Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 19 novembre 2009

Le brigadier Guissé est bien français

La cour d’appel de Rouen vient de confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de grande instance de la même ville qui avait débouté le parquet de sa demande de contestation de la nationalité formée à l’encontre du brigadier Ounoussou Guissé (voir ce billet pour les détails de l’affaire). Le parquet est déclaré forclos à agir, les faits invoqués ayant plus de trente ans, qui était l’ancien délai de prescription de droit commun (rappel : il est désormais de cinq ans). C’est à dire que la cour d’appel approuve les juges qui ont dit que la question de la nationalité du père du brigadier Guissé ne se pose même pas, le parquet ayant trop attendu pour se la poser.

Vous pourrez relire avec profit dans ce deuxième billet sur l’affaire le communiqué du ministère des Auvergnats En Surnombre, il prend avec le recul une certaine saveur.

Et pour le coup de pied de l’âne, qu’il me soit permis de faire remarquer à notre excellent ministre qu’avant de parler d’identité nationale, il faudrait peut-être qu’il apprenne à reconnaître un Français quand il en voit un. Surtout s’il porte l’uniforme de l’Armée dans un théâtre d’opération hostile et ce faisant expose sa vie. C’est plus que ce que ceux qui lui contestaient sa nationalité ont fait eux-même.

Peut-être que maintenant, la France pourra permettre à son citoyen de faire venir son épouse et ses enfants, ce qui lui était jusqu’à présent refusé par le pays qu’il sert et pour lequel il s’est battu.

Tout est bien qui finit bien ? Non. Dans cette affaire, le déshonneur des ministres de l’Immigration (qui s’est mêlé d’une affaire qui ne relève pas de ses attributions pour se faire mousser), de la Justice (qui a piloté l’action en justice) et des Affaires étrangères (qui refuse depuis des années l’entrée du territoire à deux enfants français donc) demeure. Je ne suis pas sûr qu’il se prescrive, même par trente ans.

mardi 13 octobre 2009

Assez français pour se faire tirer dessus : l’affaire Guissé

Je vais vous parler aujourd’hui d’Ounoussou Guissé.

Celui que je traiterai dans ce billet comme mon compatriote, car au-delà de la controverse juridique que je vais vous expliquer, quiconque s’expose au feu parce qu’il porte l’uniforme de l’armée française est irréfragablement réputé français à mes yeux, ce brigadier au 1er régiment de hussard parachutiste, qui a servi en Afghanistan a eu la désagréable surprise de se voir assigner par le parquet de Rouen afin de voir constater son extranéité, c’est-à-dire le fait qu’il n’était pas français mais sénégalais.

J’avais déjà abordé le droit de la nationalité dans un précédent billet, où déjà plusieurs de nos concitoyens qui avaient des racines juives et algériennes se voyaient tracassés par l’administration, droit de la nationalité qui est un droit d’une particulière complexité du fait de la succession des lois sur ce sujet, succession qui traduit notre rapport passionnel, et donc irrationnel, à cet état. 

En effet, on acquiert la nationalité française une fois pour toute, en vertu de la loi en vigueur au jour où se produit l’événement donnant la nationalité, qui se transmet ensuite de parent à enfant. C’est donc un droit où on est amené à exhumer des textes forts anciens et depuis longtemps abrogés pour voir si en leur temps, ils n’avaient pas eu à s’appliquer à l’ancêtre d’une personne dont la nationalité française fait débat.

Tel est ici aussi le cas.

Bondissons tel le saumon à rebours du courant du temps pour frayer avec le droit. Jusqu’en 1960, si vous le voulez bien. Cette année là, le 20 juin 1960 (c’était un lundi), le soleil s’est levé sur un Sénégal libre et indépendant. Mais il ne s’est pas levé sur Daouda Guissé, futur père de notre futur hussard, qui se trouvait en France depuis le mois de mars de cette même année, sur le territoire métropolitain s’entend. Et c’est très important pour la suite.

En effet, le code de la nationalité alors en vigueur (ordonnance du 19 octobre 1945 dans sa rédaction issue de la loi du 28 juillet 1960) disposait en son article 13 que (je simplifie) les personnes domicilié ce lundi 20 juin sur le territoire du Sénégal étaient sénégalaises sauf :
- les personnes nées sur ce qui serait encore le territoire français le 28 juillet 1960 (qu’on appelle les originaires) et leurs enfants ;
- les personnes nées sur le territoire désormais sénégalais mais ayant leur domicile sur le territoire Français (tel qu’il se présentait le 28 juillet 1960, date de référence), j’attire votre attention sur cette catégorie, j’y reviens ;
- les personnes nées sur le territoire sénégalais mais ayant souscrit une reconnaissance de nationalité française.
- Tous ceux qui par la force des choses ne pouvaient acquérir une autre nationalité ce matin-là (règle de la voiture-balai). 

Et ce lundi matin là, le soleil de l’indépendance ne se lève pas sur Daouda, puisqu’il est en Normandie (il pleut donc) et s’en va travailler comme chaque jour. Ce matin-là, étant en France, il se réveille français.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais le tribunal d’instance de Rouen le 6 août 1962 qui lui délivre un certificat de nationalité française.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et Daouda est un français comblé, et plusieurs fois comblé puisque, tel un président de la République, il a plusieurs épouses (sauf que Daouda, lui, les a simultanément). Et je crois que son trop grand bonheur conjugal sera à l’origine des malheurs de son fils.

Car si Daouda est l’heureux époux de toutes ces magnifiques sénégalaises, elles vivent sous le soleil du pays tandis que lui affronte la rigueur basse-normande. C’est ainsi qu’Ounoussou Guissé naquit des œuvres de son père le 13 octobre 1982 (c’était un mercredi) — joyeux anniversaire, cher compatriote— au Sénégal. 

La fée du droit qui se pencha sur son berceau récita la formule magique : « Tu es français car né d’un père français, in nomine article 17 du Code de la nationalité, en sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, ton père étant français le jour de ta naissance non plus en vertu de l’article 13 désormais abrogé mais de l’article 153 dudit code, interprété a contrario[1].(Mes lecteurs auront reconnu Sub Lege Libertas dans le rôle de la fée du droit).

Son père, pour s’en assurer, va solliciter et obtenir pour son fils un certificat de nationalité française du tribunal d’instance de Rouen le 20 février 1990, s’appuyant sur un nouveau certificat de nationalité qu’il avait obtenu en avril 1989, après avis positif de la Chancellerie. 

Il en obtiendra même un deuxième le 15 novembre 1999 du même tribunal. Bref, l’administration a dit par deux fois à Daouda Guissé qu’il était français, et par deux fois à son fils qu’il l’était. Et la République n’a qu’une parole. C’est pourquoi elle bien obligée de la reprendre.

En 2002, notre ami et encore compatriote Ounoussou s’engage sous les drapeaux du premier régiment de Hussards Parachutistes, basé à Tarbes, dont les ancêtres, pas encore parachutistes, ont combattu à Valmy, Jemmapes, Castiglione, Sebastopol, entre autres faits d’arme, et dont la devise est : Omnia si perdas, famam servare memento (Si tu as tout perdu, souviens toi qu’il te reste l’honneur).

Il va servir en Afghanistan en 2007-2008 où son comportement ne lui vaudra que des louanges. Il atteindra le grade de Brigadier.

Mais voilà. Depuis 1993 et le tournant des lois Pasqua, la République fait la chasse aux faux français. La décolonisation a été un tel foutoir que des gens sont devenus français sans vraiment en remplir les conditions (ce qu’eux même ignoraient d’ailleurs). Et le parquet de Rouen, suivant en cela les instructions générales de la Chancellerie, je tiens à le préciser (un procureur de la République aujourd’hui est autant capable d’initiative individuelle que l’attaque de l’équipe de France de football sous Domenech, c’est dire), va contester la nationalité d’Ounoussou Guissé. 

Le raisonnement est le suivant.

Ounoussou est né au Sénégal d’un père né en Afrique Occidentale Française devenue le Sénégal pour cette portion. Pour qu’il soit français, il faut donc que son père Daouda ait été français à sa naissance ou ait acquis la nationalité avant ses 18 ans.

Pour que Daouda ait été français en 1989, il fallait qu’il eût son domicile en France le 20 juin 1960, date de l’indépendance. Or la jurisprudence de la cour de cassation, inspirée sur ce point par un vent mauvais, a créé le concept de domicile de nationalité distinct du domicile civil au sens des articles 102 et suivants du Code civil. Par des décisions répétées des 20 décembre 1955, 9 janvier 1957, 25 juin 1974 et en dernier lieu du 28 janvier 1992, la cour définit le domicile de nationalité comme d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles.

Vous avez compris. Le parquet constatant que Daouda Guissé avait non pas une mais plusieurs épouses et que celles-ci vivaient semble-t-il au Sénégal puisque tous les enfants de l’intéressé y étaient nés, il estime que son domicile de nationalité était en fait au Sénégal, et que l’article 13 du Code de la nationalité devenu l’article 153 modifié a contrario n’avait pu jouer. 49 ans après, le parquet estime que Daouda Guissé n’avait jamais été français et que par voie de conséquence son fils ne l’avait jamais été non plus. Cachez moi cet uniforme que vous ne sauriez porter, brigadier. Et comme on dit chez vous, Nationalitas si perdas, famam servare memento.

Mais on n’abat pas comme ça le hussard sur le droit.

Le procureur de la République s’est, comme on dit en termes juridiques, fait bananer en première instance. Le tribunal de grande instance lui a dit qu’il est bien gentil de se réveiller en 2006, mais que la prescription, c’était trente ans à l’époque. Il aurait dû se réveiller dans les 30 ans qui ont suivi la délivrance du certificat de nationalité de 1962, soit en 1992 au plus tard. 

Que croyez-vous qu’il arriva ? Le parquet fit appel, et c’est cet appel qui a été examiné par la cour d’appel de Rouen. Le délibéré sera rendu une semaine après la commémoration de l’Armistice de 1918 (tiens, le régiment du brigadier Guissé s’est illustré à la bataille de la trouée de Charmes et à la deuxième bataille de l’Aisne pendant la Grande Guerre), le 18 novembre prochain.

À ce stade du récit, je dois confesser mon impuissance à comprendre cet acharnement du parquet à vouloir dépouiller de sa nationalité un de nos soldats, au comportement exemplaire, et qui est allé à un endroit ou porter un drapeau cousu sur l’épaule vous expose aux balles, aux bombes et aux couteaux. 

D’autant plus que le bien fondé de l’action du parquet m’apparaît assez douteux. Nul ne conteste que le père d’Ounoussou Guissé a résidé en France de mars 1960 à 1975. Ce qui semble indiquer qu’il y avait bien son domicile. 

Il y avait pourtant une issue élégante : ne pas faire appel. Il y en d’autres, moins élégantes. L’article 21-13 du Code civil lui permettra, en cas de perte de la nationalité, de la récupérer aussitôt par la possession d’état. Il peut aussi bénéficier d’une naturalisation-éclair selon la procédure dite Carla Bruni. 

Donc Ounoussou Guissé restera français ou au pire le redeviendra. Alors pourquoi le faire passer par cette humiliante procédure ? 

Et comme la République ne fait jamais les choses à moitié, non seulement elle lui conteste sa qualité de français sur le plan judiciaire, mais sur le plan administratif, cela fait un an qu’il demande à faire venir sa fiancée en France pour pouvoir l’épouser. En vain, le consulat général de France à Dakar refuse le visa à sa fiancée, et ce malgré les interventions de Jean Glavany, député SRC de Tarbes. 

Ounoussou Guissé est juste assez français pour se faire tirer dessus. Pour pouvoir voter ou épouser celle qu’il aime, la République qu’il sert le prie gentiment d’aller se faire voir.  

Contrairement à son président, la République est bien ingrate envers ses enfants. 

Notes

[1] L’article 153 disposait que les personnes non originaires domiciliées sur un territoire accédant à l’indépendance pouvait recouvrer par déclaration la nationalité française si elles établissaient préalablement leur domicile en France. A contrario, on en déduisait que les personnes non originaires domiciliées en France avaient gardé leur nationalité et n’avaient donc pas à souscrire de déclaration.

jeudi 8 octobre 2009

P*** de voyage !


par Sub lege libertas



Il y a peu l’actualité conduisait à s’interroger sur l’application de la loi pénale dans le temps, quand il s’agissait de réprimer les infractions sexuelles. Or voici que le sexe raidit à nouveau l’opinion : Frédéric Mitterrand avant d’être ministre et directeur de villégiature romaine avait une mauvaise vie confessée ou romancée qui lui faisait goûter de s’avilir dans des amours tarifiées en Thaïlande. Je ne sais si Satan l’habite, mais en guise d’exorcisme, certains le rêvent déjà en route pour les geôles de la République[1]. Là encore revenons aux textes légaux avant de délirer sur ceux du romancier.

interlude

Rappelons au préalable que le procureur que je suis répugne à considérer que le récit livré à la publication par Frédéric Mitterrand de sa Mauvaise Vie soit un procès verbal de déclarations circonstanciées devant un enquêteur de police. L’auteur en question indiquait lui même lors de sa parution qu’il puisait sa source dans ses expériences et sa vie mais que pour autant, faisant oeuvre de littérature - ce dont je ne jugerai pas ici, le personnage de son livre était un être de fiction condensant aussi ses fantasmes et ses désirs dans le récit de leur assouvissement. Je ne peux rien pour ceux qui ne peuvent s’empêcher de croire que Sherlock Holmes vit réellement au 221 bis Baker Street et qui lui écrivent. Il est donc également inutile de préciser que Donatien Alphonse François marquis de Sade n’a pas réellement mis en oeuvre l’intégralité des pratiques sexuelles et autres déviances qu’il relate dans Les Cent Vingt Journées de Sodome, manuscrit de l’embastillé qui fantasmait la liberté jusqu’à la mort quand ses journées ne lui laissaient que l’enfermement, la plume et sa main.

fin de l’interlude

Je laisse de côté le roman de Frédéric Mitterrand et je construis donc un sujet d'étude. Faisons l’hypothèse d’un individu âgé de 62 ans, français de nationalité, qu’on prénommera Frédéric pour brouiller l’écoute, qui se rend en Thaïlande ; là-bas, contre rémunération, il a des relations sexuelles orales et anales avec deux garçons pubères, un prénommé Paitoon qui se fait appeler Moon[2], âgé de 14 ans, et le second Boon-nam, alias Lucky[3], âgé de 16 ans. À son retour de Patpong, notre Frédéric peut-il être poursuivi en France et pour quelles infractions ?

L’article 113-6 du Code pénal nous donne les pistes à suivre :

La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République.
Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis.

Le Frédéric de notre histoire a-t-il commis un crime ? Spontanément, le mékeskidi pense au viol. Il ne fait aucun doute que la fellation et la sodomie imposées constituent depuis 1980 dans notre droit un viol. Maître Eolas qui intervient au soutien des intérêts de Frédéric disconvient respectueusement en soulignant que s’agissant de relations tarifées, bref de prostitution, le client Frédéric n’a rien imposé, il a consommé. Comme Sub lege libertas rêve à voix haute (cela s’appelle requérir, je sais), il tient tout de même à introduire une distinction selon qu’on parle de Paitoon ou de Boon-nam, car le dernier a certes quinze ans révolus (il est, comme disent les mékeskidis, majeur sexuellement) mais l’autre non.

Paitoon n’a donc que 14 ans. Certes, il déclarera devant les policiers thaïlandais qu’il a fait le choix de se prostituer librement pour permettre à sa famille d’acquérir un motoculteur pour labourer ses rizières. Mais, il n’est pas impossible de penser que devant une cour d’assises française, on tente de soutenir qu’en deçà de quinze ans en France on ne peut consentir valablement à des relations sexuelles, que ce mineur ne “consent” à ces relations sexuelles tarifées qu’à raison de la contrainte morale qui s’exerce sur lui, isolé des siens dans son bordel, tenu par un système de dette etc.

Cependant, cette analyse reste hasardeuse, et Maître Eolas rappellera très justement que si le législateur en France a prévu une incrimination spéciale de délit pour un majeur auteur d’atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans[4] sans violences, ni menace, ni contrainte, ni surprise, c’est bien qu’il accepte l’idée qu’un mineur de quinze ans puisse consentir à des gestes sexuels, mais que cela reste interdit si le partenaire est majeur. Donc prudence... et la loi pénale est d’interprétation stricte. La Cour de cassation a d’ailleurs régulièrement rappelé que si le viol est aggravé par la circonstance que la victime est âgée de moins de quinze ans, le simple fait que la victime soit âgée de moins de quinze ans ne suffit pas à établir son défaut de consentement...

Le viol est donc une piste pénale trop hasardeuse pour chercher noise à Frédéric dans ses aventures thaïes. Nous aurait-on menti ? Le tourisme sexuel avec des mineurs rémunérés, disons tout de même âgés de plus de quinze ans, serait-il légal ? Avant de vous précipiter pour vomir ou réserver une place dans le prochain vol pour Bangkok, lisez avec moi l’article 225-12-1 du Code pénal :

Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de trois ans d'emprisonnement et 45000 euros d'amende.

Mieux l’article 225-12-2 du même Code pénal nous précise :

Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euro d'amende (...) lorsque l'infraction est commise de façon habituelle ou à l'égard de plusieurs personnes (...)
Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans.

Ceux qui se gaussent déjà en pivotant sur leur chaise parce qu’ils imaginent que je vais devoir leur réciter aussi le Code pénal thaïlandais vont être déçus ! Certes ils ont bien retenu que pour les délits commis par des Français hors du territoire de la République, la poursuite n’est possible en France que si la même incrimination existe dans la loi du pays où l’infraction est commise. Mais le sexe est un domaine d’exception. Et plutôt que de lire le thaï, je vous détaille l’article 225-12-3 du Code pénal :

Dans le cas où les délits prévus par les articles 225-12-1 et 225-12-2 sont commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 (...)

Et voilà comment on évacue la nécessité de la double incrimination en français et en thaï dans le texte. Frédo maintenant ne sourit plus, il commence frénétiquement à effacer le récit de son séjour thaïlandais de la mémoire de son ordinateur.

Mais comme il lit avec attention le blog de son conseil, il l’appelle après avoir relu les billets de Sub lege libertas sur la prescription pour les infractions sexuelles. “Dites, Maître, pour reparler de mon séjour en Thaïlande... vous me dites que Sub lege libertas veut me poursuivre pour recours à la prostitution de mineur devant son Tribunal embrumé de province où j’ai le malheur d’habiter. Mais vous allez pouvoir disconvenir respectueusement. Car en fait, je ne reviens pas de Thaïlande depuis fin août, mais j’y suis allé il y a plus de trois ans. Et donc c’est prescrit non ?” Maître Eolas accablé, lui suggère alors de lire ici ce qui suit.

Les délits des articles 225-12-1 et 225-12-2 du Code pénal sont visés par l’article 706-47 du Code de procédure pénale. Et ... l’article 8 du Code de procédure pénale dit que pour les délits visés en 706-47 non encore prescrits le 10 mars 2004, la prescription de l’action publique ne commence à courir qu’à la majorité de la victime et le délai est de 10 ans... Frédo a mal au crâne. Il se dit qu’il va en Thaïlande depuis des années. Il n’est même pas soulagé d’apprendre que le délit de l’article 225-12-1 a été créé par la loi du 4 mars 2002 , que donc ses voyages antérieurs resteront impunis. On murmure à mon oreille que le romancier Frédéric M., interloqué par la fouille curieuse de son passé, fait vérifier la date de son dernier voyage thaïlandais.

Notes

[1] Un syndicat de policier aurait saisi aujourd'hui le Parquet de Paris pour dénoncer son tourisme sexuel

[2] Paitoon est un prénom thaïlandais qui signifie Pierre de lune

[3] Boon-nam signifie Bonne fortune

[4] en droit et en français chatié, l'expression mineur de quinze ans signifie mineur âgé de moins de quinze ans, donc n'ayant pas atteint son quinzième anniversaire

mardi 29 septembre 2009

Quelques mots sur l'affaire Polanski

Les plus attentifs de mes lecteurs auront peut-être entendu parler de cette affaire dont les médias se sont discrètement fait l’écho : un cinéaste français a été interpellé en Suisse et placé en détention, à la demande des États-Unis d’Amérique, en raison d’une affaire de mœurs remontant à la fin des années 70.

Un petit point juridique sur la question s’impose pour mes lecteurs qui n’étant pas ministre de la culture désireraient avoir un point de vue éclairé sur la question.

Roman Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice américaine. Un mandat d’arrêt international est une demande émanant forcément d’une autorité judiciaire (en France, un juge d’instruction ou une juridiction répressive) et relayée par voie diplomatique, s’adressant à tous les autres États, d’interpeller telle personne et de la lui remettre. Le vocabulaire juridique parle d’État requérant et d’État requis.

En principe, un mandat d’arrêt international, restant un acte interne à l’État requérant, ne lie pas les autres États requis. Mais de nombreuses conventions internationales, bilatérales (liant deux États entre eux) ou multilatérales (liant plusieurs États : il y en a une en vigueur en Europe, en Afrique de l’Ouest, au sein de la Ligue Arabe, en Amérique du Nord, etc…), dites de coopération judiciaire, sont intervenues pour rendre obligatoire l’exécution de ce mandat par l’État requis. Ces conventions ne sont pas signées avec n’importe quel État : la France n’a par exemple pas de convention d’extradition avec l’Iran ou avec la Corée du Nord. Dans notre affaire, il s’agit du Traité d’extradition entre les États-Unis d’Amérique et la Confédération Helvétique signée à Washington le 14 novembre 1990 (pdf).

Concrètement, le mandat est notifié aux autorités du pays où se trouve la personne visée, ou enregistrée dans une base de données internationale, la plus connue étant celle de l’Organisation Internationale de police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol. Quand une personne se présente à la frontière, la police vérifie sur la base de son passeport si la personne est recherchée (les passeports actuels permettent une lecture optique, le contrôle ne prend que quelques secondes). En cas de réponse positive, la personne doit être interpellée, la police n’a pas le choix.

Le droit interne s’applique alors. Je ne connais pas le droit suisse en la matière, mais on peut supposer qu’il est proche du droit français en la matière. Le mandat d’arrêt vaut titre provisoire d’incarcération, généralement de quelques jours, le temps pour les autorités de notifier à la personne le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet, qu’elle sache qui a ordonné son arrestation et pourquoi. C’est capital pour les droits de la défense et le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté immédiate. Le détenu a naturellement droit à l’assistance d’un avocat. 

Le détenu est ensuite présenté à un juge qui va s’assurer que la notification a été faite et demander à l’intéressé s’il accepte d’être remis à l’État requérant (auquel cas son transfèrement est organisé dans les délais prévus par la loi, là aussi sous peine de remise en liberté immédiate. S’il refuse, le juge statue sur une éventuelle remise en liberté surveillée, et l’intéressé peut contester le mandat d’arrêt. 

Les arguments que l’on peut soulever sont divers. La régularité de forme, tout d’abord : le mandat d’arrêt international doit être conforme à la convention internationale liant l’État requérant à l’État requis, sinon ce n’est pas un mandat d’arrêt international. Classiquement, il doit indiquer l’autorité émettrice, la date d’émission, la nature des faits qui le fondent, et les textes de loi interne réprimant ces faits. Un État requis peut refuser une extradition pour certains motifs, qui généralement figurent dans la convention d’exclusion. Classiquement, ce sont les délits politiques (terrorisme exclu) et les faits qui ne constituent pas une infraction dans la loi de l’État requis, ainsi que le fait pour le détenu d’avoir déjà été jugé par un autre État pour ces mêmes faits : c’est la règle non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits (l’appel n’est pas un deuxième jugement mais une voie de recours). L’intéressé peut également soulever que le châtiment auquel il est exposé est illégal. L’Europe n’extrade pas quelqu’un exposé à la peine de mort, mais elle extrade si l’État requérant fournit des garanties que cette peine ne sera pas prononcée ou exécutée. Et oui, les États requérants (vous vous doutez que je parle surtout des États-Unis) tiennent parole, sous peine de se voir refuser toutes leurs futures demandes d’extradition.

Je passe sur le droit français qui est encore plus compliqué puisqu’il connait une phase judiciaire et une phase administrative, la cour de cassation et le Conseil d’État pouvant connaître du même dossier d’extradition (Cesare Battisti a fait le tour des juridictions françaises avant de faire le tour du monde).

Enfin, il existe un principe fondamental : un État n’extrade jamais ses ressortissants. C’est contraire à la protection qu’il doit à ses citoyens. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont l’abri de poursuites dans leur État d’origine.

J’ajoute que depuis 2004, le droit européen (de l’UE s’entend) a créé le mandat d’arrêt européen, qui exclut toutes les règles de l’extradition, notamment l’interdiction d’extrader un national. Il est de fait plus proche du mandat d’arrêt interne que du mandat d’arrêt international. Ce qui est conforme à la logique d’intégration européenne. Je me méfie autant des juges espagnols et allemands que Français, mais pas plus (c’est assez suffisant comme ça).

Et je crois nécessaire d’ajouter qu’aucune loi ni convention internationale ne prévoit d’immunité pour les artistes, oscarisés ou non.

Ah, une dernière précision ,décidément, on n’en a jamais fini : l’extradition ne se confond pas avec le transfèrement : ce terme concerne des personnes purgeant une peine dans un État autre que le leur, et prononcé par cet État. Le transfèrement vise à permettre au condamné d’être rapatrié dans son pays pour y purger sa peine. C’était le cas des condamnés de l’Arche de Zoé.

Revenons-en à notre cinéaste.

Il est de nationalité française (et polonaise, mais ici cela n’a aucune incidence). Il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice de l’État de Californie pour une affaire remontant à 1977. Il a à l’époque eu des relations sexuelles avec une mineure âgée de treize ans après lui avoir fait boire de l’alcool et consommer des stupéfiants. Si mon confrère Dominique de Villepin me lit, qu’il ne s’étouffe pas d’indignation en invoquant la présomption d’innocence : celle-ci a expiré peu de temps après les illusions de cette jeune fille, puisque Roman Polanski a reconnu les faits en plaidant coupable. La culpabilité au sens juridique de Roman Polanski ne fait plus débat. Roman Polanski, après quelques jours en prison, a été remis en liberté dans l’attente de l’audience sur la peine. Il en a profité pour déguerpir et a soigneusement évité le territoire américain pendant trente ans.

Au départ, l’accusation contenait cinq chefs d’accusation, dont une qualification de viol. À la suite d’un accord passé avec le parquet, comme la loi californienne le permet, Roman Polanski a plaidé coupable pour un chef unique d’abus sexuel sur mineur (unlawful sexual intercourse with a minor), code pénal californien section 261.5., délit puni de 4 ans de prison maximum. 

Le mandat d’arrêt vise à le faire comparaître pour prononcer la peine, la comparution personnelle du condamné étant obligatoire pour la loi californienne. 

La victime a été indemnisée et a retiré sa plainte. Cela faisait partie probablement de l’accord passé avec le parquet (la victime n’est pas partie au procès pénal en droit américain). Cela ne fait pas obstacle à la poursuite de l’action publique.

Tant qu’il résidait en France, il était tranquille : la France n’extrade pas ses nationaux. Et il ne pouvait être poursuivi en France, bien que de nationalité française, les faits ayant déjà été jugés aux États-Unis. C’est la règle non bis in idem dont je vous parlais plus haut.

C’est la vanité qui a piégé notre cinéaste : invité en Suisse pour y recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre (il ne se doutait pas qu’en effet, c’est bien l’ensemble de son œuvre qui allait recevoir ce qui lui revenait), il s’est rendu dans la sympathique confédération fédérale. Fatalitas : à l’aéroport, le contrôle de son passeport donne un ping Mise à jour : D’après la presse suisse, ce serait le cinéaste qui a donné l’alarme lui-même en demandant à la police suisse une protection, attirant ainsi l’attention des autorités sur sa venue : elles ont constaté que ce monsieur était l’objet d’un mandat d’arrêt international émis en 2005 (je vais revenir sur cette date curieuse de prime abord), il n’était pas suisse, il pouvait être arrêté. Et le voici qui goûte la paille humide des cachots helvètes, où il est en cellule individuelle, confiné 23 heures par jour. Ça vous choque ? À la bonne heure. Les prisonniers en France sont traités de la même façon en maison d’arrêt, sauf qu’en plus, ils sont dans une cellule surpeuplée. Pensez-y aux prochaines élections.

La Suisse va notifier par voie diplomatique l’arrestation de Roman Polanski. Les États-Unis ont 40 jours pour demander officiellement l’extradition à compter de l’arrestation (article 13§4 de la convention de 1990), soit jusqu’au 5 novembre 2009 à 24 heures, faute de quoi Roman Polanski sera remis en liberté. Ce dernier a indiqué qu’il refusait l’extradition et compte porter l’affaire devant le Tribunal pénal Fédéral (Bundesstrafgericht) et le Tribunal fédéral (Bundesgericht), la cour suprême suisse, le cas échéant. L’affaire est désormais dans les mains de la justice suisse et de mon excellent confrère Lorenz Erni.

Enfin, dernier point, sur l’ancienneté de cette affaire. Tous les soutiens au cinéaste invoquent à l’unisson l’argument que cette affaire est ancienne (à l’exception de Costa Gavras, qui lui soulève que cette jeune fille de 13 ans en faisait 25 ; il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument). Se pose en effet la question de la prescription.

Je ne reviendrai pas sur le magistral exposé des règles en la matière (sans oublier la deuxième partie) par Sub lege libertas, règles qui sont à l’origine d’une grande partie de la consommation de paracétamol par les juristes. J’ajouterai simplement une précision : la loi californienne prévoit une prescription de 6 10 ans pour des faits de la nature de ceux reprochés à Roman Polanski (Code pénal de Californie, section 801.1). Cela dit sous toutes réserves, je n’ai pas accès à l’évolution du droit pénal californien depuis 1977.

Mais il faut garder à l’esprit que la prescription n’est pas un laps de temps intangible qui une fois qu’il est écoulé fait obstacle aux poursuites. Il peut être interrompu, et repart dans ce cas à zéro. Il faut six ans d’inaction des autorités judiciaires pour acquérir la prescription. Or les autorités judiciaires californiennes ne sont pas restées inactives depuis trente ans et ont toujours interrompu la prescription. La preuve ? En 2005, elles ont délivré un nouveau mandat d’arrêt international, acte qui interrompt la prescription : ce n’était en l’état actuel des choses qu’en 2011 que la prescription aurait éventuellement pu être acquise (sauf éléments du dossier que j’ignore, bien sûr).

Enfin et j’en terminerai là-dessus, je trouve choquant deux choses dans le tir de barrage du monde artistique. 

Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.

Et je bondis en entendant le ministre de la culture parler de « cette amérique qui fait peur ». Ah, comme on la connait mal, cette amérique.

Tocqueville avait déjà relevé il y a 170 ans, la passion pour l’égalité de ce pays. Elle n’a pas changé. Il est inconcevable là-bas de traiter différemment un justiciable parce qu’il appartiendrait à une aristocratie, fut-elle artistique. Il y a dix ans, l’Amérique a sérieusement envisagé de renverser le président en exercice parce qu’il avait menti sous serment devant un Grand Jury. Quitte à affaiblir durablement l’Exécutif.

Une justice qui n’épargne pas les puissants et les protégés des puissants ? On comprend qu’un ministre de la République française, qui a soigneusement mis son président et ses ministres à l’abri de Thémis, trouve que cette Amérique fait peur.

PS : billet mis à jour, merci à nemo pour ses lumières sur le droit du Golden State.

lundi 28 septembre 2009

Prescription, vous avez dit prescription...? (chapitre II)


par Sub lege libertas


Je vous ai conté il y a peu les aventures de Samantha avec le temps judiciaire, pour confirmer l’analyse lapidaire de Maître Kiejman, avocat de Roman Polanski quand il affirmait : “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans”. Je vous ai promis une suite car la généralité du propos rapporté ci-avant est trompeuse : une petite Vanessa pourrait presque faire mentir l’illustre Georges Kiejman. Ce qui suit est très rigoureusement inspiré d’un cas réel.[1] Mais qui est cette Vanessa ?

Vanessa est née le 11 mars 1976, première enfant d’une mère célibataire âgée de 16 ans et va être élevée jusqu’à ses quatre ans par ses grands parents maternels qui vont la recueillir de façon permanente, avant que sa mère âgée de 20 ans ne se mette en ménage avec un homme qui reconnaîtra Vanessa. Son grand père est né le 10 juillet 1940 et sa grand mère le 6 juin 1944.[2]

Aujourd’hui donc, le Parquet reçoit un courrier de Vanessa dénonçant son grand père pour lui avoir introduit plusieurs fois un doigt son sexe[3] dans l’anus et le sexe lors du mois d’août 1979, alors qu’il la gardait seule, sa grand mère étant hospitalisée. Elle explique déposer plainte car elle a été alarmée par l’attitude de son grand-père qui avait des gestes équivoques à l’égard de sa propre fille Cindy âgée de 7 ans lors des grandes vacances de cette année, ce qui a causé cette réminiscence de son propre passé. A nouveau, après un rire panique, Sub lege libertas s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Je vous rappelle que trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. La plaignante est majeure depuis le 11 mars 1994. Les faits ont eu lieu en août 1979. La qualification possible des faits des faits : viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité.

Interlude

Comme Eugène Pierre me l’a rappelé, le sexe et la loi sont un couple inconstant. Il a effectivement fallu attendre le 24 décembre 1980 pour que la loi définisse le viol comme

tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise.

Le Code pénal de 1810 promulgué le 27 février 1810, ne définissait pas le crime de viol. On y lisait ceci :

ARTICLE 331. : Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion.

ARTICLE 332 : Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps.

ARTICLE 333 : La peine sera celle des travaux forcés à perpétuité, si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l'attentat, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou s'ils sont fonctionnaires publics, ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes.

Observons d’ailleurs qu’en ce temps, le viol et les attentats à la pudeur sont de toute façon criminels. Aussi la loi du 28 avril 1832 a-t-elle séparé les deux notions considérant que seul le viol devait rester criminel, notamment car il pouvait résulter de cette conjonction sexuelle un enfant et désormais, on lisait dans le Code pénal :

ARTICLE 332 : Quiconque aura commis le crime de viol sera puni (des travaux forcés[4]à temps) de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans .

ARTICLE 333 : Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat, s’ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignés, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle (des travaux forcés[5] à perpétuité) de la réclusion criminelle à perpétuité.

Le viol n’était donc que la conjonction sexuelle forcée entre un homme et une femme, l’homme étant l’agent, la femme la victime. Il n’y avait viol que lors de l’intromission par violence du sexe viril dans le sexe d’une femme. R. Garraud parlait “du fait de connaître charnellement une femme sans la participation de sa volonté”. Emile Garçon disait “le coït illicite avec une femme que l’on sait n’y point consentir”.

Tout le reste n’était qu’attentats à la pudeur. Ainsi Vanessa se plaindrait-elle que son grand père lui eût imposé des fellations ou introduit des doigts dans le sexe ? Comme la cour de cassation l’a jugé, il ne s’agirait que de délits atteints par la prescription. Avec la loi de 1980, les intromissions anales forcées, les pénétrations digitales, les introductions dans le sexe d’objet et les fellations imposées, tombent dans le “champ du viol”. Il est même légalement reconnu qu’un homme peut être violé.

Fin de l’interlude

Avec Samantha vous avez (ré-)appris que le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est à lire dans la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957 entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [6] le 8 janvier 1958. On y lit que s’il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite, la prescription est acquise dix ans après la commission des faits. Pour Vanessa, la prescription intervient fin août 1989

Vous savez également que des règles spéciales pour les faits sexuels commis sur mineur ont été apportées par la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée le 14 juillet 1989 qui a introduit un alinéa 3 dans l’article 7 du Code de procédure pénale :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s'applique qu'à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en août 1989 soit après l'entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s'applique. La prescription est acquis dix ans après la majorité de Vanessa donc le 11 mars 2004.

L’ article 121 de la loi du 4 février 1995 n°95-116 (publié au JORF le 5 février 1995) a introduit une nouvelle rédaction de l'alinéa 3 de l'article. 7 du Code de procédure pénale :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription ne commence à courir qu'à partir de sa majorité.

Pour Vanessa, cela ne change rien; la prescription reste acquise le 11 mars 2004. Mais la loi du 17 juin 1998 n°98-468 du 17 juin 1998 par son article 25 (publié au JORF le 18 juin 1998) a encore modifié la rédaction de l'alinéa 3 de l'article 7 du Code de procédure pénale. On y lit désormais ceci :

Le délai de prescription de l'action publique des crimes commis contre des mineurs ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Le suspens est immense mais non cela ne change rien pour Vanessa : prescription acquise le 11 mars 2004. J’en vois déjà qui m’imaginent prenant mon bic administratif pour cocher la case n°34 (extinction de l’action publique) sur un formulaire de classement sans suite à agrafer sur la lettre de Vanessa. Mais le législateur veille...

Et par l’article 72 I de la loi du 9 mars 2004 publiée au JORF 10 mars 2004 et entrée en vigueur le 10 mars 2004, nos parlementaires ont fixé la rédaction actuelle (ouf!, enfin pour l’instant) de l'alinéa 3 de l'article 7 du Code de procédure pénale. Et çà alors, il y a du changement :

Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 et commis contre des mineurs est de vingt ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Bigre, quel est donc ce 706-47 ? Et bien c’est un article qui liste les infractions sexuelles commises sur mineur pour lesquelles des tombereaux de règles procédurales particulières s’appliquent. On y découvre notamment que cela concerne les crimes réprimés par l’article 222-24 du Code pénal, c’est à dire notamment le viol sur mieur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. Euréka ! Eh non je veux dire Vanessa ! Donc pour elle la prescription est acquise le 11 mars 2014, puisqu'à un jour près les faits ne sont pas prescrit le 10 mars 2004 lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004.

En conclusion, le parquetier qui reçoit la lettre de Vanessa aujourd’hui doit faire recevoir sa plainte ! Et pour achever de nous distraire, si Vanessa le souhaite elle peut différer sa demande de justice jusque au début du mois de mars 2014. Le magistrat du Parquet aura alors quelques jours pour signer un soit- transmis pour enquête qui interrompra la prescription. Mais, s’il traite son courrier avec retard ... attention au dysfonctionnement du service public de la Justice.

Folle perspective :

L’enquête est menée durant l’automne 2009 par une Brigade des mineurs et le grand-père de Vanessa, désormais âgé de 69 ans, reconnaît en garde à vue avoir introduit son doigt sexe[7] dans l’anus ou le sexe de sa petite fille, tous les matins du mois d’août 1979, soit 30 ans auparavant... Il sort de garde à vue et le dossier est transmis par courrier au procureur, car le grand-père habite hors ressort du Parquet compétent à raison du lieu des faits où est toujours domiciliée la plaignante.

En février 2010 un réquisitoire introductif criminel est pris pour saisir le juge d'instruction -s'il n'est pas supprimé. Et en septembre 2010, le grand-père, retraité âgé de 70 ans, convoqué par courrier est mis en examen et conteste ses aveux, son avocat faisant état de troubles psychiques liés à son âge qui ont pu influer sur ses déclarations en garde à vue. Il est placé sous contrôle judiciaire.

L’expertise psychiatrique révèle que le mis en examen a commencé à avoir des symptômes discrets de la maladie d’Alzheimer depuis deux ans, qui peuvent influer sur ses déclarations. L’expertise relève aussi une problématique sexuelle complexe depuis 1979 à la suite de la découverte chez sa femme d’un fibrome utérin ayant conduit à une hystérectomie en août 1979 (la fameuse hospitalisation qui laisse le grand-père seul avec la petite Vanessa). Par ailleurs, le magistrat instructeur a la chance de retrouver aux archives de l’hôpital un dossier attestant que Vanessa avait été hospitalisée en septembre 1979 pour des problèmes urinaires et selon le médecin expert, les pièces quoique parcellaires du dossier médical évoquent des lésions compatibles avec l’introduction répétée d’un doigt membre viril de petite taille en érection[8] dans le sexe d’un fillette...

La clôture de l’information criminelle intervient en novembre 2011 avec renvoi aux assises. Et l’audience devant la Cour d’assises n'a lieu qu’en janvier 2015 soit plus de 35 ans après les faits. A 75 ans passés, le grand-père de Vanessa est condamné à 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Bien entendu, il est inscrit au FIJAIS pour 30 ans ! Il fait appel et obtient sa remise en liberté avant examen de l’appel qui intervient en mars 2016[9].

Il est acquitté ? Hélas, son avocat m’indique qu’il n’est pas présent à l’ouverture des débats : il produit un certificat médical attestant qu’à raison de la dégradation de sa maladie, il est désormais hébergé dans une unité de psychiatrie gériatrique. Affaire renvoyée !



La discussion se poursuit sous le billet initial : cliquer et commenter.



Post-scriptum : non, je ne glose pas sur le cas précis de Roman Polanski, car j'ai déjà mal au crâne avec le droit français en la matière ; alors, pour ce qui est du droit américain, voire du droit suisse de l'extradition...

Notes

[1] Les étudiants en droit et autres amateurs de diptérosodomie aérienne me sauront gré de leur offrir par ce cas pratique, la version exacte des textes applicables à la date concernée, nos amis Dalloz et Litec n'ayant plus laissé figurer sous les articles du Code les versions très antérieures du texte actuel alors que ces versions sont encore utiles... Mais comme le député Warsmann le sait les procureurs ne sont pas foutus de savoir si un texte est en vigueur ou abrogé, mais parfois applicable.

[2] certaines dates ont leur importance... enfin, même pour notre histoire.

[3] Comme mes lecteurs sont rigoureux, l'un d'entre eux m'a rappelé à l'ordre en me renvoyant à la lecture du Code pénal dans sa version antérieure à la loi n°80-1041.

[4] L’article 8 de l’ordonnance n°60-529 du 4 juin 1960 a supprimé et remplacé cette peine par la réclusion.

[5] Voir note précédente.

[6] Journal Officiel de la République Française

[7] voir note 3

[8] voir note 3, et l'on apprend par la même que la nature ne prend pas de mesure pour l'égalité des sexes, le grand père de Vanessa ne démentant pas avoir été peu gaté

[9] et non 2012 nos lecteurs auront corrigé d'eux même, comme dirait min 'tiot Didier Specq dins sin journo

Prescription, vous avez dit prescription...? (chapitre I)


par Sub lege libertas


Avant d’être au même diapason d’émotion que Frédéric Mitterrand et le Président Nicolas Sarkozy, selon ce ministre réagissant à l’arrestation de Roman Polanski, je me suis rappelé que toutes les semaines, je participais au jugement d’atteintes sexuelles sur mineurs et qu’il n’était pas si rare que les faits remontassent à plus d’une décennie, voire nous remissent en mémoire la France du Président Mitterrand, l’autre. Alors, sans émotion, remontons le cours du temps avec un petit cas pratique, toute ressemblance avec des personnages réels ou des faits ayant eu lieu n’étant pas fortuite.

Samantha est née le 28 février 1964. En mars 1977 elle a donc treize ans. Ses parents déposent alors plainte pour viol sur mineur de quinze ans, car elle leur dit avoir été ce mois-là droguée par un photographe né en 1933, qui l’a obligée dans cet état à avoir des relations sexuelles. Ses parents l’avait confiée à cet artiste de la chambre noire pour plusieurs séances, pour coucher sur papier argentique et mettre en lumière la beauté naissante de leur princesse. Une enquête de police commence. Le photographe est entendu, il reconnaît avoir couché avec la donzelle qu’il dit avoir pensée plus âgée et consentante. En septembre 1979, la procédure est clôturée et transmise au Parquet qui la classe sans suite.

Le Parquet reçoit ce jour un courrier de Samantha demandant que sa plainte soit reconsidérée. Elle est perturbée car elle croise de nouveau son agresseur devenu célèbre à ses yeux : il expose ses tirages dans le salon de coiffure chic où elle travaille. Elle “ne veut pas qu’un pédophile comme lui reste en liberté”. Sub lege libertas, votre procureur favori avec Gascogne, après un moment de rigolade nerveuse, s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. Les faits ont eu lieu en mars 1977. La qualification possible des faits est viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. La notion d’autorité sur la victime paraît de prime abord pouvoir être retenue puisque les parents confiait la mineure à l’artiste... La majorité de la plaignante intervient le 28 février 1982.

Le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957, entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [1] le 8 janvier 1958 . On y lit ceci :

En matière de crime, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.
S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

Donc dans notre cas, le dernier acte d’instruction ou de poursuite est le procès verbal de clôture et de transmission de la procédure au Parquet en septembre 1979. À compter de cette date, la prescription est donc acquise dix ans plus tard soit en septembre 1989. Mais, des règles spéciales de prescription pour les faits sexuels commis sur mineur ont été introduites par la loi du 10 juillet 1989.

L’article 7 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée au JORF le 14 juillet 1989 contient désormais un alinéa 3 :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s'applique qu'à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en septembre 1989 soit après l'entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s'applique : ainsi la prescription de dix ans se calcule à compter de la majorité de la plaignante et est donc acquise après le 28 février 1992. Bien sûr des lois depuis ont modifié encore cette règle, mais elles sont toute postérieures à la date à laquelle la prescription est acquise. Donc Sub lege libertas comme Gascogne peut s’exclamer avec Maître Kiejman, avocat d’un certain Roman Polanski qui croisa lui aussi en mars 1977 une Samantha qu’ “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans"[2] : 1977-1992.

Mais Sub lege libertas vient pour autant dire à Maître Kiejman que l’affirmation très générale “une affaire de ce type” est source de confusion. D’abord, car tout le raisonnement précédent ne tient que si une action judiciaire (instruction) n’a pas été ouverte après la plainte, sinon la prescription ne courrait qu’à l’issue de dix années après le dernier acte.

Et si ce dernier acte avait été un renvoi aux assises suivi d’un arrêt de condamnation par contumace (à l’époque), l’accusé étant en fuite, la situation vécue avant hier soir par Roman Polanski dans les alpages suisses serait la même en France si l’arrêt de condamnation par contumace était intervenu après le 23 septembre 1989 (prescription de la peine criminelle de vingt ans qui ne commence à courir que cinq jours après le prononcé).

Ensuite, cher maître Kiejman, votre affirmation ne se vérifie pas toujours pour des faits de cette nature datant d’avant les eighties, si nous faisons varier quelques données. Ceci est une autre histoire que je vous conterai par la suite.

(À suivre)



La suite est à lire dans ce billet-là. Les commentaire se poursuivent ci-après.

Notes

[1] Journal Officiel de la République Française

[2] Libération du 28 septembre 2009, page 33.

jeudi 24 septembre 2009

Magist’ rature : Tu copies, t’es collé !


par Sub lege libertas


Un lecteur facétieux, et il n’est pas le seul, de ce blog attire notre attention sur une décision angoumoisine qui goûte peu qu’un juge d’instruction bien instruit du miracle informatique du copier/coller y trouve le moyen efficace de produire une ordonnance de renvoi devant un tribunal en reprenant, fautes d’orthographe comprises, la prose géniale, forcément puisqu’émanant, du Parquet. Comme cela ne lasse pas d’étonner les mékeskidis de découvrir que le respect de la procédure pénale n’est pas une ardente obligation, mais le froid devoir du magistrat, reprenons les éléments techniques de l’histoire pour en savourer la rigueur. Nous découvrirons ainsi la vie secrète d’Instrucastor et Proclux, les Dioscures de la procédure pénale.

Un juge d’instruction doit lorsqu’il estime son information judiciaire terminée, demander au procureur de prendre des réquisitions sur le règlement du dossier. En clair, une fois le boulot du juge fini à ses yeux, il sollicite l’avis du Parquet sur l’affaire. Ce n’est pas de la courtoisie, c’est la loi, et c’est logique puisque c’est le procureur qui a saisi le juge pour chercher les éléments à charge et à décharge concernant la commission d’une infraction et puisque c’est lui qui devra soutenir l’accusation si l’affaire doit être renvoyée devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises. Le procureur peut d’ailleurs à ce stade faire plusieurs choses.

D’abord ne rien faire : c’est mal, mais comme le législateur ne peut souffrir que le cours de la justice soit ralenti par un procureur paressant, le juge d’instruction peut après un délai de trois mois si personne n’est détenu provisoirement dans l’affaire, ou de un mois s’il y a un détenu, terminer son dossier en se passant de l’avis du procureur. Il n’y a sans doute que dans un parquet au pied marin que l’on prend le risque de voir le juge d’instruction mener seul sa barque au port.[1]

Ensuite retourner à l’envoyeur : c’est l’arroseur arrosé. Le juge estime avoir fini, le procureur lui demande de continuer ses investigations notamment en réalisant de nouvelles mesures d’instruction. Comme il n’y a pas de raison que le procureur soit plus entendu qu’un avocat qui peut faire aussi ce type de demande, le juge peut refuser par une ordonnance motivée et clore son dossier.

Enfin régler le dossier : c’est le grand oeuvre, le réquisitoire définitif de règlement. Deux hypothèses se présentent alors :

Primo, le procureur peut alors demander au juge de dire qu’il n’y a pas lieu à suivre : c’est le non-lieu. Bref, le procureur ne voit pas comment il peut aller devant un tribunal avec le dossier pour accuser quelqu’un car :
- soit il n’y a pas eu d’infraction commise,
- soit on n’a pas réussi à prouver suffisamment l’existence de tous les éléments de l’infraction,
- soit on n’a pas identifié l’auteur de l’infraction,
- soit on a un doute raisonnable sur l’implication d’un suspect…
Soit un peu de tout cela et pourquoi pas saupoudré de problèmes juridiques du genre prescription…

Secundo, le procureur peut demander le renvoi devant une juridiction d’une ou plusieurs personnes mises en examen, parce qu’il existe à leur encontre des charges suffisantes pour être soupçonnées d’avoir commis une ou plusieurs infractions précises qualifiées en droit et circonstanciées en fait. Le mékeskidi comprend alors : on a de fortes raisons de penser objectivement que Thomas Cusatort a - par exemple - commis un vol précédé accompagné ou suivi de violence au préjudice de Germaine Pamonsac - Chemmoy le 14 juillet 2009 à Cognac, alors il ira s’en expliquer au tribunal correctionnel… d’Angoulème, tiens nous y revoilà !

Cela rappelé, qu’est-ce qui peut bien chiffonner la robe angoumoisine ? C’est qu’après avoir sollicité l’avis du Parquet, après - non je n’oublie pas, cher maître Eolas - avoir recueilli les observations des avocats des mis en examen ou parties civiles sur l’avis du procureur, le juge doit prendre une ordonnance doctement rédigée pour clôturer son dossier et décider du remède à administrer aux suspects : non-lieu ou renvoi. /mode PaPrésidendelaRépublikMéPartiCivil / Un juge indépendant décide de renvoyer au tribunal le coupable, enfin je ne veux pas dire présumé…, ni innocent. /fin du modePPRMPC/. Et voilà alors que le juge est soumis à la tentation… non pas de donner tort au procureur, parce qu’éventuellement un avocat lui a écrit qu’il rêve à haute voix, cela s’appelle requérir. Ce n’est pas une tentation, c’est un supplice : il faut répondre point par point aux arguments du procureur.

Le supplice pourrait paraître doux si le Parquet se contentait en guise de réquisitoire définitif d’une ou deux phrases lapidaires, un peu stéréotypées, pour conclure en cochant sur un formulaire soit “requiert renvoi” soit “requiert non-lieu”. Seulement la pratique et la loi qui entre temps a ajouté que les réquisitions du Parquet doivent être motivées, ont conduit les parquetiers à faire du réquisitoire définitif, une pièce de bravoure. Ce n’est plus un avis, c’est un digeste : on y résume l’ensemble du dossier, les faits, les investigations réalisées. C’est l’accusation future qui décrit à l’imparfait le présent état de la procédure pour en prédire l’avenir.

Alors la tentation l’emporte : non seulement le juge se range aisément aux prédictions détaillées du procureur, mais comme tout cela est bien chantourné, loin de vouloir être original, il préfère la copie. Bien sûr, nous savons tous depuis l’école qu’on ne copie pas sur son voisin. Et je récuse par avance deux objections : non ce n’est pas parce qu’on pense la même chose d’un dossier, qu’on n’a pas une façon propre de penser, de présenter ses arguments, son raisonnement. Non le manque de temps n’est pas une excuse : c’est une réalité, mais c’est par manque de temps que le juge d’instruction a de plus en plus délégué l’information aux enquêteurs sur commission rogatoire ; si la décision finale sur la suite à donner à son travail de magistrat indépendant est déléguée au Parquet, autant le supprimer.[2]

D’ailleurs, le législateur avait imposé au juge de motiver son ordonnance. Et comme il pressentait peut-être sa motivation chancelante, il avait, dans un article 184 du Code procédure pénale, spécifié que l’ordonnance indique de façon précise les motifs pour lesquels il existe ou non contre la personne mis en examen des charges suffisantes. Alors, comme la loi disait qu’il fallait des motifs précisément détaillés, les juges ont contourné en cédant à la tentation de la copie. Soit le greffier retapait in extenso le texte du Parquet - en corrigeant d’ailleurs les fautes d’orthographe éventuelles. Soit il photocopiait les pages du réquisitoire et ne retapait que la page de garde et la finale pour la signature du juge. Je me souviens bien de ces opérations ciseau-colle à la photocopieuse unique au début de ma carrière…

Comme même cela prenait du temps, il y avait la formule magique : vu le réquisitoire définitif du Procureur de la République en date du …dont nous adoptons les entiers motifs, attendu qu’il en résulte contre X… charges suffisantes d’avoir à … le … (qualification juridique de l’infraction) Par ces motifs(sic) Ordonnnons… On ne copiait même plus, on disait au lecteur : va lire la copie du voisin !

Il restait aux avocats un seul espoir pour soulever l’irrégularité de l’ordonnance du juge pour défaut de motivation : que le greffier oublie de rajouter “dont nous adoptons les entiers motifs”… J’ai vu, il y a près de dix ans, deux présumés trafiquants d’héroïne qui, après plus de deux ans de détention provisoire, sont sortis libres de l’audience grâce à la lecture minutieuse par leur avocat de cette seule ligne manquante. Puis, l’ordinateur est arrivé et les disquettes de réquisitoire ont circulé, et bientôt les mails. La ficelle du copier-coller a délié des derniers scrupules du bricolage. On pouvait même uniformiser la police de caractère !

Mais le 5 mars 2007, le législateur a complété l’article 184 du Code de procédure pénale, car il avait autorisé les avocats à faire des observations sur les réquisitions du procureur. Alors il a cru bon devoir ajouter au sujet de la motivation du juge : Cette motivation est prise au regard des réquisitions du ministère public et des observations des parties qui ont été adressées au juge d’instruction en application de l’article 175, en précisant les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen. Il faut donc pour le juge répondre non seulement aux arguments du procureur mais aussi de l’avocat. Et en plus, il lui faut lister les arguments à charge et à décharge, ce que le Parquet ne fait pas culturellement sauf parfois certains traîtres génétiques dont je suis. Fin de la récré, on ne copie plus !

Et si on copie ? Et bien les juges angoumoisins ont raison de rappeler les exigences de la loi et d’en faire une stricte application : t’as copié, tu t’y recolles ! En effet, l’irrégularité de l’ordonnance pour insuffisance de motifs conduit à l’application de l’article 385 alinéa 2 du Code de procédure pénale : dans le cas où l’ordonnance qui a saisi le Tribunal n’a pas été (…) rendue conformément aux dispositions de l’article 184, le tribunal renvoie la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d’instruction afin que la procédure soit régularisée. Bref, le juge reprend sa copie, en ajoutant quelques lignes… au laïus du procureur : fors l’honneur, point de temps perdu !

Notes

[1] Pour mieux comprendre aller lire ici, çà et .

[2] Ce propos peut paraître très Léger à votre comité de lecteur, mais comme je ne peux rêver à haute voix que le nombre de magistrats soit haussé au niveau nécessaire pour qu’ils puissent réellement être à la hauteur d’exigence de leur fonction…

mardi 8 septembre 2009

ORDRE DE MOBILISATION GENERALE

Par Gascogne


Drapeaux

Oyez, Oyez,

Magistrats du Siège et Magistrats du Parquet,

Les temps sont graves, notre Patrie Judiciaire est en danger

Point de Teutons à l’horizon, mais un virus que d’aucuns nous décrivent comme extrêmement dangereux ;

La grippe A H1N1 est bientôt dans nos Palais !

Afin de faire face à cette immense menace, et pour éviter les risques de contamination, le gouvernement entend ordonner les mesures suivantes :

- les audiences pénales ne se tiendront plus à trois juges, mais à juge unique : il ne s’agit finalement que de généraliser ce qui était devenu le principe de notre justice. Le justiciable pourra certes tomber sur un juge irascible ou incompétent (voire les deux, j’ai des noms), mais au moins sera-t-il préservé des miasmes.

- les audiences ne seront plus publiques. Nul ne saura ce qui se dira au procès “Clearstream”, mais c’est pour le bien de tous.

- Foin d’avocats en garde à vue dés la première heure. L’intervention ne pourra se faire que passées 24 heures. Le gardé à vue aura été entre temps hospitalisé, ce qui permettra la consultation d’un avocat dans les conditions prophylactiques nécessaires.

- les mandats de dépôt correctionnels, de quatre mois, seront prolongés à six mois, sans débat préalable, le Juge des Libertés et de la Détention n’intervenant que de son bureau, sur dossier. Quant aux mandats de dépôt criminels, ils seront maintenus jusqu’à ce que mort s’en suive.

- Les tribunaux pour enfants étant, comme tout le monde le sait, enclins au développement des maladies infectieuses, voire infantiles, les mineurs seront désormais jugés par les tribunaux correctionnels.

- Afin d’éviter toutes difficultés d’ordre juridique, les délais de prescription seront suspendus, dans le cas où la pandémie durerait plusieurs années.

Gascogne aurait-il abusé de boissons anisées, pensez-vous. Que nenni ! Il s’agit, selon le Syndicat de la Magistrature, d’un projet du Gouvernement en cas de pandémie grippale. Lequel Gouvernement serait bien entendu autorisé à prendre tous textes utiles par voie d’ordonnance, en toute bonne logique médicale (trop dangereux d’aller discuter les textes à l’Assemblée Nationale, toute assemblée devenant suspecte).

Puisque seules les activités pénales semblent intéresser le pouvoir (les gens qui divorcent ou qui se disputent la garde du chien peuvent continuer à se contaminer), je propose en outre les mesures suivantes :

- Le Procureur de la République décide seul, par défèrement qui se déroulera en visio-conférence depuis le commissariat, de la culpabilité et de la peine à infliger à tout auteur d’infraction : la multiplication des étapes procédurales et des passages devant différents magistrats fait encourir trop de risque à la population pénale (puisqu’on vous dit que c’est pour leur bien).

- Encellulement individuel généralisé, comme les règles européennes le prescrivent, afin d’éviter les contaminations (Ah…Non…On me glisse dans l’oreillette, dont tout procureur qui se respecte est doté, qu’un choix différent vient d’être fait).

- Aucune libération de détenu pendant la pandémie (c’est pour leur bien, et puis la rétention de sûreté étant déjà en place, ça ne change pas grand chose).

Le Garde des Sceaux a nié tout plan de ce type. Nous voilà rassurés. En tout état de cause, tout ceci était tellement gros que l’on ne pouvait y croire.

N’est-ce pas ?

mardi 18 août 2009

La saison des palmes

Alors que votre serviteur a chaussé les siennes à la plage, c’est celles de martyr que revendique Olivier Bonnet sur son blog.

Quitte à gâcher un peu ses effets, je me dois de relever un certain nombre d’erreurs qui profiteront ainsi à mes lecteurs qui réviseront ainsi leur droit de la presse et éviteront de commettre la même le jour venu.

Olivier Bonnet se plaint d’être “trainé devant un tribunal” par un magistrat, Marc Bourrague, pour des faits d’injure publique.

Bon, passons rapidement sur ce cliché de traîner devant les tribunaux. Toutes les parties que j’ai vu entrer dans un tribunal étaient debout sur leurs deux pieds, sauf les culs-de-jatte, ça va de soi. Quand bien même Olivier Bonnet serait réticent à comparaître, ce n’est pas le président Bourrague qui le fera entrer dans le prétoire en le tirant par les pieds tandis que ses ongles rayeront le parquet.

Le blogueur ouvre sur une formule péremptoire sur laquelle je reviendrai à la fin : Nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet : le magistrat Marc Bourragué me traîne devant le tribunal pour soi-disant “injure publique”. Mais la lecture de l’article révèle que l’attaque n’a rien de nouveau, puisque la plainte remonte à 2007. En fait, c’est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui a été rendue il y a peu : l’instruction judiciaire est terminée, la procédure suit son cours, tout simplement. J’ajoute que le magistrat plaignant n’est pour rien dans cette mesure, qui découle logiquement de sa plainte d’il y a deux ans.

Notre mis en examen s’indigne ensuite de l’état du droit. Après avoir rappelé que l’injure est “Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ” (Art. 29 de la loi du 29 juillet 1881, il expose que :

C’est pourquoi on ne dispose pas pour se défendre de l’offre de la preuve. Inutile d’expliquer pourquoi on a écrit ce qu’on a écrit puisqu’il s’agit d’une “injure”, donc n’imputant aucun fait. Cette incrimination, dont nous allons voir qu’elle ne tient pas une seconde, m’interdit concrètement de me défendre ! 

Tout d’abord, on peut se dire que si Olivier Bonnet se prépare à nous démontrer que l’accusation dont il fait l’objet ne tient pas une seconde, c’est que la loi doit quand même un peu lui permettre concrètement de se défendre. Un vide juridique, peut-être…

Ensuite, mes lecteurs devenus experts en droit de la presse auront compris l’erreur du journaliste, qui n’est pas juridique mais logique. L’injure, par définition, ne renfermant l’imputation d’aucun fait (puisque si on impute un fait, c’est une diffamation), l’offre de preuve des faits n’est pas admissible, faute de faits à prouver. 

Mais la personne poursuivie pour injure dispose là d’un puissant moyen de défense : qu’elle établisse que le propos imputait un fait, et donc était une diffamation, et la poursuite tombe, irrémédiablement.

En effet, en droit de la presse, les règles sont strictes. Toute erreur dans la citation est sanctionnée de nullité (art. 53 de la loi du 29 juillet 1881), et une citation nulle n’a pu interromptre le délai spécial de prescription de trois mois. Autant dire que quand la nullité est prononcée, le délit est prescrit depuis longtemps. 

Olivier Bonnet introduit le rappel des propos qu’il admet avoir tenus en disant que ceux-ci auraient provoqué les foudres du plaignant, du procureur de la république et du juge d’instruction. C’est vouloir faire d’une averse un ouragan. 

Ses propos ont sans nul doute provoqué les foudres de la personne visée. Il n’est pas interdit de penser que c’était d’ailleurs leur but. Mais ça s’arrête là. 

Le droit de la presse a cette particularité de rester essentiellement privé. Seule la plainte de l’injurié, et s’il est agent public, de son ministre, fait vivre l’action (art. 48 de la loi de 1881). Qu’il la retire, et l’action prend fin, le procureur n’ayant pas le pouvoir de reprendre l’action à son compte. La loi fournit donc à Olivier Bonnet un paratonnerre juridique contre les foudres du procureur. 

Enfin, le juge d’instruction est tenu d’instruire ce dont il est saisi. Quoi qu’il pense des faits. La loi lui interdit d’avoir des foudres, puisqu’à force de charges et de décharges, il serait bien en peine de produire de l’électricité. Et en matière de délit de presse, le juge d’instruction a des pouvoirs limités : il se contente d’établir si les propos ont été tenus, par qui, et qui est la personne responsable de la publication (qui n’est pas toujorus l’auteur des propos). Il interrompt la prescription après avoir vérifié qu’elle n’était pas déjà acquise au moment de la plainte. Et c’est tout. Il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la qualification des faits, qui relève du seul tribunal.

Ainsi, en rendant cette ordonnance de renvoi, le juge d’instruction constate, sous le regard placide du procureur, que les propos figurant dans la plainte ont bien été tenus, et qu’Olivier Bonnet est responsable de leur publication. C’est tout. En matière de foudres, j’ai connu plus virulent. 

Quels sont les propos en question ?

Il s’agit de deux citations de son blog publiées le 13 novembre 2007. Dans la première, il parle de Marc Bourrague en l’appelant “l’inénarrable ancien substitut du procureur de Toulouse”. Le fait d’être un substitut, fût-il ancien, fût-il de Toulouse, ne pouvant être considéré comme outrageant, c’est le mot inénarrable qui a dû chiffonner le plaignant. Le dictionnaire nous donne deux sens. le premier, vieilli, est Qu’on ne peut raconter; qu’il est impossible de décrire ou d’exprimer. Comme on ne saurait exprimer un substitut sauf à user d’un pressoir géant, c’est donc vers le second sens qu’il faut se tourner : D’une extrême cocasserie. Synonime :  burlesque, cocasse, comique, extravagant, impayable (fam.),ineffable (fam.). Le caractère outrageant est ici plus visible. L’expression n’impute aucun fait. Le choix de la qualification d’injure semble pertinent, sans se prononcer sur le caracère effectivement outrageant. 

Sur ce propos, Olivier Bonnet se défend en déroulant l’argumentation suivante : 

La belle affaire. 

Sans vouloir me mêler de ce procès, j’espère qu’il sera plus prolixe à l’audience.

La seconde citation est la suivante : On peut donc légitimement s’interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son «indépendance » dans le cadre d’un tel procès [le procès Colonna, où Marc Bourrague siégeait comme assesseur dans la cour d’assises spéciale. NdEolas] tant il est évident qu’il est en “coma professionnel avancé”. Les guillemets sont d’origine.

Le propos contient deux imputations : d’une part, une absence d’indépendance, et d’autre part, un coma professionnel avancé. 

Le premier point peut, selon le contexte, constituer une diffamation ou une injure. C’est l’argumentation que développe Olivier Bonnet. Ce défaut d’indépendance serait dû à l’existence supposée d’un rapport tenu secret mettant en cause le magistrat dans le cadre de l’affaire Patrice Alègre, qui serait du coup menacé à tout moment d’une sanction disciplinaire, au bon vouloir de sa hiérarchie. Si c’est bien là ce qui ressort du billet en cause (qui semble ne plus être en ligne), on serait effectivement dans le domaine de la diffamation. 

Olivier Bonnet met en cause le choix de la qualification d’injure, qui lui interdirait de lancer le débat sur ce point. Mais l’argumentation ne tient pas. D’une part, comme on l’a vu, ce choix inadéquat entraînerait immanquablement la relaxe d’Olivier Bonnet. C’est donc moins une ruse qu’un cadeau. En outre, Olivier Bonnet ne serait pas recevable à présenter une offre de preuve. En effet, à supposer que ces faits fussent établis, ce que je me garderai bien d’affirmer, ils remonteraient aux années 1990 et sont couverts par l’amnistie (en dernier lieu, celle de mai 2002). or l’article 35 de la loi de 1881 interdit l’offre de preuve de faits amnistiés. J’ajoute que du coup, l’accusation d’être sous la menace permanente de sanctions ne tient plus non plus, puisque ces faits amnisitiés ne peuvent non plus fonder une sanction. 

Reste enfin le “coma professionnel avancé”. On peut comprendre de ces propos que nonobstant l’absence de sanctions disciplinaires, la carrière du magistrat aurait pris une voie de garage révélant une disgrâce dissimulée. Le seul argument avancé à l’appui de cette affirmation est que c’est “évident”. C’est un peu léger pour constituer une diffamation, la jurisprudence exigeant des faits articulés susceptibles d’un débat. Ce d’autant que ce magistrat a entre-temps été nommé vice-procureur à Montauban, puis cinq ans plus tard vice-président à Paris, où il siège dans deux chambres correctionnelle. Le coma professionnel avancé ne me paraît pas si évident, sauf à considérer que risquer de m’entendre plaider est considéré comme un châtiment dans la magistrature. Le choix de l’injure n’est pas manifestement infondé. On verra ce qu’en dira le tribunal. 

Enfin, je voudrais épargner à Olivier Bonnet la perte inutile d’un jour de congé. Il ne sera pas jugé le 4 septembre, c’est une audience de fixation de la date définitive du jugement, une audience d’agenda en somme, avec au besoin fixation des audiences-relais visant à interrompre la prescription tous les trois mois. Sa présence n’est pas nécessaire, bien que le parquet de la 17e a toujours besoin d’être lustré par le ventre d’un justiciable. Son avocat s’en tirera très bien tout seul. 

Pour conclure, une remarque plus générale sur l’affirmation “une nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet” qui ouvre le billet d’Olivier Bonnet. On me sait chatouilleux sur la question. J’ai pour elle les yeux de Chimène, non pas parce que ce serait la première des libertés (celles de conscience et d’aller et venir pour ne citer qu’elles ont également ma plus haute estime) mais parce que c’est toujours la plus vulnérable. Tout le monde a une excellente raison de vouloir en priver ses adversaires. 

C’est pourquoi je tique quand elle est galvaudée.

La liberté d’expression de M. Bonnet n’est pas en cause ici. Il a pu écrire ces propos, et les publier librement, sans demander l’autorisation de quiconque. Son blog n’a pas été fermé à cause de ces propos, et nul ne menace de représailles Jean-Louis Bianco qui lui a apporté officiellement son soutien. 

La liberté ne veut pas dire l’irresponsabilité. Chacun doit pouvoir tenir les propos qu’il veut, la contrepartie étant de devoir en rendre compte quand ces propos sont fautifs aux yeux de la loi. Et autant je suis réservé quand la loi prétend protéger un groupe (je n’aime pas, pour faire un euphémisme, les concepts de diffamation “envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques”, ou tous les délits prétendant protéger telle ethnie, nation, race ou religion), autant quand elle donne une voie de droit à un individu à la suite des propos tenus par un autre (notez bien le à la suite, qui suppose que les propos ont pu être tenus ; la presse chinoise, par exemple, ne commet jamais de diffamation), je ne trouve rien à redire. D’autant que comme vous l’avez vu, la loi ne laisse pas la personne poursuivie sans protection, c’est le moins qu’on puisse dire. 

En attaquant pour injure Olivier Bonnet, Marc Bourrague n’attaque pas la liberté d’expression. Il se défend contre ce qu’il estime être une agression verbale. Le juge dira s’il a raison ou pas. Mais il demeure qu’Olivier Bonnet aurait pu exprimer les mêmes réserves et critiques, fussent-elles infondées, à l’égard de ce magistrat sans encourir de poursuites. Quand on fait un métier de plume, on sait comment chatouiller les limites sans les franchir.

Il est toujours tentant, quand on fait de la politique comme Olivier Bonnet (qui se présente comme “un journaliste engagé” et qui ai-je cru comprendre exprime une certaine réserve à l’égard du président de la République) de se prétendre victime, l’époque s’y prête. Pourtant, si j’ai bien suivi, personne, à commencer par monsieur Bourrague, ne l’a qualifié d’inénarrable blogueur ou de journaliste en coma professionnel dépassé. 

Je ne signerai donc pas la pétition ouverte sur son blog, et attire l’attention des éventuels signataires qu’en signant ce texte qui qualifie de fallacieuses les accusations du magistrat et d’abusive sa plainte, ce qui est une imputation de faits précis, ils se rendent, eux, bel et bien auteurs du délit de diffamation. 

lundi 29 juin 2009

Peut-on jamais être innocent ?

À la suite d'un coup de gueule que j'ai piqué sur Facebook, un débat est né sur ce support qui m'a fait réaliser à quel point un malentendu pouvait exister chez certains de mes concitoyens.

J'exprimais ma colère à l'égard du comportement de ceux qui, à l'occasion de la mort d'un artiste mondialement connu, ressortent des accusations sur des tendances perverses à l'égard des mineurs qu'il aurait eues de son vivant. Au-delà de l'inélégance du propos (car il n'y a rien de plus urgent, quand ceux qui aimaient une personne sont encore frappées par le deuil, que de jouer au sycophante sur la dépouille), il pose un problème éthique plus profond. Cette personne non seulement n'a jamais été condamnée, mais en plus, elle a fait l'objet de poursuites pour dix chefs d'accusation qui ont tous aboutis à un acquittement le 13 juin 2005 après six mois de débats. Il avait certes payé 23 millions de dollars pour mettre fin à une première plainte, mais le plaignant de l'époque, devenu majeur, a depuis reconnu avoir menti à l'instigation de son père. Voilà des éléments qui à tout le moins devraient porter à la prudence. Mais non, rien n'y fait.

Il ne s'agit pas de constater une évidence : la force du préjugé. Les avocats savent bien qu'il n'est nul besoin d'étayer une affirmation qui va dans le sens des idées reçues de l'auditoire, quand bien même elle est fausse ; tandis que vous aurez les plus grandes peines du monde à démontrer une vérité qui va contre les préjugés. Essayez de discuter du 11 septembre avec un conspirationniste, et vous comprendrez.

De même, il ne s'agit nullement de disserter sur la réalité ou non des faits imputés au défunt : tout commentaire à ce sujet sera supprimé car hors sujet. On a de l'éducation, ici.

La question que je souhaite développer dans ce billet répond à l'argument suivant, censé réfuter l'acquittement : un verdict de non culpabilité ne voudrait rien dire d'autre que le jury n'a pas estimé que des preuves suffisantes avaient été rapportées, et rien d'autre. Il ne prouve pas l'innocence, mais seulement l'insuffisance des preuves. Ergo : on peut continuer à affirmer que l'acquitté était coupable.

À lire cela, mon sang se glace. Biais d'avocat, direz-vous, et je l'assume, encore que je suis prêt à parier que mon accablement sera partagé par bien des magistrats, fussent-ils du parquet.

Vous imaginez la conséquence ? Les acquittés d'Outreau ne sont donc pas libérés du soupçon (d'ailleurs des rumeurs n'ont pas tardé à courir sur eux aussi, les mêmes causes entraînant les mêmes conséquences), et ce Dreyfus, là, tout de même : il n'y a pas de fumée sans feu. etc., ad nauseam.

Ces mêmes personnes n'auront en revanche aucune prévention sur un verdict de culpabilité. Je doute qu'elles eussent exprimé de telles réserves si le jury de la Haute Cour de Justice de l'État de Californie avait rendu un verdict de culpabilité. Car on pourrait tout aussi bien dire qu'un verdict de culpabilité ne veut rien dire d'autre que le jury a estimé que des preuves suffisantes avaient été rapportées, mais que cela ne veut certainement pas dire que l'accusé est coupable. Curieusement, cet aspect nécessaire de la thèse est moins soutenu.

Dissipons donc ces fadaises. En droit, en tout cas en droit français : quand est-on coupable, quand est-on innocent ?

Le principe est simple : a priori, on est innocent. C'est le sens de la présomption d'innocence.

Aucune juridiction, qu'elle soit française ou américaine, ne rend un verdict d'innocence. Ce serait un non-sens que de déclarer ce qui est déjà. Un jury américain rend un verdict disant coupable (guilty) ou non-coupable (not guilty). Un jury français vote qu'en son âme et conscience, sa réponse est “oui” ou “non” à la question de savoir si X… est coupable d'avoir… (art. 357 du code de procédure pénale, CPP). Il ne vote pas pour savoir si X… est innocent ou s'il y a juste trop de doute. Que l'innocence ait été établi par les débats ou que le jury ait eu un doute, voire que le jury ait voté contre l'évidence (j'y reviendrai), cela revient rigoureusement au même : au dépouillement, il y avait au moins cinq non sur les douze bulletins : on acquitte.

Devant une juridiction correctionnelle, de police ou de proximité[1], un jugement motivé est rendu. Le juge explique les raisons qui ont emporté son intime conviction. Mais dans tous les cas, le dispositif du jugement[2] déclare coupable ou à l'inverse relaxe (ou : renvoie des fins de poursuite). Que le jugement déclare que le prévenu[3] a démontré son innocence de manière irréfutable, ce qui est rare[4], ou que le tribunal relaxe au bénéfice du doute, le résultat est rigoureusement le même : un jugement est rendu qui écarte la culpabilité. Si le parquet ne fait pas appel, ou si c'est la cour d'appel, ne se pourvoit pas en cassation, la décision devient définitive. Il est désormais impossible de poursuivre à nouveau la même personne pour les mêmes faits : les juristes disent non bis in idem pour crâner en latin.

Abordons deux autres hypothèses, qui mettent fin aux poursuites sans pour autant statuer sur la culpabilité.

Tout d'abord, le classement sans suite. Le parquet a en France l'opportunité des poursuites (art. 40-1 du CPP). Il peut décider de classer sans suite toute procédure tant qu'un juge n'est pas saisi. Précision importante : il n'y a pas de désistement en droit pénal français, le parquet ne peut pas “retirer sa plainte” et mettre fin au procès (sauf pour les délits de presse). Environ les trois quarts des plaintes sont ainsi classées sans suite chaque année.

Le classement sans suite n'est pas une décision juridictionnelle. Il n'établit pas l'innocence de la personne visée, et rien n'empêche le parquet de rouvrir les poursuites, tant que les faits ne sont pas prescrits[5]. Le classement sans suite peut être décidé parce que les faits ne sont pas une infraction (une personne va porter plainte contre son plombier qui a mal réparé sa fuite), une alternative aux poursuites a été menée avec succès (convocation devant le délégué du procureur avec indemnisation de la victime), ou qu'un simple rappel à la loi suffit (les faits sont dérisoires et bénins), ou que l'auteur n'a pas été identifié ou les faits établis. Ce n'est pas le parquet qui décide de jeter à la poubelle des dossiers parce que ce sont des feignasses. Je reprocherai tous les péchés du monde au parquet, mais la fainéantise viendra en dernier.

Ensuite, le non-lieu. C'est une décision rendue par un juge d'instruction mettant fin à son enquête sans que quiconque ne soit finalement envoyé devant un tribunal pour être jugé. Ce terme est très mal compris. Il ne signifie pas que les faits n'ont pas eu lieu, mais que, une fois que le juge ayant fait tous les actes permettant la manifestation de la vérité, l'étude globale du dossier conduit à dire qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure (on parle de non lieu à suivre). Soit que les faits soient prescrits, soit qu'ils ne constituent pas une infraction, soit qu'ils n'aient pas été prouvés, soit que l'auteur n'ait pas pu être identifié. Une affaire de meurtre peut se finir en non lieu, alors qu'on sait qu'il y a eu meurtre. Voyez l'affaire Grégory Villemin.

Le non lieu est une décision juridictionnelle (elle est rendue par un juge, et même après un débat contradictoire écrit depuis la loi du 5 mars 2007), mais pas un jugement statuant sur la culpabilité. Le juge d'instruction est neutre, il instruit à charge et à décharge et quand bien même un mis en examen a reconnu les faits, que des preuves objectives corroborent ses déclarations et que les faits ont eu lieu devant des caméras de télévision, il reste présumé innocent quand bien même il est renvoyé devant une juridiction de jugement. Dès lors, puisqu'on n'a pas statué sur la culpabilité, le non lieu met fin aux poursuites, mais pas définitivement. Une réouverture (on dit reprise) de l'instruction est possible tant que la prescription n'est pas acquise. Il faut simplement des charges nouvelles, c'est à dire inconnues lors de la première instruction (art. 189 du CPP). Ajoutons que seul le parquet peut demander cette reprise (art. 190 du CPP).

Il est donc tout à fait loisible de dire qu'un classement sans suite ou un non lieu n'établit pas l'innocence (encore que la lecture de l'ordonnance de non lieu peut dissiper toute incertitude là-dessus).

Mais un acquittement ou une relaxe, si elle n'établit pas nécessairement l'innocence, ne permet plus, une fois devenu définitif, d'établir la culpabilité.

— Et la révision ?

La révision ne marche que dans un sens : reconnaître l'innocence d'une personne définitivement déclarée coupable. Je reviendrai demain là-dessus car la cour de cassation vient de rendre une décision riche d'enseignements pour nous tous, acteurs du monde judiciaire. Il n'y a pas de révision d'un acquittement.

— Mais alors, me demandera-t-on non sans malice, Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, est innocent, puisqu'il a été acquitté le 29 mars 1919. Idem pour Henriette Caillaux, qui a pourtant plaidé coupable du meurtre de Gaston Calmette, acquittée le 28 juillet 1914. Ou encore Louis-Anthelme Grégori, qui ouvrit le feu sur Alfred Dreyfus en 1908 lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon, lui aussi acquitté bien qu'il revendiquât son geste ? Et peut-on dire que John Wilkes Booth est coupable de l'assassinat de Lincoln, lui qui a été tué lors de son arrestation le 26 avril 1865 ?

Au-delà du fait qu'on peut se demander si on peut vraiment reprocher à quelqu'un de tirer sur un journaliste du Figaro (rhôôô, ça va, je plaisante), notons d'emblée que prendre comme référence des cas exceptionnels d'acquittement contre l'évidence rendues pour des raisons politiques liées à l'époque où elles ont été prises est une démonstration un peu bancale. Toujours est-il qu'après leur acquittement, Villain, Caillaux et Grégori ne pouvaient plus être poursuivis et condamnés pour ces faits. Cependant, affirmer publiquement leur culpabilité ne tombe pas sous le coup de la loi. Outre le fait qu'ils l'admettaient tous quand ils ne la revendiquaient pas, les propos accusateurs, susceptibles d'être diffamatoires, peuvent bénéficier de l'exception de vérité dans les dix années suivant les faits, l'article 35 de la loi de 1881 n'excluant pas les décisions définitives de relaxe et d'acquittement (mais bel et bien les condamnations effacées !). Et au-delà, les historiens sont couverts par l'exception de bonne foi, dont les quatre conditions sont la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que la qualité de l’enquête. Ce pourrait être une définition du métier d'historien. On peut donc affirmer que Villain, Caillaux et Grégori étaient bien coupables et ont été acquittés contre l'évidence, sans sombrer dans la diffamation. En revanche, dire que tel chanteur au nez creux aimait trop les enfants tombe sous le coup de la diffamation, les corbeaux de comptoir colportant ces accusations ne remplissant aucune des quatre conditions de la bonne foi.

Quand à Booth, dire qu'il est coupable de l'assassinat n'a guère de sens. C'est répondre à une question juridique qui n'a jamais été posée, puisque le principal suspect est mort avant d'avoir été jugé et condamné après avoir exposé sa défense. Le sort de Booth échappe aux juristes pour passer aux mains des historiens. Et dire que Booth a tiré sur Lincoln est une vérité historique établie.

En conclusion, une décision définitive de culpabilité ou d'innocence n'interdit pas de dire que l'intéressé est néanmoins innocent ou coupable de ces faits, respectivement. Mais cette décision ne peut être écartée d'un revers de la main en affirmant qu'elle ne veut pas dire grand'chose. C'est une décision de justice. Prise après une minutieuse enquête, un long débat public ou chaque partie a pu exposer ses arguments. C'est une preuve.

Elle peut être combattue, Dieu merci, avec des conséquences juridiques différentes selon le cas (la culpabilité peut être effacée, pas la décision de non culpabilité) mais dans tous les cas dans le but de servir la vérité, au sens de vérité historique, qui dans le long terme surpasse en valeur éthique la vérité judiciaire. Mais elle doit être combattue avec des preuves. Pas avec des insinuations et de la médisance, reposant in fine sur le présupposé que quand on est noir et riche, on est forcément un monstre.

Notes

[1] Rappelons que le tribunal correctionnel juge les délits, punis de peines de prison pouvant aller jusqu'à dix ans, le tribunal de police juge les contraventions de 5e classe (punies de 1500 euros, 3000 en cas de récidive), et le juge de proximité juge les contravention des 1e aux 4e classes (punies respectivement de jusqu'à 38 euros, 150 euros, 450 et 750 euros d'amende).

[2] On ne parle pas de verdict devant un tribunal, le verdict ne s'applique qu'à la décision votée et non motivée rendue par une cour d'assises.

[3] Idem : on est accusé que devant la cour d'assises, devaient les autres juridictions pénales, on est prévenu, ce qui explique que je double mes honoraires devant ces juridictions. En effet, un client prévenu en vaut deux.

[4] De fait, j'ai eu une fois un dossier ou j'ai réussi à démontrer de manière irréfutable que mon client était innocent en produisant une série de preuves retraçant l'emploi du temps de mon client à l'heure des faits (bénie soit la société Big Brother). Le tribunal l'a relaxé, mais en se contentant de dire que la preuve de la culpabilité n'était pas rapportée au vu des éléments produits par la défense. Il aurait pu dire que l'innocence était établie, dans cette affaire. Il ne l'a pas fait. Et vous savez quoi ? Je m'en fiche, mais certainement pas autant que mon client.

[5] Les délais de prescription sont en principe de dix ans sans acte de poursuite pour un crime, trois ans pour un délit, un an pour une contravention.

dimanche 21 juin 2009

Fous (pas) ta cagoule !

Tremblez, casseurs, frémissez, black-blocks : votre fin est proche. Le décret « anti-cagoule » est paru au JO, mais vous le savez bien car il s'agit de votre lecture favorite, après le Code de procédure pénale, me murmure Frédéric Lefèbvre Christian Estrosi.

Le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l'incrimination de dissimulation illicite du visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique est paru au J.O. du 20 juin 2009 (page 10067, texte n° 29). Ce décret est bref : il crée un nouvel article R. 645-14 dans le code pénal, ainsi rédigé :

Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public.

La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15[1].

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »

Le décret est entré en vigueur aujourd'hui à zéro heure.

Pourquoi une simple contravention, alors qu'on se souvient qu'il y a deux mois tout juste, le chef de l'État déclarait sur un ton va-t-en guerre son intention de «passer la vitesse supérieure» dans sa «lutte sans merci contre les voyous et les délinquants» ? Si « la vitesse supérieure » de « la lutte sans merci » s'entend de 1.500 euros d'amende max, 3000 en cas de récidive, on se dit que le gouvernement a une marge de progression dans la répression sanguinaire et que la menace de prison indiquera le passage en sur-régime dans la guerre à outrance. L'hypothèse que tout cela relève de la comm' étant naturellement exclue.

Rassurez-vous, pas de mansuétude ici, c'est juste que la contravention de 5e classe est la plus haute sanction qui puisse se prévoir par un simple décret. Pour la prison, il y faut une loi, et ça prend plus de temps, surtout quand il faut revoter les lois que l'assemblée a rejetées avant qu'elles ne se fassent annuler devant le Conseil constitutionnel.

Parce que le fait que c'est une contravention pose un premier problème. Une contravention ne permet pas la garde à vue (art. 67 du CPP). Il est en effet délicat de priver deux jours de liberté une personne qui, fût-elle coupable, ne risque pas la prison. Donc les policiers ne peuvent que contrôler, et le cas échéant vérifier l'identité du contrevenant, dans un délai de quatre heures maximum, puis dresser un procès-verbal de leurs constatations, transmis à l'officier de ministère public du tribunal de police qui décide de poursuivre ou non. Or pendant une manifestation, la police a autre chose à faire que demander ses papiers aux manifestants masqués. Le maintien de l'ordre est un art délicat, qui suppose de s'abstenir de toute provocation qui pourrait déclencher la violence (comme commencer à demander ses papiers à une personne dissimulant son visage mais qui à part ça ne fait rien), et des violences éclatent, à les contenir, tant dans leur localisation que dans leur intensité. Quand volent les pavés et les lacrymos, il n'est plus temps de s'intéresser aux spectateurs passifs dissimulant leur visage.

De plus, cette contravention est un bonheur pour avocat. Probablement soufflés par le Conseil d'État consulté sur cette affaire, la contravention ne frappe pas la simple dissimulation du visage (qui se heurtait au fait que seule la loi peut interdire de dissimuler son visage). Il faut que le contrevenant masqué se dissimule le visage afin de ne pas être identifié. C'est à dire que le ministère public devra apporter la preuve d'un mobile (car on peut se dissimuler le visage à cause d'une vilaine cicatrice, ou porter un masque contre la grippe A…). Ce ne sera pas trop difficile ici mais c'est une première difficulté supplémentaire.

En outre, il faut établir des « circonstances de nature à faire craindre des atteintes à l'ordre public ». Sachant qu'un même fait ne peut constituer plusieurs éléments constitutifs d'une infraction (application classique de l'interprétation stricte de la loi pénale), il sera impossible pour le parquet de soulever que le fait de porter une cagoule fait craindre en soi des atteintes à l'ordre public. Accessoirement, le pluriel impose au moins deux atteintes à l'ordre public, une atteinte ne suffira pas.

De plus, l'infraction, pour être constituée, devant également se dérouler « au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique », le parquet ne pourra tirer argument de ce fait pour établir cette crainte d'atteintes à l'ordre public.

Le calvaire du ministère public ne s'arrête pas là. En supposant qu'il parvienne à établir les éléments constitutifs, la défense peut invoquer deux exceptions, c'est à dire deux faits qui, si elle les établit, exonèrent le prévenu qui doit être relaxé. L'usage local (faut-il en déduire que la contravention est inapplicable en Corse ?) et le motif légitime. Ce dernier point protège notamment les policiers qui, à l'occasion des manifestations, dissimulent leur visage derrière des masques à gaz. Mais précisément, l'usage de gaz lacrymogènes ne rend-il pas légitime le fait de s'apposer un linge sur le visage (bien que son efficacité soit quasi nulle) ? Et, sans parler des manifestations de clowns, que dire de celles à venir contre la prohibition du port du niqāb, où les manifestantes revendiquant la liberté de porter cet accoutrement joindront probablement le geste à la parole, sans tomber sous le coup de la contravention. En outre, n'est-il pas possible d'invoquer le fait que le fait de vouloir dissimuler son identité (élément constitutif de la contravention) constitue le motif légitime du fait de la prolifération des fichiers de police et de la pratique de filmer les manifestants par la police, à des fins inconnues, certes, mais la prudence voulant que dans le doute, on s'abstienne et on cèle son visage ?

Autant dire que cette contravention ne devrait pas connaître un succès, fût-il d'estime, dans les prétoires. Oh bien sûr, il y aura une première fois bien médiatisée par le service communication du ministère de l'intérieur pour démontrer la nécessité et l'utilité de ce texte (alors que personne ne contestera l'utilité médiatique du texte : permettre à un ministre de se faire mousser).

D'autant que la machine à n'importe quoi fonctionne plutôt bien ici, puisque pas plus tard que mardi prochain, l'assemblée va discuter de la proposition de loi rédigée signée par Christian Estrosi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, la fameuse loi “ anti-bandes ”. On sent que le décret a été publié en hâte pour que le ministre de l'intérieur grille la politesse au député d'appoint ainsi désappointé. Car cette loi va rendre ce décret largement inutile.

En effet, cette loi (article 3) prévoit une nouvelle circonstance aggravante de dissimulation du visage, applicable aux violences volontaires (on arrive à une telle liste qu'il devient très difficile de commettre des violences simples), aux vols aggravés, à l'extorsion, à la destruction du bien d'autrui, à la participation délictueuse à un attroupement[2], et la participation armée à un attroupement.

On relèvera que le fait d'avoir visé le seul vol aggravé de l'article 311-4 exclut les auteurs de vol qualifié comme le vol à main armée ou le vol en bande organisée (art. 311-8 et 311-9 du code pénal) ; c'est-à-dire que les braqueurs pourront continuer à se dissimuler le visage dans la plus grande tradition du polar sans encourir d'aggravation de la répression, contrairement à celui qui casse un abribus. Appelons ça de la cohérence législative.

Sur cet aspect de la loi, je n'ai guère à redire. S'agissant d'une circonstance aggravante, elle suppose, pour faire effet, que l'individu se dissimulant le visage commette un délit. Ce qui du coup évite tout débat sur les raisons de cette dissimulation. Juridiquement, ça tient la route.

D'un point de vue criminologique, je suis plus réservé.

Pourquoi une personne se préparant à commettre une infraction se dissimule-t-elle le visage ? Pour ne pas être reconnue : se dissimuler le visage permet de se convaincre de l'impunité. Pas vu, pas pris, comme disait mon légionnaire. Que veut-on donc sanctionner en incriminant cette dissimulation ? Le fait de ne pas vouloir être pris ? Faut-il donc aussi aggraver la répression quand l'auteur essuie ses empreintes, ou veille à ne pas laisser d'empreintes ADN, par cohérence ? Aggraver la répression suppose que l'on considère comme plus grave un comportement délictuel commis dans certaines circonstances. On comprend que frapper une personne est grave, mais s'y mettre à plusieurs ou utiliser une arme est plus grave encore. En quoi lancer un cocktail molotov vers des policiers est-il plus grave si on le fait masqué qu'à visage découvert ?

La réponse du législateur, à lire l'exposé des motifs, est désarmante de naïveté : c'est pour faciliter l'identification des délinquants. Je vous jure, allez le lire. La loi anti-Rapetout, en somme. On imagine très bien la scène :

— Éh, Mouloud ! T'es ouf ! Vire ta cagoule quand tu frappes la vieille dame, tu veux aller en taule ou quoi ?

Une réflexion un peu plus élaborée consisterait à dire : celui qui n'est pas masqué hésitera plus à passer à l'acte de peur d'être identifié. Mais dans ce cas, une circonstance aggravante est inadaptée, puisqu'elle suppose un passage à l'acte accompli.

Un autre argument serait de dire que l'individu masqué a moins d'inhibitions et donc est plus dangereux car il pense ainsi ne pas être pris. Là encore, l'argument se heurte à un autre argument de fait : celui qui agit masqué n'a pas à faire du mal aux témoins, puisqu'il pense qu'ils ne pourront le reconnaître. J'aurais aimé que le député s'appuyât sur des travaux un tant soit peu scientifique pour étayer cette pétition de principe. Rappelons que les Chauffeurs de la Drôme agissaient à visage découvert, puisqu'ils tuaient leurs victimes. Ah, et pour le législateur, qui ouvre sa proposition de loi sur la nouveauté du phénomène des bandes violentes, les Chauffeurs de la Drôme, c'est 1909, et les Apaches de Manda et Leca se disputant Casque d'Or à coups de couteau (et sans cagoule), c'est 1902.

Reste le dernier argument et le seul contre lequel je n'ai rien à répliquer : les cagoules, ça passe super bien à la télé.

Notes

[1] La récidive est constituée si la contravention est à nouveau commise dans le délit d'un an suivant l'expiration, c'est-à-dire généralement le paiement, ou la prescription de la précédente peine (art. 132-11). L'article 132-15 applique la récidive… aux personnes morales. D'où une question : une société commerciale qui porte la cagoule est-elle ce qu'on appelle une société anonyme ?

[2] la participation devient délictueuse après que les forces de l'ordre ont sommé dans les formes prévues par la loi les participants de se disperser.

mercredi 29 avril 2009

Synthèse de la décision du CSM concernant Fabrice Burgaud

Tout le monde n'aura pas le courage de lire la longue décision du CSM concernant Fabrice Burgaud, sans compter ceux qui n'ont pas besoin de lire quoi que ce soit pour avoir une opinion sur tout.

C'est dommage, car le CSM a fait un vrai effort de pédagogie et de rédaction de sa motivation, qui est un élément indispensable à la compréhension de cette décision.

Alors pour ceux qui sont overbooké, qui vont sur mon site (ou sur Rue89 où cet article sera repris) pendant que leur patron ont le dos tourné, voici une synthèse de la décision pour pouvoir briller en société en y consacrant un minimum de temps.

Comme toute décision juridictionnelle, elle rappelle d'abord les règles de droit applicables (cette partie s'appelle le visa), puis, après avoir rappelé le déroulement de la procédure, reprend un par un les arguments du demandeur et y répond, expliquant en quoi elle le rejette ou au contraire pourquoi elle l'estime fondé (cette partie s'appelle les motifs), avant d'exposer la teneur de sa décision cette conclusion s'appelle le dispositif. Rappelons enfin que le demandeur est ici le Garde des Sceaux, représenté par Mme Lottin, directrice des services judiciaires de la Chancellerie, désigné par la décision comme “l'autorité de poursuite”. Le défendeur est bien évidemment Fabrice Burgaud.

Les règles de droit applicables.

La règle de droit applicable rappelée en exergue est la suivante. N'espérez pas comprendre la décision si vous ne l'avez pas à l'esprit (les passages entre crochets sont des commentaires de votre serviteur).

D'abord, qu'est-ce qu'une faute disciplinaire pour un magistrat ?

La réponse se trouve à l'article 43 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

► Premier point, le Conseil rappelle le principe que l'indépendance des juges ne permet pas de critiquer les décisions qu'ils ont rendues, que ce soit dans leur motivation ou dans le sens de la décision, autrement que par l'exercice d'une voie de recours (appel, pourvoi en cassation, etc…), ce qui recouvre les actes du juges d'instruction. Donc le CSM ne jugera pas l'instruction effectuée par Fabrice Burgaud quand il était juge d'instruction à Boulogne : c'était le rôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai

Le Conseil rappelle les deux exceptions à cette règle :

Premièrement, si un tel manquement a été constaté lors d'un recours contre une décision du juge, le CSM peut sanctionner cette violation.

Deuxièmement, lorsqu'un juge a, de façon grossière et systématique, outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu'il n'a accompli, malgré les apparences, qu'un acte étranger à toute activité juridictionnelle, des poursuites disciplinaires peuvent être engagées.

Or dans notre affaire, l'instruction menée par Fabrice Burgaud a fait l'objet de nombreux recours devant la chambre de l'instruction, qui ont tous été rejetés. La première exception ne joue pas.

► Deuxième point, s'agissant du comportement global du magistrat et non plus des décisions qu'il a rendues, s'il n'appartient pas à la juridiction disciplinaire d'apprécier, a posteriori, la démarche intellectuelle du magistrat instructeur dans le traitement des procédures qui lui sont confiées, les carences professionnelles de celui-ci peuvent, néanmoins, être sanctionnées lorsqu'elles démontrent, notamment, une activité insuffisante, ou un manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l'information, un défaut d'impartialité, de loyauté ou de respect de la dignité de la personne.

Les griefs contre le magistrat

Voici les règles posées. Le CSM va reprendre ensuite un à un, en les classifiant, les vingt griefs soulevés par la Chancellerie. Et va en rejeter douze sur vingt, dont un (le 3-9) qui ne reposait sur aucun élément. Amusant quand on se souvient que l'on reproche à Fabrice Burgaud d'avoir traité son dossier avec légèreté…

S'agissant des huit qu'il va retenir, le CSM va suivre le raisonnement de la Chancellerie, qui reconnaissait elle-même qu'aucun de ces griefs ne constituait en soi une faute. Je le répète : la Chancellerie reconnaissait elle-même que Fabrice Burgaud n'avait commis aucune faute. Ça a échappé à beaucoup de commentateurs. Mais le cumul de ces griefs, qualifiés de « négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans les techniques d'audition et d'interrogatoire » constituerait lui une faute selon le Conseil, qui permet de prononcer une sanction. Le fait que la sanction prononcée soit la plus légère tient à une autre raison, que j'avais déjà annoncée (l'amnistie) sur laquelle je reviendrai à la fin.

La liste de ces griefs figure dans la décision, que je ne vais pas paraphraser ici, mais commenter. Sa lecture laisse un certain malaise à votre serviteur. Si cette liste montre bien que Fabrice Burgaud n'a pas été d'un professionnalisme à toute épreuve, et a même à certains moments fait preuve d'une certaine incompétence, je ne puis m'empêcher de penser que l'affaire d'Outreau, ce n'est pas le fait que le juge ait confondu deux Priscilla, ou ne se soit pas ému que d'une version à l'autre, le récit des enfants change. Si ces erreurs, pour regrettables qu'elles fussent, n'avaient pas été commises, l'affaire n'aurait-elle pas eu lieu ? Je vous donne un indice : Fabrice Burgaud est parti en juillet 2002. Le réquisitoire définitif demandera un non lieu pour un des mis en examen, qui sera accordé par le juge ayant succédé à Fabrice Burgaud, mais ce non lieu sera annulé par la chambre de l'instruction de Douai et le mis en examen en question renvoyé devant les assises de St-Omer où il sera acquitté. De même, ce ne sont certainement pas ces absences de vérification et ces contradictions non relevées qui ont été déterminantes lors du procès de St-Omer, où certains futurs acquittés seront condamnés, puisque la procédure devant la cour est orale, et que les jurés n'ont donc pas eu accès à ces procès-verbaux. À vous de vous faire votre opinion en relisant si vous le souhaitez la décision du CSM.

L'effet de l'amnistie

Comme je l'avais indiqué, un obstacle majeur se dressait sur la route de la Chancellerie : la loi d'amnistie votée à l'occasion de la ré-élection triomphale de Jacques Chirac. Elle amnistiait tous les faits constituant des fautes disciplinaires commis avant le 17 mai 2002 (date du début du second mandat de Jacques Chirac) ; or Fabrice Burgaud a quitté son poste à la fin du mois de juillet 2002.

La loi d'amnistie prévoit une exception à l'effacement de la faute : si elle constitue un manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs. Le CSM examine si les griefs antérieurs au 17 mai 2002 qu'il a retenus constituent un tel manquement et répond par la négative. En effet, les termes « négligences, maladresses ou défauts de maîtrise » retenus désignent des fautes involontaires. On ne manque pas à l'honneur ou à la probité par négligence.

Le CSM indique qu'il ne retiendra donc que les faits postérieurs au 17 mai 2002 pour évaluer la sanction. Là encore, si vous ne gardez pas ce point à l'esprit, vous vous condamnez à ne pas comprendre cette décision.

Cela laisse sept interrogatoires dont un d'un mineur et deux de Myriam Badaoui jugés insatisfaisants, une investigation non effectuée alors qu'elle aurait été nécessaire selon le CSM, deux notifications d'expertise effectuée juste avant la clôture de l'information, et la clôture elle-même sans avoir répondu aux demandes d'actes dont il était saisi.

C'est sur la base de ces seuls éléments que le CSM va déterminer la sanction.

La sanction adéquate.

Si vous avez suivi, je pense que la réprimande prononcée, la plus basse des neufs sanctions possibles, vous apparaît désormais plus claire.

Ce n'est pas toute l'instruction qui est jugée, mais seulement les trois dernier mois (du 17 mai au 7 août 2002) sur 20 mois d'instruction. Ce d'autant plus que le Conseil ajoute que sur la centaine d'autres dossiers que Fabrice Burgaud a instruit, aucun de ces manquements n'a été relevé, qu'aucune observation pouvant le mettre en garde n'a été faite par les autres magistrats intervenant sur le dossier, que ce soit le parquet de Boulogne ou la chambre de l'instruction de Douai, qu'aucune demande de nullité de la procédure n'a jamais été déposé par un des avocats des mis en examen, que cette affaire était extraordinaire par son ampleur et sa complexité, qu'il n'est pas contesté que Fabrice Burgaud s'est investi à fond dans le dossier et qu'enfin il n'a pas disposé des moyens dont il avait besoin et ce malgré ses demandes répétées.

Le Conseil prononce donc la sanction de réprimande avec inscription au dossier.

Ultime commentaire sur cette décision.

Cette décision ne satisfait pas l'opinion publique, je m'en rends bien compte. Et je m'en fiche. C'est le confort de l'avocat sur le politique. Le CSM n'avait pas à rejouer les Animaux Malades de la Peste et à crier haro sur le Burgaud. Mais elle ne me satisfait pas non plus, pour une raison sans doute opposée à l'opinion publique. Je pense pour ma part que le CSM n'avait pas de quoi condamner Fabrice Burgaud.

Je m'explique.

D'entrée de jeu, le CSM rappelle la règle : il cherche des fautes mais ne juge pas le travail du juge : c'est là le rôle des voies de recours (qui dans cette affaire n'ont pas été exercées hormis pour les demandes de mises en liberté). Et pourtant, c'est exactement ce qu'il va faire dans cette décision. Il va éplucher méticuleusement le dossier à la recherche des oublis, des contradictions non relevées, des astuces pourtant monnaie courante pour gagner un peu de temps (des expertises en même temps que des avis de fin d'instruction, j'en ai reçu à la pelle avant la loi du 5 mars 2007 qui a réformé le système). Bref, il va juger le travail du juge hors des voies de recours, va admettre que ce ne sont pas des fautes, mais en les empilant, va estimer qu'elle deviennent une faute. Il va ensuite constater que l'amnistie en fait disparaître 80%, et va donc sanctionner les 20% restant. Sacré tour de passe passe, plus à sa place dans Le Plus Grand Cabaret du Monde que dans une décision juridictionnelle.

Au-delà du cas de Fabrice Burgaud, que les Français adorent détester et dont je me fiche à titre personnel (hormis quand il met un de mes clients en prison, puisqu'il est à l'exécution des peines de mon tribunal), le CSM ouvre ainsi une porte à un contrôle disciplinaire de la qualité du travail du juge, et permet de le sanctionner même si aucune faute n'est constituée, en trouvant un cumul de négligences. Vous avez envie d'applaudir, car rien n'exaspère plus les Français que les privilèges qu'ils n'ont pas[1] ? Fort bien, mais gardez une chose à l'esprit : le pouvoir disciplinaire est mis en branle par le Garde des Sceaux, qui obéit donc au premier ministre (quand il y en a un) et au président de la République (pourtant garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire). Souvenez-vous en le jour où vous aurez comme adversaire un ami du pouvoir. Par cette porte ouverte, c'est l'indépendance du juge qui peut prendre la poudre d'escampette. C'est bien cher payé pour la tête de Fabrice Burgaud.

En outre, et j'en finirai là-dessus, avoir fait de Fabrice Burgaud le bouc émissaire de cette affaire, quitte à lui inventer des fautes (combien de gens m'ont-ils dit qu'il avait renvoyé aux assises un accusé pour le viol d'un enfant qui n'était pas né, alors qu'il s'agit d'une erreur commis longtemps après son départ par le parquet et rectifiée avant la cour d'assises par la chambre de l'instruction ?), c'est une façon commode d'escamoter les véritables leçons à tirer de cette affaire. Une réformette votée en mars 2007, dont le principal volet (la collégialité de l'instruction) est remise en cause avant même son entrée en vigueur (le 1er janvier prochain) par l'annonce de la suppression du juge d'instruction). Une réforme grotesque de la formation des magistrats (des tests psychologiques et six mois en cabinet d'avocat, mais suppression du stage en prison…). Et les pots cassés étant payés par les magistrats, lâchés par leurs ministres successifs, et donc sans voix pour se défendre, avec comme prix une perte de confiance des Français dans leur justice. Un gâchis peut en cacher un autre. Et même un troisième car les dégâts sont considérables dans les relations magistrats-chancellerie (l'actuelle locataire —à moins qu'elle ne soit plus qu'occupante sans droit ni titre ?— n'ayant rien fait pour arranger les choses, témoin ce communiqué que je mets en annexe, diffusé sur l'intranet du ministère de la justice à l'attention des magistrats. Comme on pouvait s'y attendre, le principal sujet du communiqué sur la décision Burgaud est le Garde des Sceaux elle-même. Si vous voulez donner un sens au concept de “ déplacé ”, c'est un cas d'école.

Allez, je sens que je vais plus me faire démonter en commentaires que si j'avais dit du bien de Youssouf Fofana.


Annexe : Communiqué de la Chancellerie (Source : Intranet du ministère de la Justice).

Communiqué du 27 avril 2009

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a rendu hier sa décision à l’égard de M. Burgaud. Beaucoup de français auront du mal à comprendre une décision qui, dans une affaire aussi grave, prononce une sanction symbolique. Mais il faut rappeler que le CSM est une instance indépendante qui nomme les juges du siège et prononce les sanctions à leur égard.

Les avocats de M. Burgaud mettent en cause l’impartialité de l’un des membres du CSM, M. Chavigné. Ce magistrat a siégé tout au long de l’instance disciplinaire qui a duré une semaine, sans qu’à aucun moment son impartialité n’ait été mise en doute par la défense de M. Burgaud. Il lui est reproché d’avoir, en août 2003, statué sur une demande de liberté concernant l’un des accusés de l’affaire d’Outreau. Il est à noter qu’à cette date, M. Burgaud n’était plus en charge de cette affaire depuis un an et que les faits qui étaient débattus devant le CSM n’avaient aucun lien avec l’audience à laquelle aurait participé M. Chavigné. Ce dernier doit fournir très rapidement au président du CSM toutes les explications qui permettront d’éclaircir la situation.

Dans cette attente, il est malhonnête de polémiquer. Mme Guigou a cru pouvoir mettre en cause la Chancellerie alors que celle-ci n’avait aucun moyen de connaître cette situation remontant à plusieurs années et qu’aucun des membres du CSM ne connaissait. Cette attaque est indigne. Mme Guigou, porte une lourde responsabilité, avec le parti socialiste, dans la dégradation de la confiance des français envers leur justice ; elle n’a porté, lorsqu’elle était garde des Sceaux, aucune des réformes qui auraient pu éviter cette dégradation. Elle n’a pas réformé le CSM, alors qu’il s’agissait pourtant d’un des points du programme de François Mitterrand et de Lionel Jospin.

N’ayant rien à dire sur le fond, elle se livre aujourd’hui à des attaques personnelles, alors que sous l’impulsion du Président Sarkozy, j’ai engagé une profonde réforme des institutions judiciaires.

Un nouveau CSM, dans lequel les personnalités extérieures à la magistrature seront majoritaires, sera prochainement mis en place. Tous les justiciables pourront présenter devant lui des recours disciplinaires contre les magistrats dont ils auront à se plaindre. L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a également été réformée pour que les juges soient plus en phase avec la société française d’aujourd’hui.

Les droits des justiciables et les libertés individuelles auront plus progressé en deux ans que sous l’ensemble des gouvernements socialistes.


P.-S. : Heu, non, là, je ne peux pas laisser passer.

Un rapide bilan de tous les gouvernements socialistes : Abolition de la peine de mort (qui est un progrès du droit du justiciable, tout de même), ouverture du droit au recours individuel devant la cour européenne des droits de l'homme (le même jour, d'ailleurs), droit à un avocat en garde à vue à la 21e heure en 1993 puis dès le début en 2000, droit de l'avocat de demander des actes au juge d'instruction, de poser des questions lors des interrogatoires et confrontations (1993), d'exercer un recours contre ses décisions (idem), gratuité de la copie du dossier (qu'est ce que ça a pu changer l'exercice effectif des droits de la défense, et par un simple décret, c'était en 2001), appel en matière criminelle (sans lequel six des acquittés d'Outreau seraient encore en prison), et j'en passe. Ces deux dernières années, c'est : peines plancher et rétention de sûreté. Youhou le progrès.

Notes

[1] Encore qu'en l'espèce, ils l'ont puisqu'en matière de droit du travail, la loi pose une prescription de deux mois pour poursuivre le salarié tandis que la faute du magistrat est imprescriptible, ce qui fait qu'un cumul de négligences que l'employeur reconnaîtrait non fautives ne permettrait pas en soi de licencier un salarié.

vendredi 24 avril 2009

La décision du CSM dans l'affaire Burgaud

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège
24 avril 2009
M. Fabrice BURGAUD

DÉCISION



Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux, ministre de la Justice, contre M. Fabrice Burgaud, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, premier président de Cour de cassation, en présence de M. Francis Brun Buisson, conseiller-maître à la Cour des comptes, M. Jean-Claude Becane, secrétaire général honoraire du Sénat, M. Dominique Chagnollaud, professeur des universités, M. Dominique Latournerie, conseiller d'Etat honoraire, M. Jean-François Weber, président de chambre honoraire à la Cour de cassation maintenu en activité de service, M. Hervé Grange, premier président de la cour d'appel de Pau, M. Michel Le Pogam, président du tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne, M. Luc Barbier, juge au tribunal de grande instance de Paris, Mme Gracieuse Lacoste, conseillère à la cour d'appel de Pau, et M. Xavier Chavigné, substitut du procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, membres du Conseil supérieur de la magistrature,

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jeudi 16 avril 2009

Haussons le niveau de Besson

C'est marrant, c'est toujours quand je m'y attends le moins qu'un de mes billets a un certain écho. C'est encore le cas avec mon billet sur les propos d'Éric Besson, pourtant tenus cinq jours plus tôt, ce qui en temps médiatique est une éternité.

France Info, dans Info Net, s'est ainsi fait l'écho de mon coup de gueule contre le cerbère de l'Hexagone.

Et un honneur n'arrivant jamais seul, le judas de la porte d'entrée de la République était aujourd'hui l'invité de Alain Marschall et Olivier Truchot dans l'émission Les Grandes Gueules sur RMC. Il a à cette occasion été confronté à mes propos, et en profité pour itérer les siens.

Je retiens ce passage (à la 104e seconde de l'enregistrement) : « Ce que j'ai dit c'est que personne n'a jamais été condamné en France (…) pour avoir hébergé à son domicile un étranger en situation irrégulière … ».

Il l'a bien dit, redit, et il le maintient, nous sommes d'accord ?

Bon. Voici le texte de l'arrêt de 2006 que je citais, les seules modifications apportées visant à assurer l'anonymat des personnes mises en cause (y compris le travail du prévenu). C'est le cas de C… qui nous intéresse. Je graisse ; les notes de bas de page sont de moi. Voyez vous-même : la cour d'appel annule la relaxe et condamne une personne qui a hébergé son amant deux ou trois nuit, sachant que cet amant a été régularisé au titre de l'asile dès qu'il a pu effectuer la démarche, trois mois après son arrivée en France. Peu importe, dit la cour : avant cette démarche, il était en situation irrégulière, et être simples amants (ils sont devenus concubins stables, mais seulement par la suite) ne donne aucune immunité. Coupable au titre de l'article L.622-1 pour avoir hébergé son petit ami (qui était légitime à demander l'asile) trois nuits.


COUR D'APPEL DE DOUAI, (4ème Chambre)
Arrêt du 14 novembre 2006

RG : no 06/01132

A… et a.

DÉROULEMENT DES DÉBATS:

A l'audience publique du 17 Octobre 2006, le Président a constaté l'identité de C…, K… et de M… et le décès de A….

Ont été entendus:

Madame GALLEN en son rapport;

C…, K… et M… en leurs interrogatoires et moyens de défense (pour K… et M… par l'intermédiaire de Madame DARCY Maryam, Interprète en langue Farsi, inscrite sur la liste des experts près la Cour d'Appel de DOUAI)

Le Ministère Public, en ses réquisitions:

Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale.

C…, K… et M… et leurs Conseils ont eu la parole en dernier.

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 14 Novembre 2006.

Et ledit jour, la Cour ne pouvant se constituer de la même façon, le Président, usant de la faculté résultant des dispositions de l'article 485 du code de procédure pénale, a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministère Public et du greffier d'audience.

DÉCISION:

VU TOUTES LES PIÈCES DU DOSSIER,

LA COUR APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRÊT SUIVANT:

Devant le Tribunal de Grande Instance de BOULOGNE SUR MER, (…)

C… était prévenu:

- d'avoir à CALAIS, MARCK, COQUELLES, dans le département du PAS-DE-CALAIS et DUNKERQUE, dans le courant de l'année 2004 et jusqu'au 22 février 2005 et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, par aide directe ou indirecte, en l'espèce, en hébergeant, véhiculant et en fournissant des moyens matériels de subsistance et de communication, facilité ou tenté de faciliter la circulation ou le séjour irrégulier de T… et M…, étrangers en situation irrégulière, faits antérieurement prévus et réprimés par l'article 21 de l'ordonnance 45-2658 du 2 novembre 1945 et actuellement par les articles L.622-1, L.622-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Par jugement contradictoire en date du 19 janvier 2006, le Tribunal, après avoir prononcé une relaxe partielle à l'égard de C… pour l'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire national de T… par application de l'article L.622-4, 2° du CESEDA[1], a déclaré l'ensemble des prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés et les a condamnés, (…), C… à une dispense de peine.

Le Tribunal a en outre ordonné la confiscation des scellés.

Monsieur le Procureur de la République a relevé appel principal du jugement à l'égard des quatre prévenus et s'agissant de C…, uniquement de la relaxe partielle.

(…)

Sur la relaxe partielle de C…

Attendu que pour entrer en voie de relaxe partielle en faveur de C…, le Tribunal l'a fait bénéficier des dispositions de l'article L. 622-4, 2° du C.E.S.E.D.A. qui prévoient que ne peut donner lieu à des poursuites pénales l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

Attendu que c'est à tort qu'en l'espèce le Tribunal a estimé que C… vivait notoirement en situation maritale lors des faits avec T… ;

qu'en effet T… est entré en France le 1er juin 2004 et s'est présenté à la Préfecture d'Arras le 30 août 2004, date à laquelle il s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour valable un mois;

Attendu qu'une demande d'asile politique a été enregistrée pour son compte par l'OFPRA le 13 septembre 2004, le statut de réfugié lui étant accordé le 23 décembre 2004;

Attendu que T… a indiqué le 2 juin 2005 devant le Magistrat Instructeur qu'il avait rencontré C… durant l'été 2004, ce dernier ayant confirmé qu'il l'avait rencontré dans un parc;

Attendu que T… a bien précisé qu'au départ il passait seulement deux à trois nuits chez C…et que c'était seulement lorsque les “choses s'étaient stabilisées” qu'ils “avaient décidé d'aller déposer sa demande d'asile”;

Attendu qu'entre le 1er juin 2004 et jusqu'au 13 septembre 2004, T… indique lui même (côte D 595 de la procédure) que sa situation n'était pas stabilisée avec C… ;

Attendu dès lors que C… ne vivant pas notoirement en situation maritale avec T… ne saurait bénéficier de l'exonération de responsabilité pénale prévue par l'article précité;

que la Cour infirme donc la relaxe partielle et déclare le prévenu coupable de ces faits, sans qu'il y ait lieu de prononcer une peine à son égard puisque C… a déjà été déclaré coupable du même délit en faveur de M…, dispensé de peine et que le Parquet n'a pas fait appel sur ce point, le jugement étant donc définitif à cet égard.

(…)

Par ces motifs:

LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement (…)

- Infirme la relaxe partielle prononcée en faveur de C…,
- Le déclare coupable d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier de T…,
- Dit n'y avoir lieu à prononcer d'autre peine à son égard que la dispense de peine déjà prononcée par le Tribunal et dont il n'a pas relevé appel,
(…)


Alors, en effet, on peut chipoter. La dispense de peine prononcée par le tribunal pour l'aide au séjour commis par C… au profit de M… étant devenue définitive, la cour ne pouvait pas prononcer de peine. Techniquement, il n'a pas été condamné à une peine… faute de peine. Mais il y a bien déclaration de culpabilité. Pour trois nuits ; par un fonctionnaire, sans aucun lien avec un quelconque réseau, mais parce qu'il était tombé amoureux de cet étranger (qui par la suite est devenu son compagnon stable et notoire). La cour dit clairement que le délit d'aide au séjour irrégulier est constitué. Je ne garantis pas que la cour, s'il n'y avait pas l'autorité de la chose jugée sur la peine, n'aurait pas prononcé une peine.

Bon, me dira-t-on, j'ai trouvé UNE décision qui avait échappé au ministre, la belle affaire.

Une, vraiment ?

Héberger chez soi, pour des motifs humanitaire, des étrangers sans papiers constitue le délit, les mobiles humanitaires, incontestables, étant simplement une circonstance atténuante pour le prononcé de la peine : Cour d'appel d'Agen, 13 oct. 1994, inédit.

Le prévenu, exerçant une activité de marabout, a accepté d'héberger un étranger en situation irrégulière. Il était parfaitement informé de la situation administrative de cet étranger car il était, comme lui, demandeur d'asile débouté et parfaitement informé des conditions de séjour des étrangers en France ; il est donc coupable : Cour d'appel de Limoges, 3 nov. 1993, inédit.

Il appartient au gérant d'un hôtel meublé de s'assurer de la régularité de la situation des étrangers qu'il héberge durant la période d'hébergement au risque de se rendre coupable d'aide à immigration clandestine. Sa responsabilité pénale n'est pas limitée aux locataires en titre mais doit être étendue aux locataires clandestins dont il est établi que le prévenu connaissait la présence sur les lieux et contre laquelle il s'est délibérément abstenu d'intervenir ( Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5 nov. 1992). L'aide peut donc se faire passivement.

Une personne qui aide une prostituée à se livrer au commerce de ses charmes commet le délit de proxénétisme ET d'aide au séjour irrégulier : Cour d'appel de Paris 10e ch. B., 19 déc. 1990).

Deux membres d'une association ayant aidé et hébergé à leurs domiciles des étrangers en situation irrégulière ont été dispensés de peine. Sous couvert de préoccupations humanitaires, les deux ressortissants français ont prêté leur concours « de manière fort imprudente » à des opérations de transferts de fonds destinées au financement du passage à destination de la Grande-Bretagne de nombreux clandestins et ont à plusieurs reprises hébergé à leurs domiciles des réfugiés dont ils n'ignoraient pas la situation irrégulière. Le tribunal relève que ni l'un, ni l'autre ne se sont personnellement enrichis. Dispense de peine. ( T. corr. Boulogne-sur-Mer, 19 août 2004, no 1178/2004). Je pense que ce sont les deux cas auxquels M. Besson faisait allusion sur France Inter.

Monsieur Besson nie également que transporter un étranger en auto-stop puisse en soi constituer le délit. En effet, sur l'auto-stop, je n'ai pas trouvé de jurisprudence. Mais…

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt n°03-08328 du 21 janvier 2004 : confirme la condamnation d'un chauffeur de taxi qui conduisait des clients qu'il savait être clandestins à Dunkerque, Marquise ou Boulogne Sur Mer. Il est établi qu'il ne faisait partie d'aucun réseau. Il ne leur facturait que le tarif normal de la course. 2 ans de prison avec sursis, 2 ans d'interdiction d'exercice de la profession, de taxi.

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mai 1993, n°92-82779 : condamnation du conducteur du véhicule ayant transporté un étranger sans papier lors de son franchissement de la frontière.

Le simple fait de porter les bagages d'un étranger qui franchit la frontière par ses propres moyens constitue le délit : Cour d'appel de Grenoble, 29 sept. 1989, inédit.

Ça devient parfois assez gonflé, quand l'aide à la circulation recouvre… l'aide à quitter le territoire : l'aide apportée, en connaissance de cause, à un étranger en situation irrégulière en France, pour lui permettre de quitter le territoire français sans effectuer les contrôles de police nécessaires s'analyse comme l'aide au séjour irrégulier d'un étranger ( Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 27 juin 1994).

Le chef de poste de la police de l'air et des frontières dans un aéroport, qui malgré la décision de non-admission sur le territoire français prise à l'encontre d'une étrangère, la fait illégalement sortir de la zone de non-admission, l'installe dans un hôtel pendant deux nuits en payant les frais avant de l'accompagner dans une gare où il lui fait don d'une somme d'argent pour lui permettre de prendre le train, se rend coupable du délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France et ne saurait se retrancher derrière le but humanitaire de son geste ( CA Paris, 3 janv. 1994). La cour dit expressément que le mobile humanitaire est indifférent à la culpabilité.

Ajoutons que jusqu'à la loi du 26 novembre 2003, se prêter à un mariage blanc pour permettre à son faux conjoint d'obtenir des papiers était une aide au séjour. C'est devenu un délit autonome… puni exactement des mêmes peines (art. L.623-1 et s. du CESEDA). Bref une disposition légale totalement inutile.

Et pendant qu'on y est, M. Besson nous parle de 4500 arrestations aboutissant à 1000 condamnations. Soit un ratio d'une condamnation pour 4,5 interpellés, qui est très mauvais. Qui sont les 3500 qui restent ? Des erreurs judiciaires ? Parce que ça veut dire qu'on place chaque jour en garde à vue 10 innocents, ou du moins des personnes qu'on ne juge pas utile de poursuivre ou à l'encontre desquelles il n'y a pas de preuve.

Ou alors, ce sont des mythes, eux aussi ?

Quand on me cherche, on me trouve.

José Bové et Éric Besson confèrent à voix basse. Le premier (qui bien sûr se tient à gauche) dit au second (qui curieusement se retrouve à droite) son inoubliable apophtegme : « Sur les blogs, on peut dire n'importe quoi. » Ce à quoi Éric Besson répond : « Ah bon ? C'est comme France Inter ?»

Notes

[1] Immunité pour le concubin notoire de l'étranger.

mercredi 4 mars 2009

HADOPI, mon amie, qui es-tu ?

Alors, cette fameuse loi «HADOPI», qu'est-ce qu'elle raconte au juste ?

Chipotons un brin

Pour le moment, rien, car ce n'est qu'un projet de loi, adopté par le Sénat mais pas encore examiné par l'Assemblée. L'exposé que je vais vous faire concerne donc le projet tel qu'adopté par le Sénat. Il va très probablement être modifié par les députés, mais c'est le seul document de travail dont je dispose, par la force des choses.

Et de fait, je ne m'attarderai qu'au seul article 2, qui contient l'essentiel du projet de loi, le reste des dispositions de la loi étant à ce jour essentiellement de la rénumérotation de textes et des transferts de compétence pour tenir compte de la création de la fameuse HADŒPI.

Pour cet exposé, j'appellerai le projet de loi HADOPI, pour éviter d'utiliser le nom officiel un peu long (Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet), et utiliserai la graphie HADŒPI quand je parlerai de la future Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet.

Soulevons le capot

Comme je l'avais dit lors de la promulgation de la loi DADVSI :

Que serait une nouveauté législative sans une nouvelle autorité administrative indépendante qui lui est consacrée, et qui permet ainsi au ministre concerné de se défausser de ses responsabilités ? Réponse : ce que vous voulez sauf une réforme française.

La loi HADOPI sera une réforme française, puisqu'elle crée une nouvelle Autorité Administrative Indépendante, la HADŒPI.

Son organisation est un pur copier/coller de l'organisation habituelle de ces Autorités Indépendantes : un collège de neuf membres, nommés pour six ans non renouvelables et non révocables ; un Conseiller d'État, un Conseiller à la cour de cassation, un conseiller à la cour des comptes, le président de l'HADOPI, élu par les Neufs, devant être un de ces trois là, un membre désigné par le président de l'Académie des Technologies, un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique désigné par son président et quatre personnalités qualifiées, désignées sur proposition conjointe des ministres chargés des communications électroniques, de la consommation et de la culture.

Son rôle serait défini à un futur article L.331-13 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et se divise en trois missions :

« 1° Une mission d’encouragement au développement de l’offre commerciale légale et d’observation de l’utilisation illicite ou licite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

« 2° Une mission de protection de ces œuvres et objets à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

« 3° Une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par le droit d’auteur ou par les droits voisins.

Et concrètement, ça marche comment ?

« Au titre de ces missions, la Haute Autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire. Elle est consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi ou de décret intéressant la protection des droits de propriété littéraire et artistique. Elle peut également être consultée par le Gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toute question relative à ses domaines de compétence.

« Elle contribue, à la demande du Premier ministre, à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales dans le domaine de la protection des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux numériques. Elle peut participer, à la demande du Premier ministre, à la représentation française dans les organisations internationales et européennes compétentes en ce domaine.

Voilà, c'est tout.

Je vous sens surpris. La HADŒPI ne devait-elle pas vous priver d'internet ?

Non. Tout le monde se focalise sur la HADŒPI alors que c'est une autre formation, la Commission de Protection des Droits (CPD), qui porte fort mal son nom, qui maniera la pince coupe-cable éthernet. Certes, la CPD est rattachée administrativement à la HADŒPI, pour le budget et les locaux, mais les fonctions de membre de la HADŒPI et de la CPD sont incompatibles (futur art. L.331-16 du CPI) : c'est bien une formation distincte.

La vraie méchante : la Commission de Protection des Droits

La CPD est composée d'un Conseiller d'État, un conseiller à la cour de cassation et un conseiller à la cour des comptes, désignés par le président de ces juridictions, sauf pour le Conseil d'État où c'est le vice-président[1]. Trois magistrats, donc, un administratif pur, un judiciaire et un administratif spécialisé. Rien à redire sur la composition, les magistrats à la cour des comptes sont très compétents sur toutes les questions économiques. Elle dispose d'agents publics assermentés qui travaillent sous son autorité.

Question garantie d'indépendance, outre l'irrévocabilité et la non-reconductibilité, les membres du Collège comme de la CPD ne peuvent avoir exercé, au cours des trois dernières années, les fonctions de dirigeant, de salarié ou de conseiller d’une société de perception et répartition des droits (SACEM, SPEDIDAM…) ou d'une société commerciale ayant un intérêt dans l'exploitation d'œuvres de l'esprit (production, édition de livres, films, musique, etc).

Donc, la CPD, puisque c'est elle la méchante, comment marche-t-elle au juste ?

Trouvez moi un responsable pas coupable !

Le législateur a été rusé. La difficulté est, comme l'ont relevé beaucoup d'internautes, que l'on ne peut pas savoir qui effectue des opérations de téléchargement ou de visionnage portant atteinte aux droits d'auteur. On a au mieux une adresse IP, qui n'indique que le fournisseur d'accès à internet (FAI). Le FAI sait à quel abonné était attribué cette adresse IP tel jour à tel heure. Mais cela ne révèle que le titulaire de l'abonnement. Le contrefacteur peut être son fils (mineur), son voisin qui profite d'un réseau wifi non protégé, un ami de passage… Et si l'adresse IP correspond à une entreprise, une université et un cybercafé, vous comprenez le casse-tête.

Or le législateur n'aime pas se casser la tête.

On ne peut pas savoir qui a téléchargé, seulement le titulaire de l'abonnement ? Alors, ce sera lui le responsable, en vertu de la jurisprudence Loup v. Agneau : « si ce n'est toi c'est donc ton frère ».

La loi va insérer dans le Code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 336-3 ainsi rédigé :

La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise.

Or le simple constat qu'une atteinte à une œuvre protégée a eu lieu depuis son abonnement démontre que cette obligation n'a pas été respectée, ce qui constitue la faute. CQFD.

Peu importe que le titulaire de l'abonnement ne soit pas le contrefacteur. On ne l'accuse pas de contrefaçon. Il est juste fautif de non surveillance de son accès internet. Présomption d'innocence, prohibition de la responsabilité pénale du fait d'autrui, dites-vous ? Mais les seules sanctions (que j'examinerai plus loin avec la procédure) seront purement civiles, les règles (protectrices) du droit pénal ne s'appliquent pas.

Je peste souvent contre le législateur, mais je dois rendre hommage à son génie dès lors qu'il s'agit de porter atteinte aux libertés de ceux qui l'ont élu.

Comment échappe-t-on à sa responsabilité ?

La loi vise trois cas.

1° Si le titulaire de l’accès a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation agréés par l'HADŒPI selon une procédure à fixer par décret ;

2° En cas d'utilisation frauduleuse de l’accès au service de communication au public en ligne (bonne chance pour le prouver), à moins que cette personne ne soit placée sous l’autorité ou la surveillance du titulaire de l’accès ;

3° En cas de force majeure, ce qui est une mention superfétatoire, puisque la force majeure exonère de toute responsabilité. la force majeure s'entend d'une force extérieure à la personne dont on recherche la responsabilité éventuelle, irrésistible et imprévisible. J'avoue avoir du mal à imaginer dans quelle cas on télécharge illégalement un film par force majeure.

Moteur !

► Premier temps : la saisine.

La CPD est saisie de faits de contrefaçons, qui lui sont dénoncés par les agents assermentés désignés par les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ; les sociétés de perception et de répartition des droits ; le Centre national de la cinématographie, ou le parquet.

La loi institue toutefois une prescription de 6 mois, au bout desquels la CPD ne peut plus être saisie (art. L. 331-22 futur).

► Deuxième temps : You've got mail.

La CPD saisie de tels faits peut envoyer à l'abonné concerné un courriel via son FAI « une recommandation lui rappelant les prescriptions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement. La recommandation doit également contenir des informations portant sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites pour la création artistique ».

De ce genre peut-être ?

Oui, c'est une parodie, tirée du désopilant feuilleton anglais The IT Crowd, sur Channel Four. Et oui, c'est la télévision publique britannique qui a fait ça.

Pourquoi cet e-mail doit-il être envoyé par l'intermédiaire du FAI ? Entre autre parce que, d'après le ministre de la culture entendue par la Commission des lois, l'objectif est d'envoyer 10.000 courriels par jour. Plus qu'il n'en faut pour que la CDP soit fichée partout dans le monde comme spammeur, et que ses messages soient interceptés par des logiciels anti-spam.

Détail amusant (si on a comme moi un sens de l'humour pervers) : cette recommandation par voie électronique ne divulgue pas les contenus des éléments téléchargés ou mis à disposition. Ce qui donne à peu près ça :

— (voix d'outre-tombe) : JE SUIS LA HADŒPI ET JE SAIS CE QUE TU AS FAIT ! Enfin, toi ou quelqu'un d'autre, ça je sais pas. Mais ce que quelqu'un a fait, je le sais.
— Et c'est quoi ?
— TU LE SAIS.
— Heu, non, d'où ma question.
— JE NE TE LE DIRAI PAS MAIS SACHE QUE JE SAIS CE QUE QUELQU'UN A FAIT. NE REFAIS PAS CE QUE TU NE SAIS PAS QUE QUELQU'UN A FAIT, SINON JE FERAI EN SORTE QUE CE SOIT BIEN FAIT POUR TOI.

Je sens qu'on va bien rigoler avec cette loi.

► Troisième temps : Bis repetita…

Une personne ayant déjà été rendue destinataire d'un courriel (la loi ne pose aucune obligation de s'assurer que le courriel a effectivement été reçu, et puis quoi encore ?) et dont l'adresse IP se retrouve dans les six mois à se ballader dans des Criques aux Pirates, dont manquant une nouvelle fois à son obligation de veiller à sa TrucBox comme à la prunelle de ses yeux, recevra un deuxième courrier électronique.

En effet, le premier ayant été inefficace, on va utiliser à nouveau la même méthode inefficace pour voir si cette fois, par hasard, elle ne serait pas devenue efficace. C'est directement inspiré de la technique utilisée pour réduire le chômage en France ces trente dernières années.

Je suis mauvaise langue, car la loi prévoit que ce deuxième courriel peut (peut, pas doit, les critères de ce choix étant laissés à la discrétion de la CPD) être doublé d'une lettre remise contre signature ou tout autre moyen permettant de prouver la réception effective de la lettre (recommandé AR). Cette lettre physique est importante car seule elle permettra d'enclencher la procédure de sanction. Conclusion d'avocat : surtout, n'acceptez pas de signer le récépissé (rien ne vous y oblige dans la loi), et si vous recevez une lettre recommandée de la CPD, ne l'acceptez pas. Vous serez à l'abri des sanctions de la CPD.

► Quatrième temps : Fear the ripper

Si dans l'année suivant la réception de la lettre physique, l'abonné a méconnu son obligation de veiller à ce que sa connexion soit utilisée à des fins portant atteinte à des œuvres protégées, la commission peut lancer un procédure contradictoire (c'est-à-dire que l'abonné est mis en mesure de présenter ses observations, fichus droits de l'homme qui passent avant les droits des victimes) pouvant aboutir à une de ces trois sanctions :

1° La suspension de l’accès au service pour une durée de d’un mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur (NB : le paiement de l'abonnement n'est quant à lui pas suspendu, futur article L.331-28 du CPI) ;

2° En fonction de l’état de l’art, la limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit garantie la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin (sans qu'une limitation de durée soit prévue, grosse inconstitutionnalité à mon avis ;la formulation, issue d'un amendement du Sénat, révèle que les sénateurs ne savent pas si c'est possible, mais souhaitent que ce soit juridiquement faisable si c'est techniquement possible) ;

3° Une injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la HADŒPI, le cas échéant sous astreinte, cette injonction pouvant faire l'objet d'une publication dans la presse aux frais du condamné.

► On peut négocier ?

La CPD peut proposer à l'abonné une transaction, c'est à dire un accord portant sur une suspension de l'abonnement pour trois mois maxi, une limitation du service (toujours sans limitation de durée), ou une obligation de prendre des mesures pour prévenir le renouvellement du manquement, dont il sera rendu compte à l'HADŒPI. Une telle transaction, qui suppose l'accord de l'abonné, exclut tout recours judiciaire, à mon sens, même si la loi est muette là dessus : c'est une solution classique.

► Objection votre honneur !

Un recours peut être exercé contre ces décisions devant les juridictions judiciaires. Lesquelles, selon quelles modalités ? Ce sera fixé par décret. La loi ne précise pas si le recours sera suspensif de la décision, mais en principe ça devrait être le cas.

Je suis pas content mais je n'ai plus de peinture noire : que faire ?

Repérez les députés intéressés par ce projet de loi, et qui y sont hostiles ou à tout le moins critique. Le rapport de la commission des lois est riche en information là dessus.

Patrick Bloche, Martine Billard et Didier Mathus sont trois députés très hostiles au projet. De l'opposition, me direz-vous. Mais l'opposition, sur la loi DADVSI, avait réussi à infliger un camouflet au ministre de la culture de l'époque dont la carrière politique ne s'est jamais remise.

La lecture des amendements est aussi une source d'informations précieuses.

Côté majorité, Lionel Tardy, Marc Le Fur et Alain Suguenot ont cosigné 24 amendements montrant un désaccord avec le projet actuel : ils proposent notamment de substituer une amende à la suspension de l'abonnement, d'imposer l'intervention du juge pour l'accès aux données personnelles, et d'imposer à la CPD d'engager des sanctions pour tous les cas dont elle sera saisie (soit 10.000 par jour selon les projections de la ministre !) ce qui est logique mais impossible à mettre en œuvre : ça s'appelle mettre le gouvernement face à ses contradictions.

J'aurais des propositions intelligentes d'amendements à faire que je me tournerai vers ces personnes-là.

Notes

[1] C'est en effet le premier ministre qui est président du Conseil d'État, titre purement honorifique ; c'est le vice-président qui est le vrai chef.

jeudi 12 février 2009

Debriefing sur du Grain à moudre

Revenons, tant que mes forces me le permettent, sur l'émission d'hier.

J'ai le sentiment d'avoir été un peu coi, l'explication étant mon état d'épuisement (j'avais eu une audience très lourde juste avant pour ne rien arranger), à la pléthore d'invités (deux journalistes et quatre intervenants pour trois quarts d'heure, c'est beaucoup) et au fait que le débat s'est vite retrouvé sur le terrain de la morale, qui n'est pas le mien. Et puis, j'ai toujours eu du mal avec le discours militant. Il ne cherche pas à convaincre mais à asséner, non à démontrer mais à disqualifier l'adversaire. La sortie sur les « bourgeoises blanches » était à ce titre pas très glorieuse, d'autant plus qu'étant assis non loin de mesdames Mécary et Dégremont, elles ne m'ont paru ni mélanordermes, ni habillées en prolétaires.

Alors du droit nous ferons.

Juridiquement, inoculer à autrui une maladie, quelle qu'elle soit, est une administration de substances nuisibles (article 222-15 du code pénal), sauf si s'y ajoute l'intention homicide, auquel cas on tombe dans l'empoisonnement.

Contrairement à ce que l'emploi d'expression comme « La transmission du sida mérite-t-elle une sanction pénale ? », retenue comme titre de l'émission, pourrait laisser entendre, ce n'est pas une extension récente de la loi par des juges audacieux qui aboutit à ce résultat. La loi du 26 avril 1832 qui a créé ce délit prévoyait déjà expressément que l'administration de ces substances devait, pour tomber sous le coup de la loi, entraîner une maladie ou une incapacité totale de travail.

Le délit suppose que l'auteur agisse en connaissance de cause, c'est-à-dire sache que ce qu'il fait est susceptible de contaminer sa victime. Il n'est pas besoin d'établir qu'il souhaite obtenir ce résultat, il suffit qu'il ait conscience que ce résultat est possible. Ce qui dans le cas du VIH implique que l'auteur se sache contaminé par le virus et bien sûr sache qu'un rapport sexuel peut transmettre la maladie.

La preuve est en pratique très difficile à rapporter. D'où le caractère d'épiphénomène de ces affaires : il s'agit d'un comportement rare (la plupart des personnes contaminées adoptant aussitôt un comportement responsable) qui peut rarement être prouvé. Autant dire que ce n'est pas de ce côté qu'on risque la surpopulation carcérale.

Le régime de l'administration de substances nuisibles s'aligne sur celui, un peu bizarre, des violences volontaires. En effet, pour des éléments constitutifs identiques (une administration, un acte de violence), la répression va varier uniquement en considération du résultat.

Prenons l'exemple d'un coup de poing porté au visage d'une personne qui ne fait pas partie par miracle de l'interminable liste des victimes protégées qui aggravant la répression (voir cette liste ici).

Cas a : le coup manque sa cible. La violence a néanmoins été commise (elle a à tout le moins provoqué la peur chez sa cible, ce qui est suffisant, les violences volontaires ne supposant pas nécessairement un contact physique), mais il n'y a pas d'incapacité de travail. Contravention de la 4e classe : 750 euros d'amende max. R.624-1 du code pénal.

Cas b : Touché. 2 jours d'incapacité totale de travail. Contravention de la 5e classe : 1500 euros d'amende max, 3000 en cas de récidive. R.625-1 du code pénal.

Cas c : La machoire est cassée. 20 jours d'incapacité totale de travail. C'est un délit passible de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende.

Cas d : L'œil est touché et la victime perd définitivement de l'acuité visuelle. Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente : 10 ans de prison encourus et 150.000 euros d'amende.

Cas e : La victime en s'effondrant s'est heurté le crâne et décède d'une hémorragie interne : violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner, c'est les assises, 15 ans de réclusion criminelle. Art. 222-7 du code pénal.

Vous voyez, le même geste porté avec la même volonté maligne peut traverser toute l'échelle des peines uniquement en fonction de son résultat. Je n'ai jamais trouvé cette solution satisfaisante, mais c'est la loi. Conséquence logique : puisque des violences sans résultats constituent quand même l'infraction, la tentative de violences volontaires n'existe pas. Ce qui laisse des trous dans la répression (le premier qui dit “vide juridique” sort : si la loi ne réprime pas, ce n'est pas une infraction, point). Par exemple, un procureur que j'ai malmené veut se venger de moi ne profitant de mon état de faiblesse. Il se glisse dans ma chambre et bourre ma couette de coups de batte de base-ball, croyant que je me trouve en dessous. Pas de chance, j'étais à France Culture. Il ne peut être puni pénalement, car ce ne serait qu'une tentative de violences volontaires.

S'agissant de la contamination par le VIH, la cour de cassation a tranché la question le 2 juillet 1998 : la connaissance du caractère mortifère de la maladie n'implique pas l'intention homicide. Ce n'est pas un empoisonnement. J'approuve la solution, qui est encore meilleure aujourd'hui qu'en 1998. SI quelqu'un voulait tuer autrui en le contaminant au VIH, il lui faudrait être très patient, et encore sa victime pourrait-elle finalement décéder d'autre chose, voire de vieillesse si elle se soigne bien.

Néanmoins l'infection au VIH étant incurable, il s'agit d'une infirmité permanente : on est dans le cas d. L'infraction suppose, pour être constituée, que contamination il y ait eu. Pas de tentative, souvenez-vous.

Notons qu'un rapport sexuel non protégé mais n'aboutissant pas à une contamination, ce qui est l'hypothèse la plus fréquente, tombe sous le coup du cas a, mais c'est une hypothèse d'école, tant le problème de la preuve de chaque relation devient impossible à rapporter, sauf à tenir une sorte de carnet de vol de mauvais goût.

L'application de l'article 222-15 du code pénal ne correspond donc à aucun revirement, aucune évolution de la loi ou de la jurisprudence. Tout au plus y a-t-il eu quelques hésitations sur la qualification à retenir : l'empoisonnement à cause du caractère mortifère de la maladie ? Non, a répondu la cour de cassation en 1998 : point d'intention homicide. Viol, car le consentement au rapport sexuel a été emporté par tromperie ? Non, car ce n'est qu'à une pénétration sexuelle non protégée que le consentement a été donné par tromperie.

Les choses sont parfaitement claires et le débat est clos depuis, non pas l'arrêt de Colmar, comme on l'appelle encore à tort, mais par l'arrêt de la cour de cassation le confirmant, rendu le 10 janvier 2006, qui déclare sans la moindre ambigüité que la cour d'appel de Colmar « a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit prévu et réprimé par les articles 222-15 et 222-9 du Code pénal ». Je laisse donc Lévinas à mes contradictrices, j'ai la cour de cassation avec moi.

Faisons maintenant un sort — juridique— à la notion de “co-responsabilité” promue par Caroline Mécary et Marjolaine Dégremont. En substance, la personne qui accepterait d'avoir un rapport sexuel non protégé devrait en assumer la responsabilité, et donc accepter le risque d'être éventuellement contaminée. Elle ne devrait donc pouvoir se retourner contre son partenaire, quand bien même il lui aurait menti sur sa séronégativité. J'ai été très mauvais en philo au lycée, je renonce donc à comprendre comment au nom de la “co-responsabilité”, partagée donc, on en vient à exonérer celui qui a commis une faute (il a menti et a exposé son partenaire à un risque) et à dire à celui qui n'en a pas commis : “Bien fait pour tes pieds”. Outre le fait que si on veut un enfant, ça ne veut pas dire qu'on accepte de jouer à la roulette russe, ça revient à faire assumer toute la responsabilité à la victime. Comme je vous l'ai déjà dit, la morale, c'est pas mon truc : la preuve, là, je suis largué. Revenons-en au droit.

Juridiquement, l'argument ne tient pas. L'infraction est constituée dès lors que l'auteur se sait porteur du virus, et a un rapport non protégé avec un partenaire qu'il sait ne pas être infecté. Point. Même si le partenaire, dans un absurde pacte morbide, désirait être contaminé, cela n'exonérerait pas l'auteur : le consentement de la victime est indifférent.

Toute la difficulté consiste donc à rapporter cette triple preuve (1 : le contaminant se savait porteur ; 2 : il savait que son partenaire n'est pas porteur ; 3 : il contaminé son partenaire). S'agissant d'éléments relevant de la sphère la plus intime, c'est très difficile à rapporter, d'autant que la loi non seulement n'impose jamais de se faire dépister (sauf pour certaines professions à risque) et protège rigoureusement le secret de ces tests. Chacun fait ce que commande sa conscience, mais en assume les conséquences. C'est ma vision de la responsabilité.

Ces affaires sont une épreuve à traverser pour les victimes, qui vont donc toutes se voir imputer des relations extraconjugales non protégées, voire se retrouver en position d'accusées, leur partenaire les accusant à leur tour de les avoir contaminé. Les affaires aboutissant à une condamnation sont celles où la victime avait par exemple fait un test négatif peu de temps avant la contamination et a découvert sa séropositivité peu de temps après : plus le laps de temps est réduit, plus la certitude se renforce. L'auteur ne peut non plus se prétendre victime quand il est traité depuis des années. Mais les non-lieux sont fréquents.

Les quelques affaires ayant donné lieu à condamnation sont donc particulièrement frappantes. Il y avait, non pas déni de séropositivité comme prétendent avec un aveuglement admirable mesdames Mécary et Dégremont, mais dissimulation de séropositivité, puisque dans les deux cas que je connais (Colmar et Orléans), les condamnés se soignaient depuis des années mais en cachette de leur partenaire (l'épouse condamnée à Orléans cachait son traitement chez sa mère). Le déni exclut que l'on s'astreigne à la discipline qu'impose une tri-thérapie. Ou alors, pour mon prochain braqueur, je plaide l'acquittement en disant que mon client est en déni de pauvreté. J'en profite pour apporter ici un éclaircissement : pourquoi l'affaire d'Orléans est-elle passée aux assises ? Parce que comme les violences volontaires, l'administration de substance nuisible est aggravée quand la victime est l'épouse, le partenaire d'un PaCS, ou le concubin de l'auteur, ce qui fait passer à 15 années de réclusion la peine encourue. Généralement, les affaires sont correctionnalisées (ce fut le cas à Colmar) en “oubliant” la circonstance aggravante, mais dans ce dossier se posait un problème de prescription que seule la qualification criminelle (qui se prescrit par dix ans au lieu de trois) permettait de résoudre.

J'écarte rapidement l'argument de santé publique, qui ne tient pas : selon lui, une telle politique pousserait les gens à ne pas se tester, pour être pénalement à l'abri. Je ne vois pas en quoi laisser des porteurs du virus contaminer en toute impunité serait meilleur du point de vue de la santé publique, ni en quoi dire aux victimes qu'elles n'ont qu'à s'en prendre qu'à elle même les encouragerait à prendre à l'avenir des précautions, puisque ceux qui accepteront des rapports non protégés n'auront qu'à s'en prendre qu'à eux-même.

Enfin, un dernier point, qui me paraît important. Marjolaine Dégremont a laissé entendre que ces poursuites étaient le faits d'hétérosexuels qui n'assumaient pas la maladie, par opposition aux homosexuels qui, eux, ont depuis longtemps intégré cette maladie dans leur mode de vie et ont bien compris que des poursuites pénales n'apportent rien.

Sans pouvoir en dire beaucoup, à cause du secret professionnel, j'ai connaissance de cas d'homosexuels contaminés par des partenaires ayant le même profil que les condamnés de Colmar et d'Orléans (avec une réserve pour Orléans : cette décision est frappée d'appel) : assurances sur la séronégativité, insistance pour arrêter le préservatif. Avec plusieurs victimes à la clef. Mais ces personnes, quand elles ont fait part à leur entourage de leur volonté de porter plainte, se sont vues menacées d'un véritable ostracisme par la communauté qu'elles fréquentent si elles passaient à l'acte. Au point qu'elles ont renoncé à porter plainte.

Je crains donc que l'unanimité de la communauté homosexuelle ne soit qu'apparente, et qu'on ne soit pas à l'abri un jour d'un procès entre partenaires de même sexe.

En conclusion, je dirais que loin d'être préoccupante, ces affaires devraient réjouir les associations qui ont à cœur les droits des séropositifs. Les séropositifs ne constituent pas une communauté à part, un monde où on entre pour ne plus ressortir, où il y a les “séropos” et les autres. Les séropositifs sont susceptibles d'être des délinquants comme les autres.

C'est ça aussi, l'égalité des droits.

jeudi 5 février 2009

Va-t-on enfin parler des vraies causes d'Outreau ?

Par Dadouche


Depuis quelques jours, Fabrice Burgaud comparaît devant le CSM.

Le billet d'Eolas sur ce sujet a déjà soulevé des points intéressants et Didier Specq, dans plusieurs commentaires, a notamment rappelé le poids du contexte de l'époque dans le traitement des affaires d'agressions sexuelles sur les mineurs.

J'ai déjà pour ma part exposé au fil de différents billets et commentaires ce que je percevais, du haut de ma modeste expérience de 5 ans d'exercice des fonctions de juge d'instruction et d'assesseur aux assises, des raisons profondes d'un "plantage" comme celui du dossier-dont-on-ose-encore-à-peine-prononcer-le nom.

Au moment où les audiences devant le CSM commencent à faire apparaître une réalité plus nuancée sur la façon dont a été menée l'instruction que celle qui a été servie à longueur d'articles, de commission parlementaire et de débats compassionnels, je voudrais reproduire ici une partie d'une réponse que j'avais faite aux commentaires sur l'un de mes billets.
Car il me semble que les débats actuels devant le CSM, focalisés sur l'éventuelle responsabilité disciplinaire de Fabrice Burgaud, est, malgré les nuances apportées, une nouvelle occasion manquée, après la commission parlementaire, de se pencher sérieusement sur les écueils que rencontre la justice pénale dans le traitement de ce type d'affaires.
La réflexion qui suit n'est donc pas une analyse du dossier d'Outreau (dont je ne connais que ce qui en a été dit dans la presse et lors des multiples auditions devant la commission parlementaire, y compris celles qui n'ont pas été diffusées), mais une tentative d'explication des difficultés rencontrées dans ce type de dossier, qui mettent régulièrement l'institution judiciaire en difficulté.


Sur "la pédophilie" : Je voudrais revenir sur ce point dans l'analyse des causes d'Outreau. Je soutiens depuis le début que les deux problèmes véritablement posés dans cette affaire sont la détention provisoire (et notamment sa durée) et le traitement judiciaire des affaires de moeurs et notamment celles impliquant des mineurs.
Pendant des années, ces affaires ont été insuffisamment prises en compte par l'institution judiciaire, qui leur appliquait rigidement sa grille de lecture pénale en matière de preuve (importance de l'aveu, recherche de preuves matérielles non équivoques).
Or, les affaire de ce type présentent des particularités que la justice pénale a tatonné à prendre en compte.

- l'absence de preuves matérielles évidentes : dans la majorité des cas, les actes commis laissent peu de traces. Des attouchements, une fellation, tout cela est sans conséquence physique pour les victimes. On résume souvent ces affaires à "c'est parole contre parole". Ce sont en réalité, sur la base des paroles des protagonistes, des faisceaux de faits qui sont recherchés (confidences faites à un proche à l'époque des faits, concomitance avec une dégradation de l'état psychologique de la victime, possibilité matérielle). Et il est plus difficile de se forger une conviction.

- le temps écoulé : dans ce type de dossier, les faits sont souvent révélés longtemps après leur commission. Parfois quelques mois, parfois des années. Et le législateur a renforcé cette tendance en augmentant petit à petit les délais de prescription. La recherche d'éléments matériels devient encore plus difficile, les témoignages sont fragilisés.

- l'exploitation de la parole des uns et des autres : le témoignage humain est fragile, ce n'est pas nouveau. La perception d'une même scène peut être différente pour chacun et des divergences apparaissent souvent. Il est particulièrement difficile d'avoir une grille de lecture raisonnée des témoignages. On a tendance à penser que si un élément est faux, tout le reste l'est nécessairement. Et pourtant, particulièrement s'agissant d'enfants, et encore plus quand les faits sont anciens et ont été répétés, la non réalité d'un élément n'invalide pas pour autant le reste. J'ai le souvenir notamment d'un dossier, où les faits étaient reconnus, et où les récits de la victime et de ses deux agresseurs divergeaient notablement sur les lieux (elle situait la plupart des agressions dans une chambre, ses deux frères dans une autre pièce) et les dates (à l'âge qu'elle pensait avoir au moment de certaines agressions ses frères ne résidaient plus au domicile). Chacun d'eux était pourtant sincère dans son récit.

- la réprobation sociale qui s'attache à ce genre de faits : les agresseurs sexuels, particulièrement ceux qui s'en prennent à des enfants, sont fortement réprouvés. Un homme qui tue sa femme pourra espérer garder le soutien de sa famille et de ses proches. Un agresseur d'enfant qui le reconnaît perd tout. Ce sont des faits extrêmement difficiles à admettre, parce qu'il leur est même souvent difficile de l'admettre en leur for intérieur. Les dénégations des coupables sont aussi fortes que celles des innocents. Il n'est pas rare qu'un agresseur qui reconnait les faits dans le cabinet du juge d'instruction continue à protester de son innocence devant ses proches.

Toutes ces particularités bousculent les repères judiciaires. Faut-il les prendre en compte et traiter différemment les affaires de moeurs, avec des exigences différentes en matière de preuve ? Faut-il au contraire leur appliquer la même grille de lecture et les mêmes standards qu'aux autres infractions ?
La justice pénale a oscillé (et oscille sans doute encore) entre ces deux positionnements, qui portent chacun en germe des risques d'erreur judiciaire, dans des sens opposés. Une lecture non spécifique conduit à innocenter des coupables, une lecture sur-adaptée amène le contraire. Le choix devrait être facile à faire : celui de la présomption d'innocence.

Les repères se sont pourtant progressivement brouillés en la matière. Le législateur a délibérément fait le choix de privilégier de plus en plus les victimes, pour des raisons au fond tout à fait louables.
Par exemple, l'allongement des délais de prescription, s'il a pu être une avancée quand on a retardé leur point de départ à la majorité de la victime, devient délirant. En faisant croire que l'on peut établir des faits de ce type (s'ils ne sont pas reconnus) parfois vingt ou trente ans après les faits, on fait porter sur la justice pénale un poids qui pousse insensiblement à baisser un peu le curseur en matière d'exigences de preuves. Et on favorise la religion de l'aveu, on se raccroche au moindre point reconnu par les mis en examen.
De même, les dispositions de la loi de 1998 sur l'enregistrement des auditions des mineurs victimes pour éviter d'avoir à les multiplier durant la procédure ne sont évidemment pas mauvaises en soi. Mais en "vendant" l'idée qu'il n'y aurait qu'une seule audition, on pousse là encore la justice pénale à la faute. Faut-il, parce que la victime est un enfant, dénier au mis en examen le droit à une confrontation ? Faut-il, alors que des incohérences apparaissent, s'empêcher de poser de nouvelles questions ? C'est pourtant à cela qu'ont parfois abouti ces dispositions. Et on a baissé un peu plus le curseur.

Et puis il y a l'accroissement de la place des expertises psychologiques dans les procédures de ce type. En l'absence de preuves matérielles, en présence de deux versions contradictoires, il est facile et tentant de chercher ailleurs des éléments que l'on espère solides.
Parce qu'on lui demande parfois l'impossible, la justice pénale a essayé de trouver des réponses auprès des experts. Qui n'ont pas refusé. Et le législateur a aussi poussé à la roue, en encourageant ce type d'expertises.
Le développement d'une certaine idéologie sur la parole de l'enfant n'a pas aidé. Rappelons que, pendant l'instruction d'Outreau, des parlementaires (parmi lesquels certains membres de la Commission parlementaire qui s'est penchée sur cette affaire, et qui n'ont pas eu de mots assez durs pour stigmatiser ces benêts de magistrats qui avaient aveuglément "suivi" les enfants), ont proposé une loi visant à créer une présomption de crédibilité de la parole de l'enfant.

La compassion pour les victimes, surtout celles-là, a favorisé un activisme qui a poussé à brouiller les principes. Ainsi, on note de plus en plus d'exceptions au principe selon lequel seule la victime directe de l'infraction peut se constituer partie civile. La place prise par certaines associations dans quelques procédures a contribué un peu plus à faire de la lutte contre les atteintes aux mineurs une espèce de grande cause sacrée qui pouvait justifier qu'on abaisse un peu plus le curseur. Et qui a aussi contribué à ce que l'on recoure à des détentions provisoires longues fondées en réalité uniquement sur la gravité des faits reprochés.

Et les magistrats au milieu de tout ça ? N'est-ce pas aussi leur rôle de garder un peu de raison au milieu de tout cela ? Ils essayent de le faire. Contrairement à l'idée répandue par certains au moment d'Outreau, toutes les dénonciations ne sont pas suivies de poursuites, d'instructions et de détentions provisoires quasi arbitraires. Beaucoup de faits signalés sont classés sans suite, faute d'élément suffisants.

Mais les magistrats ne sont pas imperméables à la compassion pour les victimes, et peuvent être ponctuellement aveuglés. Et puis il y a une certaine expérience de ce genre de dossier, qui conduit à ne pas refuser de croire ce qui peut paraître improbable ou impossible au plus grand nombre. Anatole Turnaround écrivait : "Le soupçon de pédophilie ne devrait guère impressionner un magistrat pénaliste moyennement expérimenté, pour qui le récit de viols d'enfants commis de façon variée et répétée et par des personnes différentes fait hélas partie du quotidien." pour en tirer la conclusion que (si j'ai bien compris) cette habitude lui permettait de garder son sang froid et procéder, malgré la charge émotionnelle qui s'attache à ce genre de chose, à une analyse rigoureuse du dossier.
Je suis d'accord, mais je pense que cette expérience en la matière conduit aussi le magistrat pénaliste moyen à savoir que l'Homme est capable de tout. Quand on a vu certaines photos pédophiles, on peut, je trouve, plus difficilement rejeter d'emblée certains récits qui pourraient paraître délirants. On essaye de vérifier. Cette mithridatisation à l'horreur, particulièrement dans les juridictions du Nord, fausse également la perception.

Après ce très long développement, j'en viens (enfin) au coeur de ce que je voulais dire : Outreau est le paroxysme des tâtonnements (peut être des errements) de la justice pénale en matière d'affaires d'atteintes sexuelles sur mineurs.
Tout y est, pêle mêle : la difficulté à faire le tri dans la parole des uns et des autres, les fragilités des expertises, la peur de prendre le risque de laisser s'en tirer des monstres supposés, le refus des confrontations avec les enfants, la pression exercée par l'idéologie de la parole de l'enfant, des détentions d'une longueur à mon sens injustifiable compte tenu des garanties de représentation de certains, le poids phénoménal des aveux de certains pour retenir des charges contre les autres, tout cela dans un certain émoi médiatique.
Ce cocktail explosif (ajouté encore une fois au manque de moyens qui, comme le rappelait Anatole, favorise les plantages), on ne peut en faire porter la responsabilité à ceux qui, individuellement, ont traité cette affaire hors-normes suivant les mêmes standards que ceux auxquels tous nous ont poussés. C'est une responsabilité collective de l'institution judiciaire d'abord, de ne pas avoir su y résister, mais aussi dans une certaine mesure des politiques et notamment du législateur, qui en a semé les germes .
Et c'est ensuite la responsabilité des politiques d'avoir attisé le feu et focalisé le débat sur cette affaire particulière au lieu d'en examiner les ressorts plus profonds, ce qui n'a abouti qu'à bloquer l'institution judiciaire dans une positions défensive peu propice à l'analyse de ses propres dysfonctionnements.
Je crois que c'est aussi à la société dans son ensemble, par la voix du législateur et de l'exécutif, de faire un choix clair : faut-il faire passer en priorité les intérêts des victimes ou ceux de ceux qu'elles accusent ? Une position intermédiaire peut sans doute être trouvée, et je pense que les pratiques sont désormais à des standards plus proches de ceux des affaires traditionnelles, mais on en revient à la spécificité de ces affaires : il y aura toujours des erreurs dans un sens ou dans l'autre. La réforme du CSM, l'élargissement de la responsabilité disciplinaire ou l'enregistrement des interrogatoires d'instruction n'y changeront rien. Du tout.

vendredi 26 décembre 2008

L'affaire de l'enfant mort à l'hôpital

Je reçois pas mal de questions sur l'affaire dramatique de cet enfant mort à l'Hôpital Saint Vincent de Paul, à Paris.

Je suis en vacances, et je n'aurai aucune honte à faire travailler les autres à ma place, surtout quand ils le font bien.

Pour l'éclairage juridique, je vous renvoie vers mon confrère Gilles Devers, de l'excellent quoique provincial barreau de Lyon (son blog vaut qu'on s'y attarde, lisez les autres billets). Je n'ai pas une virgule à changer à ce qu'il dit sur le sujet. Je reviendrai dans un futur billet sur le problème de la garde à vue (qui est un de mes dadas), dont la nature est très ambiguë et la perception équivoque dans l'opinion publique.

Pour l'éclairage professionnel, je reprends le commentaire laissé sous un autre billet par Lumière Noire, qui exerce la profession de pharmacienne. Ses propos n'engagent qu'elle, mais apportent un éclairage intéressant sur l'origine de l'erreur qui a conduit à ce drame.

Libéré de ce fardeau, il ne me reste plus qu'à exprimer aux parents de cet enfant combien cette nouvelle m'a bouleversé, comme elle a dû le faire pour tout le monde, et tout particulièrement ceux qui sont ou ont été père d'un enfant de trois ans. Ce qui leur est arrivé est notre cauchemar à tous. J'enrage d'être impuissant à pouvoir soulager leur affliction.


56. Le vendredi 26 décembre 2008 à 17:18, par Lumière Noire

Le pharmacien (au féminin) que je suis, et qui travaille parfois en hôpital (car il y a toujours une pharmacie dans un hôpital) porte à votre connaissance que :

- l'immense majorité des infirmières ne connaissent pas grand chose aux médicaments.

- parce que leur rôle est de les administrer, pas d'être pharmaciens ni médecins.

- l'ordonnance hospitalière (car il y a toujours des prescriptions écrites par le médecin, comme en ville, pour que le pharmacien délivre les produits, c'est le but de la tournée de visites dans les chambres par le médecin) doit être exécutée par l'infirmière (il y est inscrit les heures d'administration des médicaments).

- cette ordonnance arrive dans la pharmacie de l'hôpital qui contrôle la prescription (et parfois rappelle le prescripteur ou l'infirmière pour euh... rattraper les bourdes "clarifier" le traitement).

- Puis les produits sont délivrés pour administration au malade (bien portant que nous sommes tous).

- Mais il y a aussi certains produits, utilisés à haute fréquence dans les services (alcool, éosine, coton, sérums de perfusion, aiguilles, seringues, poches, bassins, sondes, compresses, huiles de massages, etc, et que le dernier ferme la porte) qui nous sont demandés hors ordonnance, sur de simples listings d'approvisionnement du service, que la pharmacie est amenée à délivrer pour être stockés en vrac dans un local du service en question (fermé à clef).

- A l'hôpital, chaque service (chirurgie, maternité, ophtalmologie, médecine générale, long séjour, psychiatrie, etc) a donc sa propre mini-pharmacie courante à portée de main.

- Et l'équipe pharmaceutique de l'hôpital passe son année à visiter ces armoires à pharmacie dans tous les services. Tout est contrôlé chaque semaine, voir chaque jour pour les produits les plus dangereux. Parce que les personnels soignants (sans doute débordés, je ne leur jette pas la pierre, mais aussi négligents, parfois) ne respectent pas toujours la minutie pharmaceutique du rangement. Alors les boîtes valsent, les couvercles (où sont inscrits les dosages) volent, et parfois le dangereux désordre survient.

- Or tout pharmacien, de ville comme de champ, sait qu'en pharmacie, le désordre est synonyme de mort subite. C'est notre hantise à tous, c'est pourquoi nos tiroirs sont si bien rangés. On y passe un temps fou, et chaque fois que vous entrerez dans une officine, vérifiez donc le comptoir : on ne laisse jamais traîner un médicament (que le client précédent n'a pas voulu, par exemple), pour éviter de le mettre dans votre sachet, par erreur, à la fin de notre délivrance. Le produit qui "traîne" est immédiatement repositionné à sa place de stockage, même si cela doit faire patienter quelques secondes de plus le client suivant.

- Pour la délivrance de solutés de perfusion, et de tout ce qui est injectable, la concentration du pharmacien devient soudain phénoménale : ces médicaments (ainsi que les stupéfiants) sont nos bêtes noires, le risque y est maximal, absolu, et sans espoir. On a le cœur qui bat plus fort, on cesse de bavarder entre collègues (ou avec le client, ou avec l'infirmière). On relit MILLE FOIS l'ordonnance, l'étiquette, le dosage, la posologie, les contre-indications et les effets indésirables (y compris la mort).

On vérifie l'âge et le poids du patient, ses antécédents, ses allergies et autres. Parce que injecter, c'est toujours un acte définitif, comme une condamnation à perpète. Ou ça soigne, ou ça fait du dégât. On a lâché le fauve médicament dans le corps, impossible de le récupérer en cas de pépin, comme on le pourrait par un lavage gastrique et des vomissements pour un comprimé.

Et la perfusion, c'est le pire des cas : le lion est directement envoyé dans le sang, même pas freiné par le temps d'absorption des muscles. Il arrive en méga-haut débit au cœur, au foie, aux poumons, dans les reins ou le cerveau, bref, il foudroie les organes vitaux. Et le débit va dépendre de la vitesse donnée au perfuseur par l'infirmière : plus le goutte-à-goutte est lent, plus on aura de chance de freiner l'issue fatale.

Le petit malade, de ce que j'ai compris, avait une forte angine depuis plus de trois jours, avait consulté déjà deux médecins de ville. Le deuxième médecin a conseillé l'hospitalisation pour qu'on réhydrate un peu ce petit bout qui ne s'alimentait plus convenablement, et qui faisait en plus une forte fièvre. Ce médecin a très bien fait. Angine, diarrhée et fièvre ensemble, c'est très mauvais pour nos p'tits gars.

A l'hôpital, on devait simplement perfuser du sérum glucosé (c'est de l'eau avec du sucre) très important pour le cerveau. Le sucre est le seul aliment du cerveau, sans lequel ce dernier se met en grève. Ce sérum, qui est fabriqué avec une eau exceptionnellement pure, évidement, on peut même le boire au goulot, c'est du sirop léger.

Mais l'infirmière (rapidité, débordement, mauvais rangement dans l'armoire à pharmacie, négligence, ou même racisme sous-jacent) n'a :

- soit pas bien lu l'ordonnance (à l'hôpital aussi, les médecins écrivent comme des cochons!),

- soit pas attrapé la bonne poche (ou ampoule) de sérum dans la mini-pharmacie du service,

- pas lu et relu son étiquette posément (3 secondes), obligatoire,

- pas relu avant de l'introduire dans le perfuseur, obligatoire,

- pas relu avant de piquer la veine, obligatoire,

- pas relu avant de tourner la molette pour lancer la perfusion, obligatoire.

Le petit gars avait sans doute perdu plein de sels minéraux (angine + fièvre = transpiration, ça s'évapore) et de vitamines et s'affaiblissait par manque d'alimentation.

En ville, on aurait recommandé de lui faire boire du coca-cola (Ach! nous y revoici!), qui je le rappelle, était au départ un simple MEDICAMENT. C'est une potion de décocté de plantes énérgétiques et remplis de sels minéraux. Avec du bicarbonate de soude pour faire les bulles.

Ca stoppe la diarrhée, ça requinque, et en plus ça aide à digérer (bicarbonate).

Inventée par un pharmacien Noir (j'en suis fière) à Atlanta, dans son arrière-boutique, pour requinquer ses clients fatigués ou diarrhéiques. La potion contenait entre autres de la décoction de feuilles de coca (et donc de la cocaïne) ainsi que du jus de noix de Kola, d'où son nom.

Et si Coca n'a pas inventé saint-Nicolas, la deuxième guerre mondiale a DIFFUSE la boisson et le barbu volant aux quatre coins de la planète, via un protocole d'accord entre Coca et l'armée américaine : débarquement de GI's = débarquement de Coca.

Ce qui fait que tous les médecins, pédiatres et pharmaciens de la planète savent parfaitement conseiller le petit verre de coca (dégazéïfié en remuant une cuillère dans la potion pour éviter le burp salvateur qui pourrait faire tout recracher au petiot) en cas de fatigue passagère.

Même chose pour les petits vieux en maison close de retraite. Papy a une faiblesse? Hésite pas, mon gars : un coca (attention : toujours très frais!) et ça repart.

Ensuite le Coca a été tellement apprécié pour son goût que c'est devenu une boisson courante.

En clair, l'Africaine que je suis vous dit ceci : à force de ne s'enorgueillir ne vouloir dispenser qu'une médecine "scientifique" poussée aux extrêmes, car il est toujours extrémiste de vouloir piquer une veine, l'Occident Chrétien euh, les pays riches cultivent les germes de leur propre mort.

Là où n'importe quel "pauvre" (mais le sont-ils vraiment?) de la planète, sans Sécu ni mutuelle, serait passé devant les portes de l'hôpital sans y entrer, faute de pécule, et donc se serait contenté d'un Coca (chaud) vendu par le vendeur en pousse-pousse sévissant devant l'entrée (dudit hosto) pour requinquer son petiot, "l'avancée médicale stupéfiante de ces 20 dernières années, sic" a obligé le médecin de ville à se couvrir en faisant entrer le p'tit gars à l'hôpital.

L'hôpital a voulu se couvrir en lui prescrivant du sérum glucosé.

L'infirmière l'a découvert (au moins au niveau du bras) pour lui envoyer du chlorure de magnésium en ADSL. Médicament qui, à toute petite dose, est un simple laxatif. On le donne justement aux vieux qui peuvent plus trop...euh, plus bien...euh, y font plus caca, quoi!

Par contre à forte dose ce petit chat de rien du tout se transforme en bête féroce : il ralentit puis arrête le cœur.

Tellement même qu'on le met dans le mélange américain pour tuer les condamnés à mort là-bas.

Le père et la mère gueulaient comme des putois à la mort imminente de leur rejeton, personne n'a voulu les prendre au sérieux.

Le père, que j'ai vu et entendu au JT de France 2 ce midi, a bien décrit les différentes phases : agitation, pâleur, yeux révulsés, puis le corps devient tout mou, chiffon, râle, la mort.

Les parents hurlaient dans le couloir, ont même demandé dans leur panique qu'on appelle les pompiers, et se sont fait sévèrement rabrouer par le personnel soignant lorsque celui-ci a enfin daigné arriver. On leur a répondu que leurs fils était somnolent à cause du produit injecté.

(Vous avez déjà vu de l'eau sucrée endormir qui que ce soit, vous??)

C'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il y connaissent à la mort ces immigrés (peut-être sans papiers et à la CMU de surcroît!)?

C'est incroyable que ce père ait eu à pratiquer bouche-à-bouche et massage cardiaque tout seul, en plein hôpital, sans le secours d'aucune personne soignante!

A Paris.

En 2008.

Pas à Cotonou, en 1675.

Là, on n'est plus dans le médical, dans le pharmaceutique. On est dans le comportement, le relationnel, l'humain.

Total manque d'empathie de l'ensemble de l'équipe soignante pour deux parents qui appellent au secours.

On ne les croit pas, donc on ne revérifie pas la poche (réflexe immédiat de tout pharmacien). Vous aurez noté que c'est l'infirmière elle-même qui s'est rendue compte de son erreur, ce qui semble signifier que les autres membres de l'équipe soignante n'ont pas revérifié la poche quand les parents criaient. Totalement confiants et solidaires de leur collègue.

Totalement au détriment du patient.

La dynamique de groupe a joué à fond. Avec son pendant : la dynamique d'exclusion.

J'ai déjà assisté à plusieurs cas de ce type en hôpital ou maison de retraite ; d'où mon soupçon de racisme énoncé plus haut et ma propre crainte quant à une hospitalisation personnelle, de peur de subir une négligence du même type.

L'hôpital, c'est rien que des humains : ils sont malheureusement dedans exactement comme ils sont au dehors. Et donc j'y ai très clairement constaté que tous les malades ne sont pas égaux : en soins, en attention, en surveillance, etc. Les pauvres, les minorités visibles et "immigrées", les SDF, les vieux : tout y est sujet à "racisme"? Maltraitance à tous les étages. C'est à pleurer.

Manque d'éducation, d'instruction, de culture, de responsabilisation des personnels soignants: certains, livrés à eux-mêmes, fatigués, mal payés, démotivés, frustrés, deviennent de très vilaines personnes.

Le serment d'Hypocrate? Hum, hum...

Alors encore une fois, je ne jette pas la pierre sans savoir.

Mais je dis que tuer un être humain, quel qu'en soit le mode, c'est un meurtre.

Et cela vaut bien une garde à vue.

Humainement.

Psychologiquement.

Et pour l'exemple.

(Vous pouvez tranquillement vous faire opérer dans le mois qui vient, tous les soignants seront particulièrement attentifs, traumatisés qu'ils sont non pas de la mort de petit, ça c'est tous les jours, mais de la garde à vue de leur collègue. Comme quoi il suffisait de leur trouver matière à réflexion...).

Par contre, il est clair que cette infirmière n'aurait pas dû être la seule de l'hôpital à passer Noël au poste. La faute semble est évidement collective.

Pourvu que cette faute, fortement médiatisée, ne reste pas sans responsable(s) : elle se transformerait en pierre à briquet.

Qui allumerait la mèche.

Paix à l'âme du petiot..


Mise à jour 27 décembre 2008 : ce billet a vu un exceptionnel défilé de primo-commentateurs ulcérés par l'allusion à un possible racisme du personnel soignant à l'origine de l'incident, tellement choqué à l'idée —saugrenue, bien sûr— qu'il pût y avoir ne serait-ce qu'un raciste en France qu'ils en déduisent en vrac que ce commentaire ne vaut pas d'être lu et que mon blog n'est décidément plus ce qu'il était. Ceux-là trouveront une réponse groupée sous le commentaire 71 signé Guillaume. À bon entendeur…

Et je vous invite à lire ce commentaire laissé par une personne se présentant comme un collègue de l'infirmière concernée, et qui dit avoir été présente lors de l'accident. Elle donne des détails sur le déroulement des événements, contestant la version du père. Je vous invite particulièrement à méditer ce passage :

- Le père continuait à hurler de toute ses forces et a appelé la police. Il a appelé tous ses frères et soeurs. - 20 personnes hurlantes ont débarqué dans le service en détruisant le sapin de noël, l'imprimante... En se roulant par terre (syndrome méditerranéen). 3 femmes ont fait des malaises et ont été emmené par SAMU dans un hôpital pour adultes...

Cherchez sur internet ce qu'on appelle le syndrôme méditerrannéen. De la pure xénophobie parée d'un cache-sexe pseudo-scientifique. Alors, une perception de l'urgence altérée par un biais culturel, c'est VRAIMENT totalement impossible, à écarter absolument avec force grimaces de dégoûts et cris d'orfraie, dans le plus pur style du syndrôme méditerrannéen ?

samedi 29 novembre 2008

Reportage de terrain

Libération sonne le tocsin au sujet du traitement subi aujourd'hui par l'ancien PDG de ce journal, Vittorio de Filippis, dont l'édifiante matinée est narrée par le menu dans cet article. Le récit est intéressant, car détaillé et raconté par quelqu'un qui a l'habitude de rapporter des faits. Un reportage de terrain à son corps défendant, en quelque sorte. Si je ne puis en garantir l'authenticité dans les moindres détails (je n'y étais pas, et je n'oublie pas que le témoin est partie prenante), je reconnais qu'ils sonne vrai à mes oreilles : tout ce qu'il raconte m'a déjà été raconté par des clients, que ce soit des abonnés des comparutions ou des gens tout à fait insérés qui un jour ont eu le malheur de prendre de haut un policier que ce n'était pas le jour de contrarier. Bienvenue dans le quotidien du pénal. Vous allez découvrir pourquoi nous, avocats de la défense, sommes des indignés permanents, et que ce n'est pas si difficile de le rester si longtemps.

Chaussons un instant les lunettes du juriste et voyons ce qui s'est passé.

Le prélude est une banale affaire de diffamation s'inscrivant dans un contentieux nourri entre le journal et Xavier Niel, PDG de Free SAS. Xavier Niel a attaqué Libération en diffamation à son encontre à de nombreuses reprises et a, d'après Libération, perdu toutes les procédures, exceptée une toujours en cours, qui est à l'origine de notre affaire.

Entre juin et novembre 2006, Libération a publié un article ayant provoqué à nouveau l'ire du probablement meilleur PDG qu'on ait vu depuis bien longtemps. Je donne cette fourchette car c'est durant ces 5 mois que Vittorio de Filippis a été PDG de la société Libération et directeur de la publication, c'est-à-dire pénalement responsable de tout ce qui y était publié. C'est pour ça qu'il est poursuivi. Il n'est pas l'auteur de l'article.

Une plainte avec constitution de partie civile est donc déposée contre la société Libération et contre le directeur de la publication.

Lorsqu'un juge d'instruction est saisi d'une plainte pour un délit de presse, son rôle est très limité. Il doit s'assurer que la prescription est interrompue tous les trois mois (une simple demande de réquisitoire interruptif au parquet suffit, ce qu'on appelle un soit-transmis), et vérifier la réalité des faits de publication : cet article a bien été publié ? Il contenait ces propos ? Qui est le directeur de la publication ? Et ça s'arrête là. Le reste, y compris et surtout l'offre de preuve et l'exception de bonne foi doit faire l'objet des débats devant le tribunal. Une instruction en diffamation se résume souvent à une enquête de police et une mise en examen devant le juge d'instruction.

Ce qui s'est passé ici. L'instruction a suivi son petit bonhomme de chemin, un peu tranquillement sans doute puisqu'elle traîne depuis deux ans déjà sans que quiconque ait été mis en examen.

Finalement, le juge d'instruction change, et le nouveau a envie de boucler rapidement. Il convoque donc Monsieur de Filippis en vue d'un interrogatoire de première comparution (IPC), le nom technique de la mise en examen. Que s'est-il passé exactement ? Je l'ignore, mais il y a eu un raté. Visiblement, une au moins, vraisemblablement plusieurs convocations (en recommandé) ont été envoyées à M. de Filippis, au siège de Libération, où il ne travaille plus. Ces convocations ont été transmises aux avocats de Libération, qui d'après l'un d'entre eux ont même pris contact avec le juge pour indiquer qu'ils assisteraient le journal et son ancien directeur de la publication. Mais pour une raison que j'ignore, M. de Filippis n'a visiblement pas répondu aux convocations par courrier. Ce qui a eu l'heur d'agacer le juge d'instruction qui a décidé d'appliquer le Code de procédure pénale dans toute sa rigueur.

Quand un juge d'instruction a très envie de voir quelqu'un qui ne défère pas à ses convocations, il peut demander à la force publique d'aller s'enquérir des nouvelles de ce monsieur et de s'assurer qu'il ne se perde pas en chemin en le conduisant immédiatement devant lui dans les plus brefs délais (24 heures max, 48 heures s'il est arrêté à plus de 200 km du siège du tribunal, 6 jours s'il est dans les DOM TOM). C'est ce qu'on appelle un mandat d'amener.

L'article 122 du CPP définit le mandat d'amener : « Le mandat d'amener est l'ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant lui la personne à l'encontre de laquelle il est décerné.»

L'article 134 précise que « L'agent chargé de l'exécution d'un mandat d'amener, d'arrêt et de recherche ne peut s'introduire dans le domicile d'un citoyen avant 6 heures ni après 21 heures. »

Et en effet, d'après l'intéressé, cité par Libé :

« J’ai été réveillé vers 6h40 ce matin par des coups frappés sur la porte d’entrée de ma maison, raconte-t-il. Je suis descendu ouvrir et me suis trouvé face à trois policiers, deux hommes et une femme portant des brassards, et j’ai aperçu dans la rue une voiture de police avec un autre policier à l’intérieur. »

L'article 123 du CPP précise que « Le mandat d'amener (…) est notifié et exécuté par un officier ou agent de la police judiciaire ou par un agent de la force publique, lequel en fait l'exhibition à la personne et lui en délivre copie. »

Et l'article 125 dit quant à lui que « Le juge d'instruction interroge immédiatement la personne qui fait l'objet d'un mandat de comparution.

« Il est procédé dans les mêmes conditions à l'interrogatoire de la personne arrêtée en vertu d'un mandat d'amener. Toutefois, si l'interrogatoire ne peut être immédiat, la personne peut être retenue par les services de police ou de gendarmerie pendant une durée maximum de vingt-quatre heures suivant son arrestation avant d'être présentée devant le juge d'instruction ou à défaut le président du tribunal ou un juge désigné par celui-ci, qui procède immédiatement à son interrogatoire ; à défaut, la personne est mise en liberté. »

Là, première anomalie procédurale :

«Habillez-vous, on vous emmène», répliquent-[les policiers] en lui interdisant de toucher à son portable dont l’alarme-réveil se déclenche. (…) Les policiers emmènent le journaliste au commissariat du Raincy.

7h10. Au commissariat, des policiers lui lisent les motifs de son interpellation. (…) Après lecture du document, Vittorio de Filippis demande à plusieurs reprises la présence des avocats du journal.

Le juge d'instruction n'étant pas en état de recevoir l'intéressé à 6h40 du matin en raison d'une confrontation en cours avec son oreiller, il est légitime que la police le conduise au commissariat. Néanmoins, c'est dès son interpellation que le mandat aurait dû être notifié et délivré en copie, puisque c'est en vertu de l'obéissance due à ce mandat que M. de Filippis devait suivre les policiers. Or ce ne serait donc qu'une fois arrivé au commissariat que M. de Filippis a eu connaissance et s'est vu délivrer copie du mandat d'amener. Il y a là un hiatus d'une demi heure qui est anormal.

Après lecture du document, Vittorio de Filippis demande à plusieurs reprises la présence des avocats du journal. Réponse: «Ils ne seront pas là.»

La réponse complète étant : l'article 133-1 du CPP ne vous permet que de faire prévenir vos proches ou de voir un médecin. Donc nous laisserons vos avocats dormir. Ils seront convoqués à la diligence du greffier du juge d'instruction.

Nous voici au riant dépôt du palais, à 8h30. M. de Filippis raconte :

«On contrôle mon identité puis on m’emmène dans une pièce glauque, avec un comptoir en béton derrière lequel se trouvent trois policiers dont un avec des gants (…). Derrière eux, un mur de casiers qui contiennent les effets des personnes «en transit». On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller. Dans mes papiers d’identité, ils isolent ma carte de presse et la mentionnent dans l’inventaire de mes effets. A aucun moment, jusqu’alors, je n’avais mentionné ma qualité de journaliste».

«Je me retrouve en slip devant eux, ils refouillent mes vêtements, puis me demandent de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois.»

Deuxième irrégularité. Cette fouille corporelle est, je le crains aussi illégale qu'usuelle en ces lieux.

Car devinez quoi ? La loi est aussi sourcilleuse sur l'inviolabilité du domicile que des orifices corporels même si, pudique, elle se contente d'être muette là-dessus. Mais c'est en vain que vous chercheriez un quelconque texte normatif donnant aux forces de l'ordre le pouvoir de s'assurer quand elles le désirent que vous n'avez vraiment mais alors VRAIMENT rien à cacher.

Hormis des cas expressément prévus par la loi (douanes, détenus…) qui ne s'appliquent pas ici, le seul support textuel est une circulaire (article C.117 de l'instruction générale relative à l'application du code de procédure pénale), mais ce texte n'a aucune valeur normative. La jurisprudence assimile quant à elle la fouille corporelle à une perquisition, qui suppose une enquête de flagrance, une commission rogatoire ou le consentement écrit de l'intéressé (art. 56, 92 et 76 du CPP respectivement), que la fouille soit réalisée par un officier de police judiciaire (art. 56 du CPP) ou par le juge d'instruction en personne, le cas échéant accompagné du procureur (art. 92), ce qui serait cocasse dans notre hypothèse, et que la perquisition vise à découvrir des éléments relatifs au délit poursuivi (art. 56 du CPP), et j'avoue que j'ignore comment on peut cacher une diffamation à l'endroit qui nous intéresse — Heu, en tout cas qui intéresse la police— ; quant au moyen de commission de l'infraction, ce serait faire injure à l'intelligence de la police que d'insinuer qu'elle pourrait penser qu'une rotative de presse a été dissimulée à cet endroit.

Précisons que la jurisprudence exclut du domaine de la perquisition la palpation de sécurité, qui consiste à s'assurer que l'individu n'est porteur d'aucun objet dangereux pour lui même ou pour autrui. Mais la palpation de sécurité exclut que le slip du palpé se trouve au niveau de ses chevilles (sauf s'il est porteur d'un baggy).

Le journaliste s’exécute puis se rhabille, mais on lui a retiré ses lacets, sa ceinture, la batterie de son portable. Et tous ses papiers et effets.

Soit les objets susceptibles d'être dangereux pour lui même ou pour autrui.

Deux heures passent au cours desquelles il est à nouveau fouillé des fois qu'une arme de poing ait poussé à cet endroit là.

«Je signale alors que j’ai déjà été fouillé d’une manière un peu humiliante deux heures plus tôt et je refuse de baisser mon slip à nouveau. Bien que comprenant l’absurdité de la situation et mon énervement, ils me répondent que c’est la procédure et qu’ils doivent appeler la juge devant mon refus. Celle-ci leur répond que soit je respecte la procédure et dans ce cas-là elle m’auditionnera et je serai libéré; soit j’assume mes actes».

Si cela est avéré, je crains que le juge ne se soit trompé. La procédure n'impose nullement cette inspection poussée et qui plus est itérée, et donc ne prévoit nulle sanction en cas de non respect. Assumer ses actes ne pouvait donc qu'être la menace de poireauter au dépôt les 24 heures de rétention au maximum avant de devoir être remis en liberté ; mais ce délai n'a jamais été prévu pour être une sanction en cas de soumission insuffisante ni une marge de manœuvre laissée à l'appréciation du juge. La procédure prévoit même que le juge doit entendre « immédiatement » la personne amenée devant lui sauf impossibilité. La volonté de garder son slip au même niveau que sa dignité (qui se porte haut) ne caractérise pas à mon sens une telle impossibilité. D'autant plus que la diffamation n'est punie que d'une peine d'amende : la détention provisoire est donc impossible. Le juge n'avait pas d'autre choix que de remettre M. de Flilippis en liberté à l'issue de l'interrogatoire qui devait avoir lieu dès que possible.

10 h 40. Dans le bureau de la juge, les gendarmes lui retirent les menottes.

Art. D.283-4 du code de procédure pénale.

La juge, qui «au départ», selon Vittorio de Filipis, «a l’air un peu gêné», lui signifie qu’elle l’a convoqué parce qu’elle a déjà procédé à de nombreuses convocations par courrier dans le cadre de l’affaire Niel et qu’il a toujours été «injoignable».

Le journaliste lui répond alors que, comme pour chacune des affaires qui concernent des articles écrits par des journalistes de Libération, il transmet les courriers aux avocats du journal. Et il demande alors à parler à ceux-ci. «La juge me demande leur adresse, puis me lit une liste d’adresses d’avocats dans laquelle j’identifie celles de nos avocats».

Puis Vittorio de Filippis refuse de répondre à toute autre question. La juge s’énerve, hausse le ton. Mais, en l’absence de ses avocats, le journaliste refuse tout échange verbal avec elle.

Way to go.

Le juge a dû lui proposer l'assistance d'un avocat commis d'office, c'est obligatoire. Mais si le déféré demande à être assisté d'un avocat, celui-ci doit être convoqué et attendu le temps nécessaire à sa venue. C'est aussi obligatoire.

La juge lui fait signer le procès-verbal de l’entretien et lui notifie sa mise en examen pour «diffamation». Elle lui demande s’il sera joignable d’ici à la fin du mois de décembre.

Ça sent le mandat d'amener le soir de Noël… (Just kiddin').

Ensuite, les deux gendarmes reconduisent Vittorio de Filipis à travers les méandres des couloirs du TGI — «mais cette fois je ne suis plus menotté». Ils lui rendent ses papiers et ses effets. Et le libèrent.

Bien obligés, il faut dire.

Ce genre de traitement, aux limites de la légalité et parfois au-delà, nos clients les subissent tous les jours. Nous protestons, sans relâche. Nous rappelons que la loi ne prévoit pas un tel traitement, que l'article 803 du code de procédure pénale rappelle que le principe est : pas de menottage, sauf pour entraver une personne dangereuse ou prévenir un risque d'évasion (devinez quoi ? Tous présentent un risque d'évasion), que rien ne permet aux policiers de soumettre des gardés à vue à ce genre d'humiliation indigne.

Sans le moindre effet.

Cette affaire, frappant un journaliste, uniquement parce qu'il a été pendant six mois directeur de la publication d'un quotidien ayant publié un article qui a déplu et qui si ça se trouve n'était même pas diffamatoire, et qui s'il l'était l'expose au pire à une amende de 12.000 euros, va attirer un temps l'attention des médias sur ce scandale quotidien qui ne provoque qu'indifférence parce que d'habitude, le monsieur qui tousse avec son slip autour des chevilles, il s'appelle Mohamed, ou il a une sale tête.

À quelque chose malheur est bon : cela rappelle que ces lois qu'on ne trouve jamais assez dures quand elles frappent autrui, elles s'appliquent à tout le monde. Et un jour, elles peuvent aussi s'appliquer à vous. Vous verrez comme elles vous protègent, ce jour là.

lundi 17 novembre 2008

Comment ça, on ne peut pas mettre les mineurs au trou ?

Il est des décisions humiliantes pour l'État, et celle rendue par le Conseil d'État le 31 octobre dernier fait partie de celles-ci.

Le Conseil a examiné un recours présenté contre le décret n°2006-338 du 21 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) et relatif à l'isolement des détenus.

Ce décret instituait un nouveau régime de placement à l'isolement des mineurs détenus. Ce régime avait le mérite de la simplicité : à peu de choses près, c'était le même que celui des adultes.

L'isolement, kesako ?

Il faut distinguer l'isolement du placement en cellule disciplinaire, le “mitard”. Cette dernière est une punition, prononcée après un débat par la commission disciplinaire (le “prétoire”) où le détenu peut être assisté d'un avocat. Elle est d'une durée maximale de 45 jours et sanctionne les fautes les plus graves (violences, agression contre un gardien, fût-elle verbale). Le mitard, c'est une cellule spéciale, où le prisonnier est seul. Il y reste enfermé 23 heures par jour, ne sort que pour une promenade d'une heure dans une cour spéciale où il est là aussi seul. Il est privé de toutes les activités (sport, bibliothèque, travail), et n'a plus droit au parloir famille (exceptionnellement, un unique parloir peut être prévu juste après la sanction, généralement avec dispositif de séparation du type hygiaphone). Les parloirs avocat ne sont pas affectés (on essaie d'aller voir souvent nos clients au mitard, pour les aider à tenir). Il ne peut plus “cantiner” c'est à dire acheter des produits à la boutique de la prison sauf le nécessaire pour l'hygiène, la correspondance et le tabac. Il peut toujours correspondre avec son avocat et sa famille. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que c'est au mitard qu'est le taux de suicide le plus élevé. Voici quelques photos prises en 2006 du mitard de Fleury Mérogis. Oui, ça, c'est la douche.

L'isolement est une mesure « de protection ou de sécurité », décidée soit sur la demande du détenu qui s'estime menacé, soit d'office par le directeur d'établissement, ou pour un détenu provisoire, indirectement par le juge d'instruction qui prend une « interdiction de communiquer », qui ne peut être appliquée par le directeur d'établissement que par une mise à l'isolement, avec en outre retrait du droit à la correspondance et aux visites, l'avocat excepté bien entendu. L'interdiction de communiquer ne peut durer que dix jours, renouvelables une fois. Au bout de 20 jours, l'isolement doit prendre fin, sauf à basculer sur une mise à l'isolement administrative.

La mise à l'isolement est décidée pour une durée de trois mois, renouvelable pour deux ans maximum, étant précisé que le deuxième et troisième renouvellement est décidé par le directeur interrégional des services pénitentiaires, et le quatrième, cinquième et sixième le sont par le ministre de la justice, pour une durée de quatre mois. Au delà de deux ans, l'isolement peut être exceptionnellement prolongé par le ministre de la justice, par une décision spécialement motivée. On a des détenus qui ont passé 20 ans à l'isolement.

L'Isolé est placé dans le Quartier d'Isolement (QI) en théorie distinct du quartier disciplinaire. L'Isolé est placé seul en cellule, ne peut avoir de contact avec les autres détenus, sauf certaines activités avec les autres Isolés. Il peut avoir la télévision dans sa cellule (s'il peut se la payer), n'a pas accès au travail, au sport (en théorie, une salle de sport doit être aménagé au QI, en pratique, c'est rare), aux offices religieux, a droit aux parloirs famille. Des horaires doivent être aménagés pour l'accès à la bibliothèque aux isolés.

Que prévoyait le décret du 21 avril 2006 ?

L'alignement du régime des détenus mineurs sur celui des majeurs. Rappelons qu'à ce jour, seuls les mineurs âgés de treize ans et plus peuvent être incarcérés dans un établissement pénitentiaire (les plus jeunes peuvent être privés de liberté, mais dans des établissements spécialisés relevant de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les Centre Éducatifs Fermés et les Centres Éducatifs Renforcés).

Que dit l'arrêt du Conseil d'État du 31 octobre ?

Oh, trois fois rien. Après avoir rappelé que

« ni les stipulations [de la convention internationale sur les droits de l'enfant] ni, au demeurant, les exigences qui procèdent de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante n'interdisent, de manière générale, qu'une mesure d'isolement puisse être appliquée à un mineur, même si ce n'est pas sur sa demande » ;

en revanche, précise le Conseil d'État,

« les stipulations des articles 3-1 et 37 de la convention relative aux droits de l'enfant font obligation d'adapter le régime carcéral des mineurs dans tous ses aspects pour tenir compte de leur âge et imposent à l'autorité administrative d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants pour toutes les décisions qui les concernent »,

ce que le gouvernement, dans son obsession de traiter les mineurs délinquants comme des adultes, avait juste oublié.

En outre, il résulte de ces stipulations,

« compte tenu des fortes contraintes qu'il comporte, qu'un régime d'isolement ne peut être rendu applicable aux mineurs sans que des modalités spécifiques soient édictées pour adapter en fonction de l'âge, le régime de détention, sa durée, les conditions de sa prolongation et, notamment le moment où interviennent les avis médicaux ».

Or,

« faute de comporter de telles modalités d'adaptation du régime de mise à l'isolement applicable aux mineurs, le décret attaqué n'offre pas de garanties suffisantes au regard des stipulations précitées ; que, dès lors, les dispositions de l'article 1er de ce décret doivent être annulées en tant qu'elles sont applicables aux mineurs ».

Vous, je ne sais pas, mais moi, la seule chose qui me met autant en joie que d'apprendre que la France a violé la Convention européenne des droits de l'homme, c'est bien d'apprendre que la France a violé la Convention internationale des droits de l'enfant.

Pardon ? Ah, ce décret violait aussi la Convention européenne des droits de l'homme ?

« Considérant que si le pouvoir réglementaire était compétent pour organiser une mesure d'isolement, y compris dans le cas où celle-ci procède des ordres donnés par l'autorité judiciaire en vertu de l'article 715 du code de procédure pénale, il ne pouvait lui-même en prévoir l'application tant que le législateur n'était pas intervenu préalablement pour organiser, dans son champ de compétence relatif à la procédure pénale, une voie de recours effectif, conformément aux stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, en l'absence de la possibilité d'exercer un tel recours, le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement édicter l'alinéa 4 de l'article D. 56-1, qui soumet le détenu au régime de l'isolement sur ordre du magistrat saisi du dossier de l'information ».

Ah, oui, tiens, on avait oublié le droit à un recours effectif contre cette décision. Ce qu'on peut être distrait, pendant les manifestations contre le CPE.

Bon, au moins, ce décret a réussi à ne pas violer la Constitution…

Ben… Pourquoi vous me regardez comme ça ?

« Considérant que les alinéas 1, 2 et 3 de l'article D. 56-1, relatifs à la prescription de la mesure d'isolement ordonnée par le magistrat saisi du dossier de l'information, définissent des règles concernant la procédure pénale ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en édictant ces dispositions, le pouvoir réglementaire aurait empiété sur le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la constitution doit être accueilli ».

En clair, le gouvernement a pris par décret des dispositions que seul le parlement pouvait adopter. La séparation des pouvoirs. Une paille.

Le plus surprenant, c'est que le gouvernement (je parle du gouvernement Villepin) a eu vent de l'illégalité de son décret puisque le 8 mai 2007, 48 heures après l'élection présidentielle, il a pris un décret revenant largement en arrière, excluant tout placement à l'isolement pour les mineurs de 16 ans et réservant la décision de placement au seul juge judiciaire (cette disposition non abrogée par le décret du 8 mai 2007 est annulée par l'arrêt du 31 octobre 2008 pour absence de recours effectif).

Comme il est écrit dans les toilettes de l'école de ma fille, « c'est bien de nettoyer, c'est mieux de ne pas salir ». Le gouvernement devrait parfois réviser ses fondamentaux.

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