La responsabilité des avocats (1)
Par Eolas le lundi 2 janvier 2006 à 02:08 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Au titre de mes résolutions de nouvelle année, je m'attaque à une série de billets que je m'étais promis de faire il y a longtemps : la responsabilité des avocats et des magistrats.
En effet, des questions reviennent souvent sur ces deux thèmes, qui révèlent une grande ignorance de la question, certains mauvais esprits allant jusqu'à conclure que puisqu'ils ignorent tout de la responsabilité de ces professionnels, c'est qu'elle n'existe pas.
La réalité est toute autre. A tout seigneur tout honneur, je commencerai par la responsabilité des avocats, puisque c'est la question que je maîtrise le mieux.
A tite préalable, et pour bien cerner le débat, écartons d'emblée ce qui ne relève pas de ce billet.
- La contestation des honoraires des avocats :
La problématique n'est pas la même : l'avocat n'a pas commis de faute, il y a simplement conflit sur l'évaluation pécuniaire de ses diligences. Je reviendrai sur ce thème, mais dans un billet à part.
- La responsabilité pénale des avocats :
Elle ne mérite pas un billet car elle est exactement la même que celle de leurs concitoyens. Tout au plus peut on relever que les juridictions pénales ont tendance à être nettement plus sévères quand le prévenu est avocat, non par règlement de compte entre professions ennemies, mais un avocat a prêté serment de probité et connaît particulièrement bien la loi : il a dès lors moins d'excuses pour la transgresser.
Ces points ayant été écartés, voyons les deux responsabilités qui pèsent sur l'avocat ès qualité : la responsabilité civile professionnelle (RCP) et la responsabilité disciplinaire.
1. La responsabilité civile professionnelle.
L'hypothèse est simple : l'avocat a commis une faute et a causé un préjudice à son client. Il a laissé s'écouler un délai (le cauchemar de tous les avocats), il n'a pas été diligent, il a été négligent, voire franchement malhonnête, et une affaire qui aurait pu être gagnée est perdue.
La question qui se pose alors est : que va-t-il advenir du client ? La réponse est simple : chaque ordre des avocats contracte une assurance collective obligatoire pour tous ses membres qui les assure contre leur faute professionnelle. La couverture de base et d'environ trois millions et demis d'euros à Paris. Un avocat qui se retrouve à défendre des intérêts plus importants peut contracter une assurance complémentaire, et c'est même fortement recommandé. Cette assurance fonctionne même si la faute de l'avocat est intentionnelle (le détournement des fonds remis par le client, par exemple).
C'est un élément essentiel de la profession, sur lequel nous ne communiquons pas assez à mon sens : si vous confiez votre dossier à un avocat, vous êtes couvert contre les conséquences de son incompétence ou de sa malhonnêteté.
Pour le client, la mise en cause de cette responsabilité est de plus très simple : il suffit qu'il écrive à son avocat en lui disant qu'il estime qu'il a commis une faute en le défendant et en expliquant brièvement en quoi consisterait cette faute selon lui. Aussitôt, l'avocat doit déclarer le sinistre à l'assurance de l'ordre, même si la mise en cause de sa responsabilité lui paraît fantaisiste. Le dossier, en tout cas à Paris, est pris en charge par l'assurance, qui, en cas de faute avérée, proposera une indemnisation amiable au client, et en cas de contestation, défendra en justice. En cas de procès, l'avocat mis en cause ne se défend pas lui même.
Le Bulletin du Barreau publie régulièrement des décisions pour éclairer les avocat parisiens, et de temps en temps, l'ordre nous envoie une récompilation des fautes les plus fréquentes avec des exemples de coût. Malheureusement, je n'ai pas ce livret avec moi en ce moment et ne pourrai en tirer quelques exemples. Néanmoins, magie d'internet, j'ai accès au bulletin en ligne, et voici quelques cas de responsabilité civile ayant donné lieu à procès. Il est à noter que la plupart des affaires portées en justice finissent à l'avantage de l'avocat. Bien sûr, le client succombant y voit collusion entre gens de justice et corruption (allez, je parie un code civil que j'aurai des commentaires sur cet air), mais en réalité, la plupart du temps, le client sûr de son bon droit et que la Justice divine et cosmique était de son côté, pensait voir dossier gagné, et quand la réalité lui revient dans la figure, plutôt que se remettre en question, il accuse son avocat d'incompétence.
L'Ordre a publié récemment les chiffres 2004 pour Paris, que je vous livre céans :
En 2004, 474 sinistres ont été déclarés aux assurances, soit 42 de plus qu’en 2003. Par contre, les sinistres susceptibles de trouver un règlement judiciaire sont en baisse : 170 ; les règlements amiables en hausse : 304. Si au 31 août 2005 la tendance à la baisse du nombre de dossiers se maintenait (- 13,85 %), le montant financier des sinistres déclarés est lui en hausse de 24,07%.
Sur les 1362 sinistres déclarés sur la période 2002-2004, les fautes les plus fréquentes se retrouvent dans trois catégories : les erreurs de procédure (principalement le respect des délais pour agir) pour 480 sinistres pour un montant de 8.760.000 euros (il s'agit du montant des contestations, pas du montant des condamnations finalement mis à la charge de l'ordre) ; les erreurs lors de la rédaction d'actes et de leurs suites, pour 198 sinistres et un montant litigieux de 7.500.000 euros environs, et le manquement au devoir de conseil pour 557 sinistres et 17.831.945 euros. Le résidu représente des sinistres atypiques qui ne rentrent dans aucune catégorie.
Rappelons que l'Ordre des avocats de Paris compte 18.000 avocats en son sein.
Qu'entend-on exactement par une faute de l'avocat susceptible d'engager sa RCP ?
Voici un exemple, tiré du Bulletin du Barreau (n°38/2005) :
Une ordonnance du Président de la 3ème chambre de la Cour administrative d’appel de Douai en date du 6 septembre 2005 vient encore de rappeler l’irrecevabilité d’une requête d’appel à l’encontre d’une décision du Tribunal administratif faute par le requérant de produire, en même temps que la requête, la décision attaquée (article R 222-1 4èment du Code de justice administrative). L’irrecevabilité ne pourrait être couverte que dans deux hypothèses :
- la justification de l’impossibilité de produire la décision attaquée ;
- l’absence dans la notification du jugement de la mention que la copie de la décision doit être jointe à la requête d’appel.
Autrement dit, l'avocat en charge de la procédure a négligé de produire à l'appui de sa requête d'appel une copie de la décision attaquée. La cour administrative d'appel l'a donc déclarée irrecevable, c'est à dire a refusé de l'examiner car elle n'était pas saisie légalement. La faute est ici indiscutable. Il est du devoir de l'avocat de faire un recours efficace, c'est à dire recevable en la forme.
- Et l'indemnisation ?
C'est le coeur du problème. La question qui va aussitôt se poser est : le client aurait-il eu gain de cause ? Car si son recours allait finalement être rejeté par la cour administrative d'appel, le résultat est le même pour lui.
L'indemnisation repose sur un calcul d'alchimiste bien connu de ceux qui touchent à la matière de la responsabilité civile : la perte d'une chance.
On prend comme base de calcul l'enjeu financier réel, c'est à dire non pas le montant réclamé mais celui qui aurait été alloué par la juridiction si elle avait statué dans le cadre d'un procès ordinaire. C'est parfois facile à déterminer : telle entreprise avait une clause de réserve de propriété sur une automobile qu'elle avait vendu 20000 euros à son client qui est en liquidation judiciaire. Son avocat n'a pas fait jouer cette clause dans les délais, l'entreprise ne peut plus réclamer ce véhicule : le montant du sinistre est de 20.000 euros. C'est parfois plus difficile : telle association de voisinage poursuit l'annulation du permis de construire accordé pour tel établissement qui va selon elle défigurer le quartier. Comment calculer l'enjeu financier ?
Ensuite, on établit les chances de succès de l'action, de 0 à 100%.
Le montant de l'indemnisation sera ce pourcentage de l'enjeu financier réel du procès. Pour notre entreprise, 20.000 x 100% = 20.000 euros. Pour notre association en posant que le préjudice sera estimé par le juge à 100.000 euros, et les chances de succès à 5%, l'indemnisation sera de 5000 euros.
Une action n'ayant aucune chance d'aboutir ne sera pas indemnisée, mais est susceptible d'engager la responsabilité de l'avocat en charge de la procédure pour manquement au devoir de conseil.
Quand votre avocat à peine saisi vous envoie une lettre vous répétant ce qu'il vous a dit lors du rendez vous à son cabinet, à savoir que votre action n'a que peu de chances d'aboutir, ce n'est pas parce qu'il craint que vous ayez des troubles cognitifs : il se couvre. Si par la suite vous venez vous plaindre à l'Ordre que vous avez perdu et que si vous aviez su vous n'auriez pas intenté cette action ruineuse, vous pouvez être sûr que l'assurance de l'ordre vous présentera une copie de cette lettre en vous demandant si vous savez lire.
L'action en responsabilité civile obéit en tout point au droit commun : jusqu'à 10.000 euros, vous pouvez même utiliser mon Vade Mecum : le tribunal d'instance ou le juge de proximité est compétent. Au-delà, il vous faudra prendre un avocat, si le premier ne vous a pas dégoûté de la profession. La seule différence est que vous pouvez choisir de saisir une juridiction limitrophe à celle dans laquelle il exerce ses fonctions (art. 47 du nouveau code de procédure civile), de crainte qu'il ne passe devant un juge qu'il connaît et avec qui il a des relations cordiales. En province, dans le cadre de petits barreaux, c'est courant ; à Paris c'est rare de par la loi des grands nombres.
C'est doublement conseillé car l'avocat en question demandera lui même probablement le renvoi devant une juridiction limitrophe. Notons qu'à Paris, les tribunaux de Paris, Nanterre, Créteil et Bobigny ne forment pour l'application de cet article qu'un seul ressort : il vous faudra donc saisir le tribunal de grande instance de Meaux, Melun, Évry, Versailles, ou Pontoise pour faire des misères à avocat parisien.
Pour finir, tordons le cou à une idée reçue qui a la vie dure : aucun avocat ne refusera de faire un procès à un confrère. Les requins ne se mangent pas entre eux, les avocats, si.
Blague dans le coin, nous passons nos vies à être en procès les uns contre les autres, fût-ce au nom de nos clients. Pourquoi diable aurions nous des réticences quand c'est de lui même dont il s'agit ? J'ai déjà eu des dossiers m'opposant à des confrères, et il n'y a aucune raison que ça se passe mal. La courtoisie est de mise, mais comme nous faisons avec les particuliers.
Cette légende vient à mon avis du fait que parfois nous sommes sollicités par des plaideurs du type que ceux que je citais plus haut : persuadés qu'il avaient raison, ils concluent de leur défaite que leur avocat les a mal défendu. On examine le dossier, et nous expliquons à nos clients qu'à nos yeux, le comportement de ce confrère a été irréprochable : ils ont perdu parce qu'ils n'apportaient pas la preuve de leurs prétentions. Immanquablement, ce client verra dans notre analyse, et ce peu importe si elle est développée méticuleusement sur plusieurs pages, que nous protégeons notre confrère par corporatisme ou par couardise.
Une dernière chose, et j'arrête ici ce billet : si vous plaidez vous même face à votre ancien avocat pour un litige de moins de 10.000 euros et qu'il se défende lui même (c'est impossible devant le tribunal de grande instance, je ne pense pas que ça arrive sur Paris, mais pour un petit barreau de province (aucun des mots de cette phrase n'est péjoratif) il est possible que ça arrive, si cet avocat se présente en robe, vous devez exiger qu'il la retire, car il n'est pas dans l'exercice de ses fonctions. S'il refuse, il commettrait une faute déontologique susceptible d'engager sa responsabilité disciplinaire, ce qui me fournit ma transition pour le prochain billet sur comment faire des malheurs à un avocat.
Commentaires
1. Le lundi 2 janvier 2006 à 06:22 par tokvil
2. Le lundi 2 janvier 2006 à 08:59 par felixnemrod
3. Le lundi 2 janvier 2006 à 09:09 par nicolas
4. Le lundi 2 janvier 2006 à 09:43 par forgeron
5. Le lundi 2 janvier 2006 à 09:59 par BigB
6. Le lundi 2 janvier 2006 à 10:12 par Grum Lee
7. Le lundi 2 janvier 2006 à 11:56 par Zouille
8. Le lundi 2 janvier 2006 à 11:57 par nicolas
9. Le lundi 2 janvier 2006 à 11:59 par Anne
10. Le lundi 2 janvier 2006 à 12:07 par Anne
11. Le lundi 2 janvier 2006 à 12:48 par armouf
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16. Le lundi 2 janvier 2006 à 14:40 par armouf
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21. Le lundi 2 janvier 2006 à 16:03 par armouf
22. Le lundi 2 janvier 2006 à 16:13 par Eric Daspet
23. Le lundi 2 janvier 2006 à 16:29 par Fred
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25. Le lundi 2 janvier 2006 à 16:43 par Patrick
26. Le lundi 2 janvier 2006 à 16:55 par armouf
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28. Le lundi 2 janvier 2006 à 17:22 par Sans pseudo
29. Le lundi 2 janvier 2006 à 17:52 par DD
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31. Le mardi 3 janvier 2006 à 00:20 par Demi
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33. Le mardi 3 janvier 2006 à 11:29 par Raboliot
34. Le mardi 3 janvier 2006 à 11:46 par Anne
35. Le mardi 3 janvier 2006 à 12:13 par alain
36. Le mardi 3 janvier 2006 à 12:23 par Ten, je change de pseudo aujourd'hui
37. Le mardi 3 janvier 2006 à 12:59 par bambino
38. Le mardi 3 janvier 2006 à 13:01 par Raboliot
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70. Le dimanche 19 février 2006 à 11:30 par Sébastien