Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 27 novembre 2011

Garde à vue : la démission du Conseil Constitutionnel

Le 18 novembre dernier, le Conseil constitutionnel a examiné par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) la conformité à la Constitution de la réformes de la garde à vue entrée en vigueur le 1er juin dernier. Hormis une réserve d’interprétation qui n’est certes pas dénuée d’intérêt, le Conseil a déclaré la réforme conforme à la Constitution, écartant notamment le moyen tiré de l’absence d’accès au dossier, et le fait qu’en cas d’audition libre, c’est à dire d’interrogatoire d’une personne venue sans contrainte au commissariat, elle ne bénéficie pas du droit à l’assistance d’un avocat (les autres griefs ne me paraissaient pas en effet relever de la procédure de QPC, j’y reviendrai brièvement).

Naturellement, je suis très déçu par cette décision sur l’accès au dossier et sur l’audition libre sans avocat, mais la parade existe pour cette dernière. Mes lecteurs savent bien que je participe, modestement, au combat pour cette réforme, qui n’est pas terminé, mais ma déception ne vient pas tant du fait que cette décision ne va pas dans mon sens mais du fait que le Conseil Constitutionnel, comme effrayé par sa propre audace de juillet 2010, quand il avait jugé que l’ancien régime de la garde à vue n’était pas conforme aux exigences constitutionnelles, a renoncé, vous allez le voir, à aller au bout des principes qu’il avait alors posés.

Après vous avoir expliqué dans ce billet ce qu’a dit le Conseil et en quoi à mon sens il a déchu, je vous inviterai dans un prochain billet à faire un petit point sur l’état actuel de la garde à vue, et les conséquences à en tirer sur l’exercice de la défense. Les étudiants en droit qui me lisent auront reconnu ici une problématique et une annonce de plan on ne peut plus académique.

La décision du Conseil constitutionnel donc.

Re-situons un peu le débat.

Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le régime de garde à vue tel qu’il existait, c’est à dire avec une intervention d’un avocat limitée à un entretien confidentiel de 30 minutes en début de garde à vue et en cas de prolongation, cet entretien étant repoussé dans des affaires de délinquance et criminalité organisée, stupéfiants et terrorisme.

Ce ne fut pas un coup de soleil dans un ciel bleu, loin de là. Des coups de boutoirs résonnaient régulièrement depuis la Cour européenne des droits de l’homme, qui a condamné la Turquie, puis l’Ukraine, précisément pour interdire l’assistance d’un avocat au cours des gardes à vue, c’est-à-dire chaque fois que des propos pouvant incriminer le gardé à vue étaient reçus.

Ce qui a condamné l’ancien système, pour le Conseil, est que les dispositions légales en vigueur alors autorisaient l’interrogatoire d’une personne gardée à vue mais ne permettaient pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; le Conseil a donc estimé; et j’attire votre attention sur cette phrase (considérant n°28), qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes. Le Conseil constate enfin que la personne gardée à vue ne recevait pas la notification de son droit de garder le silence.

Voilà la règle posée : une restriction aux droits de la défense imposée de manière générale et sans considération des circonstances particulières pouvant la justifier, c’est niet. Je ne pouvais qu’applaudir et boire une Guinness.

Vint alors la loi sur la garde à vue. Le législateur semblait avoir compris le message, et l’appliquer, certes sans enthousiasme, mais avec une résignation républicaine, allant au-delà de la décision en supprimant l’intervention repoussée de l’avocat dans les gardes à vue dérogatoires (délinquance organisée, stups, terrorisme), et en remplaçant cela par la possibilité offerte au parquet de décider, dans toutes les procédures, de repousser de 12 heures l’intervention de l’avocat, et de 24 heures avec l’accord du juge, à condition de motiver sa décision, ce qui implique que si le tribunal devait par la suite estimer ces motifs injustifiés, les déclarations reçues en garde à vue étaient susceptibles d’être annulées. C’est l’article 63-4-2 du Code de procédure pénale (CPP).

Pour la petite histoire, j’ai constaté que dans mes premiers dossiers suivant l’application de cette loi, plusieurs OPJ, pour manifester leur mécontentement, demandaient à ce que l’intervention de l’avocat soit repoussée, y compris dans des dossiers banals d’outrage-rébellion. Le parquet a systématiquement refusé ces demandes infondées, et c’est tout à son honneur. Du coup, ces demandes mécaniques ont rapidement disparu.

Mais il y eut l’article 63-4-1. Et là, on est proche de la malfaçon législative, et encore dans le meilleur des cas.

Cet article, source de tous mes maux, est ainsi rédigé.

À sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3 [Il s’agit du certificat dressé par le médecin quand le gardé à vue a demandé à bénéficier d’un examen médical visant à s’assurer que son état de santé est compatible avec une garde à vue], ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes.

Passons sur cette ridicule autorisation de prendre des notes. Cet article a rapidement été interprété comme constituant la liste exhaustive des pièces auxquelles nous avons accès, bien qu’il ne le dise pas expressément. C’est ce sens que lui donne d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 novembre 2011, j’en prends acte. C’est d’ailleurs confirmé par l’examen des débats parlementaires sur cet article, proprement affligeants. C’était à la session du 20 janvier 2011, sur l’article 7 de la loi qui crée ce fameux article 63-4-1 du CPP. Voici ce que va dire le Garde des Sceaux pour justifier d’écarter l’amendement prévoyant un droit d’accès au dossier pour l’avocat.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je crois qu’il ne faut pas se méprendre. Dans la plupart des cas, la garde à vue est, heureusement, une phase très courte : plus de 80 % des gardes à vue ne dépassent pas douze heures. Dans ce cas, le dossier n’est pas très épais ; en cas de flagrance, il n’y a pas de dossier du tout.

Le dossier se constitue donc au fur et à mesure, et on ne peut pas communiquer un dossier qui, par nature, n’existe pas. Il ne s’agit pas de cacher quoi que ce soit à l’avocat, mais on ne peut pas lui donner quelque chose qui n’est qu’en cours de constitution, puisque la garde à vue a justement pour objet d’aider à la constitution d’un dossier.

Je comprends donc bien le but poursuivi par M. Raimbourg, mais je pense que ces amendements devraient être retirés.

Affligeant. En cas de flagrance, il n’y a pas de dossier du tout ? Les policiers qui me lisent vont s’étrangler. Pour info, le dernier dossier de flagrance que j’ai traité faisait 132 pages au terme de la garde à vue. Quant à l’affirmation selon laquelle je demanderais à accéder à un dossier qui n’existe pas, je rassure notre garde des Sceaux, ma demande ne porte que sur les pièces qui existent. Concrètement, la plainte de la victime, ou ce qu’on appelle la saisine-interpellation quand les policiers constatent eux-même une infraction (en “flag”), et les éventuelles dépositions de témoins.

Là où le bat me blesse, c’est que, comme vous l’avez remarqué, cette règle est générale et s’applique à toutes les gardes à vue et à toutes les pièces de la procédure, sans la moindre distinction. Or me refuser d’accéder à ces pièces, c’est entraver mon action d’avocat. C’est une restriction aux droits de la défense. Nul ne peut en disconvenir.

Or qu’avait dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 pour censurer l’ancien système, déjà ? Une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes.

Si le Conseil avait été cohérent, il aurait dû censurer cet article 63-4-1 du CPP et imposer par exemple un système analogue à celui du 63-4-2 : le dossier peut être si les cirocnstances l’imposent et seulement dans ce cas, dans un premier temps caché à l’avocat, sur décision du procureur et du juge selon le délai.

Mais cohérent, il ne le fut pas. Sa décision du 18 novembre tient de l’esquive pure et simple puisqu’il ne se prononce même pas sur la pertinence de ces arguments.

Voici ce que dit cette décision sur l’article 63-4-1 du CPP. C’est le Considérant n°28.

comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 30 juillet 2010 susvisée, les évolutions de la procédure pénale qui ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ;

Jusque là nous sommes d’accord. Voyons donc ce qu’il en est des garanties appropriées assurant la protection des droits de la défense, non ? Non.

(…) les dispositions contestées n’ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs, qui n’ont pas donné lieu à une décision de poursuite de l’autorité judiciaire et qui ont vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d’instruction ou de jugement ; (…) elles n’ont pas davantage pour objet de permettre la discussion du bien-fondé de la mesure de garde à vue enfermée par la loi dans un délai de vingt-quatre heures renouvelable une fois ;(…), par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées relatives à la garde à vue n’assureraient pas l’équilibre des droits des parties et le caractère contradictoire de cette phase de la procédure pénale sont inopérants.

Inopérants, c’est à dire que quand bien même ces griefs seraient bien fondés (et ils le sont), ils ne sont pas de nature à entrainer l’inconstitutionnalité du texte.

Là, j’ai du mal à comprendre. Le Conseil dit en 2010 que les évolutions de la procédure doivent être accompagnées des garanties appropriées protégeant les droits de la défense, et il censure l’ancienne garde à vue pour ce motif ; aujourd’hui, on lui dit que la nouvelle loi ne comporte toujours pas les garanties appropriées protégeant les droits de la défense, et il répond que ces griefs sont inopérants. À croire qu’effrayé par sa propre audace, le Conseil constitutionnel fait machine arrière toute et, vous le verrez dans le prochain billet, se défausse complètement sur la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne pourra qu’imposer cette solution, puisqu’elle tente déjà de le faire.

Comme toujours, celui qui souhaite comprendre ce que dit le Conseil constitutionnel va lire le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel(pdf).

On y apprend ainsi que le Conseil a décidé de distinguer les exigences du procès équitable et les droits de la défense, et cette distinction le conduit à séparer deux phases dans la procédure : la garde à vue, qui est une mesure de police judiciaire, et la phase judiciaire, devant le juge, où le rôle de la défense pourra s’exercer pleinement (ou même s’exercer tout court), avec accès au dossier, droit à l’avocat, etc. Le Conseil refuse de juridictionnaliser la garde à vue en donnant au gardé à vue le droit de discuter cette mesure, tant en légalité qu’en opportunité, cette contestation devant prendre place devant le juge.

Je disconviens respectueusement.

Cette distinction est totalement arbitraire et ne repose sur rien dans la Constitution. Elle va même totalement à contre-courant de la Convention européenne des droits de l’homme, qui certes ne fait pas partie de la Constitution, mais celle-ci ne perd rien à être interprétée de façon conforme aux engagements internationaux de la France en matière de droits de l’homme. Il n’y a rien d’incongru à ce que la France applique sa norme suprême de manière conforme aux traités qu’elle signe quand on touche aux droits de l’homme.

La garde à vue est avant tout une mesure privative de liberté frappant une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction lui faisant encourir une peine d’emprisonnement, et visant à réunir les preuves de cette infraction, ses déclarations en faisant partie au premier chef. Elle est particulièrement éprouvante, tant physiquement que psychologiquement, les conditions de détention étant bien plus dures en garde à vue qu’en prison. Une cellule de garde à vue, c’est une pièce de quelques mètres carrés, avec un banc en ciment, trois murs opaques et un quatrième en verre blindé. Je n’ai vu des toilettes (à la turque) dans des cellules de garde à vue que dans un seul commissariat pour le moment (celui du 17e arrdt, rue Truffaut, qui vient d’être refait à neuf). Ça veut dire que dans tous les autres, il vous faut quémander pour aller uriner ou plus si affinités. Pas de fenêtre vers l’extérieur, avec ce qu’il en découle au niveau de l’aération (il y est suppléé par l’usage généreux de désodorisant/désinfectant en spray). Vous y périssez d’ennui car vous n’avez ni télévision, ni radio, ni même de livre dans le cas peu probable où vous en auriez eu un sur vous au moment de votre arrestation, tous vos effets personnels (lunettes, montre, ceinture, lacets, cravate) étant écartés pour des motifs de sécurité. Curieusement, ces mêmes effets vous sont laissés en prison, leur dangerosité disparaissant mystérieusement lors de votre écrou.

Face à cette atteinte grave (grave ne voulant dire nécessairement injuste, inutile ou illégale, mais ce n’est pas non plus incompatible), le Conseil nous dit benoîtement et sans rire : pas de problème, vous pourrez la contester… quand elle sera finie. L’intérêt de la chose est tout de même fortement réduit, admettez-le.

Je ne puis être d’accord, nonobstant mon respect pour le Conseil. Dès lors qu’il y a privation de liberté, qui rappelons-le est selon notre Constitution est un des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme dont la conservation est le but de toute association politique (Art. 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789), il y a exercice de la force par l’État, et les droits de la défense doivent pouvoir s’exercer à plein car c’est la seule protection du Citoyen contre l’arbitraire de l’État. C’est pour jouir de cette protection contre l’arbitraire que nous avons fait la Révolution il y a deux siècles, pas pour substituer à l’arbitraire du monarque absolu celle de l’officier de police judiciaire. Distinguer entre la privation de liberté dans les geôles d’un commissariat et celles du Palais de Justice, c’est une vue de l’esprit. L’État a beaucoup de geôles, mais nous n’avons qu’une liberté.

Ce qui me désole est qu’une fois de plus, c’est de l’Europe que viendra le Salut ; je préférerais que la France donne l’exemple en matière de droits de l’homme plutôt que recevoir des leçons.

En effet, cette position va frontalement à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme, et en l’appliquant, nous nous exposons à des condamnations à répétition devant la Cour. Car Ce n’est pas que nous n’ayons pas l’habitude, mais en ces temps de crise, les deniers de l’État pourraient être mieux employés. Ce serait dommage de perdre notre AAA à cause de violations des droits de l’homme… En effet, l’arrêt Dayanan c. Turquie de la Cour européenne des droits de l’homme, que mes lecteurs connaissent bien, pose dans son §32 que :

32. Comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (pour les textes de droit international pertinents en la matière, voir Salduz, précité, §§ 37-44). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.

Cette jurisprudence, qui est aussi claire que la volonté des magistrats français de ne pas l’appliquer, exige une intervention sans entrave de l’avocat dès la privation de liberté, qui est le seul critère pertinent. Elle exige nécessairement l’accès au dossier puisque nous sommes censés préparer les interrogatoires, organiser la défense, rechercher des preuves favorables à l’accusé, qui bien souvent se trouvent dans le dossier, quand on le lit avec un œil un peu critique, les procureurs le savent bien, et en tout état de cause, c’est là que se trouvent les éléments nous permettant de préparer les interrogatoires (plainte de la victime, audition des témoins et des policiers eux-même en cas de “flag” et d’organiser la défense, qui peut très bien être : “arrêtez avec votre baratin à deux balles, il y a toutes les preuves contre vous, reconnaissez les faits, c’est dans votre intérêt”. Dire comme le fait le Conseil que cette phase est de pure “police judiciaire”, ce qui justifie que l’avocat soit maintenu dans l’impuissance jusqu’à ce qu’il soit trop tard, n’est pas conforme à la CEDH, mais aussi aux normes internationales généralement reconnues, dixit la Cour. Bref, nous avons ici une exception française qui n’est pas à notre gloire.

Enfin, pour tous ceux qui reprocheront aux juristes de planer dans l’exosphère juridique au point d’en oublier la pratique, reproche absurde au demeurant car il n’y a pas matière plus concrète que le droit, mon prochain billet redescendra au ras des pâquerettes pour faire un bilan pratique du nouveau régime et vous inviter à réfléchir aux conséquences à tirer de cette décision et de son volet “audition libre”. Au mépris du risque de paradoxe, on y parlera beaucoup du silence.

samedi 12 novembre 2011

Attention manip : le "pacte 2012" de "l'Institut pour la Justice"

Depuis quelques jours, un appel à signer un “Pacte pour la justice” en vue de l’élection présidentielle de 2012 circule sur internet, émanant de l’Institut pour la Justice (IPJ), que mes lecteurs connaissent bien, hélas pour eux.

Dans un premier temps, j’ai consacré à cette initiative le traitement que je réserve à toutes celles de l’IPJ, c’est-à-dire mon plus profond mépris.

Mais je dois reconnaître que l’IPJ est en train de réussir son coup, avec sa méthode habituelle : mettre en avant la douleur d’une victime qui se défend de mettre en avant sa douleur, des affirmations que rien ne vient étayer si ce n’est la parole de la victime, étant entendu que quiconque est contre est un salaud qui méprise la douleur d’un père, un droitdel’hommiste bobo naïf, et bien évidemment l’ami du crime.

J’ai quand même été quelque peu soulagé de constater que sur la centaine de personnes qui m’ont signalé ce lien, la plupart avaient une approche méfiante et voulaient des explications. Car des explications, ce fameux message n’en contient pas le début d’une. Le lire avec un minimum d’esprit critique ne peut que révéler cette évidence, mais vous allez voir qu’il est fait justement pour neutraliser d’entrée votre esprit critique.

Puisque la justice, qu’invoque l’IPJ, mais seulement dans son intitulé, exige un débat ou chaque point de vue peut s’exprimer, je vais donc répondre à ce message, par des faits, des explications, des arguments, bref, par la Raison. Je suis désolé de devoir apporter une réponse critique à Joël Censier, dont je ne puis que comprendre la douleur et la colère, c’est une position que je n’apprécie nullement. Mais c’est lui qui a choisi de porter son histoire dans un débat public et d’en faire un argument politique. Je respecte ce choix, mais il entraine des conséquences, dont celle de devoir supporter la critique.

Commençons par une analyse du propos de Joël Censier, avant de terminer par une analyse de la démarche de l’IPJ, dont je rappelle qu’il n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique, qui revendique sur son site “400 000 sympathisants” mais non adhérents, c’est à dire des gens dont l’implication a été un clic sur internet mais dont aucun n’a souhaité verser la moindre cotisation. Les candidats sollicités feraient bien de s’en souvenir.

Le propos de Joël Censier

Je m’appelle Joël Censier, j’ai 52 ans et trente ans de police derrière moi. En vous envoyant cette vidéo, j’ai conscience de commettre un acte grave. Mais c’est une question de conscience.

Notez la dramatisation : le policier de trente ans commet un acte grave : il s’exprime. Car quelle que soit la critique qu’appellent ses propos, ils sont dans la limite de la liberté d’expression et sont parfaitement légaux. Son auteur ne s’expose à aucune sanction, aucune poursuite, rien. Mais sa “conscience” le pousse à “commettre un acte grave”. Un peu de dramatisation ne fait pas de mal.

Un de mes enfants, Jérémy, a été tué par un groupe de jeunes, alors qu’il rentrait à la maison. Ces jeunes, pour certains « bien connus des services de police », se sont déchaînés sur Jérémy, simplement parce qu’il était « fils de flic ». A dix contre un, ils l’ont tué avec une « barbarie inimaginable », selon les témoins et les médecins légistes.

Vous en avez sans doute entendu parler à la télévision, ou dans les journaux. C’était à Nay, une ville du Sud-Ouest, le 22 août 2009.

Retenez bien ces deux paragraphes. ce seront les seules présentations des faits auxquels vous aurez droit pour asseoir votre opinion.

La presse de l’époque est encore accessible en ligne (voir ici, ou ). Voici donc ce qu’on peut apprendre sur ce qui s’est passé.

Les faits ont eu lieu la nuit du vendredi 21 au samedi 22 août, à Nay, dans les Pyrénées Atlantiques. Le village célébrait sa fête traditionnelle. Vers 2 heures du matin, alors qu’il rentrait se coucher chez les amis qui l’hébergeaient (Jérémy habitait dans le Gers), il aurait aperçu une rixe qui opposait deux groupes (des gitans sédentarisés qui vidaient une querelle, semble-t-il). Il se serait approché de l’attroupement pour séparer les belligérants. Il semble établi qu’il ne s’est à aucun moment battu lui-même. Mais à peine était-il arrivé qu’une des personnes présentes, Samson G., mineur sans antécédents judiciaires, qui était semble-t-il déjà au sol quand Jérémy est arrivé, s’est relevé et lui a porté cinq coups de couteau, le premier à la poitrine, puis les autres à la poitrine et à la tête. L’autopsie a constaté que deux de ces coups étaient mortels, sans pouvoir déterminer celui des deux qui a été porté en premier et a donc été le coups mortel.

Le mineur a alors remis le couteau à une des personnes présentes en lui demandant de le faire disparaître. Ce mineur, auteur des coups, a été rapidement interpellé et a reconnu être l’auteur des coups de couteau. L’homme qui avait caché le couteau a été arrêté et a indiqué l’emplacement où il avait jeté le couteau (un canif dont la lame faisait 12 cm) qui a été retrouvé. Comme vous l’avez vu, il n’étaient pas dix, mais un. De plus, il est manifestement impossible que l’agresseur de Jérémy ait su que son père était policier puisque les faits ont eu lieu à Nay et que Jérémy habitait dans le Gers à 200 kilomètres de là et étaient hébergé chez des amis. Enfin, jamais les mots “barbarie inimaginable” n’apparaissent dans des rapports de médecins légistes qui emploient des termes techniques froids et descriptifs. D’ailleurs, Joël Censier a publié ce rapport sur le site consacré à cette affaire, et vous pourrez constater que ces termes n’apparaissent nulle part. En réalité, Jérémy Censier a reçu cinq coups de couteau dont deux mortels et des coups de pied une fois au sol. Voilà pour la “barbarie inimaginable”. Selon une technique qui sera employée tout au long, les faits vous sont cachés pour que votre imagination vole au secours de votre indignation.

La réaction judiciaire a été tout à fait normale : après une enquête de police visant à identifier et interpeller les responsables (avec succès ici), retrouver des témoins, faire les constations sur le lieu des faits avant que les indices ne disparaissent, enquête dite de flagrance, le procureur de la République de Pau, face à des faits sans nul doute criminels (il y a des violences volontaires reconnues et mort d’homme), a saisi un juge d’instruction pour continuer l’enquête. C’était obligatoire. Le mineur responsable des coups a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention de Pau, à la demande du juge d’instruction, de même que deux autres personnes soupçonnées dans un premier temps d’avoir participé aux faits (le frère du mineur et un ami de celui-ci), qui seront par la suite mises hors de cause sur la mort de Jérémy.

Comme nous le verrons, seul Samson G. a été finalement renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, cinq des sept autres personnes mises en examen seront jugées pour les faits de violences préméditées, c’est-à-dire la bagarre initiale à laquelle Jérémy était étranger, deux ont été mises hors de cause et ont bénéficié d’un non lieu.

La qualification des faits retenue est homicide volontaire pour la personne ayant porté les coups de couteau et violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours.

Le cumul de qualification (homicide + violences avec ITT) s’explique par le fait que si cinq autres personnes présentes ont porté des coups à Jérémy, aucun de ces coups n’a été mortel ni n’a été porté avec l’intention de tuer. Ils ne peuvent donc être assimilé au crime de meurtre. On parle d’incapacité totale de travail de plus de 8 jours car c’est la mesure de la gravité des blessures non mortelles : si Jérémy avait survécu, il aurait eu une ITT de plus de 8 jours. Au-delà de cette limite, fixée par un médecin expert, on est en présence d’un délit, en deçà, d’une contravention. Mais la présence d’une ou plusieurs circonstance aggravante transforme toute violence même légère en délit. Ici, la réunion (violences commises par au moins deux personnes simultanément) est constituée, les auteurs des coups encourent donc cinq ans de prison.

Joël Censier oublie juste de vous dire que la qualification de meurtre a bien été retenue. Je comprends que tous ceux qui étaient présents sur le pont soient responsables de la mort de son fils à ses yeux. La justice se doit de porter sur les faits un regard objectif.

Reprenons les propos de Joël Censier.

Pour Corinne, mon épouse, et pour moi, la vie s’est arrêtée ce jour-là. Nos nuits et nos jours ne sont plus qu’une succession de cauchemars insupportables. Jusqu’à la fin de nos jours, nous pleurerons cet enfant que rien ni personne ne pourra nous rendre. Mais cette vidéo n’a PAS pour but de vous raconter notre histoire,

Et c’est bien dommage, puisqu’on nous demande de prendre position.

et encore moins de vous demander de nous plaindre.

Comme on va le voir, c’est ce qu’en rhétorique, on appelle une prétérition.

Ce n’est pas parce que notre enfant est mort que nous avons décidé de lancer cet appel. Si je vous parle aujourd’hui, c’est à cause de ce qu’il s’est passé après. Car cela concerne tous les citoyens qui, un jour peut-être, auront affaire comme nous à la Justice. Et nous ne voulons pas que d’autres connaissent ce que nous avons connu. Nous ne voulons pas que d’autres traversent les terribles épreuves que nous avons vécues après la mort de notre fils.

Comme beaucoup de victimes, nous avons cru que la Justice allait nous défendre. Qu’elle allait tout faire pour poursuivre les assassins. Ou qu’elle allait, au minimum, essayer de les empêcher de recommencer. Mais non, ce fut TOUT LE CONTRAIRE.

Tout le contraire ? Donc, nous allons avoir une démonstration que la justice ne fait rien pour poursuivre les meurtriers ou même les empêcher de recommencer, et qu’au contraire elle fait tout pour qu’ils recommencent. C’est ce qu’annonce sérieusement ce paragraphe. Retenez cette promesse. Vous allez voir qu’elle ne sera pas tenue. Ne serait-ce déjà que parce que le 15 août 2011, Samson G. a été renvoyé devant les assises pour le meurtre de Jérémy. La justice encourage les meurtriers en les jugeant aux assises ?

Dès les premières heures de la procédure, la Justice s’est rangée du côté des assassins. D’abord, le juge chargé de l’enquête a déclaré que, comme ils étaient dix, on ne pouvait pas savoir avec certitude qui avait donné les coups qui ont tué notre enfant. Il a donc immédiatement libéré sept des voyous, ne gardant que les trois plus dangereux.

Argument d’autorité : je vous le dis, c’est que c’est vrai. Cela reviendra souvent.

Sauf que cette affirmation est douteuse en soi et contraire aux faits.

Douteuse en soi car elle ne tient pas juridiquement, d’abord. Il existe en droit pénal une théorie jurisprudentielle ancienne dite de l’acte unique de violences. Quand un groupe a pris part à des violences, tous les membres de ce groupe sont co-auteurs d’un acte unique de violences en réunion. Peu importe pour leur culpabilité qui a porté tel ou tel coup. Tous sont responsables du résultat. Le rôle de chacun garde son importance pour déterminer la peine (celui qui s’est acharné sera plus sévèrement sanctionné que celui qui a porté un coup). Donc s’il avait été établi que les coups portés par ce groupe avait occasionné la mort de Jérémy, ils auraient commis des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, sauf à ce que des faits objectifs établissent une intention de tuer.

Ce n’est pas le cas ici. Les coups fatals ont été portés par un couteau, et on sait que seul Samson G. les a portés. Donc il est certain que les violences (coups de poing et de pied) subies par Jérémy n’ont pas causé sa mort, elles n’étaient pas assez puissantes pour cela. L’acte unique de violences ne s’applique qu’aux violences, pas au meurtre, car il faut une intention homicide individuelle.

Rappelons que l’auteur des coups de couteau les a reconnu, tant en garde à vue (aveux qui ont depuis été annulés faute pour ce mineur d’avoir pu être assisté d’un avocat) qu’à nouveau devant le juge d’instruction. Des témoins de l’agression ont été entendus par la police et ont confirmé que seul lui avait porté des coups de couteau. Et cet auteur a bien été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire jusqu’en septembre dernier, soit deux ans (je reviendrai sur les conditions de sa libération). Il sera jugé pour meurtre par les assises, aux côtés de cinq autres personnes auteurs de violences non mortelles.

Joël Censier semble s’être persuadé que tous ceux présents sur le pont sont responsables de la mort de son fils. Je comprends que son chagrin ne le pousse pas à faire dans le détail. Nous n’avons pas cette excuse pour ignorer la vérité.

Peu de temps après, sur les trois, ils en ont relâché deux, sans raison.

Ah, que j’aimerais que la Justice libérât mes clients sans raison. Mais elle en demande, la bougresse.

Si, bien sûr, il y a une raison. Il suffit de lire la presse pour la connaître. Les éléments impliquant les personnes concernées sont devenus sujets à caution, excusez du peu. Le respect de la présomption d’innocence peut déranger le père d’une victime, je le comprends. Mais le chagrin n’interdit pas l’honnêteté intellectuelle. Il n’y a nul dysfonctionnement dans ces remises en liberté. D’autant que la suite donnera raison à la chambre de l’instruction : ces deux personnes ont été mises hors de cause dans le meurtre et les violences non mortelles. L’erreur de Joël Censier est pardonnable, il n’y a pas à l’IPj de juriste compétent pour lui expliquer cela.

Toute poursuite pour meurtre a été abandonnée contre eux.

Oui, le 15 août 2011, lors de l’ordonnance de règlement de l’instruction, soit après deux années d’enquête. La phrase précédente, commençant par “peu de temps après” laisse entendre que ce fut dans les jours qui ont suivi, ce qui n’est pas le cas.

Les magistrats ont déclaré qu’ils ne retiendraient que le délit de « violences volontaires ayant entraîné une interruption de travail supérieure à huit jours ». Oui, vous avez bien lu : une « interruption de travail supérieure à huit jours ». Un des délits les moins graves du code pénal. >Alors que notre fils est mort !

Jamais la justice n’a nié ce décès, ce que laissent entendre ces propos. Il est mort, mais pas du fait de ces violences.

Mais le pire était à venir.

Je n’en doute pas.

Le 16 septembre dernier, c’est-à-dire il y a un mois [Donc ce message date de mi octobre 2011. NdEolas] , la Justice a décidé de relâcher pour « vice de forme » le dernier qu’elle détenait encore. Cet individu est pourtant le danger public qui a avoué être l’auteur de multiples coups de couteau sur notre fils : un coup qui a transpercé son cœur, un coup qui a traversé sa boîte crânienne, et d’autres encore qui l’ont défiguré. Mais la Justice l’a libéré pour « vice de forme » !

Et quel « vice de forme » ? Ses avocats ont demandé une « mise en état du dossier de leur client, le 25 octobre 2010 ». Il s’agit d’une formalité purement juridique, sans aucune conséquence pratique sur la culpabilité de l’accusé. La chambre d’instruction avait trois mois pour leur répondre. Mais elle a dépassé ce délai. Alors les avocats ont exigé la libération du jeune. Et la Cour de Cassation leur a donné raison. Il a donc été immédiatement libéré. « Cette décision de remise en liberté pour non-respect des délais est une première en France dans l’application du texte concerné. C’est un immense soulagement », a déclaré l’avocat du tueur, Maître Sagardoytho. « Un immense soulagement » ; « une première en France ».

Pour Corinne et pour moi, ces mots victorieux sont insupportables. Nous avons pensé à tous les autres parents qui, désormais, risquent de voir eux aussi les assassins de leur enfant libérés pour ce « vice de forme ».

Vous avez compris ce qui s’est passé ? Non ? Moi non plus, et pourtant je suis avocat. Mais encore une fois, le but n’est pas de vous expliquer quoi que ce soit, de vous convaincre, de s’adresser à votre Raison.

Heureusement pour vous et moi, les décisions de la Cour de cassation sont publiées. J’ai donc pu retrouver l’arrêt concerné (Crim. 14 septembre 2011, pourvoi n°11-84937), ce qui n’a pas été commode puisque et arrêt est non pas du 16 mais du 14 septembre 2011.

Voici donc ce qui s’est passé : à vous de vous faire une opinion, en vous fondant sur les faits, qui vous sont soigneusement cachés par l’IPJ, qui a un rapport délicat avec la vérité, qui il faut dire lui est rarement favorable.

Le 5 mars 2007 a été promulgué une loi modifiant la procédure pénale, prise à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle a entre autres introduit de nouvelles procédures permettant d’assurer une meilleure surveillance des détentions provisoires, pour essayer d’éviter qu’à nouveau, des innocents puissent croupir trois ans en prison.

Cette loi a notamment prévu la possibilité pour la défense de demander à la chambre de l’instruction de passer en revue l’instruction, dans une audience en principe publique, où les éléments à charge et à décharge peuvent être débattus afin de s’assurer que la détention est réellement nécessaire. C’est l’article 221-3 du Code de procédure pénale (CPP). Elle se distingue de l’appel sur la détention provisoire qui ne porte que sur l’adéquation de la détention avec les critères posés à l’article 144 du même code.

Cette demande, qualifiée dans le texte de Joël Censier de “mise en état”, terme impropre qui ne s’applique qu’à une procédure civile, peut être introduite par l’avocat d’une partie (même la partie civile, mais ça n’a que peu d’intérêt pour elle), ou par le parquet (même remarque que pour la partie civile) quand une personne est détenue depuis au moins trois mois et que l’avis de fin d’instruction n’a pas encore été rendu par le juge d’instruction. Le président de la chambre de l’instruction peut même décider d’office de lancer de lui-même cette procédure, mais à ma connaissance, ce n’est encore jamais arrivé. C’est une arme procédurale contre l’inaction d’un juge d’instruction qui semblerait trop négliger un dossier.

Dans notre affaire, l’avocat du mineur incarcéré (et seul incarcéré désormais) a déposé une telle demande le 19 octobre 2010, c’est à dire après un an et deux mois de détention de son client. On peut supposer qu’il estimait que l’instruction avait fait le tour des faits et qu’il craignait que le dossier ne stagnât et que son client végétât en détention.

Le Président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau avait huit jours pour y répondre. Soit il rejetait la demande par une décision non susceptible de recours, soit il transmettait à la chambre qu’il préside pour que l’affaire soit jugée après une audience réunissant toutes les parties. Dans ce cas, la loi exige que la cour statue par un arrêt qui doit être rendu dans un délai de trois mois à compter de cette saisine par le président. Faute de quoi, prévoit ce texte, “les personnes placées en détention sont remises en liberté.” C’est la loi.

le 25 octobre 2010, soit dans le délai de 8 jours, le président a estimé que cette demande méritait d’être examinée par la cour. La cour devait donc rendre son arrêt au plus tard le 25 janvier 2011.

Pourtant ce n’est que le 5 avril 2011 qu’il va prendre une ordonnance fixant l’audience au 6 mai 2011.

Les 4 et 5 mai 2011, la défense a déposé ses argumentations écrites, qu’on appelle “mémoires”, commettant ainsi une erreur : en effet, si d’ordinaire, les mémoires peuvent être déposés au plus tard la veille de l’audience, dans le cadre de l’audience de l’article 221-3 du CPP, ils doivent être déposés au moins deux jours ouvrables avant. C’est comme ça, c’est la loi. Le même jour, soit la veille de l’audience (je ne crois pas du tout à un hasard de calendrier) devant la cour, le juge d’instruction notifie aux partie l’avis de fin d’instruction.

Le 7 juin 2011, la chambre de l’instruction a rendu un arrêt déclarant irrecevables les mémoires de la défense car déposés trop tardivement, disant n’y avoir lieu à application de l’article 221-3 du CPP du fait que le 5 mai 2011, veille de l’audience, le juge avait rendu son avis de fin d’instruction, estimant qu’il avait terminé son enquête. L’avocat du détenu a formé un pourvoi contre cette décision, invoquant notamment le non respect du délai de 3 mois. Le 14 septembre 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et ordonné la remise en liberté immédiate du mis en examen détenu, car “lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur le fondement de ce texte, son arrêt doit être rendu au plus tard trois mois après sa saisine, à défaut de quoi les personnes placées en détention sont remises en liberté” et “en omettant de statuer d’office sur la remise en liberté du requérant alors que le délai de trois mois à compter de sa saisine était expiré, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé”.

Cette décision a ulcéré le père de Jérémy. Pourtant il faut en comprendre la portée. Le mis en examen est remis en liberté (il a depuis été placé sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire qu’il reste suivi par la justice, avec notamment une obligation de pointer au commissariat de Mont-de-Marsan deux fois par semaine). Point.

Les poursuites continuent, l’ordonnance de mise en accusation de Samson G. du 15 août 2011 reste valable (sous réserve de l’appel en cours contre cette ordonnance, qui a été renvoyé par la Cour de cassation pour être jugé devant la cour d’appel de Toulouse), et ce jeune homme sera probablement jugé par la cour d’assises des mineurs. Simplement, il sera jugé libre. Sachant que devant la cour d’assises, toute peine est immédiatement exécutoire : s’il est condamné à ne serait-ce qu’un jour de prison de plus que ce qu’il a déjà effectué (soit deux ans et trois semaines), il sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Voilà, c’est tout. Voilà la justice amie des assassins et ennemie des victimes en général et de Joël Censier en particulier.

Je cite les mots de son avocat, commentant la décision de septembre dernier, cité dans Sud-Ouest : “Une décision que ne conteste pas Me Martial. « Elle est en conforme en droit. » L’avocat confie qu’il s’attendait à cette issue. Il avait d’ailleurs prévenu les parents de Jérémy de la probabilité de la remise en liberté de Samson G.”. Même leur avocat leur dit que c’est normal.

Ce qui d’ailleurs mérite qu’on s’y attarde. Qu’a fait la justice ainsi vilipendée ? Au départ, le président de la chambre de l’instruction commet une erreur en n’audiençant pas dans le délai de 3 mois. Le 25 janvier 2011, la détention de Samson G. devient illégale. Il aurait dû être remis en liberté ce jour là. Et pourtant il n’en sera rien fait. Au contraire, le président va laisser au juge le temps d’envoyer l’avis de fin d’instruction pour audiencer l’affaire et tenter de dire que l’article 221-3 du CPP n’est plus applicable ; or c’est cet article qui fonderait la libération immédiate du suspect. Ce qui, avec le pourvoi, va repousser cette remise en liberté au mois de septembre 2011, soit 9 mois en toute illégalité. Bref, la justice paloise a tout fait, y compris violé la loi, pour réparer les conséquences de son erreur. Quand une cour d’appel viole la loi pour ne pas remettre un suspect en liberté, comment peut-on ensuite affirmer qu’elle a pris parti contre soi et en faveur du meurtrier de Jérémy ? De bonne foi, s’entend ?

Alors nous avons décidé de lancer cet appel à toute la population pour protester auprès des autorités afin que cette affreuse injustice ne touche pas d’autres familles. Pour nous, c’est trop tard, la Justice ne reviendra pas en arrière. Mais si vous ne faites rien, le monde judiciaire et les hommes politiques considéreront que ce fonctionnement là de la Justice est accepté par l’opinion publique. Et le même scénario frappera d’autres familles.

Le scénario étant : un présumé innocent remis en liberté en attendant d’être jugé. Aux armes !

Il faut savoir que le jour de la reconstitution, toute la bande est arrivée le sourire aux lèvres, les mains dans les poches. Ils se sont amusés à raconter et re-raconter le meurtre, en changeant de version à chaque fois, pour se moquer de gendarmes, ou de nous. Ils étaient parfaitement décontractés et désinvoltes. Ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre. De mon côté, je pleurais de douleur. J’ai commencé à comprendre que la Justice était en train de nous lâcher.

“Mais l’objet de cet appel n’est pas de nous faire plaindre.”

Je n’ai aucune information sur cette reconstitution, hormis le fait qu’elle a eu lieu en janvier 2011. Maintenant, qu’un groupe de jeunes sortant à peine de l’adolescence, dans une situation où ils sont mal à l’aise, se mette à ricaner bêtement et à rouler des mécaniques pour assurer devant les copains, je le crois volontiers. Je vois le même comportement dans les prétoires, à mon grand dam quand il s’agit de mon client. Quant à l’affirmation “ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre”, elle ne repose que sur le ressenti d’un père bouleversé ; et le “j’ai commencé à comprendre que la justice était en train de nous lâcher”, j’aimerais comprendre.

Le juge d’instruction fait une reconstitution, c’est à dire une mesure d’instruction sur les lieux du drame, demandant à chacun d’expliquer où il était et ce qu’il a fait. Que les explications données soient contradictoires, et parfois mensongères, cela arrive assez souvent. Il y a toujours l’illusion qu’un mensonge bien trouvé permettra d’échapper à l’évidence et au châtiment. Cette illusion est l’ennemie des avocats, car elle aboutit à creuser la tombe de leurs clients, qui ne font qu’éveiller d’avantage les soupçons à leur égard : “s’il ment, qu’a-t-il donc à cacher ? Ne serait-il pas plus impliqué encore que ce que les indices semblent révéler” ? Notons d’ailleurs que le genre de propos que tient l’IPJ ne peut qu’encourager ceux qui le lisent à tenter de nier l’évidence et mentir effrontément face à la justice, puisque l’IPJ laisse entendre que cela permet de s’en sortir et même de se mettre les juges dans la poche. Conseil d’un avocat pénaliste : n’essayez jamais cette méthode. Dites la vérité, ou mieux, taisez-vous, mais ne mentez jamais face à la justice. Jamais. JAMAIS.

Sur le pont, à l’endroit de la reconstitution, un gendarme s’est approché de moi. Ce n’était pas pour me dire un mot de sympathie. Non. Il m’a présenté une convocation à la Gendarmerie. Une plainte avait été déposée contre moi pour « subornation de témoin », et je devais être entendu par les gendarmes. Je me suis retrouvé sur le banc des accusés parce que j’avais demandé à un témoin du meurtre de se manifester auprès des autorités. On m’a expliqué que ce n’était pas à moi de le faire, je devais « laisser la Justice faire son travail »…

Cette anecdote est curieuse. Généralement, les convocations sont envoyées par courrier. Une remise en main propre est plutôt un dernier avertissement à quelqu’un qui n’y défère pas avant l’interpellation en bonne et due forme. Mais il n’est pas du tout conforme aux usages de mélanger les procédures et de confier aux gendarmes chargés du service d’ordre d’une confrontation de remettre des convocations pour audition dans une procédure différente. Ne serait-ce que parce que la maladresse serait ici évidente et que les gendarmes ont des égards. D’autant plus qu’entendre Joël Censier comme témoin aurait relevé de la brigade territoriale du domicile de Joël Censier plutôt que celle de Nay, située à 200 km de là. Vu les imprécisions, les omissions et les contre-vérités contenues jusque là, je prendrai donc cette affirmation avec des pincettes.

La subornation de témoin est un délit prévu par l’article 434-15 du Code pénal. Il consiste dans le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. Elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, ce même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Le simple fait de demander à un témoin de se manifester n’est pas une subornation de témoin. C’est tout à fait légal. Pour qu’une plainte ait été déposée à la gendarmerie, il faut donc que ce témoin se soit senti quelque peu pressé de faire une déclaration qui n’était pas tout à fait conforme à la vérité. J’ignore les suites qui ont été données à cette audition et à cette plainte. je ne doute pas un instant que si elle était allée plus loin, Joël Censier n’aurait pas manqué d’en remettre une couche sur la justice qui s’acharne contre lui. On peut donc supposer qu’elle a été classée sans suite. Détail pas assez important pour qu’on vous le communique. Que diantre, il faut bien vous faire cliquer à la fin.

J’ai même risqué des poursuites pénales car j’avais parlé d’un des meurtriers de mon fils en disant que c’était un « enfoiré ». >Son avocat me menaçait d’un procès en « diffamation ».

“J’ai même risqué”. Comprendre : “je n’ai pas été poursuivi”. Notez que Joël Censier s’obstine à parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels. Enfin, “enfoiré” n’est pas une diffamation mais une injure.

C’est alors que mon épouse et moi avons décidé de ne plus nous laisser faire. Au lieu d’attendre passivement le procès, nous avons décidé de rejoindre l’Institut pour la Justice.

Nous y voilà.

Le placement de produit de l’IPJ

L’Institut pour la Justice est un organisme indépendant qui regroupe des juristes, des victimes et des citoyens, qui œuvrent pour réformer la Justice française. Cet Institut a élaboré un Pacte 2012, qui sera présenté à tous les candidats à l’élection présidentielle, pour demander des réformes urgentes du système judiciaire.

Vous pouvez contribuer aujourd’hui à faire passer ces réformes, et à sauver des victimes futures, en signant le Pacte 2012 pour la Justice, en cliquant sur le bouton ci-dessous. Car si nous sommes des centaines de milliers de citoyens à soutenir ces propositions de réforme, les candidats seront obligés de nous écouter ; c’est une question de poids électoral. Mais c’est aussi une question de conscience et de justice.

Pas de vérité ni de Raison.

Lorsqu’on n’y est pas personnellement confronté, on pense souvent que la Justice fait bien son travail. On n’ose pas demander qu’elle soit plus rigoureuse envers les délinquants et les criminels, de peur d’être accusé de manquer d’humanité. Mais je peux vous dire, après trente ans d’expérience dans la Police, que vous n’avez pas à craindre cela. Il est rarissime qu’un vrai délinquant soit traité trop sévèrement en France. La plupart des délinquants bénéficient même d’une impunité à peine croyable.

Argument d’autorité. “J’ai trente ans d’expérience dans la police, je dis donc la vérité. Le fait que je sois partie prenante à une procédure qui me touche personnellement n’a naturellement en RIEN affecté mon jugement. Cela me dispense donc d’étayer mes affirmations par des faits, qui on l’a déjà vu ont un fort parti pris contre moi.”

On entend souvent parler de “violation des Droits de l’homme” dans nos prisons. Mais savez- vous pourquoi 225 détenus, dans une prison de Lyon, viennent de lancer une pétition pour dénoncer « des conditions de détention inacceptables » ? Ces conditions « inacceptables » c’est qu’il leur est interdit d’utiliser… la Playstation 3 dans leur cellule !!

A votre avis, est-ce à cause de l’interdiction d’utiliser une Playstation 3 en cellule que 6 détenus se sont suicidés dans cette prison entre janvier et septembre de cette année ? Voici le texte de la pétition. Les détenus réclament en effet (entre autres : le racket du cantinage, qui est un véritable scandale, l’absence d’activité sportive, illégale, le défaut d’écoute des prisonnier, qui a conduit à des suicides, tout ça sont des détails) de pouvoir utiliser des consoles de jeux vidéos dans leur cellule. De 9 m², surpeuplée, où ils passent 23h/24 chaque jour. Mais ces consoles ne sont pas offertes par l’administration pénitentiaires, pas plus que les télévisions dans les cellules : elles sont louées au prix fort, comme dans les hôpitaux, d’ailleurs. Je ne doute pas que certains citoyens modèles estimeront que ne pas périr d’ennui et sombrer en dépression est faire un traitement trop doux à des prisonniers. Le sadisme des honnêtes gens m’a toujours effaré.

Il n’est pas rare que la Justice relâche un délinquant arrêté des dizaines, voire des centaines de fois par la Police. Le Préfet de Police de Paris, lui-même, en a témoigné dans la presse, le 8 septembre dernier.

Si, c’est rare : il faut encore que je sois son avocat.

Plus sérieusement… Non, en fait, je ne peux pas prendre ce genre d’affirmation sérieusement. Tenez, voici un homme qui cette semaine s’est pris un an ferme pour avoir volé 2 euros de bonbons parce qu’il avait 15 mentions sur le casier. Non mais allez un peu voir des audiences correctionnelles, au lieu de gober des énormités pareilles. Là, la démonstration va consister en prendre une exception pour faire croire qu’elle est révélatrice de la généralité.

Il a cité le cas d’un homme qui venait d’être arrêté pour la 97eme fois. Peut-on imaginer pire mépris pour les victimes ?

Arrêté 97 fois ne veut pas dire condamné 97 fois (ce qui est impossible sauf à vivre plus d’un siècle et commencer jeune). Donc ne veut pas dire coupable 97 fois, et encore moins 97 victimes. Je ne sais rien de ce cas, cité effectivement par le préfet de police qui en bon préfet aime plus les chiffres que les faits. Ainsi, ce même préfet de police n’hésite pas à affirmer que le taux d’élucidation baisse depuis que les avocats assistent les gardé à vue. Avant de dire que grâce à son action volontariste, le taux d’élucidation est en hausse. Comme disait Sir Winston Churchill : je ne fais jamais confiance à des chiffres que je n’ai pas falsifié moi-même.

Des dizaines de milliers de personnes âgées sont cambriolées chez elles chaque année, sans qu’on ne se donne même plus la peine de rechercher les coupables, parce qu’on sait qu’ils seront de toute façon relâchés par la Justice. Des femmes se font violer, ou disparaissent, et on laisse leurs agresseurs libres de recommencer sous des prétextes dérisoires.

Source ? Lien ? Faits ? Pas question. Ça vous ferait réfléchir. Or on surfe sur vos préjugés.

Aujourd’hui, il est grand temps que les candidats aux élections s’en aperçoivent. Mais si nous voulons être sûrs qu’ils se prononcent officiellement, alors il est indispensable que nous soyons des centaines de milliers à signer le Pacte 2012 de l’Institut pour la Justice. J’espère que vous allez le signer et transmettre cette vidéo à tout votre entourage.

Bref vous comporter comme un virus informatique.

Il ne s’agit pas de mesures « répressives », et encore moins de réclamer un retour en arrière. Il s’agit simplement de recentrer la Justice sur sa mission première de protection des citoyens. Instaurer un fonctionnement normal, moderne et juste de l’institution judiciaire, adapté à la réalité d’aujourd’hui, dans lequel les citoyens puissent avoir confiance.

Nouvelle prétérition. L’IPJ ne connait que le tout répressif. Vous allez voir.

Un petit mot sur la mission de la justice, “protection des citoyens”. Ce n’est pas, n’a jamais été et en sera jamais le rôle de la justice. L’IPJ oublie d’ailleurs que les prisonniers sont eux aussi des citoyens et devrait donc militer pour leur protection contre l’État qui leur impose des conditions de détention indigne. Mais pour l’IPJ, on n’est plus citoyen quand on a été condamné.

Protéger suppose une antériorité du danger, d’empêcher un dommage de survenir. La justice, par sa nature même, n’intervient que pour réparer, donc a posteriori. Était-ce le rôle des juges d’être sur le pont de Nay pour empêcher la mort de Jérémy ? Bien sûr que non, ce rôle incombe à la police, et il est illusoire de croire qu’elle peut tout prévenir : même les États les plus policiers du monde connaissent le crime et la délinquance (dans des proportions plus importantes que chez nous, paradoxalement). La mission de la justice n’est pas de protéger, mais de réparer, en sanctionnant le crime. Vouloir inverser la chronologie aboutit à la rendre responsable de la mort de Jérémy et de tous les crimes commis. On sent que cette tentation existe aussi dans le personnel politique. Elle est irrationnelle, et malsaine, car elle revient à faire pression sur les juges, dont l’indépendance est notre première garantie.

Nous demandons: - que les peines de prison soient vraiment appliquées quand elles sont prononcées ; il faut savoir en effet qu’actuellement, 80 000 peines de prison restent non exécutées, faute de place.

Plutôt 82.000, chiffre issu d’un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires de 2009, qui représente 13% des peines de prison ferme prononcées. Il est faux de dire que c’est uniquement faute de place que ces peines ne sont pas exécutées. Environ 30.000 d’entre elles ne le sont pas car on ne retrouve jamais le condamné. Les 50.000 peines restantes constituent le stock des dossiers en attente d’exécution (source : le lien précédent). La plupart de ces 50.000 peines seront exécutées un jour. Le délai de traitement est en effet problématique, pour le condamné lui-même au premier chef (il n’y a pas de victime dans tous ces dossiers, loin de là), qui a pu trouver du travail, se réinsérer et changer de vie quand vient l’heure d’exécuter sa peine. Résultat inéluctable de décennies de moyens insuffisants. Si vous ne voulez pas vous payer une justice digne de de ce nom, vous le paierez d’une autre façon.

Le parc pénitentiaire fait 56 150 places opérationnelles au 1er mai 2011. Toutes ces places sont occupées, et plus encore : la population carcérale est de 64 584 personnes (au 1er mai 2011toujours) (taux d’occupation de 115%, avec les répercussions que l’on imagine sur les conditions de détention, qui vont un peu au-delà de l’absence de Playstations en cellule). Que propose l’IPJ ?- Ben d’exécuter ces peines, voyons. - Et comment ? - Ah mais vous allez nous lâcher avec ces satanés faits ?

J’ajoute enfin que le passage à l’acte suppose dans la plupart des cas (excluons les terroristes et les déments) que la personne commettant une infraction ait la conviction de l’impunité, c’est-à-dire qu’elle soit persuadée qu’elle ne sera pas arrêtée et punie pour ce fait. Colporter urbi et orbi et dans tous les médias que les peines de prison ne sont pas exécutées en France, quand bien même c’est faux, risque ainsi fort de favoriser des passages à l’acte. En somme, l’IPJ pousse au crime.

- que les victimes aient au moins autant de droits que les accusés, car aujourd’hui la triste réalité est que les délinquants ont souvent plus de droits et de considération que les victimes ;

Il est vrai que le fait qu’on n’incarcère pas les victimes les prive du droit de contester leur détention. Je vous laisse le soin de décider s’il faut modifier cet état du droit.

Pour le reste, j’invite l’IPJ à aller voir comment ça se passe ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, pour constater que la France est le pays qui traite sans doute le mieux les victimes dans le cadre du procès. La seule chose qui leur reste fermée est la possibilité de faire appel sur l’action publique, c’est à dire demander une peine plus sévère ou contester une relaxe ou acquittement, qui est le monopole du parquet. Elles ne peuvent faire appel que sur leur action, l’action civile, c’est-à-dire les dommages-intérêts. Parce que la justice n’est pas la vengeance, et que la peine frappe le condamné au nom de la société et non au nom de la victime. Et que leur donner ce droit serait une usurpation des prérogatives de la République par des particuliers, et un cadeau empoisonné. La vérité est terrible : aucune peine, aussi dure fût-elle, ne répare le chagrin de la victime ou de ses proches. Même les familles des victimes dont l’assassin a été condamné à mort et exécuté n’ont jamais ressenti le moindre soulagement de ce fait. Parce qu’une exécution ne répare pas une mort, mais en fait une deuxième. J’ai déjà été confronté à des victimes qui se réfugiaient dans la colère pour échapper à leur douleur. C’est une échappatoire tentante et facile en apparence, mais c’est un cul-de-sac. Une fois la peine définitive tombée, elles se disent que si leur douleur est toujours là, c’est que cette peine est insuffisante, et demeurent à jamais frustrées en se disant que si la peine maximale avait été prononcée, elles ne souffriraient plus. Et si la peine maximale est prononcée, la douleur restant la même, elles se disent que ce maximum n’est pas suffisant. Et ainsi de suite.

Je ne leur jette nullement la pierre, je ne souhaite à personne de connaître ce qu’elles subissent. Mais la douleur ne remplace pas la Raison. Et en faire un argument politique est pour le moins critiquable.

- qu’aucune atteinte aux personnes et aux biens ne reste impunie, car les plaintes classées sans suite sont une invitation à la récidive;

D’un autre côté, une plainte fantaisiste ou infondée (parce que les faits ne constituent pas un délit), doit bien être classée sans suite. Quand les faits sont suffisamment étayés, le parquet n’hésite pas à poursuivre. Mais il n’a pas de temps à perdre à consacrer ses faibles moyens à poursuivre les chimères.

- que les lois nous protègent vraiment des criminels récidivistes ; aujourd’hui, la perpétuité dure 20 ans en moyenne. Même les prédateurs les plus dangereux ont vocation à sortir de prison ;

Bien sûr. Tous les matins, les juges d’application des peines arrivent au bureau en se demandant quel prédateur particulièrement dangereux ils vont pouvoir libérer aujourd’hui. C’est bien connu. D’ailleurs, traditionnellement, le 1er lundi du mois, il demandent aux avocats pénalistes de leur ressort de leur envoyer la liste de leurs clients détenus les plus dangereux pour établir les libérations conditionnelles du mois.

Désolé de faire de l’humour, mais face à ce monceau de sottise, ce n’est que de la politesse.

Plus sérieusement, je rappellerai ici que le meurtre de Jérémy n’a rien à voir avec la récidive puisque Samson G. n’avait aucun antécédent judiciaire, et n’a commis aucun autre meurtre, ni que je sache aucune infraction, depuis sa remise en liberté. Ce sont ici les thèses de l’IPJ qui s’invitent et parasitent la sympathie que vous pourriez éprouver pour Joël Censier.

S’agissant de la récidive, qui est un phénomène très variable selon la nature des faits, voici les chiffres du ministère de la justice, portant sur l’année 2007. Pour les condamnés pour délit, 8,0 % étaient en état de récidive légale, et 26,7 % en simple réitération sur cinq ans, c’est à dire qu’ils avaient déjà été condamnés dans les 5 années précédentes pour des faits de nature différente (par exemple : l’auteur d’un vol déjà condamné pour conduite en état d’ivresse). Ce qui laisse 65,3% de primo-délinquants.

Le taux varie selon les faits : les délits sexuels (agression sexuelle, exhibitionnisme) connaissent parmi les plus bas taux de récidive (moins de 6% en 2004), les délits routiers (conduite en état alcoolique ou en grand excès de vitesse) le plus haut, de l’ordre de 16%, le sommet étant les vols et recel avec près de 30% (chiffres 2004, pdf, lien Google viewer). Les sanctions prononcées sont nettement plus lourdes en cas de récidive ou de réitération, l’emprisonnement ferme qui représente 6,7 % des peines prononcées à l’encontre des primo condamnés, passe à 30 % pour les réitérants et à 50 % pour les seuls récidivistes. Sur les 3 245 condamnés pour crime en 2007, 128 étaient en état de récidive légale soit un taux de récidive de 3,9 %. Ce taux varie selon le type de crime : de 9,5 % pour les vols aggravés à 2,7 % pour les viols (je cite le ministère de la justice).

Les deux tiers des criminels condamnés n’avaient aucun antécédent judiciaire. En somme, méfiez-vous plutôt des honnêtes gens…

- que la justice et les magistrats soient responsables devant les citoyens, parce que leurs décisions sont prises au nom du peuple français ;

C’est oublier que ce sont précisément des citoyens qu’ils jugent. Être responsable devant ceux qu’on juge, est-ce une garantie d’indépendance ? Auriez-vous confiance dans la justice si votre riche adversaire dans son tort pouvait menacer le juge de poursuites s’il ne lui donnait pas raison ? Les magistrats sont responsables, mais cette responsabilité tient compte de leur nécessaire indépendance. J’ai traité ce sujet dans ce billet. Mais il est plus facile pour l’IPJ de laisser entendre que les juges sont irresponsables parce que les justiciables qu’ils condamnent ne peuvent pas se venger par un procès. La complexité, c’est pas le truc de l’IPJ, vous l’aurez compris.

La mise en œuvre de ce Pacte serait un changement considérable pour la protection des citoyens et des victimes.

…parce que….? Ah, non, c’est la fin de la phrase. Ceux qui veulent des explications iront se brosser.

Mais même si ces mesures peuvent vous paraître évidentes, elles n’ont aucune chance d’être reprises par les candidats à la présidentielle et votées dès 2012 si des centaines de milliers de citoyens ne se manifestent pas pour les demander maintenant.

C’est pourquoi je vous demande de cliquer sur le bouton ci-dessous pour signer votre Pacte 2012, puis de transférer ce message à vos amis, votre famille, vos collègues.

Le clic, nouveau paradigme de l’action politique. Cela permettra juste à l’IPJ de revendiquer désormais un million de personnes qui auront été abusées le temps de remplir un formulaire, et qui n’ont aucun moyen de se retirer de leurs fichiers, et de prétendre parler en leur nom.

De notre côté, nous mobilisons d’importants moyens humains et financiers pour : - rassembler des dizaines, des centaines de milliers de signatures ;

Soit des données personnelles collectées en toute illégalité et sans garanties pour les signataires, puisque les mentions imposées par la loi informatique et liberté s’agissant d’un traitement de données nominatif (notamment la désignation de la personne auprès de qui exercer le droit d’accès, de rectification et de retrait) sont absentes du formulaire de signature. Je suis certain que l’IPJ exigera que la loi pénale lui soit appliquée avec autant de rigueur qu’il l’exige pour les autres. Ah. Ah. Je déconne.

- préparer des dossiers précis, justifiant le coût et la faisabilité de chacune de nos réformes, avec des avocats et des juristes spécialisés ;

On aurait pu croire que ce travail avait été fait en amont, ne croyez-vous pas ?

- mobiliser la presse, pour que cette action soit médiatisée le plus largement possible ;

C’est le but de la manœuvre. L’IPJ n’a aucune légitimité dans le milieu universitaire, elle essaie la légitimité médiatique : le fameux “vu à la TV”. Force est de reconnaître qu’il a réussi sur ce point.

- organiser des rencontres officielles avec chaque candidat, pour obtenir leur engagement à mettre en œuvre nos réformes, en cas d’élection.

Marine Le Pen se fera sans nul doute un plaisir de les recevoir.

(…) Au nom de mon enfant, de ma famille, et de mon pays, je vous dis merci.

Non. Votre pays, M. Censier, est aussi le mien, et vous n’avez aucune légitimité pour parler en son nom. Quant à embarquer la mémoire de votre fils mort dans un combat qui ne fut jamais le sien, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur hommage à lui rendre.


PS à mes lecteurs : content de vous retrouver. Vous m’avez manqué.

vendredi 21 octobre 2011

Avis de conférensse Berryer : Maïwenn

L’an deux mille onze
et le vingt cinq octobre
à 21 heures220px-Maiwenn_Le_Besco_Cannes_2011_2_croppped.jpg

Nous, Matthieu Hy, 4ème Secrétaire de polisse judissiaire,

Étant au servisse Salle des Criées, au Palais de Justisse,

Constatons que se présentera devant nous l’individu ssi-dessous désigné :

NOM : cf. Prénom.
Prénom : Maïwenn
Profession : actrisse, sssénariste et réalisatrisse
Sexe : féminin, assurément.

Lui notifions son plassement en garde à vue pour une durée d’une conférensse Berryer.

Lui notifions qu’elle a le droit à cette occasion d’être assistée par douze avocats commis d’office par la Conférensse.

Lui notifions qu’elle a le droit de garder le silensse mais la supplions de n’en rien faire.

Lui donnerons connaissansse du rapport de synthèse de Monsieur Martin Reynaud, adjoint de sécurité et 5ème Secrétaire.

Ouïrons des témoins acermentés qui déposeront sur les questions suivantes :

1. L’enfance est-elle le bal des actes tristes ?

2. N’y a-t-il que La Palice qui dise la vérité ?

Disons que toute perçonne, même extérieure au service, pourra assister à ladite mesure dans la limite des plasses disponibles.

Rappelons qu’il y a intérêt à toquer à l’huis très en avansse.

Disons que tout témoins désirant déposer sans garantie d’absensse de violensses polissières prendront contact avec nous : Tél : 01.77-32.13.61 / hy.avocat@gmail.com

Lecture faite avec nous, l’intéressée persiste et signe.

——

De même, suite :

Mentionnons que la photographie est (cc) Georges Biard - BY-SA.

Dont procès verbal.

jeudi 15 septembre 2011

Anonymat et expertise

Le journaliste et écrivain Bruno Roger-Petit me fait l’honneur de s’interroger sur ma personne et fait part d’un malaise qu’il ressent sur un aspect de mon choix de bloguer anonymement : selon lui, cet “anonymat” (les guillemets sont de moi et je vais m’en expliquer) poserait problème quand je suis cité dans les médias pour commenter des événements de la vie publique. Et de citer deux exemples récents qui sont à l’origine de cette réflexion : un commentaire sur l’affaire DSK/Banon et l’audition du premier comme témoin, et le second sur une application iPhone depuis retirée, “Juif ou pas juif ?”.

Voici un extrait de son billet, dont la lecture intégrale s’impose pour bien saisir son point de vue :

En revanche, l’anonymat de Maître Eolas ne devrait-il pas être apprécié différemment lorsque son avis, expertise, jugement et/ou pronostic est sollicité par des journalistes de médias généralistes afin de les faire partager à leurs lecteurs ?

Je pose cette question (qui n’engage que moi, “as usual”) car lorsque j’ai lu son avis sur l’audition de DSK en tant que témoin dans l’affaire Banon, je me suis senti pris en otage. De même lorsque j’ai lu son opinion sur la fameuse application iPhone qui est au centre des débats depuis hier. On présente un avis qui fait autorité, mais on cache qui en est l’émetteur. Et il ne s’agit pas ici du propos d’une source désireuse de ne pas être identifiée parce qu’acteur ou témoin de l’affaire en question, mais d’un avis présenté comme celui d’un expert authentique et incontestable. Maître Eolas n’intervient plus sur un espace personnel qui lui appartient et que j’ai le droit de fréquenter ou non si cela me chante, il intervient inopinément dans un débat public en tant qu’expert, au détour d’une phrase, dans un article d’information générale, et il m’est interdit de savoir qui il est.

Cette situation parait problématique. En tant que lecteur, n’ai-je point le droit de savoir quelle est la personne qui me parle dès lors quelle s’exprime hors de son territoire et que son avis, d’une certain façon, imposé au nom du principe d’autorité ? D’où cette personne me parle-t-elle ? Pourquoi elle et pas une autre ? Si son avis est celui d’un expert pourquoi maintenir l’anonymat ?

L’interrogation est légitime, et c’est pourquoi j’y réponds, nonobstant le caractère récurent de ce débat, sur lequel j’ai déjà écrit en 2006.

Tout d’abord, je récuse le terme d’anonymat, qui ne me semble pas adéquat. Je ne suis pas anonyme, j’ai un nom, et d’ailleurs, il l’utilise : Eolas. Ce nom est un pseudonyme, un nom de plume, et bien d’autres personnes plus talentueuses que moi ont écrit des œuvres bien plus intéressantes que les miennes sous pseudonyme : Montesquieu, Rabelais, Amantine Dupin, mais en aucun cas mes billets ne sont anonymes : ils sont signés, et j’en assume le contenu, erreurs comprises. Je préfère donc parler de pseudonymat.

D’ailleurs, quand je suis cité dans les médias, c’est sous ce nom, et à ma demande quand on me laisse le choix. En effet, si des journalistes me contactent pour avoir un éclairage ou une opinion sur une question juridique, c’est parce que je suis Eolas, avocat et blogueur, non parce que je suis un avocat au barreau de Paris parmi 20.000 autres. C’est ce blog, et son succès depuis 7 ans et demi que je l’ai ouvert, qui me donne ma légitimité. Au demeurant, si je devais m’exprimer sous mon vrai nom, le lecteur ou auditeur se dirait “mais qui c’est ce type, pourquoi est-il consulté sur cette question ?” Car la vérité est terrible pour moi : c’est sous mon vrai nom que je suis anonyme…

En outre, une partie du succès de mon blog repose sur ce choix du pseudonyme, qui exclut tout soupçon de démarche commerciale de ma part, et garantit que j’exprime une opinion personnelle (il va de soi que je ne l’exprimerai jamais sous ce pseudonyme sur un dossier concernant un de mes clients ou pour lequel j’ai été consulté par une des parties).

Dès lors, mon pseudonymat, loin de poser problème, est le fondement de mes interventions publiques.

Mon véritable nom n’apporterait de plus rien au débat. Je suis réellement avocat, les journalistes qui me contactent l’ont vérifié ou tiennent mes coordonnées de confrères qui l’ont vérifié. De plus, je tâche depuis l’ouverture de ce blog de distinguer les faits de mon opinion. Quand j’invoque un texte de loi, je donne un lien vers le contenu de ce texte pour que chacun puisse vérifier par lui-même. Quant à mon opinion, la simple lecture des commentaires de ce blog montrera qu’elle n’est pas prise comme la parole d’un gourou du droit, mais au contraire soumise à la discussion, mes lecteurs ayant un esprit critique aiguisé, et je ne les en aime que plus.

Évidemment, la concision que suppose une intervention à la radio, ou la simplification qui accompagne une citation de mes propos recueillis verbalement m’empêche de faire comme sur ce blog : des explications interminables mais à peu près complètes. Mes interventions médiatiques ont moins de qualité que mes billet, à cause de la loi du genre. Dois-je pour autant cesser de répondre aux questions de la presse ? Je m’y refuse, par équité : je n’hésite pas à esquinter la presse quand j’estime qu’elle fait mal son travail en rapportant de manière incorrecte des informations juridiques. Le moins que je puisse faire est ne pas refuser de donner des explications techniques à un journaliste qui me contacte.

Pour finir, afin que Bruno Roger-Petit ne se sente plus “pris en otage” tel un Hervé Ghesquière ou une Florence Aubenas, revenons sur les deux interventions qui ont motivé son billet.

Sur l’affaire DSK : voici comment les choses se sont passées. Lundi matin, je sortais de France Inter où j’avais participé à l’émission Service Public (vis ma vie de star des médias…) quand je reçois une alerte sur mon téléphone : DSK entendu comme témoin dans l’affaire Banon. Mon sang de pénaliste ne fait qu’un tour : comment peut-on entendre comme témoin celui qui est visé par une plainte. Tristane Banon ne dit pas “quelqu’un a tenté de me violer et DSK a tout vu”, elle dit que c’est lui qui a tenté de la violer. L’entendre comme témoin n’a qu’un effet juridique : cela exclut le placement en garde à vue et par ricochet, la possibilité d’être assisté d’un avocat puisque la police refuse qu’une personne entendue librement soit assistée de son conseil (expérience vécue). Ce qui m’agace, comme mes lecteurs le savent bien, ce d’autant plus que cette pratique est née d’une forfaiture il y a plus d’un siècle.

Je rappelle brièvement. Sous le Code d’instruction criminelle, TOUS les dossiers pénaux relevant d’un délit ou d’un crime devaient obligatoirement passer par un juge d’instruction. L’instruction était à l’époque écrite et secrète : l’inculpé n’avait pas accès au dossier ni à un avocat, et était placé en détention par le juge d’instruction, sans limitation de durée ; mais avec une telle procédure, les instructions ne trainaient pas. En 1897, une grande loi est votée : désormais, l’inculpé peut être assisté d’un avocat qui a accès au dossier. Il ne peut rien faire et doit se taire, mais c’est un début. Ce début n’a pas plu aux juges d’instruction de l’époque qui ont aussitôt trouvé la parade : ne pas inculper immédiatement, mais faire entendre le suspect par la police, en qualité de témoin. Dès lors, pas d’avocat, le futur inculpé se retrouve comme avant : livré à lui-même et au secret. Quand il est inculpé, il a déjà passé des aveux complets, l’avocat ne peut qu’en prendre acte. Le Code de procédure pénale (CPP) qui en 1958 a remplacé le Code d’instruction criminelle a validé cette pratique : tout en maintenant l’interdiction faite au juge d’instruction de faire entendre le suspect par la police (art. 105 du CPP), il consacre la pratique de la garde à vue, en donnant ce temps de huis clos à la police pour faire parler le suspect. Et ce procédé a tellement bien marché par le passé qu’il a donné lieu à des procédures sans instruction, que le CPP valide lui aussi : c’est la procédure de flagrance et l’enquête préliminaire, qui amène un dossier directement devant le tribunal, sans passer par le cabinet du juge d’instruction, infesté d’avocats. C’est pour ça qu’il y a une certaine ironie quand en 2008 le président de la République a annoncé que puisque les procédures sans juge d’instruction (et donc sans avocats) marchent si bien au point de traiter 95% du contentieux, autant supprimer le juge d’instruction.

Je suis donc étonné de cette audition en qualité de témoin, sans avocat, d’autant plus que le témoin prête serment et a l’obligation de déposer. Après une procédure américaine si respectueuse des droits de la défense, je suis agacé de voir que la France reste dans ses pratiques archaïques. Je tweete donc mon ire. Quelques minutes plus tard, mon téléphone sonne : une journaliste web de l’express.fr a lu mon tweet et me demande en quoi cette nouvelle me choque. je lui explique ce que je viens de dire, tout en tirant la langue à la mort, c’est à dire en circulant à vélo dans Paris. Elle en fait un article publié sur le site. Par la suite, une précision a été apportée par les (excellents) conseils de DSK : cette audition a eu lieu “à sa demande”, pour “solder” cette affaire. Fort bien, mais à mon sens, cet accord visait surtout à éviter à DSK l’infamant statut de garde à vue, condition sine qua non en France pour avoir des droits face à la police. Ce d’autant que la police sait entendre un ancien ministre sans le placer en garde à vue et en présence de son avocat, pour peu que le ministre fasse partie de l’actuelle majorité. Il n’y a donc aucun obstacle juridique à cette assistance en audition libre. Je reste donc pour le moins réservé face à cette audition en qualité de témoin.

Voilà donc de quoi rassurer Bruno Roger-Petit : il n’y a pas eu d’avis d’experts radicalement opposés, mais un avis plus éclairé donné par un avocat mieux informé, et sans nul doute plus compétent que moi.

Sur l’appli “Juif ou pas juif”. Dès le lendemain, j’ai été contacté par le nouvelobs.com au sujet d’une application pour iPhone permettant de savoir si plusieurs milliers de personnalités du monde entier étaient juives ou non. Là encore, quand j’ai découvert l’existence de cette application, j’ai tweeté que ce programme violait manifestement la loi française et pouvait engager la responsabilité pénale d’Apple, en tant que complice ou receleur. Le journaliste voulait plus de détails sur mon affirmation et en a fait un article.

Je ne comprends pas ce qui gêne Bruno Roger-Petit : cet article ne cache pas qui est l’émetteur (c’est votre serviteur) et surtout donne l’article de loi concerné : l’article 226-19 du Code pénal, que tout le monde peut consulter. Ce n’est pas une information qui repose sur mon autorité, mais sur le Journal Officiel.

Pour conclure, rappelons une évidence : sur l’internet, ce n’est pas qui vous êtes qui compte, mais ce que vous dites. Le pseudonymat est quelque chose de naturel sur les réseaux, et même une prudence élémentaire face à un support hypermnésique. Il est temps que l’on cesse de le trouver suspect, et cela commencera en cessant de le confondre avec l’anonymat.

lundi 5 septembre 2011

Auditeur gardé à vue

Pour fêter la rentrée, je cède un instant la plume à un élève d’une école. Pas n’importe quel élève, pas n’importe quelle école. Citou, pseudonyme du signataire de ce billet, est un élève magistrat, le terme officiel étant auditeur de justice. Citou m’a fait l’honneur d’être mon stagiaire au cours de sa formation qui prévoit l’exercice de la profession d’avocat pendant 6 mois. Il en a passé une partie à mes côtés, sachant que j’étais également Maitre Eolas (les raisons pour lesquelles il le savait ne vous regardent pas).

Au cours de son stage, j’ai eu une exigence dont j’assume seul la responsabilité. J’ai convenu avec Citou que quand il m’accompagnerait en garde à vue, il n’indiquerait pas aux policiers sa qualité d’auditeur de justice, afin qu’il soit considéré comme un élève avocat. Je l’ai voulu afin que Citou voie comment les policiers se comportent vraiment en présence d’avocats. Je ne voulais pas que s qualité de futur magistrat, possiblement au parquet donc amené à les diriger, fausse leur comportement. Je ne voulais m’offrir des gardes à vue idéales grâce à Citou, mais qu’il voie des vraies gardes à vue, pour qu’il s’en souvienne le jour où il aura à connaître des dossiers en tant que magistrat, notamment des cas où quelque chose se passe mal. Comme vous le verrez, je n’ai pas été déçu.

Son stage terminé, je lui ai demandé un devoir de vacances : écrire un billet pour ce blog racontant ses impressions sur le cas des gardes à vue, puisque son stage a coïncidé avec l’entrée en vigueur de l’intervention de l’avocat. Je le publie tel quel, avec ses petites imperfections (écrire un billet de blog est un exercice de style particulier) et ses compliments immérités à mon égard qui froissent ma légendaire modestie, qui font partie de sa sincérité et de sa spontanéité. Je suis ravi et remercie Citou d’avoir été un témoin crédible de ce que je raconte et qui est parfois mis sur le compte d’affabulations ou d’exagérations.

Je dois à l’honnêteté, qui est une dame que je fréquente plus que je n’ose l’avouer pour tenir ma réputation, que dans la plupart des cas, les gardes à vue se sont passées correctement, sans tension, avec une application rigoureuse de la loi, et même courtoisement. Ce qui n’a pas empêché Citou d’être marqué par la violence qui leur est consubstantielle, car il y a coercition et le gardé à vue est entre les mains de l’officier de police judiciaire. Un peu moins maintenant, même s’il reste du travail.

Je n’ai pas bourré le crâne de Citou, qui a de toutes façons la tête dure comme tout magistrat, je me suis contenté de lui montrer la vérité. Il n’a pas fini anti-flic, pas plus que je ne le suis, il a réalisé les conditions déplorables de travail des policiers qui ont des répercussions sur la dureté de la garde à vue, et je pense que globalement son respect à leur égard s’en est sorti accru. Ce qui n’a pas empêché sa saine colère quand il a assisté à des anecdotes qu’il raconte, dont je confirme la parfaite authenticité, et qui relèveraient a minima d’une procédure disciplinaire. Elles sont minoritaires. J’aurais préféré pouvoir écrire le mot rare à la place, mais hélas…

En tout cas, je me réjouis que quelqu’un comme Citou soit bientôt magistrat. Je ne doute pas qu’il fera honneur à ses fonctions et sera un excellent magistrat. Et ma vanité me fera croire que j’y suis un peu pour quelque chose.

Une fois n’est pas coutume, l’avocat se tait, et cède la parole en dernier au (futur) magistrat.

Eolas


Gardé à vue, je le serai tout au long de ma carrière désormais. Par l’œil invisible de Maître Eolas, par sa voix, future Conscience de mes décisions : « N’oubliez jamais ce que vous avez vu ce soir», « Rappelez-vous toujours de cela quand vous serez juge ou substitut ».

En tout cas, je l’espère.

Je l’espère car cette garde-à-vue, contrairement à celles auxquelles j’ai pu assister à ses côtés, sera saine, protectrice et réconfortante.

Je suis Auditeur de justice, c’est-à-dire élève de l’École Nationale de la Magistrature et, à ce titre, membre du corps judiciaire. Ma formation se déroule en 31 mois, dont les 6 premiers s’effectuent en stage en cabinet d’avocats.

C’est à cette occasion que j’ai pu effectuer des journées de permanence auprès de mon Maître. Des « gardes-à-vue ». Expression que l’on rabâche en cours de procédure pénale tout au long de nos études. « Durée de 24h, renouvelable une fois », c’est ainsi que la règle apparait dans nos gribouillis d’étudiants, sans mesurer la réalité qu’elle recouvre.

Or, cette réalité, je l’ai approchée très rapidement. Et dans une période mouvementée puisque concomitante à l’entrée en vigueur du nouveau régime de la garde-à-vue.

Sur son invitation, je me permets de vous retranscrire mon expérience.

Premier jour de permanence : appel à 19h. Nous sommes attendus au Commissariat du 17ème arrondissement de Paris pour assister un dénommé Monsieur A. Rendu sur place rapidement, je pénètre pour la première fois l’enceinte d’un commissariat accompagné d’un avocat. Comment va-t-il être accueilli ? Comment lui se positionne-t-il par rapport à eux ?

Je suis imprégné de clichés en tous genres, et la réalité me rattrape : nous arrivons au moment des changements d’équipes et une impression de désordre général se dégage. À cela, s’ajoute le constat de conditions matérielles de travail déplorables.

Le PV de notification des droits nous est présenté. Toutes les informations doivent être étudiées minutieusement. Identité du mis en cause, heure de placement, faits reprochés, droits notifiés, avocat demandé (curieusement, il apparaitra parfois que la personne réclame un avocat pour l’entretien confidentiel mais ne souhaite pas en bénéficier pour les auditions. Après explications par l’avocat sur l’assistance à laquelle elle a droit, celle-ci changera toujours d’avis)… Puis, nous suivons le policier pour rencontrer « notre » client, à qui il est reproché des faits d’enlèvement, séquestration et violences volontaires.

C’est alors qu’en passant devant une cellule, je suis témoin d’une scène qui restera comme l’une des plus marquantes de mon stage. Un policier est en train de pratiquer une clé d’étranglement sur un homme, torse nu, rouge et respirant avec difficulté (par la force des choses).

Maître Eolas me fait remarquer que cela apparaîtra dans un PV sous la formule suivante : « Faisons application des gestes et techniques de sécurité en usant de la force strictement nécessaire pour maitriser l’individu ». Certes.

Voir cela est très choquant. J’ignore ce qui a justifié l’utilisation de cette mesure de contrainte, mais je sais simplement qu’elle ne devrait pouvoir être pratiquée. Je saurai m’en rappeler lorsque cette petite phrase anodine figurera dans mes dossiers.

L’entretien avec le client aura lieu dans une cellule vide, faute de local avocat en état (le commissariat est en travaux). Vive la confidentialité. Les policiers font avec les moyens du bord.

Les explications du gardé à vue sur les faits sont embrouillées, la conclusion étant qu’il n’a rien fait et qu’il ne comprend pas sa présence en garde-à-vue. Une nouvelle idée reçue s’effondre : moi qui pensais que l’avocat était le premier confident de ses clients, à qui ils révélaient la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Loin de là, et cela me sera confirmé par la suite.

Or, en l’absence d’accès au dossier, comment confronter le client aux éléments de l’enquête pour préparer au mieux sa défense et la rendre effective ?

Toute la difficulté de l’exercice s’impose à moi. Les incohérences législatives également.

Tant mieux, c’est le but. Je vois les choses d’un œil différent.

Et puis il y a l’empathie ressentie pour la personne, la peur ou la colère qui se dégage d’elle, son visage lorsqu’on lui annonce que la mesure pourrait être renouvelée à nouveau durant 24h, le bruit, la chaleur, l’odeur…

Voilà ce qu’il y a derrière l’expression « 24h de garde-à-vue, renouvelable une fois ». Je la ressens cette durée. Là encore, ne pas oublier.

Pour des raisons de compétence, Monsieur A sera finalement transféré dans un commissariat de la région parisienne. Nous ne l’assisterons donc pas pour ses auditions, un autre avocat prendra le relai.

Des observations sont rédigées par Maître Eolas sur les conditions de la garde-à-vue, et notamment sur le refus d’accès au dossier.

Autre conseil, autre note intérieure : me faire communiquer les éventuelles observations de l’avocat quand je serai substitut de permanence.

Voici venue la fin de cette première garde-à-vue. Je rentre chez moi, je dors. Pendant ce temps Monsieur A est toujours dans sa petite cellule puante.

J’ai assisté à de nombreuses autres gardes-à-vue par la suite, et ai donc été présent aux auditions.

La plupart se sont déroulées de manière très convenable, les policiers n’étant visiblement pas hostiles à la présence de l’avocat et respectant en tout point son rôle, en tout cas tel que défini restrictivement par la loi.

D’autres au contraire m’ont profondément marqué. Il y a notamment cette audition au cours de laquelle on reproche à Monsieur B des faits de filouterie de taxi et d’outrage.

L’infraction de filouterie ne peut être constituée que si la personne se « sait être dans l’impossibilité absolue de payer » ou « est déterminée à ne pas payer » (Article 313-5 du code pénal). Sans cet élément intentionnel, l’infraction ne peut être caractérisée et la garde-à-vue est infondée (les faits supposés d’outrage ayant été commis au cours de la garde à vue, ils ne la justifieraient pas - NdEolas).

Or, au cours de l’entretien confidentiel, Monsieur B nous avait apporté des précisions laissant figurer qu’il n’avait aucunement été animé d’une telle intention. Cela ressortait notamment d’un appel téléphonique qu’il aurait passé à un proche durant le trajet.

A la fin de l’audition, très tendue de par les interventions incessantes et provocatrices d’un officier de police présent dans le bureau, Maître Eolas informe le policier de cet élément, et demande à ce que le téléphone de Monsieur B soit extrait de sa fouille pour vérifier qu’un appel avait bien été passé.

Malgré l’hostilité du commandant présent, le téléphone est apporté. iPhone flambant neuf dont la caractéristique est une faible durée d’autonomie. « Vous voyez, plus de batterie » fait remarquer le commandant avec fierté. Maître Eolas suggère qu’un chargeur de batterie soit prêté, étant donné que sur les trois policiers présents dans le bureau, deux étaient en possession d’un téléphone de marque similaire. Ils répondent tous ne pas en avoir sur place. Étrange. C’est alors que j’ai vu le commandant, qui était dans mon angle de vision sans qu’il ne le sache, dissimuler ce qui m’a semblé être un chargeur d’iPhone. En douce. (NdEolas : je confirme, je l’avais vu sur le bureau en entrant).

J’en suis ressorti révolté. Pourquoi nuire ainsi à la manifestation de la vérité ? Pourquoi vouloir éviter la levée d’une garde-à-vue infondée ? Un sentiment d’injustice s’est emparé de moi, mais il devait être faible à côté de ce qu’a vraisemblablement ressenti Monsieur B. Et l’on ne peut prédire les conséquences d’une telle sensation sur ce dernier.

Bien sûr, un tel comportement de la part d’un policier (haut gradé qui plus est) semble, du haut de ma petite expérience en commissariat, exceptionnel. Mais il a quand même eu lieu.

Note : S’en souvenir lorsqu’un avocat le plaidera devant moi.

Outre cette expérience très gênante, d’autres détails m’ont interpelé au cours de certaines des auditions auxquelles j’ai pu assister. Cette sensation de « rien à voir » entre la façon dont se déroule l’audition et la manière dont elle transparait à la lecture du PV. Également, cette facilité avec laquelle certains policiers soufflent les réponses au gardé-à-vue sans que cela ne figure dans le PV.

Exemple auquel j’ai assisté :

- « A quelle heure es-tu sorti de chez toi aujourd’hui ? » (le tutoiement est souvent de rigueur)

- « je ne sais pas »

- « Eh oh, on le sait hein, ton téléphone a activé telle borne à 10h05. Alors ? »

-« bah, je suis sorti vers 10h05 alors »…

La retranscription sera celle-ci :

« Question : A quelle heure avez-vous quitté votre domicile aujourd’hui ?

Réponse : Vers 10h05. »

Cela semble anodin mais pourrait revêtir une certaine importance selon l’affaire.

Enfin, et cela a déjà été abordé par mon Maître, j’ai été parfois frappé par la mise à l’écart physique de l’avocat. Positionné bien à l’arrière de son client, même dans des bureaux très exigus, de façon à ce que celui-ci en oublie jusqu’à sa présence.

Je ne fais aucune généralité sur les policiers, et ce stage m’a, la plupart du temps, permis de rencontrer des personnes scrupuleuses – parfois trop - tout en me faisant réaliser leurs difficiles conditions de travail. Notre formation prévoit d’ailleurs également un stage aux côtés des services de police et de gendarmerie. Mais il m’a également révélé un certain nombre de situations très regrettables et dont dans tous les cas, je me souviendrai.

Les magistrats ne sont pas en reste à cet égard. Comme ce Président d’audience qui peste contre Maître Eolas ayant déposé des conclusions en nullité de garde-à-vue, et l’incite à les retirer pour gagner du temps.

Ou comme moi-même, face à la lecture d’un dossier dont le mis en cause est renvoyé pour outrage, violences et rébellion. Je n’ai jamais vu le client et j’en ai malheureusement une image toute faite, celle de la « petite frappe de banlieue ». La claque quand celui-ci arrive au cabinet, poli, intimidé, confiant son angoisse, absorbant les conseils…J’ai honte.

Note : Se départir de ses propres clichés + derrière chaque dossier il y a une personne, une vraie.

Ce stage s’est ainsi révélé capital sur bien des plans. Je n’en ai ici abordé qu’une infime partie, axée sur la garde-à-vue, et n’ai pas décrit la difficulté, au quotidien, du métier d’avocat. Cette indescriptible attente, en permanence, partout. Ces heures de préparation anéanties en quelques secondes à l’audience par le client ou pour un renvoi. Les appels à 5h du matin. Ce client sous crack très agressif. Les conseils non suivis, notamment le très prudent « Taisez-vous ou dites la vérité, mais ne mentez jamais ». Le paiement des permanences, des honoraires. La déception du délibéré. La gestion des absurdités législatives… Cela devrait faire l’objet d’un article distinct.

J’ai avant tout souhaité décrire mon ressenti en tant que futur magistrat. Le bilan du stage est, me semble-t-il, très positif. Il l’a été pour nombre d’auditeurs de justice de ma promotion. Le fonctionnement de la justice vu d’un autre œil. L’œil qui, je l’espère, nous gardera tous à vue. A perpétuité.

Citou

lundi 25 juillet 2011

Garde à vue et blues des bleus

Le Journal Officiel Figaro, sous la plume de Laurence de Charette, nous gratifie encore d’un grand moment de journalisme (comprendre l’art de signer de son nom les communiqués de presse rédigés par le gouvernement), qui me fournit l’occasion rêvée pour faire un nouveau point sur la garde à vue, deux mois, à une semaine près, après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

L’article de Laurence de Charette, intitulé L’Intérieur s’alarme de la baisse des gardes à vue, expose unilatéralement un point de vue présenté comme celui de la police et du ministère de l’intérieur. Que ce soit celui de l’Intérieur, je veux bien le croire, cela fait longtemps que la Place Beauvau est chez elle boulevard Haussmann. Que ce soit celui de la police, cela suppose déjà que les policiers n’aient qu’une opinion unique, et est contredit par mon expérience. Que des policiers n’apprécient pas la réforme et le fassent sentir, je confirme. Mais cela reste une exception, la majorité oscillant entre faire contre mauvaise fortune bon cœur et une opinion plutôt favorable à l’usage.

L’angle de l’article est simple et de nature à caresser l’électorat du Figaro dans le sens du poil : la réforme a fait baisser le nombre de gardes à vue et moins de gardes à vue entraîne une baisse des élucidations. C’est du bon sens n’est-ce pas ? Donc c’est faux, comme 9 fois sur 10 avec le bon sens.

Ce n’est pas la réforme qui a fait baisser le nombre de gardes à vue. Juridiquement, il n’y a aucune différence entre l’avant et l’après : les mêmes faits peuvent vous mener en garde à vue (tout délit passible d’une peine d’emprisonnement). Rappelons que le problème n’était pas la garde à vue en elle-même (quand bien même il en était fait un usage abusif, leur nombre ayant doublé en dix ans, soit depuis leur prise en compte dans la politique du chiffre), mais le fait qu’elle se déroule sans l’assistance d’un avocat.

C’est un choix politique qui a abouti à cette baisse : le coût de l’intervention d’un avocat (358 euros par garde à vue, 538 en cas de prolongation) rendait le même rythme trop coûteux, et des instructions ont été données pour privilégier les procédures sur convocation, la fameuse audition libre qui ne dit pas son nom mais existe bel et bien.

Donc le ministère de l’intérieur vient pleurer sur l’épaule accueillante du Figaro sur les conséquences de sa propre décision. Et le Figaro, ayant le choix entre l’analyse et tendre un mouchoir, opte pour la boîte de Kleenex.

Deuxième approximation, le taux d’élucidation. Il faut savoir que c’est la police ou la gendarmerie elle-même qui décide si une affaire est ou non élucidée. Ils ont arrêté un suspect, qui nie ou garde le silence mais pensent que c’est lui : élucidé. De fait, tous les dossiers qui parviennent sur mon bureau sont considérés comme élucidés (c’est écrit sur la première page, le Compte-Rendu d’Infraction qui résume le dossier en une page), quand bien même les prévenus ne sont pas encore jugés. Y compris les dossiers où j’obtiens la relaxe de mon client, donc où personne n’est reconnu coupable. Donc merveille des statistiques : envoyer un innocent devant le tribunal compte pour une affaire élucidée. Il n’y a aucun retour auprès des forces de police sur les suites données au dossier. Vous voyez à ce compte là que la baisse du taux d’élucidation n’est pas forcément une mauvaise nouvelle…

Dans la série rions un peu avec les chiffres bidons, on apprend que les gardés à vue gardent le silence dans 40% des cas. Remercions-les d’abord de veiller à assurer un chiffre parfaitement rond, pas-la-moitié-mais-presque. C’est gentil, ça facilite le calcul de tête. Ce chiffre est bidon, tout simplement parce qu’aucun récollement de données n’a lieu sur ce sujet, qu’aurait-il lieu, ce n’est pas en deux mois qu’on aurait des données fiables, et que la majorité des gardés à vue à qui je conseille de garder le silence déclarent garder le silence… avant de répondre aux questions que les policiers leurs posent quand même, “pour le principe”. Ces statistiques sont donc certifiées par l’INP, l’Institut National de Pifométrie.

Je souris aussi à l’anecdote de l’avocat se sauvant au moment où son client va faire des aveux. Vieille ruse d’avocat, en effet : nous laissons toujours un cheval sellé sous la fenêtre du tribunal pour nous enfuir en sautant par là si on sent que notre client va reconnaître les faits. C’est très difficile à réaliser lors des procès de bandes organisées, où 10 accusés peuvent avouer en même temps un braquage : dix avocats sautant en robe par la fenêtre, ça demande de la coordination. À Lille, la foule se presse toujours sous les fenêtres de la cour d’assises les jours où Maître Mô défend un accusé n’ayant pas encore avoué, son saut de l’ange étant réputé de Marcq-en-Barœul à Sainghin-En-Mélantois, des touristes venant en bus de Mouscron pour y assister.

Plus sérieusement, nous ne saurons rien de cette anecdote. Il faudrait inventer un métier qui consisterait à vérifier des informations et à expliquer les faits avant de les publier : ça se fait bien dans d’autres pays. Toujours est-il que ce confrère fend-la-bise ignorait visiblement que l’article préliminaire du CPP rend inefficaces les aveux reçus sans que l’intéressé ait pu s’entretenir avec un avocat et être assisté par lui. S’il a eu cette possibilité, mais que son ineffectivité est due à l’avocat qui arrive trop tard ou part trop tôt, les aveux sont valables et Strasbourg n’y trouvera rien à redire.

L’article bascule dans le saumâtre quand l’auteur rend hommage à l’imagination des enquêteurs pour faire échec à la présence de l’avocat, c’est à dire… à la loi.

D’où l’imagination dont font preuve certains enquêteurs pour tenter de se débarrasser de l’avocat pendant le fil de la garde à vue, en peaufinant des stratégies d’«épuisement» de l’intrus. «L’une des techniques consiste à commencer par une première audition en milieu d’après-midi, et à la faire traîner en longueur en multipliant les questions périphériques. Puis on fait une pause et on explique à l’avocat que l’on reprendra en début de soirée, raconte un policier. Il n’est pas rare qu’il nous appelle plus tard en disant que finalement, il ne reviendra pas.»

Je confirme la réalité du procédé. J’ai déjà été convoqué à 3h du matin, après une audition s’étant terminée à 21h00, pour que mon client s’entende poser trois questions sans intérêt pour le dossier. 5 allers et retour au commissariat en 3 jours, et une comparution immédiate dans la foulée. J’ai fini lessivé, mais je suis toujours venu. Je peux vous confirmer à la tête de l’OPJ qu’il ne s’y attendait pas. Ces pratiques devraient avoir disparu, le parquet de paris en ayant eu vent et ayant demandé aux policiers de fixer un calendrier des auditions avec l’avocat. Devinez quel syndicat de policier a gueulé ?

La parade est simple : donner pour instruction ferme au client de ne faire aucune déclaration en notre absence. Rien, pas un mot.

La liste des doléances du ministère de l’intérieur continue : les policiers ne savent pas quelles pièces il faut donner aux avocats (la réponse étant à l’article 63-4-1 du CPP, qui n’est pas bien compliqué, mais le plus simple, face à la compatibilité douteuse de ce texte avec la CEDH étant de donner à l’avocat toutes les pièces qu’il réclame puisqu’il n’y aucune bonne raison de le lui refuser) ; ils ne savent pas s’il faut attendre et combien de temps l’avocat pour les auditions suivantes (alors qu’il suffit de le prévenir suffisamment à l’avance pour qu’il prenne ses dispositions et le problème est réglé, même si c’est incompatible avec l’astuce policière de l’épuisement de l’avocat qu’on a déjà vue) ; enfin la charge procédurale s’alourdit avec “10 PV de formes supplémentaires” dans chaque procédure. 10, notez le chiffre rond, là aussi. Le Président n’est pas réputé aimer les virgules.

Là encore, un journaliste aurait vérifié, mais au Figaro, visiblement, on photocopie les fax reçus de la place Beauvau et c’est bouclé.

La réforme de la procédure ne fait pas dresser de PV de forme supplémentaire. L’ancienne procédure prévoyait : un PV de notification de la mesure et des droits associés ; si un avocat était demandé, un PV mentionnant l’envoi de la demande d’avocat, puis un PV mentionnant l’entretien avec l’avocat, avec en annexe les observations éventuelles de celui-ci, qu’il a rédigées lui-même. Point. Soit 3 PV.

La nouvelle procédure exige un PV de notification de la mesure et des droits associés ; si un avocat était demandé, un PV mentionnant l’envoi de la demande d’avocat, puis un PV mentionnant l’entretien avec l’avocat, avec en annexe les observations éventuelles de celui-ci, qu’il a rédigées lui-même. Point. Soit 3 PV. Notez la différence.

La présence de l’avocat au cours des auditions fait l’objet d’une mention d’une ligne dans le PV d’audition, les questions que nous posons éventuellement sont mentionnées dans le PV lui même. Où sont les 10 PV supplémentaires par procédure ? Je les cherche encore. Si quelqu’un a des infos, qu’il les faxe au ministère de l’intérieur, qui transmettra au Figaro.

S’il y a une inflation de paperasse, c’est dû au Gouvernement lui-même, qui a créé un nouveau formulaire de garde à vue de 7 pages (WARNING : Comic Sans inside), contre 1 pour l’ancien. Je me demande si ces 7 pages + les 3 PV ordinaires ne font pas les mystérieuses 10 nouvelles pages, mais les 7 pages ne sont utilisées qu’en cas de prolongation exceptionnelle de la mesure pour terrorisme, donc l’hypothèse la moins courante.

À ce propos cher confrères, embellissons un peu les procédures. Vous trouverez ci-dessous deux fichiers pdf des formulaires de garde à vue modifiés, où l’ignoble police Comic Sans a été remplacée par Arial, la police utilisée pour les reste du document. Ces formulaires, sans prétendre à ravir l’esthète, éviteront de mettre cette verrue qu’est le Comic Sans dans les dossiers où vous interviendrez.

Alors, comment ça se passe, concrètement ?

Globalement, de mieux en mieux. La présence de l’avocat est devenue une partie normale de la procédure. Parlons donc des cas où ça se passe mal, les plus intéressants.

Certains policiers continuent à faire de la résistance. Dans certains cas, cela confine à l’hostilité. Les signes de cette hostilité sont généralement les suivants :

- Un collègue du policier est présent, généralement debout, sans rien dire, à observer ostensiblement l’avocat. Il est là pour témoigner en cas d’incident, ne prenant aucune part à la procédure. Sa présence n’est bien sûr jamais mentionnée sur le PV. J’ai même eu un cas où un officier était présent, intervenait et provoquait mon client, exigeant que les réponses à ses provocations soient mentionnées au procès verbal (mais pas ses propres propos, naturellement). La parade est simple : j’ai noté avec la fidélité d’une sténo tous les propos tenus par ce commandant, et je les ai versés dans mes observations écrites annexées au PV, que j’ai interdit à mon client de signer naturellement. Les policiers n’ont rien pu dire, j’étais accompagné d’une stagiaire qui a assisté à toute la scène et a beaucoup appris du métier ce jour là.

- La chaise de l’avocat est installée le plus loin possible du gardé à vue et hors de son champ de vision. Record : 3m, dans un petit bureau, c’était un exploit. Là dessus, je suis désormais intraitable. Ma place est à côté du gardé à vue, et si le policier n’est pas content, qu’il fasse un incident et appelle le procureur de permanence, qui sera ravi-ravi de traiter ces problèmes d’intendance. N’oubliez pas chers confrères que si la 48e heure approche, la menace des policiers de suspendre l’audition pour en référer au parquet est du vent : ils sont pris à la gorge par les délais. Si nous nous laissons faire, la prochaine étape sera de nous installer dans le couloir.

- L’avocat se voit notifier l’interdiction d’intervenir au cours de l’interrogatoire, ses observations étant réservées pour la fin. Là encore, chers confrères, c’est illégal et inacceptable. L’article 63-4-3 du CPP est très clair :

L’audition ou la confrontation est menée sous la direction de l’officier ou de l’agent de police judiciaire qui peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser immédiatement le procureur de la République qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre avocat.

À l’issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste, l’avocat peut poser des questions. L’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut s’opposer aux questions que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête. Mention de ce refus est portée au procès-verbal.

À l’issue de chaque entretien avec la personne gardée à vue et de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté, l’avocat peut présenter des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions refusées en application du deuxième alinéa. Celles-ci sont jointes à la procédure. L’avocat peut adresser ses observations, ou copie de celles-ci, au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue.

C’est en vain que vous chercherez où la loi interdit à l’avocat d’ouvrir la bouche s’il le juge nécessaire. Et pour cause, ce serait contraire à la CEDH. La seule obligation est d’attendre la fin pour poser nos questions (obligation dont je fais un usage plutôt libéral, une question demandant des précisions ayant un sens à un moment donné). D’ailleurs, certains policiers refusent que nous posions des questions à quelqu’un d’autre que notre client. Illégal, là encore.

Seule une question de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête peut être refusée (mais elle doit être mentionnée). Il faut donc le faire, et noter dans nos observations la question que nous avons voulu poser et les motifs du refus. Le procureur de Paris s’est cru autorisé, après les arrêts du 15 avril, à prendre une circulaire d’instructions (n°CSG/2011/923/JCM/ALMPC du 15 avril 2011) indiquant que l’avocat devait rester taisant au cours de l’audition. En réponse, j’ai moi-même pris une circulaire (EOLAS/2011/WTF/LOL du 15 avril 2011) indiquant que le procureur devait rester taisant à l’audience. J’appliquerai la circulaire du parquet quand il appliquera la mienne.

L’avocat doit intervenir chaque fois qu’il l’estime nécessaire pour la défense. En fait, exactement comme dans un cabinet de juge d’instruction. Ses interventions doivent être mentionnées au procès verbal, naturellement. Si l’OPJ estime que par son attitude, l’avocat perturbe illicitement le déroulement de l’audition(j’entends que dire à son client de ne pas répondre à une question n’est pas illicite puisqu’il s’agit d’un conseil portant sur l’exercice d’une droit de la défense considéré comme absolu) voire tente de saboter l’audition, c’est le moment pour lui de faire usage de la procédure prévue à l’article 63-4-3 al.1 : il interrompt l’interrogatoire, téléphone au procureur de la République ou au juge d’instruction si la garde à vue a lieu sur commission rogatoire, qui décide… s’il y a lieu ou non de saisir le bâtonnier. En effet, seul le bâtonnier a ici autorité pour rappeler son confrère à l’ordre, ou le rappeler à l’Ordre en envoyant un autre avocat. Le fait qu’un OPJ vous menace de demander un autre avocat est du vent : il n’en a pas le pouvoir, il y a un double filtre. À Paris, un membre du Conseil de l’Ordre est de permanence 24h24, 7j/7 pour traiter ces difficultés (demandez le numéro de portable au bureau pénal).

Robe ou pas robe ?

La tendance est à pas la robe, surtout pour des raisons pratiques (c’est à ça de moins à transporter). Je suis de l’école avec : j’estime être dans l’exercice de mes fonctions judiciaires. Les policiers apprécient l’effort et la marque de respect, les clients aussi, et quand vous tombez en confrontation face à un confrère de l’école avec, vous vous épargnerez une remarque de votre propre client). Et ça évite d’être confondu avec le client à la fin de l’audition.

Le décret sur la rémunération de l’avocat est paru le 6 juillet dernier, et j’ai effectivement été payé de mes interventions depuis le 15 avril. Attention aux nouvelles règles : le formulaire reste avec la procédure jusqu’à la fin de la GAV, puis sera envoyée à l’Ordre pour le règlement. À Paris, une navette va être mise en place pour faire le tour des commissariats, en attendant, il nous faut emporter le formulaire à l’issue de la dernière audition ; mais le plus simple serait que le formulaire accompagnât la procédure et que le magistrat qui la réceptionne le transmette à l’Ordre par le courrier interne. Attention, si plusieurs avocats se succèdent (remplacement sur ordre du bâtonnier, ou avocat ne répondant pas remplacé d’office), seul le dernier avocat est rémunéré (à charge pour les avocats d’appliquer les règles de partage d’honoraires le cas échéant).

Si les policiers qui me lisent veulent narrer comment ça se passe pour eux et surtout, parlons des trains qui arrivent en retard, les problèmes et difficultés qu’ils rencontrent avec certains confrères, je les lirai avec intérêt. En tout cas, plus d’intérêt que le Figaro.

vendredi 8 juillet 2011

Question de priorité

par Dadouche [1]


Ca sentait pas bon.

Que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant les assesseurs du Tribunal pour enfants, soulève d’office la question de l’impartialité du juge des enfants présidant le tribunal pour enfants avait mis la puce à l’oreille des spécialistes. Surtout s’agissant d’une question que la Cour de Cassation avait refusé de transmettre au Conseil Constitutionnel.
Les spécialistes ne sont pas déçus du voyage.

En effet, si le Conseil constitutionnel,dans sa décision de ce matin valide la présence d’une majorité de magistrats non professionnels au sein du Tribunal pour Enfants, il considère que la présidence du Tribunal pour Enfants par le juge des enfants qui a instruit le dossier et décidé du renvoi du mineur devant la juridiction porte atteinte au principe d’impartialité des juridictions.

C’est un véritable pavé dans le marigot du droit pénal des mineurs, qui va faire grincer beaucoup de dents et, sans doute mettre un joyeux bazar. Mais parfois les pavés peuvent avoir aussi du bon.

Reprenons les choses dans l’ordre

Le 4 mai 2011, la Cour de Cassation a transmis au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative la constitutionnalité “des articles L. 251-3 et L. 251-4 du code de l’organisation judiciaire relatifs à la composition du tribunal pour enfants en ce qu’ils portent atteinte au droit à un procès équitable et à une juridiction impartiale dès lors qu’ils autorisent des juges non professionnels en proportion majoritaire dans une formation collégiale, à prendre part à une délibération susceptible de conduire à une peine privative de liberté”

En effet, le Tribunal pour Enfants, seule juridiction pour mineurs qui peut prononcer des sanctions pénales, est composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs non professionnels.

Ces assesseurs ne sont pas des jurés tirés au sort comme en Cour d’Assises et bientôt (enfin, jamais si l’on en croit Robert Badinter) en correctionnelle.
Ils sont nommés pour 4 ans auprès d’un tribunal pour enfants par arrêté du Ministre de la justice, après avoir été choisis sur une liste présentée par le Premier Président de la Cour d’appel concernée et composée de personnes “qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences”. Ils prêtent serment avant d’entrer en fonction.

Une précédente décision du Conseil Constitutionnel, relative aux juges de proximité, avait ouvert la voie à cette question prioritaire de constitutionnalité. En effet, dans sa décision du 20 janvier 2005 relative à la loi créant notamment les juges de proximité et prévoyant leur présence en correctionnelle, le Conseil avait raisonné ainsi :
- l’article 66 de la constitution dispose que c’est l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, qui assure le respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu
- cette disposition interdit que des mesures privatives de liberté puissent être prononcées par une juridiction qui ne serait composé que de juges non professionnels (et donc non membres de l’autorité judiciaire)
- cette disposition n’interdit en revanche pas que des juges non professionnels siègent dans une juridiction pénale de droit commun
- cependant pour garantir suffisamment à la fois l’indépendance de cette juridiction et sa compétence, la proportion de juges non professionnels dans les formations correctionnelles de droit commun doit rester minoritaire

En gros, un juge non professionnel ça va, deux ou trois, bonjour les dégâts.

Le suspense était donc à son comble : les assesseurs du TPE sont majoritaires dans la composition, mais le TPE n’est pas une juridiction de droit commun puisqu’elle a été créée spécifiquement pour juger les mineurs. De quel côté allait pencher le Conseil ?

Roulement de tambour…

Spécificité du droit des mineurs : 1 / Principes généraux de la procédure : 0.

Voici les considérants concernés :

4. Considérant qu’aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, si ces dispositions s’opposent à ce que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction qui ne serait composée que de juges non professionnels, elles n’interdisent pas, par elles-mêmes, que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges ;

5. Considérant, toutefois, qu’en ce cas, doivent être apportées des garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d’indépendance, indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi qu’aux exigences de capacité, qui découlent de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; que, s’agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels doit rester minoritaire ;

6. Considérant d’une part, qu’en vertu de l’article L. 251-1 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal pour enfants est une juridiction pénale spécialisée qui « connaît, dans les conditions définies par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, des contraventions et des délits commis par les mineurs et des crimes commis par les mineurs de seize ans » ; que, dès lors, en prévoyant que siègent dans cette juridiction, en nombre majoritaire, des assesseurs non professionnels, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ;

7. Considérant, d’autre part, que l’article L. 251-4 prévoit que les assesseurs sont nommés pour quatre ans et « choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences[2] » ; que l’article L. 251-5 précise qu’ils prêtent serment avant d’entrer en fonction ; que l’article L. 251-6 dispose que la cour d’appel peut déclarer démissionnaires les assesseurs qui « sans motif légitime, se sont abstenus de déférer à plusieurs convocations successives » et prononcer leur déchéance « en cas de faute grave entachant l’honneur ou la probité » ; que, dans ces conditions, s’agissant de ces fonctions d’assesseurs, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d’indépendance indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires ni les exigences de capacité qui découlent de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, l’article L. 251-4 du code de l’organisation judiciaire, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, est conforme à la Constitution ;


Le Conseil Constitutionnel valide en effet la composition majoritairement non professionnelle du TPE en poursuivant ainsi le raisonnement de 2005 ;
- pour être conformes aux exigences constitutionnelles, dans les juridictions pénales de droit commun la proportion de juges non professionnels doit rester minoritaires
- le tribunal pour enfants est une juridiction spécialisée, qui connaît des infractions commises par les mineurs
- ce n’est donc pas une juridiction pénale de droit commun
- la présence d’une majorité d’assesseurs n’est donc pas en soi contraire aux exigences constitutionnelles
- et ce d’autant plus que la façon dont ils sont choisis (pour leur compétence en la matière), nommés (par arrêté, avec prestation de serment) et éventuellement révoqués (en cas de faute entâchant l’honneur ou la probité) garantit suffisamment leur indépendance et leur compétence

En gros, dans une juridiction pénale spécialisée qui fait appel à des compétences particulières (ici sur les questions relatives à l’enfance), on peut faire appel à des non professionnels, même majoritaires, pourvu qu’ils ne puissent pas être nommés par copinage et qu’on puisse s’en débarrasser s’ils sont malhonnêtes.

Ca aurait pu s’arrêter là et les esprits les plus tordus auraient pu immédiatement commencer à rêver à la future décision du Conseil Constitutionnel saisi aujourd’hui de la loi instituant la présence de jurés en correctionnelle.

Las.

Par une lettre du 9 juin, le Conseil Constitutionnel avait soumis aux parties un grief susceptible d’être soulevé d’office.[3]

Il s’agissait en réalité d’une QPC dont la Cour de Cassation avait refusé la transmission au Conseil Constitutionnel par le même arrêt qui avait transmis la QPC sur les assesseurs[4].
Voici la motivation de la Cour de Cassation sur cette non transmission:

Attendu que le demandeur argue de l’inconstitutionnalité de l’article 8 de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, en ce que le juge des enfants peut tout à la fois diligenter des poursuites en saisissant le tribunal pour enfants et présider cette juridiction, ce qui porte atteinte aux droits à un procès équitable et à une juridiction impartiale garantis par la Constitution ;
Attendu que la seule disposition législative invoquée n’emporte pas les conséquences juridiques critiquées par le demandeur[5] ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel


C’est en réalité une question que beaucoup se posent depuis longtemps, et dont la résolution n’est pas simple.

Le juge des enfants est un juge spécialisé. Il a été “inventé” dans l’ordonnance de 45 pour avoir une plénitude de juridiction sur la situation d’un mineur, qu’il peut suivre aussi bien dans le cadre de l’assistance éducative qu’au pénal.
Au pénal, le juge des enfants, saisi par le Procureur de la République, est d’abord juge d’instruction. Il met en examen le mineur et peut procéder à toutes les investigations nécessaires non seulement sur la personnalité du mineur mais également sur les faits qui lui sont reprochés. C’est lui qui décide ensuite le renvoi du mineur devant une juridiction de jugement (juge des enfants ou Tribunal pour Enfants) ou un éventuel non lieu.
C’est ensuite lui qui juge le même mineur, dans le même dossier, soit en tant que juridiction “juge des enfants” en cabinet, où il ne peut prononcer que des mesures éducatives[6], soit en tant que président du Tribunal pour Enfants, qui peut prononcer des sanctions pénales.
C’est ensuite toujours le même juge des enfants qui exerce, à l’égard du même mineur, les fonctions de juge de l’application de peines.

Or, pour les majeurs, les dispositions du code de procédure pénale interdisent rigoureusement qu’un magistrat ayant poursuivi ou instruit un dossier puisse ensuite le juger[7].
Le juge d’instruction, qui mène l’enquête puis évalue s’il existe des charges suffisantes pour renvoyer devant une juridiction de jugement, ne peut en aucun cas siéger ensuite dans la juridiction qui décide si la culpabilité est établie.
Les dispositions de la CEDH sur le procès équitable et notamment l’accès à un juge impartial interdisent évidemment qu’il en soit autrement.
La décision du Conseil Constitutionnel du 2 février 1995 ne dit pas autre chose :

5. Considérant qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’en vertu de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; qu’il implique, notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ; qu’en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle ;


Mais alors, personne n’avait lu l’ordonnance de 45 ou quoi ?

Que nenni chers lecteurs. C’est même un vieux serpent de mer.

Ainsi, par un arrêt du 7 avril 1993, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait validé la présidence du TPE par le juge des enfants qui a instruit le dossier, au motif que cette dérogation aux règles prévalant pour les majeurs était justifiée par “un souci éducatif” lié à la spécialisation du juge des enfants et qu’un éventuel soupçon d’impartialité était contrebalancé par la collégialité de la juridiction et la possibilité d’appel. Ce raisonnement a été repris dans un arrêt du 8 novembre 2000.

La position ultra majoritaire des juges des enfants était la suivante :
“le principe de spécialisation de la justice des mineurs est destiné à garantir que les décisions seront prises par un juge qui connaît bien le mineur, avec une certaine cohérence. C’est plus important que de garantir une séparation de l’instruction et du jugement, d’autant que les affaires de mineurs c’est jamais compliqué et qu’il n’y a presque jamais d’investigations supplémentaires sur les faits”.

En gros, comme une conversation avec un gamin :
- “Mais puisqu’on te dit que c’est mieux pour toi !”
- “Pourquoi c’est mieux ?”
- “Parce que c’est pour ton bien !”

Cette position était en apparence confortée par une décision de la CEDH rendue le 24 août 1993 dans une espèce qui concernait la justice néerlandaise (Nortier c/ Pays Bas).
Dans cette affaire, le juge des enfants de l’autre pays du fromage avait statué sur le placement en détention provisoire du mineur à quatre reprises, avait ordonné un examen psychiatrique et s’était prononcé sur l’existence d’ “indices sérieux” contre le mineur, qu’il avait ensuite jugé et condamné.
La Cour avait considéré que l’on ne pouvait considérer comme objectivement justifiée la crainte que le juge manquât d’impartialité compte tenu de ce que les questions tranchées avant le jugement ne coïncidaient pas avec celles qu’il avait du traiter en se penchant sur le fond, même à juge unique.
Dans un bel ensemble (pas unanime mais presque), les juges français lancèrent un grand “ouf” et s’accrochèrent à l’idée que “aux Pays Bas c’est comme chez nous”.

En oubliant par exemple que la Cour avait relevé dans sa décision que le juge des enfants néerlandais n’avait, en l’espèce, pas usé de ses pouvoirs de juge d’instruction, d’autant plus que le mineur reconnaissait les faits.

L’alerte aurait pu venir de la décision rendue le 2 mars 2010 dans une affaire concernant la Pologne.

Pour ne pas me lancer dans un paraphrase stérile, je reproduis ci-après certains attendus de cet arrêt du 2 mars 2010 (Affaire Adamkiewicz c. Pologne, Requête n° 54729/00) :

102. La Cour observe que l’ordonnance rendue à l’issue de l’instruction préliminaire et par laquelle le juge aux affaires familiales a déféré le requérant au tribunal pour enfants se fondait sur le constat de ce magistrat selon lequel « les éléments rassemblés au cours de l’instruction indiquaient que le requérant était auteur des faits ». Vu la teneur de cette ordonnance, force est de constater que la question sur laquelle ce magistrat avait statué avant l’ouverture de la phase juridictionnelle de la procédure coïncidait dans une large mesure avec celle sur laquelle il a dû ensuite se prononcer en tant que membre de la formation de jugement du tribunal pour enfants. Ainsi, il peut difficilement être affirmé que ledit magistrat n’avait pas d’idée préconçue sur la question sur laquelle il a été appelé à se prononcer ultérieurement en tant que président de la formation de jugement du tribunal pour enfants (voir, en ce sens Werner c. Pologne, no 26760/95, 15 novembre 2001, § 41). Du reste, le Gouvernement l’a également admis dans ses observations. 103. La Cour relève également que dans l’affaire Nortier c. Pays-Bas citée ci-dessus, un problème s’est posé quant à l’impartialité du tribunal, dans la mesure où toute la procédure dirigée contre le requérant mineur s’était déroulée devant le même magistrat. Toutefois, dans cette affaire, il a été jugé que l’article 6 § 1 de la Convention n’avait pas été violé, dès lors notamment que le juge en question n’avait presque pas entrepris d’activité d’instruction, le requérant ayant reconnu sa faute dès le début de l’instance (Nortier, §§ 34-35 et 38). 104. Contrairement à l’affaire Nortier, dans la présente affaire le juge aux affaires familiales a fait durant l’instruction un ample usage des attributions étendues que lui conférerait la loi sur la procédure applicable aux mineurs. Ainsi, après qu’il ait décidé d’office de l’ouverture de la procédure, ce juge avait lui-même conduit la procédure de rassemblement des preuves à l’issue de laquelle il avait décidé du renvoi du requérant en jugement. 105. La Cour note également qu’en l’espèce, pour justifier la pratique consistant à confier au magistrat ayant conduit l’instruction préliminaire l’exercice subséquent de la fonction juridictionnelle au sein du tribunal pour enfants dans la même affaire, le Gouvernement s’est référé à la nature singulière de la procédure concernant les mineurs. 106. La Cour admet que, du fait de la nature spécifique des questions que la justice des mineurs est amenée à traiter, elle doit nécessairement présenter des particularités par rapport au système de la justice pénale applicable aux adultes. Toutefois, il n’incombe pas à la Cour d’examiner in abstracto la législation et la pratique internes pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées à un requérant dans une affaire donnée ou l’ont touché a enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, précité, § 21). 107. La Cour se réfère ici à son constat de violation de l’article 6 de la Convention à raison de l’atteinte aux garanties d’équité lors de l’instruction conduite par le juge aux affaires familiales. Compte tenu de ce constat, la Cour ne décèle pas dans quelle mesure le fait que ce même magistrat ait subséquemment présidé la formation de jugement du tribunal ayant déclaré le requérant auteur des faits pouvait en l’espèce contribuer à assurer la meilleure protection de l’intérêt supérieur de l’enfant que le requérant était alors. 108. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’exigence d’un tribunal impartial.

Ce qui donne, (très) grossièrement résumé :
- oui d’accord en 93 on a dit que le juge qui a renvoyé le dossier peut le juger, mais il n’avait pas contribué à rassembler les preuves de la culpabilité
- alors que là quand même il a signé une décision désignant le mineur comme l’auteur des faits avant de le juger pour ces faits
- vous êtes bien gentils les gars de tout justifier par la spécificité nécessaire de la justice des mineurs, mais faudrait quand même nous expliquer pourquoi c’est forcément mieux pour les gamins d’être jugés par quelqu’un qui a déjà une idée sur leur culpabilité
- il est pas impartial votre juge aux affaires familiales, allez zou circulez y’a plus rien à voir

Finalement, on s’aperçoit que la vraie question est la suivante : est-il davantage de l’intérêt du mineur d’être jugé par un juge qui ne connaît pas le dossier et est objectivement impartial ou d’être jugé par un juge qui le connaît bien, peut prendre les décisions les plus adaptées mais a déjà sa petite idée sur la culpabilité ?

Ce n’est pas une question simple.

Le droit pénal des mineurs français est fondé depuis 1945 sur la spécialisation du juge des enfants et sa connaissance de la personnalité du mineur, qu’il suit par ailleurs parfois en assistance éducative.
La primauté de l’éducatif, la nécessité d’une grande souplesse dans la mise en oeuvre des mesures pour coller le plus possible à la situation par nature évolutive du mineur, tout cela explique les choix qui ont été faits en 45 dans un texte assez révolutionnaire.
L’intérêt supérieur du mineur a justifié beaucoup de choses, y compris le non respect de la loi.
L’ordonnance de 1945 autorise en effet explicitement les juges des enfants à ne pas respecter les dispositions de droit commun du code de procédure pénale en permettant l’enquête “par voie officieuse”[8].
On avait donc admis dès le départ l’idée que les garanties procédurales apportées aux mineurs pouvaient être moindres que celles prévues pour les adultes quand c’était “pour leur bien”.

Elle est peut-être d’ailleurs finalement aussi là cette spécificité de la justice des mineurs qu’on évoque si souvent.

La décision rendue aujourd’hui va sans doute heurter bon nombre de juges des enfants, extrêmement attachés à ce principe cardinal de connaissance de la personnalité du mineur[9].

En voici les considérants sur ce point :

8. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles ;

9. Considérant, d’autre part, que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu’en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;

10. Considérant que l’ordonnance du 2 février 1945 susvisée, dont sont issues les dispositions contestées, a institué un juge des enfants, magistrat spécialisé, et un tribunal des enfants présidé par le juge des enfants ; que le juge des enfants est, selon l’article 7 de cette ordonnance, saisi par le procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel le tribunal des enfants a son siège et qui est seul chargé des poursuites ; qu’en vertu de l’article 8 de cette même ordonnance, le juge des enfants se livre à « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation » ; que cet article dispose, en outre, qu’il peut « ensuite, par ordonnance, soit déclarer n’y avoir lieu à suivre et procéder comme il est dit à l’article 177 du code de procédure pénale, soit renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants » ; qu’aucune disposition de l’ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne fait obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu’il a instruites ;

11. Considérant que le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation ; que, toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ; que, par suite, l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est contraire à la Constitution ;


Le Conseil Constitutionnel, rappelant les différentes dispositions de l’ordonnance de 1945 qui font du juge des enfants un juge d’instruction, constate qu’aucune disposition de l’ordonnance de 45 n’interdit au juge des enfants de participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites.
Il fait apparemment une différence entre le juge des enfants statuant en tant que juridiction de jugement, qui ne peut prononcer que des mesures éducatives et pourrait, semble-t-il, statuer dans des dossiers qu’il a instruits, et le juge des enfants président du TPE, juridiction qui peut prononcer des sanctions pénales, qui ne peut participer au jugement des affaires qu’il a instruites.
La frontière de l’impartialité se situerait donc non sur la déclaration de culpabilité mais sur la possibilité ou pas de prononcer une mesure privative de liberté.
C’est du moins ce que j’en comprends, mais je ne suis pas constitutionnaliste.

Dans cette deuxième mi-temps, on a donc spécificité de la justice des mineurs : 0 / principes généraux de la procédure : 1

Pour être complet, précisons que le Conseil Constitutionnel a ainsi déclaré que l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui fixe la composition du TPE sans préciser l’impossibilité pour le juge des enfants qui a instruit le dossier d’être le juge des enfants qui préside le TPE, est contraire à la Constitution. en principe, Une disposition déclarée contraire à la constitution en application d’une QPC est en principe abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil. En l’occurence, cela reviendrait à supprimer le Tribunal pour enfant (puisque le texte qui en définit la composition n’existerait plus). C’est pour éviter cette conséquence fâcheuse (et, pour le coup, très contraire à l’intérêt de tous les mineurs) que le Conseil a, comme la Constitution le lui permet, fixé au 1er janvier prochain 2013 la date d’abrogation.
Jusqu’à cette date, il serait à mon sens préférable que les juge des enfants appliquent immédiatement le principe défini sans attendre une nouvelle loi, mais je crains que cette position ne fasse pas l’unanimité.

Match nul ?

Est-ce la fin de la justice des mineurs, ou en tout cas un de ses jours les plus sombres, comme certains de mes collègues commencent à se lamenter[10] ?
Un coup-fourré pour démanteler le tribunal pour enfants, alors que le parlement vient d’inventer, sur idée du gouvernement, le tribunal correctionnel pour mineurs ?

Il me semble que cet affolement est prématuré.
D’abord parce qu’il n’est pas exact que les mineurs ne soient jugés devant le TPE que par le juge des enfants qui les connaissent. Dans les juridictions d’une certaine taille, il est instauré un système de permanence qui peut conduire un juge des enfants à mettre en examen et/ou juger en TPE un mineur qu’il ne connaît ni des lèvres ni des dents[11]. Ca n’est jamais très confortable parce que cela demeure rare, mais ça existe.
Ensuite, parce qu’on peut ressentir un réel malaise, dans des dossiers contestés, à présider une juridiction de jugement qu’on a soi même saisie. Quand l’avocat commence à plaider “Comme je l’avais indiqué, sans succès, à Madame le Président lors de la mise en examen”, c’est moyennement plaisant.
Enfin, parce qu’il me semble que l’ordonnance de 45 est un texte obsolète sur un plan purement procédural
Les exigences constitutionnelles et européennes en matière de libertés publiques et de procédure pénale n’ont en effet cessé d’évoluer depuis 1945. Les majeurs bénéficient de garanties toujours plus fortes, avec par exemple le développement du contradictoire dans la procédure d’instruction, qui sont de fait déniées aux mineurs pour lesquels on pratique encore beaucoup la “procédure officieuse”, qui relève de l’oxymore.
La société s’est judiciarisée, la réponse pénale aux actes délinquants des mineurs est systématique. Beaucoup de faits qui auraient donné lieu à une grosse engueulade par le maréchal des logis chef du coin finissent devant le délégué du procureur ou le juge des enfants. Les conséquences ne sont plus les mêmes. Les garanties apportées aux mineurs doivent en conséquence aussi évoluer.
Il nous appartient, à nous qui tentons de faire rentrer dans la tête de ces gamins à coup de mesure éducative voire de peines de prison, le caractère impératif de la loi, de la respecter nous mêmes, même si elle ne nous arrange pas, même si on trouve “ce serait tellement mieux si…”. Je crois que l’intérêt supérieur des mineurs est aussi là, particulièrement alors que certains encourent des peines planchers importantes.
Je suis la première à dire qu’on ne peut pas traiter les mineurs comme les adultes, que les principes qui fondent l’ordonnance de 45 (notamment la spécialisation des juges et la primauté de l’éducatif) sont essentiels et, qui plus est, les seuls efficaces pour lutter contre la délinquance des mineurs.
Mais il me semblerait paradoxal que, à force de traiter les mineurs différemment des adultes, on les traite moins bien.
Question de priorité.

NB : ne manquez pas de surveiller le blog Parole de Juge, où Michel Huyette, grand spécialiste de la justice des mineurs tendance légaliste, ne manquera pas (je l’espère ardemment) de faire une note sur le sujet

Edit le 9 juillet : Ne manquez pas non plus l’avis opposé mais passionnant et éclairé de Jean Pierre Rosenczweig, président du Tribunal pour Enfants de Bobigny

Notes

[1] avec le soutien du service de documentation du Conseil Constitutionnel, qui a mis en ligne un dossier très fourni. Parce que s’il fallait compter sur la Chancellerie…

[2] en pratique, on trouve parmi les assesseurs beaucoup d’enseignants, psychologues, éducateurs ou professionnels de santé

[3] j’ignorais qu’il pouvait faire ça, mais c’est en tout cas prévu par son règlement intérieur

[4] Si toi aussi tu trouves que ça se complique…

[5] et pour cause, puisque ce que le Conseil Constitutionnel va sanctionner, c’est en réalité l’inexistence d’une disposition dans le Code de l’organisation judiciaire

[6] pour un exemple concret, voir l’excellent “Soyez le juge” sur le sujet

[7] oui, il y a des articles de code quelque part, désolée, je les ai pas sous la main, je fais un peu ça dans l’urgence, mais please faites moi confiance

[8] article 8 de l’ordonnance de 45 : le juge des enfants procédera à une enquête, soit par voie officieuse, soit dans les formes prévues par le chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale = soit en ne respectant pas le code de procédure pénale soit en le respectant. précisons que les actes qui conduisent à des mesures de contraintes (mandat, contrôle judiciaire, détention provisoire) doivent impérativement être faits selon les règles du CPP

[9] Beaucoup réagiront sans doute de manière épidermique, prenant celà comme un insulte à leur professionnalisme, qui leur permet évidemment de toujours rester objectif, comme les parquetiers ont pris l’arrêt Winner comme un crachat en pleine gueule

[10] j’ai même entendu “ah mais ça va faire beaucoup plus de travail, il va falloir passer plus de temps à préparer des dossiers qu’on ne connaîtra pas”. Je précise qu’il s’agit d’une position non pas minoritaire mais unique !

[11] Oui, je SAIS que c’est “ni d’Eve ni d’Adam” mais ça m’a toujours fait rire comme ça

lundi 27 juin 2011

La guerre de l'accès au dossier n'aura pas lieu (car elle est déjà gagnée)

La parole est à la défense.

Qui commencera par rendre hommage au travail de Gascogne et à travers lui du procureur général Robert, qui fait régner le désespoir sur les bancs de la défense dans tout le ressort de la cour d’appel de Riom[1] qui m’ont fourni pour la première fois en deux ans de bataille judiciaire une argumentation étayée sur la garde à vue. Jusqu’à présent, l’argumentation la plus juridique que j’aie eue était “la procédure respecte le Code de procédure pénale donc les conclusions de Maître Eolas doivent être rejetées”, ce qui revenait à assassiner la hiérarchie des normes (je me plaignais précisément qu’on ait appliqué le code de procédure pénale alors que j’invoquais la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui lui sont supérieurs) et je n’aime pas les assassinats sauf quand c’est moi qui suis en défense.

Merci, monsieur le procureur, merci mon général, donc.

Mais vous avez tort.

L’erreur commis par les tenants du “pas d’accès au dossier en garde à vue” repose essentiellement à mon sens sur un malentendu sur la portée exacte de l’accès au dossier. C’est en quelque sorte le tout ou rien : cet accès devrait être intégral ou inexistant, et comme il ne peut être intégral pour tous, que ce soit pour des raisons matérielles (le dossier n’est pas physiquement constitué, ou il est trop gros) ou juridiques (des éléments doivent être cachés pour ne pas gêner l’enquête), il doit donc être refusé pour tous, CQFD.

Et de citer des jurisprudences de la CEDH qui admettent des refus d’accès au dossier pour démontrer que ce refus peut être conforme à la Convention, ce que je ne conteste pas, mais il doit être l’exception, et ne peut être opposé en cas d’incarcération.

Dissipons donc d’entrée ce malentendu.

Rappelons la règle édictée par la Cour, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, cité par Gascogne, notamment son §32.

“l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir tout la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer”.

La Cour a même poussé la gentillesse jusqu’à donner la clef pour interpréter cet arrêt et tous ceux qu’elle a rendu sur le sujet, dans un arrêt très ancien, Artico c. Italie de 1980 (§33), auquel elle renvoie expressément dans l’arrêt Imbroscio c. Italie, arrêt cité par Gascogne, mais pas sur ce point là (il se trouve au §38) :

La Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs; la remarque vaut spécialement pour ceux de la défense eu égard au rôle éminent que le droit à un procès équitable, dont ils dérivent, joue dans une société démocratique.

Voilà la règle d’interprétation : face à un choix, il faut privilégier celui permettant un exercice concret et effectif que celui aboutissant à des droits symboliques et imparfaits. C’est simple, clair et limpide. Or je mets a udéfi quiconque de m’expliquer comment je puis, conrètement et effectivement, et non de manière illusoire, préparer un interrogatoire, et organiser la défense, si on m’interdit l’accès au dossier. Le procureur général Robert ne répond pas à cette question : il se contente de dire : c’est possible, des arrêts l’admettent.

La Cour de cassation, dans ses arrêts d’assemblée plénière du 15 avril 2011, reprend à son tour cette règle, précisant ainsi que c’est elle qui l’a poussée à exiger une présence immédiate de l’avocat, renversant la jurisprudence de la chambre criminelle du 19 octobre 2010 :

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;

Si on perd de vue cette règle de la recherche de l’effectivité et du concret, on s’égare. C’est, je le crains, la première erreur du procureur général Robert. La seconde étant sur la portée de l’accès au dossier, j’y reviendrai.

D’abord, quand l’avocat doit-il avoir accès au dossier ?

Ce droit d’accès ne s’impose qu’en cas de privation de liberté, donc de garde à vue. C’est le sens de l’arrêt Horomidis c. Grèce cité par Gascogne. Une personne entendue librement ne peut revendiquer cet accès au nom de la CEDH, mais elle peut, et à mon sens doit, revendiquer son droit de garder le silence, au nom de cette même CEDH. La règle est simple : pas de déclaration à la police sans possibilité d’assistance par un avocat et accès au dossier. Donnant donnant. Notons que rien, absolument rien n’interdit de laisser une personne entendue librement d’être assistée d’un avocat et que celui-ci ait accès au dossier. C’est le prix que nous devons exiger pour accepter que nos clients se prêtent à un interrogatoire qui peut aboutir à les incriminer dans des faits graves. C’est folie de la part d’un avocat de laisser son client parler, même en sa présence, sans savoir ce qu’on lui reproche et quels sont les éléments à charge contre lui. Sauf à considérer que le rôle d’un avocat est d’être le témoin muet du naufrage de son client, son rôle n’étant de prendre la parole que quand il est trop tard. En somme, un retour à l’avocat du XIXe siècle.

Je vois déjà mes lecteurs magistrats, et surtout les parquetiers, bondir sur le formulaire de commentaires. Un petit mot d’explication pour eux, et pour les curieux.

Se taire n’est pas un aveu de culpabilité. Tant que des policiers et des magistrats français raisonneront ainsi, les erreurs judiciaires auront de beaux jours devant elles. Se taire est une mesure de prudence, tant que l’on ne sait pas avec certitude ce qui nous est reproché et sur quels fondements. Faire des déclarations à l’aveugle, en toute bonne foi, pour disisper les soupçons peut être le meilleur moyen de creuser sa propre tombe, même quand on n’a rien fait. Surtout quand on n’a rien fait.

Je cite Michel Huyette, magistrat, qui tient le très bon blog “paroles de juges”, qui cite l’hypothèse d’aveux obtenus sur un bluff d’un policier, qui a dit au gardé à vue qu’un mis en cause avait avoué les faits, ce qui était faux :

Le policier, même s’il a dit quelque chose de mensonger, n’a utilisé aucune violence ni physique ni psychologique. Il n’a aucunement malmené le gardé à vue, assisté rappelons le de son avocat. Il a seulement utilisé un petit truc, pas vraiment méchant, qui a eu pour conséquence que l’auteur d’un braquage a reconnu sa participation. Si c’est la vérité, elle a émergé d’un interrogatoire qui a été conduit sans pression malsaine contre l’intéressé, sinon l’avocat aurait aussitôt réagi et exigé une mention au dossier. Et l’on peut penser que, rassuré par la présence de son avocat, si le second gardé à vue est innocent il sait que le policier ment et il n’a aucune raison d’admettre sa participation.

Un petit truc pas vraiment méchant. Mais le magistrat continue aussitôt par “si c’est la vérité”, admettant que cet aveu peut être faux. Et le seul garde-fou qu’il oppose à ce risque d’erreur, c’est la seule présence physique de l’avocat, censé rassurer assez le gardé à vue pour le mettre à l’abri des pressions psychologiques. Sauf que l’avocat est censé se taire tout le long de l’interrogatoire, et quand il s’avise de prononcer un mot, l’OPJ menace de le faire remplacer par le parquet, comme la loi l’autorise. Ça, ce ne sont pas des droits effectifs et concrets. C’est de la pensée magique :what could possibly go wrong?.

Mais persévereront certains, croire que quand on est en garde à vue pour des faits qu’on n’a pas commis, on peut dire des choses qui vont nous enfoncer est absurde. À ceux là, je conseille la lecture de ce billet de Maitre Mô, sur la garde à vue d’un enseignant accusé de viol par une élève. Le récit date de l’époque d’avant la présence de l’avocat. Mais reprenez ce récit en imaginant que Me Mussipont puisse rester mais sans pouvoir parler sous peine d’être viré de la procédure. Cela change quelque chose ? Puis imaginez que Me Mussipont puisse, avant d’aller parler à son client, lire le PV de plainte de Dalila, et en communiquer la teneur à son client. Dans quels cas les droits de la défense seront-ils concrets et effectifs, dans quel cas la fausseté de l’accusation serait le plus aisément révélé ? Et n’aurait-il pas mieux fait, ce gardé à vue, de se taire jusqu’à ce qu’il ait enfin accès à ces informations avec son avocat ?

Et pour conclure sur ce point, je vais citer un magistrat américain, le Justice Robert H. Jackson (1941-1954), qui fut juge au tribunal de Nuremberg, et qui écrivit dans un arrêt Watts v. Indiana, 338 U.S. 49 (1949) que

Tout avocat digne de ses honoraires dira au suspect, dans des termes dépourvus de toute ambigüité, de ne pas faire de déclaration à la police quelles ques soient les circonstances[2].

Les anglophones parmi vous pourront se régaler de cette passionnante conférence de James Duane, professeur de droit et ancien avocat pénaliste, où il démontre avec brio et humour pourquoi il faut faire sienne cette devise. Vous pourrez également écouter l’intervention d’un policier qui lui répond… qu’il a raison.

Mais nous nous égarons. Revenons à la garde à vue.

La revendication d’accès au dossier ne doit pas s’entendre d’un accès intégral à toutes les informations. Certaines sont cachées, et ce jusqu’au bout, à la défense, avec la bénédiction de la Cour de cassation. Par exemple, les informateurs, qui préviennent par des coups de fil anonymes qu’un délit va se commettre à tel endroit. Belle hypocrisie, les policiers savent généralement très bien qui est l’auteur de ce coup de fil, qui est souvent un informateur. Mais cette information est cachée, pour des raisons de sécurité, et aucun juge n’a jamais fait preuve devant moi de curiosité à cet égard, puisque de toutes façons par définition, le tuyau était bon.

De même, les actes en cours, et ceux à venir, n’ont pas à figurer au dossier, qui par nature ne contient que des pièces constatant des actes déjà accomplis. Donc en aucun cas nous n’exigeons de tout savoir. Juste les éléments pertinents concernant notre client, ce qui peut se résumer par : tous les éléments à charge contre lui justifiant la mesure de garde à vue.

Rappelons en effet que depuis le 1er juin, l’article 62 du Code de procédure pénale précise que

S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63.,

et que l’article 62-2 du Code de procédure pénale dispose désormais que

[La garde à vue] doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :

1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;

3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;

6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Ce sont des conditions de légalité de la mesure : raisons plausibles et nécessités légales. L’avocat doit être en mesure, et dès ce stade, d’en contrôler la réalité et le bien fondé (et, mais c’est une autre histoire, de les contester sans délai devant un juge). Les droits de la défense doivent être concrets et effectifs, vous vous souvenez ? Or dire à l’avocat “vous pouvez rester, mais primo vous vous taisez, secundo, vous ne saurez pas pourquoi on a placé votre client en garde à vue, ce sera la surprise pour lui et vous lors de l’audition”, ce n’est pas permettre un exercice concret et effectif de ces droits.

À quelles pièces l’avocat doit-il avoir accès ?

Cela dépend des hypothèses.

La plus simple et la plus fréquente est l’enquête de flagrance : le suspect est en garde à vue pour un délit qui vient de se commettre. Les actes pertinents sont le procès verbal de saisine-interpellation quand les policiers ont constaté eux-même des faits, la plainte de la victime supposée, et les éventuelles auditions de témoins quand il y en a, naturellement dans la mesure où ces auditions ont déjà eu lieu et que les policiers sont susceptibles de les opposer au gardé à vue. Étant précisé que si entre l’entretien de début de garde à vue et l’audition plusieurs heures ont passé qui ont permis ces auditions, il faut laisser à l’avocat le temps d’en prendre connaissance et d’en parler avec son client. Et ne venez pas me chercher des poux dans le tête (ils sont tous morts de froid depuis longtemps) avec les questions d’organisation : le gardé à vue passe la plupart de la garde à vue seul en cellule, il peut au besoin nous y recevoir, ce n’est pas le temps qui manque.

L’enquête préliminaire, qui est une enquête menée par la police sous la direction du parquet, sans ou avec très peu de mesures coercitives possibles (la garde à vue en fait partie). Là, on peut se trouver face à un dossier très volumineux, dont il est matériellement impossible de prendre connaissance en 30 minutes ni même en plusieurs heures. Eh bien laissez-nous nous débrouiller. On sait nous aussi repérer les PV intéressants, les rapports de synthèse, les auditions pertinentes. On fait ça tous les jours lors des permanences mises en examen. Et si le dossier est beaucoup trop complexe, c’est le signe qu’il ne relève pas d’une garde à vue dans le cadre d’une enquête de flagrance mais d’une instruction, où les droits de la défense sont mieux garantis, et ce depuis 115 ans. Donc qu’il faut faire un usage généreux du droit de garder le silence jusqu’à ce qu’enfin on ait pu prendre connaissance de ce dossier.

L’instruction enfin. Ici, on est dans une hypothèse différente, puisque c’est un juge d’instruction qui contrôle, et de fait autorise la garde à vue. Il y a eu une enquête approfondie en amont, et on en est au “coup de filet”, les suspects, parfois surveillés depuis longtemps, sont interpellés. Leur mise en examen est probable, et la détention provisoire n’est pas une hypothèse absurde. Et surtout, le dossier d’instruction n’est pas matériellement présent, il est au cabinet du juge d’instruction et n’a pas le droit d’en sortir. Il existe un double qui peut se ballader mais il n’est pas censé aller plus loin que le service reprographie. En outre, il peut y avoir des milliers de pages d’écoutes téléhoniques absconses et des actes par centaines. Cet accès est souvent matériellement impossible, je l’admets. Dans ce cas, je vois deux solutions. La douce : le juge d’instruction, qui est juge impartial, prévoit une copie des pièces pertinentes à communiquer à l’avocat et les envoie au commissariat. La forte : pas un mot en garde à vue. Cette dernière a ma préférence car elle est facile à mettre en place et plus conforme à l’esprit de la loi de 1897, qui a posé l’interdiction de faire entendre un mis en examen par un policier (art. 105 du CPP), l’usage de la garde à vue pré-inculpation étant apparu pour faire échec à cette règle (v. François Saint-Pierre, le Guide de la défense pénale, Ed. Dalloz, n°112.41).

Enfin, laissons de côté la théorie juridique, aussi passionnante soit-elle. Pour achever de démontrer l’absurdité du système actuel, qui plus encore que sa non conformité signe son décès rapide, voici les scènes auxquelles on peut assister dans les commissariats. Ces trois scènes sont réelles.

Scène 1 : je suis appelé pour assister un gardé à vue soupçonné de violences conjugales. Il va être confronté à la plaignante. Je demande à relire le PV de notifcation des droits, le certificat médical de mon client confirmant que son état de santé est compatible avec cette mesure, et les PV d’audition de mon client pour me raffraichir la mémoire. Je vois l’OPJ sortir le dossier, qui est une pile de feuilles format A4 glissées dans une chemise format A3, l’ouvrir, et feuilleter les PV un par un pour sortir ceux auxquels j’ai accès, et pas les autres. Il y passe une à deux minutes. S’il me passait le dossier, je ne lui ferais pas perdre son temps et je me débrouillerais avec. Je ne sais pas ce que raconte la plaignante, et ne peux en discuter avec mon client pour qu’il m’apporte des précisions me permettant le cas échéant de souligner les incohérences et contradictions de son récit, ce qui serait pourtant bon pour la recherche de la vérité, qui n’est pas forcément l’ennemi de l’avocat, loin de là. Les droits de la défense concrets et effectifs, je ne les vois pas ici.

Scène 2 : Je suis appelé pour assister une plaignante dans une affaire de violences conjugales. Elle va être confrontée au gardé à vue. Je peux demander cette fois à lire la plainte de ma cliente, mais pas les auditions du gardé à vue (son avocat peut les lire, mais il ne peut pas lire la plainte de ma cliente ; je vous assure que pour nous, avocats habitués au contradictoire, c’est une aberration). L’OPJ va donc soigneusement sortir les PV que nous pouvons chacun lire, et s’assurer que nous ne nous les échangeons pas, ce que nous avons fortement envie de faire (et on s’en dira le contenu dans le couloir de toutes façons). Les droits de la défense des victimes sont eux aussi bafoués, ce qui est paradoxal quand on entend les discours victimaires de l’actuel majorité ; mais c’est le prix à payer pour faire obstacle aux droits de la défense : il faut aussi en dépouiller les victimes.

Scène 3 : la confrontation commence. Que ce soit dans le 1er ou la 2e affaire, savez-vous par quoi commence TOUJOURS une confrontation ? Par la lecture de la plainte de la plaignante et de la déposition du gardé à vue. Ces mêmes PV pour lesquels on a pris toutes les précautions pour nous interdire de les lire, on nous les lit à présent : dame ! bien obligé, puisqu’il faut que nos clients y réagissent. On marche sur la tête.

Vous voyez l’absurdité du système, au-delà de sa non conformité à la Convention. Les policiers à qui je le fais remarquer en conviennent, mais ils obéissent aux instructions reçues, et ne doutent pas que ça changera bientôt. En attendant, on a réussi à repousser encore un peu un exercice concret et effectif des droits de la défense, et cela, dans notre République, est considéré comme une victoire.

Ce système est intenable. Que ce soit sous la pression de la CEDH, de la Cour de cassation à présent qu’elle a adopté une position plus conventionnelle, ou peut-être des juridictions du fond qui vont en avoir assez d’être les dernières à appliquer le droit alors qu’elles sont en première ligne, cet accès au dossier, fut-il limité et encadré, mais concret et effectif pour ce dont la défense a besoin dans le cadre de la garde à vue, est inéluctable.

Et en attendant, nos seuls armes sont des observations au dossier, des conclusions ou requêtes en nullité, et surtout le droit au silence, qui est un moyen de pression très efficace, pour peu que nos clients suivent nos conseils sur ce point.

La question n’est pas allons-nous gagner, mais quand ? Le plus tôt sera le mieux. Amis magistrats, à vous de jouer.

Notes

[1] C’est à dire des barreaux de Riom, Clermont-Ferrand, Cusset, Montluçon, Moulins, Aurillac et du Puy-En-Velay.

[2] any lawyer worth his salt will tell the suspect in no uncertain terms to make no statement to police under any circumstances.

dimanche 12 juin 2011

Parfois, l'herbe est plus verte ailleurs

Il va de soi que je relève le gant que Gascogne m’a jeté avec son précédent billet. D’ores et déjà, qu’il soit sincèrement remercié, car c’est la première fois, je ne mens pas, depuis deux ans que je dépose des conclusions critiquant l’état du droit des gardes à vue qu’un parquetier m’oppose des arguments juridiques étayés.

Pendant que je fourbis ma réponse, je vous invite, que dis-je, je vous ordonne d’aller lire le dernier billet de Maître Mô. Il est long mais se lit comme un roman policier, et vous permettra de vous glisser dans la peau d’un avocat pénaliste pour comprendre cette profession. L’image caricaturale du pénaliste cynique défendant sciemment des coupables en mentant effrontément ne devrait pas y survivre. Je vous invite aussi à méditer longuement la note n°6, surtout si vous êtes magistrat ou appelé à être juré.

J’ai eu aussi mon Ahmed, j’en ai même eu plusieurs, et on n’est plus jamais le même avocat après avoir connu ça. On en sort démoli ou meilleur, du moins je l’espère.

Comme d’habitude, je mets un avertissement. C’est un billet qui secoue, notamment les certitudes, les faits sont durs et violents. Âmes sensibles, ne vous abstenez pas mais soyez averties. Il est long aussi. Prévoyez 20à 30 mn pour le lire. Mais il se lit d’une traite.

Bravo à Mô, il a dû falloir du courage pour l’écrire, mais je sais que certains billets sont comme des thérapies.

Au Guet-Apens, chez Maître Mô

jeudi 9 juin 2011

La guerre de l'accès à l'intégralité du dossier en garde à vue aura-t-elle lieu ?

“Par Gascogne”


En quelques années, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est devenue une Pythie, en charge d’interpréter un texte très large, et à qui chacun veut faire dire ce qu’il souhaite entendre. L’exécutif français a attendu d’être au pied du mur pour faire modifier la législation sur la garde à vue, et continue d’ailleurs dans le même sens en ce qui concerne les dispositions pénales relatives au séjour irrégulier des étrangers en France[1]. Les atermoiements des pouvoirs exécutifs et judiciaires ont conduit à la pagaille que l’on connaît depuis quelques semaines, et qui n’est pas près de s’éteindre.

De l’autre côté, les avocats, qui sont à l’initiative des divers recours et questions prioritaires de constitutionnalité ayant conduit aux changements législatifs actuels, tentent de pousser un peu plus l’avantage, en obtenant ce que la loi ne leur a pas encore donné en matière de garde à vue : je ne parle pas d’une rémunération correcte, mais de l’accès à l’intégralité du dossier d’enquête. Et pour justifier cette demande, la plupart d’entre eux s’appuie sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Dont il font une lecture qui relève plus de la divination ou de la méthode Coué que de l’analyse. Mais comme dirait quelqu’un que je connais, une affirmation n’a jamais valu argumentation. Alors plongeons nous dans les joies de l’analyse jurisprudentielle européenne[2].

A titre préliminaire, il faut en revenir au texte lui même, base du travail du juriste : l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose que

Tout accusé a droit notamment à :

a.être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;

b.disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c.se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;

C’est beaucoup en terme de droits fondamentaux, mais textuellement, c’est tout. Tout personne faisant l’objet de poursuites pénales a le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix.

On remarquera tout d’abord que l’article 6 ne parle que du droit à un procès équitable, ce qui en terme purement sémantique se rapporte donc à la phase de jugement, pas à celle de l’enquête. C’est l’article 5 de la convention (droit à la liberté et à la sûreté) qui se rapporte à la phase présentencielle, et particulièrement celle de l’arrestation. Les juges de Strasbourg ont cependant décidé dans le cadre du pouvoir d’interprétation qui est celui de tout juge d’étendre cette protection à la phase d’enquête, sur la base de l’article 6, depuis l’arrêt Imbriosca c. Suisse du 24 novembre 1993, qui soulignait que cet article “peut jouer un rôle avant la saisine du juge au fond si et dans la mesure où son inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès”. Autrement dit, le droit à un procès équitable commence avant la phase d’audience dans la mesure où cette phase risque de compromettre le droit à un procès équitable.

Cette jurisprudence ne s’est jamais démentie, et le désormais fameux arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 a repris le même raisonnement, exactement dans les mêmes termes (et oui, tout n’a pas commencé avec cet arrêt, mais bien près de 20 ans auparavant). Plus encore, cet arrêt mettait en avant la “vulnérabilité” de la personne en garde à vue qui devait être compensée par l’assistance d’un avocat “dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé à ne pas s’incriminer lui même”. Bref, la Cour fait de l’avocat un garant du droit de se taire.

Il faudra attendre l’arrêt Dayanan c. Turquie le 13 octobre 2009 pour avoir une définition un peu plus précise du rôle de l’avocat dans le cadre de la garde à vue. Les juges estiment ainsi que “l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir tout la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer”.

Il n’est là nul part écrit que l’avocat doit avoir dès ce stade un accès total au dossier de la procédure, étant par ailleurs précisé qu’en France, la garde à vue d’une personne peut intervenir à divers moments de l’enquête, le “dossier” n’étant pas nécessairement formalisé comme il peut l’être à l’instruction[3].

Alors sur quoi s’appuient les tenants de l’accès à l’intégralité du dossier en garde à vue pour le réclamer. Pas uniquement sur l’arrêt Svipsta c. Lettonie, du 9 mars 2006.

En effet, un arrêt Lamy c. Belgique du 30 mars 1989 (Oui, vous avez bien lu, 1989), avait déjà indiqué qu’il existait un droit de communication aux “pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention”.

Aucun des arrêts concernés ne traite de l’accès au dossier en garde à vue, mais à un stade plus avancé de la procédure, à savoir une détention provisoire dans le cadre notamment d’une instruction judiciaire. Et il ne viendrait jamais à l’idée en France à un procureur normalement constitué (Warning : appât à Troll) d’utiliser pour motiver des réquisitions de détention provisoire des pièces de procédure dont l’avocat de la défense n’aurait pas eu connaissance. L’article préliminaire du code de procédure pénale consacre d’ailleurs ce principe du contradictoire, qui paraît tout à fait naturel aux parquetiers[4].

Mieux : dans ce même arrêt Svipsta, la Cour affirme qu’existe “la nécessité d’une conduite efficace des enquêtes pénales, ce qui peut impliquer qu’une partie des informations recueillies durant ces investigations doivent être gardées secrètes afin d’empêcher les accusés d’altérer des preuves et de nuire à la bonne administration de la justice”. Un avocat qui a connaissance des pièces de procédure ne peut les cacher à son client, cela serait contraire à sa déontologie (que les quelques avocats qui me lisent me contredisent, si je m’égare dans cette matière que je ne maîtrise pas). Ce n’est donc pas leur faire injure que de leur dire qu’ils n’ont pas à avoir accès à l’ensemble du dossier, à ce stade de la procédure.

Le 27 juillet 2006, la Cour, dans son arrêt Horomidis c. Grèce, allait plus loin, concernant un requérant qui n’était pas incarcéré, et qui n’avait pas eu accès à l’intégralité du dossier le concernant, dans le cadre d’une instruction préparatoire : Pas de violation de la convention alors que “la procédure litigieuse n’est pas encore terminée, car aucune décision interne définitive portant sur les accusations qui pèsent sur le requérant n’est encore rendue. Or, à la lecture du dossier, la Cour ne saurait admettre que le seul refus d’accès au dossier, que les autorités compétentes ont opposé au requérant jusqu’au jour où ce dernier fut appelé à un interrogatoire, ait pu influencé en soi, à ce stade de la procédure, le caractère équitable du procès”.

Donc, toujours le même critère, évalué au cas par cas par la Cour. En l’état de la procédure, le refus d’accès à l’intégralité du dossier a-t-il pu influencer le droit à un procès équitable ?

A ce stade, en ce qui me concerne, je reste bien évidemment très humble. La jurisprudence n’est pas une science exacte, et je ne sais pas si la France sera condamnée sur ce point précis, dans un dossier donné, puisque la Cour statue au cas par cas. Mais tout ce que je sais en l’état de mes pauvres connaissances, c’est qu’une condamnation n’est en rien acquise, la Cour Européenne des Droits de l’Homme sachant parfaitement faire la part des choses entre les droits fondamentaux opposés que sont le droit à la sécurité pour les plaignants et le droit à une procès équitable pour les mis en cause. Car aucun de ces deux droits n’est supérieur à l’autre.

Je ne doute pas que l’on ne me dira plus que j’ai piscine, manière de dire que je n’argumente jamais, ou alors par allusion. En ce qui me concerne, cela fait un moment que je soupe des tribunaux correctionnels qui suivent des argumentaires par allusions, sans se plonger dans la véritable jurisprudence de la Cour Européenne, grand mal de nos juges nationaux. Mais je n’en veux pas aux avocats, qui ne font que leur travail.

En guise de conclusion, et pour éviter que l’on me serve à nouveau le désespérant argument du corporatisme, je vais me permettre de me ranger sous la bannière d’un avocat, qui n’a pas trop mal réussi en politique : Robert BADINTER, qui a tenu les propos suivants lors du débat au Sénat sur la réforme de la garde à vue :

Pour autant, madame la garde des sceaux, la présence de l’avocat n’implique pas la communication intégrale à celui-ci du dossier de l’enquête de police. Ceux qui ne connaissent pas assez bien la procédure accusatoire sont trop souvent victimes d’une confusion à cet égard : rappelons que l’obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu’au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une simple raison plausible de soupçonner qu’il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n’était jusque-là qu’un gardé à vue. Il s’agit alors d’un degré de gravité tout à fait différent, et l’avocat, qui devient dans ce cas le défendeur à l’action publique, doit évidemment avoir accès à toutes les pièces du dossier en vertu du principe du contradictoire. C’est un principe et une jurisprudence constants.” Mais, au stade de la garde à vue, la seule exigence est de communiquer les éléments du dossier –procès-verbaux, déclarations – qui justifient le placement en garde à vue. Dès lors, tout est simple et clair : il suffit de courage politique pour briser cette espèce de pesanteur multiséculaire qui accable notre justice dans ce domaine. Le temps est venu d’y remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Permettez que je rajoute les applaudissements d’un modeste parquetier aux propos du grand homme.


Mise à jour du 12 juin par Eolas : les liens vers les arrêts de la CEDH marchent désormais.

Notes

[1] En l’occurrence, c’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui a œuvré en ce sens

[2] Que Marc ROBERT, procureur général près la Cour d’Appel de Riom, soit vivement remercié : j’ai puisé sans vergogne dans son extraordinaire travail d’analyse du 2 mai 2011 sur le sujet, qu’il a bien voulu mettre en ligne sur le site intranet de sa Cour

[3] Où les avocats n’ont d’ailleurs pas accès aux actes en cours, sans que cela n’ait posé le moindre problème jusqu’à présent

[4] parfois moins à certains avocats qui versent des conclusions dactylographiées de nullité à l’audience sans en avoir au préalable fait parvenir un jeu au parquet

vendredi 3 juin 2011

La Cour de cassation enterre (enfin) les gardes à vue du passé

La Cour de cassation a rendu le 31 mai quatre arrêts (un, deux, trois, quatre) qui apportent la dernière pierre à l’édifice, difficile à mettre en place, de la réforme de la garde à vue. Non pas que l’édifice soit terminé, puisque dès aujourd’hui, date d’entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue, les avocats, et votre serviteur ne sera pas le dernier, vont faire en sorte de le démolir tant il est rempli de malfaçons. Les premières Questions Prioritaires de Constitutionnalité sont déjà transmises.

Beaucoup de choses approximatives ayant été dites sur ces arrêts (je ne parle même pas de la désormais traditionnelle, pour ne pas dire pavlovienne, saillie de mes amis de Synergie Officers (la bise, Fab’, je sais que tu me lis), une explication s’impose.

Qu’a dit la Cour de cassation ?

L’évidence.

Oui, je développe.

Un rappel chronologique vous éclairera.

Rappel chronologique éclairant

L’adoption de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Europe a réalisé que les années précédentes, elle n’avait pas été tout à fait au point sur la question des droits de l’homme. Plus sérieusement, elle a réalisé une vérité que nous nous devons de ne pas oublier : il ne peut y avoir de pire tyran que l’État lui-même, qui a à sa disposition une puissante et docile administration qui exécutera toujours sans trop rechigner ses directives, même les plus révoltantes. Les proclamations à la “plus jamais ça” avaient été essayées au lendemain de la première guerre mondiale. C’est d’ailleurs l’invention officielle du #FAIL. L’ONU planchait sur une nouvelle déclaration sans réelle portée juridique, qui deviendra la Déclaration Universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948.

Une autre méthode a été choisie en Europe, et il convient de signaler qu’à cette époque, la France a été en pointe sur la question. Le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est créé, dont le rôle est de protéger les droits de l’homme en Europe. Le Conseil de l’Europe est distinct de l’Union Européenne : il a 47 États membres, dont la Turquie (et oui), la Russie et l’Azerbaïdjan, et siège à Strasbourg. Le Conseil de l’Europe est un cadre de négociation de traités et le premier véritable traité qui a été négocié dans ce cadre est la fameuse Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (rebaptisée en pratique Convention Européenne des Droits de l’Homme). C’est un traité qui est l’œuvre d’un juriste plus que d’un diplomate, même si son rédacteur, René Cassin, était les deux. Les juristes y retrouveront la division classique principe/exceptions. C’est un texte qui se veut concret, et qui a été conçu pour être applicable en droit interne (il peut être invoqué devant le juge interne qui peut s’y référer pour appliquer la loi française, puisqu’il a une valeur supérieure). Son originalité principale se trouve ailleurs : elle peut faire l’objet d’un recours judiciaire devant une juridiction internationale pouvant condamner les États qui manquerait aux obligations prévues par la Convention : c’est la création de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg. La Convention a été signée le 4 novembre 1950, est entrée en vigueur en 1953, mais n’a été ratifiée en France que le 3 mai 1974, car si en France nous aimons fort les droits de l’homme, nous sommes moins enthousiastes à l’idée de les appliquer. Nous sommes à ma connaissance le seul pays d’Europe qui a pris les mots “droits de l’homme” pour en faire une injure : droitdelhommiste. Et encore n’est-ce qu’en 1981 que le droit de saisir la CEDH a été accordé aux citoyens, car assurément nous n’étions pas prêts à être libres et avoir des droits.

Cette Cour est une cour en dernier ressort : il faut impérativement épuiser les recours internes avant de pouvoir la saisir. Concrètement, si j’estime que les droits reconnus par la Convention à mon client ont été bafoués, je dois demander au tribunal d’en tirer les conséquences, puis en cas de rejet de mes demandes, je dois faire appel, puis me pourvoir en cassation. Si la Cour de cassation rejette mon pourvoi en disant que la Convention Européenne des Droits de l’Homme a été parfaitement respectée, je peux alors me rendre sur les bords de l’Ill et demander que la France soit condamnée à indemniser mon client du fait de cette violation, ce qui en outre m’ouvre une possibilité de révision du procès.

C’est exactement ce qui s’est passé pour la garde à vue.

De Salduz à Brusco en passant par Dayanan

En 2008, la CEDH a condamné la Turquie pour violation de l’article 6§3 de la Convention$$Tout accusé a droit notamment à: être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui; disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent; interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.$$, car sa procédure pénale ne permettait pas l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue. C’est l’arrêt Salduz c. Turquie, dont je vous avais entretenu il y a deux ans, me méprenant sur la portée réelle de cet arrêt, que je croyais limité aux seules procédures dérogatoires. Pour me détromper sans doute, le 13 octobre 2009, la CEDH a remis le couvert en rendant un nouvel arrêt, Dayanan c. Turquie où là, elle est on ne peut plus claire :

Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.

La messe était dite, et d’ailleurs la Turquie avait vu le boulet arriver, puisque dès 2005, sans attendre les condamnations inévitables de la CEDH, elle avait réformé son code de procédure pénale et ouvert les portes de ses commissariats aux avocats. Ce qui n’était toujours pas le cas en France. La France devait donc accepter sans délai que nous assistions les personnes placées en garde à vue, puisqu’elles sont privées de liberté. Et que croyez-vous qu’il arriva ?

Soudain, il ne se passa rien

Oui, rien. Le Gouvernement a choisi courageusement la politique du déni. Tous les juristes de France médusés ont entendu le garde des Sceaux et son inénarrable porte parole de l’époque expliquer doctement que ces arrêts ne concernaient que la Turquie et pas la France, dont la justice était à ce point excellente qu’elle pouvait se passer d’avocat. Comme si chaque minute gagnée sur les droits de l’homme était une victoire. Difficile de le blâmer, puisqu’à de rares exceptions près, les juridictions ont emboité le pas du Gouvernement et rendu des jugements affirmant que l’entretien de 30 mn gracieusement accordé au début de la garde à vue, sans aucun accès au dossier, était plus que suffisant pour satisfaire à laConvention Européenne des Droits de l’Homme et constituait une assistance effective en garde à vue. J’en ai une belle collection que je relis régulièrement en riant, pour ne pas avoir à en pleurer, mais ce fut une période pénible que de voir tous ces juges nier l’évidence avec un tel entêtement. La majorité de mes confrères ont d’ailleurs vite renoncé à soutenir ces nullités, et je les comprends.

D’ailleurs, cette période n’est pas tout à fait terminée. La CEDH a déjà expliqué très clairement en quoi le parquet n’est pas une autorité apte selon les normes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme à veiller à la régularité et à la nécessité des gardes à vue, faute d’indépendance à l’égard de l’exécutif, et du fait qu’il est partie au procès). Et avec le même entêtement à nier l’évidence, les mêmes juridictions, qu’on aurait pu croire échaudées par l’affaire de la garde à vue, continuent à dire que si, tout va très bien, le parquet fait ça très bien et est conforme aux exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Et pour comprendre qu’on n’est pas sorti de l’auberge, il suffit de lire les propos, très représentatifs, du procureur général près la cour d’appel de Saint Denis (de la réunion, pas du 9-3), qui réaffirme que le parquet est gardien des libertés individuelles, ce que je ne conteste pas plus que le fait qu’on confie le harem à l’eunuque, mais je conteste qu’il soit le seul à jouer ce rôle au niveau de la garde à vue, et surtout qu’il continue à prétendre jouer ce rôle à l’audience, où après s’être présenté comme gardien de la liberté de mon client, il demande au tribunal de l’envoyer au prison. La suite est déjà écrite, et vous vous souviendrez de ce billet quand un beau jour, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel, je ne sais qui le dira en premier, reconnaîtra enfin cette évidence, que les politiques feindront la surprise et crieront au gouvernement des juges, tandis que Synergie grillera quelques fusibles. Puis on créera enfin un habeas corpus à la française, c’est à dire pas encore conforme, et les avocats obtiendront à coups de condamnations de la France une mise en conformité totale, et on se demandera ensuite comment on faisait avant.

Je n’ai rien contre les batailles gagnées d’avance, mais ce ne sont vraiment pas les plus belles.

Revenons-en aux gardes à vue.

Alors vint le 15 avril 2011

Après cette période de déni du Gouvernement, la vérité a fini par lui éclater à la figure. Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel constate l’inconstitutionnalité de la garde à vue et impose au législatif de se mettre en conformité avant le 1er juillet 2011. Fort bien, disent les avocats, mais la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle, est toujours en vigueur et ne prévoit pas de droits de l’homme à retardement. Nous continuons donc à contester les gardes à vue sur le fondement de l’article 6. J’ai donc pu constater que du jour au lendemain, les juridictions qui me donnaient tort sur la garde à vue me donnent raison mais, invoquant l’effet différé de la décision du Conseil constitutionnel, continuaient à rejeter mes conclusions. En somme, j’avais raison, mais peu importe, c’est toujours non.

Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation, saisie de la question de la conformité à l’article 6§3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, a rendu trois arrêts stupéfiants, reconnaissant enfin que oui, la garde à vue n’est pas du tout conforme, mais peu importe, puisque grâce au Conseil constitutionnel, on va régler ça avant l’été. Donc on continue à appliquer des textes violant la Convention Européenne des Droits de l’Hommejusqu’au 1er juillet 2011. La Cour de cassation dit en somme que les droits de l’homme peuvent attendre, le calendrier du Parlement est plus important.

Seulement voilà. Cinq jours plus tôt, la CEDH avait condamné la France pour l’absence de droit à un avocat au cours de la garde à vue. Et cet arrêt Brusco c. France ne disait nulle part que la présence de l’avocat s’imposait le 1er juillet 2011, au contraire il condamnait la France pour une garde à vue sans avocat intervenue… le 8 juin 1999.

Le conflit entre les deux décisions était manifeste, et rien ne pouvait défendre la position de la Cour de cassation. Cela n’a pas échappé au Premier président de la Cour de cassation, qui a réuni la formation la plus solennelle de la Cour, l’assemblée plénière, composée de conseillers de toutes les chambres, notamment les chambres civiles, réputées plus favorables au respect du droit que de la défense de l’ordre public, et mettant de fait les pénalistes de la chambre criminelle en minorité. C’est cette assemblée plénière qui a rendu les fameux arrêts du 15 avril 2011 se rendant enfin à l’évidence :

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;…

Voilà pourquoi dès le 15 avril, nous avons pu, enfin, assister nos clients en garde à vue. Afin d’avoir un cadre juridique à ces interventions, les parquets, appliquant les consignes de la Chancellerie, ont décidé de se référer à la loi promulguée la veille sur la garde à vue, quand bien même elle n’entrait en vigueur que le 1er juin. Victoire des droits de l’homme ? Allons. On est en France. Dès l’après midi du 15 avril (car des signaux d’alarme avaient été émis du Quai de l’Horloge, où siège la Cour de cassation), des instructions ont été adressées aux services de police et de gendarmerie, visant à limiter au maximum les effets des arrêts du 15 avril et faire en sorte que les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne soient toujours pas respectées. Je vous rappelle que ces instructions émanent de la même autorité qui se prétend apte à assurer seule le contrôle des mesures de garde à vue. Ainsi, à Paris, c’est par une note signée Jean-Claude Marin, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, que le parquet a décidé, sans aucune base légale et en contradiction flagrante avec les exigences de la CEDH exprimées dans l’arrêt Dayanan, que l’avocat devait, au cours des auditions et confrontations de garde à vue, demeurer taisant (c’est le langage juridique pour dire “fermer sa gueule”) et ne devait en aucun cas s’adresser au témoin ou au plaignant en cas de confrontation. Oui, mesdames et messieurs les juges, sachez-le, car je doute que ces instructions données à la police aient été portées à votre connaissance : le parquet cède sur la présence de l’avocat, mais à la condition de revenir à la procédure de 1897, avec des avocats cois.

Cela a donné lieu à des incidents, bien sûr, dont certains que j’ai vécus moi-même. Ainsi, on m’a une fois “notifié”, avec mention au procès verbal, la note du procureur Marin. Quand j’ai répliqué en substance que cette note, je m’en cognais comme de mon premier Code civil, car le parquet n’est pas source de droit, n’a aucune autorité sur moi, n’a aucun pouvoir pour limiter les droits de la défense, d’autant plus qu’il est mon adversaire à la procédure, j’ai été regardé comme un dangereux anarcho-autonome. Alors que je suis pire que ça : je suis un avocat.

Je suis donc intervenu dans des auditions quand je l’estimais nécessaire (essentiellement pour conseiller à mon client de ne pas répondre à une question, parfois pour reformuler une question que mon client ne comprenait pas quand je pensais voir où se situait la cause de l’incompréhension, ou apporter une précision juridique au rédacteur. La plupart du temps, ça se passe très bien, et mes interventions sont mentionnées au procès verbal, ce qui est normal et même indispensable pour la sincérité de celui-ci : je veux que le magistrat qui lira ce document sache si mon client se tait de sa propre initiative ou sur mon conseil, c’est important. Parfois, ça se passe mal. La scène peut juste être ridicule (ainsi, quand j’ai demandé à un plaignant s’il était droitier ou gaucher, l’agent de police judiciaire a suspendu l’audition et est allé demander à son capitaine s’il pouvait poser la question ; signalons qu’ainsi, il m’a laissé seul dans le bureau avec mon client et le plaignant pendant cinq bonnes minutes…), parfois très tendue (on m’a ainsi menacé sur un ton discourtois de demander la désignation d’un autre avocat si je disais un seul mot au cours de l’audition), et parfois très tendue et ridicule (ainsi cette confrontation avec dix policiers en arme autour de moi - j’entends par là que les plus proches étaient à 30cm de moi- alors que seuls deux d’entre eux étaient concernés par la confrontation, où on m’a indiqué que je n’avais même pas à adresser la parole auxdits policiers ; eh oui, mesdames et messieurs les magistrats, c’est ce que la police appelle une confrontation, où on ne peut pas parler aux témoins, au nom je le rappelle de… la recherche de la vérité).

Je dois cependant à l’honnêteté de rendre hommage au parquet, qui vient de donner de nouvelles instructions liées à l’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, prévoyant la mise en place d’un planning des auditions et confrontations et prescrivant aux policiers d’attendre une heure l’arrivée de l’avocat avant de passer outre à son absence et commencer l’audition. Ces instructions ont été reçues par mes amis de Synergie Officiers et ses cousins Alliance Police Nationale chez les Gardiens de la Paix et SICP chez les commissaires avec leur enthousiasme habituel. Elles s’imposaient, car j’ai été confronté à des auditions inutiles organisées à 3h du matin dans un bureau avec un joli poster Alliance Police Nationale.

Retour vers le futur

La cause était donc entendue : la CEDH exigeait immédiatement la présence de l’avocat, pas question d’attendre le 1er juillet ni même le 1er juin, date d’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, car le législateur a eu l’idée extraordinaire de prévoir une entrée en vigueur différée d’une loi mettant la France en conformité avec les droits de l’homme. Je vous le dis : chaque seconde de gagnée sur l’application des droits de l’homme est une victoire pour nos dirigeants bien aimés.

Mais se posait la question des auditions de garde à vue antérieures au 15 avril 2011. Les propos ont été recueillis sans présence de l’avocat, car c’était la procédure en vigueur. Demeuraient-elles valables ?

La réponse était évidemment non. Et pour qui a lu les arrêts du 15 avril, il ne pouvait en être autrement, puisque ces arrêts sanctionnaient des gardes à vue intervenues respectivement le 19 janvier 2010, le 22 janvier 2010, le 14 décembre 2009 et le 1er mars 2010. Il faut garder à l’esprit que la Cour de cassation est une juridiction, qu’elle ne fait pas la loi, ni ne décide de hâter son entrée en vigueur, mais juge des affaires. Par définition, elle ne pouvait statuer le 15 avril 2011 que sur des affaires antérieures au 15 avril 2011. Il n’y avait donc nulle raison de penser que sa jurisprudence ne s’appliquait qu’à compter du 15 avril 2011.

J’ai reçu beaucoup de questions sur l’annonce des arrêts du 31 mai 2011, me demandant comment cette jurisprudence pouvait être rétroactive. La réponse est simple : elle ne l’est pas. La Cour de cassation ne fait jamais qu’appliquer des textes en vigueur, les interpréter et résoudre des conflits de textes en vigueur. Ici, elle ouvre son arrêt en visant la Convention Européenne des Droits de l’Homme :

Vu l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

puis en livre son interprétation, qui est sans surprise au regard de ce qui a été rappelé :

Attendu qu’il se déduit de ce texte que toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit, dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, pouvoir bénéficier, en l’absence de renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;

Et ainsi qu’on l’a vu, la Convention Européenne des Droits de l’Homme est en vigueur en France depuis 1974, et son contenu connu depuis le 4 novembre 1950. C’est ce texte là qu’elle a appliqué. Pas rétroactivement : elle a au contraire réalisé tardivement que ce texte n’était pas appliqué.

“Passant, va dire à Strasbourg que nous sommes mortes ici pour respecter ses lois”

Quelles sont les conséquences concrètes de ces arrêts ?

Elles sont limitées, à mon sens. Ces auditions sont des actes de procédure. Leur nullité doit être constatée selon des règles très rigoureuses, et est enfermé dans des délais très stricts, à peine de forclusion, c’est à dire de perte du droit de les contester. Ces délais sont, si un juge d’instruction est saisi, de six mois à compter de chaque interrogatoire (art. 173-1 du Code de procédure pénale) ou en cas d’avis de fin d’instruction, dans un délai d’un mois si un mis en examen est détenu et trois mois dans le cas contraire (art. 175 du CPP). L’ordonnance de règlement mettant fin à l’instruction purge les nullités qui ne peuvent plus être soulevées par la suite.

S’il n’y a pas eu d’instruction, il faut soulever ces nullités devant le tribunal avant l’examen du fond de l’affaire, à peine de forclusion là aussi (art. 385 du CPP). Si aucune nullité n’a été soulevée devant le tribunal, on ne peut le faire pour la première fois en appel.

Comme vous le voyez, le nombre d’affaires où il est encore possible de soulever cette nullité est limité. Ce qui n’empêche qu’il peut y avoir quelques cas où ce sera spectaculaire. Pour une fois, je suis d’accord avec la Chancellerie.

Mais ça ne se limite pas à cela. La loi du 14 avril, entrée en vigueur le 1er juin, pose un principe général dans l’article préliminaire du CPP qui interdit de fonder une condamnation sur des propos de la personne accusée recueillies sans qu’elle ait pu être assistée d’un avocat. Donc quand bien même ces auditions ne sont pas nulles, elle sont privées en grande partie de leur force probante. Et cet article s’applique à toutes les procédures encore en cours, quel que soit leur stade procédural…

Est-ce la fin du combat pour la garde à vue ?

Certainement pas. Ce n’est que le début. En effet, la loi du 14 avril n’est pas conforme à la CSDH, en interdisant à l’avocat l’accès à l’intégralité de la procédure (c’est le nouvel article 63-4-1 du CPP). Ce qui n’a aucune justification, si ce n’est entraver encore un peu l’exercice de la défense. Qu’on m’explique pourquoi je peux m’entretenir 30 mn avec mon client avant une confrontation sans qu’on me communique la teneur des déclarations des témoins auxquels il va être confronté, puis aussitôt après, dès le début de la confrontation, on m’en donne connaissance en les lisant à haute voix pour que mon client puisse y réagir, sans que je puisse désormais lui demander des explications, répondre à ses questions ou lui donner des conseils en toute confidentialité ? Il n’y a aucune justification, sauf une : on ne veut pas que je puisse préparer cet interrogatoire avec mon client, ce qui est précisément un des droits reconnus par l’arrêt Dayanan.

Cet attitude est honteuse et stupide, car loin de régler le problème, elle laisse perdurer une violation de la CSDH, qui inévitablement va entraîner de nouvelles nullités de procédure. Plutôt des procédures nulles que des droits de la défense respectés, tel est le credo du législateur. Affligeant. Encore plus quand on sait que bien sûr les avocats ne vont pas laisser passer ça, et que c’est voué à l’échec. Mais chaque seconde gagnée sur les droits de l’homme est une victoire, dans notre pays.

Alors mes conclusions sont prêtes, et elles s’ouvriront sur cette citation biblique :

The path of the righteous man is beset on all sides with the iniquities of the selfish and the tyranny of evil men. Blessed is he who in the name of charity and good will shepherds the weak through the valley of darkness, for he is truly his brother’s keeper and the finder of lost children. And I will strike down upon those with great vengeance and with furious anger those who attempt to poison and destroy my brothers. And you will know that my name is Maitre Eolas when I lay my vengeance upon thee.

Ezechiel selon Tarantino, 25:17.

lundi 9 mai 2011

Bonne journée de l'Europe

Aujourd’hui, 9 mai, est la journée de l’Europe, en souvenir de la déclaration de Robert Schuman qui fut l’étincelle de concupiscence qui entraîna la conception de l’Europe (avec une fausse couche en 1954).

Mon pessimisme de l’année dernière demeure sur le plan politique, puisque la Grèce envisage de sortir de la zone euro, que la Hongrie a adopté une Constitution incompatible avec les valeurs de l’Europe, et qu’en France, les ministres de l’intérieur xénophobes se succèdent tandis que la liberté de circulation est présentée comme une vulnérabilité face à “l’invasion” de 25.000 Tunisiens, ce qui doit bien faire marrer les Tunisiens qui font face à plus de 200.000 réfugiés libyens.

Néanmoins, un petit vent frais vient dissiper quelque peu ces nuées. En un an, la bataille de la garde à vue a été remportée, grâce à l’Europe. Il reste des poches de résistance, comme l’absurde refus de l’accès au dossier, mais c’est plus de la mesquinerie que du jusqu’au-boutisme. Elles seront rapidement réduites.

L’Europe nous permet, depuis décembre, de considérablement vider les centres de rétention administrative, lieu d’internement des étrangers en instance de reconduite forcée, faute pour la France de s’être conformée dans les délais à une directive.

Et voici qu’à présent l’Europe m’offre sur un plateau la tête de ma Némésis, l’abominable délit d’entrave à l’exécution d’une mesure d’éloignement. Je vous avais dit tout le mal que je pensais de ce délit et surtout de la mauvaise interprétation qui en était fait par la jurisprudence. La Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rendre un arrêt très important, sur lequel je reviendrai le plus tôt possible, qui estime contraire au droit européen tout délit punissant de prison le seul fait d’être en séjour irrégulier. Exit le délit d’entrave à l’exécution d’un éloignement, mais aussi, et ce n’est pas une mince affaire, exit le délit de séjour irrégulier. Donc exeunt les gardes à vue d’étrangers sans papier, préalable indispensable à la prise d’un arrêté de reconduite à la frontière. La justice va enfin cesser d’être la complice de l’exécutif en se prêtant à cette mascarade consistant à placer en garde à vue et donc à priver de liberté des étrangers qu’elle n’a pas un instant l’intention de poursuivre, le temps pour les préfectures de prendre un arrêté de placement en rétention. J’y reviens très vite dans un billet dédié, il y a urgence à répandre l’information.

Quels que soient les vents mauvais qui soufflent, l’Europe reste une forteresse inébranlable des droits de l’homme.

Alors comme il est désormais de tradition, des paroles de sagesse et de la musique pour fêter cette belle Europe dont on a plus que jamais besoin.

La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.

La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d’une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre.

L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne.

Robert Schuman, 9 mai 1950

Texte intégral de la déclaration Schuman.

9e symphonie de Beethoven, BBC Philarmonic Orchestra, direction : Gianandrea Noseda.

lundi 25 avril 2011

vademecum de la garde à vue 2.0

Bonjour mes amis. Un peu plus d’une semaine après l’irruption par effraction des droits de la défense dans nos commissariats et gendarmerie, semaine que j’ai en grande partie consacrée à des permanences pour faire face à la mobilisation que cela impose. J’en ai tiré quelque expérience et quelques enseignements, et il est temps de faire un point tous ensemble.

Le début d’une intervention en garde à vue commence comme à l’époque de l’Âge des Ténèbres, cette époque légendaire où les avocats étaient tenus à l’écart des gardes à vue. Un coup de fil de la permanence, l’adresse d’un commissariat, le nom d’un gardé à vue, un numéro de téléphone, le nom de l’Officier de Police Judiciaire en charge du dossier. On confirme à la permanence qu’on y va, elle envoie un fax avec notre nom pour confirmer notre désignation. Nous appelons l’OPJ pour nous assurer que notre client est disponible (il peut avoir demandé à voir un médecin, ce qui à Paris, se fait généralement par une visite à l’Hôtel Dieu, et quand le car de ramassage passe, le gardé à vue doit partir). Tout va bien, le client est là, l’OPj nous attend ? We have a go.

C’est dès l’arrivée au commissariat que les choses changent. En effet, les commissariats ont reçu des instructions du parquet leur disant d’appliquer les dispositions de la loi du 14 avril 2011, par anticipation, et en toute illégalité, puisque cette loi n’est pas en vigueur, et n’est pas conforme à la décision de la Cour de cassation du 15 avril 2011, qui ne permet aucune restriction à l’accès au dossier par l’avocat.

Si l’OPJ doit toujours nous notifier la nature des faits, la date et l’heure présumée de leur commission, il doit également, à notre demande, nous présenter le procès verbal de notification des droits. Ce document a pour intérêt de nous indiquer l’identité complète de notre client, notamment ses coordonnées personnelles, à noter pour la suite. S’il a demandé un avis famille, demandez s’il a été fait, le gardé à vue voudra sûrement le savoir.

C’est à ce moment qu’il convient de demander, courtoisement, à avoir accès au dossier, notamment, mais pas seulement, les PV d’interpellation et d’audition du plaignant et des témoins. On vous le refusera. Dégainez aussitôt votre feuille d’observations et mentionnez ce refus. Vous avez ouvert un boulevard pour une action en nullité de la procédure.

La police a pris l’habitude, je suppose que cela fait partie des instructions reçues, de notifier le droit à l’entretien avec un avocat et le droit à l’assistance comme deux droits séparés. Il peut arriver que l’OPJ vous précise, sans rire, que le gardé à vue souhaite un entretien d’une demi heure avec un avocat n’ayant pas accès au dossier, mais souhaite en revanche être laissé seul et sans assistance pendant les auditions où ses propos vont être recueillis. Bon, c’est de bonne guerre. Au cours de l’entretien, expliquez bien comme il faut au gardé à vue qu’il peut demander à ce que vous restiez à ses côtés pendant l’entretien pour le conseiller et intervenir si l’audition se déroule mal — j’y reviendrai. Précisez bien que c’est gratuit, à un gardé à vue pour outrage à agent qui avait posé la question, les policiers ont répondu “je ne sais pas”. Ce qui est d’autant étrange que les policiers outragés ont, eux, demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat commis d’office, et avaient l’air parfaitement au courant de la gratuité pour eux de cette intervention. Le surmenage, sans doute.

Le gardé à vue, ainsi éclairé, vous confirmera s’il souhaite bien bénéficier du tête à tête à huis clos avec l’OPJ ou si tout compte fait votre présence lui apparaît souhaitable. S’il change d’avis (ce qui arrive dans environ 100% des cas), mentionnez-le sur votre feuille d’observations.

Le contenu de cet entretien est totalement bouleversé par rapport à celui de l’Âge des Ténèbres. Auparavant, les faits ne devaient pas être abordés. Inutile et pas le temps. C’était un cour accéléré de procédure pénale : qu’est-ce qu’une garde à vue, qu’est-ce que le délit qu’on lui reproche (une escroquerie ou un recel, ce n’est pas évident à comprendre), que peut-il se passer à la fin de cette garde à vue (remise en liberté avec ou sans convocation, défèrement pour placement sous contrôle judiciaire, comparution immédiate ou mise en examen), et s’assurer que la garde à vue se passait dans des conditions normales (cet aspect n’a pas disparu, les anomalies doivent être notées : repas, client qui grelotte de froid, etc). Désormais, les faits doivent être abordés pour préparer l’audition. Attention, en garde à vue plus que jamais, le client aura la tentation de vous mentir, de minimiser les faits. Parce qu’une seule question lui brûle les lèvres, et vous l’entendrez sans doute à chaque fois : “Vais-je finir en prison et combien je risque ?” Gardez toujours à l’esprit qu’entre ce que vous dit le client et ce qu’il déclarera lors de l’audition, il peut y avoir des changements. Visage de Sphinx.

S’agissant des auditions, l’OPJ vous indiquera l’heure à laquelle il pense procéder. Ce sera juste après l’entretien de garde à vue, le plus souvent, mais parfois une perquisition doit avoir lieu et nous n’avons pas à y assister, puisque les déclarations de nos clients n’ont pas à être reçues à cette occasion. Rappelez-leur que tout ce qu’ils ont à dire quand on leur présente un objet, c’est si c’est à eux ou pas. Voire rien du tout, droit de garder le silence. Notons que le Bâtonnier de Paris ne partage pas mon opinion là-dessus et estime que l’avocat doit pouvoir assister à la perquisition. Comme je ne saurais avoir raison contre mon Bâtonnier bien-aimé, je vous invite à demander à assister à la perquisition et à mentionner le refus qui vous sera immanquablement opposé.

Une question se pose : faut-il porter la robe lors de ces auditions. L’Ordre des avocats de Paris répond par la négative, mais sans en donner les raisons. Je disconviens respectueusement. L’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que nous portons notre costume “dans l’exercice de nos fonctions judiciaires”. Or la garde à vue fait à présent partie intégrante de la procédure. En comparution immédiate, elle constitue même la totalité du dossier sur lequel s’appuie le parquet. En outre, en audition, nous défendons, nous sommes avocats. La robe me paraît s’imposer. Je la mettrai donc en ce qui me concerne et vous encourage à faire de même.

Au cours de l’audition, nous sommes assis à côté de notre client, comme dans un cabinet de juge d’instruction, en somme. La différence est que les bureaux des policiers sont généralement communs à trois fonctionnaires, qui parfois travailleront sur leurs propres dossiers. J’ai eu ainsi à assister un gardé à vue tandis que derrière moi une plaignante déposait sa plainte, et qu’à ma gauche, deux policiers discutaient boulot. Avec en prime une radio en fond sonore (Chante-France). Ça demande une certaine capacité de concentration.

Parfois, vous serez placé de façon à pouvoir lire le PV en cours de rédaction. C’est une bonne place, puisque cela vous permet d’intervenir si vous constatez une erreur ou un oubli. Ignorez les fautes d’orthographe, c’est vexant et un PV sans faute d’accord du participe passé devrait selon moi être annulé pour vice de forme.

À cette occasion, vous découvrirez avec effroi que les PVs sont tapés avec un logiciel de traitement de texte spécial fonctionnant sous MS-DOS. Tellement dépassé qu’il n’intègre même pas la souris. Ainsi, un simple copier-coller suppose pas moins de 11 opérations au clavier, j’ai compté. Mon téléphone a un traitement de texte plus perfectionné.

Durant l’audition, vous devez être stylo à la main, avec à portée de la main votre feuille d’observations pour ce que vous voulez voir mentionné au dossier, et un carnet de notes pour tout ce que vous souhaitez noter à votre attention pour plus tard. Attention à ne pas confondre.

Vient enfin la question centrale : intervenir ou se taire ? La réponse est bien sûr : intervenir chaque fois qu’on l’estime nécessaire. Nous exerçons les droits de la défense, par Portalis ! Cela provoquera des incidents, parce que les instructions du parquet, se référant à une disposition de la loi du 14 avril 2011, affirment que l’avocat doit rester taisant.

À cela je répliquerai que la loi du 14 avril 2011 n’est pas entrée en vigueur, c’est pour le 1er juin. Et qu’à cette date, nous pourrons contester cette disposition par la voie d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (l’opposition n’ayant pas cru utile de soumettre cette loi au contrôle de constitutionnalité) et devant les juridictions en soulignant qu’elle viole manifestement l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et est contraire aux arrêts de la Cour de cassation du 15 avril qui exige que les droits reconnus par la Convention soient réel et effectifs ; or la Convention n’exige pas la présence d’un avocat comme une plante verte. Que le parquet n’a aucun droit et encore moins de légitimité à limiter l’exercice de la défense. Bref, il n’y a aucune base légale solide pour nous imposer le silence, et il est hors de question que nous l’acceptions.

Pourquoi et quand intervenir ?

À bon escient, bien sûr. Il est hors de question de répondre à la place du client. Sauf à accepter d’être condamné à sa place. Nous devons intervenir si le ton du policier est déplacé (n’hésitez pas à noter sur vos observations les sarcasmes de l’OPJ qu’il oublierait de noter au PV), ou si la question est piégeuse. Ainsi, je n’ai aucun problème de principe à ce que mon client réponde sur ce qu’il a vu ou entendu, dit, ou fait. Mais je refuse qu’il réponde à des questions du style “Pourquoi M. Machin dit-il que c’est vous qui avez commis les faits ?” Cette question est manifestement destinée à M. Machin, mon client n’est pas télépathe, ce n’est pas parce que c’est lui et non M. Machin qu’on a sous la main qu’il faut lui poser cette question. Droit de garder le silence, il n’y a pas de bonne réponse. J’ai eu un policier qui est allé jusqu’à demander à mon client pourquoi une rumeur courait dans le quartier sur sa culpabilité ! Et l’OPJ de s’étonner que je dise à mon client de ne pas répondre !

J’ai eu des incidents assez sérieux à l’occasion de mes interventions. Je vais vous en démontrer l’absurdité. Pour prévenir des situations où la tension monterait de manière exagérée (ce que j’appelle un Moment Synergie), je conviens lors de l’entretien confidentiel avec le gardé à vue d’un signal discret signifiant : “Refusez de répondre à cette question”. Si l’OPJ s’offusque de mon intervention et que cela risque de provoquer un Moment Synergie, je fais semblant de céder, et je continue avec mon signal discret. Donc j’exerce mon travail de surveillance des questions, mais le policier perd du coup la possibilité de mentionner au procès verbal “Maître Eolas intervient pour dire à son client de refuser de répondre”. Le PV perd en sincérité, alors que je suis prêt à expliquer devant le juge pourquoi je suis intervenu en ce sens. Vous voyez, refuser à l’avocat d’intervenir, c’est nuire à la vérité de la procédure. Autant que tout soit fait dans la plus grande transparence.

Les interventions doivent être limitées au strict nécessaire mais avoir lieu chaque fois que nécessaire. Il va falloir se battre pour imposer cela. Mais là encore, nous aurons gain de cause, c’est inéluctable.

De manière générale, demandez à pouvoir exercer pleinement les droits de la défense. Et mentionnez cette demande et son refus dans vos observations. certains OPJ font une application littérale de la loi de façon à entraver la défense. Ainsi, la loi pas encore en vigueur précise que le droit pour l’avocat de s’entretenir avec son client ne peut excéder trente minutes par période de 24 heures de garde à vue. J’ai eu un dossier où j’ai été appelé pour une deuxième audition une heure avant le renouvellement de la garde à vue. J’ai demandé à pouvoir consulter le dossier pour voir les éléments nouveau depuis la première audition la veille, refus mentionné dans mes observations, conclusions en nullité à venir. L’audition a lieu, je découvre en même temps que mon client les nouveautés. Puis une fois celui-ci entendu sans avoir pu préparer ce nouvel interrogatoire, on a notifié à mon client la prolongation de sa garde à vue et, après 10 minutes d’attente inutile pour que la grande aiguille soit sur le bon chiffre, j’ai enfin pu m’entretenir seul avec mon client. Ah bah c’est trop bête, l’audition a déjà eu lieu et c’était la dernière prévue. Voilà typiquement un cas d’usage de la procédure pour entraver la défense. Aucun juge d’instruction en France n’aurait seulement l’idée de refuser à un avocat la possibilité de s’entretenir le temps nécessaire avec son client. Il y a des OPJ qui font en sorte que ce soit le cas. Face à cela, il faut faire usage de la seule arme à notre disposition : le droit de garder le silence. Il faut dire à notre client de refuser de répondre à quelque question que ce soit sans avoir pu s’entretenir avec nous, quitte à attendre la prolongation (qui est de toutes façons déjà décidée depuis longtemps). Il faut que le client nous fasse confiance, il subit une pression terrible. Quand on est choisi, cette confiance existe. Quand on est commis d’office, il y a toujours le doute sur la compétence d’un avocat gratuit. Il faut bien préparer le client à un éventuel rapport de force.

Enfin, pour Paris, informez votre client que s’il le souhaite, il peut demander à ce que vous le défendiez en cas de suites judiciaires. L’Ordre accepte désormais le droit de suite (il se demande par fax au Bureau pénal), et c’est un vrai plus pour le client, puisqu’on connaît déjà le dossier. Mais c’est lui qui décide, hors de question de faire pression sur lui à cette fin.

N’oubliez pas le délai de carence : l’OPJ doit vous contacter avec deux heures d’avance qu’une audition va avoir lieu. Dès lors que vous avez été informé, il peut commencer à l’heure dite même si vous n’êtes pas là. La ponctualité est plus que jamais une obligation.

Enfin, nonobstant le ton parfois offensif que je peux avoir, n’oubliez pas que nous ne sommes pas là pour saboter la procédure. Les OPJ le font très bien tout seul. Au contraire, nous devons faire en sorte de faciliter l’organisation de l’enquête, en nous rendant disponibles à toute heure. Rappelons aussi une évidence : convaincre un client qui s’enferre dans un déni inutile car contre toutes les preuves et les faits de limiter les dégâts en assumant sa responsabilité, c’est aussi défendre. Ce qui démontre une fois de plus l’absurdité de nous refuser l’accès au dossier, car dans le doute, je conseille toujours le silence.

Nous sommes dans une phase d’adaptation. Elle est très difficile pour les policiers, qui n’ont pas été préparés à ce changement et manquent d’instructions claires et cohérentes, et doivent y faire face livrés à eux même. Nous leur sommes imposés dans leurs bureaux, c’est nouveau et perturbant. Ils méritent notre compréhension, et surtout notre respect et notre courtoisie. Il y aura assez d’incompréhensions et de malentendus naturellement pour en rajouter par un comportement déplacé. Il va nous falloir apprendre à nous connaître et à nous faire confiance. Dans un an, la routine se sera installée, et ils se demanderont comment on faisait avant. En attendant, les principes essentiels de notre profession de tact et de courtoisie sont plus indispensables que jamais.

dimanche 17 avril 2011

La Cour des Miracles

Par jean Cattan, Allocataire de recherche, Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Diplômé du Collège d’Europe


Un arrêt tombe, les commissariats s’effondrent. Les geôles à peine fermées sur tout type de contrevenants s’ouvrent sous un ciel ensoleillé. Les miracles peuvent pleuvoir et la Cour de cassation peut décider de l’application immédiate d’une loi à peine votée.

Non, mes très chers. La Cour de cassation n’a pas décidé de l’application immédiate de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue et devant entrer en vigueur, d’après son article 26, « le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 ». La Cour de cassation ne fait pas ce genre de choses. Ce qu’elle a fait dans ses quatre arrêts en date du 15 avril 2011 est tout à la fois bien plus classique et bien plus beau.

L’action entreprise par la Cour de cassation tient à son rôle de juridiction nationale devant exercer un contrôle des mesures internes au regard des conventions internationales à laquelle la France est partie. Une mission dévolue à toute juridiction nationale, dite contrôle de conventionnalité et dont le président de la Cour d’appel de Lyon, pour ne prendre que l’affaire le mettant en cause, avait cru pourvoir se défaire. En effet, celui-ci avait considéré d’une part, n’être pas lié par le arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme et d’autre part, que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’obligeait pas les États signataires à ce que toute « personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat ». Ainsi, la procédure française de garde à vue n’aurait rien eu d’irrégulière. C’était oublier cette longue file d’arrêts rappelant ces droits fondamentaux impartis aux justiciables au titre de l’article 6, paragraphe premier de la Convention précitée.

Lorsque la Cour de cassation casse cette ordonnance au visa de ce même article 6, paragraphe premier, elle l’affuble de l’article 63-4 du code de procédure pénale toujours en vigueur jusqu’à ce que la loi du 14 avril prenne effet. En aucun cas, la Cour de cassation a décidé de l’application immédiate de cette dernière loi. Cela est tout autant valable pour les trois autres affaires concernées. La Cour de cassation n’a fait que ce qu’elle devait faire depuis longtemps. Si une circulaire vient ensuite dire qu’il convient de lire aux personnes interpellées des articles de loi qui n’existent pas encore et qui contiennent quelques uns des droits exigés par le principe du procès équitable, qu’il en soit ainsi. Mais gardons bien à l’esprit que ce texte administratif ne peut lui non plus avancer la date d’entrée en vigueur d’une loi.

Bien mieux que de faire de l’alchimie juridique, par ces quatre arrêts rendus au lendemain de l’adoption de la loi relative à la garde à vue, la Cour de cassation s’inscrit dans un rapport de pouvoirs dont le justiciable sort gagnant. Dans une décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 rendue sur question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avait déclaré certains pans de notre procédure pénale ici mis en cause incompatible avec notre bloc de constitutionnalité. D’après l’article 2 de cette décision, le législateur avait jusqu’au 1er juillet 2011 pour mettre notre bloc législatif en conformité avec les règles constitutionnelles qui lui sont supérieures.

Cette pratique de diffusion dans le temps des décisions est connue de nombreuses cours constitutionnelles européennes. Le problème s’est d’ailleurs déjà posé de savoir ce qu’il advient pendant ce temps improbable où une disposition considérée comme contraire à ses règles supérieures doit tout de même s’appliquer dans l’attente de jours meilleurs. Comment nos droits reconnus peuvent-ils être garantis au cours de cette période ? Et c’est précisément ici que le contrôle de conventionnalité vient montrer toute sa force. Alors que le Conseil constitutionnel, par peur du vide, diffère dans le temps l’application de ses décisions, le législateur adopte ses maigres réformes. Pendant cet entre-deux, nous justiciables sommes protégés par nos conventions internationales et une fois de plus la Cour de cassation se pose en messagère du front européen de nos libertés.


Note d’Eolas :

le monde judiciaire est vaste, et il inclut la Faculté, dont le point de vue est toujours digne d’attention. Jean Cattan m’a proposé de publier cette tribune, ce que je fais volontiers tant elle me paraît apporter une précision utile sur ce qu’a fait la Cour de cassation, et plus précisément sur ce qu’elle n’a pas fait, à savoir anticiper l’entrée en vigueur de la loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. Elle n’en n’avait ni la volonté ni la possibilité. C’est le gouvernement qui, ayant senti le coup venir (la Cour de cassation et la Place Beauvau ont le téléphone), a hâté la promulgation de la loi sur la garde à vue et donné pour instructions à la police d’en appliquer les dispositions pour avoir un cadre juridique.

La Cour de cassation n’a fait que rappeler une évidence que, sans vouloir diminuer son mérite, les avocats répétaient sans cesse depuis 2 ans et demi : la Convention européenne des droits de l’homme s’applique depuis 1974, et elle exige cette intervention immédiate de l’avocat, il n’est plus décemment possible de l’ignorer. Sauf dans les Deux-Sèvres.

Cet arrêt s’inscrit aussi dans ce qu’on appelle à la Faculté le dialogue des juges : une décision, au-delà de ce qu’elle tranche dans le cas particulier qui lui est soumis, contient un message adressé aux autres juges : “voici quelle est mon interprétation de la loi que j’applique, tenez-en compte dans vos décisions”.

Le message est ici fort clair, et repris dans la dernière phrase du communiqué de presse du Premier président :

Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable.

Message adressé à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, le 19 octobre dernier, avait constaté que la Convention exigeait bien en effet l’intervention d’un avocat tout le long de la garde à vue en France et pas seulement en Turquie, mais eu égard à la décision du Conseil constitutionnel, avait repoussé cette exigence au 1er juillet. Une pierre dans le jardin du Conseil constitutionnel aussi, par ricochet puisqu’il est à l’origine de la décision de repousser dans le temps l’effet des droits de l’homme - une première dans le monde.

Pour ma part, j’ai une belle collection de jugements rejetant mes conclusions de nullité en invoquant justement cet effet différé, suivant en cela les réquisitions du parquet. Cela fait une bonne centaines de juges, une trentaine de procureurs. Je ne tire aucune satisfaction d’avoir eu raison contre tout cet aréopage : il faudrait quand même que les magistrats s’interrogent sur ce qui les a fait passer à côté d’une telle évidence, afin qu’au moins, cela n’arrive plus par la suite. Au hasard, sur le problème de l’accès à l’intégralité du dossier en garde à vue, qui nous est toujours refusé à ce jour, et sur l‘habeas corpus : les arrêts Medvedyev c. France et Moulin c. France posent eux aussi des principes applicables immédiatement.

vendredi 15 avril 2011

L'arrêt de la Cour de cassation sur la garde à vue

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 15 avril 2011
M. LAMANDA, premier président
Cassation sans renvoi


RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l’arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi forme par Mme X…,

contre l’ordonnance rendue le 5 mars 2010 par le premier président de la cour d’appel de Lyon, dans le litige l’opposant au préfet du Rhône, préfecture du Rhône, 106 rue Pierre Corneille, 69419 Lyon cedex 3, défendeur à la cassation ;

La première chambre civile de la Cour de cassation a, par arrêt du 18 janvier 2011, décidé le renvoi de Parfaire devant l’assemblée plénière ;

La demanderesse invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Bouthors, avocat de Mme X…

Des observations complémentaires ont été déposées par Me Bouthors;

Un mémoire en intervention volontaire en demande a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat du syndicat des avocats de France ;

Le rapport écrit de Mme Bardy, conseiller, et I’avis écrit de Mme Petit, premier avocat général, ont été mis à la disposition de Me Bouthors et de la SCP Masse-Dessen et Thouvenin ;

Sur quoi, LA COUR, (…)

Donne acte au syndicat des avocats de France de son intervention ; Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de |’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale ;

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 5 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;

Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appe| et les pièces de la procédure, que Mme X…, de nationalité comorienne en situation irrégulière en France, a été placée en garde à vue le 1er mars 2010 à compter de 11 heures 30 ; qu’elle a demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure ; qu’elle a été entendue par les fonctionnaires de police de 12 heures 30 à 13 heures 15 ; qu’elle s’est entretenue avec un avocat de 14 heures 10 à 14 heures 30 ; que le préfet du Rhône lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention le mêmejour à 15 heures 30 ; qu’i| a saisi un juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention pour une durée maximale de 15 jours à compter du 3 mars 2010 a 15 heures 30 ; qu’ayant interjeté appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui avait accueilli la demande, Mme X….a soutenu qu’elle n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et durant son interrogatoire par les fonctionnaires de police ;

Attendu que pour prolonger la rétention, l’ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne lient que les États directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l’appeIante ne concernent pas I’État français, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ;

Qu’en statuant ainsi alors que Mme X…. n’avait eu accès à un avocat qu’après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés ; Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;

Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue, entre les parties, le 5 mars 2010 par le premier président de la cour d’appel de Lyon ; Dit n’y avoir lieu à renvoi ; Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X…

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du quinze avril deux mille onze.

jeudi 14 avril 2011

Quelques commentaires sur les propos de Michel Mercier

Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, était ce 13 avril l’invité de France Inter pour présenter un peu plus en détail la réforme annoncée des jurés correctionnels. Des nouveautés sont apparues à cette occasion, le tout lié dans un argumentaire que le ministre a eu un peu la flemme d’apprendre par cœur d’où certaines imprécisions.

Je me propose de commenter ses propos, avec une méthode qui aura le mérite de la simplicité mais qui tord le cou à un millénaire de tradition universitaire : l’ordre chronologique dans lequel les propos ont été tenus. Les propos du ministre sont graissés. Je laisse intentionnellement de côté les propos purement politiques ou de communication, comme l’affirmation purement gratuite que les Français veulent cette réforme au point qu’ils ne parlent que de ça. Quand un ministre affirme entendre ce que disent les Français, c’est qu’il a discuté avec son chauffeur.

Tout d’abord, le ministre a été interrogé en tête à tête par le présentateur par intérim de la matinale, Bruno Duvic.


Michel Mercier par franceinter

Les jugements rendus par ces tribunaux renforcés ne seront pas plus sévères.

C’est en effet probable, tous les magistrats ayant siégé aux assises confirment qu’ils n’ont pas constaté d’unanimité répressive chez les jurés, qui aux assises auraient d’ailleurs les moyens d’imposer leurs vues. J’y reviendrai.

Aux assises, les jurés siègent avec les magistrats depuis 1932.

Non, depuis la loi du 25 novembre 1941 (Journal Officiel du 12 décembre). Vous comprendrez vu la date que cette précision n’est pas anodine. Auparavant, le jury criminel français était le même qu’en Angleterre et aux États-Unis : douze hommes délibérant seuls sur la culpabilité, la cour composée de trois juges délibérant seule sur la peine. Mais la crainte de voir des peines sévères frapper des coupables ne méritant pas la sévérité (l’ancien Code pénal prévoyant, voyez-vous ça, des peines plancher), on assistait de plus en plus à des acquittements d’opportunité. La loi avait déjà été modifiée pour permettre au jury de voter les circonstances atténuantes (dont le seul vote sauvait le condamné du risque de la guillotine), mais le régime de Vichy, qui ne se caractérisait pas par sa confiance démesurée dans le peuple a fondu cour et jury en une entité unique, de neuf jurés et trois juges pour garder le nombre douze, dont l’origine est biblique (allusion à la Pentecôte : quand douze hommes de bonne volonté sont réunis, l’Esprit Saint est avec eux).

Cette loi sur le jury de 1941 fait partie des rares lois de l’État Français sauvées de la nullité à la libération. Elle est de fait encore en vigueur aujourd’hui.

Sur le ralentissement du rythme des jugements

En effet, Jean-Paul Garraud fait dans la démesure dans sa critique, mais on a l’habitude de son caractère histrionique. Une audience ordinaire en collégiale (3 juges) peut espérer juger une dizaine d’affaires simples dans des conditions à peu près satisfaisantes, une quinzaine dans des mauvaises conditions (comme les comparutions immédiates), au-delà risque de sombrer dans le sordide et les juges décident généralement de renvoyer d’office les affaires surnuméraires avec une remarque glaciale au parquet qui décide du nombre d’affaires à juger par audience. Je n’imagine pas qu’en une après midi, le tribunal correctionnel renforcé puisse juger plus de 5-6 affaires.

Les moyens nécessaires seront affectés à cette réforme

Le ministre finira par s’agacer du caractère répétitif de cette question et des réactions dubitatives que ses affirmations réitérées provoqueront. Mais le manque dramatique de moyens de la justice est désormais bien connu, je comprends donc cette réticence et la partage pleinement. Notamment la centaine de magistrats recrutés annoncée aura pour effet d’équilibrer le nombre de magistrats recrutés en tout et ceux partant à la retraite. J’ai donc du mal à les considérer comme des magistrats supplémentaires pouvant sans dommages être affectés à cette tâche nouvelle.

Les questions techniques, comme les nullités de procédure, resteront réservées aux magistrats professionnels.

C’est le cas devant la cour d’assises, pour des raisons évidentes de technicité mais aussi parce que les jurés ne s’expriment aux assises que par un vote à bulletin secret, qui suppose une réponse binaire incompatible avec un débat sur, au hasard, la conformité du contrôle de la garde à vue par le seul parquet avec la convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, le projet de loi prévoit des assesseurs pour l’application des peines, ce qui est un peu contradictoire, car la matière est très technique.

L’entrée en vigueur sera progressive et commencera par une phase d’expérimentation dans le ressort de deux cours d’appel de taille différente.

Je vais solliciter mes taupes pour savoir lesquelles sont les heureuses élues. Je note en tout cas qu’une superbe porte de sortie est aménagée, puisque l’entrée en vigueur généralisée est reportée au delà de la fin du monde les élections présidentielles de 2012 — on nous avait promis des jurés « avant l’été »— ce qui en cas de changement de majorité veut dire enterrement de première classe et en cas de stabilité politique permet de changer d’avis sans perdre la face. Une réforme qu’on lance une patte en avant et l’autre déjà sur le recul ne paraît pas promise à une espérance de vie bien longue.

On va créer des tribunaux correctionnels pour mineurs de 16 à 18 ans récidivistes.

Une vieille lune de ce gouvernement, qui partage avec certains de mes clients une certaine obsession morbide pour la jeunesse. Actuellement, les mineurs —le droit pénal parle d’enfants— sont jugés par deux juridictions : le juge des enfants statuant seul en audience de cabinet (comprendre : dans son bureau) quand il s’agit de prononcer des mesures éducatives, qui sont des sanctions pénales pouvant être très contraignantes, mais où la finalité éducative est dominante, ou le tribunal pour enfants quand le prononcé d’une peine comme de la prison est envisagé. Le tribunal pour enfants est présidé par un juge pour enfants assisté de deux assesseurs non juges, choisis parmi des personnalités qualifiées ayant démontré leur intérêt pour les affaires de l’enfance. Les mineurs de 16 à 18 ans ayant commis un crime relèvent de la cour d’assises des mineurs, qui a pour particularité de siéger à huis clos, et d’avoir des juges assesseurs pris parmi les juges pour enfants.

Là, je ne comprends pas. Cette nouvelle juridiction spéciale aurait pour seule spécificité d’écarter les assesseurs du tribunal pour enfants pour les remplacer par des juges professionnels. je soupçonne aussi que ce tribunal pourra statuer dans une sorte de comparution immédiate pour mineurs, qui est une obsession récurrente de ce gouvernement depuis des années. J’aimerais qu’on m’explique la cohérence de vouloir adjoindre aux juges professionnels des citoyens assesseurs en correctionnelle pour les majeurs et dans la même loi virer les citoyens assesseurs du tribunal pour enfants dès lors que les faits sont graves. C’est donc qu’on craint leur trop grande clémence ? Mais on nous assure que les citoyens assesseurs en correctionnelle ne seront pas plus sévères ! Ajoutons à cela que les peines plancher créées en août 2007 s’appliquent aux mineurs, donc que la loi impose déjà une sévérité minimale en cas de récidive. Si quelqu’un trouve la logique interne, ses parents l’attendent à l’entrée du magasin.

C’est la loi du 12 avril 1906, et non l’ordonnance du 2 février 1945, qui a créé la spécificité du droit pénal des mineurs.

L’histoire du droit est une matière très noble. Mais on ne déchoit pas à la travailler. La loi du 12 avril 1906 fait 3 articles et n’a eu qu’un seul effet, certes notable : passer la majorité pénale fixée à 16 ans sous la révolution (Code pénal de 1791, repris dans le Code pénal de 1810 à 18 ans (la majorité civile n’a été fixée à 18 ans qu’en 1974). Elle n’a rien changé au régime pénal applicable aux mineurs, qui a essentiellement été fixé par la loi du 5 août 1850.

Cette loi créait les maisons de correction qui accueillaient les mineurs punis de six mois de prison au plus ou enfermés au titre de la correction paternelle. Le père avait en effet le pouvoir de faire enfermer ses enfants mineurs : un mois s’ils avaient moins de 16 ans, sans que le juge puisse y redire quoi que ce soit, et jusqu’à 6 mois de 16 à 21 ans, mais le juge pouvait refuser ou raccourcir cette période : art. 376 et suivants du Code Napoléon.

Outre les établissement pénitentiaires, se trouvaient les colonies pénitentiaires, les tristement célèbres “bagnes pour enfants”, comme la fameuse colonie de Mettray fondée en 1834, ou celle de Belle-Île-En-Mer, qui accueillent les mineurs dont la peine est comprise entre six mois et deux ans. En 1934, une révolte des enfants détenus suite au passage à tabac de l’un d’eux par les gardiens a donné lieu à une prime de 20 francs à quiconque capturerait un fugitif. Jacques Prévert, bouleversé par ce spectacle de battues, composa à cette occasion son célèbre poème La Chasse à l’Enfant.

Enfin, les colonies correctionnelles accueillent, si j’ose dire, les mineurs condamnés à plus de deux ans de prison.

Les conditions abominables dans lesquelles étaient traitées les enfants, et le grand nombre d’orphelins livrés à eux même dans un pays en ruine où les autorités étaient inexistantes a poussé un dangereux gauchiste bobo droitdelhommiste à prendre en février 1945 une ordonnance créant les juges pour enfants et les tribunaux pour enfants et posant le principe que toute sanction frappant un mineur devait avant tout viser à l’éduquer. Ce crypto-marxiste-léniniste s’appelait Charles de Gaulle.

Cette ordonnance est encore en vigueur aujourd’hui, même si elle a été modifiée 68 fois depuis. Oui, plus d’une fois par an.

L’excuse de minorité est graduée, elle a plus d’effets quand on a 13 ans que quand on en a 18.

Oui, il a dit ça. Comment vous dire, monsieur le Garde des Sceaux… Vous savez, depuis la loi du 12 avril 1906 (celle là même que vous avez amenée à Bruno Duvic), la majorité pénale est fixée à 18 ans. Il n’y a plus d’excuse de minorité à cet âge là.

L’excuse de minorité est une règle qui divise par deux les peines encourues par un mineur. Un vol simple est passible de 3 ans de prison. Commis par un mineur, l’excuse de minorité abaisse cette peine encourue à 18 mois. Elle s’applique à partir de 13 ans, qui est l,âge à partir duquel on peut prononcer une peine. Elle est impérative jusqu’à 16 ans. De 16 à 18 ans, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs peut écarter l’excuse de minorité par une décision spécialement motivée et prononcer alors une peine comprise entre la moitié et le maximum légal.

Les délinquants mineurs de 1945 ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui.

Argument régulièrement ressorti pour justifier des textes très répressifs contre les mineurs. Et qui est un pur sophisme.

Naturellement, ce ne sont pas les mêmes : 65 ans ont passé, soit toute une vie. Le monde a changé pendant ces 6 décennies, et sans doute plus qu’il n’a jamais changé en aussi peu de temps dans l’Histoire. On est pour le moment dans le domaine de l’évidence. Là où on bascule dans l’affirmation contestable, c’est quand on laisse entendre qu’ils ont changé en pire.

Les mineurs de 1945, ceux qui s’occupaient d’eux goûtent désormais aux félicités éternelles, et lesdits mineurs ne sont plus très frais (il doit en rester quelques uns au Sénat). Donc on ne risque pas trop la contradiction. Pour ma part, j’ai tendance à penser que des gamins de 12 à 21 ans, orphelins, SDF, livrés à eux mêmes dans un pays en guerre où l’occupant se livrait à la terreur avec la complicité des autorités administratives n’avaient aucune raison d’être plus doux, honnêtes et obéissants que les caïds de banlieue qui font les délices des documentaires de la première chaîne. En tout cas, l’affirmation selon laquelle nos doux bambins d’aujourd’hui seraient plus enclins au crime et à la violence qu’à l’époque mériterait d’être un tant soit peu étayée par des arguments scientifiques. Tout comme le fait que les conditions de vie exécrables dans les maisons de correction et les colonies pénitentiaires n’aient en rien assagi les enfants délinquants de l’époque peut nourrir une réflexion sur l’efficacité autre qu’électorale de la méthode. Ajoutons à cela les progrès pédagogiques, comme le fait par exemple qu’on ait supprimé de l’enseignement des établissements pour mineur l’entraînement au tir et à la manipulation des armes enseigné dans les années 30

Et en admettant un instant que les mineurs délinquants aujourd’hui soient en effet pires que ceux de 1945, en quoi sera-ce une solution de changer la composition du tribunal chargé de les juger ? Qui peut croire que nos Rapetout en culottes courtes trembleront d’effroi en lisant le Code de l’Organisation Judiciaire et aussitôt décideront d’employer leur vie à des travaux des champs ?

On ne le saura pas. On en reste à la gesticulation, et on écarte les assesseurs des tribunaux pour enfants en disant qu’ils sont nocifs, et on en fait entrer dans les tribunaux correctionnels en disant qu’ils sont indispensables. Dans la même loi.

Vient à présent la deuxième partie de l’émission, baptisée Inter Active. Jean-Philippe Deniau, le chef du service police-justice (dit aussi le service partout-nulle part) de France Inter et Jean-François Achilli, chef du service politique, se joignent à la ronde, même si, ce qui est un peu vexant pour ces journalistes de talent, ce sont des auditeurs qui sont amenés à poser des questions, avec le risque, pas toujours évité, du syndrome du café du commerce.


Michel Mercier par franceinter

Premier thème abordé, qui me fait frétiller : la garde à vue.

Le texte sur la garde à vue est un texte d’équilibre

Ça commence mal. Rappelons que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont constaté l’évidence que les avocats, dont modestement votre serviteur, répétaient jusque là en vain depuis deux ans : la garde à vue ne répondait pas aux exigences minimales des droits de l’homme. Le Conseil a donné dans sa décision de juillet dernier le mode d’emploi pour se mettre en conformité : assistance effective d’un avocat, donc présence aux interrogatoires, accès au dossier, possibilité de poser des questions, de s’entretenir confidentiellement avec son avocat, bref tout ce qu’il faut pour commencer à exercer la défense dès le moment de l’arrestation.

Ce sont là des exigences minimales : en deçà, on n’est pas en conformité avec les droits de l’homme.

Quand le Garde des Sceaux nous dit donc fièrement qu’il s’agit d’un texte “d’équilibre” entre les droits de la défense et les nécessités de l’enquête, vous l’aurez compris, et la lecture de la petite loi (c’est ainsi qu’on appelle un texte de loi voté par le parlement mais pas encore promulgué car pouvant être soumis au Conseil constitutionnel) le confirme : le législateur n’a pas été fichu de se conformer à ces exigences minimales (notamment sur le point crucial de l’accès au dossier). Citoyens français, vos droits font peur.

Je note au passage que, invité à commenter les propos de Claude Guéant sur les incidents que notre présence ne manquerait pas de provoquer, le ministre assure de son entière confiance les policiers et les gendarmes. Je vous laisse trouver qui il a oublié.

Les avocats seront indemnisés 300 euros pour une garde à vue outre 150 euros en cas de prolongation

Dont acte.Sous réserve de la sujétion réelle qu’imposera la garde à vue nouvelle formule, et qui nécessite d’être confronté à la réalité, le niveau d’indemnisation semble correct pour une mission d’AJ. Il faudrait préciser s’il y a majoration pour déplacement ; la question ne se pose pas à Paris, mais chez nos voisins de Versailles, où la plupart des cabinets sont à Versailles même, où siègent le tribunal, la cour d’appel, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, il y a 50 km entre cette ville et Saint Arnoult, au fin fond du département. Il faut en tenir compte.

Cette loi sur la garde à vue sera appliquée

Cela ne fait aucun doute. Au 1er juillet, tous les articles du code de procédure pénale sur la garde à vue seront définitivement abrogés. Le Gouvernement n’a pas le choix. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, mais il doit le faire.

On va définir les cas dans lesquels ont pourra recourir à la garde à vue

En effet, la loi prévoit que

« Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :

« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;

« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;

« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Maintenant, je ne me fais aucune illusion. D’abord, la garde à vue actuelle était aussi soumise à conditions (il faut que ce soit pour les nécessités de l’enquête,et qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.

Ensuite, l’article 144 du même Code prévoit une liste de ce genre restreignant le recours à la détention provisoire, qui doit être “exceptionnelle” et “l’unique moyen” de parvenir à ces buts. On sait ce que ça donne en pratique.

Viennent à présent les auditeurs.

Ariane de Lorient

Ariane va nous proposer un formidable condensé synthétique de tous les clichés sur le jury populaire, avec en prime l’argument d’autorité : “Moi, j’ai assisté à des procès d’assises”, comprendre dans le public.

Le jury arrive et il ne sait pas de quoi il s’agit : c’est un peu le principe du jury populaire. Mais le début de l’audience est consacré à la lecture de l’ordonnance de mise en accusation qui est un résumé complet des faits et de l’enquête, et les débats durent généralement au moins deux jours pour leur permettre de s’imprégner du dossier et de connaître les parties en présence. S’ils sont ignorants au début, ce qui est une garantie de leur impartialité, à la fin du procès, il y a peu de gens qu’ils connaissent aussi bien que l’accusé. Même dans leur entourage familial proche.

Les jurés s’endorment : le coup de barre d’après le repas du midi est une malédiction, et pour peu que ce soit un expert au ton monotone qui vienne témoigner, c’est radical. Mais le coup de barre n’est pas le sommeil. La loi prévoit qu’un juré qui se serait endormi doit être remercié et remplacé par un juré supplémentaire, car il n’a pas assisté à l’intégralité des débats. Il en va de même d’ailleurs quand c’est l’avocat. En aucun cas la cour ne continue ses travaux en chuchotant pour ne pas réveiller les 9 jurés renversés sur leurs fauteuils.

Les jurés ne comprennent rien à ce qui se passait, car c’est souvent compliqué aux assises : chère Ariane, si vous avez compris ce qui se passait à chaque fois, ce que je veux croire puisque vous y retourniez, faites donc le même crédit à vos concitoyens.

Les jurés n’ont aucune notion de droit : C’est en effet le cas la majorité des fois. Mais avant d’aller délibérer, ils vont avoir trois éminents juristes qui vont chacun leur tout leur exposer l’état du droit et la solution que selon eux il préconise dans l’intérêt de la victime, de la société et de l’accusé. Pendant le délibéré, ils ont sous la main trois juristes au moins aussi bons qui peuvent répondre à toutes leurs questions. Et si malgré cela ils ne savent toujours pas, la loi leur indique la voie : cela doit profiter à l’accusé.

Les jurés jugent par rapport à leur affectif et non par rapport à des preuves : Chère Ariane, de quoi parlons-nous donc pendant les deux jours d’audience ? Croyez-vous que l’expert balistique et le médecin légiste, son rapport d’autopsie sous le bras, viennent inviter les jurés à laisser parler leur Moi psychanalytique ?

L’impression que m’a donné Ariane est qu’elle n’a pas assisté à des procès d’assises, mais à un procès d’assises, concernant un de ses proches, et que le résultat ne l’a pas satisfaite.

Néanmoins, rebondissons sur ces remarques pour faire un examen comparé de la cour d’assises et du tribunal correctionnel renforcé. On a vu que depuis 1941, juges et jurés délibèrent ensemble. Mais d’une part, le jury est majoritaire, et peut emporter une décision contre l’avis des magistrats. D’autre part, le secret du vote garantit sa sincérité. Non que les présidents manipulent ou veulent imposer leurs vues au jury — il y en a, mais ils sont rares — mais cette garantie assure à ceux qui ne sont pas au délibéré, l’accusé en premier, que ce délibéré a lieu dans des conditions optimales d’indépendance d’esprit. Devant le tribunal correctionnel renforcé, il n’en sera rien. Les jurés seront minoritaires, et leur vote sera connu des magistrats. Cette différence est fondamentale et suffit à réfuter tout argument comparatif avec la cour d’assises. La loi ne parle d’ailleurs pas de jurés correctionnels, mais de citoyens assesseurs. C’est exactement cela. Et rien de plus. Cet aspect mérite d’être au centre de la réflexion sur les modalités de cette réforme.

Les citoyens assesseurs pourront poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et pourquoi pas aux avocats

C’est expressément prévu par le projet de loi. Et c’est une bombe à retardement.

Aux assises, si un juré exprime au cours de l’audience son opinion sur la culpabilité, il doit être excusé et remplacé par un juré supplémentaire. Il n’y aura rien de tel devant le tribunal correctionnel renforcé. Qu’un juré laisse échapper un “Mais vous croyez qu’on va gober vos mensonges ?” et le procès ne sera plus équitable faute d’impartialité du juge. Je sens que les présidents de correctionnelle retiendront leur respiration en donnant la parole aux citoyens assesseurs.

La rémunération des jurés

Le ministre n’a pas compris ou n’a pas voulu comprendre la question de l’auditeur à 8 euros par dossier. Il ne s’agissait pas d’un juré mais d’un délégué du procureur, une de ces petites mains de la justice qui contribue à faire du chiffre dans l’indifférence. Le délégué du procureur reçoit l’auteur de faits délictuels dans le cadre des alternatives aux poursuites. Il propose à l’auteur des faits d’accepter des mesures qui s’apparentent à des peines sans en être (pas d’inscription au casier) et à indemniser la victime en échange d’un classement sans suite. Il peut traiter plusieurs dizaines de dossiers par jour, qui comptent comme une réponse pénale. Ils sont payés 8 euros par dossier, avec parfois un an de retard. Les juges de proximité, créés par le président précédent, ne sont plus payés et devraient bientôt être supprimés. Les experts ne sont plus payés qu’avec deux ans de retard.

Et le ministre annonce que les citoyens assesseurs seront rémunérés aussi bien voire mieux que des magistrats professionnels. Vous comprendrez les réactions dubitatives, surtout quant à la pérennité de ce financement.

Ce sujet n’est pas épuisé, mais je crains que mes lecteurs ne le soient ; certains aspects de la loi n’ayant pas été abordés. Le texte du projet en est publié, je vais en prendre connaissance, et il y aura lieu de revenir notamment sur la cour d’assises light.

Mais vous savez que je suis un citoyen se voulant exemplaire, et je me devais de rectifier certains propos du ministre. Voilà qui est fait.

jeudi 31 mars 2011

Circulaire interprétative

“Par Gascogne”


Dans quelques jours, notre droit pénal devrait connaître un bouleversement que trop peu de commentateurs de notre vie juridique n’ont pour le moment analysé : l’entrée en vigueur des trois premiers articles de la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

En effet, la seule disposition entrée en vigueur au moment de la promulgation de la loi a été la création d’un délit de “dissimulation forcée du visage”, prévu par l’article 4 de cette loi, et qui prévoit :

Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende. (nouvel article 225-4-10 du code pénal, qui vient s’insérer dans la section « De la traite des être humains », excusez du peu…).

Quant aux trois articles qui vont bientôt entrer en application, ils concernent la répression de la dissimulation du visage dans l’espace publique.

L’avantage d’être au Parquet est que la Chancellerie est toujours prompte à diffuser des circulaires interprétatives des textes répressifs afin qu’un procureur étourdi ne puisse s’égarer dans les voies de la répression, qui comme chacun le sait peuvent parfois paraître impénétrables.

Quelle ne fut donc pas ma joie de recevoir sur ma boîte électronique (qui n’en manquait pourtant pas) la circulaire numéro Nor JUSD1107187C, n° circulaire CRIM 11-04/E8-11.03.2011, référence S.D.J.P.G. 10-L-65, document analytique de 8 pages venant m’exposer comment désormais j’allais pouvoir appliquer les trois premiers articles de la loi nouvelle. Et je ne fus pas déçu.

La Directrice des Affaires Criminelles et des Grâces, signataire par délégation en lieu et place du Garde des Sceaux de ce monument de juridisme, informe tout d’abord les parquetiers étourdis que la nouvelle infraction est une contravention de 2ème classe. Pour les Mékeskidi perturbés par ce langage technocratique, cela signifie simplement que le montant de l’amende encourue est au maximum de 150 € (article 131-13 du code pénal). La peine complémentaire de stage de citoyenneté est également encourue. La juridiction compétente est en conséquence le juge de proximité.

La répression sera donc féroce. A noter tout de même en ces temps troublés quant à la hiérarchie des normes[1], qu’une loi n’est pas censée créer des contraventions, au visa des articles 34 et 37 de la constitution de 1958 qui répartissent les compétences entre pouvoir exécutif et ce qui s’appelle chez nous le pouvoir législatif, mais nous ne sommes plus à ça près.

Puis viennent les explications sur les éléments constitutifs de l’infraction. La définition de l’infraction est somme toute assez claire :

Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. (…) l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

Les exceptions à la répression le sont tout autant :

L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.

Les explications apportées par la circulaires sont tout de même venues éclairer ma lanterne, qui se trouvait bien assombrie par ce texte complexe.

Tout d’abord, concernant la dissimulation du visage, la circulaire précise qu’il « peut s’agir d’un voile intégral (on s’en doutait un peu), mais aussi d’une cagoule, d’un bas, d’un masque, etc. » L’hypothèse de la cagoule ou à fortiori du bas étant essentiellement réservée à une catégorie pénale qui fréquente plus les guichets de banque que les lieux de promenade dominicale, et qui de ce fait encourt le plus souvent un passage en Cour d’Assises, je ne suis pas persuadé que la crainte d’une amende de 150 € et d’un stage de citoyenneté les fasse changer de méthode, mais sait-on jamais.

La circulaire vient ensuite sur les exceptions, pour éviter bien entendu les poursuites inopportunes. Concernant les tenues prescrites ou autorisées par des dispositions législatives ou réglementaires, la Chancellerie précise tout d’abord que le casque porté par un motard respectant ainsi scrupuleusement le code de la route ne saurait donner lieu à poursuites. Nos amis les motards seront donc rassurés.

Mieux encore, la circulaire cite l’article 803 du code de procédure pénale, qui prévoit qu’il convient de prendre toutes mesures utiles pour éviter qu’une personne menottée ne soit photographiée ou filmée, comme étant un texte autorisant la dissimulation du visage. Autrement dit, interdiction est faite à tout parquetier facétieux de poursuivre sur le fondement de la loi nouvelle un accusé transféré du fourgon de police vers la salle d’Assises et que les escortes ont recouvert d’un blouson pour éviter les journalistes. Je dois reconnaître qu’à la discussion de la loi, j’avais bien pensé à quelques exemples amusants, mais pas à celui-là. Mon manque d’imagination me ferme de manière rédhibitoire les portes de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces.

Enfin, concernant les tenues pour motifs de santé, motifs professionnels, ou justifiées par des pratiques sportives , de fête ou de manifestations artistiques ou traditionnelles, la circulaire invite les procureurs à ne pas poursuivre les malades porteurs de bandages[2], les personnels portant des mesures de protection contre les substances ou préparations dangereuses[3], ou encore les participants à des processions religieuses présentant un caractère traditionnel[4]. Rien cependant sur les escrimeurs et autres kendoka qui ont dès lors des motifs de crainte à avoir.

J’entends bien que pour plaire, bon nombre de mes collègues seraient sans doute prêts à poursuivre tout et n’importe quoi, mais je dois avouer que la rédaction de cette circulaire, qui tend vers une infantilisation hallucinante des parquetiers, me semble particulièrement révélatrice de la façon dont les hautes instances parisiennes considèrent les procureurs. Elle démontre en outre que les petites mains de la Chancellerie n’ont pas la moindre idée de la manière dont nous travaillons en juridiction, et des besoins d’assistance juridique que nous pouvons éventuellement avoir. Mais comme tout pauvre soutier que je suis, je dois me tromper…

Notes

[1] une jurisprudence conventionnelle pouvant visiblement contredire désormais notre constitution, concernant par exemple le statut du Parquet

[2] les grands brûlés sont soulagés. Rien par contre sur les momies, à mon grand étonnement

[3] les salariés travaillant en centrale nucléaire en seront heureux

[4] Mais quid d’un défilé du KKK ?

vendredi 25 février 2011

Fiches de lecture

“Par Gascogne, bibliothécaire intérimaire “


Les vacances scolaires sont toujours propices à lire un peu plus que la moyenne. Ajoutez à cela un abonnement en salle de sport qu’il convient de rentabiliser, malgré un corps déjà sculpté à l’image de celui d’un dieu grec, et vous aurez une occasion supplémentaire de dévorer quelques ouvrages en plus (j’adore faire du vélo en lisant, mais d’un pur point de vue sécuritaire, il vaut mieux pratiquer en salle…).

Je viens d’enchaîner un essai et un roman, dont les rapports avec ce blog ne vont pas vous échapper. Le premier d’entre eux s’appelle “Le Justicier”. Ecrit par Dorothée Moisan, journaliste, il rapporte l’histoire des rapports difficiles[1] entre le président de la République et l’institution judiciaire. Je pensais ne pas y trouver grand chose que je ne sache déjà, et j’ai été agréablement surpris. Encore qu’agréablement ne soit pas vraiment le terme lorsque l’on se rend compte :

1°/ que le mépris du chef de l’Etat, censé être le garant de l’indépendance de la magistrature, pour cette dernière, ne date pas d’hier, et est encore bien pire que ce que j’imaginais. Il est d’ailleurs entouré de magistrats qui eux-mêmes estiment que le reste de la magistrature de vaut pas tripette. Venant pour certains de “collègues” qui n’ont quasiment jamais exercé en juridiction, cela me laisse assez indifférent. Par contre, lorsqu’il s’agit de personnage de la trempe d’un Philippe Courroye, je dois avouer que cela me perturbe. Comment quelqu’un qui s’est forgé une réputation de magistrat intègre lorsqu’il était au siège a-t-il pu à ce point tomber dans les travers d’éventuels conflits d’intérêts multiples (remise de médaille par l’exécutif, dîners à domicile avec des parties potentielles à une enquête en cours, mainmise sur de multiples affaires politico-financières sans saisine d’un juge d’instruction…) une fois passé au parquet, contre l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, soit dit en passant ?

Le mépris du président de la République semble d’ailleurs porter sur l’ensemble des corps dits “intermédiaires”. Le Canard Enchaîné de cette semaine rapporte ainsi les propos présidentiels tenus le 21 février suite à la crise au Maghreb. Selon le bien informé palmipède, Nicolas Sarkozy se serait allé à cette belle envolée : “C’est vrai, les diplomates n’ont rien vu venir. Ce n’est pas la première fois. Je n’ai d’ailleurs jamais aimé les diplomates ni les magistrats (il faudra que quelqu’un m’explique le rapport…), ce n’est pas ma culture. Moi, j’aime les préfets et le flics (sic). Les magistrats et les diplomates vivent comme leur corps, repliés sur eux-même et pas assez en phase avec la société qu’ils cotoient.”

N’habitant dans aucun palais de la République, mais dans une modeste maison individuelle avec femme, enfants, chien et poisson rouge, dans une petite ville où j’ai effectué l’essentiel de mon cursus scolaire, le reste s’étant fait à la faculté la plus proche, fréquentant cinéma, clubs de sport, et associations sportives, et d’autres activités encore dans ma ville, participant comme tout un chacun aux réunions parents-professeurs, vous comprendrez que je vois difficilement comment être plus en “phase avec la société”. Ceci étant, je suis tout prêt à apprendre de la part de quelqu’un qui n’est jamais sorti des Hauts de Seine que pour se rendre à Paris, au Fouquet’s ou encore sur des Yachts pour les vacances, quand je dois me contenter d’une petite location saisonnière…

2°/ que le garant de l’indépendance de la magistrature a su mettre en place un véritable réseau d’affidés dans la haute magistrature, qui a pu lui rendre quelques menus services ces derniers temps. Je ne doute pas qu’en cas de changement de majorité, le “spoil system” reprendra ses droits, mais tout cela resta tout de même assez inquiétant.

Une nuance, malgré tout. Les critiques du livre sur la mainmise élyséenne sur l’institution judiciaire souffre une seule atténuation, mais de taille. Cette mainmise, réelle à mon sens, n’existe que pour quelques juridictions, et dans le cadre de leur fonctionnement, pour quelques dossiers. C’est déjà beaucoup trop dans une société démocratique, mais cela ne doit pas faire oublier que dans l’immense majorité des autres tribunaux, et pour l’immense majorité des autres dossiers, dont le pouvoir se moque comme de l’an 40, l’institution fonctionne hors de toute intervention politique. En quelques années de fonction, n’ayant quasiment jamais eu à traiter de dossiers dit “sensibles”, je n’ai jamais eu a sentir le poids d’une quelconque intervention politique, et je pense avoir toujours pu faire mon travail en mon âme et conscience.

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Le deuxième livre dont je voulais parler est un roman sans grand rapport. Il s’agit de “Faute de preuve”, d’Harlan Coben. Les amateurs de polar ne peuvent que le connaître, particulièrement sa série des Mayron Bolitar, que personnellement, j’adore. Harlan Coben a l’art et la manière de construire des intrigues à tiroir, assez complexes, ce qui peut parfois d’ailleurs faire sa faiblesse, en terme de crédibilité.

Ce livre, dont je ne vous narrerai bien sûr pas la fin (sauf vengeance anti-troll), porte globalement sur des accusations portées contre trois personnes, dont une est accusée de pédophilie. Or, l’homme qui supporte cette accusation, relaxé suite à un problème procédural, finit par subir les foudres du père d’une victime, par ailleurs Marshall à la retraite. Du moins semble-t-il.

Un passage dans le livre m’a particulièrement intéressé. Le mis en cause du meurtre du “présumé pédophile”, dont soit dit en passant on ne retrouve pas le cadavre, est interrogé par la police, sur la base d’un témoignage direct (je vous passe les détails, ce serait trop complexe, et sans intérêt pour la suite). Outre le fait qu’il est assisté d’une avocate genre Pittbull, qui parle intégralement à sa place lors de sa “garde à vue”, c’est surtout la suite qui m’a intéressé. En effet, malgré le témoignage direct du témoin indiquant l’avoir vu faire feu à bout portant sur la victime, et après la brillante démonstration du ténor du barreau sur la légèreté des charges contre son client (c’est vrai, quoi, on ne retrouve que le sang de la victime dans son véhicule, un témoin le voit tirer sur la victime, contre laquelle il éprouve une légère rancoeur dont nul ne pourrait le blâmer), le mis en cause est relâché sans aucune autre procédure d’ordre judiciaire.

Ce qui m’a particulièrement interpellé, c’est que des histoires de meurtre sans cadavre, avec des charges que l’on peut discuter, nous en avons connu un certain nombre en France, la dernière d’entre elles étant celle de ce professeur toulousain, finalement acquitté. Et je me suis fait la réflexion que dans notre système, notre bon vieux Marshall à la retraite aurait terminé en détention provisoire, malgré ses (molles) dénégations.

Je ne pense pas que ce soit un problème de procédure, mais plus de mentalité. Les américains, de par leur histoire, privilégient la liberté de l’individu sur la défense de la société. Notre société tend plutôt vers l’inverse, et les déclarations intempestives visant la recherche de coupable avant tout ne fait rien pour arranger les choses. Je ne pense pas que toutes les procédures du monde pourront chez nous suffisamment limiter la détention provisoire, tant que le public n’acceptera pas qu’un “présumé coupable” puisse attendre son jugement en étant libre, comme cela est pourtant le principe.

Deux livres en plus des affaires de ski, ça n’est quand même pas grand chose, surtout lorsqu’ils font réfléchir en plus de vous distraire. Alors bonne lecture !

Notes

[1] doux euphémisme

dimanche 20 février 2011

Classement sans suite

“Par Gascogne”


L’article 40-1 du code de procédure pénale donne au procureur de la République la possibilité, lorsqu’est portée à sa connaissance la commission d’une infraction par une personne dont l’identité et le domicile sont connus, soit de poursuivre le mis en cause devant une juridiction de jugement (tribunal de police ou tribunal correctionnel : le procureur fera alors remettre au mis en cause une convocation à comparaître, par l’intermédiaire d’un huissier via ce que l’on appelle une citation directe, par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, ou encore en main propre dans le cadre de ce que l’on appelle une convocation par procès verbal), soit de mettre en œuvre des mesures alternatives aux poursuites (par exemple un rappel à la loi, par officier de police judiciaire ou délégué du procureur[1], qui consiste simplement à rappeler à la personne ayant commis une infraction les peines encourues, puis à classer le dossier sans suite, ou encore composition pénale, qui consiste à faire valider par un juge une mesure qui ressemble fort à une peine, mais qui n’en porte pas le nom, le procureur ne pouvant imposer une peine à une personne, contrairement à un juge, seul constitutionnellement habilité à ce faire).

D’autres pays, comme l’Allemagne, ne connaissent pas ce principe d’opportunité des poursuites, auquel ils opposent celui de légalité des poursuites, selon lequel toute infraction doit nécessairement être poursuivie. Pour assurer le traitement d’un nombre de procédures plus important, le nombre de procureurs et de juges en Allemagne est bien évidemment beaucoup plus élevé qu’en France (2,9 procureurs pour 100 000 habitants en France, contre 6,2 en Allemagne, 11,9 juges contre 24,5 - source CEPEJ).

Chaque système a ses avantages et ses inconvénients, ainsi d’ailleurs que ses propres exceptions au principe (voire ici pour quelques approfondissements).

Notamment, concernant l’opportunité des poursuites, il permet de gérer la masse des plaintes, qui ne sont pas toujours particulièrement bien étayées, et également d’éviter des poursuites inopportunes pour des infractions pourtant constituées. Toutefois, et afin de compenser ce pouvoir exorbitant face à la victime, qui consiste à choisir en simple opportunité de poursuivre ou non l’auteur identifié d’une infraction, notre droit a prévu le mécanisme de la citation directe par la victime devant la juridiction de police ou correctionnelle, ainsi que la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, qui mettent en route l’action publique sans que le procureur ne puisse s’y opposer, sauf motifs juridiques spécifiques, ou dossier politique[2]

Malheureusement, la pression des statistiques imposée depuis un certain nombre d’années par la Chancellerie sur les parquets fait qu’il est de moins en moins possible pour un procureur de présenter à la grand messe annuelle qu’est l’audience de rentrée de son TGI des chiffres où apparaîtraient un taux trop important de classement sans suite dit d’opportunité, c’est à dire qui ne correspondrait pas au minimum à un rappel à la loi. C’est ainsi que le Ministère affiche des taux de réponse pénale de 87,7 % pour les majeurs, 92,9 % pour les mineurs, soit un taux résiduel de classement sans suite d’opportunité de 12,3 % pour les majeurs, et 7,1 % pour les mineurs. Nous ne sommes plus très loin d’un système de légalité des poursuites.

La décision de poursuivre une personne n’est pas nécessairement toujours facile à prendre, loin du cliché du procureur schizophrène qui ne pourrait pas surveiller une garde à vue puisqu’il aurait nécessairement déjà en tête les joies d’en découdre à l’audience. Ainsi en a-t-il sans doute été pour les collègues qui ont poursuivi ce père en Isère, et cette mère dans l’Essonne, à la suite du décès de leur enfant oublié dans leur voiture. Les décisions prononcées ont d’ailleurs a priori été à la hauteur des difficultés qu’ont connues les juges au moment de s’entendre sur la peine adéquate.

Il est cependant clair que dans ces deux cas, j’ai un peu de mal à voir ce que ce genre de procès apporte à la société, si ce n’est le message consistant à dire qu’il convient de bien surveiller ses enfants, ce avec quoi tout un chacun sera d’accord. Il est évident que la fonction punitive de la peine ne saurait être remplie, les prévenus ayant déjà eu à souffrir eux-mêmes de leur propre comportement. Même chose concernant le fait que la peine doit aussi servir à éviter la récidive par la crainte qu’elle entraîne. Inutile de développer plus…

Dès lors, un classement sans suite dans ce genre d’affaire ne me paraît pas déraisonnable, quand bien même y-a-t-il eu mort d’homme, tant il me semble évident que les auteurs sont également victimes de leur propre faute. Tout comme il est tout autant aussi évident que les notions d’auteur ou de victime ne sont pas aussi linéaires et simples que l’exploitation que le politique en fait pourrait le faire croire[3].

Le contentieux routier est bien souvent très difficile en la matière, tout comme d’ailleurs celui des infanticides, car la victime du comportement fautif est un proche de l’auteur de ce comportement. Fort heureusement, ni l’un ni l’autre ne font partie de mon contentieux, économique et financier, et dès lors moins sujet à ce genre de cas de conscience. Il me reste tout de même la permanence et les audiences pour être confronté à ces auteurs-victimes. Car contrairement à ce que semble penser notamment M. Baroin, récitant ses éléments de langage, nous sommes confrontés tous les jours aux justiciables, et à leur détresse. Et nous ne pouvons pas choisir nos dossiers. Et en terme de Justice, c’est tant mieux.

Notes

[1] Mesure dont Julien DRAY a profité

[2] Comme par exemple celui dit des “biens mal acquis” pour lequel le parquet n’a pas réellement goûté aux joies de la constitution de partie civile de l’association Transparency international

[3] Le “politique” semble d’ailleurs parfaitement au courant, Nicolas Sarkozy ayant refusé de recevoir lui-même le père biologique de Laëtitia Perrais, qui en avait pourtant fait la demande, pour cause de casier judiciaire peu compatible avec la notion de blanche victime que le président semble adorer…

jeudi 17 février 2011

Les rapports dans l'affaire Meilhon

À la suite de la mort de la jeune Lætitia le 19 janvier dernier à Pornic (Loire-Atlantique), mort dont est soupçonné Tony Meilhon, la Chancellerie a ordonné deux enquêtes administratives sur le fonctionnement global du service assurant le suivi des condamnés (qu’on appelle le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, SPIP) et de l’application des peines au sein du tribunal de grande instance de Nantes et plus spécifiquement le traitement du dossier de Tony Meilhon.

Pourquoi deux enquêtes ? Parce que l’exécution des peines relève à la fois de l’administration pénitentiaire (qui gère les SPIP) et de la Justice (Parquet de l’exécution des peines, Service d’Application des Peines (SAP) composé de juges de l’application des peines (JAP), qui relèvent de deux Directions Générales différentes au sein du ministère, souvenir du temps où la Pénitentiaire relevait du ministère de l’intérieur.

Ces deux rapports, que vous trouverez reproduits intégralement en annexe au grand dam de ma bande passante, sont riches d’enseignement.

Je vais d’abord vous en faire une synthèse, avant de vous faire part, pour ceux que cela intéressera, de mes commentaires.

Un petit mot néanmoins avant cette plongée dans les rouages de la justice. Je vous rappelle que je suis avocat. C’est à dire que je suis indépendant, farouchement indépendant ajouterais-je même. J’exerce en profession libérale. Je ne vis que des honoraires que veulent bien me verser mes clients. Je n’ai rien dans mon bureau que je n’aie payé de ma poche (hormis quelques cadeaux faits par des clients satisfaits, qu’ils en soient remerciés), ce qui inclut les murs l’entourant. Je ne dois rien au ministère de la justice (j’aimerais pouvoir en dire autant de celui du Budget), je suis extérieur à l’administration de la justice, et en aucun cas les magistrats et les Conseillers d’Insertion et de Probation ne me considèreront comme l’un des leurs. Je suis là pour les aider à décider, étant auxiliaire de justice, mais je suis en tout premier lieu solliciteur au nom de mes clients. Inutile donc pour certains esprits chagrins qui voudront faire coller les faits à leurs préjugés sur cette affaire de tenter de disqualifier les propos que je pourrais tenir semblant défendre les services concernés face à des anomalies constatées en les affublant du cliché commode de « corporatisme ». Pour qu’il y ait corporatisme, il faut qu’il y ait identité de corps, et le fait que nous portions tous une robe noire (similaire pas point identique) ne suffit pas à créer une quelconque connivence. Nous passons plus de temps à nous engueuler qu’à boire ensemble, sauf sur ce blog bien sûr.

Néanmoins, nous partageons une haine commune pour l’injustice. C’est elle seule qui m’animera dans mes commentaires.

La triste histoire judiciaire de Tony Meilhon

Les deux rapports ayant été écrits séparément reviennent tous deux sur la trajectoire judiciaire de Tony Meilhon. Beaucoup d’informations, parfois contradictoires ayant circulé là-dessus, un rappel des faits sera éclairant. Et déprimant, surtout pour les lecteurs extérieurs au monde judiciaire, car des trajectoires comme celle-là, on en a tous vu, et même des pires.

Tony Meilhon est né le 14 août 1979. Son casier judiciaire mentionne 13 condamnations. Les voici, étant précisé que je n’ai que la date des condamnations et non celle des faits, qui peut expliquer que des condamnations postérieures à des faits identiques ne soient pas en récidive.

1. Le 15 mai 1996 (à l’âge de 16 ans), 3 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 3 ans pour vol aggravé et conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Ce sursis a été totalement révoqué le 4 décembre 1996.

2. Le 29 avril 1997 (17 ans), 4 mois d’emprisonnement avec sursis pour vols aggravés. Ce sursis simple n’aurait pas dû être prononcé du fait de la condamnation précédente.

On passe ensuite, sauf mention contraire, aux juridictions pour majeurs.

3. Le 13 mars 1998 (18 ans), 6 mois fermes pour vol aggravé. J’ignore pourquoi la récidive n’a pas été visée.

Le 8 août 1999 (18 ans), il est incarcéré en détention provisoire pour des faits de viol, agression sexuelle et violences avec armes (cf. condamnation n°5).

4. Le 22 juin 2000 (20 ans), 6 mois fermes pour évasion par violence.

5. Le 9 mars 2001 (21 ans), la cour d’assises des mineurs l’a condamné à 5 ans dont 1 an avec sursis et mise à l’épreuve d’une durée de 3 ans pour des faits de viol, violences aggravées, agression sexuelle. Ces faits ont été commis en détention dans un établissement pour mineurs, sur la personne d’un détenu pour des faits de viol. Tony Meilhon a expliqué les avoir commis pour « punir » ce détenu, ces faits là le dégoûtant. Il estimera du coup avoir été injustement condamné et en concevra une profonde colère. Détail important : cette condamnation apparaît de manière erronée au casier comme « réputée non avenue », c’est à dire comme si le délai d’épreuve était terminé. Or la détention suspend le délai de mise à l’épreuve. J’y reviendrai, c’est un élément essentiel du dossier.

6. Le 30 avril 2002 (22 ans), 6 mois fermes pour vols aggravés en récidive, violences aggravées en récidive et dégradations volontaires. Il s’agit de sa première condamnation en récidive.

Le 3 avril 2003, la cour d’appel de Rennes rejette sa demande de confusion de cette peine avec sa condamnation criminelle : il devra les purger successivement.

Il est libéré le 31 mai 2003, en fin de peine. Il a alors purgé ses condamnations à du ferme, et doit rester suivi dans le cadre de la mise à l’épreuve de la condamnation n°5. Ils est bien reçu par le juge d’application des peines dans les 5 jours, comme la loi le prévoit, mais celui-ci n’a pas pu retrouver les obligations auxquelles Tony Meilhon était tenu (il n’y avait pas d’obligation de soins, ce qui est rare pour des faits de viol). Le juge lui a dit qu’un CIP prendrait contact avec lui, mais ça n’a pas eu lieu, puisque dès le 31 août 2009, Tony Meilhon était à nouveau incarcéré pour des faits criminels (un braquage, cf. condamnation n°7). Vous allez voir qu’il n’est pas resté inactif en liberté.

7. Le 22 juin 2005 (25 ans), la cour d’assises le condamne à 6 ans de prison pour vol avec arme et recel de vol. C’est sa seconde et dernière condamnation criminelle à son casier.

8. Le 27 janvier 2006 (26 ans), 7 jours de prison pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique (un surveillant de prison).

9. Le 11 décembre 2007 (28 ans), 6 mois de prison ferme pour refus d’obtempérer (c’est un délit routier : la police vous fait signe de vous arrêter, vous continuez nonobstant).

10. Le 20 décembre 2007, 2 mois de prison pour menaces envers un magistrat (faits commis en détention).

11. Le 22 janvier 2008, 6 mois de prison et 150 euros d’amende pour refus d’obtempérer, conduite sans permis, défaut d’assurance, violences légères (moins de 8 jours d’incapacité temporaire de travail).

12. Le 26 mars 2008, 8 mois de prison pour évasion (faits commis en détention, par définition).

13. Enfin, le 30 juin 2009, 1 an de prison dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 2 ans pour outrage à magistrat en récidive (un juge des enfants). Faits commis en détention. C’est sa deuxième et dernière condamnation en récidive légale.

Il a été libéré en fin de peine le 24 février 2010, son temps de détention ayant été rallongé de 6 mois et 15 jours en raison de problèmes disciplinaires (retraits de crédits de réduction de peine, pour les techniciens).

Du fait de sa condamnation pour des faits de viol, il a été inscrit au Fichier Judiciaire des Auteurs d’Infraction Sexuelle (FIJAIS), ce qui l’obligeait à déclarer son adresse à la sortie. Comme il ne l’a pas fait, une alerte est lancée le 9 septembre 2010 et transmise au commissariat de Nantes, qui l’ recherché recherche en vain. Le parquet de Nantes, informé de ces vaines recherches, le fait inscrire au fichier des personnes recherchées en émettant un mandat de recherche le 4 janvier 2011. Ce n’est donc pas sa mise à l’épreuve qui est à l’origine de ces recherches, je vais y revenir.

Le 19 janvier 2011, sa route croisait celle de Lætitia Perrais.

Premier commentaire sur ce point.

On ne peut pas soutenir sérieusement que la justice a été laxiste ici. Sur les 11 dernières années, Tony Meilhon a été libre 3 mois, du 31 mai au 31 août 2003, outre deux brèves périodes d’évasion, du 16 décembre 1999 à début 2000 et du 11 janvier 2007 au 18 avril 2007, qui ont rallongé sa détention de 14 mois. Il a été condamné à de la prison ferme et incarcéré dès sa minorité, ses sursis ont tous été révoqués, toutes ses peines de prison ont été mises à exécution, les confusions de peine refusées, et les condamnations sont objectivement sévères, particulièrement la dernière pour outrage à magistrat : un an de prison pour outrage, c’est le maximum encouru pour le délit simple. Il est d’ailleurs intéressant de relever que les deux cours d’assises, avec jurés populaires, sont loin d’avoir fait preuve de sévérité : 5 ans sur 15 encourus, et 6 ans sur 20 encourus. Un beau thème de réflexion pour un projet de réforme récent.

Les assoiffés d’enfermement pourront constater que la prison n’a pas empêché plusieurs passages à l’acte.

Tony Meilhon en prison

Le rapport de la Pénitentiaire s’est intéressé au déroulement des deux dernières périodes de détention.

On apprend ainsi qu’il a toujours été demandeur d’un suivi psychiatrique, et que chaque fois qu’il a été mis en place, ce suivi a donné des résultats.

Ainsi, lors de sa première incarcération, Tony Meilhon a demandé ce suivi car « j’avais la haine en moi par rapport à ma condamnation en cour d’assises qui est une erreur de justice. » Il admet que ce suivi a été efficace « en ce sens que je n’ai pas été me venger de quoi que ce soit à ma sortie ». Ce sont ses mots, recueillis en septembre 2003 dans le cadre de l’instruction pour braquage. Pour comprendre le travail à accomplir, il convient de préciser qu’il reconnaît parfaitement avoir forcé son co-détenu à lui pratiquer une fellation. Et pourtant, dit-il « J’étais innocent de ces faits d’agressions sexuelles sur mineur. (…) Ça se fait souvent des choses comme ça en prison. J’étais mineur en prison avec un mineur qui avait fait un viol et moi je ne supporte pas ces gens là. Je ne suis pas un violeur, je suis un voleur ». Voilà l’échelle des valeurs en prison : les criminels sexuels sont des « pointeurs », des moins que rien, des souffre-douleurs qui n’ont que le droit de subir. Les violer n’est pas un viol mais une juste vengeance. Je me demande ce qu’on pouvait espérer de cette éducation républicaine.

Au cours de sa deuxième incarcération, Tony Meilhon a demandé un suivi psychiatrique, qui a d’abord été effectué par un infirmier psychiatrique d’octobre 2003 à mi 2005, sans résultat probant (6 sanctions disciplinaires, dont 4 violences sur co-détenu, et une menace à surveillant). En février 2006, un psychiatre le prend en charge, effet immédiat. Comportement satisfaisant en détention, il travaille et n’a plus d’incident disciplinaire sauf un en parloir avec sa compagne, mais l’enquête conclura que l’agresseur était la compagne et l’incident sera sans suites. Face à cette évolution positive, le Conseiller d’Insertion et de Probation qui le suit émet même un avis favorable à une semi-liberté pour préparer sa sortie prévue alors un an plus tard en décembre 2007. Tony Meilhon a d’ailleurs demandé à plusieurs reprises que son suivi psychologique continue à l’extérieur, et a exprimé le souhait que ce soit le même praticien qui le suive.

Mais au cours d’une permission de sortie en janvier 2007, il ne regagne pas son établissement, à la suite d’un incident avec son fils, incident qui n’est pas détaillé dans le rapport. Il est rattrapé en avril et tout le projet de préparation de sortie est abandonné, 6 nouvelles peines venant par la suite s’ajouter à celles qu’il effectue. Son suivi psychiatrique a continué, sur la base d’une consultation par mois, jusqu’à sa libération. D’ailleurs, le jugement n°13 qui l’a condamné à 6 mois fermes et 6 mois avec sursis mise à l’épreuve avait prévu une obligation de soin visant expressément la poursuite de ce traitement.

Les dysfonctionnements

Les deux rapports vont analyser, chacun en ce qui les concerne, les deux services qui ont été, légalement du moins, en charge du dossier de Tony Meilhon après sa libération. En effet, les deux rapports coïncident pour estimer que la prise en charge de Tony Meilhon en détention a été satisfaisante.

Voyons d’abord ce qui aurait dû se passer, avant de voir pourquoi ça ne s’est pas passé du tout.

Tout détenu libéré ayant une mise à l’épreuve à effectuer est affecté à un juge d’application des peines chargé du suivi de cette mesure, mesure qu’on appelle « en milieu ouvert » par opposition au « milieu fermé », la détention. Il peut déléguer ce suivi au SPIP. Alors qu’avant 2005, cette convocation était obligatoire (Tony Meilhon a bien été convoqué par le juge d’application des peines lors de sa libération en 2003), elle est devenue facultative, la notification des obligations se faisant désormais lors de la condamnation. Ce qui est une économie stupide de bouts de chandelles : certes, on allège la charge de travail des juges d’application des peines, ce qui dispense d’en nommer d’autres, mais espérer qu’un condamné, souvent peu ou pas instruit, se souviendra d’une phrase compliquée prononcée par le président après la seule information qui l’intéressait (le nombre de mois de prison) tient de la fiction. Pour le dossier de Tony Meilhon, le juge d’application des peines a bien été saisi, et comme vous allez voir, il a bien saisi l’urgence du dossier et a donné des instructions en ce sens au SPIP. C’est au niveau de la courroie de transmission que ça n’a pas fonctionné.

Premier problème : les milieux fermés et ouverts au sein du SPIP ne communiquent pas. Les dossiers sont transmis, et c’est tout. Le Conseiller d’Insertion et de Probation de la prison n’a pas signalé à son collègue du milieu ouvert que le dossier Meilhon était à surveiller comme le lait sur le feu. Il y avait des annotations au dossier ; encore fallait-il qu’il fût lu. Un logiciel, APPI, a été mis en place depuis 2004, est censé permettre un suivi en réseau, le dossier informatique étant accessible par les Conseiller d’Insertion et de Probation des milieux fermés et ouverts et par le juge d’application des peines. Le rapport se contente de constater que ce logiciel n’est pas utilisé « de manière optimale » sans s’étendre sur ces raisons. Mon esprit mal tourné me conduit à penser que tout ce que l’Inspection Générale préfère passer pudiquement sous silence met plus en cause la Chancellerie que les services locaux. Genre logiciel inadapté ou buggé, ou pas d’ordinateurs capables de le faire tourner…

Deuxième problème : Le sous-effectif du SPIP – milieu ouvert. Les affectations de Conseiller d’Insertion et de Probation ont clairement favorisé le milieu fermé. Ainsi, les 3 Conseiller d’Insertion et de Probation nommés à Nantes en 2010 ont été affectés au milieu fermé, et deux agents du milieu fermé ont été affectés au milieu ouvert : un à temps partiel de 80% et un élu syndical bénéficiant d’un détachement syndical de 70% de son temps de travail. Résultat : le SPIP milieu ouvert de Nantes avait 16,5 agents en comptant les temps partiels, alors qu’il était censé en avoir 21, chiffre qui était déjà en deçà des besoins réels. À cela s’ajoute les absences des agents pour maladie (522,5 jours de congé maladie ordinaire, 238 jours de congé longue maladie, 3 agents cumulant à eux seuls 616 de ces 760 journées, 81 jours de congé longue durée, 8 jours d’absence pour garde d’enfant et 245 jours de congé maternité). Ce qui fait sauter 1094,5 jours de travail sur l’année 2010, ce qui est considérable : cela fait presque un tiers de la capacité de travail du service (31% contre 6,8% en moyenne nationale). Le service ne pouvant faire face à sa charge de travail, on en aboutit au troisième problème.

Troisième problème : le stock de dossier non affecté. Le directeur du SPIP en poste de 2007 à 2009 a pris l’initiative de créer un stock de dossiers non affectés à un Conseiller d’Insertion et de Probation pour alléger d’autant la charge de travail de ceux-ci. Il s’agissait dans son esprit d’une solution temporaire pour rattraper le retard du service. Ses successeurs n’ont pas réussi à le résorber. Ce stock de Sursis avec Mise à l’Épreuve non affectés, de 611 dossiers en janvier 2011 contre 357 un an plus tôt) était constitué sur des critères assez précis, tenant en compte la nature de l’infraction, l’existence d’une ou de deux mises à l’épreuve (la loi ne permet pas plus de deux mises à l’épreuve), et le comportement en détention. Le directeur du SPIP a donc eu en main le dossier Meilhon, et a rapidement (l’examen a été très bref) décidé de le non-affecter car la détention était pour des faits d’outrage, il avait un domicile et une couverture sociale, ainsi qu’un projet professionnel, et son évolution en détention était positive, et surtout son casier ne mentionnait qu’un seul Sursis avec Mise à l’Épreuve. Ce qui nous amène au quatrième problème.

Quatrième problème : le sursis réputé à tort non avenu. La condamnation criminelle pour viol incluait un sursis avec mise à l’épreuve de 3 ans, j’attire tout particulièrement l’attention de Philippe Meyer sur ce point, qui dans l’Esprit Public de ce dimanche manifestait sa surprise qu’une condamnation pour viol n’ait pas donné lieu à une telle mesure alors qu’un simple outrage à magistrat, si. Il y a bien eu mise à l’épreuve, mais parmi ses obligations, toutefois, pas d’obligation de soin. La Cour a probablement estimé (ses arrêts ne sont pas motivés) que s’agissant d’un viol punitif, cela ne révélait pas de perversion sexuelle nécessitant des soins. Le suivi socio-judiciaire n’était pas possible, les faits remontant à 1997, donc avant la loi de 1998 l’ayant instauré. Mais la détention suspend de plein droit le délai d’épreuve. Or Tony Meilhon était détenu lors de cette condamnation et n’a été libre que trois mois jusqu’à sa libération en février 2010. Le délai d’épreuve de 3 ans n’a pas pu courir. Mais le casier judiciaire national n’ayant pas été informé de cette cause de suspension (obligation qui sauf erreur de ma part incombe au parquet) a naturellement computé le délai et en 2004 a réputé la peine non avenue. Or si le SPIP de Nantes avait su qu’en réalité, il y avait 2 Sursis avec Mise à l’Épreuve en cours, le dossier de Tony Meilhon aurait été « priorisé » selon les critères de tri des dossiers.

Du côté des juges d’application des peines de Nantes, le rapport de l’IGSJ souligne aussi le sous effectif ancien (3 juges au lieu de 4, qui ont en outre d’autres fonctions à exercer) et ses conséquences sur les dossiers en retard. Je vous fais grâce des pages et des pages de jargon bureaucratique où on apprend, merveilles de la gestion des ressources humaines, que le tribunal de grande instance de Nantes était considéré sur le papier comme en sureffectif de 2 magistrats (50 magistrats pour 48 postes) alors qu’en réalité il en manquait 3 (2,25, mais j’ai pas trouvé la virgule du magistrat).

Cependant, dans le cas de Tony Meilhon, cet état de fait n’a pas eu de conséquences, son dossier ayant été très vite repéré comme prioritaire. Ainsi, il a été condamné en juin 2009 pour outrage. Le jugement est transmis le 20 août 2009 par l’exécution des peines (le parquet) au juge d’application des peines qui le reçoit le 3 septembre. Le 18 septembre, le juge d’application des peines, qui connait parfaitement la politique de non affectation de certains dossiers, note sur le jugement « saisir SPIP urgent ». Tony Meilhon étant détenu, c’est le service « milieu fermé » qui reçoit cette instruction en novembre 2009. Mais lors de la libération de Tony Meilhon en février, comme on l’a vu, le service Milieu Fermé s’est contenté de transmettre le dossier au service milieu ouvert, sans attirer son attention sur l’urgence. Ainsi, la décision de mise en stock du dossier sera prise un mois après la sortie de Tony Meilhon alors qu’un traitement prioritaire supposait une convocation par le SPIP dans les 3 jours de la sortie. En outre, la fiche informatique du logiciel APPI est renseignée pour indiquer que le dossier a été affecté à un Conseiller d’Insertion et de Probation, ce qui était inexact, mais a pu laisser croire au juge d’application des peines que Tony Meilhon bénéficiait bien d’un suivi effectif. En outre, la fiche avait été créée le 24 novembre 2004 ce qui était largement en dessous des délais d’enregistrement habituel vu le retard du service. Cela laissait à penser que le dossier était bien traité comme prioritaire. Pas de raison de s’alarmer donc.

Conclusion

Désolé de ce pavé, mais je vous ai résumé 63 pages de rapport technique. Vous trouverez les originaux ci-dessous. J’ai tenu à faire ce résumé pour que vous sachiez exactement de quoi on parle, avec des faits et des dates.

Pour ma part, j’en tire les conclusions suivantes.

Quand on veut trouver un dysfonctionnement, on le trouve toujours, et quand on le cherche dans des services qui sont dans un état d’anémie budgétaire depuis des décennies, on n’a jamais à chercher longtemps. On peut reprocher au juge d’application des peines de Nantes de ne pas s’être assuré plus avant de l’effectivité du suivi de Tony Meilhon, malgré tous les signaux rassurants qu’il avait. On peut reprocher au SPIP de Nantes sa politique de stock de dossiers non suivis, qui à mon avis existe dans la plupart des services départementaux (amis Conseiller d’Insertion et de Probation qui me lisez, confirmez-vous ?). Mais quand on dit à des services « débrouillez-vous avec ce que vous avez », peut-on leur reprocher de faire de la débrouille faute des moyens de pouvoir faire leur travail ? Ces rapports ont le mérite de pointer des aspects qui peuvent être rapidement améliorés : la communication entre les services, notamment le milieu fermé et le milieu ouvert, autrement que par annotations manuscrites sur le dossier. Je ne sais pas si APPI est l’outil adéquat pour ça, s’il y a un problème de matériel informatique ou de formation, mais il est clair qu’en l’état, ça ne marche pas (le rapport relève qu’il y a une inexplicable différences de 200 dossiers informatiques qui n’ont pas de dossier physique correspondant). Il me paraît difficile de reprocher cet absentéisme aux agents du SPIP faute de plus de renseignements. Le congé maternité est un droit, les problèmes de santé, une fatalité, que des conditions de travail stressantes n’arrangent pas. La souffrance au travail n’est pas l’apanage du privé.

Mais surtout, nous devons nous demander une chose : et si le dossier de Tony Meilhon avait bien été priorisé, s’il avait fait l’objet d’un suivi effectif, qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que Lætitia Perrais serait encore en vie ? Quel lien de causalité établir entre ce défaut de suivi et ce qui s’est passé — surtout qu’à ce stade on ignore encore ce qui s’est passé. Regardons les antécédents de Tony Meilhon. Un viol quand il était mineur, mais qu’il décrit comme étant punitif. Aucun autre cas d’agression sexuelle, même au cours de ses évasions ou de sa courte libération où in n’est pas resté inactif point de vue délinquance. Il est plus condamné pour des délits routiers que pour des violences, ses récidives concernent des vols et des outrages. Il n’a objectivement pas le profil d’un meurtrier. Quel signal aurait dû alerter la justice sur le fait qu’il pouvait tuer ? Rappelons que sa version des faits serait celle d’un accident mortel, suivi de la dissimulation du cadavre. On peut naturellement prendre ce récit avec méfiance, mais il n’est pas incohérent avec ses antécédents.

La Justice doit rendre compte de son action. Jamais aucun magistrat n’a prétendu à l’impunité pour ses fautes, et le Conseil Supérieur de la Magistrature ne chôme pas. Mais l’État aussi est comptable de ses choix, et celui de tenir depuis des décennies la Justice dans une insuffisance totale de moyens en est un que nous validons à chaque élection. Les augmentations généreuses qu’agit Éric Ciotti sont largement surévaluées (72% au lieu de 50% sur 10 ans), et surtout ne tiennent pas compte des transferts de charges, nombreux depuis l’adoption de la LOLF (on augmente les crédits et on met à sa charge de nouvelles dépenses, l’effet est au final nul). Il demeure que ce budget augmente effectivement, mais à un rythme tel qu’il peine à combler le retard.

Mais tout comme il serait injuste d’imputer à l’État la responsabilité de la mort de Lætitia pour faillir à doter la Justice des moyens décents, car il ne peut être tenu responsable de comportements individuels, il serait injuste d’imputer à la Justice la responsabilité de ce fait en prenant prétexte de son fonctionnement devenu anormal par nécessité.

Addendum : Au moment où je mets ce billet sous presse, j’apprends que le directeur interrégional du SPIP va être relevé de ses fonctions. Il n’est à aucun moment mis en cause dans les rapports. Le Président a promis des têtes, il y en a toujours une qui dépasse.

PS : petit problème avec le rapport de la Pénitentiaire, scanné dans un format trop gourmand en mémoire. Je le mettrai en ligne plus tard.

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