Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 11 septembre 2008

Stabat Laïcitas dolorosa juxta crucem¹

Par Anatole Turnaround


Sous cet intitulé austère[1], c’est un divertissement que je vous propose.

Il s’agit d’un de ces jeux qu’on propose aux enfants pour éveiller leur sagacité, ou qu’on utilisait autrefois dans les test de recrutement militaires pour écarter des rangs les recrues dont la sagacité semblait devoir rester toujours assoupie. Le jeu consiste à examiner un groupe de quelques éléments qui partagent un caractère commun, à l’exception d’un seul, qui ne le possède pas, et qu’il s’agit d’identifier.

Souvenez-vous, et jouez avec nous à CHERCHEZ L’INTRUS .

Voici quatre informations, laquelle est en discordance avec les autres ?

PREMIER ELEMENT

ARTICLE PREMIER. La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (Constitution française de 1958)

DEUXIEME ELEMENT

ART. 2.- La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. (Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État)

TROISIEME ELEMENT

Conseil d'Etat, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet.
Extrait du Rapport public du Conseil d'Etat concernant cet arrêt :

Si les opinions religieuses d'un agent public ou d'un candidat à la fonction publique ne sauraient être regardées comme incompatibles, en tant que telles, avec le devoir de stricte neutralité qui s'imposent à eux, la manifestation de ces opinions peut se heurter à ce principe. Encore faut-il distinguer les activités purement privées de celles qui peuvent interférer avec les fonctions exercées. Le Conseil d'État censure l'administration lorsqu'elle entend dénier d'une façon générale aux candidates ayant des croyances religieuses l'aptitude aux fonctions d'institutrice et instituer une incapacité de principe entièrement étrangère à la législation en vigueur.

QUATRIEME ELEMENT

Des détenus de la Maison d’arrêt de Bonneville aident à la montée de la croix sur l'un des sommets du Môle.

Durant l'été 2007, la croix placée sur l'un des sommets du Môle a été détruite par la foudre.

Les communes du massif de Môle ont decidé d'apporter une attention particulière à ce problème. Après plusieurs réunions de travail, il a été decidé de confier la réalisation à une entreprise d'une nouvelle croix.

La pose de la croix a été organisée le 6 septembre au départ de saint-Jean à 7h30 par 4x4 jusqu'au Môle d'Ayze.

La croix en mélèze, d'un poids d'environ 130kgs a ensuite été acheminée à dos d'hommes en 2 pièces détachées jusqu'au sommet.

Portée par des volontaires dont des détenus de la maison d'arrêt de Bonneville dans le cadre d'un projet écocitoyen à l'exemple du denaigement (sic) du refuge du couvercle réalisé en juin de cette année.

(Publié le 10 septembre 2008 sur le site intranet de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon).




Et maintenant, à vous de jouer, amis ou ennemis du port de signes religieux ostentatoires dans le service public !


Mise à jour : Afin de bien comprendre la démarche de l'auteur, je vous invite à lire son commentaire n°66 ci-dessous.

Notes

[1] « La laïcité, douloureuse, se tenait près de la croix ».

mercredi 10 septembre 2008

Y'a pas de mal à préférer le Vélo'V au Vélib'

J'avoue avoir parfois du mal à comprendre l'intérêt de certains de mes confrères pour créer des polémiques à partir de rien.

Épisode du jour : le procès intenté par la LICRA au dessinateur Siné, pour « incitation à la haine raciale », à la suite de la tribune de ce dessinateur sur la supposée conversion au judaïsme du président du groupe UMP au Conseil Général des Hauts de Seine pour pouvoir épouser sa fiancée, par un contrat de mariage de confiance.

Mon confrère Alain Jakubowicz, avocat de la Ligue, a cité le tempétueux dessinateur devant le tribunal correctionnel de Lyon.

Mon confrère Jean-Yves Halimi, dans une tribune publiée sur Rue89 où il défend Siné, pose cette question :

Pourquoi Lyon et non Paris où l’hebdomadaire concentre un plus grand nombre de lecteurs et de victimes potentielles de la prétendue provocation ?

ajoutant plus bas :

Enfin le choix de Lyon plutôt que de Paris sur lequel différentes interprétations circulent et que j’ai traité sur une forme interrogative m’apparaît découler du souci de la LICRA de ne pas se retrouver devant la juridiction qui a relaxé Val au nom de la liberté de critiquer une religion lorsqu’il a été poursuivi pour les caricatures de Mahomet et de poursuivre Siné pour les mêmes raisons qui avaient valu à Val d’être lui-même attaqué.

Le texte litigieux ayant été publié dans un journal à diffusion nationale, pouvait en effet connaître de l'affaire tout tribunal de grande instance de France dès lors qu'on pouvait prouver que le journal a été distribué dans son ressort (une facture d'un kiosque à journaux suffit).

L'avocat du dessinateur, mon confrère Dominique Tricaud, a demandé à ce que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal de Paris, évoquant le fait que son client avait auparavant cité le journaliste Claude Askolovitch pour diffamation devant ce tribunal, pour avoir qualifié son client d'antisémite. C'est ce qu'on appelle une exception de connexité (article 203 du CPP).

Refus du tribunal de Lyon : l'affaire sera bien jugée aux pieds de Fourvière et de la Croix-Rousse.

Réaction de l'avocat de la Ligue après cette victoire procédurale :

« On a dit aussi que le juge lyonnais est un ami. Mais je connais aussi celui de Paris ! Il n’y a rien de tout cela. Ces réactions sont dictées par un parisianisme exacerbé. Il y a des chambres de la presse dans plusieurs grandes villes de France, et celle de Lyon est particulièrement compétente. L’audience est fixée fin janvier, le jugement tombera en mars ou avril. A Paris, j’aurais dû attendre au minimum un an de plus. »

L’avocat reconnaît que ce choix de « délocalisation » est « un coup de pied de l’âne » de sa part, « une provocation qui a marché ».

Vous aurez deviné que l'un des éléments déterminants est la durée de la procédure. Si Lyon statue plus vite que Paris, voici une excellente raison d'y aller plaider. Mais elle ne suffit pas en soi. Il y a d'autres chambres de la presse (à Nanterre par exemple) et rien ne dit que Lyon est le tribunal le plus rapide. Quant à l'accusation de parisianisme pour expliquer le choix de la capitale des Gaules, il prêtera simplement à sourire.

Mais il y a aussi une autre raison, qui, croyez-moi, est sans doute la plus déterminante.

Dominique Tricaud, avocat de Siné et demandeur à la jonction parisienne, est avocat au Barreau de Paris. Alain Jakubowicz, avocat de la LICRA, est avocat au Barreau de Lyon.

L'enjeu, c'est de plaider à 20 minutes de son cabinet à ou à deux heures de TGV. Pour l'avocat, ça compte, c'est l'emploi du temps de la journée qui en dépend. C'est le premier point auquel on s'intéresse quand on est saisi d'un dossier : où le faire plaider le plus près possible de chez soi ? Ou : comment transférer à l'adversaire les frais de déplacement et d'hôtellerie. Tactiquement, ça compte.

Pour les lecteurs de Rue 89, l'intérêt me paraît moins évident.

Pourquoi je n'ai pas parlé d'EDVIGE

J'ai reçu nombre de demandes, par courrier électronique ou en commentaires, d'un billet sur le fichier EDVIGE ; et au passage aucune sur sa sœur CRISTINA, dont le décret n'a PAS été publié, le gouvernement ayant opposé le secret-défense (qui a dit le mot "leurre" en parlant d'EDVIGE ?). Au passage, je demande la prison pour celui qui a eu l'idée de donner un prénom aux fichiers de police, c'est insupportable. Ainsi, le gouvernement a tenté de créer un fichier qui ficherait entre autres les personnes rendant visite aux étrangers détenus en Centre de Rétention et ceux les hébergeant en cas d'assignation à résidence (montrer de la compassion à l'égard d'un étranger, c'est suspect), baptisé ÉLOI (pour ÉLOIgnement…). Le Conseil d'État y a mis bon ordre, trouvant qu'Éloi n'était pas sain.

La polémique sur EDVIGE a enflé, et rien n'est venu.

Un petit mot d'explication, des fois que l'on croie y voir de l'indifférence ou de l'approbation tacite.

Faire un billet prend du temps, matière durable, certes, mais non renouvelable. Il ya la rédaction proprement dite, bien sûr, mais aussi le travail de recherche.

Sur le droit des étrangers, le droit pénal, ou des sujets d'actualité qui font appel à des notions simples de droit (nullité d'un mariage, acquisition de la nationalité française), ces recherches sont pour moi très rapides : ce sont des domaines que je connais bien.

Mais la création d'un tel fichier est un processus juridique terriblement complexe, car le législateur, dans un moment d'égarement, a institué des garde-fous sans réaliser que le fou à garder c'était essentiellement lui-même.

Et j'ai un principe dans ce blog : mes billets doivent avoir une valeur ajoutée, apprendre quelque chose, éclairer le lecteur. Enfiler des clichés comme des perles sur les thèmes de 1984 et quand les nazis reviendront, ils seront bien content d'avoir accès à l'orientation sexuelle des syndicalistes, je le laisse à d'autres.

Un tel billet, dont je n'ai jamais écarté l'idée, m'aurait demandé un temps considérable, qu'en ces temps de rentrée je n'ai pas.

Désolé de vous faire défaut MAIS quand un Lieu-Commun tombe, un autre sort de l'ombre à sa place.

Il y avait plus compétent que moi pour faire ce billet et il l'a fait. Cliquez, allez, courrez, volez chez le professeur Frédéric Rolin qui vous narrera par le menu l'histoire de la génèse d'EDVIGE, et son contenu. C'est long, c'est dense, on dirait du Eolas, avec un plan en deux parties et deux sous-parties en plus.

Et je joins ma voix numérique à celle de l'éminent professeur : les pétitions, c'est bien (n'hésitez pas à la signer), les slogans, c'est sympa, mais le concret c'est mieux : exigeons la publication de l'avis du Conseil d'État sur le projet de décret. Puisque Gérard Gachet est serein, quel mal y a-t-il à ce que nous le soyons avec lui ?

lundi 8 septembre 2008

Casse-toi, pov'délit

À son corps défendant, un citoyen de la Mayenne va enfin permettre de répondre à une question que nombre d'avocats, dont votre serviteur, se posaient depuis fort longtemps.

Hervé Éon, apprenant le passage par le palindrome chef-lieu de canton de la Mayenne, a décidé de lui tourner un compliment à sa façon, en brandissant sur le passage du présidentiel aréopage une pancarte avec ces quelques mots : « Casse toi, pov'con », allusion à une anecdote bien connue survenue lors du dernier salon de l'agriculture, où le président eu une réaction peu présidentielle à un propos peu civique.

Las, il n'eut guère le loisir de brandir son œuvre, étant interpellé à l'approche du train présidentiel, et conduit aussitôt au commissariat pour y être ouï.

Tout cela se termina avec une convocation en justice pour le 23 octobre 2008 pour offense au président de la République pour notre porte-pancarte, et un magnifique hors-sujet pour Rue89.

En effet, sous la plume de Chloé Leprince, le journal qui n'en est pas un rebondit sur cette anecdote pour parler de la hausse considérable des affaires d'outrage, sujet récurrent et sur lequel un pamphlet vient de sortir.

La discussion a son intérêt, tant le délit d'outrage pose problème, avec une regrettable confusion victime-enquêteur (la première étant le collègue de bureau du second), et un indéniable conflit d'intérêt (le policier qui s'estimera outragé et vous interpellera a un intérêt financier puisque vous allez l'indemniser, et un outrage, c'est une procédure qui se traite en quelques heures, un cambriolage, c'est une procédure qui se traite en plusieurs jours, pour faire toujours une croix dans la case ; voyez où est l'incitation). Leur nombre a presque doublé en dix ans, sans que le manque d'éducation de mes concitoyens me semble une explication convaincante.

Mais le sujet n'est pas là, et je ne vais pas commettre la même erreur que Chloé Leprince.

En effet, l'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée de service public est prévue par le Code pénal, à l'article 433-5.

Or comme le relève un autre article de Rue89, écrit par le principal intéressé, c'est ici une offense au chef de l'État qui est poursuivie, prévue par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881.

Mes lecteurs réagiront aussitôt en lisant cette date : mais oui, c'est la loi sur la liberté de la presse.

Il ne s'agit donc pas du même délit.

L'outrage est défini comme « les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public [ou dépositaire de l'autorité publique], dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. »

Ici, notre lavallois a brandi en public un écrit, en l'espèce une pancarte : l'outrage est inapplicable, car il y a publicité. C'est la loi sur la presse qui s'applique, et qui en l'espèce prévoit en son article 26 un délit spécial, le délit d'offense au Président de la République.

L'offense au Président de la République par l'un des moyens énoncés dans l'article 23[1] est punie d'une amende de 45 000 euros.

Le Président de la République a donc son article à lui, contrairement à la plèbe au reste de ses concitoyens, qui se contenteront du délit d'injure ou, selon, de diffamation. Ils sont moins sévèrement réprimés, mais surtout, l'injure peut être excusée en cas de provocation et la diffamation peut soit être couverte par l'exception de bonne foi soit par l'offre de preuve de la véracité des faits diffamatoires. Pas l'offense au chef de l'État.

Or ce délit pose un vrai problème de droit. Il a été créé à une époque où le Chef de l'État était sans pouvoir ni responsabilité, comme le sont les rois dans les royaumes parlementaires (Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas, Danemark, Suède, Belgique, encore que le roi Albert II soit amené à jouer un rôle politique bien malgré lui ces temps-ci) et dans les républiques parlementaires strictes que sont la République Fédérale d'Allemagne, l'Italie ou Israël (Angela Merkel, Silvio Berlusconi ou Ehoud Olmert ne sont que premier ministre ou équivalent ; les présidents de ces Républiques sont respectivement Horst Köhler, Giorgio Napolitano et Shimon Peres). De là vient d'ailleurs leur irresponsabilité politique (ils ne peuvent être renversés par une motion de censure).

Or depuis la Constitution du 4 octobre 1958, le Président de la République est devenu le personnage central de la vie politique. Il a des pouvoirs réels, et ceux qu'il n'avait pas, il les a pris. Il est en revanche demeuré irresponsable politiquement et pénalement. Le contreseing du premier ministre de l'article 19 prête à sourire, et quand on lit en dessous à l'article 20 que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, l'hilarité nous saisit. Les institutions ont intégré cette logique, faisant de la responsabilité du gouvernement devant l'assemblée une farce.

Bref, à occuper le devant de la scène, le président est devenu la proie des critiques les plus vives. Dans un pays où la liberté d'expression est reconnue comme un des droits les plus précieux de l'homme, comment peut-on faire bon ménage avec un délit qui punit toute offense, quelle qu'elle soit et sans possibilité d'excuse ?

La 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a déjà donné un élément de réponse quand, saisie de poursuites pour un délit cousin, le délit d'offense à chef d'État étranger, elle avait déclaré ce délit contraire à l'article 10 de la CESDH et dès lors constaté sa désuétude, déboutant un aréopage de grands démocrates en la personne de Messieurs les présidents de la République tchadienne Idriss Déby, de la République congolaise Denis Sassou Nguesso et de la République gabonaise Omar Bongo, à l'occasion de la sortie du livre Noir Silence. Qui arrêtera la Françafrique ? (F.-X. Verschave, les Arènes, 2000).

Le 25 juin 2002, la CEDH condamnait la France pour l'existence de ce délit (affaire Colombani c. France), délit qui a finalement été aboli par la loi Perben II du 9 mars 2004.

Mais il reste le délit d'offense à chef de l'État. Il était tombé quasiment en désuétude. Le Général de Gaulle n'avait fait engager des poursuites que 5 fois, et sous Pompidou, une fois seulement, je crois. Le Président Giscard d'Estaing a indiqué en début de mandat qu'il n'aurait jamais recours à ce délit, le considérant comme désuet (même si l'affaire des diamants de Bokassa lui a fait regretter ces propos) et Mitterrand n'a lui non plus jamais eu recours à ce délit, imité en cela par son successeur Jacques Chirac.

Et aujourd'hui, le procureur de la République de la Mayenne nous le ressort du formol ! Ce qui était une question d'école va donc être posée aux juges correctionnels de Laval : le délit d'offense au président de la République est-il conforme à l'article 10 de la CESDH ou doit-il rejoindre le délit d'offense à chef d'État étranger dans l'institut médico-légal des délits morts brutalement d'une exposition prolongée aux droits de l'homme ?

À titre personnel, je vois mal comment les juges vont pouvoir estimer que l'arrêt Colombani contre France ne s'applique pas ici tant la Cour européenne des droits de l'homme avait été claire :

(§69) : …le délit d'offense tend à porter atteinte à la liberté d'expression et ne répond à aucun « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction. Elle précise que c'est le régime dérogatoire de protection prévu par l'article 36 pour les chefs d'États étrangers qui est attentatoire à la liberté d'expression, et nullement le droit pour ces derniers de faire sanctionner les atteintes à leur honneur, ou à leur réputation, ou encore les propos injurieux tenus à leur encontre, dans les conditions de droit reconnues à toute personne.

Ici, on a le même régime dérogatoire, et le « besoin social impérieux » qui peut le justifier me paraît pour le moins évanescent.

Contre cette position, on peut faire observer que la cour, en 2002, entendait protéger la liberté de la presse, et non la liberté de manifester son opposition, et que c'est l'impossibilité pour le prévenu Colombani d'apporter la preuve de la vérité des faits qu'il avançait (le faible enthousiasme du roi du Maroc dans la lutte contre le trafic de cannabis) qui a chiffonné la cour, alors qu'ici, on est dans le domaine de l'injure, et que l'exception de vérité ne pourrait être invoquée, et le pourrait-elle d'ailleurs qu'elle ne serait d'aucun secours, car il est de notoriété publique que le Président Sarkozy n'est pas pauvre.

Mais l'article 26 de la loi de 1881 ne distingue pas selon que l'offense est injurieuse ou diffamatoire, et cet article forme un bloc. Je vois mal comment il pourrait être contraire à l'article 10 de la CESDH dans un sens mais pas dans l'autre.

Bref, il est bien possible que le Président Sarkozy, sans nul doute à l'origine de ces poursuites (je n'imagine pas un seul instant le procureur de la République de Laval prendre de lui-même l'initiative de déterrer un délit inutilisé depuis 34 ans car un olibrius a brandi une feuille A4 avec cette citation sur le passage du président), fasse avancer les droits de l'homme et la liberté d'expression, peut-être un peu malgré lui. Qu'il en soit néanmoins remercié, et Hervé Éon avec lui.

Notes

[1] Discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.

dimanche 7 septembre 2008

Tawtiouffe

Ce blog est ami des États-Unis, pour de multiples raisons, toutes meilleures les unes que les autres.

L'une d'entre elles, qui nous retiendra aujourd'hui, est qu'ils sont comme nous. Voici une vidéo qui va vous montrer qu'on n'y est pas dépaysé.

Il s'agit d'un remontage d'un extrait de l'émission The Daily Show, présentée par Jon Stewart. Sa chaîne de télévision s'opposant à ce que l'extrait correspondant de l'émission soit reprise sur Youtube, ce qui me permettrait de le sous-titrer, un internaute a simplement remonté les extraits qui la composaient, et qui ne sont pas soumis à copyright. J'en suis désolé pour vous, l'ironie mordante de Jon Stewart étant de l'ambroisie au milieu de ces écœurants brouets. Les éminents anglophones qui me lisent pourront savourer directement l'extrait intégral sans les sous-titres à la fin de ce billet.

Jon Stewart aime à dénoncer l'hypocrisie et la tartufferie des politiques. Avec un moyen redoutablement efficicace : le rapprochement de leurs propos tenus dans des circonstances différentes. En l'espèce, avant et après le choix d'une femme, Sarah Palin, sénateur inexpérimenté et mère d'une fille de 17 ans enceinte alors qu'elle défend des valeurs familiales strictes (ce détail m'indiffère mais a de l'importance pour la compréhension de la vidéo).

Et voici dans l'ordre d'apparition à l'écran : Karl Rove, ancien Deputy Chief of Staff de la Maison Blanche (l'alter ego de Josh Lyman pour ceux qui ont l'excellente idée de regarder The West Wing), devenu consultant pour Fox News ; Bill O'Reilly, éditorialiste bien connu de Fox News ; Dick Morris, ancien conseiller politique de Bill Clinton, peu reconnaissant puisque désormais il dit pis que pendre sur eux et tout particulièrement Hillary ; Nancy Pfotenhauer, ancienne présidente du Forum des Femmes Indépendantes et actuelle conseillère en politique économique du candidat McCain. Comme quoi, un esprit chagrin pourrait croire que ces personnes ont un avis principalement lié aux circonstances qui, si elles devaient changer, pourraient faire changer leur opinion, s'il le faut du tout au tout. Ça donne même le vertige.

Et pour les anglophones performants, voici l'extrait de l'émission The Daily Show With Jon Stewart du 3 septembre 2008, avec les commentaires au vitriol du maître de cérémonie.

Bon dimanche à tous, et vive la mémoire à long terme.

vendredi 5 septembre 2008

Est-il interdit de juger un musulman pendant le Ramadan ?

Je me permets de poser la question qui semble brûler les doigts de certains journalistes. Comme je suis blogueur, j'ai le droit d'écrire n'importe quoi.

Libération titre « Une première : un procès repoussé pour cause de ramadan », répétant en cela l'affirmation reprise dans la dépêche AFP d'un avocat d'une partie civile, qui, signalons-le était opposé à ce renvoi. Comme quoi il n'est nul besoin d'avoir un blog pour dire n'importe quoi : j'ai déjà vu des renvois sollicités et obtenus pour ce motif, le parquet acquiesçant, je vous expliquerai pourquoi plus bas.

Le Figaro montre qu'il n'a pas peur de la contradiction quand il titre Un procès renvoyé pour cause de ramadan et commence son article par “ L'ordonnance [décidant le renvoi] mentionne simplement que [cette mesure est décidée] «dans le souci d'une bonne administration de la justice».”, reprise texto de la dépêche AFP.

Des syndicats de magistrat font part de leur étonnement. L'Union Syndicale des Magistrats (ATTENTION : site moche), majoritaire (60% des voix aux élections professionnelles) et modérée, ceci expliquant cela, si vous voulez mon avis, a ainsi déclaré par la voix de son secrétaire général, Laurent Bédouet : "Cela me paraît assez surprenant", "au nom du principe de la laïcité". Je ne puis qu'approuver la prudente réserve de Laurent Bédouet, mais elle a un prix : un seul paragraphe dans une dépêche AFP.

Parce qu'au Syndicat de la Magistrature, on sait donner aux journalistes ce qu'ils attendent, et on a 5 paragraphes. Mais on fait que 28%, c'est un choix.

Pour la présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), Emmanuelle Perreux, la décision est "aberrante".

"Il faut en revenir aux grands principes : on vit dans une république laïque. Le service de la justice, c'est un fonctionnement républicain qui obéit à ce grand principe de la laïcité et il ne peut pas être question que le cours de la justice tienne compte de fêtes religieuses, quelles qu'elles soient".

Je prends note que désormais, les audiences ordinaires auront aussi lieu le dimanche et à Noël.

"Le service public ne pourrait plus fonctionner normalement car dans toute religion, il y a des fêtes", a-t-elle insisté.

Il aura échappé à cet éminente magistrate que ce n'est pas le caractère festif du Ramadan qui posait problème.

Pour autant, a-t-elle ajouté, rien n'empêchait l'avocat de la défense d'intervenir une fois le procès entamé.

"S'il estime que son client est trop faible, il ordonne une expertise médicale et c'est sur la base de cette expertise qu'on décide ou non le renvoi de l'affaire", a expliqué Mme Perreux, soulignant que des reports d'audiences pour raisons de santé se font "tous les jours".

C'est cette dernière affirmation qui me permettra de faire la transition entre la présentation des faits par la presse et l'explication de ce qui s'est passé, et en quoi, selon moi, ce renvoi était justifié, et ne heurte aucun principe républicain, au contraire.

Que s'est-il donc passé ?

Heureusement, les dépêches AFP contiennent tous les éléments permettant de reconstituer ce qui s'est très certainement passé.

Mes lecteurs savent que la cour d'assises est la juridiction qui juge les crimes, les infractions les plus graves, et qu'elle est composée de juges professionnels et de jurés. Le président de la cour d'assises a la lourde responsabilité de la police de l'audience, c'est-à-dire de s'assurer que le déroulement de l'audience a lieu sans incident de nature à remettre en cause l'équilibre du procès. À cette fin, la loi lui reconnaît des pouvoirs propres, qu'il exerce avant même le début de la session d'assises.

En effet, comme je vous l'ai expliqué, la cour d'assises est une juridiction qui n'est pas permanente. Elle siège dans le cadre de sessions de quinze jours, en principe une tous les trois mois. La cour d'assises est composé de trois magistrats professionnels, dont le président, qui forment la cour au sens strict, et de neuf jurés, qui forment le jury. Le jury est désigné par tirage au sort au début de l'audience.

Mais tant que la session n'a pas commencé, le président, qui est président à plein temps, est tout seul. Les deux juges professionnels qui l'assisteront (les assesseurs) sont occupés à leurs fonctions habituelles, et le jury n'est que virtuel. Pourtant, des questions se posent, d'organisation notamment. Le président doit les résoudre, prendre évidemment connaissance du dossier, et décider du déroulement des débats (prévoir un interprète, décider dans quel ordre les faits et la personnalité seront abordés, prendre contact avec les experts pour fixer l'heure de leur audition sans leur bloquer la journée, l'ordre d'audition des témoins, etc…). C'est du boulot, organiser sa session d'assises.

Certains actes sont obligatoires : l'interrogatoire de l'accusé (art. 272 du CPP par exemple). D'autres sont facultatifs ou exceptionnels : art. 283 et suivants du CPP.

Et parmi ces pouvoirs reconnus par la loi se trouvent celui de l'article 287 du CPP :

Le président peut, soit d'office, soit sur réquisition du ministère public, ordonner le renvoi à une session ultérieure des affaires qui ne lui paraissent pas en état d'être jugées au cours de la session au rôle de laquelle elles sont inscrites.

Cette décision est souveraine, a précisé la cour de cassation (crim. 9 déc. 1998, bull.crim n°337), c'est-à-dire n'est pas susceptible de recours, et donc n'a pas à être motivée (c'est-à-dire indiquer les motifs qui ont conduit le président à prendre cette mesure).

C'est en application que l'article 287 du CPP que le président a renvoyé l'affaire devant être jugée le 14 à la session de janvier 2009.

Pourquoi ? Il n'a pas à le dire. C'est simplement “dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice”. Donc, affirmer que le renvoi a eu lieu “pour cause de Ramadan”, c'est faire dire quelque chose à ce qui ne parle pas, et ça, cela relève moins des salles de rédaction que des arrières-salles insonorisées des commissariats.

Voilà en quel état les choses se présentent du point de vue du droit. Passons aux faits.

Le 16 septembre prochain devait s'ouvrir devant la cour d'assises d'Ille-Et-Vilaine, siégeant à Rennes, un procès pour des vols à main armée. Le principal accusé étant musulman, il applique les règles du jeûne du mois de Ramadan. Je précise qu'en maison d'arrêt, si vous êtes musulman, il est très délicat de ne pas respecter le jeûne du Ramadan vis à vis des autres détenus musulmans. Mais ceci est une autre histoire.

Son avocat constate que le procès doit se tenir alors que ce mois de jeûne touchera sa seconde moitié. Il estime que son client sera de ce fait affaibli, et surtout, un procès d'assises étant une expérience éprouvante et épuisante, et pouvant durer longtemps, son refus de s'alimenter et de boire risque de ne pas lui permettre de se défendre dans des conditions satisfaisantes pour que le procès soit équitable au sens de l'article 6 de la CESDH. Il s'en émeut auprès du président de la cour d'assises, qui, après avoir sans doute pris les avis des autres avocats du dossier, respect du principe du contradictoire oblige, décide souverainement de renvoyer le dossier au mois de janvier. Ajoutons que d'autres raisons venaient visiblement militer également pour un renvoi. D'après un parquetier interviewé sur France-Info, un enquêteur devant témoigner est mis en examen pour un délit sexuel, des témoins de l'accusation attendent un jugement dans une affaire de drogue… Bref, ce procès ne s'annonçait pas osus les meilleures auspices.

Mécontentement des avocats des parties civiles, qui avaient probablement déjà bloqué plusieurs jours pour cette affaire, et qui voient une affaire fort ancienne (sept ans !) encore retardée. Mécontentement aggravé par le fait qu'ils n'ont aucun recours contre cette décision. Sauf devant le tribunal médiatique. D'où information de la presse.

Cette décision est-elle contraire au principe de la laïcité ?

Pas du tout. Le principe de laïcité peut se résumer par “la République reconnaît toutes les religions et n'en favorise aucune en la subventionnant ou en lui obéissant”. Ici, il ne s'agit pas de se plier à un ordre religieux (la cour n'est pas tenue de jeûner elle aussi) mais de constater un état de fait : à cause d'un jeûne, religieux certes mais peu importe, il pourrait aussi bien être politique, l'accusé sera en état de faiblesse physique et sera intellectuellement diminué par la faim, la fatigue et la soif. Il risque même de faire un malaise si les débats sont animés.

Or il est important qu'un accusé puisse se défendre. Ce n'est pas une règle religieuse, c'est une règle républicaine, laïque car fondée sur le principe du procès équitable et des droits de la défense. Cela suppose d'être en pleine possession de ses moyens du début à la fin des débats. Le fait qu'il soit privé de liberté est déjà une entrave assez sérieuse. Soumettre à une personne jeûnant depuis deux semaines à l'épreuve d'un procès d'assises où va se jouer une peine pouvant aller jusqu'à quinze, peut être vingt ans, n'est pas conforme aux principes républicains.

Il n'est pas question de renvoyer toutes les affaires tombant un jour de fête ; je me souviens d'ailleurs de l'histoire de cet avocat, dont le nom m'échappe, qu'il me pardonne, du tombeau où il se trouve, qui plaidant une affaire où la mort avait été demandée, affaire qui était jugée un 24 décembre, avait fait durer sa plaidoirie au risque d'indisposer les jurés, alors que des confrères l'exhortaient à faire court pour permettre aux jurés de rentrer chez eux pour le Réveillon. Il a plaidé, plaidé, pour conclure vers 22 heures. À ce moment, alors que les jurés allaient se retirer pour délibérer (sans les juges professionnels, à l'époque), la salle de la cour d'assises a résonné du son des cloches des églises appelant les fidèles pour la messe de la Nativité. Bien que les faits jugés aient été sordides et l'accusé peu sympathique, les jurés ont été incapables de condamner à mort alors que partout en France on chantait la naissance du Sauveur. Ils ont voté les circonstances atténuantes.

De plus, il n'aura échappé à personne, fut-il président du Syndicat de la Magistrature, que les juridictions sont, sinon fermées du moins en service très restreint le dimanche et jours fériés, et que parmi ces jours fériés, il y a Noël, Pâques, la Toussaint, l'Ascension, la Pentecôte et l'Assomption. Pour ne pas parler du dimanche, qui n'est que le Sabbat. Je ne me souviens pas avoir vu ces jours-là des magistrats venir siéger néanmoins au nom de la laïcité.

Ici, l'accusé était non pas en train de faire la fête, mais de traverser une épreuve épuisante, qui nuisait à sa capacité à se défendre. La loi ne permet pas de l'alimenter de force, et il est douteux qu'un accusé contraint à manquer à ses convictions religieuses soit plus à même de se défendre qu'un accusé affamé. Il fallait donc soit passer outre et lui faire un procès déséquilibré, au risque de l'erreur judiciaire, au nom d'une laïcité intransigeante. Je sais que certains, surtout s'il s'agit d'islam, sont partisans de cette posture. Soit. Mais qu'ils ne se disent pas républicains. Intégristes, oui, ça leur ira bien.

Et l'expertise médicale suggérée par Emmanuelle Perreux ?

Elle suppose que la cour se réunisse, que les témoins et experts soient cités, les avocats présents, les jurés tirés au sort, puis que l'avocat de la défense dépose une demande d'expertise, que la cour, statuant seule (art. 315 et 316 du CPP), examinera avant de rendre un arrêt (non susceptible d'appel ou de pourvoi en cassation avant la décision au fond, art. 316 al. 2 du CPP) afin de désigner un médecin, décrire sa mission et fixer une date limité de dépôt du rapport, avant de… renvoyer l'affaire à une autre session, car les débats ne peuvent être interrompus (art. 307 du CPP) sauf à les recommencer du début et l'affaire ne peut plus être jugée tant que l'expert n'a pas rendu son rapport. Je vous laisse juges de l'opportunité et de la pertinence de cette suggestion laïquement correcte.

Une première ?

Certainement pas. La demande de renvoi est fréquente en matière judiciaire. Toutes les audiences correctionnelles commencent invariablement par l'examen de ces demandes, et c'est aussi le cas au civil, devant les tribunaux d'instance, de commerce, de proximité et les conseils de prud'hommes. Ils sont quasiment inexistants devant la juridiction administrative, mais quand on a attendu trois ans pour avoir une audience, on ne la repousse pas (accessoirement, l'utilité de l'audience devant la juridiction administrative est toute relative, exception faite des référés et des reconduites à la frontière).

Et quand des prévenus détenus sont musulmans de stricte obédience, la même question se pose : sont-ils en état d'être jugés ? La plupart du temps, oui, une audience correctionnelle étant plus courte qu'une audience d'assises. Mais certaines affaires (au hasard : de terrorisme) peuvent s'étaler sur des jours, des semaines voire des mois. Il peut paraître raisonnable, si la défense le demande, de renvoyer le procès à une date ne posant pas ce problème. Je l'ai vu, et le parquet ne s'y est pas opposé, quand bien même il est aussi, entre autres, le gardien de la laïcité.

Comme avec le mariage de Lille, comme avec le faux inhumé malgré lui, comme avec la nationalité française et la Burqa imaginaire, on assiste encore à un emballement médiatique à cause d'une affaire qui n'en est pas une, où on a l'impression, comme mon titre volontairement déformant par provocation le laisse entendre, qu'on est en présence d'une de ces fameuses “offensives” de l'islam radical contre les valeurs de la République, thème qui tient à cœur à nombre de gens désireux de vendre des livres.

La République est tolérante, et elle se refuse à mettre quiconque face au dilemme de choisir entre sa défense et le respect de sa foi. C'est tout, et c'est ça qui fait qu'elle est précisément l'antinomie de l'intégrisme.

Un préfet, ça a la classe

… c'est même à ça qu'on le reconnaît.

Mes lecteurs se souviendront que le 6 février 2007, la cour de cassation avait jugé, en des termes clairs et définitifs, de l'illégalité des interpellations des étrangers en préfectures quand ceux-ci répondent à une convocation faisant miroiter un avancement de leur demande. J'en avais parlé sur mon blog le 14 février.

Cela n'a pas empêché le préfet du Calvados de faire des misères à Madame X…, de nationalité nigérianne. Elle avait déposé en ses services un dossier le 8 février 2007. Le préfet l'a convoquée le 13 mars 2007 (soit plus d'un mois après la décision de la cour de cassation) pour « examen de sa situation administrative », examen qui a été fort bref puisque les services de police, avisés par le préfet, ont aussitôt interpellé Mme X… et l'ont placé en rétention administrative.

Le premier président de la cour d'appel de Caen a refusé de maintenir Mme X… en rétention au-delà des 48 heures que la loi donne discrétionnairement au préfet, reprenant la jurisprudence récente de la cour de cassation.

Décidément têtu, le préfet a porté l'affaire devant la cour de cassation, qui l'a renvoyé dans les cordes en reprenant sa motivation précédente, confirmant ainsi la fermeté de son opinion :

Ayant relevé que l'administration ne pouvait utiliser la convocation à la préfecture de Mme X... pour un examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention, le premier président, tirant les conséquences de ses constatations, en a exactement déduit que la procédure était irrégulière.

Jusque là, c'est du simple entêtement préfectoral. On a l'habitude, et les avocats le rendent au centuple à l'administration.

Mais là, en plus, il y a une touche d'élégance suprême qui confine au raffinement.

Le dossier que Mme X… avait déposé un mois plus tôt était une demande d'asile.

Au moins, la requérante n'a pas dû se sentir dépaysée.

mercredi 3 septembre 2008

Je ne suis pas Jean-Baptiste Soufron

… et m'en désole chaque jour. Ha, être à nouveau jeune et beau, porter avec nonchalance un blouson de cuir et dire “tu” aux journalistes du Mouv'.

Mais non. Je suis un vieux barbon qui ne passe que sur France Culture (Ha, pardon, lui aussi), dis « vous » aux journalistes et ne parviens pas à parler djeunz dans mes explications juridiques radiophoniques.

Et d'ailleurs, jean-Baptiste Soufron le sait, qu'il n'est pas moi. Il a d'ailleurs son blog à lui.

Alors, pourquoi diable a-t-il laissé dire au début de son intervention de ce matin sur le Mouv', dans la rubrique “Tête À Net” du Morning du Mouv', qu'il était l'auteur du Journal d'un avocat ? Je l'ignore. Un moment d'inattention fatal, sans doute. On se demande d'ailleurs où le journaliste est allé pêcher une telle énormité. Quand le journaliste a itéré son errement à la fin, je puis comprendre qu'étant bouté hors antenne, mon confrère ne pouvait plus récriminer ; mais au début, lors du lancement, pourquoi être resté coi ?[1] Il avait l'opportunité de dissiper le malentendu qui nuit tant à sa réputation d'avocat le plus hot du barreau désormais.

Lui, jeune avocat, qui a prêté serment il n'y a pas un an, beau, évidemment, brillant, forcément, ami des stars, laisser croire par inattention qu'il était un dinosaure du web et du barreau comme moi, c'est un coup à détourner la clientèle et, ce qui est pire, faire fuir les filles.

Je lui présente donc mes sincères excuses pour le préjudice que cette méprise va causer à sa réputation, en espérant que ce qui pro quo ne provoquera pas des appels téléphoniques erronés à son cabinet. Je ne puis invoquer comme excuse que le fait que je n'y suis pour rien.

Le corpus delicti :


Épilogue :

Notes

[1] Quand je vous dis que je ne sais pas parler djeunz…

lundi 1 septembre 2008

Au fait, comment on fait un procès à Amy Winehouse ?

— Mon cher maître, vous allez croire que c'est chez moi une manie, mais je suis toute colère et frustration.

— Ma chère lectrice ! Que vous a fait Aliocha pour vous mettre dans cet état ?

— Elle, rien, ou si peu. Disons qu'elle est redoutablement persuasive : alors que j'allais vous rendre visite ce vendredi, elle m'a remis une invitation pour la presse pour le festival de Rock en Seine du soir même, afin que je la laisse aller vous entretenir d'histoires d'enfance interdites.

— Aliocha est une amie des arts, c'est connu.

— Sans nul doute ; mais ce n'est pas le cas de la principale invitée : le public venu applaudir la chanteuse anglaise Amy Winehouse a appris une heure avant de début du spectacle que l'artiste leur ferait faux-bond.

— Non que ce soit une surprise, l'extravagante chanteuse ayant fait de même un an plus tôt au même endroit.

— Ce n'était peut-être pas totalement imprévisible, mais ce n'en est pas moins frustrant.

— Ajoutons à cela que seuls les plus fripons des calomniateurs pourraient accuser l'artiste de boire de l'eau, mais qu'à chaque fois qu'on essaie de la faire aller en cure de désintoxication, elle répond : non, non, non ; que ladite artiste avait en outre annoncé qu'elle renoncerait définitivement à la scène après le 5 septembre et l'on comprendra qu'on avait autant de chance de voir Amy à Saint-Cloud que Serge Gainsbourg à la Bourboule.

— Sans doute, mais je suis peu consolée. Et en lisant que la direction du festival avait annoncé que c'était la goutte de Whisky qui faisait déborder le vase, et que cette fois, les tribunaux auraient à sanctionner, j'ai tout de suite pensé à vous.

— Alors, chère lectrice, je ne puis éprouver de rancœur à l'égard de Mademoiselle Winehouse, si elle a conduit vos pensées vers votre humble et dévoué serviteur.

— Flatteur. Mais permettez-moi de vous le demander tout de gob : ayant, moi, de la rancœur, pourrais-je me joindre au festival, et crêper le chignon, qu'elle a volumineux, d'Amy Winehouse ?

— Las, ma chère lectrice, rien n'est moins sûr : car ici, contrairement à ce qui se passe chez la chanteuse, il y a loin de la coupe aux lèvres. Car un spectacle musical comme celui là est, juridiquement, une partie de billard à trois bandes, alors que le droit, lui, préfère la ligne droite.

— Empruntez donc cette voie, cher maître, et expliquez-moi en quoi, je vous prie.

Si tu ne viens pas à Rock en Seine, c'est Rock en Seine qui viendra à toi

— Vos prières sont pour moi des décrets divins. En droit civil, qui s'applique ici, la responsabilité peut naître de deux sources. Soit contractuelle (la faute vient de l'inexécution d'une obligation née d'un contrat ; par exemple votre fournisseur d'accès internet manque à vous fournir un service continu comme il s'y est engagé) ; soit extra-contractuelle (la faute n'a rien à voir avec un contrat, quand bien même par ailleurs les parties seraient liées par un contrat ; par exemple un salarié cambriole son employeur commet une faute extra-contractuelle).

— Jusque là, je vous suis.

— Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, et qu'une responsabilité soit contractuelle ou extra-contractuelle. Le fondement textuel n'est pas le même (1147 du Code civil pour la responsabilité contractuelle, 1382 pour l'extra-contractuelle), les délais de prescription étaient autrefois distincts (30 ans pour la contractuelle, 10 ans pour l'extra-contractuelle, maintenant tout le monde est à 5 ans), et surtout la faute extra-contractuelle peut parfois poser problème car on doit étudier le comportement du fautif et le comparer à celui d'un bon père de famille dans une situation analogue, tandis que la faute contractuelle est simple à déterminer : c'est le manquement à une obligation née du contrat. Ce n'est pas en soi un faute de livrer une marchandise à 15 heures, mais ç'en est une si vous vous étiez engagé à le faire à 10 heures.

— Je vois où vous voulez en venir : il faut se demander laquelle de ces voies je vais devoir emprunter.

— Absolument. Revenons en à notre diva de la saoule. Qui peut lui demander des comptes de son absence ? Il faut pour cela chercher le contrat.

Les spectateurs

— Les spectateurs, mon cher maître, ont ce me semble payé un octroi pour ouïr la perfide albionne. Le paiement ne caractérise-t-il pas un contrat ?

— La plupart du temps, oui, et ici tel est le cas.

— Problème réglé, alors ?

— Que nenni ! Car un contrat a un effet relatif. Il ne lie que les parties à ce contrat, et les spectateurs, nonobstant le nom qui figurait sur leur billet, n'ont pas passé de contrat avec l'adoratrice de Dionysos.

— Vous vous gaussez, maître ? Ils ont payé, fort cher au demeurant, pour ouïr Amy Winehouse, et vous me dîtes qu'elle n'y peut mais ?

— Pas tout à fait, mais analysons ce qu'est, juridiquement, un billet pour le festival de Rock en Seine. C'est un instrumentum.

— Me voici bien avancée.

— Le mot contrat recouvre deux choses distinctes, et si les juristes adorent distinguer, ils aiment à nommer ce qu'ils distinguent afin qu'on ne les confonde pas. L'accord de volonté faisant naître des effets de droit, premier sens du mot contrat, est un negotium. L'écrit qui le constate et sert de preuve de l'existence du contrat est l'instrumentum. Le contenu et le contenant, en somme.

— Il est vrai que chaque fois que je vais chez mon boulanger ou mon coiffeur, nous ne signons pas de contrat écrit !

— Absolument. L'usage et la valeur modeste de ces contrats vous en dispense, ce d'autant que les prestations réciproques sont en principe immédiatement exécutées : votre boulanger vous remet votre baguette, votre coiffeur vous rend encore plus belle si c'est possible, et vous les payez sur le champ. Pour le contrat de spectacle, il y a exécution différée de la prestation : vous devez payer d'abord, puis vous rendre sur les lieux de l'exécution — du contrat, rassurez-vous. Là, la présentation de votre billet pour permet d'entrer. Ce billet est en effet un titre au porteur, prouvant que vous avez payé le prix, et vous donnant droit à entrer dans le lieu du concert (le billet étant alors partiellement déchiré pour marquer que cette première obligation a été exécutée).

— Et à qui ce contrat lie-t-il le spectateur ?

— À l'organisateur du spectacle (que l'on appelle producteur), ici l'organisateur de Rock en Seine, c'est à dire la Société par Actions Simplifiée GARACA, au capital de 150.000 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro B 448 253 344, et dont le siège social est à Paris, 15 rue du Louvre, dans le premier arrondissement, à l'ombre du clocher de Saint-Germain-l'Auxerrois.

— C'est donc à cette société que des spectateurs frustrés devront aller chanter pouilles ?

— Et cette société doit probablement s'y préparer.

— Donc c'est la société GARACA qui va aller dégriser Amy Winehouse ?

— Non point, car pas plus que les spectateurs n'ont passé un contrat avec Amy Winehouse, la société GARACA n'a signé un contrat avec elle, chère lectrice.

Le producteur

— Mais Amy Winehouse vit-elle sur l'Olympe pour que nul ne puisse la toucher ?

— Non point. Mais si elle n'a pas le temps d'aller chanter, vous comprendrez qu'elle en ait encore moins pour négocier des contrats et discuter de ses cachets - pas d'Alka Seltzer®, c'est ainsi qu'on appelle le salaire versé à un artiste qui exerce son art.

— Mais alors comment travaille-t-elle, quand elle en a l'envie du moins ?

— Les artistes d'une certaine célébrité ont recours à un mandataire, que l'on appelle agent artistique. Autrefois, on employait un terme italien, impresario, un peu désuet aujourd'hui. C'est lui qui négocie les clauses du contrat, principalement le montant du cachet, mais aussi, quand l'artiste a un tel renom que les producteurs sont prêts à tout pour qu'il vienne à leur spectacle, des stipulations sur les conditions d'hébergement, de transport, y compris la marque de champagne et la couleur des fleurs qui doivent décorer leur loge. L'agent artistique est rémunéré en retenant un pourcentage des cachets ainsi négociés.

— Est-ce avec cet agent artistique que la société GARACA a contracté ?

— Il semblerait que oui. Je ne suis pas dans les petits papiers du festival, mais cela semble ressortir du communiqué publié sur le site du festival (tout en flash, donc pas de lien direct). J'avance, sous toutes réserves, que c'était ici une partie de billard à trois bandes c'est à dire trois contrats.

— Laissez-moi récapituler. Le spectateur a contracté avec GARACA qui a contracté avec l'agent artistique qui a un contrat avec Amy Winehouse.

— Un sans-faute, chère lectrice.

Le porte-fort

— Une question me vient, cher maître.

— Laissez-là venir à moi.

— Vous m'avez dit qu'un contrat n'a d'effet juridique qu'entre ceux qui y sont partie.

— C'est l'effet relatif ; mais ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'article 1165 du Code Civil.

— Mais alors comment l'agent artistique peut-il contracter au nom d'Amy Winehouse ?

— Il ne le peut pas.

— Vous vous moquez.

— Je suis on ne peut plus sérieux en matière de droit des contrats. Le contrat par lequel un agent artistique conclut l'engagement d'un de ses protégés s'appelle un contrat de porte-fort.

— Je suppose que cela n'a rien à voir avec le fait de soulever un haltérophile ?

— En effet, chère lectrice. Ce contrat est ainsi appelé car l'agent artistique se porte fort qu'Amy Winehouse viendra chanter aux lieu et heure convenues. C'est l'article 1120 du Code civil, à la rédaction un peu absconse car c'est du français juridique du XVIIIe siècle. Mais pour un juriste, en peu de mots, il est pourtant limpide. Sachez qu'il s'est engagé à ce qu'Amy Winehouse vienne chanter, et que c'est lui et lui seul qui est responsable à l'égard de la société GARACA. Si les spectateurs ont fait la grimace, sachez que lui, à l'heure qu'il est, doit tirer une bien vilaine figure.

Et l'extra-contractuel dans tout ça ?

— La cause est entendue, la foule désemparée n'avait pas de contrat avec Amy Winehouse. Néanmoins, ne peut-elle se retourner contre elle sur le terrain extra-contractuel ?

— Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse, en somme ? Las, cela me paraît fort délicat, tant juridiquement que pratiquement.
Juridiquement, nous voilà sur le terrain de l'article 1382 du Code civil. Il faut une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Où est la faute ?

— Dame, cher maître ! Ai-je besoin de vous le dire ? De ne point être venue chanter !

— Qu'importe qu'elle ne soit point venue, puisque le spectateur n'était pas partie. Vous tentez de réintroduire du contractuel là où il n'y en a pas.

— D'accord, elle ne s'était pas engagée envers le public à venir. Néanmoins, ne pas respecter ses engagements ne peut-il être regardé comme une faute extra-contractuelle à l'égard de ceux qui ne sont pas partie au contrat ?

— Je vous l'accorde : un contrat est un fait pour les tiers, mais un comportement léger et négligent est une faute. La cour de cassation a clairement posé dans un arrêt d'assemblée plénière du 6 octobre 2006 que le manquement à une obligation contractuelle constituait une faute qui, si elle causait un préjudice à un tiers, pouvait donner droit à indemnisation, comme me le rappelle opportunément Raven-hs en commentaire. Poursuivons donc avec le préjudice. Quel préjudice a-t-elle causé ?

In Vino Veritas

— La déception de son public.

— Déception pour avoir été à la hauteur de sa réputation ? Mais soit. À combien estimer ce préjudice ?

— Mais au prix de la place !

— Ce qui met le préjudice à 45 euros maximum, ce qui est peu pour justifier un procès. Mais surtout, c'est oublier The Roots, The Raconteurs, The Streets, Louis XIV, Scars On Broadway, Kate Nash, The Jon SPencer Blues Explosion et Justice, et j'en passe : un festival n'est pas un tour de chant : il y avait pluralité d'artistes, ettous sauf la Dive Bouteille ont honoré leur rendez-vous, la prestation de The Streets ayant d'ailleurs paraît-il été excellente. Festival il y eut. Sauf à pouvoir démontrer que vous n'étiez venu que pour voir Amy Winehouse et que les autres artistes ne présentaient aucun intérêt (ce qui sera un peu difficile, si vous avez acheté un billet pour un festival), ce n'est qu'une portion de ce prix que vous pourriez exiger comme indemnisation. Il en va de même d'ailleurs à l'égard de GARACA puisque le préjudice est exactement le même, indépendamment de la nature de la responsabilité. GARACA qui prend les devants en annonçant aux festivaliers déçus qu'elle étudie un moyen de les indemniser par un rabais sur la prochaine édition. Quand je vous disais qu'il se préparaient à faire face à l'ire des foules.
Bref, votre réparation risque fort d'être symbolique.

— Et celle de GARACA ?

— Celle de GARACA dépendra essentiellement du contrat. Remboursement de l'éventuelle avance sur cachet, c'est évident. Plus un préjudice de réputation (planter ses spectateurs deux années de suite, ça ne fait pas bien dans le CV). L'agent artistique doit négocier dur avec la société GARACA. Mais tout cela se passant entre gens de bonne société, nous ne connaîtrons jamais le contenu de l'accord, qui sera officialisé par un communiqué de presse sur le mode embrassons-nous folleville.

— Cher maître, vous êtes un artiste du droit : vous m'avez éclairée.

— Vous me faites rougir, mais soyons certains que des lecteurs plus versés que moi dans le droit du spectacle apporteront des précisions et rectifications. Je leur en épargnerai une : oui, la venue d'un artiste à la réputation internationale fait intervenir bien plus que trois contrats et quatre intervenants (ainsi, la mise en place de la scène et de la sonorisation, la rétribution des musiciens accompagnant l'artiste est faite sous la supervision indirecte de l'artiste lui-même, via d'autres agents). Afin de simplifier mon propos, je me suis contenté de la seule question de la responsabilité de l'artiste qui manque à son engaement de venir se produire. L'art n'est peut-être pas une marchandise, mais c'est bel et bien une industrie comme les autres.

Ha, en pendant que je vous tiens, chers lecteurs et surtout chères lectrices, les commentaires du blog seront mis en modération a priori chaque nuit (22h00-08h00) pendant quelques temps, ne vous émeuvez pas de ne point voir vos commentaires apparaître tout de suite. Troll Detector™ a besoin d'une cure de sommeil.

dimanche 31 août 2008

Message personnel

Comme quoi, on peut être du Côté Obscur de la Force Autorité Judiciaire et savoir rigoler.

Dédié aux procs de permanence ce week-end (j'ai cru comprendre que Lincoln en était) et tout spécialement à celui qui se reconnaîtra et qui vient de se laisser séduire.

Crédits : Extraits de l'Empire Contre-Attaque, d'Irvin Kershner (1980). Le montage vidéo n'est pas de votre serviteur, il est signé Doomblake.

vendredi 29 août 2008

La faute du père est-elle la faute du journaliste ?

Billet écrit à quatre mains par Eolas et Aliocha, journaliste et juriste


— Le bonjour cher Maître…

— Ah, ma chère lectrice, quel plais… Mais… Mais ? Vous n'êtes pas ma chère lectrice habituelle ?

— Non, c'est moi, Aliocha. Votre lectrice habituelle est indisposée, ainsi que les molosses qui gardent votre jardin, d'ailleurs ; et aujourd'hui, vous aurez une contradictrice un peu plus mordante. Cela changera vos lecteurs de vos roucoulements.

— Hé bien, prenez place dans mon salon et dites-moi ce qui me vaut cette visite. Une tasse de thé ?

— Un verre de vin plutôt. Sympa, les murs fuschias. C'est Valérie Damidot ?

— Non, Dadouche et Fantômette. De quoi allons nous parler ?

— De Ferrari.

— Je ne vous savais pas versée dans la mécanique italienne.

— J'ai de nombreux talents que vous ignorez, mais en l'occurrence, je pensais à Laurence Ferrari.

— La nouvelle titulaire du très envié poste de présentateur du journal de 20 heures sur TF1.

— Celle-là même. Figurez-vous que ma consœur a décidé de donner du travail à une de vos consoeurs.

— Vous m'en voyez ravi pour ma consœur. Contre qui ?

— Contre un de mes confrères.

— On ne pourra donc vous accuser de corporatisme. Pour quel motif ?

— Atteinte à sa vie privée par Lyon Mag, qui a publié une interview de son père, dans laquelle il parle de sa fille et évoque certains détails douloureux de son enfance.

— Je vous avoue que je n'ai pas lu cet article.

— Moi non, plus, mais qu'importe : c'est sur le principe plus que sur le contenu que je suis contrariée.

— Et qu'est-ce qui vous chiffonne ?

— Ce qui me chiffonne ? Qu'elle s'en prenne au journal alors que celui-ci n'a fait que reproduire les propos de son père.

— Votre sens de l'équité serait plus satisfait si elle faisait un procès à son seul père, ou à son père ET au journal ?

— Mon sens de l'équité serait satisfait si elle s'abstenait de faire un procès au journal. Le reste la regarde exclusivement. Vous voyez qu'on peut être journaliste et avoir le sens du respect de la vie privée.

— Pour ma part, je suis plutôt un tenant de la théorie des rotatives intelligentes.

— Bah, il faut de l'intelligence en tout, mais qu'entendez-vous exactement par rotative intelligente ?

— Un organe de presse n'est pas un simple mégaphone, qui ne ferait que répéter des propos en les amplifiant, substituant à l'oreille du journaliste les milliers d'oreilles de son lectorat. Le journaliste, et au-dessus de lui son rédacteur en chef, relit ce qui doit être publié et l'approuve. Au besoin, il retire des passages, que ce soit pour des problèmes de place, d'intérêt du propos… ou de sa licéité. Dès lors qu'il y a eu exercice libre d'un choix du contenu de l'article (ce qu'on appelle liberté de la presse), l'organe de presse engage sa responsabilité sur le contenu de ce choix.
Le fait que ce soit le père de la journaliste qui fasse cette révélation portant atteinte à l'intimité de sa vie privée ne prive pas le magazine de sa liberté de ne pas reprendre cette révélation afin d'éviter que l'indiscrétion faite à un journaliste devienne une indiscrétion faite au public. D'où mon expression de rotative intelligente, rappel de la théorie des baïonnettes intelligentes qui n'exonère pas de sa responsabilité un militaire qui obéit à un ordre manifestement illégal. La faute du père n'exonère pas Lyon Mag de sa propre faute. Ce d'autant que des deux fautes commises, c'est celle de Lyon Mag qui a causé l'essentiel du dommage.
Au reste, vous n'êtes pas sans savoir, en tant que juriste et journaliste, qu'en matière de presse, la responsabilité pénale pèse au premier chef non pas sur celui qui a tenu les propos (l'auteur) mais sur celui qui les a publié (le directeur de publication). Ce qui vaut au pénal vaut aussi au civil.

— Vous vous emballez mon Cher Maître. Que la presse soit responsable de son contenu, c'est incontestable et d'ailleurs les tribunaux nous le rappellent régulièrement. La justice pèse sur nos têtes comme une épée de Damoclès, nous le savons tous et tremblons en écrivant chaque mot à l'idée qu'un esprit chagrin pourrait venir nous assigner. Et quand on nous assigne, c'est le journaliste, son chef de service, le rédacteur en chef et le directeur de la rédaction, pour être sûr de n'oublier personne. On ne nous fait pas de cadeau.
Soit dit en passant, les gens préfèrent souvent appeler la direction pour demander, voire exiger notre licenciement, c'est plus simple et moins coûteux. Voyez, l'impunité des journalistes est un préjugé tristement erroné, comme nombre de préjugés d'ailleurs.
Mais déjà vous parlez de faute, et du père et du journal. L'avocat que vous êtes sait bien que ce n'est pas parce que quelqu'un allègue d'un préjudice qu'il a forcément raison. Laurence Ferrari se dit blessée, soit. Elle invoque une atteinte à sa vie privée, c'est entendu. Mais voyons cela de plus près. La journaliste a l'honneur d'être choisie pour présenter le journal de 20 heures sur une grande chaîne. Elle donne donc des interviews ici et là, toutes plus lisses les unes que les autres.
Sachez en effet que les personnalités n'hésitent plus à décider des questions qu'il faut leur poser à la place des journalistes et exigent souvent de relire les interviews avant parution. Vous osez refuser ? On vous menace d'aller s'épancher auprès de la concurrence. C’est ainsi que le journalisme se confond avec la communication au détriment du lecteur qui croit lire une discussion sincère reproduite fidèlement alors que ce n'est que du marketing téléguidé.
Sachant cela, que fait Lyon Mag ? Il décide d’offrir à ses lecteurs autre chose qu’un portrait lisse et marketing de la l’intéressée, en d’autres termes de faire un vrai travail de journalisme. Et pour cela, il se tourne vers l'entourage. Ô bonheur, le père accepte de parler.
Et le père raconte, la personnalité de sa fille, ses ambitions, ses rêves, ses douleurs, son enfance. Au chapitre des douleurs, lui, le père, il évoque le point qui fait débat. Vous voulez comprendre ma fille dit-il au public, alors sachez cela. Et le journal publie, pas un bruit de couloir, pas des propos infamants, pas des rumeurs, non. Un portrait paternel, livré en connaissance de cause, sans intention malveillante mais avec celle d'informer. Où est la faute ? Quel est le journaliste le plus fautif, celui qui ment en faisant passer pour objectif un article revu, corrigé et censuré ou celui qui propose une vraie information ?

— Vous cherchez la faute ? Permettez que je vous souffle : article 9 du Code civil. « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
Toute atteinte à la vie privée est une faute en soi. C'est la loi qui le dit, ce n'est pas moi.
J'ajoute, pour répondre à votre argumentation, que présenter un JT n'est pas un honneur mais un travail, fût-il fort recherché, le poste ne se libérant qu'une fois tous les 25 ans ; que si la communication maîtrisée des people vous irrite, vous n'êtes pas obligés (vous les journalistes, pas vous Aliocha) de leur prêter votre chambre d'écho, et qu'enfin le fait d'être journaliste avec un large public ne vous dépouille pas de votre droit à une vie privée.
Du reste, chère Aliocha, à partir de combien de lecteurs trouverez-vous justifié qu'on aille tirer les vers du nez à vos proches pour pouvoir étaler sur la place publique vous douleurs d’enfance ?

— La loi donc qualifie de faute toute atteinte à la vie privée, dont acte. Dans ce cas, poursuivez la citation de l'article, je suis impatiente de connaître la définition que donne la loi de la vie privée.

— La loi s'arrête là, faisant, pour une fois, sienne l'aphorisme de Portalis[1], et laissant au juge le soin de délimiter ces contours. Tâche dont il s'est fort bien acquitté.
Est privé tout ce que la personne a décidé de ne pas révéler ou qui n'est pas directement lié à sa vie publique, c'est à dire sa profession, son activité politique ou syndicale, ses responsabilités dans tel organisme ou son engagement public pour telle ou telle cause. Ainsi l'état de santé, la situation de fortune, les relations sentimentales et familiales, les convictions religieuses, la maternité, même le numéro de sécurité sociale [2] !
L'enfance d'une personne fait également partie de sa vie privée, ne serait-ce que parce qu'à l'époque de ces événements, elle était mineure. J'ajoute que la jurisprudence va très loin puisqu'elle admet que la reprise sans autorisation de révélations faites par le passé par une personne peut constituer une atteinte à sa vie privée.

— Ah ! Donc c'est le juge qui apprécie au cas par cas. La loi trouverait-elle que la notion est trop difficile à définir ? Qu'elle dépend essentiellement des circonstances de chaque affaire, et notamment des rapports entretenus par la personne concernée avec la presse, de son degré de célébrité, de l’information concernée, de la manière dont l’information a été obtenue, de la façon dont elle est présentée ? Ne peut-on imaginer que tout récit de vie privée ne soit pas forcément constitutif d'une atteinte à la vie privée ?
Et tant qu'on y est, je me pose une autre question : pourquoi réclamer 40 000 euros de dommages intérêts ? Le mal, si mal il y a, a été fait, une demande de sanction symbolique aurait plaidé en faveur de la sincérité de la démarche non ?

— Bien sûr que le juge apprécie au cas par cas. Cela fait deux siècles qu'il apprécie l'existence de la faute, du lien de causalité et estime le préjudice au cas par cas ! Non que la faute soit trop difficile à définir (encore que tel soit le cas), mais pour les raisons si bien exprimées par Portalis. J'ajoute que la procédure précédant la décision du juge permet à chaque partie, révélateur comme sujet de la révélation, d'exposer en quoi, selon elle, il y a ou non atteinte à la vie privée, le juge tranchant entre les points de vue qui lui sont soumis. Il demeure, et vous le savez fort bien, que chaque décision forme la brique d'un édifice qui à la longue devient fort cohérent (et en l'occurrence, on a 38 années de jurisprudence à se mettre sous la dent).
Et en l'espèce, je ne vois pas par quel tour de souplesse dorsale on peut affirmer sans rire qu'une tragédie familiale remontant à l'enfance ne ressortirait pas de la vie privée d'une femme de 42 ans, sous prétexte qu'elle a été nommée à un poste fort exposé, tant au regard du public qu'aux jalousies de ceux qui n'y sont pas.
Enfin, pour l'estimation de son préjudice, qui suis-je pour juger du prix de sa douleur ? Mais reconnaissons que demander un euro en justice n'est pas très dissuasif pour prévenir et décourager d'autres révélations à l'avenir, surtout quand le révélateur a quant à lui un intérêt financier à cette révélation. Face à une telle demande, Lyon Mag se contenterait d'acquiescer, en envoyant un chèque d'un euro à la dame, avant de commander un deuxième tirage du numéro épuisé. En la matière, de pureté des intentions il n'y a ni d'un côté ni de l'autre.

— Il n’y a nulle souplesse dorsale à considérer que certains éléments du passé d’une personne publique peut utilement éclairer les lecteurs. Vous savez comme moi que dans ce genre d’affaires, la cour européenne des droits de l'homme met en balance les intérêts en présence pour déterminer si l'atteinte à la vie privée, ou encore au secret des affaires ou à tout autre droit ne se justifie pas au regard de la liberté d'expression, ce qui s'apprécie notamment au vu de l'intérêt de l'information. C'est ainsi qu'elle a pu considérer que la publication de la déclaration d'impôt d'un patron de groupe automobile dans un journal satyrique était justifiée puisqu'elle montrait que ledit patron s'était augmenté au moment même où il procédait à des licenciements.

— L'affaire Fressoz et Roire c. France. Mais il ne vous a pas échappé qu'il existait un lien entre les faits révélés et la vie publique de l'intéressé. La cour de cassation applique d'ailleurs cette règle puisque dans son arrêt Schuller (civ 1e, 12 juillet 2005, au bulletin n°330), elle distingue dans le même article certains faits dont la révélation était justifiée au regard de la nécessité d'informer le public (titres de personne publique, sa fuite à Saint-Domingue et ses activités dans la société locale) d'autres dont la révélation ne se justifiait pas (divulgation de leurs conversations avec leur entourage, la scrutation des sentiments existant entre eux et vis-à-vis de leurs enfants, les tensions ayant opposé l'intéressé à son fils et les motifs ayant pu inciter le second à dénoncer la retraite du premier). Or ce lien fait cruellement défaut ici.

— Il fait défaut à Vos yeux. Mais ne peut-on considérer que le public a le droit d'être informé de la personnalité de la journaliste qui va faire le 20h sur une grande chaîne et que cette personnalité, son père est bien placé pour l’éclairer ? Par ailleurs, le juge ne manquera pas d'apprécier le fait qu'il ne s'agit pas d'un article de la presse people nourri de bruits et de rumeurs, mais une interview du père, présentée avec sobriété.
N'oublions pas qu'on reproche aujourd'hui à la presse de s'être tue sur l'existence de la fille de Mitterrand. Elle aurait pu à l'époque révéler son existence, elle a préféré s'auto-censurer. Cela aussi relevait de la vie privée, mais la nature de la personne concernée et surtout ses fonctions de président aurait justifié la révélation au nom précisément du droit à l'information. C'est donc qu'il existe des atteintes à la vie privée qui sont non seulement admissibles mais considérées comme nécessaires.

— Absolument, mais ce qui justifiait la révélation de l'existence de la fille naturelle de Mitterrand est que cette existence a eu un impact sur les décisions prises par son père en tant que président, à savoir placer illégalement des personnalités sur écoute et faire supporter au budget de l'État des dépenses liées à l'entretien et l'éducation de cette jeune fille promise à un si brillant avenir littéraire. Si feu le président Mitterrand n'avait pas commis ces actes graves et illégaux, la révélation de cette paternité aurait relevé du strict cadre de sa vie privée. Vous voyez ? Il y a un lien entre les faits et la vie publique, qui légitime l'information.

— Toujours est-il qu'elle était justifiée. Et que dans bien des affaires, le juge, en particulier le juge européen des droits de l'homme, a considéré que la liberté d'expression primait sur toute autre chose. Parce que le juge, sait bien que la liberté d'information est un pilier de la démocratie. Il sait aussi, ce juge, que le journaliste par nature dérange et qu'il dérange souvent des gens puissants, il doit donc être protégé. C'est aussi pour cela que la loi française accorde un statut particulier à la presse dans la loi de 1881. Vous voyez que finalement, l'affaire est moins simple qu'il y parait. Ce qui montre toute la difficulté de l'exercice journalistique, car la frontière entre le permis et ce qui ne l'est pas est plus ténue et plus mouvante qu’elle n’apparaît au premier abord.

— Le juge européen n'a jamais dit que la liberté d'expression primait sur toute autre chose, et il aurait du mal, puisque l'article 10 de la CESDH qui la protège précise bien que « l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » Cela fait beaucoup de choses qui priment.
Notez les mots « responsabilité » et « droits d'autrui» ; parmi ces droits se trouvent celui au respect de sa vie privée… vie privée qui d'ailleurs est expressément protégée par l'article 8 de la même déclaration. D'autant plus que la nécessité d'informer le public est aussi invoquée pour publier à la Une la photo de telle starlette les fesses à l'air. Elle a bon dos, la nécessité d'informer (et la starlette aussi, d'ailleurs, mais passons).

— D'accord, j'ai parlé trop vite, disons donc que le juge dans les affaires qu'il examine peut considérer que la liberté d'expression prime sur le droit qu'on lui oppose. Et il l'a fait. A plusieurs reprises.

— Oui. Et les critères qu'il applique sont connus. Il s'agit de l'intérêt légitime pour le public de cette révélation. Étant entendu que l'intérêt du public n'est pas l'intérêt morbide du badaud mais celui du citoyen qui doit être informé pour se forger une opinion sur les faits relatifs à la vie de Cité. Je doute encore de l'intérêt pour le citoyen de savoir que telle présentatrice télé a subi une tragédie quand elle était enfant, ce qui visiblement ne l'a pas empêché de mener une brillante carrière la menant au pinacle.

— Je vous rappelle que présenter le 20 heures est un poste impliquant des responsabilités très lourdes, nous sommes loin de la météo ou de question pour un champion. Le présentateur du 20 heures décide du contenu de son journal, il est aussi garant du respect de la déontologie de l’information. Souvenez-vous qu’on a vu à plusieurs reprises des présentateurs en fâcheuse posture pour des raisons éthiques. Ce même présentateur, que je préfère appeler d’ailleurs journaliste, est amené à réaliser des interviews d'hommes politiques, et en particulier du Président de la République. Ceci, devant des millions de téléspectateurs. L'impact de ce poste sur l'opinion publique est énorme. Je ne trouve pas choquant que la contrepartie d’un tel pouvoir réside dans une certaine transparence et impose la sincérité. Quant à l'épreuve qui nous occupe, elle l'a surmontée en effet, ce qui ne fait que renforcer mes interrogations : pourquoi s'offusquer d’un récit qui n'a rien de négatif, bien au contraire ?

— Ah, mais si les faits révélés remettent en cause les exigences déontologiques, voilà un intérêt légitime. Sinon, la vie privée d'un homme public reste privée. En l'espèce, ce qui a de quoi mécontenter l'intéressée est que ce récit d'une souffrance intime entraîne des regards de commisération. Tout le monde n'apprécie pas l'apitoiement. Des gens moins aimables insinueront qu'elle n'est du coup pas assez solide pour ce poste. D'autres enfin qui voudront lui faire du mal sauront désormais où taper. Révéler un fait “positif” peut avoir des conséquences négatives.

— Vous extrapolez Maître. J’ajoute que si nous devons nous assurer avant d’écrire un article, non seulement que nous ne commettons aucune infraction pénale, ce qui est légitime, mais que nous n’allons contrarier personne, alors nous n’écrirons plus rien. Il me semble que vous-mêmes résistez vaillamment à ce type de chantage. La presse dont le métier est d’informer ne devrait-elle pas se voir reconnaître au moins la même liberté ? Laissons donc la justice trancher en espérant que sa décision, quel qu'en soit le sens, n'aboutisse pas à réduire la liberté de la presse.

— Certes, il y aurait encore tant à dire, mais j'entends du bruit dans le parc du château. Voici la foule des lecteurs qui vient se joindre à notre discussion. Finissons nos verres de cet excellent nectar tout droit issu de la réserve personnelle de Gascogne, et allons nous joindre à eux, le temps pour moi de passer au chenil pour détacher Troll Detector™ en lui priant d'attaquer à vue toute mention expresse au fait révélé par Lyon Mag : il ne présente aucun intérêt pour notre discussion, et nous pouvons nous contenter de mentions allusives.

Notes

[1] « Nous n'avons pas cru devoir simplifier les lois au point de laisser les citoyens sans règle et sans garantie sur leurs grands intérêts. Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Un code, quelque complet qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent s'offrir au juge. Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l'empire de l'usage, à la discussion des hommes instruits, à l'arbitrage des juges. L'office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit; d'établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C'est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l'esprit général des lois, à diriger l'application. «De là, chez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois et sous la surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrines, qui s'épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s'accroît sans cesse de toutes les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation. » Portalis, Discours au projet de Code civil, 1802.

[2] civ 1re, 9 décembre 2003, au bulletin, n°254

jeudi 28 août 2008

And the Winner is ?

Par Gascogne


Dans un arrêt en date du 10 juillet 2008, la Cour Européenne des Droits de l'Homme vient à nouveau de condamner la France pour violation de l'article 5 § 1 de la convention.

L'affaire soumise à la sagesse de cette Haute Assemblée est une procédure assez rare ayant donné lieu à retentissement médiatique certain : il s'agissait de l'arraisonnement au large des îles Canaries du bateau nommé "Winner", battant pavillon cambodgien, et dans lequel une quantité moins que négligeable de stupéfiants avait été retrouvée. Suite à l'intervention des forces militaires françaises, après accord du gouvernement cambodgien, le bateau avait été détourné sur Brest. Une information judiciaire était finalement ouverte, et plusieurs membres de l'équipage ont au final été condamnés par la Cour d'Assises spéciale (i.e. composée uniquement de magistrats professionnels) de Loire Atlantique a des peines très lourdes.

Les requérants ont soulevé deux points précis : ils ont été gardés treize jours en mer hors de tout cadre légal avant d'être placés en garde à vue à Brest, et en outre n'ont pas été présentés dans les meilleurs délai à un magistrat. Le premier argument (le deuxième, en fait, dans l'ordre de l'arrêt), est écarté par la Cour, qui précise qu'il est normal de tenir compte du temps de trajet entre l'arraisonnement et l'arrivée au port, alors même que le gouvernement cambodgien avait donné son aval à l'abordage. On ne peut qu'être d'accord avec la Cour, sauf à considérer qu'un héliportage de procureur à bord du bateau est envisageable, comme cela a pu se faire dans d'autres circonstances.

C'est la condamnation sur la base du deuxième argument qui a provoqué un certain remous dans la magistrature française : la Cour Européenne des Droits de l'Homme affirme en effet tout simplement que les magistrats du parquet français, les "procureurs"...ne sont pas membres de l'autorité judiciaire. Rien de moins.

Beaucoup de collègues y ont vu la porte ouverte à une réforme de plus, dont on parle depuis quelques temps, à savoir la séparation du siège et du parquet. Etant pourtant particulièrement opposé à cette séparation, je ne suis pas loin de penser que cet arrêt est au contraire plutôt positif.

Les juges de Strasbourg considèrent dans le paragraphe 61 de leur décision que si l'entière procédure d'abordage, d'interpellation puis de placement en garde à vue se déroule bien sous le contrôle du procureur de la République, celui-ci "n'est pas une autorité judiciaire au sens de la jurisprudence de la Cour (...) : il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié."

C'est une gifle bien pire que celle qu'un élève peut recevoir de son professeur après insulte. Et le pouvoir politique pourrait bien voir là une occasion en or de revenir sur sa marotte du moment.

Je suis personnellement opposé à cette séparation : le magistrat du parquet reste en France, de part son statut, un magistrat. Cela signifie qu'il est constitutionnellement garant des libertés individuelles (art. 66 de la constitution), tout comme son collègue du siège. Si une garde à vue est illégale, il est de son devoir d'en ordonner la levée. Si une procédure est nulle, il doit le relever à l'audience. Si les éléments ne sont pas suffisants dans un dossier, il doit requérir le non lieu devant le juge d'instruction, la relaxe ou l'acquittement devant la juridiction de jugement, quelle que soit l'opinion personnelle qu'il a pu se forger sur la personne mise en cause.

Retirez le statut de magistrat aux membres du parquet, et vous vous retrouverez avec des préfets de justice, soumis comme les autres à la pression des chiffres. Après les instructions vers les commissaires de police pour enregistrer tant de gardes à vue par mois, et celles vers les préfets pour obtenir tant d'expulsions, des instructions pour obtenir tant de condamnations mensuelles ne tarderaient plus à venir.

Si je suis plutôt en désaccord avec mes collègues pessimistes suite à cet arrêt de la CEDH, c'est que j'ose espérer que l'influence européenne existe sur notre société, et qu'un jour les procureurs bénéficieront enfin de la fin de cette relation quasi-incestueuse entre l'exécutif et le judiciaire. On peut espérer que cet arrêt serve de pression en ce sens, à l'heure où la France préside à la destinée européenne, notamment en matière de justice. Reste à savoir quand le politique sera prêt à se priver de ce moyen bien pratique, de diriger une politique pénale, ce qui n'est pas contestable en soit, mais également de bénéficier d'un véritable bouclier judiciaire qui nous range à égalité avec l'Italie berlusconnienne au rayon des pays où la séparation des pouvoirs n'est pas assurée.

mercredi 27 août 2008

Eolas crucifié

Décidément, je suis la coqueluche des médias. Le journal La Croix publie un portrait de votre serviteur.

Capture d'écran de l'article de la Croix. (D.R.)

Il est toujours fascinant de voir l'art de la synthèse, quand un journaliste doit réduire un entretien téléphonique (qui a du durer un quart d'heure), outre ses propres recherches, à un feuillet, citations incluses. Antoine Bayet s'est livré à l'exercice et je ne me sens pas trahi par le résumé de mes propos. Je salue le tour de force.

Par contre, je suis dubitatif en voyant la mention D.R. à côté de la copie d'écran de mon blog. D.R. veut dire droits réservés. C'est un usage dans la presse, qui tend à devenir un abus, quand on utilise une photo dont on ne connaît pas l'auteur (on les appelle “orphelines”). On “réserve ses droits”, sous entendu, s'il se manifeste, nous le rémunérerons et lui rendrons la paternité de l'œuvre.

Il s'agit d'une capture d'écran de mon blog, faite manifestement hier puisque le billet est celui sur la relaxe de Georges Frêche sans S. C'est donc quelqu'un de la Croix qui l'a fait. Soit il s'agit d'une œuvre, ce qui est douteux faute d'originalité, et l'auteur doit la signer, soit c'est une reproduction de mon œuvre, et dans ce cas, j'en suis l'auteur, il faut me mentionner, et avoir obtenu mon autorisation. Mais en aucun cas ce n'est une photo orpheline.

Pour en savoir plus sur l'abus des D.R. selon les photographes professionnels : vidéo d'une très intéressante conférence (en Flash) organisée par l'Union des photographes Créateurs, à la Maison de la Photographie à Paris, en février dernier.

Ce n'est pas du presse-bashing gratuit : pour une fois que j'ai un journaliste qui est déontologiquement tenu par la ligne de son journal de tendre l'autre joue, je ne vais pas laisser échapper cette opportunité.


Mise à jour : Quels rabat-joies à La Croix ! Ils ont rectifié en ôtant la mention D.R. Ce qui, je suppose, implique qu'ils considèrent cette reproduction comme une courte citation. Dont acte, ça me paraît correct. En tout cas, voici la preuve que je suis un blogueur influent. Quel sentiment de puissance…

Bon, assez ri, je suis en code jaune. On se retrouve après-demain.

mardi 26 août 2008

Eolas fait sa rentrée médiatique

L'émission Du Grain à Moudre, animée par Julie Clarini et Brice Couturier sur France Culture, m'a invité sur son plateau demain à 18 heures 30, pour une émission consacrée à la décision du Conseil d'État confirmant un refus de nationalité à une femme en raison de sa pratique intégriste d'une religion, décision que j'ai analysée ici. L'intitulé exact sera : une pratique radicale de la religion est-elle incompatible avec la nationalité française ? Vous verrez que la réponse est non, Dieu merci.

Les autres invités sont Mohamed Sifaoui, grand reporter, notamment auteur chez Grasset de “Combattre le terrorisme islamique”, 2007 et Samir Amghar, chercheur à l'EHESS, spécialiste du salafisme.

Quelqu'un qui y a eu accès pourrait-il m'envoyer une copie des conclusions du commissaire du gouvernement dans cette affaire ? Trouvé, merci.

Le site de l'émission (où elle pourra être ouïe en différé et podcastée).

Logo de l'émission Du Grain à Moudre









La relaxe de Georges Frêche, ou de l'intérêt de citer ses sources

Cette règle est d'or, et ne vaut pas que pour les journalistes, le parquet de Montpellier vient d'en faire la dure expérience.

Rappelons les faits

L'inénarrable Georges Frêche, ex-[1]maire de Montpellier et gouverneur de Septimanie président du Conseil Régional de Languedoc Roussillon, avait, lors des émeutes de novembre 2005, insinué publiquement que des policiers pourraient être les auteurs des incendies de voiture, ajoutant que cette ruse aurait déjà été utilisée en mai 1968 afin de provoquer une réaction conservatrice, qui serait favorable au ministre de l'intérieur d'alors, qui aspirait à de plus hautes fonctions.

Ledit ministre n'apprécia pas et porta plainte pour diffamation envers une administration publique, plainte qui est la condition sine qua non pour que des poursuites puissent être engagées en matière de diffamation envers une administration : c'est l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881.

Incisons

Une incise ici : en matière de diffamation et d'injure, s'agissant de délits commis par voie de presse et portant atteinte à l'honneur de la personne, les règles sont dérogatoires au droit commun : le parquet ne peut engager de lui-même les poursuites, il faut une plainte préalable de la victime ou, s'agissant d'une administration, du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève (la police nationale relève du ministre de l'intérieur). Le retrait de cette plainte met fin aux poursuites. Ce n'est pas le cas pour les autres délits de droit commun : par exemple, le retrait, assez fréquent, de la plainte de la victime de violences conjugales ne met pas fin aux poursuites.

Reprenons

Le parquet, eu égard à la qualité de la personne concernée, a choisi la voie de l'instruction. Il a saisi un juge d'instruction de monter le dossier, l'acte saisissant le juge s'appelant un réquisitoire introductif. Cet acte, très simple, est fondamental, car il délimite les faits dont est saisi le juge qui, hors de ces faits, n'a aucun pouvoir, sauf à ce que le parquet les lui élargisse par un réquisitoire supplétif. S'il agi hors de sa saisine, c'est la nullité, avec des conséquences désopilantes.

Or le réquisitoire introductif demandait au juge de bien vouloir instruire sur les propos suivants :

« je me demande si ce ne sont pas des flics qui mettent le feu aux bagnoles ».

Fatalitas. Le prévenu avait en réalité tenu précisément ce langage, rapportés par le quotidien Midi Libre :

« je ne suis pas sûr que, dans les villes parisiennes où ils ont incendié des voitures, que ce soient des musulmans qui le font ; ça serait des flics déguisés en musulmans..., que ça ne m'étonnerait pas ».

Le juge d'instruction ayant établi que ces derniers propos avaient été tenus et fleuraient bon la diffamation envers une administration, avait renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel.

Devant le tribunal, le tribun prévenu avait argué que l'instruction avait porté sur des propos qu'il n'avait pas tenus et que nul acte de poursuite n'était intervenu sur les propos qu'il avait réellement tenu dans les trois mois ayant suivi, entraînant la prescription de l'action publique.

Argutie ? Non point, car la loi est formelle :

Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l'application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite.

Loi du 29 juillet 1881, article 50.

Le tribunal correctionnel de Montpellier relaxa donc le flamboyant édile. Le parquet, amateur de vieilles pierres, invita le premier magistrat à la cour d'appel sise quelques rues plus loin, voir s'ils pensaient de même.

L'esprit des lois contre la lettre des propos

Ce qui ne fut point le cas : le 11 septembre 2007, la cour d'appel de Montpellier estima qu'il n'était pas nécessaire que le réquisitoire reproduise littéralement le discours incriminé, dès lors qu'il permet au prévenu de connaître exactement les faits qui lui sont reprochés ; ajoutant que l'expression « Je me demande si ce ne sont pas des flics qui mettent le feu aux bagnoles » est, en substance, identique, à celle revendiquée par le prévenu ; ils en déduisirent que l'objet de la prévention était exactement déterminé par les mentions du réquisitoire, de telle sorte que l'intéressé pouvait utilement préparer sa défense, et en conséquence, déclara le bouillant Frêche coupable et le condamna à 1.500 euros d'amende.

Sautant dans le premier TGV, notre élu qui n'aime pas plus les policiers que les harkis qui manifestent à Palavas, se précipita Quai de l'Horloge pour crier famine chez la cour de cassation.

Qui lui fit bon accueil, en cassant le 17 juin 2008 l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier en rappelant fermement que

en matière de diffamation envers une administration publique, l'action publique est mise en mouvement, sur la plainte du ministre, par le réquisitoire introductif qui, lorsqu'il répond aux exigences de l'article 50 précité, fixe irrévocablement la nature et l'étendue de la poursuite ; que les juges ne peuvent statuer sur d'autres propos que ceux qui sont articulés par l'acte initial de la poursuite ;

(…)

en [se] prononçant sur des propos autres que ceux articulés dans l'acte initial de la poursuite, les juges ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.

La cassation a lieu sans renvoi, puisque plus rien ne restait à juger : l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel a les effets d'une relaxe.

Cet arrêt est conforme à la jurisprudence ancienne de la cour de cassation sur ce point. Pas de passe-droit pour Georges Frêche, mais au contraire, application de la loi sans jugement porté sur la validité de ses propos.

J'ignore la cause de la bourde du parquet ; probablement s'agissait-il d'une simple reprise des propos cités dans la plainte, auquel cas l'erreur est venue de la Place Beauvau, ce qui ne dispensait pas le parquet de s'assurer de la teneur réelle des propos, eu égard aux règles très rigoureuses en matière de presse.

Il demeure que je suis admiratif de la capacité de Georges Frêche à passer entre les gouttes. Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces, mais quand en prime, il vous donne des leçons de ballet, on ne peut qu'être admiratif et se dire qu'il faut arrêter d'abuser des métaphores animalières.

Notes

[1] Mes excuses à mes premiers lecteurs, M. Frêche n'est plus maire depuis 2004 ; que le temps passe vite quand on s'amuse.

dimanche 24 août 2008

Les publicistes ont de l'humour

Heu… Enfin, qui ne fait rire qu'eux, mais c'est déjà ça.

Je vous propose cette petite vidéo réalisée par des étudiants en droit qui feraient mieux de réviser à la B.U.

Un rapide mot d'explication tout de même. Le droit administratif français est un droit prétorien, c'est à dire né de la jurisprudence. Le législateur n'avait d'yeux que pour les juges judiciaires (les juges auxquels vous pensez tout de suite, qui portent la robe, mettent des innocents en prison, et ressemblent à des petits pois), tremblant au souvenir de l'ancien Régime, renversé grâce à leur révolte. Les révolutionnaires n'ont pas fait preuve de gratitude, redoutant que la même mésaventure leur arrive, et n'ont eu de cesse, de tenir le pouvoir judiciaire en laisse, tendance qu'ils ont laissé en héritage à leurs descendants, nos gouvernants actuels.

Leur premier geste fut d'interdire aux juges judiciaires de mettre leur vilain nez dans les affaires de l'État. Interdiction qui subsiste encore à ce jour.

Néanmoins, l'administration devant respecter la légalité, il a fallu instaurer une autorité jugeant de la légalité des actes de l'administration. Le législateur ne faisant rien, ou pas grand chose, c'est le juge administratif suprême, le Conseil d'État, qui a pris les choses en main.

Et le droit administratif français est né de toute une série d'arrêts fondamentaux (auxquels vient s'ajouter une sélection des décisions du Tribunal des Conflits, qui ne tranche que la question de savoir si telle ou telle question relève du juge judiciaire ou administratif sans trancher la question ; les arrêts du Conseil d'État sont notés CE, les décisions du Tribunal des Conflits TC), compilés dans l'ouvrage les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, dit le GAJA, ouvrage aussi important que le Code civil pour un étudiant en droit, et cauchemar des étudiants de deuxième année comme des candidats à l'ENA.

Le héros de cette saynète voyage dans le temps et tente ainsi de prévenir les événements qui vont donner lieu à certains de ces grands arrêts.

Son premier voyage le fait rencontrer monsieur Nicolo, qui pour autant que je sache est toujours vivant. Monsieur Nicolo est un habitué du Conseil d'État, qui avait demandé l'annulation des élections européennes du 18 juin 1989 au motif que les électeurs des DOM TOM avaient pu voter alors qu'ils ne sont pas situés en Europe. Le recours en lui même n'avait aucune chance, mais le Conseil d'État a saisi cette occasion pour renverser sa jurisprudence dite “des semoules” (CE 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France) selon laquelle il refusait d'examiner la conformité de la loi à un traité (CE 20 oct. 1989, Nicolo)

Son deuxième voyage le mène en Côte d'Ivoire, au bord de la lagune Ébrié. La nuit du 5 au 6 octobre 1920 (il y a une erreur dans la vidéo, la scène étant tournée de jour), le bac dit d'Éloka, un des bacs qui traverse cette lagune pour éviter d'avoir à en faire le tour, chargé de 18 personnes et de quatre automobiles, sombre brutalement. Un indigène se noie, et les quatre automobiles sont retirées de l'eau gravement endommagées. C'est l'une de ces automobiles, et non l'indigène noyé, qui est à l'origine du procès. Ah, le doux temps des colonies… La société commerciale de l'Ouest Africain, propriétaire d'une de ces voitures, va demander en justice réparation de son préjudice. Elle va saisir en référé le président du tribunal de Grand Bassam. Je ne me souviens plus si le tribunal va se déclarer incompétent ou si c'est l'administration qui va contester la compétence du juge judiciaire, toujours est-il que le tribunal des conflits va devoir trancher. Et le 22 janvier 1921, le Tribunal des Conflits jugera que même si ce bac remplissait une mission de service public, son activité était de nature industrielle et commerciale et relevait de la compétence du juge judiciaire. La lecture de cet arrêt m'a rappelé une scène d'un film de Tarzan, la version en noir et blanc avec Johnny Weismuller. Une colonne avance sur un sentier escarpé. Un porteur noir trébuche et tombe avec son chargement dans le vide avec un cri déchirant. Les explorateurs se précipitent et regardent, impuissants, le vide. « Qu'est ce que c'était ?» demande l'un d'eux qui n'a rien vu de ce qui s'est passé. « C'était les médicaments » répond l'autre avec un visage grave.
Voici une photo du Bac d'Éloka datant de 1908, dégoté par l'irremplaçable Professeur Rolin.

Son troisième l'emmène sur les lieux d'un drame. M. Guerrero, recherché par la police, prend en auto-stop Mlle Motsch, qui était pourtant fort jolie. Le véhicule arrive à un barrage de police, que M. Guerrero force. La police ouvre le feu, blessant Mlle Motsch. Celle-ci demande réparation, mais à qui ? Un barrage de police est une mesure de police administrative : ce serait donc le juge administratif. Nenni, répond le Tribunal des Conflits le 5 décembre 1977 : l'opération s'était transformée en police judiciaire dès lors qu'il s'agissait d'appréhender une personne ayant commis une infraction (refus d'obtempérer, coups et blessures volontaires sur agent de police…).

Le quatrième l'emmène à Morsang-Sur-Orge, riante commune de l'Essonne, où l'on sait s'amuser ; ainsi, le 25 octobre 1991, était prévu dans une LA discothèque de la ville un spectacle dit « de lancer de nain ». Le maire de la ville prit un arrêté interdisant ce spectacle comme contraire à la dignité humaine (sans qu'il soit précisé si la dignité perdue était celle du projectile ou du public riant à ce spectacle). Le Conseil d'État jugera légal cet arrêté le 27 octobre 1995, ajoutant la dignité humaine parmi les composants de l'ordre public (qui sont en outre la sécurité, la tranquillité et la salubrité).

Le cinquième le ramène en mars 1909, à l'occasion d'une grève des Postes. Le gouvernement d'alors prit 600 mesures de révocation à l'encontre des grévistes. L'un de ces révoqués, dénommé Winkell, exerça un recours contre cette décision, que le Conseil d'État rejeta, relevant que la grève ayant porté atteinte à la continuité du service public, la sanction était justifiée. Autre temps, autre mœurs.

Le sixième voyage le conduit dans l'exotique Indre-et-Loire en 1948, quand plusieurs fonctionnaires vont se mettre en grève pendant une semaine, dont M. Dehaene, chef de bureau, qui sera sanctionné d'un blâme. Blâme confirmé par le Conseil d'État le 7 juillet 1950, qui précisera toutefois que le droit de grève des fonctionnaires est licite (il a été reconnu par la Constitution de 1946, il faut dire) mais qu'il ne peut avoir pour effet de compromettre l'exercice de la fonction préfectorale. Bref, le droit de grève n'est pas absolu et illimité.

Le septième et dernier voyage le ramène à Bordeaux, au début de la décennie 1870. Agnès Blanco, cinq ans et demi, vient de se faire renverser par un wagon de la manufacture des tabacs exploitée en régie par l'État. Son père va demander réparation au tribunal civil, mais le Tribunal des Conflits jugera le 8 février 1873 que la responsabilité de l'État relève de la juridiction administrative. C'est l'arrêt donnant naissance au droit administratif moderne. Notre étudiant étant arrivé trop tard, il va achever la petite fille à coups de pelle, commettant ainsi un meurtre aggravé, relevant de la compétence du juge judiciaire et empêchant ainsi la naissance du droit administratif moderne.

Mais le vide juridique n'existe pas, comme le découvre à la fin notre étudiant, et surtout rien ne peut faire disparaître le droit fiscal en France. La morale est sauve.

Si vous avez ri en regardant cette vidéo, vous saurez que vous êtes un publiciste.

Pour en savoir plus sur l'hostilité de l'exécutif à l'égard des juges, voyez ce billet de Fantômette.

Sur la séparation des ordres administratifs et judiciaire, voyez ce billet de votre serviteur.

Merci à Xa pour le lien vers la vidéo.

vendredi 22 août 2008

Le Monde annonce les lois qui existent déjà

Aliocha ayant déclaré forfait pour défendre son confrère de Rue89; je lui laisse une deuxième chance avec Le Monde. Enfin, lemonde.fr, ce n'est pas la même chose, m'a-t-on précisé (mais lors pourquoi laisser le logo en gothique ?), et à partir d'une dépêche de l'AFP.

Deux décrets du ministère de la justice parus vendredi 22 août au Journal officiel[1] autorisent l'inscription d'un fœtus né sans vie sur les registres de l'état civil. Souhaités depuis plusieurs années par de nombreuses associations, ces décrets viennent combler le vide juridique qui existait en France pour les fœtus de 16 à 22 semaines morts in utero ou après une interruption médicale de grossesse. Ils font suite à la décision de la Cour de cassation, qui, en février, avait jugé, dans trois arrêts, qu'un fœtus né sans vie pouvait être déclaré à l'état civil, quel que soit son niveau de développement.

Argh ! Kryptonite ! Ils ont dit les mots interdits ! « Vide juridique » ! Depuis le temps que je m'échine à expliquer que le vide juridique n'existe pas. Même si aucune loi ne règle expressément la question, il y a tout un corpus de droit commun qui s'applique à toutes les situations, et le juge a l'obligation de trancher toute question qui lui est légalement soumise, sans pouvoir invoquer l'absence ou l'obscurité de la loi !

Et là, en plus, il n'y avait pas de vide juridique, comme je l'expliquais en commentant les arrêts de février dernier :

Afin d'aider les parents à surmonter cette terrible épreuve, la loi [du 8 février 1993, elle a quinze ans, cette loi !] a créé pour les enfants ne remplissant pas ces conditions d'accès à la personnalité juridique l'acte d'enfant sans vie. Sans avoir les conséquences juridiques d'un acte de naissance (il figure sur le registre des actes de décès), il permet aux parents de lui donner un prénom, et de réclamer le corps pour procéder à des funérailles (auparavant, il était traité comme un déchet organique et incinéré avec les amygdales et autres appendices iléo-cæcaux, quand il ne servait pas pour former des étudiants).

Notons que la loi prévoit que l'acte d'enfant sans vie doit être dressé à défaut de certificat médical attestant la vie et la viabilité, sans préjuger de ces faits, qui relèvent de la compétence du juge.

Comme vous le voyez, la loi ne pose aucune condition de développement du fœtus.

Alors, à quoi servent ces deux décrets ?

Le premier décret modifie le décret n°74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille, en rajoutant un article prévoyant la délivrance d'un livret de famille dans l'hypothèse où le couple n'est pas marié (sinon le livret de famille est remis par le maire dès le mariage célébré) et que l'enfant né sans vie était leur premier enfant (sinon le livret de famille leur a été remis à la naissance du premier enfant). Il ne comble pas un vide juridique : il modifie le droit, qui était que jusqu'à présent, les couples dans cette situation n'avaient pas droit à un livret de famille, dont l'intérêt est plutôt limité d'ailleurs. Cet état du droit était plus probablement dû à une négligence du législateur qu'à un choix éclairé, mais il demeure que c'était l'état du droit.

Le second précise simplement que l'acte d'enfant sans vie est dressé sur production d'un certificat médical lui-même dressé conformément aux dispositions d'un arrêté du ministre de la santé. Arrêté qui est publié plus loin dans le même JO, le modèle étant consultable dans la version PDF. Conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, la mention de viabilité n'apparaît pas dans le certificat.

Bref, un non-événement, le droit en la matière étant inchangé sauf pour la délivrance du livret de famille à un couple non marié sans enfant. S'agissant de l'âge du fœtus permettant de dresser un tel acte, l'arrêt de février dernier a interprété la loi et cette interprétation reste valable.

Voilà qui méritait une dépêche, et justifiait l'utilisation d'une photo choc qui fera bien plaisir à tous les lecteurs et lectrices ayant vécu un tel drame personnel.

Aliocha, la parole est à la défense.

Notes

[1] Un, deux.

Petite leçon d'histoire du droit à destination de Rue89

Rue89 s'est fendu d'un bref article sans intérêt (ce n'est pas moi, ce sont les lecteurs qui le disent) sur la rentrée des avocats des Pipoles. Les avocats d'iceux ont envoyé des assignations qui attendent au courrier des avocats des publications concernées. Rien de neuf sous le soleil. Je retrouve moi-même mes urgences, il y a juste un peu moins de nichons et plus de préfets, c'est moins glamour (cela dit avec le plus profond respect pour les mamelles de Michel Gaudin).

Un passage [Depuis rectifié] m'avait fait froncer le sourcil gauche :

Cet automne, les tribunaux donneront raison -ou tort- à ces « people » qui poursuivent la presse en vertu de l’article 9 du code civil. Depuis leur rédaction par les juristes de Bonaparte en 1803, ces quelques lignes, que de nombreux avocats savent par cœur, stipulent que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Je passe sur l'usage inapproprié du verbe stipuler qui permet de faire juriste sauf aux yeux des juristes : stipuler veut dire promettre, seul un contrat peut stipuler (ou un traité international, qui est un contrat entre États souverains) ou la faute d'accord à people, le pluriel en anglais prenant aussi un S sauf pour les adjectifs qui sont invariables[1].

C'est l'irruption des juristes de Bonaparte qui me laisse pantois. Et la date aussi.

Le Code civil, de son petit nom Code Napoléon (c'est encore son nom officiel, même s'il n'est plus employé) est entré en vigueur le 21 mars 1804, soit deux siècles et trois semaines avant mon blog, tous les juristes savent cela. S'il est exact de parler de Bonaparte (ce n'est qu'en décembre de cette même année que le Premier Consul Bonaparte deviendra Napoléon Ier), pourquoi 1803 ?

Ce d'autant plus (et là c'est mon sourcil droit qui se soulève) que l'article 9 du Code civil, tous les juristes le savent aussi, a été créé par la loi n°70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens, article 22. Sans être agrégé d'histoire, je puis vous assurer sans crainte de me tromper que Napoléon Bonaparte n'avait cure des nichons des célébrités publiées à la Une des magazines, du fait de son mépris pour la vie privée des citoyens autant que du fait que la photographie n'avait pas encore été inventée.

Donc pourquoi 1803 ?

La lumière m'est venue de Légifrance. Non que ce site ait quoi que ce soit à m'apprendre sur l'article 9. Mais les mentions sous le numéro d'article sont manifestement à l'origine de l'erreur d'Augustin Scalbert.

Créé par Loi 1803-03-08 promulguée le 18 mars 1803
Modifié par Loi 1927-08-10 art. 13
Modifié par Loi n°70-643 du 17 juillet 1970 - art. 22 JORF 19 juillet 1970
Modifié par Loi n°94-653 du 29 juillet 1994 - art. 1 JORF 30 juillet 1994

Ces mentions sont fort utiles pour les juristes qui doivent faire face aux complications nées de l'application de la loi dans le temps. Elles informent des dates de création et de modification des textes afin que nous puissions le cas échéant aller chercher la version en vigueur au moment des faits nous intéressant.

La première mention est la loi du 18 mars 1803 (17 Ventôse An XI), première des 36 lois qui ont promulgué les 36 titres du Code civil des Français. Promulgué mais pas mis en vigueur, ce qui n'aura lieu que d'un bloc en mars 1804.

La deuxième mention est celle de la loi du 10 août 1927, qui va abroger l'article 9. En effet, l'article 9 original ne portait pas du tout sur la vie privée mais sur la nationalité française. Relisons-le, ça fait rêver.

Tout individu né en France d'un étranger pourra, dans l'année qui suit sa majorité, réclamer la qualité de Français ; pourvu que, dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d'y fixer son domicile, et que dans le cas où il résiderait en pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile, et qu'il l'y établisse dans l'année, à compter de l'acte de soumission.

Aujourd'hui, naître en France ne donne droit au séjour ou à la nationalité que si on y réside ensuite au moins huit années et également au jour de la demande. Le droit Napoléonien, ce dictateur belliciste, était plus libéral envers les étrangers que le nôtre. Cherchez l'erreur.

Ce n'est donc qu'en 1970 qu'un nouvel article 9 prendra la place laissée vacante, mais son contenu n'a aucun rapport avec l'article 9 original.

Légifrance ne distingue pas : pour lui, le Titre Premier du Code civil a été créé par une loi de mars 1803, le hiatus de 1927 à 1970 n'a aucune importance.

Et voilà comment un journaliste voulant épater la galerie se mélange les pinceaux en laissant entendre à ses lecteurs que le droit de la presse people remonte au Consulat.

Concluons en redressant une injustice. Les « juristes de Bonaparte » ont un nom. Ils sont quatre, qui ont rédigé l'essentiel du Code civil. Ils méritent d'être cités : François Denis Tronchet, Jacques de Maleville, Jean Étienne Marie Portalis et Félix Julien Jean Bigot de Préameneu. En ces temps de législation biodégradable, leur travail subsiste après deux siècles. Ce qui en droit équivaut à l'éternité.

Notes

[1] Mise à jour : au temps pour moi, People est déjà un mot pluriel et ne prend donc pas de S. Pan sur le bec d'Eolas.

mercredi 20 août 2008

Brice, le faucheur de Tchétchènes

Par Serge Slama, Maître de Conférences en droit public à l’Université Evry-Val-d’Essonne ; code HTML relu et corrigé par OlivierG.


Ambiance musicale :


Vous avez lu l’histoire des visas de sortie de Charlie. Comment il les a fait vivre. Comment ils sont morts, ressuscités puis de nouveau morts.
Ca vous a plus hein. Vous en d’mandez encore.
Et bien. Ecoutez l’histoire…
L’histoire des visas de transit aéroportuaires anti-réfugiésfraudeurs tchétchènes de Brice.
Comment il les a fait vivre.
Comment ils sont morts.
Et surtout comment il les a ressuscités par un prodigieux holdup juridique.
Avec l’aval du polic’man du Palais Royal.

Les Tchétchènes et Somaliens ennuient Brice et son ami Bernard

Alors voilà.
Avec son petit-ami Bernard
Un gars qui, autrefois était honnête, loyal et droit.
Brice avait un ennui.

L’ennui c’est que 474réfugiés fraudeurs tchétchènes ont réussi, à l’occasion d’une escale à l’aéroport de Roissy, à solliciter l’asile à la frontière en décembre 2007.

Cela a obligé Brice à les maintenir, dans des conditions inhumaines, pendant près d’un mois dans des aérogares puis dans un hangar de 1 600 m2 réquisitionné pour l’occasion.

Cela ennuyait Brice car il venait juste de déclarer – sans rire – à Jeune Afrique que s’il y a de moins en moins de demandeurs d’asile sollicitant l’asile en France c’est que la situation du monde s’est s’améliorée.

Qu’est-ce qu’on n’a pas écrit sur lui ? En réalité c’est un doux utopiste.

Mais il faut croire que c’est la société qui l’a abîmé.

Lire la suite...

Dictionnaire judiciaire : compassion

Par Gascogne


Du latin cum patior, "je souffre avec".

Il ne saurait y avoir de bon jugement provenant d'un juge qui souffrirait de ce mal. Tout au plus acceptera-t-on un juge faisant montre d'empathie, phénomène plus neutre, mais pas de compassion.

A ceux qui trouvent le monde judiciaire choquant, cette entrée en matière ne va pas arranger les choses. Et pourtant...La compassion est l'antichambre du jugement de valeur. J'écarte le droit au nom des mes sentiments, et je m'appuie sur la souffrance, de la victime, ou du demandeur, pour lui donner raison, au nom d'un pseudo-soulagement que je lui apporterais, et que je m'autoriserais par là-même. Quitte à violer la loi.

Or, si la sagesse populaire occidentale nous informe que la colère est mauvaise conseillère, particulièrement pour un juge, la sagesse orientale tend à penser que tous les sentiments sont néfastes. Il n'est que de relire le tao të king pour s'en convaincre.

Pourquoi cette incursion philosophico-sentimentale dans le monde judiciaire ?

Parce que je viens d'ouvrir un album photographique. Pas n'importe lequel. Pas l'un de ceux qui pourraient atterrir dans la presse pipole...Pas même dans un magazine comme "le nouveau détective" (enfin, je ne pense pas). Je viens d'ouvrir, et quasiment de refermer aussitôt, l'album photographique des opérations d'autopsie d'un petit garçon de 18 mois. Première photo en pyjama blanc sur une table en inox. Le reste, je vous l'épargne.

Et j'ai un haut-le-coeur, même encore en écrivant ces lignes. J'ai commis l'erreur de laisser mon ordinateur allumé. Il l'est toute la journée, ceci expliquant cela. Et en même temps que mon cerveau se révulsait de ce qu'il voyait, mais que ma raison professionnelle tempérait ce vague à l'âme, ma vision latérale m'indiquait que mon pitchoun de 10 mois me regardait sur l'écran. Aucun poids des mots, mais un certain choc des photos qui m'a fait refermer très vite l'oeuvre photographique gendarmesque.

Je commence à comprendre pourquoi certains collègues préfèrent ne rien mettre dans leur bureau qui leur rappelle leur vie à l'extérieur du tribunal. Moi qui croyait naïvement que c'était pour incarner un peu plus la rigueur de notre mission.

Cela fait-il de moi un mauvais juge ? Je ne le pense pas, du moins si j'arrive à exiler ces sentiments loin de ma gestion du dossier. S'agissant d'une "simple" "recherche des causes de la mort", cela ne devrait pas être trop difficile. Mais s'il s'était agi d'un dossier de meurtre, et que je préparais l'interrogatoire du meurtrier ? Pourrais-je encore instruire à décharge ?

J'ai choisi ce métier pour tout un tas de raisons que je ne comprends pas forcément moi-même. Je me doutais que l'arrivée dans ma vie d'un braillard changerait la donne. Mais pas à ce point là.

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