Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 10 avril 2009

Genius at work

Cette semaine, vous avez l'occasion de vivre un moment historique, un moment que vous raconterez à vos enfants et petits-enfants, et vous verrez alors s'allumer dans leurs yeux la lumière noyée d'une larme de l'envie et de l'admiration.

Un film de Hayao Miyazaki vient de sortir sur vos écrans. Quand j'écris ces mots, je suis pris d'un frisson. Chacun de ses films est annoncé comme étant le dernier, et l'annonce d'un nouveau film met le Japon (et votre serviteur) dans sous ses états.

Hayao Miyazaki est un pur génie. On peut le comparer sans rougir à Walt Disney (ou alors c'est Walt Disney qui rougira). C'est un réalisateur de dessin animé japonais, LE réalisateur de dessin animé japonais. Chacun de ses dessins animé est un chef d'œuvre. Il est le fondateur et directeur du Studio Ghibli[1], qui produit ses dessins animés et quelques autres perles.

Si vous croyez que les dessins animés japonais sont d'interminables séries pour enfants à l'animation saccadée où les héros ont des coiffures aussi improbables que la couleur de leurs cheveux, vous êtes mûr pour une cure de remise à niveau.

Si vous croyez que les dessins animés japonais, c'est pour les enfants, regardez donc le Tombeau des Lucioles d'Isao Takahata (Studio Ghibli, 1988). Gardez une boîte de mouchoirs à portée de la main. Vous n'oublierez jamais la petite Setsuko. C'est une grande claque dans la figure, un des plus puissants films contre la guerre. Surtout quand on sait que c'est une histoire autobiographique, tirée du roman éponyme d'Akiyuki Nosaka.

Un dessin animé de Hayao Miyazaki, ce n'est pas pour les enfants, mais pour les adultes qui n'ont pas oublié l'enfant qu'ils ont été. Nuance. À part Mon Voisin Totoro, je vous déconseille de montrer du Miyazaki aux très jeunes enfants.

Miyazaki a quatre thèmes récurrents : l'enfance, la nature, les grand-mères et les machines, de préférence volantes. Tout vient de son histoire personnelle.

Il est fasciné par l'aviation depuis son enfance : son père dessinait des avions pour l'entreprise de son frère, Miyazaki airplaines. Du coup, il invente souvent des machines imaginaires extraordinaires. Le personnage de Kanta, dans Mon voisin Totoro, est inspiré de lui enfant, quand son père l'avait envoyé à la campagne, chez sa grand-mère, à qui il était très attaché et qu'il fait revivre dans tous ses films, pour le mettre à l'abri des bombardements alliés, où il a découvert la nature et la culture traditionnelle japonaise. Côté machine complexe improbable et fascinante, le Château Ambulant du film éponyme est inoubliable. Ajoutons que c'est un féministe de la première heure (et au Japon, ce n'était pas évident), ceci étant dû au fait qu'il a vu dans son enfance le rôle que les femmes ont tenu pendant la guerre puis pour reconstruire un Japon vaincu, détruit, et exsangue. Ses personnages principaux sont souvent des femmes, jeunes, fortes et indépendantes, même si elles ne sont que des enfants (voyez dans le film dont je vais vous parler le personnage de Lisa, la mère de Sôsuké).

Une idée centrale chez Miyazaki est le mal que l'homme fait à la nature, bien avant que ce ne soit à la mode comme aujourd'hui. Et la nature, blessée, empoisonnée, répond. Cela donne des apparitions cauchemardesques et des créatures inquiétantes, comme les Ohmus de Nausicaä de la Vallée des Vents ou l'esprit Sanglier de Princesse Mononoké. Il s'inspire aussi beaucoup de la mythologie japonaise, notamment des innombrables esprits de la nature. Le Voyage de Chihiro (mon préféré, Ours d'Or à Berlin en 2002, et couronné par un oscar) est une vraie ballade dans cet autre monde.

Et voici son nouvel opus. Courez le voir, il ne restera probablement pas longtemps à l'affiche, emporté par Fast & Furious 4 ou Dragon Ball Evolution. Un Miyazaki, ça se regarde sur grand écran. C'est du fait main, à l'ancienne. Un bijou de poésie, deux heures de retour en enfance, mis en musique par son complice joe Hisaishi, qui est à Miyazaki ce que John Williams est à Steven Spielberg. C'est un récit à la japonaise : il n'y a pas de méchants manichéens, et ce n'est pas tant la destination qui compte que le voyage en lui-même. Vous avez l'opportunité d'aller voir un Miyazaki au cinéma, lors de sa sortie. Ne passez pas le reste de votre vie à pleurer cette chance de perdue. Un jour, il y aura un dernier Miyazaki.

Voici donc la bande annonce de Ponyo sur la falaise.



本当にありがとうございます宮崎先生.


Add. : Merci Fieffégreffier (on a toujours besoin d'un greffier) : une interview du Sensei.

Notes

[1] Du surnom que les Italiens avaient donné à leurs avions de reconnaissance en Afrique du Nord pendant la guerre, lui même dérivé du mot Lybien pour Sirroco. Le surnom de l'avion italo-brésilien AMX International AMX est le "Ghibli". Prononcer Djibli.

Les avocats parisiens ne sont pas (si) méchants (que ça)

Avis à tous mes confrères de province[1] : l'Ordre des avocats de Paris[2] vous ouvre sa BDD. Ne nous remerciez pas.

Ben… Pourquoi vous faites un tête de mékéskidi ?

QUOI ???? Vous ne savez pas ce qu'est la BDD ? (In petto : Ah, ces provinciaux…)

Il s'agit de la Base de Donnée Déontologique. Le recueil des décisions rendues par le Barreau de Paris en matière déontologique. Vu qu'il traite la moitié des demandes au niveau national, ça fait un fonds documentaire riche (hélas…) qui sera utile à tous les confrères, et surtout (hélas) aux Conseil de discipline régionaux.

Las, l'Ordre ne maîtrise pas encore à fond l'art complexe de la communication et l'info est publiée… dans le Bulletin du barreau. Qui, je le sais de source sure, est fort peu lu par nos estimés (quoique provinciaux) confrères.

Je la reprends donc ici :

La procédure est la suivante :

- allez sur le site du barreau de Paris, http://www.avocatparis.org (oui, il est pas très beau, mais il est super cher).
- cliquez sur « espace privé »
- sur la page d’identification, cliquer sur « Vous n’êtes pas encore inscrit / Créer un compte d’accès »
- sur la page d’inscription, cliquez sur « Si vous êtes avocat d’un autre barreau ». N'ayez pas honte, c'est confidentiel.

Il vous sera alors demandé d’indiquer votre adresse e-mail, puis de remplir un bref formulaire. Cette procédure prend à peine quelques minutes et vous recevrez en retour votre code personnel.

Une fois connecté à l’espace privé, l’accès à la BDD se trouve dans la colonne de droite, rubrique « Informations professionnelles ».

Si vous souhaitez avoir des informations sur son contenu ou ses modalités de consultation, vous pouvez contacter Mme Nadine Mokdad. Elle est adorable. Dites que vous appelez de ma part. Elle ne me connaît pas, mais ça me fera plaisir. (Tél. : 01 44 32 47 61 - nmokdadatavocatparis.org)

Ah, et pendant que je vous tiens.

La cour d'appel vient de changer son organisation, au 1er avril. Exeunt les chambres, voici les pôles, subdivisés en chambres.

Un confrère me transmet la supplique d'une greffière de la cour d'appel : au téléphone, précisez le numéro de pôle avec le numéro de la chambre. Nous avons désormais huit 2e chambre : une qui connaît les appels des ordonnances de référé, une qui fait de la responsabilité contractuelle et délictuelle, une autre qui fait des affaires familiales, une autre qui fait du contentieux de la copropriété et des troubles du voisinage, encore une qui fait de la propriété intellectuelle, une qui traite les urgences en matière prud'homales et conflits collectifs du travail, une qui est chambre de l'instruction du pôle économique et financier (elle ne va pas crouler sous le boulot avec une vingtaine d'instructions ouvertes en 2008…) et une qui fait de la grande délinquance organisée (mais nous n'avons pas de chambre qui fasse de la petite délinquance organisée ou de la grande délinquance désorganisée, un sacré vide juridique…). On les distingue par leur numéro de pôle (il s'agit respectivements des chambres 1-2 à 8-2, vous l'aviez deviné).

Par contre, si quelqu'un a une table de conversion des anciennes chambres vers les nouvelles, je suis preneur. J'ai quelques affaires en délibéré, et c'est très perturbant. Merci qui, merci M'sieur Magendie.

Notes

[1] Dans le cadre de cet article, le mot province s'entend de tout point du territoire national situé au-delà du Boulevard Périphérique.

[2] Il s'agit de la dénomination officielle de l'ordre des avocats au barreau de Paris depuis qu'une agence de communication est passée par là en 2004 : l'ordre des avocats au barreau de Paris est devenu l'ordre des avocats de Paris, et le Bulletin du Barreau est devenu le Bulletin. Je vais donc bientôt rebaptiser mon journal d'un avocat en le journal tout court et économiser ainsi plusieurs dizaines de milliers d'euros en frais d'agence.

jeudi 9 avril 2009

BREAKING NEWS : la loi HADOPI vient d'être rejetée par le parlement

C'est confirmé. 15 pour, 20 contre. Par un coup de force des députés de l'opposition qui ont débarqué en nombre juste avant le vote. Il y a des oreilles qui vont siffler.

Je ne sais pas à quand remonte la dernière fois qu'un projet de loi a été rejeté.

Le texte ne part pas à la poubelle : le texte part en deuxième lecture au Sénat, comme si l'urgence n'avait jamais été déclarée. La loi ne pourra donc être votée avant plusieurs mois, car il y aura deuxième lecture à l'assemblée.

Mais elle sera votée, le gouvernement en fera désormais un cheval de bataille comme le gouvernement Jospin l'avait fait pour le PaCS en 1999. Vous entendrez d'ailleurs des cris d'orfraie de la majorité sur l'obstruction et les maœuvres de l'opposition : rejetez-les comme hypocrites. Ce qui s'est passé aujourd'hui est exactement ce que l'opposition de droite avait fait contre le paCS le 9 octobre 1998. Mais le PaCS était une proposition de loi, donc présentée par des députés, et non un projet de loi, issu du Gouvernement.

C'est un camouflet pour le Gouvernement en général et le ministre de la culture en particulier, et pour Jean-François Copé qui montre une fois de plus qu'il ne sait pas tenir son groupe. À moins qu'il ne veuille démontrer sa capacité de nuisance, piaffant d'impatience dans son placard doré de l'assemblée ?

En tout cas, des oreilles vont siffler.

FAQ :

► Combien de fois peut-on présenter un texte rejeté ?

Comme un traité rejeté par referendum : autant de fois qu'on veut jusqu'à ce qu'il soit adopté ou que la législature arrive à son terme (juin 2012). La seule limite est l'agenda de l'assemblée, qui est maîtrisé pour moitié par le gouvernement et pour moitié par l'assemblée elle même (depuis le 1er mars dernier seulement). S'agissant d'un projet de loi, il ne peut être programmé que dans l'espace dévolu au Gouvernement. Qui est déjà bien rempli. Donc soit il faut attendre, soit il faut faire de la place en décalant d'autres projets. C'est pour ça que Roger Karoutchi fait la tronche : c'est son boulot, ça.

► Pourquoi n'y avait-il que 35 députés sur 577 dans l'hémicycle ?

Je n'ai pas à ma disposition les agendas de tous les députés, mais ils ne jouaient pas à WoW. D'abord, certains députés ayant d'autres mandats électifs, ils ne peuvent pas être à la fois au four et au moulin. Si M. Montebourg était présent à l'assemblée, vous seriez tout aussi fondé à demander : mais où diable est le président du Conseil général de l'Ain Saône et Loire ? Oui, le cumul des mandats est critiquable, mais c'est légal. Et les élus étant attachés à leur siège, ce n'est pas près de changer. Ensuite, l'Assemblée examine de front plusieurs textes, certains en commission (passage très important), d'autres déjà en débat public. Ces textes s'accompagnent de volumineux rapports, et d'une liste d'amendements, parfois par centaines, dont il faut bien prendre connaissance. De fait, une répartition des dossiers par domaine de compétence se fait. Les 577 députés ne sont pas des experts en compatibilité publique et en droit fiscal. Certains se spécialisent donc dans les lois de finance ; d'autres connaissent la question agricole et vinicole, etc. Leur présence lors du vote (ce n'était même pas une discussion, c'était juste un texte issu de la commission mixte paritaire à voter sur le mode du tout ou rien) d'une loi sur le droit d'auteur et l'internet aurait été une perte de temps. Les députés sont payés fort cher, ce n'est pas juste pour rester assis sans rien dire et appuyer sur un bouton quand on leur dit de le faire.

Notez que le règlement de l'assemblée pose le principe qu'un vote, pour être valable, doit être fait par la majorité absolue des députés (soit 289 députés) : règlement de l'assemblée, article 61. Mais ce quorum ne peut être vérifié qu'à la demande expresse d'un président de groupe (même article), sinon le vote a lieu valablement même si l'hémicycle est manifestement désert. En cas de demande de vérification, le vote est renvoyé à au moins trois heures une heure plus tard, temps mis à profit pour rameuter le ban et l'arrière ban. Problème : J.-F. Copé n'était pas présent dans l'hémicycle, pas plus que M. Sauvadet (président du Groupe nouveau Centre). Donc le vote devait avoir lieu.

mercredi 8 avril 2009

Chasse aux trésors

Par Dadouche


Avisssse à la population !

Cela fait bientôt 5 ans que l'hôte de ces lieux, dont les autres colocataires et moi ne sommes que des squatteurs occasionnels, vous régale de billets instructifs, drôles ou émouvants, parfois polémiques.

Il y a parmi ses lecteurs de vieux grognards (parfois grognons) qui commentent sa prose depuis plusieurs années. Certains ont lâché en cours de route (Mémé ! Donne nous un signe de vie !), d'autres persévèrent.

Mais il y a aussi tous ceux qui sont venus par le son du buzz alléchés.

Avec, par désordre d'apparition derrière l'écran, les amis de Guillermito, les putéoliens, les laïcards , le porte parole de la Chancellerie, les Vélibophiles, les outrés d'Outreau, ceux qui aiment faire la leçon à Luc Besson et dernièrement les papistes et anti-papistes.

Parmi ces nouveaux venus, certains se plongent alors dans les archives de ce blog pour en extraire la substantifique moëlle. Je me suis même laissée dire que, dans des bureaux bourguignons reculés, on passe sa pause déjeûner à flâner dans les anciens billets.

D'autres prennent le train en route, et s'indignent d'être traités de mekeskidi, s'interrogent sur la passion du maître de ces lieux pour le pisum sativum ou s'inquiètent pour cette Berryer sur qui on fait des conférences.

A tous ceux là (et aux autres) je propose , plutôt que de chercher des oeufs dans le jardin, de partir, au delà des billets "à retenir" obligeamment signalés par notre hôte (sur la droite de votre écran), à la découverte de trésors de ce blog, grâce à un petit jeu de piste.

Toutes les réponses aux questions qui suivent sont dans des billets d'Eolas ou de l'un de ses commensaux.
Tous (ou presque...) peuvent être retrouvés en regardant attentivement la table des matières ou par un mot-clé judicieux dans l'outil de recherche.

Il n'y aura aucun lot pour celui ou celle qui trouvera toutes les bonnes réponses, rapport à tout ce qu'on dépense en antidépresseurs pour Eolas et Gascogne après les matches contre la perfide Albion.
Restera la satisfaction d'avoir découvert (ou redécouvert) certaines perles de ce blog après 5 ans d'activité. Et peut être de comprendre certaines private jokes de vieux habitués.

Les réponses seront mises en ligne le 15 avril, pour les 5 ans "officiels" du blog.

Et si vous êtes sages, il y aura une surprise...

Place au jeu !

(roulement de tambour, musique)


Question n° 1 : Quelle est l'origine du Prix Busiris ?

Question n° 2 : Quel événement a marqué le Journal d'un avocat le 23 octobre 2008 ?

Question n° 3 : Qu'est-il arrivé à Amélie Gatépouri et Prosper Vert ?

Question n° 4 : Quel était, en juillet 2005, le montant de l'indemnité de l'aide juridictionnelle totale pour un divorce pour faute ?

Question n° 5 : A propos de quel petit dîner entre amis Eolas s'est-il fait l'apôtre de la résurrection de la liberté d'expression par la grâce d'un Jugement Dernier de la Cour de Cassation ?

Question n° 6 : A quelle occasion la SACEM a-t-elle fait valoir ses droits jusqu'au ridicule ?

Question n° 7 : Quel est le livre préféré d'Eduardo ?

Question n° 8 : Mais qui peut bien être ce Gilles à qui Eolas s'était fendu une lettre ?

Question n° 9 : Quelle était la température du café servi par Ronald Mac Donald à Stella Liebeck ?

Question n°10 : Quel a été le premier billet d'un auteur invité du blog (avant qu'Eolas ne laisse officiellement un double des clés aux colocataires) ?

Question subsidiaire (pour les aficionados) : quelle est l'origine de la Mémé à Moustaches ?

Question super bonus : Qu'est ce que la Mémé à moustaches a exposé à 11 ans ?

Vous avez le droit d'appeler des amis, de demander l'aide du public mais, dans une semaine, j'aurai le dernier mot !

Edit : Je savais que j'avais oublié un léger détail !
Ceux qui veulent vraiment jouer sérieusement peuvent m'envoyer leurs réponses à dadouche at maitre-eolas.fr

Avis de Berryer : Musique Post Bourgeoise

Peuple de Berryer, ça y est ! Elle est chaude !

Je parle de la Conférence, bien sûr, qui ne se contente plus d'un invité à la Conférence Berryer mais les achète désormais par pack de trois.

C'est donc le trio électronique de salon Musique Post Bourgeoise qui sera l'invité des travaux de la Conférence le 22 avril prochain, salle des Criées à 21h15.

Devant cet aréopage de pas moins de 15 personnes, les candidats traiteront les sujets suivants :

Premier sujet :faut il rompre la chaine sanitaire ?

Second sujet :peut on rater deux vies à la fois ?

Le rapport sera présenté par le Premier secrétaire lui-même, Cédric Labrousse en personne.

Tenté par l'exercice ? Courez, accourez, volez vers la délicieuse Rachel Lindon, quatrième secrétaire, pour vous inscrire : rachellindon[at]hotmail.com

Sinon, les portes vous seront ouvertes, mais n'oubliez pas de venir largement en avance : premier arrivé, premier servi.

vendredi 3 avril 2009

Non aux délocalisations administratives !

Il n'y a pas que des motifs de colère qui viennent de la cour d'appel de Toulouse : il y a aussi des occasions d'applaudir.

Et le 19 mars dernier, la même formation de la cour d'appel (je vous renvoie donc au billet d'hier pour les explications techniques ; notons simplement que c'était un magistrat différent de ce lui de l'amende de 300 euros) a rendu un arrêt qui est un camouflet pour le préfet des Pyrénées Atlantiques. Oh, rassurez-vous, pas de quoi l'envoyer comme préfet hors cadre pour siéger comme membre du Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'Etat, ce n'est pas assez grave : il n'a pas déplu au président, il a juste fait litière des droits de la défense.

Une ressortissante togolaise a été interpellée pour séjour irrégulier le 14 mars à bord du train Pau - Lourdes, au cours d'un contrôle d'identité ordonné par réquisitions du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pau.

Placée en garde à vue, l'affaire est finalement classée sans suite par le parquet, une fois que cette dame se soit vue frappée d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, pris par le préfet des Pyrénées Atlantiques (Chef-lieu de département : Pau).

Elle est alors placée au Centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse. Elle fut présentée au juge des libertés et de la détention (JLD) de Toulouse, territorialement compétent du fait de la situation du CRA, qui annula le 18 mars à 19h36 la procédure aux motifs que la signature figurant sur les réquisitions aux fins de contrôle d'identité était illisible et ne permettait pas de s'assurer que le signataire était bien magistrat du parquet. Le parquet fit appel à 19h52, appel suspensif : madame reste en CRA.

En appel, cette dame reprend le même argument, et soulève en outre le défaut d'enregistrement vidéo de sa garde à vue (ça a son importance pour la suite) et un troisième argument, que je garde de côté pour le moment car c'est lui qui va prospérer.

Le PPCA de Toulouse va infirmer l'ordonnance du juge, rappelant le principe de l'indivisibilité du parquet qui fait que peu importe l'identité du signataire : seuls comptent la mention "pour le procureur de la République" et le sceau du parquet qui authentifie la qualité du signataire. Solution constante, mais contraire au droit administratif où depuis une loi de 2000, le nom du signataire doit apparaître lisiblement sous sa signature (chaque fonctionnaire a un cachet à ses noms et prénoms : par exemple, un arrêté de reconduite à la frontière sera signé "Pour le préfet, et par délégation, le chef du bureau des étrangers, Gustave Duschmoll").

Il va écarter l'argument tiré du défaut d'enregistrement en relevant que l'article 64-1 (qu'il reconnaît donc être applicable) ne prévoit pas de sanction de nullité, or pas de nullité sans texte, et qu'il n'est pas établi que ce défaut d'enregistrement lui aurait fait grief car elle ne contestait pas le contenu du procès-verbal.

Reste le troisième argument. Et là, avant de laisser la parole au conseiller délégué, je remarque que des lecteurs géographes émérites piaffent d'impatience.

— Merci maître. Vous dites que cette dame a été arrêtée dans un train Pau-Lourdes.

— Absolument.

— Ce trajet part des Pyrénées Atlantiques et aboutit dans les Hautes Pyrénées.

— Irréfutablement.

— Il ne passe pas par la Haute Garonne.

— Sauf à faire un improbable détour, ce qui est difficile pour un train.

— J'ajoute que si le contrôle avait eu lieu hors du département des Pyrénées Atlantiques, le contrôle d'identité aurait été frappé de nullité ?

— Forcément, le procureur de Pau n'étant compétent que dans son ressort.

— Donc nous étions nécessairement dans le beau 64. Or à mon club de lecture pour le troisième âge, je lisais justement l'autre jour l'arrêté du 29 mars 2004 modifiant l'arrêté du 24 avril 2001 précisant les conditions d'application des articles 2, 6 et 8 du décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention administrative.

— Avec Derrick, le remède souverain à l'insomnie.

— Et je me souviens fort bien qu'il y a un centre de rétention administrative à Hendaye.

— 5 rue Joliot Curie, dans les locaux du commissariat.

— Et Hendaye est dans les Pyrénées Atlantiques.

— Sur les rives de la Bidassoa.

— Et ce centre est flambant neuf ?

— Il vient tout juste d'être retapé. Le président de la République pourrait aller y passer ses vacances qu'il se croirait dans un des palaces qu'il affectionne tant.

— Je vous soupçonne d'exagérer. Mais voici ma question : que diable allait donc faire cette togolaise égarée au Pays Basque dans cette galère mondine ?

— Vous avez mis le doigt dessus. Et la réponse du premier président est à ce sujet fort éclairante. Je vous la livre in extenso, me contentant de la graisser quand il le faut.

S’il est de principe que l’administration a le choix du centre de rétention, elle doit exercer ce choix dans le respect des droits de la défense. En l’espèce, il n’est pas contesté que le centre d’Hendaye est actuellement quasiment vide, que de nombreuses personnes retenues dans ce centre ont été transférées à Toulouse depuis que s’est développée dans le ressort de la cour d’appel de Pau une jurisprudence contestée par l’administration, à tel point que le centre de rétention de Toulouse est actuellement très chargé. Une telle pratique de l’administration qui lui permet de choisir son juge n’est pas conforme aux droits de la défense.

Conclusion : annulation de la procédure, remise en liberté de la personne (libérée à Toulouse, elle se débrouille pour rallier Lourdes).

— J'ai peur de comprendre, cher maître.

— Vous avez peur ? Alors vous avez compris. Le JLD du tribunal de Bayonne, compétent pour le CRA d'Hendaye, ayant une jurisprudence plus favorable sur la question de l'enregistrement des gardes à vue, le préfet des Pyrénées Atlantiques transfère systématiquement ses étrangers reconduits au CRA de Toulouse. Ce faisant, il fait en sorte que la prolongation de la rétention soit jugée par le JLD de Toulouse, dont nous venons de voir la jurisprudence. Il manœuvre donc pour éviter que l'étranger soit jugé par son juge naturel, de peur que ce dernier ne fasse droit aux arguments de la défense.

Conséquence : un CRA flambant neuf tourne à vide, avec tout le personnel policier nécessaire qui doit s'ennuyer à mourir, tandis que le CRA de Toulouse est plein comme un œuf. Cela s'appelle la gestion optimale des deniers du contribuable couplé à un respect rationalisé de la légalité. Le PPCA de Toulouse a simplifié la formulation en résumant par : violation de la loi.

Si vous aimez l'ironie, vous pourrez alors sourire largement, en constatant que cette dame a été privée de liberté durant cinq jours car elle a violé la loi française en restant au-delà de son visa, mais par une procédure la privant de liberté et visant à la reconduire de force au Togo faite en violation de la loi française par le représentant de l'État, avec une complicité passive du parquet qui ne semble pas s'être particulièrement ému de cette délocalisation administrative.

Or deux violations de la loi ne s'annulent pas : elles s'additionnent. Et je trouve pour ma part l'idée d'un préfet violant la loi de la République, fût-ce pour complaire au Gouvernement qui lui-même veut complaire à l'opinion publique, infiniment plus grave pour la République que le fait qu'une togolaise sans papiers puisse aller et venir en train de Pau à Lourdes.

Mais je dois être le seul, et je suis convaincu que ce préfet n'a aucune conséquence à redouter de cet humiliant camouflet.

jeudi 2 avril 2009

Est-ce abusif de demander la liberté ?

Je veux croire qu'il y a une erreur. Un malentendu. Un élément que j'ignore. J'espère de tout cœur que Rue 89 se trompe. Car sinon, le scandale est à hurler de rage.

Rue 89 rapporte que le premier président[1] de la cour d'appel de Toulouse a condamné un étranger qui faisait appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé son placement en rétention administrative.

Rappelons ici le processus de la reconduite à la frontière d'un étranger en situation irrégulière.

L'étranger est interpellé par la police, soit lors d'un contrôle d'identité, soit à l'occasion d'une enquête sur une infraction. La police constate sa situation irrégulière (il ne peut présenter de titre de séjour), et après une vérification sur le FPR (Fichier des Personnes Recherchées) pour s'assurer qu'il ne fait pas déjà l'objet d'une décision exécutoire d'éloignement, est placé en garde à vue pour séjour irrégulier. Le procureur valide la mesure, sachant qu'il ne verra jamais l'étranger. Il s'agit juste de laisser le temps à la préfecture soit de prendre un arrêté de reconduite à la frontière, soit de retrouver l'acte d'éloignement en vigueur. Quand tout est prêt, la préfecture (qu'on appelle pour la circonstance "le pôle de compétence", pour ne pas dire qu'il y a collaboration entre les autorités administratives et judiciaires, en France, c'est sale) notifie l'acte si besoin et prend un arrêté de placement en centre de rétention administrative pour 48 heures[2]. Le parquet met fin à la garde à vue et classe sans suite la procédure pour séjour irrégulier.

Au bout de 48 heures, la prolongation du placement, qui ne pourra avoir lieu qu'en Centre de Rétention Administrative (CRA), ne peut être ordonné que par un juge judiciaire, gardien des libertés individuelles. C'est la Constitution. Ce rôle est dévolu depuis 2001 au juge des libertés et de la détention. Ce sont les audiences dites « 35bis » du numéro de l'article de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui prévoyait cette procédure. Aujourd'hui, c'est devenu l'article L.551-1 du CESEDA mais le nom 35bis est resté (les panneaux des tribunaux n'ont pas été changés d'ailleurs). Cette prolongation est d'une durée maximale de 15 jours et peut être renouvelée une fois, pour un total de 32 jours de privation de liberté.

Le rôle du JLD est de vérifier la légalité de la procédure, car il y a privation de liberté par l'administration d'une personne qui n'est pas condamnée ni même poursuivie, puis d'envisager le cas échéant si l'étranger ne peut pas faire, “ exceptionnellement ” dit la loi, l'objet d'une assignation à résidence plutôt qu'être enfermée dans un CRA. Oui, quand on est étranger, la liberté est l'exception, même si on n'est ni condamné ni même poursuivi. Le Conseil constitutionnel, pour valider ce dispositif, a exigé que l'étranger puisse même à tout moment saisir le JLD (considérant 66) pour demander qu'il soit mis fin à sa rétention, précisant que le juge exerce sur cette mesure un contrôle d'opportunité en droit et en fait. C'est peu dire que ce contrôle d'opportunité n'est pas mené avec un grand enthousiasme par les JLD. À leur décharge, ils sont rarement saisis de la question par les avocats. Mais tout comme une personne en détention provisoire peut demander à tout moment sa remise en liberté, l'étranger en rétention doit pouvoir contester la mesure dont il fait l'objet.

Dans notre affaire, l'étranger a semble-t-il contesté devant le JLD la légalité de la procédure au stade de la garde à vue : son droit à l'assistance d'un avocat ne lui aurait pas été correctement notifié. S'il est fondé, c'est un moyen de nature à annuler toute la procédure, et à conduire à sa remise en liberté immédiate. Le JLD l'a estimé non fondé et a ordonné la prolongation de la détention.

L'étranger peut faire appel de cette décision dans les 24 heures (même le dimanche, même le jour de noël, c'est 24 heures et pas une minute de plus) par une requête, écrite, en français, et qui doit être motivée, c'est à dire expliquer les raisons de cet appel. L'appel est alors jugé par le premier président de la cour d'appel (PPCA) dans les 48 heures (art. L. 552-9 du CESEDA). Pour les mêmes raisons qu'expliquées plus haut, cette audience est encore appelée « 22ter » par les avocats et magistrats.

Mais l'étrangeté de cette procédure est que, même si l'intéressé est privé de liberté, arrivé menotté et escorté à l'audience, et que tous les débats portent sur des articles du code de procédure pénale, cette procédure est de nature civile. C'est ce qu'a jugé la cour de cassation. On peut la comprendre : l'étranger n'est pas accusé d'un quelconque délit. La conséquence est que, hors des règles établies par le CESEDA, c'est le Code de procédure civile qui s'applique, et la première chambre civile de la Cour de cassation qui est compétente pour les pourvois.

Or dans le code de procédure civile, il y a un article 32-1, qui dispose ce qui suit :

Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Notre tunisien toulousain a donc fait appel, estimant que le JLD s'est trompé en rejetant la nullité qu'il avait soulevée. Le PPCA de Toulouse va rejeter son appel ,comme ça arrive presque à chaque fois, à Toulouse comme à Paris. Mais emporté par la fougue, le premier président va en outre estimé que son appel était « mal fondé, particulièrement dilatoire, abusif et processif (oui, c'est français)». Et de prononcer une amende civile de 300 euros à la charge de notre tunisien indésirable.

Si c'est vrai, c'est purement et simplement scandaleux.

Cet homme est privé de liberté. Il estime que la procédure qui a conduit à cette privation de liberté est illégale. Admettons, pour la discussion, qu'il se trompe, voire qu'il mente : il sait que la police lui a correctement notifié son droit à voir un avocat, d'ailleurs, il a eu cette entrevue. Peu importe pour son droit à agir. Il a le droit de soumettre cette prétention à un juge, qui la rejettera, et de faire appel de cette décision, pour qu'un juge plus élevé en expérience lui confirme que sa prétention ne tient pas. Ce n'est pas une lubie de ma part. C'est l'article 5§4 de la Convention européenne des droits de l'homme :

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

Qui se combine à merveille avec l'article 13 de la même convention :

Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.

Or l'appel fait partie de ce droit à un recours effectif.

Comment peut-on oser dire qu'un homme qui conteste la privation de liberté dont il fait l'objet et demande à recouvrer celle-ci, qui est l'état naturel de l'homme, faut-il le rappeler, pourrait-il être abusif à le faire ?

Que son recours soit mal fondé, c'est au juge de le dire et d'en tirer la seule conséquence légale : le rejet de la prétention. L'article 32-1 du code de procédure civile ne prévoit pas d'amende pour une demande mal fondée : elle doit être dilatoire ou abusive. Et en l'espèce, elle ne peut être abusive, on l'a vu, sa nature s'y oppose. Quant à être dilatoire, c'est oublier que le recours devant le PPCA n'est pas suspensif : art. L. 552-10 du CESEDA. Comment un recours non suspensif pourrait-il être dilatoire, puisqu'il n'empêche pas la préfecture de procéder à l'éloignement ?

On voit qu'en droit, cette décision ne tient pas. Mais en plus, elle est révoltante : sanctionner celui qui dit « Libérez-moi ! » à celui qui en a le pouvoir, c'est une trahison de l'office du juge.

J'espère que j'ignore un point crucial de cette affaire, et que je me trompe. Sinon, je suis outré au-delà des mots.

Notes

[1] Je ne sais pas qui est l'auteur de cette décision. Je ne vise donc pas expressément le premier président Carrié Nunez : le premier président de la cour d'appel (PPCA) est une juridiction, généralement tenue par un conseiller délégué à cette fin. Il est compétent pour les appels des affaires de rétention des étrangers, et de référé détention, notamment. C'est cette juridiction que je désigne en parlant du premier président.

[2] Ce premier placement peut être fait en Local de Rétention (LRA), mais l'étranger ne peut y passer plus de 48 heures, ce local n'étant pas équipé de douches, par exemple, uniquement des couchettes et une salle commune.

À vos zapettes

France 2 diffuse ce soir, dans l'émission Envoyé Spécial (est-il revenu normal ?) à 20h35 un document qui mérite d'être regardé : la prison filmée de l'intérieur.

Un reportage composé d'images filmées clandestinement de l'intérieur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, qui est je crois la plus grande maison d'arrêt d'Europe, avec 2855 places (3110 au départ ; elle accueille plus de détenus que cela). Malgré ses efforts, le tribunal d'Évry ne parvient pas à la remplir à lui seul, et Fleury est de fait la maison d'arrêt de toute l'Île de France.

Je dois préciser : la maison d'arrêt des hommes (M.A.H.). Fleury, c'est trois prisons.

À tout seigneur tout honneur, la maison d'arrêt des hommes, au milieu, que des architectes facétieux, Guillaume Gillet, Pierre Vagne, Jacques Durand et René Bœuf ont dessiné en forme de cœur, elle-même divisée en 5 divisions de 700 à 900 places places chacune, réparties en trois ailes (tripales) sur quatre niveaux.

La maison d'arrêt des femmes (M.A.F.) au bout de la route, et dès qu'on arrive, le C.J.D., le Centre pour Jeunes Détenus, pour les mineurs et jeunes majeurs.


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La prison a été construite de 1964 à 1968, avec les fonds provenant de la vente de la maison d'arrêt de la Petite Roquette à la ville de Paris. Elle était située 143 rue de la Roquette, dans le 11e, c'est devenu le square de la Roquette, mais les guérites d'accès ont été conservées. Si vous regardez par terre au niveau du passage piéton au croisement des rues de la Croix-Faubin et de la Roquette, vous verrez des dalles rectangulaires scellées dans le macadam. C'était l'emplacement des pieds de la guillotine lors des exécutions publiques.


Agrandir le plan

Quatre ans, c'est très court. La construction, en béton coffré, a été rapide. Mais pas durable, et la prison est aujourd'hui en état de délabrement avancé, je pense que les images seront éloquentes.

Elle est surtout construite fort loin de Paris. C'est un cauchemar pour les familles : aller à Fleury en transports en commun, c'est une heure à une heure et demie. Idem pour le retour. Pour un parloir de trente minutes.

Je sais que certains se refuseront à verser des larmes sur des délinquants qui n'avaient qu'à pas faire ce qu'ils ont fait pour arriver là. Juste deux remarques. Une bonne part des occupants des lieux ne sont pas condamnés, et certains ne le seront jamais, car ils bénéficieront d'un non lieu ou d'une relaxe. Ça peut vous arriver à vous, pour peu qu'on vous accuse de quelque chose de grave et que vous n'ayez pas d'alibi. Et même pour les coupables : quand on est condamné, les maisons d'arrêts, c'est pour les peines ou les reliquats de peine d'un an max. Ils ressortiront tous bientôt.

Vous croyez que c'est en les traitant comme ça qu'on en aura faits des citoyens honnêtes et respectueux de la loi ?

mercredi 1 avril 2009

Du grand changement sur ce blog

Je vous avais dit au début de cette année que de grands changements s'annonçaient.

J'ai eu confirmation officiellement hier de la Chancellerie et peux l'annoncer officiellement : mon admission sur titre au sein de la magistrature est acceptée, au vu de mes états de service et du MBA en procédure pénale que je n'ai jamais obtenu.

Après une période de formation à l'École Nationale de la Magistrature à Bordeaux, je vais prendre mon premier poste, qui sera au parquet d'un tribunal de grande instance dont je ne puis bien sûr citer le nom.

C'est donc la fin du journal d'un avocat, qui dès aujourd'hui prend ses nouvelles couleurs.

Oubliez tout ce que j'ai dit sur les droits de la défense. L'efficacité de la répression est ma nouvelle priorité.

mardi 31 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (3)

(Lien vers la première partie)
(Lien vers la deuxième partie)

Troisième partie, avec aujourd'hui : l'audience et ses suites.

Tout d'abord, avant même d'entrer dans le prétoire, votre préoccupation sera de retrouver les proches de votre client que vous aurez pu prévenir, pour qu'ils vous remettent les documents que vous leur avez demandés. À Paris, aucune photocopieuse publique n'est disponible. Le tribunal a l'habitude de se débrouiller avec les originaux, qu'il vous restituera dès le jugement rendu.

Vérifiez les documents. Écartez les inutiles et surtout les douteux. Qu'est-ce qu'un document douteux ? Dame ! Vous êtes juriste : lisez-les comme vous lisez les pièces adverses : cherchez la petite bête. Les faux sont souvent grossiers, mais c'est parfois plus subtil. Par exemple, deux grands classiques, qui disparaissent avec le temps, étaient les bulletins de paie antérieurs à 1990 qui mentionnaient la CSG et les bulletins de paie antérieurs à 1999 en euros, mais aussi des justificatifs dont la date est incompatible avec le récit de votre client. Le procureur, lui, aura cette lecture critique. Et en pleine audience, ça fait très mal. Un faux identifié, et vous pouvez dire adieu à toute chance de contrôle judiciaire. Écartez tout document suspect.

Arrivé dans la salle, deux voire trois visites s'imposent.

À l'huissier tout d'abord, qui est le chef d'orchestre de l'audience. Qu'il sache que vous êtes là, prêt à plaider ; profitez-en pour lui demander l'enquête rapide de personnalité et consultez-là avec soin.

Au greffier ensuite, si vous avez des conclusions à déposer. Il les visera, et si ce sont des conclusions en nullité de procédure,vous êtes à l'abri de la forclusion.

Pour les mékéskidis curieux : les demande en nullité de la procédure, ou de pièces de la procédure, doivent être soulevées in limine litis, à la frontière du litige, c'est à dire avant toute défense au fond (art. 385 du CPP). Faute de quoi, vous êtes forclos. La jurisprudence, de manière très critiquable, considère que l'interrogatoire du prévenu constitue une défense au fond (donc en suivant ce raisonnement, l'interrogatoire en garde à vue est aussi une forme de défense ; c'est pour ça qu'on tient l'avocat éloigné, je suppose) et rend irrecevable les moyens de nullité. Pour ma part, j'estime que l'article 385 doit s'entendre comme : ça doit être la première chose que demande l'avocat. Mais la cour de cassation ne m'écoute jamais, j'ai l'habitude.

Or en correctionnelle, surtout en comparution immédiate, ça va très vite. Le président va ouvrir l'audience en constatant l'identité du prévenu, en rappelant la citation, et en lui demandant s'il accepte d'être jugé tout de suite. Quand votre client aura dit “oui”, il ne vous reste qu'une fraction de seconde pour intervenir en disant que vous soulevez une nullité. Sinon, c'est trop tard : il suffit que le président aborde les faits pour que abracadabra tel monsieur Jourdain vous vous défendiez au fond sans le savoir. Résultat votre client sera valablement jugé même si la police a violé toutes les dispositions du code de procédure pénale. Déposer des conclusions, même sommaires et manuscrites, vous met à l'abri de ce piège. Et pour répondre à votre question probable sur l'utilité de ces dispositions, je vous réponds très clairement : aucune à part entraver la défense. Le législateur sait qu'il ne peut toucher à certains droits fondamentaux. Mais il peut tout à fait exiger de les exercer dans des délais qu'il impose et qui peuvent être fort courts. Au point de piéger immanquablement le prévenu qui voudrait se défendre seul (voyez le dernier cas du film 10e chambre de Raymond Depardon). Certains magistrats m'opposeront qu'il y a une certaine logique à traiter de la procédure avant le fond, et qu'il faut qu'il soit tranché sur la validité de la procédure avant que de commencer à juger. L'argument ne tient pas puisque le même CPP qui prévoit cette forclusion impose au tribunal de joindre l'incident au fond, c'est-à-dire que le fond devra de toutes façons être examiné (art. 459 du CPP), sauf impossibilité absolue ou disposition touchant à l'ordre public. Si là, on ne nage pas en pleine hypocrisie : votre client est jugé en violation de la loi pour avoir violé la loi.

Dernière visite, obligée : celle au procureur. A minima pour le saluer, et lui indiquer quel prévenu vous assistez. Lui présenter vos pièces si vous en avez, lui remettre une copie de vos conclusions si vous en déposez, et lui signaler les demandes particulières que vous comptez présenter (comme une non inscription au casier judiciaire). Ou signalez-lui si vous comptez demander un délai. C'est de la courtoisie et le respect du contradictoire. Et c'est dans l'intérêt de votre client. Si le parquet n'a pas vu vos garanties de représentation, vous pouvez être à peu près sûr qu'il requerra le mandat de dépôt. Pour une demande de non inscription au B2, le seul moyen de pouvoir espérer que le parquet se déclare favorable à votre demande (ce qui se traduit généralement par “ je ne m'y oppose pas ”), c'est qu'il en ait connaissance. Attention, cave procurem : un procureur à l'audience est par définition occupé. Ne débarquez pas n'importe quand. Le mode opératoire le plus simple est de vous placer discrètement au niveau de l'angle de son bureau le plus éloigné du tribunal (pour ne pas être dans sa ligne de vue), près du banc des parties civiles. Et là, vous attendez qu'il se tourne vers vous. Le moment idéal est en fait durant les plaidoiries de la défense : c'est le seul moment où il peut souffler, les plaidoiries, du moins les bonnes, j'y reviendrai, ne s'adressant qu'au tribunal (et certains confrères ont en plaidant la délicatesse de le laisser souffler très longtemps). Mais JAMAIS au grand JAMAIS pendant que le président instruit l'affaire, que le prévenu ou la partie civile s'exprime, ou pire que tout pendant que le tribunal rend un délibéré. Vous seriez l'équivalent judiciaire du téléphone qui sonne pendant qu'on est sous la douche.

Vous pouvez gagner votre place et attendre votre tour. Relisez vos notes, faites une première trame pour votre plaidoirie, et observez le tribunal, voyez comment se comporte le président, guettez les réactions des assesseurs pour voir ce qui les fait réagir, ce qui les énerve et ce qui les intéresse.
Dans un dossier où je défendais un étranger en situation irrégulière, je comptais demander que le tribunal ne prononçât point la peine d'interdiction du territoire français (ITF), car il y avait une possibilité de régularisation. Au cours du jugement d'autres affaires, j'ai remarqué qu'un des assesseurs semblait particulièrement attentif dès que des questions de droit des étrangers étaient abordées, hochant ou secouant la tête quand les arguments soulevés étaient corrects ou au contraire totalement fantaisistes. Visiblement, il connaissait la matière, ce qui est rare pour un juge judiciaire (c'est le royaume du juge administratif, le juge judiciaire n'y est qu'un clandestin). Quand mon tour est venu de plaider et que j'ai abordé cette question, c'est à cet assesseur que je me suis adressé lors de cette partie de la plaidoirie. Il a été très attentif (le président et l'autre assesseur étaient largués dans les méandres de l'article L.313-11 du CESEDA) et j'ai obtenu que l'ITF ne soit pas prononcée.

Profitons de ce temps de latence pour parler stratégie de la défense.

1 : Si vous demandez un délai ou que le tribunal renvoie d'office

Le tribunal pourra décider de renvoyer d'office si l'affaire n'est pas en état d'être jugée. En matière d'agressions sexuelles, si la victime est mineure, une expertise psychiatrique est obligatoire (art. 706-47-1 du CPP). Et il est impossible qu'elle soit produite en comparution immédiate, forcément. Plus prosaïquement, un B1 manquant peut conduire au renvoi. L'heure tardive peut aussi conduire le tribunal à renvoyer toutes les affaires restant à juger, estimant que l'épuisement des magistrats n'assure plus un procès équitable et serein (ce qui laisse deviner dans quelles conditions sera prononcé un éventuel placement en détention).

Le débat qui va se tenir est en tout point analogue à un débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention (JLD). C'est l'article 144 du CPP qui va jouer les arbitres. Ne plaidez que sur ces points-là : tout le reste est hors sujet… ou presque, j'y reviens de suite. Le point principal du débat est la garantie de représentation : qu'est-ce qui dit au tribunal que votre client sera là à l'audience de renvoi et surtout pourra être retrouvé en cas de prison ferme à effectuer. Le risque de réitération sera immanquablement mis sur le tapis en cas d'antécédents voire de récidive. Ne faites jamais de déni du B1, ça ne sert à rien. Quand un avocat dit de ne pas tenir compte du B1, le tribunal ne tient pas compte de l'avocat. Voyez plutôt le temps qui s'est écoulé depuis la précédente condamnation (et assurez-vous que ce temps n'a pas été passé en détention). Si votre client s'est tenu à carreau pendant 4 ans, il est peut-être en récidive, mais il a montré qu'il tentait de se réinsérer. S'il a réitéré à peine sorti de prison, demandez-vous pourquoi vous avez demandé un délai. Le tribunal peut prononcer un contrôle judiciaire : suggérez-lui les obligations utiles. Le tribunal pensera de lui-même aux classiques : obligation de soin, domicile, travail, pointage. Indemniser la victime peut être une suggestion de votre part : ça informe le tribunal que votre client reconnaît les faits et veut assumer sa responsabilité. Mais l'article 138 du CPP contient une foule de possibilités : à vous de les explorer pour le tribunal, qui sera ravi d'avoir une proposition pertinente à laquelle il n'aurait pas pensé. N'hésitez pas, si le parquet a parlé de la gravité des faits, à rappeler au tribunal que le critère de trouble à l'ordre public a été supprimé pour les affaires correctionnelles. L'info a du mal à passer.

Enfin, il y a un point à plaider qui n'est pas dans l'article 144. N'hésitez pas, si votre client conteste les faits et qu'une demande de relaxe est envisagée, de faire valoir rapidement les éléments laissant entendre que votre client est peut-être bien innocent. Pas de démonstration, mais juste de quoi instiller le doute. La probable culpabilité ne fait certes pas partie des critères de l'article 144. Mais quoi qu'on en dise, tout juge (ça vaut aussi devant le JLD) réfléchira à deux fois avant de mettre en détention une personne qui n'a peut-être rien fait. Ça peut être une phrase du certificat médical : “ aucune lésion traumatique visible ”, l'ITT ne reposant que sur des douleurs à la palpation et des céphalées… c'est-à-dire les propos de la victime. Ça peut être la pièce qui vous manque et qui fait que vous avez demandé le renvoi : votre client était en déplacement à ce moment, la police n'a pu le vérifier pendant la garde à vue, mais vous pouvez vous procurer une preuve (précisez laquelle). Là aussi, c'est du vécu : le client avait été mis en garde à vue le vendredi soir et comparaissait le lundi : son employeur n'avait pu être joint le week end. Il a finalement été relaxé : il était à Dijon le jour des faits et son employeur lui a fourni les documents le prouvant. Vous serez surpris de l'efficacité de cet argument bien que hors champ de l'article 144.

Épilogue : Si votre client est remis en liberté, la comparution immédiate est terminée et la procédure bascule dans le droit commun pour la suite (notamment, pas de placement en détention pour une peine inférieure à un an ferme sauf récidive). L'affaire est renvoyée contradictoirement. Attention : votre client ne recevra pas de convocation, l'avis donné verbalement vaut convocation. N'hésitez pas à le lui noter sur un papier : il est libre, vous pouvez lui donner des objets sans que l'escorte, qui n'est plus qu'un guide, n'y puisse redire.

Si votre client est placé en détention, l'affaire est également renvoyée contradictoirement, mais votre client n'a pas à noter la date : il sera conduit devant le tribunal (art. 409 du CPP). Le renvoi a lieu à entre deux six semaines, deux à quatre mois en cas de délit passible de sept ans de prison ou plus. Dans les deux cas, votre mission s'achève là. Si vous êtes choisi, vous devrez demander un avis de libre communication au parquet (appelé à tort permis de communiquer, le parquet ne vous permet rien du tout, c'est un droit) et à vous l'allée des Thuyas, des Peupliers ou la rue de la Santé. Vous pouvez d'ores et déjà écrire à votre client : n'oubliez d'apposer votre cachet et d'écrire lisiblement sur l'enveloppe "avocat" afin que votre courrier ne soit pas ouvert.

Demander un délai, c'est bien. Mais vous pouvez aussi, et c'est un droit très, trop rarement utilisé, demander au tribunal d'ordonner pendant ce laps de temps tout acte d'information que vous estimez nécessaire à la manifestation de la vérité, relatif aux faits reprochés ou à la personnalité de l'intéressé : art. 397-1, al.3 du CPP. Cette demande peut être présentée oralement, mais il vaut mieux déposer des conclusions pour être sûr d'être bien compris. C'est un droit : le tribunal qui refuse de faire droit à cette demande doit rendre un jugement motivé (même article). Un tel refus peut être frappé d'appel (mais pensez à faire une requête en admission immédiate de l'appel dans le délai de 10 jours : art. 507 du CPP). Attention, certains tribunaux joignent cette demande au fond, invoquant l'article 459 du CPP. Rappelez au tribunal qu'une circulaire du 14 mai 2004 prône un jugement immédiat sur la question. Une jonction au fond vide de tout intérêt une telle demande puisque vous avez besoin de cette mesure pour plaider au fond. Une circulaire n'a certes pas force obligatoire. Mais l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme sur le procès équitable, oui.

2 : Si vous plaidez au fond

Rappelons que cette branche de l'option ne doit être retenue qu'en dernier recours, si vous êtes certain qu'un délai n'apporterait rien, n'avez aucun acte à demander, que vous pensez avec assez de certitude pouvoir éviter une peine de prison ferme dans un dossier où la détention provisoire serait probable, ou que la peine de prison ferme prononcée permettrait d'envisager une sortie à peu près au moment de l'audience de renvoi. Et surtout, souvenez-vous que votre client doit participer à ce choix.

La comparution immédiate reste une procédure grandement dérogatoire. Les droits de la défense sont adaptés aux spécificités de cette procédure. Il faut les connaître et ne pas hésiter à les utiliser.

► Vous pouvez soulever une nullité de procédure (art. 385 du CPP).

Ça, tous les avocats le savent. Je ne reviendrai pas dessus. Et je ne vais pas vous faire une liste exhaustive des nullités potentielles. Si vous ne les connaissez pas, permettez-moi une question : qu'est ce que vous fichez aux comparutions immédiates ? Gardez à l'esprit qu'une nullité ne frappe que les actes concernés et ceux qui ont l'acte nul pour support nécessaire, et qu'en aucun cas une nullité de procédure ne peut désaisir le tribunal : le procès verbal de comparution reste valable (sauf s'il est lui-même nul, là c'est banco, le parquet ne peut que re-citer, c'est la remise en liberté automatique, mais ça n'arrive pratiquement jamais : j'ai vu une fois un procureur qui avait oublié de signer). Donc le tribunal reste saisi, et joignant l'incident au fond, peut statuer au vu des pièces non annulées et des déclarations à l'audience. Concrètement, il n'y a guère que la nullité de la saisine interpellation (conditions de la flagrance non remplies), ou un défaut de notification de la garde à vue qui peut faire assez de dégâts à un dossier pour rendre la relaxe inévitable (sous réserve de l'évolution jurisprudentielle de l'enregistrement des gardes à vue…). Après, chaque tribunal a sa jurisprudence. Ma position est : soulevez tout ce que vous pouvez.

► Vous pouvez demander un supplément d'information (art. 397-2 al. 1 du CPP).

La demande de supplément d'information peut être formée en cours d'audience, même si le prévenu a renoncé au délai : art. 397-2 du CPP. Tout simplement parce que la raison d'être de ce supplément peut apparaître au cours des débats. Le tribunal peut le faire d'office, mais n'hésitez pas à le demander. Dans cette hypothèse, le refus d'acte n'a pas à faire l'objet d'un jugement motivé. La mesure d'instruction est confiée à un des juges du tribunal, comme en droit commun (art. 463).

► Vous pouvez demander le renvoi devant un juge d'instruction (art. 397-2 al. 2 du CPP).

Même au cours des débats. Dans ce cas, le tribunal statue sur la détention du prévenu jusqu'à sa comparution devant le juge d'instruction qui doit avoir lieu le jour même, ou dans les trois jours ouvrables si votre tribunal n'est pas un pôle de l'instruction (avec le cas échéant passage par la case JLD). Cette possibilité ne doit être utilisée qu'avec précaution, le basculement vers l'instruction n'étant pas une garantie de clémence envers votre client (surtout si les faits reçoivent une qualification criminelle). Tâchez de savoir qui est le juge d'instruction de permanence avant de vous décider. J'ai déjà vu le parquet faire passer en CI un dossier manifestement criminel, et demander au tribunal de lui renvoyer le dossier. C'était juste une ruse (un esprit chagrin comme le mien parlerait de détournement de procédure) pour éviter de faire péter le délai[1] de 20 heures de l'article 803-3 du CPP.

► Vous pouvez citer des témoins (art. 397-5 du CPP).

Quand je vois aux CI un avocat venir demander la bouche en cœur au président s'il veut bien entendre un témoin qui est dans la salle au titre de son pouvoir de police des débats (art. 444 du CPP), j'ai envie de lui jeter à la figure mon code ouvert à la page de l'article 397-5. Le président peut refuser d'utiliser son pouvoir de police, sans avoir de compte à rendre. Il ne peut pas refuser d'entendre un témoin régulièrement cité. Or en CI, vous pouvez les citer sans forme : pas de délai de 10 jours (on se demande comment on pourrait le respecter, l'infraction a eu lieu il y a deux jours), pas d'huissier : vous pouvez vous contenter de le faire oralement, à l'américaine, au début de l'audience, même si là aussi je recommande de le formaliser par écrit, écrit que vous aurez remis au greffier préalablement à l'appel de votre affaire (et informez-en le procureur !). Concrètement, vous prenez une feuille, vous écrivez dessus : Je soussigné maître Eolas, avocat au barreau de Paris, cite par la présente monsieur Tancrède Gétouvu-Méjdirayrien, né le 1er avril 1969 à Poisson (Saône et Loire), demeurant 1 rue du Blog 75021 Paris, à comparaître à l'audience de la 23e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 31 mars 2009 à 13h30, en tant que témoin dans l'affaire Ministère public contre Jtijure Spamoa, parquet n°0912345678. Datez signez, et en dessous, faites écrire à votre témoin : "reçu et pris connaissance de la présente citation", date et signature. Emballez c'est cité.

► Pensez aux demandes accessoires !

La relaxe ou la clémence, c'est bien gentil, mais pensez aussi à demander la restitution des scellés : elle est de droit sauf si la chose saisie est illicite ou dangereuse (auquel cas sa confiscation est de droit ; “ Non monsieur, le tribunal ne vous rendra pas votre barrette de shit, même si vous l'avez payée avec vos sous ”) ou que la confiscation est prononcée à titre de peine accessoire (chose ayant servi à commettre l'infraction ou en étant le produit) en cas de condamnation.

Pensez à la demande de non inscription au B2 du casier judiciaire. Motivez-là (travail dans la sécurité, concours administratif en préparation…). Évitez toutefois la motivation de cet avocat expliquant que son client poursuivi pour vente de stupéfiants voulait passer le concours de la gendarmerie (même si ça a bien fait rire les moblots de l'escorte).

► Plaidez sur la peine !

En CI, pas de chichi, on fait du subsidiaire quand on demande la relaxe. Ne prenez pas le risque de priver le tribunal de vos lumières s'il entrait en voie de condamnation contre toute évidence. Étudiez le B1, voyez les peines exclues ou impossibles, et proposez une solution réaliste (pas de dispense de peine quand il y a une victime non indemnisée). Le droit de la peine est formidablement complexe (même des procureurs s'y trompent parfois), mais il y a des trésors enfouis quand on se donne la peine d'aller les chercher au-delà du diptyque prison - amende. Une proposition originale et bien pensée peut séduire le tribunal.

Et pensez à la motivation ! De plus en plus, le tribunal se trouve forcé de motiver la clémence, et non plus la prison ferme. Si vous êtes en récidive, le tribunal devra motiver spécialement le fait d'écarter une peine plancher ou l'emprisonnement, voire exceptionnellement de ne pas recourir au placement en détention en cas de récidive de violence ou d'agression sexuelle. C'est à vous de fournir cette motivation, clés en main au tribunal. Si vous ne faites pas l'effort, il y a peu de chances qu'il le fasse à votre place. Surtout en fin d'audience.

Leave parquet alone !

Quand on plaide, on parle au tribunal. Ne répondez jamais aux réquisitions du parquet. Ça trahit le civiliste aussi sûrement que celui vouloir plaider au tribunal administratif. C'est la plaidoirie du néant, celle de ceux qui n'ont rien à dire. Répondre au parquet, ça revient à dire : “je suis nul, mais le proc l'est plus que moi”. C'est possible, notez, mais le proc, il prend le café avec le président et il lui dit “tu”. Je ne parle même pas d'agresser verbalement le parquetier. Non seulement c'est inutile (ce qui est déjà une faute pour l'avocat), mais c'est discourtois, et ça va braquer le tribunal : c'est un collègue que vous agressez, malgré tout.

En plus, la plupart du temps, le tribunal n'aura même pas écouté le parquet. Il aura juste noté la proposition de peine. Lui répondre, c'est attirer l'attention du tribunal sur son argumenation. Retenez bien : les réquisitions du parquet n'ont pas assez d'importance pour qu'on s'attarde dessus. Vous avez peu de temps pour plaider (le tribunal vous suivra 5 minutes, 7 si vous êtes un orateur hors pair ; au delà, il commencera à s'inquiéter de l'heure à laquelle il va finir par votre faute). Vous avez largement de quoi remplir ce peu de temps.

Il y a bien sûr une exception, comme toujours en droit : si vous êtes d'accord avec le parquet. Si le parquet a requis la relaxe, ou “s'en rapporte” ce qui chez certains parquetier semble être la formulation la plus proche du mot relaxe qu'il soient capables de prononcer, ou demande une peine légère avec remise en liberté à la clef, oubliez tout ce que je viens de dire : il faut attirer l'attention du tribunal là-dessus. Ne chipotez pas deux mois avec sursis simple si le proc en propose trois, ça fait mesquin (et souvent, le tribunal prononcera de lui-même deux mois pour bien montrer qu'il est indépendant). Dites que le parquet a raison d'écarter tout emprisonnement ferme, qu'une telle peine concilie les intérêts de la société représentée par le parquet, ceux de votre client en ne remettant pas en cause son insertion, ajoutez vos arguments en faveur d'une telle décision et soyez particulièrement bref, le tribunal ne devrait pas se montrer plus royaliste que le procureur.

► Soyez là lors du délibéré.

Quand je vois un avocat qui, ayant fini de plaider, s'en va et laisse son lient seul lors du délibéré, je cours récupérer mon code de procédure pénale que j'ai laissé dans la figure de l'avocat qui ne cite pas ses témoins pour l'envoyer dans celle de ce confrère (oui, à Paris, les compas, quand j'y suis, c'est violent). Vous devez être à ses côtés lors du délibéré, c'est la moindre des choses. Il va peut-être partir en prison plusieurs mois, voire plusieurs années. Vous pouvez lui accorder deux heures. Pour lui expliquer, pour lui conseiller de faire appel ou non, pour recevoir ses instructions quant à sa famille. C'est ça aussi, la défense. Depuis quelques années, je constate avec plaisir que nous sommes toujours plusieurs à rester jusqu'à la fin. C'était exceptionnel à mes débuts, et j'en suis ravi à chaque fois. Bravo les p'tits jeunes. Et je pense que le tribunal apprécie. Et puis, égoïstement, quand le résultat est bon, la poignée de main et le “merci” que vous dira le client, ça vaut mille indemnités d'AJ. C'est pour ça qu'on fait ce métier, aussi. Ne vous privez pas de ces moments.

► Classe jusqu'au bout.

Quand tout est fini, n'oubliez pas d'aller saluer le procureur, sans faire de commentaire sur ses réquisitions ni sur la décision, ce serait déplacé. Un simple “au revoir monsieur le procureur” avec un sourire aimable suffit. C'est votre contradicteur, au même titre que l'avocat de la partie civile.

Nothing really ever ends

Ce n'est pas fini pour autant. Pensez, de retour à votre cabinet, à commander une copie du jugement au greffe correctionnel (à Paris, porte 160, escalier H, 2e étage). Vous l'aurez quelques semaines plus tard (le délai se réduit peu à peu, ça trime sévère). Gardez en une copie dans votre tableau de chasse et envoyez-le à votre client. Il n'est pas juriste, il n'aura pas tout bien compris, et ce document aidera son assistant social, le JAP en charge de son dossier, et lui aussi à savoir à quoi il a été condamné. Si vous ne le faites pas, personne ne le fera et il n'aura jamais copie du jugement l'ayant envoyé là où il est. Accessoirement, s'il est content de vous, il y a votre nom sur le jugement…

Enfin, le greffier vous remettra, soit à l'audience, soit par le palais, votre Attestation de Fin de Mission (AFM). Joignez là à votre demande de paiement et envoyez le tout à l'Ordre pour être payé. C'est là que vous aurez besoin des informations que vous aurez pris soin de noter (cf. la 1e partie de ce vade mecum) : nom, date et lieu de naissance, domicile, numéro parquet de l'affaire.

Bravo. Vous avez gagné 200 euros. Vous avez bien mérité une tasse de thé.


Suite et fin bientôt avec le 4e épisode : la partie civile en comparution immédiate.

Notes

[1] En langage juridique, un délai expire. Dans le jargon des avocats, laisser s'écouler un délai par inattention s'appelle faire péter un délai.

lundi 30 mars 2009

Libres propos sur le procès Colonna

— Bien le bonjour cher maître.

— Ma lectrice bien-aimée, quelle joie de vous revoir ! Chacune de vos absence est pour moi comme un exil…

— Vous avez toujours la langue aussi bien pendue. Puis-je vous soumettre comme à l'accoutumée quelques questions que je me pose, et vos autres lecteurs probablement aussi ?

— Faites, faites, je fais chauffer l'eau à 95 °C pour un Margaret's Hope Second Flush FTGFOP, c'est bien le moins. Sur quel sujet portent vos interrogations ?

— Sur ce bien étrange procès Colonna.

— Je reconnais bien là votre délicatesse : vous avez attendu qu'il soit fini pour venir m'interroger, devinant que je m'étais interdit d'en parler tant qu'il était en cours. Voici : le thé infuse, laissons-le en paix pour le moment, et pour tromper mon impatience, je boirai vos paroles.

— Merci. Tout d'abord, est-il bien terminé ce procès ?

— Le procès, oui :l'arrêt rendu vendredi a déssaisi la cour spéciale, qui a perdu tout pouvoir pour statuer sur ce dossier. Mais l'affaire, non. Un pourvoi en cassation va être formé dans les cinq jours, et s'il devait ne pas aboutir à l'annulation de cet arrêt, le dossier sera soumis à la cour européenne des droits de l'homme.

— Vous avez dit « cour spéciale ». Qu'a-t-elle de spécial, cette cour d'assises?

— Comme vous, elle est unique et ne siège qu'à Paris (pour les affaires de terrorisme du moins). De plus, elle ne comporte pas de jury populaire mais est composée d'un président et six assesseurs (huit en appel) qui sont des magistrats professionnels.

— Et pourquoi doit-elle être spéciale ? Je n'aime guère les cas particuliers et autres dérogations quand ils portent sur des dossiers aussi sensibles…

— En effet, la cour d'assises spéciale a une mauvaise réputation car elle est la légatrice universelle d'une juridiction qui n'a pas laissé de bons souvenirs : la Cour de Sûreté de l'État (CSE). La CSE, composée de trois magistrats et deux officiers supérieurs, a été créée par deux lois du 15 janvier 1963, les lois 63-22 et 63-23 (pdf), pour succéder elle-même aux juridictions d'exceptions crées pendant la guerre d'Algérie : le Haut Tribunal Militaire et la sinistre Cour de Justice Militaire, créée par le Général de Gaulle de manière illégale et qui va néanmoins condamner à mort plusieurs personnes.

— Une pénible ascendance, en effet.

— François Mitterrand, à l'époque où un cœur d'avocat battait encore dans le corps de pierre du politicien, avait juré la perte de ce tribunal d'exception dans son livre Le coup d'État permanent (Ed. Plon, 1964). Il tint parole et la CSE fut supprimée par une loi n°81-737 du 4 août 1981 (pdf).

— Et remplacée par ?

— Par rien du tout, du moins au début. Mais il apparut rapidement nécessaire de créer une dérogation à la compétence ordinaire pour les affaires mettant en cause les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, en raison de leur complexité technique et des informations confidentielles pouvant apparaître dans le dossier. Un tribunal de grande instance à une chambre n'est pas capable de juger une affaire d'espionnage international. Ainsi, dans chaque cour d'appel, un tribunal de grande instance (le plus grand, généralement) est compétent pour juger de ce type d'affaires, ainsi qu'une cour d'assises spéciale. C'est la loi n°82-621 du 21 juillet 1982 relative à relative à l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l'Etat et modifiant les codes de procédure pénale et de justice militaire.

— Quel type d'affaires sont concernées ?

— La livraison de tout ou partie du territoire national, de forces armées ou de matériel à une puissance étrangère, l'intelligence avec une puissance étrangère, la livraison d'informations à une puissance étrangère, le sabotage, la fourniture de fausses informations[1] et la provocation à ces infractions.

— Nous sommes loin du terrorisme.

— Nous en sommes à quatre ans. En 1986, la majorité a changé de côté, et une vague d'attentats frappe la France depuis 1985[2]. Une loi Chalandon n°86-1020 du 9 septembre 1986 créera une section antiterroriste au parquet de Paris, à compétence nationale (ce qui fait que la cour d'assises spéciale jugeant les affaires de terrorisme ne siège qu'à Paris), ainsi que des cabinets d'instruction spécialisés (confiés entre autres à Gilles Boulouque, qui mérite un hommage à sa mémoire), créera le principe d'une compétence générale du parquet de Paris pour les affaires de terrorisme et étendra le jugement de ces affaires à la cour d'assises spéciale, qui retrouvera son caractère de juridiction d'exception. D'autant plus que trois mois plus tard à peine, une loi viendra donner un effet rétroactif à cette loi, qui ne devait au début s'appliquer qu'aux affaires jugées postérieurement à son entrée en vigueur.

— Que s'est-il passé ?

— Lors du procès de Régis Schleicher, membre d'Action Directe, celui-ci a proféré des menaces de mort sur les jurés. Il faut savoir que l'accusé, devant une cour d'assises, se voit obligatoirement notifier la liste des membres du jury, avec leur nom, prénom, date et lieu de naissance et profession (mais pas leur adresse personnelle). Cinq d'entre eux avaient par la suite produit un certificat médical expliquant qu'ils étaient terrassés par une maladie aussi brutale qu'imprévisible, et le procès avait dû être renvoyé. La santé des magistrats professionnels est beaucoup plus solide que celle des simples citoyens, et le procès de renvoi, devant une cour d'assises spéciale, a pu se tenir sans difficultés : Régis Schleicher a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté de 15 ans. Notons qu'à l'époque déjà, la défense criait au procès politique écrit d'avance (je ne me souviens pas si elle est partie en cours de route ou pas).

— Aujourd'hui, la cour d'assises spéciale juge donc les affaires d'espionnage et de terrorisme ?

— Pas seulement : sa compétence a encore été élargie en 1992 aux affaires de trafic de stupéfiant en bande organisée. Là aussi, la possible pression sur les jurés explique la réforme.

— Combien d'affaires par an sont-elles jugées par la cour d'assises spéciale ?

— Une dizaine environ.

— Revenons en à notre berger corse, si vous le voulez bien.

— Mais je vous suivrai jusqu'au bout du monde, une tasse de thé à la main.

— Contentons-nous du Vestibule de Harlay, où siégeait la cour. Ce procès a été remuant…

— Doux euphémisme. Nous entrons en effet sur le terrain accidenté de la défense de rupture. Tout était réuni pour que le procès soit explosif, il n'y fallait plus qu'une étincelle, et il y en eut à profusion.

— Tout ? Pourriez vous entrer dans le détail ?

— Certainement. Premier élément : la gravité extrême des faits. L'assassinat se situe au sommet de l'échelle des peines. Mais en plus, la victime était préfet en exercice d'une région connaissant la violence armée depuis 33 ans. Deuxième élément : l'absence de preuves, j'entends objectives, certaines, irréfutables. Aucune empreinte, aucune trace d'ADN, aucune image de vidéosurveillance ne démontraient la présence d'Yvan Colonna sur les lieux. Ajoutons à cela des témoins qui ne reconnaissaient pas l'accusé, mais on sait hélas qu'en Corse, les témoignages sont aussi fiables qu'une promesse électorale. L'accusation reposait sur les aveux des autres membres du commando, aveux rétractés depuis. La combinaison de ces deux éléments est d'une simplicité dramatique : c'est tout ou rien. Yvan Colonna devait être acquitté ou condamné au maximum. Troisième élément : l'accusé se réclame de l'idéologie nationaliste corse et s'estime en lutte contre un État colonial illégitime. En tout état de cause, il ne comptait pas offrir un procès serein à l'État qu'il honnit.

— La désertion de la défense était donc inévitable ?

— Je ne le pense pas. Les incidents d'audience, oui. La défense était une défense de combat et n'allait laisser passer aucune possibilité de déstabiliser la cour. Mais quitter les bancs de la défense est une option dangereuse : c'est opter pour le mutisme, et renoncer à faire acter des incidents, à pouvoir déposer des demandes. Les avocats de la défense étant loin d'être des sots, je suppose qu'ils n'ont eu recours à cette extrêmité qu'une fois convaincus d'avoir en main des éléments permettant d'obtenir l'oreille de la cour européenne des droits de l'homme (la cour de cassation est un passage obligé mais je doute qu'elle casse cet arrêt eu égard à sa jurisprudence). L'avenir dira si elle a eu raison.

— Si c'était évitable, pourquoi est-ce arrivé ?

— Le conflit entre la défense et le président de la cour a atteint un point de non-retour. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été un refus par la cour d'une reconstitution demandée par la défense, mais le vase était déjà plein. Cette reconstitution n'avait en effet guère de raison d'être, dès lors que la moitié des membres du commando avaient annoncé leur refus d'y participer ; or reconstituer un crime avec un accusé qui affirme n'être pas là, et ceux qui étaient là qui refusent de participer est d'un intérêt douteux. Sachant qu'un tel transport, qui concerne toute la cour, coûte pas loin d'un million d'euros. Un million pour un acte manifestement inutile, on peut comprendre le rejet. Mais ce refus a été pris par la défense comme la preuve finale d'un parti-pris de la cour qui ferait tout pour entraver la défense. Ce fut l'aboutissement d'incidents à répétition où la défense a gravement mis en cause le président de la cour d'assises.

— Et avait-elle raison de penser cela ?

— Je n'ai pas assisté au procès, je me garderai bien d'émettre une opinion définitive. Disons que dans cette affaire, chacun verra son préjugé consolidé par le déroulement des faits. Ce qui en soit signe l'échec de ce procès.

— Décelè-je une certaine amertume ?

— Oui, et ce n'est pas que que ce délicieux Darjeeling. Encore une fois, Colonna est-il ou non coupable ? Je n'ai aucune certitude personnelle sur la question, dans un sens ou dans l'autre. Si une cour d'assises, fût-elle spéciale, a décidé par deux fois que oui, cela signifie qu'au moins neuf juges sur seize en ont eu l'intime conviction. Ce que je ne comprends pas, c'est ce que les débats en appel ont mis en évidence qui a justifié que la cour d'assises spéciale aggrave la peine prononcée en première instance en prononçant la période de sûreté maximale.

— Cela pourrait-il signifier que le verdict était écrit d'avance ?

— Non : je n'adhère clairement pas à cette théorie. Rappelons ce qu'est un vrai procès politique. Lors de son procès devant une juridiction dont la création avait été jugée illégale jusqu'à ce qu'un loi votée en catastrophe par un parlement docile fasse échec au juge administratif, l'avocat de Jean-Marie Bastien-Thiry, poursuivi pour tentative d'assassinat sur la personne du chef de l'État, a mis en cause l'indépendance de cette cour. La cour a demandé et obtenu que cet avocat, le grand Jacques Isorni, soit suspendu trois ans. Gageons que cela ferait rêver le président de la cour d'assises spéciale, mais relevons que la pire mesure de rétorsion qu'il a exercée est… de suspendre l'audience. Sylvie Véran, qui a suivi au quotidien cette audience et a fait d'excellents compte-rendus sur son blog, trouve dans cette sévérité un arrière-goût de vengeance. Je crains de ne pas parvenir à la contredire.

— Cher maître, la théière ne contient plus que le souvenir de cet excellent thé, et j'entends bruisser la salle d'attente des commentateurs impatients. Souffrez que je vous laisse, en vous remerciant une nouvelle fois de votre hospitalité.

Notes

[1] Ce délit ne vise pas les journalistes du Figaro mais le fait de fournir, en vue de servir les intérêts d'une puissance étrangère, d'une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger, aux autorités civiles ou militaires de la France des informations fausses de nature à les induire en erreur et à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

[2] 23 février 1985, magasin Marks & Spencer : 1 mort, 14 blessés ; 9 mars 1985, cinéma Rivoli Beaubourg : 18 blessés ; 7 décembre 1985, double attentat des magasins "Galeries Lafayette" et "Printemps Haussmann", 43 blessés ; 3 février 1986, attentat à la galerie marchande de l'Hôtel Claridge situé sur les Champs-Elysées, 8 blessés ; le même jour un attentat était déjoué à la Tour Eiffel ; 4 février 1986, librairie Gibert Jeune à Paris, 5 blessés ; 5 février 1986, FNAC Sport du Forum des Halles, 22 blessés ;17 mars 1986, date de la nomination de Jacques Chirac comme Premier ministre, un attentat vise le TGV, alors qu'il circulait à hauteur de Brunoy, et fait 9 blessés ; 20 mars 1986, galerie Point Show des Champs-Elysées, 2 morts dont le poseur de bombe et 29 blessés ; le même jour, un attentat est déjoué de justesse à la station Châtelet du RER ; 4 septembre 1986, un attentat échoue à la station RER Gare de Lyon ; le 8 septembre, bureau de poste de l'Hôtel de ville de Paris, 1 mort et 21 blessés ; 12 septembre 1986, Cafétéria Casino au Centre commercial de la Défense, 54 blessés ; 14 septembre 1986, Pub Renault sur les Champs-Elysées, 2 policiers et 1 serveur sont tués et un autre serveur blessé par l'explosion de l'engin déplacé ; le 15 septembre,Service des permis de conduire de la préfecture de police à Paris, 1 mort et 56 blessés ; dernier attentat le 17 septembre,magasin Tati, rue de Rennes clos la série, et se révèle le plus meurtrier de tous : 7 morts et 55 blessés. Avec les compliments de l'Iran.

samedi 28 mars 2009

432-13

Non, ce n'est pas le résultat d'un match Angleterre-France...

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vendredi 27 mars 2009

Puisqu'on vous dit qu'on réforme

Faisons taire les mauvaises langues qui disent que le Gouvernement ne réforme pas autant qu'il s'y était engagé.

En 2005, l'Office des Migrations Internationales (OMI), en charge de gérer l'arrivée des immigrés en France, à l'occasion de sa fusion avec le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE), était devenue l’Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM).

Eh bien en 2009, l'ANAEM devient l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

Avec au menu : tous les tampons à changer, le papier à en tête à refaire, les plaques à graver. Si ça c'est pas de la relance.

Et sinon ? Sinon, rien, c'est juste un changement de nom.

Mais il faut comprendre : il y avait le mot « accueil ». Ça pouvait prêter à confusion.

mercredi 25 mars 2009

Avocats commis d'office : le grand n'importe quoi du Figaro

Mon amie Laurence de Charette, qui s'était déjà illustrée dans l'art de la divination statistique récidive dans la maltraitance des faits avec cet article publié dans l'édition papier du Figaro : Avocats commis d'office : le grand gâchis.

À noter qu'il y a un premier problème indépendant de la volonté de l'auteur : l'article semble avoir été publié deux fois à la suite, le début de l'article étant une version tronquée et de travail, d'où une curieuse répétition. L'article semble commencer réellement à la deuxième occurrence des mots « Dans le boxe de la 14èeme chambre au tribunal de Paris, le jeune homme aux cheveux bouclés ébènes tente de faire entendre sa cause aux trois magistrats de la chambre correctionnelle. »

L'article se veut très critique sur le système actuel de l'aide juridictionnelle et de la commission d'office. Ce n'est pas moi qui dirai qu'il est à l'abri de toute critique, mais vous vous doutez bien que mes critiques ne seront pas les mêmes. Je ne pense pas trahir la pensée de l'auteur en disant que l'aide juridictionnelle, partant d'une idée noble, devient une coûteuse gabegie, puisque des avocats incompétents font main-basse sur le pactole en défendant des personnes qui ne devraient pas bénéficier de cette prise en charge (ce n'est que sur ce dernier point que je suis d'accord, voir plus bas sur le plancher de l'aide juridictionnelle).

Et pour démontrer cela, une méthode qui faisait rougir de honte même les journalistes de la Pravda : prendre un cas particulier pour illustrer un cas général.

Ouverture de l'article : nous voici à la 14e chambre correctionnelle (qui juge essentiellement des affaires de proxénétisme, stupéfiants, et infractions relatives aux moyens de crédit de paiement), qui juge une affaire de faux documents administratifs. Dans quel cadre ? Ce n'est pas indiqué et je ne puis le deviner. Il y a trois magistrats, mais s'agissant d'une affaire de faux, il n'y a pas de juge unique possible. Le prévenu est détenu, ça c'est un indice : on peut être en présence d'un jugement après instruction (détenu placé sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention), un “DPAC” (Détenu pour Autre Cause) : il est libre dans cetet affaire, mais est détenu dans le cadre d'une autre affaire, ou une comparution immédiate : en principe, c'est la 23e chambre qui les juge mais en cas d'affluence, le parquet reverse des dossiers dans les chambres siégeant en collégiale (trois juges, obligatoire pour les comparutions immédiates, quel que soit le délit). Ce n'est pas du chipotage, car cela révèle si l'avocat est saisi du dossier depuis un an, un mois, ou une heure.

Un avocat “asiatique” qui ne sera pas nommé par charité chrétienne défend un client dont le nom arabe sera cité par manque de charité chrétienne (un reportage doit être équilibré). On apprend donc qu'il est « complètement inaudible » ce qui n'empêche pas notre journaliste d'entendre ce qu'il dit et de constater “qu'il ne parle qu'à peine le Français”, avant de citer son exorde et sa péroraison en français dans le texte, à moins que notre journaliste ne parle couramment l'asiatique, bien sûr. Quant à ce qu'il y a entre les deux, comment ça s'appelle, déjà ? Ah, oui, l'argumentation. Le lecteur ne sera pas dérangé avec ces détails : on va lui dire quoi en penser.

Pour démontrer que la défense est mauvaise, plutôt que d'expliquer en quoi elle l'est, deux arguments forts : “Sur le banc d'à côté, deux de ses confrères gardent la tête baissée, légèrement mal à l'aise”. Je précise aux journalistes qui pourraient me voir un jour à l'audience que j'ai souvent la tête baissée lors du jugement des autres affaires : je relis mes notes. Merci de ne rien en déduire sur mon éventuel malaise. Et le clou dans le cercueil de ce pauvre confrère : “Les magistrats, eux, n'affichent aucune émotion.” Ça alors, un tribunal impartial ? Ça ne peut être que la preuve de la nullité de l'avocat.

Je n'étais pas à cette audience, je ne connais pas ce dossier, et je ne travaille pas au Figaro. Je me garderai donc de porter une opinion définitive là dessus, mais je précise que tous les confrères que j'ai rencontrés ont un point commun : ils parlent français. Ça vaut mieux pour passer les épreuves. Les barreaux de Paris et de la périphérie accueillent certes beaucoup de confrères étrangers ou d'origine étrangère, et leurs accents embellissent nos prétoires, mais insinuer qu'ils ne parlent pas français est insultant à leur égard.

Enfin, voilà le premier argument démontré : les avocats commis d'office sont nuls. Et cher, c'est la Chancellerie qui le dit (et on n'a jamais vu le Gouvernement mentir). Et mauvais, c'est reconnu par « les avocats », comprendre ceux qui ne font pas des commissions d'office et qui n'ont pas intérêt à ce que leurs clients fassent appel à leur confrères gratuits. Parce que si on en est aux arguments d'autorité, je suis sur les listes des commissions d'office depuis des années, je n'ai pas demandé ma radiation depuis mon installation à mon compte, et je défends mes clients commis exactement comme je défends mes clients qui me choisissent. La seule différence est que j'utilise un papier à en-tête moins cher (vélin 100g/m² quand même) et des timbres au tarif écopli, sauf pour les détenus qui ont tous droit au tarif prioritaire. Voilà la ségrégation que j'opère. J'y perds de l'argent, au temps passé. Mais c'est pour moi une question de conception du métier. Ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas les moyens qu'elle ne doit pas avoir une chance de tomber sur un avocat expérimenté.

Sur l'argument du coût : le budget a augmenté de 72% en 10 ans, dit la Chancellerie. Je vous rassure, nos indemnités n'ont pas suivi cette courbe. C'est surtout le plancher de l'aide juridictionnelle qui a été régulièrement relevé, outre la multiplication des cas où un avocat gratuit est un droit sans condition de ressources (notamment pour les victimes). Aujourd'hui, une personne seule a droit à l'aide juridictionnelle partielle à partir de 1367 euros de revenus mensuels. Autant dire tous les bas salaires, et ceux un peu moins bas. L'État aime être généreux, mais pas qu'on lui présente la note.

Mais puisqu'on vous dit que l'AJ, c'est le Pérou pour les avocats : ainsi, un des trois avocats de permanence aux Comparutions immédiates (en fait, il y en a six par jour, ils arrivent par fournées de trois) ne peut venir :

Mais il sera remplacé dans la journée sans trop de difficulté : A Paris, les permanences pénales sont recherchées par les jeunes avocats : même modestement rémunérées (en moyenne 192 euros pour un dossier correctionnel), elle assurent un minimum d'activité, et permettent de draguer au passage d'autres clients à venir... Par temps de crise, même les professionnels installés s'inscrivent -discrètement- au tableau des volontaires.

Là, c'est du grand n'importe quoi. Les jeunes avocats ne comptent pas les brins de leur épitoge en attendant que le téléphone sonne. Ils sont collaborateurs d'un cabinet, qui s'assure qu'ils rentabilisent chaque seconde de chaque minute de chaque heure facturable. Et la rétrocession qu'ils touchent pour cela est au minimum de 2500 euros HT mensuels pour la première année, et 2800 pour la deuxième année. Autant dire qu'ils ont intérêt à facturer plus que ça pour garder leur poste, et expliquer à son patron qu'on doit laisser là le dossier d'arbitrage Machin facturé à 350 euros de l'heure pour aller gagner 192 euros en une après-midi aux comparutions immédiates ne déchaîne pas un enthousiasme avide. Mais on trouve tout de même des volontaires avec des patrons assez compréhensifs pour décharger leur collaborateur afin qu'il puisse aller défendre un démuni menacé de dormir en prison. J'ajoute que lesdits jeunes ont dû suivre 24 heures de formations réparties sur 6 samedi matin avant de pouvoir s'inscrire sur ces listes. Ils sont donc motivés et méritent un hommage et non des sarcasmes sur leur âpreté au gain. Quant à draguer les clients… Laissez-moi rire. Les clients nous trouvent super sympas et super bons quand on leur évite la prison. Tous me demandent ma carte… et mes tarifs. Ils ne me rappellent presque jamais (deux seulement cette année).

Relevons au passage le perfide “par temps de crise même les professionnels installés s'inscrivent -discrètement- au tableau des volontaires.” Des chiffres ? Des sources ? Des noms ? Allez vous faire voir, on est au Figaro ici. Pour ma part, je ne me suis pas désinscrit lors de mon installation (mon comptable m'engueule chaque année à ce sujet) et j'ajoute que l'inscription se faisant par courrier, il est difficile de s'inscrire de manière ostentatoire, même si envoyer un messager accompagné d'une fanfare n'est évidemment pas interdit.

Et ça continue.

«Certains jours, les jeunes avocats traînent dans les couloirs, devant les salles de correctionnelle, où les familles guettent le passage des leurs, dans l'espoir d'assurer la défense de l'un ou de l'autre.», raconte un habitué du palais.

Et au Figaro, on a remplacé l'eau du robinet par de la Vodka et les journalistes par des chimpanzés, raconte un habitué de la rédaction (peut être ce même habitué ?).

Cette image de l'avocat tapinant comme une prostituée est très flatteuse, mais tous les avocats (et les journalistes qui leur posent des questions) le savent : quand on déambule dans le palais, la seule chose qu'on vous demande, c'est son chemin. La famille angoissée a déjà été contactée par l'avocat de permanence en charge du dossier quand elle n'a pas appelé l'avocat habituel du rejeton et elle ne va pas prendre le premier qui passe dans le couloir au hasard. C'est grotesque.

Reprenons la méthode du cas particulier : la commission Darrois aurait relevé UN cas d'un avocat ayant défendu 10 clients en une permanence et donc ainsi perçu 1936 euros pour ce faire. Félicitations à cet heureux confrère. je viens de recevoir mon relevé annuel. J'ai pour ma part touché, en cumulant les gardes à vue, permanences pénales et commissions d'office 4500 euros pour 2008. La commission s'interroge sur la qualité de la défense. Bien. Je ferai remarquer qu'à une audience ou six avocats se succèdent pour assurer la défense, il n'y a qu'un seul parquetier du début à la fin. Personne ne s'interroge sur la qualité de l'accusation ? De même pour les trois magistrats qui vont juger tous les dossiers. J'ajoute que 10 clients, c'est rare mais parfaitement possible : il suffit de deux affaires où il y a 5 prévenus à chaque fois, sans conflit d'intérêt (violences et dégradations en réunion, par exemple : en novembre 2005, ça pleuvait) : l'avocat défendra les 5 à chaque fois. Ça lui fait 2 dossiers, mais 10 commissions. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter.

Je passe sur le “marché ” de l'aide juridictionnelle. À 192 euros du dossier, ce marché, je le laisse à qui le veut.

Suit un paragraphe sur le manque de rigueur (au Figaro, on a le sens de l'humour) des bureaux d'aide juridictionnelle qui ne vérifient pas les resssources. J'invite madame de Charette à aller au bureau d'aide juridictionnelle de Paris (4 quai de corse, dans l'atrium du tribunal de commerce) et de faire une demande. Elle va voir la quantité de justificatifs demandés (et en photocopies payantes, bien sûr). Le dossier sera refusé tant qu'il en manquera un. Ce que l'article ne mentionne pas, c'est que pour les commissions d'office au pénal, aucune vérification n'est faite puisque le prévenu a droit à un avocat gratuit : c'est l'article 6, 3, c de la Convention européenne des droits de l'homme qui l'exige. Même si c'est Bill Gates. La loi prévoit qu'une vérification peut être effectuée a posteriori pour demander le remboursement des 192 euros versés à l'avocat. Sachant que la plupart des clients sont insolvables ou le sont devenus à cause d'une incarcération, le coût des vérifications systématique pour gratter 192 euros de temps en temps serait disproportionné, et les vérifications ne sont que très rarement faites.

Par ailleurs, le montant en jeu dans certains litiges est parfois moins élevé que la somme dépensée par l'Etat pour rémunérer les avocats...

C'est exact. Pour un RMIste, une affaire de 150 euros, c'est énorme.

Et la magnifique conclusion :

Depuis peu de temps, les fonctionnaires de la Justice ont reçu la consigne de demander au justiciable s'il ne bénéficie pas d'une assurance juridique -souvent vendue en même temps qu'un autre contrat d'assurance- qui pourrait prendre en charge les frais de justice. Mais le justiciable reste libre de sa réponse, car il est parfois plus simple de solliciter l'Etat que l'assureur.

Depuis peu de temps. Comprendre : depuis la loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique, dont le décret d'application (décret n°2008-1324 du 15 déc. 2008) a été pris presque deux ans plus tard, décret qui n'instaure cette obligation de déclaration d'une assurance de protection juridique qu'à compter… du 1er mars 2009 (art. 13 du décret). Laurence de Charette nous a déjà montré qu'elle n'avait pas besoin d'attendre qu'une réforme soit appliquée pour en connaître les résultats. Ravi de voir qu'elle a su garder la forme.

mardi 24 mars 2009

Le petit manuel du parfait strasbourgeois pacifiste

J'ai lu avec une surprise non dissimulée, puisque personne ne me voyait, que des policiers se seraient présentés, à Strasbourg, au domicile de particuliers ayant pavoisé la façade de leur domicile de drapeaux pacifistes ouvertement hostiles au retour de la France dans l'OTAN, dans la perspective du sommet de cette Organisation qui se tiendra dans la capitale de l'Alsace et de l'Europe les 3 et 4 avril prochain (cf cette dépêche AFP).

J'ai été interrogé à ce sujet par une journaliste de Rue 89 qui prépare un article sur la question, et, étant lancé sur le sujet, j'en profite pour écrire rapidement sur ce sujet.

Nous supposerons pour l'intérêt de ce billet que l'info est exacte (la préfecture du Bas-Rhin dément avoir donné de telles instructions, mais je vous expliquerai plus loin pourquoi je ne la crois pas sur parole).

Soyons clairs : c'est complètement, totalement, absolument illégal.

De manière générale, aucune loi n'interdit d'afficher ainsi son opinion à sa fenêtre, sous réserve que cette manifestation ne prenne pas des formes illégales (ex : image pornographique, puisque susceptible d'être vue par un mineur passant dans la rue). Au contraire, ce genre de manifestation est une forme de la liberté d'expression et comme le rappelle notre Constitution,

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen.

J'ajoute que dans cette superbe ville qui va bientôt accueillir notre Garde des Sceaux Déjà Regrettée, au bord du Canal de la Marne au Rhin, siège une juridiction qui a pour but de s'assurer que tous les pays du Conseil de l'Europe applique les règles suivantes :

Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, article 10.

Ce serait dommage qu'une violation de cet article se produise à sa porte.

Donc :

La police ne tire d'aucune loi actuellement en vigueur le pouvoir d'interdire ou de faire retirer, voire de retirer par la force un tel drapeau.

Le préfet peut, dans le cadre de ses pouvoirs dits de police, prendre des mesures temporaires limitant les libertés dans le but d'assurer le maintien de l'ordre. Mais ces mesures doivent prendre la forme d'un arrêté préfectoral publié, et susceptible de recours devant le juge administratif, qui s'assurera que ces mesures ne sont pas disproportionnées par rapport au but poursuivi.

C'est ainsi que le préfet va limiter la circulation à proximité des lieux où se tiendra le sommet, voire bouclera littéralement certains quartiers. Voyez la liste des mesures sur cette page.

À ma connaissance, aucun arrêté n'a été pris pour interdire aux moins bellicistes des alsaciens d'afficher des drapeaux hostiles à la guerre et à l'OTAN, quand bien même on pourrait leur objecter que la seconde est faite pour prévenir la première.

Donc que faire si la police sonne chez vous pour s'offusquer d'un drapeau pacifiste ?

1 : Refusez-lui d'entrer. La police n'a pas le droit de pénétrer de force chez vous si elle n'a pas été mandatée par la justice (commission rogatoire, mandat d'arrêt, ou d'amener, etc), si elle n'est pas en enquête de flagrance (et ces drapeaux ne constituent pas un délit), si elle n'a pas été appelée depuis l'intérieur du domicile, sauf état de nécessité supposant un danger grave et imminent. Attention : si vous commettez un outrage, la police peut agir en flagrance et dès lors pénétrer chez vous. Soyez d'une politesse mielleuse.

2 : Demandez aux agents de prouver leur qualité en exhibant leur carte professionnelle. Un air patibulaire et un brassard "POLICE" sont des indices d'appartenance aux forces de l'ordre, mais insuffisants en soi. Profitez-en pour prendre note de leur nom et matricule, pour que si le préfet continue à dire qu'il s'agit d'éléments isolés agissant de leur propre chef, on puisse les retrouver et leur poser la question.

3 : S'ils vous somment d'ôter le drapeau de votre fenêtre, demandez-leur à quel titre, quelle loi ou quel arrêté préfectoral invoquent-ils (là aussi, notez leur réponse).

4 : Refusez poliment et souhaitez-leur une bonne journée. En effet, il n'y a pas de loi qui vous interdise d'exhiber un tel drapeau, et si un arrêté préfectoral a été pris, vous risquez au pire du pire 38 euros d'amende pour ne pas y déférer, et encore il faudra vous citer devant la juridiction de proximité pour cela, et le parquetier rigolera bien en lisant le procès verbal d'infraction avant de le classer sans suite. Si l'arrêté a moins de deux mois, vous pouvez d'ailleurs l'attaquer devant le tribunal administratif (pensez au référé suspension).

5 : S'ils forcent le passage et s'emparent par la force de votre drapeau (ce qui est peu probable, rassurez-vous), laissez-les faire. D'abord, vous êtes pacifiste, c'est une question de cohérence. Ensuite, résister par la violence à une voie de fait de la police est un délit en France, le saviez-vous ? Et portez plainte contre eux pour violation de domicile et vol, ajoutez-y les violences volontaires s'ils vous ont bousculé (car OUI, bousculer est une violence volontaire, j'ai assez de clients qui ont été condamnés sur cette base pour constituer une jurisprudence constante). Ajoutez-y une plainte à l'IGS pour des poursuites disciplinaires et demandez à un député ou sénateur de l'opposition de saisir la CNDS (C'est là que le fait d'avoir noté leurs noms et matricule prend un intérêt renouvelé). Des violences même légères sont toujours aggravées quand elles sont commises par des policiers et sont un délit. Quoi qu'il arrive, ne ripostez pas par la violence, même verbale. Soyez un Gandhi qui n'aurait rien contre la charcuterie.

6 : Tenez-moi informé via ce même blog.

Mais je suis prêt à parier que maintenant que la presse est alertée, plus aucun képi ne viendra perturber les décorations des fenêtres de Strossburi.

OTAN en emporte le vent.

lundi 23 mars 2009

Adoptez un Eolas

Une fois n'est pas coutume, j'utilise ce blog à des fins personnelles.

Je dois déménager mon cabinet pour des raisons professionnelles et mes démarches pour trouver un nouveau havre de paix d'où je pourrai faire trembler les procureurs et priver de sommeil les préfets n'ont pour le moment pas abouti.

Si avez donc un bureau disponible (je suis seul pour le moment), que vous aimez le thé et n'avez pas peur de voir toutes les nationalités du monde passer par votre salle d'attente, merci de me contacter par mail : en cliquant ici ou en cliquant là (ou directement à eolas@maitre-eolas.fr) pour fixer les détails.

Par mail seulement, d'où commentaires fermés sous ce billet.

Merci de votre attention.

Mise à jour : Sur Paris, les locaux, comme m'y obligent les règles de la profession. Merci aux propositions des lyonnais et… québécois.

vendredi 20 mars 2009

Le passage à l'acte, en action

J'ai déjà expliqué que dans la mécanique psychologique qui aboutit au passage à l'acte, chez un être sain d'esprit s'entend, on rencontre toujours la combinaison de deux éléments, que j'appelle la certitude de l'impunité (c'est de Beccaria, en fait) et la justification morale, qui permet à celui qui va commettre un délit de se dire “ Ce que je fais n'est pas grave, en fait, ou du moins, c'est pour une bonne cause. ”

La certitude de l'impunité n'a pas à être avérée. D'ailleurs, la plupart des gibiers de prétoire avaient la certitude de ne pas être pris.

Ça ne signifie pas que la combinaison de ces deux éléments implique passage à l'acte. La plupart d'entre nous avons des inhibitions, ou une force de volonté, pour présenter ça sous un jour plus noble, suffisante pour que nous rejetions l'idée à peine germée.

Tenez quelques exemples de justification morale :

Le voleur de sac à main : “ J'ai plus besoin d'argent qu'elle, moi c'est pour m'acheter à manger ”.

Le voleur de voiture, après avoir vérifié que la rue est vide (certitude de l'impunité) : “ De toutes façons, il est assuré. ”

Le vendeur de cannabis : “ Le cannabis, c'est pas vraiment de la drogue ; et puis c'est ça ou bosser à McDo pour gagner dix fois moins ”. Variante “ Je fais que dépanner, c'est juste pour me payer ma consommation, je suis pas un dealer ”.

Le téléchargeur pirate : “ De toutes façons, j'aurais pas acheté ce CD/DVD, et j'ai pas les moyens d'aller au ciné, alors ils perdent rien. Puis de toutes façons, ils sont déjà pété de thunes, eux. ”

Cependant, aucun d'entre eux, quelles que soient les bonnes raisons qu'il se donne, ne passerait à l'acte s'il avait la certitude d'être sanctionné (c'est là le but de la loi HADŒPI : faire cesser le sentiment d'impunité des téléchargeurs pirates).

C'est là une différence essentielle avec certaines formes de délinquance idéologique : non seulement le délinquant se fiche d'échapper à la sanction, mais il en tirera une satisfaction de martyr et fera de son procès une tribune médiatique. D'où une plus grande sévérité, non pas à cause de l'idéologie, mais du fait que la réitération est à craindre vu l'absence manifeste de regrets.

Un lecteur, qui signe Dante Timelos et fait la promotion d'un guide juridique en ligne pour vous permettre de vous défendre tout seul au pénal (et il a bien raison, quand on a droit à un avocat gratuit, autant refuser), me fournit une intéressante démonstration par l'exemple. Sous mon vademecum des comparutions immédiates chapitre 2, il donne ce fort mauvais conseil :

Concernant d'abord les garanties de représentation, dont le détail est assez bien expliqué ici, petit conseil réservé aux proches des personnes poursuivies: concrètement, les juges n’ont guère le temps et les moyens de vérifier certaines affirmations de ceux qui passent en comparution immédiate, pas plus que les documents apportés par ceux qui sont à l’extérieur... Bien penser ceci dit que tout doit être cohérent.

Ces précisions n'ont aucun intérêt si les documents sont vrais ; j'en déduis qu'il suggère à mot couvert de produire des faux si on n'a pas de vrais sous la main. Rien que ça.

Vous aurez relevé ici la certitude de l'impunité : “ les juges n’ont guère le temps et les moyens de vérifier certaines affirmations de ceux qui passent en comparution immédiate, pas plus que les documents apportés par ceux qui sont à l’extérieur ”.

Je lui ai fait remarquer que forger un faux est puni de trois ans de prison, et le produire en justice, de la même peine.

Voici sa réponse, qui contient la justification morale :

C'est pas vraiment un faux…

Cher maitre, en réponse à mon commentaire (Numéro 16) vous parlez de "faux"... comme vous y allez. Un document qu'on ne peut pas vérifier n'est pas un "faux", c'est juste un document qu'on ne peut pas vérifier, rien de plus...

… et puis c'est de bonne guerre…

La CI est une justice d'abattage, ce qui signifie que les dossiers sont légers voire vides, bâtis à la hâte avec quelques PV policiers, et que les juges n'ont pas les moyens de vérifier quoi que ce soit. Il ne s'agit alors que de retourner un peu à l'avantage des personnes poursuivies cet état de fait déplorable.

… et un peu de relativisme absolu : qu'est-ce que la vérité, après tout ?

Quant à la "vérité", personne n'y croit et surtout pas la police et le procureur qui bâtissent l'accusation. Alors...

Voilà. Un délinquant, le plus souvent, c'est ça. Ce n'est pas un être pervers et méchant, toute la volonté et l'intelligence tendues vers le but de commettre un crime (ça c'est le méchant des séries TV françaises). C'est quelqu'un qui se trouve une justification pour passer à l'acte et se convainc qu'il ne sera pas pris. Jusqu'à ce qu'on vous l'amène menotté avant une CI.

Et une petite histoire pour finir. Un prévenu, poursuivi pour vol et escroquerie (il a volé une formule de chèque la carte American Express de quelqu'un chez qui il avait été invité et l'avait utilisé pour acheter un iPod). Pensant impressionner favorablement le tribunal, il se dit étudiant en droit (très mauvaise idée : si vous êtes étudiant en droit, taisez-le) et a fait amener par son père son certificat de scolarité de la prestigieuse faculté de Framboisy-II. Son avocat présente la pièce au procureur, sans y avoir jeté un coup d'œil.

Le procureur regarde la pièce, fronce les sourcils, et demande s'il peut la garder pour le moment. L'avocat accepte bien volontiers.

Arrive le tour du brillant juriste. À peine l'examen de la personnalité a-t-il commencé que le procureur prend la parole.

— Vous êtes étudiant en droit ?

— Oui, m'sieur.

— C'est bien le certificat de scolarité que vous avez produit ?

— Oui m'sieur.

— (Sourire avenant) Monsieur, vous savez que j'ai fait la même fac que vous ? Vous voyez qu'elle peut mener à de nobles fonctions…

— Je sais m'sieur. C'est une bêtise, je sais pas ce qui m'a pris, je ne le referai jamais.

— Cependant, je m'interroge. Les certificats de scolarité, de mon temps, pas si lointain, n'étaient pas du tout comme ça…

— Ils ont changé, m'sieur.

— Vraiment ? Au point de ne plus porter le cachet de la faculté ? J'ajoute que le doyen n'avait pas l'habitude de faire de grossières fautes d'orthographe dans les certificats de scolarité. Je garde cette pièce, et vais ouvrir une enquête préliminaire pour m'assurer auprès de la faculté que vous y êtes bien inscrit.

—Le président : Vous avez quelque chose à dire, sur ce point ?

Et le prévenu de reconnaître, tout penaud, qu'il avait fait croire à son père qu'il était inscrit à la fac de droit et avait fabriqué ce faux certificat pour lui.

Je ne vous dis pas la tête de l'avocat et du père dans la salle (non, ce n'était pas moi ; ni l'un ni l'autre). Et l'impression sur le tribunal : le voleur escroc est aussi un faussaire à l'égard de son père et de la justice.

Résultat, le faux étudiant s'est pris un an de prison avec sursis (plutôt lourd pour les faits : préjudice de 60 euros environs) et une nouvelle citation à venir pour faux et usage de faux. Et son père lui a, je le crains, coupé les vivres.

Au-delà du “ c'est pas beau de faire ça ”, objectivement, c'est totalement idiot. Ça ne résout pas le problème, au contraire, ça l'aggrave. (Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?)

jeudi 19 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (2)

(Lien vers la première partie)

Deuxième partie de mon vademecum.

À ce stade, vous êtes censé avoir devant vous :

Le dossier de la procédure, dûment stabilobossé et signetté (mais PAS désagrafé, pitié pour le greffe) ; deux pages de notes : faits/procédure et personnalité ; et un paquet de gâteau entamé. Vous avez une première opinion du dossier, et une idée sur l'option du délai.

Vous pouvez faire venir le client.

Vous serez confronté à tous les cas imaginables, et même un ou deux inimaginables. Du délinquant chevronné, routard des compas, qui va vous regarder de haut car si vous êtes jeunes et commis d'office, vous êtes forcément nul, au type sans histoire embarqué dans une affaire qui le dépasse et qui fondra en larmes toutes les cinq minutes ; du SDF qui pue et qui parle à peine français au lunatique qui tient des propos à peine cohérent.

Il n'y a pas un code de conduite unique, à vous de vous adapter à la personnalité du prévenu. Quelques grands principes toutefois.

1 - Allez-y mollo.

Le client est forcément un peu paumé, même s'il a de l'expérience. Il sort surtout de deux voire trois jours pénibles, a très peu dormi, peu et mal mangé. Et il est probablement en manque de nicotine, ou d'autres substances moins licites. Et durant tout ce laps de temps, il n'a vu que des gens pas très amicaux. Vous êtes le premier visage ami qu'il va voir. Alors, présentez-vous (qu'il connaisse votre nom), assurez-vous qu'on lui retire les menottes (je ne m'entretiens JAMAIS avec un client menotté, même exalté, et violent), un sourire, surtout si vous avez la chance d'être une femme et lui le malheur d'être un homme, une poignée de main (personne ne lui a serré la main durant toute son arrestation — on vous préviendra s'il a la gale), quelques mots gentils. Demandez-lui comment ça va (la réponse est : mal), comment s'est passé la garde à vue (c'est la même réponse). Et réservez les mauvaises nouvelles pour la seconde partie de l'entretien.

2 - C'est vous le chef.

Vous êtes l'avocat, vous connaissez le droit, vous avez lu le dossier. Lui, non. Faites-vous respecter. De toutes façons, il ne vous paye pas (mais c'est encore plus valable s'il vous paye). N'acceptez aucune remarque désobligeante sur votre âge, le fait que vous êtes commis d'office, ou qu'il voulait maître Eolas, mais comme il a piscine il n'a pas pu venir. N'hésitez pas à lui demander s'il préfère se débrouiller tout seul. Signalez-lui que vous avez un vrai cabinet avec des vrais clients et que c'est grâce à ça que vous vivez, et que vous êtes ici parce que vous êtes volontaire, pour ne pas dire bénévole vu ce qu'on vous paye, et que c'est lui qui a besoin de vous et pas l'inverse. Vous verrez, il ne vous en respectera que plus (un conseil : l'habit fait le moine. Recevez-le en robe, même au mois d'août).

3 - C'est vous le chef.

Oui, il faut le répéter. C'est vous aussi qui dirigez l'entretien. Vous n'avez pas le temps de l'écouter raconter son histoire et celle de son grand-père depuis le Déluge. Rappelez-lui ses déclarations, résumez-lui celles de la victime et des témoins s'il y en a, demandez-lui s'il compte changer quelque chose et posez-lui les questions que vous avez notées lors de la lecture du dossier.

Là arrive la partie la plus difficile de toutes. Vous faire votre opinion. Dit-il la vérité ? Ment-il ? Soyons clairs : jamais il ne vous dira dans le creux de l'oreille : « Bon, voilà maître, entre nous, c'est bien moi, mais je ne pense pas qu'ils aient de preuves, je veux plaider la relaxe ». Il vous mentira comme il a menti aux policiers et mentira aux juges tout à l'heure. Il testera son baratin sur vous, convaincu que si vous le croyez, alors ça devrait passer auprès des juges.

Et même s'il a avoué, il peut n'avoir avoué que partiellement, ou avoué car il a commis des choses plus graves que ce que la police lui reprochait et est ravi de passer sur une qualification moindre.

Attention toutefois. Parfois, il dira la vérité. Parfois, vous tomberez sur un vrai, vous en aurez un, alors que vous pensiez que c'était comme les licornes, une légende : un innocent. Et un innocent n'est pas forcément plus crédible. Je n'ai hélas aucun truc à vous donner pour les reconnaître. C'est l'instinct. Un accent de sincérité dans la voix, une trouille qui ne peut être feinte, et des explications qui collent avec tous les détails du dossier.

Et là, vous serez terrifié. Vous avez un innocent happé par la machine à condamner, vous avez peu de temps pour présenter une défense, et seul vous pouvez empêcher la catastrophe (un proc s'y est trompé, c'est mal parti).

4 - C'est lui le co-pilote.

Essayez d'impliquer le client dans la mise en place de sa défense. Les choix importants, c'est à lui de les faire, après vos explications.

Et rappelez-vous que c'est lui qui ira en prison.

Premier point à éclaircir, et d'urgence : la question du délai. Expliquez-lui qu'il a le doit de demander ce délai, les risques que ça implique. Ne lui dites pas encore votre idée sur la chose, demandez-lui s'il peut contacter quelqu'un pour amener d'urgence des justificatifs de domicile. Vous avez le droit de téléphoner à ses proches, il n'est plus en garde à vue depuis longtemps, l'article 63-4 al. 5 du CPP ne s'applique plus. Évitez toutefois de lui passer directement le téléphone, vous ne savez pas ce qu'il va dire exactement, ce n'est pas la peine de vous retrouver mêlé par imprudence à des destructions de preuves. Mais téléphonez en sa présence, comme ça, votre interlocuteur aura confirmation que vous êtes bien l'avocat de l'intéressé. S'il a besoin d'un numéro de téléphone dans son portable ou des clefs de chez lui qui sont à sa fouille, allez voir le parquet qui fera extraire de sa fouille ce dont vous avez besoin.

Comme garantie de représentation, vous aurez besoin de tout papier prouvant son domicile : facture EDG/GDF/France Telecom récente, taxe d'habitation, contrat de bail et dernière quittance de loyer. Si ces documents ne sont pas à son nom, une attestation d'hébergement du titulaire (avec copie de la carte d'identité de l'auteur ; s'il est présent à l'audience, présentez aussi l'original à la barre). S'il a un travail, ses trois derniers bulletins de paie, son contrat de travail s'il y en a un écrit. S'il étudie, un certificat de scolarité, sa carte d'étudiant, et un relevé de notes récent prouvant son assiduité. Sinon, tout justificatif de sa situation (lettre du Pôle Emploi, dernier bulletin de paie). S'il a un CV récent, c'est parfait, sinon faites-en un simplifié. C'est un document utile aussi pour le parquet et le tribunal. Sachant que le tribunal aura horreur des longues périodes d'oisiveté, tâchez de les expliquer.

Une fois que vous êtes fixé sur la possibilité de les obtenir, faites le choix en accord avec le client. Comme je vous l'ai dit, c'est votre avis qui sera suivi. Mais expliquez-lui bien que vous ne pouvez garantir qu'il ressortira libre. Avec l'expérience, vous évaluerez de mieux en mieux les risques.

Si le choix est sur un délai, c'est terminé. Rendez-vous à l'audience.

Sinon, ou si vous n'êtes pas sûr d'avoir les pièces, préparez le dossier au fond avec lui.

Rappelez-lui ses déclarations. Ne lisez pas les PV in extenso. Il est crevé, il n'écoutera pas. Juste les passages clés (ceux que vous avez surlignés). Ah, un mot là-dessus. On s'est étonné sous le premier billet que je déflore ainsi les dossiers. Parce que les juges se gênent, peut-être ? La seule différence est que leurs Post-It™ sont coupés en deux et que leurs stabilos seront utilisés jusqu'à l'extrême usure. Mais n'oubliez pas que quelqu'un d'autre lira ce dossier. Ne stabilobossez que ce qui est utile à la défense.

Faites de même avec les déclarations des témoins et victimes. Demandez-lui ses explications en cas de divergence, s'il maintient en cas de convergence. Posez-lui les questions que vous aurez notées lors de l'analyse du dossier.

Et surtout ne le laissez pas s'embarquer dans des divagations interminables.

Autre écueil, celui du répétiteur. Vous n'avez pas à dire à votre client ce qu'il devra dire au tribunal. Surtout s'il vous le demande.

Si vous lui faites apprendre ce qu'il doit dire et faire, il aura tout oublié à l'audience, et si ça tourne au vinaigre, il n'hésitera pas à dire « c'est mon avocat qui m'a dit de dire ça ». Effet garanti. Et de toutes façons, ça ne passera pas. Ils ne sont pas les bons acteurs qu'ils imaginent. Vous voulez une preuve ? S'ils l'étaient, ils ne seraient pas ici.

S'il a bâti un baratin qui est une insulte à l'intelligence, démontez-le. Faites-lui comprendre que ça ne passera pas à l'audience. Les magistrats sont des professionnels, et on leur ment du matin au soir (et pas que pendant les plaidoiries). Ils développent un sixième sens. La fatigue de votre client peut lui provoquer un état d'euphorie le laissant penser que son histoire est irréfutable. Montrez-lui que ça ne tient pas. Là encore, il va vous falloir être diplomate. Il s'en faut de peu qu'il ne perde confiance en vous, croie que vous êtes contre lui, justice pourrie tout ça. Si vous voyez qu'il se vexe, expliquez-lui que vous vous mettez dans la peau du président pour le préparer, que ce que vous dites, c'est exactement ce que lui dira le président tout à l'heure, sauf que là, ça se passe entre vous et ça ne compte pas. Mais ne le laissez pas aller au casse-pipe avec une histoire qui ne tient pas sans avoir tout fait pour le convaincre de dire la vérité.

Oui, la vérité. En CI, comme ailleurs, et en CI plus qu'ailleurs, la vérité est souvent la meilleure défense.

Quand on dit la vérité, on ne se contredit pas, toute l'histoire est cohérente, ça donne le sentiment qu'on assume la responsabilité de ses gestes et si on est condamné, on l'est pour ce qu'on a fait. Parfois, le travail de l'avocat de la défense, c'est tout simplement ça : préparer son client à dire la vérité.

Une autre stratégie est celle dite du dossier vide, pour viser la relaxe. Si vous estimez que le dossier ne contient pas la preuve des faits, contentez-vous des dénégations du client. Présomption d'innocence : ce n'est pas à votre client de prouver son innocence, c'est au parquet de prouver sa culpabilité. Votre plaidoirie consistera à réfuter les indices et arguments du parquet, et invoquer le doute. Dites à votre client d'en dire le moins possible à l'audience : ce n'est pas moi, point. Des réponses courtes aux questions du tribunal.

Notez que les stratégies de la vérité et du dossier vide reviennent pour vous exactement au même lorsque le client est innocent.

À ce propos, attention à la présomption d'innocence. Ce terme a deux sens : le sens de règle de preuve, et le sens de “ on n'a pas le droit de présenter comme coupable quelqu'un qui n'a pas été condamné, il faut le traiter comme un innocent ”. Ce dernier sens, celui de l'article 9-1 du code civil, n'existe pas dans le prétoire. Votre client va entrer menotté, il sera surveillé par un gendarme, et trois jours de cellule lui auront donné une tête de tueur pervers. Considérez que votre client sera présumé coupable. Je sais que je fais bondir les magistrats qui me lisent. Mais c'est la vérité. Il faudrait un effort surhumain aux trois juges pour oublier où ils sont, oublier les 20 autres prévenus de la journée, la plupart coupables voire récidivistes, pour se remettre l'esprit comme une page blanche et se demander "Bon, celui-là, me prouve-t-on qu'il est coupable ?". Une bonne plaidoirie de relaxe doit viser à prouver l'innocence, ou du moins à saccager les preuves de la culpabilité de façon à ce qu'il n'en reste rien. Votre plaidoirie sera des coups de boutoir sur chacune des preuves invoquées par le parquet. De toutes façons, elles auront suffit à détruire ce qui restait de la présomption d'innocence - règle de preuve. La plaidoirie doit être offensive. Une plaidoirie défensive qui se contente de dire “ Je ne suis pas convaincu par les preuves et vous ne le serez pas non plus ” serait suicidaire.

Mais je m'avance, on n'en est pas encore là.

Dernière hypothèse : la plaidoirie de la peine.

Les faits sont établis et reconnus, pas de discussion là-dessus (hypothèse assez fréquente, en fait). Il faut préparer une plaidoirie sur la peine. SURTOUT s'il y a récidive. On peut écarter une peine plancher par une motivation spéciale. À vous de la fournir clés en main au tribunal. Brieffez votre client sur l'attitude à avoir. Assumer sa responsabilité n'est pas une attitude naturelle. L'attitude naturelle est le déni, l'atténuation. Ça passe mal, car dans la tête d'un juge, ça allume la loupiote « risque de réitération ». Et les avocats détestent cette loupiote. Elle est connectée à la loupiote « détention ». Expliquez à votre client que si quelqu'un doit dire que ce n'est pas grave, que la victime l'a cherché, que c'est la faute à la société, c'est vous, son avocat. Le code de procédure pénale ne prévoit pas encore qu'on puisse décerner mandat de dépôt à l'encontre de l'avocat (même si des syndicats de parquetiers lillois font pression en ce sens auprès de la chancellerie).

Le reste, c'est du droit pénal pur.

Voyez d'abord la liste des peines disponible (merci le Crocq). Voyez ce que les antécédents au B1 excluent. Profitez-en pour demander à votre client s'il n'a pas été jugé depuis sa dernière condamnation. ne lui demandez pas s'il a été condamné depuis, il risque fort de vous répondre non même si c'est oui (quand je vous dis qu'ils mentent même à leur avocat). Demandez-lui s'il est passé devant un tribunal. S'il répond oui, considérez qu'il y a encore une condamnation qui n'est pas inscrite. Et méfiez-vous, le parquet peut établir l'antécédent en produisant le jugement, c'est facile pour lui s'il a été rendu par le tribunal où vous vous trouvez (maudite Chaîne Pénale informatisée). Il m'a déjà fait le coup à l'audience. Assurez-vous dans ce cas que le jugement est contradictoire. S'il est contradictoire à signifier, demandez la preuve de la signification. S'il est par défaut, idem. Le jugement doit être définitif. Sinon, il ne constitue pas un antécédent au sens des lois Récidive I[1] et Récidive II[2]. Ça change beaucoup de choses. Révisez les règles sur les sursis(attention, billet antérieur à la loi Récidive II) et leur cumul (Bref rappel : pas de sursis simple d'emprisonnement s'il y en a déjà au casier ; deux SME max, un seul pour des violences volontaires) et de détention (rappel : le tribunal peut ordonner le maintien en détention —on ne parle pas de mandat de dépôt en CI sauf en cas de demande de délai— quelle que soit la peine ; il DOIT le faire sauf motivation spéciale en cas de récidive de violences volontaires).

Pensez aux peines alternatives, et complémentaires prononcées à titre principal : c'est possible : art. 131-11 du code pénal. Évitez de demander, pour un étranger sans papiers, une interdiction du territoire à titre principal. Ça implique placement en rétention, donc jusqu'à un mois de détention en centre, et ça fait obstacle à la régularisation. Au contraire, plaidez contre l'ITF, relevez les éléments qui peuvent permettre d'envisager une régularisation. Oui, il faut connaître un peu son CESEDA (je vous aide : c'est l'article L.313-11). L'avantage des peines alternatives et complémentaires est qu'elles échappent en grande parties aux règles sur les cumuls des sursis, puisqu'elles ne peuvent être assorties du sursis. Pensez au jour-amende, notamment.

Mettez au point avec le client une proposition de peine raisonnable (pas d'ajournement pour 5 kg de cannabis) qu'il accepterait, plutôt qu'une simple appel à la clémence qui n'aide pas le tribunal. Une proposition de peine originale et adaptée peut séduire le tribunal et éviter une peine de détention. Il faut impérativement connaître ce pan méconnu et méprisé du droit pénal (qui n'est généralement pas enseigné à la fac), et pourtant essentiel à la défense : le droit des peines.

Si vous plaidez la relaxe, évitez le subsidiaire sur la peine, par cohérence, sauf si c'est important (par exemple votre client est sans papier mais va se marier avec une française : faites un subsidiaire pour en cas de condamnation exclure l'ITF, en invoquant l'article L.313-11, 4° du CESEDA, ensemble l'article 8 et 12 de la CSDH).

Enfin, il existe encore des possibilités à exploiter pour la défense : faire citer un témoin (vous verrez que rien n'est plus facile en CI), demander des mesures d'instruction… Mais comme elles sont présentées à l'audience, je les laisse pour la saison 3.

Et pour finir, prenez encore une minute pour lui expliquer le déroulement de l'audience. Qui est qui, à qui s'adresser et comment (TOUJOURS au président, JAMAIS à la victime quoi qu'il arrive ; pas Votre Honneur, mais monsieur le président SAUF si c'est une femme auquel cas madame le président). Précisez-lui le schéma : constat d'identité - rappel de la prévention - demande si accepte d'être jugé tout de suite - discussion des nullités - interrogatoire sur les faits - victime - témoins - plaidoirie partie civile - réquisition - plaidoirie de la défense - dernier mot au prévenu, le tout en vingt à trente minutes. Préparez avec lui ce dernier mot qui peut être très opportunément qu'il n'a rien à rajouter.

Mais le temps passe, le temps passe, il est temps de filer à l'audience, pour le troisième épisode (qui ne sera pas le dernier, il y aura un quatrième, pour les victimes et leur avocat).

À suivre…

Notes

[1] Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

[2] Loi n°2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Le président de la République annonce une spectaculaire indulgence à l'égard des bandes

(NB : Il n'est pas impossible que ce billet ne soit pas dépourvu d'un brin d'ironie)

En visite à Gagny, le président de la république a respecté une tradition républicaine bien ancrée, baptisée un fait divers = une loi.

Une de ces mesures est cependant un formidable retournement de la politique pénale actuelle, et une forme de clémence à l'égard des bandes de banlieue.

Le président a annoncé que

L'appartenance à une bande "en connaissance de cause", ayant des visées agressives sur les biens et les personnes, sera punie d'une peine de 3 ans d'emprisonnement.

Or le code pénal connaît un délit baptisé l'association de malfaiteurs, qui est ainsi défini à l'article 450-1 :

tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

Sachant qu'un vol, des violences volontaires ou des destructions volontaires, commises en réunion, font toutes encourir 5 ans d'emprisonnement et sont donc couverts par l'association de malfaiteurs. Et que la jurisprudence n'est vraiment pas exigeante pour considérer constituée l'association de malfaiteurs.

Et l'association de malfaiteurs est punie de 5 ans d'emprisonnement, voire 10 ans si le délit envisagé est lui-même passible de 10 années de prison.

Ce nouveau délit, en vertu du principe que les textes spéciaux dérogent aux textes plus généraux, exclura l'application de l'association de malfaiteurs aux bandes et diminuera donc la peine encourue. Si j'approuve de manière générale la clémence, je ne suis pas sûr que ce soit ce que veut vraiment notre bien aimé président.

À moins que ces fameuses « visées agressives » n'impliquent même pas, dans l'esprit du président, l'existence de faits matériels de préparation de l'infraction. Il suffira donc d'avoir envie de commettre un délit sur les personnes et les biens pour être passible de trois ans de prison (avec un an minimum de peine plancher en cas de récidive). Je souhaite bon courage aux procureurs qui vont devoir apporter la preuve de l'élément matériel de l'infraction.

Ah, le législateur au travail. Une source perpétuelle d'émerveillement.

mercredi 18 mars 2009

La (Bonne) Parole est à la défense

Je repousse à demain mon deuxième épisode du vademecum des comparutions immédiates pour réagir à trois attaques médiatiques portées coup sur coup à l’encontre de l’Église catholique. Je suis assez sidéré par la véritable désinformation, je pèse mes mots, sur ce sujet. Car une telle déformation des faits ou des propos tenus par des journalistes ne peut relever de l’incompétence professionnelle : à ce point, on ne peut même pas imaginer qu’une décision initiale de recrutement ait été prise.

Je vais les prendre par ordre chronologique, en les formulant d’abord telles qu’elles ont été présentées :

— L’ Église aurait réintégré un évêque négationniste ;

— Elle aurait excommunisé une fillette de 9 ans qui a avorté après avoir été victime d’un viol ;

— Enfin le Pape aurait, je cite le site de France Info, contesté l’efficacité du préservatif.

Avec à la clé, micro-trottoir de catholiques qui se disent déboussolés, on le serait à moins. (Full disclosure : je suis moi-même catholique).

Alors qu’un minimum de recherches sur ces points révèlerait ceci.

Sur l’affaire Williamson.

Richard Williamson n’est pas, n’a jamais été et n’est toujours pas à ce jour évêque catholique.

Il a été consacré sans mandat pontifical par Marcel Lefèbvre, le 30 juin 1988, au nom de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX), mouvement schismatique intégriste opposé au convile de Vatican II et à la modernisation de l’Église. Cet acte a été considéré par l’Église comme schismatique et dès le lendemain, 1er juillet, Marcel Lefèbvre a été excommunié latæ sententiæ (par ce seul fait). Donc sa consécration est, aux yeux de l’Église, nulle et de nul effet, ce d’autant que Lefèbvre était déjà suspendu de ses fonction (on dit a divinis) depuis… 1976. J’ajoute que le pape est bien placé pour connaître la situation, puisque c’est lui, alors encore cardinal, qui a tenté de parvenir à un accord avec Lefèbvre pour éviter la rupture : il a signé avec Lefèbvre un accord le 5 mai 1988, et Lefèbvre a rétracté sa signature et procédé à la consécration.

Le pape n’a jamais abandonné l’espoir d’une réunification (réunification dont, je ne vous le cache pas, les fidèles catholiques sont très modérément demandeurs : on n’a rien contre le pardon, mais à condition que l’erreur soit reconnue, et la position de la FSSPX est plutôt de dire qu’elle pardonne à l’Église son erreur…).

Dans ce cadre de rapprochement, et comme signe de bonne volonté, le 21 janvier dernier, l’Église a levé l’excommunication frappant les quatre évêques de la FSSPX, dont Richard Williamson, sans contrepartie. Cela n’a aucun effet sur la consécration de ce dernier, qui est toujours aussi nulle et de nul effet. La levée de l’excommunication permet à Richard Williamson (que je me refuse à appeler monseigneur) de recevoir les sacrements de l’Église. Comme simple fidèle.

Fatalitas, une semaine plus tôt le 1er novembre 2008, Richard Williamson a tenu des propos clairement négationnistes à l’égard de la Shoah, et diffusés… le 21 janvier. D’où le pataquès.

L’Église est-elle donc au-dessus de toute critique ? Certainement pas. Comme le relève Koztoujours (dont je vous recommande l’entier billet sur la question) :

Car, à la question du Grand Rabbin Bernheim : le Vatican pouvait-il ignorer le négationnisme de Williamson ?, je crains de devoir répondre “non“. Celui-ci n’a fait que répéter des propos tenus préalablement au Canada. A la question : le Vatican pouvait-il retarder la publication du décret levant l’excommunication ?, sauf à ce que des vaticanistes avisés me détrompent, il me semble bien que la réponse devrait être “oui“. Les choses n’eurent-elles pas été profondément différentes si Monseigneur Fellay - qui multiplie maintenant les déclarations apaisantes - avait pu mettre à profit ce léger report pour sanctionner Williamson (en supposant que tel aurait été le cas) ? Certes, nous aurions manqué une date symbolique mais allez, l’un dans l’autre, je me serais passé du symbole.

L’Église s’est d’ailleurs fendue d’un communiqué précisant que cette levée de l’excommunication « ne signifiait pas de soi le retour à la pleine communion du mouvement intégriste, et qu’elle ne pouvait se faire que dans le respect de l’enseignement du Concile Vatican II », ce qui est la pomme de discorde, encore bien mure. J’aurais préféré une réaction plus ferme encore, ou une attitude plus prudente au préalable.

Mais voilà les faits : l’Église a levé une sanction contre un ancien prêtre, sans pour autant le réintégrer dans la prêtrise, ni dans l’Église, et bien sûr sans reconnaître son titre d’évêque. Cette levée relève d’un processus collectif de négociation avec un mouvement schismatique et est totalement indépendant des propos et opinions négationnistes de William Richardson, que l’Église a expressément réprouvés. Elle a néanmoins été maladroite et imprudente, dans un processus sur lequel on peut émettre des réserves (personnellement, j’en ai à revendre). Mais c’est pas vendeur, coco. Alors on va plutôt titrer que l’Église a réintégré un évêque négationniste. C’est faux, mais on va faire un tabac sur le lectorat anticlérical. Déjà que le pape est allemand et a appartenu aux jeunesses hitlérienne, si avec ça, on vend pas du papier, c’est que les NMPP nous auront fait le coup de la grève.

L’excommunication de la fillette

Au Brésil, une fillette de neuf ans, enceinte de jumeaux issus de son viol répété par son beau-père, avorte, notamment parce que cette grossesse met sa santé en danger, pour des raisons évidentes.

L’archevêque de Recife (et non le Pape) va prononcer à cette occasion une excommunication, non pas de la fillette mais de sa mère (qui a décidé de l’avortement) et de l’équipe médicale qui y a procédé. En tant que catholique, quand j’ai entendu la nouvelle, j’ai pensé, comme sans doute tous les catholiques : « Monseigneur, avec tout l’amour du Christ, vous êtes trop c… ».

la preuve que je ne suis pas le seul : l’excommunication a été annulée par la Conférence des Évêques du Brésil, et que le Vatican a pris position, version française, très clairement par la voix du président de l’Académie pontificale pour la Vie :

Carmen devait être avant tout défendue, embrassée, caressée avec douceur pour lui faire sentir que nous étions tous avec elle ; tous, sans aucune distinction. Avant de penser à l’excommunication, il était nécessaire et urgent de sauvegarder sa vie innocente et de la ramener à un niveau d’humanité dont nous, hommes d’Église, devrions être experts et maîtres dans l’annonce. Cela n’a malheureusement pas été le cas, et la crédibilité de notre enseignement s’en ressent, qui apparaît aux yeux de beaucoup comme insensible, incompréhensible et sans aucune miséricorde.

C’est vrai, Carmen portait en elle d’autres vies innocentes comme la sienne, même si elles étaient le fruit de la violence, et qui ont été supprimées ; mais cela ne suffit pas pour porter un jugement qui tombe comme un couperet. (…)

Carmen, nous sommes avec toi. Nous partageons avec toi la souffrance que tu as éprouvée, nous voudrions tout faire pour te rendre la dignité dont tu as été privée et l’amour dont tu auras encore plus besoin. Ce sont d’autres personnes qui méritent l’excommunication et notre pardon, pas ceux qui t’ont permis de vivre et t’aideront à retrouver l’espoir et la confiance. Malgré la présence du mal et la méchanceté de beaucoup.

Mais, ça, pareil, pas vendeur, vous aurez du mal à trouver une mention dans la presse (sauf La Croix et Ouest-France). Pas vendeur, trop compliqué, il faut des méchants méchants. Là encore, il y a au départ une attitude critiquable au départ, avec une présentation biaisée, voire fausse.

Le préservatif inefficace.

Tollé, scandale : ça faisait des années qu’on attendait que le pape prononce le mot préservatif (Jean-Paul II ne l’a jamais fait, même si depuis 1993, on l’accuse d’avoir interdit l’usage du préservatif…).

Voici précisément ce qu’a dit le Pape :

Je dirais qu’on ne peut pas résoudre le problème du SIDA avec l’argent, même s’il est nécessaire. On ne peut pas résoudre le problème du SIDA avec la distribution de préservatifs ; au contraire elle aggrave le problème. la solution est double : d’abord, une humanisation de la sexualité, un renouveau spirituel, humain, intérieur, qui permet ainsi de se comporter différemment avec les autres. Et deuxièmement, une amitié, une disponibilité pour les personnes qui souffrent.

Je ne sais pas par quel miracle cette phrase est devenue : « je dis que le préservatif est inefficace contre le SIDA, surtout n’en mettez pas en cas de relation sexuelle passagère ». Mais le miracle a eu lieu.

Donc, le Pape dit que la distribution de préservatif n’est pas la solution au problème du SIDA en Afrique.

En effet, depuis 2009 ans, l’Église prône la chasteté. Pas de relation sexuelle avant le mariage, pas de relation sexuelle hors mariage. Une relation sexuelle hors de ce cadre est pour elle un péché. Ajoutons à cela que pour elle, toute relation sexuelle doit laisser une chance à la vie. Donc, l’Église est hostile à la contraception mécanique ou chimique.

Vous n’êtes pas d’accord ? Libre à vous (quoique si vous n’êtes pas catholique, je me demande bien ce que ça peut vous faire, mais bon…). Mais admettez que la position de l’Église a le mérite de la cohérence, et que la fidélité à un partenaire unique est une parade efficace à l’épidémie (des milliards d’êtres humains vivent comme cela et ne sont pas porteurs du virus).

Le reproche, fait violemment, à l’Église est de ne pas promouvoir l’usage du préservatif. Mince alors, l’Église ne fait pas la promotion du péché ! C’est dingue, ça. Et là où ça devient ignoble, c’est de jeter à la face du pape les millions de morts et de malades de l’Afrique en laissant entendre qu’il tient une part de responsabilité dans cette tragédie. Il est vrai que face à l’horreur, il est apaisant de trouver un coupable à blâmer. On se sent mieux. C’est rassurant.

Mais le pape est le chef de l’Église (et non le représentant de Dieu sur terre comme je le lis encore régulièrement) : ses propos s’adressent aux catholiques. Insinuer que des non catholiques vont suivre ses instructions est ridicule, mais surtout, penser que des personnes vont comprendre ce propos comme : « Ayez des relations sexuelles multiples avec plusieurs partenaires si vous voulez, mais SURTOUT, ne mettez pas de préservatifs, jamais, ça ne sert à rien, et au contraire, ça peut vous donner le SIDA » est absurde, et insultant pour l’intelligence des Africains.

À moins bien sûr qu’ils ne lisent la presse française.

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