Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 4 juin 2009

[Journée d'action des magistrats administratifs] Le clan des portes fermées

Par Pea n°251, juge administratif''


6 heures : « ... sur le quart nord-ouest de la France, avec quelques éclaircies en fin de journée. Côté températures, elles seront en légère baisse... ». Tu tapes sur le radio réveil jusqu'à ce qu'il s'arrête, le reprogramme pour ton amoureuse une heure plus tard, sautes du lit avant de changer d'avis, fonces sous la douche pour finir de te réveiller, enfiles tes vêtements préparés la veille, avales une grande tasse de café soluble (pas terrible, ça fait un moment que tu dois acheter une cafetière expresso) accompagné d'une poignée de croquettes prédigérées spécial petit déjeuner qu'on appelle communément céréales, hésites entre deux paires de chaussures (les mocassins noirs ou les marrons à lacet) comme si c'était le moment, embrasses tes chérubins dans leur sommeil et sors dans la fraicheur d'une aube nouvelle.

7h45 : tu es devant la porte du tribunal, tapes machinalement le code « 34JA», 34 comme le n° 34 de la rue du Paradis, adresse de ton lieu de travail et J A comme juridiction administrative, un code facile à se remémorer, le même depuis des années. Tu s renoncé à t'interroger sur son efficacité contre les éventuelles intrusions, personne n'ayant à ce jour tenté de voler les dossiers (dommage, autant de moins à faire !) ou les ordinateurs. Tu passes à ta case, oui, comme les profs ; pourtant et contrairement à eux tu as un bureau, et, s'il te plait, un bureau pour toi tout seul, mais on ne va quand même pas te monter ton courrier ou tes dossiers, faut pas pousser Mémé dans les orties. Quand ça déborde, on annexe l'appui de fenêtre tout près, à moins de finir par tomber sur un greffier compréhensif ou courageux qui apporte la pile tant attendue.

Dans l'ascenseur, tu voyages avec les poubelles qui se promènent d'étage en étage : la femme de ménage trouve qu'il est plus commode de les stocker provisoirement à cet endroit en attendant de les sortir. De 6 à 8, c'est son créneau horaire, t'as qu'à pas arriver si tôt.

Tu longes le couloir dans le noir à cause de cette fichue minuterie qui n'a pas été reliée à un détecteur de présence (trop cher).Tu arrives à ton bureau, il était temps, la pile a failli tomber plusieurs fois. Si ça tombe, c'est l'horreur, les dossiers se mélangent et il faut tout retrier. C'est pourquoi depuis longtemps tu as pris l'habitude d'élastiquer systématiquement tes dossiers, mais c'est fou ce que les élastiques peuvent disparaitre lorsque les dossiers circulent entre le greffe et le bureau du courrier. Tu allumes l'ordinateur qui s'échauffe pendant cinq bonnes minutes avant d'être opérationnel, téléchargeant des mises à jour diverses, te laissant ainsi le temps d'attaquer la pile. Un dossier te revient, l'ordonnance de clôture que tu avais demandée a été faite, il en rejoint une bonne vingtaine sur la table de décharge derrière toi, à étudier dès que la date de clôture sera dépassée. Le suivant : M. Jsuipapressémékanmaime te demande quand tu as l'intention d'enrôler son affaire, qui a bientôt deux ans ; est jointe la question du greffier : keskonluirépon ? Coup d'œil rapide : M. Jsuispapressémékanmaime n'est pas très âgé et ne donne pas de motif particulier comme un problème financier ou de santé qui justifierait un enrôlement plus rapide que la moyenne. Tu réponds au greffier : « encombrement du rôle » (parfois tu mets « comme d'habitude » mais là c'est un nouveau alors il risque de pas savoir) et tu ajoutes un commentaire à son intention : « j'ai encore une centaine de dossiers plus anciens ». Tu as 423 dossiers collégiaux en stock, soit si on part sur une hypothèse haute de 10 dossiers par audience à raison de 20 audiences par an plus quelques ordonnances, en supposant qu'on ne t'affecte plus une seule affaire nouvelle à compter d'aujourd'hui et « toutes choses égales par ailleurs » (puisque la justice et l'économie font aujourd'hui bon ménage), ça représente deux années entières de travail devant toi. Il vaut mieux ne pas y penser en démarrant le matin pour ne pas risquer d'être atteint d'un syndrome d'impuissance et de découragement rampant.

Le dossier d'après, c'est une affaire nouvelle qui t'est attribuée : tu parcours rapidement la requête, vérifies qu'il ne manque pas la décision attaquée, que le greffier a bien pointé et numéroté les pièces jointes, qu'il a indiqué le bon défendeur (hélas non : DDTEFP, alors que la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle est rattachée à la préfecture, il fallait donc marquer « le préfet »).

Les suivants viennent des assistants de justice, les AJ pour les initiés. (Oui, on dit aussi AJ pour l'aide juridictionnelle ; tout dépend du contexte.) Tu ne les appelles plus par leur nom parce qu'il y en a beaucoup, qu'ils changent tout le temps, qu'ils travaillent à temps partiel, pour tout le monde donc pour personne en particulier ; souvent pas d'interlocuteur précis, facile pour s'y retrouver. Et puis ils ont été regroupés dans une salle style open space, ça ressemble à une fourmilière, avec les galeries creusées sous les dossiers et l'interchangeabilité des ouvrières. Les AJ sont censés se passer les consignes, ce qui pourrait être efficace si leurs tâches et leurs donneurs d'ouvrage étaient moins variés. Ça fait penser aux pools des secrétaires très prisés il y a deux ou trois décennies, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'ils déresponsabilisaient les secrétaires et engendraient des pertes de temps importantes. Mais mettre les AJ dans les chambres, les intégrer dans les équipes encadrées par le vice-président ne semble pas être une évidence pour tout le monde.

On frappe à ta porte. Au début, lorsque tu étais arrivé dans ce tribunal, tu travaillais toujours la porte ouverte, signe d'accueil, d'ouverture et de disponibilité pour autrui. Comme de nombreux autres collègues, tu avais exercé un autre métier avant d'être juge ; tu travaillais alors en équipe, les portes de communication entre les bureaux toujours ouvertes, c'était une évidence. Au tribunal, il y a ceux qui travaillent porte ouverte et ceux qui travaillent porte fermée. La porte ouverte, c'est fort sympathique : les collègues passent la tête pour te dire bonjour, échanger quelques mots sur les réformes en cours, t'interroger sur ce que tu fais, prendre ton avis sur un dossier, t'inviter à prendre un café...Fort sympathique et intéressant mais perturbant lorsque tu mènes une réflexion longue sur une affaire (Oui ça t'arrive parfois) puisqu'il faut à chaque fois te replonger dans le dossier en essayant de retrouver tu en étais. Tu as donc rapidement tourné casaque et rejoint le clan des portes fermées, ceux qui tentent de s'isoler et qu'on ne peut déranger sans raison valable.

On frappe à ta porte, donc. Une jeune collègue, de reconduite, qui doit statuer sur la partie obligation de quitter le territoire d'un dossier que tu as à ton rapport pour la partie refus de titre de séjour (merci la réforme de 2006). Le requérant excipe de l'illégalité du refus de titre. Ta collègue a étudié le dossier, s'est fait une opinion mais aimerait savoir si tu la partages car si elle retient l'exception d'illégalité et que de ton côté tu proposes un rejet, alors même qu'en théorie rien ne l'interdit, en pratique ça fait désordre, surtout à deux mois seulement d'intervalle. Tu l'écoutes, l'interroges, feuillettes le dossier, son raisonnement te semble tenir la route.

Tu poursuis la pile jusqu'à épuisement, rectifiant des erreurs, demandant des pièces manquantes, vérifiant l'existence de dossiers liés, mettant en demeure le défendeur lorsqu'il tarde à produire, ça s'appelle faire de l'instruction. Puis tu retournes à ton écran et cette fois ce sont les mails : des lettres d'actualités juridiques (pas le temps de tout lire, tu repères les thèmes sur lesquels tu travailles le plus en espérant que les oublis seront rattrapés par les collègues), un mot de ton rapporteur public qui dit qu'il n'est pas d'accord avec la solution que tu proposes pour l'affaire 06 2543 Karensky et te donnes dix lignes d'explications. Tu imprimes le mail, extirpe le dossier Karensky de la pile de l'audience du 10 juin, le gardes sous le coude pour y réfléchir. Un collègue te demande si tu n'aurais pas, par hasard, conservé le dossier 07 4522 qui est passé à son rapport, ça ne te dit vraiment rien mais tu vérifies quand même (il y a des dossiers partout dans ton bureau, on ne voit que ça en rentrant, on se demande comment tu fais pour ne pas les égarer ; d'ailleurs, on est en train d'expérimenter la dématérialisation des dossiers, plus de papier, halte à la déforestation, c'est vachement bien pourvu qu'il n'y ait pas de pannes de réseau...). Le jour viendra où tu devras te faire opérer du canal carpien à force de taper toute la journée sur ton ordi et de manipuler la souris, mais tant que cette maladie n'est pas devenue une épidémie professionnelle reconnue, il n'y a aucune raison de te doter d'un logiciel à reconnaissance vocale, ça coute cher. Après, on pourra toujours dire qu'on ne savait pas, qu'on croyait que c'était la maladie des secrétaires, pas des juges sans secrétaire, tu ne joues quand même pas dans la même cour. D'ailleurs, on ne va pas non plus te payer des cours de dactylo, c'est indigne pour quelqu'un de ton rang, même les collègues ça les fait rigoler quand tu leur en parles, on est en France, hein, pas aux States ; et puis maintenant que tu as atteint une bonne vitesse de frappe avec deux doigts, il faudrait du temps avant que ça soit rentable. En plus, taka faire du copier-coller, c'est quand même plus rapide, quelle idée d'aller inventer autre chose que ce qui existe. Ne jamais oublier que le juge de base est là pour appliquer les solutions élaborées par d'autres, en appel ou en cassation - quitte à omettre ou minimiser cette autre évidence : le juge de base est le premier saisi donc le premier à statuer en cas de modification des dispositions légales (ce qui est plutôt fréquent, les lois et décrets n'étant pas immuables).

9 h : un café bien mérité avec les collègues qui viennent d'arriver. Tu es content, tu as réussi à tout écluser avant, tu vas pouvoir te mettre à bosser (ben oui, bosser, c'est faire des dossiers, le reste ne compte pas, c'est de l'échauffement). On en profite pour échanger : alors; la grève, t'en penses quoi ? T'as vu, l'AJDA a publié notre jugement 05 3256 Winch. Pertes de temps que tout cela, la statistique, Bon Dieu, la statistique ! ! !

10h30 : non, le café n'a pas duré une heure et demi, d'autres bricoles se sont rajoutées entre temps : des modifications dans les jugements à ton rapport après relecture par ton président de chambre - essentiellement des coquilles à rectifier, quelques maladresses de rédaction-, des jugements à signer. Puis tu as préparé ton prochain rôle : quels sont les dossiers devenus plus urgents qu'urgent, qu'il faut absolument que tu passes et qui sont en état d'être jugés ? Il faut en trouver des gros et des petits ; ce n'est ni au poids ni à l'épaisseur que ça ce joue, mais à la difficulté. Si tu ne mets que des affaires très compliquées, tu n'auras jamais le temps de « faire ta norme », c'est à dire d'en préparer 8 à 10. Mais évaluer la difficulté des dossiers en les parcourant rapidement est relativement aléatoire, tu n'es jamais à l'abri d'une surprise. Avec tout ça, toujours pas eu le temps de plonger vraiment dans l'étude d'un dossier.

A 10h30 tu te rends sans enthousiasme à l'assemblée générale des magistrats sur le projet de juridiction. C'est une nouveauté managériale que ce projet de juridiction, a priori très séduisante : chaque tribunal et chaque cour doit établir pour les trois années à venir un projet qui couvre tous les aspects de son fonctionnement : organisation du travail, relations avec les parties, rayonnement de la juridiction.. L'ensemble du personnel doit s'investir dans l'élaboration de ce projet et s'en approprier les grandes lignes. Sauf que les dés sont pipés dès le départ puisque la juridiction ne maîtrise ni les intrants (le nombre de dossiers dont elle sera saisie, toujours à la merci d'une réforme comme la mise en place du droit opposable au logement ou du revenu de solidarité active pour ne mentionner que les plus récentes), ni les objectifs à atteindre (le nombre de dossiers à sortir) puisqu'ils lui ont été assignés en haut lieu, ni les moyens notamment humains dont elle dispose. Le projet de juridiction, où comment sortir plus de dossiers à moyens constants. Les limites de l'exercice sautent aux yeux du béotien.

Ton président sait très bien que la charge de travail s'est nettement accrue au fil des ans : tes collègues et toi sortez environ 260 dossiers par personne et par an, ce qui, si on enlève les weekends et les congés, donne une moyenne de plus d' un dossier par magistrat et par jour, instruction, étude du dossier, audience, délibéré et rédaction du jugement compris, sans parler du temps passé à siéger dans des commissions diverses. Si certains dossiers ne te prennent pas une demi-journée, il t'arrive régulièrement de passer plusieurs jours sur une même affaire, par exemple pour les installations classées.

20 audiences par an à raison de 8 à 10 dossiers par rapporteur en formation collégiale, 10 à 12 en juge unique fonction publique et un minimum de 16 pour les contentieux très répétitifs comme les permis de conduire ou les aides personnalisées au logement. Ce qui fait ensuite monter la moyenne, ce sont toutes les affaires qui sortent par ordonnance.

Tout le monde est au taquet, il semble difficile d'en demander plus. De ce point de vue-là, ton président a un discours rassurant : « Il ne s'agit pas de travailler plus car je sais que vous travaillez déjà beaucoup mais il s'agit de travailler autrement pour produire plus. » C'est la nouvelle variante du célèbre « travailler plus pour gagner plus ». Car même en étant dans la moyenne des tribunaux, il faut quand même sortir plus de dossiers ; d'abord parce que les objectfis fixés par le gestionnaire parisien[1] sont en légère hausse chaque année, ensuite parce que, sous la pression, les tribunaux en queue de classement vont forcément remonter la pente. Donc la moyenne nationale va augmenter, c'est mathématique. Ton président n'ambitionne pas que ton tribunal rejoigne la tête du classement mais il voudrait qu'il reste dans la moyenne.

La discussion tourne vite court. Comment sortir plus de dossiers sans travailler plus, si ce n'est en consacrant moins de temps à chaque dossier ? La quantité, au détriment de la qualité. Tu te souviens d'ailleurs d'une inspection qui avait eu lieu dans les locaux de ton tribunal il y a quelques années et au cours de laquelle, dans la restitution qui avait été faite à l'ensemble du personnel, les inspecteurs avaient déclaré sans vergogne que l'essentiel n'était pas de juger bien mais de juger vite, que les justiciables se moquaient de la qualité de tes jugements, la seule chose qui les intéressait étant d'avoir une solution à leur litige et que l'appel était là pour rattraper tes inévitables erreurs.

Bon, évidemment, ça, on ne peut pas l'écrire et le discours officiel aujourd'hui est de faire toujours plus à qualité constante. Il est plus politiquement correct de mentionner une rationalisation des méthodes de travail grâce à une utilisation maximalisée de l'outil informatique (on exclut ici toute formation à la dactylographie pour les raisons évoquées plus haut mais on mentionne toutefois le logiciel à reconnaissance vocale, on va peut être étudier la possibilité d'envisager quelques achats ponctuels réservés aux magistrats les plus motivés), une harmonisation des pratiques (via l'extension de l'utilisation de modèles) et un recours encore plus systématique à l'aide à la décision (grâce aux stagiaires et assistants de justice qui seront dotés d'outils appropriés comme des guides méthodologiques). Comme ça tu n'auras plus qu'à signer les décisions prises par d'autres sur des modèles pré-établis...pourvu que ton affaire rentre dans les bonnes cases, sinon l'appel y remédiera. Finalement, ce n'est pas si difficile d'être juge, il suffit d'avoir un bon nombre de parapheurs à disposition et de savoir signer. Cantique à la productique, tu es allergique : tu aimes le travail bien fait et non la justice d'abattage... Mais tant qu'on ne veut pas dépenser plus...

Tu te souviens du dernier rapport publié par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, selon lequel, suivant les données de l'année 2006, la France dégringole dans le classement européen, passant du 18ème au 35ème rang, derrière l'Arménie, la Moldavie ou la Roumanie, que ce soit pour le budget de la justice rapporté au PIB par habitant ou pour le nombre de juges pour 100 000 habitants. Le rapport met l’accent sur le manque de moyens de la justice et son corollaire : la lenteur des procédures en France.

Le justiciable qui veut que tu juges vite et qui serait indifférent à la qualité du jugement rendu... Il faut dire seuls les initiés sont en mesure d'apprécier la qualité de la rédaction, que tu as parfois peaufinée pendant un bon moment, ce gaspillage de temps constituant un crime inavouable : le profane, bien souvent, ne comprend goutte à ton jugement : une seule phrase qui court sur plusieurs pages, de préférence bien ciselée et balancée, de quoi faire pâlir de jalousie les meilleurs journaliste du Monde, mais les « sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête », « le moyen manque en fait » et autres nonobstant ne sont pas traduits en langage vernaculaire. Ça fait pourtant quelques décennies que la messe n'est plus dite en latin. Le Concile Vatican II du Palais Royal est-il dans les tuyaux, la rumeur t'ayant rapporté qu'il est envisagé que le rapporteur public explique aux parties qui le demandent la solution finalement retenue ? Le tout à moyens constants, bien entendu, à l'heure où l'accueil du public est devenu une priorité dans les administrations, mais, toujours bien entendu, le tribunal n'est pas l'administration puisqu'il en est le juge.



12H15 : tu sors de la réunion, vaguement écœuré mais malheureusement pas surpris. Tu glisses quelques dossiers dans ta sacoche. Ça fait belle lurette que tu ne déjeunes plus le midi : amener son casse-croute, bof, il faut l'avoir préparé, les sandwichs plein de mayonnaise ne sont pas très digestes, un plat dans un restau du coin, ça prend trop de temps. Et puis le droit nourrit son homme. Tu rentres chez toi, tu vas enfin pouvoir te mettre au travail.

Notes

[1] Le Conseil d'État.

vendredi 29 mai 2009

La guerre du dépôt

Une guerre souterraine se joue actuellement au palais, et les avocats, menés par les Secrétaires de la conférence, viennent de remporter une première victoire après plusieurs défaites.

D'abord, voyons le champ de bataille. Il se situe sous le palais et se divise en deux parties : le dépôt et la souricière.

Europe 1 a réussi à envoyer au dépôt (non, pas Vittorio de Filippis…) un journaliste muni d'un appareil photo qui raconte ce qu'il a vu et nous montre ces images.

Le dépôt, géré par la préfecture de police et donc du personnel de la police nationale, reçoit les personnes retenues par la police jusqu'à leur présentation à un magistrat qui décidera de leur sort (soit procureur qui les dirigera vers une comparution immédiate pour un jugement immédiat, un juge des libertés et de la détention pour un jugement plus éloigné dans le temps mais avec placement sous contrôle judiciaire, ou éventuellement une simple convocation sans autre mesure, ou un juge d'instruction déjà en charge du dossier).

La souricière, gérée par les gendarmes du palais, reçoit les personnes déjà incarcérées qui doivent comparaître devant un juge et prend en charge les locataires du dépôt lors de leur escorte vers le magistrat ou la salle d'audience. C'est un réseau de couloirs séparés du public qui aboutissent dans certaines salles d'audience, avec ici et là quelques cages, il n'y a pas d'autre mot, sans sanitaires, ou sont entreposés les personnes escortées.

Cela fait des années que l'état déplorable du dépôt est dénoncé, et pas que par ces chochottes droitdel'hommmistes que sont les avocats. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'y est mis aussi et c'est pas glorieux. Extrait de son rapport  :

22. En effet, les locaux de certains tribunaux donnent l’impression d’être vétustes et d’appartenir à un autre temps. Les bureaux des magistrats que j’ai visités m’ont paru étroits, ne procurant pas à leur(s) occupant(s) l’espace dont ils auraient besoin. Or, il est évident que les bureaux de magistrats ne servent pas seulement à étudier les dossiers. Les magistrats y reçoivent des parties et y tiennent même certaines audiences.

23. Une situation particulièrement pénible existe au sein de certains endroits appelés « dépôts ». Les dépôts sont des zones sécurisées composées généralement de cellules individuelles et collectives recevant les personnes détenues dans des lieux de privation de liberté – commissariats ou établissements pénitentiaires – et qui sont transférées dans les tribunaux en vue d’audiences ou d’autres besoins procéduraux. La spécificité des dépôts, qui sont placés de jure sous l’autorité du juge comme tous les locaux se trouvant dans l’enceinte des tribunaux, mais de facto sous celle de la police qui s’occupe de la garde des détenus, a pour conséquence qu’aucune de ces deux autorités ne se sentirait, selon mes interlocuteurs, complètement investie de la responsabilité de ces endroits.

24. Dès lors, la situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne. Afin d’étudier personnellement cette question, je me suis rendu dans le dépôt du Palais de justice de Paris et dans celui du TGI de Bobigny.

25. En ce qui concerne le dépôt du Palais de justice de Paris, il s’agit d’un très vieux bâtiment chargé d’histoire et l’endroit reflète les événements qui s’y sont passés au cours des siècles. Ceci étant dit, l’intérieur du dépôt de Paris continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française. Au même endroit se trouve d’ailleurs le centre de rétention des étrangers en instance d’expulsion, qui m’a frappé par les images qu’il reflète, images d’un autre temps et d’une époque que toute personne civilisée pourrait croire révolue en France, j’y reviendrai plus loin dans le chapitre consacré aux étrangers. Le dépôt, qui jouxte le centre de rétention s’en différentie bien peu, même s’il paraît qu’il a subi récemment un certain nombre de travaux.

C'était en 2006. Rien n'a changé, hormis le déménagement du Centre de Rétention, pour lesquels les mots étaient les plus durs, pour le nouveau site de l'École de police du bois de Vincennes.

La politique menée jusqu'à présent par la préfecture était “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

En novembre 2008, les avocats de Créteil ont réussi un joli coup. Ils ont demandé et obtenu qu'un juge du tribunal soit chargé d'aller visiter le dépôt de Créteil (35 ans et encore plus vétuste que celui de Paris). Ce dernier a rendu un rapport dantesque sur lequel se sont appuyés les avocats pour soulever une nullité du procès verbal de citation en comparution immédiate.

J'aime, chers mékéskidis, le regard que vous avez quand vous lisez ces mots et que votre bouche s'élargit pour laisser échapper un « Hein ? » un rien paniqué.

Je vous explique.

Un tribunal ne peut juger qui bon lui chante selon son humeur. Un juge ne peut statuer que s'il a été officiellement chargé de statuer. On dit que le juge est saisi. Un juge non saisi ne peut statuer et toute décision qu'il prendrait serait nulle. C'est une des premières choses que vérifie tout juge au début de l'examen d'un dossier : il s'assure de l'identité de la personne jugée, de l'existence de l'acte de saisine, et de sa compétence, c'est-à-dire s'il est bien le juge que la loi désigne pour statuer.

Un tribunal statuant sur une comparution immédiate est saisi par un document d'une ou deux pages s'appelant un procès-verbal de comparution immédiate. C'est un document signé par un procureur et constatant que devant lui se présente telle personne (identité complète), et qu'il lui fait savoir qu'il lui est reproché des faits de telle nature (date et lieu des faits, qualification légale, citation des textes légaux définissant et réprimant l'infraction), et mentionnant ses observations éventuelles. Puis l'acte constate si l'intéressé demande un avocat et lequel. Suit la signature de l'intéressé ou la mention qu'il refuse de signer. C'est ce document qui fait que le dossier est enfin accessible à un avocat, puisque le législateur estime que toutes les opportunités d'obtenir des aveux hors l'assistance d'un avocat sont désormais épuisées (et je ne suis qu'à peine ironique en disant cela).

L'argumentation des avocats cristoliens était la suivante et elle est astucieuse.

La convention européenne des droits de l'homme prohibe les traitements inhumains et dégradants, et l'article 6 exige le respect du droit à un procès équitable. Or une personne jugée en comparution immédiate, qui a passé 48 heures en garde à vue où elle n'a pu dormir que sur des bancs de bois ou de pierre, et une nuit au dépôt dans ces conditions vient de subir des traitements dégradants et est dans un état d'épuisement tel qu'elle ne peut assurer sa défense de manière satisfaisante.

Les avocats demandent donc au tribunal d'annuler ce procès verbal de comparution immédiate qui viole ces droits fondamentaux. La conséquence est que la procédure elle-même n'est pas annulée (tous les interrogatoires et perquisitions effectuées antérieurement à son passage au dépôt restent valables), seul l'est l'acte saisissant le tribunal. Dès lors que le tribunal n'est as saisi, il ne peut statuer : le prévenu est remis en liberté, libre au procureur de le citer à nouveau selon les formes de droit commun.

L'avantage de cette méthode sur la demande de délai pour préparer sa défense, qui est de droit et ne peut être refusée, est que le tribunal n'étant plus saisi, il ne peut plus décerner mandat de dépôt : le prévenu n'est plus prévenu et doit être remis en liberté, il ne peut être placé en détention dans l'attente de son procès. Elle suppose toutefois que le prévenu ait passé la nuit au dépôt, les déférés du matin arrivés à 11 heures et jugés à 16 heures ne subissant pas la même chose que ceux arrivés la veille à 20 heures.

Les bonnes idées étant par nature libres de droit (les mauvaises aussi, d'ailleurs, mais elles risquent moins la copie) le barreau de Paris, en la personne des secrétaires de la conférence, ministres de la défense pénale d'urgence, a aussitôt suivi la voie tracée par nos excellents quoique banlieusards confrères.

Le 26 février dernier, deux d'entre eux, choisis pour leur courage et le fait qu'ils n'ont pas d'enfants, sont descendus dans le méphitique cloaque aux fongus fétides, et ont rédigé un rapport remis au Conseil de l'Ordre (pdf).

Le 16 avril dernier, le bâtonnier himself, est allé plaider aux côtés du Cinquième secrétaire David Marais et devant la 23e chambre, celle consacrée aux comparutions immédiates, des conclusions visant au prononcé d'une telle nullité du procès verbal de comparution immédiate. Conclusions rejetées, pour des motifs que j'ignore encore. Premier revers. Mais un juge du tribunal de Paris a à son tour été mandaté pour aller visiter les lieux et faire un rapport pour ses collègues. Tout n'était donc pas dit. En attendant, le Bâtonnier invitait les avocats de permanence à continuer à déposer des conclusions de nullité dont vous trouverez le modèle ici.

Le deuxième a eu lieu le 13 mai, quand la 11e chambre de la cour d'appel de Paris a annulé les jugements du tribunal de Créteil qui avaient eux même annulé les procès-verbaux de comparution immédiate. Sans conséquence pour les prévenus qui avaient été depuis longtemps remis en liberté, mais un message clair pour les juges de Créteil : arrêtez de jouer à ça. Les motifs de la cour sont tout de même assez sidérants et un rien cyniques. La cour a, d'après ce que j'ai lu, constaté qu'effectivement, les conditions de détention dans le dépôt de Créteil étaient inacceptables et contraires aux droits de l'homme, mais qu'aucun texte du code de procédure pénale ne permettait au juge d'annuler un procès verbal de comparution pour ce motif. En somme, violer les droits de l'homme n'étant pas illégal en France, circulez, il n'y a rien à annuler. Deuxième revers, et de taille, car la cour d'appel de Paris est aussi compétente pour le tribunal de Paris.

Ce mercredi 27 mai, le député André Vallini a utilisé le droit que lui accorde la loi de visiter tous les lieux de détention pour se rendre au dépôt. Il a lui aussi pris des photos, visibles sur le site de France Info. Bravo monsieur le député.

Et pourtant, coup de théâtre. Hier, la 23e chambre, ayant reçu le rapport du magistrat envoyé au Dixième Cercle, a fait droit aux conclusions déposées par les avocats de la défense et annulé cinq procès-verbaux de comparutions immédiates.

Je vous rappelle que les cinq prévenus n'échappent pas aux poursuites mais reviendront libres pour être jugés selon le droit commun. Et même s'ils ne reviennent pas, ils seront valablement jugés en leur absence.

Et devinez quoi ?

Une demi-heure après que cette nouvelle a été connue, qu'annonce la Chancellerie ?

Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a décidé d'affecter en urgence une somme de 1 million d'euros pour rénover les locaux du dépôt du tribunal de grande instance de Paris.

Cette somme, s'appuyant sur les crédits du plan de relance décidé par le Gouvernement, permettra de financer deux tranches de travaux, qui débuteront dés le mois de juillet 2009, et qui porteront notamment sur la rénovation des cellules et des espaces communs.

Vous vous souvenez de ce que je vous disais ? “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

Mais bon, sans se faire d'illusions sur la sincérité du geste, ne boudons pas notre plaisir. À une semaine de son départ de la Chancellerie, Rachida Dati se comporte enfin en Garde des Sceaux. Il était temps que je puisse le dire un jour : bravo et merci.

mardi 26 mai 2009

Quand le gouvernement réinvente l'eau tiède

Le journal officiel Figaro se fait l'écho d'une annonce du ministre de l'intérieur annonçant triomphalement l'idée géniale qu'elle vient d'avoir après deux ans de cogitation intensive : désormais on va confisquer la voiture des conducteurs délinquants.

« La répression va s'accentuer sur les mauvais conducteurs. Le Figaro s'est procuré le texte présenté demain en Conseil des ministres par Michèle Alliot-Marie. »

Le cabinet de Christine Albanel leur a sans doute transmis l'e-mail.

« Parmi les mesures phares (NdEolas : humour !), la confiscation du véhicule est prévue pour sanctionner les comportements les plus graves. À ce jour, la confiscation, très peu appliquée, ne concerne que les conduites sans permis. »

Le juriste pénaliste est ici pris d'une quinte de toux, que je vous expliquerai dans un instant.

« • Conduite sans permis et grands excès de vitesse

« Multiplication des radars sur les routes, pertes de points en cascade : les conducteurs roulant sans permis sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Une infraction que les pouvoirs publics veulent combattre. Le nouveau texte rend donc «obligatoire» la confiscation du véhicule, une sanction jusqu'alors laissée à l'appréciation du juge. Ce dernier gardera toutefois une marge de manœuvre. S'il ne prononce pas la confiscation, le magistrat devra motiver sa décision.»

Avec en prime pour les lecteurs du Figaro un superbe enfonçage de porte ouverte :

« Trois catégories d'automobilistes sont visées. Ceux qui n'ont jamais passé leur permis, ceux qui prennent le volant malgré la perte totale de leurs points ou encore ceux dont le permis a été annulé par un juge.»

La quatrième et dernière catégorie, celle des automobilistes qui ont le permis, n'est fort heureusement pas concernée.

Remis de sa quinte de toux, le juriste chausse ses lunettes et ouvre son Code pénal, assailli d'un doute. Pendant qu'il tourne les pages, faisons un peu d'histoire. Ces dernières décennies, la conduite sans permis était une contravention, la plus haute, celle de 5e classe, soit depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 : 1500 euros, 3000 en récidive. La conduite sans permis se distinguait de délits révélant une attitude plus antisociale, comme la conduite malgré la suspension judiciaire du permis, qui est une peine. Le délinquant n'était pas puni pour ne pas avoir sollicité une autorisation supposant un contrôle de ses capacités, mais violait une interdiction qui lui avait été faite pour sanctionner un comportement dangereux.

Le nombre de décès sur la route restant trop élevé au goût du Gouvernement, celui-ci a décidé d'employer la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort. Et sachant que quel qu'il soit, hormis s'il est égal à zéro, le nombre de décès sur la route reste toujours trop élevé, vous devinez la suite.

Le virage (moi aussi, je sais faire de l'humour comme au Figaro) a eu lieu en 1992, avec l'entrée en vigueur du permis à points. Alors que jusque là, seuls des automobilistes ayant un comportement particulièrement dangereux (conduite en état alcoolique, blessures involontaires…) étaient frappés de la suspension voire du retrait du permis, le nouveau système a fait que des fautes plus vénielles pouvaient, par leur accumulation, aboutir au même résultat.

L'accidentologie étant peu affectée par cette nouveauté (comme l'ensemble des mesures répressives à une exception près, les radars automatiques, car ils font disparaître la conviction de l'impunité ), le gouvernement a continuellement créé de nouvelles infractions et augmenté le barème des pertes de points. Ainsi, le défaut de port de la ceinture, au début épargné car ne causant aucun danger à autrui, a été frappé d'une perte d'un point, puis aujourd'hui de trois points (soit plus que rouler sur le terre-plein central d'une autoroute !). Idem avec le téléphone portable à l'oreille. Au départ, ce n'était même pas une contravention (encore que l'obligation générale faite au conducteur de se maintenir à tout moment en mesure d'effectuer les manœuvres urgentes d'évitement, sanctionnée d'une contravention, pouvait probablement s'appliquer), aujourd'hui,c'est deux points. Résultat : vous démarrez en passant un coup de fil qui vous empêche de mettre votre ceinture : c'est la moitié de votre permis qui saute. Bonjour le sens des proportions. S'agissant de l'efficacité, je vous invite à regarder les habitacles des automobiles à Paris, de préférence les véhicules utilitaires aux heures de pointe. Résultat de cette course aux armements : le nombre de permis perdus par perte des douze points augmente continuellement, poussant de plus en plus de personnes à conduire sans permis en attendant de pouvoir le repasser.

Face à cet effet pervers de sa loi, le législateur aurait pu amender son texte. Au lieu de ça, il va recourir à la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

En mars 2004, la loi Perben II a fait de la contravention de conduite sans permis un délit puni d'un an de prison et 15.000 euros d'amende. Sans incidence notable sur le nombre d'infractions, qui semble même avoir augmenté depuis. Le Gouvernement aurait pu se dire que décidément cette méthode laissait à désirer, mais non : il en déduit toujours qu'il n'a pas du frapper assez fort.

Et donc, nous voilà en 2009. Après avoir utilisé sa fameuse méthode dite “néanderthal” sur des sujets comme les chiens dangereux ou les siffleurs de marseillaise, le Gouvernement tourne à nouveau son œil prédateur vers l'automobiliste. Il continue à conduire sans permis, se dit notre Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple. Que faire ? Réponse : la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

Bon, la prison, c'est pas possible, c'est complet. D'où l'idée géniale suivante : on confisque l'automobile. Ça, ça fait mal, ça empêche le délinquant de récidiver et en prime, ça finira dans les caisses de l'État puisque l'État la revendra (à un automobiliste sans permis, sans doute, pour que la boucle soit bouclée).

Sauf que.

Sauf que notre juriste s'est remis de sa quinte de toux, et a fini de tourner les pages de son code pénal. Et la pêche a été bonne à en juger par le sourire narquois qu'il arbore (sauf si c'est un magistrat, auquel cas le sourire sera sournois).

Et que dit-il notre bon Code pénal ?

Tout d'abord, l'article 131-6 du Code pénal nous apprend que

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de l'emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté suivantes :

(…)

« 4° La confiscation d'un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; …»

Or la conduite sans permis est passible de prison. La confiscation du véhicule est donc d'ores et déjà possible.

— Fort bien, me direz-vous, mais voilà au moins un intérêt du passage de la contravention au délit : la confiscation du véhicule est rendue possible.

À cela je vous rétorque article 131-14 du Code pénal :

« Pour toutes les contraventions de la 5e classe, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de droits suivantes peuvent être prononcées :

(…)

« 6° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit. »

Donc même quand rouler sans permis était une contravention, la confiscation était déjà possible.

— Certes, répliquerez-vous avec cet esprit critique qui me rend si fier de vous tout en me donnant envie de vous étrangler, mais c'est à la place de l'emprisonnement. Là, ce serait en plus.

En effet. Mais je n'avais pas fini.

L'article 131-21 du Code pénal précise que :

« La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

« La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.»

Donc, tous les délits punis de plus d'un an d'emprisonnement permettent de prononcer une confiscation du véhicule en plus de l'emprisonnement, à condition que ledit véhicule ait servi à commettre l'infraction ce qui, convenons-en, est relativement fréquent en matière de délit routier.

— Si fait, tenterez-vous une dernière fois, aux abois et sentant que l'hallali se lit là, mais la conduite sans permis ne fait encourir qu'un an de prison, donc la peine complémentaire générale ne s'applique pas.

Et vous avez raison. Pour les délits punis d'un an seulement, il faut que la loi le prévoit expressément comme peine complémentaire.

C'est précisément ce que fait l'article L.221-2 du Code de la route :

« I. - Le fait de conduire un véhicule sans être titulaire du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule considéré est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

« II. - Toute personne coupable de l'infraction prévue au présent article encourt également les peines complémentaires suivantes :

(…)

« 6° La confiscation du véhicule dont le condamné s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est le propriétaire.»

Bref, le Gouvernement se propose de faire voter ce qui existe déjà.

— Oui, mais cette fois, ce sera automatique, puisque la voix de son maître nous dit que cette confiscation, “ peu prononcée jusqu'à présent ”, sera désormais automatique en cas de récidive.

En effet. Et c'est là que le Gouvernement, avec cet avant-projet de loi soumis au Conseil des ministres, cesse de faire du droit pénal et commence à faire du foutage de gueule.

Voilà qu'il nous ressert encore une fois le plat froid et insipide comme une soupe anglaise du juge laxiste face au Gouvernement roide comme un if. Le juge n'est pas assez sévère, alors que le Gouvernement veut taper plus fort. Alors votons les peines plancher. Le juge devra prononcer un minimum. Et il décide de peines trop courtes, alors votons la rétention de sûreté pour garder les condamnés en prison au-delà de leur peine. Continuons dans la foulée avec la confiscation automatique. Si ça c'est pas du bon sens comme les juges savent même pas ce que c'est, hein ? À se demander comment on a fait pour mettre sept ans à y penser.

Car dans cette frénésie néanderthalienne, personne ne semble s'être simplement demandé pourquoi les confiscations sont si rares.

Alors que la réponse n'est vraiment pas compliquée.

Pour pouvoir confisquer le véhicule, encore faut-il que le délinquant soit le propriétaire du véhicule. On ne peut confisquer la chose d'autrui : nul n'est pénalement responsable que de son propre fait. Or celui qui n'a jamais eu le permis est rarement propriétaire du véhicule qu'il conduit. Vous me direz qu'on peut le mettre en cause comme complice. Oui, si on peut prouver qu'il savait que le conducteur n'avait pas le permis et qu'il lui a remis les clefs malgré cela. Si le conducteur a pris le véhicule sans autorisation, ou si le propriétaire ne lui a tout simplement pas demandé ses papiers avant de lui prêter sa voiture, pas de confiscation possible.

Ajoutons que le juge, cet animal à sang froid étranger au bon sens humain, a une curieuse manie. Quand une personne a volé une voiture pour la conduire alors qu'il n'a pas le permis, le juge ne confisque pas la voiture mais ordonne sa restitution au propriétaire (quand ça n'a pas été fait au stade de l'enquête de police).


Voter une confiscation automatique sera inefficace car il suffira de mettre la voiture au nom de l'épouse, du fiston, de la concubine, même s'il n'a pas le permis, puisqu'on peut être propriétaire d'un véhicule sans être titulaire du permis (on peut conduire sans permis sur un terrain privé comme un circuit automobile ou avoir un chauffeur, ce qui est le cas de tous les ministres qui pondent ces lois, d'ailleurs, ceci expliquant peut-être cela). Cette loi sera donc très facilement mise en échec.

Et face à cette inefficacité, je vous laisse deviner à quelle méthode va recourir le Gouvernement.

Une fille de style soutenu.

par Sub lege libertas


Cindy habite chez une tante qui a l’âge d’être sa grande soeur. Cindy ne cause à ses parents ni soucis, ni de sa vie ; d’ailleurs elle ignore leur adresse et toute leur existence, comme eux la sienne. Cindy a quinze ans et demi, un copain et déjà deux mois de tapin. Cindy ne s’en plaint pas et regimbe presque quand à minuit, des fonctionnaires de police lui trouvent sans doute trop d’enthousiasme mais aussi de jeunesse, la recueillent sur le trottoir où elle racole, couvée du regard depuis sa voiture par son copain tout juste majeur et un ami.

Cindy leur dit aux policiers et le leur répétera à longueur d’audition, qu’elle fait la pute sans que Dimitriu son copain l’y force. Il est même très gentil Dimitriu et elle lui donne un peu d’argent pour l’aider. De toute façon, elle seule peut payer les kébabs. Et quand les autres prostituées, les africaines qui tiennent ce coin de trottoir, comme un port franc de la luxure, ont voulu la corriger d’une concurrence malvenue sur le marché de la concupiscence tarifée, Dimitriu est intervenu, courageux mais pas téméraire avec Brandon son ami d’un jour, d’un soir, de galère. Depuis une semaine, Dimitriu et Brandon la déposent en voiture au bord de son caniveau et ils restent là pour surveiller la lune ; ça la rassure même, Cindy.

Dimitriu est interpellé sur son camp de misère au milieu de compatriotes. Il est proxénète de mineur. Ce n’est pas un pro, c’est net mais peu mineur pour la loi pénale. Dix ans d’emprisonnement encouru comme prix des kébabs partagés, du taxi bénévole direction un bout de trottoir et d’un billet de dix euros accepté par-ci par-là. Il ne le nie pas quand on le lui explique par le truchement d’un interprète. Il précise même qu’il savait que Cindy était “d’accord pour faire ça” et qu’il ne la tapait pas, ce qu’elle confirme ayant vendu ses charmes avant même de le rencontrer. Et Brandon, tout autant gardé à vue que Dimitriu, abonde. Pourquoi a-t-il donné un coup de main à Dimitriu ? C’est un ami qu’il avait rencontré il y a une semaine, depuis que sa femme l’avait largué en vidant son appartement. Après trois ans de vie, avec un enfant et sans aucune garde à vue comme avant. A la dérive, on se raccroche à la galère des autres, on pense sombrer moins vite... Oui, il savait que Cindy était prostituée et que Dimitriu la protégeait, mais n’y arrivait plus tout seul. Il est complice, il l’admet.

Cindy reverra plus tard son juge des enfants. Cindy ne comprendra pas pourquoi Dimitriu qui lui se souciait un peu d’elle, l’aimait même peut-être, est fautif. Les bonnes âmes diront qu’au moins la loi la protège d’un minable petit profiteur de son calvaire. Mais de quelle protection lui parle-t-on ? Ne rappelons pas que la majorité sexuelle est fixée à quinze ans et que la prostitution est légale, même si hypocritement la loi pénale punit le client d’une péripatéticienne mineure : pute mineure oui, mais sans client, merci. Cindy se foutrait bien de savoir son tapin légal ou dans les marges du Code pénal. Bien sûr la morale des bonnes gens réprouve le sexe tarifé et incline moins encore à approuver la prostitution chez les mineurs fussent-ils âgés de plus de quinze ans. Cindy ne cherche pas d’approbation. D’aucuns ajouteront que la misère et la mésestime de soi sont des contraintes qui rendent illusoires les pétitions de choix volontaire dans la pratique de la prostitution. Cindy n’a jamais connu les illusions de l’enfance et ne se croit pas si libre en fausse adulte.

Dimitriu et Brandon iront répondre de tout cela en comparution immédiate. Justice sera rendue. Plus tard, l’affaire est renvoyée. Bien défendus, Dimitriu et Brandon ressortent, interdits. Cindy est rentrée chez sa tante, du moins l’a-t-elle suivie en sortant du commissariat. Cindy n’est pas venu au Tribunal, pourtant c’est sur le chemin pour retourner à son tapin. Peut-être, espérera-t-elle y retrouver le soutien du regard de Dimitriu, voire Brandon. Non, ils sont sous contrôle judiciaire avec interdiction d’être à son contact. On l’entendrait presque murmurer : “Putain de Justice !”

vendredi 22 mai 2009

Délinquant né et suspect d’en être capable : l’enfant.

par Sub lege libertas


“Les enfants naissent libres de ne pas être délinquant et égaux en droit d’être soupçonné.” On pourrait ironiquement formuler ainsi le principe de la responsabilité pénale des mineurs en France à ce jour. Car avant même les interrogations techniques de Maître Eolas sur la possible ou l’impossible retenue etc. par des policiers d’un mineur âgé de 10 ans ou 6 ans, il faut rappeler que notre droit est totalement archaïque : il ne fixe aucune limite d’âge en deçà duquel la loi interdirait simplement de rechercher la responsabilité d’un mineur comme auteur d’une infraction pénale. Mais non, hurlez-vous : la majorité pénale est fixée à 13 ans par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante ! Il paraît même qu’il faut réform... Stop !!! reprenons calmement :

L’article 122-8 du Code pénal fixe comme critère de capacité pénale pour le mineur, c’est à dire pour être reconnu coupable d’un crime d’un délit ou d’une contravention, la notion de discernement. Quezaco ? Et bien seul un mineur “capable de discernement” quel que soit son âge peut être regardé par la justice comme auteur d’une infraction pénale.

Cela signifie que légalement rien (le bon sens peut-être, mais ce n’est pas une loi) n’interdit un procureur ou un officier de police judiciaire de suspecter un enfant de six ans d’un vol ; et de faire une enquête pour d’une part rechercher les preuves de sa culpabilité, mais aussi les éléments qui établissent son discernement, c’est à dire grosso modo sa capacité à distinguer le bien et le mal, ou plus simplement encore le fait qu’il avait conscience de l’interdit qu’il a violé. Donc, non seulement le policier pourra interroger l’enfant suspecté, mais pour ne pas se contenter de ce qu’il dit savoir de l’interdit, avoir recours à un avis de psychiatre ou de psychologue pour établir le discernement.

Cet état de notre droit est tout simplement scandaleux ! D’une part depuis 1989, la convention internationale des droits de l’enfant recommande aux Etats signataires de fixer un âge en deçà duquel aucune responsabilité pénale ne peut être recherchée (article 40 - 3°a de la convention). Bref, une immunité pénale sans enquête de police judiciaire possible à l’égard du mineur. D’autre part, il maintient en droit interne, la vieille notion de droit canon “d’âge de raison” (vous savez, vers sept ans, quoi!) Si elle avait un sens quand elle fut développée, il y a huit siècles (merci Saint Thomas d’Aquin et le IVe concile du Latran qui impose la confession (l’aveux des fautes) au laïc parvenu à cet âge), elle commence sans doute à manquer d’actualité... D’ailleurs, les experts requis pour trancher sur le discernement de l’enfant raisonnent somme toute avec le même substrat intellectuel que le droit canon, même si leur formulation est contemporaine.

Mais alors, dites vous, et ces seuils d’âge : 10 ans, 13 ans, 16 ans dont on entend parler chaque fois qu’on annonce qu’il faut réformer la fameuse ordonnance de 1945 ? Et bien, ils fixent juste des limites de contrainte possible à l’égard des mineurs :

  • - en deçà de 10 ans, le policier peut, comme pour un majeur, conduire en flagrance l’enfant au commissariat en avisant immédiatement ses parents ou l’y contraindre en enquête préliminaire, s’il n’est pas venu à une convocation. Le policier peut le retenir uniquement le temps de son audition avant de le remettre à ses parents et de leur donner connaissance de ses propos. La justice des mineurs, qui peut être saisie si le discernement est établi, peut condamner prononcer dit-on pour édulcorer, uniquement des mesures éducatives pouvant aller jusqu’à un placement tout de même.
  • - de 10 à 13 ans, le policier peut dans certains cas (assez larges en fait) avec l’accord préalable du procureur, retenir durant 12 heures le mineur au commissariat et même demander si nécessaire une prolongation de la retenue pour 12 heures de plus maximum. La justice des mineurs saisie - il y a là une présomption de discernement implicite - peut non seulement prononcer des mesures éducatives, mais aussi des sanctions éducatives (comme des interdictions de paraître dans certains endroits, des confiscations d’objet, des stages civiques ...)
  • - enfin à partir de 13 ans la garde-à-vue de 24 heures est possible, avec dans certains cas une prolongation, et la justice des mineurs peut condamner (là on le dit) à des peines dont l’emprisonnement dont le maximum est la moitié de la peine prévue pour les majeurs. Et à compter de 16 ans, pour faire simple, la situation du mineur se rapproche très fortement de celle du majeur pour sa garde-à-vue, le risque de peine encourue et la possibilité de détention provisoire.

Voilà, alors les policiers de Floirac ou Cenon sont zélés, certes. Ils ont peut-être une conception très ancienne de l’âge de raison par rapport au vol. Mais, ils n'ont pas choisi d’avoir un droit aussi peu protecteur de la petite enfance par rapport au questionnement pénal. Un espoir ? Et bien de façon incroyable oui, dans l'avant-projet de Code de la justice pénale des mineurs, qui pour le reste méritera des commentaires plus sévères (quand j'aurais le temps, Dadouche, help me). Si l’on en croit la mouture de travail, l’article 111-1 (le premier) affirmera que la responsabilité pénale n’est prévue que pour les mineurs âgé de treize ans et plus. Comme pour le confirmer, l’article 111-7 précisera que pour les mineurs de 10 à 13 ans, auteurs d’une infraction pénale, l’enquête de police ne vise qu’à établir les élements pour asseoir la responsabilité civile des parents. Jamais, je n’aurais pensé que la réforme tant annoncée pourrait avoir cette audace sur ce point... Demain peut-être en France un enfant pourra naître, non plus suspect possible, mais jusqu'à 13 ans, innocent.

Aux âmes bien nées, la retenue n'attend pas le nombre des années

Il y a des fois où je redoute d'arriver au bout de mes réserves d'indignation tant elles sont sollicitées. On avait déjà vu des policiers débarquer dans une classe de maternelle pour emporter deux enfants de 3 et 6 ans à expulser avec leur mère (vous ne me croyez pas ? C'est un horrible canard gauchiste qui le raconte), on avait déjà vu quinze gendarmes embarquer une famille avec un bébé de quatre mois pour placer tout le monde en rétention à 500 km de là. Six policiers entourent et escortent une fillette d'environ quatre ans, tache de rose au milieu du bleu nuit.

La série continue, cette fois ci sans aucun lien avec le droit des étrangers.

Une mère habitant Floirac, en Gironde, aperçoit un jour à l'école Louis-Aragon où va son fils une bicyclette ressemblant fort à celle que son fils s'était fait voler peu de temps auparavant. Elle va s'en plaindre auprès du directeur d'établissement, lui demandant de saisir cette bicyclette. Le directeur lui répond à juste titre qu'il n'en a absolument pas le pouvoir, cette affaire étant étrangère à l'établissement et concernant la vie privée des enfants. La mère n'en démord pas et va porter plainte à la police pour vol.

En Gironde, on ne plaisante pas avec le vol de bicyclette.

Deux voitures de police et six fonctionnaires vont donc attendre à la sortie le cycliste suspect. Âgé de dix ans. Et là, problème. Le vélo volé était vert, et celui du voleur présumé était bleu. Le gamin faisant défaut, c'est la littérature qui a volé, mais au secours de la force publique : si ce n'est toi, c'est donc ton cousin, âgé de six ans, qui lui a un vélo bleu. Que la mère du bambin spolié reconnaît comme étant un vélo volé à son fils il y a deux ans. Peste ! Ça sent la bande organisée. En tout cas, on cherchait un vélo d'un certain modèle vert, on a un vélo de ce modèle mais bleu, et on a un vélo d'un autre modèle mais vert. L'enquête progresse à grands pas. Tout le monde au commissariat.

Les enfants vont passer deux heures au commissariat, avant que la mère du voleur présumé n'arrive avec une attestation d'un sous-officier de l'armée de l'air jurant qu'il avait acheté lui-même le vélo suspect au gamin, ce que ce dernier expliquait depuis deux heures.

Au temps pour nous, dirent les policiers, remettant les enfants en liberté, une larme à l'œil à l'idée de ne pouvoir mettre une croix dans la case “affaire élucidée” des chiffres du commissariat, mais néanmoins consolés de pouvoir en mettre une voire deux dans la case “gardes à vue”, puisque ce critère fait partie des chiffres exigés par le ministère de l'intérieur dans cette culture du résultat qui fait tant de dégâts.

Les faits sont relatés par un article de la Dépêche.

En droit, que s'est-il passé ?

Rien que de très banal, dans un premier temps du moins. Un enfant mineur a été victime d'un vol de bicyclette (crime pour lequel je n'ai aucune sympathie, mes lecteurs savent pourquoi). Sa mère, titulaire de l'autorité parentale et en qualité de représentante légale, est allée porter plainte auprès de la police, précisant qu'elle avait cru reconnaître le vélo de son fils entre les jambes d'un des élèves de l'école primaire fréquentée par son fils.

L'officier de police judiciaire ayant reçu cette plainte a ouvert une enquête, en flagrance semble-t-il vu l'arrestation à la sortie de l'école, en se fondant sur l'article 53 alinéa 1er du code de procédure pénale : dans un temps très voisin de l'action, la personne placée en garde à vue était poursuivie par la clameur publique (en fait, la clameur de la mère de la victime, mais cela suffit). Une autre hypothèse est une enquête préliminaire, mais dans ce cas, il y aurait dû y avoir une convocation au commissariat non suivie d'effet pour permettre l'interpellation (article 78 du CPP) et la hiérarchie policière interrogée par la presse n'en fait pas état.

Il ne vous aura pas échappé, à vous du moins, que les mis en causes étaient mineurs. Très mineurs, même. La loi en tient compte, et c'est là que le bât me blesse.

Le plus âgé des deux avait dix ans révolus. Il ne pouvait donc être placé en garde à vue (c'est à partir de treize ans), mais, “ à titre exceptionnel ” dit la loi, retenu à la disposition d'un officier de police judiciaire. C'est l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945, celle que la belle du septième (arrondissement) veut réformer pour durcir allègrement.

Cependant, cet article précise que cette retenue ne peut avoir lieu qu'avec l'accord préalable et sous le contrôle d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants, pour une durée qu'il détermine et qui ne peut excéder douze heures (renouvelable une fois après présentation du mineur au magistrat). La durée a été respectée (la retenue n'a duré “ que ” deux heures) mais cela signifie qu'un magistrat a nécessairement donné son feu vert à la mesure (il n'avait pas à être consulté sur les modalités de l'interpellation à la sortie de l'école, je doute qu'il ait approuvé).

Autre problème : le bambin de 6 ans. Âgé de moins de dix ans, celui-ci ne peut en aucun cas faire l'objet d'une mesure de garde à vue ou de retenue ou de quoi que ce soit qui s'apparente à une arrestation (Ordonnance du 2 février 1945, article 4 toujours). À quel titre a-t-il été embarqué et gardé au commissariat ? L'article précise que l'enfant de dix ans attendait son petit frère à la sortie de la maternelle. Il eût été compréhensible que les policiers le prissent avec eux pour éviter qu'il ne se retrouvât livré à lui-même, mais il ne semble pas, à la lecture de l'article, que le cousin de six ans dût être escorté par notre faux voleur de bicyclette ; au contraire il ressort bien de cet article qu'il a été conduit au commissariat à cause des soupçons pesant sur son vélo vert (je sais, c'est compliqué, c'est de la délinquance organisée, n'oublions pas). En tout état de cause, le magistrat ayant autorisé l'interpellation de mini-Mesrine a-t-il été informé qu'il venait accompagné d'un enfant de six ans ?

Questions que je me pose mais auxquelles je ne peux apporter de réponses.

Le directeur départemental de la sécurité publique m'en propose une : c'est un non événement. “ Les services de police ont agi par rapport aux réquisitions d’une victime, sans excès d’aucune sorte. ” Si vous comptez sur l'État pour vous protéger, vous et vos enfants, demandez-vous donc avec Juvénal[1] qui vous protégera de l'État. Le bal des hypocrites est ouvert en tout cas au gouvernement qui feint d'être surpris des résultats de la politique qu'il a lui-même ordonnée (j'ai la flemme de faire des liens pour ça).

En tout état de cause, cette lamentable affaire, à la veille d'une grande réforme annoncée du droit pénal des mineurs qui n'ira certainement pas dans un sens de plus grande protection permet de rappeler opportunément un point essentiel qui, à lire les propos va-t-en guerre du gouvernement sur ce point, semble avoir été totalement oublié.

À côté des deux grandes catégories de mineurs qui retiennent l'attention du gouvernement, les enfants victimes et les enfants délinquants, il en existe une troisième, de loin la plus nombreuse : les enfants innocents. Ce ne serait pas plus mal que la loi les protège un peu aussi, ceux-là, quand bien même la seule menace qui pèse sur eux émane de l'État lui-même. Surtout à cause de cela, en fait.


Post-scriptum : un mot sur la photo d'illustration. Six policiers entourent une petite fille toute de rose vêtue. À gauche, un homme porte dans ses bras un petit garçon de deux ans, il est suivi de deux enfants de huit et treize ans environs. La police ne semble pas se soucier d'une possible tentative de fuite…C'est un recadrage de cette photo (AFP/Jack Guez). C'est une photo prise en 2006 à la sortie du tribunal administratif de Cergy Pontoise, d'une famille faisant l'objet d'une reconduite à la frontière avec placement en rétention. Les policiers entourent la fillette, et se désintéressent du reste de la famille, visible à gauche de la photo, dont aucun membre n'est menotté. C'est une technique couramment utilisée. L'escorte s'assure de la personne de la fillette. Ainsi, les policiers sont sûrs que la famille ne tentera aucune évasion, qui impliquerait d'abandonner cette petite fille. Les policiers justifient cette ruse habile en expliquant que “ c'est plus humain ainsi ”.

Notes

[1] Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ?

jeudi 21 mai 2009

Clap de fin

Au détour d'une de ces redoutables lois de simplification du droit dont le législateur raffole pour compliquer le travail des juristes (si vous croyez que je fais de l'ironie facile, lisez l'article 138 de la loi), en l'espèce la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, le législateur vient de mettre fin à la controverse née de la rédaction de l'article 67 du code de procédure pénale, dont Gascogne vous avait parlé ici.

Désormais, la loi exclut expressément l'enregistrement des gardes à vue en matière délictuelle (l'article 67 est désomrais ainsi rédigé : « Les dispositions des articles 54 à 66, à l'exception de celles de l'article 64-1, sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement. »).

Au passage, voilà comment, sous couvert de simplification et clarification, le législateur ôte de la loi une garantie de la défense (car cet enregistrement permettait à celui qui affirmait que ses aveux avaient été contraints ou faussés d'avoir une preuve) qui y était entrée, certes par accident, bien sûr par accident.

Amis juristes, parcourez bien cette loi, car elle change beaucoup de choses, et pas toujours dans un sens de simplification et de clarification.

Ainsi, désormais, la déclaration de nationalité du conjoint de Français depuis 4 ans se fera à la préfecture et non au tribunal d'instance. Sachant qu'il y a en France métropolitaine 95 préfectures et 473 tribunaux d'instance, je suppose que contraindre à un long déplacement est une simplification pour le législateur. Il y en a aussi pour l'indivision, la copropriété, les successions.

Comme d'habitude à chaque fois que le législateur simplifie le droit, l'aspirine est de rigueur.

vendredi 15 mai 2009

L'affaire du « Sarkozy je te vois »

Un enseignant marseillais connaît ces temps-ci une bien étrange mésaventure, qui serait cocasse si elle ne me laissait pas une certaine amertume dans la bouche.

Il y a un an de cela, il fait l'objet d'un contrôle d'identité dans la gare Saint-Charles de Marseille.

Et voici venu le moment d'une première pause. Qu'est-ce qu'un contrôle d'identité ? C'est le pouvoir donné par la loi aux forces de police de s'assurer de l'identité d'un individu, en lui demandant de s'en justifier. Il s'agit d'une atteinte à la liberté d'aller et venir (la personne contrôlée étant retenue le temps qu'il y soit procédé) et dans une certaine mesure à la vie privée puisque qui nous sommes et où nous allons ne regarde a priori que nous. Un tel contrôle ne peut donc théoriquement être opéré que dans les cas prévus par la loi. Je dis théoriquement car rien ne permet de refuser de se soumettre à un tel contrôle même s'il est manifestement illégal. Tout au plus peut-on soulever la nullité d'une procédure judiciaire lancée sur le fondement d'un tel contrôle illégal, mais encore faut-il que ce contrôle ait débouché sur des poursuites. Les honnêtes gens sont sans défense, car les honnêtes gens n'ont pas à se défendre, puisqu'ils n'ont rien fait, n'est-ce pas. Je vous renvoie à mes nombreux développement sur l'archaïsme de notre procédure et l'insuffisance de la protection des libertés individuelles en France, en voici un nouvel exemple.

Les cas légaux sont prévus à l'article 78-2 du code de procédure pénale. On peut les distinguer en trois catégories.

1° les contrôles sur réquisitions du procureur de la République.
Le procureur de la République donne l'ordre à la police de contrôler l'identité de toute personne se trouvant dans des limites géographiques qu'il précise et pendant un intervalle horaire qu'il détermine également, afin de rechercher certaines infractions, classiquement trafic de stupéfiants, port d'arme et séjour irrégulier. Tout contrôle hors de ces limites et horaires est nul. Si le contrôle révèle une autre infraction que celles visées dans les réquisitions, en revanche, aucune nullité n'est encourue. C'est sur ce genre de contrôles que sont interpellés nombre d'étrangers frappés d'un arrêté de reconduite à la frontière.

2° Le contrôle spontané.
La police peut décider de contrôler l'identité de toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs[1] raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit, ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. Si l'interpellation débouche sur une procédure, le policier devra préciser dans le procès verbal qu'il rédigera quelles sont les raisons qui l'ont poussé à opérer ce contrôle. Ces raisons peuvent être un comportement suspect (classiquement, celui qui, à la vue des policiers, fait demi-tour et part en courant), ou une ressemblance physique avec un avis de recherche diffusé par la justice.

3° Le contrôle géographique.
La loi permet à la police d'effectuer des contrôles discrétionnaires dans certaines zones géographiques où un fort flux de voyageurs internationaux a lieu : soit une bande de 20km le long des frontières et certains ports maritimes, aéroports et gares ferroviaires dont la liste est fixée par l'arrêté du 23 avril 2003. La gare de Marseille-Saint-Charles figure parmi ces zones où tout ce qui ne porte pas un képi est suspect.

Pour en revenir à notre enseignant, le fait qu'il se trouvât dans la gare Saint-Charles donne en tout état de cause un fondement géographique à ce contrôle. Il devait obéissance à la loi et accepter ce contrôle.

Accepter ne veut pas dire apprécier, et s'il fit le premier, il ne fit pas le second. Il explique que les personnels de police ont eu un comportement désagréable voire arrogant. Je ne puis confirmer ou infirmer, je n'y étais pas. Les policiers sont des humains comme les autres, ils ont leur lot de mauvais coucheurs, et tous nous pouvons tous le devenir après une mauvaise journée. Néanmoins les policiers ont droit eux aussi à la présomption d'innocence et je supposerai pour la suite du récit que le comportement des policiers a été correct.

Notre enseignant a donc voulu manifester son mécontentement, et l'a fait bruyamment, ce qui a pris la forme de deux exclamations : « Sarkozy, je te vois ».

Exclamations qui valent aujourd'hui à notre enseignant d'être cité à comparaître devant le juge de proximité pour y être jugé des faits de tapage diurne injurieux.

Et voici venu le moment de notre deuxième pause.

La contravention de tapage est prévue par l'article R.623-2 du Code pénal. Contravention de la 3e classe, qui fait encourir au maximum 450 euros d'amende. Pour être puni, le tapage doit être de nature à troubler la tranquillité d'autrui, et être soit nocturne, soit injurieux s'il est diurne. Or les mots ont été proféré à 17h50 d'après l'avocat du prévenu, il faisait donc jour.

Vous me connaissez : j'exècre le chipotage. Admettons donc le tapage, tant il est vrai que les marseillais sont réputés pour leur flegme, leur laconisme, et leur caractère placide. Admettons que le tapage soit de nature à troubler la tranquillité du public, tant il est vrai qu'on va dans une gare pour goûter le doux murmure des freins qui crissent et l'harmonieux susurrement des annonces sonores, ambiance idéale à la pratique du yoga, du tàijí quán et de la méditation transcendentale.

Mais le tapage injurieux ? En disant « Sarkozy je te vois » ? Rappelons que l'injure est constituée de tout terme outrageant ne contenant l'imputation d'aucun fait (Article 29 de la loi du 29 juillet 1881). J'espère que la procédure mentionne d'autres propos, mais ceux-ci semblent les seuls retenus dans la citation (sous toute réserve, je n'ai pas eu accès à ce document).

Je suis ravi de voir que le parquet de Marseille a du temps d'audience à consacrer à ce genre de dossier assurant à l'avocat de la défense une relaxe facile, mais j'ai du mal à sourire néanmoins.

Souvenons-nous de l'affaire du « Casse-toi pov'con ». Brandir un écrit qui critique implicitement mais clairement le président est une offense. Crier une critique de la politique sécuritaire voulue par le président est un tapage injurieux. Prochaine étape : une pensée désobligeante sera-t-elle une atteinte à l'autorité de l'État ?

Il y a dans ce type d'affaire une impression d'instrumentalisation du droit pénal pour faire une police politique qui me déplaît au plus haut point. Le peuple français est par nature un peuple de maillotins. Quelle que soit la légitimité démocratique sur laquelle s'appuiera le pouvoir en place, il y aura des opposants qui le contesteront, parfois injustement, parfois ridiculement. Et c'est tant mieux. Il est vrai qu'en quelques années, le nom du président apparaît presque toujours dans les procès verbaux des procédures d'outrage (alors que je n'ai jamais vu un dossier d'outrage où on invoquait le nom du président Chirac). C'est la conséquence inévitable de la politique d'omniprésence du président. Ça peut agacer. C'est vrai qu'à la longue, ça lasse. Ce n'est pas illégal pour autant.

La démocratie s'accommode fort bien d'un peu de désordre et la République a bien plus à craindre quand les gares sont silencieuses que quand les contrôlés sont tapageurs.

Notes

[1] Notez l'inutilité de la formule : si une suffit, peu importe qu'il y en ait plusieurs.

jeudi 7 mai 2009

Ce billet n'existe pas

Désolé de vous embêter avec un délit qui n'existe pas, mais vu qu'il va être jugé lundi par le tribunal correctionnel de Dijon, je vais vous demander de faire preuve d'un peu d'imagination.

L'histoire débute à l'été 2006. M'Hamed, 23 ans, arrive en France « pour voir de la famille » avec un visa de six mois. Ce visa expiré, il reste dans l'Hexagone clandestinement jusqu'au début de l'été 2008, où il rencontre Jennifer. Très vite, ils projettent de se marier. Sur les conseils d'un avocat, ils vont alors chercher en préfecture « un document qui mette M'Hamed dans la légalité en attendant le mariage », comme le raconte aujourd'hui sa compagne. « Mais nous avons été très mal reçus. Nous avons tout de même monté un dossier de mariage puis passé un entretien à la mairie de Dijon sans subir de remarques particulières ». Mais deux semaines plus tard, et après deux convocations préalables au commissariat de Dijon, M'Hamed est placé en garde à vue, puis envoyé au centre de rétention de Lyon Saint-Exupéry avant d'être expulsé vers le Maroc le 3 avril, à huit jours de la date prévue pour son mariage avec Jennifer en mairie de Dijon. Depuis, pour le couple, c'est l'attente.

Commentaire : un visa de six mois est un visa dit « long séjour ». C'était un bon point dans le dossier de ce monsieur car désormais (depuis la loi du 24 juillet 2006 de maîtrise de l'immigration), la plupart des cartes de séjour temporaire ne peuvent être délivrées que si l'étranger est entré avec un visa long séjour (de plus de trois mois). C'est notamment le cas pour la carte de séjour délivrée au conjoint de Français (article L. 313-11, 4° du CESEDA). Le dossier de ce monsieur se présentait donc fort bien. Il était donc urgent de le reconduire à la frontière, faute de quoi la préfecture n'aurait pas eu d'autre choix que de le régulariser, et ça, c'est mal.

Si les époux sont effectivement allés se présenter à la préfecture AVANT le mariage, je crains qu'ils n'aient été fort mal conseillés. L'époux n'avait à ce moment aucun droit à séjourner en France : ce droit n'allait naître qu'au moment du mariage. Il n'avait aucune protection contre l'expulsion. C'était se jeter dans la gueule du loup, d'autant plus que toute demande de carte de séjour suppose la présentation du passeport, qui facilite considérablement l'expulsion puisqu'il n'y a pas besoin de solliciter un laisser-passer consulaire des autorités marocaines.

L'entretien à la mairie est formalité obligatoire et une nouveauté issue de la loi n°20096-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages. Il s'impose même au cas de mariage célébré à l'étranger (auquel cas, l'entretien a lieu à la mairie du domicile du conjoint français s'il réside en France, soit auprès du consulat compétent). Vous pensiez être libre de vous marier à qui vous chante ? Vous vous prenez pour qui ? Pour un citoyen libre en République ? Et pourquoi a-t-on encore restreint une de vos libertés ? Je cite l'exposé des motifs du projet de loi :

La lutte contre l'immigration irrégulière et les mariages forcés constitue l'une des priorités (sic) du Gouvernement. Force est de constater que les règles du mariage, conformes à notre idéal républicain, sont trop souvent détournées de leur objet à des fins purement migratoires. De même, il est inacceptable dans notre société que des jeunes filles soient mariées de force aux seules fins de permettre à leur conjoint de bénéficier de l'application de la loi française.

Vous voulez vous marier ? Vous êtes suspect. Qui voudrait se marier avec vous, franchement, s'il n'est pas forcé ou ne vous utilisait pas pour obtenir des papiers, hein ? Franchement, je serais l'actuel président de la République, je me poserais des questions. Et vous vous rendez compte du toupet de ces étrangers ? Ils veulent l'application de la loi française. Ils se croient où ? En France ?

Une question à laquelle ne répond pas l'article du Bien Public, c'est : « Qui a prévenu le parquet ? ». Car les deux convocations au commissariat et le placement en garde à vue révèlent une enquête préliminaire, qui ne peut être ouverte que par le parquet ou avec l'aval du parquet. La garde à vue ne peut elle non plus durer sans l'approbation au moins tacite du parquet. On se situait au pénal. L'ex futur-conjoint a été placé en garde à vue pour séjour irrégulier, garde à vue qui aura pris fin avec classement sans suite (ce qui était prévu dès le début) dès que le préfet a pris son arrêté de reconduite à la frontière avec placement en rétention. Et huit jours avant le mariage, voici notre marocain éloigné. On l'a échappé belle : une de nos concitoyennes allait se marier avec l'homme qu'elle avait choisi, vous vous rendez compte ? D'ailleurs, pour faire bonne mesure, elle sera convoquée lundi prochain pour… aide au séjour irrégulier (en l'espèce pour avoir failli permettre à un étranger d'avoir un droit au séjour). Vous savez, le délit de solidarité qui n'existe pas, qui est un mythe. Détail amusant : s'ils avaient pu se marier, le délit aurait immédiatement pris fin, puisque l'article L. 622-4 du CESEDA exclut la responsabilité pénale de l'époux. C'est donc l'heureuse intervention du parquet qui a prévenu la fin du délit et permis de faire de l'ex-futur épouse une prévenue.

Lex regnat.

PS : Ah, et pour les esprits chagrins qui verraient immanquablement dans ce mariage contre nature un mariage blanc, c'est-à-dire simulé pour l'obtention des papiers : le mariage blanc est un délit spécifique, prévu à l'article L.623-1 du CESEDA. Donc si cette demoiselle malgré elle avait voulu simuler un mariage, elle ne serait pas poursuivi pour aide au séjour mais pour ce délit. Donc l'enquête a établi qu'il ne s'agissait pas d'un mariage blanc. Ce que confirme les démarches qu'elle continue d'effectuer pour avoir le droit de vivre avec l'homme qu'elle aime.

mardi 5 mai 2009

Gardez-moi à vue, j’ai l’intention de faire un malheur !

par Sub lege libertas


J’ai toujours été animé de mauvaises intentions, l’enfer étant pavé des bonnes. J’espérais ainsi gagner mon paradis, mais je ne pensais pas que cela pouvait m’aider à regagner mon domicile, aidé par la police. Maître Eolas nous avait narré comment avec un SMS vous pouviez remporter en baie de Somme un séjour à l’hôtel de police, sans appel à un numéro surtaxé. Mais, à Montpellier, pour peu que vous ayez un curateur, dont la mission est normalement de vous aider dans la gestion de vos biens et ressources, vous toucherez le gros lot sans même recevoir un SMS suspect. Il vous suffit d’avoir de mauvaises intentions et d’en faire part...

Selon une dépêche de l’AFP du 4 mai 2009, la police montpelliéraine avait reçu dimanche soir un appel du curateur d’un homme connu des autorités pour des troubles psychologiques, les informant des intentions de l’homme de faire exploser son appartement. Jusque-là me direz-vous, rien ne doit nous faire tiquer, car si cet homme est un peu toqué, on préfère la police au taquet pour prévenir cette explosion. Alors, braves gens de Montpellier vous pensez que vous avez dormi du sommeil du juste dimanche soir car sans désemparer, vos policiers sont allés quérir le désespéré à son domicile ou s’enquérir au moins de ses intentions réelles. Et bien, la dépêche nous narre que cet appel du dimanche est à l’origine de l’intervention policière ...lundi à l’appartement situé dans une maison de ville dans le quartier Gambetta de Montpellier. La rue a été bouclée par la police, trois camions de pompiers ont pris position à l’extrémité de cette rue et ont déroulé leur lance à incendie, a constaté un correspondant de l’AFP.

Alors là, vous vous réveillez stupéfaits qu’un homme que les autorités croyaient retranché dans son appartement de Montpellier avec des bonbonnes de gaz et des armes ait pu passer une nuit à ruminer ces mauvaises intentions. Mais surtout vous vous interrogez sur un tel déploiement de moyen le lendemain matin, sans même finasser en juriste tatillon sur le cadre de l’intervention. Il est vrai que les bonbonnes de gaz n’explosent pas la nuit, car elles dorment pour relacher la pression de la journée. Heureusement la police a l’oeil matutinal bien ouvert car, nous indique l’AFP, des policiers de la brigade anti-criminalité ont alors reconnu parmi les badauds qui s’étaient massés à proximité des lieux de l’intervention l’individu, ce forcené retranché dans son appartement qui s’octroyait une pause. Ils l’ont arrêté.

Ouf ! dites-vous soufflés par l’absence d’explosion. Mais ce qui est encore plus ouf dans cette intervention planifiée sans précipitation, c’est qu’une brigade de déminage a inspecté l’appartement et n’a trouvé ni arme, ni bonbonnes de gaz, a précisé une source policière contrairement à ce qui avait été dit dans un premier temps, de même source. La dépêche ne précise pas si l’individu arrêté était revenu à meilleure intention ou juste à son domicile.

Bon et alors ? Alors, j’avais appris qu’en droit l’intention seule n’est pas punissable, que la tentative d’une infraction lorsqu’elle punissable supposait un commencement d’exécution interrompue par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Et là je suis coi.

Ah mékeskidi le proc en latin ? A-t-il oublié que les menaces sont punies et que notre détraqué tout à trac de faire sauter sa maison, il menace bien de le faire, puisque son curateur s’en va prévenir la police.

Et bien non, je reste sceptique. Car, il y a bien les articles 322-12 et 322-13 du Code pénal qui disent que la menace de commettre une destruction dangereuse pour les personnes est punie, mais seulement si (au choix) :

  • elle est réitérée ;
  • elle est matérialisée par un écrit une image ou tout autre objet ;
  • elle faite avec l’ordre de remplir une condition (et là, c’est plus grave en terme de peine).

Mais que nous rapporte l’AFP ? Le curateur informait la police des intentions de l’homme de faire exploser son appartement. Comme la dépêche ne précise pas que le curateur a reçu un courrier ou un dessin, il nous faut donc supposer - et espérer pour la rectitude juridique de l’affaire - que ce majeur protégé aux intentions explosives a bien au moins à deux reprises dit à son curateur qu’il allait le faire. Vous noterez à ce stade de notre babillage que si ce majeur protégé s’était présenté à la réception de l’Hôtel de police en se contentant de dire : Bonjour, je me présente Gérard Menvupludingue domicilié rue Honoré Diunfou et je tenais à vous informer que je vais faire sauter mon appartement, merci de votre attention et bonne soirée. la menace n’est pas constituée, sauf si le planton vous dit : Pardon ? Vous pouvez répéter? et que maladroitement vous lui répondez autre chose que :Désolé, mais je n’y consens pas. Bonsoir.

D'accord et les mékeskidis supposent le curateur informé de façon réitérée de la menace formulée. Et donc il a bien fait d'appeler la police : il est tenu d’appeler la police, n'est-ce pas ?

Certes, le délit de menace est constitué, mais c’est la non-dénonciation de crime que la loi réprime à l’article 434-1 du Code pénal. Et détruire un bien par l’effet d’une substance explosive est un délit (article 322-6 du Code pénal). Mais s’il y a des morts ou des blessés, n’est-ce pas un crime ? Oui, mais la loi vous fait obligation dénoncer un crime commis ou entrain de se commettre (et là, seule la menace plane) pour en prévenir ou limiter les effets ou éviter un autre crime futur (et comme notre fol menaçant n’a pas déjà fait sauter quoique ce fût...).

Allez, cessez vos byzantineries, crient les mékeskidis agacés ! Ne pas appeler la police à ce stade, c’est de l'omission d'empêcher un crime ou un délit (article 223-6 alinéa 1 du Code pénal).

Que nenni, car il faut empêcher le crime ou le délit par son action immédiate, et la jurisprudence est claire sur ce point : l’abstention coupable découle de l’instantanéité de l’obligation d’intervenir. Bref, il faut que le crime se commette non pas qu’il soit simplement projeté. En outre, pour achever d’énerver les mékeskidis, l'omission d'empêcher un délit, suppose une atteinte à l’intégrité corporelle (or là, il est question de l’incendie projeté d’un appartement...). Bah, a minima c'est alors de la non assistance à personne en péril (article 223-6 alinéa 2 du Code pénal), soupirez-vous lassés. Hélas non, je crains car là encore, le péril doit être réel et imminent.

Mais, objectez-vous harassés par mon acharnement à vous dire, à vous comme à Madame la marquise, que tout va bien malgré les mauvaises intentions de notre montpelliérain secoué, il y a bien un article 40 du Code de procédure pénale qui oblige un fonctionnaire à dénoncer le délit dont il a connaissance.

Et alors ? Ce curateur est-il “une autorité constituée, un officier public ou un fonctionnaire qui dans l’exercice de cet fonction, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit” ? Rien est moins sûr : une curatelle est un mandat judiciaire destiné à l’assistance d’une personne privée. Elle peut être confié à un particulier ou à une association habilitée notamment. Je ne vois guère de certitude que notre curateur soit tenu par l’article 40 du Code de procédure pénale dont le non respect pose de toute façon des questions de discipline de la fonction publique, puisqu’il n’est pas sanctionné pénalement en tant que tel. Enfin, la dénonciation de l’article 40 est adressée au procureur de la République et non téléphonée à la police.

Donc, le curateur appelle la police non parce que la loi l’oblige formellement, mais parce qu’il subodore que son administré pourrait être dangereux pour lui même ou pour autrui, compromettre la sûreté des personnes ou porter atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Il relèverait le cas échéant, après avis d’un psychiatre, de mesure d’hospitalisation sous contrainte conformément aux articles L3213-1 et L3213-2 du Code de la santé publique. C’est d’ailleurs ce que suggère la dépêche AFP quand elle précise que l’homme est connu des autorités pour des troubles psychologiques. Le fait que la police ne se déplace que le lendemain est étonnant en terme de risque d’atteinte à l’ordre public, puisqu’on craint les éventuels agissements d’un possible malade mental. Alors, le déploiement du lendemain, sous les yeux paisibles du forcéné prétendu et sorti prendre l’air, est au mieux risible. Mais l’interpellation par la B.A.C. achève de gommer le sourire. Ah oui c’est vrai : l’innocence est présumée, mais moins que l’absence de trouble psychique.

- Il n'est pas fou, il est coupable !

- Mais de quoi ?

- Coupable ne pas être fou !

- C'est fou d'être coupable à ce point !

lundi 4 mai 2009

Pour aller en garde à vue, t'as une solution ?

Le Courrier Picard raconte une histoire qui, à en croire ma boîte mail, fait beaucoup réagir.

Une personne qui a reçu d'un collègue un SMS libellé « Pour faire dérailler un train, t'as une solution ? » s'est vue convoquer par la police et a passé une nuit en garde à vue. Je cite l'article :

« Ils voulaient avoir des précisions sur ce SMS. Je m'y suis rendu sans aucune appréhension, je ne voyais vraiment pas où était le mal. » Mais sitôt arrivé au commissariat, le ton change. « J'entends parler d'affaire criminelle, de terrorisme, et d'une garde à vue qui pourrait durer dix jours, raconte Stéphane. On me demande si je suis capable de choses farfelues comme, par exemple, faire dérailler un train. » Le jeune homme tombe des nues. Il donne le nom de son collègue, auteur du fameux SMS. La police perquisitionne chez ce dernier et le ramène au commissariat. « Je me disais, ils vont faire les vérifications et tout sera terminé. En fait, le cauchemar ne faisait que commencer. »

Sur instruction du parquet, S… est placé en garde à vue à 16 heures. « C'était un véritable choc. En deux secondes, j'ai eu l'impression de devenir un vulgaire criminel. Je me retrouve dans une belle cellule jaune qui sent la pisse, j'ai l'impression d'être traité comme un chien. » Au petit matin, les auditions se poursuivent. Les vérifications sont longues et S… ne retrouve la liberté qu'à partir de 16 heures, soit au bout de 24 heures de garde à vue. L'auteur du SMS est également libéré.

Premier rapide commentaire : pas dix jours, six jours, c'est le maximum possible en cas de terrorisme. En l'occurrence, 16 heures auront suffit mais la qualification terroriste aura permis de tenir l'avocat éloigné pendant ce laps de temps, car il n'a pas le droit de pointer son vilain nez avant 48 heures.

L'article est ambigü sur un point : il semble laisser entendre que l'opérateur a dénoncé S… après avoir intercepté ce SMS. Ce n'est pas (encore) juridiquement possible. L'article L. 34-1 des Postes et communication électroniques fixe les informations conservées et tenues à la disposition de la police, et cet article précise bien que ces informations « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. » (Il faut chercher un peu, c'est le 2e alinéa du V).

En fait, il semblerait que les faits soient les suivants.

Le portable habituel de S… est tombé en panne. Il l'a donc remis à son opérateur qui lui en a prêté un de remplacement. Au cours des opérations de réparation, le technicien est tombé sur ce SMS, stocké dans la mémoire interne du téléphone. Son sang picard n'a fait qu'un tour : faire dérailler un train, c'est comme arracher une caténaire, si on excepte la fait que ça n'a rien à voir : c'est sûrement un coup de Tarnac.

L'opérateur dénonce donc les faits à la police qui ouvre une enquête en préliminaire, pour non dénonciation de crime (art. 434-1 du Code pénal), s'il vous plaît, avec la procédure d'exception pour le terrorisme, pour faire bonne mesure. On lui reproche d'avoir eu connaissance de la préparation d'un attentat et de ne pas l'avoir lui-même dénoncé aux autorités.

S… a donc été convoqué, principalement… pour lui demander qui lui a envoyé ce SMS, et aller chercher ledit émetteur par la peau des fesses, et lui demander s'il n'aurait pas par hasard des tuyaux sur une insurrection à venir et des comités invisibles.

Âbénonhain, comme on dit dans la baie de Somme, a répondu ce dernier. Après seize heures à l'isolement dans une cellule jaune qui sent la pisse aux normes républicaines, il est remis en liberté. Le procureur de la République d'Abbeville est en charge des excuses (et moi du graissage) :

« La procédure pénale est la même pour tout le monde, que le risque soit probable ou peu probable », rappelle Éric Fouard, mettant en avant le principe de précaution qui prévaut en matière de terrorisme.

« Cette actualité récente [l'affaire Julien Coupat, qui remonte tout de même à sept mois] a certainement joué en sa défaveur, admet le procureur. Je comprends que, de son côté, la garde à vue puisse paraître violente mais, dans ce genre d'affaire, on ne peut prendre aucun risque. »

Je cherche pour ma part désespérément le risque que la police n'a pas voulu prendre en privant de liberté seize heures une personne qui avait reçu un SMS semblant indiquer que son correspondant n'avait pas la moindre idée de comment faire dérailler un train. Et pourtant, en tant qu'avocat, j'ai de l'imagination, forcément…

Moralité de l'histoire ? Il y en a plusieurs.

- Si vous ne faites pas dans le terrorisme, pensez à effacer vos SMS de la mémoire de votre téléphone. Sinon, merci de les laisser pour les services de police.

- Encore une fois, au nom de notre sécurité (le déraillement de train étant avec la grippe porcine mexicaine A la première cause de mortalité des Français, c'est bien connu), la liberté individuelle est balancée à la poubelle sans un seul instant de réflexion sur la nécessité de la mesure. Et avec la bénédiction de l'autorité judiciaire, garante des libertés individuelles selon la Constitution, qui sur ce genre d'affaire n'est vraiment pas à la hauteur de son rôle (un peu comme le procureur de Nîmes qui, tout magistrat qu'il est, a fait appel de la remise en liberté de la famille avec le bébé de quatre mois, la contraignant à passer trois jours de plus en Centre de rétention, pour rien et en violation de la Convention des droits de l'enfant : car ce placement était bien illégal. Principe de précaution, encore. On ne pouvait prendre le risque de laisser ce bébé de quatre mois en liberté).

En effet, sachez-le, seul le procureur de la République (ou le juge d'instruction si c'est sur commission rogatoire, mais le juge d'instruction est plus accessible que le procureur pour l'avocat) a le pouvoir d'ordonner qu'il soit mis fin à une garde à vue ; et la loi ne prévoit aucune possibilité pour l'avocat du gardé à vue de saisir un juge pour lui demander de regarder le dossier et juger de l'absolue nécessité de cette privation de liberté. Le procureur ne peut le faire que de sa propre initiative. D'ailleurs, pour peu que l'affaire porte sur du terrorisme, du trafic de stupéfiant, ou de la délinquance en bande organisée, l'avocat est soigneusement tenu écarté pendant 48 heures.

Quand je dis que la procédure pénale française a des aspects médiévaux, je suis injuste. Avec le Moyen-Âge. L'Habeas Corpus, les Anglais l'ont depuis 1215 (C'est Jean Sans Terre, le vilain Prince Jean de Robin des Bois qui l'a accordé à ses sujets !), les Français quant à eux restent soumis à l'arbitraire de l'État qui peut vous embastiller, pour votre sécurité bien sûr, pendant 48 heures sans que vous ne puissiez rien dire ; et si c'était une erreur, ne comptez même pas sur des excuses. Des anglais et de nous, qui sont les citoyens, qui sont les sujets, à votre avis ?

Ce qui est tout particulièrement rageant, c'est qu'en tant qu'avocat, ma position est que dès que S… a mis un orteil dans le commissariat, il devait être placé en garde à vue car ce placement est créateur de droits (notamment il fait partir le compte à rebours pour la durée maximum). Mais garde à vue n'est pas nécessairement synonyme de placement en cellule, retrait des ceintures, montres, lacets, lunettes, d'humiliation et d'heures d'attentes passées en cellule odoriférante. Sauf dans l'esprit des policiers. La CNDS le rappelle régulièrement[1], d'ailleurs, avec autant d'effet que pisser dans un violon (c'est peut-être pour ça que le violon sent l'urine, au fait ?).

Et pour finir sur une note optimiste, la politique du chiffre mise en place depuis 2002 prévoit parmi les objectifs chiffrés servant à noter les unités et à répartir les budgets le nombre de gardes à vue. Après ça, étonnez-vous qu'elles augmentent de 54% sur la période, et de 73% pour celles de plus de 24 heures. Ça en fait 225000 de plus par an. 616 de plus par jour. Une toutes les deux minutes. Il faut bien les trouver. Fût-ce dans votre boîte de réception des SMS.

Quoi ? J'avais dit que je finirai sur une note optimiste ? Au temps pour moi. Comme la police d'Abbeville, je me suis trompé.

Notes

[1] Voir dans son rapport 2008 tout beau tout chaud les avis 2006-100 ; 2006-108 ; 2007-64 ; 2007-81 ; 2007-107 ; 2007-130 ; 2007-144 ; 2008-1 ; et 2008-52.

jeudi 30 avril 2009

Prix Busiris pour Éric Besson

Le travail finit toujours par payer.

Et cela faisait deux semaines que notre très cher[1] ministre au titre interminable œuvrait pour rentrer dans le club des happy fewsl'attendait déjà son prédécesseur.

Portrait d'Éric Besson, qui s'affiche à droite, naturellement, rougissant d'aise de ce prix et déjà le regard dans le lointain se demandant ce qu'il va pouvoir inventer pour le deuxième. Photo ministère de l'Oriflamme et des Sarrasins.

Il l'avait déjà manqué d'un cheveu lors de son affirmation sur la crédibilité du GISTI et son délit mythique, mais dans son Grand Arrêt GISTI, l'Académie Busiris avait écarté le recours de l'association (Acad. Busiris, ass., 25 avril 2009, GISTI et autres, concl. Eolas, à paraître au recueil Tébonne et aux Grands Arrêts de l'Académie Busiris dès que Dalloz est intéressé) en retenant que l'affirmation était aberrante et mensongère, mais pas juridique, ce qui est un critère essentiel d'attribution du prix (v. dans le même sens : Acad. Busiris, ass., 10 nov. 2008, ''André Ride'', concl. Fantômette).

Le cabinet du ministre a donc pris en compte cette jurisprudence constante et a produit ce communiqué publié sur le site du Ministère-qui-a-beaucoup-de-I-et-un-peu-de-N, qui permet au ministre de remporter haut la main le prix tant convoité.

Passons sur la réitération de la décrédibilisation du GISTI. Wishful thinking comme disent nos collègues de l'Académie Française : ce n'est pas à force de le répéter que ça deviendra vrai.

Voici le paragraphe concerné (les gras sont d'origine) :

Éric Besson rappelle qu’en droit pénal, un délit n’est constitué que si son auteur a eu l’intention de le commettre. Or, en aucun cas, ce caractère intentionnel ne peut être constitué à l’égard d’un acte accompli à titre humanitaire. C’est pourquoi aucune poursuite ni condamnation n’a jamais visé une personne ayant accompli un tel acte.

Eh oui, j'entends déjà les parquetiers et les juges des juridictions pénales applaudir. Le silence venant des rangs des Mékeskidis étant embarassant, décomposons pour eux.

« un délit n’est constitué que si son auteur a eu l’intention de le commettre. » Jusque là, c'est bon. C'est l'article 121-3, alinéa 1er du Code pénal :

Il n'y a point de crime ou de délit sans l'intention de le commettre.

Notons que le reste de l'article n'est qu'exceptions à ce principe, mais aucune ne s'applique au délit d'aide au séjour, qui est un délit volontaire. Je vais revenir tout de suite sur le sens exact de cet article car le prix Busiris vient du fait que le ministre lui fait dire tout autre chose.

« Or, en aucun cas, ce caractère intentionnel ne peut être constitué à l’égard d’un acte accompli à titre humanitaire. » Voilà l'affirmation juridiquement aberrante. Elle est bien juridique car c'est du droit pénal. En quoi est-elle aberrante ? Faisons un peu de B-A-BA du droit pénal (c'est un des premiers cours de droit pénal général).

Une infraction, pour être constituée suppose la réunion de trois éléments.

L'élément légal : le comportement doit être incriminé par un texte antérieur à sa commission, qui doit définir le comportement ET prévoir la peine. Sinon, ce n'est pas un délit. Démonstration avec le cas Georges Frêche.

L'élément matériel : il faut un comportement caractérisé, qui peut être une action (frapper autrui, lui voler sa chose), ou plus rarement une omission (omission de porter secours, non dénonciation de crime…).

Et enfin l'élément moral de l'infraction : agir en connaissance de cause. Ce qui exclut le fou (de la condamnation, mais désormais plus du jugement). L'élément moral peut changer la nature de l'infraction même si l'élément matériel est le même. Ainsi, lancer une pierre qui blesse quelqu'un et le tue : si vous avez imprudemment lancé la pierre sans vous assurer que personne n'était dans la trajectoire, c'est un homicide involontaire. Si vous l'avez lancé vers cette personne pour lui faire peur, ce sont des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Si vous vouliez le tuer, c'est un meurtre. Pour le vol, l'élément moral est la conscience de ce que la chose appréhendée appartient à autrui. Pour l'escroquerie, c'est la conscience que la chose est remise par l'effet de la tromperie.

Et pour le délit d'aide au séjour irrégulier, l'élément moral est la conscience de ce que la personne que l'on aide est en situation irrégulière. Point.

Un principe essentiel du droit pénal, que j'avais rappelé à l'occasion de l'agression filmée dans un bus de nuit, est que les mobiles de celui qui commet l'infraction sont indifférents pour constituer l'infraction, sauf exception comme le mobile raciste. Le mobile est pris en compte une fois la culpabilité établie pour personnaliser la peine. Une illustration classique de cet état de fait sont les affaires dites d'euthanasie. Une personne en tue une autre. C'est généralement un proche, ou un soignant, mû par le désir de mettre fin aux souffrances considérées comme insupportables du patient (et peut-être aussi de ses proches…). L'opinion publique, aussi partagée fût-elle sur la question, est dans l'ensemble d'accord pour accorder une certaine indulgence à ceux qui commettent l'acte. Il demeure : c'est un meurtre. C'est pourquoi le docteur Tramois a été condamné à un an de prison avec sursis (la peine minimale, non inscrite au casier judiciaire qui plus est) pour avoir mis fin aux jours d'une patiente atteinte d'un cancer en phase terminale, et que le parquet a fait appel de l'acquittement de Lydie Debaine du meurtre de sa fille de 26 ans.

Donc, comme vous le voyez, l'élément moral d'une infraction peut être constitué même quand celui qui agit l'accomplit à titre humanitaire.

Revenons-en à notre délit d'aide au séjour. Voici la définition de ce délit (article L.622-1 du CESEDA) :

Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 Euros.

La loi prévoit des exceptions (art. L.622-4 du CESEDA) :

ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait :

1° Des ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et soeurs de l'étranger ou de leur conjoint, sauf si les époux sont séparés de corps, ont un domicile distinct ou ont été autorisés à résider séparément ;

2° Du conjoint de l'étranger, sauf si les époux sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément ou si la communauté de vie a cessé, ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

3° De toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte.

Les exceptions prévues aux 1° et 2° ne s'appliquent pas lorsque l'étranger bénéficiaire de l'aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d'une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint.

Comme vous le constaterez, la loi ne prévoit aucune exception pour motif humanitaire. J'ajouterai que celui qui héberge son fils, son frère, son époux agit pour des motifs humanitaires : l'amour d'autrui. Or il a fallu l'exclure expressément de la loi. C'est donc que sans cela, il aurait été condamné. Et si vous doutez encore, sachez que c'est justement quand des juridictions répressives ont commencé à condamner des frères et des époux que la loi a été modifiée (vous trouverez copie de ces décisions sur le site du GISTI : voyez l'année 1996, par exemple).

Voici pour l'affirmation juridiquement aberrante, qui vaudrait à son auteur de redoubler sa deuxième année de droit ou de devenir conseillère à la communication du ministre, je ne sais pas ce qui est le pire (je plaisante, Laure, je sais que tu aurais préféré repiquer).

Le caractère facultatif du contradictoire et aussi présent, mais discret, en ce qu'Éric Besson affirme qu'un acte accompli à titre humanitaire serait accompli sans intention de le commettre. Humanitaire, folie, tout ça, c'est un peu la même chose, n'est-ce pas ?

La mauvaise foi est ici évidente, tant l'obstination du ministre à persévérer dans son mensonge avec l'abnégation du kamikaze, en calomniant au passage l'organisation la plus respectée en matière de droit des étrangers suscite l'admiration (tenez, encore aujourd'hui sur France Info).

Enfin, le mobile (qui n'est pas indifférent au prix Busiris) d'opportunité politique l'emportant sur le respect du droit ne fait pas débat ici.

Un prix Busiris d'école, donc : un sans-faute. Ça valait le coup d'attendre.

Décidément, Éric Besson, c'est comme le délit de solidarité : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Notes

[1] Trente deniers, c'est pas donné…

mercredi 29 avril 2009

Synthèse de la décision du CSM concernant Fabrice Burgaud

Tout le monde n'aura pas le courage de lire la longue décision du CSM concernant Fabrice Burgaud, sans compter ceux qui n'ont pas besoin de lire quoi que ce soit pour avoir une opinion sur tout.

C'est dommage, car le CSM a fait un vrai effort de pédagogie et de rédaction de sa motivation, qui est un élément indispensable à la compréhension de cette décision.

Alors pour ceux qui sont overbooké, qui vont sur mon site (ou sur Rue89 où cet article sera repris) pendant que leur patron ont le dos tourné, voici une synthèse de la décision pour pouvoir briller en société en y consacrant un minimum de temps.

Comme toute décision juridictionnelle, elle rappelle d'abord les règles de droit applicables (cette partie s'appelle le visa), puis, après avoir rappelé le déroulement de la procédure, reprend un par un les arguments du demandeur et y répond, expliquant en quoi elle le rejette ou au contraire pourquoi elle l'estime fondé (cette partie s'appelle les motifs), avant d'exposer la teneur de sa décision cette conclusion s'appelle le dispositif. Rappelons enfin que le demandeur est ici le Garde des Sceaux, représenté par Mme Lottin, directrice des services judiciaires de la Chancellerie, désigné par la décision comme “l'autorité de poursuite”. Le défendeur est bien évidemment Fabrice Burgaud.

Les règles de droit applicables.

La règle de droit applicable rappelée en exergue est la suivante. N'espérez pas comprendre la décision si vous ne l'avez pas à l'esprit (les passages entre crochets sont des commentaires de votre serviteur).

D'abord, qu'est-ce qu'une faute disciplinaire pour un magistrat ?

La réponse se trouve à l'article 43 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

► Premier point, le Conseil rappelle le principe que l'indépendance des juges ne permet pas de critiquer les décisions qu'ils ont rendues, que ce soit dans leur motivation ou dans le sens de la décision, autrement que par l'exercice d'une voie de recours (appel, pourvoi en cassation, etc…), ce qui recouvre les actes du juges d'instruction. Donc le CSM ne jugera pas l'instruction effectuée par Fabrice Burgaud quand il était juge d'instruction à Boulogne : c'était le rôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai

Le Conseil rappelle les deux exceptions à cette règle :

Premièrement, si un tel manquement a été constaté lors d'un recours contre une décision du juge, le CSM peut sanctionner cette violation.

Deuxièmement, lorsqu'un juge a, de façon grossière et systématique, outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu'il n'a accompli, malgré les apparences, qu'un acte étranger à toute activité juridictionnelle, des poursuites disciplinaires peuvent être engagées.

Or dans notre affaire, l'instruction menée par Fabrice Burgaud a fait l'objet de nombreux recours devant la chambre de l'instruction, qui ont tous été rejetés. La première exception ne joue pas.

► Deuxième point, s'agissant du comportement global du magistrat et non plus des décisions qu'il a rendues, s'il n'appartient pas à la juridiction disciplinaire d'apprécier, a posteriori, la démarche intellectuelle du magistrat instructeur dans le traitement des procédures qui lui sont confiées, les carences professionnelles de celui-ci peuvent, néanmoins, être sanctionnées lorsqu'elles démontrent, notamment, une activité insuffisante, ou un manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l'information, un défaut d'impartialité, de loyauté ou de respect de la dignité de la personne.

Les griefs contre le magistrat

Voici les règles posées. Le CSM va reprendre ensuite un à un, en les classifiant, les vingt griefs soulevés par la Chancellerie. Et va en rejeter douze sur vingt, dont un (le 3-9) qui ne reposait sur aucun élément. Amusant quand on se souvient que l'on reproche à Fabrice Burgaud d'avoir traité son dossier avec légèreté…

S'agissant des huit qu'il va retenir, le CSM va suivre le raisonnement de la Chancellerie, qui reconnaissait elle-même qu'aucun de ces griefs ne constituait en soi une faute. Je le répète : la Chancellerie reconnaissait elle-même que Fabrice Burgaud n'avait commis aucune faute. Ça a échappé à beaucoup de commentateurs. Mais le cumul de ces griefs, qualifiés de « négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans les techniques d'audition et d'interrogatoire » constituerait lui une faute selon le Conseil, qui permet de prononcer une sanction. Le fait que la sanction prononcée soit la plus légère tient à une autre raison, que j'avais déjà annoncée (l'amnistie) sur laquelle je reviendrai à la fin.

La liste de ces griefs figure dans la décision, que je ne vais pas paraphraser ici, mais commenter. Sa lecture laisse un certain malaise à votre serviteur. Si cette liste montre bien que Fabrice Burgaud n'a pas été d'un professionnalisme à toute épreuve, et a même à certains moments fait preuve d'une certaine incompétence, je ne puis m'empêcher de penser que l'affaire d'Outreau, ce n'est pas le fait que le juge ait confondu deux Priscilla, ou ne se soit pas ému que d'une version à l'autre, le récit des enfants change. Si ces erreurs, pour regrettables qu'elles fussent, n'avaient pas été commises, l'affaire n'aurait-elle pas eu lieu ? Je vous donne un indice : Fabrice Burgaud est parti en juillet 2002. Le réquisitoire définitif demandera un non lieu pour un des mis en examen, qui sera accordé par le juge ayant succédé à Fabrice Burgaud, mais ce non lieu sera annulé par la chambre de l'instruction de Douai et le mis en examen en question renvoyé devant les assises de St-Omer où il sera acquitté. De même, ce ne sont certainement pas ces absences de vérification et ces contradictions non relevées qui ont été déterminantes lors du procès de St-Omer, où certains futurs acquittés seront condamnés, puisque la procédure devant la cour est orale, et que les jurés n'ont donc pas eu accès à ces procès-verbaux. À vous de vous faire votre opinion en relisant si vous le souhaitez la décision du CSM.

L'effet de l'amnistie

Comme je l'avais indiqué, un obstacle majeur se dressait sur la route de la Chancellerie : la loi d'amnistie votée à l'occasion de la ré-élection triomphale de Jacques Chirac. Elle amnistiait tous les faits constituant des fautes disciplinaires commis avant le 17 mai 2002 (date du début du second mandat de Jacques Chirac) ; or Fabrice Burgaud a quitté son poste à la fin du mois de juillet 2002.

La loi d'amnistie prévoit une exception à l'effacement de la faute : si elle constitue un manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs. Le CSM examine si les griefs antérieurs au 17 mai 2002 qu'il a retenus constituent un tel manquement et répond par la négative. En effet, les termes « négligences, maladresses ou défauts de maîtrise » retenus désignent des fautes involontaires. On ne manque pas à l'honneur ou à la probité par négligence.

Le CSM indique qu'il ne retiendra donc que les faits postérieurs au 17 mai 2002 pour évaluer la sanction. Là encore, si vous ne gardez pas ce point à l'esprit, vous vous condamnez à ne pas comprendre cette décision.

Cela laisse sept interrogatoires dont un d'un mineur et deux de Myriam Badaoui jugés insatisfaisants, une investigation non effectuée alors qu'elle aurait été nécessaire selon le CSM, deux notifications d'expertise effectuée juste avant la clôture de l'information, et la clôture elle-même sans avoir répondu aux demandes d'actes dont il était saisi.

C'est sur la base de ces seuls éléments que le CSM va déterminer la sanction.

La sanction adéquate.

Si vous avez suivi, je pense que la réprimande prononcée, la plus basse des neufs sanctions possibles, vous apparaît désormais plus claire.

Ce n'est pas toute l'instruction qui est jugée, mais seulement les trois dernier mois (du 17 mai au 7 août 2002) sur 20 mois d'instruction. Ce d'autant plus que le Conseil ajoute que sur la centaine d'autres dossiers que Fabrice Burgaud a instruit, aucun de ces manquements n'a été relevé, qu'aucune observation pouvant le mettre en garde n'a été faite par les autres magistrats intervenant sur le dossier, que ce soit le parquet de Boulogne ou la chambre de l'instruction de Douai, qu'aucune demande de nullité de la procédure n'a jamais été déposé par un des avocats des mis en examen, que cette affaire était extraordinaire par son ampleur et sa complexité, qu'il n'est pas contesté que Fabrice Burgaud s'est investi à fond dans le dossier et qu'enfin il n'a pas disposé des moyens dont il avait besoin et ce malgré ses demandes répétées.

Le Conseil prononce donc la sanction de réprimande avec inscription au dossier.

Ultime commentaire sur cette décision.

Cette décision ne satisfait pas l'opinion publique, je m'en rends bien compte. Et je m'en fiche. C'est le confort de l'avocat sur le politique. Le CSM n'avait pas à rejouer les Animaux Malades de la Peste et à crier haro sur le Burgaud. Mais elle ne me satisfait pas non plus, pour une raison sans doute opposée à l'opinion publique. Je pense pour ma part que le CSM n'avait pas de quoi condamner Fabrice Burgaud.

Je m'explique.

D'entrée de jeu, le CSM rappelle la règle : il cherche des fautes mais ne juge pas le travail du juge : c'est là le rôle des voies de recours (qui dans cette affaire n'ont pas été exercées hormis pour les demandes de mises en liberté). Et pourtant, c'est exactement ce qu'il va faire dans cette décision. Il va éplucher méticuleusement le dossier à la recherche des oublis, des contradictions non relevées, des astuces pourtant monnaie courante pour gagner un peu de temps (des expertises en même temps que des avis de fin d'instruction, j'en ai reçu à la pelle avant la loi du 5 mars 2007 qui a réformé le système). Bref, il va juger le travail du juge hors des voies de recours, va admettre que ce ne sont pas des fautes, mais en les empilant, va estimer qu'elle deviennent une faute. Il va ensuite constater que l'amnistie en fait disparaître 80%, et va donc sanctionner les 20% restant. Sacré tour de passe passe, plus à sa place dans Le Plus Grand Cabaret du Monde que dans une décision juridictionnelle.

Au-delà du cas de Fabrice Burgaud, que les Français adorent détester et dont je me fiche à titre personnel (hormis quand il met un de mes clients en prison, puisqu'il est à l'exécution des peines de mon tribunal), le CSM ouvre ainsi une porte à un contrôle disciplinaire de la qualité du travail du juge, et permet de le sanctionner même si aucune faute n'est constituée, en trouvant un cumul de négligences. Vous avez envie d'applaudir, car rien n'exaspère plus les Français que les privilèges qu'ils n'ont pas[1] ? Fort bien, mais gardez une chose à l'esprit : le pouvoir disciplinaire est mis en branle par le Garde des Sceaux, qui obéit donc au premier ministre (quand il y en a un) et au président de la République (pourtant garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire). Souvenez-vous en le jour où vous aurez comme adversaire un ami du pouvoir. Par cette porte ouverte, c'est l'indépendance du juge qui peut prendre la poudre d'escampette. C'est bien cher payé pour la tête de Fabrice Burgaud.

En outre, et j'en finirai là-dessus, avoir fait de Fabrice Burgaud le bouc émissaire de cette affaire, quitte à lui inventer des fautes (combien de gens m'ont-ils dit qu'il avait renvoyé aux assises un accusé pour le viol d'un enfant qui n'était pas né, alors qu'il s'agit d'une erreur commis longtemps après son départ par le parquet et rectifiée avant la cour d'assises par la chambre de l'instruction ?), c'est une façon commode d'escamoter les véritables leçons à tirer de cette affaire. Une réformette votée en mars 2007, dont le principal volet (la collégialité de l'instruction) est remise en cause avant même son entrée en vigueur (le 1er janvier prochain) par l'annonce de la suppression du juge d'instruction). Une réforme grotesque de la formation des magistrats (des tests psychologiques et six mois en cabinet d'avocat, mais suppression du stage en prison…). Et les pots cassés étant payés par les magistrats, lâchés par leurs ministres successifs, et donc sans voix pour se défendre, avec comme prix une perte de confiance des Français dans leur justice. Un gâchis peut en cacher un autre. Et même un troisième car les dégâts sont considérables dans les relations magistrats-chancellerie (l'actuelle locataire —à moins qu'elle ne soit plus qu'occupante sans droit ni titre ?— n'ayant rien fait pour arranger les choses, témoin ce communiqué que je mets en annexe, diffusé sur l'intranet du ministère de la justice à l'attention des magistrats. Comme on pouvait s'y attendre, le principal sujet du communiqué sur la décision Burgaud est le Garde des Sceaux elle-même. Si vous voulez donner un sens au concept de “ déplacé ”, c'est un cas d'école.

Allez, je sens que je vais plus me faire démonter en commentaires que si j'avais dit du bien de Youssouf Fofana.


Annexe : Communiqué de la Chancellerie (Source : Intranet du ministère de la Justice).

Communiqué du 27 avril 2009

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a rendu hier sa décision à l’égard de M. Burgaud. Beaucoup de français auront du mal à comprendre une décision qui, dans une affaire aussi grave, prononce une sanction symbolique. Mais il faut rappeler que le CSM est une instance indépendante qui nomme les juges du siège et prononce les sanctions à leur égard.

Les avocats de M. Burgaud mettent en cause l’impartialité de l’un des membres du CSM, M. Chavigné. Ce magistrat a siégé tout au long de l’instance disciplinaire qui a duré une semaine, sans qu’à aucun moment son impartialité n’ait été mise en doute par la défense de M. Burgaud. Il lui est reproché d’avoir, en août 2003, statué sur une demande de liberté concernant l’un des accusés de l’affaire d’Outreau. Il est à noter qu’à cette date, M. Burgaud n’était plus en charge de cette affaire depuis un an et que les faits qui étaient débattus devant le CSM n’avaient aucun lien avec l’audience à laquelle aurait participé M. Chavigné. Ce dernier doit fournir très rapidement au président du CSM toutes les explications qui permettront d’éclaircir la situation.

Dans cette attente, il est malhonnête de polémiquer. Mme Guigou a cru pouvoir mettre en cause la Chancellerie alors que celle-ci n’avait aucun moyen de connaître cette situation remontant à plusieurs années et qu’aucun des membres du CSM ne connaissait. Cette attaque est indigne. Mme Guigou, porte une lourde responsabilité, avec le parti socialiste, dans la dégradation de la confiance des français envers leur justice ; elle n’a porté, lorsqu’elle était garde des Sceaux, aucune des réformes qui auraient pu éviter cette dégradation. Elle n’a pas réformé le CSM, alors qu’il s’agissait pourtant d’un des points du programme de François Mitterrand et de Lionel Jospin.

N’ayant rien à dire sur le fond, elle se livre aujourd’hui à des attaques personnelles, alors que sous l’impulsion du Président Sarkozy, j’ai engagé une profonde réforme des institutions judiciaires.

Un nouveau CSM, dans lequel les personnalités extérieures à la magistrature seront majoritaires, sera prochainement mis en place. Tous les justiciables pourront présenter devant lui des recours disciplinaires contre les magistrats dont ils auront à se plaindre. L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a également été réformée pour que les juges soient plus en phase avec la société française d’aujourd’hui.

Les droits des justiciables et les libertés individuelles auront plus progressé en deux ans que sous l’ensemble des gouvernements socialistes.


P.-S. : Heu, non, là, je ne peux pas laisser passer.

Un rapide bilan de tous les gouvernements socialistes : Abolition de la peine de mort (qui est un progrès du droit du justiciable, tout de même), ouverture du droit au recours individuel devant la cour européenne des droits de l'homme (le même jour, d'ailleurs), droit à un avocat en garde à vue à la 21e heure en 1993 puis dès le début en 2000, droit de l'avocat de demander des actes au juge d'instruction, de poser des questions lors des interrogatoires et confrontations (1993), d'exercer un recours contre ses décisions (idem), gratuité de la copie du dossier (qu'est ce que ça a pu changer l'exercice effectif des droits de la défense, et par un simple décret, c'était en 2001), appel en matière criminelle (sans lequel six des acquittés d'Outreau seraient encore en prison), et j'en passe. Ces deux dernières années, c'est : peines plancher et rétention de sûreté. Youhou le progrès.

Notes

[1] Encore qu'en l'espèce, ils l'ont puisqu'en matière de droit du travail, la loi pose une prescription de deux mois pour poursuivre le salarié tandis que la faute du magistrat est imprescriptible, ce qui fait qu'un cumul de négligences que l'employeur reconnaîtrait non fautives ne permettrait pas en soi de licencier un salarié.

vendredi 24 avril 2009

La décision du CSM dans l'affaire Burgaud

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège
24 avril 2009
M. Fabrice BURGAUD

DÉCISION



Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux, ministre de la Justice, contre M. Fabrice Burgaud, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, premier président de Cour de cassation, en présence de M. Francis Brun Buisson, conseiller-maître à la Cour des comptes, M. Jean-Claude Becane, secrétaire général honoraire du Sénat, M. Dominique Chagnollaud, professeur des universités, M. Dominique Latournerie, conseiller d'Etat honoraire, M. Jean-François Weber, président de chambre honoraire à la Cour de cassation maintenu en activité de service, M. Hervé Grange, premier président de la cour d'appel de Pau, M. Michel Le Pogam, président du tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne, M. Luc Barbier, juge au tribunal de grande instance de Paris, Mme Gracieuse Lacoste, conseillère à la cour d'appel de Pau, et M. Xavier Chavigné, substitut du procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, membres du Conseil supérieur de la magistrature,

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Le temps des procureurs surpris par la nuit

Hier soir, France culture a diffusé, dans le cadre de son émission "Surpris par la nuit", produite par Alain Veinstein, un documentaire radiophonique intitulé « Le temps des procureurs », disponible à l'écoute sur le site ou en podcast sur iTunes.

Le documentaire radiophonique est un genre particulier, qu'il n'y a plus guère que France Culture à pratiquer, mais qui a son charme. L'image disparaît, remplacée par le son. C'est le bruit d'ambiance qui vous rend l'atmosphère, et cela oblige les intervenants à de la pédagogie, alors que la télévision, toujours beaucoup plus pressée, estime que l'image y pourvoit, ce qui est faux la plupart du temps.

La journaliste Amandine Casadamont a passé une journée dans deux parquets, un énorme et un tout petit : celui de Créteil (dont le ressort couvre tout le Val de Marne, soit un bon quart de la banlieue parisienne, 1.200.000 habitants et un nœud de circulation avec l'aéroport international d'Orly, et le marché de Rungis) et celui de Cambrai, tribunal de grande instance à deux chambres. Le département du Nord compte à lui seul pas moins de 7 tribunaux de grande instance (six après l'ouragan Rachida) contre un seul pour le Val de Marne ; mais la population du département du ch'Nord est de 2.500.000 habitants et surtout il s'étend des rivages de la mer du Nord pour unique terrain vague aux contreforts des Ardennes, soit 200km, contre 20km pour la distance la plus élevée pour le neuf-quatre. Même si à 8 heures du matin, je vous recommande plutôt le trajet Dunkerque-Fourmies que Vincennes-Périgny.

Elle a surtout accompagné les procureurs de permanence : ceux qui reçoivent les informations de placement en garde à vue et donnent les instructions pour les suites à donner au dossier, en fonction des comptes-rendus qui leur sont fait : classement sans suite, enquête de police préliminaire, comparution immédiate, ouverture d'une information. C'est passionnant pour les étudiants en droit qui envisagent l'ENM. Mais vous assisterez aussi à une comparution devant le délégué du procureur, pour une affaire que le procureur a décidé de classer sans suite après un rappel à la loi et le paiement d'une indemnisation à la victime.

Vous allez baigner dans le jargon, qui n'est pas toujours traduit. Si on vous explique les sens des CEA[1], CEI[2], ESI[3], ILA[4], vous entendrez à 1'48" cette phrase mystérieuse : « Je vais lui en parler, si c'est un renvoi à l'info, tu l'ouvriras. » Traduction : un dossier assez grave est en cours de traitement. Le parquet ne sait pas encore ce qu'il va décider, mais l'ouverture d'une instruction avec saisine du juge d'instruction est envisageable. La personne qui parle va donc en référer à la hiérarchie, qui décidera s'il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le juge d'instruction pour qu'il effectue une information judiciaire (synonyme d'instruction, on emploie le terme d'information pour éviter la répétition du mot instruction dans la même phrase quand “juge d'instruction” y figure : « une information judiciaire a été confiée à Lulu, juge d'instruction à Saint-Trouperdu-Sur-Nulpar ».). Donc il faut comprendre : « je vais en parler au chef (qui peut être le procureur himself à Cambrai, ou un vice-procureur en charge de la section du traitement en temps réel à Créteil). S'il décide qu'on renvoie le dossier devant le juge d'instruction pour une information judiciaire, c'est toi qui effectueras les formalités d'ouverture de cette information, à savoir le réquisitoire introductif, et le cas échéant le débat contradictoire devant le JLD pour placement sous mandat de dépôt. »

À la 17e minute, vous assisterez impuissants à une splendide nullité de procédure qu'aucun avocat ne pourra soulever. Un procureur, débordé, rappelle un service de police pour une garde à vue dont il est incapable de donner les détails, à commencer par le nom du gardé à vue. Si cette information était tombée dans les oreilles de l'avocat du gardé à vue, il tenait sa nullité : le parquet n'a pas été informé de manière effective dès le début de la mesure puisque le procureur ignore le nom du gardé à vue, le nom de l'officier de police judiciaire en charge de l'enquête, et visiblement la nature des faits. Information tardive du parquet, nullité. Heureusement, l'avocat est soigneusement tenu éloigné de cette phase de la procédure et n'a aucun moyen d'apprendre que les droits fondamentaux de son client n'ont pas été respectés. On a eu chaud, hein ?

Enfin, à la 40e minute, vous aurez un grand classique : un Palestinien sans passeport qui parle très bien le Français avec un fort accent algérien et le lit couramment (on ne vantera jamais assez la qualité du système d'enseignement du Français dans l'Éducation nationale palestinienne). Si on lui demande sa ville de naissance, c'est forcément Gaza. Ne lui en demandez pas plus sur la géographie de son pays ou le nom de la monnaie qui y est utilisée (le Nouveau Sheqel israëlien ou le Dinar jordanien ; informellement le dollar américain).

Vous saurez enfin pourquoi Gascogne est coi pendant plusieurs jours : il est de permanence, car au tribunal de Castelpitchoune, ça tombe plus souvent qu'à Créteil (Sub Lege Veritas, c'est différent : c'est un tire-au-flanc, il a le temps de venir).

Notes

[1] Conduite en état alcoolique.

[2] Conduite en état d'ivresse.

[3] Entrée et Séjour Irréguliers.

[4] Infraction à la Législation sur les Armes.

jeudi 23 avril 2009

Anthropologie judiciaire

Par Gascogne


Ah, qu'il était doux le temps où l'on se posait la question de l'accession des femmes à la magistrature...Car si aujourd'hui 75 % des auditeurs de justice sont des auditrices (pour plus de précision, voir ), sachez, Mesdames, que la magistrature entièrement composée d'hommes n'est pas si lointaine.

Des projets personnels et familiaux m'ayant conduit à faire un peu de ménage dans mes archives, j'ai retrouvé un discours de rentrée judiciaire que je ne peux que vous faire partager. En effet, le procureur général près la cour d'appel de Liège, en Belgique, M. Delwaide, se posait le 27 mai 1946 cette difficile question de l'accès des femmes à la magistrature, la France ayant permis cette évolution sociale quelques temps plus tôt.

Et je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager quelques extraits de cette Mercuriale, que vous pourrez lire en intégralité ici. L'on y devine très rapidement que M. le procureur général, sous une plume fort alerte, est très opposé à cette idée. Pourquoi donc ? Parce que cela serait totalement contre la nature même de l'art de juger, nous explique-t-il. En effet, celui-ci impose calme et détermination, alors que comme chacun le sait, "les femme sont incapables de garder leur sang-froid dans les discussions et ne sont pas faites pour le métier de juge".

Bien au delà, les femmes sont dépourvues des capacités pour exercer ce métier. Mieux, elles le savent, puisque "si les femmes réussissent dans l'art dentaire, et même dans la médecine, elles s'abstiennent volontairement de toucher à la grande chirurgie, sentant bien que cet art à responsabilité énorme les dépasse. Or, il y a certaines analogies entre la chirurgie et la justice. Dans les deux cas, il faut savoir avec sang-froid et parfois sur l'heure prendre les décisions dont dépend toute l'existence d'un sujet". Nous voilà avertis.

Pour bien faire comprendre à l'auguste assemblée masculine que l'échec serait patent si la porte de la magistrature était ouverte, le procureur général prend alors appui sur "l'échec" que constitue l'accession des femmes à la profession d'avocat[1] : "Nous constatons que généralement, les femmes prennent les affaires par le détail et que les grandes lignes leur échappent. Puis, elles n'ont pas la puissance. Ce qu'elles font est souvent gentil, mais elles manquent de ce qui fait l'orateur : le pectus[2]. Il y a dans l'existence de la femme avocate, une indication qu'en général, la femme n'est pas faite pour la vie du Palais. Et c'était à prévoir, puisque la vie du Palais est une lutte perpétuelle, et que dans toute la nature, physiquement et psychiquement, le mâle seul, à l'exclusion de la femelle est fait pour la lutte". (il ne connaissait pas encore Arlette Laguiller).

Car finalement, le problème qui se pose, "c'est au tréfonds, une question de glandes" (je vous assure que c'est dans le discours, je n'invente rien). "Chez l'homme de quinze à vingt ans, l'esprit s'illumine et prend son radieux élan. Il s'enrichit progressivement. A cinquante ans, l'homme est dans toute sa force intellectuelle renforcée de son expérience. A la fin de sa carrière, il vit de son acquis puis vient l'âge de la retraite vers soixante dix ans...Pour la femme, le processus est analogue, mais le mariage et la maternité constituent une nouvelle étape de son évolution, et vers les quarante-cinq ans, la vie sexuelle se retire, lui laissant le sentiment intime d'une diminution de son être et, souvent, un sentiment de modestie qu'elle n'avait pas antérieurement. La femme à ce moment engraisse et devient matrone. Ne faudrait-il pas dés lors, avancer de quinze ans l'âge de la retraite pour les femmes magistrats ?".

Je vous ai dit que sa plume était alerte, je n'ai pas dit légère...Rajoutez à cela que "de même, à la ménopause, sans aller jusqu'à l'entière irresponsabilité, une grande partie des femmes subit, dans une certaine mesure, des troubles psychiques..." Classe, on vous dit.

S'en suit tout un développement sur le fait que la gent féminine ne s'intéresse finalement qu'à la mode, dans le but de plaire aux hommes, et qu'une telle frivolité est incompatible avec la lourde tâche du juge. Il manque à la femme pour exercer les fonctions judiciaires la sérénité : "Il faut que la justice soit sans passion, modérée et sage. Or, cela est congénitalement contraire au tempérament de la femme. La femme est un être subjectif, émotif, passionnel, extrême en tout, se décidant avant tout pour des motifs de sentiments..." Et comme le disait un "savant professeur d'économie politique...après s'être apitoyées sur la victime, elles s'apitoieraient sur le condamné...Tranchons le mot, la femme est une personne antijuridique" (ah, on fait moins les malignes, là).

Je passe sur l'inévitable grossesse de la femme juge, pour laquelle "il faudra aussi installer au Palais une pouponnière avec nurse, et suspendre les audiences aux heures de tétée". "Et que fera-t-on quand une Présidente grosse de huit mois devra précéder son tribunal à l'audience, voir au Te Deum, avec le tangage d'une frégate désemparée ?" (oui, mesdames, je vous le demande, que fera-ton ? Chérie, si tu me lis...). "Il est certain qu'en raison des nécessités du service, on ne peut songer à nommer magistrat une femme mariée. Avec l'actuelle crise des domestiques, quand donc, mon Dieu, aurait-elle le temps de s'occuper des dossiers ?".

Et puis, que voulez vous, la femme "reste toujours dans une certaine mesure une proie destinée à être subjuguée". Seule solution qu'entrevoit notre haut magistrat, "la loi admettant les femmes dans la magistrature devrait prescrire formellement que seules pourront être nommées les vieilles qui sont laides". Cela évitera que les hommes magistrats ne succombent aux succubes...

Voilà mesdames un condensé de ce que l'on pouvait penser de vous il y a quelques 60 ans. Heureusement, aujourd'hui, les choses ont bien évolué, et plus personne n'oserait dire "Mais qui va garder les enfants ?"...

Notes

[1] allons, Fantômette, tu ne croyais quand même pas t'en tirer comme ça en te moquant de tes coloc' féminines...

[2] Poitrine, Coeur, selon le Gaffiot...Eloquence, au figuré

mercredi 22 avril 2009

Va-t-on jeter les victimes en prison ?

C'est ce que j'ai craint quand j'ai entendu notre Président Bien-Aimé déclarer (toutes les citations présidentielles seront issues de cet article) :

«Il n'est quand même pas extravagant de demander que la victime soit traitée dans la même condition que le délinquant».

Heureusement, la remise en contexte m'a révélé qu'il ne s'agissait que de simple démagogie. J'y reviendrai, mais relevons certains propos qui méritent commentaire.

Ainsi, le président a décidé de ne pas laisser le phénomène des bandes s'installer pour annoncer derechef la future pénalisation du simple fait d'appartenir à une de ces bandes. J'ai déjà traité la question, mais je relève juste une affirmation qui serait busirible si l'article 67 de la Constitution ne protégeait pas le Président en exercice des attributions du fameux prix :

J'ai vu deux reproches, ceux qui disent c'est liberticide, je ne vois pas en quoi c'est liberticide, soit c'est inefficace, il faudrait savoir, soit c'est liberticide, soit c'est inefficace.

J'adore la conclusion sous-jacente : efficace = liberticide ; mais je préfère une contre-démonstration par l'exemple. Décider que le fait de se promener seul dans la rue est passible d'un an de prison est liberticide. Et contre les bandes, c'est inefficace. Donc on peut faire les deux à la fois. J'ajouterai que l'actuelle majorité s'en est fait une spécialité.

Suivent deux annonces pot-au-feu (c'est meilleur chaque fois que c'est réchauffé) :

La première :

"L'attaque d'un fonctionnaire sera une circonstance aggravante."

Quelle super idée. Et on pourrait le mettre à l'article 222-13, 4° du code pénal :

[Sont aggravées les violences commises] : 4° Sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, un gardien assermenté d'immeubles ou de groupes d'immeubles ou un agent exerçant pour le compte d'un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d'habitation en application de l'article L. 127-1 du code de la construction et de l'habitation, dans l'exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur ;(…).

la deuxième :

Nicolas Sarkozy a également annoncé un durcissement des sanctions à l'égard de ceux qui pénétreraient dans un établissement scolaire pour y commettre des violences.

Re-super idée. On pourrait le mettre… je sais pas… au 11°du même article ?

[Sont aggravées les violences commises] : 11° Dans les établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux ;

On voit que le président a tiré les leçons du fiasco HADOPI : il annonce les réformes déjà en vigueur (l'aggravation liée à la situation dans ou à proximité d'un établissement scolaire date de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007, dont le projet de loi était signé par un certain… Nicolas Sarkozy). Comme ça, les députés planqués derrière les rideaux sont bien feintés.

Mais on ne fait pas de bonne démagogie sans taper sur la tête des délinquants d'une main et caresser celles des victimes de l'autre.

Et là, notre président a eu son chemin de Damas. Comment ? On ne traite pas les victimes dans les mêmes conditions que les délinquants ? C'est extravagant. Pourtant, franchement, où est la différence ?

Il a demandé que soit examinée la possibilité pour une victime d'avoir "un avocat à la minute de l'agression". Faisant valoir que les délinquants "avaient droit à la première minute dès l'ouverture de la procédure à un avocat", le chef de l'Etat a demandé que "l'on travaille pour savoir dans quelles conditions la victime pourrait être traitée aussi bien que le délinquant". "Il n'est quand même pas extravagant de demander que la victime soit traitée dans la même condition que le délinquant", s'est-il exclamé.

—Profond soupir—

Comme quoi on ne rappelle jamais assez les évidences.

La victime n'a aucun obstacle de droit à l'accès à un avocat. Simplement, la victime, à la minute de l'agression, n'a pas besoin d'un avocat. Plutôt d'un médecin (si l'agression est physique) et de la police. La priorité pour cette dernière est, outre l'interpellation du suspect s'il est encore dans les parages, la collecte des preuves. Empreintes digitales (on dit papillaires), génétiques, témoignages, images de vidéosurveillance. Parmi ces preuves, il y a la plainte de la victime et en cas de violences le certificat médical dressé par un service spécialisé appelé à Paris les Urgences Médico-Judiciaires (UMJ, situées à l'Hôtel Dieu) qui seul peut fixer l'incapacité totale de travail au sens de la loi et décrire précisément les blessures constatées, qui est un élément essentiel pour le dossier. Victimes de violences, n'allez pas voir votre médecin traitant, mais allez porter plainte : la police vous remettra une réquisition destinée aux UMJ ; allez-y aussitôt, plus le certificat est proche de l'agression mieux c'est. Vous me direz : voilà le rôle de l'avocat, dire cela aux victimes. Je vous répondrai que l'article 53-1 du code de procédure pénale prévoit que la police doit informer la victime présumée de ses droits lors du dépôt de plainte. Elle peut (et elle le fait d'ailleurs) insister sur l'importance de la collaboration de la victime dans le récolement des preuves.

Une fois la plainte déposée, la victime n'est plus sollicitée, sauf pour un complément de témoignage suite à la découverte d'éléments nouveaux ou une éventuelle confrontation avec un suspect. En dehors de cela elle est bien sûr libre comme l'air. Y compris libre d'aller voir un avocat.

C'est une fois qu'un tribunal ou un juge d'instruction est saisi que la victime présumée a besoin d'un avocat. Pas pendant l'enquête de police. Je reviendrai sur l'éventualité d'une intervention de l'avocat de la victime au cours de l'enquête de police.

L'auteur des faits, lui, une fois identifié et interpellé, est placé en garde à vue. Cette mesure est coercitive (le gardé à vue n'a pas le choix) et privative de liberté. Sous la pression de la cour européenne des droits de l'homme, le législateur français a dû, en 1993 (20 ans après l'entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l'homme en France qui prévoit ce droit à son article 5, tout va bien…), autoriser les gardés à vue à s'entretenir avec un avocat. Mais le pays des droits de l'homme a veillé à repousser à la 21e heure l'intervention de l'avocat, ce qui permettait de tenir éloigné cet importun d'une bonne moitié des procédures. La loi du 15 juin 2000 a enfin permis l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue. Mais rassurez-vous bonnes gens, l'avocat n'a droit qu'à trente minutes d'entretien avec son client, sans avoir accès au dossier, histoire d'éviter qu'il en profite pour, je sais pas moi, préparer la défense de son client ? Je ferai bientôt un billet sur ce qu'il y a de mieux à faire en garde à vue (se taire), sachant que jamais nos clients ne nous écoutent. Si la garde à vue est prolongée, le gardé à vue a droit à un deuxième entretien, dans les mêmes conditions.

Si à l'issue de la garde à vue le suspect est déféré devant un magistrat, son avocat aura enfin accès au dossier. Aucun juge n'a le droit de voir un prévenu si son avocat n'a pas eu au préalable accès au dossier et la possibilité de s'entretenir avec son client. Un gardien de la paix a de ce point de vue plus de pouvoir qu'un juge. Pour en revenir à la victime, son avocat aura accès au dossier exactement au même moment que l'avocat de la défense : dès l'instant où un juge est saisi (tribunal en comparution immédiate ou sur citation, juge d'instruction pour mise en examen, etc…). Donc de ce point de vue, les victimes et les prévenus sont sur un strict pied d'égalité.

Invoquer le droit du gardé à vue à un avocat pour l'élargir aux victimes est stupide (je mets 30 euros de côté pour l'offense au président de la République). La victime n'est pas placée en garde à vue, elle n'est pas privée de liberté, elle ne subit aucune mesure coercitive. Elle est libre, donc libre d'aller voir un avocat quand elle le veut. Ou de lui téléphoner. Son droit à un avocat, elle l'a déjà. Avocat qui a les mêmes droits que celui du prévenu (et aucun accès privilégié à la procédure).

Peut-être que le président souhaite que cet avocat puisse précisément intervenir lors de l'enquête de police, demander des actes, assister son client lors du dépôt de plainte ? Dans ce cas, ça change tout. J'applaudis vigoureusement à l'idée.

Car donner ce droit à l'avocat de la victime obligerait à le donner aussi à l'avocat de la défense, ce que nous réclamons depuis le néolithique supérieur. Ce serait une formidable avancée des droits de la défense.

Hélas, mon esprit chagrin, probablement, mais j'ai comme un doute sur le fait que telle soit l'intention présidentielle.

lundi 20 avril 2009

Prix Busiris pour Christian Estrosi

C'est sous les acclamations que l'Académie Busiris, qui l'avait depuis longtemps dans son collimateur, a décerné son (premier, l'impétrant est prometteur) Prix Busiris à Christian Estrosi, député maire de Nice, ancien Champion de moto[1] mais qui a pourtant raté l'Intérieur en 2007[2], impérissable auteur de phrases immortelles telles que :

Je veux aujourd'hui annoncer solennellement que Nice sera demain ma seule priorité (sic).

Le 10 mars 2008, 2 mois avant d'être candidat à la députation.

Ou bien, interpellé à l'Assemblée quand il était ministre délégué à l'aménagement du territoire sur les délais de procédure de naturalisation :

Qu'est ce que quatre heures d'attente pour devenir français ?

alors que le gouvernement auquel il espère bientôt appartenir pour démontrer une fois de plus que Nice est sa priorité, vient de s'émouvoir que le délai était plutôt… de dix ans ?

Bref, l'Académie piaffait : quand est-ce que le prioritaire vrombissant allait enfin décrocher la timbale ?

Grâces soient rendues à Jean-Michel Aphatie, c'est lui qui a fourni l'occasion, ce matin, sur RTL. Et je dois dire que l'Homme au Casque de Gomina nous a gâté.

Jean-Michel Aphatie : Vous savez combien de lois le Parlement a votées sur la sécurité depuis 2002 ?

Christian Estrosi : Oui, nous avons voté 6 ou 7 lois.

J.-M. A. : 17.

C. E. : 17, bon ...

En fait, du 1er janvier 2002 au 18 juillet 2008, le droit pénal français (je ne compte pas la procédure pénale) a été modifié par 116 lois. Je vous fais grâce des décrets, mais comptez facilement le double. Source : table chronologique, code pénal, Ed. Dalloz, 106e édition, Paris, 2009.

J.-M. A. : 17. Extension de la comparution immédiate, sanction contre les regroupements dans les immeubles, allongement de la garde à vue pour les 16-18 ans, loi sur la récidive, renforcement du pouvoir des maires ... 17 lois !

C. E. : J'ai été présent sur tous ces textes ...

Tellement présent que je ne sais même pas combien il y en a.

J.-M. A. : Et il faut en voter encore ?

C. E. : Et il faut en voter. Il faudra encore en voter parce que vous savez, le XXIème siècle avec l'arrivée des nouvelles technologies, avec Internet, avec la vidéo protection, avec tout ce qui fait que la délinquance s'adapte en permanence aux nouvelles législations. Vous savez, les délinquants dans les cités, ils lisent eux aussi le code pénal et le code de procédure pénale ...

Celle-là, je l'adore. Mais elle n'est pas busirible, juste risible. Ce n'est pas une affirmation juridiquement aberrante. Elle est juste aberrante.

J.-M. A. : C'est pas vrai ! Ah, vous croyez !

C. E. : Quand on a mis en place ...

J.-M. A. : Vous croyez que le Code de procédure pénale est un best-seller dans les cités ?

Arrive le prix Busiris :

C. E. : Les premiers qui ont été sanctionnés par les peines-plancher, c'était au mois de septembre 2007, et qui d'un coup s'en sont pris pour un ou deux ans ferme alors que depuis 22 interpellations, ils s'en sortaient avec une stricte impunité ; d'un coup se sont demandé ce qui avait changé dans notre code pénal. Et ils s'adaptent parfaitement à tout cela. Voilà pourquoi il faut faire évoluer nos législations.

Reprenons cette affirmation au ralenti. Laissons de côté l'affirmation des 22 strictes impunités. À Nice, tout le monde sait que les prisons étaient vides jusqu'à la loi sur les peines plancher.

Selon monsieur Estrosi, un délinquant récidiviste qui se serait pris deux ans fermes en septembre 2007, et qui se serait alors demandé ce qui avait changé dans notre Code pénal (qu'il lit pourtant quotidiennement dans sa banlieue insécure) s'est à présent parfaitement adapté à cette loi (sans doute parce qu'on ne l'a pas encore revu dans un prétoire), qu'il faut donc changer. Outre le fait qu'on se demande quel changement il faudrait apporter (appliquer la peine plancher sans attendre la récidive ? Sans attendre la commission d'un délit ?), quelqu'un pourrait-il faire remarquer à M. Estrosi que si notre délinquant n'est pas encore repassé devant les juridictions répressives, ce n'est peut-être pas parce qu'il s'est adapté à la législation plus vite qu'un docteur en droit lisant le J.O., mais… parce qu'il est en prison jusqu'en septembre 2009 (ou pour chipoter, juin 2009 en comptant les réductions de peine elles même réduites à cause de l'état de récidive) ?

Comme le bon vin, le prix Busiris de M. Estrosi a gagné à être attendu patiemment. L'Académie joint à son prix une motion suppliant le Président de la République de prendre le récent primé dans le futur gouvernement, car le record de Mme Dati semble assurément à sa portée. C'est une graine de champion que nous avons là, ne l'oublions pas.

PS : une caméra de vidéosurveillance a capturé l'exploit. Des images d'une rare violence, sur le site de RTL.

Notes

[1] Il a gagné le championnat du Monde 750 cm³ couru à Dijon en 1977.

[2] Merci à Dirty Denys à qui j'ai sans vergogne piqué son jeu de mot.

Considérations sur une agression

Le buzz semblant quelque peu retomber, nous allons pouvoir réfléchir comme aiment à le faire les juristes : sereinement.

Une vidéo a récemment beaucoup fait parler d'elle : il s'agit des images de vidéosurveillance d'un omnibus de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), qui comme son nom l'indique, est un établissement public industriel et commercial et non une régie. Ces images, que je ne souhaite pas reprendre ici en raison de leur caractère illicite, pour les raisons que j'exposerai ci-après, montrent un jeune homme qui se fait, dans un premier temps, dérober son portefeuille par un acte astucieux[1] : un premier complice aborde le jeune homme et visiblement sollicite de manière insistante une cigarette ; le deuxième l'aborde à son tour et le distrait tout en retournant son manteau et le secouant pour faire glisser le portefeuille hors de sa poche ; enfin, un troisième récupère le portefeuille et le cache. La victime de ce vol s'en rend toutefois rapidement compte, et tente de le récupérer par la force. Aussitôt, les deux autres complices et un autre volent au secours de leur camarade et rossent d'importance la victime du vol, avec un acharnement vengeur puisqu'alors même que leur victime est hors d'état de se défendre, les agresseurs reviendront à l'assaut, et par surprise dans le dos qui plus est, car rien n'a plus de courage que la réunion de la lâcheté. En outre, un voyageur, ayant voulu porter secours à cette victime (en faisant un croche-pied à l'un des agresseurs), se prendra lui aussi deux coups de poing au visage.

Les agresseurs finissent par partir avec la satisfaction de la victoire facile. La vidéo s'arrête là mais pas cette affaire puisque le Service Régional de Police des Transports[2] interpellera peu de temps après deux des agresseurs, qui seront mis en examen et le sont encore à l'heure où j'écris ces lignes. À ma connaissance, aucun mandat de dépôt n'a été décerné à cette occasion. Ajoutons que l'un des agresseurs était mineur (le nabot à capuche pour ceux qui ont vu la vidéo).

Cette vidéo a été semble-t-il mise en ligne par un policier du SRPT, qui ne s'attendait pas à l'écho qu'elle aurait, et qui a depuis été identifié, est suspendu et fait l'objet d'une procédure disciplinaire.

En outre, la victime de l'agression, parfaitement visible sur la vidéo, a porté plainte pour violation du secret de l'instruction par ce policier.

Car cette vidéo a fait les choux gras des sites et blogs dit "identitaires", qui en ont fait la promotion en affirmant que cette agression était “raciste”, laissant entendre qu'elle est la démonstration d'un phénomène généralisé de haine des populations d'origine étrangère à l'égard des populations d'origine pas étrangère, le critère unique de distinction étant la comparaison de la pâleur de la couleur de la peau. À ce propos, les inévitables commentaires de gens n'étant pas habitué à la correction de mise en ces lieux qui se contenteront d'exprimer lapidairement et par voie d'affirmation péremptoire tout le mal que leur auteur pense des gens pas assez comme lui seront traités comme il se doit, merci de ne pas nourrir le troll le temps que Troll Detector™ fasse son office.

Cette vidéo soulève deux questions de droit : s'agit-il de violences racistes au sens de la loi, et en quoi diffuser cette vidéo est-il illicite ?

S'agit-il de violences racistes ?

Cette question en appelle immédiatement une autre : qu'est-ce qu'une violence raciste ?

Le terme de violences, sous entendu volontaires, recouvre le sens premier du terme : les coups portés dans le but de blesser ou à tout le moins provoquer une souffrance chez la victime. Mais la jurisprudence a étendu la notion de violence à tout geste de nature à provoquer une souffrance chez la victime, même sans contact physique. Ainsi, foncer sur une personne avec une voiture pour piler in extremis est une violence, l'action étant de nature à provoquer une grande peur chez la victime. Et si la victime devait décéder d'une crise cardiaque à cause de cette frayeur, nous serions en présence du crime de violences ayant entraînés la mort sans intention de la donner. Dans notre affaire, les actes perpétrés sont des violences par nature : coups de poing, coups de pied. Pas de problème sur ce point.

Simplement une subtilité juridique : le délit à retenir n'est pas celui de violences volontaires, mais de vol aggravé : n'oublions pas qu'à la base, il y a un vol, et c'est la réaction de la victime contre ce vol qui a déchaîné les violences, qui visaient à assurer aux auteurs du vol la réalisation de leur méfait. Il s'agit donc d'un vol (base : 3 ans, 45.000 euros d'amende) aggravé par le fait qu'il a été commis en réunion (deux coauteurs ou complices au moins : on passe à 5 ans, 75.000 euros), et dans un transport en commun (nous voici à sept ans, 100.000 euros d'amende). Le vol est accompagné de violences : nous voici à 10 ans et 150.000 euros d'amende. Et là, bing, on se heurte la tête au plafond délictuel. Le vol peut être aggravé par trois circonstances au maximum, qui lui font atteindre le plafond de 10 ans, le maximum encouru pour un délit hors état de récidive. Le fait que ce vol ait pu être commis pour des mobiles racistes est donc indifférent au niveau de la qualification. Le parquet a déjà des preuves difficilement réfutables qu'il s'agit d'un vol aggravé par trois circonstances. Pourquoi diable irait-il s'aventurer sur un terrain probatoire fort difficile ? [NB : paragraphe mis à jour]

En outre, si les blessures subies par la victime excèdent huit jours d'incapacité totale de travail (ce qui me semble probable vue la violence de l'agression), le parquet n'a même plus à s'embêter avec la réunion et le lieu de commission : on atteint directement le maximum de dix ans de prison et 150.000 euros d'amende, mobile raciste ou pas : article 311-6 du code pénal. Oui, il est aux yeux de la loi plus grave de casser le nez de quelqu'un en lui piquant son portefeuille que de le lui piquer en le giflant et en le bousculant en groupe pour des mobiles racistes. Le législateur n'est pas l'as de la cohérence législative.

Mais bon, pour l'intérêt de la discussion, demandons-nous donc si ces violences étaient racistes.

La circonstance aggravante liée au racisme est entrée dans le code pénal par une loi du 3 février 2003. Sa formulation exacte aggrave les délits de violences et de vol commis à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou de son orientation sexuelle, vraie ou supposée (la mention de l'orientation sexuelle sera rajoutée par la loi du 18 mars 2003 sur la Sécurité Intérieure…).

En principe, en droit pénal, les mobiles sont indifférents sur la qualification. Robin des Bois a beau voler aux riches pour donner aux pauvres, il est un voleur au même titre que celui qui vole aux pauvres pour garder pour lui[3]. L'explication est que la preuve du mobile est une preuve difficile à rapporter. Comment prouver l'intention qui anime une personne au moment où elle agit ? En faire un élément de l'infraction risque de paralyser la répression. Par contre, le mobile, quand il est connu, est pris en compte pour fixer le quantum de la peine. C'est une chose que Robin des bois et son alter ego ultralibéral soient tous deux des voleurs. Mais là où Robin des Bois sera condamné à une peine de prison avec sursis voire une dispense de peine, l'autre voleur sera condamné à une peine de prison ferme. Pour une même qualification juridique.

Le mobile raciste (qui recouvre l'antisémitisme et l'homophobie, entre autres) est donc délicat à démontrer. Un homophobe peut frapper un homosexuel pour une autre raison que son orientation sexuelle. Voire en ignorant qu'il est homosexuel. Et les propos tenus lors des actes de violence peuvent constituer un indice, mais pas forcément une preuve. Souvenez-vous du procès de Jean-Marie Garcia, diffusé en feuilleton par France 2 : le mobile raciste a été écarté alors même qu'un témoin assurait qu'il s'était écrié “sale arabe” avant de tirer une balle dans la tête de sa victime. Les propos tenus par l'auteur peuvent s'ajouter à une faisceau d'indices : s'il apparaît que l'auteur des violences a tenu publiquement des propos hostiles à la population à laquelle appartient sa victime, s'il fait partie d'un mouvement ouvertement hostile à cette population, etc…

Et dans notre affaire, lors du déchaînement de violence, on peut en effet entendre une voix s'écrier “ Français de merde ” à deux reprises. Au milieu d'une douzaine de “ fils de pute ” ce qui semble indiquer que la légitimé de la filiation de la victime était une plus grande préoccupation pour les auteurs des coups que la nationalité de celle-ci.

Bien évidemment, le terme “ français ” n'est pas à prendre au sens juridique de “ de nationalité française ” : il y a gros à parier que tous les belligérants étaient de cette nationalité. Il s'agit de la périphrase utilisée couramment par les jeunes des quartiers dits défavorisés pour désigner un blanc de type européen, par opposition à un arabe (“ rebeu ”), qui est pourtant leucoderme lui aussi, ou un noir (“ black ”).

Est-ce suffisant pour établir que les agresseurs étaient animés de pensées racistes, et que le vol était dû au départ à cette volonté raciste ? Pour l'avocat de la défense que je suis, rien n'est moins sûr. Tout d'abord, la vidéo montre que le vol du portefeuille au départ était vécu comme un jeu, un défi du type “ t'es pas cap' ”. Les auteurs de l'agression, hilares, font tout pour ne pas être repérés, et c'est l'apparence “ bourgeoise ” de la victime qui semble avoir été déterminante. On serait donc plus dans une optique de lutte des classes que de racisme. J'ajoute que la vidéo montre que l'un des agresseurs (un noir aux cheveux teints en blond…) est assis à côté d'une jeune fille qu'il enlaçait, donc vraisemblablement sa petite amie… qui est blanche, châtain clair aux cheveux raides , donc entrant irréfutablement dans la catégorie “ française ”. Voilà qui bat en brèche la force probante des propos tenus dans le feu de l'action, visant plus à offenser la victime qu'à exprimer une opinion sur la hiérarchie des races.

C'est la résistance de la victime, le fait qu'elle ait voulu employer la force pour récupérer son bien, et qu'elle a semble-t-il, lors de la bousculade qui a suivi, entraîné au sol l'un des membres de la bande qui a été l'élément déclencheur de la violence qui s'est déchaînée. Qu'il soit clair que je ne blâme pas la victime d'avoir résisté ni n'insinue que c'est sa faute : je suis dans une simple recherche de causalité immédiate. Car c'est là la démarche du juriste, qui recherche la qualification la plus proche de la vérité, et non à poser un jugement moral ou à apporter la démonstration de la validité d'une thèse politique visant à faire de cet incident précise une démonstration plus vaste que tous les noir et arabes de France haïraient les blancs.

En conclusion sur ce point : le mobile raciste n'aura pas à être expressément démontré pour assurer l'efficacité de la répression, les violences étant à mon sens suffisantes pour retenir une qualification maximale faisant encourir dix années. Il présentera un intérêt s'il peut être démontré pour fixer le quantum de la peine, mais je ne suis pas certain que cette vidéo démontre la réalité du racisme de ses auteurs. Ne soyez pas outré : elle contient tout ce qu'il faut pour le prononcé de peines très sévères.

En quoi ces images sont-elles illicites ?

Les tenants de la théorie du complot arabo-noir mettent promptement sur le compte du politiquement correct le fait que cette vidéo ait été retirée des plates-formes Youtube et Dailymotion. Je ne vais pas blâmer des gens ayant peu l'habitude de réfléchir de retenir la première explication qui leur vient à l'esprit dans la tête, et qui va dans le sens de leur théorie.

Cette vidéo est illicite pour plusieurs raisons légales objectives.

D'un simple point de vue civil, la version originale montre les visages de tous aisément reconnaissables. Y compris en premier lieu de la victime, qui se fait battre comme plâtre. Dès lors, celle-ci bénéficie de la protection de son droit à l'image, de même que ses agresseurs, eh oui (article 9 du code civil).

En outre, car ce point peut être réglé par un floutage, cette vidéo est une pièce d'un dossier d'instruction en cours. Le policier qui l'a publiée a commis une violation du secret professionnel (art. 226-13 du code pénal), et détenir une copie de cette vidéo sur leurs serveurs constituerait pour Youtube et Dailymotion un acte de recel.

Enfin, une loi imbécile restant une loi, celle du 5 mars 2007… enfin, l'une de celles du 5 mars 2007 a instauré un délit (article 222-33-3 du code pénal) déstiné à lutter contre le “ happy slapping ” punissant de 5 ans de prison et 75.000 euros d'amende le fait de diffuser l'enregistrement d'images relatives à la commission d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, sauf lorsque l'enregistrement ou la diffusion résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public[4] ou est réalisé afin de servir de preuve en justice. La diffusion de ces images à des fins d'excitation de l'opinion publique en faveur de ses thèses politiques n'entre pas dans ces exceptions. On peut critiquer cette loi (j'en serais), mais en attendant, la loi est faite pour être appliquée[5].

Notes

[1] Au sens juridique : la délinquance astucieuse s'oppose à la délinquance violente en ce qu'elle fait en sorte que la victime ne réalise pas immédiatement qu'elle a été victime de l'infraction pour donner à son auteur le temps de prendre le large.

[2] Un service de la police national spécialement consacré à assurer la sécurité sur les réseaux de transports en commun de Paris et de l'Île de France, créé en 2003.

[3] Qui a dit “ ça s'appelle un agio sur découvert ” !?

[4] Il y a une loi qui interdit au législateur de faire bref en disant “ journalisme” ?

[5] Avec au passage un merci à Fantômette de m'avoir mis sur la piste de cette qualification à laquelle je n'avais pas pensé.

jeudi 16 avril 2009

Haussons le niveau de Besson

C'est marrant, c'est toujours quand je m'y attends le moins qu'un de mes billets a un certain écho. C'est encore le cas avec mon billet sur les propos d'Éric Besson, pourtant tenus cinq jours plus tôt, ce qui en temps médiatique est une éternité.

France Info, dans Info Net, s'est ainsi fait l'écho de mon coup de gueule contre le cerbère de l'Hexagone.

Et un honneur n'arrivant jamais seul, le judas de la porte d'entrée de la République était aujourd'hui l'invité de Alain Marschall et Olivier Truchot dans l'émission Les Grandes Gueules sur RMC. Il a à cette occasion été confronté à mes propos, et en profité pour itérer les siens.

Je retiens ce passage (à la 104e seconde de l'enregistrement) : « Ce que j'ai dit c'est que personne n'a jamais été condamné en France (…) pour avoir hébergé à son domicile un étranger en situation irrégulière … ».

Il l'a bien dit, redit, et il le maintient, nous sommes d'accord ?

Bon. Voici le texte de l'arrêt de 2006 que je citais, les seules modifications apportées visant à assurer l'anonymat des personnes mises en cause (y compris le travail du prévenu). C'est le cas de C… qui nous intéresse. Je graisse ; les notes de bas de page sont de moi. Voyez vous-même : la cour d'appel annule la relaxe et condamne une personne qui a hébergé son amant deux ou trois nuit, sachant que cet amant a été régularisé au titre de l'asile dès qu'il a pu effectuer la démarche, trois mois après son arrivée en France. Peu importe, dit la cour : avant cette démarche, il était en situation irrégulière, et être simples amants (ils sont devenus concubins stables, mais seulement par la suite) ne donne aucune immunité. Coupable au titre de l'article L.622-1 pour avoir hébergé son petit ami (qui était légitime à demander l'asile) trois nuits.


COUR D'APPEL DE DOUAI, (4ème Chambre)
Arrêt du 14 novembre 2006

RG : no 06/01132

A… et a.

DÉROULEMENT DES DÉBATS:

A l'audience publique du 17 Octobre 2006, le Président a constaté l'identité de C…, K… et de M… et le décès de A….

Ont été entendus:

Madame GALLEN en son rapport;

C…, K… et M… en leurs interrogatoires et moyens de défense (pour K… et M… par l'intermédiaire de Madame DARCY Maryam, Interprète en langue Farsi, inscrite sur la liste des experts près la Cour d'Appel de DOUAI)

Le Ministère Public, en ses réquisitions:

Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale.

C…, K… et M… et leurs Conseils ont eu la parole en dernier.

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 14 Novembre 2006.

Et ledit jour, la Cour ne pouvant se constituer de la même façon, le Président, usant de la faculté résultant des dispositions de l'article 485 du code de procédure pénale, a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministère Public et du greffier d'audience.

DÉCISION:

VU TOUTES LES PIÈCES DU DOSSIER,

LA COUR APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRÊT SUIVANT:

Devant le Tribunal de Grande Instance de BOULOGNE SUR MER, (…)

C… était prévenu:

- d'avoir à CALAIS, MARCK, COQUELLES, dans le département du PAS-DE-CALAIS et DUNKERQUE, dans le courant de l'année 2004 et jusqu'au 22 février 2005 et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, par aide directe ou indirecte, en l'espèce, en hébergeant, véhiculant et en fournissant des moyens matériels de subsistance et de communication, facilité ou tenté de faciliter la circulation ou le séjour irrégulier de T… et M…, étrangers en situation irrégulière, faits antérieurement prévus et réprimés par l'article 21 de l'ordonnance 45-2658 du 2 novembre 1945 et actuellement par les articles L.622-1, L.622-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Par jugement contradictoire en date du 19 janvier 2006, le Tribunal, après avoir prononcé une relaxe partielle à l'égard de C… pour l'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire national de T… par application de l'article L.622-4, 2° du CESEDA[1], a déclaré l'ensemble des prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés et les a condamnés, (…), C… à une dispense de peine.

Le Tribunal a en outre ordonné la confiscation des scellés.

Monsieur le Procureur de la République a relevé appel principal du jugement à l'égard des quatre prévenus et s'agissant de C…, uniquement de la relaxe partielle.

(…)

Sur la relaxe partielle de C…

Attendu que pour entrer en voie de relaxe partielle en faveur de C…, le Tribunal l'a fait bénéficier des dispositions de l'article L. 622-4, 2° du C.E.S.E.D.A. qui prévoient que ne peut donner lieu à des poursuites pénales l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

Attendu que c'est à tort qu'en l'espèce le Tribunal a estimé que C… vivait notoirement en situation maritale lors des faits avec T… ;

qu'en effet T… est entré en France le 1er juin 2004 et s'est présenté à la Préfecture d'Arras le 30 août 2004, date à laquelle il s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour valable un mois;

Attendu qu'une demande d'asile politique a été enregistrée pour son compte par l'OFPRA le 13 septembre 2004, le statut de réfugié lui étant accordé le 23 décembre 2004;

Attendu que T… a indiqué le 2 juin 2005 devant le Magistrat Instructeur qu'il avait rencontré C… durant l'été 2004, ce dernier ayant confirmé qu'il l'avait rencontré dans un parc;

Attendu que T… a bien précisé qu'au départ il passait seulement deux à trois nuits chez C…et que c'était seulement lorsque les “choses s'étaient stabilisées” qu'ils “avaient décidé d'aller déposer sa demande d'asile”;

Attendu qu'entre le 1er juin 2004 et jusqu'au 13 septembre 2004, T… indique lui même (côte D 595 de la procédure) que sa situation n'était pas stabilisée avec C… ;

Attendu dès lors que C… ne vivant pas notoirement en situation maritale avec T… ne saurait bénéficier de l'exonération de responsabilité pénale prévue par l'article précité;

que la Cour infirme donc la relaxe partielle et déclare le prévenu coupable de ces faits, sans qu'il y ait lieu de prononcer une peine à son égard puisque C… a déjà été déclaré coupable du même délit en faveur de M…, dispensé de peine et que le Parquet n'a pas fait appel sur ce point, le jugement étant donc définitif à cet égard.

(…)

Par ces motifs:

LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement (…)

- Infirme la relaxe partielle prononcée en faveur de C…,
- Le déclare coupable d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier de T…,
- Dit n'y avoir lieu à prononcer d'autre peine à son égard que la dispense de peine déjà prononcée par le Tribunal et dont il n'a pas relevé appel,
(…)


Alors, en effet, on peut chipoter. La dispense de peine prononcée par le tribunal pour l'aide au séjour commis par C… au profit de M… étant devenue définitive, la cour ne pouvait pas prononcer de peine. Techniquement, il n'a pas été condamné à une peine… faute de peine. Mais il y a bien déclaration de culpabilité. Pour trois nuits ; par un fonctionnaire, sans aucun lien avec un quelconque réseau, mais parce qu'il était tombé amoureux de cet étranger (qui par la suite est devenu son compagnon stable et notoire). La cour dit clairement que le délit d'aide au séjour irrégulier est constitué. Je ne garantis pas que la cour, s'il n'y avait pas l'autorité de la chose jugée sur la peine, n'aurait pas prononcé une peine.

Bon, me dira-t-on, j'ai trouvé UNE décision qui avait échappé au ministre, la belle affaire.

Une, vraiment ?

Héberger chez soi, pour des motifs humanitaire, des étrangers sans papiers constitue le délit, les mobiles humanitaires, incontestables, étant simplement une circonstance atténuante pour le prononcé de la peine : Cour d'appel d'Agen, 13 oct. 1994, inédit.

Le prévenu, exerçant une activité de marabout, a accepté d'héberger un étranger en situation irrégulière. Il était parfaitement informé de la situation administrative de cet étranger car il était, comme lui, demandeur d'asile débouté et parfaitement informé des conditions de séjour des étrangers en France ; il est donc coupable : Cour d'appel de Limoges, 3 nov. 1993, inédit.

Il appartient au gérant d'un hôtel meublé de s'assurer de la régularité de la situation des étrangers qu'il héberge durant la période d'hébergement au risque de se rendre coupable d'aide à immigration clandestine. Sa responsabilité pénale n'est pas limitée aux locataires en titre mais doit être étendue aux locataires clandestins dont il est établi que le prévenu connaissait la présence sur les lieux et contre laquelle il s'est délibérément abstenu d'intervenir ( Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5 nov. 1992). L'aide peut donc se faire passivement.

Une personne qui aide une prostituée à se livrer au commerce de ses charmes commet le délit de proxénétisme ET d'aide au séjour irrégulier : Cour d'appel de Paris 10e ch. B., 19 déc. 1990).

Deux membres d'une association ayant aidé et hébergé à leurs domiciles des étrangers en situation irrégulière ont été dispensés de peine. Sous couvert de préoccupations humanitaires, les deux ressortissants français ont prêté leur concours « de manière fort imprudente » à des opérations de transferts de fonds destinées au financement du passage à destination de la Grande-Bretagne de nombreux clandestins et ont à plusieurs reprises hébergé à leurs domiciles des réfugiés dont ils n'ignoraient pas la situation irrégulière. Le tribunal relève que ni l'un, ni l'autre ne se sont personnellement enrichis. Dispense de peine. ( T. corr. Boulogne-sur-Mer, 19 août 2004, no 1178/2004). Je pense que ce sont les deux cas auxquels M. Besson faisait allusion sur France Inter.

Monsieur Besson nie également que transporter un étranger en auto-stop puisse en soi constituer le délit. En effet, sur l'auto-stop, je n'ai pas trouvé de jurisprudence. Mais…

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt n°03-08328 du 21 janvier 2004 : confirme la condamnation d'un chauffeur de taxi qui conduisait des clients qu'il savait être clandestins à Dunkerque, Marquise ou Boulogne Sur Mer. Il est établi qu'il ne faisait partie d'aucun réseau. Il ne leur facturait que le tarif normal de la course. 2 ans de prison avec sursis, 2 ans d'interdiction d'exercice de la profession, de taxi.

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mai 1993, n°92-82779 : condamnation du conducteur du véhicule ayant transporté un étranger sans papier lors de son franchissement de la frontière.

Le simple fait de porter les bagages d'un étranger qui franchit la frontière par ses propres moyens constitue le délit : Cour d'appel de Grenoble, 29 sept. 1989, inédit.

Ça devient parfois assez gonflé, quand l'aide à la circulation recouvre… l'aide à quitter le territoire : l'aide apportée, en connaissance de cause, à un étranger en situation irrégulière en France, pour lui permettre de quitter le territoire français sans effectuer les contrôles de police nécessaires s'analyse comme l'aide au séjour irrégulier d'un étranger ( Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 27 juin 1994).

Le chef de poste de la police de l'air et des frontières dans un aéroport, qui malgré la décision de non-admission sur le territoire français prise à l'encontre d'une étrangère, la fait illégalement sortir de la zone de non-admission, l'installe dans un hôtel pendant deux nuits en payant les frais avant de l'accompagner dans une gare où il lui fait don d'une somme d'argent pour lui permettre de prendre le train, se rend coupable du délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France et ne saurait se retrancher derrière le but humanitaire de son geste ( CA Paris, 3 janv. 1994). La cour dit expressément que le mobile humanitaire est indifférent à la culpabilité.

Ajoutons que jusqu'à la loi du 26 novembre 2003, se prêter à un mariage blanc pour permettre à son faux conjoint d'obtenir des papiers était une aide au séjour. C'est devenu un délit autonome… puni exactement des mêmes peines (art. L.623-1 et s. du CESEDA). Bref une disposition légale totalement inutile.

Et pendant qu'on y est, M. Besson nous parle de 4500 arrestations aboutissant à 1000 condamnations. Soit un ratio d'une condamnation pour 4,5 interpellés, qui est très mauvais. Qui sont les 3500 qui restent ? Des erreurs judiciaires ? Parce que ça veut dire qu'on place chaque jour en garde à vue 10 innocents, ou du moins des personnes qu'on ne juge pas utile de poursuivre ou à l'encontre desquelles il n'y a pas de preuve.

Ou alors, ce sont des mythes, eux aussi ?

Quand on me cherche, on me trouve.

José Bové et Éric Besson confèrent à voix basse. Le premier (qui bien sûr se tient à gauche) dit au second (qui curieusement se retrouve à droite) son inoubliable apophtegme : « Sur les blogs, on peut dire n'importe quoi. » Ce à quoi Éric Besson répond : « Ah bon ? C'est comme France Inter ?»

Notes

[1] Immunité pour le concubin notoire de l'étranger.

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