Un juge des enfants
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 01:22 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Justice, juge des enfants, en charge des dossiers de mineurs en danger (Assistance éducative, placement en foyer,…) et de mineurs délinquants (il préside le tribunal pour enfants qui seul peut prononcer des peines d'emprisonnement — qui coquin de sort sont parfois les mêmes. Il exerce ses fonctions dans un tribunal de taille moyenne.
Je suis Juge des Enfants. Merci d'offrir votre blog comme espace de discussion à l'occasion de notre journée de mobilisation.
Je crois que vous avez bien résumé la situation :
- les magistrats manifesteront non pas pour des avantages quelconques mais pour garantir leur statut indépendant, c'est à dire garantir au citoyen l'accès à une justice juste et équitable car à l'abri des pressions de toute sorte.
- les magistrats ne sont pas habitués à ces manifestations qui toutefois, faut-il le rappeler, se multiplient, signe d'un profond malaise dans la Justice.
Personnellement, je trouve désormais dérisoire de se montrer uniquement devant notre palais de justice pendant quelques minutes alors que les attaques contre notre statut sont de plus en plus fréquentes. J'attends des actions plus symboliques et de plus grande ampleur, à la hauteur des attaques incessantes dont nous sommes l'objet ...
La justice n'est pas parfaite. Ses erreurs, ses quelques dysfonctionnements parfois ne doivent pas cacher la mission essentielle qui est la sienne au quotidien et qu'elle remplit de manière satisfaisante.
La justice se trompe alors il faudrait sanctionner le juge, entend-on régulièrement.
Il faut bien comprendre que le régime disciplinaire ou de responsabilité du juge ne peut pas être le même qu'un chef d'entreprise, d'un médecin ou d'un fonctionnaire.
Evidemment, si la faute est grossière, je suis le 1er à dire qu'elle mérite sanction. Mais qu'est-ce qu'une erreur grossière par rapport à une décision motivée qui va être infirmée (c'est à dire réformée) par une Cour d'Appel ? ou une décision qui va être "jugée" au regard d'éléments appris postérieurement ? Nous voyons déjà qu'il y a matière à interprétation et que le risque est grand de vouloir sanctionner un juge dont la décision aura uniquement été "cassée" par une juridiction supérieure, en raison d'un autre raisonnement juridique (de droit ou de fait).
Croyez bien que nous nous sentons extrêmement responsables de nos décisions et que certaines nous hantent des jours voire des mois entiers.
Je suis juge des enfants et tous les jours je dois trancher : dois-je laisser l'enfant dans sa famille ou dois je le retirer à ses parents ? Tous les jours, je suis confronté à des situations inédites et douloureuses. Jamais je ne peux reprendre une même décision. Je dois écouter, peser les arguments des uns et des autres et prendre une décision. Je vois des gens de bonne foi ; je vois aussi souvent des gens qui mentent. Comment parfois faire la différence ?
C'est votre boulot, allez vous dire ? C'est exact mais c'est ici que vous allez comprendre que l'erreur est possible. Je suis juriste, pas voyant.
Je me souviens particulièrement de cette petite fille de 8 ans qui m'affirmait avoir été maltraitée par sa mère, en donnant des détails (il y a quelques mois, on aurait dit qu'elle était "crédible"). Son père lui même fournissait des photographies montrant les blessures de sa fille, qu'il avait récupérée un week-end pour son droit de visite. Il demandait son placement.
Je n'ai pas placé l'enfant chez lui parce que beaucoup de détails me semblaient troublants. Quelques jours plus tard, j'apprenais finalement que tout avait été "monté" par le père. Les photos étaient falsifiées. La petite fille si sincère avait menti.
J'ai pris un risque considérable mais calculé. Je n'ai pas pris une décison sur un coup de tête par un instant de folie. Non, j'ai pesé tous les éléments (forcément très partiels en plus) qui m'étaient fournis, j'ai beaucoup réfléchi et j'ai statué.
Si demain, parce que les attaques dont nous sommes l'objet continuent, si notre responsabilité s'accroie (notamment avec la saisine du CSM par les citoyens), il y a un risque évident pour que, dans une telle situation, chacun se "couvre".
La décision évidente (vue de l'extérieur) et la moins risquée pour moi était le placement chez le père ...
Si jamais je m'étais trompé, si jamais un drame s'était produit après ma décision, comment aurais je pu en effet m'expliquer ? J'aurai pu m'expliquer évidemment mais mes explications n'auraient pas été entendables quand on voit comment des commissions d'enquête entendent les magistrats ! On m'aurait dira "comment ça, vous n'avez pas placé cet enfant alors qu'elle vous disait qu'elle était maltraitée par sa mère et que son père vous montrait des photos" ?
Tout ceci pour dire combien rendre une décision est complexe et que la responsabilité du juge doit être très finement réfléchie, sous peine de la rendre dépendante : dépendante du politique, dépendante de l'émotionnel, dépendante des apparences, etc.
Ceci est un exemple personnel mais chaque magistrat peut donner le sien, en fonction de ses fonctions : c'est le cas du juge d'instruction, du juge de la liberté et de la détention, du juge d'instance, du JAF etc.
Je terminerai en évoquant cette affaire de Metz : un mineur se suicide en prison. C'est un drame.
Mais comment peut-on imaginer un seul instant que l'Inspection Générale des Services (qui dépend directement du Politique) aille interroger le Juge qui a rendu la décision ! Pourtant, cela est arrivé. C'est anormal.
Premièrement, une décision rendue par un tribunal pour enfants est rendue par un juge des enfants (le président) mais également par deux assesseurs (non professionnels). Alors, il va falloir commencer sérieusement aussi à s'interesser à eux puisque la loi ne nous laisse pas le choix. Nous devons (comme pour les Cour d'Assises) juger avec des non professionnels. Eux aussi sont responsables.
Deuxièmement, que demande-t-on comme explications au juge ? Pourquoi il a rendu cette décision ? Ce n'est pas possible ! Le juge n'a pas à fournir d'explication sur sa décision, qui est contestable par la voie de l'appel. Et encore moins à des agents dépendant directement du Politique.... Par ailleurs, les audiences ont lieu à huis clos et le secret des délibérés est absolu.
L'indépendance de la justice est en danger et nous le percevons (nous professionnels) depuis quelques mois.
Je ne suis pas sûr que le citoyen s'en aperçoive ; c'est pour cela que nous nous mobilisons [aujourd'hui] ...
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 00:48 par Clems
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 09:48 par GeoTrouvetout
3. Le jeudi 23 octobre 2008 à 12:33 par sans nom.
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à 17:21 par Ana-Lys
5. Le jeudi 23 octobre 2008 à 19:55 par sans nom
6. Le jeudi 23 octobre 2008 à 21:34 par Doc
7. Le samedi 25 octobre 2008 à 02:04 par Vox Populi
8. Le dimanche 26 octobre 2008 à 21:01 par JUstice
9. Le lundi 27 octobre 2008 à 07:47 par laura.conti1
10. Le lundi 17 novembre 2008 à 03:08 par parano
11. Le lundi 17 novembre 2008 à 03:22 par parano
12. Le lundi 17 novembre 2008 à 19:51 par parano