Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 11 octobre 2008

L'affaire du médecin urgentiste du SAMU de Valence

À peine avais-je annoncé que mon agenda m'imposerait le silence pendant quelques jours que j'entendais à la radio une information qui paraissait faite sur mesure pour un billet.

À Valence, dans la Drôme, un médecin urgentiste a été placé en garde à vue, puis présenté à un juge d'instruction, avant d'être finalement remis en liberté, et même pas mis en examen. Intervenant depuis peu avec le SAMU 26, il a été appelé dans un salon de coiffure où une dame de 80 ans avait fait un malaise cardiaque. Les gestes exacts qu'il a pratiqués sont au cœur du débat ; toujours est-il qu'il a fini par la considérer décédée malgré ses efforts pour la ranimer, décès qui sera confirmé une fois cette dame transportée à l'hôpital.

Or il a été rapporté, par qui, je l'ignore, au directeur de l'hôpital où le décès de la patiente a été constaté que ce médecin avait eu des gestes « bizarres », sans qu'il soit précisé ce que bizarre veut dire. Pour ma part, j'ai tendance à considérer tous les gestes des médecins comme bizarres : ont-il vraiment besoin de pincer mon poignet pour regarder l'heure à leur montre ? A-t-il besoin d'entendre le chiffre trente trois avant de pouvoir m'ausculter ? Assurément, ce sont là des gens bizarres. Et puis s'habiller tout en blanc, quand le noir est si seyant. Enfin, passons.

Toujours est-il que quelques jours après cette intervention, le médecin va être interpellé, placé en garde à vue 24 heures, mesure qui sera renouvelée pour une durée totale de 48 heures, puis présenté à un juge d'instruction qui finalement le remettra en liberté, après l'avoir placé sous le statut de témoin assisté, les dépêches précisant à la demande de son avocat, ce qui n'est pas tout à fait vrai, comme nous allons le voir.

Emballement de la justice ? Je ne saurais dire, ignorant le dossier, mais emballement médiatique, un petit peu, puisque plusieurs articles ont parlé d'instruction ouverte pour homicide volontaire, alors qu'il s'agit très probablement d'une instruction ouverte pour homicide involontaire, comme le dit l'article du Figaro.

D'abord parce que le droit pénal ne connaît pas l'homicide volontaire. Il regroupe dans la catégorie des atteintes volontaires à la vie le meurtre, qui est le fait de donner volontairement la mort à autrui, l'assassinat, qui est le meurtre commis avec préméditation, et l'empoisonnement, qui le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort. Il parle par contre d'homicide involontaire dans les atteintes involontaires à la vie. Il est donc douteux que les sources judiciaires des journalistes aient parlé d'homicide volontaire, c'est plutôt je le pense l'oreille des journalistes qui n'a pas enregistré le préfixe in-.

Ensuite parce que le meurtre supposerait que le médecin ait voulu, par ses gestes, donner la mort. S'agissant d'une femme de 80 ans en pleine crise cardiaque, cela suppose un perfectionnisme extraordinaire, puisqu'il n'avait qu'à laisser faire la nature pour obtenir le même résultat en quelques minutes sans encourir de responsabilité pénale criminelle. Je sais que le fait que l'hypothèse soit absurde ne suffit pas, aux yeux de l'opinion publique, à faire douter de sa véracité si la justice est mêlée à l'affaire, mais il y a un certain respect qui est tout de même dû à l'intelligence.

Répondons donc à deux questions : que s'est-il passé, du point de vue judiciaire, et au-delà de cette affaire, dans quelle mesure un médecin qui pratique son art peut-il voir sa responsabilité pénale mise en cause ?

Que s'est-il passé ?

Réserve importante : je me fonde sur les faits donnés par les articles de presse, et agis par déduction en retenant l'hypothèse la plus probable. Je peux me tromper.

Le procureur de la République a été informé de l'existence de ces gestes « bizarres » le vendredi suivant, soit six jours plus tard. Comment, je ne puis le dire. Soit il s'agit d'un signalement par la direction de l'hôpital, suite au témoignage de l'équipage du SAMU par exemple, ou des constatations faites par le service des urgences (présence d'hématomes ne correspondant pas aux gestes techniques habituels), soit, et ça ne m'étonnerait pas, il s'agit d'une plainte déposée par la famille de la décédée, à la suite des témoignages qu'elle a pu recueillir. J'y reviendrai.

Le procureur va charger la sûreté départementale de l'enquête (c'est la Police nationale), qui ne va pas faire dans la finesse. L'Officier de police judiciaire (OPJ) en charge de l'enquête va estimer qu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que ce médecin a commis ou tenté de commettre une infraction, en l'espèce un homicide involontaire, des violences volontaires ou une non assistance à personne en danger. C'est à l'existence de ces raisons plausibles que tient votre liberté, chers concitoyens, puisqu'elles ouvrent le droit à l'OPJ de vous interpeller à votre domicile dès 6 heures du matin et ce jusqu'à 21 heures (24 h sur 24 sur la voie publique) et vous retenir 24 heures dans ses locaux (art. 63 du CPP), et c'est ce qui va se passer pour notre médecin.

Le procureur de la République a été informé de ce placement en garde à vue. Il n'a pas donné d'instruction pour qu'il y soit mis fin le plus tôt possible, et il va même autoriser son renouvellement pour 24 heures de mieux. Parce que l'enquête a révélé des éléments à charge ? Pas forcément. Il devait y en avoir, par exemple, les explications du médecin ont paru embrouillées (du genre il utilisait plein de mots grecs et latins pour égarer les policiers), mais si vous voulez mon avis, ce qui a dû être déterminant pour ce renouvellement, c'est qu'on était samedi, donc que le lendemain, c'était dimanche, ergo pas de juge d'instruction de présent. À quoi ça tient, parfois, une journée au commissariat.

Le lundi, le médecin est conduit au palais de justice pour être présenté à un juge d'instruction.

Je vois des sourcils qui se froncent en regardant un calendrier. S'il a été interpellé le samedi matin, et que la garde à vue ne peut excéder 48 heures, il a fallu faire vite le lundi matin, devez-vous vous dire. Que nenni. S'agissant de votre liberté, chers compatriotes, le législateur est d'une générosité sans bornes. Si à l'issue de la garde à vue, le parquet décide d'engager des poursuites, la loi lui donne vingt heures de mieux pour retenir l'intéressé le temps pour lui qu'il comparaisse devant une juridiction : article 803-3 du CPP. Cette juridiction, ce sera un juge d'instruction, saisi par le parquet d'une demande d'instruction (qu'on appelle réquisitoire introductif) pour homicide involontaire.

Ce réquisitoire ouvre le droit pour le gardé à vue, devenu déféré, à l'assistance d'un avocat ayant accès au dossier et pouvant s'entretenir avec son client de façon confidentielle, façon confidentielle s'entendant jusqu'à il y a peu à Paris par : assis sur un banc avec un gendarme d'escorte à côté de lui qui semble plus intéressé par ce que dit l'avocat que le déféré lui-même. Ça y est, maintenant, on a des petits bureaux clos.

Le juge d'instruction reçoit ensuite le déféré en présence de son avocat et l'informe qu'il envisage de le mettre en examen pour homicide involontaire. Il lui demande ensuite s'il accepte de répondre aux questions du juge, préfère faire de simples déclarations que le juge consignera sans pouvoir l'interroger, ou s'il préfère garder le silence pour le moment. Ce choix exprimé, et le cas échéant les questions posées ou les déclarations recueillies, le juge d'instruction invite l'avocat à présenter des observations sur l'éventuelle mise en examen. Puis, s'il estime qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que le déféré ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont est saisi le juge d'instruction, le juge le met en examen. Dans le cas contraire, le juge d'instruction le place sous le statut de témoin assisté (art. 116 du CPP). Le statut de témoin assisté est une sous-mise en examen, moins infamante, donnant accès au dossier par l'intermédiaire d'un avocat et ouvrant certains droit du mis en examen, mais moins que n'en a le mis en examen. L'intérêt est que le témoin assisté ne peut faire l'objet d'aucune mesure coercitive : pas de détention provisoire ni de contrôle judiciaire.

Dans notre affaire, le procureur avait demandé la mise en examen du médecin avec placement sous contrôle judiciaire incluant l'interdiction d'exercer la médecine (je ne sais pas si c'était une interdiction générale ou limitée au cadre du SAMU). Le juge d'instruction n'a pas mis notre médecin en examen, le voici donc témoin assisté et libre d'exercer. On peut supposer que les explications fournies au juge ont fait qu'il ne subsistait pas assez d'indices graves et concordants rendant vraisemblable l'homicide involontaire. Le juge d'instruction va continuer son enquête, à charge et à décharge. Qui consistera essentiellement en une expertise, éventuellement une autopsie si le corps est encore disponible pour cela.

Colère des médecins, le docteur Patrick Pelloux, président de l'Association des Médecins Urgentistes de France en tête : « À ce rythme là, ce soir l’ensemble des urgentistes de France vont se retrouver en garde à vue ce soir », a-t-il déclaré, faisant suivre son pronostic d'un diagnostic : « C’est une véritable cabale contre ce professionnel qui a fait une manœuvre que tout urgentiste fait », sans préciser laquelle, vous le noterez, ce qui est à mon avis une clef d'explication de la situation que dénonce ce médecin, comme nous allons voir. Il termine en déplorant « les accusations mensongères » de la direction de l'hôpital de Valence à l'égard de ce médecin urgentiste expérimenté, traduisant le « malaise relationnel dans les hôpitaux », qui, cela va sans dire, ne saurait être imputable aux médecins.

Alors, quel est au regard de la loi pénale le statut des médecins ?

La responsabilité pénale des médecins

Au risque d'étonner les très honorables membres de cette belle profession qui me lisent, la responsabilité pénale des médecins est la même que tout citoyen, président de la République excepté. Le code pénal ne contient aucune disposition dérogatoire à leur bénéfice.

J'ajouterai même que certains médecins ne font que commettre des infractions pénales du matin au soir, et du soir au matin s'ils sont de garde.

Vous ne me croyez pas ? Mais que diable : inciser un patient avec un bistouri, c'est une violence volontaire avec arme, l'amputer d'un membre, c'est une mutilation. Et un massage cardiaque se fait rarement sans casser quelques côtes. Le geste médical peut être violent. Et occire un patient fût-il en phase terminale d'une douloureuse maladie reste un meurtre passible de la cour d'assises.

Pourtant, ayant été de permanence garde à vue récemment, je vous rassure, le docteur Pelloux s'est trompé : les cellules des commissariats n'étaient pas remplies de médecins urgentistes, les seuls esculapes que j'y ai croisés venant y pratiquer leur art en examinant des gardés à vue hélas pour moi beaucoup moins solvables.

Car toutes ces infractions commises par des médecins sont couvertes par une cause d'irresponsabilité pénale : l'état de nécessité.

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.

Voilà ce qui justifie qu'un médecin puisse vous ouvrir le ventre, vous mutiler (au-delà de l'amputation, une simple appendicectomie ou vous enlever les amygdales ou les dents de sagesse est une mutilation), au besoin sans votre consentement si vous êtes inconscient : ce faisant, il prévient un plus grand mal, généralement la mort, ou tout simplement un risque pour votre santé qui ne pouvait être prévenu que par cette mutilation.

A contrario, cela implique que si le médecin sort de cette nécessité de son acte, ou que son acte a des conséquences autres que l'amélioration de la santé du malade (ou l'allongement de sa vie ou l'atténuation de ses souffrances, le médecin n'étant pas tenu de guérir), il peut redevenir très facilement une infraction pénale.

Un médecin qui effectuerait une opération qu'il sait non nécessaire sur un patient commettrait un acte de violences volontaires. Un chirurgien plasticien qui opérerait dans des conditions douteuses et laisserait des patients défigurés commettrait les délits de blessures involontaires et mises en danger d'autrui.

Le médecin qui, par maladresse, négligence, inobservation des lois ou règlements (sur l'asepsie par exemple), entraînerait une infection, des complications voire le décès de son patient commettrait le délit de blessures involontaires ou d'homicide involontaire.

Ajoutons que comme tout citoyen, le médecin est tenu de porter secours si ce faisant, il ne s'expose pas lui-même au danger.

Bref, les médecins sont des citoyens comme les autres, qui exercent une profession pas comme les autres.

Revenons-en à notre médecin valentinois. Dans quelle mesure est-il susceptible d'avoir commis une infraction pénale ?

Soit les gestes qu'il a pratiqués étaient inadaptés au point de relever de la négligence ou de la maladresse et ont causé le décès, et il peut avoir commis un homicide involontaire. Car on peut tuer même un mourant. Soit les gestes étaient inadaptés au point de relever de la négligence ou de la maladresse mais ont simplement précipité le décès ou causé des blessures, et il peut s'agir de blessures involontaires. Il n'y a pas non assistance à personne en danger car le médecin a porté secours, peu importe que ce soit de manière inefficace, sauf à établir qu'il a simulé une réanimation mais n'avait pas l'intention de secourir sa patiente, hypothèse peu probable. Si aucune de ces hypothèses n'est avérée, le médecin n'a commis aucune infraction. C'est ce que l'instruction va chercher à établir.

La garde à vue était-elle vraiment nécessaire ?

Oui. J'ai tendance à penser que dès lors qu'une personne met le pied dans un local de police alors que pèse sur lui un soupçon, elle doit être placée sous le régime de la garde à vue. Ce régime s'accompagne de garanties, telles que le droit à un entretien avec un avocat qui est informé de la nature des faits reprochés, l'examen par un médecin, et ce qui est loin d'être accessoire, l'information du procureur de permanence de cette mesure privative de liberté. Simplement, la garde à vue doit prendre fin dès lors qu'elle n'est plus rigoureusement nécessaire, sa durée de 24 heures étant un maximum, pas une durée standard (et elle peut reprendre ultérieurement, à condition de ne pas dépasser la durée maximale de deux fois vingt quatre heures). Je soulève d'ailleurs systématiquement la nullité de procédures où mon client a été gardé au commissariat, quand il n'a pas été amené menotté, a été interrogé en long en large et en travers, confronté à sa victime, et relâché après quelques heures sans qu'à aucun moment on ne lui ait notifié une garde à vue et donc que le procureur n'ait été informé de cette mesure, le parquet apprenant ce qui s'est passé en recevant la procédure au courrier. Et je l'obtiens assez souvent, à mon grand dam sur réquisitions contraires du parquet, qui trouve tout à fait normal que la police prenne des libertés empiétant sur sa mission de gardien des libertés. Et après, il s'étonne que la cour européenne des droits de l'homme l'estime insuffisant pour cette mission… Je rêve de porter cette question devant la cour de cassation, mais mes clients condamnés dans ces conditions ont une peine tellement dérisoire qu'ils n'ont pas envie de faire appel. Ajoutons à cela qu'aucune disposition du CPP n'impose de faire systématiquement ôter au gardé à vue ses lunettes, sa montre, sa ceinture et jusqu'à ses lacets de chaussure, et de le garder menotté quasiment tout le temps. L'égalité républicaine a des limites. Le discernement en est une.

Sur le contrôle de l'opportunité de la garde à vue[1], je me heurte à une jurisprudence solide comme les murs de Byzance qui fait de la GAV une mesure décidée souverainement par l'OPJ, sans contrôle d'opportunité par le juge. Pas d'habeas corpus en France.

Mais je n'oublie pas que les murailles de Byzance n'ont pas arrêté la Quatrième croisade. Et je verrai bien la CEDH dans le rôle du Doge Dandolo, cette absence de tout contrôle et recours étant à mon sens incompatible avec l'article 5 de la Convention. Mais je m'égare. C'est votre faute, aussi, à vous qui me parlez de ma vieille lune.

Et le patient, docteur ?

Revenons en à notre toubib.

Le placer en GAV un samedi matin, sachant qu'aucun déférement ne pourrait avoir lieu avant le lundi, s'agissant d'un médecin de 41 ans, que j'imagine mal prendre la fuite, et le garder ainsi jusqu'au lundi dans les conditions que connaissent les avocats et les quelques parquetiers qui visitent leurs commissariats me paraît difficilement proportionné et opportun. Le parquet voulait lui interdire d'exercer au SAMU pour la durée de l'enquête voire jusqu'au jugement, ce qui ne pouvait être ordonné que par un juge d'instruction. Soit. Mais était-il vraiment nécessaire de le priver de liberté à cette fin, et quarante huit heures par dessus le marché ? Les médecins n'ont pas besoin qu'on en fasse autant pour se rassembler sous le caducée en ordre de bataille. Cette fois, difficile de leur donner tort. Le juge d'instruction y a mis bon ordre, et c'est tant mieux.

Les médecins vont-ils devoir désormais coudre le numéro du mobile de leur avocat dans la doublure de leur blouse pour pouvoir exercer ? Si en tout cas, je les encourage à y broder le mien, je pense qu'il y a un moyen pour eux d'éviter des mises en cause judiciaire désagréables quand bien même elle finissent par un non lieu ou une relaxe.

La plupart de ces poursuites émanent du patient ou de ses proches : c'est souvent eux qui portent plainte. Pourquoi ? Parce que personne ne leur a explique ce qui s'est passé. La médecine en France est enkystée dans une tradition surannée du médecin sacré. Si le médecin dit qu'il a fait ce qu'il a pu, le patient ou sa famille doivent dire amen. Et non, ça ne marche plus. Les médecins doivent apprendre à communiquer. Prendre le temps d'expliquer au patient pourquoi les choses ne se sont pas passées comme prévu, à la famille d'un décédé précisément ce qui s'est passé, causes de la mort et soins apportés. C'est important pour eux car il est insupportable de ne pas savoir comment son père, son frère, son fils est mort ni avoir la certitude que tout a été fait pour le sauver. Le soupçon est insupportable, et la justice est la seule institution à même de faire jaillir la vérité qui le dissipera. Et la voie pénale présente trop d'attraits pour être écartée (c'est la moins coûteuse, elle a avec elle la force publique, entre autres).

Des médecins commettent des crimes et des délits. Ceux-là doivent être jugés et leurs confrères n'en disconviendront pas. Mais je suis prêt à parier que prendre le temps d'expliquer à la famille : « Votre mère a fait un infarctus du myocarde provoqué par un athérome coronarien, c'est à dire une obstruction partielle de cette artère, qui a diminué l'irrigation du cœur en sang. C'est indolore, hormis des épisodes douloureux que les personnes âgées ont tendance à mettre sur le compte de leur âge. Le muscle du cœur a commencé à mourir, jusqu'à ce que cet après midi, les tissus morts ont entraîné une activité électrique anormale du muscle, qui a fait une arythmie, c'est à dire qu'il a cessé de battre de manière coordonnée et efficace. Cela a fait cesser la circulation du sang, et le cerveau non irrigué est mort très vite. Quand le médecin du SAMU est arrivé sur place, il a senti un poul irrégulier et a détecté l'arythmie. Il a pratiqué tel et tel gestes pour voir si le cerveau réagissait encore, notamment en provoquant des réflexes à la douleur, qui peuvent sembler violents à des témoins, et pour faire cesser cette arythmie, ignorant que les dégâts au cerveau étaient déjà irréversibles. De fait, elle était morte à l'arrivée du SAMU. Ça a été foudroyant ; elle a dû sentir comme un assoupissement irrésistible. Ce n'était pas douloureux, elle ne s'est pas sentie partir. » Dire cela, en corrigeant mes approximations, c'est un procès évité à coup sûr. Dire : « elle est morte, on a fait tout ce qu'il fallait, signez ici » alors que des témoins vont décrire des coups portés sur la poitrine, des doigts enfoncés dans l'articulation de la machoire, peut être des gestes réflexes à la douleur qui ne sont que des gestes réflexes, et vous êtes bons pour la plainte avec constitution de partie civile afin qu'un juge d'instruction désigne un expert qui fera le travail que vous n'avez pas fait d'explications aux familles.

Notes

[1] C'est à dire la possibilité de contester devant un juge une mesure de garde à vue, soit pour obtenir une décision y mettant fin, soit pour voir juger que cette mesure étant disproportionnée, qu'elle entâche la procédure de nullité.

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

jeudi 2 octobre 2008

Brèves considérations sur la relaxe de Jean Sarkozy

Beaucoup de lecteurs m'assaillent pour que je les éclaire sur la relaxe dont a bénéficié le président du groupe UMP au Conseil général des Hauts de Seine, poursuivi sur citation directe par la partie civile pour un délit de fuite, relaxe accompagnée de la condamnation de la partie civile à lui payer 2000 euros pour « procédure abusive ».

Je vais essayer, mais après avoir posé une réserve importante : je n'ai pas eu accès au dossier. Si les explications procédurales que je vais donner sont certaines, les éléments de fait me viennent de la presse ; or les journalistes étant faillibles, sauf Aliocha, il est possible que des approximations se soient glissées dans leurs comptes-rendus.

Une autre réserve s'impose : la qualité de fils de P… du prévenu, et le caractère létal qu'a l'évocation du nom de son géniteur sur toute objectivité chez une portion non négligeable de mes concitoyens et la rédaction de Marianne, font que la culpabilité du prévenu était considérée comme axiomatique, et sa relaxe, forcément injuste. Qu'il soit clairement entendu que sur ce blog, tout le monde a droit à la présomption d'innocence, fût-il fruit des œuvres du Président de la République, ou juge d'icelui.

Rappelons brièvement les faits : le 14 octobre 2005, place de la Concorde à Paris 8e, une automobile de marque Bayerische Motoren Werke est emboutie par l’arrière par un scooter qui prend la fuite, le conducteur prenant, d'après le conducteur et son passager, soin de leur présenter son médius en extension. Les deux occupants de la voiture, Messieurs B. père et fils affirment avoir relevé le numéro du deux-roues à l’aide d’un téléphone portable, mais ne sont pas en mesure de reconnaître le conducteur coiffé d’un casque (ci-contre, une photo de Jean Sarkozy avec son casque, mais il est possible que ce ne soit pas le même).Jean Sarkozy avec sa belle crinière couleur des blés d'automne qui rend secrètement jaloux le maître de céans

Les dommages à la belle teutonne sont légers : 260,13 euros au titre des réparations engagées. Là, j'ai un premier problème. La presse relate que le numéro du scooter a été transmis à l'assurance qui aurait par trois fois relancé le fils de l'homme présidentiel.

Généralement, toute assurance auto a une franchise, une somme que l'assuré garde à sa charge et qui évite à l'assurance d'indemniser le dérisoire (ce qui exclut les dommages les plus fréquents, d'ailleurs). De plus, quand les dégâts dépassent le montant de la franchise, ou que l'assurance exclut toute franchise, les compagnies d'assurance, pour éviter des frais disproportionnés, ont l'habitude d'indemniser de leur poche leur assuré sans exercer de recours contre l'assurance adverse en dessous d'un certain montant (1500 euros environs pour les assurances habitation, m'a un jour expliqué l'avocat d'une compagnie d'assurance). Donc l'intervention de l'assurance me paraît curieuse.

En outre, que je sache, les assurances n'ont pas accès au fichier des immatriculations, seules l'ont les services de police. Donc faute de plainte, il est à mon sens impossible que l'assurance de l'automobiliste ait su à qui chanter pouilles. Mise à jour : mes lecteurs sont formidables, je suis indigne d'eux. Oui, les assurances ont accès au fichier des permis de conduire et des cartes grises, à certaines conditions (art. L. 330-2, 8° du code de la route).

Toujours est-il qu'une plainte finit par être déposée en février 2006. C'est semble-t-il à cette occasion (cette théorie est contestée par le prévenu relaxé), le propriétaire du scooter dont l'immatriculation correspond au numéro relevé est identifié.

L'enquête de police tourne court, le parquet ayant probablement décidé de classer l'affaire eu égard au préjudice modeste (dégâts matériels légers, pas de blessés) et à la légèreté de la preuve. Le parquet savait-il que le mis en cause était Jeannot les bouclettes au moment de la décision de classement ? Je l'ignore.

Le conducteur n'en démord pas et en fait même une question de principe, les plus coûteuses : il décide de saisir lui-même le tribunal correctionnel pour suppléer à la carence du parquet.


Premier apparté : que viens-je de dire ?

En procédure pénale, l'action publique, qui consiste à demander à une juridiction pénale (on dit aussi répressive sans aucun sens péjoratif) de juger les délinquants, peut être mise en mouvement soit par le parquet (c'est son rôle naturel), soit par la victime directe du délit. On peut le faire de deux façons : soit en saisissant d'une plainte avec constitution de partie civile le doyen des juges d'instruction, soit en saisissant directement le tribunal correctionnel : c'est la citation directe par la partie civile, que le parquet appelle des affaires « entre parties » ce qui est inexact car il est malgré tout concerné au premier chef.

La citation est dans ce cas rédigée par la partie civile (ou par son avocat, mais l'avocat n'est pas obligatoire pour une citation directe), qui prendra attache avec les services du parquet pour avoir une date et au besoin la chambre qui aura à connaître de l'affaire. Puis il fait délivrer la citation par huissier, comme pour une assignation au civil. À cette première audience, l'affaire n'est pas examinée au fond. Le tribunal vérifie la validité de la citation et fixe une consignation, une somme que la victime devra déposer au service de la régie du tribunal avant une certaine date, à peine de nullité de la citation. Le tribunal renvoie à une deuxième audience pour vérifier que la consignation a été déposée et fixer la date de jugement définitif, en accord avec les avocats des parties pour la durée de leur plaidoirie. Le parquet est libre de s'associer aux poursuites s'il estime le dossier solide et les faits graves, ou se contenter de bouder sur son estrade. Il devra quand même requérir à la fin de l'audience de jugement. Précisons que la victime admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle est dispensée de consigner.

La consignation vise à assurer le paiement d'une éventuelle amende pour abus de constitution de partie civile. Elle est intégralement restituée à la victime en cas de jugement de condamnation. Elle est restituée, amputée de l'amende, en cas de relaxe.


C'est donc notre automobiliste qui va mettre en mouvement l'action publique. Les qualifications retenues sont : délit de fuite, défaut de maîtrise du véhicule, dégradations légères, soit un délit et deux contraventions.

Le délit de fuite consiste en, quand on a causé un accident de la circulation (je mets en gras car le délit de fuite ne s'applique qu'en cas d'accident de la circulation, ce qui n'est pas toujours su), à quitter les lieux sans laisser ses coordonnées (pour faire simple: la loi distingue les obligations du conducteur impliqué selon qu'il y a ou non des blessés).

Les dégradations légères ne posent pas de problème, quant au défaut de maîtrise, c'est une contravention qui résulte automatiquement de la survenance d'un accident sauf force majeure. Si choc il y a eu, c'est que le conducteur ne maîtrisait pas son véhicule. CQFD, et c'est jusqu'à 750 euros d'amende.

Aux grands moyens répondent les grands moyens, puisque c'est un des meilleurs pénalistes de la place que Casque d'Or va recruter. Et l'affaire va basculer dans la démesure.

Deux expertises vont avoir lieu, pour examiner les traces d'impact sur la voiture et sur le scooter. Deux expertises. Ai-je besoin de préciser qu'aucun expert judiciaire ne se fera rémunérer moins de 260,13 euros pour une telle expertise ? Ces frais d'expertise ont dû être avancés par la partie civile, mais je n'ai aucune information là-dessus.

Elles vont conclure que les traces relevées sur la voiture ne correspondent pas au récit fait par la victime. Je ne sais pas si le scooter a seulement pu être examiné.

Toujours est-il que le tribunal se retrouve à l'audience avec, comme éléments à charge, la victime qui affirme avoir relevé le numéro du scooter, mais reconnaît ne pas avoir pu identifier le conducteur (qui seul est l'auteur des différentes infractions). À décharge, deux expertises qui concluent que le récit de la victime n'est pas corroboré par les constatations sur le véhicule. Et un parquet qui requiert la relaxe. Mon confrère Thierry Herzog n'avait pas besoin de mobiliser son talent pour obtenir la relaxe (même s'il l'a quand même fait, une heure durant, au moment de plaider).

Reste la question des 2000 euros.

Ils peuvent avoir plusieurs fondement juridiques.

Il peut s'agir d'une amende civile pour abus de constitution de partie civile (art. 392-1 du CPP) d'un montant pouvant aller jusqu'à 15000 euros, prélevé sur la consignation. Mais je ne pense pas que tel soit le cas puisque la presse laisse entendre que cette somme serait versée à Mini-Bling, les amendes civiles étant versées au Trésor Public, et cette amende doit être requise par le parquet, et les comptes-rendus d'audience étaient muets sur ce point.

Il peut s'agir de dommages-intérêts demandés par le prévenu relaxé (art. 472 du CPP) pour abus de constitution de partie civile.

Enfin, il peut s'agir d'une requête de l'article 800-2 du CPP, visant au remboursement des frais d'avocat du prévenu relaxé, indemnité en principe à la charge du Trésor, mais que le tribunal peut mettre à la charge de la partie civile.

J'opine pour la deuxième solution, puisqu'Easy Rider a déclaré que cette somme serait versée à une association pour les enfants malades, et mon confrère Herzog, s'il a gardé un cœur d'enfant, est en parfaite santé.

En quoi l'obstination de la victime a-t-elle pu être considérée comme abusive ? Difficile à dire pour moi qui ne connais pas le dossier ni n'étais présent à l'audience. L'attitude, les propos de la partie civile ont pu jouer.

Le fait de vouloir envers et contre tous amener au pénal une affaire sur un incident mineur comme il s'en produit des dizaines chaque jour, d'un préjudice de 260 euros, et de maintenir sa demande malgré une carence de la preuve et des expertises battant en brèche ses affirmations, sachant que le prévenu porte un patronyme illustre, qu'il était candidat aux élections cantonnales, et que la médiatisation de cette affaire a des conséquences politiques qui n'ont pu échapper à la partie civile et qui peuvent expliquer son obstination me paraît être une explication suffisante pour la décision des juges.

C'est une affaire regrettable à tout point de vue car il y a eu, d'un côté ou de l'autre, instrumentalisation de la justice (et elle a horreur de ça, vous n'avez pas idée), et les commentaires sur cette affaire montrent que tous les opposants au président ont pris fait et cause pour l'automobiliste, estimant que le fils de ne pouvait qu'être coupable, avec le nom qu'il porte (et donc la justice à la botte du pouvoir, vous savez, la justice qui vient de relaxer Hamé pour la troisième fois sur des poursuites voulues par le papa de).

Je ne souhaite à personne d'être jugé par le tribunal de l'opinion publique. Me reviennent les immortelles paroles de mon confrère Moro Giafferi (1878-1956) : « L'opinion publique, chassez-là du prétoire, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche. »

jeudi 25 septembre 2008

La France (encore) condamnée pour atteinte à la liberté d'expression

À force de taper dessus, ça finira par rentrer, c'est ce que doivent se dire les juges de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) qui viennent à nouveau de condamner la France pour violation de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (CSDH), dite brevitatis causa Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Petit cours accéléré de droit européen

La CSDH est une convention signée le 4 novembre 1950 à Rome, dans le cadre du Conseil de l'Europe, institution distincte de l'Union Européenne (même si toute les États membres de l'UE sont membres du Conseil de l'Europe, l'inverse n'étant pas vrai). Le Conseil de l'Europe, qui siège à Strasbourg, comporte 47 membres, dont la Turquie, la Russie, la Georgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, pourtant situés sur le continent asiatique. La confusion Conseil de l'Europe / UE est fréquente puisque le drapeau de l'UE est emprunté au Conseil de l'Europe, de même que l'Hymne à la joie. Ajoutons que l'UE a un organe appelé le Conseil Européen et vous comprenez le cauchemar des étudiants en droit européen.

La CSDH repose sur un mécanisme simple et efficace. La convention (modifiée et enrichie de protocoles additionnels) pose un certain nombre de droits, et précise les limites qui peuvent leur être apportés et les conditions dans lesquelles ces limites peuvent être posées. La Convention est invoquable directement devant le juge interne, mais si le juge interne estime que la Convention n'est pas violée, le justiciable peut, après avoir épuisé les recours internes, porter l'affaire devant la CEDH qui dire si oui ou non il y a eu violation de la CEDH, et éventuellement accorder une indemnité de ce fait.

La loi française prévoit qu'une condamnation par la CEDH peut donner lieu à un recours en révision contre la décision définitive ainsi condamnée.

La France a signé la convention dès le 4 novembre 1950, mais va mettre 25 ans à la ratifier, c'est-à-dire à la faire entrer en vigueur en droit interne (3 mai 1974, testament politique de Georges Pompidou). Encore sera-ce avec des réserves excluant la possibilité de saisir la CEDH, réserves qui ne seront levées qu'en 1981. France, pays des droits de l'homme. La Turquie l'a faite entrer en vigueur dès 1954.

Les droits reconnus par la Convention sont : le droit à la vie (art. 2), l'interdiction de la torture (art. 3), du travail forcé (art. 4), ces deux droits étant les seuls absolus, c'est à dire sans limite admise, le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5, qui a tant fait pour les droits de la défense notamment en garde à vue), le droit à un procès équitable (art. 6), la légalité des délits et des peines (art. 7), le droit à une vie privée et familiale (art. 8, la dernière ligne de défense des étrangers sans papiers), la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), la liberté d'expression (art. 10, qui nous intéresse aujourd'hui), la liberté de réunio net d'association (art. 11), la liberté du mariage (entre deux personnes de sexe opposé s'entend, art. 12), le droit à un recours effectif (art. 13, les étrangers lui doivent tant là aussi), l'interdiction de la discrimination (art. 14). Ajoutons-y la propriété et le respect des droits acquis par le premier protocole additionnel, très important lui aussi.

Revenons-en à l'article 10

Il est ainsi rédigé :

Article 10 : Liberté d’expression

Le premier paragraphe pose le principe.

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

Le second pose les limites admises.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Le test en trois étapes

Saisie d'un recours, la cour examine toujours le problème en recherchant s'il y a eu atteinte à la liberté d'expression, puis si la réponse est positive, si elle entre dans le cadre d'une des exceptions, puis si la réponse est encore positive, si l'atteinte était nécessaire dans une société démocratique. Si la réponse est positive, le recours est rejeté. Problème pour la France, c'est que la réponse à cette troisième question est régulièrement négative.

Ce fut déjà le cas en 2006 quand la France a été condamnée pour avoir retenus comme diffamatoires et donc illicites les propos tenus à la télévision par Noël Mamère critiquant les mensonges du Dr Pellerin sur le nuage de Tchernobyl qui, n'ayant pu obtenir de visa, s'était arrêté à la frontière française. J'en avais parlé à l'époque.

La leçon en deux couches

La leçon n'a pas porté, et c'est une deuxième couche (enfin… si seulement ce n'était que la deuxième…) que passe la Cour dans un arrêt Chalabi c. France (Requête no 35916/04).

Le Magazine Lyon Mag' avait publié en novembre 2001 une interview avec un ancien membre du conseil d’administration de la Grande Mosquée de Lyon contenant des propos fort critiques à l'égard du directeur de cette moquée, Kamel Kabtane, lui reprochant notamment une gestion « pas claire » de la mosquée, quand bien même un récent contrôle fiscal avait conclu à la sincérité et à l'exactitude des comptes. Ce passage fut retenu comme diffamatoire parle tribunal correctionnel de Lyon, confirmé par la cour d'appel de la capitale des Gaules. La cour de cassation rejeta le pourvoi de Lyon Mag dans un arrêt du 30 mars 2004.

LYon Mag' ayant soulevé la violation de la CSDH dans son pourvoi (c'est le troisième moyen de cassation du pourvoi), il était recevable à aller se plaindre devant la Cour européenne, et grand bien lui a pris.

La cour constate qu'il y a eu atteinte à la liberté d'expression, puisqu'il y a eu condamnation civile pour diffamation (l délit était amnistié).

La cour constate que cette atteinte correspond aux limites posées par l'article 10.2 de la CSDH : le resoect de la réputation des personnes.

Et, comme dans l'affaire Mamère contre France, la cour constate que cette atteinte était disproportionnée et donc non nécessaire dans une société démocratique (c'est le paragraphe 40 et ceux qui suivent).

La cour constate en effet que les propos étaient mesurés, reposaient sur une base factuelle existante à l'époque des faits (une mise en examen pour escroquerie), et, s'agissant du directeur d'une institution religieuse, relevaient de la critique légitime à laquelle doit s'attendre toute personne dans le cadre de son activité publique.

Les juges français ont, en matière de diffamation, une vision trop souvent restrictive de la liberté de critique qui est exclusive de la diffamation, et de la bonne foi qui l'excuse. La jurisprudence évolue, sous les coups de boutoir de la CEDH, mais trop timidement encore.

Pour un avocat de la défense, c'est plutôt une source de satisfaction.

Mais pour un citoyen, ça devient humiliant, à la longue.

vendredi 19 septembre 2008

La défense décodée

Extraordinaire article, et je pèse mes mots, de Pascale Robert-Diard dans le Monde 2 de cette semaine. Un vrai travail de journaliste, de chroniqueur judiciaire, de témoin, et je crois une première.

Pascale Robert-Diard a suivi un confrère, et quel confrère, Grégoire Lafarge, durant tout un procès d'assises, et même avant, lors des rendez-vous préparatoires entre l'avocat et le client. Vous y verrez comment un avocat pénaliste « prépare » un client, et vous verrez que ce n'est pas lui apprendre par cœur un gros mensonge, mais lui permettre de se défendre au mieux et tenter de lui donner le courage de dire la vérité.

Puis vous suivrez l'audience, assis sur le banc de la défense, à côté de l'avocat, là où on voit tous les regards, à portée d'oreille des conseils chuchotés en plein interrogatoire. Vous verrez quelle partie d'échec à quatre joueurs se joue entre la défense d'un côté, le parquet te la partie civile de l'autre, et le président au milieu, supposément au-dessus, qui fait semblant de n'avoir pas d'opinion alors qu'on la voit comme le soleil à midi.

Du vécu, il y a tant de moments que je reconnais pour les avoir vécu moi-même. Elle décrit formidablement bien la relation si particulière, si forte et pourtant éphémère, qui unit un avocat et son client devant la cour d'assises.

Je retiendrai, parmi d'autres, cette phrase, qui correspond à la fin de la plaidoirie de l'avocat de la défense.

Quand Me Lafarge rejoint son banc, le regard des jurés reste aimanté à sa robe. Il est vidé.

Jamais je n'ai ressenti un épuisement aussi complet, absolu, qu'à la fin d'une audience d'assises. Pas tant physique (on arrive encore à tenir debout, à sourire, à serrer des mains, à dire des amabilités au président, à l'avocat général et au confrère, et on sort en marchant sur ses deux pieds. Mais moralement, psychiquement. Un procès d'assises, c'est des mois d'attente, des heures de préparation, une concentration continue, une heure de plaidoirie pour tout donner, et quand la plaidoirie est terminée, la machine est lancée, il n'y a plus qu'à attendre, et toutes les digues qui canalisaient votre énergie cèdent enfin. Après un procès d'assises, on ne dort pas, on tombe dans le coma. Un sommeil lourd et sans rêve. Aucun des autres intervenants du procès n'est autant engagé que l'avocat de la défense, car l'accusé, on le porte à bout de bras. La beauté du métier, mais aussi son côté destructeur si on n'y prend pas garde.

Bref, un formidable point de vue de l'intérieur de la profession d'avocat, servi avec le style parfaitement adéquat. Bref, la presse comme je l'aime. C'est long, mais ça se lit tout seul. Méfiez-vous, d'ailleurs : il est impossible de s'arrêter quand on a commencé.

Puisqu'on s'est déjà rencontré, permettez-moi un brin de familiarité : bravo Pascale. Vous devriez ouvrir un blog.

Allez, je vous laisse aller vous régaler.

C'est ici.

mardi 16 septembre 2008

Fausse bonne idée

Je lis dans le Bulletin de cette semaine (page 295, 4 du pdf) les premières pistes qu'explore le barreau pour la réforme du Bureau pénal, le service qui s'occupe des commissions d'office d'avocat en matière pénale à Paris, des gardes à vue, et des permanences pénales.

Pour mes amis les mékéskidis

Un petit décryptage rapide : est commis d'office un avocat à qui le bâtonnier demande (et ses désirs sont des ordres…) d'assurer la défense d'une personne qui lui en a fait la demande. Nous pouvons également être commis d'office à l'audience par le président de la juridiction.

Les gardes à vue sont gérées par un système d'astreinte : chaque jour est divisé en deux parties, la journée (7h-21h) et la nuit (21h-7h). Les avocats parisiens peuvent s'inscrire à trois astreintes par mois (il y a peu, c'était quatre), une astreinte couvrant une journée ou une nuit. L'avocat d'astreinte est ensuite appelé sur son téléphone mobile (il y a peu, c'était encore des bons vieux Tatoo®) et on lui indique le commissariat où il doit se rendre et le nom du gardé à vue.

Les permanences pénales couvrent deux types de permanence : les permanences mises en examen et les permanences comparutions immédiates. Les permanences mises en examen consistent à se tenir à disposition des juges d'instruction, principalement celui de permanence, pour assister des personnes qui lui sont déférées (=amenées directement des commissariats à l'issue d'une garde à vue) pour être mises en examen. Le cas échéant, cela inclut l'audience devant le juge des libertés et de la détention en vue d'un éventuel placement en détention provisoire. Elle peuvent commencer le matin (vers 10 heures) et sont censées se terminer dans ce cas vers 17-18 heures, ou commencer à 14 heures et dans ce cas durent jusqu'à ce que tous les dossiers aient été traités (20h-22h selon les jours, voire plus tard les jours fastes). Les permanences comparution immédiates concernent les prévenus, eux aussi déférés à l'issue d'une garde à vue, pour être jugés dans la foulée. Ils sont présentés à un procureur (seuls), qui recueille leur déclaration, et leur notifie par procès verbal leur citation pour l'audience de l'après midi. Ils peuvent à ce moment demander un avocat commis d'office, et le dossier nous échoit. Les permanences de comparutions immédiates commencent elles aussi en plusieurs vagues : 11h00 pour les premiers dossiers (on peut espérer en avoir fini à 18 heures), 14 heures pour le reste (on finit quand Dieu, dont le président est le prophète en son prétoire, le veut).

Combien ?

Plusieurs avocats sont de permanence pour les gardes à vue (je ne sais pas combien au juste, mais je crois que ça tourne autour de la quinzaine), pour les comparutions immédiates (quatre par fournée, ce me semble, plus un pour les victimes), mais on est seul pour les mises en examen (deux en fait, un du matin l'autre de l'après midi).

À Paris, pour pouvoir être commis d'office ou volontaire pour les permanences et les gardes à vue, il faut avoir suivi une formation de six fois quatre heures, dispensée par un éminent confrère. Contrairement à ce qui se fait dans la plupart des autres barreaux (mais notre nombre pléthorique nous le permet), il faut être volontaire et avoir suivi une formation pour être commis d'office à Paris.

Et combien ?

Les permanence mise en examen est payée au dossier : environ 75 euros H.T. pour une mise en examen, 50 euros H.T. de mieux en cas de débat contradictoire devant le JLD. Les permanences comparutions immédiates sont, il me semble forfaitisées ; en tout cas on touche environ 300 euros H.T. pour une permanence. Les gardes à vue sont payées à l'intervention, 63 euros H.T. de jour et 92 euros H.T. de nuit (il existe un supplément en cas de déplacement hors de la ville où siège le tribunal, mais il est évidemment inapplicable à Paris).

Revenons à nos moutons

Le Conseil s'est ému de certains problèmes liés au fonctionnement du bureau pénal, problèmes que je ne connais pas et qui n'ont pas été détaillés. J'ai cru comprendre qu'un certain copinage faisait que certains confrères étaient plus commis que les autres. La nouvelle me laisse pantois : vu les niveaux de rémunération, les choses sont claires : à Paris, un avocat ne peut pas vivre des commissions d'office. C'est au mieux un complément de rémunération pour les collaborateurs (= avocats débutants employés par un ou plusieurs avocats installés pour les assister dans le traitement de leurs dossiers). D'où la jeunesse des commis d'office. L'ingratitude financière de la chose fait que rapidement, ils demandent à être radiés des listes.

Parmi les pistes explorées par la Conseil de l'ordre, dont certaines me paraissent excellentes (mise en oeuvre, en concertation avec les services du Tribunal, des moyens nécessaires à l’amélioration des conditions matérielles d’exercice des missions confiées aux avocats de permanence : oui, par pitié, un ordinateur et une imprimante, avec un accès aux bases de données juridique, et des codes à jour pour nous éviter de transporter les nôtres, mon “kit 23e[1]” pèse 8 kilos !), une m'a fait bondir et prendre la plume virtuelle, car je le crains, nous sommes ne présence de la fausse bonne idée par excellence.

Le conseil de l’Ordre a décidé de veiller plus généralement à une répartition équitable entre les confrères volontaires des différentes permanences pénales dont l’accomplissement, traditionnellement destiné aux jeunes avocats, sera limité à une durée maximale de dix années, à une permanence par mois et au choix de deux modules maximum pour les permanences pénales avec obligation de suivre les ateliers de formation pratique ou spécifiques aux modules choisis.

Du diable si je comprends ces histoires de modules ; quand je lis « une permanence par mois », je m'exclame : HEIN ? J'en ai une par trimestre ! Mais quand je lis « l'accomplissement des permanences pénales sera limité à dix années », mon sang se glace.

Parce que cet couperet est au-dessus de ma tête, et je n'en comprends pas la raison.

La fausse bonne idée

La seule justification est que les permanences seraient « traditionnellement destinées aux jeunes avocats ». L'argument de la tradition est très fort dans la profession, mais en l'espèce, il ne me semble pas exact. Si ce sont les jeunes avocats qui s'occupent depuis toujours de la défense des plus démunis, c'est qu'ils en ont le temps, tout simplement. Les permanences, pour les collaborateurs, sont un gain net : leur rémunération professionnelles n'est pas diminuée en raison de leur participation à ces permanences puisqu'ils sont commis par le bâtonnier (et autrefois, comme ils n'étaient pas rémunérés par leur patron, c'était un gain tout court). Pour un avocat installé, c'est un manque à gagner, la rémunération ne compensant pas une journée de perdue au cabinet.

Et je sais d'expérience que des avocats inscrits sur les listes depuis dix ans, et même depuis plus de cinq ans, il y en a peu. Mais je crois qu'ils, que nous devrais-je dire, apportons quelque chose : notre expérience. Combien de fois ai-je aidé un jeune confrère, empêtré dans un concours réel d'infraction, un conflit de qualification, une nullité de procédure qu'il n'arrivait pas à formuler, sans parler des questions de droit des étrangers qui se posent de manière récurrente à la 23e ?

Que ce soit clair : ces permanences, je ne les fais pas pour l'argent. Aucun avocat installé ne les fait pour l'argent : on est financièrement perdant. Je les fais parce que j'aime ça, profondément, et que j'estime que les prévenus à la 23e doivent avoir aussi une chance de tomber sur un avocat expérimenté. Et dussè-je faire une entorse à ma proverbiale modestie, je crois que je ne suis pas trop mauvais dans cet exercice, à en croire les résultats que j'obtiens.

Alors m'en écarter de fait, par l'argument du jeunisme et de la tradition, je ne comprends pas où est l'intérêt du justiciable là-dedans. Je croyais que ce devait être notre principale préoccupation, au-delà de filer un pourboire aux jeunes confrères (le rapporteur du Conseil de l'Ordre est ancien président de l'UJA) et de se disputer pour gratter 300 euros par trimestre.

Alors de grâce, chers confrères, laissez-moi mes quatre permanences par an, laissez-moi aller aider mes jeunes confrères qui en auraient besoin, laissez-moi tenter d'aider les hommes qui n'existent pas, laissez-moi aller voir régulièrement comment ça se passe dans l'usine pénale où on juge à la chaîne.

Je ne pense pas y déranger.

Notes

[1] C'est la 23e chambre qui, à Paris, juge les comparutions immédiates

vendredi 29 août 2008

La faute du père est-elle la faute du journaliste ?

Billet écrit à quatre mains par Eolas et Aliocha, journaliste et juriste


— Le bonjour cher Maître…

— Ah, ma chère lectrice, quel plais… Mais… Mais ? Vous n'êtes pas ma chère lectrice habituelle ?

— Non, c'est moi, Aliocha. Votre lectrice habituelle est indisposée, ainsi que les molosses qui gardent votre jardin, d'ailleurs ; et aujourd'hui, vous aurez une contradictrice un peu plus mordante. Cela changera vos lecteurs de vos roucoulements.

— Hé bien, prenez place dans mon salon et dites-moi ce qui me vaut cette visite. Une tasse de thé ?

— Un verre de vin plutôt. Sympa, les murs fuschias. C'est Valérie Damidot ?

— Non, Dadouche et Fantômette. De quoi allons nous parler ?

— De Ferrari.

— Je ne vous savais pas versée dans la mécanique italienne.

— J'ai de nombreux talents que vous ignorez, mais en l'occurrence, je pensais à Laurence Ferrari.

— La nouvelle titulaire du très envié poste de présentateur du journal de 20 heures sur TF1.

— Celle-là même. Figurez-vous que ma consœur a décidé de donner du travail à une de vos consoeurs.

— Vous m'en voyez ravi pour ma consœur. Contre qui ?

— Contre un de mes confrères.

— On ne pourra donc vous accuser de corporatisme. Pour quel motif ?

— Atteinte à sa vie privée par Lyon Mag, qui a publié une interview de son père, dans laquelle il parle de sa fille et évoque certains détails douloureux de son enfance.

— Je vous avoue que je n'ai pas lu cet article.

— Moi non, plus, mais qu'importe : c'est sur le principe plus que sur le contenu que je suis contrariée.

— Et qu'est-ce qui vous chiffonne ?

— Ce qui me chiffonne ? Qu'elle s'en prenne au journal alors que celui-ci n'a fait que reproduire les propos de son père.

— Votre sens de l'équité serait plus satisfait si elle faisait un procès à son seul père, ou à son père ET au journal ?

— Mon sens de l'équité serait satisfait si elle s'abstenait de faire un procès au journal. Le reste la regarde exclusivement. Vous voyez qu'on peut être journaliste et avoir le sens du respect de la vie privée.

— Pour ma part, je suis plutôt un tenant de la théorie des rotatives intelligentes.

— Bah, il faut de l'intelligence en tout, mais qu'entendez-vous exactement par rotative intelligente ?

— Un organe de presse n'est pas un simple mégaphone, qui ne ferait que répéter des propos en les amplifiant, substituant à l'oreille du journaliste les milliers d'oreilles de son lectorat. Le journaliste, et au-dessus de lui son rédacteur en chef, relit ce qui doit être publié et l'approuve. Au besoin, il retire des passages, que ce soit pour des problèmes de place, d'intérêt du propos… ou de sa licéité. Dès lors qu'il y a eu exercice libre d'un choix du contenu de l'article (ce qu'on appelle liberté de la presse), l'organe de presse engage sa responsabilité sur le contenu de ce choix.
Le fait que ce soit le père de la journaliste qui fasse cette révélation portant atteinte à l'intimité de sa vie privée ne prive pas le magazine de sa liberté de ne pas reprendre cette révélation afin d'éviter que l'indiscrétion faite à un journaliste devienne une indiscrétion faite au public. D'où mon expression de rotative intelligente, rappel de la théorie des baïonnettes intelligentes qui n'exonère pas de sa responsabilité un militaire qui obéit à un ordre manifestement illégal. La faute du père n'exonère pas Lyon Mag de sa propre faute. Ce d'autant que des deux fautes commises, c'est celle de Lyon Mag qui a causé l'essentiel du dommage.
Au reste, vous n'êtes pas sans savoir, en tant que juriste et journaliste, qu'en matière de presse, la responsabilité pénale pèse au premier chef non pas sur celui qui a tenu les propos (l'auteur) mais sur celui qui les a publié (le directeur de publication). Ce qui vaut au pénal vaut aussi au civil.

— Vous vous emballez mon Cher Maître. Que la presse soit responsable de son contenu, c'est incontestable et d'ailleurs les tribunaux nous le rappellent régulièrement. La justice pèse sur nos têtes comme une épée de Damoclès, nous le savons tous et tremblons en écrivant chaque mot à l'idée qu'un esprit chagrin pourrait venir nous assigner. Et quand on nous assigne, c'est le journaliste, son chef de service, le rédacteur en chef et le directeur de la rédaction, pour être sûr de n'oublier personne. On ne nous fait pas de cadeau.
Soit dit en passant, les gens préfèrent souvent appeler la direction pour demander, voire exiger notre licenciement, c'est plus simple et moins coûteux. Voyez, l'impunité des journalistes est un préjugé tristement erroné, comme nombre de préjugés d'ailleurs.
Mais déjà vous parlez de faute, et du père et du journal. L'avocat que vous êtes sait bien que ce n'est pas parce que quelqu'un allègue d'un préjudice qu'il a forcément raison. Laurence Ferrari se dit blessée, soit. Elle invoque une atteinte à sa vie privée, c'est entendu. Mais voyons cela de plus près. La journaliste a l'honneur d'être choisie pour présenter le journal de 20 heures sur une grande chaîne. Elle donne donc des interviews ici et là, toutes plus lisses les unes que les autres.
Sachez en effet que les personnalités n'hésitent plus à décider des questions qu'il faut leur poser à la place des journalistes et exigent souvent de relire les interviews avant parution. Vous osez refuser ? On vous menace d'aller s'épancher auprès de la concurrence. C’est ainsi que le journalisme se confond avec la communication au détriment du lecteur qui croit lire une discussion sincère reproduite fidèlement alors que ce n'est que du marketing téléguidé.
Sachant cela, que fait Lyon Mag ? Il décide d’offrir à ses lecteurs autre chose qu’un portrait lisse et marketing de la l’intéressée, en d’autres termes de faire un vrai travail de journalisme. Et pour cela, il se tourne vers l'entourage. Ô bonheur, le père accepte de parler.
Et le père raconte, la personnalité de sa fille, ses ambitions, ses rêves, ses douleurs, son enfance. Au chapitre des douleurs, lui, le père, il évoque le point qui fait débat. Vous voulez comprendre ma fille dit-il au public, alors sachez cela. Et le journal publie, pas un bruit de couloir, pas des propos infamants, pas des rumeurs, non. Un portrait paternel, livré en connaissance de cause, sans intention malveillante mais avec celle d'informer. Où est la faute ? Quel est le journaliste le plus fautif, celui qui ment en faisant passer pour objectif un article revu, corrigé et censuré ou celui qui propose une vraie information ?

— Vous cherchez la faute ? Permettez que je vous souffle : article 9 du Code civil. « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
Toute atteinte à la vie privée est une faute en soi. C'est la loi qui le dit, ce n'est pas moi.
J'ajoute, pour répondre à votre argumentation, que présenter un JT n'est pas un honneur mais un travail, fût-il fort recherché, le poste ne se libérant qu'une fois tous les 25 ans ; que si la communication maîtrisée des people vous irrite, vous n'êtes pas obligés (vous les journalistes, pas vous Aliocha) de leur prêter votre chambre d'écho, et qu'enfin le fait d'être journaliste avec un large public ne vous dépouille pas de votre droit à une vie privée.
Du reste, chère Aliocha, à partir de combien de lecteurs trouverez-vous justifié qu'on aille tirer les vers du nez à vos proches pour pouvoir étaler sur la place publique vous douleurs d’enfance ?

— La loi donc qualifie de faute toute atteinte à la vie privée, dont acte. Dans ce cas, poursuivez la citation de l'article, je suis impatiente de connaître la définition que donne la loi de la vie privée.

— La loi s'arrête là, faisant, pour une fois, sienne l'aphorisme de Portalis[1], et laissant au juge le soin de délimiter ces contours. Tâche dont il s'est fort bien acquitté.
Est privé tout ce que la personne a décidé de ne pas révéler ou qui n'est pas directement lié à sa vie publique, c'est à dire sa profession, son activité politique ou syndicale, ses responsabilités dans tel organisme ou son engagement public pour telle ou telle cause. Ainsi l'état de santé, la situation de fortune, les relations sentimentales et familiales, les convictions religieuses, la maternité, même le numéro de sécurité sociale [2] !
L'enfance d'une personne fait également partie de sa vie privée, ne serait-ce que parce qu'à l'époque de ces événements, elle était mineure. J'ajoute que la jurisprudence va très loin puisqu'elle admet que la reprise sans autorisation de révélations faites par le passé par une personne peut constituer une atteinte à sa vie privée.

— Ah ! Donc c'est le juge qui apprécie au cas par cas. La loi trouverait-elle que la notion est trop difficile à définir ? Qu'elle dépend essentiellement des circonstances de chaque affaire, et notamment des rapports entretenus par la personne concernée avec la presse, de son degré de célébrité, de l’information concernée, de la manière dont l’information a été obtenue, de la façon dont elle est présentée ? Ne peut-on imaginer que tout récit de vie privée ne soit pas forcément constitutif d'une atteinte à la vie privée ?
Et tant qu'on y est, je me pose une autre question : pourquoi réclamer 40 000 euros de dommages intérêts ? Le mal, si mal il y a, a été fait, une demande de sanction symbolique aurait plaidé en faveur de la sincérité de la démarche non ?

— Bien sûr que le juge apprécie au cas par cas. Cela fait deux siècles qu'il apprécie l'existence de la faute, du lien de causalité et estime le préjudice au cas par cas ! Non que la faute soit trop difficile à définir (encore que tel soit le cas), mais pour les raisons si bien exprimées par Portalis. J'ajoute que la procédure précédant la décision du juge permet à chaque partie, révélateur comme sujet de la révélation, d'exposer en quoi, selon elle, il y a ou non atteinte à la vie privée, le juge tranchant entre les points de vue qui lui sont soumis. Il demeure, et vous le savez fort bien, que chaque décision forme la brique d'un édifice qui à la longue devient fort cohérent (et en l'occurrence, on a 38 années de jurisprudence à se mettre sous la dent).
Et en l'espèce, je ne vois pas par quel tour de souplesse dorsale on peut affirmer sans rire qu'une tragédie familiale remontant à l'enfance ne ressortirait pas de la vie privée d'une femme de 42 ans, sous prétexte qu'elle a été nommée à un poste fort exposé, tant au regard du public qu'aux jalousies de ceux qui n'y sont pas.
Enfin, pour l'estimation de son préjudice, qui suis-je pour juger du prix de sa douleur ? Mais reconnaissons que demander un euro en justice n'est pas très dissuasif pour prévenir et décourager d'autres révélations à l'avenir, surtout quand le révélateur a quant à lui un intérêt financier à cette révélation. Face à une telle demande, Lyon Mag se contenterait d'acquiescer, en envoyant un chèque d'un euro à la dame, avant de commander un deuxième tirage du numéro épuisé. En la matière, de pureté des intentions il n'y a ni d'un côté ni de l'autre.

— Il n’y a nulle souplesse dorsale à considérer que certains éléments du passé d’une personne publique peut utilement éclairer les lecteurs. Vous savez comme moi que dans ce genre d’affaires, la cour européenne des droits de l'homme met en balance les intérêts en présence pour déterminer si l'atteinte à la vie privée, ou encore au secret des affaires ou à tout autre droit ne se justifie pas au regard de la liberté d'expression, ce qui s'apprécie notamment au vu de l'intérêt de l'information. C'est ainsi qu'elle a pu considérer que la publication de la déclaration d'impôt d'un patron de groupe automobile dans un journal satyrique était justifiée puisqu'elle montrait que ledit patron s'était augmenté au moment même où il procédait à des licenciements.

— L'affaire Fressoz et Roire c. France. Mais il ne vous a pas échappé qu'il existait un lien entre les faits révélés et la vie publique de l'intéressé. La cour de cassation applique d'ailleurs cette règle puisque dans son arrêt Schuller (civ 1e, 12 juillet 2005, au bulletin n°330), elle distingue dans le même article certains faits dont la révélation était justifiée au regard de la nécessité d'informer le public (titres de personne publique, sa fuite à Saint-Domingue et ses activités dans la société locale) d'autres dont la révélation ne se justifiait pas (divulgation de leurs conversations avec leur entourage, la scrutation des sentiments existant entre eux et vis-à-vis de leurs enfants, les tensions ayant opposé l'intéressé à son fils et les motifs ayant pu inciter le second à dénoncer la retraite du premier). Or ce lien fait cruellement défaut ici.

— Il fait défaut à Vos yeux. Mais ne peut-on considérer que le public a le droit d'être informé de la personnalité de la journaliste qui va faire le 20h sur une grande chaîne et que cette personnalité, son père est bien placé pour l’éclairer ? Par ailleurs, le juge ne manquera pas d'apprécier le fait qu'il ne s'agit pas d'un article de la presse people nourri de bruits et de rumeurs, mais une interview du père, présentée avec sobriété.
N'oublions pas qu'on reproche aujourd'hui à la presse de s'être tue sur l'existence de la fille de Mitterrand. Elle aurait pu à l'époque révéler son existence, elle a préféré s'auto-censurer. Cela aussi relevait de la vie privée, mais la nature de la personne concernée et surtout ses fonctions de président aurait justifié la révélation au nom précisément du droit à l'information. C'est donc qu'il existe des atteintes à la vie privée qui sont non seulement admissibles mais considérées comme nécessaires.

— Absolument, mais ce qui justifiait la révélation de l'existence de la fille naturelle de Mitterrand est que cette existence a eu un impact sur les décisions prises par son père en tant que président, à savoir placer illégalement des personnalités sur écoute et faire supporter au budget de l'État des dépenses liées à l'entretien et l'éducation de cette jeune fille promise à un si brillant avenir littéraire. Si feu le président Mitterrand n'avait pas commis ces actes graves et illégaux, la révélation de cette paternité aurait relevé du strict cadre de sa vie privée. Vous voyez ? Il y a un lien entre les faits et la vie publique, qui légitime l'information.

— Toujours est-il qu'elle était justifiée. Et que dans bien des affaires, le juge, en particulier le juge européen des droits de l'homme, a considéré que la liberté d'expression primait sur toute autre chose. Parce que le juge, sait bien que la liberté d'information est un pilier de la démocratie. Il sait aussi, ce juge, que le journaliste par nature dérange et qu'il dérange souvent des gens puissants, il doit donc être protégé. C'est aussi pour cela que la loi française accorde un statut particulier à la presse dans la loi de 1881. Vous voyez que finalement, l'affaire est moins simple qu'il y parait. Ce qui montre toute la difficulté de l'exercice journalistique, car la frontière entre le permis et ce qui ne l'est pas est plus ténue et plus mouvante qu’elle n’apparaît au premier abord.

— Le juge européen n'a jamais dit que la liberté d'expression primait sur toute autre chose, et il aurait du mal, puisque l'article 10 de la CESDH qui la protège précise bien que « l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » Cela fait beaucoup de choses qui priment.
Notez les mots « responsabilité » et « droits d'autrui» ; parmi ces droits se trouvent celui au respect de sa vie privée… vie privée qui d'ailleurs est expressément protégée par l'article 8 de la même déclaration. D'autant plus que la nécessité d'informer le public est aussi invoquée pour publier à la Une la photo de telle starlette les fesses à l'air. Elle a bon dos, la nécessité d'informer (et la starlette aussi, d'ailleurs, mais passons).

— D'accord, j'ai parlé trop vite, disons donc que le juge dans les affaires qu'il examine peut considérer que la liberté d'expression prime sur le droit qu'on lui oppose. Et il l'a fait. A plusieurs reprises.

— Oui. Et les critères qu'il applique sont connus. Il s'agit de l'intérêt légitime pour le public de cette révélation. Étant entendu que l'intérêt du public n'est pas l'intérêt morbide du badaud mais celui du citoyen qui doit être informé pour se forger une opinion sur les faits relatifs à la vie de Cité. Je doute encore de l'intérêt pour le citoyen de savoir que telle présentatrice télé a subi une tragédie quand elle était enfant, ce qui visiblement ne l'a pas empêché de mener une brillante carrière la menant au pinacle.

— Je vous rappelle que présenter le 20 heures est un poste impliquant des responsabilités très lourdes, nous sommes loin de la météo ou de question pour un champion. Le présentateur du 20 heures décide du contenu de son journal, il est aussi garant du respect de la déontologie de l’information. Souvenez-vous qu’on a vu à plusieurs reprises des présentateurs en fâcheuse posture pour des raisons éthiques. Ce même présentateur, que je préfère appeler d’ailleurs journaliste, est amené à réaliser des interviews d'hommes politiques, et en particulier du Président de la République. Ceci, devant des millions de téléspectateurs. L'impact de ce poste sur l'opinion publique est énorme. Je ne trouve pas choquant que la contrepartie d’un tel pouvoir réside dans une certaine transparence et impose la sincérité. Quant à l'épreuve qui nous occupe, elle l'a surmontée en effet, ce qui ne fait que renforcer mes interrogations : pourquoi s'offusquer d’un récit qui n'a rien de négatif, bien au contraire ?

— Ah, mais si les faits révélés remettent en cause les exigences déontologiques, voilà un intérêt légitime. Sinon, la vie privée d'un homme public reste privée. En l'espèce, ce qui a de quoi mécontenter l'intéressée est que ce récit d'une souffrance intime entraîne des regards de commisération. Tout le monde n'apprécie pas l'apitoiement. Des gens moins aimables insinueront qu'elle n'est du coup pas assez solide pour ce poste. D'autres enfin qui voudront lui faire du mal sauront désormais où taper. Révéler un fait “positif” peut avoir des conséquences négatives.

— Vous extrapolez Maître. J’ajoute que si nous devons nous assurer avant d’écrire un article, non seulement que nous ne commettons aucune infraction pénale, ce qui est légitime, mais que nous n’allons contrarier personne, alors nous n’écrirons plus rien. Il me semble que vous-mêmes résistez vaillamment à ce type de chantage. La presse dont le métier est d’informer ne devrait-elle pas se voir reconnaître au moins la même liberté ? Laissons donc la justice trancher en espérant que sa décision, quel qu'en soit le sens, n'aboutisse pas à réduire la liberté de la presse.

— Certes, il y aurait encore tant à dire, mais j'entends du bruit dans le parc du château. Voici la foule des lecteurs qui vient se joindre à notre discussion. Finissons nos verres de cet excellent nectar tout droit issu de la réserve personnelle de Gascogne, et allons nous joindre à eux, le temps pour moi de passer au chenil pour détacher Troll Detector™ en lui priant d'attaquer à vue toute mention expresse au fait révélé par Lyon Mag : il ne présente aucun intérêt pour notre discussion, et nous pouvons nous contenter de mentions allusives.

Notes

[1] « Nous n'avons pas cru devoir simplifier les lois au point de laisser les citoyens sans règle et sans garantie sur leurs grands intérêts. Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Un code, quelque complet qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent s'offrir au juge. Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l'empire de l'usage, à la discussion des hommes instruits, à l'arbitrage des juges. L'office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit; d'établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C'est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l'esprit général des lois, à diriger l'application. «De là, chez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois et sous la surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrines, qui s'épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s'accroît sans cesse de toutes les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation. » Portalis, Discours au projet de Code civil, 1802.

[2] civ 1re, 9 décembre 2003, au bulletin, n°254

jeudi 28 août 2008

And the Winner is ?

Par Gascogne


Dans un arrêt en date du 10 juillet 2008, la Cour Européenne des Droits de l'Homme vient à nouveau de condamner la France pour violation de l'article 5 § 1 de la convention.

L'affaire soumise à la sagesse de cette Haute Assemblée est une procédure assez rare ayant donné lieu à retentissement médiatique certain : il s'agissait de l'arraisonnement au large des îles Canaries du bateau nommé "Winner", battant pavillon cambodgien, et dans lequel une quantité moins que négligeable de stupéfiants avait été retrouvée. Suite à l'intervention des forces militaires françaises, après accord du gouvernement cambodgien, le bateau avait été détourné sur Brest. Une information judiciaire était finalement ouverte, et plusieurs membres de l'équipage ont au final été condamnés par la Cour d'Assises spéciale (i.e. composée uniquement de magistrats professionnels) de Loire Atlantique a des peines très lourdes.

Les requérants ont soulevé deux points précis : ils ont été gardés treize jours en mer hors de tout cadre légal avant d'être placés en garde à vue à Brest, et en outre n'ont pas été présentés dans les meilleurs délai à un magistrat. Le premier argument (le deuxième, en fait, dans l'ordre de l'arrêt), est écarté par la Cour, qui précise qu'il est normal de tenir compte du temps de trajet entre l'arraisonnement et l'arrivée au port, alors même que le gouvernement cambodgien avait donné son aval à l'abordage. On ne peut qu'être d'accord avec la Cour, sauf à considérer qu'un héliportage de procureur à bord du bateau est envisageable, comme cela a pu se faire dans d'autres circonstances.

C'est la condamnation sur la base du deuxième argument qui a provoqué un certain remous dans la magistrature française : la Cour Européenne des Droits de l'Homme affirme en effet tout simplement que les magistrats du parquet français, les "procureurs"...ne sont pas membres de l'autorité judiciaire. Rien de moins.

Beaucoup de collègues y ont vu la porte ouverte à une réforme de plus, dont on parle depuis quelques temps, à savoir la séparation du siège et du parquet. Etant pourtant particulièrement opposé à cette séparation, je ne suis pas loin de penser que cet arrêt est au contraire plutôt positif.

Les juges de Strasbourg considèrent dans le paragraphe 61 de leur décision que si l'entière procédure d'abordage, d'interpellation puis de placement en garde à vue se déroule bien sous le contrôle du procureur de la République, celui-ci "n'est pas une autorité judiciaire au sens de la jurisprudence de la Cour (...) : il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié."

C'est une gifle bien pire que celle qu'un élève peut recevoir de son professeur après insulte. Et le pouvoir politique pourrait bien voir là une occasion en or de revenir sur sa marotte du moment.

Je suis personnellement opposé à cette séparation : le magistrat du parquet reste en France, de part son statut, un magistrat. Cela signifie qu'il est constitutionnellement garant des libertés individuelles (art. 66 de la constitution), tout comme son collègue du siège. Si une garde à vue est illégale, il est de son devoir d'en ordonner la levée. Si une procédure est nulle, il doit le relever à l'audience. Si les éléments ne sont pas suffisants dans un dossier, il doit requérir le non lieu devant le juge d'instruction, la relaxe ou l'acquittement devant la juridiction de jugement, quelle que soit l'opinion personnelle qu'il a pu se forger sur la personne mise en cause.

Retirez le statut de magistrat aux membres du parquet, et vous vous retrouverez avec des préfets de justice, soumis comme les autres à la pression des chiffres. Après les instructions vers les commissaires de police pour enregistrer tant de gardes à vue par mois, et celles vers les préfets pour obtenir tant d'expulsions, des instructions pour obtenir tant de condamnations mensuelles ne tarderaient plus à venir.

Si je suis plutôt en désaccord avec mes collègues pessimistes suite à cet arrêt de la CEDH, c'est que j'ose espérer que l'influence européenne existe sur notre société, et qu'un jour les procureurs bénéficieront enfin de la fin de cette relation quasi-incestueuse entre l'exécutif et le judiciaire. On peut espérer que cet arrêt serve de pression en ce sens, à l'heure où la France préside à la destinée européenne, notamment en matière de justice. Reste à savoir quand le politique sera prêt à se priver de ce moyen bien pratique, de diriger une politique pénale, ce qui n'est pas contestable en soit, mais également de bénéficier d'un véritable bouclier judiciaire qui nous range à égalité avec l'Italie berlusconnienne au rayon des pays où la séparation des pouvoirs n'est pas assurée.

lundi 4 août 2008

Les robes noires contre les blouses blanches ?

« Ah, ça, mon ami, vous me voyez toute contrariée !

— Vous, ma mie ? Cela ne saurait être. Quelle est la cause de votre trouble, que je lui fasse promptement un sort ?

— J'apprends en lisant votre blog que vous en voulez à ma santé pour vous enrichir.

— Je ne comprends pas ce que vous dîtes mais puis néanmoins d'ores et déjà protester de mon innocence. Votre teint de rose est pour moi le plus précieux des trésors et je mourrais plutôt que de le flétrir.

— Mais voilà une semaine qu'un médecin déverse ses jérémiades sous un de vos billets, et vous restez coi ! Certes, l'auguste praticien, qui est une auguste praticienne, est parfaitement hors sujet puisqu'il s'agit du billet sur la médiatisation de votre cravate. Mais qu'apprends-je ? Les médecins exercent désormais la peur au ventre ? C'est l'existence même de leur art qui est menacée par vous et vos assignations pour un oui ou pour un non ?

— Mes assignations sont comme mes clients : innocentes. Je ne pratique pas la responsabilité médicale, même si je connais un peu la matière.

— Si ce n'est toi, c'est donc ton confrère, dirait la fable.

— Et elle aurait raison, car j'approuve le principe de demander des comptes à un médecin.

— Ah, vous avouez donc ? Vous haïssez les carabins ?

— Non, point, je les aime et les respecte. Des gens qui arrivent à apprendre tant de choses en buvant autant quand ils ne font pas l'amour en tout temps forcent l'admiration pour les moines que sont les étudiants en droit.

— Mais ce que dit la disciple d'Hippocrate…

— …Est une parfaite synthèse des clichés sans cesse ressassés par une profession qui n'apprécie guère ce qu'elle ressent comme une remise en cause de son autorité, ce à quoi il faut ajouter une absence de culture juridique — cette matière étant absente de leurs interminables études, alors que l'économie a été — peut-être l'est-elle encore ?— en PCEM1. Or la responsabilité n'est que la contrepartie logique et naturelle de la liberté du médecin. Loin de la fuir, ils devraient la revendiquer. À tout le moins, la rapporter à de plus justes proportions. Si tous les médecins ont entendu parler d'un confrère qui connaît un confrère qui…, combien ont été attaqués, eux personnellement, en justice ? J'entends une assignation en bonne et due forme, pas des menaces de procès. J'assume la part des avocats dans la mise en cause de la responsabilité des médecins, mais décline celle des fâcheux.Les avocats sont d'ailleurs responsables de leurs fautes et doivent en indemniser leurs clients. Si parfois certaines jurisprudences nous paraissent critiquables, nous n'avons jamais eu l'idée de remettre en cause le principe. Au contraire, c'est un argument qui éveille la confiance de nos clients. Nous ne prétendons pas à l'infaillibilité (c'est cela qui serait inquiétant) mais nous garantissons que vous serez couvert des conséquences de nos erreurs. Alors, donnez moi la main, chère lectrice, je vous emmène faire un tour dans le monde passionnant de la responsabilité médicale, où les clichés ont la vie aussi courte qu'un virus de la grippe dans le cabinet d'un médecin.

La responsabilité médicale, une vraie spécialité

Des avocats se sont spécialisés dans le droit des victimes. Le terme de victime étant très large et donc très flou, les avocats préfèrent parler de préjudice corporel : c'est cela que l'avocat veut voir réparer. Réparer une victime relève d'autres mains que les notres. C'est une spécialité reconnue, et une discipline à part entière. Les dossiers de “corpo” ont principalement trois sources : les accidents de la circulation, les infractions pénales, et la responsabilité médicale. S'y ajoute des sources ponctuelles, isolées mais au nombre de victimes élevé, comme les accidents sanitaires (sang contaminé, hormone de croissance, hépatite C) et les catastrophes maritimes ou aériennes.

Ces trois matières ont des règles de droit différentes qui leur sont applicables ; mais elles ont en commun le travail d'orfèvre que constitue l'évaluation exacte de ce préjudice, sans rien oublier. Là est tout l'art de l'avocat en “corpo”.

Mais ce n'est qu'aux règles présidant à la mise en cause de la responsabilité que je vais m'intéresser ici. À quelles conditions peut-on demander des comptes à celui qui, voulant vous soigner a failli à sa mission ?

Comme d'habitude en France, il faut distinguer selon que le médecin a agi en tant qu'agent de l'État ou en tant que praticien libéral.

Le point commun à toutes ces situations est néanmoins à garder à l'esprit : un patient venu se faire soigner a subi, à cause des soins reçus ou de l'absence des soins pertinents, un préjudice. Je reviendrai sur le préjudice. Sachez d'ores et déjà que le patient procédurier qui fait un procès pour un ongle cassé est un pur cliché. Dans la totalité des cas, ce sont des corps brisés, parfois au-delà du réparable, des vies à jamais bouleversées. Vous verrez les exemples que je donnerai.

Heureux les agents publics : ils seront couverts

Notre hypothèse est que le dommage au patient est survenu dans un établissement hospitalier (on parle d'hôpital pour un établissement de soin relevant de l'État, et de clinique pour un établissement privé ; mais il y a des pièges comme l'Hôpital américain de Paris, qui comme son nom l'indique est une clinique française située à Neuilly Sur Seine). Le contentieux relève du juge administratif, et le défendeur est l'établissement hospitalier lui-même, pas le médecin. Ceci est une application générale du fait que l'État est responsable des agissements de ses fonctionnaires, et se substitue à eux pour réparer les dommages causés. Il peut ensuite régler ses comptes avec l'agent public fautif, en demandant le remboursement des sommes payées à la victime (action récursoire, quasiment jamais utilisée à ma connaissance) et en prenant des sanctions disciplinaires à son égard.

Arrête d'être lourde (je parle à la faute)

Jusqu'en 1992, le juge administratif exigeait que la faute ayant causé un dommage soit une faute “lourde”. Cette exigence se voulait le reflet de la particularité de la pratique médicale : un médecin ne saurait être tenu de guérir son patient. Il doit faire de son mieux. La faute lourde était donc l'hypothèse où, pour simplifier, le médecin a commis une faute qu'un autre de ses collègues n'aurait pas commis. La conséquence était néanmoins funeste, eu égard à la difficulté de la preuve. Bien des patients, incapables de prouver une faute lourde, du faut qu'au moment où celle-ci a été commise, ils étaient inconscients, ou fortement diminués, et incapables de porter un jugement sur les gestes du praticien, voyaient leur demande rejetée, avec des conséquences terribles pour eux : on parle de gens devenus invalides qui n'étaient pas indemnisés de ce fait.

Le 10 avril 1992, le Conseil d'État opère un revirement et désormais exige une simple faute. C'est l'arrêt Madame V.

— Cette Madame V. était-elle une chicaneuse désirant battre monnaie sur la tête des médecins ?

— Je vous laisse juge. Les faits remontent au 9 mai 1979. Mme V. était enceinte de son troisième enfant. Son obstétricien, qui avait détecté un placenta prævia[1] lors d'une échographie, avait décidé de pratiquer une césarienne quelques jours avant le terme prévu. Jusque là, rien de plus normal. Le placenta prævia est une complication connue, certes pas bénigne, mais que l'on sait traiter pour minimiser les risques. Ilse caractérise par un risque d'hémorragie sévère, pouvant entraîner une hypotension et une chute du débit cardiaque ; ajoutons à cela que l'anesthésie péridurale présente un risque particulier d'hypotension artérielle qui était déjà connu à l'époque, et les acteurs sont en place pour la tragédie.

Acte I : le médecin anesthésiste de l'hôpital administre à Mme V., avant le début de l'intervention, une dose excessive d'un médicament à effet hypotenseur. Sur un terrain favorable. Acte II : Une demi-heure plus tard une chute brusque de la tension artérielle, accompagnée de troubles cardiaques et de nausées a été constatée ; le même praticien a ensuite procédé à l'anesthésie péridurale prévue et a administré un produit anesthésique contre-indiqué compte tenu de son effet hypotenseur. Ce qui devait arriver arriva : une deuxième chute de la tension artérielle s'est produite à onze heures dix ; après la césarienne et la naissance de l'enfant, un saignement s'est produit et a été suivi, à onze heures vingt-cinq, d'une troisième chute de tension qui a persisté malgré les soins prodigués à la patiente. Acte III : à douze heures trente, du plasma décongelé mais insuffisamment réchauffé a été perfusé provoquant immédiatement une vive douleur suivie de l'arrêt cardiaque de la patiente.

— Mon Dieu ! Mais qu'est-il arrivé à Mme V. ?

— Mme V., alors âgée de 33 ans, est restée atteinte de graves séquelles à la jambe gauche et, dans une moindre mesure, au membre supérieur gauche ; elle souffre à vie de graves troubles de la mémoire, d'une désorientation dans le temps et l'espace, ainsi que de troubles du caractère ; elle a dû subir une longue période de rééducation ; du fait de son handicap physique, elle subit un préjudice esthétique ; enfin elle exerçait la profession de maître auxiliaire dans un collège d'enseignement secondaire et qu'elle a perdu toute perspective de reprendre une activité professionnelle correspondant à ses titres universitaires.

— Et vous me dîtes que ce fut un revirement de jurisprudence ?

— Oui. En 1986, un tribunal administratif a estimé qu'il n'y avait pas lieu à indemnisation. Voilà le paradis perdu de notre mélancolique esculape. Pour info : le Conseil d'État a alloué un million de francs à Mme V., 300.000 francs pour son mari pour le préjudice moral consistant à voir son épouse devenue invalide à vie et n'ayant plus tout à fait la même personnalité, et pour le trouble dans ses conditions d'existence, lui qui s'est retrouvé du jour au lendemain avec trois enfants et un adulte à charge.

— Ce n'est pas cher payé.

— Jamais devant le juge administratif.

— Faut-il toujours prouver une faute pour engager la responsabilité ?

— Non. Il existe deux cas où le patient victime est dispensé de prouver la faute : si cette faute est présumée ; et le cas particulier de l'aléa thérapeutique.

La faute présumée

— Le Conseil d'État a créé un régime de responsabilité pour faute présumée : c'est l'arrêt Dejous de 1988. Cette hypothèse s'applique à des hypothèses dans lesquelles un acte de soin courant à caractère bénin entraîne des conséquences très graves sans commune mesure avec le motif initial de l'hospitalisation. Il s'agissait principalement des infections nosocomiales[2].

— Je tremble en posant la question, mais que s'était-il passé dans cette affaire ?

— Le patient avait été hospitalisé pour subir une sacco-radiculographie[3] qui a confirmé la présence d'une hernie discale, qui a été opérée le lendemain (opération de cure de hernie discale). Il s'agissait d'une opération courante. Néanmoins, le patient s'est vu infecté par une infection méningée compliquée d'une lésion de la moelle dorsale. Cela a causé au patient des douleurs que je vous laisse imaginer, et l'a laissé atteint d'une paralysie des membres inférieurs, de l'abdomen et de la partie basse du tronc, entraînant une invalidité définitive de 80 %. Vraiment, il y a des gens qui font des procès pour n'importe quoi.

— Ne soyez pas ironique. Mais j'ai cru comprendre que vous employiez le passé ?

— Oui, les cris d'orfraie des médecins ont porté leurs fruits, puisque la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients (sic .) a mis fin à cette jurisprudence en matière d'infections nosocomiales. Si la même mésaventure vous arrive, vous devrez désormais démontrer qu'il y a eu une faute d'asepsie, sachant que le fait que vous avez été infectée ne démontre pas cette faute. Bonne chance. Mais vous comprendrez, c'est pour restaurer la dignité froissée des médecins.

Vous me prendrez un aléa matin, midi et soir

La jurisprudence administrative a développé trois cas de responsabilité sans faute. Cette expression, qui fait bondir les médecins, doit être bien comprise. Il ne s'agit absolument pas de dire que le médecin est responsable même s'il na commis aucune faute. C'est l'État, dans le cadre de l'exercice de ses prérogatives en matière de santé publique, pour lesquelles il s'est arrogé un monopole, qui est responsable. Le fait que ces responsabilités soient engagées sans faute exclut même toute action récursoire ou disciplinaire contre le médecin qui en serait à l'origine. Bref, le patient ET le médecin sont protégés.

Le premier cas est celui lié à l'hospitalisation des malades mentaux, et garantit les tiers. Dans les années 60, un dément qui avait été placé à l'extérieur, dans une ferme expérimentale, incendiait le bâtiment au cours d'un épisode délirant. Les propriétaires des murs ont pu être indemnisé, quand bien même ce placement dans un milieu ouvert n'était pas fautif en soi : il fallait bien essayer, et ces placements ont d'ailleurs produit de très bons effets sur d'autres malades.

S'agissant des patients, la Responsabilité sans faute couvre trois domaines :

► la technique nouvelle[4], quand on emploie une thérapeutique nouvelle dont les risques sont mal connus, et que ce recours ne s'imposait pas pour des raisons vitales et qui a eu des conséquences exceptionnelles et anormalement graves en découlant directement ;

► l'acte à risque[5], acte qui présente un risque exceptionnel mais mal connu, qui a entraîné directement un dommage anormal et d'une exceptionnelle gravité.

► et la transfusion sanguine, en cas de contamination par cette voie. Notons que la loi a créé un organisme, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM). C'est cette organisme qui indemnise les victimes d'infections nosocomiales et affections iatrogènes[6], les transfusés infectés par le VIH (mais pas l'hépatite C), les victimes de l'hormone de croissance et les victimes de surirradiation au centre hospitalier Jean Monnet d'Épinal.

— Cette dernière précision me paraît bien étrange. Si j'ai été surirradié ailleurs ?

— Hé bien, ce n'est pas leurs ONIAM.

— Je vous sens fatigué, mon cher maître, pour en tomber au niveau des calembours. Il est temps pour vous de prendre des vacances, mais pas avant, je vous prie, de me dire s'il y a une explication à ce traitement, si j'ose dire, bien particulier ?

— Oui. La politique de la rustine et du cas par cas, qui a remplacé depuis longtemps à la tête de l'État toute vision de haut pour gérer la chose publique. La presse s'en émouvait, il importait dans l'urgence de faire quelque chose, n'importe quoi. C'est cette dernière solution qui a été retenue.

— Et dans le privé, qu'en est-il ?

Le contrat médical

— Les règles sont différentes, car c'est le Code civil qui s'applique. Le principe a été posé en 1936, par l'arrêt Docteur Nicolas contre époux Mercier. Avant cet arrêt, la jurisprudence refusait d'admettre que le lien qui unissait le patient et son médecin était un contrat.

— Qu'était-ce ?

— Bonne question. Autre chose. Une relation sui generis, de son propre genre, qui obligeait le patient à payer son médecin, mais qui dégageait le médecin de toute responsabilité contractuelle du fait de son art, considérant qu'il était déjà bien bon de consentir à s'intéresser à son patient. La responsabilité du médecin ne pouvait être qu'extra-contractuelle, les médecins étant considérés comme une classe au-dessus des contingences terrestres que sont les contrats dans le cadre de leur exercice professionnel, avec leur patient du moins. Il n'a jamais été contesté que ce qui donnait droit au médecin d'exercer en son cabinet était un contrat, de bail ou de vente. En 1936, la Cour de cassation met enfin cette absurdité à la poubelle et pose la règle qui s'applique encore aujourd'hui :

" il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l'engagement, sinon, bien évidemment de guérir le malade, ce qui n'a d'ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques (…) mais consciencieux, attentifs, et réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ".

Admirez au passage l'élégance de la langue.

L'évidence de l'énoncé est toutefois encore à ce jour restée en travers de la gorge de bien des médecins old school, comme on dit en bon français, la plupart ayant toutefois parfaitement intégré cet état de fait, et surtout compris que le mot contrat n'est pas un gros mot. Après tout, les médecins louent ou achètent les murs de leur cabinet, ainsi que tout le matériel qu'ils utilisent, ils ont passé une convention avec les caisses de sécurité sociale pour que leurs honoraires soient pris en charge par la collectivité plutôt que par leur patient, à charge pour eux de les maintenir à un niveau modéré fixé par la convention. D'où le terme de médecin "conventionné". Alors si la sécurité sociale est assez bien pour passer un contrat avec les médecins, pourquoi un patient ne le pourrait-il avec son médecin ?

Cet arrêt pose le principe, jamais démenti à ce jour, que la responsabilité du médecin ne peut être engagée qu'en cas de faute.

— Faute lourde ou faute simple ?

— Vous parlez chinois pour un juriste du droit civil. Le droit civil ne connaît qu'une faute, la faute. En matière contractuelle, c'est la violation du contrat. Si l'obligation principale du patient est de payer son médecin, l'obligation principale du médecin est de donner des soins attentifs, consciencieux et conforme aux données acquises de la science. Elle se détermine en comparant le comportement qu'a eu le médecin à celui qu'aurait eu dans les mêmes circonstances le bonus medicus, le bon médecin, consciencieux, attentif et qui se tient à jour des données acquises de la médecine. Notez bien : acquises. Pas actuelles. La jurisprudence refuse encore à ce jour d'exiger une mise à jour instantanée des connaissances des médecins, ni qu'ils soient au courant des moindres découvertes publiées. Il faut que ces données fassent consensus et soient largement répandues.

— Et l'aléa thérapeutique ?

— Rien de tel en droit privé. Les règles du droit public ne sont pas transposables en droit privé, le secteur libéral de la médecine n'exerçant pas de prérogatives en matière de santé publique. Le monopole des médecins, pénalement protégé[7], est un monopole fondé sur la protection du patient, pas de la profession médicale. Cependant, ne pas informer un patient de l'existence d'un risque lié à une technique nouvelle ou à un acte à risque est une faute.

Cela dit, il est des hypothèses où la responsabilité du médecin est engagée sur un fondement extra-contractuel, par exemple si le contrat est nul, ou si le patient, inconscient, n'a pu donné son consentement qui seul peut former le contrat. Consentement qui doit être éclairé, c'est là une autre obligation du médecin.

Au fait, docteur, j'ai quoi ?

— Ah, l'obligation d'information, n'est-ce pas là que le bât blesse certains médecins ?

— Je vous laisse la responsabilité de l'image du bât, mais oui, car là encore, beaucoup ne comprennent pas le sens de cette obligation. Le patient doit consentir au geste médical qui est la prolongation du contrat médical (dont le premier acte est le diagnostic et la proposition de traitement). Et ce consentement doit être éclairé. Éclairé par qui ? Mais par le médecin. Il est hors de question, s'agissant du corps et de la vie d'un être humain, de demander que le patient se remette entre les mains de son praticien.

— Certes, mais le patient est-il le plus à même de donner ce consentement ?

— À ce jour, on n'a pas trouvé mieux. L'information donnée par le médecin n'a pas à être une démonstration scientifique : la jurisprudence exige une « information loyale, claire et appropriée ». Elle a évolué : si autrefois elle se contentait d'une information sur les risques prévisibles, depuis deux arrêts de 1998[8], c'est la gravité du risque qui détermine l'étendue de l'obligation d'information. Si les risques les plus courants doivent être signalés, les risques les plus graves, même s'ils sont exceptionnels, doivent l'être aussi. Ces risques graves sont “ ceux qui sont de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes, ou même esthétiques graves compte tenu de leurs répercussions psychologiques et sociales ” selon les mots du Conseiller Sargos, rapporteur dans les arrêts de 1998.

— Cette exigence n'est-elle pas sévère pour le médecin ?

— Ne pas la poser serait sévère pour le patient. Nous ne sommes plus dans la France des années 30 : les français sont plus éduqués, moins illettrés. On peut les traiter enfin en adultes, comme d'autres pays le font depuis longtemps, même si cela a dû se faire, là aussi, à coups de procès (oui, je pense au pays qu'un océan sépare de nous).

— Ne connaît-elle point d'exceptions ?

— Je vous reconnais bien là : vos questions paraissent naïves mais montrent bien que vous avez bien appris vos leçons. Oui, le droit est la science des exceptions, et il en va ainsi ici : il faut que le patient soit en état de recevoir l'information et de donner son consentement. L'urgence prime : si le patient est inconscient ou en danger de mort, le praticien est dispensé de son obligation d'information. De même, le code de déontologie médicale, approuvé par la jurisprudence, accepte que cacher la vérité au patient sur son état de santé n'est pas fautif, si cette vérité est celée dans l'intérêt du patient.

Ceux d'entre vous qui ont eu à fréquenter récemment un cabinet médical ont pu constater que cette obligation d'information n'est quasiment jamais respectée. Ainsi n'ai-je pas été considéré comme digne de connaître le nom de la dernière affection ayant frappé ma fille, encore moins d'être informé du choix du traitement effectué. Peut-être devrais-je aller aux consultations en robe ?

Notons pour conclure sur ce point que l'étendue de l'obligation d'information varie aussi selon la nature de l'acte de soin envisagé. En médecine “de confort”, je pense particulièrement à la chirurgie esthétique de patients dont la seule affection est l'injure du temps, l'obligation d'information est particulièrement étendue : elle doit porter sur les risques mais aussi les inconvénients pouvant en résulter. Par exemple, la pose d'implants mammaires modèle Zeppelin doit faire l'objet d'une information non seulement sur les complications possibles de l'opération, le risque de perçage des poches, mais aussi sur les douleurs au dos du fait de ce surpoids que le corps n'a jamais eu à porter.

L'obligation de sécurité, ou : prière de ne mourir que de votre pathologie dans l'enceinte du cabinet

— Est-ce là la seule obligation du médecin ?

— Non point. Ce serait dommage de faire tant d'années d'études pour avoir une seule obligation, n'est-ce pas ? Cette obligation de soin est l'obligation principale du contrat ; mais il y a une obligation accessoire, l'obligation de sécurité, qui connaît une extension régulière du fait de son attrait, puisque, contrairement à l'obligation principale de soin, qui est une obligation de moyens, l'obligation accessoire de sécurité est une obligation de résultat.

— L'obligation de moyen oblige simplement à des diligences sans s'engager sur le résultat, tandis que dans l'obligation de résultat, le fait que le résultat visé ne soit pas atteint caractérise la faute, n'est-ce pas ?

— Demogue n'aurait pas dit mieux.

— Qui est ce Demogue ?

— René Demogue, l'inventeur de la distinction obligation de moyen - obligation de résultat. L'obligation de sécurité impose au médecin, de garantir son patient de dommages qui ne sont pas liés à l'affection le frappant ou l'évolution de celle-ci. Citons ainsi la qualité des prothèses (dentaires ou de membres) et des instruments utilisés, et des accidents survenus dans l'établissement de soin, tels que des chutes de table d'opération, des brûlures causés par des instruments défectueux, etc.

Parlons faute

— Auriez-vous quelques exemple de fautes médicales retenues pour engager la responsabilité d'un médecin ?

— Trois. Une femme se présente à un hôpital pour la visite du sixième mois de grossesse. Le même jour dans la même salle d'attente se trouve une femme au nom de famille identique venue se faire ôter un stérilet. L'interne appelle la patiente au stérilet, c'est la femme enceinte qui se lève. La patiente ne parlant pas français (elle est viet-namienne), il ne fait pas d'interrogatoire et consulte le dossier. Voyant qu'il s'agissait du retrait d'un stérilet, sans faire le moindre examen qui aurait révélé une grossesse de six mois, il entreprend de retirer le stérilet avec une canule de Novack. La poche des eaux est percée, et la patiente est hospitalisée pour voir si la poche se reconstitue ou si'l faut provoquer un avortement thérapeutique. Le même médecin tentera ensuite de procéder au retrait du stérilet et n'y arrivant pas, prescrit une intervention chirurgicale. Il se produira un nouveau quiproquo est c'est la femme enceinte qui sera expédiée au bloc. Cette faute sera sans conséquence, la crise d'hystérie de la femme ayant attiré l'attention de l'anesthésiste qui reconnaîtra la patiente. Totuefois, la poche ne se reconstituera pas et le fœtus mourra. Source : cour d'appel de Lyon, 13 mars 1997.

— On croit rêver.

— Pincez-vous alors. Soit une patiente qui va voir une nutritionniste pour un problème de surpoids. Sa nutritionniste lui conseille de recourir à une liposucion, et lui conseille d'aller voir pour cela un médecin… généraliste, qui s'avère être son époux. Celui-ci va procéder dans des conditions d'asepsie épouvantables : sur une simple table de soin, la ptiente posée sur une serviette éponge souillée, après qu'elle se soit elle même enduite d'alcool à 70 pour stériliser le champ opératoire. L'opération donnera lieu à six orifice sans changement de canule (il est même douteux que le médecin ait seulement mis des gants). Quand le soir même elle sera prise de fièvre et de douleurs insupportables à la jambe, le médecin lui prescrira… du repos et une barre de vitamines. Ce n'est donc que douze heures plus tard qu'on lui diagnostiquera son embolie gazeuse, qui nécessitera sept interventions chirurgicales.

— Là, on cauchemarde.

— Non, voici un cauchemar. je serai peu disert, l'affaire est en cours. Soit des parents d'un nouveau né en pleine santé, placé en observation en réanimation néo natale car légèrement prématuré. Un jour qu'ils viennent le voir, ils apprennent qu'il est mort pendant la nuit. Aucune explication n'est donnée sur les causes du décès. Le personnel évoque vaguement une mort subite du nourrisson. Ils demandent donc une autopsie qui révèle un coup violent à la tête. Pour le médecin, pas de doute : le bébé est tombé par terre d'une grande hauteur. Car il était tenu dans des bras. Le personnel fait bloc et personne ne veut dire qui a commis la maladresse. Un non lieu est donc probable. À vous de me dire maintenant si les avocats font des misères pour des broutilles à d'honnêtes médecins qui font de leur mieux.

— Vous me permettrez de reste coite un instant.

Qui paye ?

— Parlons d'argent, voulez-vous ?

— Je suis avocat : c'est mon sujet de conversation préféré.

— Qui paye ?

— Quand la responsabilité relève d'un établissement hospitalier, l'État. Quand c'est un praticien du privé, c'est le médecin, ou s'agissant d'une clinique, la clinique elle-même. Concrètement, leur assurance, même si, contrairement à nous les avocats, les médecins ne sont pas obligés d'être assurésMISE À JOUR : obligatoire depuis la loi du 4 mars 2002 (art. L. 1142-2 du Code de la Santé Publique [Merci Poggio]. Ce qui est une folie, puisque quand un médecin se plante, les dégâts peuvent être considérables.

Qui t'a fait toubib ?

—Une question impertinente me vient à l'esprit…

— Connaissant votre esprit, je frémis avant l'impact.

— Vous n'êtes pas médecin.

— Non, mais ce n'est pas une question.

— La voici : qui êtes-vous pour dire qu'un médecin a commis une faute ?

— Personne. Pas plus que le juge, cela dit.

— Est-ce une excuse ?

— Non, mais l'ignorance est plus supportable quand elle est équitablement partagée. C'est sur ce pilier que reposent tous les comptoirs de café du commerce. De fait, pour dire qu'un médecin s'est trompé, nous faisons appel… à un médecin. Tous ces dossiers donnent lieu à une expertise judiciaire. Zythom nous parle avec talent de son activité d'expert judiciaire en informatique. Un médecin fait de même, mais n'autopsie pas des serveurs ou des disques durs.

— Cela marche comment ?

— Très simplement. On ne choisit pas son expert, c'est le juge qui le désigne. L'adversaire doit être mis en cause pour pouvoir participer aux opérations et éventuellement avoir son mot à dire sur l'expert. Cette désignation se fait en référé, aussi bien au judiciaire (art. 145 du CPC) qu'à l'administratif (art. R.532-1 du CJA). L'expert se fait communiquer le dossier médical complet, épluche les compte-rendus opératoires, convoque les parties à une réunion d'expertise où la victime sera examinée en présence des avocats, du médecin ou de l'établissement mis en cause. Les avocats en “corpo” se font assister d'un médecin conseil, qui leur apporte leurs lumières. L'expert rend ensuite un rapport répondant aux questions et remarques faites par les parties, et c'est sur la base de ce rapport que les avocats vont ensuite s'étriper en toute confraternité. Vous voyez donc que ce droit n'existe pas contre les médecins, puisque des médecins y participent. J'ajoute que dans neuf cas sur dix, les victimes se plaignent surtout de ne rien savoir, que personne ne leur ait expliqué exactement ce qui s'est passé, ce qui leur est arrivé (ou à leur proche décédé). Il y a des réunions d'expertise qui sont des moments poignants, quand enfin le médecin exprime les regrets qu'il ressent, surtout quand il réalise la gravité de l'état de la victime. Un procès en responsabilité est une épreuve pour la victime mais aussi pour le médecin. Les deux ont un travail sur eux-même à effectuer, et si celui de la victime est le plus dur, les médecins y sont les moins préparés. Il ne s'agit pas de vengeance, mais de réparation. Personne ne dit qu'ils sont indignes de leur profession (une éventuelle action disciplinaire relève de l'Ordre des médecins), mais que sur ce coup là, ils se sont plantés, et qu'il faut réparer ce qui, sans leur erreur, ne serait jamais arrivé.

L'inévitable arrêt Perruche

— Une dernière question, si vous le permettez ?

— Chère lectrice, avec moi, vous avez toute licence.

— Je n'en attendais pas moins de vous. Il me souvient d'un arrêt au nom d'oiseau qui a défrayé le chronique…

— L'arrêt Perruche.

— Celui-là même. Je crois me souvenir qu'il s'agissait d'une femme enceinte qui avait subi un examen pour diagnostiquer une éventuelle rubéole, maladie qui présente de graves danger pour le fœtus. Elle avait clairement dit que si elle était positive à ce myxovirus, elle se ferait avorter, ne désirant prendre le risque d'avoir un enfant atteint des graves malformations que provoque cette maladie.

— Votre mémoire ne vous trompe pas.

— L'examen fut négatif.

— Ô combien ! En fait, il fut positif, mais interprété à tort comme négatif.

— En effet puisqu'en réalité, elle était bien atteinte du rubivirus, et elle donna naissance neuf mois plus tard à un petit garçon atteint de graves séquelles neurologiques.

— Nicolas. Invalide à 100%.

— Il était donc acquis que si le diagnostic avait été correctement posé, la mère aurait pratiqué une IVG.

— Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.

— Pourtant, l'enfant fit un procès au médecin ayant commis l'erreur de diagnostic.

— Ses parents, en son nom, pour être exact.

— Et il triompha.

— Je vois mal comment il aurait pu en être autrement.

— Mais enfin ! Vous vous gaussez ? Cet enfant ne pouvait de plaindre que d'être né, que d'avoir échappé à l'avortement, puisqu'aucun traitement n'aurait pu prévenir les dommages qu'il a subis. La vie, fût-elle handicapée, est-elle un préjudice ?

— Vous parlez comme un médecin, ou pire un moraliste. Je vous demande de parler en juriste. Langue où les épithètes comptent. Nul n'a jamais prétendu que le préjudice subi par Nicolas Perruche était d'être né.

— Mais…

— Il est d'être né handicapé. Si vous escamotez cet article, vous vous condamnez à ne pas comprendre l'arrêt du 17 novembre 2000. Vous vous souvenez des trois mamelles de la responsabilité civile ?

— Absolument : la faute, le préjudice, et le lien de causalité reliant la faute et le préjudice.

— Exact. Ici, il y a eu faute : le médecin devait diagnostiquer la rubéole par le simple examen attentif des résultats (un premier échantillon a été négatif, un deuxième prélevé quinze jours plus tard positif ; le premier échantillon, testé à nouveau, fut positif, ce qui prouvait la présence d'une contamination récente par la Troisième Maladie). Le nierez-vous ?

— Non point.

— Ici, il y a eu préjudice : Nicolas est atteint depuis sa naissance de troubles neurologiques graves, frappé d'une surdité bilatérale, d'une rétinopathie qui va conduire inéluctablement à sa complète cécité, et d'une cardiopathie. Nierez-vous que cela est un préjudice ?

— J'en serais incapable.

— Enfin, il est établi que ces affections sont dues à la rubéole de la mère. Ça n'est nullement contesté d'ailleurs. Donc, il y a un lien de causalité entre la rubéole et les affections, et il est certain que si l'erreur n'avait pas été commise, Nicolas ne serait pas né handicapé ?

— Il ne serait pas né tout court.

— Donc pas né handicapé. Auquel cas il n'y aurait pas eu de préjudice. Voilà qui me semble établir un lien de causalité, sauf à insinuer que Nicolas devrait éprouver la plus grande reconnaissance à l'égard de ce médecin qui lui a sauvé la vie par erreur. Argument séduisant pour les mouvements anti-IVG, mais peut-être moins du point de vue (si j'ose dire) de Nicolas.

— Mais la vie n'est pas un préjudice !

— Non, mais la vie handicapée, oui. Vous voyez comme un épithète vous manque est tout est dépeuplé ?

— Était-il nécessaire de passer par ces circonvolutions aux limites de la morale, juste pour indemniser un enfant ?

— Laissez donc la morale où elle est, surtout si on l'invoque pour dire qu'un enfant naissant avec un tel handicap ne devrait pas être indemnisé de ce qu'il subit. Je ne l'aime pas, votre morale. Parlons plutôt du droit. Car cet arrêt avait un apport fondamental.

— Lequel ?

— Dans des hypothèses analogues, l'indemnisation des parents n'a jamais posé problème. Eux subissent un préjudice, et personne ne prétendra que c'est du fait d'être nés.

— Certes.

— Les parents de Nicolas ont d'ailleurs été indemnisés pour leur préjudice individuel consistant à devoir vouer leur vie à s'occuper d'un enfant lourdement handicapée alors qu'ils avaient exprimé leur refus d'une telle éventualité et avaient les moyens légaux de l'éviter.

— Fort bien.

— Mais cette indemnisation appartient aux seuls parents. Réparant leur malheur, libre à eux d'en faire ce qu'ils veulent.

— Y compris autre chose que s'occuper de leur enfant ?

— Absolument. Hormis un poste particulier, le “préjudice d'éducation” qui indemnise la surcharge financière qu'implique élever un enfant polyhandicapé (cela peut inclure un voire deux voire trois salaires d'assistants à domicile !). Mais ce préjudice d'éducation n'existe que tant que subsiste l'obligation d'éducation. À 21 ans, 25 au plus tard, l'enfant devenu adulte est censé se prendre en charge lui-même. Tandis que l'indemnisation affublée du masque du « préjudice d'être né » appartenait en fait à l'enfant et entrait dans son patrimoine.

— Donc devait être consacré à l'intérêt de l'enfant et couvrait ses besoins pour sa vie entière !

— Vous avez compris. Et notamment, lors du décès des parents, l'État et les autres héritiers ne viennent pas en prélever une part pour leur compte, sans obligation de prendre soin de l'handicapé en contrepartie.

— Mais alors, loin d'être une décision injurieuse pour les handicapés, c'était une décision formidablement protectrice des handicapés !

— Était. Car les médecins sont venus crier famine chez le législateur, leur chœur étant repris, la farce était complète, par des associations d'handicapés.

— Le choux qui défend la chèvre ?

— Là encore, je vous laisse la responsabilité de la métaphore légumineuse. Et une loi du 4 mars 2002, oui, celle-là même sur les droits des patients, a mis fin à cette jurisprudence rendant toute action de ce genre purement et simplement irrecevable.

— Sans contrepartie ?

— Tout comme : il y eut une promesse en contrepartie, que ces personnes lourdement handicapées seraient prises en charge par la solidarité nationale. On attend encore les décrets d'application, à ma connaissance.

— Et cela a donné ?

— Une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, à l'unanimité des 17 juges formant la grande chambre. Saluée comme il se doit par Veuve Tarquine, qui précisément exerce dans cette redoutable discipline qu'est le “Corpo”.

— La connaissant de réputation, je devine le feu d'artifice…

— Un bouquet, du début à la fin. En conséquence, la cour de cassation a jugé récemment que les réclamations portées avant la loi du 4 mars 2002 seraient encore recevables, ce par un effet rétroactif d'application immédiate©. Pour aux enfants nés après le 6 mars 2002 : Vae Victimis. Maintenant, vous aurez l'obligeance de me dire où se trouve la morale. Pour ma part, je suis de ceux qui l'ont vu périr sous les applaudissements qui ont accueillis le vote de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002. Il est vrai que dans l'hémicycle, personne ne se souvient plus de ce à quoi elle ressemble, la morale.

— Je vous trouve bien amer.

— Il y a de quoi, et encore : moi, je n'ai pas eu de clients qui ont subi les conséquences de cette loi. Je suis lâchement soulagé de n'avoir pas eu à leur expliquer la nouvelle en les regardant dans les yeux.

— Maître, je vous remercie, j'ai trop abusé de votre temps. Je vous laisse partir en vacances, vous l'avez bien mérité.

— Merci, chère lectrice, mais de grâce, je vous en conjure ! Ne m'appelez pas maître, quand je ne suis que votre très humble et très dévoué serviteur.


Adresses utiles :

Le site de l'ANADAVI, Association Nationale des Avocats de Victimes de Dommages Corporels, avec la liste des avocats adhérents. Ils sont tous compétents en la matière et adhèrent en outre à des bonnes pratiques qui s'ajoutent aux obligations déontologiques communes à tous les avocats. Je précise que je ne suis affilié d'aucune manière à cette association, je serais plutôt de l'autre côté de la barre.

Le site de l'ANAMEVA, Association Nationale des Médecins Conseils de Victimes d'accident avec dommage corporel. Auxiliaires précieux des avocats, ils les assistent lors des expertises qui visent à établir la faute et le préjudice.

Notes

[1] localisation anormale du placenta qui peut être responsable d'hémorragies sévères au cours du troisième trimestre de la grossesse. Le placenta est normalement inséré dans le fond de l'utérus, il est dit prævia lorsque ce n'est pas le cas (Wikipédia).

[2] Contractées à l'hôpital.

[3] Il s'agit de l'opacification du canal rachidien, dans lequel se trouve la moelle épinière, par injection d'un produit iodé, donnant ainsi à la radiographie une image du canal, de ses contours, et du départ des racines nerveuses. Aujourd'hui (l'affaire remonte à 1976), depuis la généralisation du scanner, cet examen est beaucoup moins pratiqué.

[4] CAA Lyon, 21 décembre 1991, Gomez

[5] CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi.

[6] Nées du traitement médical.

[7] L'exercice illégal de la médecine est puni de deux ans d'emprisonnement.

[8] Civ 1re, 7 oct. 1998 (J.C.P. 1998-II-10179, concl. Saint-Rose, note P. Sargos, Bull. civ. I n°287 et 291).

jeudi 31 juillet 2008

“Le droit, rien que le droit…”

Je ne le dirai jamais assez : le droit et la morale sont deux choses distinctes. Et on ne l'apprend jamais assez tôt. Fût-ce à neuf ans.

Un couple de retraités, condamné pour procédure abusive et débouté de leur plainte contre leurs voisins qui avaient aménagé leur garage pour accueillir leur fillette handicapée à Marcq-en-Baroeul (Nord), ont fait appel de leur condamnation, a-t-on appris lundi auprès de leur avocat.

"La construction a été illégalement construite et cela désorganise la vue qu'ils ont, eux, de l'arrière de leur maison : c'est un lotissement, il y a des règles de construction", a fait valoir à l'AFP Me Xavier Dhonte.

En 2001, les parents d'une fillette polyhandicapée, qui aura 10 ans le 1er août, avaient décidé de transformer leur maison et aménagé deux chambres et une salle de bains dans le garage.

"L'extension n'est pourtant pas visible de l'extérieur, la seule chose qu'ils avancent toujours pour justifier ça, c'est le droit, rien que le droit et toujours le droit", a estimé à l'AFP Denis B…, le père de Diane.

— Ah mais, me direz-vous, ici, c'est la morale qui triomphe, les cacochymes légalistes ont été déboutés et condamnés pour procédure abusive (c'est à dire une action motivée par l'intention de nuire). Certes, mais ce n'est que le premier round, et le droit semble être du côté des quérulents. Et la loi est la loi disent ceux qui n'aiment pas leurs voisins ou les étrangers sans papier.

Le permis de construire, validé par la mairie et la direction départementale de l'Equipement (DDE), avait été annulé fin 2004 par le tribunal administratif de Lille saisi par les voisins. La décision avait été confirmée en appel en 2005.

Je ne suis pas spécialiste de l'urbanisme, mais les données du problème sont aisées à comprendre. Chaque commune a un Plan Local d'Urbanisme (PLU), nouveau nom de l'ex-Plan d'Occupation des Sols (POS). Ce Plan prévoit, pour simplifier, une surface maximum constructible, et la répartition de cette surface sur le territoire de la commune, et la part d'un même terrain pouvant être construite (les jardins ne sont aisni pas seulement un agrément pour l'habitant, c'est une obligation légale), ce pour éviter un urbanisme anarchique ou des villes étouffantes et à la salubrité douteuse.

Or aménager un garage (surface non habitable) en chambre et salle de bain ,cela revient de fait à augmenter la surface habitable, donc la part construite du terrain. Si cette part dépasse le maximum prévu par le PLU, le permis de construire qui l'a autorisé est illégal.

Tel était le cas en l'espèce, l'aménagement ainsi réalisé faisant dépasser de 12m² le maximum constructible sur le terrain. L'aménagement en cause semble donc bien illégal, à première vue.

Mais alors pourquoi les voisins ont-ils été déboutés ?

À cause du droit et rien que du droit. Ces voisins ne sont pas chez eux. Leur maison appartient à leurs enfants, ils n'en sont qu'usufruitiers. Le droit de propriété, que ce soit d'une maison ou d'un stylo, se décompose en effet en trois attributs. Le propriétaire de la chose peut en user (en latin : usus). Je puis écrire avec mon stylo. Il peut en jouir (en latin fructus) : je peux prêter ou louer mon stylo. Il peut enfin en disposer (en latin abusus) : je peux le vendre ou le détruire, mettant ainsi fin à mon droit. Le propriétaire jouit de ces trois attributs, parfois limités par la loi (c'est le cas en matière immobilière : la destruction d'un bien est soumise à autorisation administrative). Mais il peut, temporairement, en céder certains. Il peut ainsi consentir un droit d'usage sur un bien (art. 625 et suivants du Code civil), appelé droit d'habitation quand il porte sur un immeuble. Le bénéficiaire de ce droit peut habiter le bien, et c'est tout — mais c'est déjà pas mal.

Le propriétaire peut aussi céder provisoirement l'usage ET la jouissance : usus-fructus, en français usufruit. Le bénéficiaire de ce droit s'appelle usufruitier, et le propriétaire, qui n'a plus que le droit de disposer du bien, s'appelle le nu-propriétaire. Le droit est parfois empreint de poésie… À la différence de l'usager, l'usufruitier peut décider de louer le bien et d'en toucher les loyers, qui lui reviennent.

L'usufruit est très utilisé dans un cadre familial à des fins fiscales. Des parents à la retraite donnent à leurs enfants la nu-propriété de leur maison et en gardent l'usufruit. Ils continuent donc d'y habiter, mais à leur mort, l'usufruit cesse, et les nu-propriétaires deviennent de plein droit plein propriétaires. De plein droit veut dire : sans payer de droits de succession. Les droits sont payés au moment de la donation, mais la donation d'une nu-propriété porte sur une valeur moindre que le prix neuf de la maison (le nu-propriétaire ne pouvant espérer la vendre au prix du marché, il y a un occupant légitime). D'où une sérieuse économie d'impôt, variable selon l'âge de l'usufruitier (plus il est jeune, plus la décote est importante).

Dans les contrats dits de viager, c'est cette technique qui est utilisée : le propriétaire cède la nu-propriété à l'acquéreur et garde l'usufruit. L'acquéreur paye une part du prix de vente, appelée le Bouquet (le droit est très empreint de poésie) et une rente viagère (= à vie, d'où le nom du contrat) à l'usufruitier. C'est très appréciable pour le propriétaire, typiquement une veuve n'ayant pas travaillé : elle touche la pension de réversion (en gros, la moitié de la retraite de son défunt époux), ce qui est fort peu. En vendant la maison en viager, elle bénéficie d'un capital, et d'une rente qui améliore ses revenus mensuels, ce jusqu'à son décès, et continue à vivre chez elle jusqu'à ses derniers jours. C'est un contrat aléatoire puisqu'on ne connaît pas au moment de la conclusion le prix qu'on paiera la maison. Il y a de bonnes affaires (viager conclu en juin 2003, deux mois avant la canicule), il y en a de mauvaises (Jeanne Calment, morte à 122 ans, 5 mois et 14 jours, avait vendu sa maison en viager en 1965, alors qu'elle avait 90 ans, à son notaire, qui a payé la rente jusqu'à sa mort en 1995 ; ses héritiers ont dû la payer à leur tour pendant encore deux ans).

Revenons en à nos usufruitiers acariâtres.

M. et Mme B… avaient été assignés le 6 décembre 2007 devant le tribunal de grande instance de Lille par leurs voisins.

L'avocat de ces derniers avait exigé la démolition des aménagements sous peine d'une astreinte de 1.000 euros par jour. Les plaignants ont été déboutés et condamnés le 31 janvier à 3.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Ils ont demandé en justice la démolition des constructions illégales. Notons que cette demande, entre particuliers, a été portée devant le tribunal de grande instance, juridiction judiciaire, alors que le contentieux de l'annulation du permis de construire, acte du maire, donc de l'administration au sens large, a été portée devant la juridiction administrative. Toujours la grande séparation…

Vous noterez la célérité de la justice : assignation à la Saint-Nicolas, jugement à la Saint-Jean-Bosco. La raison en est simple : l'avocat des parents de Diane a tout de suite soulevé le défaut de qualité à agir, puisque les Lefuneste n'étaient pas propriétaires de leur maison. C'est une question qui est de la compétence du juge de la mise en état, qui a dû régler la question par voie d'ordonnance de l'article 771 du CPC.

Le défaut de qualité à agir est toutefois susceptible d'être régularisé en appel : il suffit pour cela que les propriétaires, qui ont le droit d'exercer cette action, interviennent à cette fin. C'est chose faite (il peut y avoir débat sur la validité de l'intervention, mais je ne m'étendrai pas sur le sujet, il y a —pour le moment encore— des avoués bien plus compétents que moi pour cela.

Donc, le droit, rien que le droit. Et celui-ci semble pencher du côté des Lefuneste… sauf changement de la loi.

Mais rassurez-vous : on a aussi le droit de trouver le comportement des voisins profondément méprisable.

mardi 29 juillet 2008

Passe-passe (tour de) : (expression populaire) entourloupe d'une illusioniste

Par Dadouche



Certains, pris dans la torpeur estivale, l'ignoraient peut-être : le Conseil Supérieur de la Magistrature, dans sa composition disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, a rendu le 18 juillet un avis selon lequel il n'y a pas lieu à prononcer de sanction contre Gérald Lesigne, Procureur de la République de Boulogne-sur-Mer et avocat général au procès d'Outreau.

L'avis est disponible in extenso grâce à Pascale Robert-Diard.
Pour résumer, le CSM est d'avis que les griefs formulés par le garde des Sceaux à l'encontre de Gérald Lesigne ne sont pas constitutifs de fautes disciplinaires sauf "la présentation péremptoire, parcellaire et réitérée de faits ne rendant pas compte du contenu réel du dossier", qualifiée de "manquement au devoir de rigueur qu'impose l'état de magistrat et tout particulièrement celui de chef de parquet". Cette faute ayant été commise antérieurement à la loi de 2002 qui a amnistié (entre autres) les faits passibles de sanction disciplinaires non contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs (pas que pour les magistrats, hein, c'est applicable également aux fautes disciplinaires de tout salarié ou fonctionnaire), elle ne peut donner lieu à sanction.

Les articles 58-1 et suivants de l'Ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature traitent de la discipline des magistrats du Parquet.
L'article 65-1 dispose que "Lorsque le garde des sceaux, ministre de la justice, entend prendre une sanction plus grave que celle proposée par la formation compétente du Conseil supérieur, il saisit cette dernière de son projet de décision motivée. Après avoir entendu les observations du magistrat intéressé, cette formation émet alors un nouvel avis qui est versé au dossier du magistrat intéressé. La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, est notifiée au magistrat intéressé en la forme administrative. Elle prend effet du jour de cette notification."
En gros, le garde des Sceaux peut prendre une décision de sanction plus grave que celle proposée par le CSM, mais doit d'abord redemander l'avis de celui-ci.[1]

On apprend aujourd'hui, de source bien informée, que : "Le maintien de M. Lesigne dans ses fonctions de procureur à Boulogne-sur-Mer n'est pas une réponse à la hauteur de ces traumatismes. La Garde des sceaux a souhaité qu'il quitte la juridiction de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai. M. Lesigne quittera donc ses fonctions à la tête du parquet du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai dans les prochains mois."

C'est là que l'intoxiqué des chaînes d'info en continu s'imagine avoir été enlevé par des extra-terrestres qui lui ont effacé 24 heures de mémoire vive : comment a-t-il pu louper l'annonce d'une demande de nouvel avis au CSM, qui permet juridiquement au garde des Sceaux de prononcer une sanction contre cet avis ?

Et c'est là que l'on s'aperçoit que le garde des Sceaux a sacrifié aux mânes de Jean-Eugène Robert-Houdin, dans un petit tour de passe-passe de communication.

En effet, aucune sanction n'est prononcée contre Gérald Lesigne, qui a lui même sollicité sa mutation pour, selon la rumeur, un poste de substitut général.
Ce qui, dans le communiqué ministériel, devient (roulement de tambour) : "La Garde des sceaux a souhaité qu'il quitte la juridiction de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai. M. Lesigne quittera donc ses fonctions."

J'ai mon avis sur l'avis du CSM, et je n'entends pas relancer ici le débat sur la responsabilité des magistrats ou le bien-fondé ou non d'une sanction en l'espèce.
Je ne conteste même pas le fait que, sur le fond, il est sans doute préférable que le Procureur de Boulogne-sur-Mer, à ce poste depuis 1996, se dirige vers d'autres contrées
Mais la procédure disciplinaire a été tout bonnement détournée, profitant du souhait (réel et ancien) de Gérald Lesigne de quitter ses fonctions à Boulogne-sur-Mer.
Il n'est pas anodin de noter que, si Gérald Lesigne occupe statutairement un poste du premier grade[2] en tant que Procureur de la République dans cette juridiction (car classé comme tel lorsqu'il y a été nommé), il s'agit de fait d'un poste de responsabilité supérieure que la Chancellerie classifie désormais comme un poste "hors hiérarchie".[3] Gérald Lesigne, qui a occupé des fonctions de chef de parquet dans une juridiction "HH" (comme on dit affectueusement chez nous), sera donc, sous couvert d'une mutation "à égalité", nommé sur un poste en réalité inférieur[4]

Ça a la couleur d'une sanction disciplinaire, la saveur d'une sanction disciplinaire, l'habillage d'une sanction disciplinaire, mais officiellement ça n'est pas une sanction disciplinaire
La différence est de taille : le Conseil d'Etat n'aura aucune occasion de fourrer son nez avisé dans cette histoire.

En résumé : chapeau l'artiste et Welcome to Cabaret.

J'aurais quant à moi préféré que l'illusionniste se fît plutôt dompteuse et assumât pleinement son désir de satisfaire aux attentes des foules en sollicitant un nouvel avis du CSM et en prononçant, le cas échéant, selon la procédure prévue par la Loi, la sanction disciplinaire qui lui semblait adaptée.
Quitte à faire claquer son fouet devant les magistrats estomaqués et à aller, plus courageusement, fourrer sa tête dans la gueule du Conseil d'Etat.

Notes

[1] En chipotant, on pourrait d'ailleurs s'interroger sur la possibilité de prononcer "une sanction plus grave que celle proposée" alors que l'avis ne propose aucune sanction puisqu'il n'y a selon le CSM pas de faute disciplinaire. J'avoue, je n'ai pas eu le temps de chercher de jurisprudence sur ce point et l'ordonnance de 58 ne semble même pas envisager la possibilité que le Garde ait saisi à tort le CSM, puisque son article 65 ne prévoit que le cas d'un "avis sur la sanction que les faits reprochés lui paraissent entraîner" et non le cas où il estime que les faits n'entraînent pas de sanction.

[2] le corps judiciaire est composé de trois grades : second grade, premier grade et hors hiérarchie

[3] La réforme du statut de 2001 ayant modifié la proportion de chaque grade au sein du corps, un certain nombre de postes ont été selon l'expression consacrée "repyramidés" dans le grade supérieur, mais ce surclassement ne s'applique pas automatiquement à celui qui est en poste lorsqu'il est décidé, mais seulement à son successeur.

[4] Je sais, c'est pas très clair, je crois qu'il faut que je m'attèle à un billet sur le grade et la fonction dans la magistrature, en douze tomes reliés pleine peau vu la complexité.

mardi 8 juillet 2008

les mystères de l'OPP

Par Dadouche



J'ai déjà évoqué à plusieurs reprises (par exemple ici) l'OPP, l'Ordonnance de Placement Provisoire, qui peut être la hantise du juge des enfants ou du substitut des mineurs quand on lui demande de la prendre un vendredi soir à 18 heures.
Un récent article de Libération évoque une OPP prise par le parquet de Nanterre. Je n'entrerai pas dans le détail de cette situation, que je ne connais pas, et au sujet de laquelle l'article donne essentiellement le point de vue des parents. Mais c'est l'occasion de rappeler le fonctionnement de cette procédure, humainement jamais facile à mettre en oeuvre, qui entraîne le placement en quelques heures d'un mineur.

D'abord le principe : le juge des enfants ne prend aucune décision sans audience préalable, avec convocation de la famille.

C'est le premier alinéa de l'article 1184 du Code de Procédure Civile : Les mesures provisoires prévues au premier alinéa de l'article 375-5 du code civil, ainsi que les mesures d'information prévues à l'article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d'urgence spécialement motivée, que s'il a été procédé à l'audition, prescrite par l'article 1182, du père, de la mère, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l'enfant a été confié et du mineur capable de discernement.
Les convocations pour cette audience doivent être adressées 8 jours au moins avant la date de celle-ci (article 1188 CPC)
La décision prise par le juge des enfants à l'issue de cette audience est alors en principe un jugement.

Si cette procédure permet d'agir relativement vite, il est cependant des cas où une intervention immédiate peut être nécessaire.
Rappelons qu'en tout état de cause le juge des enfants intervient lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises (article 375 du Code Civil)et que chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel (article 375-2).
Les situations où une Ordonnance de Placement Provisoire peut être nécessaire supposent donc quelque chose de plus que l'existence d'un danger.

Deux hypothèses :

- le juge des enfants est déjà saisi de la situation du mineur
Une mesure d'action éducative en milieu ouvert ou une mesure d'investigation est déjà en cours et des éléments apparaissent brusquement, qui rendent indispensables un placement le jour même. Exemples parmi de nombreux autres : le mineur est hospitalisé à la suite de violences subies au domicile, les parents ont mis à la porte leur ado dont ils ne supportent plus les provocations, ...
Les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au juge des enfants d'intervenir en urgence et de confier provisoirement, par ordonnance, le mineur à une structure habilitée. Il doit dans sa décision caractériser, outre les motifs qui rendent le placement nécessaire, l'urgence qui empêche de respecter la procédure habituelle de convocation préalable.
L'alinéa 2 de l'article 1184 du CPC dispose alors que : Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans audition des parties, le juge les convoque à une date qui ne peut être fixée au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la décision, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
A l'issue de cette audience, un jugement est rendu qui peut soit maintenir la décision de placement soit y mettre un terme.

- le juge des enfants n'est pas encore saisi de la situation
C'est le Procureur de la République qui est destinataire d'un signalement urgent, qui peut émaner de l'Aide Sociale à l'Enfance, d'un service hospitalier, de l'Education Nationale, des services de police. Il peut s'agir d'un mineur en fugue trouvé sur le ressort, d'un mineur victime de mauvais traitement, d'un mineur étranger isolé (sans doute la majorité des situations dans les plus grosses juridictions), d'un mineur dont les deux parents sont en garde à vue et pour lequel il n'y a pas de solution familiale... Les situations sont multiples.
Les dispositions de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au Procureur de confier le mineur provisoirement à une structure, à charge pour lui de saisir le juge des enfants dans un délai de 8 jours par requête.
L'alinéa 3 de l'article 1184 du CPC dispose alors que :Lorsque le juge est saisi, conformément aux dispositions du second alinéa de l'article 375-5 du code civil, par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, il convoque les parties et statue dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de sa saisine, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
C'est le cas décrit dans l'article de Libération : l'OPP a été prise par le Parquet le 26 juin, on peut raisonnablement penser que la requête a été faite le même jour, et l'audience est prévue le 10 juillet, dans le délai de 15 jours.

Ce délai de 15 jours prévu dans les deux hypothèses, qui paraît toujours trop long aux premiers intéressés, permet non seulement au juge d'organiser matériellement l'audience (libérer un créneau dans son emploi du temps, faire adresser les convocations en temps utile) mais également de rassembler davantage de renseignements que ceux qui ont conduit à la prise de décision en urgence.
Comment en effet éclairer la prise de décision finale si on ne dispose pas d'autres éléments que ceux que l'on avait lorsqu'on a pris la décision en urgence ? Les observations réalisées durant le placement peuvent être précieuses, des dispositions peuvent être prises par la famille durant ce délai (par exemple hospitalisation d'un parent, reprise d'un traitement, départ d'un conjoint violent).
Une OPP n'est pas nécessairement suivie d'un placement à plus long terme. Elle peut permettre de procéder à des investigations complémentaires, de calmer une situation de crise. Elle peut aussi, même si elle n'est pas utilisée dans ce but, être un électrochoc qui permet des changements dans une situation complexe.
Elle peut également avoir des conséquences désastreuses, en braquant durablement les parents qui se sentent stigmatisés.

Vous l'aurez compris : ce qui caractérise l'OPP c'est l'urgence, la nécessité d'agir sans délai.
Je ne connais aucun magistrat qui aime statuer par OPP : agir en urgence, c'est presque toujours le signe qu'on a pas su repérer une situation de crise qui couvait. Par ailleurs, une décision sans audience préalable est toujours insuffisamment éclairée et mal comprise par les premiers concernés.
La réflexion est permanente sur le sujet de l'urgence : faut-il intervenir ? faut-il faire jouer un soi-disant principe de précaution ? est il préférable que le Parquet prenne l'OPP ou qu'il saisisse le juge des enfants immédiatement et lui laisse le soin d'en apprécier l'opportunité ? comment agir dans l'urgence et non dans la précipitation ?
Les réponses sont différentes selon chaque situation. Elles peuvent dépendre par exemple de l'âge des mineurs concernés : un bébé est plus vulnérable qu'un enfant plus âgé, qui peut alerter sur sa situation. La protection de la sécurité physique immédiate peut plus fréquemment nécessiter d'agir sans délai que les hypothèses de carences éducatives, même graves. L'intention affichée des parents de s'éloigner au plus vite pour éviter une intervention des services de protection de l'enfance peut également justifier une intervention en urgence, de même que l'existence de précédents de violence au sein de la famille.

Je ne tenterai pas de faire croire que toutes les OPP apparaissent justifiées a posteriori. Mais il est facile de refaire le match une fois qu'il est terminé.

Par ailleurs, aux grands principes qui guident l'action des magistrats viennent se mêler des réalités matérielles et humaines. Quand un enfant qu'on n'a pas placé assez vite s'est retrouvé à l'hôpital, on a tendance ensuite à faire jouer un principe de précaution dans des situations tangentes. Quand on entend, après un dramatique fait-divers, que "le juge doit payer", on est tenté d'ouvrir le parapluie un peu plus vite. Quand on a déjà vingt-cinq audiences prévues dans la semaine, on est secrètement soulagé que le Parquet prenne l'OPP et rédige sa requête quelques jours plus tard pour laisser le temps de caser cette audience imprévue dans les délais légaux. Quand on voit arriver une requête avec demande d'OPP, que l'Aide Sociale à l'Enfance n'attend à l'autre bout du fax que ladite OPP pour organiser le placement, qu'on sait que passé une certaine heure la décision sera plus compliquée à mettre en oeuvre, qu'on sort d'une audience houleuse et qu'on se prépare à la suivante qui ne sera guère plus tranquille, on prend le temps de lire les éléments de façon approfondie voire de décrocher son téléphone pour obtenir une précision supplémentaire, mais pas forcément de rédiger deux pages pour caractériser la nécessité d'intervenir en urgence

Enfin, chacun a une conception de l'urgence, tout comme chacun a une conception du danger. Il y a des situations qui n'appellent pas de longs débats, d'autres qui sont bien plus complexes. Il faut savoir résister aux appels insistants du chef de service de l'Aide Sociale à l'Enfance, du service d'AEMO ou du substitut des mineurs : "Mais comment, untel n'est toujours pas placé ?" ou "On attend toujours votre OPP pour la situation Trucmuche". Il faut parfois savoir dire non. Mais quelle que soit la décision, on a toujours peur de se planter, et on suscite toujours des réactions. Et on se plante parfois, dans un sens ou dans l'autre.

Je n'ai pas trouvé de statistiques récentes sur le nombre de décisions prises en urgence, mais mon expérience personnelle me conduit à constater qu'elles ne concernent finalement qu'une part très réduite des décisions de placement, dans la juridiction de taille moyenne dans laquelle j'exerce, où les cabinets des juges des enfants sont chargés mais dans une mesure encore gérable, où le dialogue est constant avec le substitut des mineurs et les services éducatifs, et où le Conseil Général met quelques moyens dans la Protection de l'Enfance, dont il a la responsabilité (on peut toujours mieux faire, mais c'est pire ailleurs).[1]

Ce billet n'ayant pas vocation à commenter la situation qui a donné lieu à l'article de Libération ni à servir de défouloir à tous ceux qui "connaissent quelqu'un dont les enfants...", mais à expliquer la procédure appliquée en l'espèce, tout commentaire d'une décision judiciaire particulière sera considéré comme un troll, quel que soit l'intérêt des réflexions développées, et traité en conséquence.

Notes

[1] Pour ceux qui veulent pousser la réflexion sur cette notion d'urgence et les contradictions dans lesquelles peuvent se débattre les juges des enfants à ce sujet, j'ai trouvé cet article rédigé par un sociologue en 2006 pour une revue spécialisée, qui soulève des questions intéressantes. Je précise que les données de l'enquête effectuée par l'auteur remontent aux années 1996-2000, soit avant les lois de 2002 et 2007 qui ont pour la première renforcé notablement le contradictoire dans la procédure d'assistance éducative et pour la deuxième créé des dispositifs qui offriront à terme davantage de solutions intermédiaires que l'alternative AEMO/Placement.

lundi 7 juillet 2008

Entrer, rester ou partir

J'écoutais ce dimanche, comme chaque dimanche, l'Esprit Public, sur France Culture. Pour la dernière émission de la saison, l'orage que l'on sentait monter entre Max Gallo et Jean-Louis Bourlanges a enfin éclaté, avec l'aspect rafraîchissant des pluies d'été, mais aussi cet aspect aussi violent qu'éphémère, sur le premier thème de l'émission, à la suite de l'affirmation audacieuse du second que Charles de Gaulle était un exemple de l'antimilitarisme de droite dont on feint ces jours-ci de redécouvrir l'existence. Le biographe du Général a pris la mouche et a eu un mot malheureux pour qualifier cette affirmation, qui a donné lieu en réplique à une superbe démonstration d'artillerie de la part de Jean-Louis Bourlanges qui laissera le pauvre Max sonné. Un moment savoureux, à la 15e minute et 59e seconde du fichier Real Audio®.

C'est la deuxième partie de l'émission qui a particulièrement retenu mon attention, puisqu'elle traitait de la question de l'immigration.

Au cours de son intervention, Yves Michaud, philosophe, directeur de l'Université de Tous Les Savoirs, a exposé ce qui serait selon lui un paradoxe :

Las, las ! Cette affirmation, dans un débat au demeurant de qualité, est comme une verrue sur le nez d'une belle. Il gâche un peu l'ensemble.

Cela illustre surtout la méconnaissance du droit des étrangers, droit ô combien complexe il est vrai (notamment un des rares à cheval sur les deux ordres de juridiction) qui fait que même des esprits d'honnêtes hommes (au sens humaniste) qui se penchent sur la question n'arrivent pas à y retrouver leurs petits. Il faut dire que sa complexité se double d'une dose infinie d'hypocrisie qui ferait rougir de honte Tartuffe. Le petitesse a tendance à égarer les grands esprits.

Voici donc un rapide vade mecum des fondamentaux, comme on dit dans le noble art du rugby, du droit des étrangers, pour savoir de quoi on parle.

Prolégomène : n'oubliez jamais que le droit est la science des exceptions. Chaque principe a les siennes… sauf exceptions, naturellement.

ENTRER

Tout étranger (les ressortissants de l'UE ne sont plus vraiment des étrangers et bénéficient de règles spécifiques ; disons qu'en gros, ils vont où ils veulent et restent le temps qu'ils veulent. Oui, sauf exceptions, naturellement) désirant entrer en France doit être muni d'un certain nombre de documents, dont le défaut entraînera son refoulement à la frontière. Ces documents sont, essentiellement : un document de voyage (en principe un passeport, par exception une carte d'identité ou un document assimilé : carte de réfugié ou d'apatride, par exemple), le cas échéant revêtu d'un visa (j'y reviens), les justificatifs des raisons de son séjour (travail, tourisme), la preuve qu'il dispose des moyens de subvenir à ses besoins, y compris son retour dans son pays d'origine, et d'une assurance prenant en charge ses éventuelles dépenses de santé.

Le visa est une autorisation préalable délivré par l'État (par son consul, en fait) d'entrer sur son sol. On en distingue deux types (pour simplifier) : le court séjour, trois mois au plus, et long séjour, plus de trois mois avec vocation à rester. Le visa court séjour est encadré au niveau européen par les accords de Schengen (y compris la liste des pays dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa, fixé par un règlement européen, le règlement (CE) n°539/2001 du 15 mars 2001 modifié), qui unifient les règles de délivrance et la validité dans tout l'espace Schengen (prenez les 27 pays de l'UE, vous ôtez le Royaume-Uni et l'Irlande, mettez de côté Chypre, la Roumanie et la Bulgarie qui en font partie mais attendent des jours meilleurs pour appliquer les accord, et vous ajoutez la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Lichtenstein, ces deux derniers pays devant appliquer les accords en novembre prochain). Le visa long séjour reste de la compétence de chaque État selon ses règles propres.

Je laisse de côté la question des demandeurs d'asile, qui ont un droit au séjour pendant la durée de l'examen de leur demande s'ils se présentent à la frontière (Convention de Genève de 1951) : la politique de la France consiste donc, depuis des décennies, à empêcher les demandeurs d'asile d'atteindre sa frontière, et pour ceux qui l'atteignent, à faire semblant d'examiner leur demande en 48 heures pour la rejeter avant de les réexpédier à leur point de départ, dans des conditions qui ont valu à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l'homme en avril 2007 (la loi Hortefeux de novembre 2007 a tenté de remédier à cette situation).

Le refus d'entrée sur le territoire est une décision prise par la police aux frontières. Elle impose à la compagnie de transport qui a amené l'étranger de le reconduire à ses frais au point de départ : cet éloignement s'appelle un réacheminement. En attendant, l'étranger est placé en zone d'attente, les fameuses ZAPI de Roissy. L'hôtel Ibis dont parle Yves Michaud était la ZAPI 1, aujourd'hui fermée. Il ne s'agit pas d'un centre de rétention, et les étrangers qui s'y trouvent ne sont pas en situation irrégulière puisque juridiquement ils ne sont jamais entrés sur le territoire. Il s'y trouve aussi bien des demandeurs d'asile que des touristes ou des scientifiques venus faire une conférence mais qui ont une sale tête.

RESTER

Le visa vaut autorisation de séjour pour la durée de sa validité. Un étranger qui souhaite rester en France au-delà de son visa doit demander un titre de séjour (TS) à la préfecture du département où il établit son domicile.

Il existe deux types de titre de séjour, les formels et les informels (la classification est de votre serviteur). Ce que j'appelle les informels sont des titres précaires, à très courte durée, délivrée par la préfecture quand elle n'a pas le choix mais n'a pas encore décidé de délivrer un titre de séjour formel : ce sont les Autorisations Provisoires de Séjour (APS) et les Récépissés. Une APS régularise temporairement la situation d'un étranger mais n'engage pas la préfecture. C'est classiquement le cas d'un étranger qui a obtenu l'annulation d'une décision d'éloignement sans avoir établi qu'il bénéficiait d'un droit au séjour. Le juge ordonne à la préfecture de réexaminer le dossier et dans l'intervalle, de régulariser l'étranger pour ne pas le laisser dans l'illgéalité parce que les préfectures sont engorgées. Le récépissé, lui, implique que le préfet a décidé de délivrer le titre de séjour, mais n'a pas eu le temps de fabrication du titre (qui est sécurisé comme nos cartes d'identité). Il vaut régularisation, et donne les mêmes droits que le titre qui va être délivré.

Les titres formels, car prévus par la loi, sont la carte de séjour, valable un an, et la carte de résident, valable dix ans, qui succède généralement à plusieurs années de carte de séjour. Pour les algériens, on parle de certificat de résidence d'un an ou de dix ans.

Les préfets sont en principe libres de délivrer ou de refuser de délivrer un titre de séjour. Cette politique se règle d'abord au niveau d'instructions du Gouvernement, mais aussi au niveau de la loi qui prévoit des cas où le préfet « peut » délivrer une carte. Soyons clairs, la politique actuelle est : quand le préfet « peut » délivrer, il faut lire qu'il « peut aussi ne pas » délivrer et appliquer cette interprétation.

Cependant, la France a, dans un moment d'égarement, signé des textes internationaux, supérieurs donc à la loi française, qui lui imposent de respecter les droits de l'Homme. Or, les étrangers sont des Hommes.

Il y a donc des cas où l'étranger a un droit au séjour, où le préfet ne peut légalement lui refuser son titre de séjour. Ces cas sont à l'article L.313-11 du Code de l'Entrée et de Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA). Certains sont objectifs. Citons le cas de l'étranger marié à un Français (mais pas à un étranger en situation régulière…), parent d'un enfant français, ou devenu majeur et qui a vécu en France depuis l'âge de treize ans (les mineurs sont dispensés de titre de séjour, ils ne peuvent être en situation irrégulière, ils dépendent de la situation de leurs parents). D'autres sont plus subjectifs, c'est-à-dire laissent une part d'appréciation à l'administration, appréciation qui peut être contestée devant le juge. C'est le cas du 7° de l'article L.313-11[1], qui est l'arme principale des avocats en droit des étrangers.

Se maintenir en France sans avoir un des titres le permettant (visa en cours de validité, ou plus de trois mois pour les étrangers dispensés de visa ; titre de séjour ; APS ou Récépissé) est, contrairement donc à ce qu'affirme Yves Michaud, un délit, prévu et réprimé par l'article L.621-1 du CESEDA :

L'étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l'étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de la peine d'emprisonnement.

C'est ce que ne manquent jamais de rappeler les braves gens pour qui « la loi est la loi », sauf quand on est assistante sociale violant le secret professionnel, puisque le droit est la science des exceptions, n'est-ce pas ?

Ce délit n'est à ma connaissance jamais poursuivi seul en tant que tel. Il relève du gadget législatif (et d'alibi légaliste à la xénophobie, mais passons). En effet, la plupart des petits délits, tels que le vol (puni de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende ; vous voyez que le séjour irrégulier, puni d'un an de prison est dans le délit microscopique), ne peuvent être assortis d'une peine d'interdiction du territoire. Donc, quand le prévenu d'un vol est de nationalité étrangère et en situation irrégulière, le parquet ajoutera la prévention de séjour irrégulier uniquement pour permettre le prononcé de l'interdiction du territoire (qui sera parfois la seule peine prononcée). C'est ce qu'on appelle abusivement « la double peine» et dont l'ancien ministre de l'intérieur a réussi à faire croire à la suppression. J'en ris encore.

C'est le premier aspect gadget, l'aspect astucieux. Le deuxième aspect gadget, qui est le plus hypocrite, sera décrit dans notre troisième volet.

PARTIR

L'étranger a vocation à partir à l'expiration de son visa ou quand les conditions de délivrance de son titre ont disparu (exemples : le conjoint est décédé, où l'époux étranger, s'il est algérien, ne supportait plus de recevoir des coups). Au besoin, l'administration peut employer la force pour cela. C'est ce qu'on appelle de manière générale l'éloignement forcé.

Pour éloigner un étranger, il faut pour cela un titre, un ordre d'une autorité administrative ou judiciaire, définitif, c'est à dire qui n'est plus suceptible de recours ou pour lesquels les recours ont été exercés en vain.

La peine d'interdiction du territoire est un titre permettant l'éloignement forcé. Comme toute peine d'interdiction, elle peut faire l'objet d'une requête en demandant la levée (art. 702-1 du code de procédure pénale). C'est le seul titre judiciaire.

Les autres titres sont administratifs. Il s'agit d'un arrêté d'expulsion si l'étranger présente un risque de trouble à l'ordre public (Fichu secret professionnel ; j'en aurais à vous raconter, des scandales de l'expulsion), d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) pris avec un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre, ou d'un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF).

Je vais m'attarder sur ce dernier car c'est là que notre hypocrite gadget est mis à contribution.

Nous sommes dans l'hypothèse où l'étranger est contrôlé dans la rue ou dénoncé par une assistante sociale. La police contrôle son identité, constate qu'il n'est pas muni d'un titre autorisant son séjour, et aussitôt, le place en garde à vue pour 24 heures. Le parquet est aussitôt informé de l'arrestation de ce dangereux délinquant et décidera aussitôt de ne rien faire. Oui, rien. Les parquets ont mieux à faire que poursuivre des étrangers en situation irrégulière. Par exemple, s'occuper de ce qu'ils considèrent à raison comme de vrais délinquants.

Mais alors, notre étranger, que lui arrive-t-il ? Il reste en garde à vue. Car aussitôt, la préfecture est informée de l'arrestation de cet étranger. Et en moins de 24 heures (même les dimanches et fêtes), le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, assorti d'un arrêté de placement en Centre de Rétention Administrative (CRA). Aussitôt cet arrêté notifié à l'étranger, le parquet classera sans suite le dossier de séjour irrégulier.

Bref, le délit de séjour irrégulier ne sert que de prétexte pour garder à vue l'étranger le temps que le préfet prenne ses arrêtés. À aucun moment, le parquet n'a l'intention de poursuivre cet étranger.

L'arrêté de placement en CRA vaut pour 48 heures, au-delà desquelles le maintien doit être ordonné par un juge judiciaire : ce sont les audiences 35bis dont je vous ai parlé récemment. L'arrêté de reconduite peut aussi être attaqué devant le tribunal administratif, mais dans un délai de 48 heures, recours qui doit être jugé dans les 72 heures, par un juge unique, sans commissaire du gouvernement rapporteur public. Je ne connais pas de contentieux qui nécessite une telle vivacité d'esprit et une pareille connaissance du contentieux administratif général et des règles spécifiques du droit des étrangers : la procédure est orale et vous pouvez soulever à l'audience tous les moyens que vous voulez (la jurisprudence administrative a assoupli au maximum cette procédure enfermée dans des carcans de délais très stricts). J'ai déjà connu l'attente angoissante dans la salle des pas perdus du fax qui doit m'apporter la preuve dont j'ai besoin pour obtenir l'annulation, le président du tribunal ayant fait passer devant les autres dossiers pour me donner le plus de temps possible. Les personnels des tribunaux administratifs et les juges eux-même méritent un hommage pour les facilités données à la défense dans un contentieux où la loi l'a voulue la plus impuissante possible. L'audience d'Eduardo était une audience sur la légalité d'un tel arrêté (ses parents étaient libres, c'était le temps révolu des APRF par voie postale).

L'erreur d'Yves Michaud est donc bien excusable : comment peut-on deviner que le séjour irrégulier est un délit quand il n'est pas traité comme un délit ?

Enfin, à quelque chose malheur est bon : cela m'aura permis de poser les bases nécessaires pour me lancer enfin dans mon explication de la directive « retour », qualifiée par mon ami Hugo Chávez de « directive de la honte » ce qui en soi devrait déjà suffire à la plupart de mes lecteurs pour deviner qu'il n'en est rien.

Notes

[1] [La carte de séjour d'un an est délivrée de droit] à l'étranger (…) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus(…).

mardi 1 juillet 2008

Les Mules

Les palais de justice en voient défiler, des marginaux, des inadapatés, des abîmés de la vie, des irrécupérables, des qui n'ont pas de chance, des épaves, des perdants, des exclus, des victimes de la grande loterie de la vie.

Je crois que le bas de cette sinistre échelle des cocus sublimes de l'humanité est occupé par les mules. Tomber sur l'une d'entre elles au hasard des commissions d'office est une déprime garantie.

Une mule, c'est un passeur de drogue. Tous ont plus ou moins le même profil : ils viennent souvent d'un petit village, d'un coin perdu de la campagne ou de la jungle, parfois même d'un patelin ne figurant sur aucune carte et d'où ils ne sont jamais sortis. Ce sont, sans aucun sens péjoratif, des paysans.

Un jour, parce qu'ils ont la peau bien blanche, baragouinent quelques mots d'anglais ou de français, et parce qu'ils ont un grand besoin d'argent, des traficants de drogue vont les trouver. On ne décline pas une promesse d'embauche de ces gens là sans en payer le prix ; et de toutes façons, la mule a besoin d'argent. Cible idéale : les parents de jeunes enfants, la mère qui vient d'accoucher et rêve que son fils soit avocat ou médecin, ou le père qui veut assumer son rôle traditionnel d'apporteur de richesse, ou mieux : d'un enfant gravement malade.

Et on les charge de drogue, d'où le terme de mule. Pendant longtemps, ils ingurgitaient la drogue dans des petites poches. Au début, il y a eu des ratés, et des morts par overdose quand un pochon se déchirait, ou par occlusion intestinale. Maintenant que la police connaît le coup (il y a même un appareil de radiographie à Roissy, il me semble), la méthode semble en net recul, au profit des miracles de la chimie : on mélange la drogue à un produit qui en modifie la consistance et l'odeur, comme une plaque de plastique, puis à l'arrivée, un chimiste sépare les molécules, récupère la drogue, avec des reliquats de ces produits parfois toxiques qui iront redécorer les sinus des noceurs parisiens du quartier où les rues portent des noms de rois.

Mais les patrons des mules ne sont pas des enfants de cœur. Parfois, ils refusent de payer la mule, sauf si elle fait un deuxième voyage de retour (l'ecstasy s'exporte bien), au risque renouvelé de se faire prendre. Parfois aussi, on retrouve la mule dans un hôtel, éventrée, la came sortie du ventre par un patron qui n'avait visiblement pas envie de payer ni d'attendre.

Beaucoup de ces mules ne passent pas les mailles du filet. Il faut dire qu'on les repère de loin : des paysans sortis de la pampa, qui ont un passeport tout neuf, un billet aller-retour dans la semaine, qui font des trajets improbables dans toute l'Europe en quelques jours. Autant leur mettre un gyrophare sur la tête. Parfois, ils sont donnés par leur propre patron, histoire de faire diversion pour leur deuxième mule, plus discrète et plus chargée dans le même avion.

Et les voilà devant nous, au local de garde à vue du commissariat ou d'entretien avant présentation au juge d'instruction, assommés de désespoir, et c'est à nous et à l'interprète de leur donner les mauvaises nouvelles. Une seule question les habite : quand sortiront-ils ? On leur donne une durée indicative, tenant compte de la durée prévisible de l'instruction et de la quantité saisie. Généralement, ça tourne autour de trois ans ferme, avec interdiction définitive du territoire (et de tout l'esapce Schengen par la même occasion) à la sortie. On voit dans leurs yeux qui se plissent qu'ils font un laborieux calcul mental pour savoir quel âge aura leur enfant quand ils le reverront. Quand ils ont trouvé, c'est le silence, et ils s'affaissent un peu.

Je me souviens de cette jeune sud-américaine de 19 ans, qui avait accouché d'une petite fille trois mois avant de partir, en état de choc, incapable de dire autre chose que “¡ Mi bebé, mi bebé, quiero mi bebé ![1], alors que sa petite fille saurait marcher avant qu'elle ne la revoie. Il y a des jours où on voudrait ne pas parler espagnol.

Ou de cet orpailleur brésilien, qu'on aurait pu prendre pour mon père tellement son visage était usé et ridé, alors qu'il était né six mois avant moi, qui avait empoisonné son plus jeune fils pendant la grossesse de sa mère avec le mercure qu'il utilisait pour amalgamer l'or, et qui, pour soigner les reins mourants de son petit (qui avait quatre ans), avait accepté de convoyer une valise avec deux kilos de cocaïne dans la doublure. Quand je lui ai dit « trois ans », il a compris ce que ça impliquait pour son enfant. Après ça, quand on sort du palais, on file chez soi serrer les siens dans ses bras. Les clients laisseront des messages.

Je me souviens qu'il avait appris un peu de français avec les gendarmes, sur le site de Kourou, en Guyane, où il avait travaillé comme maçon. Il épatait les gendarmes d'escorte en s'adressant à chacun en utilisant le grade correct.

Les débats devant le juge des libertés et de la détention ont lieu dans une ambiance pesante. On reste en chambre du conseil, le huis clos est systématiquement accordé pour les besoins de l'enquête. La détention est inévitable (très grosses quantités de drogue, contexte de réseau organisé, pas de domicile en France, risque de fuite, la totale de l'article 144), et ni le procureur ni le juge des libertés et de la détention, ni l'avocat ne sont dupes, sachant que c'est un sous-lampiste qui va partir en prison pour de longs mois, voire des années. Mais que faire ?

C'est encore pire quand on devine à la lecture du dossier que c'était une mule sacrifiée par diversion (quand son trajet lui faisait traverser en train toutes les gares d'Europe les plus surveillées par les douanes, par exemple). Ça, on le garde pour nous. Ils pensent toucher le fond du désespoir, inutile de leur révéler qu'ils peuvent encore descendre plus bas.

Notes

[1] « Mon bébé ! Mon bébé ! Je veux mon bébé ! »

lundi 30 juin 2008

Affaire de la dénonciation : l'analyse des professionnels

L'ANAS, Association Nationale des Assistants de Services Sociaux, publie sur son site une analyse juridique fort intéressante et accessible de cette affaire : contexte juridique, ce que pouvait faire l'assistante, etc. Très utiles pour les travailleurs sociaux qui se demanderaient quelles sont leurs marges de manœuvre exacte. Avec l'autorisation de l'auteur, j'en reprends l'intégralité ici, le site de l'ANAS n'étant pas un blog, il ne permet pas les commentaires.

Comme d'habitude, le point de vue exprimé après cette ligne n'engage que son auteur.


Dénonciation d'un sans-papiers : Décryptage d'un cas heureusement isolé

L'affaire de Besançon provoque des réactions massives sur différents blogs. On constate une série d'interrogations et affirmations marquées par des confusions importantes. Plusieurs d'entre elles intéressent autant les professionnels de service social que le grand public. Nous les reprenons donc, en nous appuyant sur les éléments du PV mis en ligne.

Des précisions importantes sur le cadre

Le cadre de la mission est celui d'une « AEMO judiciaire », prévue par les articles 375 et suivants du Code Civil. L'article 375-2 précise que « ''Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement.'' »

Le service dans lequel exerce cette professionnelle est une association de sauvegarde de l'enfance, donc un service de droit privé. Cette assistante sociale est tenue au secret professionnel par profession (art. L.411-3 du Code de l'Action Sociale et des Familles).

L'intervention de cette professionnelle est bien située dans le cadre de la protection de l'enfance, sous mandat judiciaire confié à son service par le Juge des enfants. Si elle ne peut opposer le secret professionnel à ce dernier, il lui est interdit de transmettre à un tiers extérieur des informations sur tout renseignement protégé par le secret professionnel, soit « ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice de son exercice professionnel » (Crim.19/12/1995).

► Des éclaircissements nécessaires

« Quelle valeur a ce PV ? »

Un Procès Verbal n'est pas un document anodin. Il est un élément essentiel d'une procédure judiciaire, qui acte et fige les propos tenus à un moment dans une affaire. De plus, ces propos ne sont pas écrits par le déclarant mais par un officier de police judiciaire. Le style, la rédaction et les mots choisis le sont par lui. Il est donc important de relire et faire modifier toute formulation ou description qui ne correspondrait pas à la réalité.

De plus, ce PV a été réalisé à sa demande par l'assistante sociale et non sur la volonté des services de police. Nous savons que dans ce dernier, le contexte peut être très différent. Ainsi, dans l'affaire dîte « de Belfort », une assistante sociale avait été confrontée à une pression importante qui aurait pu la mener à faire des déclarations dictées par la tension vécue. Il n'en fut rien. Dans l'affaire de Besançon, difficile de dire que ces mots ont été dictés sous la pression. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse qu'ils reflètent de façon fidèle sinon exacte les propos tenus.

Enfin, sur la valeur du document, il convient de savoir que l'agence France Presse a attendu d'en visualiser la copie originale avant de rédiger une dépêche.

« Une dénonciation, n'est-ce pas comme un signalement ? »

Rappelons que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance « réserve le terme de signalement à la saisine du procureur de la République. Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d'un enfant en danger qui nécessite une protection judiciaire. »1

Un signalement porte sur une situation dans laquelle un enfant est en risque de danger ou en danger. Ce risque de danger ou danger est évalué et argumenté à partir de faits, analyses et hypothèses aboutissant à une proposition. Ce sont ces éléments qui sont transmis au Juge ou au Procureur, conformément aux textes légaux touchant à la protection de l'enfance et au secret professionnel (art. 226-14 du Code Pénal).

Le seul cas où il peut y avoir une saisine directe des forces de police, c'est lorsqu'il y a péril (article 223-6 du Code Pénal). Un péril est caractérisé par une atteinte imminente, constante et grave à la santé voire à la vie d'une personne.

En reprenant le PV, il apparaît que :
- La professionnelle a eu connaissance des informations dont elle fait part dans le cadre de son exercice professionnel ;
- Les faits énoncés ne montrent pas un danger pour les personnes : la phrase « De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions » ne suffit pas à démontrer qu'il y a danger en l'état. Paradoxalement, elle tendrait à signifier que tout acte de dénonciation de la situation en génèrerait. Il n'est affirmé aucune pression ou violence sur la mère ou les enfants. De même, lorsqu'il est affirmé « Je l'ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j'interviens, tout en l'informant qu'il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation financière et familiale fragile. », il n'est fait mention d'aucune volonté de départ exprimée par la mère. Rappelons que cet homme est le demi-frère de Madame B. Enfin, une « situation financière et familiale fragile » n'est pas suffisante pour constituer une situation de péril ou de danger.

A partir de ces éléments, il apparait bien que l'acte effectué constitue une dénonciation d'une personne sans-papiers et non un signalement ayant trait à la protection de l'enfance. Si cette professionnelle avait évalué que la présence de cet homme constituait un fait générateur de risque pour les enfants, elle devait en référer uniquement au Juge des enfants ayant ordonné la mesure d'AEMO.

« Quelle responsabilité de la hiérarchie de cette professionnelle ? »

C'est une des grandes questions de cette affaire. La professionnelle a-t-elle agit de sa propre initiative sans en référer à sa hiérarchie ou, au contraire, c'est avec l'accord, voire à la demande, de sa hiérarchie qu'elle s'est rendue au commissariat ? Nous en saurons sans doute plus dans quelques temps. Mais n'oublions pas que le professionnel reste pénalement le seul responsable en cas de violation du secret professionnel. Le rôle de sa hiérarchie ou de ses pairs n'est qu'un élément du contexte ayant amené au délit. Nous réaffirmons l'importance que les professionnels ne restent pas seuls surtout lorsqu'il s'agit de déposer dans le cadre d'une enquête ou devant un tribunal. Les encadrements intermédiaires doivent pouvoir être soutien lorsque le témoignage est légitime et légal, et « garde-fou » lorsque des passages à l'acte répréhensibles sont envisagés.

« Quelle autre possibilité avait-elle ? »

Il faut d'abord définir le problème : si la famille concernée par l'AEMO accueillait cet homme volontairement, il devient un des acteurs du système avec lequel le travailleur social exerçant la mesure doit faire. Nous ne choisissons pas ceux qui peuvent ou pas vivre en interaction avec la famille. Cela relève du choix des personnes et les assistants sociaux n'ont pas à abuser de leur pouvoir pour imposer telle présence ou telle absence. Même si certaines personnes peuvent nous interpeller nous ne pouvons laisser notre sentiment personnel prendre le dessus. C'est une des bases du positionnement professionnel, l'application du principe éthique de non-jugement.

Si la situation et les comportements de cet homme constituaient un risque pour les enfants ou leur mère (donc indirectement les enfants), et si un travail avec la mère ne pouvait modifier le contexte, la saisine de l'autorité judiciaire pouvait se faire. Comme nous l'avons vu, les éléments du PV ne vont pas dans ce sens.

En clair, le rôle des assistants de service social, qu'ils exercent en AEMO ou ailleurs n'est pas de dénoncer une personne sans-papiers, quand bien même elle est contraire à ce que nous souhaiterions.

« Et pourquoi les ASS ne dénonceraient-elles pas les sans-papiers ? »

Les assistants de service social interviennent dans des situations variées, avec des publics très différents dont certains sont en situation irrégulière ou sont en contact avec des personnes en situation irrégulière. Il s'agit qu'ils puissent travailler avec ces personnes afin de faire évoluer une situation a minima vers une vie décente. Par exemple, lorsqu'une femme en situation de séjour irrégulier est victime de violences conjugales, il faut qu'elle puisse trouver de l'aide. Les assistants de service social de secteur sont par exemple des interlocuteurs de premier plan : en les rencontrant, les victimes peuvent trouver de l'aide sans se mettre dans une situation qui constitue pour elles une autre forme de danger. De même, une mère peut venir parler sans risque de la consommation de drogue de son fils sans que cela débouche sur une intervention policière. Si le secret professionnel permet de protéger des informations privées et le plus souvent légales, il est la condition pour que se disent des situations d'irrégularité. C'est à partir de la réalité de la situation que peuvent se co-construire des solutions. Ce travail se double d'une mise en perspective des risques à court, moyen et long terme de la situation. C'est une des étapes pour modifier une situation et faire en sorte que la société soit protégée. En effet, si la mère ne peut parler des passages à l'acte délictueux de son fils, jusqu'où la dérive ira-t-elle ? Quelle souffrance pour l'enfant, sa mère et des potentielles victimes des passages à l'acte ? Quel coût pour la société ? Même chose pour une femme victime de violence : plus elle restera dans cette situation, plus elle risque d'en sortir détruite. C'est le fait de parler à un professionnel soumis au secret qui est une condition de la résolution de la situation de danger. Ne nous y trompons pas : si les assistants de service social dénonçaient les « sans-papiers », ils ne tarderaient pas à ne plus en voir du tout, et les personnes sauraient très facilement masquer ces situations. La précarité des conditions d'existence de ces personnes s'en trouverait accrue, au risque de l'ensemble de la société : qui pourrait en sortir gagnant ?

« Quelle confiance entre la famille et l'assistante sociale ? »

C'est un des risques entrainé par cette situation. Comment cette assistante sociale pourrait demain travailler avec la confiance de la mère et des enfants dont elle a dénoncé le demi-frère et l'oncle ? Plus largement, comment avoir confiance en une professionnelle si les familles se demandent si, en sortant de l'entretien, cette professionnelle ne va pas aller tout raconter au commissariat ? Cette dénonciation résout peut-être le problème de la professionnelle, mais la défiance qu'elle risque de renforcer auprès des familles concernées par des mesures d'assistance éducative ne va pas aider les autres professionnels à soutenir les enfants et parents qu'ils rencontrent.

« L'ANAS devait-elle réagir aussi fort ? »

Si le principe de confraternité est un des devoirs établis dans le code de déontologie de la profession, l'ANAS ne pouvait rester silencieuse au regard des éléments de cette affaire. Nous soutenons les collègues qui font vivre au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles, les valeurs du travail social. Ce fut le cas par exemple lors de l'affaire de Belfort. On ne peut défendre le secret professionnel et l'invoquer quand cela nous arrange, pour le rompre lorsque cela nous convient. De plus, cette affaire intervient alors que les professionnels du secteur se sont mobilisés depuis plusieurs années pour dire l'importance du secret professionnel. De même, la question du secret et de la situation d'une personne sans-papiers a permis de préciser il y a quelques mois comment concilier les situations de secret et de témoignages. Enfin, le Conseil Supérieur du Travail Social vient de produire un avis sur la question.

L'ANAS ne pouvait donc se taire. Les membres de l'association sont aussi confrontés aux réalités difficiles, nous savons la complexité des conditions de travail au quotidien, la solitude des travailleurs sociaux dans des situations de tension et les responsabilités qu'ils prennent dans des cadres parfois flous. Sur la question du secret professionnel, auquel nous sommes soumis par profession, nous devons être vigilants.

C'est cet objectif que nous visons à travers notre réaction. Et que chacun sache qu'en voyant une assistante sociale, il peut éprouver de la confiance plutôt que de la crainte.

Laurent PUECH
Président de l'ANAS

mardi 24 juin 2008

On sent le gaz ?

J'apprends dans le bulletin du barreau de cette semaine que madame le Garde des Sceaux, ministre de la justice, Rachida Dati et François Fillon, premier ministre, ont fait il y a quelques jours une visite surprise à la section P12 du parquet de Paris.

La section P12, c'est celle en charge du traitement en temps réel de la délinquance : c'est elle qui assure la permanence téléphonique pour les gardes à vue, oriente les procédures vers l'instruction, la citation directe devant le tribunal correctionnel ou de police, l'enquête préliminaire ou le classement sans suite, et prend en charge les comparutions immédiates.

Ce service est un grande pièce toute en longueur. Sur votre gauche quand vous entrez, les bureaux du procureur et le greffe de la section P12, qui travaille d'arrache-pied pour mettre dans la matinée des dossiers en état d'être jugés l'après-midi. Chacun d'eux doit suivre un circuit : enquête rapide sur la situation personnelle du prévenu effectuée par l'Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale (APCARS), comparution devant le procureur qui notifie la convocation devant le tribunal et demande au prévenu s'il veut un avocat choisi ou un avocat commis d'office. Pendant ce temps, les greffières commandent en urgence les extraits de casier judiciaire, sans lesquels le tribunal ne peut personnaliser la peine faute de connaître les antécédents (une peine avec sursis serait illégale si le prévenu avait déjà été condamné avec sursis dans les cinq années précédentes, par exemple). Quand le circuit est complet, le prévenu est P.A.C. (Prêt À Condamner).

Sur votre droite, des bureaux aux parois en verre. Le bureau de l'APCARS, puis des bureaux pour les interprètes, le « Comptoir », où trône l'officier de gendarmerie qui commande le détachement en charge des escortes de prévenus, et les « bocaux », bureaux en verre où les avocats consultent les dossiers et reçoivent leur client. De chaque côté du Comptoir, deux portes : à droite, la porte d'accès à la Souricière, le réseau de couloirs secrets qui relie le dépôt aux diverses salles d'audience, et à gauche, la cellule où sont placés les prévenus en attente.

Et donc nos deux fringuants ministres ont honoré la section P12 d'une visite-éclair, histoire de voir comment ça se passait (bien, forcément).

Les deux ministres n'ont pas jugé utile de saluer les avocats présents.

Il y a je trouve dans cette bouderie tout un symbole du respect que porte ce gouvernement aux droits de la défense. Une anomalie, un intrus qu'il vaut mieux ignorer en espérant qu'il finira par partir de lui-même.

Il est des mépris qui honorent ceux qui en sont l'objet.

lundi 23 juin 2008

Petits Pois de Paris

Par Dadouche



Lors de sa (brillante, évidemment) intervention sur France Inter le 16 juin, dont j'avais souligné la pertinence ici, la Garde des Sceaux avait annoncé une grande réunion de tous les juges d'application des peines.
C'est donc le 19 juin (au plus tôt) que nos collègues juges d'application des peines et magistrats du parquet chargés de l'exécution des peines ont reçu une "invitation" à se rendre à Paris le 25 juin à 16 heures.

L'Union Syndicale des Magistrats, le Syndicat de la Magistrature et même FO-Magistrats ont appelé les magistrats ainsi aimablement conviés à décliner, tout aussi aimablement, cette invitation destinée à "présenter le projet de loi pénitentiaire, et plus spécialement les mesures prévues en matière d'aménagement des peines".

Serait-ce une nouvelle fronde des petits pois ? Les prémices d'un gouvernement des juges ?

Que nenni. Pourquoi ? Je vais vous l'écrire.

- les magistrats, alors que la période dite de vacation ou de service allégé n'a pas commencé, ont quelques occupations dans leurs juridictions. Des audiences sont prévues, des piles de jugements attendent d'être rédigés, des masses de procédures doivent être traitées.
Les audiences sont prévues longtemps à l'avance, les rendez-vous des juges d'application des peines également. Etre averti quelques jours avant (pour ceux qui l'ont été dès le 19 juin) permet difficilement de s'organiser pour courir à la Chancellerie. Ca fait du travail en plus pour le greffe, pour reconvoquer les rendez-vous décommandés ou les audiences reportées.
Je ne parle même pas de l'agrément, pour les collègues de nos riantes régions, de devoir revoir en catastrophe leur organisation familiale pour être à Paris en fin d'après midi (et donc pas chez eux avant très tard le soir ou le lendemain)

- A l'heure où on coupe les post-it en huit dans certaines juridictions, où les dépenses de représentation du Ministère sont en augmentation, où le budget de la justice place la France dans le peloton de queue du Conseil de l'Europe, est-il bien utile d'organiser un grand raout dont l'utilité reste très discutable, s'agissant d'un projet de loi, par nature susceptible de modifications substantielles ?
En effet, même si cela surprendra peut-être notre Ministre, les magistrats travaillent avec la Loi. Pas avec les projets, les peut être, les bientôt. Non, avec le droit positif.
Qu'on nous ponde donc des décrets lisibles une fois les lois votées et promulguées, des circulaires compréhensibles, et ça nous aidera à faire notre travail. Qu'on ne nous fasse pas venir à grand renfort de publicité pour un show médiatique sans aucune utilité pour notre activité juridictionnelle.
Ce d'autant plus que des conférences semestrielles sont organisées dans chaque cour d'appel pour évoquer les aménagements de peine avec l'ensemble des magistrats concernés.

- Il paraît pour le moins paradoxal qu'il faille toutes affaires cessantes se précipiter pour apprendre comment vider les prisons alors que la loi sur les peines planchers, qui ôte au juge une part importante de son pouvoir d'appréciation, a contribué à les remplir.

- les magistrats ne sont pas des préfets (corps par ailleurs tout à fait estimable mais au rôle assez différent), convocables à merci pour servir les opérations de communication de la Ministre.
Les pressions qui sont semble-t-il actuellement exercées par certains chefs de juridiction pour "convaincre" les magistrats concernés de déférer à cette convocation malvenue laissent mal augurer de l'avenir.

Chers collègues, je ne suis pas sûre que les petits pois supporteront bien le voyage le 25 juin. Particulièrement par cette chaleur.
Restez donc au frais chez vous.

dimanche 22 juin 2008

Vous avez un message

par Dadouche et Fantômette


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 00 h 18
Objet : Calendrier à revoir

J'en ai marre ! Pendant que les garçons dissertent sur la virginité des anges et la non-rétroactivité des lois, je suis engloutie sous les audiences à cause des vacances. Deux mois à caser en un, j'ai l'impression de travailler à la chaîne.
Tu crois qu'on pourrait lancer un referendum pour supprimer le mois de juin du calendrier ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 19 juin à 9 h 14
Re : calendrier à revoir

Et encore, toi, tu restes à ton bureau - même si quinze heures d'affilée. Pense à ces armées de collaborateurs qui hantent les couloirs des tribunaux, hagards, et la robe à l'envers, un gobelet vide à la main. Tous exténués, tous.

Tiens, hier j'avais un train à 6h00, pour une audience à Farandole-sur-Mer. Je me suis plantée, j'ai fait l'aller-retour avec mon billet pour Frénésie-les-Neiges, où je plaidais aujourd'hui. Pas de contrôleur sur l'express de Farandole-sur-Mer, heureusement, je ne suis pas sûre que l'amende passait en note de frais. Et j'ai du longuement argumenter avec le contrôleur sur le train de Frénésie-les-Neiges pour lui faire admettre que si, pour être valable, un billet doit avoir été composté une fois, rien dans le règlement ne l'obligeait à considérer qu'un billet composté deux fois, dans deux gares différentes, soit moins valable.

Tous nos dossiers de postulation viennent pour clôture dans les quinze jours qui viennent. A la seule idée que mes patrons vont m'envoyer demander un renvoi à septembre pour au moins un dossier sur cinq, la faiblesse me gagne.

Dadouche, tu as raison. Il faut supprimer le mois de juin. Mais pas par référendum.
Par pitié.

Ce qu'il nous faut, c'est une bonne loi rétroactive d'application immédiate (en plus ça nous fera gagner du temps).

Qu'en penses-tu ?


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 23 h 24
Objet : ménage d'été

Non, la rétroactivité immédiate aussi c'est déjà pris. Il faut trouver autre chose d'innovant, une vraie-réforme-que-les-Français-attendent.

Remarque, je me plains du mois de juin, mais quand je regarde mon programme de l'été...
Quand je pense qu'on appelle ça la période de service allégé !
Moi je le trouve en général aussi léger qu'une tartiflette. Une fois j'étais en même temps juge d'instruction, juge des enfants, juge de l'application des peines, le tout sur fond de comparution immédiate. Un peu plus et je faisais concierge.

Et c'est pas cet été qu'on devait repeindre le séjour que les garçons ont laissé tout dégueulassé après un France-Angleterre ? On s'était juré de profiter du "service allégé" pour faire tout ce qu'on peut pas faire pendant l'année parce qu'on a jamais le temps.

En fait plus j'y pense, plus je trouve que le pire c'est septembre, quand tu as le teint cireux trois jours après le retour.
Des fois on se demande si c'est la peine de partir.

Renseigne toi auprès de tes patrons sur les mythes et légendes du barreau, je vais en faire autant à la cour d'appel, on entendra peut être parler d'un artefact ancestral secret pour éviter le syndrome de la pile-du-retour-de-vacances-plus-grosse-que-celle-qu'on-s'est-échiné-à-écluser-avant-de-partir.

Ou sinon Véronique va nous expliquer comment nous organiser pour que ça n'arrive plus.

PS : j'espère qu'au moins tu as pris une glace sur la plage à Farandole-Sur-Mer ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 20 juin à 23 h 04
Objet : RE : ménage d'été

Bon sang, oui, la peinture du séjour. On avait dit, finalement, on peindrait tout en pourpre.

Ah, les vacations judiciaires. "Tu verras, au mois d'août, c'est mort, il ne reste aucune affaire Fantômette." Aucune affaire, ha ha ha. Sauf les urgences.

Mon contrat de collaboration prévoit que je dois prendre quatre semaines de congé pendant les vacations judiciaires d'été, mais une règle implicite, d'une valeur manifestement supérieure, prévoit a) qu'un patron, qu'il soit n°1 ou 2, prend tous ses congés au mois d'août, et b) qu'un avocat au moins doit rester au cabinet en permanence.

Depuis deux ans, tout le mois d'août seul maître à bord, j'ai droit aux immeubles qui s'effondrent, enlèvements internationaux, divorces avec mesures urgentes, saisie sur compte bancaire du client institutionnel (qui ne peut plus payer ses salariés)... Naturellement, il faut y rajouter les comparutions immédiates... Les permanences garde à vue où tu tentes de trouver le commissariat dans un paysage dantesque, qui n'est plus qu'un immense chantier de travaux public...

L'année dernière, un client m'a appelée en catastrophe pour m'apprendre qu'il soupçonnait son débiteur d'organiser son insolvabilité. Il m'a demandé de bien vouloir mettre en place une procédure de saisie sur son navire (Oui. Un navire. Le type n'avait apparemment pas de compte en banque mais il avait un stupide bateau). J'ai cru que j'allais mourir ensevelie sous l'encyclopédie Jurisclasseur Huissiers de Justice et qu'on ne retrouverait mon corps qu'en septembre, quand Patron n°1 se rendrait compte que nos dossiers de postulation sont clôturés ou radiés les uns après les autres parce que personne n'a été demander de renvoi.

Au sujet de la pile-du-retour-de-vacances mystérieusement réévaluée à pile-de-départ-de-vacances fois deux, mes patrons me confirment l'existence d'une astuce, mais à l'effet rebond redoutable, qui consiste à repousser le mois de septembre au mois d'octobre. Ils disent : dis à ton amie d'embaucher un collaborateur et qu'il aille demander des renvois (ils n'ont pas du retenir que t'étais magistrate).

Que dit la Cour d'Appel ?

Re : PS : J'ai pas eu le temps de prendre de glace à Farandole-sur-Mer. Comme d'habitude dès que je me déplace à plus de 200 km de Framboisy, je tombe sur un bataillon de confrères parisiens qui me démontrent par a + b que compte tenu de la configuration du terrain, des mouvements de tectonique des plaques et de la courbure de la terre, Paris est plus éloigné de Farandole-sur-Mer que Framboisy, et ils me passent devant.


De : Dadouche à : Fantômette
le 21 juin à 00 h 12
Objet : Eurêka

Bon, à la Cour d'appel je suis tombée pendant la sieste (ils sont au chômage technique à cause du corporatisme-égoïste-des-avoués-qui-veulent-protéger-leur-monopole), personne n'a pu me renseigner.

Mais j'ai une autre idée : l'alcool.
On est un peu vieilles pour se lancer selon les critères ministériels, mais si je demande ma mut' à Reims et que tu poses ta plaque là bas, on devrait se dégoter un bon petit producteur de Champagne pour trinquer au mariage de Raymond Domenech et oublier le calendrier.

Au fait, bonnes vacances.


De : Fantômette à : Dadouche
le 21 juin à 00 h 54
Objet : sous les Palais la plage

Excellente idée. On m'a justement recommandé un petit producteur très bien - celui qui vient de décrocher le marché des cantines scolaires, tu en as peut-être entendu parler.

Bonnes vacances à toi. Je te rejoins dès que j'ai terminé de poser les jauges sur la pile de dossiers-à-voir-en-septembre.

jeudi 19 juin 2008

Affaire du mariage annulé à Lille : l'exécution provisoire a été suspendue

Une brève (je suis charette, comme on dit) pour expliquer une info qui n'a guère d'importance en réalité : le premier président de la cour d'appel de Douai a suspendu l'exécution provisoire du jugement du tribunal de grande instance de Lille du 1er avril 2008 ; annulant le fameux mariage pour erreur du mari sur une qualité (pour lui) essentielle (ce que savait son épouse), ces parenthèses sont devenues hélas indispensables.

Explications : À la demande de l'épouse, j'insiste là dessus : à la demande de l'épouse, le jugement du 1er avril a été assorti de l'exécution provisoire, c'est-à-dire que le juge a ordonné qu'il soit exécuté même si une partie faisait appel.

Cette faculté est prévue par l'article 514 du Code de procédure civile (CPC), qui pose le principe que l'appel est suspensif de tout jugement, sauf ceux pour lesquels l'exécution provisoire a été ordonnée par le juge ou est de plein droit (par exemple, les ordonnances de référé[1], art. 489 du CPC). L'exécution provisoire signifie que le jugement doit être mis à exécution, même s'il y a appel.

Cependant, la partie qui succombe peut avoir de bonnes raisons de s'opposer à l'exécution provisoire, raisons qui en plus ont pu se révéler après que le jugement a été rendu. L'article 524 du CPC permet donc de saisir en référé le premier président de la cour d'appel pour qu'il suspende l'exécution provisoire en attendant que la cour d'appel statue sur le fond du litige. Ce “référé premier président” ne peut aboutir que dans les cas suivants, prévus à l'article 524 : si elle est interdite par la loi ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Par exemple, vous avez été condamné à payer une somme à la société Untel S.A., mais vous avez de bonnes raisons de soupçonner que cette société va faire faillite : si vous la payiez et que vous gagniez votre appel, vous n'auriez aucune possibilité de récupérer cette somme indûment payée.

Dans notre affaire, pourquoi le tribunal a-t-il ordonné l'exécution provisoire ?

Ben… Parce que l'épouse, défenderesse, le demandait. Pour une fois que quelqu'un prêtait attention à ce qu'elle voulait, c'est ballot. L'épouse ayant exprimé son accord avec la demande du mari, le juge pensait, à raison, que ni le demandeur ni la défenderesse ne feraient appel de ce jugement leur donnant à tous deux satisfaction (il n'avait pas pensé au procureur général). Autant leur permettre de faire transcrire l'annulation du mariage le plus vite possible, sans même avoir à attendre les certificats de non appels ou l'échange des consentements, si on ose dire, sous la forme d'un acte d'acquiescement au jugement.

Et pourquoi le premier président de la cour d'appel a-t-il ordonné la suspension de l'exécution provisoire ?

Il l'a fait à la demande du parquet, qui a fait appel de cette décision dans les circonstances que l'on sait. L'argument est facile à deviner et est difficilement contestable : permettre la transcription de l'annulation permettrait aux époux de se remarier, au risque de voir le premier mariage rétabli si la cour d'appel fait droit à la demande du parquet. La situation ne serait pas « inextricable » comme le dit un magistrat cité par Le Monde (inextricable s'entendant au sens de : “difficile à expliquer en peu de mots”). Il faudrait dans cette hypothèse une nouvelle action en annulation de mariage, portant sur le second pour bigamie, mais cette fois ci la morale serait sauve, le fondement ne serait plus l'article 180 du Code civil mais l'article 147 du Code civil. Permettre un mariage potentiellement nul est une conséquence manifestement excessive. Il est temps qu'on signifie clairement à ces époux qui se croient on ne sait où que leur bonheur conjugal regarde la Nation toute entière.

Ce qu'il faut retenir est que cette décision ne préjuge absolument pas du fond, qui sera tranché en septembre, si les avoués le veulent bien. Enfin, c'est l'audience qui se tiendra le 22 septembre. L'arrêt sera plus probablement rendu en octobre-novembre. En attendant, le jugement reste valable, mais il est privé provisoirement d'effet.

Donc, de facto, nos mariés sont de nouveau mariés, avec les compliments de la République, qui fera leur bonheur de gré ou de force. Laissez le champagne au frais, quel que soit votre opinion du jugement, il est trop tôt pour le boire. Rendez-vous à la rentrée.

Notes

[1] Rappelons que les demandes en référé sont des demandes qui sont examinées dans un délai relativement bref par un juge unique, qui peut prendre des mesures provisoires, soit urgentes soit ne se heurtant à aucune difficulté ou contestation sérieuse, et ne préjugent pas de la décision sur le fond d'un litige.

mercredi 18 juin 2008

On n'a plus tous les jours trente ans

Ça y est, la loi sur la prescription en matière civile est au J.O. du jour. C'est, dans l'indifférence générale, une des plus importantes réformes du droit civil depuis l'adoption du Code civil qui vient d'entrer en vigueur. Et elle entre en vigueur demain.

Version : “les juristes parlent aux juristes”.

En matière mobilière et personnelle, le délai de prescription extinctive de droit commun passe à cinq ans, contre trente ans auparavant.

Les prescriptions particulières prévues par le Code civil sont ainsi modifiées :

— La responsabilité des avocats se prescrit par cinq ans (contre dix auparavant pour l'assistance en justice et trente pour le conseil : on va faire des économies en stockage d'archives). La prescription de deux ans pour nos émoluments disparaît : elle s'aligne sur la prescription quinquennale de droit commun. Art. 2225 nouveau du Code civil.

— La responsabilité pour dommage corporel (uniquement corporel) se prescrit par dix ans, vingt ans en cas de crime commis sur un mineur, du jour de la survenance du dommage. Oui, ce ne sont pas les mêmes règles pour la prescription de l'action publique, on va s'amuser. (art. 2226 nouveau)

— La prescription acquisitive de droit commun en matière immobilière reste à trente ans, l'imprescriptibilité extinctive est réaffirmée. Art. 2227 nouveau.

— La prescription acquisitive abrégée par vingt ans disparaît. Désormais, on usucape par trente ans, ou par dix ans en cas de possession de bonne foi et par juste titre.

— Enfin et surtout c'est un monument qui déménage. En fait de meubles, possession vaut titre, NOTRE en fait de meubles possession vaut titre n'est plus l'article 2279 du Code civil. Désormais, il sera l'article 2276. Vous, je ne sais pas, mais moi, j'ai l'impression de voir un ami d'enfance déménager. Même s'il ne va pas loin, ce ne sera plus jamais la même chose.

Version : les juristes parlent aux mékéskidis.

La prescription désigne le fait d'acquérir ou de perdre un droit en raison de l'écoulement d'un laps de temps. Si le droit s'éteint, on parle de prescription extinctive. Si on acquiert le droit, on parle de prescription acquisitive, ou usucapion, du latin usus capio, “je prends par l'usage”.

Depuis le Code civil de 1804, le délai de droit commun pour la prescription était de trente ans. Votre médecin vous ampute de la mauvaise jambe (ne riez pas, ça arrive), vous aviez trente ans pour lui faire savoir que non, ça ne vous en faisait pas une belle, de jambe. C'est la prescription extinctive. Si des squatteurs occupent pendant trente ans votre villa dans le Lubéron, au bout de trente ans, si vous n'avez rien fait, elle est à eux. C'est la prescription acquisitive.

En matière mobilière (tout bien meuble, c'est à dire que l'on peut déplacer : une table comme un animal), une autre règle s'applique : le possesseur de l'animal est présumé en être le propriétaire. C'est le sens de la formule en fait de meubles, possession vaut titre, cauchemar des étudiants de 1re année de droit.

Je vous fais grâce de la définition de la possession, qui est autre chose que le fait d'avoir la chose dans la main. Les plus curieux peuvent se référer à l'entrée correspondante de l'indispensable dictionnaire du droit privé.

À partir de demain, les droits s'éteindront au bout d'un délai d'inaction de cinq ans.

À qui cela bénéficie-t-il ?

Certainement pas au citoyen lambda. Une longue prescription le protège au contraire, lui donnant le temps de réagir, de rechercher les preuves de son droit, de ne plus être sous influence. Ce sont tous les notables et professionnels qui se frottent les mains : médecins, avocats, notaires, chefs d'entreprises et mandataires sociaux, dont les activités les exposent à engager leur responsabilité personnelle (et c'est d'ailleurs ce qui justifiait en partie des traitements pouvant paraître démesurés : il sera intéressant d'observer l'évolution des rémunérations des grands chefs d'entreprise après ça : on parie qu'ils ne vont pas baisser pour autant ?).

Notons, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, que les règles de prescription concernant l'État sont inchangées : si vous ne payez pas un impôt, c'est pendant dix six ans que l'État pourra vous le réclamer[1].

Cette évolution est d'ailleurs symbolique d'un changement de valeur de la société que je trouve préoccupant.

Lors de la naissance du droit français moderne, au début du XIXe siècle, la principale action de l'État sur les citoyens, outre l'action fiscale, était l'action pénale. Or l'État, estimant que le trouble à l'ordre public finit par s'éteindre avec le temps, avait fixé des délais de prescription assez courts : un an pour les contraventions, trois ans pour les délits, dix ans pour les crimes. Les actions des citoyens, en revanche, étaient protégées par la loi car c'était les droits des individus qui étaient concernés : dans le doute, c'était trente ans.

Or un mouvement récent tend à allonger le délai pendant lequel l'État peut poursuivre une infraction. Les crimes contre l'humanité ont été déclarés imprescriptibles, même si l'affaire Boudarel a révélé que cela ne pouvait s'appliquer, pour les faits antérieurs au 1er mars 1994, qu'aux crimes commis par les puissances de l'Axe, et non aux crimes contre l'humanité commis au nom du communisme, par exemple[2]. La prescription des crimes sur mineurs a été rallongée en 1998 pour être fixée en 2004 à vingt ans, à compter de la majorité de leur victime, c'est à dire jusqu'au jour de ses trente huit ans. Pour les délits, il a été porté à dix ans à compter de la majorité pour les mineurs, et à vingt ans à compter de la majorité pour certains délits comme, les agressions sexuelles, mais aussi tenez-vous bien, les violences ayant entraîné plus de huit jours d'incapacité totale de travail (vous vous souvenez de Thomas, qui vous a poussé dans les escaliers en 6e, vous vous étiez fait une entorse : faites-vous plaisir, faites-le citer devant le juge des enfants pour vos 37 ans), ou l'atteinte sexuelle sans violence ni contrainte ni surprise (vous vous souvenez de Julien, 18 ans, qui au Camping du Beau Rivage, vous avait embrassé quand vous aviez quatorze ans ? Il vous a mis la main aux fesses et vous a plaqué quand vous lui avez dit non ? Citez-le en correctionnelle pour vos 37 ans, vous aurez de ses nouvelles, comme ça, et il sera inscrit au FIJAIS comme délinquant sexuel à 41 ans après une vie sans histoire, il devra aller pointer chaque année au commissariat, imaginez la tête de son épouse et ses enfants, quelle douce vengeance…).

Bref, alors que sous Napoléon, que nul n'accusera d'avoir traité à la légère les intérêts de l'État, l'action du citoyen était mieux protégée que celle de l'État, c'est à un renversement des valeurs que nous assistons, dans une société se disant pourtant libérale (oui, Bertrand, au sens politique, bien sûr). À tel point d'ailleurs que dans certains cas, l'État garde le pouvoir de poursuivre alors même que la victime a perdu ce pouvoir par la prescription (cas des violences sur mineurs, l'action de la victime s'éteindra le jour de ses 28 ans, alors que l'État peut poursuivre l'auteur des coups jusqu'aux 38 ans de la victime, quand bien même elle aura perdu le droit de réclamer réparation). À croire que c'est l'État qui est la vraie victime, comme si au fond, le corps de ses citoyens lui appartenait plus qu'à eux-même.

J'exagère ? Vraiment ? Rapprochez cela d'infractions comme le défaut de port de la ceinture de sécurité ou de défaut de casque à moto, qui est une infraction qui ne peut faire de mal… qu'à celui qui le commet. Idem pour la consommation de stupéfiants, quand ces substances sont produites par leur propre consommateur. Se ruiner la santé, est-ce un délit contre la chose publique ?

Napoléon ne l'aurait même pas rêvé, nous l'avons fait. Ça vaudrait parfois le coup de s'interroger, non ?

Mais je m'égare, terminons-en avec la prescription.

Quelles sont les règles d'entrée en vigueur ?

Pour les prescriptions extinctives en cours, on distingue deux hypothèses.

1°) Les prescriptions auxquelles il reste moins de cinq ans à courir.

Pas de changement : elles se prescriront à la date initialement prévue.

2°) Les prescriptions en cours auxquelles il reste plus de cinq ans à courir.

Un nouveau délai de prescription de cinq ans partira à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Exemples : Une action se prescrit par trente ans depuis le 1er janvier 1980 : date d'exctinction le 1er janvier 2010, elle reste inchangée. Une action se precrit par trente ans depuis le 1er janvier 2000, date d'extinction le 1er janvier 2030. Un nouveau délai de cinq ans courra à partir du 19 juin 2008, extinction le 19 juin 2013.

C'est à dire que le 19 juin 2013, c'est 25 années de prescription qui vont tomber le même jour. Chers confrères, révisez vos dossiers, l'année 2013 risque sinon de coûter bonbon à notre assureur. Merci pour lui.

Pour mémoire, la prescription par trois mois en matière de presse est inchangée.

Notes

[1] En fait, six ans en cas de défaut de déclaration, et trois ans en cas de déclaration inexacte.

[2] Crim., 1er avril 1993, Boudarel, bull. crim. n°143

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