Souci de cohérence
Par Eolas le mardi 22 septembre 2009 à 13:15 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Les députés, c’est comme les enfants : on ne peut pas les laisser tranquille cinq minutes sans qu’ils fassent des bêtises.
Les députés, c’est comme les enfants : quand ils sont pris la main dans le pot de confiture, ils feignent de ne pas savoir que ce n’est pas bien.
Et cette fois, dans le rôle du pot de confiture, l’article L.7 du Code électoral.
Flashback.
La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par ce qu’on a appelé “les affaires”. La France n’a pas été la seule concernée : c’était l’époque de mani pulite en Italie. Mais alors que l’Italie se débattait contre des affaires de corruption, en France, il s’agissait de financement occulte des partis.
Le financement des partis était censé se faire exclusivement avec les cotisations des adhérents. Autant dire que pour financer des campagnes modernes (la France était tapissée d’affiches électorales en 1981 et 1988), c’était insuffisant. Alors c’était la débrouille. Le parti au pouvoir puisait dans les fonds spéciaux mis à la disposition discrétionnaire du premier ministre (supprimés par le Gouvernement Jospin) et tous demandaient des rétrocommissions, c’est à dire que les entreprises qui se voyaient attribuer un marché public devait en reverser une part au parti gérant la collectivité territoriale attribuant le marché (le RPR s’étant fait une spécialité des marchés de construction des HLM, je vous laisse calculer combien de logements sociaux auraient pu être construits avec les fonds détournés). L’affaire Urba (qui concerne le PS) va révéler que ces rérocommissions se montaient à pas moins de 30% du marché. Sans parler du PCF qui percevait des subsides de puissances étrangères (il prétendait que c’était la vente du muguet du 1er mai qui lui a permis de financer la construction de son siège, place du Colonel Fabien à Paris).
Bref, c’était le contribuable qui payait in fine. Russe, dans le cas du PCF.
À la suite de l’affaire Luchaire en 1988 (une affaire de ventes d’armes à l’Iran pendant sa guerre avec notre allié l’Irak, la cessation des livraisons d’arme va entraîner une vague d’attentats de décembre 1985 à septembre 1986 qui feront 13 morts et 300 blessés), une première loi sur le financement des partis va être votée à la va-vite le 11 mars 1988. Elle pose le principe du financement public des partis représentés à l’Assemblée (cette loi permettra à jean-Marie Le Pen de financer sa campagne de 1988 alors qu’il n’avait pas pu être candidat en 1981) et autorise ceux-ci à recevoir des dons.
Une deuxième loi du 15 janvier 1990 étend ce financement aux partis non représentés au parlement et plafonne les dons des personnes morales à 500.000 francs (ce qui ferait aujourd’hui un plafond de l’ordre de 100.000 euros actualisés). Surtout, cette loi portera une amnistie très controversée de tous les faits délictuels liés au financement des partis, votés malgré l’hostilité de l’opinion publique dans des conditions peu glorieuses (les députés socialistes étaient peu nombreux mais les absents avaient “oublié” leur clef de vote à leur pupitre).
Une loi du 29 janvier 1993 tentera d’interdire les dons des personnes morales (car des entreprises attributaires de marchés publics faisaient des dons spontanés aux partis des élus attribuant ces marchés, outre le fait que le financement de la vie publique ne faisant pas partie de l’objet de ces personnes morales, on tombait dans l’abus de biens sociaux) mais les députés se contenterotn de baisser les plafonds et de prévoir la publication des comptes de campagne.
Enfin, une loi Séguin du 19 janvier 1995, votée par la droite de retour aux affaires (c’est le cas de le dire) après la démission de trois ministres impliqués dans des affaires de financement (Gérard Longuet bénéficiera toutefois d’une relaxe), va interdire le financement par les personnes morales et fixer les règles encore en vigueur actuellement : plafonnement des dépenses, collecte des dons par un mandataire ou une association de financement qui règle les factures sans que le candidat ait accès à ces fonds, tenue d’une comptabilité qui doit être déposée et vérifiée par une commission, sous peine d’inéligibilité pendant un an (et donc perte du mandat en cas d’élection. Même au bout de 12 ans, certains se font encore avoir comme des bleus. Dans un élan d’ivresse vertueuse, le législateur va même voter l’article L.7 du Code électoral, nous y voilà, qui interdit pendant cinq ans l’inscription sur les listes électorales d’une personne condamnée pour certains délits (concussion, corruption, trafic d’influence, menace et intimidation sur fonctionnaire, détournement de bien public , et leur recel), tous liés au financement des partis.
Or c’est cet article L.7 qu’après 14 ans de réflexion que les députés se proposent d’abroger, par un amendement à la loi pénitentiaire, déposé en commission par le député SRC Jean-Jacques Urvoas, député dont mon ami Authueil, qu’on ne peut suspecter de sympathie pour le PS, salue la probité, que je ne mets pas en doute en ce qui me concerne. Ce député se désole sur son blog d’être au cœur d’une tempête médiatique qu’il estime injuste.
Il s’agit de l’amendement CL (pour Commission des Lois) 185. cet amendement est ainsi motivé :
L’article L. 7 du code électoral prévoit, pour les personnes condamnées pour l’une des infractions visées aux articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal, une peine automatique de radiation des listes électorales pour une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. Cette peine dite accessoire déroge au principe posé par l’article 132-21 du code pénal, qui dispose que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ».
Il apparaît nécessaire de mettre fin à cette incohérence entre deux textes législatifs.
Je m’en voudrais de pinailler. Ou alors, il faut que vous insistiez.
(La foule des lecteurs : Nous insistons, maître ! Pinaillez ! Pinaillez !)
Vraiment ?
Bon, si ça vous fait plaisir.
L’argument ne tient pas une seconde.
En effet, l’article 131-26 du Code pénal a été adopté en juillet 1992, dans le cadre de la réforme du code pénal. Soit deux ans et demi avant l’article L.7 du Code électoral (loi du 15 janvier 1995). Cette prétendue incohérence a été voulue et se règle aisément pour les juristes (vous allez voir qu’elle est de fait déjà réglée) puisque l’article L.7 dérogeait à l’article 131-26 qui lui était antérieur. L’article 131-26 a abrogé toute disposition antérieure prévoyant une privation des droits civils automatique. L’article L.7 en a réintroduit une. Cas pratique d’application de la loi dans le temps, programme de 1e année de droit.
D’autant que la jurisprudence a clairement encadré la conjugaison de ces articles, grâce à Alain Juppé. Je vais y revenir tout de suite.
Car pour en finir avec ce souci de cohérence, un détail semble avoir, comment dirais-je ? échappé au législateur. Il y a un autre article dans le code électoral, l’article LO. 130 (L. signifie un article relevant d’une loi ordinaire, R. du pouvoir réglementaire, donc d’un décret en Conseil d’État, et LO d’une loi organique) prévoyant que
Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale.
Bref, toute personne frappée par l’article L.7 est non seulement privée du droit de vote (sauf à Secret Story) pendant 5 ans mais inéligible pendant 10 ans. C’est la peine de mort pour les politiques.
Et Alain Juppé a senti passer le vent du boulet. C’était dans l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine. En première instance, Alain Juppé, s’était vu appliquer le funeste article L.7 et par ricochet le LO 130. La République était menacée d’être privée du meilleur d’entre nous pendant dix ans.
Heureusement, la cour d’appel de Versailles, dans un de ses rares accès de clémence, a écarté cette inéligibilité de dix ans en la réduisant à une inéligibilité de droit commun, en appliquant un article du code pénal (l’article 132-21 du code pénal) permettant au juge d’écarter toute peine d’interdiction automatique s’il l’estime opportun. Les plus cacochymes expérimentés de mes lecteurs se souviendront que j’avais traité de la question à l’époque (et hop, deux billets pour le prix d’un). Vous le voyez, le code pénal permet déjà en l’état au juge d’écarter l’inéligibilité de dix ans ou d’en relever le condamné s’il en fait la demande justifiée. Le droit actuel est donc parfaitement cohérent. Principe, exceptions. Si le législateur veut rétablir la cohérence, il peut aussi rajouter la mention “sans préjudice des dispositions de l’article L.7 du code électoral” à l’article 131-26 du Code pénal.
Par contre, l’abrogation de l’article L.7 aura pour effet automatique de relever de leur inéligibilité tous les élus frappés de cette sanction en application de cet article : application rétroactive de la loi pénale plus douce (rétroactivité in mitius disent les latinistes). D’où le reproche de loi d’amnistie déguisée : ça en aurait les mêmes effets.
En conclusion, la cohérence a bon dos. Et quand on est député, qu’on vote la loi et qu’on est en première ligne pour se voir appliquer l’article L.7, il ne faut pas s’étonner que la manœuvre ne passe pas inaperçue. Quant à trouver un député d’opposition à l’intégrité au-dessus de tout soupçon pour porter l’amendement, c’est là aussi une manœuvre classique. Sans réduire les qualités personnelles de cet élu, il est d’ailleurs assez facile d’avoir une réputation sans tâche quand on a été conseiller régional de Bretagne pendant 4 ans puis député pendant deux ans, sans jamais exercer de fonctions de direction dans un parti politique.
Et quand on se souvient que c’est cette même assemblée a voté les peines plancher, c’est-à-dire le principe d’une peine de prison minimale automatique, on voit qu’en effet, sa volonté d’abroger une peine d’inéligibilité automatique montre bien que la cohérence n’a jamais été le souci premier de l’assemblée nationale.
Mise à jour :
Jean-Jacque Urvoas semble avoir réalisé qu’il s’est embarqué dans une mauvaise affaire et finalement souhaite le rejet de son amendement en commission mixte paritaire.
Authueil revient sur cette affaire dans un deuxième billet rédigé avant la publication du mien.
Commentaires
1. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:38 par H.
2. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:41 par Nael
3. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:42 par POC
4. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:43 par markus
5. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:47 par sereatco
6. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:52 par Question
7. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:53 par dragrubis
8. Le mardi 22 septembre 2009 à 13:53 par Gni
9. Le mardi 22 septembre 2009 à 14:02 par markus
10. Le mardi 22 septembre 2009 à 14:02 par Koudou
11. Le mardi 22 septembre 2009 à 14:08 par Marianne
12. Le mardi 22 septembre 2009 à 14:22 par authueil
13. Le mardi 22 septembre 2009 à 14:24 par Petit pois sournois
14. Le mardi 22 septembre 2009 à 14:48 par authueil
15. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:05 par Elu Local
16. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:21 par Guerandal
17. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:29 par authueil
18. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:29 par lnk
19. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:32 par malpa
20. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:42 par BienProportionné
21. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:46 par authueil
22. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:52 par olivier
23. Le mardi 22 septembre 2009 à 15:57 par Elu Local
24. Le mardi 22 septembre 2009 à 16:02 par Benoît
25. Le mardi 22 septembre 2009 à 16:05 par malpa
26. Le mardi 22 septembre 2009 à 16:21 par olivier
27. Le mardi 22 septembre 2009 à 17:05 par BR
28. Le mardi 22 septembre 2009 à 17:21 par Poseur de questions
29. Le mardi 22 septembre 2009 à 17:34 par Alice aime les cavaliers
30. Le mardi 22 septembre 2009 à 17:47 par Jean-Jacques
31. Le mardi 22 septembre 2009 à 17:53 par Photine
32. Le mardi 22 septembre 2009 à 17:59 par Photine
33. Le mardi 22 septembre 2009 à 18:14 par Alice mauvaise pioche
34. Le mardi 22 septembre 2009 à 18:16 par Guerandal
35. Le mardi 22 septembre 2009 à 18:24 par Eugène Pierre
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37. Le mardi 22 septembre 2009 à 18:42 par BienProportionné
38. Le mardi 22 septembre 2009 à 18:43 par villiv
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40. Le mardi 22 septembre 2009 à 19:39 par Ydhista Lévisoïtin
41. Le mardi 22 septembre 2009 à 19:51 par G
42. Le mardi 22 septembre 2009 à 19:54 par Axonn
43. Le mardi 22 septembre 2009 à 20:38 par Tom Rakewell
44. Le mardi 22 septembre 2009 à 21:13 par A.P.
45. Le mardi 22 septembre 2009 à 22:03 par Nichevo
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49. Le mercredi 23 septembre 2009 à 01:28 par Paul
50. Le mercredi 23 septembre 2009 à 03:48 par greg971
51. Le mercredi 23 septembre 2009 à 07:35 par Ydhista Lévisoïtin
52. Le mercredi 23 septembre 2009 à 09:09 par Omar Bongo (revenu de l'au-delà)
53. Le mercredi 23 septembre 2009 à 09:13 par avocatbashing
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55. Le mercredi 23 septembre 2009 à 10:18 par Gascogne
56. Le mercredi 23 septembre 2009 à 10:30 par mr_zouglou
57. Le mercredi 23 septembre 2009 à 10:33 par authueil
58. Le mercredi 23 septembre 2009 à 10:33 par Elaïs
59. Le mercredi 23 septembre 2009 à 10:41 par Laurent GUERBY
60. Le mercredi 23 septembre 2009 à 11:04 par Laterring
61. Le mercredi 23 septembre 2009 à 11:22 par ceriselibertaire
62. Le mercredi 23 septembre 2009 à 11:47 par authueil
63. Le mercredi 23 septembre 2009 à 12:07 par Blade9494
64. Le mercredi 23 septembre 2009 à 12:25 par Laterring
65. Le mercredi 23 septembre 2009 à 13:03 par ceriselibertaire
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67. Le mercredi 23 septembre 2009 à 13:45 par la guiche
68. Le mercredi 23 septembre 2009 à 13:47 par authueil
69. Le mercredi 23 septembre 2009 à 14:12 par ceriselibertaire
70. Le mercredi 23 septembre 2009 à 14:27 par Eugène Pierre
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76. Le mercredi 23 septembre 2009 à 16:35 par Tom Rakewell
77. Le mercredi 23 septembre 2009 à 16:51 par Eugène Pierre
78. Le mercredi 23 septembre 2009 à 17:00 par authueil
79. Le mercredi 23 septembre 2009 à 17:03 par Petit pois sournois
80. Le mercredi 23 septembre 2009 à 17:16 par ceriselibertaire
81. Le mercredi 23 septembre 2009 à 17:48 par afp
82. Le mercredi 23 septembre 2009 à 18:12 par Petit pois sournois
83. Le mercredi 23 septembre 2009 à 18:13 par Babar
84. Le mercredi 23 septembre 2009 à 18:31 par Gathar
85. Le mercredi 23 septembre 2009 à 18:46 par marsan
86. Le mercredi 23 septembre 2009 à 19:12 par Ydhista Lévisoïtin
87. Le mercredi 23 septembre 2009 à 19:16 par tabor
88. Le mercredi 23 septembre 2009 à 20:42 par Guerandal
89. Le mercredi 23 septembre 2009 à 21:50 par m
90. Le mercredi 23 septembre 2009 à 21:50 par Axonn
91. Le mercredi 23 septembre 2009 à 21:51 par marsan
92. Le mercredi 23 septembre 2009 à 21:56 par m
93. Le mercredi 23 septembre 2009 à 22:19 par Guerandal
94. Le mercredi 23 septembre 2009 à 22:37 par paul2
95. Le mercredi 23 septembre 2009 à 22:38 par yellowrose
96. Le mercredi 23 septembre 2009 à 22:41 par Pas facile
97. Le mercredi 23 septembre 2009 à 22:52 par Axonn
98. Le mercredi 23 septembre 2009 à 23:14 par beldeche
99. Le jeudi 24 septembre 2009 à 07:49 par Ydhista Lévisoïtin
100. Le jeudi 24 septembre 2009 à 09:34 par chris
101. Le jeudi 24 septembre 2009 à 11:00 par Behemothe
102. Le jeudi 24 septembre 2009 à 12:25 par Izrathil
103. Le jeudi 24 septembre 2009 à 14:30 par Switz
104. Le jeudi 24 septembre 2009 à 16:32 par Il faut sauver le soldat Urvoas
105. Le jeudi 24 septembre 2009 à 17:56 par Guile
106. Le jeudi 24 septembre 2009 à 19:30 par Ydhista Lévisoïtin
107. Le jeudi 24 septembre 2009 à 20:47 par Switz
108. Le dimanche 27 septembre 2009 à 09:48 par lebrun10