23 heures, c’est mon tour, …
Je patiente depuis une heure
déjà dans l’antichambre du bureau de la
Garde des sceaux, pendant que mon procureur subit
l’interrogatoire des inspecteurs de l’IGSJ requis
avec célérité par la ministre.
Mon estomac est vide depuis midi, et
j’entends mon cœur qui bat. Je sais que si mes
enquêteurs avaient procédé de la sorte
contre un des gardés à vue, dont j’ai
la responsabilité et le contrôle, ils auraient
entendu parler de moi ! Mais, je sais qu’ils
n’en ont jamais eu l’idée, simplement
parce que mes policiers et gendarmes sont des gens responsables,
honnêtes, loyaux, et humains, et savent qu’avec
notre parquet on ne transige pas avec les droits humains, y compris
avec le dernier des voyous.
Mais bon, depuis quelques temps j’avais
le pressentiment que ça finirait par
m’arriver…
Une
fois de plus, un mineur - 17 ans - vient de se donner la mort dans la
cellule de notre maison d’arrêt. C’est le
4ème pendu
depuis le début de l’année.
Lorsqu’on m’avait déferré
après son interpellation ce garçon
multirécidiviste, pour mettre à
exécution un jugement de condamnation du tribunal pour
enfants, j’avais pourtant indiqué sur sa fiche
qu’il fallait prendre des précautions - on le fait
systématiquement - qu’il se pourrait
qu’il ait des tendances suicidaires - c’est souvent
le cas chez les adolescents, ils passent de
l’exubérance à la déprime la
plus noire, surtout quand ils ont pris longtemps des
stupéfiants - , appliquant sans état
d’âme le nouveau décret du 10 octobre
2008 pris par la Garde des sceaux le lendemain matin d’un
précédant suicide.
Je suis accablé des
conséquences de ma décision
d’incarcération. J’ai deux fils de 13 et
16 ans, ce n’est pas virtuel pour moi. J’ai mal
pour ses parents, même s’il se peut que ses parents
n’ont peut-être pas fait tout ce qu’ils
pouvaient pour lui.
Ce qui me trouble le plus c’est que
c’est pourtant la même Garde des sceaux, qui a
rédigé une circulaire demandant aux parquets de
requérir systématiquement les
« peines planchers » contre les
récidivistes et, en cas de refus par le tribunal de
s’y conformer, de relever appel des décisions
contraires. C’est la même qui a demandé
que l’on fasse preuve d’une
sévérité accrue contre les mineurs.
C’est toujours elle qui dans la même semaine a
convoqué cinq procureurs généraux -
leur taux de peines planchers étant supposé
inférieur à la moyenne nationale - pour
explications, annoncé une réforme de la
minorité pénale pour la faire passer de 13 ans
à 12 ans, stigmatisé la violence des mineurs,
certes bien réelle mais qui s’est
soucié pendant des années d’une
politique efficace contre le cannabis, consommé par eux
depuis parfois l’âge de 10 ans !
J’ai
encore en mémoire les mises en garde par le principal
syndicat de magistrats qui dénonçait le risque de
ces « peines
planchers, loi inutile et dangereuse, qui restreint le pouvoir
d’appréciation des magistrats et les met dans des
situations humaines et professionnelles impossibles et porteuses de
risques disciplinaires »
(communiqué USM du 26 novembre 2007).
Je me pose
et me repose sans cesse la question quand notre système
a-t-il dérapé ?
*
Pourtant
j’étais heureux et fier d’avoir
intégré la magistrature 3 ans plus tôt.
Bien sûr il y avait eu OUTREAU, mais
c’était un petit juge seul, trop jeune,
« manquant d’épaisseur »
comme l’avait affirmé un membre de la commission
d’enquête parlementaire. S’il
l’avait dit, c’est qu’il devait y avoir
du vrai, ne dit-on pas « il n’y
pas de fumée sans feu », ce que
me sussurait encore hier ma voisine, Madame MICHU - sainte femme -. De
toute façon je n’étais pas
concerné, j’étais parquetier, alors les
problèmes d’un juge
d’instruction… Et puis la justice
française rend 4 millions de jugements chaque
année. Un cas sur 4 millions, ça me semblait
rester dans le domaine de l’exception qui confirme la
règle, la justice est rendue par des hommes pas des
dieux…
Mais
je me souviens que j’avais été
troublé. Je venais de quitter le barreau après
une carrière de près de 20 ans associé
d’un cabinet d’affaires. Au fur et à
mesure de mon travail j’avais acquis le respect de mes pairs,
de mes clients, des magistrats. Gagnant confortablement ma vie,
j’avais à l’époque
croisé le fer à la barre avec les grands
… Il n’y a en qu’un que je
n’avais pas beaucoup vu au barreau,
c’était Maître SARKOZY, mais je crois
qu’il ne plaidait pas vraiment beaucoup, même
à l’époque. Je parle d’un
temps ou Jean-Louis BORLOO était l’avocat de
Bernard TAPIE, ou le développement durable,
l’écologie, n’étaient pas sa
tasse de thé, ou son client démantelait les
entreprises qu’il achetait au franc symbolique et revendait
10 fois le prix par morceau … J’apprends que ce
dernier va toucher 280 millions d’euros, parce que le
Crédit Lyonnais avait, parait-il, fait un peu pareil avec sa
société en faillite. J’apprends aussi
que chaque arbitre de cet arbitrage, arraché à la
procédure judiciaire par l’intervention de BERCY,
gagnera 300.000 euros d’honoraires, alors que je
perçois quarante six euros pour mes nuits de permanence. 46
euros pour partir la nuit sur une scène de crime,
contrôler la garde à vue d’un mineur,
prendre des décisions dans un demi sommeil...
Je
savais que j’allais faire un métier
d’abnégation, j’ignorais que je ferais
un métier de chien ! Je suis passé du
traitement d’avocat d’affaires à celui
de substitut du second grade, par vocation, tardive certes mais
puissante, par goût de servir la justice et mes concitoyens.
Je ne dis à personne combien je gagne, j’ai trop
honte, on me prendrait pour un raté, dans le meilleur des
cas pour un fou, je ne sais pas comment expliquer à mes amis
le désintéressement, la noblesse de servir,
… et c’est d’autant plus difficile que
nous sommes déconsidérés au plus haut
niveau de l’Etat. D’ailleurs pour ne pas que nous
puissions avoir la grosse tête, que l’on soit
président, procureur, procureur
général, juge ou substitut, nous voyageons en 2ème classe,
dormons dans des hôtels Formule 1. Les préfets et
autres hauts fonctionnaires nous regardent avec un rien de
condescendance nous rendre à leurs réunions en
véhicule de service, Renault Scénic, Peugeot 106.
Il y a belle lurette qu’ils ont compris que les magistrats
étaient les « petits pois »
de la République.
Je
crois que la devise des magistrats pourrait être
puisée dans cette maxime de l’empereur MARC AURELE
« habitue toi à tout ce qui te
décourage ».
* * *
Vingt trois heures trente, ça commence
à faire long… Ma chemise est trempée
d’une froide sueur, je n’ai pas eu le temps de me
changer ayant été convoqué en
catastrophe, je me sens sale.
J’entends derrière la porte
épaisse des éclats d’une voix
aiguë, non maîtrisée. Je crois que
c’est mon procureur qui se fait insulter. Les mots
« incapables, incompétents,
déloyal », fusent et
résonnent. Deux gendarmes sont entrés dans le
bureau. Si j’ai bien compris ils viennent, sur ordre,
contredire mon chef sur un détail essentiel - le mineur
a-t-il été interpellé chez un ami ou
dans un squat ? Effectivement ça change
tout ! – il se fait tancer comme un laquais de
l’ancien régime. Je croyais que les gens de robe
avaient peu ou prou contribué à la
Révolution française, pour que tous les hommes
soient traités avec humanité ?
J’ai dû rater un
épisode…
Je
suis perdu dans mes pensées. Je
réfléchis à ce que je vais lui dire,
si elle veut bien m’écouter. A 48 ans, ayant fait
un passage dans l’armée je ne me souviens pas
avoir jamais parlé à un de mes soldats de la
sorte - j’aurais eu trop honte de dénaturer
« Le rôle social de
l’officier »
prôné par LYAUTEY -, ni surtout à mes
collaborateurs lorsque j’étais avocat
associé. Non décidemment je n’aime pas
ces méthodes fondées sur l’irrationnel,
l’injuste, l’incohérent.
Petit,
je détestais cette morale de LA FONTAINE
« selon que vous serez puissant ou
misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
et me voici en passe de me faire « caraméliser »
comme mon procureur et avant lui, mon procureur
général, pour avoir appliqué une loi
de la République !
Je prépare mon argumentation. Ce
n’est pas possible, elle doit être mal
informée, mal conseillée par sa
pléthore de conseillers. D’ailleurs, ne lui a t-on
pas rapporté récemment qu’il
n’y avait eu que 90 participants au congrès
national de l’USM à CLERMONT-FERRAND, alors que le
nouveau président a été élu
par plus de 750 voix dans un amphithéâtre de la
faculté de droit, plein à craquer. On doit
pouvoir s’expliquer entre personnes raisonnables et
honnêtes. Mais il est vrai que dans son cabinet
c’est la débandade depuis un an. Cela ressemble
à un bateau ivre dans la tempête.
* * *
Minuit …
Je
vais essayer de rappeler à l’ancienne substitut
qu’elle a été, les jours et les nuits
de permanence, à raison d’une semaine par mois,
sans récupération, au contraire des policiers,
gendarmes, douaniers, …. Ces nuits sans sommeils ou
l’on est réveillé deux à
trois fois en moyenne. Les enquêteurs agacés qui
ne comprennent pas pourquoi notre voix est embrumée au
téléphone. J’ai beau leur expliquer que
je suis à la fois l’équipe de jour et
de nuit, que tout à l’heure quand il fera jour je
serai à la barre, assurerai l’audience devant le
juge des libertés et de la détention pour la
prolongation d’un détenu dont je ne connais pas le
dossier, - je suis constamment en terrain mouvant, si je requiers la
détention provisoire et que le mis en cause est
innocenté la presse me reprochera « un
disfonctionnement judiciaire », si je
requiers un contrôle judiciaire (la liberté
constitue la règle) et qu’il commet un nouveau
délit, une autre partie de la presse critiquera « une
nouvelle bavure judiciaire » -.
A t’elle encore en mémoire les
10 signalements quotidiens du Conseil général,
des pédopsychiatres, des médecins, des
assistantes sociales, des parents d’enfants,…,
à ma collègue des mineurs qui a
déjà 400 procédures en attente,
concernant précisément des mineurs en danger.
Signalements justifiés ou non, pour lesquels chaque matin
elle oscille désagréablement entre
l’impression de commettre un nouvel
« OUTREAU », ou
déceler une nouvelle affaire d’ANGERS, sans
pouvoir toujours démêler le vrai du faux, le
réel du fantasme, dans ce contentieux particulier de
« la parole ».
Il faut que
je puisse lui présenter quelques mots sur le courrier
général : 25.000 procédures
par an dans mon parquet pour sept magistrats, soit 3.500
procédures par tête,… une minute pour
prendre une décision sous peine de crouler sous la masse.
Peut-être ne sait-elle pas que pendant un an on
s’est retrouvé à quatre, soit 7.000
procédures par personne ! A t’elle
oublié si vite combien nous sommes démunis dans
les parquets à qui on eu de cesse de charger la
barque ? Nous n’avons ni greffier, ni
secrétaire, ni dactylo, ni assistant, nous tapons tous nos
réquisitoires, rapports d’appels au parquet
général, de signalement,
d’actualisation, notes, courriers aux justiciables,
plaignants, mis en cause, avocats, mandataires,
enquêteurs ? Qu’enfin on ne peut plus
décemment, raisonnablement, humainement, traiter une telle
masse sans aucun risque.
Je compare mon parquet avec celui de MONS
(Belgique) d’un ressort équivalent. Il y a chez
eux 40 magistrats et autant d’assistants de
justice…
Va t-elle
comprendre enfin que depuis que je suis magistrat, je suis en
état d’insécurité juridique
faute de connaître toutes les lois, « nul
n’est censé ignorer la loi ».
Cette blague !
La loi est
folle, incompréhensible, c’est un babil redondant
et contradictoire. Entre 1885 et 2000 (en 115 ans) il y a eu 21 textes
concernant le régime et/ou l’application des
peines. Entre 2000 et aujourd’hui (en 8 ans), 26 !
D’un
gouvernement à l’autre on affiche
d’autres priorités, souvent contradictoires entre
elles, d’où cette extraordinaire impression de
schizophrénie. La société actuelle
veut tout et son contraire : la peine sans le risque de
l’erreur, la présomption d’innocence
sans le risque de la réitération, la
réinsertion sans le risque de la récidive.
Après
« OUTREAU », il ne fallait plus
mettre personne en détention provisoire, une loi a
même été votée supprimant le
critère du trouble à l’ordre public
pour les délits. Karine DUCHOCHOIS à la radio est
devenue l’animatrice des nouvelles
élégances judiciaires. Trois mois plus tard, on
nous enjoignait de mettre en prison tous les mineurs et deux mois
encore après de placer en détention un adulte qui
avait photographié des sous-vêtements
d’enfants à Eurodisney, en raison du trouble
profond provoqué à l’ordre public, soit
exactement le contraire de ce qui venait d’être
voté ! C’est nous qui sommes
profondément troubléS.
Magistrat
du Ministère public, je porte dans les plis de ma robe,
à l’instar de mes 2.000 collègues, la
définition du jurisclasseur « Le
ministère public est le représentant de la Nation
souveraine, chargé d'assurer le respect de la loi. Magistrat
à part entière, à ce titre garant
à la fois des libertés individuelles et des
intérêts généraux de la
société, le magistrat du ministère
public bénéficie dans l'exercice de ses
attributions, d'une délégation directe de la loi
qui lui confère sa légitimité. Il
ajoute ainsi à son autorité de magistrat la
majesté de la puissance publique qu'il incarne, et agit, non
pas au nom de l'Etat ni du gouvernement, mais en celui de la
République, à qui l'ensemble des citoyens a
délégué sa souveraineté ».
Je sers la
loi universelle, générale, impersonnelle.
J’ai du mal avec la loi
« siliconée », celle
qui se moule à l’opinion publique, qui dure ce que
dure les roses…
J’évoque
MONTESQUIEU : « La
liberté politique, dans un citoyen, est cette
tranquillité d’esprit qui provient de
l’opinion que chacun a de sa
sûreté ; et, pour qu’on ait
cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel
qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la
même personne ou dans le même corps de
magistrature, la puissance législative est réunie
à la puissance exécutrice, il n’y a
point de liberté ; parce qu’on peut
craindre que le même monarque ou le même
sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les
exécuter tyranniquement.
Il n’y a
point encore de liberté, si la puissance de juger
n’est pas séparée de la puissance
législative et de l’exécutrice. Si elle
était jointe à la puissance
législative, le pouvoir sur la vie et la liberté
des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait
législateur. Si elle était jointe à la
puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force
d’un oppresseur.
Tout serait perdu, si
le même homme, ou le même corps des principaux, ou
des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois
pouvoirs : celui de faire des lois, celui
d’exécuter les résolutions publiques,
et celui de juger les crimes ou les différends des
particuliers. » (L'Esprit
des Lois).
Ou
encore « Les lois inutiles affaiblissent
les nécessaires. »
On me
répond :
« Voici »,
« Gala »,
« Vsd »,
« Paris Match » !
Comme
dirait mes enfants, « on est pas en phase »,
nous ne sommes tout simplement plus dans le même espace temps.
* * *
Minuit
trente, me voici seul et responsable …
Pourtant je
ne me suis jamais senti irresponsable, simplement je croyais que
l’acte de juger, de décider, de trancher,
était encadré par les voies de recours, pas la
revanche !
Lorsque
j’étais avocat j’étais
assuré pour ma responsabilité professionnelle.
Comme magistrat je n’ai aucune assurance et pas les moyens de
m’en payer une et d’abord auprès de
quelle compagnie ? Aucun assureur ne prendra en charge la
responsabilité des magistrats, dont
l’étendue variera évolue au
gré des caprices, horions, quolibets, et lazzis des
insatisfaits.
Et pourtant vous voulez malgré cela me
rendre personnellement responsable des fautes lourdes, déni
de justice, non respect des droits de la défense, mais aussi
de la faute simple pour les tutelles, passible des recours des
justiciables contre mes décisions -
j’espère que vous avez prévu pour le
nouveau CSM composé de nominés politiques (qui
ont peut-être quelque compte à régler)
du personnel… car il va être rapidement
engorgé -.
Et oui, car
nous sommes voués de par nos fonctions - à
égale distance des parties nous commande notre devoir -
à créer 50 % de mécontents par
procès dans le meilleur des cas (en justice il y a toujours
un gagnant et un perdant), quand ce ne sont pas 100 % de
mécontents (celui qui n’a pas obtenu tout ce
qu’il voulait, celui qui ne voulait pas être
condamné).
Tout ceci
finira par me conduire, non plus à servir la loi mais,
à me protéger...
* * *
Minuit
quarante cinq… les portes claquent, j’entends le
journal de « LCI » dans le bureau
ministériel où trône un
écran plasma allumé, illuminé devrais
je dire, tel un néon sur les états
d’âme des français …
Je
dois pourtant au moins lui exposer que les magistrats de ce pays ont
probablement, modestement mais efficacement, avec d’autres -
les policiers, les gendarmes qui ont été
publiquement remerciés par leur ministre -, sauvé
la République 10 fois ! Elle n’est pas
sans savoir qu’à chaque élection,
chaque manifestation, sans même rappeler novembre 2005, des
« sauvageons »
embrasent nos voitures, nos commerces, nos villes. Et ce sont les
policiers, les parquetiers, les juges qui maintiennent
l’ordre et la justice dans nos cités, jusque tard
la nuit. Sans merci de quiconque.
N’a
t-elle plus en mémoire ces audiences harassantes de 20
à 30 dossiers s’achevant
jusqu’à point d’heures et que
l’on est bien forcé d’enrôler
pour pouvoir évacuer un contentieux exponentiel dans lequel
des hommes et des femmes expriment de plus en plus durement la haine
des autres, de la société, leur
égoïsme. Le stock d’affaires
pénaleS augmente sans cesse. En 1968 il y avait 600.000
plaintes pénales pour 6.000 magistrats, en 2007 il y a
5.300.0000 plaintes et 8.000 magistrats, quasiment le même
nombre qu’au Second Empire. Cela représente une
augmentation de 900 % de la délinquance en 40 ans, pendant
que le nombre de magistrats augmentait de 30 % sur la
même période !
Or, contre
toute attente vous avez décidé brutalement de
supprimer la moitié des juridictions alors pourtant que la
France entre 1958 et 2008 avait vu sa population augmenter de 16
millions, le nombre des recours aux tribunaux se multiplier
à due proportion, de sorte qu’entre les
permanences, les réquisitoires, les jugements, la masse du
courrier, les audiences jusqu'à plus d'heures, les
réunions, les opérations de-ci et
delà, les nouvelles lois, les décrets appliquant
les nouvelles lois, les circulaires de 60 pages expliquant les
décrets appliquant les nouvelles lois, les lois à
effet retard, tout ceci à moyens non pas constants, mais
amputés et qu’il était devenu
progressivement impossible de rendre la justice dans la
sérénité.
D’où
me vient cette sensation d’essayer de vider la mer avec une
petite cuillère ? Dans son discours de
rentrée solennelle de janvier 2007, le procureur de la
République de PARIS écrivait que
« les chiffres s’alignent comme
autant de témoins objectifs de l’engagement
méconnu de magistrats qui, au sein de cette institution
spécifique qu’est le ministère public
de notre pays, accomplissent sans relâche la mission que leur
assigne la loi ».
Rien n’y fait pourtant. Quels que soient
nos efforts, les journalistes, les politiques, nos concitoyens ont des
œillères. Après avoir
abandonné les profs, les policiers, les gendarmes, les
gardiens de prison, l’Etat caillasse les pompiers de la
République qui tentent d’éteindre le
feu dans la maison avec leurS pauvres codes désuets, leurs
principes surannés d’indépendance,
d’égalité.
Comment ne voit-il pas
qu’après nous, il n’y a plus rien. Nous
sommes les digues, les derniers remparts. Lorsque les bornes sont
dépassées, disait Pierre DAC, il n’y a
plus de limites.
Nous avons systématiquement tort et
notre Ministre reste muette, sourde à nos angoisses.
* * *
Une heure du matin, ça bouge.
La porte s’ouvre et se ferme à
intervalle régulier. Des rayons de lumières
rendent plus sinistreS les ors de cette antichambre où
nombre de serviteurs de l’Etat ont été
brisés, peut-être comptabilisera-t-on
bientôt les dépressions, démissions et
suicides chez les magistrats ? Pour un juge BOULOUQUE
crucifié dans la lumière, combien de drames
familiaux restés dans l’intimité des
familles…
Je
réalise à cet instant que j’ai
quitté ma famille depuis 3 ans, pour vivre dans une chambre
de 15 m2, célibataire
géographique… grandeur et servitude.
Je n’ai pas vu grandir mes enfants depuis
ces dernières années, ni pu obtenir le
réconfort de mon épouse lorsque
j’étais parfois découragé
après mes 30 dossiers à l’audience, mes
90 règlements et autant de rapports, signalements et plus
encore de nuits perturbées.
Tout cela pour me retrouver accusé en
ces hauts lieux. Coupable, sans procès équitable,
sans avocat, d’avoir appliqué la loi, toute la
loi, rien que la loi.
* * *
Une heure trente, ça se
précise…
La porte s’ouvre. Mon procureur apparait.
Il est livide, les yeux rougis. Ses lèvres tremblent. Il
semble brisé. Les 5 inspecteurs l’entourent, le
visage fermé.
On m’explique que je dois faire mon
autocritique. Comme dans la Chine du grand Timonier. J’ai
commis une grave faute. Je n’ai pas devancé ce que
le Peuple attendait de moi. Je n’avais pas de boule de
cristal.
Pourquoi ai- je la sensation de quelque chose
d’absurde, de fou et de dérisoire à la
fois ?
C’est décidé, tout
ce cirque m’agace. Je suis passé de la
déroute au dégoût, de la
détresse à la rage.
Je mets un terme à cette gesticulation.
Je tourne les talons, formule une impolitesse et
claque la porte. Il parait que jeudi il y a une mobilisation de la
Justice dans toute la France.