Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 23 juin 2009

Au revoir Rachida, bonjour Mam' le Garde des Sceaux

Ça y est, Dati a pris Laporte. En France, tout finit en chanson, comme l'a rappelé très opportunément Dadouche.

Alors, pour continuer la fête de la musique, voici une chanson, sur l'air de l'inoubliable “ couleur menthe à l'eau ”, intitulée Couleur code Dalloz.

Paroles de Maboul CarburoD…Z et Eolas. Musique de Pierre Papadiamandis. Paroles originales d'Eddy Mitchell.


Elle était maquillée
Comme une voiture volée
Mais garée place Vendôme.
Elle rêvait qu'elle posait
Juste pour un bout d'essai
Chez Cartier ou Lancôme.

Elle semblait bien dans sa peau
Ses ongles couleur code Dalloz 
Cherchaient du regard un flash
Le dieu caméra
Et moi, je n'en pouvais plus
Bien sûr, elle ne m'a pas vu
Perdue dans sa mégalo
Moi, j'étais de trop

Elle marchait comme un chat
Qui méprise le p'tit pois
En frôlant l'procureur
La manif' qui couvrait
La réforme qu'elle rêvait
Semblait briser son cœur

Elle en supprimait un peu trop, 
Des postes et des tribunaux, 
L’Elysée est dans sa tête
Toute seule elle répète :
« Les peines plancher, c'est le pied,
« Les marmots, faut les enfermer !»
Perdue dans sa mégalo
Moi, je suis de trop.

Mais Sarko est entré
Et le charme est tombé
Agitant sa Rolex
Ses yeux noirs ont lancé
De l'agressivité
Comme s'ils voyaient un Solex.

La fille aux ongles code Dalloz
A rangé ses Busiris
Et s'est soumise à l'oukaze : 
« À Strasbourg, la Miss ! »
Et moi, je n'en pouvais plus
Elle n'en n'a jamais rien su
Ma plus jolie des gardes des Sceaux
Couleur code Dalloz.

Au revoir, madame le Garde des Sceaux. Je ne peux pas dire que vous me manquerez, mais avouez-le : ensemble, on aura bien rigolé.

Allez, pour la route, une dernière vacherie.

Plâce Vendôme, à l'aube. Gascogne sort les poubelles, en l'occurrence un bac jaune d'où sortent deux jambes fuselées élégamment bottées de Louboutin,ainsi qu'une main gracile tenant encore une flûte de champagne blanc de blanc millésimé. Eolas regarde la scène en fonçant les sourcils : “ la poubelle jaune ? Tu es sûr que c'est recyclable ?” demande-t-il.

Et ma contribution aux chansons d'adieu.

Another turning point, a fork stuck in the road
Time grabs you by the wrist, directs you where to go
So make the best of this test, and don't ask why
It's not a question, but a lesson learned in time

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

So take the photographs, and still frames in your mind
Hang it on a shelf in good health and good time
Tattoos of memories and dead skin on trial
For what it's worth it was worth all the while

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

dimanche 21 juin 2009

Comment te dire adieu ?

par Dadouche


Depuis quelques jours, chacun dresse le bilan de Rachida Dati place Vendôme.

L'intéressée elle même, d'abord, grâce à une coûteuse plaquette d'une centaine de pages envoyées aux gens importants (les parlementaires et les journalistes).
Les magistrats ont eu droit à une lettre d'adieu à la gloire de celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom-à-Moulins (ou Saumur, Riom, Charolles bref, mettez là le nom d'une des juridictions supprimées par la carte judiciaire).
Comme dans toute lettre de rupture, son auteur y réécrit l'histoire du couple à sa façon (c'est pas toi, c'est moi / ta mère ne m'a jamais supporté / je n'en peux plus que tu sois incapable de baisser la lunette des toilettes).
En adieu ministériel, ça donne "vos conditions de travail se sont améliorées" (pas les miennes, c'est de pire en pire) ou "vos carrières ont été revalorisées" (pas la mienne, elles sont où les "revalorisations substantielles des traitements" ?).
Les syndicats de magistrats ont eux aussi fait le bilan, curieusement franchement moins glorieux que celui dressé par la Chancellerie...

Nous laisserons chacun juge de tout cela.

Sur ce blog en tous cas, c'est un bilan fastueux :
- sept prix Busiris (l'Académie songe à lui décerner un Lifetime Achievement Award)
- le journal des magistrats en colère
- de la matière pour d'innombrables billets (et encore, on est tous un peu occupés par nos coupables industries, on n'a pas tout relevé).
- quelques dessins inoubliables du maître de lieux (je ne résiste pas à l'envie de remettre un de mes préférés...)



Pour ma part, en cette nuit de Fête de la Musique (vu comme c'est parti sous mes fenêtres, Cendrillon va encore souffrir ce soir), je préfère me rappeler, comme Beaumarchais, que tout finit par des chansons.

Voici donc quelques chansons d'adieu à Rachida Dati (que mille bottines Louboutin de septante lieues lui adoucissent les trajets Paris - Bruxelles)



Au suivant !




Edit :

Rachid Dati n'est plus Garde des Sceaux
Les taupes se déchaînent et nous ont donné un accès exclusif à son i-pod


Fous (pas) ta cagoule !

Tremblez, casseurs, frémissez, black-blocks : votre fin est proche. Le décret « anti-cagoule » est paru au JO, mais vous le savez bien car il s'agit de votre lecture favorite, après le Code de procédure pénale, me murmure Frédéric Lefèbvre Christian Estrosi.

Le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l'incrimination de dissimulation illicite du visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique est paru au J.O. du 20 juin 2009 (page 10067, texte n° 29). Ce décret est bref : il crée un nouvel article R. 645-14 dans le code pénal, ainsi rédigé :

Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public.

La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15[1].

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »

Le décret est entré en vigueur aujourd'hui à zéro heure.

Pourquoi une simple contravention, alors qu'on se souvient qu'il y a deux mois tout juste, le chef de l'État déclarait sur un ton va-t-en guerre son intention de «passer la vitesse supérieure» dans sa «lutte sans merci contre les voyous et les délinquants» ? Si « la vitesse supérieure » de « la lutte sans merci » s'entend de 1.500 euros d'amende max, 3000 en cas de récidive, on se dit que le gouvernement a une marge de progression dans la répression sanguinaire et que la menace de prison indiquera le passage en sur-régime dans la guerre à outrance. L'hypothèse que tout cela relève de la comm' étant naturellement exclue.

Rassurez-vous, pas de mansuétude ici, c'est juste que la contravention de 5e classe est la plus haute sanction qui puisse se prévoir par un simple décret. Pour la prison, il y faut une loi, et ça prend plus de temps, surtout quand il faut revoter les lois que l'assemblée a rejetées avant qu'elles ne se fassent annuler devant le Conseil constitutionnel.

Parce que le fait que c'est une contravention pose un premier problème. Une contravention ne permet pas la garde à vue (art. 67 du CPP). Il est en effet délicat de priver deux jours de liberté une personne qui, fût-elle coupable, ne risque pas la prison. Donc les policiers ne peuvent que contrôler, et le cas échéant vérifier l'identité du contrevenant, dans un délai de quatre heures maximum, puis dresser un procès-verbal de leurs constatations, transmis à l'officier de ministère public du tribunal de police qui décide de poursuivre ou non. Or pendant une manifestation, la police a autre chose à faire que demander ses papiers aux manifestants masqués. Le maintien de l'ordre est un art délicat, qui suppose de s'abstenir de toute provocation qui pourrait déclencher la violence (comme commencer à demander ses papiers à une personne dissimulant son visage mais qui à part ça ne fait rien), et des violences éclatent, à les contenir, tant dans leur localisation que dans leur intensité. Quand volent les pavés et les lacrymos, il n'est plus temps de s'intéresser aux spectateurs passifs dissimulant leur visage.

De plus, cette contravention est un bonheur pour avocat. Probablement soufflés par le Conseil d'État consulté sur cette affaire, la contravention ne frappe pas la simple dissimulation du visage (qui se heurtait au fait que seule la loi peut interdire de dissimuler son visage). Il faut que le contrevenant masqué se dissimule le visage afin de ne pas être identifié. C'est à dire que le ministère public devra apporter la preuve d'un mobile (car on peut se dissimuler le visage à cause d'une vilaine cicatrice, ou porter un masque contre la grippe A…). Ce ne sera pas trop difficile ici mais c'est une première difficulté supplémentaire.

En outre, il faut établir des « circonstances de nature à faire craindre des atteintes à l'ordre public ». Sachant qu'un même fait ne peut constituer plusieurs éléments constitutifs d'une infraction (application classique de l'interprétation stricte de la loi pénale), il sera impossible pour le parquet de soulever que le fait de porter une cagoule fait craindre en soi des atteintes à l'ordre public. Accessoirement, le pluriel impose au moins deux atteintes à l'ordre public, une atteinte ne suffira pas.

De plus, l'infraction, pour être constituée, devant également se dérouler « au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique », le parquet ne pourra tirer argument de ce fait pour établir cette crainte d'atteintes à l'ordre public.

Le calvaire du ministère public ne s'arrête pas là. En supposant qu'il parvienne à établir les éléments constitutifs, la défense peut invoquer deux exceptions, c'est à dire deux faits qui, si elle les établit, exonèrent le prévenu qui doit être relaxé. L'usage local (faut-il en déduire que la contravention est inapplicable en Corse ?) et le motif légitime. Ce dernier point protège notamment les policiers qui, à l'occasion des manifestations, dissimulent leur visage derrière des masques à gaz. Mais précisément, l'usage de gaz lacrymogènes ne rend-il pas légitime le fait de s'apposer un linge sur le visage (bien que son efficacité soit quasi nulle) ? Et, sans parler des manifestations de clowns, que dire de celles à venir contre la prohibition du port du niqāb, où les manifestantes revendiquant la liberté de porter cet accoutrement joindront probablement le geste à la parole, sans tomber sous le coup de la contravention. En outre, n'est-il pas possible d'invoquer le fait que le fait de vouloir dissimuler son identité (élément constitutif de la contravention) constitue le motif légitime du fait de la prolifération des fichiers de police et de la pratique de filmer les manifestants par la police, à des fins inconnues, certes, mais la prudence voulant que dans le doute, on s'abstienne et on cèle son visage ?

Autant dire que cette contravention ne devrait pas connaître un succès, fût-il d'estime, dans les prétoires. Oh bien sûr, il y aura une première fois bien médiatisée par le service communication du ministère de l'intérieur pour démontrer la nécessité et l'utilité de ce texte (alors que personne ne contestera l'utilité médiatique du texte : permettre à un ministre de se faire mousser).

D'autant que la machine à n'importe quoi fonctionne plutôt bien ici, puisque pas plus tard que mardi prochain, l'assemblée va discuter de la proposition de loi rédigée signée par Christian Estrosi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, la fameuse loi “ anti-bandes ”. On sent que le décret a été publié en hâte pour que le ministre de l'intérieur grille la politesse au député d'appoint ainsi désappointé. Car cette loi va rendre ce décret largement inutile.

En effet, cette loi (article 3) prévoit une nouvelle circonstance aggravante de dissimulation du visage, applicable aux violences volontaires (on arrive à une telle liste qu'il devient très difficile de commettre des violences simples), aux vols aggravés, à l'extorsion, à la destruction du bien d'autrui, à la participation délictueuse à un attroupement[2], et la participation armée à un attroupement.

On relèvera que le fait d'avoir visé le seul vol aggravé de l'article 311-4 exclut les auteurs de vol qualifié comme le vol à main armée ou le vol en bande organisée (art. 311-8 et 311-9 du code pénal) ; c'est-à-dire que les braqueurs pourront continuer à se dissimuler le visage dans la plus grande tradition du polar sans encourir d'aggravation de la répression, contrairement à celui qui casse un abribus. Appelons ça de la cohérence législative.

Sur cet aspect de la loi, je n'ai guère à redire. S'agissant d'une circonstance aggravante, elle suppose, pour faire effet, que l'individu se dissimulant le visage commette un délit. Ce qui du coup évite tout débat sur les raisons de cette dissimulation. Juridiquement, ça tient la route.

D'un point de vue criminologique, je suis plus réservé.

Pourquoi une personne se préparant à commettre une infraction se dissimule-t-elle le visage ? Pour ne pas être reconnue : se dissimuler le visage permet de se convaincre de l'impunité. Pas vu, pas pris, comme disait mon légionnaire. Que veut-on donc sanctionner en incriminant cette dissimulation ? Le fait de ne pas vouloir être pris ? Faut-il donc aussi aggraver la répression quand l'auteur essuie ses empreintes, ou veille à ne pas laisser d'empreintes ADN, par cohérence ? Aggraver la répression suppose que l'on considère comme plus grave un comportement délictuel commis dans certaines circonstances. On comprend que frapper une personne est grave, mais s'y mettre à plusieurs ou utiliser une arme est plus grave encore. En quoi lancer un cocktail molotov vers des policiers est-il plus grave si on le fait masqué qu'à visage découvert ?

La réponse du législateur, à lire l'exposé des motifs, est désarmante de naïveté : c'est pour faciliter l'identification des délinquants. Je vous jure, allez le lire. La loi anti-Rapetout, en somme. On imagine très bien la scène :

— Éh, Mouloud ! T'es ouf ! Vire ta cagoule quand tu frappes la vieille dame, tu veux aller en taule ou quoi ?

Une réflexion un peu plus élaborée consisterait à dire : celui qui n'est pas masqué hésitera plus à passer à l'acte de peur d'être identifié. Mais dans ce cas, une circonstance aggravante est inadaptée, puisqu'elle suppose un passage à l'acte accompli.

Un autre argument serait de dire que l'individu masqué a moins d'inhibitions et donc est plus dangereux car il pense ainsi ne pas être pris. Là encore, l'argument se heurte à un autre argument de fait : celui qui agit masqué n'a pas à faire du mal aux témoins, puisqu'il pense qu'ils ne pourront le reconnaître. J'aurais aimé que le député s'appuyât sur des travaux un tant soit peu scientifique pour étayer cette pétition de principe. Rappelons que les Chauffeurs de la Drôme agissaient à visage découvert, puisqu'ils tuaient leurs victimes. Ah, et pour le législateur, qui ouvre sa proposition de loi sur la nouveauté du phénomène des bandes violentes, les Chauffeurs de la Drôme, c'est 1909, et les Apaches de Manda et Leca se disputant Casque d'Or à coups de couteau (et sans cagoule), c'est 1902.

Reste le dernier argument et le seul contre lequel je n'ai rien à répliquer : les cagoules, ça passe super bien à la télé.

Notes

[1] La récidive est constituée si la contravention est à nouveau commise dans le délit d'un an suivant l'expiration, c'est-à-dire généralement le paiement, ou la prescription de la précédente peine (art. 132-11). L'article 132-15 applique la récidive… aux personnes morales. D'où une question : une société commerciale qui porte la cagoule est-elle ce qu'on appelle une société anonyme ?

[2] la participation devient délictueuse après que les forces de l'ordre ont sommé dans les formes prévues par la loi les participants de se disperser.

vendredi 19 juin 2009

Avis de Berryer : françois Berléand

Peuple de Berryer, la Conférence reprend ses travaux en recevant Mon Idole, François Berléand, comédien.

Le rapporteur sera une rapporteuse, Isabelle de Taddéo, 7ème secrétaire.

Les travaux auront lieu à 21h15, dans la salle des criées le mercredi 24 juin 2009.

Attention : 21h15 est le début de la Conférence Berryer : il faut arriver bien plus tôt pour espérer avoir une place.

Les sujets seront les suivants :

- les "histoires d'O" sur le papier permettent elles de se soulager?
- oser se refuser, est ce risquer de ne pas être aimé?

Plus d'informations sur le site de la Conférence.

Bonne conférence à tous.

jeudi 18 juin 2009

HADOPI 2 : le gouvernement envisage le recours à l'ordonnance pénale

On commence à en savoir un peu plus sur la deuxième loi Titanic HADOPI, pour combler les brèches ouvertes par le Conseil constitutionnel. Le volet répressif est abandonné, dans le sens où la future HADOPI, et la Commission de Protection des Droits (CPD) qui est son prophète, n'auront aucun pouvoir de sanction propre. Tout passera par le juge.

Se pose donc un nouveau problème. La justice est engorgée et fonctionne à flux tendu. Lui confier un contentieux de masse crée une menace d'asphyxie, ou suppose l'abandon de poursuites dans d'autres domaines, mais lesquels ? Les violences conjugales, les vols de voiture, le trafic de stupéfiant ? L'hypothèse de fournir à la justice les moyens dont elle a besoin étant naturellement exclue, rien n'étant plus nocif qu'un juge qui a les moyens de juger.

Reste donc la trousse de bricolage, aussi connue sous le nom de : “ ce n'est pas une question de moyens, c'est une question de méthode. ”

Et le gouvernement a trouvé la rustine idéale à ses yeux : l'ordonnance pénale.

Oui, amis juristes, esclaffez-vous à l'envi : on va juger des affaires de contrefaçon par voie électronique par ordonnance pénale.

Oui, amis mékéskidis, je vais vous expliquer.

L'ordonnance pénale, c'est la technocratie appliquée à la justice. L'idée a d'abord été créée pour faire face aux contentieux de masse posant peu de problèmes de preuve, à savoir : les contraventions routières. Ces contraventions sont matériellement simples (feu rouge grillé, excès de vitesse constaté par un appareil) et obéissent à des règles de preuve qui limitent considérablement les droits de la défense et pour lesquels un extrait du casier judiciaire est suffisant pour que le juge fixe une peine adéquate. Le système est le suivant : le parquet présente le dossier avec ses preuves à un juge, qui soit va le rejeter, auquel cas libre au parquet de faire citer à une audience ordinaire ou de classer sans suite, soit le juge estime que les preuves sont réunies et va rendre une ordonnance pénale déclarant le prévenu qui en l'occurrence n'est pas prévenu qu'il est prévenu (si vous me suivez…) coupable et prononçant une peine. L'ordonnance est ensuite notifiée au condamné qui peut alors au choix ne rien faire, auquel cas l'ordonnance devient définitive, l'amende est due et les points de permis perdus (on peut être frappé de suspension de permis par ordonnance pénale) soit faire opposition dans un délai de 15 jours auquel cas le condamné est convoqué à une audience, au cours de laquelle le juge réduit à néant l'ordonnance pénale (c'est obligatoire) et rejuge l'affaire. Avec à la clef une peine plus forte si la culpabilité est établie, pour des raisons qui je l'avoue m'échappent : je ne vois pas en quoi une personne, fût-elle coupable (toutes ne le sont pas, une grande partie ne peut prouver son innocence, tout simplement), qui souhaite exercer ses droits de la défense mérite une peine plus lourde. Mais c'est un autre débat.

L'ordonnance pénale appliquée aux contraventions a donné des résultats satisfaisants. Pour le ministère s'entend : augmentation, à budget constant, du nombre de condamnations. Que cela se fasse au prix du sacrifice des droits de la défense n'est qu'un dommage collatéral non pris en compte dans les statistiques. Du coup, la procédure a été élargie aux délits par la loi Perben I du 9 septembre 2002. Selon la technique habituelle de l'exception qui s'élargit discrètement, cette procédure, baptisée “ procédure simplifiée ” (la simplification étant de se passer du prévenu et de son avocat…) était réservée aux délits du code de la route, dont une bonne part sont d'anciennes contraventions devenues délits selon la technique dite “ néanderthal ” du législateur, qui pense que pour lutter contre un délit il suffit de taper plus fort.

Puis, peu à peu, on a ajouté des délits à la liste, qui figure à l'article 495 du Code de procédure pénale :

Peuvent être soumis à la procédure simplifiée prévue à la présente section :

1° Les délits prévus par le code de la route et les contraventions connexes prévues par ce code ;

2° Les délits en matière de réglementations relatives aux transports terrestres ;

3° Les délits prévus au titre IV du livre IV du code de commerce pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue ;

4° Le délit d'usage de produits stupéfiants prévu par le premier alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique ;

5° Le délit prévu par l'article L. 126-3 du code de la construction et de l'habitation (le fameux délit d'occupation de hall d'immeuble).

La différence étant que le délai pour l'opposition passe de 15 à 45 jours en matière délictuelle et surtout qu'aucune peine de prison ne peut être prononcée par cette voie (la contrefaçon est punie de jusqu'à cinq trois ans d'emprisonnement, et cinq en bande organisée, rappelons-le).

On voit donc l'idée de génie : le juge de l'ordonnance pénale fera le travail de la Commission de Protection des Droits. Il ne reste qu'à ajouter une peine complémentaire de suspension de l'accès à internet et le tour est joué : on a un juge qui suspend l'accès à internet sans avoir à rallonger d'un centime le budget de la justice. Si avec ça, la ministre n'est pas reconduite dans le prochain gouvernement !

Sauf que, vous vous en souvenez, je disais au début de l'article que le juriste s'esclaffe, alors que là, le mékéskidis reste placide, voire morose.

C'est parce que deux points font que cette idée est, pour le moins, très mauvaise. Un point de fait et un point de droit.

Le point de fait est que cette procédure ne peut fonctionner que pour des délits très simples à établir. Conduire sans permis, ou à plus de 180 km/h sur l'autoroute, avoir fumé du cannabis (prouvé par une analyse sanguine ou d'urine), être dans un hall d'immeuble…). La contrefaçon, surtout par voie informatique, c'est autre chose. Il faut que le parquet apporte la preuve : que l'œuvre téléchargée était protégée (on peut télécharger plein d'œuvres libres de droits sur bittorrent ou eMule…), que le téléchargeur savait qu'il téléchargeait une œuvre protégée (les noms de fichiers peuvent être trompeurs quant à leur contenu, et on ne peut savoir ce qu'il y a réellement dans un fichier avant qu'il n'ait été téléchargé), et tout simplement identifier le téléchargeur, ce que l'adresse IP ne suffit pas à établir. Bref, il est à craindre que la plupart des ordonnances pénales demandées sur la base des dossiers montés par la CPD soient refusées par le juge pour preuve non rapportée. Le parquet devra donc ouvrir une enquête de police, ce qui fait perdre tout l'intérêt simplificateur : la police étant le bras séculier du parquet, la faire enquêter sur des contrefaçons l'empêche d'enquêter sur d'autres affaires.

Le point de droit est que cette loi est contraire à l'intérêt des artistes, ce qui est un amusant paradoxe. En effet, l'ordonnance pénale suppose que la victime ne demande pas de dommages-intérêts (article 495 du CPP, al. 9). Donc les ayant droits ne pourront pas demander réparation de leur préjudice. Ils doivent sacrifier leur rémunération à leur soif de répression. Quand on sait que leur motivation dans ce combat est de lutter contre un manque à gagner, on constate qu'il y a pire ennemi des artistes que les pirates : c'est l'État qui veut les protéger.

Ajoutons que l'ordonnance pénale n'est pas applicable aux mineurs (article 495 du CPP alinéa 8) et que lesdits mineurs forment une part non négligeable des équipages de pirates du web, mais que la CPD sera incapable de garantir que l'auteur du téléchargement illicite est majeur, et on sent que la loi HADOPI 2 promet de bons moments de rigolade.

Si elle entre en vigueur.

Car la Némésis d'Albanel, le Conseil constitutionnel, veille. Et le Conseil a eu l'occasion de se prononcer sur la procédure simplifiée appliquée aux délits. Voici ce qu'il en a dit à l'époque (Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002) :

77. Considérant que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable ;

78. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 495 du code de procédure pénale, le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que " lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine " ;

Déjà, il n'y aura pas d'enquête de police judiciaire puisque c'est une autorité administrative qui réunira les preuves. Ensuite, déjà qu'une adresse IP ne permet pas d'identifier l'utilisateur de l'ordinateur, je doute qu'elle permettre de connaître sa personnalité et ses ressources (encore que : le pirate qui télécharge l'intégrale de Marilyn Manson est probablement une jeune fille mineure aux cheveux et ongles noirs, qui aime la mort et les poneys et n'a pas assez d'argent de poche).

79. Considérant, en deuxième lieu, que, si l'article 495-1 du même code donne au ministère public le pouvoir de choisir la procédure simplifiée, dans le respect des conditions fixées par l'article 495, c'est en raison du fait que la charge de la poursuite et de la preuve lui incombe ;

80. Considérant, en troisième lieu, que si le président du tribunal estime qu'un débat contradictoire est utile ou qu'une peine d'emprisonnement devrait être prononcée, il doit renvoyer le dossier au ministère public ;

81. Considérant, en dernier lieu, que les dispositions des nouveaux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale apportent à la personne qui fait l'objet d'une ordonnance pénale, quant au respect des droits de la défense, des garanties équivalentes à celles dont elle aurait bénéficié si l'affaire avait été directement portée devant le tribunal correctionnel ; qu'en effet, l'ordonnance doit être motivée ; que le prévenu dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance pour former opposition ; que, dans cette hypothèse, l'affaire fait l'objet devant le tribunal correctionnel d'un débat contradictoire et public au cours duquel l'intéressé a droit à l'assistance d'un avocat ; qu'il doit être informé de ces règles ; que l'ensemble de ces dispositions garantit de façon suffisante l'existence d'un procès juste et équitable ;

Pour résumer : l'ordonnance pénale délictuelle est conforme à la constitution car le ministère public a le choix de recourir ou non à cette procédure, que le président peut refuser de condamner par cette voie, et que le prévenu peut toujours faire opposition, ces trois garanties assurant l'équité de la procédure pour le Conseil.

Il faudra donc que le texte qui sortira des débats parlementaires respectent ces principes. Le problème est que l'idée centrale du projet HADOPI est justement de contourner tous ces principes constitutionnels, qui ne sont, pour le Gouvernement, que des obstacles.

Pourvu que Christine Albanel ne soit pas reconduite dans ses fonctions, pour lui éviter de gravir une troisième fois le golgotha.

mardi 16 juin 2009

Prix Busiris à Henri Guaino

Et c'est un prix summa cum laude, s'il vous plaît. Du lourd, du très lourd. Henri Guaino, les mains déjà avidement tendues pour se saisir de son Prix Busiris tant attendu. (Photo Reuters)

Le Conseiller spécial, très spécial même précise l'Académie dans son communiqué, commentait la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi HADOPI lors du Grand Rendez-Vous sur Europe 1, ce dimanche 14 juin. Et c'est un festival.

Écoutons-le. À ce niveau, ce n'est plus du Busiris, c'est de l'art. Tenez-vous bien c'est deux minutes de grand n'importe quoi non-stop.

Pendant que le SAMU réanime les Académiciens terrassés d'extase face à autant de sottises compressées en aussi peu de mot pour être diffusées à aussi haut débit, décomposons, et profitons-en pour éclairer ce pauvre Riton le Dérouté.

Tel les meilleures bières belges, le prix est ici triple. Tout d'abord, sur l'ironique remarque des révolutionnaires protégeant le droit d'accès à l'internet. Ensuite, sur le droit à l'internet mieux défendu que l'accès à l'eau et à l'électricité (ce qui accessoirement est faux, vous allez le voir) et enfin sur les principes de la déclarations des droits de l'homme et du citoyen, simples principes philosophiques et non juridiques.

Summa : les révolutionnaires n'ont pas entendu défendre l'accès à internet.

Personne ne l'a dit. Sauf un conseiller spécial de l'Élysée, ce qui revient au même.

Les Révolutionnaires ont entendu protéger la liberté d'expression, car elle est toujours la première attaquée. Par les despotes, bien sûr, mais aussi par tous les susceptibles qui trouvent qu'une langue occupée à autre chose qu'à lécher leurs bottes est une incongruité condamnable. Et même avec les meilleures intentions du monde, comme celle de ces artistes qui défendent leur gagne-pain et sont prêts au nom d'Euterpe à occire Polymnie.

La liberté de dire ce que l'on pense, c'est une chose. Mais la déclaration de 1789 ne se contente pas de cela. En effet, crier dans le désert ou être silencieux dans la multitude revient à peu près au même. La déclaration est donc plus précise. Ayons plus de curiosité que M. Guaino et lisons-là.

Article 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

La liberté d'expression s'entend comme la liberté de communiquer, ce qui suppose un émetteur et un récepteur. Elle recouvre le fait de parler, mais aussi d'écrire et d'imprimer librement. En 1789, imprimer s'entendait uniquement sur papier avant distribution. Aujourd'hui, imprimer s'entend directement de l'acte de publication, sans passer par la fixation sur papier (mais fixation il y a, sur un serveur d'abord, sur votre ordinateur ensuite). En quoi l'invention de l'informatique a-t-elle changé quoi que ce soit à cette situation ? Écrire sur internet ne serait pas écrire au sens de la déclaration de 1789 sous prétexte que ce beau jour de juillet 1789, on ne pouvait pas écrire sur un ordinateur ? Henri Guaino veut-il vraiment laisser entendre que la liberté d'expression ne saurait s'appliquer à l'internet car il n'existait pas à la fin du XVIIIe siècle, date à laquelle nos libertés auraient été à jamais figées en l'état ? Dois-je donc comprendre que je puis l'empêcher par la force de s'exprimer à la radio car les révolutionnaires n'ont pas précisé que la liberté de parler s'entendait aussi du droit de dire des sottises au micro d'Europe 1 ?

Henri Guaino commet ici une erreur classique : il ne peut pas concevoir que le droit s'adapte à son époque sans que le législateur n'ait besoin d'intervenir, lui qui en la matière tient plus souvent de la mouche du coche que de la colombe de Noé. Fort heureusement, les juges sont plus intelligents que M. Guaino, ce qui n'est guère les flatter, et eux ont compris depuis longtemps que la liberté de s'exprimer recouvrait toutes les formes, y compris les plus nouvelles. Et tout comme les révolutionnaires ont voulu défendre dans cet article 11 l'imprimerie, non par amour de l'encre pressée sur la feuille de papier mais parce que c'était l'outil qui permettait l'exercice de cette liberté qui sans lui ne serait qu'illusoire, le Conseil constitutionnel défend aujourd'hui le TCP/IP pour le même motif.

Puisque je ne risque plus la suspension de mon accès à internet en cas de piratage, je dirai que le problème de l’Élysée, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance, dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. À bon entendeur…

Cum : Le droit à l'internet, mieux défendu que le droit à l'eau ou à l'électricité.

Là, tous en chœur, poussons : “ Bouhou-ou ” aux journalistes présents qui laissent passer ce genre d'ânerie sans tiquer ou pire, en pouffant du bon mot. La moindre des choses, quand on est journaliste, c'est de s'offusquer quand on se paye votre tronche. Aliocha le fait très bien, d'ailleurs.

Comment l'eau et l'electricité arrive-t-elle chez vous ? Seule une personne ayant un jour vécu dans autre chose qu'un appartement de fonction, ce qui disqualifie visiblement M. Guaino, aura la réponse. Par un contrat d'abonnement. Oh ? Comme internet ? Eh ben oui, comme internet.

Que se passe-t-il si on ne paye pas sa facture d'eau ? On vous coupe l'eau. Que se passe-t-il quand on ne paye pas sa facture d'électricité ? On vous coupe l'électricité. Que se passe-t-il quand on ne paye pas sa facture internet ? On vous coupe internet. Admirez la différence de protection.

Allons plus loin dans le détail. Oubliez UNE facture d'internet et votre service sera coupé dans les 15 jours. J'ai testé. Oubliez une facture EdF et vous aurez une lettre de relance, puis une autre, puis un recommandé, et votre dossier sera transmis au service solidarité qui vous proposera un échéancier ou mille moyens d'éviter la coupure. Tous les avocats qui font du droit de la solidarité ont l'habitude de négocier avec EdF et savent qu'on trouve toujours une oreille attentive. La coupure d'électricité est rare, du fait des conséquences graves qu'elle peut emporter (plus de chauffage, plus de réfrigération des aliments et surtout plus d'accès à mon blog). Il en va de même de l'eau, qui a un rôle sanitaire essentiel. L'eau courante dans tous les quartiers évite bien des épidémies, et des factures d'eau impayées aboutissent chez l'assistant social plutôt que chez l'huissier.

Et revenons-en donc à la loi HADOPI. Que proposait-elle ? Qu'une autorité administrative puisse vous suspendre votre abonnement si vous n'empêchiez pas que celui-ci serve à télécharger, peu importe quel autre usage légal vous puissiez en avoir parallèlement. J'ai beau retourner mon journal officiel dans tous les sens, je n'ai pas trouvé de loi prévoyant comme sanction à un comportement illicite la suspension de l'abonnement à l'eau ou à l'électricité. Même pour les coupables de meurtre par noyade ou pire encore ces monstres à sang froid plus proches de la bête que de l'homme qui percent un trou dans leur mur à 8 heures un dimanche.

Conclusion : l'abonnement à l'eau ou à l'électricité est mieux protégé en France que l'abonnement internet, nonobstant la décision du Conseil constitutionnel sur la loi HADOPI.

Non seulement M. Guaino dit des sottises quand il critique la décision du Conseil constitutionnel, mais il en dit aussi quand il défend son point de vue. Et ce type conseille le président de la République, tout va bien.

Laude : En faisant référence à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen on n'est pas dans l'ordre du juridique mais dans la philosophie du droit.

Comme dirait Hans Kelsen réfutant le jusnaturalisme hobbesien d'un Carl Schmitt : « Et ta sœur, elle fait de la philosophie du droit ? »

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'est pas un texte de philosophie du droit. J'en ai lu beaucoup et ai adoré cette discipline qui m'a réconcilié avec la philosophie après une brouille qui a duré toute mon année de terminale, et je puis vous le dire bien haut : les textes de philosophie du droit ne se divisent pas en articles précédés d'un préambule, et ne s'intitulent jamais « déclaration des droits ». Ce sont les déclarations des droits qui sont rédigées ainsi, et c'est à ça qu'on les reconnaît (j'ai eu mention à mon épreuve de repérage de déclarations de droits en maîtrise).

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen est un texte juridique. Les plus subtils d'entre vous auront sans doute perçu un indice de par la présence du mot “ droits ” au pluriel dans le titre. Ce texte consacre des droits et des libertés, en en faisant des faisant des droits et libertés intouchables par le législateur sauf dans les limites qu'elle prévoit. Principe-exception, l'essence même du raisonnement juridique. Je rappelle que le droit crée une créance, c'est à dire permet à son titulaire d'exiger d'autrui un comportement respectant ce droit, tandis que la liberté s'entend d'une interdiction d'interdire. Les droits reconnus par la déclaration de 1789 sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression (article 2). Les libertés consacrées par ce texte sont la liberté de conscience (article 10), d'expression (article 11), et de manière générale la liberté de faire tout ce que la loi ne prohibe pas et qui ne nuit pas aux libertés d'autrui (article 5). Bien sûr, c'est un texte héritier direct de la philosophie des Lumières. Mais c'est un texte qui traduit les valeurs des Lumières en principes de droit, en posant des règles générales, courtes et claires et en prévoyant strictement les exceptions qu'elles admettent.

Cette déclaration fait d'ailleurs partie intégrante de notre Constitution depuis 1958. Amusant de la part de quelqu'un se disant gaulliste que de vouloir ainsi liquider l'héritage de 58.

Assurément, on peut affirmer sans crainte d'être démenti ou de devoir présenter des excuses que l'homme de l'Élysée est assez entré dans l'Histoire, grâce à ce prix mille fois mérité. Fini désormais les scènes de jalousie dans le Salon Doré, quand Claude Guéant le faisait bisquer avec son Busiris à lui. Plus de jaloux, chacun le sien.

Monsieur le Conseiller, l'Académie vous présente ses félicitations les plus spéciales (au cube, ça va de soi) pour ce feu d'artifice, un dimanche qui plus est.


Crédit photo : Reuters.

lundi 15 juin 2009

Six mois de prison pour un vol de cinq euros

C'est un article de la Voix du Nord, relayé par mon excellent confrère Gilles Devers sur son non moins excellent, quoi que provincial, blog, qui révèle ce jugement rendu il y a peu par le tribunal correctionnel de Dunkerque, statuant en comparution immédiate.

« Dans la nuit du 8 au 9 juin, il force avec des outils la porte du modeste magasin de vêtements d'occasion Méli-Mélo, rue du Sud à Dunkerque. La police, qui effectue une patrouille, trouve suspect la porte de la boutique ouverte en pleine nuit. Les fonctionnaires entrent et distinguent un homme derrière un comptoir. Avec ses outils, il s'affaire à ouvrir une mallette. La fouille révélera que Farid a volé une paire de lunettes de soleil 5 € sur un présentoir.

« Je voudrais un travail d'intérêt général, un énorme sursis pour me calmer », demande Farid au tribunal. Il sort tout juste de prison. « Mais la prison, ça ne me réinsère pas. Ce qu'il me faut c'est un truc où on m'oblige à travailler. » La substitut du procureur abonde dans ce sens. Une peine plancher de deux ans d'emprisonnement pour un vol de lunettes à 5 €, ça paraît excessif. « Comme il ne peut pas déroger à cette peine, je demande 24 mois de prison assortis dans leur totalité d'un sursis mise à l'épreuve, avec obligation de soin et de travail. » La défense insiste sur la possibilité d'individualiser la peine et plaide pour un sursis-TIG : « Il peut trouver le courage de travailler. » Le tribunal a été plus sévère en condamnant Farid à deux ans de prison dont dix-huit mois assortis du sursis mise à l'épreuve. Il est ainsi parti en détention pour six mois. »

L'information, dont je ne doute pas de l'authenticité, a de quoi surprendre, voire scandaliser, ce qui est le cas de mon confrère. Et les accusations de justice de classe de rejaillir promptement.

Si je comprends l'indignation que cette affaire peut susciter, une explication doit être apportée. Car le tribunal de Dunkerque avait les mains liées par le législateur.

Relisons l'article. Nous apprenons que Farid sort de prison. Ça sent donc la récidive. Et même, la prison ferme pour un premier vol étant rare, une probable récidive de récidive, c'est à dire que notre Farid a déjà été condamné au moins deux fois pour vol. Et la dernière fois, à de la prison ferme.

Il était poursuivi pour vol (la paire de lunette) et tentative de vol (le contenu de la malette) : le vol n'a pas pu s'accomplir car il a été interrompu par une cause extérieure à la volonté de l'auteur, savoir : l'arrivée de la police. On peut supposer qu'il ne se serait pas arrêté en si bon chemin et que le reste du contenu de la boutique était susceptible d'être volé. Mais il ne peut être poursuivi pour cela : il s'agit d'un vol purement éventuel, le vol n'étant pas entré dans sa phase d'exécution, il n'y a pas encore tentative punissable faute d'élément matériel de l'infraction.

Le vol et la tentative étaient tous deux aggravés car commis dans un local d'habitation ou dans un lieu utilisé ou destiné à l'entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels, en pénétrant dans les lieux par ruse, effraction ou escalade (article 311-4, 6° du code pénal).

Donc la peine encourue était de cinq ans, doublés par la récidive (article 132-10 du code pénal), soit dix ans maximum. S'agissant d'une récidive d'un délit puni de cinq ans, les peines planchers s'appliquent : le minimum est en principe de deux ans (article 132-19-1 du code pénal).

Mais ça ne s'arrête pas là.

Farid ayant fait de la prison ferme il y a moins de cinq ans, il n'a plus droit au sursis simple : article 132-30 du code pénal.

Farid étant en récidive, il ne peut bénéficier que de deux sursis avec mise à l'épreuve (SME) sur l'intégralité de la peine, et un seul s'il a déjà été condamné pour des faits de violence (information non contenue dans l'article) : article 132-41 du code pénal. Vu que Farid en est à la prison ferme, on pourrait supposer que les possibilités de sursis avec mise à l'épreuve ont été épuisées (deux, ça vient vite). Mais contre cette hypothèse, il y a le fait que le parquet a requis un sursis intégral assorti d'un travail d'intérêt général (sursis-TIG), que la loi assimile au sursis avec mise à l'épreuve pour les règles de cumul de condamnations (article 132-56 du code pénal). Cela dit, il n'est pas impossible que le parquet se soit trompé en requérant une peine impossible, ça arrive, vu la complexité des règles, vous allez voir.

Donc, la juridiction n'avait probablement pas d'autre choix que de prononcer une peine de deux ans, dont une partie devait être ferme, sauf à motiver sa décision en relevant des éléments liés aux circonstances de l'infraction, à la personnalité de son auteur ou aux garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci article 132-19-1 du code pénal. Je ne sais pas si Farid avait un domicile et un emploi ; mais le fait qu'il commette un vol peu après une sortie de prison rend de toutes façons difficile de plaider les garanties de réinsertion. Le parquet a d'ailleurs relevé que les deux ans s'imposaient : donc il n'y avait visiblement aucun de ces éléments permettant d'écarter la peine plancher.

Le parquet a requis une peine de sursis assorti d'un travail d'intérêt général. Le prévenu était d'accord, ce qui est une condition sine qua non (les travaux forcés sont interdits en France depuis 1974). Mais la loi interdit de cumuler l'emprisonnement ferme avec un sursis-TIG (article 132-56 du Code pénal). Il fallait donc, pour que le tribunal pût aller dans ce sens, que Farid n'eût déjà été condamné qu'à un seul SME, et ce pour des faits sans violence. Ça me paraît très douteux pour quelqu'un sortant de prison. Le fait que le tribunal était, selon mon hypothèse, obligé de prononcer de la prison ferme excluait donc le sursis-TIG. Les réquisitions du substitut à l'audience n'étaient dans ce cas pas adaptées, ce qui n'a pas échappé au tribunal, et il « s'est fait dépasser », c'est-à-dire que le tribunal a prononcé une peine plus grave que ce qui était requis, ce qui est déplaisant pour le parquetier et pousse l'avocat à geindre sur la sévérité du président Machin, alors que le seul reproche qu'on pourrait lui faire dans ce cas est d'avoir bien lu son Code pénal, lui.

Poursuivons dans mon hypothèse, que je maintiens être la plus probable (mais je reconnais que tel un All-Black, je ne suis pas infaillible[1]).

Le président Machin était-il vraiment pieds et poings liés ? Oui ; mais même dans ce cas, il reste l'orteil du juge qui peut encore bouger (en attendant la prochaine loi sur la récidive qui le coulera dans le béton au nom de la sécurité). Il lui restait l'article 132-57 du Code pénal. Il pouvait prononcer deux ans dont six mois fermes, mais sans placement en détention. Farid ressortait libre, avec une convocation chez le juge d'application des peines (JAP) qui, lui, a le pouvoir de commuer six mois ferme (c'est le maximum) en sursis-TIG. Ce n'est pas automatique, et il aurait fallu que Farid préparât un dossier solide ; et notamment qu'il eût un domicile et des ressources légales (travail, rSa,…). Ça oblige à se prendre en main.

Pourquoi le tribunal n'a-t-il pas eu recours à cette voie ? Je l'ignore. Soit qu'il n'y ait pas pensé (le parquet et la défense s'étant malheureusement semble-t-il fourvoyés sur une voie sans issue, le tribunal n'a guère été aidé dans sa prise de décision), soit que Farid n'ayant aucun domicile, donc aucune adresse où recevoir les convocations des services du JAP, le pari de la prison sans sursis était illusoire à ses yeux, soit tout simplement que le tribunal ait estimé que la clémence était inutile ici et que seule la prison s'imposait. Ce dont je doute, car le tribunal, dans ce cas, aurait prononcé les deux ans de peine plancher ferme, et n'aurait pas laissé la porte ouverte à un sursis avec mise à l'épreuve.MISE À JOUR : On m'indique que la cour de cassation refuse l'application de l'article 132-57 aux peines mixtes ferme + sursis, ce qui dans ce cas est une autre excellente explciation.

Six mois fermes, pour un récidiviste, c'est trente jours de réduction de peine (cinq jours par mois dans la limite d'un mois, article 721 du code de procédure pénale, or ces six mois fermes sont pile-poil ce qui lui permet de profiter du maximum de la réduction de peine) soit cinq mois, libération conditionnelle possible au bout de trois mois et 10 jours (deux tiers de la peine pour un récidiviste, au lieu de la mi-peine pour les condamnés ordinaires). Ça lui laisse un trimestre pour préparer son projet de sortie.

Vous voyez, quoi qu'il y paraisse, le tribunal a fait preuve d'une certaine clémence. Et ce malgré tous les obstacles que le législateur y a mis.

dimanche 14 juin 2009

Ça y est, elle est arrivée !

La loi HADOPI est publiée au JO. Son nom officiel est donc la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, publiée au JO n°0135 du 13 juin 2009 page 9666[pdf] (il fallait bien que le chiffre de la Bête figurât à son état-civil…), texte n° 2, juste après la proclamation officielle des résultats aux européennes.

Ses dispositions relatives au statut des entreprises de presse en ligne entrent en vigueur aujourd'hui à zéro heure. Les dispositions relatives à la HADŒPI et à la Commission de Protection des Droits châtrée par le Conseil constitutionnel (au passage, j'adore le nom de Commission de Protection des Droits pour une entité violant deux des droits de l'homme parmi les plus importants. Avec une telle protection, nos droits ont-ils besoin d'un ennemi ?) entreront en vigueur à la date de la première réunion de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (donc pas avant que les décrets ne soient pris) et au plus tard le 1er novembre 2009, ce qui est un vœu pieux si les décrets ne sont pas pris d'ici là : je ne vois pas comment les dispositions relatives à la CPD pourraient entrer en vigueur si la CPD n'est pas constituée, et vu l'état de la loi, je ne pense pas que le gouvernement soit très empressé à prendre ces décrets. Mais le Gouvernement a montré dans cette affaire que le ridicule ne lui a jamais fait peur. Le président a tenu parole : tout est devenu possible.

À ce sujet, il semblerait qu'on se dirige rapidement vers une loi HADOPI 2 (car il en va des lois comme des films : un succès doit être suivi d'une suite, quoique l'anglais sequel semble ici plus adapté), qui sera sans doute une proposition de loi portée par un député mais rédigée par le gouvernement pour utiliser les crénaux réservés aux propositions de loi créés par la réforme de la Constitution votée il y a un an, et surtout pour se dispenser du passage devant le Conseil d'État et de l'étude d'impact, obligatoires pour les projets de loi[1]. Le Conseil Constitutionnel a donné le mode d'emploi dans sa décision (§14) :

14. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;

Bref : le Conseil est prêt à valider une autorité administrative distribuant des sanctions aux pirates, à condition que les sanctions soient proportionnées, que les droits de la défense soient respectés et que les faits punis et les sanctions correspondantes soient clairement prévues par la loi. Ce qui interdit d'en faire la machine à punir dont rêvait le gouvernement. La discussion de HADOPI 2 promet d'être intéressante.

En attendant, c'est l'excellent Martin Vidberg qui résume parfaitement ce qui se passera :

Un homme lit un courrier à sa femme : “ Nous avons constaté que vous avez téléchargé illégalement l'intégrale de Dick Rivers. Si vous continuez, nous serons dans l'obligation de. ” Il ajoute : “ Et la lettre finit comme ça. ” Son épouse, terrifiée, s'écrie : “ Oh mon dieu ! Mais c'est terrible ” © martin Vidberg 2009

Le blog de Martin Vidberg.
Licence d'utilisation de ce dessin.

Notes

[1] Rappel de vocabulaire : projet de loi = émane du gouvernement, proposition de loi = émane d'un député ou d'un sénateur.

jeudi 11 juin 2009

Français ? Pas français, mon Général !

par Sub lege libertas


Toute personne de nationalité française ayant 23 ans accomplis et ayant satisfait aux obligations de la loi sur le recrutement de l'armée peut être élu président de la République Française. Bien que remplissant ces conditions, je ne vous annonce pas ma candidature aux prochaines élections. Mais d’aucuns récemment se sont demandés si un certain Daniel Cohn-Bendit pouvait être candidat. Il ne s’agit pas d’examiner ici ses intentions : il peut, s’il veut. Mais s’il veut, il faut savoir s’il remplit les conditions légales. Ainsi lit-on depuis quelques jours de nombreuses choses sur la nationalité de l’intéressé.

Commençons par nous demander quelle est sa nationalité actuelle. (Marc) Daniel Cohn-Bendit est né le 4 avril 1945 en France à Montauban de parents allemands Erich et Herta Cohn-Bendit, juifs réfugiés en France depuis 1933. Pour son frère (Jean) Gabriel né en 1936 en France à Paris, ses parents obtinrent la nationalité française. Ils ne la demandèrent pas pour Daniel né en 1945. Il semble qu’ils envisageaient alors d’émigrer aux Etat-Unis et d’en devenir ainsi que leurs fils des citoyens. Daniel obtint la nationalité allemande à 14 ans, en 1959 l'année de décès de son père retourné vivre en Allemagne dès 1949, y exerçant comme avocat. Daniel était rentré en Allemagne avec sa mère en 1958. Il se dit également qu’il préféra A 14 ans en 1959, il ne pouvait donc pas faire ce choix pour ne pas être tenu par des obligations militaires en France qui était alors engagée dans les opérations la guerre d’Algérie, comme on le lit parfois de façon étonnante.

Etant devenu allemand, il ne pouvait en aucun cas avoir conservé une nationalité française, d’ailleurs jamais réclamée, car l’Allemagne refusait alors la notion de double nationalité. Aujourd’hui, si un allemand veut conserver sa nationalité en revendiquant une autre nationalité nationalité autre que communautaire ou suisse (un autre passeport que celui d'un pays de union européenne ou de la confédération helvétique), il doit demander l’autorisation de la conserver avant d’en acquérir une autre, faute de quoi il est déchu automatiquement de sa nationalité allemande.

Il revint étudier en France à la faculté de Nanterre, est-il besoin de le rappeler, dans les années précédant mai 1968. Il bénéficiait donc d’un titre de séjour comme étudiant allemand. Il fit l’objet d’un arrêté d’expulsion et d’une interdiction de séjour en France par le Ministère de l’intérieur le 21 mai 1968. Contrairement au “raccourci” que l’on lit parfois, il n’a en aucun cas été déchu de sa nationalité française, qu’il n’avait d’ailleurs pas. Cette arrêté d’expulsion a été expressément abrogé depuis, en 1978 je crois, précisément le 20 décembre, après un refus en 1976 devenu célèbre par la grâce du Conseil d'Etat.

Aujourd’hui, il est donc toujours de nationalité allemande et peut à ce titre se présenter et être élu comme député européen dans n’importe quel pays d’Europe communautaire. Mais pour être candidat à la Présidence de la République en France, il lui faudrait la nationalité française.

Comment peut-il devenir français ? Voici, dans son cas, les réponses possibles selon le Code civil (articles :21-2 et suivants, 21-15 et suivants) :

○ par déclaration après quatre années de mariage avec une française à condition d’avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois années en France à compter du mariage et en justifiant d’une connaissance suffisante de la langue française.

○ par déclaration après quatre années de mariage avec une française à condition d’apporter la preuve que durant leur communauté de vie à l’étranger, le conjoint français a été inscrit au registre des Français établis hors de France et en justifiant d’une connaissance suffisante de la langue française.

○ par déclaration après cinq années de mariage avec une française sans condition de durée de résidence en France ou de preuve d’inscription sur le registre des Français établis hors de France et en justifiant d’une connaissance suffisante de la langue française.

○ par décret de naturalisation à la demande de l’étranger, de bonne vie et moeurs justifiant de son assimilation à la communauté française, ayant sa résidence en France au moment de la signature du décret et justifiant d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui précèdent le dépôt de la demande.

○ par décret de naturalisation à la demande de l’étranger, de bonne vie et moeurs justifiant de son assimilation à la communauté française, ayant sa résidence en France au moment de la signature du décret et justifiant d’une résidence habituelle en France pendant les deux années qui précèdent le dépôt de la demande, si l’étranger a accompli avec succès deux années d’études supérieures en vue d’acquérir un diplôme délivré par une université ou un établissement d’enseignement supérieur français.

○ par décret de naturalisation à la demande de l’étranger, de bonne vie et moeurs justifiant de son assimilation à la communauté française, ayant sa résidence en France au moment de la signature du décret et justifiant d’une résidence habituelle en France pendant les deux années qui précèdent le dépôt de la demande, si l’étranger a rendu ou peut rendre par ses capacités et ses talents des services importants à la France.

○ par décret de naturalisation après avis du Conseil d’Etat à la demande de l’étranger, de bonne vie et moeurs justifiant de son assimilation à la communauté française, ayant sa résidence en France au moment de la signature du décret, sans condition de durée de résidence habituelle en France, si l’étranger a rendu des services exceptionnels à la France ou si sa naturalisation présente pour la France un intérêt exceptionnel.

○ par décret de naturalisation sur proposition du ministre des affaires étrangères à la demande de l’étranger, de bonne vie et moeurs justifiant de son assimilation à la communauté française, ayant sa résidence en France au moment de la signature du décret, sans condition de durée de résidence habituelle en France, si l’étranger francophone contribue par son action émérite au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relation économiques internationales.

Voilà. On me murmure à l’oreille qu’une certaine Carla B. recompte sur ses doigts pour savoir si elle est déjà citoyenne française.


Post Scriptum :

Le Code de la nationalité française issu de l'ordonnance n° 45-2447 du 19 octobre 1945 fixait entre 1945 et 1959 les conditions d'acquisition de la nationalité française pour un mineur né sur le sol français de parents étrangers de la façon suivante (articles 52 et 44) :

Si l'enfant est âgé de moins de seize ans, s'il a en France sa résidence au moment où la nationalité est réclamée et s'il a eu depuis au moins cinq années sa résidence habituelle en France, aux colonies ou dans les pays placés sous protectorat ou sous mandat français, l'un des parents peut, à titre de représentant légal, déclarer qu'il réclame, au nom du mineur, la qualité de français, à condition toutefois que ce représentant légal, s'il est étranger, ait lui-même depuis au moins cinq années sa résidence habituelle en France, aux colonies ou dans les pays placés sous protectorat ou sous mandat français. Les parents de Daniel Cohn-Bendit pouvaient donc opter pour cette acquistion de nationalité française par déclaration pour leur fils ou revendiquer pour lui la nationalité allemande que le droit du sang lui conférait au regard des règles de la nationalité en Allemagne.

In Memoriam HADOPI

La loi HADOPI est donc allée devant le Conseil Constitutionnel comme César est allé aux Ides de Mars : pour y rencontrer sa fin.

Un rapide rappel de ce qu'est le Conseil constitutionnel pour mes lecteurs étrangers, car pour tout citoyen français, il va de soi que les articles 56 et suivants de la Constitution n'ont aucun secret.

Le Conseil constitutionnel est le gardien de la Constitution, la norme suprême, supérieure aux lois et aux traités, même européens[1]. La Constitution est une loi adoptée dans des conditions très particulières qui rendent sa modification extrêmement difficile et qui fixe les grands principes de la République (la Constitution inclut ainsi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pose le principe de l'égalité sans distinction d'origine, de race ou de religion, etc…) et de son fonctionnement (c'est la Constitution qui établit le drapeau, l'hymne national, ainsi que les pouvoirs du président de la République, du Gouvernement, du Parlement, etc…).

Quand une loi est adoptée, elle peut (c'est facultatif, sauf trois exceptions : les lois soumises à référendum, les lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires) être déférée au Conseil constitutionnel qui jugera de leur conformité à la Constitution. La décision de déférer une loi au Conseil constitutionnel peut être prise par le président de la République, le président du Sénat, le Président de l'assemblée nationale, ou un groupe de soixante députés ou soixante sénateurs (pas de panachage entre les deux assemblées). Cette décision, appelée recours, doit idéalement être motivée, c'est-à-dire indiquer en quoi cette loi violerait la Constitution. La qualité des recours est très variable, et je ne sais pas ce qu'attendent les groupes parlementaires pour se constituer une équipe d'avocats constitutionnalistes. Ils en ont les moyens et ce serait redoutablement efficace.

Survolons rapidement les arguments rejetés par le Conseil avant de nous attarder sur ceux qu'il a retenus, soit en formulant une réserve d'interprétation, soit en annulant purement et simplement.

(NB : les numéro après le symbole § renvoient aux numéros de paragraphe de la décision).

Les moyens rejetés.

► La procédure d'adoption de la loi : les parlementaires auteurs de la saisine affirmaient ne pas avoir reçu les informations suffisantes du gouvernement pour pouvoir légiférer en connaissance de cause. La Conseil estime que les assemblées ont disposé, comme l'attestent tant les rapports des commissions saisies au fond ou pour avis que le compte rendu des débats, d'éléments d'information suffisants (§3).

► L'obligation de surveillance de l'accès à internet : les requérants soutenaient que l'obligation faite aux abonnés à l'internet par l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle (créé par la loi HADOPI) de veiller à ce que cet accès ne serve pas à pirater[2] ferait double emploi avec le délit de contrefaçon et serait formulée de façon trop générale, alors que la Constitution exige que la loi soit claire et accessible. Le Conseil rejette, estimant au contraire que la définition de cette obligation est distincte de celle du délit de contrefaçon ; qu'elle est énoncée en des termes suffisamment clairs et précis (§7). Je suis d'accord.

► Le renvoi à des décrets en Conseil d'État : les requérants critiquaient le renvoi à des décrets pour définir les modalités de délivrance du label HADOPi certifiant qu'une source de téléchargement est légale. Le Conseil rejette en rappelant qu'il s'agit d'une simple information du public et que l'HADOPI n'aura pas le choix et devra délivrer ce label à tout site en faisant la demande qui remplit les conditions légales. Dès lors, le législateur a bien rempli son rôle, le reste n'étant que de l'intendance, domaine du décret (§35).

Les réserves d'interprétation.

Une réserve d'interprétation est une façon inventée par le Conseil de corriger une inconstitutionnalité sans dégainer l'arme nucléaire de l'annulation. Le Conseil dit que si on applique le texte de telle façon, alors il n'est pas contraire à la Constitution. Ces réserves d'interprétation sont prises en compte par les juges, qu'ils soient administratifs ou judiciaires.

On commence à entrer dans les aspects intéressants de la décision. La loi HADOPI n'est pas, sur ces points, censurée, mais elle est modifiée dans son esprit.

► L'atteinte à la vie privée : Attention, c'est un peu subtil.

Les données relatives aux infractions de piratage sont relevées par des agents assermentés qui sont salariés des sociétés de gestion collective de droits d'auteur (essentiellement pour transférer le coût des ces opérations sur ces sociétés plutôt que les faire supporter par l'État). Ces données sont collectées dans un fichier informatisé géré par ces sociétés privées. Jusqu'à présent, ces données étaient soit communiquées au parquet au soutien d'une plainte, soit directement utilisées par ces sociétés pour poursuivre les internautes concernés en justice. Dans tous les cas, c'était l'autorité judiciaire qui ordonnait au fournisseur d'accès internet (FAI) la communication de l'identité du titulaire de l'abonnement suspect[3]. Avec la loi HADOPI, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADŒPI) qu'elle crée acquiert le droit de se faire communiquer directement et sur simple demande par le fournisseur d'accès internet concerné, les coordonnées du titulaire de l'abonnement, pour mettre en jeu sa responsabilité. L'autorité judiciaire est court-circuitée. C'est cela que contestaient les requérants devant le Conseil constitutionnel : il y a une atteinte disproportionnée au droit des citoyens au respect de leur vie privée en permettant à une autorité administrative de se faire communiquer ces données personnelles sur simple demande.
Le Conseil donne raison aux requérants, mais sans aller jusqu'à interdire ce dispositif. Il précise que la loi HADOPI permettant l'identification des titulaires des abonnements correspondants aux adresses IP collectées par les agents assermentés a pour effet de rendre ces données nominatives, ce qu'elles n'étaient pas auparavant. Le Conseil rappelle donc que la Commission Nationale Informatique et Liberté (la CNIL) a pour vocation de surveiller les traitements informatiques de données nominatives, et qu'il lui appartiendra de s'assurer que les modalités de ce traitement sont proportionnées au but poursuivi. En clair, cela signifie que toute poursuite fondée sur ces relevés sera nulle tant que la CNIL n'aura pas donné son feu vert quant au fonctionnement de ce fichier (§29). Où comment la rue Montpensier venge la rue Vivienne. La CNIL est notamment invitée à veiller à ce que ces données ne servent que dans le cadre des procédures judiciaires liées au piratage supposé et ne soient pas conservées à d'autres fins, genre une liste noire des pirates.

► Les mesures judiciaires envers les FAI : l'article 10 de la loi ajoute au code de la propriété intellectuelle un article L. 336-2 qui permet aux ayant-droits d'une œuvre objet de piratage d'obtenir du tribunal de grande instance, au besoin en référé, toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte à leurs droits, auprès, là est la précision importante, « des personnes susceptibles de contribuer à y remédier », et non uniquement auprès des personnes auteurs de cette atteinte. Quelle périphrase, mes amis, pour dire simplement fournisseur d'accès internet et hébergeurs ! En clair, la loi permet aux ayant-droits d'une œuvre piratée d'obtenir du FAI qu'il puisse suspendre l'accès internet du pirate supposé, et de l'hébergeur qu'il supprime de son serveur le fichier ou le site illicite (mais sur ce dernier point, la loi n'invente rien, le droit commun le permet déjà). Suspension, il y a, mais ordonnée par l'autorité judiciaire, ce qui est une garantie. Insuffisante, estime le Conseil, qui souffle à l'oreille du juge le mode d'emploi : il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté [la liberté d'expression, voir plus bas], que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause (§38). Bref, le juge devra se contenter d'ordonner le minimum minimorum pour mettre fin à cette atteinte au droit d'auteur sans porter atteinte de manière disproportionnée à la liberté d'expression, qui devient la marraine, comme on va le voir, de l'accès à internet. Autant dire que le seul abonnement qui pourra être suspendu est celui qui ne sert qu'à pirater à l'exclusion de tout blogging, twitting, facebooking, netsurfing et autres mot en -ing visant à précipiter les Académiciens vers une mort prématurée par apopléxie.

Le Conseil a posé ses banderilles. Vient le moment tant attendu de l'estocade. Cette fois, le Conseil frappe pour tuer.

Les annulations.

Les annulations portent sur toutes sur le même point : la répression des manquements à l'obligation de surveillance.

Rappelons d'une phrase le mécanisme de la loi HADOPI : tout abonné à internet a l'obligation de veiller à ce que son abonnement ne serve pas à pirater, peu importe qui pirate ; tout piratage constaté depuis un abonnement donné est une violation de cette obligation par le titulaire de cet abonnement, qui peut être sanctionné, après deux avertissements, par une suspension de l'abonnement décidée par une autorité administrative, la Commission de Protection des Droits (et non la HADŒPI), hors de toute procédure judiciaire.

Et c'est là que le bât blesse pour le Conseil constitutionnel. Au cours des débats, on a beaucoup entendu dire et répéter que, que diable, il n'y a pas de droit à l'abonnement à internet, et qu'internet n'est pas un droit fondamental[4]. Le Conseil disconvient respectueusement (§12) :

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi " ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;

Internet ne devient pas une liberté fondamentale, mais le voici le pupille de la liberté d'expression, ce qui le met sur un beau piédestal.

Mais le Conseil constitutionnel apporte aussitôt un tempérament (§13), en rappelant qu'on est ici dans un conflit entre deux droits fondamentaux : la liberté d'expression, dont internet est le prophète, et la propriété, dont le droit d'auteur est une variante immatérielle mais tout aussi protégée.

Face à ce conflit, le législateur a un certain pouvoir d'appréciation :

Le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines[5] ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle (§14).

Là, on retient son souffle. HADOPI est-elle sauvée ? Une incise pendant que vous virez lentement au rouge puis au bleu : ce genre de conflits entre des principes d'égale valeur mais contradictoires est le cœur de ce qu'est le droit. C'est l'essence du travail du juriste que de résoudre ce conflit, non pas en disant lequel des deux l'emporte, mais en délimitant le territoire de chacun selon les hypothèses. Dans tels et tels cas, le premier l'emportera, mais avec ces limites ; dans telles autres, ce sera le second, mais là encore dans telles limites pour préserver le premier. Exemple typique : le juge pénal, qui doit concilier la nécessité de la répression d'un comportement interdit avec celle de réinsérer l'individu qui a commis ces faits. Punir le passé en tenant compte du présent sans insulter l'avenir. On n'est pas trop de trois (le juge, le procureur et l'avocat) pour y arriver.

Allez-y, vous pouvez respirer : ici, c'est la liberté d'expression qui l'emporte, et le couperet tombe aussitôt sur la loi.

Le Conseil rappelle d'abord que « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés » ; et « que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (§15). Tous ceux qui ont lu la loi savent déjà que c'en est fini de son mécanisme répressif. Pour les autres, le Conseil continue :

les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n'est pas une juridiction[6], à restreindre ou à empêcher l'accès à internet de titulaires d'abonnement ainsi que des personnes qu'ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice, par toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins ;

En clair : la liberté d'expression ne s'efface pas pour protéger des intérêts économiques catégoriels aussi nobles soient-ils (rires).

Le coup est mortel mais alors que la bête titube encore, le Conseil porte une seconde estocade : la loi HADOPI piétine également la présomption d'innocence.

En effet, la loi HADOPI met en cause la responsabilité de l'abonné par la simple constatation du piratage, qui suffit à mettre en branle la machine à débrancher, sauf à ce que l'abonné démontre que le piratage est dû à la fraude d'un tiers (je laisse de côté la force majeure, qui exonère de toute responsabilité sans qu'il soit besoin de le prévoir dans la loi, et l'installation du logiciel mouchard, qui au contraire interdit de facto à l'abonné d'invoquer la fraude d'un tiers). Preuve impossible à rapporter.Ce renversement de la charge de la preuve aboutit à faire de l'abonné mis en cause un coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence(§18). C'est prévu par le code pénal nord coréen, mais pas par le nôtre. Le législateur a imaginé ce mécanisme anticonstitutionnellement[7]

La bête s'écroule et le Conseil prélève les deux oreilles et la queue : toutes les dispositions donnant un pouvoir de sanction à la Commission de Protection des Droits sont annulées.

Conclusion : la loi HADOPI est-elle morte ?

Elle est en coma dépassé : son corps vit encore mais son esprit a basculé dans le néant. Le reste de la loi étant validé, le président de la République a quinze jours pour la promulguer, ou demander au parlement une seconde délibération (art. 10 de la Constitution). La HADŒPI sera créée (mon petit doigt me dit qu'elle va fusionner avec l'Autorité de Régulation des Mesures Techniques créée par DADVSI), ainsi que la CPD. La HADŒPI se contentera donc de délivrer son label “ ici, on télécharge légalement, lol ” à qui en fera la demande, et remplira ses autres missions, purement consultatives.

Le Conseil constitutionnel tire d'ailleurs les conclusions de son annulation et de l'absence de jugeotte du parlement en donnant le mode d'emploi qui ne manque pas d'ironie (§28) :

…à la suite de la censure résultant des considérants 19 et 20, la commission de protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; que son intervention est justifiée par l'ampleur des contrefaçons commises au moyen d'internet et l'utilité, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie ; qu'il en résulte que les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre par les sociétés et organismes précités ainsi que la transmission de ces données à la commission de protection des droits pour l'exercice de ses missions s'inscrivent dans un processus de saisine des juridictions compétentes ;

Traduction : la CPD existera bel et bien mais sera cantonnée à un travail d'avertissement sans frais (les mises en garde par courrier existent toujours, tout comme l'obligation de surveillance de sa ligne, mais elles ne peuvent aboutir à des sanctions), de filtrage et de préparation des dossiers pour l'autorité judiciaire, dans le but, et c'est là qu'on voit que le Conseil constitutionnel a le sens de l'humour, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie.

Bref la machine à punir 10.000 pirates par jour devient la machine à s'assurer qu'on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l'enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant.

On n'avait pas vu un tel succès législatif depuis la promulgation-abrogation du Contrat Première Embauche en 2006.


Voir aussi l'avis de Jules, toujours le plus rapide s'il n'a pas un verre de Chardonnay dans une main et la taille d'une jolie fille dans l'autre.

Notes

[1] Oui, c'est un appeau à troll, mais c'est quand même vrai.

[2] Ce verbe sera utilisé, brevitatis causæ, dans le sens de “ reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu'elle est requise ”, afin d'économiser ma bande passante.

[3] Rappelons qu'une adresse IP permet d'identifier l'accès internet utilisé, mais pas forcément l'ordinateur utilisé si plusieurs sont connectés, et en aucun cas la personne devant son clavier.

[4] Jean-François Copé, président du groupe UMP (quand il a le temps d'être à l'assemblée), le 24 mai 2009 sur Europe 1.

[5] C'est à dire que toute faute amenant à une sanction doit avoir été prévue par la loi, de même que la sanction qui l'accompagne : pas d'arbitraire en ce domaine.

[6] Spéciale dédicace à Franck Riester, rapporteur du texte, qui a affirmé le contraire le 4 mai 2009 dans l'hémicycle, juste avant qu'un prix Busiris ne lui frôle les oreilles.

[7] Pour une fois qu'on a l'occasion de l'utiliser, lâchons-nous.

mercredi 10 juin 2009

Le Conseil Constitutionnel torpille la loi HADOPI

Je vous fais une analyse le plus rapidement possible. Pour faire bref : tout le dispositif de sanction aboutissant à la suspension de l'abonnement est annulé par le Conseil constitutionnel. Tout part à la poubelle.

Donc, oui, Christine Albanel et derrière elle tout le gouvernement a battu le tambour pour faire voter au pas militaire une loi contraire à la Constitution. Vous pouvez vous marrer comme des baleines.

À très bientôt pour le compte rendu plus complet.

samedi 6 juin 2009

Non, vous n'avez rien à faire ici

Un avocat doit en permanence se tenir à jour de l'évolution du droit. C'est-à-dire des lois et décrets promulgués dans son domaine d'activité, et la jurisprudence rendue pour savoir comment les juridictions appliquent la loi.

En matière de droit des étrangers, cette dernière activité est parfois déprimante quand on voit ce que l'administration française ose faire.

Le Conseil d'État vient d'avoir à connaître en référé d'un recours contre un refus de visa.

Le visa est l'autorisation donnée à un étranger d'entrer en France un nombre de fois déterminé (généralement une fois) pendant une période de temps déterminée pour une durée déterminée (trois mois pour un visa touristique).

La délivrance d'un visa est en principe une décision discrétionnaire de l'administration (en l'espèce les consulats de France à l'étranger). Elle dit oui ou elle dit non, sans avoir à s'en expliquer. Cependant, la loi (article L.211-2 du CESESDA) dresse la liste d'un certain nombre de situations où l'administration doit au contraire expliquer pourquoi elle refuse le visa.

Dans tous les cas, le refus de visa peut faire l'objet d'un recours. Il faut d'abord saisir une commission des refus de visa, et si elle confirme le rejet, c'est le Conseil d'État qui est compétent.

Cependant, en cas d'urgence, le Conseil d'État peut être saisi directement pour enjoindre à l'administration de réexaminer rapidement la demande (ce qui aboutit systématiquement à ce qu'elle soit acceptée cette fois-ci, on se doute bien que le Conseil d'État ne demande pas de réexaminer une demande infondée. Mais cette condition d'urgence n'est quasiment jamais considérée comme remplie. C'est pourquoi une ordonnance de référé du Conseil d'État du 20 avril dernier fait l'objet d'un signalement aux avocats : elle a considéré qu'il y avait urgence et a fait droit à la demande de réexamen. C'est exceptionnel.

Voici les faits.

Monsieur E., était marié avec une ressortissante de son pays en situation régulière. À la suite de sa séparation de fait d'avec son épouse enceinte, il a fait l'objet d'une reconduite à la frontière.

Plusieurs mois plus tard, son épouse a accouché d'une petite fille. Hélas, cette fillette est décédé à l'âge de dix jours.

Monsieur E. a aussitôt demandé un visa pour venir en France organiser les obsèques de sa fille et y assister, la mère de celle-ci n'étant pas en état d'y pourvoir, on devine pourquoi.

Le Consulat de France a refusé. Sans avoir à s'en expliquer, puisque la situation de monsieur E. n'entrait pas dans les cas de l'article L.211-2.

Oui. Le Consulat de France a refusé un visa à un père qui demandait à pouvoir venir enterrer sa fille, qu'il n'a jamais pu voir car un préfet avait auparavant décidé de le reconduire à la frontière malgré cette naissance à venir. Et j'imagine très bien l'argument opposé au juge administratif par le préfet si un recours avait été formé à l'époque, invoquant cette naissance à venir pour demander l'annulation de l'arrêté de reconduite. Le même argument opposé à chaque fois face à ce genre d'argument : « Monsieur le juge, monsieur E. pourra toujours solliciter un visa pour venir voir sa fille. »

Poisson d'avril.

Réf. : CE réf., 20 avr. 2009, req. n° 327162, E….)

vendredi 5 juin 2009

Follement injuste, juste fou ? Mortel !

par Sub lege libertas


Chère Maître Laure Heinich-Luijer,

Première secrétaire de la Conférence du stage, avocate au barreau de Paris, vous nous écrivez, à nous magistrats -à moi donc- sans aménité quoiqu’au décours d’une matinée partagée à la formation de magistrats pénalistes rue Chanoinesse, je vous connusse capable de cette « douceur accompagnée de grâce et de politesse » (Littré) pour soutenir sans faiblesse votre cause.

Votre client est mort, mort dans sa folie, mort dans sa prison, mort dans les soupçons sur son innocence que sa folie lui faisait peut-être même perdre de vue et que la justice devait pourtant présumer. Je vous cite :

M.O. s'est pendu dans sa cellule de la Maison d'arrêt de Fresnes.

Il était schizophrène.

Un collège d'experts l'avait déclaré irresponsable de ses actes et capable de s'accuser de faits qu'il n'avait pas commis.

Il existait un doute sur sa culpabilité.

Il n'existait plus de doute sur son irresponsabilité.

Votre thrène -que chacun le lise, çà ailleurs, en entier, c’est impératif- s’il se fait pamphlétaire, n’est pas un libelle ad hominem, n’en déplaise à ceux qui voudraient l’y réduire. C’est une exhortation à l’humanité, une exhortation violente, car à oublier l’urgence de l’homme sans raison dans le temps de la procédure, la mort est survenue non sans raison.

Je ne sais rien du dossier, n’en veux rien savoir et n’en dirai rien, par décence. Je ne viens pas non plus répondre à votre lettre ouverte, adressée à nous les magistrats, si répondre signifiait devoir défendre les magistrats visés dans votre dénonciation de leurs actions ou inactions, de leurs manières de faire ou non en cabinet, en chambre du conseil ou dans le couloir. Je crains de penser qu’à tous, on trouverait de louables intentions, à défaut, d’atténuantes circonstances faites de la litanie convenue des lourdeurs de la procédure, de la charge de travail, de la foi du palais, de l’imprévisibilité du geste d’un fou, d’impondérables divers, etc.

Je pourrais même biaiser en vous renvoyant à la lecture de l’article L3214-3 du Code de la santé publique, pour vous inviter à apostropher plutôt le préfet du Val de Marne qui après tout, aurait pu l’hospitaliser, ce fou trop détenu pour détenir encore le droit d’être fou ; et le directeur de la maison d’arrêt qui pouvait le saisir de cette situation, mais les fous ont tant leur place en geôle et au prétoire, qu’il n’est plus très sain d’esprit de les imaginer à l’hôpital et sans jugement. Mais vous ne pouvez raisonnablement pas vous contenter d’un avis de Ponce Pilate. Quant à déplorer ce fol attrait de notre société pour la culpabilité et l’enfermement des fous, des mineurs et autres qui rassurent les chantres d’une opinion publique enrôlée dans leurs visées idéologiques, pour réelle que soit cette inclination, vous ne pouvez supporter que cela justifie que les magistrats y succombent, l'air du temps soufflant l'esprit de la loi ; du moins aviez-vous espéré que les devoirs de leur état ne les gardassent de ce commun dérèglement.

Je reçois donc votre faire-part et dans le deuil d’un humanisme judiciaire, je vous assure comme magistrat qu’en cet instant, je suis votre confrère.

jeudi 4 juin 2009

[Journée d'action des magistrats administratifs] La vie d’une audience OQTF entre les mains d’un assistant de justice

Par AJT, Assistant de Justice


Les dossiers arrivent : 8 pour le président et 16 pour l’un des rapporteurs. Un autre rapporteur, troisième membre de la formation de jugement aura 16 dossiers à faire seul et alternera avec l’autre rapporteur pour bénéficier des services de l’assistant d’une audience à l’autre. Soit 24 dossiers à instruire en six semaines, ou plutôt en 90 heures puisque l’assistant de justice dit AJ est censé travailler 60 heures par semaines [Edit :] mois. Parmi ces dossiers, il y a quelques vieux refus de titre de séjour et une majorité d’obligations de quitter le territoire[1].



Ces dossiers sont des rescapés du tri. Le tri permet de rejeter par ordonnance sans contradiction et sans audience publique les dossiers contenant des irrecevabilités manifestes : par exemple lorsqu’il manque un exemplaire de la requête, que le délai de recours d’un mois est dépassé, lorsque la décision préalable fait défaut ou encore quand le requérant n’habite plus à l’adresse indiquée. Jusque là tout semble normal. Sauf que le rejet par ordonnance est aussi justifié pour défaut de motivation en droit et en fait de la requête (les étrangers malades et les « L. 313-14[2]. » notamment y passent…).



Certains dossiers devant être rejetés au tri sont parfois repêchés grâce à la bienveillance de l’assistant ou d’un agent en charge de rédiger l’ordonnance. Une fois repêché, ce dossier devient susceptible d’annulation[3] et cela arrive fréquemment[4].



Une fois sur le bureau : une oqtf = 3h. Pas le temps de se pencher sur un problème de droit épineux, encore moins d’aller chercher une délégation de signature[5]. Le droit des étrangers paraît alors très simple. Et oui on le sait bien c’est un contentieux facile pour les assistants novices, et dit très formateur mais quand même très barbant puisqu’il y en a beaucoup et que tous les dossiers vus grossièrement sont tous les mêmes ; on en oublie presque que des libertés fondamentales sont en jeu).



L’abattage est en route. Une fois la pile finie, arrive le jour de la clôture d’instruction. Ce jour-là le préfet ou ses avocats attributaires d’un marché public produisent un mémoire en défense pour certains dossiers et demandent parfois même des frais irrépétibles (qui aurait cru que le droit des étrangers, un droit soit disant bien moins technique que les marchés publics ou l’urbanisme, attirerait des gros cabinets… quand il y a de l’argent en jeu, le droit des étrangers devient alors intéressant)[6]. Et puisque le droit des étrangers c’est si facile, l’épaisseur des mémoires en témoigne.



Le projet de jugement est alors repris si le mémoire change le raisonnement et/ou la solution. Pour cette raison, afin d’anticiper et de ne pas se retrouver le jour de la clôture de l’instruction à faire des heures supplémentaires, l’assistant fait toujours un projet de rejet quand il propose une annulation car c’est plus long à faire et que au cas le mémoire change l’issue du litige… Surtout, un rejet est toujours plus facile à justifier qu’une annulation.



Une fois la pile finie, elle part chez le rapporteur chargé des dossiers afin qu’il jette un coup d’œil sur le travail de l’assistant et adapte le projet de jugement à sa manière. Puis les dossiers sont transmis au rapporteur public.



Puis arrive la séance d’instruction. (Moment très intéressant, puisque s’échangent les idées de chacun et un véritable débat se met en œuvre sur chaque dossier.) Cela dure environ une demi-journée. En général l’assistant a déjà fait quelques heures supplémentaires pour finir tous les dossiers, la séance d’instruction est alors faite à titre gracieux : l’assistant défend chacun de ses dossiers face à la formation de jugement Bien souvent même si la séance est un moment crucial et très intéressant, l’assistant a d’autres choses à gérer. Son travail au TA est accessoire à la vie qu’il a en dehors : préparation d’examen ou de concours, thèse par exemple. Il ne peut cependant y renoncer car il a instruit plus de la moitié de l’audience. Il devient alors essentiel dans la cuisine « étranger » interne du TA. Un AJ n’est pas magistrat et pourtant… Pour 8 euros net de l’heure, en CDD de deux ans, cela fait une justice bon marché, suffisante quand il s’agit d’étrangers.



Le rapporteur public dit ensuite s’il est d’accord ou non avec l’assistant. (Si le rapporteur public en matière d’OQTF vient à être supprimé, il n’y aura plus de débat contradictoire lors de cette séance et personne pour reprendre l’assistant qui aurait oublié de répondre à un moyen de droit ou qui n’aurait pas vu une pièce essentielle du dossier.).



A la fin de la séance, sauf quelques modifications, l’assistant est dessaisi des dossiers qui vont être passés à l’audience puis jugé en délibéré par la formation de jugement.



L’assistant attend sa prochaine pile.

Notes

[1] Une obligation de quitter le territoire (OQTF) est une décision administrative émanant du préfet qui refuse à un étranger un titre de séjour ou son renouvellement et le contraint à quitter le territoire, au besoin par la force. L'étranger a un mois pour exercer un recours qui doit être jugé dans un délai de trois mois, ce qui fait une pression supplémentaire sur les juges administratifs, alors que rien ne justifie un tel délai hormis le caprice du législateur.

[2] Article L. 313-14 du CESEDA : la carte de séjour délivrée à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir. Autant dire le domaine de l'arbitraire absolu de l'administration : tout recours contre un refus de carte "L. 313-14" est irrémédiablement voué à l'échec sauf intervention divine.

[3] Formulation jargonnante. Comprendre : ce dossier devient susceptible d'aboutir à une décision d'annulation par le tribunal de la décision attaquée.

[4] Comprendre : pour respecter le diktat des stats, on évacue en les rejetant par un jugement sommaire des requêtes qui étaient bien fondées. Voilà où en est votre justice, chers citoyens.

[5] Les OQTF sont très rarement signées par le préfet en personne (j''en ai vu une seule) mais par un chef de bureau ayant reçu délégation de signature. C'est une clause de style pour les avocats de contester cette délégation. Ça marche très rarement, mais ça a d'autres avantages procéduraux sans intérêt pour ce billet.

[6] En effet, le préfet est parfois représenté par un avocat. C'est le préfet qui décide s'il sous-traite le contentieux ou pas et selon quelle répartition.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Un simple citoyen

Par Zythom, expert judiciaire


Je suis un simple citoyen qui a mis ses compétences au service de la justice. Celle-ci les a acceptées et m'a fait l'honneur de m'inscrire sur une liste mentionnant les personnes pouvant lui prêter main forte.

Je suis un expert judiciaire.

Sans formation initiale juridique particulière, je suis un témoin privilégié de ce qui se passe dans les tribunaux. A la fois extérieur à ce monde particulier, et participant actif à la recherche de la vérité.

Et comme citoyen spectateur, je vois beaucoup de choses:
- je vois des fonctionnaires formidables qui ne comptent pas leurs heures;
- je vois des magistrats compétents, élites des formations juridiques;
- je vois des moyens financiers toujours plus limités au détriment du justiciable;
- je vois des lois qui sont publiées chaque jour plus nombreuses, rendant obsolètes les codes à peine édités;
- je vois une rapidité d'évolution à faire frémir l'informaticien que je suis pourtant blasé par les changements continus;
- je vois les délais qui s'allongent;

Le citoyen que je suis a peur de sa justice.

J'ai peur de poursuivre l'Etat pour non paiement des factures qu'il me doit, parce que je connais la lenteur de la justice, lenteur due à l'aveuglement de l'Etat face aux besoins immenses d'une justice digne du XXIe siècle.

Mais l'Etat, c'est un peu moi, nous, me direz-vous.

Dans ce cas, j'ai honte que mon Etat soit montré du doigt par des organismes internationaux pour le manque de moyens mis à la disposition de sa justice.

Alors, quand j'ai la chance de pouvoir soutenir les personnes qui font la justice, les greffiers, les magistrats, et tout particulièrement les Tribunaux Administratifs, je n'hésite pas une seconde.

Et tant pis si cela choque les frileux, les bien pensants, ceux qui ont tout à gagner à rester silencieux pour défendre leur petit près carré. La justice, qui est parfois cruelle et aveugle, saura bien me faire rentrer dans le rang en me radiant de ses listes.

Mais j'aurai vu, et je pourrai témoigner.

Et je pourrai m'engager plus avant pour que cela change.

[Journée d'action des magistrats administratifs] C'est mon corps

Par Mob


En France, la fonction publique d'État, c'est-à-dire l'ensemble des fonctionnaires travaillant dans les administrations et organismes publics à caractère administratifs de l'État, est divisée en corps (source wikipédia).

Mon corps à moi, celui que j'ai choisi en sortant de la fac de droit, c'est celui des conseillers de tribunal administratif et de cours administrative d'appel. Ce n'est peut-être pas très sexy comme l'a souligné l'auteur d'une des contributions, mais c'était mon rêve. J'étais publiciste et je vénérais le Conseil d'Etat que l'on m'avait décrit à l'université.

À 24 ans, après avoir réussi le "concours complémentaire", j'ai intégré ce corps pleine d'entousiame et prête à consacrer ma vie à ce métier de juge dont je me faisais une très haute idée. J'étais fière ! Et puis, ce mot corps a quelque chose de viscéral.

Comment imaginer que l'on puisse quitter son corps, en intégrer un autre ?

C'est pourtant ce que j'envisage aujourd'hui. Depuis que je suis entrée dans ce corps, j'ai vu ma charge de travail augmenter sans discontinuer et les quelques semaines de vacances que je pouvait m'octroyer diminuer sensiblement chaque année. Et pour quoi ? Pour le service public, l'intérêt du justiciable ? Même pas. Juste pour la stat. Car au bout du compte, le justiciable, on n'en a cure. Peu importe la façon dont son cas sera réglé du moment que l'on s'en débarasse.

Et puis je suis partie en mobilité (sous forme d'un détachement dans une administration) et j'ai découvert l'administration centrale dans un grand ministère. J'ai découvert que l'on pouvait passer une bonne partie de ses journées seulement à brasser de l'air en réunion. Et, croyez moi, c'est beaucoup moins fatiguant que de passer son temps à travailler sur des vrais dossiers qui pose de vrais problèmes juridiques et humains. J'ai découvert que l'on pouvait poser ses congés et les prendre pour de vrai.

Certes, je sors du travail tard le soir parce qu'en France, pour se faire bien voir de la hiérarchie, il faut partir tard le soir même si l'on a rien a faire. Certes, ce que je fais aujourd'hui n'est pas toujours très palpitant et est souvent très inutile. Mais je suis beaucoup moins fatiguée.

Alors je ne suis pas sure de revenir.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Horizons amers

Par un (deuxième) magistrat amer




J’ai choisi ce métier par goût du droit et de la justice.

Je suis ce qu’appelle Me Eolas un légalo-rigide qui a pour mission de faire respecter l’Etat de droit par les pouvoirs publics et autres organismes privés chargés de mission de service public, et tout autre justiciable attrait devant la juridiction dans laquelle j’exerce.



Je m’honore de trancher des litiges à fort enjeux humain, politique, économique ou social, et parfois avec tous ces enjeux combinés dans une même affaire.

Je m’honore de rendre une justice de qualité, indépendante et impartiale.

C’est un honneur tant de limiter ou de corriger la toute puissance publique que d’assurer les conditions légales de l’accomplissement des différentes missions de l’intérêt général.

J’aime le sentiment d’avoir rendu justice au sortir d’une audience de reconduite à la frontière ou au sortir d’une audience de référé liberté.

J’aime le sentiment d’avoir fait œuvre pédagogique à l’attention des parties ou de rappeler le bon sens ou la portée protectrice d’une règle droit que tel ministre, élu ou exécutif local tente de contourner.

J’apprécie la technicité et l’objectivité des affaires à juger, ce qui apporte paradoxalement un regard neuf et pointilleux sur d’autres affaires dont la coloration factuelle ou humaine prédomine.

J’apprécie l’évolution des pouvoirs du juge administratif qui s’occupe toujours plus des conséquences de ses décisions et du sort du justiciable.



Toutefois, après ces longues années, j’ai du mal à supporter l’autogestion du corps et de la juridiction administrative par le Conseil d’Etat, lequel s’il apporte son expertise à l’efficacité et au rayonnement de la justice, n’a pas de légitimité pour trancher tout seul sur les options retenues de la gouvernance de cet ordre de juridiction, notamment le choix et le contenu des réformes d’organisation et de procédure (collégialité, rapporteur public, statut des magistrats...), à l’exclusion de tout autre regard institutionnel, association, corporatiste et médiatique.

Je reste tous les jours étonné que le Parlement et l’Exécutif donne un blanc-seing au CE pour gérer la juridiction administrative. Au nom de quoi, le CE impose ses réformes de procédures, sans réelle concertation , sans tenir compte des causes exogènes du contentieux administratif, lequel est produit en partie artificiellement par l’administration, et sans prendre en compte l’avis des autres justiciables et des praticiens du droit et de la justice ?

Au nom de quoi, le CE impose son statut hybride aux magistrats des TA et CAA, en refusant par exemple, le port de la robe et la prestation de serment, revendications des deux syndicats représentatifs et simple exigence d’apparence de la justice moderne, au motif que les membres du CE y sont opposés pour d’obscures raisons historico-corporatistes ?

Je ne supporte plus que la justice administrative, en dépit de son ancrage profond dans le paysage juridictionnel français, souffre d’un manque de moyens et de reconnaissance institutionnelle.

On pouvait attendre lors de la révision constitutionnelle de l'été 2008 que les parlementaires donnent à la juridiction administrative un statut constitutionnel à la hauteur des nombreuses missions dont elle s’acquitte et de la confiance que semblent lui témoigner les pouvoirs publics lorsqu’il s’agit, comme à l’occasion de l’instauration du DALO ou du RSA, de lui en confier de nouvelles.

Il n’en fût rien et pire, notre corps, de concert avec le CE cette fois là, a dû batailler contre certains parlementaires ingrats ou vengeurs qui ont tenter de supprimer d’un trait de plume par amendement une grande partie des compétences sinon l’existence de la juridiction administrative.

Je n’apprécie pas que pendant de longues années, l’Exécutif, le Législateur et in fine le CE nous ait refusé un statut véritable de magistrat, alors que notre métier est de rendre la justice, pas de conseiller l’Etat ou de produire des rapports publics. Alors que nous sommes toujours plus saisi et plus exposé, je n’apprécie guère l’absence de consolidation de notre statut et la protection moindre de notre état, par rapport aux autres corps de magistrats.

Comparativement aux magistrats judiciaires, par exemple, lesquels verront les poursuites disciplinaires prononcées par un CSM ou des décisions de gestion du garde des sceaux contrôlées par un organe juridictionnel extérieur, en l’occurrence le CE, nous sommes soumis au contrôle juridictionnel et disciplinaire de notre propre gestionnaire, le CE.

Bizarre comme statut pour des juges dont l’indépendance a été reconnu par le législateur en 1987 et pour des juges qui appliquent usuellement les principes du droit au procès équitable.



Je suis agacé par les procès récurrent en sorcellerie par certains politiciens aigris sur notre manque indépendance alors que nous faisons quotidiennement respecter la Loi, mais nous prêtons trop facilement à ces critiques démagogiques par les conservatismes du Conseil d'État sur l'organisation et le fonctionnement de la juridiction administrative.



Je m’inquiète du discours productiviste de notre gestionnaire[1], avalisé sans aucune évaluation propre par les parlementaires, qui se diffuse dans la culture et l’éthique professionnels des membres du corps.

Il est aberrant que l’on ne réfléchisse pas et que l’on ne s’attaque pas aux causes de l’inflation du contentieux, alors qu’un rapport de sociologues a étudié en profondeur les usages sociaux de la justice administrative et que l’on ne tire de conséquences de l’engorgement des juridictions, à partir de constats non vérifiés, uniquement sur les procédures et l’organisation de la justice administrative. Autrement dit, on internalise dans notre organisation juridictionnelle et dans nos procédures les pathologies de l’Administration, au détriment à terme des droits du justiciable et de nos conditions de travail.



Je déplore de ne pas pouvoir juger chaque affaire dans un délai maximum d’un an au plus, compte tenu des moyens affectés à la juridiction administrative et du stock des dossiers restant à juger, mais je ne peux faire plus que ce que me permet ma volonté, mon sens du service public, ma vocation et mon énergie, sauf à rendre une justice d’abattage, ce dont je ne me résoud pas.



J’exerce un métier que j’adore, je sers une justice exigeante au nom du peuple français et je suis un serviteur de l’Etat de droit pour tous les habitants de notre République.

J’attends par conséquent des pouvoirs publics qu’ils assument pleinement, budgétairement, statutairement, le principe de séparation des pouvoirs et qu’ils consolident une fois pour toute notre fonction régalienne.

Notes

[1] Le Conseil d'État.

Journée du 4 juin

Voici, comme annoncé, les contributions des magistrats administratifs ayant répondu à mon appel à témoignage. Il y en a huit neuf dix onze douze treize : dix magistrats, un AD, un AJ (vous allez découvrir ces acronymes et bien d'autres, car dans juge administratif, il y a administratif, et l'administration est une réserve naturelle d'acronymes) et un expert que mes lecteurs habitués connaissent bien.

Si, encouragés par l'exemple, d'autres se lancent, mon journal leur sera ouvert toute la journée. Attention, les billets s'affichent en ordre chronologique inversé : les nouveaux billets apparaîtront juste avant mon billet Juges administratifs : le SJA suspend son appel du 4 juin, pas maître Eolas.

Bienvenue dans le monde inconnu de ces juges de l'État et de l'administration, notre dernier rempart face à l'arbitraire d'une autorité très puissante qui pourtant s'exerce en notre nom.

Toutes les notes de bas de page sont de moi.

Merci à tous ces contributeurs.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Paroles d'Abeille

Par Abeille, juge administratif (Les notes de bas de page sont d'Eolas)


Cher maitre Eolas,

Il y a juste 3 ans, vous avez accueilli sur votre blog mes impressions de conseiller de tribunal administratif statuant en matière de reconduite à la frontière.

Je viens de relire ce que j'avais écrit. Il n'y a hélas rien à changer, à part la création en 2006 de l'OQTF (Obligation de quitter le territoire français[1]).

Enfin, si une autre chose a évolué dans les Tribunaux Administratifs, c'est la charge de travail des magistrats. Les objectifs chiffrés, les statistiques, le ratio affaires entrées/ affaires sorties constituent le coeur des préoccupations des présidents. Vite, vite, vite, jugeons, à la limite peu importe le résultat...

En mars 2005, Renaud Denoix de Saint-Marc, à l'époque vice-président du Conseil d'État[2], déclarait dans l'AJDA (n° 12/2005, p 628) "Il est difficile de demander aux juges d'augmenter encore leur productivité".

Les réformes aujourd'hui préparées par le Conseil d'Etat visent pourtant de nouveau à renforcer la productivité en faisant sauter le goulot d'étranglement que constitue le rapporteur public[3], en multipliant les cas où un juge unique peut statuer et en permettant en appel de juger par ordonnance le contentieux des étrangers[4] sont Les affirmations du vice-président d'hier n'ont donc plus cours aujourd'hui...

La justice administrative est condamnée à se dégrader inexorablement si on ne décide pas à lui attribuer des moyens sérieux et à limiter les recours par l'instauration, par exemple, du recours préalable obligatoire en matière de fonction publique[5]

Notre système de justice administrative ne tiendra plus longtemps à ce rythme.

Notes

[1] Il s'agit d'une décision d'éloignement accompagnant un refus de titre de séjour ou de renouvellement qui peut être directement mis à exécution au bout d'un mois ou en cas de recours quand ce recours a été rejeté. La loi impose aux tribunaux administratifs un délai de trois mois pour statuer sur ces recours, ce qui a considérablement aggravé l'engorgement des juridictions administratives. Le taux d'exécution des OQTF est de l'ordre de 2%. Face à cet échec manifeste et coûteux en moyens, la Commission Mazeaud a proposé sa suppression pure et simple.

[2] Le Vice-Président du Conseil d'État est en fait le chef de la vénérable institution. Le titre de président, purement honorifique, est attribué au premier ministre en exercice. Rappelons que le Conseil d'État remplit un double rôle de conseil du gouvernement en amont, au stade de la rédaction des projets de lois et de décrets, et de juge en aval, étant la juridiction suprême en droit administratif. Il fait également office de Conseil Supérieur de la Magistrature administrative.

[3] Anciennement commissaire du gouvernement, le rapporteur public est un magistrat administratif qui examine en toute indépendance les dossiers et expose à la juridiction de jugement la solution qui lui semble s'imposer, en tant qu'expert impartial. Il est rare qu'une décision aille dans un sens contraire aux conclusions du rapporteur public.

[4] Juger par ordonnance signifie que le président du tribunal va directement rejeter la requête sans lui faire suivre le processus habituel menant jusqu'au jugement. Initialement réservé aux cas où la requête est techniquement irrecevable (délai de recours dépassé, absence d'intérêt à agir, décision attaquée abrogée par l'autorité l'ayant pris…), elles peuvent désormais être prises quand le juge estime qu'aucun moyen sérieux n'est présenté au soutien de la requête. C'est le cauchemar des avocats, et j'ai vu passer des ordonnances qui sont de véritables jugements motivés. Où comment les droits assurés par l'audience (examen par trois juges, plus le rapporteur public) sont écartés par des exigences de productivité.

[5] Le recours préalable est une technique qui consiste à imposer au requérant de présenter sa demande à une autorité administrative déterminée par la loi avant de saisir le juge administratif. Ainsi, les recours manifestement fondés reçoivent rapidement satisfaction (en théorie, bien sûr). Tant que cette autorité n'a pas statué, le juge administratif n'a pas le droit d'examiner le recours. C'est par exemple le cas en matière de refus de visa d'entrée en France.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Considérations sur une réforme

Par Léopold, juge administratif


La réforme engagée par Conseil d'État, qui est également notre gestionnaire et celui de la justice administrative, a pour objectif, certes imprtant, d'améliorer les délais de jugement : seulement pour cela il supprime le rapporteur public sur les contentieux dits de masse tels que notamment le contentieux des OQTF et celui des retraits de points ( mais la liste n'est pas encore arrêtée) : autrement dit, et en particulier pour le contentieux des étrangers où sont en jeu des droits fondamentaux et où les risques d'arbitraires de l'administration sont très grands, compte tenu de la pression statistique pesant sur le ministère de l'immigration, notre gestionnaire a décidé de faire sauter le “ goulet d'étranglement” que constitue le rapporteur public, lequel entraverait le travail des rapporteurs[1].



L'explication voire la justification est que le rapporteur public perdrait son temps dans ces dossiers qui ne présenteraient aucune difficultés juridiques.



Or il est inexact de dire qu'il s'agit essentiellement d'un contentieux juridiquement simple[2].



il est aussi inexact de considérer que le rapporteur public n'a qu'à se prononcer sur des questions de droit, à l'exclusion des questions de fait ; mais il s'agit peut-être d'une déformation de notre gestionnaire qui est en même temps juge suprême et qui n'a en effet que peu à connaître de ces questions de faits en cassation[3].



Ensuite, la réforme proposée est en réalité un véritable bricolage puiqu'il appartient au rapporteur public de décider s'il conclura ou non sur les dossiers étrangers (et les retraits de points de permis de conduire), ou la subjectivité du rapporteur public comme garantie de la qualité d'une bonne justice.



En fait, la pression statistique aboutira en réalité à ce que les rapporteurs inscrivent[4] beaucoup de dossiers de contentieux concernant les étrangers et à ce qu'on demande au rapporteur public de ne pas conclure sur ces dossiers pour ne pas entraver la bonne marche de la justice.



Les rapporteurs inscriront beaucoup plus de dossiers en sous-traitant les dossiers à des assistants de justice (et ou des contractuels qu'il est envisagé, dans la réforme, d'engager) : autrement dit, nous aurons un très grand nombre de dossiers étrangers traités en réalité par les seuls assistants de justice ; en appel, ces dossiers pourront être rejetés par ordonnances préparées également par des assistants de justice : la réforme prévoit en effet le rejet par ordonnance en matière d'OQTF, lorsque la requête est manifestement insusceptible d'entraîner l'infirmation de la décision attaquée ; on peut s'intérroger légitimement sur l'effectivité de l'article 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme[5] dans cette hypothèse.



Il serait bon que cette réforme soit débattue à l'extérieur de la juridiction administrative : en effet, en interne, nous avons un gestionnaire[6] qui prépare les réformes, qui les examine ensuite pour les mesures qui doivent être prises en CE[7], puis juge de leur application en qualité de cour suprême, enfin juge de ceux qui les appliquent puisqu'il est le gestionnaire et le juge des juges[8].

La justice administrative a, jusqu'à présent, pu être considérée par les justiciables comme un rempart efficace contre l'arbitraire de la puissance publique : je crains que le fonctionnement de cette justice, au moins pour les justiciables dont le contentieux a la malchance de relever des contentieux dits de masse[9], fasse que celle-ci serve de plus en plus à évacuer des dossiers et de moins en moins à rendre la justice.

Notes

[1] Des conseillers rapporteurs, c'est à dire de celui des trois juges chargés de préparer le dossier, le présenter à l'audience à ses collègues et de mener ladite audience.

[2] Je confirme.

[3] Le pourvoi en cassation ne porte en effet que sur l'application des règles de droit. Les questions de faits (c'est à dire de preuve de la réalité de tel ou tel fait déterminant dans la solution à apporter) sont fixés par la décision frappée de pourvoi.

[4] Traitent, en jargon du contentieux administratif.

[5] Garantissant à chacun le droit de voir sa cause examinée dans un délai raisonnable par un juge impartial dans un procès équitable. La France est vice-championne d'Europe des condamnations pour violation de cet article.

[6] Le Conseil d'État, gestionnaire de la carrière des juges administratifs.

[7] Les décrets dits en Conseil d'État doivent obligatoirement être soumis pour avis à la section administrative du Conseil d'État.

[8] Le Conseil d'État est également juge disciplinaire et du mérite des juges administratifs.

[9] Étrangers et retraits des points de permis, pour l'essentiel.

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