Par Gascogne
Un après midi avec Me Eolas, ça vous tente ?
C’est là.
Venez nombreux !
Instantanés de la justice et du droit
Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche
lundi 30 novembre 2009
Ce billet, écrit à 11:40 par Gascogne dans la catégorie Commensaux a suscité :
vendredi 27 novembre 2009
Par Gascogne
Il était une fois au pays des Shadoks, un Shadok en chef qui avait décidé d’entamer une grande révolution, qu’il appela “la pompture”, parce que comme on dit chez eux, “il faut pomper pour vivre, et donc vivre pour pomper”, ce à quoi des sous chefs Shadoks répliquaient inévitablement que “Il vaut mieux pomper d’arrache pied même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas” (si vous ne me croyez pas, allez voir ici).
Parmi toutes ces choses à révolutionner, le Shadok en chef voulait que disparaissent tous les éléments gênant les Shadoks dans leur pompage de tous les jours.
Décision avait donc été prise de tout faire pour supprimer ce gêneur nommé “insecte gégène”, que d’autres civilisations moins avancées nommaient “juge d’instruction”.
Le Professeur Shadoko, inénarrable inventeur de l’ouvre boîte en conserve, fut prié instamment de remettre un rapport sur la disparition du nuisible, afin de conclure qu’il fallait éradiquer le gégène, ce qui fut bien évidemment rapidement fait (le rapport, pas l’éradication). Il est de tradition en pays Shadok de réfléchir en commission sur ce que l’on sait déjà. Il n’y a pas de petit pompage…
Comme il ressortait du rapport Shadoko qu’il convenait de faire disparaître le gégène, il s’en déduisait que le chef Shadok avait raison, puisqu’il avait annoncé devant tout un collège d’insectes dits “petits pois” qu’il fallait supprimer le gégène. On pompait donc en rond, dans la plus grande tradition Shadok.
Oh, ce n’était bien sûr pas la première fois que les Shadoks tentaient de supprimer le gégène, qui était leur principal ennemi, mais le temps paraissait le bon. Ils critiquaient depuis si longtemps l’insecte gégène, que tout le monde était d’accord avec sa disparition. D’ailleurs, comme chacun le sait “Pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles il faut toujours taper sur les mêmes”. Alors toujours critiquait-on l’insecte gégène, et lui seul. Ainsi en était-il au pays des Shadoks.
Suivant les préceptes habituelles de la vie Shadok, tout se passa très vite, puisque “quand on ne sait pas où on va il faut y aller…. et le plus vite possible”. Après la commission du Pr Shadoko, des groupes de travail furent mis en place auprès du sous chef Shadok aux questions de gégènes et des libertés. Seuls ceux qui étaient d’accord avec la disparition des gégènes avaient le droit d’y siéger, ce qui facilitait amplement l’avancée des travaux. On peut être Shadok et rester parfaitement logique avec soi même.
Cependant, les Shadoks se rendirent vite compte que l’on ne pouvait pas supprimer totalement les insectes gégènes, qui avaient leur utilité sur la planète Shadok. Il fallait donc leur trouver un équivalent, notamment pour brûler les mauvaises herbes, qui se développaient rapidement dans les marigots Shadoks.
Alors, après avoir fait la balance entre ce qui était bon et ce qui était mauvais chez les insectes gégènes, les Shadoks décidèrent de créer un nouvel insecte. Le gégène était indépendant ? Le nouvel insecte, que les Shadoks baptisèrent “jel” (ce qui n’est pas très logique au vu des seules syllabes que les Shadoks maîtrisent, mais bon), le serait aussi. Il pouvait faire ses propres enquêtes, particulièrement dans les affaires mettant en cause des Shadoks ? Le jel pourrait aussi le faire. On ne pouvait pas contrôler le gégène ? On ne pourra pas non plus faire pression sur le jel. Car les Shadoks avaient bien compris que ce qui posait problème, c’était ce que l’on appelait “les affaires sensibles”, c’est à dire celles mettant en cause des Shadoks, cibles privilégiées des gégènes.
Et lorsque les Shadoks eurent mis dans le nouvel insecte, tout ce qu’il y avait de bon dans l’ancien, ils se rendirent compte de deux choses : que les mauvais côtés s’y trouvaient aussi, et qu’ils avaient inventé…un gégène. Ils étaient heureux, car ils avaient pompé d’arrache pied, et rien ne s’était passé. Mais rien de pire non plus n’était arrivé.
De toute manière, comme on dit chez eux, mieux vaut mobiliser son intelligence sur des conneries, que sa connerie sur des choses intelligentes.
Et les Shadoks pompaient, pompaient…
Ce billet, écrit à 09:00 par Gascogne dans la catégorie Commensaux a suscité :
jeudi 26 novembre 2009
Il est désormais acquis que tout Garde des Sceaux a vocation a recevoir au moins un prix Busiris. Pascal Clément a eu le sien, Rachida Dati, je n’en parle même pas tant elle est devenue l’incarnation du prix (même son départ de la Place Vendôme ne la met pas à l’abri, Dominique Perben n’y ayant échappé que parce que le prix n’a été créé que postérieurement à son départ.
Ce n’était qu’une question de temps avant que la titulaire ne soit dûment primée : voilà qui est fait.
L’Académie, en sous-sections réunies, a donc l’honneur et l’avantage de décerner son premier prix Busiris à madame le Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (notons que ce titre est à la limite du Busiris car il est une confusion volontaire : la justice s’entend non comme la vertu, qui prend parfois une majuscule, mais une administration, tandis que les libertés ne sont pas une administration mais relèvent des droits de l’homme).
Le propos primés sont les suivants, étant au préalable rappelé par l’Académie que côté connaissance du droit, madame Alliot-Marie ne joue pas dans la même division que son prédécesseur : docteur en droit (thèse sur le salarié actionnaire), docteur en sciences politiques (thèse d’État sur Les Décisions politiques et structures administratives), elle fut maître de conférence en droit public et a dirigé (brièvement certes) une UFR de sciences politiques à la Sorbonne. En plus, elle fut avocat. Bref, on a du solide. Ce qui rend l’Académie peu encline à l’indulgence.
Voici donc ces propos. Ils ont été tenus à l’occasion de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de l’Élysée. L’opposition a à cette occasion demandé une commission d’enquête sur la fringale de sondages de l’Élysée, dont les contrats étaient de plus passé dans des conditions douteuses (notamment sans marché public), qui aboutissait à rémunérer fort cher des services fournis par des sociétés où des conseillers de l’Élysée avaient des intérêts financiers. Ce qui est non seulement illégal mais constitue un délit de prise illégale d’intérêt.
Une telle demande a été rendue possible par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, voulue par l’actuel président. Elle devait d’abord passer par le filtre du président de l’assemblée, qui peut décider de la transmettre à la Commission des lois de l’assemblée qui décide après débat et vote s’il y a lieu ou non de réunir cette commission (le filtre du président vise à écarter les demandes infondées qui viseraient à charger artificiellement l’agenda de la commission pour l’empêcher d’examiner un texte par exemple).
Lorsque cette demande a été présentée au président Accoyer, le Garde des Sceaux a demandé à celui-ci de ne pas transmettre cette demande à la commission des lois. C’est une partie du raisonnement tenu à l’appui de cette demande qui est récompensé.
En effet, il demande au président de l’assemblée de constater l’irrecevabilité de cette demande en ce qu’elle serait contraire à la séparation des pouvoirs.
D’après le compte-rendu des débats, la réaction de l’académie à la lecture de cette affirmation fut : « KEU-WÂ ?? ». Ce qui est exact mais mérite d’être un peu élaboré.
La séparation des pouvoirs est une expression impropre pour se référer en réalité à l’équilibre des pouvoirs, théorisé par Montesquieu dans l’Esprit des Lois (1748), étant précisé, Redde Caesari quae sunt Caesaris, que la distinction des trois pouvoirs est due à Aristote et que les vertus de leur séparation est due à John Locke (Traité du gouvernement civil,1690, que Montesquieu dévora).
Si ces trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) sont confiés à des personnes distinctes, il n’a jamais été question que les enfermer dans trois forteresses en leur interdisant de regarder ce qui se passe chez les autres, au contraire : Montesquieu expliquait que tout pouvoir tendant à s’étendre au delà de ses limites et à devenir despotique (“le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument” dira Emerich Lord Achton un siècle et demi plus tard), pour éviter la tyrannie, il faut que “par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir” (l’Esprit des Lois, livre XI). La disposition des choses, aujourd’hui, ça s’appelle la Constitution. Qui implique nécessairement que chacun puisse agir sur l’autre selon les modalités prévues par la Constitution (toute autre intervention non prévue par la Constitution étant, elle, une violation de la séparation des pouvoirs, qui suppose que ce soit des personnes distinctes et indépendantes qui exercent les attributs de chacun des pouvoirs).
Notre Constitution est loin d’avoir parfaitement intégré Montesquieu (de ce point de vue, c’est la Constitution des États-Unis qui en est l’application la plus aboutie, les Pères Fondateurs étant d’avides lecteurs de l’oncle Charles) mais de tels mécanismes existent qui excluent une séparation absolue des pouvoirs.
Ainsi l’exécutif peut dissoudre l’assemblée nationale (c’est arrivé en 1962, 1968, 1981, 1988, et 1997), maîtrise l’agenda parlementaire, peut déposer des projets de loi et a le droit d’amendement. Il nomme les magistrats et dirige l’action du ministère public. Il déclenche les poursuites disciplinaires à l’encontre des magistrats.
L’assemblée nationale peut renverser le gouvernement par le vote d’une motion de censure (c’est arrivé en 1962, d’où la dissolution) ou en lui refusant le vote de confiance (ce n’est jamais arrivé). Le parlement contrôle l’action du gouvernement par les questions écrites ou orales, ou par les commissions d’enquête. Il vote la loi que le judiciaire fait respecter au besoin par la force.
Le judiciaire peut juger les parlementaires ou les ministres, selon des modalités spécifiques pour protéger leurs fonctions (et non les titulaires de ces fonctions), Gaston Flosse vient d’en faire l’expérience. Seul le président est mis totalement hors de portée par l’article 67 de la Constitution, précisément en violation flagrante de cet équilibre des pouvoirs.
L’affirmation du Garde des Sceaux est juridiquement aberrante car précisément ce que se proposait de faire le parlement relève de ce contrôle d’un pouvoir sur l’autre : article 24 de la Constitution (“Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques.”). Le contrôle de la façon dont est dépensé le budget de l’État, qu’il vote, est l’essence de son travail. Sauf à dire que le vote du budget viole la séparation des pouvoirs puisque c’est l’éxécutif qui le dépense.
Ce d’autant plus qu’un indice aurait dû mettre la puce à l’oreille du ministre : cette couteuse pratique a été mise au jour par un rapport de la Cour des Comptes… qui fait partie du pouvoir judiciaire (même si c’est un corps à part de la magistrature). Dès lors que le judiciaire peut y mettre son nez, on ne voit pas pourquoi le législatif se le verrait interdire par la séparation des pouvoirs.
L’affirmation est donc juridiquement aberrante.
La formation universitaire en droit public de la lauréate exclut toute errance de bonne foi.
L’affirmation est de plus contradictoire car précisément la lettre du garde des Sceaux visant à influencer la décision souveraine du président de l’assemblée nationale constitue une violation de la séparation des pouvoirs.
Le mobile d’opportunité politique consiste à voler au secours du président de la République qui pourrait être mis en difficulté s’il devait répondre de cette curieuse gestion des deniers publics.
L’Académie décerne donc le prix Busiris au Garde des Sceaux, avec les découragements du jury, et deux salves d’applaudissements de trois secondes chacune.
L’audience est levée ; rendez-vous à la buvette.
Épilogue : le président de l’assemblée a estimé recevable la demande de l’opposition, qui a été rejetée par la commission des lois. Il n’y aura pas de commission d’enquête.
Ce billet, écrit à 09:25 par Eolas dans la catégorie Prix Busiris a suscité :
lundi 23 novembre 2009
— Pardonnez-moi, maître…
— Oui, mon Jeannot, mon fidèle stagiaire. Entre donc, et sers toi du thé. Que puis-je pour toi ?
— J’ai entendu à la radio le Bâtonnier de Paris tonner contre le système français de la garde à vue qui serait selon lui illégal…
— Eh bien ?
— Mon papa, il dit que c’est n’importe quoi. Mais comme lui aussi parfois, il dit n’importe quoi, je me suis dit que j’allais vous demander votre avis.
— Je ne prétends pas être à l’abri de dire parfois n’importe quoi moi-même, mais je veux bien prendre le risque.
Mon bâtonnier bien-aimé a en effet lancé cette semaine une offensive contre le système français de la garde à vue. Cela me réjouit, et mérite que je m’attarde sur les arguments d’un côté et de l’autre, en les rectifiant si besoin est, pour que tu te fasses ton opinion, ainsi que mes lecteurs dont les oreilles traînent parfois par ici.
Note que je confesse volontiers un biais en faveur de la thèse de l’illégalité de la garde à vue à la française, encore que ma première opinion était plus restreinte que celle défendue par le bâtonnier, je vais y revenir. Afin de clarifier les choses, je voudrais préciser que ce n’est pas un biais corporatiste parce que je suis avocat : c’est juste que je revendique fièrement mon biais pro-droits de l’homme et acquiescerai volontiers à tous les procès d’intention qui me seraient faits en ce sens.
— Mon papa se dit très attaché aux droits de l’homme.
— Las, comme pour les catholiques, il y a beaucoup de croyants non pratiquants en France. Tu trouveras sur cette page du site de France Info les arguments des parties, dont, à tout seigneur, tout honneur, celui du Bâtonnier Charrière-Bournazel. Reprenons-les plus en détail après avoir rappelé ce qu’est la cour européenne des droits de l’homme.
L’affirmation du Bâtonnier est la suivante : le système de garde à vue français n’est pas conforme à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (de son vrai nom Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, en respectant les majuscules, soit CsDHLf, ce qui n’est pas joli, d’où l’expression généralement employée de Convention européenne des droits de l’homme. Cette Convention a été signée au lendemain de la Seconde guerre mondiale, dans le cadre du Conseil de l’Europe, une organisation internationale consacrée à la paix et aux droits de l’homme, totalement distincte de l’Union Européenne, notamment en ce qu’elle est beaucoup plus large (47 États membres, dont la Turquie, ce qui en 1950 n’a choqué personne), et qu’elle la précède de 7 ans.
Attardons-nous sur cette convention car le comportement de la France a son égard montre combien la France, en matière de droit de l’homme, est croyante mais non pratiquante.
La France a signé la convention dès le 4 novembre 1950, soit le jour de sa signature officielle.
— Il y a donc des signatures postérieures ?
— Oui, c’est le principe d’un traité multilatéral. Des États peuvent embarquer en route. Par exemple, des États nouvellement créés : la Bosnie Herzégovine aurait eu du mal à ratifier la convention en 1950. D’autres États ont moins d’excuses, comme la Principauté de Monaco, qui n’a signé qu’en 2004. Mais signer n’est pas tout.
— Comment ça ?
— Chaque État a ses règles en matière de ratification ; mais souvent il faut que le parlement national ratifie la signature du chef de l’État, pour que la Convention fasse effet en droit interne : c’est le respect de la séparation des pouvoirs, qui interdit au chef de l’exécutif d’empiéter sur le domaine du législatif.
— Et en France, comment ratifie-t-on ?
— Généralement, par une loi, qui peut être parlementaire, comme c’est le cas pour la quasi totalité des traités et convention internationale, ou exceptionnellement par referendum, encore qu’une expérience malheureuse en 2005 a je crois démontré l’inanité de l’idée.
— Donc le parlement a dû ratifier la Convention européenne des droits de l’homme pour qu’elle s’applique en France ?
— Absolument. Et c’est là que nous voyons la première hypocrisie de la République. Si la France s’est empressée de signer la Convention la main sur le cœur en vagissant son amour inconditionnel des droits de l’homme qu’elle prétend avoir inventés, il y eut loin de la coupe aux lèvres puisque ce n’est que le 31 décembre 1973 que la loi de ratification fut votée.
— la première ? Il y en eut une seconde ?
— Absolument. Car la Convention européenne des droits de l’homme, contrairement à sa cousine universelle de l’ONU, avait vocation a être directement applicable en droit interne ; et pour assurer l’effectivité de cette application, la convention prévoyait la création d’une cour européenne des droits de l’homme, siégeant à Strasbourg, comme le Conseil de l’Europe, devant laquelle des individus estimant qu’un État avait violé à son encontre un des droits garantis par la Convention pouvaient exercer un recours.
— Je ne vois là nulle hypocrisie.
— La voici. La France en ratifiant la Convention avait exclu l’application de ce droit au recours individuel. La France, qui hébergeait la Cour européenne des droits de l’homme, a ainsi tardé 24 ans à l’appliquer, et 7 ans de plus avant de permettre à ses citoyens, dont certains habitaient à quelques rues de la là, de saisir la cour qui en garantit l’application.
— Et quand ce dernier obstacle a-t-il été levé?
— Le 9 octobre 1981, le même jour que la loi abolissant la peine de mort. Quelle que soit l’importance que j’accorde à cette loi, le discret voyage de Robert Badinter à Strasbourg pour aller lever cette réserve a je crois plus d’impact historique.
— Et quelles sont les conditions d’exercice de ce recours ?
— Il y en a trois cumulatives. Avoir épuisé les voies de recours internes (il faut donc aller jusqu’au Conseil d’État ou la cour de cassation, selon qu’on est devant les juridictions administratives ou judiciaires), avoir au cours de l’instance soulevé dans son argumentation la violation de la convention, et former le recours dans les six mois de la date de la décision mettant définitivement fin au litige.
— Et quels en sont les effets ?
— Devant la cour, on peut obtenir une indemnisation pécuniaire. La loi Française permet en outre depuis 2000 une révision des décisions qui ont entraîné une condamnation de la France, ce qui est tout à son honneur, après autant de retard à l’allumage.
— Une autre précision à ajouter pour un béjaune tel que moi ?
— Ta modestie t’honore, Tartuffe. Oui, une, d’importance pour la suite : si la cour apprécie la violation ou non de la Convention au cas d’espèce, elle veille à ce que son interprétation dépasse le cas d’espèce et soit une indication valable pour tous les États membres. À présent que te voilà armé pour comprendre, si tu le veux bien, passons à notre affaire des gardes à vue.
— Je suis toute ouïe et bois vos paroles.
— Bois plutôt ton Bi Luo Chun, il refroidit.
L’argumentation de mon Bâtonnier bien-aimé repose sur deux arrêts récents de la Cour. le premier est l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre dernier.
— Ce nom me dit quelque chose…
— J’en avais déjà parlé en juillet dernier. Me croyant en retard, j’étais en fait plutôt en avance.
— Mais à l’époque, vous considériez que cet arrêt ne s’appliquait qu’aux procédures d’exception repoussant de plusieurs jours l’intervention de l’avocat.
— Tout à fait. Et cet aspect là, tu vas le voir, me paraît hors de toute discussion. Mais depuis il y a eu un nouvel arrêt Danayan contre Turquie le 13 octobre 2009 qui précise la position de la cour.
— Je suis toute ouïe et bois mon Bi Lui Chun.
— Tu apprends vite. Rappelons que dans le premier cas, nous avions un jeune homme, mineur, arrêté pour un odieux attentat terroriste.
— Qui consistait à…?
— Étendre une banderole sur un pont, en soutien à Apo, Abdullah Ôcalan, fondateur du PKK, parti des travailleurs du Kurdistan, mouvement de guérilla et groupe terroriste. Je n’ai guère d’estime pour Öcalan, mais afficher un soutien à son égard, surtout quand on est mineur, ne me paraît pas relever d’une procédure d’exception. Et pourtant ce fut le cas : il fut placé en garde à vue selon le régime des lois turques antiterroristes, qui excluent l’assistance d’un avocat, et fut condamné à 2 ans et demi de prison. Procédure qui, du fait de l’exclusion de l’avocat, aboutit à la condamnation de la Turquie. La cour statuant en Grande Chambre avait à cette occasion déclaré que “Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même” (§54) et qu’ “Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.” (§55)
— Mon papa est contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, et franchement, quand je lis ça, je l’approuve. Une procédure où sous prétexte de lutter contre le terrorisme, on écarte l’avocat ! Ce n’est pas en France qu’on verrait une chose pareille.
— Ah, oui ? Tu me copieras 100 fois l’article 706-88 du code de procédure pénale pour demain. À la main, s’entend.
— Heu… Et que dit l’arrêt Danayan ?
— Seyfettin Dayanan a été accusé d’être un militant d’un parti islamiste kurde, le hizbollah. Il a subi la même procédure antiterroriste “avocat-free”. Mais lui, à la différence de Yusuf Salduz, ne va pas parler au cours de sa garde à vue. Il ne va rien dire. Pas un mot.
— Ah ! Donc nonobstant l’absence d’avocat, il avait usé de son droit à ne pas s’incriminer lui-même.
— Absolument. Ce qui ne va pas empêcher la Cour de condamner la Turquie, en allant un peu plus loin dans les précisions relatives au rôle que doit pouvoir jouer l’avocat. Voici ce que dit la cour : “Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.”
Mon Bâtonnier vénéré en déduit que le système actuel des gardes à vue, qui ne permet que ce qu’il appelle avec pertinence une simple “visite de courtoisie”, sans accès à la procédure, ni communication des éléments de preuves recueillis, ni même la qualification des faits reprochés (qui ne seront fixés par le parquet qu’au moment de la citation, j’ai vu des gardes à vues entières menées sous une qualification juridique erronée avant que le parquet ne redresse l’erreur, moins d’une heure avant la comparution devant le tribunal). De fait, la première chose que je dis aux gardés à vue que je vais visiter est que je ne suis pas là pour les aider à préparer leur défense mais leur expliquer leur situation, leur dire quels sont leurs droits, et ce qui va se passer par la suite. Dissiper le brouillard juridique, c’est déjà beaucoup, et pourtant c’est si ridiculement peu. Le système actuel est tout entier conçu pour écarter la défense et l’empêcher de faire son travail, et c’est tellement entré dans nos mœurs que ça ne nous choque même plus, à commencer par les magistrats, pourtant gardiens de la liberté individuelle.
— Vous vous laissez emporter, maître…
— Ah, vraiment ? Tiens, connecte toi à M6Replay et regarde l’émission Zone Interdite du 22 novembre (accessible jusqu’au 29). File à 3 mn et regarde l’édifiante histoire d’Ali, le braqueur de coiffeur. Il est soupçonné d’un crime, vol à main armée. 15 ans encourus. Il est arrêté à l’aube, chez ses parents, après trois ans d’enquête. Il y a donc déjà un dossier, avec à charge une empreinte génétique et ces gants en latex verts abandonné par le malfaiteur, outre un témoin oculaire. Tu noteras qu’alors qu’il se fait réveiller avec une lampe torche dans les yeux et un pistolet sous le nez, le policier ne juge pas utile de lui notifier les raisons de son interpellation. “Par respect pour sa mère”. Le même respect ne s’opposait cependant pas à une entrée de force alors que la respectable maman dormait du sommeil du juste. Logique policière, sans doute.
En fait, il s’agit juste de plonger l’interpellé dans une situation de stress et d’angoisse, pour “attendrir la viande”. En toute illégalité, soit dit en passant, car l’article 63-1 du Code de procédure pénale (CPP) dispose que “Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête”. La sanction est la nullité de la procédure. Pourquoi le major de police le fait-il donc devant une caméra de télévision ? Mais parce qu’il sait bien que ce brave Ali n’aura aucun moyen de faire valoir cette violation de ses droits, dont il n’a même pas conscience. Le procès verbal de notification, qui sera rédigé bien plus tard, mentionnera bien tous ces éléments, comme s’ils avaient été notifiés immédiatement au moment de l’interpellation, et Ali signera tout ça sans tiquer. Pas vu, pas pris. Avis aux magistrats qui me lisent, sur la foi à accorder aux procès-verbaux de notification qui leur sont soumis. Heureusement qu’entre toutes ces personnes qui violent la loi, certains ont un brassard “police”, pour qu’on évite de les confondre.
À 08’35”, un autre grand moment : la notification de la durée de la mesure. “Deux jours maximum”. En fait, c’est 24 heures, renouvelable une fois sur autorisation d’un magistrat. C’est dire si cette autorisation est perçue comme un contre-pouvoir par les policiers : ils la considèrent comme acquise alors même que le procureur ignore l’existence de cette garde à vue. Notez l’explication du policier : “je vais te poser des questions et tu vas y répondre, tu me répondras oui ou non, c’est moi ou c’est pas moi”. Vous comprenez maintenant ce qu’entend la cour européenne des droits de l’homme par “Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même” ? Ali a le droit de se taire et c’est sans doute à ce stade son meilleur choix (sachant que dire “ce n’est pas moi”, c’est déjà faire une déclaration). C’est pourquoi on ne le mentionnera même pas dans l’éventail des possibles. “Tu répondras à mes questions”, point. Ah, et je vous laisse deviner l’ambiance si Ali s’avisait de tutoyer le policier en retour, bien sûr.
— Un peu comme si je m’avisais de le faire à votre égard ?
— Exactement, mon Jeannot. Mais tu sais où est ta place, même si parfois tu lorgnes celle des autres. Continuons avec Ali. Dès son arrivée, le voilà placé en cellule. Un esprit naïf comme le mien a tendance à penser que si les policiers se sont levés à 4 heures du matin pour aller l’arrêter à 6, c’est qu’ils étaient pressés de lui parler. Alors pourquoi le faire poireauter en cellule près tout cet empressement ? La journaliste le dit candidement : “ils ont 48 heures pour le faire avouer”. Alors on le met à mijoter après lui avoir confisqué ses lunettes, et ses chaussures. L’ennui est propice à la réflexion morale.
L’affaire reprend à 11’40. Ali est enfin interrogé. Il conteste les faits, et demande à voir les preuves réunies contre lui. Dans un pays ordinaire, on trouverait que c’est la moindre des choses. Surtout que les gants saisis lors de la perquisition étant dans la pièce à côté, on peut se dire que l’effort de manutention serait limité. De même qu’on lui agite son ADN. Il demande où l’échantillon témoin a été recueilli. N’est-ce pas une question légitime ? Un droit fondamental de connaître les preuves à charge pour les discuter ? Réponse du policier : “Ah je sais pas, moi”. Il n’a qu’à demander au journaliste qui filme la scène, lui est au courant, il nous l’a expliqué plus tôt dans le reportage. Bienheureux journaliste, qui a plus de droit que les avocats à ce stade.
Alors évidemment, Ali, pensant qu’en fait les policiers n’ont rien et veulent le faire avouer au bluff, va nier. Non pas l’évidence comme dit le commentaire, à ce stade, il n’a même pas connaissance de l’évidence à nier. Mais ça fera tellement mieux devant le tribunal que dans un premier temps, il ait nié sa participation. Dans les dents de la défense qui voudrait plaider les remords sincères. L’avocat n’a pas le droit d’être là, mais ça n’empêche qu’on pense à lui.
Et voici venir le culte de l’aveu, la “chansonnette”, comme on appelle ces interrogatoires interminables visant à briser par l’épuisement les défenses du gardé à vue. Très efficace, comme l’ont montré des affaires comme celles de Patrick Dils ou Richard Roman, ou des innocents ont fini par passer aux aveux. C’est l’efficacité administrative en action. Pourtant, il y aurait de quoi boucler le dossier. ADN, gants en latex similaires, deux témoins sur trois catégoriques, le parquet a des munitions. Mais la défense aussi, elle peut encore plaider le bénéfice du doute. Ça tombe bien, on a encore des heures sans cette gêneuse. Et quand il est en cellule pour réfléchir, on lui retire ses lunettes. On voit plus clair quand on ne voit plus très clair. Logique policière. L’argument du suicide ? Mais ça fait longtemps que les verres de lunette ne sont plus en verre mais en polycarbonate, en Trivex® ou en CR-39. Essayez de vous taillader les veines avec ça. En outre, vous admirerez l’élégance de l’argument : on ne veut pas qu’Ali se suicide car… cela attirerait des ennuis au major et à son chef de poste : paperasse à remplir, serpillère à passer. Ça doit être ce qu’on appelle le respect du citoyen.
Victoire de la Justice : il passe aux aveux. Avec le major, grand seigneur : “au bout du compte, ça va te servir”. Vous allez voir en effet comme ça va le servir. Maintenant qu’il avoue, miracle, la caisse des scellés a trouvé le chemin du bureau et on lui montre les pièces à conviction (l’arme).
Nous avons donc des aveux complet. Il est alors déféré au tribunal où l’attend…
— …son avocat.
— Perdu. Le procureur de la République. Qui va le recevoir, toujours sans avocat, qui va l’entendre sur sa version des faits. Je précise que le procureur est partie à l’audience, c’est même lui qui va y soutenir en personne l’accusation. J’ai expliqué un jour à un confrère américain qui visitait le palais que le procureur recevait ainsi notre client en tête à tête et recevait ses déclarations sans même qu’on puisse l’assister, il ne voulait pas me croire. Un avocat français qui recevrait la partie adverse seule avant un procès encourt la radiation. Un procureur, une promotion.
Le procureur va donc recevoir des déclarations d’Ali, qui seront dûment notées au procès verbal de citation. Là encore, notez bien qu’aucun avocat n’est là pour lui dire de se taire, ni n’a pu le voir avant pour lui suggérer des réponses appropriées pour sa défense. Il va donc se plaindre lui-même (le procureur note : absence de remords à l’égard de la victime), reconnaître le mobile pécuniaire (c’est un crime crapuleux, ceux où la récidive est la plus fréquente), le mensonge à son père (il prétendait travailler et volait pour donner le change), s’enfonçant encore un peu plus. Conclusion : le procureur lui annonce déjà que ça va mal se passer. Et en effet, il n’y a pas grand chose qu’il pourrait encore faire pour démolir sa défense. L’avocat peut donc entrer en scène. Vous voyez comme ça l’aide d’avoir avoué.
On va enfin autoriser un avocat à prendre connaissance du dossier, une demi heure avant de le plaider, alors que le parquet le mijote depuis trois ans. Ce qui sera pile la peine prononcée, dont 18 mois fermes, face à un Ali incrédule, qui n’a pas vu le coup venir. Au bout d’une procédure illégale et donc nulle depuis le moment de l’arrestation. Le tribunal précisant “c’est criminel ce que vous avez fait”, montrant bien qu’il a jugé non pas le délit qu’on lui présentait (un vol avec violences) mais un crime (vol à main armée) qui aurait dû aller aux assises. Voilà en images le système ordinaire français, tel qu’il fonctionne au quotidien.
Et quand on compare ce fonctionnement à ce que dit la cour européenne des droits de l’homme, en effet, on peut avoir des difficultés à le trouver conforme. Sauf quand on est porte-parole de la Chancellerie, comme on va le voir. Oui, mon Jeannot, je te le dis en face : ce qu’a montré M6 ce dimanche soir est une violation de la convention européenne des droits de l’homme.
— Mais c’était un braqueur !
— On traite ainsi les braqueurs comme les innocents. Parles-en à monsieur Kamagaté.
— Et que répond le gouvernement face à cette offensive ?
— La réponse de Guillaume Didier, porte-parole du Garde des Sceaux, que je salue ici (Guillaume, pas Michèle) car je sais que c’est un lecteur assidu et un commentateur occasionnel peut être écoutée sur la page de France info précitée. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’emportera pas la conviction d’un juriste.
1) L’arrêt Danayan condamnerait la Turquie et non la France. Un étudiant en droit qui sortirait cet argument se prendrait aussitôt zéro. La Cour interprète la Convention, qui est la même pour ces deux pays. Ce qui vaut pour l’un vaut pour l’autre. Il est très courant d’invoquer devant des juges français des jurisprudences de la cour sanctionnant d’autres pays. Ils n’y voient rien d’anormal dès lors que les faits sont pertinents.
2) La Turquie n’aurait pas du tout le même système judiciaire que la France. Argument qui repose sur l’ignorance de l’interlocuteur. En effet, si je vous dis qu’en Turquie, les ordres de juridictions judiciaires et administratifs sont séparés, que la cour suprême administrative s’appelle le Conseil d’État (Danıştay) tandis que la cour suprême en matière judiciaire s’appelle la cour de cassation (Yargıtay) dont le rôle est d’unifier au niveau national l’interprétation de la loi par la jurisprudence, et dont le président porte le titre de Premier Président (Birinci Başkan), le juriste réalisera qu’en effet, les deux systèmes ne sont pas du tout comparables. En fait, tu as compris, les deux systèmes sont très proches, il n’est que de lire l’arrêt Salduz, notamment l’exposé du droit turc pertinent (§27 à 31) pour voir que le système turc est même plus respectueux de la Convention que le notre (il ne permet de repousser l’intervention de l’avocat que de 24 heures, contre 48 à 72 chez nous), la Turquie n’ayant pas attendu sa condamnation pour se mettre en conformité avec ce texte.
— Il y a quand même des différences culturelles entre les deux pays ?
— C’est exact. Par exemple, la Turquie a accordé le droit de vote aux femmes 15 ans avant la France. Croyante, non pratiquante, cher Jeannot…
3) Ce que la cour exigerait, c’est le principe de l’accès immédiat à un avocat, ce que prévoit le droit français depuis dix ans (seulement, ai-je envie d’ajouter), avec ce droit à l’entretien dès la première heure de garde à vue. Au contraire, cet arrêt consacrerait le système français. Là, j’ai envie de dire : un arrêt de la cour européenne des droits de l’homme c’est du sérieux. Il ne faut pas lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Qu’il consacre le système français, c’est non, sans aucun doute. Il condamne même le système dérogatoire applicable au terrorisme, trafic de stupéfiants et aux bandes organisées. Quant au système de droit commun, celui d’Ali, la cour parle du droit à l‘assistance d’un avocat, pas à un droit à un entretien avec un avocat ignorant du dossier. Assistance semblerait supposer que l’avocat puisse assister, du latin ad sistere, être présent à côté de quelqu’un. À propos du système français, rappelons que jusqu’en 1993, l’avocat était tenu à l’écart de la garde à vue. La France ayant été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, elle a introduit cette visite de l’avocat, sans accès au dossier, par une loi du 4 janvier 1993. Mais face aux geignements des syndicats de policier, une loi d’août 1993 va repousser à la 20e heure cette intervention. Et on va même gratter une heure aux avocats en disant que la loi disant “à l’issue de la 20e heure”, cela s’entend comme la 21e heure. Ce n’est que par une loi du 15 juin 2000 que l’avocat a pu enfin intervenir dès la première heure. Toujours sans accès au dossier. Croyante, non pratiquante, te disais-je, cher Jeannot;
4) Si la cour avait voulu dire que l’avocat devait être présent tout au long de la garde à vue, elle l’aurait dit explicitement. Oui, je suis d’accord, avec cette limite qu’elle statue sur ce qu’on lui demande de juger. Et ici, il n’y avait pas du tout d’avocat, là est la violation. Je ne crois pas que M. Didier puisse exciper de son côté d’une décision de la même cour consacrant explicitement le système français en disant que cet entretien d’une demi heure sans accès au dossier était satisfaisant au regard de la Convention. Donc miroir à paroles. Je reprends ici les mots de la cour : ”Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même” (Salduz, §54) et qu’ “Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.” (ibid. §55). un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.”(Danayan, §32). Si Guillaume Didier pouvait nous expliquer en quoi un avocat n’ayant pas accès au dossier pouvait au cours d’un entretien de 30 minutes maximum dont il lui est fait interdiction absolue de faire état auprès de quiconque organiser une défense, discuter l’affaire, rechercher des preuves favorables à l’accusé, et préparer les interrogatoires, je suis avide de ses lumières. Dans l’intervalle, je risque de rester convaincu de l’incompatibilité du système français avec la Convention européenne des droits de l’homme.
5) La cour dirait même expressément qu’il est admissible de retarder l’intervention de l’avocat. Écoutez bien ce passage. On sent le trouble du porte-parole. Il a failli dire que l’avocat était écarté deux voire trois jours. Il se rattrape à temps et dit juste “retardé” car le journaliste n’aurait pas laissé passer un argument aussi grossier. Voici ce que dit en réalité la cour européenne : c’est dans Salduz, §55 : “Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6 (…). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.” La cour admet cette éventualité pour aussitôt la restreindre. Or l’article 706-88 du CPP s’applique systématiquement à toutes les affaires qu’il concerne, sans distinction, seul l’officier de police judiciaire décidant souverainement de recourir à cette procédure dérogatoire. Là, Guillaume Didier fait dire à un arrêt le contraire de ce qu’il dit, ce qui ne manque pas de saveur quand il joue les gardiens du temple du respect de la parole de la cour.
— Alors que faire ?
— Ce sera si tu le veux bien l’objet d’un prochain billet, celui-ci risquant d’épuiser la patience de mes lecteurs. Maintenant, va me photocopier ces dossiers, et n’oublie pas de faire tes lignes pour demain.
Ce billet, écrit à 09:44 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit a suscité :
dimanche 22 novembre 2009
La Conférence Berryer poursuit ses travaux sur un rythme stakhanoviste et vous invite ce jeudi 26 novembre, salle des Criées du Palais de justice, à partir de 21h15 (mais fol serait qui viendrait à cette heure là) où elle recevra le comédien Vincent Elbaz.
Le rapport sera rendu par monsieur François Géry, qui vous démontrera pourquoi il porte bien son nom, et les sujets proposés seront les suivants :
Premier sujet : Le dernier gang a t il fait bang?
Deuxième sujet : Le péril jeune a t il vieilli?
Les candidats pourront utilement contacter la charmante Rachel Lindon (qui nous fera faux bond ce soir là en raison d’obligations professionnelles dirimantes, vous l’aurez deviné, pour qu’elles la tiennent éloignée de Vincent Elbaz) : rachellindon[at]hotmail.com
Ce billet, écrit à 15:48 par Eolas dans la catégorie La vie du palais a suscité :
jeudi 19 novembre 2009
La cour d’appel de Rouen vient de confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de grande instance de la même ville qui avait débouté le parquet de sa demande de contestation de la nationalité formée à l’encontre du brigadier Ounoussou Guissé (voir ce billet pour les détails de l’affaire). Le parquet est déclaré forclos à agir, les faits invoqués ayant plus de trente ans, qui était l’ancien délai de prescription de droit commun (rappel : il est désormais de cinq ans). C’est à dire que la cour d’appel approuve les juges qui ont dit que la question de la nationalité du père du brigadier Guissé ne se pose même pas, le parquet ayant trop attendu pour se la poser.
Vous pourrez relire avec profit dans ce deuxième billet sur l’affaire le communiqué du ministère des Auvergnats En Surnombre, il prend avec le recul une certaine saveur.
Et pour le coup de pied de l’âne, qu’il me soit permis de faire remarquer à notre excellent ministre qu’avant de parler d’identité nationale, il faudrait peut-être qu’il apprenne à reconnaître un Français quand il en voit un. Surtout s’il porte l’uniforme de l’Armée dans un théâtre d’opération hostile et ce faisant expose sa vie. C’est plus que ce que ceux qui lui contestaient sa nationalité ont fait eux-même.
Peut-être que maintenant, la France pourra permettre à son citoyen de faire venir son épouse et ses enfants, ce qui lui était jusqu’à présent refusé par le pays qu’il sert et pour lequel il s’est battu.
Tout est bien qui finit bien ? Non. Dans cette affaire, le déshonneur des ministres de l’Immigration (qui s’est mêlé d’une affaire qui ne relève pas de ses attributions pour se faire mousser), de la Justice (qui a piloté l’action en justice) et des Affaires étrangères (qui refuse depuis des années l’entrée du territoire à deux enfants français donc) demeure. Je ne suis pas sûr qu’il se prescrive, même par trente ans.
Ce billet, écrit à 10:44 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit a suscité :
samedi 14 novembre 2009
— Mon cher maître, que vous arrive-t-il ? Je vous vois le tein rougeaud, le souffle court, la robe débraillée et vous seriez échevelé si la nature n’y avait astucieusement pourvu.
— Ma chère lectrice, vous ici ? Quelle joie de vous voir. Comment êtes-vous entrée ?
— Votre stagiaire m’a ouvert la porte. Et vous, comment en êtes-vous arrivé là ?
— Ah ! Mon amie, je suis sous le choc de la nouvelle que je viens d’apprendre. Je n’arrive pas à croire ce qu’a osé faire le conseil d’administration de l’Office Français de Protection des réfugiés et Apatrides (OFPRA).
— Et qu’a-t-il fait que vous ne parveniez à croire ?
— Avant de vous le dire, un peu de thé et de droit. L’un et l’autre me remettront d’aplomb. Pour le thé, je prendrai du Darjeeling Castleton 2nd flush FTGFOP. Pour le droit, je prendrai le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA).
— Je m’occupe du premier, entretenez-moi donc du second.
— C’est à son livre VII que je vais m’intéresser, qui traite du droit d’asile et du statut de réfugié.
— Comment ? Ce n’est pas la même chose ?
— Certainement pas, et c’est un des nœuds du problème dont je vais vous entretenir.
— Expliquez-moi la différence pendant que l’eau chante dans la bouilloire.
— Le statut de réfugié est, en principe, accordé à toute personne « qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
— C’est le code ?
— C’est la Convention.
— Quelle convention ?
— La Convention de Genève du 28 juillet 1951, qui définit en son article 1A ce qu’est un réfugié.
— Et donc l’asile…?
— L’asile est un droit provisoire : c’est le droit qu’a un demandeur du statut de réfugié à séjourner dans le pays dont il sollicite la protection et d’être protégé contre tout risque de renvoi dans son pays d’origine. Il s’applique du moment où le demandeur pose un orteil sur le territoire national en s’exclamant : « je demande l’asile ! » jusqu’au moment où la France statue définitivement sur sa demande. Là, soit il devient réfugié, soit il redevient un étranger pouvant être éloigné de force dans son pays d’origine.
— J’ignorais cette distinction.
— Vous n’êtes pas la seule. Brice Hortefeux, quand il était ministre des auvergnats, ne savait pas faire la différence. Témoin cette déclaration lors de l’ouverture des débats sur la future loi du 20 novembre 2007 : «L’asile n’est pas et ne sera pas la variable d’ajustement de notre politique d’immigration. Il a sa finalité propre : protéger les personnes qui ne le sont plus dans leur pays.»
— En effet, la confusion est patente. Quelle fut la réaction des députés face à cette erreur grossière qui ne pouvait leur échapper dans une matière sur laquelle ils se préparaient à légiférer ?
— “Applaudissements sur les bancs du groupe UMP”.
— Je préfère me taire et verser l’eau dans la théière.
— Vous avez bien raison. Le Darjeeling l’emporte sur monsieur Hortefeux en ce qu’il en sort toujours quelque chose de bon. Ce droit d’asile, précisément, est à la source du prédicament qui m’a mis dans tous mes états.
— Je crois deviner. Le droit d’asile donne un droit au séjour sur le territoire… C’est donc une chatière dans la Grande Muraille dont le législateur rêve d’enceindre la France…
— Avec la même efficacité que la première, gageons-le. En effet, à force de multiplier les obstacles sur la route des étrangers qui voudraient venir chercher en France les deux piliers sur lequel on bâtit l’espoir…
— Et qui sont…?
— Le pain et la liberté. L’asile est devenu disais-je une voie d’entrée pour des gens qui ne relèvent pas en réalité de ce statut. Surtout qu’autrefois, le statut de demandeur d’asile donnait un droit au séjour qui autorisait à travailler.
— Comment ? Ce n’est plus le cas ?
— Non.
— Mais comment font-ils pour vivre ?
— Ils touchent une allocation au nom charmant d’Allocation Temporaire d’Attente, payée par les ASSEDIC (ne me demandez pas pourquoi) de l’ordre de 300€ par mois. Quand elle est payée, puisque de 2002 à 2008, le budget alloué à cette ATA est passé de 162 millions d’euros à 28 millions. Le nombre des demandeurs est passé, sur la même période, de 52000 à 48000. Notez l’intelligence de la politique : avant, les demandeurs d’asile travaillaient et cotisaient aux ASSEDIC. Maintenant, ils n’y travaillent plus et touchent des allocations. Et après, on les traitera de parasites.
— Il y a donc de la fraude à l’asile ?
— Des demandes mensongères, oui, c’est certain, c’est même une majorité. D’où l’importance de la vigilance des personnes en charge d’instruire ces demandes, qu’on appelle Officiers de Protection (OP), du fait qu’ils travaillent pour l’Office Français de Protection des Réfufiés et Apatrides (OFPRA). Ils doivent chercher la pépite, le vrai dossier, parmi les fantaisistes.
— Et ils y arrivent ?
— C’est bien là le problème. Tout se joue lors d’un entretien en tête à tête (ou en tête à tête à tête, dans l’hypothèse fréquente où un interprète est nécessaire). En théorie, ça marche bien. Les OP sont spécialisés dans leur région du monde (qui à l’OFPRA est divisé en quatre : Europe, Asie, Amérique-Maghreb et Afrique) et connaissent fort bien à la longue la situation politique des pays de leur secteur. On ne la leur fait pas. En outre, la forme du récit, la richesse des détails fournis, la cohérence et la crédibilité de l’ensemble sont déterminants. Une personne qui raconte son viol par une milice en bâillant d’ennui n’est pas crédible. Mais cela suppose que l’OP ait le temps de potasser son dossier, de faire des recherches, bref ait les moyens de faire son travail.
— Je devine la suite.
— Dame ! La politique de la rustine et du chiffre. Les lois ont multiplié les moyens de bâcler les dossiers à moyens constants, en inventant des horreurs comme les procédures prioritaires (un préfet peut décider que tel dossier devra être traité en un temps réduit par l’OFPRA qui n’a pas son mot à dire) ou les pays d’origine surs (POS) et nous y voilà.
— À ce qui vous a mis dans cet état ?
— Absolument. Laissez moi boire un peu de thé, je vais en avoir besoin.
— Du sucre ?
— Jamais de sucre, même face à l’apocalypse.
— Un non aurait suffit. Vous me parliez des pays d’origine surs ?
— L’idée de départ n’est pas mauvaise en soi. C’est une règle européenne (directe CE du 1er décembre 2005) qui permet à un État de fixer une liste de pays réputés sûrs qui fait présumer qu’une demande venant de ce pays est infondée.
— Comme la Suisse, Monaco ou les États-Unis ?
— Vous vous gaussez ? Non, ces pays ne sont pas réputés sûrs. Le sont en revanche l’Algérie, le Bénin, la Bosnie Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, la Géorgie jusqu’à vendredi, j’y reviens, le Ghana, Haïti, l’Inde, la Macédoine, Madagascar, le Mali, la Mongolie, l’Île Maurice, la Tanzanie, et l’Ukraine. Pays fournissant pourtant pour certains un contingent de réfugiés non négligeable. Par exemple, les femmes maliennes menacées d’excision dans leur pays peuvent obtenir le statut de réfugié (en fait, la protection subsidiaire, qui est un statut de réfugié élargi à des cas n’entrant pas dans la Convention de Genève, mais passons). Je ne conteste pas que la Croatie y figure, elle est sur le point d’entrer dans l’Union. Mais la Bosnie, je tique.
— Qui décide de cette liste ?
— le Conseil d’administration de l’OFPRA. Ce conseil avait tenté d’ajouter à la liste l’Albanie et le Niger, ce qui, quand on connait la situation dans ces deux pays, était un outrage fait à la vérité. Le Conseil d’État, qui est plutôt coulant en la matière, a été obligé de censurer.
— Vous dites que la Géorgie y figurait jusqu’à vendredi ?
— Oui. Il aura fallu presque un an et demi pour que le Conseil d’administration admette que le fait qu’un quart du territoire soit occupé par une puissance étrangère était peut-être bien un indice d’insécurité. Mais sans doute pris de vertige à l’idée d’avoir aidé des réfugiés, le conseil a rétabli la balance cosmique en ajoutant trois pays à la liste : l’Arménie, la Serbie et, voilà l’origine de mon émoi, la Turquie.
— Mais je croyais que vous étiez favorable à l’entrée de la Turquie en Europe ?
— Non : la Turquie EST en Europe, c’est un fait géographique, historique et culturel (elle participe à l’Europa League de football et à l’Eurovision…).C’est à son entrée dans l’Union Européenne que je suis favorable. Mais certainement pas demain : elle n’est pas au standard européen en matière de protection des droits de l’homme. Elle est un des pays les plus condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme (avec la France, c’est vous dire si nous avons des points culturels communs) et est l’origine d’un grand nombre de réfugiés relevant de la division Europe de l’OFPRA.
— Vraiment ? Midnight Express est encore d’actualité ?
— Non, la Turquie change. Mais elle a encore deux problèmes : les Kurdes et les militants d’extrême gauche. Les premiers sont une minorité qui parle sa propre langue (qui s’écrit en caractères arabe alors que le turc a recours à l’alphabet latin) et qui a longtemps été privée de tout droit à vivre dans sa spécificité. Les choses changent, des partis kurdes existent et il y a même une télévision publique en langue kurde. Mais souvenir des années de lutte féroce, il existe des mouvements indépendantistes violents, comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK) d’Abdullah Oçalan qui ont recours au terrorisme et font des opérations de guérilla dans le Kurdistan turc (sud est du pays, près de la frontière irakienne et syrienne). La population, coincée entre le marteau et l’enclume, fuit cette zone et vient se réfugier en France. Certains ne fuient que la misère. Quant à l’extrême gauche turque, elle est restée très old school : la dictature du prolétariat doit au besoin être imposée par la force. D’où une collection de lois d’exception où toutes les libertés sont mises de côté sous prétexte de la lutte contre le terrorisme. Quand je vous dis que la Turquie est proche de nous culturellement…
— Vous êtes ironique : n’exagérez-vous pas un peu ?
— Je vais donner la parole à une spécialiste de la question. Je cite :
Cette demande [du statut de réfugié de la part de ressortissants turcs, 2732 dossiers en 2008] traditionnelle ne connaît aucune évolution notable et est toujours composée au moins à 80 %de demandeurs d’origine kurde qui revendiquent soit un militantisme personnel au sein de partis kurdes, généralement le DTP (Demokratik Toplum Partisi, Parti de la Société Démocratique), soit une aide et une assistance apportée aux combattants du PKK. Par ailleurs, les militants de cette organisation, qui disaient venir des camps du nord de l’Irak et dont le parcours et la provenance restaient difficiles à établir, semblent moins nombreux. Un nombre croissant de demandes est en fait constituéde 2ème ou 3ème demandes émanant de personnes déclarant être rentrées en Turquie après avoir été déboutées. Elles invoquent alors une courte détention à l’aéroport et affirment avoir par la suite repris leur militantisme, ce qui les aurait conduits à fuir après avoir de nouveau subi des persécutions. L’Office reçoit toujours un petit flux régulier de militants syndicaux ou d’extrême gauche ainsi que des demandeurs invoquant des motifs relevant de la protection subsidiaire. Il s’agit souvent de femmes mettant en avant des difficultésd’ordre privé ou déclarant fuir un mariage forcé.
— Et qui dresse cet état des lieux sans complaisance ? Une association de gauchistes ?
— Non. C’est l’OFPRA, dans son rapport 2008 (pdf, page 23).
— L’OFPRA ? Dont le Conseil d’administration vient de décider…
— Que la Turquie est un pays sûr. Formidable cas de schizophrénie administrative.
— Et quels sont les conséquences pour les demandeurs turcs ?
— Elles sont terribles. Ils n’ont plus de droit d’asile : ils peuvent être reconduits en Turquie pendant l’examen de leur demande. Ils ont des délais réduits pour présenter leur demande et n’ont pas droit à l’Allocation Temporaire d’Attente ni à être logé en Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA). Et ils n’ont bien sûr pas le droit de travailler. Enfin, leur demande peut être rejetée sans entretien avec un OP, alors que je vous ai expliqué que cet entretien est l’élément essentiel de la prise de décision.
— Mais quelle proportion des dossiers présentés par des turcs aboutit à un octroi du statut de réfugié ?
— En 2008, un sur quatre, 704 exactement (source : rapport 2008, op. cit.).
— Vous voulez dire que le Conseil d’administration de l’OFPRA a déclaré sûr un pays qui fournit chaque jour deux réfugiés au sens de la Convention de Genève ?
— Oui. Tout comme il a considéré sure la Bosnie, qui détient le record du taux d’accord pour la zone Europe avec un dossier sur deux accepté.
— Mais… C’est une honte ! Un scandale ! Une forfaiture !
— Ma chère lectrice, vous voilà à présent dans le même état que moi, le rouge aux joues, le sein bondissant d’indignation, et la tasse de thé tanguant dangereusement. Oui, ma chère, c’est à un attentat contre l’asile que nous venons d’assister. Je sais que le GISTI et d’autres usual suspects préparent un recours. Je croise tout ce que la Nature m’a donné de doigts pour que le Conseil d’État y mette bon ordre promptement. Je confesse un optimisme modéré, vu la jurisprudence de ce dernier en la matière.
— Mais comment une telle décision peut-elle être prise ?
— Mais la politique, la pure politique, ma chère.
— Comment pouvez-vous en être si sûr ?
— Lisez cet extrait du journal officiel des débats parlementaires, séance du Sénat du 22 septembre 2009. Mais d’abord, laissez-moi vous ôter des mains cette tasse de thé, sinon vous allez tacher mes codes tout neufs.
Ce billet, écrit à 01:59 par Eolas dans la catégorie Droit des étrangers a suscité :
jeudi 12 novembre 2009
L’Académie Busiris, réunie en sous-section, vient de décerner le prix Busiris à monsieur Éric Raoult, député de la 12e circonscription de Seine Saint Denis et maire du Raincy, dans le même département.
Les propos primés ont tout particulièrement retenu l’attention de l’Académie car ils ont été publiés au Journal Officiel de la République (dans son édition consacrée aux débats parlementaires) le 10 novembre dernier (question n°63353). Les voici, tels qu’à jamais gravés dans la mémoire de la république, c’est-à-dire avec les approximations grammaticales (et bien sûr juridiques) non corrigées.
M. Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du prix Goncourt. En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays. Les prises de position de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, qui explique dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve « cette France [de Sarkozy] monstrueuse », et d’ajouter « Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux », sont inacceptables. Ces propos d’une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du chef de l’État. Il lui semble que le droit d’expression ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de comptes personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, et de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi il lui paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière.
Tout d’abord, et le ministre de la culture et de la communication aura rectifié de lui-même, le devoir de réserve ne peut en tout état de cause être dû aux lauréats mais dû par les lauréats : cette erreur de préposition fait du lauréat le créancier alors que dans l’esprit la tête du député, il en serait évidemment le débiteur.
Le propos juridiquement aberrant est donc qu’un écrivain serait soumis à un devoir de réserve sous prétexte qu’il aurait été honoré d’un prix littéraire. À cette lecture, et sans violer le secret des délibérations, l’Académie unanime s’est exclamée : « Gné ? » ce qui révèle sa surprise, son désarroi et pour dire le tout, sa détresse face à ce naufrage.
Rappelons les textes applicables en la matière à toute personne, ce qui inclut, vérification faite, les écrivains, mais aussi, même si parfois on en vient à le regretter, les députés.
À tout seigneur tout honneur, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est en vigueur et a même valeur constitutionnelle, c’est à dire supérieure à la loi, en son article 10 :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Reconnaissons qu’à l’époque, les députés savaient manier la langue française.
L’Europe est aussi de la partie puisqu’un autre article 10, celui de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, dite Convention Européenne des Droits de l’Homme brevitatis causa.
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
« 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Et n’en déplaise à monsieur le député, l’expression critique à l’égard du pouvoir en place, si elle peut troubler la digestion d’un député de Seine Saint Denis, ne trouble pas l’ordre public, la sécurité nationale, la sûreté publique, la santé, ou la morale. J’ajouterais même qu’elle est, y compris dans ses excès, nécessaire dans une société démocratique.
Et ce fameux devoir de réserve, alors ?
C’est une création jurisprudentielle du Conseil d’État (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, n° 28238). au domaine très délimité : il frappe les fonctionnaires et agents publics (les magistrats ne sont pas des fonctionnaires au sens strict car ils ont leur statut propre, mais ils sont soumis au devoir de réserve), et eux seulement.
Le statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) en son article 6 proclame la liberté d’expression des fonctionnaires, qui sont des citoyens comme les autres. Mais le Conseil d’État a apporté une limite à cette liberté, le devoir de réserve, que le Conseil n’a pas défini (que diantre, il n’est pas législateur) mais qui apparaît au fil des décisions comme une obligation de modération sur la forme, liée à l’obligation de neutralité de l’État qui s’exprime à travers ses agents, et à l’obligation de loyauté de ceux-ci envers l’État dont il se sont faits les serviteurs. Question de cohérence, en somme. Le Conseil d’État ayant précisé que les élus syndicaux sont largement déliés de ce devoir, l’action syndicale s’accompagnant volontiers d’une certaine outrance revendicative.
Le devoir de réserve est souvent invoqué à tort et à travers par des gens qui n’y ont rien compris comme interdisant à un fonctionnaire de s’exprimer, y compris parfois sur des affaires purement privées. Éric Raoult, à son corps défendant, nous en fournit un exemple qui va encore plus loin puisqu’un écrivain, fût-il primé, n’est pas fonctionnaire pour autant, d’autant que le prix Goncourt (d’un montant rappelons-le de dix euros) est remis par la société littéraire des Goncourt, association loi 1901 reconnue d’utilité publique, c’est-à-dire une personne privée.
La question qui a fait débat est celle de la mauvaise foi. Éric Raoult n’est-il pas, au fond, convaincu que les écrivains seraient tenus à un devoir de réserve, et n’est-il pas sincère dans son interpellation, ce qui exclurait le Busiris ?
Plusieurs éléments ont fait opiner en faveur de la mauvaise foi. L’élément essentiel est la publicité donnée par ce député à la question qu’il se préparait à poser, au mépris de la courtoisie élémentaire due à un ministre qui voulait qu’on lui en réservât la primeur. La recherche manifeste de médiatisation crée une présomption de mauvaise foi.
De plus l’Académie a estimé que s’agissant d’une personne qui a été député depuis 1986 (avec une interruption de 1997 à 2002), deux fois ministre, et aujourd’hui vice président de l’assemblée nationale, une certaine connaissance du droit pouvait sinon s’induire, du moins être exigée.
Ajoutons à cela qu’en 2005, en tant que maire du Raincy, lors des émeutes de l’automne, il fut le premier à proclamer l’état d’urgence dans sa commune pourtant épargnée par les actes de violence afin de griller la politesse au premier ministre, ce qui montre une certaine tendance à la gesticulation inutile pour attirer l’attention sur lui.
Ce qui établit en même temps le mobile d’opportunité politique, et emporte la décision.
Le prix lui est donc décerné avec la mention très déshonorable.
L’Académie adresse ses félicitations à l’heureux gagnant et remercie ses collègues de l’Académie Goncourt de lui avoir fourni cette occasion de poilade.
Ce billet, écrit à 10:42 par Eolas dans la catégorie Prix Busiris a suscité :
Des lecteurs m’ont signalé que mon billet précédent, rédigé un peu rapidement, était erroné dans son titre. C’est tout à fait exact, et je suis assez sévère avec les approximations des autres pour ne pas me pardonner les miennes, et je vous présente mes excuses.
Le jugement du tribunal administratif n’ouvre pas la porte à l’adoption pour les couples homosexuels puisque la loi n’ouvre l’adoption plénière qu’aux célibataires et couples mariés : c’est l’article 346 du Code civil.
Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux.
Le principe est en effet que l’adoption ne concerne que deux personnes : l’adoptant et l’adopté. Par exception, la loi permet à aux deux membres d’un couple marié d’adopter; l’adoption visant à recréer un lien de filiation, la loi permet d’aller au bout de la logique : le mari sera père adoptif, l’épouse la mère adoptive. La loi exige pour cet exception le cadre légal le plus stable qui soit : le mariage. En effet, une séparation supposera nécessairement le passage devant le juge, qui pourra alors statuer sur le sort de l’enfant adoptif en s’assurant que son intérêt est respecté.
Or, comme je vous en avais entretenu il y a fort longtemps, le mariage n’est pas possible entre personnes de même sexe (il est possible pour deux homosexuels de se marier, s’ils sont de sexe différent, mais la chose présente dès lors moins d’intérêt pour eux).
Donc, la situation actuelle est la suivante : si deux homosexuels (je rappelle que le masculin est neutre en grammaire, et que deux femmes vivant en couple sont des homosexuels comme les autres) vivent en couple, seul l’un d’entre eux pourra adopter un enfant.
Néanmoins, là aussi, les choses évoluent, et une autre décision récente apporte un sérieux tempérament.
La cour d’appel de Rennes vient d’accepter qu’une femme, ayant vécu en couple avec une autre femme et qui s’en était séparée, et qui avait eu un enfant à la suite d’une insémination artificielle pratiquée en Belgique (où la législation est plus souple qu’en France), qu’elles avaient élevé ensemble, délègue son autorité parentale à son ex-compagne. Notons au passage que le parquet a appuyé la requête de la mère en requérant que le juge y fît droit, ce qui semble exclure un pourvoi (encore qu’il y a des précédents…).
La délégation de l’autorité parentale (art. 377 du Code civil) permet à un des parents de déléguer tout ou partie de son autorité à un “proche digne de confiance”. Cette délégation a lieu par un jugement du juge aux affaires familiales, s’il estime que c’est conforme à l’intérêt de l’enfant. Et ici, tel était le cas, pour que l’ex-compagne garde des liens quasi-maternels avec l’enfant, ui la considère comme sa deuxième mère.
Cette décision va même assez loin puisque cette délégation a été demandé par un couple séparé : ce n’est même plus le couple marié qui est recréé ici mais le couple divorcé.
Donc un homosexuel vivant en couple pourra désormais adopter un pupille de l’État, puis, le jugement prononcé, demander une délégation de l’autorité parentale au profit de son compagnon.
C’est une avancée certaine, mais pas encore une victoire, car le compagnon n’aura aucun lien de paternité avec l’enfant, et cela a des conséquences, notamment fiscales.
Ce qui ne retire rien à l’inexactitude de mon titre d’hier, ce dont je vous demande encore pardon.
Et puisqu’on en est aux excuses, je suis désolé de mon absence des commentaires. Je n’arrive plus à les suivre, au rythme de 200 par jour. N’hésitez pas du coup à me signaler les commentaires que vous estimeriez douteux ou déplacés (page me contacter).
Bonne journée à tous.
Ce billet, écrit à 00:45 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit a suscité :
mardi 10 novembre 2009
C’est tombé ce matin : le tribunal administratif de Besançon a annulé un refus d’agrément à l’adoption opposé à un couple homosexuel. La nouvelle n’était pas totalement inattendue, puisqu’il survient après la condamnation de la France par la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans cette affaire dont je vous avais entretenu ici.
C’est donc la fin d’une formidable hypocrisie vieille de plus de 20 ans. La France n’interdit pas en effet l’adoption par un couple homosexuel. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Gouvernement français qui expliquait cela benoîtement devant la CEDH (je me demande si Christine Boutin était au courant que son Gouvernement soutenait ça devant la cour…). Seulement, c’est ballot, en 20 ans, aucun couple homosexuel candidat à l’adoption n’offrait les garanties d’équilibre et de stabilité exigés pour cet agrément, préalable indispensable à ce qu’un jeune enfant adoptable leur soit confié en vue de l’adoption. C’est dingue, parfois, les probabilités…
Je vous renvoie à mon précédent billet sur cette affaire où vous verrez comment on évite soigneusement la question de l’homosexualité du requérant en s’interrogeant sur une conduite d’évitement de la « violence » de l’enfantement et de l’angoisse génétique à l’égard d’un enfant biologique, ou comment on parle pudiquement de “contexte d’accueil” et de “cadre de vie”.
Hop, dans les poubelles de l’histoire. Décidément, les 10 novembre, les murs ont tendance à tomber.
Ce billet, écrit à 10:54 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit a suscité :
vendredi 6 novembre 2009
Par Justice, juge des enfants, invité de ce blog. Mes lecteurs se souviendront de cette première contribution il y a un an déjà.
L’idée fait son chemin et on peut reconnaître aux hommes politiques leur persévérance … En effet, chacun se souvient des arrêtés communément appelés « couvre feu pour les mineurs » pris par certains Maires, soucieux de la protection des mineurs : Sorgues, Gien, Dreux, Orléans, etc..
Celui de la commune de Cagnes-sur-Mer (50.000 habitants) , pris le 28 décembre 2000, exigeait par exemple que les enfants mineurs de moins de treize ans devaient être accompagnés par une personne majeure entre 22 heures et 6 heures du matin, lorsqu’ils se déplaçaient dans trois secteurs géographiques de la commune. Cet arrêté prévoyait également que tout mineur non accompagné serait conduit au commissariat de police qui prendrait contact avec les parents et que ceux-ci s’exposaient aux poursuites pénales sur la base de l’article R. 610-5 du Code pénal
Aujourd’hui, Brice Hortefeux, Ministre de l’Intérieur, lance une « réflexion » autour d’un couvre-feu ciblé sur des mineurs délinquants:
«je suis de plus en plus partisan d’une mesure qui aurait le mérite de la simplicité, de la lisibilité et de l’efficacité : qu’un jeune de moins de 13 ans qui aurait déjà commis un acte de délinquance ait une interdiction de sortie nocturne s’il n’est pas accompagné d’un adulte »
Il s’agit, ni plus ni moins, de la même idée, vous l’aurez noté … un peu comme du copier coller.
Mon propos n’est pas d’aborder la légalité de tels « couvre-feu ». Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se pencher sur ce point (pdf).
Non, il s’agit plutôt, en tant que juge des enfants, de se questionner sur l’intérêt d’une énième loi en matière de sécurité (qui serait d’ailleurs difficilement applicable mais c’est un autre problème) sachant que l’objectif affiché est : la protection des mineurs de moins de 13 ans trainant le soir …
Nos concitoyens doivent en effet savoir que, depuis 1945, il existe en France un magistrat spécifiquement chargé de la délinquance des mineurs. Vous me direz, il n’a rien à voir dans l’affaire puisqu’un gamin de 12 ans, livré à lui-même la nuit dans les rues, n’a pas forcément commis de délits. Et vous avez raison ! C’est précisément pour cela que le législateur, dès 1958, a étendu la compétence du juge des enfants aux mineurs en danger. Depuis 51 ans, ce magistrat a la lourde charge de protéger les mineurs confrontés à une situation de danger au sein de leur famille.
Alors, pourquoi donc ne pas parler du juge des enfants lorsque l’on se préoccupe réellement de la protection des mineurs livrés à eux mêmes ? A chacun de se faire sa réponse. Peut-être pense-t-on qu’il est inefficace puisque par définition les mineurs commettent toujours plus de délits (je vous invite quand même à aller consulter les derniers chiffres officiels commentés sur la délinquance des mineurs ; ils sont de 2007 mais je n’y peux rien, ce sont les derniers …) et trainent en bande la nuit !
Il serait quand même intéressant de savoir comment est traité le problème de ces gamins en France car nous en sommes tous d’accord, un enfant de 12 ans n’a rien à faire dans les rues en pleine nuit. De nombreuses questions méritent alors d’être posées sur ses conditions d’éducation. C’est le boulot du juge des enfants et des services travaillant à ses côtés que d’y répondre.
Des « sanctions » existent contre les parents défaillants, allant du retrait de l’autorité parentale (article 378-1 du code civil) à la condamnation devant un tribunal correctionnel s’ils ont, par leur comportement, mis en danger leur enfant (article 227-17 du Code Pénal).
Mais la difficulté doit avant tout passer par une « aide » pour ces parents qui ne savent pas ou plus donner de bons repères à leur enfant.
L’assistance éducative, c’est à dire la saisine du juge des enfants, est donc pleinement justifiée.
Il faut espérer que les communes particulièrement confrontées à ces « gamins du soir » alertent les services sociaux et le Procureur de la République. Dans ce cas, on voit mal pourquoi le débat vient d’être lancé de cette façon aussi biaisée.
Pour parler de ce que je connais, à savoir les moyennes agglomérations, je n’ai jamais reçu une information de la Police m’informant qu’un jeune avait été contrôlé dans la rue en pleine nuit. Peut-être que le problème n’existait pas dans ces départements… Il faut alors s’en réjouir !
Commençons par « exploiter » (à l’heure où la fonction du juge des enfants est ponctuellement remise en cause pour les volets répressif et protecteur qu’elle comporte) le dispositif de protection de l’enfance qui existe en France. Signalons aux Procureurs de la République ces gamins errants, ces « gamins du soir » et demandons aux travailleurs sociaux d’évaluer leur situation familiale. Certains diront : mais nous n’aurons pas suffisamment de moyens ! Est-ce dire que les Préfets, les Policiers en auront de meilleurs ? Au surplus, une fois le gamin raccompagné dans sa famille par des policiers, le problème demeurera entier …
Ce billet, écrit à 00:28 par Eolas dans la catégorie Commensaux a suscité :
jeudi 5 novembre 2009
Cette question semble ainsi obnubiler un ministre qui n’a visiblement pas d’autres préoccupations plus importantes, c’est dire si la France va bien et est admirablement gérée.
Comme d’habitude, on oublie de se tourner vers le droit, qui a pourtant des éléments de réponse.
Pour parodier un grand spécialiste de l’identité nationale, quand un juriste entend le mot “nationalité”, il dégaine son Code civil.
C’est là que sont définies les conditions très strictes de l’acquisition de la nationalité. Je rassure toutefois notre ministre bien-aimé, le droit se contente en fait de dire qui est français, pas ce que c’est. Le droit est en effet une matière bien trop sérieuse pour perdre son temps avec des questions qui n’ont pas vraiment de réponse, puisque chacun a la sienne et qu’aucune ne peut prétendre être la bonne.
► La première catégorie de Français, et la plus nombreuse, est la catégorie des Français qui se sont donnés la peine de naître, pour citer Beaumarchais, né à une époque où la nationalité française n’existait pas (c’est une invention révolutionnaire). Ce sont les Français d’origine, ainsi appelés car ils sont français dès l’instant de leur naissance, sans avoir rien demandé à personne. Ils se divisent en deux (car si la Nation est Indivisible, le droit de la nationalité adore les divisions, c’est son côté rebelle).
D’abord, les Français par filiation : est français l’enfant de Français (art. 18 du Code civil). C’est le fameux droit du sang, le jus sanguini, qui pose qu’est de telle nationalité l’enfant de ce lui qui est de telle nationalité, par opposition au droit du sol, jus soli, qui veut qu’est de telle nationalité celui né sur le territoire de tel État, qui sont les deux façons envisageables d’attribuer une nationalité, chaque pays recourant à l’une ou l’autre de ces règles en les assaisonnant à sa façon.
Mes lecteurs les plus sagaces auront tout de suite vu la difficulté : le problème n’est pas réglé, il n’est que transféré à la génération précédente. Comment le père ou la mère (un seul des deux suffit) était-il lui-même Français ?
D’où la deuxième catégorie, mélange de droit du sang et de droit du sol, qui sert de filet de sécurité : est Français l’enfant né en France d’un parent lui-même né en France quelle que soit sa nationalité (art. 19-3 du Code civil). Ainsi, si vous êtes né en France et qu’un de vos parent est lui-même né en France, vous n’avez pas à vous soucier de prouver sa nationalité, vous avez prouvé la vôtre. Et si vous êtes né à l’étranger, il vous suffit de prouver qu’un de vos parents est né en France d’un grand-parent né en France, et vous voilà cocardisé. Sauf que pour les Français dont les parents sont nés dans les anciennes colonies, qui ne sont pas considérées comme territoire français avant la décolonisation pour ce qui concerne la nationalité française, le casse-tête reste entier, avec parfois des conséquences traumatisantes.
Il y a aussi des exceptions même pour ceux nés en France métropolitaine (le droit est la science des divisions et des exceptions) : si les parents nés en France ont vécu un demi-siècle à l’étranger et n’ont pas la possession d’état de français, et que leur enfant n’a pas non plus cette possession d’état, l’acquisition de la nationalité ne joue pas (article 30-3 du Code civil) et le parquet peut faire retirer la nationalité française de celui qui étant dans cette situation l’aurait néanmoins obtenue (art. 23-6 du Code civil). Création des abjectes lois Pasqua de 1993, une des pires œuvres législatives de la République qui s’y connait pourtant en la matière.
Un mot sur la possession d’état, notion importante, à tel point que le législateur s’est abstenu de la définir. C’est un concept emprunté au droit romain de la filiation, les règles de nationalité s’étant largement inspirée de ce droit (le citoyen est un peu l’enfant de la mère patrie, patrie venant d’ailleurs du latin pater, le père (le nationalisme relèverait-il donc d’un Œdipe mal réglé ?), et qui suppose trois conditions : que la personne se dise française (le nomen), soit traitée comme un français par les autorités (le tractatus) et soit considérée par son entourage comme française (la fama). Il faut dire que dans la plupart des cas, la personne se croit vraiment française. J’y reviendrai lors de l’examen de la troisième catégorie.
Ajoutons quelques cas particuliers : l’enfant né de parents inconnus et l’enfant qui sinon naîtrait apatride en France, se voient conférer la nationalité française ; on ne peut naître apatride en France. Mais la générosité de la France a ses limites : si au cours de sa minorité on découvre que l’enfant né apatride ou de parent inconnus acquiert la nationalité d’un de ses parents (l’un des parents inconnus se manifeste et il est Syldave, or la loi syldave donne la nationalité syldave à l’enfant d’un syldave même né à l’étranger), l’enfant perdra la nationalité française et même sera réputé ne jamais l’avoir été. Oui, côté mère adoptive, la France est vraiment pas terrible (art. 19 et 19-1 du Code civil).
Comme vous le voyez et contrairement à une légende colportée par le Front national, le seul fait de naître en France ne suffit pas à conférer la nationalité française. Le droit du sol existe, mais pour faire effet dès la naissance, il faut que ce soit un double droit du sol : être né en France d’un parent lui-même né en France. Et pour ceux qui voudraient supprimer cette catégorie pour satisfaire leurs instincts xénophobes, je précise que c’est elle seule qui leur donne la certitude de pouvoir prouver leur nationalité française le jour où on leur demandera. Attention donc, à force de haïr les étrangers, de ne pas en devenir un soi-même. Le droit du sol simple existe certes, nous allons le voir tout de suite, mais le sol français est aride : il y a d’autres conditions à remplir avant que la nationalité française n’y germe.
► La deuxième catégorie est celle des Français par acquisition.
Non, ce ne sont pas les descendants d’esclaves achetés pour les colonies, ce sont les Français qui ne sont pas nés Français mais le sont devenus par la suite.
D’abord (par ordre d’apparition dans le Code) viennent les conjoints de Français. Au bout de quatre ans de mariage, cinq ans si le conjoint n’a pas vécu au moins trois ans en France, et à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait une connaissance suffisante de la langue (la communauté de vie est vérifiée par la convocation simultanée des deux époux pour la déclaration, la maitrise de la langue par le fait que toutes les questions sont posées au conjoint étranger ; le conjoint français a vraiment l’impression de perdre une demi-journée, et ce n’est pas une impression, mais depuis le jour de ses noces on lui fait comprendre qu’il est suspect du fait d’avoir épousé un étranger ; je parle d’expérience), le conjoint peut déclarer acquérir la nationalité française. Cette déclaration se fait au tribunal d’instance. Dans le délai d’un an, le ministre chargé des naturalisations peut s’opposer par décret à cette acquisition pour indignité ou défaut d’assimilation, autre que linguistique (ce point a été vérifié par le juge d’instance). C’est ce qui s’est passé dans l’affaire dont je vous avais parlée de cette femme qui portait le Niqab. Article 21-2 du Code civil.
Viennent ensuite les conjoints du président de la République, qui bénéficient d’une procédure médiatique à effet immédiat. (Aucun article de loi ne prévoit cela, mais depuis quand la loi s’applique-t-elle au plus haut du pouvoir ?)
Voici venir à présent le droit du sol, les Français par la naissance et la résidence en France (j’insiste sur le et la résidence) : devient automatiquement Français le jour de ses 18 ans l’enfant né en France de parents étrangers qui réside en France le jour de ses 18 ans, et qui y a résidé au moins 5 ans, de manière continue ou non, depuis ses 11 ans. Qu’une seule condition défaille, et il n’y a pas d’acquisition de la nationalité. Article 21-7 du Code civil.
L’intéressé peut renoncer à la nationalité française dans les six mois précédant son 18e anniversaire et les 12 mois le suivant, s’il prouve avoir une autre nationalité (on ne devient pas apatride en France). Dans ce dernier cas, il est réputé n’avoir jamais été français.
À l’inverse, l’enfant né en France de parents étrangers peut anticiper cette acquisition par déclaration : soit lui-même à partir de ses seize ans, soit ses parents en son nom à partir de ses treize ans. Dans ce dernier cas, la condition de 5 ans de résidence court à compter de ses 8 ans. Article 21-11 du Code civil.
► troisième catégorie : les Français par déclaration. La loi permet à des étrangers se trouvant dans certaines situations précises d’obtenir la nationalité par déclaration. C’est automatique mais suppose une démarche volontaire (auprès du juge d’instance), et la vérification que les conditions légales sont remplies.
Il s’agit d’abord des mineurs adoptés par des Français, recueilli légalement par des Français depuis 5 ans, ou l’Aide Sociale à l’Enfance depuis 3 ans, ou par un organisme agréé qui lui a permis de suivre un enseignement en France pendant 5 ans. Article 21-12 du Code civil.
Cela recouvre aussi les étrangers invoquant 10 ans de possession d’état de français. Article 21-13 du Code civil.
C’est d’ailleurs ce que suggère, toute honte bue (mais on sait sa soif inextinguible) Éric Besson au brigadier Guissé. Il a la possession d’état de français : il se dit français (et se croyait sincèrement français), est traité comme français par l’armée de terre et par l’administration qui lui a délivré deux certificats de nationalité, et il porte l’uniforme et les armes françaises (Nomen, Tractatus, Fa-Mas). En somme, “rendez moi votre nationalité, je vous la rends tout de suite (enfin un ou deux ans plus tard, ça prend du temps ces procédures. Bon, vous serez humilié et rayé des cadres de l’armée, dans l’intervalle, et alors, où est le problème ?)”.
On rattache à cette catégorie les français par réclamation : il s’agit des étrangers privés de la nationalité française par filiation du fait de la résidence prolongée à l’étranger de leurs parents (art. 21-14 du Code civil). La loi leur permet de réclamer la nationalité française, à condition qu’ils aient conservé ou acquis avec la France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial, soit effectivement accompli des services militaires dans une unité de l’armée française ou combattu dans les armées françaises ou alliées en temps de guerre.
► Quatrième et dernière catégorie : les français par décision de l’autorité publique. Ce sont les naturalisés.
Le cas le plus fréquent est celui de l’étranger qui le demande. La demande se fait en préfecture, et c’est là sans doute le service préfectoral le plus sinistré de tous. C’est une honte, un scandale sans nom. Le délai en région parisienne est de deux ans pour avoir un rendez-vous rien que pour retirer le formulaire de demande de naturalisation. Sachant qu’une fois que vous l’avez, vous devez réunir des pièces administratives en nombre, certaines de votre pays d’origine et traduites à vos frais, d’autres datées de moins de trois mois, et que si vous ne les avez pas réunies dans les six mois, votre demande part à la poubelle, tout est à refaire : art. 35 du décret du 30 décembre 1993.
Une fois le dossier déposé, il n’y a plus qu’à attendre. Attendre. Attendre. Face à ces délais de traitement, la loi Sarkozy de 2006 a donné à l’administration les moyens de faire son travail (Ah ! Ah ! je plaisantais, bien sûr) imposé un délai de 18 mois pour traiter le dossier, réduit à 12 si l’étranger est en France depuis 10 ans (art. 21-25-1 du Code civil), mais faute de sanction, je n’ai jamais vu ce délai respecté (sauf pour la naturalisation de Carla Bruni, qui est allé tellement vite qu’il est considéré comme une preuve scientifique de la téléportation quantique). Je connais un couple de marocains qui vient d’avoir son décret de naturalisation ; ils ont engagé la procédure début 2000.
Pour demander la naturalisation, il faut : avoir 18 ans, résider en France, et y avoir résidé 5 ans, 2 ans si on a fait des études supérieures en France ou si on a rendu ou on peut rendre des services importants à la France, et sans condition de délai (qu’on appelle stage) pour les ressortissant de pays francophones, les réfugiés et les étrangers ayant contracté un engagement militaire (concrètement, pour la Légion étrangère). De toutes façons, vu la durée de la procédure, cette condition de délai tient du gag.
Il faut également être de bonnes vie et mœurs (art. 21-23 du code civil) ; certaines condamnations pénales sont un obstacle insurmontable à la naturalisation (terrorisme, atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation).
Il faut enfin justifier de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française. Si quelqu’un a trouvé la liste de ces droits et devoirs, je lui en saurai gré, parce qu’à part le droit de vote, je vois pas, je crois que je serais recalé.
Ajoutons (et j’en aurai fini) que peuvent aussi être naturalisés à la demande du ministère de la défense les militaires étrangers ayant servi dans l’armée française en temps de guerre, et toute personne sur proposition du ministre des affaires étrangères à tout étranger francophone qui en fait la demande et qui contribue par son action émérite au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relations économiques internationales. Le piston est parfois institutionnalisé.
Voilà, vous pouvez souffler, on a fait le tour.
Quelques précisions : si la loi distingue les façons d’acquérir la nationalité française, elle ne distingue pas les nationalités françaises. Un français d’origine est aussi français qu’un naturalisé ou qu’un déclaré. Il n’y a pas de français de 1e classe et de 2e classe. Et quand on voit ce par quoi ils sont passés, je dirais même que ceux qui arrivent à passer le cap de la naturalisation ont plus de motifs d’être fiers de leur nationalité que moi qui fais simplement partie de la catégorie des français d’origine, ceux qui se sont donnés la peine de naître.
À ce propos, je voulais revenir sur cette citation de Beaumarchais que je citais en exergue. Il s’agit d’un extrait de la tirade de Figaro dans la Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 :
Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes…
C’était en 1784, 5 ans avant la Révolution, qui a aboli le 4 août 1789 les privilèges et l’état de Noblesse.
Et je ne saurais assez décrire mon malaise quand je réalise qu’aujourd’hui, cette nationalité française, qui n’est juridiquement qu’un état, est considérée par certains de mes concitoyens, souvent français d’origine, comme une nouvelle Noblesse dont ils prétendent tirer gloire et fonde un mépris de leur part pour la roture du reste de l’humanité, sans qu’on en perçoive la raison, ni pour la gloire ni pour le mépris. On peut tirer gloire de ce qu’on fait, pas de ce qu’on est ; de cela il faut simplement être digne.
À tel point que Figaro pourrait être un étranger en remontrant à un Français d’origine. Tenez, ça donnerait cela :
Nationalité, Sécurité sociale, des métiers réservés, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu ! perdu dans l’humanité obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour obtenir ma carte de séjour seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner tous les EPAD…
Et une fois de plus, Figaro dirait la vérité (enfin, sa plus vraie, bien sûr). Troublant, n’est-ce pas ?
Ce billet, écrit à 09:20 par Eolas dans la catégorie Les leçons de Maître Eolas a suscité :
mercredi 4 novembre 2009
Ce billet, écrit à 01:28 par Eolas dans la catégorie Gribouillages a suscité :
lundi 2 novembre 2009
Je ne suis pas le dernier à critiquer la justice quand j’estime qu’elle faillit à sa mission, aussi difficile soit-elle. Je me dois donc aussi de saluer ses réussites, surtout quand elles sont inattendues.
Je craignais le pire avec le procès de Francis Évrard devant la cour d’assises de Douai, la semaine dernière. Tous les ingrédients étaient réunis pour faire dérailler le procès.
La médiatisation à outrance : on se souvient que la disparition de la victime, en août 2007, peu de temps après les élections présidentielles et législatives, a été suivie en direct par la France entière, à l’occasion d’une Alerte Enlèvement.
Les faits, qui sont de nature à déchaîner les passions : un pédophile, le prédateur absolu de notre temps, récidiviste, alors que le parlement discutait la loi sur les peines planchers, une victime âgée de 5 ans.
Certains hommes politiques n’ont d’ailleurs pas hésité longtemps à surfer sur la vague médiatique de l’abject. Castration chimique obligatoire ici, quand bien même on sait qu’elle a des effets secondaires très lourds sur la santé et qu’elle est inadaptée dans bien des cas (dont celui d’Évrard), et castration physique de l’autre ; les testicules de Francis Évrard on eu droit à l’attention des plus hautes autorités de l’État.
Et pourtant, ces vents mauvais se sont arrêtés à la porte de la salle d’audience. Conjonction du père de la victime qui a fait preuve d’une grande dignité depuis le début de cette affaire, d’un accusé qui reconnaît sa responsabilité, d’un président, Michel Gasteau, d’un avocat général, Luc Frémiot, et de deux avocats, Emmanuel Riglaire pour la partie civile et Jérôme Pianezza pour la défense qui ont su donner à ce procès la sérénité dont il avait besoin.
Avec comme résultat l’impossible équilibre qui a été trouvé, une décision qui satisfait tout le monde : 30 ans de réclusion criminelle dont 20 de période de sureté, ce qui signifie que Francis Évrard ressortira au mieux à 81 ans. La défense combattait la peine d’élimination de perpétuité qui était requise, et la victime voulait simplement être sure que plus jamais il ne pourrait nuire. On est loin des surenchères politiques sur cette affaire. Je tenais à rendre modestement hommage aux acteurs de ce procès.
Ce qui ne signifie pas que la Justice doit s’enorgueillir de cette affaire. Du procès oui, de l’affaire, non. Le père de la victime a annoncé son intention d’attaquer l’État en responsabilité et il a mille fois raison. Car ce drame a été rendu possible non par l’incurie de quelques-uns, cette fois, pas de juge d’instruction tête-à-claque pour servir d’exhutoire, mais par le fonctionnement normal de l’institution, normal au sens de : ce dossier a été traité comme tous les autres.
Vous m’entendez et m’entendrez régulièrement ici pester contre le manque de moyens de la Justice. C’est tellement habituel pour les acteurs de la justice que la réponse consiste le plus souvent à soupirer que décidément, on ne pense qu’à ça et que de toutes façons on en aura jamais assez (donc autant ne pas nous en donner du tout, on fait des économies).
Alors si vous voulez voir ce que ça donne, ce fonctionnement à l’économie de bouts de chandelles, à l’anémie de personnel et aux réformes bricolées sans recul, installez-vous confortablement.
Au cours des sept années qui ont précédé la libération de Francis Évrard, il a pu avoir trois rendez-vous par an avec un psychiatre. Un tous les quatre mois. Je vous laisse deviner quels résultats on peut espérer avec ce genre de prise en charge, si on peut appeler ça ainsi.
La CIP (Conseillère d’insertion et de Probation) qui suivait son dossier en prison a été incapable de lui trouver un logement pour sa sortie de fin de peine, après 20 années de détention (il a pour le moment passé 37 des 63 ans de sa vie en prison). Quelques structures existent, mais le genre de profil de Francis Évrard est refusé. Donc à sa sortie de prison, il est à la rue avec une liste d’hôtels, le 115 à appeler en cas d’urgence, et 4000 euros de pécule, 20 années d’économies. C’était en juin 2007, 2 mois avant son passage à l’acte. Voilà comment il a été libéré.
À sa libération, Francis Évrard est allé à Caen, puis à Rouen. Son dossier doit le suivre : il est libre de ses mouvements, mais doit les signaler au juge d’application des peines car il fait l’objet d’une “surveillance judiciaire”, création de la loi Clément, dite “Récidive I”, du 12 décembre 2005. Problème : le système informatique ne prévoit pas ce dispositif, le logiciel n’a pas été mis à jour de la loi. Cette loi si indispensable est d’ailleurs tellement appliquée que jamais le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Rouen n’en avait eu un auparavant. Quant au dossier papier, il n’est jamais parvenu au service pénitentiaire d’insertion et de probation car il a été envoyé au juge d’application des peines. Résultat : le 10 juillet 2007, le SPIP de Rouen reçoit Francis Évrard… en ignorant tout de son dossier et notamment de l’obligation de suivre un traitement anti-hormonal auquel il est censé être astreint. La question de ses obligations ne sera pas abordée lors de cet entretien.
J’ajoute que ce genre de problème, je le constate quotidiennement. Dans mes dossiers devant le Juge d’application des peines, c’est toujours moi qui fournis au juge la copie du jugement de condamnation, et les pièces pénales du dossier qui peuvent éclairer le juge sur la personnalité du condamné et l’aider à prendre sa décision. Comment fait-on pour les condamnés qui, c’est la majorité, n’ont pas d’avocat au stade de l’exécution de la peine ?
Le dossier papier arrivera finalement quelques jours plus tard sur le bureau du juge d’application des peines (JAP), qui ignorait que le SPIP avait déjà convoqué l’intéressé (le JAP siège au palais de justice, car il a souvent d’autres fonctions judiciaires à exercer, le SPIP a ses propres locaux, car il relève de la Pénitentiaire). Mais il arrivera le jour de son départ en vacances. La période des services allégés fera que le collègue JAP de permanence, qui n’avait aucun moyen d’être alerté de ce dossier spécial, n’y touchera pas : il a déjà assez à faire avec les délais à respecter, les audiences à tenir, et les collègues à remplacer pour aller vérifier par curiosité le courrier non signalé de sa collègue. Le juge de l’application des peines ne découvrira ce dossier qu’à son retour de congés, mi-août… au moment où Francis Évrard récidive.
Voilà. Pas de juge fainéant, pas de fonctionnaire inattentif ou démissionnaire : Francis Évrard a été traité comme n’importe quel autre justiciable, et même plutôt mieux : il a été reçu par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de Rouen dans des délais très brefs, mais par un service matériellement incapable de faire quoi que ce soit. Et les personnes en charge de ce dossier, qui sont allées témoigner devant la cour d’assises, devront vivre avec la culpabilité d’avoir failli sans avoir pu faire quoi que ce soit.
C’est le fonctionnement ordinaire, quotidien de votre justice. Voilà, concrètement, ce qu’est le manque de moyens. Donc oui, j’encourage le père de la victime dans son action en responsabilité de l’État, que ce dernier paye le prix de ne pas vouloir donner à la justice les moyens qu’elle mérite. Et la prochaine fois que ces mêmes causes produiront les mêmes effets, on vous distraira encore en vous promettant de couper la tête du juge d’instruction ou les c… aux violeurs d’enfants. Ça, ça ne coûte rien : comptez sur le Gouvernement pour être généreux là-dessus.
Ce billet, écrit à 10:49 par Eolas dans la catégorie Commentaire judiciaire a suscité :
Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.
Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.