. Dès l’école maternelle, nous sommes soumis à une pression sociale décourageant la dénonciation et la plainte qui lui est assimilée. On devient un rapporteur, un cafteur, bref, on se fait mettre au ban de la classe. Cette même pression existe durant toute l’enfance et l’adolescence. La dénonciation est vécue comme un acte de lâcheté, comme la preuve que l’on n’est pas assez fort pour régler ses problème soi même. Cette inhibition perdure bien sûr à l’âge adulte, et devient même une règle fondamentale chez les délinquants. Malheur à celui qui en prison a une réputation de “balance”. Alors que personne ne voit que c’est un mécanisme de défense très simple du fautif : “oui, j’ai fait une bêtise, mais lui, il m’a dénoncé, c’est pire ; en fait, je suis la victime”.

Eh bien il est temps de tordre le cou à cet état de fait. La dénonciation ne doit pas être entachée d’opprobre. Cela peut surprendre dans la bouche d’un avocat, mais seulement ceux qui pensent qu’un avocat est quelqu’un qui favorise la délinquance et ne rêve que d’impunité. Demandez-vous à qui profite le crime (façon de parler ici). Un jeune homme rackette ses petits camarades à l’école. Ses victimes n’osent pas porter plainte, leurs camarades n’osent pas le dénoncer. Qui profite objectivement de cette situation ? Cette omerta est-elle civique ?

Dans une société démocratique, nous avons renoncé à nous faire justice à nous même, nous avons abandonné le recours à la violence et confié l’exerce de toute contrainte à l’État qui seul peut y avoir légalement recours (hormis quelques hypothèses où l’urgence impose une réaction violente comme la légitime défense). L’État doit protéger toute personne se trouvant sur son territoire, et punir ceux qui violent la loi, selon les formes et modalités prévues par cette même loi.

Quoi qu’en pensent certains de nos concitoyens qui sonnent le tocsin dès qu’ils entendent le nom du président de la République, nous ne vivons pas dans un état policier, nonobstant la politique volontiers répressive adoptée par l’actuel Gouvernement, politique dont je dis régulièrement ici le mal que je pense. Donc, la police n’a pas les moyens de découvrir par elle-même toutes les infractions. J’ajoute que certaines sont par leur nature très difficile à déceler par la police. Par exemple, les violences conjugales, qui ont lieu dans un cadre familial et donc privé. Vous pouvez multiplier par dix les patrouilles sur la voie publique, les maris violents ne seront pas inquiétés. 

Il n’y a donc rien de choquant qu’un citoyen porte à la connaissance de la police les infractions dont il a connaissance (sous une petite réserve personnelle, ci-après). Tout discours renvoyant aux heures les plus sombres de notre histoire, ou faisant de ces citoyens des mouches à l’affût, caméra à la main derrière leur rideau relève de cette même pression sociale qui favorise paradoxalement les comportements associaux. 

Tout au plus peut-on faire une distinction entre les actes qui font des victimes et ceux qui n’en font pas. Dénoncer des violences, je ne vois pas de quoi froncer les sourcils. Dénoncer un sans-papier ou un port illégal de décoration, délits qui ne font pas de victimes, me laisse plus réservé. Pour ceux qui me répondront que la loi c’est la loi et que les sans-papiers sont des délinquants comme les autres, je répondrai que le délit consiste uniquement à ne pas avoir une autorisation que l’administration délivre arbitrairement, ce qui revient à dire que c’est l’administration qui décide qui est délinquant et qui ne l’est pas, et j’ajouterai que vue la quantité d’annulations de ces décisions que j’obtiens, je considérerai les sans papiers comme des délinquants le jour où les préfectures respecteront la loi en la matière. Et bien sûr j’exclus tout acte de dénonciation fait en violation du secret professionnel, ce qui est un délit. J’anticipe les commentaires qui ne manqueront pas sur ce dernier point, comme d’habitude.

Revenons-en à notre dénonciation électronique. Sur le principe, donc, rien à dire. 

Mais deux points me font tiquer.

D’abord, la mention confidentialité garantie. C’est une promesse qui ne peut être tenue. Si la dénonciation débouche sur des poursuites, c’est un droit fondamental de la défense que d’être confronté à son accusateur, c’est-à-dire de savoir qui est à l’origine de la dénonciation (cela peut d’ailleurs avoir des conséquences sur la régularité de la procédure). L’avocat de la défense aura le droit d’avoir accès à ce courrier électronique initial. Et il pourra et la plupart du temps devra le communiquer à son client pour avoir ses observations sur ce point. Ajoutons le cas où la personne dénonce des faits faux pour se venger d’un ennemi. Il commet alors le délit de dénonciation calomnieuse, puni de cinq ans de prison, et cette promesse de confidentialité ne saurait faire obstacle à l’identification du dénonciateur par la police. Et même dans l’hypothèse où le dénonciateur croit de bonne foi que son voisin qui salit sa terrasse en arrosant ses pétunias est un dangereux tueur en série, ce qui exclut la dénonciation calomnieuse, une dénonciation à la légère est une faute civile susceptible d’engager sa responsabilité et exposant le fautif à devoir payer des dommages-intérêts à l’objet de sa dénonciation. Vous le voyez : refuser de communiquer l’identité de l’auteur du mail de dénonciation serait dans bien des hypothèses illégal. 

Ensuite, cette invitation à joindre des photos et des vidéos me pose un problème s’il s’agit de faits de violence. Là, on est dans la provocation à la commission de délits.

En effet, l’article 222-33-3 du Code pénal, créé par une loi du 5 mars 2007 afin de lutter contre le happy slapping (quelqu’un sait si ce délit a été poursuivi au moins une fois ?) qualifie de complicité le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions. Il punit de cinq ans de prison le fait de les diffuser, mais les envoyer comme pièce jointe à un e-mail n’est pas un acte de diffusion, un courrier électronique étant une correspondance privée. 

Vous me direz que l’alinéa 3 prévoit que le présent article n’est pas applicable lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice.

Certes, mais la loi pénale est d’interprétation stricte, même dans ses exceptions. Il faut que l’image soit réalisée afin de servir de preuve en justice. Le fait d’envoyer l’image à la police à l’appui de la dénonciation de faits délictuels ne constitue pas à proprement parler une réalisation afin de servir de preuve en justice, ne serait-ce que parce que la personne qui les réalise ne sera pas partie à l’éventuel procès qui n’est même pas engagé au moment où les images sont prises. 

Ajoutons que si la personne filme des faits se passant dans un lieu privé, comme l’appartement du voisin, il commet le délit d’atteinte à la vie privée (art. 226-1 du code pénal : 1 an de prison et 45000 euros d’amende). La loi ne prévoit aucune exception si les images sont réalisées afin de servir de preuve en justice.

Bref, un bon moyen de faire d’une pierre deux coups : la dénonciation permet de poursuivre un délit (un bâton pour les stats) ET de poursuivre le dénonciateur (un deuxième bâton dans la case). La DDSP91 va faire péter ses chiffres cette année, et le préfet de l’Essonne est sûr de ne pas devoir aller voir Brice tout rouge lui souffler dans les bronches.

mardi 15 septembre 2009

Simplifions le droit : sauvons la Scientologie

Alors que Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des Lois, vient de déposer sa troisième proposition de loi de simplification du droit (enfin quand je dis “sa” proposition de loi, je me comprends : vu le pavé de ces textes, il est évident que ce sont les services du gouvernement qui rédigent, Jean-Luc Warsmann jouant les porteurs d’eau), une anecdote peut-être pas si anecdotique que ça vient opportunément attirer l’attention sur le danger de ces lois fourre-tout, passées par proposition de loi donc sans examen par le Conseil d’État (la proposition Warsmann 3 sera bien soumise au Conseil d’État, grâce à la réforme Constitutionnelle de juillet 2008). On en arrive à faire voter n’importe quoi au législateur sans que celui-ci ait la moindre idée de ce qu’il vote.

Démonstration. Qui peut faire frémir car elle touche au droit pénal.

Tout commence le 5 août 2008 par le dépôt de la deuxième proposition de loi “simplification du droit”, sous le numéro 1085. 50 articles touchant à tout, qui finiront à 140 dans la loi promulguée (loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures).

Parmi eux, l’article 124. En voici le texte, vous allez tout de suite voir le problème, ça saute aux yeux.


I. ― Le code pénalest ainsi modifié : 
1° Les deux premiers alinéas de l’article 213-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de crimes contre l’humanité encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
2° Les trois premiers alinéas de l’article 215-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent sous-titre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
3° Les quatre premiers alinéas de l’article 221-5-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
4° Les quatre premiers alinéas de l’article 221-7 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 221-6 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
5° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-6-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent paragraphe encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
6° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-16-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent paragraphe encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
7° Les trois premiers alinéas de l’article 222-18-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent paragraphe encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
8° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-21 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies par la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
9° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-33-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 222-22 à 222-31 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
10° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-42 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 222-34 à 222-39 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
11° Les trois premiers alinéas de l’article 223-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 223-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
12° Les trois premiers alinéas de l’article 223-7-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
13° Les quatre premiers alinéas de l’article 223-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 223-8 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
14° Les trois premiers alinéas de l’article 223-15-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
15° Les quatre premiers alinéas de l’article 223-15-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
16° Les trois premiers alinéas de l’article 225-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 225-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
17° L’article 225-4-6 est ainsi rédigé : 
« Art. 225-4-6.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
18° L’article 225-12 est ainsi rédigé : 
« Art. 225-12.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-5 à 225-10 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
19° Les quatre premiers alinéas de l’article 225-12-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
20° Les deux premiers alinéas de l’article 225-16 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-13 à 225-15 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
21° L’article 225-16-3 est ainsi rédigé : 
« Art. 225-16-3.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-16-1 et 225-16-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 4° et 9° de l’article 131-39. » ; 
22° Les trois premiers alinéas de l’article 225-18-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-17 et 225-18 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
23° Les trois premiers alinéas de l’article 226-7 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
24° Les trois premiers alinéas de l’article 226-12 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de l’infraction définie à l’article 226-10 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
25° Les quatre premiers alinéas de l’article 226-24 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5° et 7° à 9° de l’article 131-39. » ; 
26° Les quatre premiers alinéas de l’article 226-30 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5° et 7° à 9° de l’article 131-39. » ; 
27° Les quatre premiers alinéas de l’article 227-4-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39. » ; 
28° L’article 227-14 est ainsi rédigé : 
« Art. 227-14.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 1° à 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
29° L’article 227-17-2 est ainsi rédigé : 
« Art. 227-17-2.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 227-15 à 227-17-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
30° Les quatre premiers alinéas de l’article 227-28-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 227-18 à 227-26 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5° et 7° à 9° de l’article 131-39. » ; 

31° Les trois premiers alinéas de l’article 311-16 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
32° Les quatre premiers alinéas de l’article 312-15 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
33° Les quatre premiers alinéas de l’article 313-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39. » ; 
34° Les quatre premiers alinéas de l’article 314-12 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 314-1 et 314-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
35° L’article 314-13 est ainsi rédigé : 
« Art. 314-13.-Les personnes morales déclarées responsa-bles pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 314-5, 314-6 et 314-7 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
36° L’article 321-12 est ainsi modifié : 
a) Les trois premiers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 321-1 à 321-4, 321-7 et 321-8 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
b) Au dernier alinéa, la référence : « 1° de l’article 131-37 » est remplacée par la référence : « 2° de l’article 131-39 » ; 
37° Les quatre premiers alinéas de l’article 322-17 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, la peine prévue par le 2° de l’article 131-39, pour une durée de cinq ans au plus dans les cas prévus par les articles 322-1, 322-3, 322-5, 322-12, 322-13 et 322-14 et sans limitation de durée dans les cas prévus par les articles 322-6 à 322-10. » ; 
38° Les quatre premiers alinéas de l’article 323-6 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
39° Les trois premiers alinéas de l’article 324-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 324-1 et 324-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
40° Les quatre premiers alinéas de l’article 414-7 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent titre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
41° Les quatre premiers alinéas de l’article 422-5 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent titre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
42° Les quatre premiers alinéas de l’article 431-20 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
43° Les trois premiers alinéas de l’article 433-25 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux sections 1, 6, 7, 9 et 10 du présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
44° Les quatre premiers alinéas de l’article 436-5 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de l’infraction définie à l’article 436-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
45° Les quatre premiers alinéas de l’article 441-12 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
46° Les trois premiers alinéas de l’article 442-14 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
47° Les trois premiers alinéas de l’article 443-8 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
48° Les trois premiers alinéas de l’article 444-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
49° Les trois premiers alinéas de l’article 445-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 445-1 et 445-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
50° Les quatre premiers alinéas de l’article 450-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de l’infraction définie à l’article 450-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
51° Les trois premiers alinéas de l’article 511-28 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
52° Les quatre premiers alinéas de l’article 717-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux deux premiers alinéas de l’article 717-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 6° et 9° de l’article 131-39. » ; 
53° Les quatre premiers alinéas de l’article 727-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux deux premiers alinéas de l’article 727-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 6° et 9° de l’article 131-39. » 
II. ― Le code de procédure pénale est ainsi modifié : 
1° La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 60-1 est supprimée ; 
2° Les deux dernières phrases de l’avant-dernier alinéa de l’article 60-2 sont supprimées.

Comment ça, c’est pas évident ? Vous croyez que les députés qui se sont intéressés au texte n’ont pas tout scrupuleusement vérifié ?

Vous avez raison. 

Décomposons une formidable bourde ou un extraordinaire scandale.

C’est au I, 33° que se noue notre intrigue.

La loi prétend poursuivre un noble but. En effet, le Code pénal de 1994 a instauré dans notre droit la responsabilité pénale des personnes morales. Une personne morale, c’est une création de la loi, une entité juridique qui a des droits et un patrimoine, comme une personne physique. Ce sont les sociétés, civiles ou commerciales, les associations à but non lucratif ou cultuelles, les syndicats ; mais il y a aussi des personnes morales publiques, à commencer par l’État, les départements, les Régions, les communes, les autorités administratives indépendantes (comme la HADOPI…), etc. On oppose personne morale à personne physique comme vous et moi. 

Une société, une association, une commune peuvent être pénalement condamnées. Toutes les personnes morales sauf l’État parce que c’est comme ça, on n’est jamais trop prudent (article 121-2 du Code pénal). Vous n’imaginez pas la révolution juridique que ça a été. 

Évidemment, une personne morale n’étranglera jamais une personne physique. Donc dans un premier temps, le législateur a prévu que la loi devait expressément indiquer que tel délit pouvait être imputé à une personne morale. Puis il s’est avisé que la réalité avait plus d’imagination que lui, et qu’il pouvait compter sur le juge pour éviter des résultats absurdes. Il a donc levé cette règle en mars 2004. Désormais, toute infraction peut être commise par une personne morale.

Conséquence, le code pénal contenait des dispositions caduques déclarant expressément tel article applicable aux personnes physiques. La loi Warsmann 2 se proposait de nettoyer le code pénal au Kärcher et d’ôter tous ces lambeaux de phrases superfétatoires. D’où cette interminable liste d’articles. Sauf que le 33° ne dit pas du tout ça.

33° Les quatre premiers alinéas de l’article 313-9 [du Code pénal] sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39. » ; 

Jouons les détectives.

Que disait l’article 313-9 ?

Ceci : 

Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement [du délit d’escroquerie], dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1.

Les peines encourues par les personnes morales sont :

1° L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 ;

2° Les peines mentionnées à l’article 131-39.

L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

L’article 131-38 pose la règle que les personnes morales encourent une amende égale à cinq foix celle prévue pour les personnes physiques, et un million pour les crimes (on ne peut emprisonner une personne morale), l’article 131-39 prévoit les peines complémentaires applicables aux personnes morales en plsu de l’amende. Le 1° prévoit la dissolution de la personne morale. Retenez-le.

Que dit-il cet article désormais ? Je graisse la partie importante.

Les personnes morales déclarées responsables pénalement [du délit d’escroquerie], dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l‘article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39.

L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

Tiens ? 2° à 9°. Le 1° a disparu. Vous vous souvenez, celui qui prévoyait la dissolution.

La loi vient donc, sans tambour ni trompette, décider qu’une personne morale qui commet des escroqueries ne peut plus être dissoute. Curieuse mansuétude.

Cette loi du 12 mai 2009, publiée le 13 mai, est entrée en vigueur le 14 mai 2009.

Et figurez-vous que c’est cocasse : le 25 mai 2009, douze jours plus tard, s’ouvrait à Paris le procès de l’Église de Scientologie pour escroquerie, dans lequel le procureur, peu au fait du journal officiel, a requis… la dissolution de l’Église. Perdu ! C’est illégal !

Comme aurait dit L. Ron Hubbard : il est Thétan. 

C’est d’autant plus dommage que c’était la première fois que le parquet se proposait de requérir une telle dissolution. Et que s’agissant de droit pénal, il est impossible de réparer cet état de fait en modifiant à nouveau la loi : non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, on ne pourrait l’appliquer à l’affaire qui a été jugée.

Alors, qui est à l’origine de ce texte ?

Légalement, Jean-Luc Warsmann. Il a signé la proposition de loi : juridiquement, il en est l’auteur, et la disposition se trouve dans le texte initial (article 44 de la proposition, qui deviendra le 124 au fil des débats). Les débats parlementaires montrent qu’aucune discussion n’a eu lieu sur cet article ni dans l’hémicycle, ni au Sénat (c’est l’article 58). C’est passé comme une lettre à La Poste. 

En réalité, c’est une des petites mains du Gouvernement qui a rédigé cette proposition avant qu’elle ne soit transmise à Jean-Luc Warsmann, qui a joué les idiots utiles. Il m’est impossible de l’identifier.

Au-delà de ce que cette affaire peut éventuellement révéler de la capacité d’influence de cette organisation religieuse, elle met en lumière un véritable danger pour la démocratie créé par l’inflation législative, voire la diarrhée législative selon le mot d’un professeur de droit (quelqu’un sait de qui est cette délicate expression qui a fait florès ?). Les parlementaires n’exercent plus aucun contrôle des textes qui passent devant eux et votent à l’aveugle. Il suffit d’une main bien placée pour faire passer des textes opportuns sans que quiconque ne réagisse. Voyez le texte de la loi définitive. Songez que chaque assemblée a consacré deux jours aux débats, et encore, ce n’était pas le seul point à l’ordre du jour de ces séances.

La loi est l’expression de la volonté générale. Ce n’est pas un slogan-choc, c’est la Constitution. 

Que cette affaire, qui sauve peut-être la vie de l’Église de Scientologie en France, tant mieux pour elle, sonne enfin le tocsin, car si le parlement continue à tourner en roue libre comme il le fait depuis des années, il y aura d’autres accidents législatifs comme celui-là, et les dégâts sur le lien de confiance qui doit unir le peuple à ses représentants en souffrira à la longue de manière irrémédiable.

Que cela vous fasse comprendre que si les juristes, avocats et magistrats en tête, crient qu’il faut arrêter cette machine folle, ce n’est pas par flemme de se tenir à jour. On en est arrivé au point où le législateur ne sait pas ce qu’il vote. Ça vous suffit comme alerte ?

Il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante disait Montesquieu (Lettres Persanes, CXXIX). C’est bien ce que fait le législateur, mais hélas, parce qu’il est atteint de la maladie de Parkinson.

vendredi 4 septembre 2009

Je disconviens respectueusement

Décidément, c’est un atavisme chez les procs que de me porter la contradiction. Jusque sur mon blog,

Ainsi, Sub Lege Libertas propose une contre-argumentation à mon analyse de l’affaire Anastase contre Balthazar prédisant la confirmation de la victoire du premier. Et le bougre va chercher jusque dans l’arsenal de l’ancien droit et des brocards en latin, connaissant ma vulnérabilité à tout argument proféré dans la langue de Cicéron.

Mais il ne sera pas dit que je me rendrai sans combattre, surtout quand j’ai raison.

Mon premier réflexe de juriste est d’invoquer le respect des domaines. Nemo auditur (l’usage en droit veut qu’on cite un brocard avec ses deux premiers mots sauf si l’un d’eux est un adjectif auquel cas on ajoute le mot suivant : Nemo auditur, Nemo plus juris) est effectivement un adage qui s’applique au droit des obligations (plutôt que le droit des contrats, qui est une sous-division du droit des obligations), et non au droit des successions, qui ne dédaigne pas son latin (le droit des successions adore les langues mortes).

L’argument est valide, mais il est contré par la production par le parquet d’un arrêt de la cour de cassation qui applique cet adage à une hypothèse de droit des successions. Attendez… Vraiment ?

Le parquet a une tendance naturelle, empruntée au Barreau, de voir midi à sa porte. Mais comment reprocher à un procureur né dans le Nord Pas de Calais de vouloir voir le Midi ?

Comme le dit Sub Lege Libertas en commentaire, la Cour de cassation ne commet jamais d’erreur de droit puisque c’est elle qui dit le droit. Donc, c’est Sub Lege Libertas qui a dû se tromper en le lisant. Lisons-le donc nous-même.

Que dit la cour pour casser l’arrêt ayant donné à Micheline les fonds du mineur ?

«…en statuant ainsi, alors que Mme X… se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation, la cour d’appel a violé la règle susvisée [Nemo auditur]…»

Les mots importants sont les mots prestation et cause qui lui était propre

Qu’est-ce qu’une prestation ? Appelons à la rescousse le dictionnaire du droit privé.

Le mot “prestation” désigne l’acte par lequel une personne dite “le prestataire” fournit un objet matériel ou s’acquitte d’une créance envers le ” bénéficiaire de la prestation”. Ainsi le vendeur s’acquitte d’une prestation au moment où il livre à l’acquéreur ce qui a fait l’objet de la vente, le prêteur qui verse la somme empruntée réalise la prestation qui a été prévue par l’emprunt.

Première constatation : une prestation, c’est du droit des obligations. Corollaire : un héritage n’est pas une prestation. Le mort n’a aucune dette envers le vivant, et ce n’est pas en exécution d’un contrat que les biens du défunt vont à ses héritiers.

Le mot “prestation” est largement employé dans le droit de la Sécurité sociale. Le remboursement par l’organisme de sécurité sociale, à l’assuré, des frais médicaux que ce dernier a avancés, est une prestation. Le salaire de remplacement que verse l’Assedic à une personne en recherche d’emploi, est une prestation. On parle alors de “prestations sociales”.

Nous y voilà. Une pension de retraite relève du droit de la sécurité sociale (qui couvre l’assurance maladie, l’assurance chômage, les allocations familiales et l’assurance vieillesse, dite prévoyance). Et une pension (il est plus exact de dire rente mais le mot a pris une connotation négative) est une prestation. C’est l’exécution d’une obligation par la caisse, ici la société de secours minière, contrepartie de l’obligation assumée sa vie durant par le défunt houilleur de cotiser à la société de secours. C’est une forme de contrat d’assurance, mais dont la loi fixe les clauses et rend l’adhésion obligatoire. Il demeure, c’est un contrat, qui relève du droit privé (la preuve : c’est la cour de cassation qui statue dans cette affaire).

Ergo, la cour de cassation a bien appliqué l’adage nemo auditur non pas à une affaire de droit des successions mais de droit des obligations. Le litige opposait la veuve d’un assuré à la société de secours minière, veuve qui agissait non en héritière (ce qu’elle n’était pas) mais en tant que créancière : le contrat lui donne droit à toucher la pension de son mari pendant un an après le décès ou jusqu’aux trois ans du plus jeune de ses enfants. 

En outre, la cour exclut la veuve par ses propres mains pour une cause qui lui était propre (le fait d’avoir estourbi son mari). La cour insiste sur cette cause qui est la turpitude qu’invoque la veuve contre l’adage nemo auditur. Or, Anastase a certes fauté, mais était-ce pour une cause qui lui était propre ? Non, disent de conserve un chœur d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité, c’est-à-dire à l’abolissement du discernement. Dès lors, pas de turpitude à reprocher à Anastase, sauf à le rendre responsable de sa folie, ce qui serait à tout le moins une nouveauté. 

Pour conclure, Sub Lege Libertas rêve à voix haute (cela s’appelle requérir) une extension de cette jurisprudence à une hypothèse éloignée de celle d’origine, pour rétablir de l’équité dans cette affaire. J’aime l’équité. Si, si. Elle est très gentille. Mais l’égalité entre héritiers, c’est d’ordre public. 

Je terminerai en disant que je ne vois pas en quoi l’équité permettrait d’interdire à Anastase, poursuivi par Balthazar pour le dédommager de ces décès, et condamné à le payer, à faire valoir ses droits sur la succession pour payer son frère, ne serait-ce que par compensation. Cette condamnation, c’est un transfert d’un patrimoine à l’autre. Balthazar l’a demandé et obtenu. Mais si Anastase renonçait à cette succession, cela reviendrait à payer deux fois son frère. Il n’est pas interdit d’être aussi équitable avec les fous. 

Par ces motifs, plaise à la cour confirmer mon billet. 

Sous toutes réserves, et ce sera justice, n’oubliez pas mon article 700, bande de radins. 

lundi 31 août 2009

Oui, on peut tuer ses parents et toucher l'héritage

La presse (Le Midi Libre du moins) se fait l’écho d’une affaire assez extraordinaire qui se déroule actuellement dans le Gard, avec un formidable conflit entre le droit et la morale, cette dernière, comme d’habitude, allant sortir vaincue. 

Le résumé a de quoi faire bondir : un homme qui a tué ses deux parents, dans des conditions assez horribles qui plus est, a saisi la justice contre son frère pour demander sa part d’héritage, et il l’a obtenue (devant le tribunal de grande instance : l’affaire est en appel, mais je doute que la cour juge autrement, vous allez voir pourquoi). Cet héritage va d’ailleurs lui servir en partie à payer les dommages-intérêts qu’il doit à son frère pour avoir tué… ses parents. 

Et oui, c’est tout à fait légal. 

Comme, pour des raisons que j’ignore, les sites de presse en ligne (et Le Post, que je me refuse à mettre dans cette catégorie) adorent visiblement avoir des dizaines de commentaires de gens indignés, les explications juridiques font défaut dans l’article. Comme j’aime le Midi et que j’aime être libre, j’aime le Midi Libre et vais donc voler au secours de ses lecteurs égarés, en édifiant les miens au passage. 

La question ici n’est pas de droit pénal mais de droit des successions. Le droit des successions prévoit comment le patrimoine d’un mort passe à celui d’un vivant, et détermine qui est ce vivant. Cette opération juridique est instantanée et automatique, au moment du décès. En ancien droit, on disait le mort saisit le vif. Vous voyez que Resident Evil n’a rien inventé que les juristes ne connaissaient déjà. 

Le droit des successions, cauchemar des étudiants de M1, définit des ordres de successeurs, sachant que dès qu’un ordre est représenté, c’est à dire qu’une personne y figure, les ordres suivants sont exclus de la succession. Les représentants d’un même ordre sont en revanche traités sur un pied d’égalité. Ces ordres sont fixés à l’article 734 du Code civil : il s’agit

1° des enfants et de leurs descendants ;
2° des père et mère ; les frères et soeurs et les descendants de ces derniers ;
3° Les ascendants autres que les père et mère ;
4° Les collatéraux autres que les frères et soeurs et les descendants de ces derniers. 

Notons que le 2e ordre est une révolution pour les juristes, puisque depuis Napoléon, les ascendants constituaient un ordre supplantant les collatéraux. Ou en français moderne, les frères et soeurs ne touchaient rien si un des parents ou grand-parents au moins était encore en vie. La grande réforme des successions de 2001 a créé cet ordre mélangeant les père et mère (et eux seuls) et les frères et soeurs. 

Dans notre affaire, les deux parents décédés laissaient deux fils : le premier ordre étant représenté, les suivants sont donc exclus. Les deux frères sont en principe traités sur un pied dégalité. Le Code civil a mis fin définitivement au droit d’aînesse, qui donnait la succession au mâle premier né, excluant les soeurs et les frères puînés, qui cherchaient leur salut dans les Ordres religieux ou dans le métier militaire (les fameux régiments de cadets), le second permettant d’arriver au paradis plus vite mais moins sûrement que le premier. Les parents pouvaient altérer quelque peu cette égalité par testament, mais certainement pas déshériter (on dit plutôt exhéréder) un de leurs fils. 

Dans notre affaire, aucun testament n’a porté atteinte à ce principe d’égalité. Donc, au décès de leurs parents, les deux frères avaient vocation à receillir chacun pour moitié la succession de leurs parents. 

Néanmoins un problème se pose ici. Un des héritiers n’est autre que celui qui est la cause de la succession. Le code civil prévoit cette hypothèse par la règle de l’indignité successorale. 

L’article 726 du Code civil dispose en effet que : 

Sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Vous voyez que le Code civil pose des conditions strictes. Il doit y avoir condamnation d’une part, et d’autre part elle doit être criminelle, c’est à dire prononcée par une cour d’assises ET dépasser les dix ans de prison (sinon, c’est une peine correctionnelle). Donc seuls deux crimes entraînent automatiquement l’indignité successorale : le meurtre (et l’assassinat, auxquels la jurisprudence ajoute l’empoisonnement), et les violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, à condition que la peine soit d’au moins onze ans de réclusion criminelle. 

À ces hypothèses s’ajoutent des indignités facultatives, qui sont prononcés par le juge, à la demande d’un des cohéritiers (ou du ministère public si l’indigne est seul héritier), sachant que le juge peut, au regard des faits, refuser l’indignité (mais pas la prononcer partiellement). 

Ces hypothèses figurent à l’article 727 du Code civil : 

Peuvent être déclarés indignes de succéder :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;
3° Celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;
4° Celui qui est condamné pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
5° Celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
Peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. 

Les deux premiers cas sont la suite logique de l’indignité obligatoire : si la peine est correctionnelle, il faut que le juge y passe. 

Pourquoi me demanderez-vous, chers lecteurs qui ne commentez pas sur les sites de journaux (Dieu vous bénisse) et faites précéder vos opinions de questions pertinentes ? Simplement parce que quand un parricide est condamné à une peine relativement légère, c’est qu’il y a une raison. Et que cette raison peut conduire à écarter l’indignité. Et que le législateur a décidé (c’était sous le Consulat, en des temps plus humanistes qu’aujourd’hui, et ça me poigne de l’écrire) que dans ce cas, le juge devait vérifier les faits. 

Je me souviens d’une affaire d’assises où un fils, mineur âgé de 17 ans, battu et violé par un père alcoolique a tué d’un coup de fusil son père le jour où il s’est rendu compte que ses visites nocturnes allaient désormais dans la chambre de son petit frère de 11 ans. Mérite-t-il d’être indigne ? Non, a dit la cour, qui a prononcé une peine de 5 ans, la partie ferme couvrant la détention provisoire : il a été libéré le soir même. 

Les autres cas d’indignité facultatives concernent des atteintes graves à l’honneur du défunt, qui sont hors sujet ici. 

Revenons-en à notre affaire. Tout se joue sur un détail essentiel hélas absent du titre de l’article : le fils, appelons le Anastase, qui a tué ses parents était dément au moment des faits. Il était atteint de schizophrénie et a eu une bouffée délirante. Des experts psychiatres ont tous estimé qu’il a effectivement agi lors d’une telle bouffée et que dès lors, son discernement était aboli. Cela est confirmé par un détail significatif : les meurtres commis par un dément lors d’une telle bouffée sont d’une violence et d’une horreur extrême. Un malade mental qui décompense n’a plus la moindre inhibition, il est incapable de compassion, et peut faire montre d’un acharnement effrayant. Et c’est le cas ici, ce qui ne facilite pas la compréhension. 

En conséquence, après une courte détention provisoire, le fils en question a été hospitalisé en hôpital psychiatrique, où il est encore. Anastase a bénéficié d’un non lieu pour irresponsbilité pénale, mais, sur demande de son frère, appelons-le Balthazar, il a été condamné au civil (les déments sont civilement responsables : article 414-3 du Code civil) à lui payer 40 000 euros de dommages-intérêts. 

Vous avez deviné : non lieu, donc pas de condamnation pour meurtre, fût-elle correctionnelle. Anastase ne peut en aucun cas être considéré comme indigne. Il a donc droit à la moitié de la succession. C’est la loi. Et il l’a donc demandée. 

Mais une autre question jaillit : comment peut-on être fou au point d’être irresponsable d’un meurtre mais pouvoir agir en réclamation d’une succession ? N’est-ce pas contradictoire ? La réponse est simple. Un fou n’est pas irresponsable. Il est irresponsable pénalement. Il ne relève pas de la sanction pénale, qui a pour objet de punir, de dissuader et de réinsérer. 

Le punir n’a aucun sens : il n’était pas lui même quand il a agi. Cela reviendrait à punir un innocent. Dissuader est ici absurde : on ne dissuade pas une bouffée délirante. Enfin, résinsérer… Par pudeur, je passerai sur la qualité des soins susceptibles d’être donnés en prison. Disons pour faire un élégant euphémisme que la prison n’est pas l’endroit idéal pour soigner une maladie mentale.

Mais il reste responsable civilement. Et si on l’a jugé responsable à hauteur de 40 000 euros à l’égard de son frère, encore faut-il luigarantir le plein accès à son patrimoine afin de payer ses dettes. Balthazar est particulièrement malvenu à faire un procès en dommages-intérêts à Anastase puis à lui dénier par la suite une action visant à lui permettre de payer ce qu’il lui doit. Ce même si de fait, il avait recueilli (illégalement) l’intégralité de l’héritage et que du coup, il va devoir donner à son frère ce que son frère lui doit. 

J’ajoute qu’un schizophrène n’est pas en bouffée délirante continuelle. Beaucoup de schizophrènes mènent une vie à peu près normale, pour peu qu’ils aient un traitement adéquat qvec le suivi nécessaire. Le juge des tutelle d’Uzès a d’ailleurs refusé le placement sous tutelle d’Anastase. Et eût-il été placé sous une telle mesure que son représentant légal aurait pu lui même faire valoir les droits de son pupille. 

Je n’accuse pas Balthazar d’être malhonnête. Il s’est fourvoyé en se laissant guider par son bon sens et sa morale sur les terres du droit, qui n’est pas un châtelain très tolérant. J’en veux pour preuve la solution qu’il propose : le fils ayant dépêché ses parents ayant deux enfants, il est d’accord pour que ceux-ci reçoivent la succession, mais il se refuse à l’idée que ce soit son frère. Et là, il joue de malchance. La loi en vigueur aujourd’hui propose une solution : celui qui renonce à une succession n’en exclut plus ses descendants. Elle passe à la géneration suivante sans jamais être entrée dans son patrimoine. Mais la succession des malheureux parents s’est ouverte en 2000. À l’époque, renoncer à une succession excluait les descendants du renonçant. Ce jusqu’au 1er janvier 2007. Et comme je vous l’ai dit au début, une succession est instantanée. Le patrimoine quitte le mort avec son dernier soupir et entre aussitôt dans celui des héritiers avant même qu’ils n’apprennent la nouvelle. Donc, si son frère renonçait à la succession, il excluerait ses neveux, ce qu’il ne souhaite pas. Terrible impasse juridique. Une solution possible serait qu’Anastase fît immédiatement une donation à ses enfants, contre renonciation de Balthazar à demander ses 40 000 euros. 

Las, je redoute que la situation ne vire ici au tragi-comique. Il y a gros à parier que Balthazar, face à l’insolvabilité supposée de son frère hospitalisé pour une durée indéterminée, ne se soit fait payer ces 40 000 euros par le Fonds de Garantie des Victimes d’Infraction, qui est tenu d’indemmniser les actes commis même par des irresponsable pénaux (article 706-3 du CPP qui dit que les faits doivent avoir le caractère matériel d’une infraction). Aujourd’hui, c’est le Fonds qui doit probablement demander à Anastase de rembourser cette somme, par son action dite récursoire. Anastase n’ayant pas de fortune, il a donc demandé à toucher son héritage pour payer cette dette. Et il doit demander sa part… à son frère Balthazar, qui était son créancier et est devenu son débiteur. Corneille, réveille-toi, tu as un autre chef-d’oeuvre à écrire. 

Je ne vois donc pas comment la cour d’appel de Nîmes pourrait juger différemment que le tribunal de grande instance et faire autrement que droit à l’action d’Anastase. 

Cela dit, je confesse ne pas connaître tous les tenants et aboutissants du dossier, et sur le plan du droit, alors que je n’imaginais pas un renversement du jugement de la mariée non vierge de Lille, la cour d’appel de Douai m’a donné une leçon, non pas de droit mais de realpolitik

Si après ça, il y en a encore qui doutent que droit et morale soient distincts, je ne peux plus rien faire pour vous.

mercredi 29 juillet 2009

HADOPI 2 : malfaçon législative

Pour me déten­dre sur mon yacht voguant vers les Sey­chel­les, je me mets à jour sur les débats sur la loi HADOPI 2, qui s’appel­lera loi rela­tive à la pro­tec­tion pénale de la pro­priété lit­té­raire et artis­ti­que sur inter­net (PPPLAI, ou “tri­ple plaie”).

Les tra­vaux légis­la­tifs ont été inter­rom­pus pour lais­ser la place aux tra­vaux de réfec­tion de la ver­rière de l’hémi­cy­cle. En vérité, un peu de clarté ne fera pas de mal à la repré­sen­ta­tion natio­nale.

Pro­fi­tons de cette trève pour faire un point d’étape. Que pré­voit cette nou­velle loi, en l’état ?

Elle tente de redon­ner quel­que pou­voir à la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Droits (CPD), le bras armé de la HADOPI, amputé par la déci­sion du Con­seil cons­ti­tu­tion­nel.

Je vous rap­pelle briè­ve­ment les épi­so­des pré­cé­dents : la loi HADOPI 1 vou­lait créer une machine admi­nis­tra­tive à sus­pen­dre les abon­ne­ments par paquets de 1000 (après deux aver­tis­se­ments), en créant une obli­ga­tion de sur­veillance de son abon­ne­ment qui rend fau­tif le titu­laire de tout abon­ne­ment ser­vant à télé­char­ger illé­ga­le­ment, peu importe que l’abonné ne soit pas l’auteur dudit télé­char­ge­ment. Le but étant de s’évi­ter de rap­por­ter une preuve trop lourde à four­nir de l’iden­tité rélle du télé­char­geur. La répres­sion mas­sive au nom de la péda­go­gie.

Le Con­seil Cons­ti­tu­tion­nel a sorti son car­ton rouge : il faut qu’une telle mesure, atten­ta­toire aux liber­tés d’expres­sion et de com­mu­ni­ca­tion (et non de con­som­ma­tion comme beau­coup, dont Alain Fin­kel­kraut, l’ont répété d’abon­dance) soit pro­non­cée par un juge et res­pecte la pré­somp­tion d’inno­cence.

Résul­tat : la CPD se retrouve ampu­tée de tous ses pou­voirs de sanc­tion.

La loi HADOPI 1 a été pro­mul­guée mais ce dis­po­si­tif n’est pas encore entré en vigueur faute des décrets d’appli­ca­tion. C’est volon­taire, la loi-patch étant en cours de codage au par­le­ment. Le gou­ver­ne­ment a jusqu’au 1er novem­bre pour cela, date d’entrée en vigueur de la loi HADOPI 1.

La CPD devien­dra une machine à réu­nir les preu­ves : ses agents, asser­men­tés, pour­ront se faire com­mu­ni­quer par les FAI tous les ren­sei­gne­ments uti­les et cons­ta­ter les télé­char­ge­ments par des pro­cès-ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire ne pou­vant être rap­por­tée que par écrit ou par témoin, pro­cès-ver­baux ser­vant de sup­port à une pro­cé­dure d’ordon­nance pénale, c’est à dire une con­dam­na­tion pénale pro­non­cée sans audience (le con­damné ayant un délai de 45 jours pour faire oppo­si­tion, ce qui annule auto­ma­ti­que­ment l’ordon­nance et donne lieu à sa con­vo­ca­tion en jus­tice pour une audience), la loi HADOPI 2 créant enfin une peine com­plé­men­taire de sus­pen­sion de l’abon­ne­ment inter­net que l’ordon­nance pénale pourra pres­crire. Le décret d’appli­ca­tion créera quant à lui une con­tra­ven­tion de négli­gence dans la sur­veillance de son accès à inter­net pas­si­ble elle aussi d’une peine com­plé­men­taire de sus­pen­sion d’accès à inter­net (mais par une pro­cé­dure de droit com­mun).

Nous voilà retom­bés sur nos pieds : c’est bien un juge qui pro­nonce la sus­pen­sion, et les droits de la défense sont res­pec­tés puis­que le Con­seil a jugé con­forme à la Cons­ti­tu­tion l’ordon­nance pénale, embal­lez, c’est pesé. Vous avez suivi ?

Un exem­ple pour vous mon­trer l’usine à gaz.

Les agents de la CPD cons­ta­tent que l’adresse IP 127.0.0.1 télé­charge un fichier pirate de l’immor­tel chef d’oeu­vre de Robert Tho­mas de 1982 Mon curé chez les nudis­tes. Ils en dres­sent pro­cès ver­bal. L’adresse IP en ques­tion cor­res­pond au FAI dev/null Tele­com. La CPD se fait com­mu­ni­quer par ce FAI quel abonné uti­li­sait cette adresse IP tel jour à telle heure. L’incons­cient est mon­sieur Übe­rich, un Alsa­cien. Or ce mon­sieur a déjà fait l’objet d’un envoi d’e-mail et d’un envoi de let­tre recom­man­dée (peu importe qu’il l’ait reçue : le légis­la­teur me lit assu­ré­ment et a con­tourné le pro­blème de la let­tre recom­man­dée qu’on ne va pas cher­cher en rem­pla­çant par un amen­de­ment à cette loi la récep­tion de la let­tre par sa sim­ple pré­sen­ta­tion). Le dos­sier est trans­mis au minis­tère public pour qu’il requière une ordon­nance pénale con­dam­nant mon­sieur Übe­rich soit pour con­tre­fa­çon soit pour négli­gence dans la sur­veillance de son accès selon les preu­ves réu­nies à une peine de sus­pen­sion de l’abon­ne­ment. Mon­sieur Übe­rich pourra faire oppo­si­tion pour con­tes­ter cette con­dam­na­tion et faire valoir sa défense.

Et croyez-moi, je sim­pli­fie beau­coup.

Heu­reu­se­ment, on peut rire dans cette affaire, en lisant le rap­port de M. Ries­ter, rap­por­teur de la com­mis­sion des affai­res cul­tu­rel­les.

Le rap­port jus­ti­fie ainsi le fait que les agents asser­men­tés de la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Droits (CPD) puis­sent dres­ser des pro­cès ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire.

Le der­nier ali­néa (de l’arti­cle 1er, NdA) pré­voit que les PV dres­sés à cette occa­sion font foi jusqu’à preuve con­traire. Il s’agit ici sim­ple­ment de l’appli­ca­tion du droit com­mun de la pro­cé­dure pénale, notam­ment de l’arti­cle 431 du code de pro­cé­dure pénale.



Rap­pe­lons que cette pré­ci­sion est pré­vue dans les mêmes ter­mes au deuxième ali­néa de l’arti­cle 450-2 du code du com­merce pour l’Auto­rité de la con­cur­rence ou à l’arti­cle L. 8113-7 du code du tra­vail pour les ins­pec­teurs du tra­vail.

Les Gen­dar­mes de Saint-Tro­pez décou­vrent la pro­cé­dure pénale.

Tout d’abord, l’arti­cle 431 n’est pas le droit com­mun en la matière puisqu’il est l’excep­tion.

Le prin­cipe, c’est l’arti­cle 430 , il n’était pas loin pour­tant.

Je graisse :

Sauf dans le cas où la loi en dis­pose autre­ment, les pro­cès-ver­baux et les rap­ports cons­ta­tant les délits ne valent qu’à titre de sim­ples ren­sei­gne­ments.

Et c’est ce sauf dans le cas où la loi en dis­pose autre­ment que vise l’arti­cle 431 :

Dans les cas où les offi­ciers de police judi­ciaire, les agents de police judi­ciaire ou les fonc­tion­nai­res et agents char­gés de cer­tai­nes fonc­tions de police judi­ciaire ont reçu d’une dis­po­si­tion spé­ciale de la loi le pou­voir de cons­ta­ter des délits par des pro­cès-ver­baux ou des rap­ports, la preuve con­traire ne peut être rap­por­tée que par écrit ou par témoins.

La loi HADOPI 2 vise donc à don­ner excep­tion­nel­le­ment cette force pro­bante excep­tion­nelle aux agents de la CPD, simi­laire à celle recon­nue aux ins­pec­teurs du tra­vail ou aux agents de l’Auto­rité de la Con­cur­rence cités par le rap­por­teur. Il aurait pu ajou­ter aux poli­ciers en matiè­res de con­tra­ven­tion rou­tière (art. 537 du CPP), ça par­le­rait plus aux Fran­çais en vacan­ces..

Vient ensuite le meilleur moment : Frank Ries­ter nous expli­que ce que cela signi­fie.

Cela signi­fie que la preuve de l’inexac­ti­tude des faits cons­ta­tés ne pourra pas résul­ter uni­que­ment d’une déné­ga­tion ulté­rieure de la per­sonne con­cer­née. Il fau­dra, aux ter­mes de l’arti­cle 431 pré­cité, que la per­sonne con­cer­née four­nisse une con­tre preuve par écrit ou par témoins – elle était par exem­ple hos­pi­ta­li­sée et dis­pose d’un cer­ti­fi­cat médi­cal ou était à l’étran­ger et quelqu’un peut en attes­ter.

J’adore “la preuve de l’inexac­ti­tude” résul­tant “uni­que­ment” d’une “déné­ga­tion ulté­rieure de la per­sonne con­cer­née”. Il faut dire à la décharge de M. Ries­ter qu’il y a en effet des pré­cé­dents fâcheux de déné­ga­tions ulté­rieu­res ayant abouti. Sans par­ler de ceux qui n’ont jamais avoué.

Comme quoi le gou­ver­ne­ment (et l’assem­blée natio­nale quand elle est ser­vie par un rap­por­teur trop empressé à jouer les sup­plé­tifs du Gou­ver­ne­ment) a du mal avec la pré­somp­tion d’inno­cence. Une déné­ga­tion ulté­rieure n’est pas une preuve de l’inexac­ti­tude mais un sim­ple refus de s’incri­mi­ner soi-même, ce qui est un droit de l’homme ardem­ment défendu par la Cour euro­péenne des droits de l’homme, et par­fois un sim­ple cri d’inno­cence. C’est aux auto­ri­tés d’appor­ter la preuve de la cul­pa­bi­lité, et non de faire par­ler le sus­pect pour lui dénier le droit de se rétrac­ter ensuite.

En fait, le Gou­ver­ne­ment tente une nou­velle fois de con­tour­ner la pré­somp­tion d’inno­cence, ce qui avait valu au pre­mier texte les déboi­res que l’on sait. La loi HADOPI 1 ne per­met­tait à l’abonné de con­tes­ter sa sanc­tion que de trois façons : démon­trer que son abon­ne­ment a été uti­lisé frau­du­leu­se­ment, ins­tal­ler un logi­ciel de sécu­ri­sa­tion (qui prou­vait que seul l’abonné pou­vait être le pirate) ou la force majeure. Niet a dit le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel. Et ajoute-t-il, il faut que le juge y passe.

Parade du Gou­ver­ne­ment : aller cher­cher l’exis­tant, puis­que cela a déjà été validé par le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel. Soit l’ordon­nance pénale et les PV fai­sant foi. Vous voyez le méca­nisme : obte­nir des con­dam­na­tions péna­les par un juge, sans audience puis­que de tou­tes façons le juge est lié par les pro­cès ver­baux des agents de la CPD. L’abonné ne pourra que démon­trer (sur oppo­si­tion à l’ordon­nance pénale) qu’il est impos­si­ble que ce soit lui qui ait télé­chargé illé­ga­le­ment tel fichier[1].

Ce qui est exac­te­ment ce que le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel a déjà cen­suré. Pas pour défaut d’inter­ven­tion du juge mais pour atteinte à la pré­somp­tion d’inno­cence. Je ne vois pas com­ment le Con­seil pour­rait ne pas cen­su­rer à nou­veau.

Mais me direz-vous, le Con­seil n’a-t-il pas déjà validé ces pro­cès ver­baux fai­sant foi et l’ordon­nance pénale ?

À ma con­nais­sance, il n’a jamais eu à sta­tuer sur les pro­cès ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire en matière pénale (les PV fai­sant foi ont été votés en 1957, un an avant la créa­tion du Con­seil). Voici qui lui en four­nira l’occ­ca­sion. Oh, il vali­dera le prin­cipe, mais en l’enca­drant, comme il a fait pour l’ordon­nance pénale. J’ y revien­drai. Car Frank Ries­ter nous régale d’une cerise sur son gâteau.

Selon les infor­ma­tions com­mu­ni­quées au rap­por­teur par le Gou­ver­ne­ment, aucun for­ma­lisme spé­ci­fi­que n’est appli­ca­ble à ces PV. S’appli­quent sim­ple­ment les dis­po­si­tions géné­ra­les de l’arti­cle 429 du code de pro­cé­dure pénale qui pré­voient un for­ma­lisme mini­mal : date, iden­tité de l’agent, signa­ture de l’agent et, si elle est enten­due, signa­ture de la per­sonne con­cer­née par la pro­cé­dure.

C’est bien d’écou­ter ce que dit le Gou­ver­ne­ment. C’est mieux d’aller lire soi-même ce que dit l’arti­cle 429 du CPP.

Tout pro­cès-ver­bal ou rap­port n’a de valeur pro­bante que s’il est régu­lier en la forme, si son auteur a agi dans l’exer­cice de ses fonc­tions et a rap­porté sur une matière de sa com­pé­tence ce qu’il a vu, entendu ou cons­taté per­son­nel­le­ment.

Bref, est fait dans les for­mes un pro­cès-ver­bal fait dans les for­mes. Voilà l’Assem­blée bien infor­mée. Et sur­tout, le rap­por­teur man­que le prin­ci­pal. Le pro­cès ver­bal ne se carac­té­rise pas par sa date, sa signa­ture et l’iden­tité du scrip­teur, mais par ce qu’il rap­porte, qui doit être ce qu’il a cons­taté per­son­nel­le­ment et qui relève de sa com­pé­tence. Ce qui se résume à : tel jour à telle heure , telle adresse IP a télé­chargé tel fichier. À ce PV s’ajoute les infor­ma­tions four­nies par le FAI sur l’iden­tité de l’abonné, qui elles ne font pas foi puis­que l’agent de la CPD ne l’aura pas cons­taté per­son­nel­le­ment, pas plus que le carac­tère d’oeu­vre pro­té­gée du fichier, point sur lequel la CPD est incom­pé­tente. C’est sur cette base là que le juge est censé pro­non­cer une peine délic­tuelle pour con­tre­fa­çon. En toute ami­tié, je sou­haite bon cou­rage aux pro­cu­reurs char­gés des ordon­nan­ces HADOPI.

Cela à sup­po­ser qu’HADOPI 2 fran­chisse sans encom­bre la rue Mont­pen­sier ce qui me paraît dou­teux.

Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, la loi tente mala­droi­te­ment de réta­blir une pré­somp­tion de cul­pa­bi­lité expres­sé­ment refu­sée par le Con­seil. Il devrait n’appré­cier que modé­ré­ment qu’on tente de lui repas­ser le plat.

De plus, le Con­seil a cer­tes accepté le prin­cipe de l’ordon­nance pénale, mais il a posé des con­di­tions. C’était lors de l’exten­sion de cette pro­cé­dure aux délits, lors de la loi Per­ben 1. Déci­sion n° 2002-461 DC du 29 août 2002. À la décharge du Gou­ver­ne­ment, l’aver­tis­se­ment ne se trouve pas dans la déci­sion elle même mais dans le com­men­taire aux Cahiers de juris­pru­dence du Con­seil Cons­ti­tu­tion­nel (pdf) :

Comme il a été dit à pro­pos de la pos­si­bi­lité don­née au juge de proxi­mité, par l’arti­cle 7 de la loi défé­rée, de ren­voyer une affaire au juge d’ins­tance en cas de dif­fi­culté sérieuse, l’éga­lité devant la jus­tice ne s’oppose pas à ce que le juge­ment de cer­tai­nes affai­res fasse l’objet d’une pro­cé­dure spé­ci­fi­que, à con­di­tion que cette pro­cé­dure soit défi­nie pré­ci­sé­ment, que le choix de cette pro­cé­dure repose sur des cri­tè­res objec­tifs et ration­nels ins­pi­rés par un souci de bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice et que cette pro­cé­dure ne lèse pas les droits des par­ties.

En l’espèce, le souci d’une bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice est tota­le­ment absent, seul le souci de la défense des inté­rêts patri­mo­niaux des artis­tes étant invo­qué. Quant aux cri­tè­res objec­tifs et ration­nels, eh bien, com­ment dire ça poli­ment… ?

Et sur­tout, car j’ai gardé le plus beau pour la fin :

Par ailleurs, le minis­tère public aura recours à la pro­cé­dure de juge­ment sim­pli­fiée non de façon sub­jec­tive et dis­cré­tion­naire, comme le sou­te­nait la sai­sine séna­to­riale, mais en fonc­tion de cri­tè­res objec­tifs et ration­nels : - Il s’agit des délits les plus sim­ples et les plus cou­rants pré­vus par le code de la route. Ainsi, la pro­cé­dure sim­pli­fiée ne peut être uti­li­sée si le pré­venu était mineur le jour de l’infrac­tion, ou si la vic­time a formé une demande de dom­ma­ges-inté­rêts…

Pas­sons sur le fait que la con­tre­fa­çon est un délit plus com­plexe à éta­blir qu’une vitesse ou un taux d’alcoo­lé­mie. Rete­nons que le fait que la vic­time ne puisse pas être par­tie était un cri­tère retenu par le Con­seil pour vali­der l’ordon­nance pénale.

Or, comme je l’avais dit lors­que l’idée de l’ordon­nance pénale a com­mencé à cir­cu­ler :

…cette loi est con­traire à l’inté­rêt des artis­tes, ce qui est un amu­sant para­doxe. En effet, l’ordon­nance pénale sup­pose que la vic­time ne demande pas de dom­ma­ges-inté­rêts (arti­cle 495 du CPP, al. 9). Donc les ayant droits ne pour­ront pas deman­der répa­ra­tion de leur pré­ju­dice. Ils doi­vent sacri­fier leur rému­né­ra­tion à leur soif de répres­sion. Quand on sait que leur moti­va­tion dans ce com­bat est de lut­ter con­tre un man­que à gagner, on cons­tate qu’il y a pire ennemi des artis­tes que les pira­tes : c’est l’État qui veut les pro­té­ger.

Or on sait main­te­nant qu’on me lit au Palais Bour­bon. Que croyez-vous qu’il arriva ? Rus­tine !

Arti­cle 2 du pro­jet de loi adopté par la Com­mis­sion :

II. - Après l’arti­cle 495-6 du même code, il est inséré un arti­cle 495-6-1 ainsi rédigé :

« Art. 495-6-1. – Les délits pré­vus aux arti­cles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la pro­priété intel­lec­tuelle, lorsqu’ils sont com­mis au moyen d’un ser­vice de com­mu­ni­ca­tion au public en ligne, peu­vent éga­le­ment faire l’objet de la pro­cé­dure sim­pli­fiée de l’ordon­nance pénale pré­vue par la pré­sente sec­tion.

« Dans ce cas, la vic­time peut deman­der au pré­si­dent de sta­tuer, par la même ordon­nance se pro­non­çant sur l’action publi­que, sur sa cons­ti­tu­tion de par­tie civile. L’ordon­nance est alors noti­fiée à la par­tie civile et peut faire l’objet d’une oppo­si­tion selon les moda­li­tés pré­vues par l’arti­cle 495-3. »

Le rap­por­teur en per­sonne a intro­duit (amen­de­ment 126 AC) la pos­si­bi­lité pour la vic­time de se cons­ti­tuer par­tie civile dans la pro­cé­dure sur ordon­nance pénale. Pas­sons sur le fait qu’il a oublié de pré­ci­ser com­ment la vic­time sera infor­mée de la pro­cé­dure d’ordon­nance pénale et mise à même de pré­sen­ter sa demande (pourra-t-elle envoyer son avo­cat plai­der ?). On a une pro­cé­dure où inter­vient le par­quet qui demande la con­dam­na­tion, la vic­time qui demande répa­ra­tion… mais pas le prin­ci­pal inté­ressé : l’éven­tuel con­damné (je ne peux décem­ment l’appe­ler le pré­venu puis­que pré­ci­sé­ment c’est le seul à ne pas être pré­venu de ce qui se passe).

Le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel va avoir un malaise vagal en lisant ça. Com­ment disait-il, déjà ? Ah, oui, c’est valide à con­di­tion que le choix de cette pro­cé­dure repose sur des cri­tè­res objec­tifs et ration­nels ins­pi­rés par un souci de bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice et que cette pro­cé­dure ne lèse pas les droits des par­ties. Je crois que là, on a un sans faute dans l’incons­ti­tu­tion­na­lité.

De la mal­fa­çon légis­la­tive comme on aime­rait en voir moins sou­vent.


Mise à jour : l’assem­blée a retiré cette force pro­bante aux PV des agents de la CPD. Merci à Authueil, et sur­tout au député Lio­nel Tardy, à l’ori­gine de l’amen­de­ment.

Notes

[1] Encore que tech­ni­que­ment, le fait d’être hos­pi­ta­lisé ou à l’étran­ger, ou même d’être hos­pi­ta­lisé à l’étran­ger n’est pas en soi un obs­ta­cle au télé­charg­ment illé­gal depuis chez soi ; un ordi­na­teur se con­trôle très bien à dis­tance.

mercredi 22 juillet 2009

Le Général Sabroclère

Il était une fois en Répu­bli­que Bold­zare un géné­ral, le géné­ral Sabro­clère, qui arriva au pou­voir en pro­met­tant de faire de l’armée de son pays sa pre­mière prio­rité, car comme tout homme poli­ti­que, il n’avait que des prio­ri­tés, ce qui l’obli­geait à les numé­ro­ter pour dis­tin­guer tou­tes ces cho­ses qui pas­sent en pre­mier.

Sa pre­mière idée fut de rem­plir les caser­nes. Il demanda à ses ser­gents recru­teurs de faire un effort sur la cons­crip­tion, sur­tout auprès des jeu­nes, et fit voter une loi qui déci­dait que ceux qui avaient déjà fait leur ser­vice seraient obli­gés d’en faire un autre plus long, de plu­sieurs années au mini­mum.

Très vite, l’État major lui signala que les caser­nes étaient déjà plei­nes, et plu­tôt vétus­tes. De plus, il n’y pas assez d’adju­dants pour s’occu­per de ces recrues, ni assez d’armes pour les équi­per, puis­que le Géné­ral Sabro­clère avait repris à son compte la tra­di­tion de ne jamais accor­der un Dra­zi­bule (la mon­naie bold­zare) de plus au bud­get de l’armée ; car une armée trop puis­sante pour­rait fomen­ter des coups d’État.

À toute demande de Dra­zi­bu­les, le grand Chan­ce­lier répon­dait : « Ce n’est pas une ques­tion de moyens, mais de méthode », avant de recom­man­der des cais­ses de cham­pa­gne pour son pro­chain cock­tail.

« Qu’importe, répon­dit donc le Géné­ral en haus­sant les épau­les dans la plus grande tra­di­tion bold­zare, l’inten­dance sui­vra ».

Au bout de quel­ques années, l’Ins­pec­tion Géné­rale des Armés Bold­zare ren­dit un rap­port cons­ta­tant que 82.000 recrues atten­daient encore leur ordre d’incor­po­ra­tion, alors que les caser­nes ne comp­tent que 53.000 lits dans les cham­brées (et déjà, en en fai­sant dor­mir par terre, on arri­vait à incor­po­rer 63.000 recrues, sans comp­ter les 5000 qui fai­saient un ser­vice civil).

Cela ren­dit furieux le Géné­ral Sabro­clère qui semonça la Grande Cham­bres des Accla­ma­tions, assem­blée char­gée d’applau­dir le Géné­ral quand il lui en pre­nait l’envie.

Devant la Cham­bre des Accla­ma­tions, il déclara de son ton le plus mar­tial :

« Com­ment peut-on par­ler d’Armée quand 82.000 recrues atten­dent leur ordre d’incor­po­ra­tion ? »

La grande Chan­ce­lière annonça que face à cette situa­tion désas­treuse, elle allait rédi­ger des ins­truc­tions adres­sés aux colo­nels et chefs de corps pour leur indi­quer des bon­nes pra­ti­ques per­met­tant d’incor­po­rer plus de sol­dats, le tout sans ache­ter un seul fusil. Il suf­fi­sait d’ins­crire deux noms par ligne sur les cahiers d’incor­po­ra­tion, de faire dor­mir la moi­tié des sol­dats le jour et l’autre moi­tié la nuit, et de faire en sorte qu’un sol­dat tienne le canon du fusil pour viser tan­dis que le second tien­drait la crosse et serait en charge de pres­ser la queue de détente pour faire feu.

Ce fut ce jour là que la Cham­bre des Accla­ma­tions se révolta et face à un tel niveau d’incon­sé­quence, chassa le Géné­ral Sabro­clère en lui lan­çant à la figure les compte-ren­dus de séance reliés en cuir de vachette depuis 1873 à nos jours.

Ce conte trouve un écho dans notre actua­lité, avec dans le rôle du Géné­ral Sabro­clère, le pré­si­dent Sar­kozy, dans celui de la grande chan­ce­lière, Madame Alliot-Marie, dans celui de l’armée bold­zare la jus­tice fran­çaise et dans celui de la Cham­bre des Accla­ma­tions se révol­tant… Per­sonne.

« Com­ment peut-on par­ler de jus­tice quand il y a 82 000 pei­nes non exé­cu­tées parce qu’il n’y a pas de pla­ces dans les pri­sons ? » Le chif­fre avait été annoncé par Nico­las Sar­kozy, devant le Con­grès de Ver­sailles, le 22 juin. Il est tiré d’un rap­port de l’ins­pec­tion géné­rale des ser­vi­ces judi­ciai­res du mois de mars, que la minis­tre de la jus­tice et des liber­tés, Michèle Alliot-Marie devait dif­fu­ser aux magis­trats, mardi 21 juillet.

Face à cette situa­tion, qu’annonce le gou­ver­ne­ment ? Va-t-on recru­ter des juges d’appli­ca­tion des pei­nes, cons­truire des éta­blis­se­ments sup­plé­men­tai­res et réno­ver les tau­dis qui en font office, pour résor­ber un stock tel que si on ne met­tait plus per­sonne ne pri­son, un an ne serait pas suf­fi­sant pour l’absor­ber ?

Ou bien…

Mme Alliot-Marie, en rece­vant les chefs de cour, lundi 20 juillet, a indi­qué qu’elle adres­se­rait “une cir­cu­laire recen­sant les bon­nes pra­ti­ques qui peu­vent être mises en œuvre sans délai”.

Les Bold­za­res ont plus de chance que nous.

lundi 13 juillet 2009

Les procédures pénales d'exceptions vivent-elles leurs dernières heures ?

Je n'ose y croire, tant j'en ai rêvé, mais là, la cour européenne des droits de l'homme semble sonner le glas d'un aspect parmi les plus scandaleux de la procédure pénale française, qui pourtant n'en manque pas.

Par un arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 (Requête no 36391/02), la Grande Chambre de la Cour a condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable pour une loi qui refusait l'accès à un avocat au stade de l'enquête de police en raison de son objet qui, vous l'aurez deviné puisqu'il permet de porter atteitne aux droits de l'homme sous les applaudissements de l'opinion publique, est de lutter contre le terrorisme. 

En l'espèce, c'est un mineur kurde, soupçonné d'avoir ourdi deux odieux attentats terroristes, en l'espèce avoir participé à une manifestation du Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale (qui est bel et bien une organisation terroriste violente), en soutien au chef de ce parti, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis 1999,  ET d'avoir accroché une banderolle sur un pont ainsi rédigée : "Longue vie à notre chef Apo", Apo ("Tonton" en kurde) étant le surnom d'Öcalan.

Comme vous le voyez, c'est presque aussi grave que d'abîmer des caténaires de la SNCF.

 Après six mois de détention provisoire, il fut déclaré coupable sur la base de ses déclarations en garde à vue (faites sans avoir pu bénéficier du conseil d'un avocat), quand bien même il les avait rétractées par la suite (sur le conseil de son fourbe avocat, ce pire ennemi de la vérité, de l'ordre public et de l'autorité de l'État) et condamné à 4 ans et six mois de prison, ramenés à 2 ans et demi et raison de sa minorité. 

Je passe sur la procédure d'appel qui n'était pas non plus conforme aux standards de la Convention.

Les passages de l'arrêt qui ont retenu mon attention en ce qu'elles peuvent concerner la France sont ceux-ci. Après avoir rappelé que la Cour veille à ce que les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soient effectifs et concrets, la Cour affirme que (j'ai ôté les références jurisprudentielles pour alléger le texte ; les gras sont de moi) : 

54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants-NdA) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.


Une petite pause ici. Le droit français a été mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme par la loi du 4 janvier 1993 en prévoyant que tout gardé à vue a droit a l'assistance d'un avocat. La loi, comme effrayée de sa propre audace, a toutefois prévu que ce droit se résumait à un entretien de trente minutes sans que l'avocat ait accès au dossier. Un changement de majorité s'étant produit en mars de la même année, une loi du 24 août 1993 va repousser l'intervention de cet avocat à la 21e heure de garde à vue, parce que sékomsa. Cela permettait de tenir éloigné ce gêneur dont la tâche, non mais je vous demande un peu, consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. En juin 2000, la loi a enfin permis à l'avocat d'intervenir dès le début de la garde à vue. Mais là encore, changement de majorité en 2002 et en mars 2004, une loi revient sur ce point en repoussant l'intervention de l'avocat à la 48e heure en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de délinquance organisée.

Je rappelle que des affaires comme celles de Julien Coupat ont été traitées selon cette procédure d'exception, de même que la plupart des gardes à vue des délits de solidarité qui n'existent pas : la dame arrêtée à son domicile pour avoir rechargé des téléphones mobiles d'étrangers a été interpellée pour aide au séjour en bande organisée. Quand bien même l'affaire va probablement aboutir à un classement sans suite, elle n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat pendant ses 14 heures de garde à vue. 

Permettez à l'État de s'affranchir des libertés fondamentales en matière de terrorisme ou de délinquance organisée, et ne vous étonnez pas qu'un jour, il vous accuse d'un de ces faits pour s'affranchir d'avoir à respecter les vôtres.

Donc, l'intervention de l'avocat est repoussée de 48 heures dans trois série de cas. Systématiquement. Revenons-en à notre arrêt de la Cour.

55.  Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (…), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandisMagee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

Arrêtez-moi si je me trompe (mais pas selon la procédure de délinquance organisée s'il vous plaît) : la cour dit qu'elle veut bien qu'on repousse l'intervention de l'avocat, mais elle doit avoir lieu en tout état de cause avant le premier interrogatoire de police, sauf à ce que des circonstances particulières au cas d'espèce (et non une règle de procédure générale appliquée systématiquement) font qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

Or les procédures françaises d'exception repoussent à la 48e heure cette intervention de l'avocat, systématiquement, et des interrogatoires du suspect ont bien évidemment lieu pendant ce laps de temps. C'est même le but : obtenir des aveux avant qu'un baveux vienne lui dire de se taire.

Conclusion logique : les procédures française d'exception ne sont pas conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Toutes les personnes qui ont avoué des faits dans ce laps de 48 heures peuvent demander une indemnisation pour violation de leurs droits, et la révision de leur procès (art. 626-1 du CPP) si elles ont été condamnées sur la base de ces aveux, car leur procédure est présumée avoir porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.

Peut-être vois-je midi à ma porte car depuis 2004, où j'ai participé aux manifestations des avocats contre ce volet de la loi Perben II, je suis convaincu que cette procédure est contraire aux droits de l'homme. Je lirai donc avec intérêt tout point de vue contradictoire visant à démontrer que je me trompe.

Car si tel n'est pas le cas, le 27 novembre 2008 fut une belle journée pour les droits de l'homme.

dimanche 21 juin 2009

Fous (pas) ta cagoule !

Tremblez, casseurs, frémissez, black-blocks : votre fin est proche. Le décret « anti-cagoule » est paru au JO, mais vous le savez bien car il s'agit de votre lecture favorite, après le Code de procédure pénale, me murmure Frédéric Lefèbvre Christian Estrosi.

Le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l'incrimination de dissimulation illicite du visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique est paru au J.O. du 20 juin 2009 (page 10067, texte n° 29). Ce décret est bref : il crée un nouvel article R. 645-14 dans le code pénal, ainsi rédigé :

Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public.

La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15[1].

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »

Le décret est entré en vigueur aujourd'hui à zéro heure.

Pourquoi une simple contravention, alors qu'on se souvient qu'il y a deux mois tout juste, le chef de l'État déclarait sur un ton va-t-en guerre son intention de «passer la vitesse supérieure» dans sa «lutte sans merci contre les voyous et les délinquants» ? Si « la vitesse supérieure » de « la lutte sans merci » s'entend de 1.500 euros d'amende max, 3000 en cas de récidive, on se dit que le gouvernement a une marge de progression dans la répression sanguinaire et que la menace de prison indiquera le passage en sur-régime dans la guerre à outrance. L'hypothèse que tout cela relève de la comm' étant naturellement exclue.

Rassurez-vous, pas de mansuétude ici, c'est juste que la contravention de 5e classe est la plus haute sanction qui puisse se prévoir par un simple décret. Pour la prison, il y faut une loi, et ça prend plus de temps, surtout quand il faut revoter les lois que l'assemblée a rejetées avant qu'elles ne se fassent annuler devant le Conseil constitutionnel.

Parce que le fait que c'est une contravention pose un premier problème. Une contravention ne permet pas la garde à vue (art. 67 du CPP). Il est en effet délicat de priver deux jours de liberté une personne qui, fût-elle coupable, ne risque pas la prison. Donc les policiers ne peuvent que contrôler, et le cas échéant vérifier l'identité du contrevenant, dans un délai de quatre heures maximum, puis dresser un procès-verbal de leurs constatations, transmis à l'officier de ministère public du tribunal de police qui décide de poursuivre ou non. Or pendant une manifestation, la police a autre chose à faire que demander ses papiers aux manifestants masqués. Le maintien de l'ordre est un art délicat, qui suppose de s'abstenir de toute provocation qui pourrait déclencher la violence (comme commencer à demander ses papiers à une personne dissimulant son visage mais qui à part ça ne fait rien), et des violences éclatent, à les contenir, tant dans leur localisation que dans leur intensité. Quand volent les pavés et les lacrymos, il n'est plus temps de s'intéresser aux spectateurs passifs dissimulant leur visage.

De plus, cette contravention est un bonheur pour avocat. Probablement soufflés par le Conseil d'État consulté sur cette affaire, la contravention ne frappe pas la simple dissimulation du visage (qui se heurtait au fait que seule la loi peut interdire de dissimuler son visage). Il faut que le contrevenant masqué se dissimule le visage afin de ne pas être identifié. C'est à dire que le ministère public devra apporter la preuve d'un mobile (car on peut se dissimuler le visage à cause d'une vilaine cicatrice, ou porter un masque contre la grippe A…). Ce ne sera pas trop difficile ici mais c'est une première difficulté supplémentaire.

En outre, il faut établir des « circonstances de nature à faire craindre des atteintes à l'ordre public ». Sachant qu'un même fait ne peut constituer plusieurs éléments constitutifs d'une infraction (application classique de l'interprétation stricte de la loi pénale), il sera impossible pour le parquet de soulever que le fait de porter une cagoule fait craindre en soi des atteintes à l'ordre public. Accessoirement, le pluriel impose au moins deux atteintes à l'ordre public, une atteinte ne suffira pas.

De plus, l'infraction, pour être constituée, devant également se dérouler « au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique », le parquet ne pourra tirer argument de ce fait pour établir cette crainte d'atteintes à l'ordre public.

Le calvaire du ministère public ne s'arrête pas là. En supposant qu'il parvienne à établir les éléments constitutifs, la défense peut invoquer deux exceptions, c'est à dire deux faits qui, si elle les établit, exonèrent le prévenu qui doit être relaxé. L'usage local (faut-il en déduire que la contravention est inapplicable en Corse ?) et le motif légitime. Ce dernier point protège notamment les policiers qui, à l'occasion des manifestations, dissimulent leur visage derrière des masques à gaz. Mais précisément, l'usage de gaz lacrymogènes ne rend-il pas légitime le fait de s'apposer un linge sur le visage (bien que son efficacité soit quasi nulle) ? Et, sans parler des manifestations de clowns, que dire de celles à venir contre la prohibition du port du niqāb, où les manifestantes revendiquant la liberté de porter cet accoutrement joindront probablement le geste à la parole, sans tomber sous le coup de la contravention. En outre, n'est-il pas possible d'invoquer le fait que le fait de vouloir dissimuler son identité (élément constitutif de la contravention) constitue le motif légitime du fait de la prolifération des fichiers de police et de la pratique de filmer les manifestants par la police, à des fins inconnues, certes, mais la prudence voulant que dans le doute, on s'abstienne et on cèle son visage ?

Autant dire que cette contravention ne devrait pas connaître un succès, fût-il d'estime, dans les prétoires. Oh bien sûr, il y aura une première fois bien médiatisée par le service communication du ministère de l'intérieur pour démontrer la nécessité et l'utilité de ce texte (alors que personne ne contestera l'utilité médiatique du texte : permettre à un ministre de se faire mousser).

D'autant que la machine à n'importe quoi fonctionne plutôt bien ici, puisque pas plus tard que mardi prochain, l'assemblée va discuter de la proposition de loi rédigée signée par Christian Estrosi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, la fameuse loi “ anti-bandes ”. On sent que le décret a été publié en hâte pour que le ministre de l'intérieur grille la politesse au député d'appoint ainsi désappointé. Car cette loi va rendre ce décret largement inutile.

En effet, cette loi (article 3) prévoit une nouvelle circonstance aggravante de dissimulation du visage, applicable aux violences volontaires (on arrive à une telle liste qu'il devient très difficile de commettre des violences simples), aux vols aggravés, à l'extorsion, à la destruction du bien d'autrui, à la participation délictueuse à un attroupement[2], et la participation armée à un attroupement.

On relèvera que le fait d'avoir visé le seul vol aggravé de l'article 311-4 exclut les auteurs de vol qualifié comme le vol à main armée ou le vol en bande organisée (art. 311-8 et 311-9 du code pénal) ; c'est-à-dire que les braqueurs pourront continuer à se dissimuler le visage dans la plus grande tradition du polar sans encourir d'aggravation de la répression, contrairement à celui qui casse un abribus. Appelons ça de la cohérence législative.

Sur cet aspect de la loi, je n'ai guère à redire. S'agissant d'une circonstance aggravante, elle suppose, pour faire effet, que l'individu se dissimulant le visage commette un délit. Ce qui du coup évite tout débat sur les raisons de cette dissimulation. Juridiquement, ça tient la route.

D'un point de vue criminologique, je suis plus réservé.

Pourquoi une personne se préparant à commettre une infraction se dissimule-t-elle le visage ? Pour ne pas être reconnue : se dissimuler le visage permet de se convaincre de l'impunité. Pas vu, pas pris, comme disait mon légionnaire. Que veut-on donc sanctionner en incriminant cette dissimulation ? Le fait de ne pas vouloir être pris ? Faut-il donc aussi aggraver la répression quand l'auteur essuie ses empreintes, ou veille à ne pas laisser d'empreintes ADN, par cohérence ? Aggraver la répression suppose que l'on considère comme plus grave un comportement délictuel commis dans certaines circonstances. On comprend que frapper une personne est grave, mais s'y mettre à plusieurs ou utiliser une arme est plus grave encore. En quoi lancer un cocktail molotov vers des policiers est-il plus grave si on le fait masqué qu'à visage découvert ?

La réponse du législateur, à lire l'exposé des motifs, est désarmante de naïveté : c'est pour faciliter l'identification des délinquants. Je vous jure, allez le lire. La loi anti-Rapetout, en somme. On imagine très bien la scène :

— Éh, Mouloud ! T'es ouf ! Vire ta cagoule quand tu frappes la vieille dame, tu veux aller en taule ou quoi ?

Une réflexion un peu plus élaborée consisterait à dire : celui qui n'est pas masqué hésitera plus à passer à l'acte de peur d'être identifié. Mais dans ce cas, une circonstance aggravante est inadaptée, puisqu'elle suppose un passage à l'acte accompli.

Un autre argument serait de dire que l'individu masqué a moins d'inhibitions et donc est plus dangereux car il pense ainsi ne pas être pris. Là encore, l'argument se heurte à un autre argument de fait : celui qui agit masqué n'a pas à faire du mal aux témoins, puisqu'il pense qu'ils ne pourront le reconnaître. J'aurais aimé que le député s'appuyât sur des travaux un tant soit peu scientifique pour étayer cette pétition de principe. Rappelons que les Chauffeurs de la Drôme agissaient à visage découvert, puisqu'ils tuaient leurs victimes. Ah, et pour le législateur, qui ouvre sa proposition de loi sur la nouveauté du phénomène des bandes violentes, les Chauffeurs de la Drôme, c'est 1909, et les Apaches de Manda et Leca se disputant Casque d'Or à coups de couteau (et sans cagoule), c'est 1902.

Reste le dernier argument et le seul contre lequel je n'ai rien à répliquer : les cagoules, ça passe super bien à la télé.

Notes

[1] La récidive est constituée si la contravention est à nouveau commise dans le délit d'un an suivant l'expiration, c'est-à-dire généralement le paiement, ou la prescription de la précédente peine (art. 132-11). L'article 132-15 applique la récidive… aux personnes morales. D'où une question : une société commerciale qui porte la cagoule est-elle ce qu'on appelle une société anonyme ?

[2] la participation devient délictueuse après que les forces de l'ordre ont sommé dans les formes prévues par la loi les participants de se disperser.

jeudi 18 juin 2009

HADOPI 2 : le gouvernement envisage le recours à l'ordonnance pénale

On commence à en savoir un peu plus sur la deuxième loi Titanic HADOPI, pour combler les brèches ouvertes par le Conseil constitutionnel. Le volet répressif est abandonné, dans le sens où la future HADOPI, et la Commission de Protection des Droits (CPD) qui est son prophète, n'auront aucun pouvoir de sanction propre. Tout passera par le juge.

Se pose donc un nouveau problème. La justice est engorgée et fonctionne à flux tendu. Lui confier un contentieux de masse crée une menace d'asphyxie, ou suppose l'abandon de poursuites dans d'autres domaines, mais lesquels ? Les violences conjugales, les vols de voiture, le trafic de stupéfiant ? L'hypothèse de fournir à la justice les moyens dont elle a besoin étant naturellement exclue, rien n'étant plus nocif qu'un juge qui a les moyens de juger.

Reste donc la trousse de bricolage, aussi connue sous le nom de : “ ce n'est pas une question de moyens, c'est une question de méthode. ”

Et le gouvernement a trouvé la rustine idéale à ses yeux : l'ordonnance pénale.

Oui, amis juristes, esclaffez-vous à l'envi : on va juger des affaires de contrefaçon par voie électronique par ordonnance pénale.

Oui, amis mékéskidis, je vais vous expliquer.

L'ordonnance pénale, c'est la technocratie appliquée à la justice. L'idée a d'abord été créée pour faire face aux contentieux de masse posant peu de problèmes de preuve, à savoir : les contraventions routières. Ces contraventions sont matériellement simples (feu rouge grillé, excès de vitesse constaté par un appareil) et obéissent à des règles de preuve qui limitent considérablement les droits de la défense et pour lesquels un extrait du casier judiciaire est suffisant pour que le juge fixe une peine adéquate. Le système est le suivant : le parquet présente le dossier avec ses preuves à un juge, qui soit va le rejeter, auquel cas libre au parquet de faire citer à une audience ordinaire ou de classer sans suite, soit le juge estime que les preuves sont réunies et va rendre une ordonnance pénale déclarant le prévenu qui en l'occurrence n'est pas prévenu qu'il est prévenu (si vous me suivez…) coupable et prononçant une peine. L'ordonnance est ensuite notifiée au condamné qui peut alors au choix ne rien faire, auquel cas l'ordonnance devient définitive, l'amende est due et les points de permis perdus (on peut être frappé de suspension de permis par ordonnance pénale) soit faire opposition dans un délai de 15 jours auquel cas le condamné est convoqué à une audience, au cours de laquelle le juge réduit à néant l'ordonnance pénale (c'est obligatoire) et rejuge l'affaire. Avec à la clef une peine plus forte si la culpabilité est établie, pour des raisons qui je l'avoue m'échappent : je ne vois pas en quoi une personne, fût-elle coupable (toutes ne le sont pas, une grande partie ne peut prouver son innocence, tout simplement), qui souhaite exercer ses droits de la défense mérite une peine plus lourde. Mais c'est un autre débat.

L'ordonnance pénale appliquée aux contraventions a donné des résultats satisfaisants. Pour le ministère s'entend : augmentation, à budget constant, du nombre de condamnations. Que cela se fasse au prix du sacrifice des droits de la défense n'est qu'un dommage collatéral non pris en compte dans les statistiques. Du coup, la procédure a été élargie aux délits par la loi Perben I du 9 septembre 2002. Selon la technique habituelle de l'exception qui s'élargit discrètement, cette procédure, baptisée “ procédure simplifiée ” (la simplification étant de se passer du prévenu et de son avocat…) était réservée aux délits du code de la route, dont une bonne part sont d'anciennes contraventions devenues délits selon la technique dite “ néanderthal ” du législateur, qui pense que pour lutter contre un délit il suffit de taper plus fort.

Puis, peu à peu, on a ajouté des délits à la liste, qui figure à l'article 495 du Code de procédure pénale :

Peuvent être soumis à la procédure simplifiée prévue à la présente section :

1° Les délits prévus par le code de la route et les contraventions connexes prévues par ce code ;

2° Les délits en matière de réglementations relatives aux transports terrestres ;

3° Les délits prévus au titre IV du livre IV du code de commerce pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue ;

4° Le délit d'usage de produits stupéfiants prévu par le premier alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique ;

5° Le délit prévu par l'article L. 126-3 du code de la construction et de l'habitation (le fameux délit d'occupation de hall d'immeuble).

La différence étant que le délai pour l'opposition passe de 15 à 45 jours en matière délictuelle et surtout qu'aucune peine de prison ne peut être prononcée par cette voie (la contrefaçon est punie de jusqu'à cinq trois ans d'emprisonnement, et cinq en bande organisée, rappelons-le).

On voit donc l'idée de génie : le juge de l'ordonnance pénale fera le travail de la Commission de Protection des Droits. Il ne reste qu'à ajouter une peine complémentaire de suspension de l'accès à internet et le tour est joué : on a un juge qui suspend l'accès à internet sans avoir à rallonger d'un centime le budget de la justice. Si avec ça, la ministre n'est pas reconduite dans le prochain gouvernement !

Sauf que, vous vous en souvenez, je disais au début de l'article que le juriste s'esclaffe, alors que là, le mékéskidis reste placide, voire morose.

C'est parce que deux points font que cette idée est, pour le moins, très mauvaise. Un point de fait et un point de droit.

Le point de fait est que cette procédure ne peut fonctionner que pour des délits très simples à établir. Conduire sans permis, ou à plus de 180 km/h sur l'autoroute, avoir fumé du cannabis (prouvé par une analyse sanguine ou d'urine), être dans un hall d'immeuble…). La contrefaçon, surtout par voie informatique, c'est autre chose. Il faut que le parquet apporte la preuve : que l'œuvre téléchargée était protégée (on peut télécharger plein d'œuvres libres de droits sur bittorrent ou eMule…), que le téléchargeur savait qu'il téléchargeait une œuvre protégée (les noms de fichiers peuvent être trompeurs quant à leur contenu, et on ne peut savoir ce qu'il y a réellement dans un fichier avant qu'il n'ait été téléchargé), et tout simplement identifier le téléchargeur, ce que l'adresse IP ne suffit pas à établir. Bref, il est à craindre que la plupart des ordonnances pénales demandées sur la base des dossiers montés par la CPD soient refusées par le juge pour preuve non rapportée. Le parquet devra donc ouvrir une enquête de police, ce qui fait perdre tout l'intérêt simplificateur : la police étant le bras séculier du parquet, la faire enquêter sur des contrefaçons l'empêche d'enquêter sur d'autres affaires.

Le point de droit est que cette loi est contraire à l'intérêt des artistes, ce qui est un amusant paradoxe. En effet, l'ordonnance pénale suppose que la victime ne demande pas de dommages-intérêts (article 495 du CPP, al. 9). Donc les ayant droits ne pourront pas demander réparation de leur préjudice. Ils doivent sacrifier leur rémunération à leur soif de répression. Quand on sait que leur motivation dans ce combat est de lutter contre un manque à gagner, on constate qu'il y a pire ennemi des artistes que les pirates : c'est l'État qui veut les protéger.

Ajoutons que l'ordonnance pénale n'est pas applicable aux mineurs (article 495 du CPP alinéa 8) et que lesdits mineurs forment une part non négligeable des équipages de pirates du web, mais que la CPD sera incapable de garantir que l'auteur du téléchargement illicite est majeur, et on sent que la loi HADOPI 2 promet de bons moments de rigolade.

Si elle entre en vigueur.

Car la Némésis d'Albanel, le Conseil constitutionnel, veille. Et le Conseil a eu l'occasion de se prononcer sur la procédure simplifiée appliquée aux délits. Voici ce qu'il en a dit à l'époque (Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002) :

77. Considérant que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable ;

78. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 495 du code de procédure pénale, le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que " lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine " ;

Déjà, il n'y aura pas d'enquête de police judiciaire puisque c'est une autorité administrative qui réunira les preuves. Ensuite, déjà qu'une adresse IP ne permet pas d'identifier l'utilisateur de l'ordinateur, je doute qu'elle permettre de connaître sa personnalité et ses ressources (encore que : le pirate qui télécharge l'intégrale de Marilyn Manson est probablement une jeune fille mineure aux cheveux et ongles noirs, qui aime la mort et les poneys et n'a pas assez d'argent de poche).

79. Considérant, en deuxième lieu, que, si l'article 495-1 du même code donne au ministère public le pouvoir de choisir la procédure simplifiée, dans le respect des conditions fixées par l'article 495, c'est en raison du fait que la charge de la poursuite et de la preuve lui incombe ;

80. Considérant, en troisième lieu, que si le président du tribunal estime qu'un débat contradictoire est utile ou qu'une peine d'emprisonnement devrait être prononcée, il doit renvoyer le dossier au ministère public ;

81. Considérant, en dernier lieu, que les dispositions des nouveaux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale apportent à la personne qui fait l'objet d'une ordonnance pénale, quant au respect des droits de la défense, des garanties équivalentes à celles dont elle aurait bénéficié si l'affaire avait été directement portée devant le tribunal correctionnel ; qu'en effet, l'ordonnance doit être motivée ; que le prévenu dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance pour former opposition ; que, dans cette hypothèse, l'affaire fait l'objet devant le tribunal correctionnel d'un débat contradictoire et public au cours duquel l'intéressé a droit à l'assistance d'un avocat ; qu'il doit être informé de ces règles ; que l'ensemble de ces dispositions garantit de façon suffisante l'existence d'un procès juste et équitable ;

Pour résumer : l'ordonnance pénale délictuelle est conforme à la constitution car le ministère public a le choix de recourir ou non à cette procédure, que le président peut refuser de condamner par cette voie, et que le prévenu peut toujours faire opposition, ces trois garanties assurant l'équité de la procédure pour le Conseil.

Il faudra donc que le texte qui sortira des débats parlementaires respectent ces principes. Le problème est que l'idée centrale du projet HADOPI est justement de contourner tous ces principes constitutionnels, qui ne sont, pour le Gouvernement, que des obstacles.

Pourvu que Christine Albanel ne soit pas reconduite dans ses fonctions, pour lui éviter de gravir une troisième fois le golgotha.

dimanche 14 juin 2009

Ça y est, elle est arrivée !

La loi HADOPI est publiée au JO. Son nom officiel est donc la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, publiée au JO n°0135 du 13 juin 2009 page 9666[pdf] (il fallait bien que le chiffre de la Bête figurât à son état-civil…), texte n° 2, juste après la proclamation officielle des résultats aux européennes.

Ses dispositions relatives au statut des entreprises de presse en ligne entrent en vigueur aujourd'hui à zéro heure. Les dispositions relatives à la HADŒPI et à la Commission de Protection des Droits châtrée par le Conseil constitutionnel (au passage, j'adore le nom de Commission de Protection des Droits pour une entité violant deux des droits de l'homme parmi les plus importants. Avec une telle protection, nos droits ont-ils besoin d'un ennemi ?) entreront en vigueur à la date de la première réunion de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (donc pas avant que les décrets ne soient pris) et au plus tard le 1er novembre 2009, ce qui est un vœu pieux si les décrets ne sont pas pris d'ici là : je ne vois pas comment les dispositions relatives à la CPD pourraient entrer en vigueur si la CPD n'est pas constituée, et vu l'état de la loi, je ne pense pas que le gouvernement soit très empressé à prendre ces décrets. Mais le Gouvernement a montré dans cette affaire que le ridicule ne lui a jamais fait peur. Le président a tenu parole : tout est devenu possible.

À ce sujet, il semblerait qu'on se dirige rapidement vers une loi HADOPI 2 (car il en va des lois comme des films : un succès doit être suivi d'une suite, quoique l'anglais sequel semble ici plus adapté), qui sera sans doute une proposition de loi portée par un député mais rédigée par le gouvernement pour utiliser les crénaux réservés aux propositions de loi créés par la réforme de la Constitution votée il y a un an, et surtout pour se dispenser du passage devant le Conseil d'État et de l'étude d'impact, obligatoires pour les projets de loi[1]. Le Conseil Constitutionnel a donné le mode d'emploi dans sa décision (§14) :

14. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;

Bref : le Conseil est prêt à valider une autorité administrative distribuant des sanctions aux pirates, à condition que les sanctions soient proportionnées, que les droits de la défense soient respectés et que les faits punis et les sanctions correspondantes soient clairement prévues par la loi. Ce qui interdit d'en faire la machine à punir dont rêvait le gouvernement. La discussion de HADOPI 2 promet d'être intéressante.

En attendant, c'est l'excellent Martin Vidberg qui résume parfaitement ce qui se passera :

Un homme lit un courrier à sa femme : “ Nous avons constaté que vous avez téléchargé illégalement l'intégrale de Dick Rivers. Si vous continuez, nous serons dans l'obligation de. ” Il ajoute : “ Et la lettre finit comme ça. ” Son épouse, terrifiée, s'écrie : “ Oh mon dieu ! Mais c'est terrible ” © martin Vidberg 2009

Le blog de Martin Vidberg.
Licence d'utilisation de ce dessin.

Notes

[1] Rappel de vocabulaire : projet de loi = émane du gouvernement, proposition de loi = émane d'un député ou d'un sénateur.

jeudi 11 juin 2009

In Memoriam HADOPI

La loi HADOPI est donc allée devant le Conseil Constitutionnel comme César est allé aux Ides de Mars : pour y rencontrer sa fin.

Un rapide rappel de ce qu'est le Conseil constitutionnel pour mes lecteurs étrangers, car pour tout citoyen français, il va de soi que les articles 56 et suivants de la Constitution n'ont aucun secret.

Le Conseil constitutionnel est le gardien de la Constitution, la norme suprême, supérieure aux lois et aux traités, même européens[1]. La Constitution est une loi adoptée dans des conditions très particulières qui rendent sa modification extrêmement difficile et qui fixe les grands principes de la République (la Constitution inclut ainsi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pose le principe de l'égalité sans distinction d'origine, de race ou de religion, etc…) et de son fonctionnement (c'est la Constitution qui établit le drapeau, l'hymne national, ainsi que les pouvoirs du président de la République, du Gouvernement, du Parlement, etc…).

Quand une loi est adoptée, elle peut (c'est facultatif, sauf trois exceptions : les lois soumises à référendum, les lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires) être déférée au Conseil constitutionnel qui jugera de leur conformité à la Constitution. La décision de déférer une loi au Conseil constitutionnel peut être prise par le président de la République, le président du Sénat, le Président de l'assemblée nationale, ou un groupe de soixante députés ou soixante sénateurs (pas de panachage entre les deux assemblées). Cette décision, appelée recours, doit idéalement être motivée, c'est-à-dire indiquer en quoi cette loi violerait la Constitution. La qualité des recours est très variable, et je ne sais pas ce qu'attendent les groupes parlementaires pour se constituer une équipe d'avocats constitutionnalistes. Ils en ont les moyens et ce serait redoutablement efficace.

Survolons rapidement les arguments rejetés par le Conseil avant de nous attarder sur ceux qu'il a retenus, soit en formulant une réserve d'interprétation, soit en annulant purement et simplement.

(NB : les numéro après le symbole § renvoient aux numéros de paragraphe de la décision).

Les moyens rejetés.

► La procédure d'adoption de la loi : les parlementaires auteurs de la saisine affirmaient ne pas avoir reçu les informations suffisantes du gouvernement pour pouvoir légiférer en connaissance de cause. La Conseil estime que les assemblées ont disposé, comme l'attestent tant les rapports des commissions saisies au fond ou pour avis que le compte rendu des débats, d'éléments d'information suffisants (§3).

► L'obligation de surveillance de l'accès à internet : les requérants soutenaient que l'obligation faite aux abonnés à l'internet par l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle (créé par la loi HADOPI) de veiller à ce que cet accès ne serve pas à pirater[2] ferait double emploi avec le délit de contrefaçon et serait formulée de façon trop générale, alors que la Constitution exige que la loi soit claire et accessible. Le Conseil rejette, estimant au contraire que la définition de cette obligation est distincte de celle du délit de contrefaçon ; qu'elle est énoncée en des termes suffisamment clairs et précis (§7). Je suis d'accord.

► Le renvoi à des décrets en Conseil d'État : les requérants critiquaient le renvoi à des décrets pour définir les modalités de délivrance du label HADOPi certifiant qu'une source de téléchargement est légale. Le Conseil rejette en rappelant qu'il s'agit d'une simple information du public et que l'HADOPI n'aura pas le choix et devra délivrer ce label à tout site en faisant la demande qui remplit les conditions légales. Dès lors, le législateur a bien rempli son rôle, le reste n'étant que de l'intendance, domaine du décret (§35).

Les réserves d'interprétation.

Une réserve d'interprétation est une façon inventée par le Conseil de corriger une inconstitutionnalité sans dégainer l'arme nucléaire de l'annulation. Le Conseil dit que si on applique le texte de telle façon, alors il n'est pas contraire à la Constitution. Ces réserves d'interprétation sont prises en compte par les juges, qu'ils soient administratifs ou judiciaires.

On commence à entrer dans les aspects intéressants de la décision. La loi HADOPI n'est pas, sur ces points, censurée, mais elle est modifiée dans son esprit.

► L'atteinte à la vie privée : Attention, c'est un peu subtil.

Les données relatives aux infractions de piratage sont relevées par des agents assermentés qui sont salariés des sociétés de gestion collective de droits d'auteur (essentiellement pour transférer le coût des ces opérations sur ces sociétés plutôt que les faire supporter par l'État). Ces données sont collectées dans un fichier informatisé géré par ces sociétés privées. Jusqu'à présent, ces données étaient soit communiquées au parquet au soutien d'une plainte, soit directement utilisées par ces sociétés pour poursuivre les internautes concernés en justice. Dans tous les cas, c'était l'autorité judiciaire qui ordonnait au fournisseur d'accès internet (FAI) la communication de l'identité du titulaire de l'abonnement suspect[3]. Avec la loi HADOPI, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADŒPI) qu'elle crée acquiert le droit de se faire communiquer directement et sur simple demande par le fournisseur d'accès internet concerné, les coordonnées du titulaire de l'abonnement, pour mettre en jeu sa responsabilité. L'autorité judiciaire est court-circuitée. C'est cela que contestaient les requérants devant le Conseil constitutionnel : il y a une atteinte disproportionnée au droit des citoyens au respect de leur vie privée en permettant à une autorité administrative de se faire communiquer ces données personnelles sur simple demande.
Le Conseil donne raison aux requérants, mais sans aller jusqu'à interdire ce dispositif. Il précise que la loi HADOPI permettant l'identification des titulaires des abonnements correspondants aux adresses IP collectées par les agents assermentés a pour effet de rendre ces données nominatives, ce qu'elles n'étaient pas auparavant. Le Conseil rappelle donc que la Commission Nationale Informatique et Liberté (la CNIL) a pour vocation de surveiller les traitements informatiques de données nominatives, et qu'il lui appartiendra de s'assurer que les modalités de ce traitement sont proportionnées au but poursuivi. En clair, cela signifie que toute poursuite fondée sur ces relevés sera nulle tant que la CNIL n'aura pas donné son feu vert quant au fonctionnement de ce fichier (§29). Où comment la rue Montpensier venge la rue Vivienne. La CNIL est notamment invitée à veiller à ce que ces données ne servent que dans le cadre des procédures judiciaires liées au piratage supposé et ne soient pas conservées à d'autres fins, genre une liste noire des pirates.

► Les mesures judiciaires envers les FAI : l'article 10 de la loi ajoute au code de la propriété intellectuelle un article L. 336-2 qui permet aux ayant-droits d'une œuvre objet de piratage d'obtenir du tribunal de grande instance, au besoin en référé, toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte à leurs droits, auprès, là est la précision importante, « des personnes susceptibles de contribuer à y remédier », et non uniquement auprès des personnes auteurs de cette atteinte. Quelle périphrase, mes amis, pour dire simplement fournisseur d'accès internet et hébergeurs ! En clair, la loi permet aux ayant-droits d'une œuvre piratée d'obtenir du FAI qu'il puisse suspendre l'accès internet du pirate supposé, et de l'hébergeur qu'il supprime de son serveur le fichier ou le site illicite (mais sur ce dernier point, la loi n'invente rien, le droit commun le permet déjà). Suspension, il y a, mais ordonnée par l'autorité judiciaire, ce qui est une garantie. Insuffisante, estime le Conseil, qui souffle à l'oreille du juge le mode d'emploi : il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté [la liberté d'expression, voir plus bas], que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause (§38). Bref, le juge devra se contenter d'ordonner le minimum minimorum pour mettre fin à cette atteinte au droit d'auteur sans porter atteinte de manière disproportionnée à la liberté d'expression, qui devient la marraine, comme on va le voir, de l'accès à internet. Autant dire que le seul abonnement qui pourra être suspendu est celui qui ne sert qu'à pirater à l'exclusion de tout blogging, twitting, facebooking, netsurfing et autres mot en -ing visant à précipiter les Académiciens vers une mort prématurée par apopléxie.

Le Conseil a posé ses banderilles. Vient le moment tant attendu de l'estocade. Cette fois, le Conseil frappe pour tuer.

Les annulations.

Les annulations portent sur toutes sur le même point : la répression des manquements à l'obligation de surveillance.

Rappelons d'une phrase le mécanisme de la loi HADOPI : tout abonné à internet a l'obligation de veiller à ce que son abonnement ne serve pas à pirater, peu importe qui pirate ; tout piratage constaté depuis un abonnement donné est une violation de cette obligation par le titulaire de cet abonnement, qui peut être sanctionné, après deux avertissements, par une suspension de l'abonnement décidée par une autorité administrative, la Commission de Protection des Droits (et non la HADŒPI), hors de toute procédure judiciaire.

Et c'est là que le bât blesse pour le Conseil constitutionnel. Au cours des débats, on a beaucoup entendu dire et répéter que, que diable, il n'y a pas de droit à l'abonnement à internet, et qu'internet n'est pas un droit fondamental[4]. Le Conseil disconvient respectueusement (§12) :

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi " ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;

Internet ne devient pas une liberté fondamentale, mais le voici le pupille de la liberté d'expression, ce qui le met sur un beau piédestal.

Mais le Conseil constitutionnel apporte aussitôt un tempérament (§13), en rappelant qu'on est ici dans un conflit entre deux droits fondamentaux : la liberté d'expression, dont internet est le prophète, et la propriété, dont le droit d'auteur est une variante immatérielle mais tout aussi protégée.

Face à ce conflit, le législateur a un certain pouvoir d'appréciation :

Le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines[5] ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle (§14).

Là, on retient son souffle. HADOPI est-elle sauvée ? Une incise pendant que vous virez lentement au rouge puis au bleu : ce genre de conflits entre des principes d'égale valeur mais contradictoires est le cœur de ce qu'est le droit. C'est l'essence du travail du juriste que de résoudre ce conflit, non pas en disant lequel des deux l'emporte, mais en délimitant le territoire de chacun selon les hypothèses. Dans tels et tels cas, le premier l'emportera, mais avec ces limites ; dans telles autres, ce sera le second, mais là encore dans telles limites pour préserver le premier. Exemple typique : le juge pénal, qui doit concilier la nécessité de la répression d'un comportement interdit avec celle de réinsérer l'individu qui a commis ces faits. Punir le passé en tenant compte du présent sans insulter l'avenir. On n'est pas trop de trois (le juge, le procureur et l'avocat) pour y arriver.

Allez-y, vous pouvez respirer : ici, c'est la liberté d'expression qui l'emporte, et le couperet tombe aussitôt sur la loi.

Le Conseil rappelle d'abord que « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés » ; et « que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (§15). Tous ceux qui ont lu la loi savent déjà que c'en est fini de son mécanisme répressif. Pour les autres, le Conseil continue :

les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n'est pas une juridiction[6], à restreindre ou à empêcher l'accès à internet de titulaires d'abonnement ainsi que des personnes qu'ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice, par toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins ;

En clair : la liberté d'expression ne s'efface pas pour protéger des intérêts économiques catégoriels aussi nobles soient-ils (rires).

Le coup est mortel mais alors que la bête titube encore, le Conseil porte une seconde estocade : la loi HADOPI piétine également la présomption d'innocence.

En effet, la loi HADOPI met en cause la responsabilité de l'abonné par la simple constatation du piratage, qui suffit à mettre en branle la machine à débrancher, sauf à ce que l'abonné démontre que le piratage est dû à la fraude d'un tiers (je laisse de côté la force majeure, qui exonère de toute responsabilité sans qu'il soit besoin de le prévoir dans la loi, et l'installation du logiciel mouchard, qui au contraire interdit de facto à l'abonné d'invoquer la fraude d'un tiers). Preuve impossible à rapporter.Ce renversement de la charge de la preuve aboutit à faire de l'abonné mis en cause un coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence(§18). C'est prévu par le code pénal nord coréen, mais pas par le nôtre. Le législateur a imaginé ce mécanisme anticonstitutionnellement[7]

La bête s'écroule et le Conseil prélève les deux oreilles et la queue : toutes les dispositions donnant un pouvoir de sanction à la Commission de Protection des Droits sont annulées.

Conclusion : la loi HADOPI est-elle morte ?

Elle est en coma dépassé : son corps vit encore mais son esprit a basculé dans le néant. Le reste de la loi étant validé, le président de la République a quinze jours pour la promulguer, ou demander au parlement une seconde délibération (art. 10 de la Constitution). La HADŒPI sera créée (mon petit doigt me dit qu'elle va fusionner avec l'Autorité de Régulation des Mesures Techniques créée par DADVSI), ainsi que la CPD. La HADŒPI se contentera donc de délivrer son label “ ici, on télécharge légalement, lol ” à qui en fera la demande, et remplira ses autres missions, purement consultatives.

Le Conseil constitutionnel tire d'ailleurs les conclusions de son annulation et de l'absence de jugeotte du parlement en donnant le mode d'emploi qui ne manque pas d'ironie (§28) :

…à la suite de la censure résultant des considérants 19 et 20, la commission de protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; que son intervention est justifiée par l'ampleur des contrefaçons commises au moyen d'internet et l'utilité, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie ; qu'il en résulte que les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre par les sociétés et organismes précités ainsi que la transmission de ces données à la commission de protection des droits pour l'exercice de ses missions s'inscrivent dans un processus de saisine des juridictions compétentes ;

Traduction : la CPD existera bel et bien mais sera cantonnée à un travail d'avertissement sans frais (les mises en garde par courrier existent toujours, tout comme l'obligation de surveillance de sa ligne, mais elles ne peuvent aboutir à des sanctions), de filtrage et de préparation des dossiers pour l'autorité judiciaire, dans le but, et c'est là qu'on voit que le Conseil constitutionnel a le sens de l'humour, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie.

Bref la machine à punir 10.000 pirates par jour devient la machine à s'assurer qu'on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l'enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant.

On n'avait pas vu un tel succès législatif depuis la promulgation-abrogation du Contrat Première Embauche en 2006.


Voir aussi l'avis de Jules, toujours le plus rapide s'il n'a pas un verre de Chardonnay dans une main et la taille d'une jolie fille dans l'autre.

Notes

[1] Oui, c'est un appeau à troll, mais c'est quand même vrai.

[2] Ce verbe sera utilisé, brevitatis causæ, dans le sens de “ reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu'elle est requise ”, afin d'économiser ma bande passante.

[3] Rappelons qu'une adresse IP permet d'identifier l'accès internet utilisé, mais pas forcément l'ordinateur utilisé si plusieurs sont connectés, et en aucun cas la personne devant son clavier.

[4] Jean-François Copé, président du groupe UMP (quand il a le temps d'être à l'assemblée), le 24 mai 2009 sur Europe 1.

[5] C'est à dire que toute faute amenant à une sanction doit avoir été prévue par la loi, de même que la sanction qui l'accompagne : pas d'arbitraire en ce domaine.

[6] Spéciale dédicace à Franck Riester, rapporteur du texte, qui a affirmé le contraire le 4 mai 2009 dans l'hémicycle, juste avant qu'un prix Busiris ne lui frôle les oreilles.

[7] Pour une fois qu'on a l'occasion de l'utiliser, lâchons-nous.

vendredi 29 mai 2009

La guerre du dépôt

Une guerre souterraine se joue actuellement au palais, et les avocats, menés par les Secrétaires de la conférence, viennent de remporter une première victoire après plusieurs défaites.

D'abord, voyons le champ de bataille. Il se situe sous le palais et se divise en deux parties : le dépôt et la souricière.

Europe 1 a réussi à envoyer au dépôt (non, pas Vittorio de Filippis…) un journaliste muni d'un appareil photo qui raconte ce qu'il a vu et nous montre ces images.

Le dépôt, géré par la préfecture de police et donc du personnel de la police nationale, reçoit les personnes retenues par la police jusqu'à leur présentation à un magistrat qui décidera de leur sort (soit procureur qui les dirigera vers une comparution immédiate pour un jugement immédiat, un juge des libertés et de la détention pour un jugement plus éloigné dans le temps mais avec placement sous contrôle judiciaire, ou éventuellement une simple convocation sans autre mesure, ou un juge d'instruction déjà en charge du dossier).

La souricière, gérée par les gendarmes du palais, reçoit les personnes déjà incarcérées qui doivent comparaître devant un juge et prend en charge les locataires du dépôt lors de leur escorte vers le magistrat ou la salle d'audience. C'est un réseau de couloirs séparés du public qui aboutissent dans certaines salles d'audience, avec ici et là quelques cages, il n'y a pas d'autre mot, sans sanitaires, ou sont entreposés les personnes escortées.

Cela fait des années que l'état déplorable du dépôt est dénoncé, et pas que par ces chochottes droitdel'hommmistes que sont les avocats. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'y est mis aussi et c'est pas glorieux. Extrait de son rapport  :

22. En effet, les locaux de certains tribunaux donnent l’impression d’être vétustes et d’appartenir à un autre temps. Les bureaux des magistrats que j’ai visités m’ont paru étroits, ne procurant pas à leur(s) occupant(s) l’espace dont ils auraient besoin. Or, il est évident que les bureaux de magistrats ne servent pas seulement à étudier les dossiers. Les magistrats y reçoivent des parties et y tiennent même certaines audiences.

23. Une situation particulièrement pénible existe au sein de certains endroits appelés « dépôts ». Les dépôts sont des zones sécurisées composées généralement de cellules individuelles et collectives recevant les personnes détenues dans des lieux de privation de liberté – commissariats ou établissements pénitentiaires – et qui sont transférées dans les tribunaux en vue d’audiences ou d’autres besoins procéduraux. La spécificité des dépôts, qui sont placés de jure sous l’autorité du juge comme tous les locaux se trouvant dans l’enceinte des tribunaux, mais de facto sous celle de la police qui s’occupe de la garde des détenus, a pour conséquence qu’aucune de ces deux autorités ne se sentirait, selon mes interlocuteurs, complètement investie de la responsabilité de ces endroits.

24. Dès lors, la situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne. Afin d’étudier personnellement cette question, je me suis rendu dans le dépôt du Palais de justice de Paris et dans celui du TGI de Bobigny.

25. En ce qui concerne le dépôt du Palais de justice de Paris, il s’agit d’un très vieux bâtiment chargé d’histoire et l’endroit reflète les événements qui s’y sont passés au cours des siècles. Ceci étant dit, l’intérieur du dépôt de Paris continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française. Au même endroit se trouve d’ailleurs le centre de rétention des étrangers en instance d’expulsion, qui m’a frappé par les images qu’il reflète, images d’un autre temps et d’une époque que toute personne civilisée pourrait croire révolue en France, j’y reviendrai plus loin dans le chapitre consacré aux étrangers. Le dépôt, qui jouxte le centre de rétention s’en différentie bien peu, même s’il paraît qu’il a subi récemment un certain nombre de travaux.

C'était en 2006. Rien n'a changé, hormis le déménagement du Centre de Rétention, pour lesquels les mots étaient les plus durs, pour le nouveau site de l'École de police du bois de Vincennes.

La politique menée jusqu'à présent par la préfecture était “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

En novembre 2008, les avocats de Créteil ont réussi un joli coup. Ils ont demandé et obtenu qu'un juge du tribunal soit chargé d'aller visiter le dépôt de Créteil (35 ans et encore plus vétuste que celui de Paris). Ce dernier a rendu un rapport dantesque sur lequel se sont appuyés les avocats pour soulever une nullité du procès verbal de citation en comparution immédiate.

J'aime, chers mékéskidis, le regard que vous avez quand vous lisez ces mots et que votre bouche s'élargit pour laisser échapper un « Hein ? » un rien paniqué.

Je vous explique.

Un tribunal ne peut juger qui bon lui chante selon son humeur. Un juge ne peut statuer que s'il a été officiellement chargé de statuer. On dit que le juge est saisi. Un juge non saisi ne peut statuer et toute décision qu'il prendrait serait nulle. C'est une des premières choses que vérifie tout juge au début de l'examen d'un dossier : il s'assure de l'identité de la personne jugée, de l'existence de l'acte de saisine, et de sa compétence, c'est-à-dire s'il est bien le juge que la loi désigne pour statuer.

Un tribunal statuant sur une comparution immédiate est saisi par un document d'une ou deux pages s'appelant un procès-verbal de comparution immédiate. C'est un document signé par un procureur et constatant que devant lui se présente telle personne (identité complète), et qu'il lui fait savoir qu'il lui est reproché des faits de telle nature (date et lieu des faits, qualification légale, citation des textes légaux définissant et réprimant l'infraction), et mentionnant ses observations éventuelles. Puis l'acte constate si l'intéressé demande un avocat et lequel. Suit la signature de l'intéressé ou la mention qu'il refuse de signer. C'est ce document qui fait que le dossier est enfin accessible à un avocat, puisque le législateur estime que toutes les opportunités d'obtenir des aveux hors l'assistance d'un avocat sont désormais épuisées (et je ne suis qu'à peine ironique en disant cela).

L'argumentation des avocats cristoliens était la suivante et elle est astucieuse.

La convention européenne des droits de l'homme prohibe les traitements inhumains et dégradants, et l'article 6 exige le respect du droit à un procès équitable. Or une personne jugée en comparution immédiate, qui a passé 48 heures en garde à vue où elle n'a pu dormir que sur des bancs de bois ou de pierre, et une nuit au dépôt dans ces conditions vient de subir des traitements dégradants et est dans un état d'épuisement tel qu'elle ne peut assurer sa défense de manière satisfaisante.

Les avocats demandent donc au tribunal d'annuler ce procès verbal de comparution immédiate qui viole ces droits fondamentaux. La conséquence est que la procédure elle-même n'est pas annulée (tous les interrogatoires et perquisitions effectuées antérieurement à son passage au dépôt restent valables), seul l'est l'acte saisissant le tribunal. Dès lors que le tribunal n'est as saisi, il ne peut statuer : le prévenu est remis en liberté, libre au procureur de le citer à nouveau selon les formes de droit commun.

L'avantage de cette méthode sur la demande de délai pour préparer sa défense, qui est de droit et ne peut être refusée, est que le tribunal n'étant plus saisi, il ne peut plus décerner mandat de dépôt : le prévenu n'est plus prévenu et doit être remis en liberté, il ne peut être placé en détention dans l'attente de son procès. Elle suppose toutefois que le prévenu ait passé la nuit au dépôt, les déférés du matin arrivés à 11 heures et jugés à 16 heures ne subissant pas la même chose que ceux arrivés la veille à 20 heures.

Les bonnes idées étant par nature libres de droit (les mauvaises aussi, d'ailleurs, mais elles risquent moins la copie) le barreau de Paris, en la personne des secrétaires de la conférence, ministres de la défense pénale d'urgence, a aussitôt suivi la voie tracée par nos excellents quoique banlieusards confrères.

Le 26 février dernier, deux d'entre eux, choisis pour leur courage et le fait qu'ils n'ont pas d'enfants, sont descendus dans le méphitique cloaque aux fongus fétides, et ont rédigé un rapport remis au Conseil de l'Ordre (pdf).

Le 16 avril dernier, le bâtonnier himself, est allé plaider aux côtés du Cinquième secrétaire David Marais et devant la 23e chambre, celle consacrée aux comparutions immédiates, des conclusions visant au prononcé d'une telle nullité du procès verbal de comparution immédiate. Conclusions rejetées, pour des motifs que j'ignore encore. Premier revers. Mais un juge du tribunal de Paris a à son tour été mandaté pour aller visiter les lieux et faire un rapport pour ses collègues. Tout n'était donc pas dit. En attendant, le Bâtonnier invitait les avocats de permanence à continuer à déposer des conclusions de nullité dont vous trouverez le modèle ici.

Le deuxième a eu lieu le 13 mai, quand la 11e chambre de la cour d'appel de Paris a annulé les jugements du tribunal de Créteil qui avaient eux même annulé les procès-verbaux de comparution immédiate. Sans conséquence pour les prévenus qui avaient été depuis longtemps remis en liberté, mais un message clair pour les juges de Créteil : arrêtez de jouer à ça. Les motifs de la cour sont tout de même assez sidérants et un rien cyniques. La cour a, d'après ce que j'ai lu, constaté qu'effectivement, les conditions de détention dans le dépôt de Créteil étaient inacceptables et contraires aux droits de l'homme, mais qu'aucun texte du code de procédure pénale ne permettait au juge d'annuler un procès verbal de comparution pour ce motif. En somme, violer les droits de l'homme n'étant pas illégal en France, circulez, il n'y a rien à annuler. Deuxième revers, et de taille, car la cour d'appel de Paris est aussi compétente pour le tribunal de Paris.

Ce mercredi 27 mai, le député André Vallini a utilisé le droit que lui accorde la loi de visiter tous les lieux de détention pour se rendre au dépôt. Il a lui aussi pris des photos, visibles sur le site de France Info. Bravo monsieur le député.

Et pourtant, coup de théâtre. Hier, la 23e chambre, ayant reçu le rapport du magistrat envoyé au Dixième Cercle, a fait droit aux conclusions déposées par les avocats de la défense et annulé cinq procès-verbaux de comparutions immédiates.

Je vous rappelle que les cinq prévenus n'échappent pas aux poursuites mais reviendront libres pour être jugés selon le droit commun. Et même s'ils ne reviennent pas, ils seront valablement jugés en leur absence.

Et devinez quoi ?

Une demi-heure après que cette nouvelle a été connue, qu'annonce la Chancellerie ?

Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a décidé d'affecter en urgence une somme de 1 million d'euros pour rénover les locaux du dépôt du tribunal de grande instance de Paris.

Cette somme, s'appuyant sur les crédits du plan de relance décidé par le Gouvernement, permettra de financer deux tranches de travaux, qui débuteront dés le mois de juillet 2009, et qui porteront notamment sur la rénovation des cellules et des espaces communs.

Vous vous souvenez de ce que je vous disais ? “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

Mais bon, sans se faire d'illusions sur la sincérité du geste, ne boudons pas notre plaisir. À une semaine de son départ de la Chancellerie, Rachida Dati se comporte enfin en Garde des Sceaux. Il était temps que je puisse le dire un jour : bravo et merci.

mardi 26 mai 2009

Quand le gouvernement réinvente l'eau tiède

Le journal officiel Figaro se fait l'écho d'une annonce du ministre de l'intérieur annonçant triomphalement l'idée géniale qu'elle vient d'avoir après deux ans de cogitation intensive : désormais on va confisquer la voiture des conducteurs délinquants.

« La répression va s'accentuer sur les mauvais conducteurs. Le Figaro s'est procuré le texte présenté demain en Conseil des ministres par Michèle Alliot-Marie. »

Le cabinet de Christine Albanel leur a sans doute transmis l'e-mail.

« Parmi les mesures phares (NdEolas : humour !), la confiscation du véhicule est prévue pour sanctionner les comportements les plus graves. À ce jour, la confiscation, très peu appliquée, ne concerne que les conduites sans permis. »

Le juriste pénaliste est ici pris d'une quinte de toux, que je vous expliquerai dans un instant.

« • Conduite sans permis et grands excès de vitesse

« Multiplication des radars sur les routes, pertes de points en cascade : les conducteurs roulant sans permis sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Une infraction que les pouvoirs publics veulent combattre. Le nouveau texte rend donc «obligatoire» la confiscation du véhicule, une sanction jusqu'alors laissée à l'appréciation du juge. Ce dernier gardera toutefois une marge de manœuvre. S'il ne prononce pas la confiscation, le magistrat devra motiver sa décision.»

Avec en prime pour les lecteurs du Figaro un superbe enfonçage de porte ouverte :

« Trois catégories d'automobilistes sont visées. Ceux qui n'ont jamais passé leur permis, ceux qui prennent le volant malgré la perte totale de leurs points ou encore ceux dont le permis a été annulé par un juge.»

La quatrième et dernière catégorie, celle des automobilistes qui ont le permis, n'est fort heureusement pas concernée.

Remis de sa quinte de toux, le juriste chausse ses lunettes et ouvre son Code pénal, assailli d'un doute. Pendant qu'il tourne les pages, faisons un peu d'histoire. Ces dernières décennies, la conduite sans permis était une contravention, la plus haute, celle de 5e classe, soit depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 : 1500 euros, 3000 en récidive. La conduite sans permis se distinguait de délits révélant une attitude plus antisociale, comme la conduite malgré la suspension judiciaire du permis, qui est une peine. Le délinquant n'était pas puni pour ne pas avoir sollicité une autorisation supposant un contrôle de ses capacités, mais violait une interdiction qui lui avait été faite pour sanctionner un comportement dangereux.

Le nombre de décès sur la route restant trop élevé au goût du Gouvernement, celui-ci a décidé d'employer la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort. Et sachant que quel qu'il soit, hormis s'il est égal à zéro, le nombre de décès sur la route reste toujours trop élevé, vous devinez la suite.

Le virage (moi aussi, je sais faire de l'humour comme au Figaro) a eu lieu en 1992, avec l'entrée en vigueur du permis à points. Alors que jusque là, seuls des automobilistes ayant un comportement particulièrement dangereux (conduite en état alcoolique, blessures involontaires…) étaient frappés de la suspension voire du retrait du permis, le nouveau système a fait que des fautes plus vénielles pouvaient, par leur accumulation, aboutir au même résultat.

L'accidentologie étant peu affectée par cette nouveauté (comme l'ensemble des mesures répressives à une exception près, les radars automatiques, car ils font disparaître la conviction de l'impunité ), le gouvernement a continuellement créé de nouvelles infractions et augmenté le barème des pertes de points. Ainsi, le défaut de port de la ceinture, au début épargné car ne causant aucun danger à autrui, a été frappé d'une perte d'un point, puis aujourd'hui de trois points (soit plus que rouler sur le terre-plein central d'une autoroute !). Idem avec le téléphone portable à l'oreille. Au départ, ce n'était même pas une contravention (encore que l'obligation générale faite au conducteur de se maintenir à tout moment en mesure d'effectuer les manœuvres urgentes d'évitement, sanctionnée d'une contravention, pouvait probablement s'appliquer), aujourd'hui,c'est deux points. Résultat : vous démarrez en passant un coup de fil qui vous empêche de mettre votre ceinture : c'est la moitié de votre permis qui saute. Bonjour le sens des proportions. S'agissant de l'efficacité, je vous invite à regarder les habitacles des automobiles à Paris, de préférence les véhicules utilitaires aux heures de pointe. Résultat de cette course aux armements : le nombre de permis perdus par perte des douze points augmente continuellement, poussant de plus en plus de personnes à conduire sans permis en attendant de pouvoir le repasser.

Face à cet effet pervers de sa loi, le législateur aurait pu amender son texte. Au lieu de ça, il va recourir à la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

En mars 2004, la loi Perben II a fait de la contravention de conduite sans permis un délit puni d'un an de prison et 15.000 euros d'amende. Sans incidence notable sur le nombre d'infractions, qui semble même avoir augmenté depuis. Le Gouvernement aurait pu se dire que décidément cette méthode laissait à désirer, mais non : il en déduit toujours qu'il n'a pas du frapper assez fort.

Et donc, nous voilà en 2009. Après avoir utilisé sa fameuse méthode dite “néanderthal” sur des sujets comme les chiens dangereux ou les siffleurs de marseillaise, le Gouvernement tourne à nouveau son œil prédateur vers l'automobiliste. Il continue à conduire sans permis, se dit notre Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple. Que faire ? Réponse : la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

Bon, la prison, c'est pas possible, c'est complet. D'où l'idée géniale suivante : on confisque l'automobile. Ça, ça fait mal, ça empêche le délinquant de récidiver et en prime, ça finira dans les caisses de l'État puisque l'État la revendra (à un automobiliste sans permis, sans doute, pour que la boucle soit bouclée).

Sauf que.

Sauf que notre juriste s'est remis de sa quinte de toux, et a fini de tourner les pages de son code pénal. Et la pêche a été bonne à en juger par le sourire narquois qu'il arbore (sauf si c'est un magistrat, auquel cas le sourire sera sournois).

Et que dit-il notre bon Code pénal ?

Tout d'abord, l'article 131-6 du Code pénal nous apprend que

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de l'emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté suivantes :

(…)

« 4° La confiscation d'un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; …»

Or la conduite sans permis est passible de prison. La confiscation du véhicule est donc d'ores et déjà possible.

— Fort bien, me direz-vous, mais voilà au moins un intérêt du passage de la contravention au délit : la confiscation du véhicule est rendue possible.

À cela je vous rétorque article 131-14 du Code pénal :

« Pour toutes les contraventions de la 5e classe, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de droits suivantes peuvent être prononcées :

(…)

« 6° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit. »

Donc même quand rouler sans permis était une contravention, la confiscation était déjà possible.

— Certes, répliquerez-vous avec cet esprit critique qui me rend si fier de vous tout en me donnant envie de vous étrangler, mais c'est à la place de l'emprisonnement. Là, ce serait en plus.

En effet. Mais je n'avais pas fini.

L'article 131-21 du Code pénal précise que :

« La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

« La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.»

Donc, tous les délits punis de plus d'un an d'emprisonnement permettent de prononcer une confiscation du véhicule en plus de l'emprisonnement, à condition que ledit véhicule ait servi à commettre l'infraction ce qui, convenons-en, est relativement fréquent en matière de délit routier.

— Si fait, tenterez-vous une dernière fois, aux abois et sentant que l'hallali se lit là, mais la conduite sans permis ne fait encourir qu'un an de prison, donc la peine complémentaire générale ne s'applique pas.

Et vous avez raison. Pour les délits punis d'un an seulement, il faut que la loi le prévoit expressément comme peine complémentaire.

C'est précisément ce que fait l'article L.221-2 du Code de la route :

« I. - Le fait de conduire un véhicule sans être titulaire du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule considéré est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

« II. - Toute personne coupable de l'infraction prévue au présent article encourt également les peines complémentaires suivantes :

(…)

« 6° La confiscation du véhicule dont le condamné s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est le propriétaire.»

Bref, le Gouvernement se propose de faire voter ce qui existe déjà.

— Oui, mais cette fois, ce sera automatique, puisque la voix de son maître nous dit que cette confiscation, “ peu prononcée jusqu'à présent ”, sera désormais automatique en cas de récidive.

En effet. Et c'est là que le Gouvernement, avec cet avant-projet de loi soumis au Conseil des ministres, cesse de faire du droit pénal et commence à faire du foutage de gueule.

Voilà qu'il nous ressert encore une fois le plat froid et insipide comme une soupe anglaise du juge laxiste face au Gouvernement roide comme un if. Le juge n'est pas assez sévère, alors que le Gouvernement veut taper plus fort. Alors votons les peines plancher. Le juge devra prononcer un minimum. Et il décide de peines trop courtes, alors votons la rétention de sûreté pour garder les condamnés en prison au-delà de leur peine. Continuons dans la foulée avec la confiscation automatique. Si ça c'est pas du bon sens comme les juges savent même pas ce que c'est, hein ? À se demander comment on a fait pour mettre sept ans à y penser.

Car dans cette frénésie néanderthalienne, personne ne semble s'être simplement demandé pourquoi les confiscations sont si rares.

Alors que la réponse n'est vraiment pas compliquée.

Pour pouvoir confisquer le véhicule, encore faut-il que le délinquant soit le propriétaire du véhicule. On ne peut confisquer la chose d'autrui : nul n'est pénalement responsable que de son propre fait. Or celui qui n'a jamais eu le permis est rarement propriétaire du véhicule qu'il conduit. Vous me direz qu'on peut le mettre en cause comme complice. Oui, si on peut prouver qu'il savait que le conducteur n'avait pas le permis et qu'il lui a remis les clefs malgré cela. Si le conducteur a pris le véhicule sans autorisation, ou si le propriétaire ne lui a tout simplement pas demandé ses papiers avant de lui prêter sa voiture, pas de confiscation possible.

Ajoutons que le juge, cet animal à sang froid étranger au bon sens humain, a une curieuse manie. Quand une personne a volé une voiture pour la conduire alors qu'il n'a pas le permis, le juge ne confisque pas la voiture mais ordonne sa restitution au propriétaire (quand ça n'a pas été fait au stade de l'enquête de police).


Voter une confiscation automatique sera inefficace car il suffira de mettre la voiture au nom de l'épouse, du fiston, de la concubine, même s'il n'a pas le permis, puisqu'on peut être propriétaire d'un véhicule sans être titulaire du permis (on peut conduire sans permis sur un terrain privé comme un circuit automobile ou avoir un chauffeur, ce qui est le cas de tous les ministres qui pondent ces lois, d'ailleurs, ceci expliquant peut-être cela). Cette loi sera donc très facilement mise en échec.

Et face à cette inefficacité, je vous laisse deviner à quelle méthode va recourir le Gouvernement.

vendredi 22 mai 2009

Aux âmes bien nées, la retenue n'attend pas le nombre des années

Il y a des fois où je redoute d'arriver au bout de mes réserves d'indignation tant elles sont sollicitées. On avait déjà vu des policiers débarquer dans une classe de maternelle pour emporter deux enfants de 3 et 6 ans à expulser avec leur mère (vous ne me croyez pas ? C'est un horrible canard gauchiste qui le raconte), on avait déjà vu quinze gendarmes embarquer une famille avec un bébé de quatre mois pour placer tout le monde en rétention à 500 km de là. Six policiers entourent et escortent une fillette d'environ quatre ans, tache de rose au milieu du bleu nuit.

La série continue, cette fois ci sans aucun lien avec le droit des étrangers.

Une mère habitant Floirac, en Gironde, aperçoit un jour à l'école Louis-Aragon où va son fils une bicyclette ressemblant fort à celle que son fils s'était fait voler peu de temps auparavant. Elle va s'en plaindre auprès du directeur d'établissement, lui demandant de saisir cette bicyclette. Le directeur lui répond à juste titre qu'il n'en a absolument pas le pouvoir, cette affaire étant étrangère à l'établissement et concernant la vie privée des enfants. La mère n'en démord pas et va porter plainte à la police pour vol.

En Gironde, on ne plaisante pas avec le vol de bicyclette.

Deux voitures de police et six fonctionnaires vont donc attendre à la sortie le cycliste suspect. Âgé de dix ans. Et là, problème. Le vélo volé était vert, et celui du voleur présumé était bleu. Le gamin faisant défaut, c'est la littérature qui a volé, mais au secours de la force publique : si ce n'est toi, c'est donc ton cousin, âgé de six ans, qui lui a un vélo bleu. Que la mère du bambin spolié reconnaît comme étant un vélo volé à son fils il y a deux ans. Peste ! Ça sent la bande organisée. En tout cas, on cherchait un vélo d'un certain modèle vert, on a un vélo de ce modèle mais bleu, et on a un vélo d'un autre modèle mais vert. L'enquête progresse à grands pas. Tout le monde au commissariat.

Les enfants vont passer deux heures au commissariat, avant que la mère du voleur présumé n'arrive avec une attestation d'un sous-officier de l'armée de l'air jurant qu'il avait acheté lui-même le vélo suspect au gamin, ce que ce dernier expliquait depuis deux heures.

Au temps pour nous, dirent les policiers, remettant les enfants en liberté, une larme à l'œil à l'idée de ne pouvoir mettre une croix dans la case “affaire élucidée” des chiffres du commissariat, mais néanmoins consolés de pouvoir en mettre une voire deux dans la case “gardes à vue”, puisque ce critère fait partie des chiffres exigés par le ministère de l'intérieur dans cette culture du résultat qui fait tant de dégâts.

Les faits sont relatés par un article de la Dépêche.

En droit, que s'est-il passé ?

Rien que de très banal, dans un premier temps du moins. Un enfant mineur a été victime d'un vol de bicyclette (crime pour lequel je n'ai aucune sympathie, mes lecteurs savent pourquoi). Sa mère, titulaire de l'autorité parentale et en qualité de représentante légale, est allée porter plainte auprès de la police, précisant qu'elle avait cru reconnaître le vélo de son fils entre les jambes d'un des élèves de l'école primaire fréquentée par son fils.

L'officier de police judiciaire ayant reçu cette plainte a ouvert une enquête, en flagrance semble-t-il vu l'arrestation à la sortie de l'école, en se fondant sur l'article 53 alinéa 1er du code de procédure pénale : dans un temps très voisin de l'action, la personne placée en garde à vue était poursuivie par la clameur publique (en fait, la clameur de la mère de la victime, mais cela suffit). Une autre hypothèse est une enquête préliminaire, mais dans ce cas, il y aurait dû y avoir une convocation au commissariat non suivie d'effet pour permettre l'interpellation (article 78 du CPP) et la hiérarchie policière interrogée par la presse n'en fait pas état.

Il ne vous aura pas échappé, à vous du moins, que les mis en causes étaient mineurs. Très mineurs, même. La loi en tient compte, et c'est là que le bât me blesse.

Le plus âgé des deux avait dix ans révolus. Il ne pouvait donc être placé en garde à vue (c'est à partir de treize ans), mais, “ à titre exceptionnel ” dit la loi, retenu à la disposition d'un officier de police judiciaire. C'est l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945, celle que la belle du septième (arrondissement) veut réformer pour durcir allègrement.

Cependant, cet article précise que cette retenue ne peut avoir lieu qu'avec l'accord préalable et sous le contrôle d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants, pour une durée qu'il détermine et qui ne peut excéder douze heures (renouvelable une fois après présentation du mineur au magistrat). La durée a été respectée (la retenue n'a duré “ que ” deux heures) mais cela signifie qu'un magistrat a nécessairement donné son feu vert à la mesure (il n'avait pas à être consulté sur les modalités de l'interpellation à la sortie de l'école, je doute qu'il ait approuvé).

Autre problème : le bambin de 6 ans. Âgé de moins de dix ans, celui-ci ne peut en aucun cas faire l'objet d'une mesure de garde à vue ou de retenue ou de quoi que ce soit qui s'apparente à une arrestation (Ordonnance du 2 février 1945, article 4 toujours). À quel titre a-t-il été embarqué et gardé au commissariat ? L'article précise que l'enfant de dix ans attendait son petit frère à la sortie de la maternelle. Il eût été compréhensible que les policiers le prissent avec eux pour éviter qu'il ne se retrouvât livré à lui-même, mais il ne semble pas, à la lecture de l'article, que le cousin de six ans dût être escorté par notre faux voleur de bicyclette ; au contraire il ressort bien de cet article qu'il a été conduit au commissariat à cause des soupçons pesant sur son vélo vert (je sais, c'est compliqué, c'est de la délinquance organisée, n'oublions pas). En tout état de cause, le magistrat ayant autorisé l'interpellation de mini-Mesrine a-t-il été informé qu'il venait accompagné d'un enfant de six ans ?

Questions que je me pose mais auxquelles je ne peux apporter de réponses.

Le directeur départemental de la sécurité publique m'en propose une : c'est un non événement. “ Les services de police ont agi par rapport aux réquisitions d’une victime, sans excès d’aucune sorte. ” Si vous comptez sur l'État pour vous protéger, vous et vos enfants, demandez-vous donc avec Juvénal[1] qui vous protégera de l'État. Le bal des hypocrites est ouvert en tout cas au gouvernement qui feint d'être surpris des résultats de la politique qu'il a lui-même ordonnée (j'ai la flemme de faire des liens pour ça).

En tout état de cause, cette lamentable affaire, à la veille d'une grande réforme annoncée du droit pénal des mineurs qui n'ira certainement pas dans un sens de plus grande protection permet de rappeler opportunément un point essentiel qui, à lire les propos va-t-en guerre du gouvernement sur ce point, semble avoir été totalement oublié.

À côté des deux grandes catégories de mineurs qui retiennent l'attention du gouvernement, les enfants victimes et les enfants délinquants, il en existe une troisième, de loin la plus nombreuse : les enfants innocents. Ce ne serait pas plus mal que la loi les protège un peu aussi, ceux-là, quand bien même la seule menace qui pèse sur eux émane de l'État lui-même. Surtout à cause de cela, en fait.


Post-scriptum : un mot sur la photo d'illustration. Six policiers entourent une petite fille toute de rose vêtue. À gauche, un homme porte dans ses bras un petit garçon de deux ans, il est suivi de deux enfants de huit et treize ans environs. La police ne semble pas se soucier d'une possible tentative de fuite…C'est un recadrage de cette photo (AFP/Jack Guez). C'est une photo prise en 2006 à la sortie du tribunal administratif de Cergy Pontoise, d'une famille faisant l'objet d'une reconduite à la frontière avec placement en rétention. Les policiers entourent la fillette, et se désintéressent du reste de la famille, visible à gauche de la photo, dont aucun membre n'est menotté. C'est une technique couramment utilisée. L'escorte s'assure de la personne de la fillette. Ainsi, les policiers sont sûrs que la famille ne tentera aucune évasion, qui impliquerait d'abandonner cette petite fille. Les policiers justifient cette ruse habile en expliquant que “ c'est plus humain ainsi ”.

Notes

[1] Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ?

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