Aux armes, chers confrères !
Par Eolas le mercredi 25 février 2009 à 17:44 :: Les leçons de Maître Eolas :: Lien permanent
Formez vos conclusions ! Plaidons, plaidons, qu'une qualification impure abreuve nos pilons.
J'ai constaté récemment une politique pénale qui me paraît pour le moins douteuse, mais qui semble suivie par la jurisprudence, et je le crains, à tort. Il est possible que cette politique soit fort ancienne, mais je n'ai été confronté à de tels dossiers que récemment, et malheureusement, ce n'était pas les miens. La question relevant du droit des étrangers, elle échappe à nombre de mes confrères pénalistes, et mérite une réponse concertée et organisée.
Voilà de quoi il s'agit : j'ai vu passer plusieurs dossiers ou un étranger en situation irrégulière, frappé d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) était poursuivi non pas pour simple séjour irrégulier (un an, 3750 euros) mais soustraction à une mesure de reconduite à la frontière (3 ans encourus, donc application des peines plancher), article L.624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), parce qu'il était simplement resté en France malgré cette mesure.
Cette qualification me paraît erronée en droit. Je m'en vais vous expliquer pourquoi, et si vous vous ralliez à mon panache blanc, vous expliquer quoi faire si vous y êtes confronté.
Pourquoi l'article L.624-1 n'est pas systématiquement applicable à un étranger restant en France malgré un APRF ?
Prolégomène : la loi pénale est d'interprétation stricte. Article 111-4 du code pénal.
Or que dit la loi ?
Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l'exécution (…) d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français (…) sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement.
Or d'après le Trésor de la Langue Française, se soustraire signifie : « Se mettre à l'abri de (quelque chose), échapper à (quelqu'un), en employant la fraude ou la ruse. » Le verbe implique nécessairement une action : c'est un délit d'action, et non d'omission. On ne saurait se soustraire à quelque chose en restant passif. Ne pas partir, c'est être passif.
Vous doutez encore ? Lisez l'arrêté ; généralement, le parquet aura demandé à la préfecture de le lui communiquer et il sera versé au dossier.
Comme tout acte administratif, il se compose de la même façon. Outre l'en-tête qui désigne l'autorité administrative qui agit (le préfet de Police, le préfet de la Bièvre maritime…), le visa (liste des textes externes et internes appliqués, introduits par des “Vu l'article…”), les motifs, introduits par des “ considérant que…”, puis le dispositif, introduit par le mot : “ARRÊTE” (d'où le terme d'arrêté). Lisez l'article premier.
Il sera toujours rédigé ainsi :
Article Premier : Monsieur LECLIENT sera reconduit à la frontière.
Sera reconduit à la frontière. C'est la voix passive. L'arrêté n'ordonne nullement à l'étranger de quitter la frontière de son propre chef et par ses propres moyens. Il ordonne à l'administration de l'y reconduire, au besoin par la force. Et pour cause : c'est précisément ce que dit la loi, article L.511-1, II du CESEDA. La loi ne fait pas obligation à un étranger objet d'un APRF de partir de lui-même. Elle permet à l'administration de recourir à la force. Point.
Dès lors, dire qu'un étranger qui ne fait rien se soustrait à l'exécution d'une instruction donnée à la voix passive, c'est pousser un peu loin l'interprétation d'un texte et le respect de la grammaire. En tout état de cause, ça n'est pas une interprétation stricte de la loi pénale.
L'erreur des juges vient je pense d'une confusion entre l'APRF, qui est une mesure administrative, et l'interdiction du territoire français (ITF), qui est une peine. Rester en France malgré une ITF est un délit, je veux bien l'admettre. Mais un APRF est totalement distinct d'une ITF. La preuve : il suffit que l'étranger sorte du territoire français pour que la mesure soit exécutée et donc caduque. Alors que l'ITF continue à produire ses effets pour la durée de la peine ou jusqu'à relèvement.
L'article L.624-1 est-il donc inapplicable ?
Pas du tout. Mais il lui faut un élément matériel caractérisant la soustraction : par exemple, avoir déménagé sans laisser d'adresse, mettant la préfecture dans l'impossibilité d'exécuter la mesure. En fait, ce délit a essentiellement vocation à s'appliquer aux refus d'embarquer et autres réactions visant à faire échec à l'exécution effective de la mesure (y compris une tentative de suicide…). Mais rester chez soi à attendre des nouvelles de la préfecture qui ne viennent pas ne saurait être une soustraction à l'exécution de cette mesure. C'est un séjour irrégulier classique.
C'est pourtant l'interprétation que fait la 23e chambre du tribunal de Paris, et je crains qu'elle ne soit pas la seule. Et vu que la peine encourue est le triple qu'en cas de séjour irrégulier simple, et peut entraîner application des peines planchers, ce n'est pas anodin.
Que faire ?
Impérativement : déposer des conclusions. Il faut forcer le tribunal à vous répondre sur ce point s'il veut prononcer la culpabilité, pour pouvoir aller en appel. N'oubliez pas de les communiquer au parquet dès que possible. Voici une trame (le passage entre les deux lignes horizontales ci-dessous est, par dérogation, librement copiable et modifiable sans même avoir à citer ma paternité ; c'est même pas du Creative Commons, c'est de l'Anarchy Commons).
II - DISCUSSION
Il sera préalablement rappelé que la loi pénale est d'interprétation stricte (art. 114-1 du Code pénal).
L'article L.624-1 du CESEDA dispose que : « Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l'exécution (…) d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français (…) sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement. »
D'après le Trésor de la Langue Française (CNRS), se soustraire signifie : « Se mettre à l'abri de (quelque chose), échapper à (quelqu'un), en employant la fraude ou la ruse. » Le verbe implique nécessairement une action : c'est un délit positif, et non d'omission.
De plus, le tribunal constatera que l'arrêté de reconduite à la frontière visé par la prévention édicte dans son dispositif (art. 1er) que le prévenu « sera reconduit à la frontière ». À aucun moment cet acte n'ordonne au prévenu de quitter le territoire de lui-même, et pour cause : la loi ne donne pas ce pouvoir au préfet. Tant l'usage de la voix passive, que la mention qu'il sera reconduit à la frontière, directement tirées de la formulation employée par l'article L.511-1, II du CESEDA, montrent que la charge de l'exécution de cette décision ne pèse que sur l'administration. L'article L.624-1 visé par la prévention sanctionne tout comportement visant à entraver la mise à exécution de cette décision par l'administration, et non le simple fait de ne pas exécuter soi-même spontanément cette décision.
En conséquence, faute pour le parquet d'établir un comportement positif ayant eu pour effet de soustraire le prévenu à l'exécution de cette mesure, le tribunal relaxera le prévenu du chef de soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière.
Si le tribunal est taquin, il requalifiera en séjour irrégulier et condamnera. Mais il faut qu'il permette au prévenu de présenter ses observations en défense, donc envisage de le faire avant la clôture des débats. Si le parquet le demande pour la première fois dans ses réquisitions, c'est trop tard : crim. 3 mars 2004, bull. crim n°56 ; 5 mars 2003, bull. crim n°60, entre autres.
Si le tribunal ne suit pas vos conclusions, transmettez-moi sa motivation, que je vois si je me suis trompé (eolas[at]maitre-eolas.fr) et faites appel, en accord avec votre client.
Et là, surtout, très important, faites une requête en appel.
L'article 504 du CPP permet de déposer, en même temps que l'acte d'appel ou dans le délai d'appel (rappel : il est de 10 jours), une requête contenant les moyens d'appel. Cette faculté est très peu employée et c'est une erreur. Quand vous faites appel, le parquet général et le conseiller rapporteur ignorent pourquoi. Or c'est une question fondamentale, c'est même la première qui est posée par la cour : article 513 du CPP. Si vous ne dites rien, le parquet général et la cour présumeront que l'appelant n'est d'accord sur rien et préparerons le dossier en conséquence. Pour peu que le dossier contienne des preuves certaines de la culpabilité accompagnés d'aveux circonstanciés, et l'agacement va poindre. Ça sent le déni de responsabilité, ou le simple appel sur la peine, qui a tendance à agacer nos pourtant aimables conseillers.
Alors que si vous déposez une requête expliquant ce qui pose problème et donc les seuls points sur lesquels vous comptez faire porter le débat, vous allégez la charge de travail de l'avocat général et du conseiller, qui dès le départ pourront étudier le dossier sous l'angle qui vous intéresse.
Déposez donc une requête précisant que votre client conteste uniquement sa déclaration de culpabilité du chef de soustraction à l'exécution d'une reconduite à la frontière, et répliquez en quelques lignes à l'argumentation du tribunal, en soulignant que pour les autres délits (généralement, on ne comparaît pas, surtout à la 23e, pour une simple infraction à la législation sur les étrangers), il ne conteste pas la décision rendue.
Et si la cour maintient, transmettez moi sa motivation (même adresse que ci-dessus) et promis, je vous aide à rédiger le pourvoi.
Et n'hésitez pas à revenir sur ce billet, je le mettrai à jour en fonction des observations qui me seront faites. Mais je pense que juridiquement, sur ce coup, j'ai raison.
Commentaires
1. Le mercredi 25 février 2009 à 18:58 par Pax Romana
2. Le mercredi 25 février 2009 à 18:59 par françois
3. Le mercredi 25 février 2009 à 19:00 par lrbabe
4. Le mercredi 25 février 2009 à 19:06 par claudex
5. Le mercredi 25 février 2009 à 19:13 par Sylvain
6. Le mercredi 25 février 2009 à 19:27 par stéphanie
7. Le mercredi 25 février 2009 à 19:29 par Sylvain
8. Le mercredi 25 février 2009 à 19:36 par Fantômette
9. Le mercredi 25 février 2009 à 19:37 par Sophie
10. Le mercredi 25 février 2009 à 19:47 par Anagrys
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27. Le mercredi 25 février 2009 à 22:20 par Légisphère
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