Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 13 avril 2009

Du délit de solidarité et du mensonge des politiques

Mercredi 8 avril, un mouvement national a eu lieu contre le « délit de solidarité » (les guillemets s'imposent car il ne s'agit pas de son nom juridique, mais de son nom de com', assez bien trouvé d'ailleurs), plus connu chez les juristes sous son petit nom de L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 Euros.

La loi prévoit depuis 1996 une série d'immunités dites familiales : ne peuvent être poursuivies pour ce délit les ascendants ou descendants de l'étranger, leur conjoint, leurs frères et sœurs ou leur conjoint ; les époux ne doivent pas être séparés de corps, avoir un domicile distinct ou avoir été autorisés à résider séparément ; sont également immunes le conjoint de l'étranger sauf s'ils sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément ou si la communauté de vie a cessé, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ; et enfin toute personne physique ou morale (dont les associations), lorsque l'acte reproché — c'est-à-dire l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers — était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte, ces dernières dispositions n'étant qu'une reprise du texte général sur l'état de nécessité et n'apportant rien au droit (article L.622-4 du CESEDA).

Ces faits sont punis de 5 ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, portés à 10 ans et 750.000 euros d'amende quand ils sont commis en bande organisée (et un réseau comme RESF pourrait furieusement ressembler à une bande organisée…).

Le jour de ces manifestations, 5 500 personnes se sont symboliquement livrées à la justice en confessant avoir commis ce délit, et demandaient à être condamnées de ce fait. Rassurez-vous, leur revendication n'a pas été suivie d'effet. Le même jour, mon M.P.A.R.[1], Éric “30 deniers et un maroquin” Besson, est passé sur France Inter, chez Nicolas Demorand, pour désamorcer la bombe médiatique. D'entrée, il déclare :

Il n'y a pas de délit de solidarité en France, et (…) toutes celles et ceux qui de bonne foi aident un étranger en situation irrégulière ne risquent rien. Ce ne sont pas des mots, ce sont des faits. En 65 ans, depuis qu'existe ce fameux article L.622-1 désormais célèbre, personne en France, personne en 65 ans, n'a jamais été condamné pour avoir simplement comme je le lis hébergé, donné à manger, transporté en auto-stop, un étranger en situation irrégulière. Deux bénévoles humanitaires ont été condamnés à des dispenses de peine en 65 ans pour être entrés dans ce qu'on appelle la chaîne des passeurs (…). En clair, ils avaient transporté des fonds, ils avaient pris de l'argent de ces étranger en situation irrégulière qu'ils avaient apporté à des passeurs. Donc le délit de solidarité n'existe pas. C'est un mythe.

Voici l'intégralité de l'intervention.

L'Académie Busiris s'est penchée sur ces déclarations, mais après en avoir délibéré conformément à ses statuts, a rejeté la candidature de M. Besson, estimant qu'il s'agissait d'un mensonge intentionnel et d'un travestissement de la réalité, plus connu sous le nom de “communication politique”, et non des propos Busiribles.

Car Monsieur Besson ment, ou du moins colporte un mensonge (il est possible qu'il ait été fort mal informé par ses conseillers ; vous savez ce que c'est, les hauts fonctionnaires, ils comprennent rien à rien…). Une très sommaire recherche de jurisprudence m'a rapidement fait trouver deux décisions récentes condamnant pour le délit d'aide au séjour irrégulier des personnes qui ne sont pas des bénévoles humanitaires pour des faits autres que porter de l'argent à des passeurs.

Ainsi, la chambre criminelle de la cour de cassation, le 7 janvier dernier, a cassé un arrêt de la cour d'appel de Fort de France qui avait estimé qu'une reconnaissance de paternité de complaisance (un Français avait reconnu les enfants d'une étrangère en situation irrégulière afin de lui permettre d'obtenir des papiers sachant qu'il n'était pas le père) ne constituait pas le délit : si, répond la cour de cassation, les reconnaissances de paternité de complaisance effectuées par le prévenu au profit de mineurs haïtiens visaient à apporter à ces derniers une aide directe destinée à faciliter leur entrée ou leur séjour irréguliers en France, au sens de l'article L. 622-1 du code de l' entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui est aller très loin car un mineur ne peut être au sens strict en situation irrégulière puisque la loi n'exige un titre de séjour qu'aux majeurs.

La cour d'appel de Douai (4e chambre) a rendu un arrêt n°06/01132 (publié au Dictionnaire permanent du droit des étrangers, Éd. Législatives) le 14 novembre 2006 condamnant un français vivant en concubinage (établi) avec un étranger en situation irrégulière qui avait eu le malheur de déclarer devant le juge d'instruction qu'il ne s'était installé chez son ami qu'une fois que les « choses s'étaient stabilisées », ce qui excluait que le concubinage avant cette date pût être notoire (ce qui apporte une immunité, comme nous allons le voir), et donc l'aide apportée avant cette date tombait sous le coup de la loi (il a été condamné à une dispense de peine).

Voilà ce que j'ai trouvé en 5 minutes de recherches. Deux décisions qui ont toutes les deux moins de trois ans. Pour un délit qui n'existe pas et relève de la mythologie, vous admettrez que ça fait beaucoup.

À ceux qui me demanderont pourquoi devrait-on protester contre la condamnation de celui qui reconnaît sciemment les enfants d'autrui pour tromper l'administration, je répondrai que je ne leur demande pas d'exprimer leur solidarité, mais seulement de m'expliquer en quoi aller mentir à un officier d'état civil en disant “ ces enfants sont les miens ” mériterait 5 ans de prison tandis qu'un ministre qui va mentir à des millions de français à la radio mériterait ne serait-ce que de garder son maroquin. Sans aller jusqu'à exiger une parfaite probité des politiques (quelle idée…), je trouverais normal qu'on leur appliquât la même sévérité que celle qu'ils votent à tours de lois… quand ils sont dans l'hémicycle s'entend.

Et sans aller jusqu'à fouiller 65 années d'archives du recueil Dalloz, Monsieur Besson a reçu récemment, le 31 mars c'est-à-dire une semaine avant son passage chez Nicolas Demorand un document très intéressant, qui ne pouvait que lui révéler que cette infraction était tout sauf un mythe.

Ce document, qui lui est adressé personnellement, dit ceci :

En 2008, 4300 personnes ont été interpellées pour des faits d'aide illicite à l'entrée et au séjour d'immigrés en situation irrégulière. Nous vous demandons de viser un objectif de 5000 pour l'année 2009.

Soit 14% d'augmentation tout de même.

Ces propos sont signés par Nicolas Sarkozy, président de la République et François Fillon, Premier ministre, dans la lettre de mission adressée à Éric Besson, que vous pourrez trouver sur le site de l'Élysée (pdf).

Ce qui permet de prendre les déclarations de M. Besson avec, comment dire… Un peu de recul.

L'hypocrisie va plus loin, je le crains. La lettre de missions parle d'interpellations, et non de poursuites ou de condamnations. Je suis convaincu que les poursuites pour aide au séjour irréguliers restent rares et aboutissent souvent à des dispenses de peine. Je n'en ai jamais vu pour ma part.

Mais l'existence de ce délit donne à la police le pouvoir d'interpeller et de placer en garde à vue toute personne apportant un quelconque soutien aux étrangers. Oh, l'affaire sera classé sans suite. Mais au bout de plusieurs heures, pouvant aller jusqu'à 48 heures, ou mieux encore en cas de suspicion de bande organisée : 96 heures, pas d'avocat avant 48 heures. La police a autre chose à faire que placer e ngarde à vue des gens qui ne font de mal à personne, me direz-vous ?

Mais le président vient d'ordonner le contraire. Les 5000, il va falloir les trouver. Et il reste 9 mois.

Les cellules des commissariats vont devenir mythiques, cette année…

Notes

[1] Ministre Préféré Après Rachida ; c'est plus rapide à écrire que Ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité Nationale et du développement Solidiaire.

vendredi 3 avril 2009

Non aux délocalisations administratives !

Il n'y a pas que des motifs de colère qui viennent de la cour d'appel de Toulouse : il y a aussi des occasions d'applaudir.

Et le 19 mars dernier, la même formation de la cour d'appel (je vous renvoie donc au billet d'hier pour les explications techniques ; notons simplement que c'était un magistrat différent de ce lui de l'amende de 300 euros) a rendu un arrêt qui est un camouflet pour le préfet des Pyrénées Atlantiques. Oh, rassurez-vous, pas de quoi l'envoyer comme préfet hors cadre pour siéger comme membre du Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'Etat, ce n'est pas assez grave : il n'a pas déplu au président, il a juste fait litière des droits de la défense.

Une ressortissante togolaise a été interpellée pour séjour irrégulier le 14 mars à bord du train Pau - Lourdes, au cours d'un contrôle d'identité ordonné par réquisitions du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pau.

Placée en garde à vue, l'affaire est finalement classée sans suite par le parquet, une fois que cette dame se soit vue frappée d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, pris par le préfet des Pyrénées Atlantiques (Chef-lieu de département : Pau).

Elle est alors placée au Centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse. Elle fut présentée au juge des libertés et de la détention (JLD) de Toulouse, territorialement compétent du fait de la situation du CRA, qui annula le 18 mars à 19h36 la procédure aux motifs que la signature figurant sur les réquisitions aux fins de contrôle d'identité était illisible et ne permettait pas de s'assurer que le signataire était bien magistrat du parquet. Le parquet fit appel à 19h52, appel suspensif : madame reste en CRA.

En appel, cette dame reprend le même argument, et soulève en outre le défaut d'enregistrement vidéo de sa garde à vue (ça a son importance pour la suite) et un troisième argument, que je garde de côté pour le moment car c'est lui qui va prospérer.

Le PPCA de Toulouse va infirmer l'ordonnance du juge, rappelant le principe de l'indivisibilité du parquet qui fait que peu importe l'identité du signataire : seuls comptent la mention "pour le procureur de la République" et le sceau du parquet qui authentifie la qualité du signataire. Solution constante, mais contraire au droit administratif où depuis une loi de 2000, le nom du signataire doit apparaître lisiblement sous sa signature (chaque fonctionnaire a un cachet à ses noms et prénoms : par exemple, un arrêté de reconduite à la frontière sera signé "Pour le préfet, et par délégation, le chef du bureau des étrangers, Gustave Duschmoll").

Il va écarter l'argument tiré du défaut d'enregistrement en relevant que l'article 64-1 (qu'il reconnaît donc être applicable) ne prévoit pas de sanction de nullité, or pas de nullité sans texte, et qu'il n'est pas établi que ce défaut d'enregistrement lui aurait fait grief car elle ne contestait pas le contenu du procès-verbal.

Reste le troisième argument. Et là, avant de laisser la parole au conseiller délégué, je remarque que des lecteurs géographes émérites piaffent d'impatience.

— Merci maître. Vous dites que cette dame a été arrêtée dans un train Pau-Lourdes.

— Absolument.

— Ce trajet part des Pyrénées Atlantiques et aboutit dans les Hautes Pyrénées.

— Irréfutablement.

— Il ne passe pas par la Haute Garonne.

— Sauf à faire un improbable détour, ce qui est difficile pour un train.

— J'ajoute que si le contrôle avait eu lieu hors du département des Pyrénées Atlantiques, le contrôle d'identité aurait été frappé de nullité ?

— Forcément, le procureur de Pau n'étant compétent que dans son ressort.

— Donc nous étions nécessairement dans le beau 64. Or à mon club de lecture pour le troisième âge, je lisais justement l'autre jour l'arrêté du 29 mars 2004 modifiant l'arrêté du 24 avril 2001 précisant les conditions d'application des articles 2, 6 et 8 du décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention administrative.

— Avec Derrick, le remède souverain à l'insomnie.

— Et je me souviens fort bien qu'il y a un centre de rétention administrative à Hendaye.

— 5 rue Joliot Curie, dans les locaux du commissariat.

— Et Hendaye est dans les Pyrénées Atlantiques.

— Sur les rives de la Bidassoa.

— Et ce centre est flambant neuf ?

— Il vient tout juste d'être retapé. Le président de la République pourrait aller y passer ses vacances qu'il se croirait dans un des palaces qu'il affectionne tant.

— Je vous soupçonne d'exagérer. Mais voici ma question : que diable allait donc faire cette togolaise égarée au Pays Basque dans cette galère mondine ?

— Vous avez mis le doigt dessus. Et la réponse du premier président est à ce sujet fort éclairante. Je vous la livre in extenso, me contentant de la graisser quand il le faut.

S’il est de principe que l’administration a le choix du centre de rétention, elle doit exercer ce choix dans le respect des droits de la défense. En l’espèce, il n’est pas contesté que le centre d’Hendaye est actuellement quasiment vide, que de nombreuses personnes retenues dans ce centre ont été transférées à Toulouse depuis que s’est développée dans le ressort de la cour d’appel de Pau une jurisprudence contestée par l’administration, à tel point que le centre de rétention de Toulouse est actuellement très chargé. Une telle pratique de l’administration qui lui permet de choisir son juge n’est pas conforme aux droits de la défense.

Conclusion : annulation de la procédure, remise en liberté de la personne (libérée à Toulouse, elle se débrouille pour rallier Lourdes).

— J'ai peur de comprendre, cher maître.

— Vous avez peur ? Alors vous avez compris. Le JLD du tribunal de Bayonne, compétent pour le CRA d'Hendaye, ayant une jurisprudence plus favorable sur la question de l'enregistrement des gardes à vue, le préfet des Pyrénées Atlantiques transfère systématiquement ses étrangers reconduits au CRA de Toulouse. Ce faisant, il fait en sorte que la prolongation de la rétention soit jugée par le JLD de Toulouse, dont nous venons de voir la jurisprudence. Il manœuvre donc pour éviter que l'étranger soit jugé par son juge naturel, de peur que ce dernier ne fasse droit aux arguments de la défense.

Conséquence : un CRA flambant neuf tourne à vide, avec tout le personnel policier nécessaire qui doit s'ennuyer à mourir, tandis que le CRA de Toulouse est plein comme un œuf. Cela s'appelle la gestion optimale des deniers du contribuable couplé à un respect rationalisé de la légalité. Le PPCA de Toulouse a simplifié la formulation en résumant par : violation de la loi.

Si vous aimez l'ironie, vous pourrez alors sourire largement, en constatant que cette dame a été privée de liberté durant cinq jours car elle a violé la loi française en restant au-delà de son visa, mais par une procédure la privant de liberté et visant à la reconduire de force au Togo faite en violation de la loi française par le représentant de l'État, avec une complicité passive du parquet qui ne semble pas s'être particulièrement ému de cette délocalisation administrative.

Or deux violations de la loi ne s'annulent pas : elles s'additionnent. Et je trouve pour ma part l'idée d'un préfet violant la loi de la République, fût-ce pour complaire au Gouvernement qui lui-même veut complaire à l'opinion publique, infiniment plus grave pour la République que le fait qu'une togolaise sans papiers puisse aller et venir en train de Pau à Lourdes.

Mais je dois être le seul, et je suis convaincu que ce préfet n'a aucune conséquence à redouter de cet humiliant camouflet.

jeudi 2 avril 2009

Est-ce abusif de demander la liberté ?

Je veux croire qu'il y a une erreur. Un malentendu. Un élément que j'ignore. J'espère de tout cœur que Rue 89 se trompe. Car sinon, le scandale est à hurler de rage.

Rue 89 rapporte que le premier président[1] de la cour d'appel de Toulouse a condamné un étranger qui faisait appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé son placement en rétention administrative.

Rappelons ici le processus de la reconduite à la frontière d'un étranger en situation irrégulière.

L'étranger est interpellé par la police, soit lors d'un contrôle d'identité, soit à l'occasion d'une enquête sur une infraction. La police constate sa situation irrégulière (il ne peut présenter de titre de séjour), et après une vérification sur le FPR (Fichier des Personnes Recherchées) pour s'assurer qu'il ne fait pas déjà l'objet d'une décision exécutoire d'éloignement, est placé en garde à vue pour séjour irrégulier. Le procureur valide la mesure, sachant qu'il ne verra jamais l'étranger. Il s'agit juste de laisser le temps à la préfecture soit de prendre un arrêté de reconduite à la frontière, soit de retrouver l'acte d'éloignement en vigueur. Quand tout est prêt, la préfecture (qu'on appelle pour la circonstance "le pôle de compétence", pour ne pas dire qu'il y a collaboration entre les autorités administratives et judiciaires, en France, c'est sale) notifie l'acte si besoin et prend un arrêté de placement en centre de rétention administrative pour 48 heures[2]. Le parquet met fin à la garde à vue et classe sans suite la procédure pour séjour irrégulier.

Au bout de 48 heures, la prolongation du placement, qui ne pourra avoir lieu qu'en Centre de Rétention Administrative (CRA), ne peut être ordonné que par un juge judiciaire, gardien des libertés individuelles. C'est la Constitution. Ce rôle est dévolu depuis 2001 au juge des libertés et de la détention. Ce sont les audiences dites « 35bis » du numéro de l'article de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui prévoyait cette procédure. Aujourd'hui, c'est devenu l'article L.551-1 du CESEDA mais le nom 35bis est resté (les panneaux des tribunaux n'ont pas été changés d'ailleurs). Cette prolongation est d'une durée maximale de 15 jours et peut être renouvelée une fois, pour un total de 32 jours de privation de liberté.

Le rôle du JLD est de vérifier la légalité de la procédure, car il y a privation de liberté par l'administration d'une personne qui n'est pas condamnée ni même poursuivie, puis d'envisager le cas échéant si l'étranger ne peut pas faire, “ exceptionnellement ” dit la loi, l'objet d'une assignation à résidence plutôt qu'être enfermée dans un CRA. Oui, quand on est étranger, la liberté est l'exception, même si on n'est ni condamné ni même poursuivi. Le Conseil constitutionnel, pour valider ce dispositif, a exigé que l'étranger puisse même à tout moment saisir le JLD (considérant 66) pour demander qu'il soit mis fin à sa rétention, précisant que le juge exerce sur cette mesure un contrôle d'opportunité en droit et en fait. C'est peu dire que ce contrôle d'opportunité n'est pas mené avec un grand enthousiasme par les JLD. À leur décharge, ils sont rarement saisis de la question par les avocats. Mais tout comme une personne en détention provisoire peut demander à tout moment sa remise en liberté, l'étranger en rétention doit pouvoir contester la mesure dont il fait l'objet.

Dans notre affaire, l'étranger a semble-t-il contesté devant le JLD la légalité de la procédure au stade de la garde à vue : son droit à l'assistance d'un avocat ne lui aurait pas été correctement notifié. S'il est fondé, c'est un moyen de nature à annuler toute la procédure, et à conduire à sa remise en liberté immédiate. Le JLD l'a estimé non fondé et a ordonné la prolongation de la détention.

L'étranger peut faire appel de cette décision dans les 24 heures (même le dimanche, même le jour de noël, c'est 24 heures et pas une minute de plus) par une requête, écrite, en français, et qui doit être motivée, c'est à dire expliquer les raisons de cet appel. L'appel est alors jugé par le premier président de la cour d'appel (PPCA) dans les 48 heures (art. L. 552-9 du CESEDA). Pour les mêmes raisons qu'expliquées plus haut, cette audience est encore appelée « 22ter » par les avocats et magistrats.

Mais l'étrangeté de cette procédure est que, même si l'intéressé est privé de liberté, arrivé menotté et escorté à l'audience, et que tous les débats portent sur des articles du code de procédure pénale, cette procédure est de nature civile. C'est ce qu'a jugé la cour de cassation. On peut la comprendre : l'étranger n'est pas accusé d'un quelconque délit. La conséquence est que, hors des règles établies par le CESEDA, c'est le Code de procédure civile qui s'applique, et la première chambre civile de la Cour de cassation qui est compétente pour les pourvois.

Or dans le code de procédure civile, il y a un article 32-1, qui dispose ce qui suit :

Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Notre tunisien toulousain a donc fait appel, estimant que le JLD s'est trompé en rejetant la nullité qu'il avait soulevée. Le PPCA de Toulouse va rejeter son appel ,comme ça arrive presque à chaque fois, à Toulouse comme à Paris. Mais emporté par la fougue, le premier président va en outre estimé que son appel était « mal fondé, particulièrement dilatoire, abusif et processif (oui, c'est français)». Et de prononcer une amende civile de 300 euros à la charge de notre tunisien indésirable.

Si c'est vrai, c'est purement et simplement scandaleux.

Cet homme est privé de liberté. Il estime que la procédure qui a conduit à cette privation de liberté est illégale. Admettons, pour la discussion, qu'il se trompe, voire qu'il mente : il sait que la police lui a correctement notifié son droit à voir un avocat, d'ailleurs, il a eu cette entrevue. Peu importe pour son droit à agir. Il a le droit de soumettre cette prétention à un juge, qui la rejettera, et de faire appel de cette décision, pour qu'un juge plus élevé en expérience lui confirme que sa prétention ne tient pas. Ce n'est pas une lubie de ma part. C'est l'article 5§4 de la Convention européenne des droits de l'homme :

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

Qui se combine à merveille avec l'article 13 de la même convention :

Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.

Or l'appel fait partie de ce droit à un recours effectif.

Comment peut-on oser dire qu'un homme qui conteste la privation de liberté dont il fait l'objet et demande à recouvrer celle-ci, qui est l'état naturel de l'homme, faut-il le rappeler, pourrait-il être abusif à le faire ?

Que son recours soit mal fondé, c'est au juge de le dire et d'en tirer la seule conséquence légale : le rejet de la prétention. L'article 32-1 du code de procédure civile ne prévoit pas d'amende pour une demande mal fondée : elle doit être dilatoire ou abusive. Et en l'espèce, elle ne peut être abusive, on l'a vu, sa nature s'y oppose. Quant à être dilatoire, c'est oublier que le recours devant le PPCA n'est pas suspensif : art. L. 552-10 du CESEDA. Comment un recours non suspensif pourrait-il être dilatoire, puisqu'il n'empêche pas la préfecture de procéder à l'éloignement ?

On voit qu'en droit, cette décision ne tient pas. Mais en plus, elle est révoltante : sanctionner celui qui dit « Libérez-moi ! » à celui qui en a le pouvoir, c'est une trahison de l'office du juge.

J'espère que j'ignore un point crucial de cette affaire, et que je me trompe. Sinon, je suis outré au-delà des mots.

Notes

[1] Je ne sais pas qui est l'auteur de cette décision. Je ne vise donc pas expressément le premier président Carrié Nunez : le premier président de la cour d'appel (PPCA) est une juridiction, généralement tenue par un conseiller délégué à cette fin. Il est compétent pour les appels des affaires de rétention des étrangers, et de référé détention, notamment. C'est cette juridiction que je désigne en parlant du premier président.

[2] Ce premier placement peut être fait en Local de Rétention (LRA), mais l'étranger ne peut y passer plus de 48 heures, ce local n'étant pas équipé de douches, par exemple, uniquement des couchettes et une salle commune.

mardi 31 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (3)

(Lien vers la première partie)
(Lien vers la deuxième partie)

Troisième partie, avec aujourd'hui : l'audience et ses suites.

Tout d'abord, avant même d'entrer dans le prétoire, votre préoccupation sera de retrouver les proches de votre client que vous aurez pu prévenir, pour qu'ils vous remettent les documents que vous leur avez demandés. À Paris, aucune photocopieuse publique n'est disponible. Le tribunal a l'habitude de se débrouiller avec les originaux, qu'il vous restituera dès le jugement rendu.

Vérifiez les documents. Écartez les inutiles et surtout les douteux. Qu'est-ce qu'un document douteux ? Dame ! Vous êtes juriste : lisez-les comme vous lisez les pièces adverses : cherchez la petite bête. Les faux sont souvent grossiers, mais c'est parfois plus subtil. Par exemple, deux grands classiques, qui disparaissent avec le temps, étaient les bulletins de paie antérieurs à 1990 qui mentionnaient la CSG et les bulletins de paie antérieurs à 1999 en euros, mais aussi des justificatifs dont la date est incompatible avec le récit de votre client. Le procureur, lui, aura cette lecture critique. Et en pleine audience, ça fait très mal. Un faux identifié, et vous pouvez dire adieu à toute chance de contrôle judiciaire. Écartez tout document suspect.

Arrivé dans la salle, deux voire trois visites s'imposent.

À l'huissier tout d'abord, qui est le chef d'orchestre de l'audience. Qu'il sache que vous êtes là, prêt à plaider ; profitez-en pour lui demander l'enquête rapide de personnalité et consultez-là avec soin.

Au greffier ensuite, si vous avez des conclusions à déposer. Il les visera, et si ce sont des conclusions en nullité de procédure,vous êtes à l'abri de la forclusion.

Pour les mékéskidis curieux : les demande en nullité de la procédure, ou de pièces de la procédure, doivent être soulevées in limine litis, à la frontière du litige, c'est à dire avant toute défense au fond (art. 385 du CPP). Faute de quoi, vous êtes forclos. La jurisprudence, de manière très critiquable, considère que l'interrogatoire du prévenu constitue une défense au fond (donc en suivant ce raisonnement, l'interrogatoire en garde à vue est aussi une forme de défense ; c'est pour ça qu'on tient l'avocat éloigné, je suppose) et rend irrecevable les moyens de nullité. Pour ma part, j'estime que l'article 385 doit s'entendre comme : ça doit être la première chose que demande l'avocat. Mais la cour de cassation ne m'écoute jamais, j'ai l'habitude.

Or en correctionnelle, surtout en comparution immédiate, ça va très vite. Le président va ouvrir l'audience en constatant l'identité du prévenu, en rappelant la citation, et en lui demandant s'il accepte d'être jugé tout de suite. Quand votre client aura dit “oui”, il ne vous reste qu'une fraction de seconde pour intervenir en disant que vous soulevez une nullité. Sinon, c'est trop tard : il suffit que le président aborde les faits pour que abracadabra tel monsieur Jourdain vous vous défendiez au fond sans le savoir. Résultat votre client sera valablement jugé même si la police a violé toutes les dispositions du code de procédure pénale. Déposer des conclusions, même sommaires et manuscrites, vous met à l'abri de ce piège. Et pour répondre à votre question probable sur l'utilité de ces dispositions, je vous réponds très clairement : aucune à part entraver la défense. Le législateur sait qu'il ne peut toucher à certains droits fondamentaux. Mais il peut tout à fait exiger de les exercer dans des délais qu'il impose et qui peuvent être fort courts. Au point de piéger immanquablement le prévenu qui voudrait se défendre seul (voyez le dernier cas du film 10e chambre de Raymond Depardon). Certains magistrats m'opposeront qu'il y a une certaine logique à traiter de la procédure avant le fond, et qu'il faut qu'il soit tranché sur la validité de la procédure avant que de commencer à juger. L'argument ne tient pas puisque le même CPP qui prévoit cette forclusion impose au tribunal de joindre l'incident au fond, c'est-à-dire que le fond devra de toutes façons être examiné (art. 459 du CPP), sauf impossibilité absolue ou disposition touchant à l'ordre public. Si là, on ne nage pas en pleine hypocrisie : votre client est jugé en violation de la loi pour avoir violé la loi.

Dernière visite, obligée : celle au procureur. A minima pour le saluer, et lui indiquer quel prévenu vous assistez. Lui présenter vos pièces si vous en avez, lui remettre une copie de vos conclusions si vous en déposez, et lui signaler les demandes particulières que vous comptez présenter (comme une non inscription au casier judiciaire). Ou signalez-lui si vous comptez demander un délai. C'est de la courtoisie et le respect du contradictoire. Et c'est dans l'intérêt de votre client. Si le parquet n'a pas vu vos garanties de représentation, vous pouvez être à peu près sûr qu'il requerra le mandat de dépôt. Pour une demande de non inscription au B2, le seul moyen de pouvoir espérer que le parquet se déclare favorable à votre demande (ce qui se traduit généralement par “ je ne m'y oppose pas ”), c'est qu'il en ait connaissance. Attention, cave procurem : un procureur à l'audience est par définition occupé. Ne débarquez pas n'importe quand. Le mode opératoire le plus simple est de vous placer discrètement au niveau de l'angle de son bureau le plus éloigné du tribunal (pour ne pas être dans sa ligne de vue), près du banc des parties civiles. Et là, vous attendez qu'il se tourne vers vous. Le moment idéal est en fait durant les plaidoiries de la défense : c'est le seul moment où il peut souffler, les plaidoiries, du moins les bonnes, j'y reviendrai, ne s'adressant qu'au tribunal (et certains confrères ont en plaidant la délicatesse de le laisser souffler très longtemps). Mais JAMAIS au grand JAMAIS pendant que le président instruit l'affaire, que le prévenu ou la partie civile s'exprime, ou pire que tout pendant que le tribunal rend un délibéré. Vous seriez l'équivalent judiciaire du téléphone qui sonne pendant qu'on est sous la douche.

Vous pouvez gagner votre place et attendre votre tour. Relisez vos notes, faites une première trame pour votre plaidoirie, et observez le tribunal, voyez comment se comporte le président, guettez les réactions des assesseurs pour voir ce qui les fait réagir, ce qui les énerve et ce qui les intéresse.
Dans un dossier où je défendais un étranger en situation irrégulière, je comptais demander que le tribunal ne prononçât point la peine d'interdiction du territoire français (ITF), car il y avait une possibilité de régularisation. Au cours du jugement d'autres affaires, j'ai remarqué qu'un des assesseurs semblait particulièrement attentif dès que des questions de droit des étrangers étaient abordées, hochant ou secouant la tête quand les arguments soulevés étaient corrects ou au contraire totalement fantaisistes. Visiblement, il connaissait la matière, ce qui est rare pour un juge judiciaire (c'est le royaume du juge administratif, le juge judiciaire n'y est qu'un clandestin). Quand mon tour est venu de plaider et que j'ai abordé cette question, c'est à cet assesseur que je me suis adressé lors de cette partie de la plaidoirie. Il a été très attentif (le président et l'autre assesseur étaient largués dans les méandres de l'article L.313-11 du CESEDA) et j'ai obtenu que l'ITF ne soit pas prononcée.

Profitons de ce temps de latence pour parler stratégie de la défense.

1 : Si vous demandez un délai ou que le tribunal renvoie d'office

Le tribunal pourra décider de renvoyer d'office si l'affaire n'est pas en état d'être jugée. En matière d'agressions sexuelles, si la victime est mineure, une expertise psychiatrique est obligatoire (art. 706-47-1 du CPP). Et il est impossible qu'elle soit produite en comparution immédiate, forcément. Plus prosaïquement, un B1 manquant peut conduire au renvoi. L'heure tardive peut aussi conduire le tribunal à renvoyer toutes les affaires restant à juger, estimant que l'épuisement des magistrats n'assure plus un procès équitable et serein (ce qui laisse deviner dans quelles conditions sera prononcé un éventuel placement en détention).

Le débat qui va se tenir est en tout point analogue à un débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention (JLD). C'est l'article 144 du CPP qui va jouer les arbitres. Ne plaidez que sur ces points-là : tout le reste est hors sujet… ou presque, j'y reviens de suite. Le point principal du débat est la garantie de représentation : qu'est-ce qui dit au tribunal que votre client sera là à l'audience de renvoi et surtout pourra être retrouvé en cas de prison ferme à effectuer. Le risque de réitération sera immanquablement mis sur le tapis en cas d'antécédents voire de récidive. Ne faites jamais de déni du B1, ça ne sert à rien. Quand un avocat dit de ne pas tenir compte du B1, le tribunal ne tient pas compte de l'avocat. Voyez plutôt le temps qui s'est écoulé depuis la précédente condamnation (et assurez-vous que ce temps n'a pas été passé en détention). Si votre client s'est tenu à carreau pendant 4 ans, il est peut-être en récidive, mais il a montré qu'il tentait de se réinsérer. S'il a réitéré à peine sorti de prison, demandez-vous pourquoi vous avez demandé un délai. Le tribunal peut prononcer un contrôle judiciaire : suggérez-lui les obligations utiles. Le tribunal pensera de lui-même aux classiques : obligation de soin, domicile, travail, pointage. Indemniser la victime peut être une suggestion de votre part : ça informe le tribunal que votre client reconnaît les faits et veut assumer sa responsabilité. Mais l'article 138 du CPP contient une foule de possibilités : à vous de les explorer pour le tribunal, qui sera ravi d'avoir une proposition pertinente à laquelle il n'aurait pas pensé. N'hésitez pas, si le parquet a parlé de la gravité des faits, à rappeler au tribunal que le critère de trouble à l'ordre public a été supprimé pour les affaires correctionnelles. L'info a du mal à passer.

Enfin, il y a un point à plaider qui n'est pas dans l'article 144. N'hésitez pas, si votre client conteste les faits et qu'une demande de relaxe est envisagée, de faire valoir rapidement les éléments laissant entendre que votre client est peut-être bien innocent. Pas de démonstration, mais juste de quoi instiller le doute. La probable culpabilité ne fait certes pas partie des critères de l'article 144. Mais quoi qu'on en dise, tout juge (ça vaut aussi devant le JLD) réfléchira à deux fois avant de mettre en détention une personne qui n'a peut-être rien fait. Ça peut être une phrase du certificat médical : “ aucune lésion traumatique visible ”, l'ITT ne reposant que sur des douleurs à la palpation et des céphalées… c'est-à-dire les propos de la victime. Ça peut être la pièce qui vous manque et qui fait que vous avez demandé le renvoi : votre client était en déplacement à ce moment, la police n'a pu le vérifier pendant la garde à vue, mais vous pouvez vous procurer une preuve (précisez laquelle). Là aussi, c'est du vécu : le client avait été mis en garde à vue le vendredi soir et comparaissait le lundi : son employeur n'avait pu être joint le week end. Il a finalement été relaxé : il était à Dijon le jour des faits et son employeur lui a fourni les documents le prouvant. Vous serez surpris de l'efficacité de cet argument bien que hors champ de l'article 144.

Épilogue : Si votre client est remis en liberté, la comparution immédiate est terminée et la procédure bascule dans le droit commun pour la suite (notamment, pas de placement en détention pour une peine inférieure à un an ferme sauf récidive). L'affaire est renvoyée contradictoirement. Attention : votre client ne recevra pas de convocation, l'avis donné verbalement vaut convocation. N'hésitez pas à le lui noter sur un papier : il est libre, vous pouvez lui donner des objets sans que l'escorte, qui n'est plus qu'un guide, n'y puisse redire.

Si votre client est placé en détention, l'affaire est également renvoyée contradictoirement, mais votre client n'a pas à noter la date : il sera conduit devant le tribunal (art. 409 du CPP). Le renvoi a lieu à entre deux six semaines, deux à quatre mois en cas de délit passible de sept ans de prison ou plus. Dans les deux cas, votre mission s'achève là. Si vous êtes choisi, vous devrez demander un avis de libre communication au parquet (appelé à tort permis de communiquer, le parquet ne vous permet rien du tout, c'est un droit) et à vous l'allée des Thuyas, des Peupliers ou la rue de la Santé. Vous pouvez d'ores et déjà écrire à votre client : n'oubliez d'apposer votre cachet et d'écrire lisiblement sur l'enveloppe "avocat" afin que votre courrier ne soit pas ouvert.

Demander un délai, c'est bien. Mais vous pouvez aussi, et c'est un droit très, trop rarement utilisé, demander au tribunal d'ordonner pendant ce laps de temps tout acte d'information que vous estimez nécessaire à la manifestation de la vérité, relatif aux faits reprochés ou à la personnalité de l'intéressé : art. 397-1, al.3 du CPP. Cette demande peut être présentée oralement, mais il vaut mieux déposer des conclusions pour être sûr d'être bien compris. C'est un droit : le tribunal qui refuse de faire droit à cette demande doit rendre un jugement motivé (même article). Un tel refus peut être frappé d'appel (mais pensez à faire une requête en admission immédiate de l'appel dans le délai de 10 jours : art. 507 du CPP). Attention, certains tribunaux joignent cette demande au fond, invoquant l'article 459 du CPP. Rappelez au tribunal qu'une circulaire du 14 mai 2004 prône un jugement immédiat sur la question. Une jonction au fond vide de tout intérêt une telle demande puisque vous avez besoin de cette mesure pour plaider au fond. Une circulaire n'a certes pas force obligatoire. Mais l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme sur le procès équitable, oui.

2 : Si vous plaidez au fond

Rappelons que cette branche de l'option ne doit être retenue qu'en dernier recours, si vous êtes certain qu'un délai n'apporterait rien, n'avez aucun acte à demander, que vous pensez avec assez de certitude pouvoir éviter une peine de prison ferme dans un dossier où la détention provisoire serait probable, ou que la peine de prison ferme prononcée permettrait d'envisager une sortie à peu près au moment de l'audience de renvoi. Et surtout, souvenez-vous que votre client doit participer à ce choix.

La comparution immédiate reste une procédure grandement dérogatoire. Les droits de la défense sont adaptés aux spécificités de cette procédure. Il faut les connaître et ne pas hésiter à les utiliser.

► Vous pouvez soulever une nullité de procédure (art. 385 du CPP).

Ça, tous les avocats le savent. Je ne reviendrai pas dessus. Et je ne vais pas vous faire une liste exhaustive des nullités potentielles. Si vous ne les connaissez pas, permettez-moi une question : qu'est ce que vous fichez aux comparutions immédiates ? Gardez à l'esprit qu'une nullité ne frappe que les actes concernés et ceux qui ont l'acte nul pour support nécessaire, et qu'en aucun cas une nullité de procédure ne peut désaisir le tribunal : le procès verbal de comparution reste valable (sauf s'il est lui-même nul, là c'est banco, le parquet ne peut que re-citer, c'est la remise en liberté automatique, mais ça n'arrive pratiquement jamais : j'ai vu une fois un procureur qui avait oublié de signer). Donc le tribunal reste saisi, et joignant l'incident au fond, peut statuer au vu des pièces non annulées et des déclarations à l'audience. Concrètement, il n'y a guère que la nullité de la saisine interpellation (conditions de la flagrance non remplies), ou un défaut de notification de la garde à vue qui peut faire assez de dégâts à un dossier pour rendre la relaxe inévitable (sous réserve de l'évolution jurisprudentielle de l'enregistrement des gardes à vue…). Après, chaque tribunal a sa jurisprudence. Ma position est : soulevez tout ce que vous pouvez.

► Vous pouvez demander un supplément d'information (art. 397-2 al. 1 du CPP).

La demande de supplément d'information peut être formée en cours d'audience, même si le prévenu a renoncé au délai : art. 397-2 du CPP. Tout simplement parce que la raison d'être de ce supplément peut apparaître au cours des débats. Le tribunal peut le faire d'office, mais n'hésitez pas à le demander. Dans cette hypothèse, le refus d'acte n'a pas à faire l'objet d'un jugement motivé. La mesure d'instruction est confiée à un des juges du tribunal, comme en droit commun (art. 463).

► Vous pouvez demander le renvoi devant un juge d'instruction (art. 397-2 al. 2 du CPP).

Même au cours des débats. Dans ce cas, le tribunal statue sur la détention du prévenu jusqu'à sa comparution devant le juge d'instruction qui doit avoir lieu le jour même, ou dans les trois jours ouvrables si votre tribunal n'est pas un pôle de l'instruction (avec le cas échéant passage par la case JLD). Cette possibilité ne doit être utilisée qu'avec précaution, le basculement vers l'instruction n'étant pas une garantie de clémence envers votre client (surtout si les faits reçoivent une qualification criminelle). Tâchez de savoir qui est le juge d'instruction de permanence avant de vous décider. J'ai déjà vu le parquet faire passer en CI un dossier manifestement criminel, et demander au tribunal de lui renvoyer le dossier. C'était juste une ruse (un esprit chagrin comme le mien parlerait de détournement de procédure) pour éviter de faire péter le délai[1] de 20 heures de l'article 803-3 du CPP.

► Vous pouvez citer des témoins (art. 397-5 du CPP).

Quand je vois aux CI un avocat venir demander la bouche en cœur au président s'il veut bien entendre un témoin qui est dans la salle au titre de son pouvoir de police des débats (art. 444 du CPP), j'ai envie de lui jeter à la figure mon code ouvert à la page de l'article 397-5. Le président peut refuser d'utiliser son pouvoir de police, sans avoir de compte à rendre. Il ne peut pas refuser d'entendre un témoin régulièrement cité. Or en CI, vous pouvez les citer sans forme : pas de délai de 10 jours (on se demande comment on pourrait le respecter, l'infraction a eu lieu il y a deux jours), pas d'huissier : vous pouvez vous contenter de le faire oralement, à l'américaine, au début de l'audience, même si là aussi je recommande de le formaliser par écrit, écrit que vous aurez remis au greffier préalablement à l'appel de votre affaire (et informez-en le procureur !). Concrètement, vous prenez une feuille, vous écrivez dessus : Je soussigné maître Eolas, avocat au barreau de Paris, cite par la présente monsieur Tancrède Gétouvu-Méjdirayrien, né le 1er avril 1969 à Poisson (Saône et Loire), demeurant 1 rue du Blog 75021 Paris, à comparaître à l'audience de la 23e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 31 mars 2009 à 13h30, en tant que témoin dans l'affaire Ministère public contre Jtijure Spamoa, parquet n°0912345678. Datez signez, et en dessous, faites écrire à votre témoin : "reçu et pris connaissance de la présente citation", date et signature. Emballez c'est cité.

► Pensez aux demandes accessoires !

La relaxe ou la clémence, c'est bien gentil, mais pensez aussi à demander la restitution des scellés : elle est de droit sauf si la chose saisie est illicite ou dangereuse (auquel cas sa confiscation est de droit ; “ Non monsieur, le tribunal ne vous rendra pas votre barrette de shit, même si vous l'avez payée avec vos sous ”) ou que la confiscation est prononcée à titre de peine accessoire (chose ayant servi à commettre l'infraction ou en étant le produit) en cas de condamnation.

Pensez à la demande de non inscription au B2 du casier judiciaire. Motivez-là (travail dans la sécurité, concours administratif en préparation…). Évitez toutefois la motivation de cet avocat expliquant que son client poursuivi pour vente de stupéfiants voulait passer le concours de la gendarmerie (même si ça a bien fait rire les moblots de l'escorte).

► Plaidez sur la peine !

En CI, pas de chichi, on fait du subsidiaire quand on demande la relaxe. Ne prenez pas le risque de priver le tribunal de vos lumières s'il entrait en voie de condamnation contre toute évidence. Étudiez le B1, voyez les peines exclues ou impossibles, et proposez une solution réaliste (pas de dispense de peine quand il y a une victime non indemnisée). Le droit de la peine est formidablement complexe (même des procureurs s'y trompent parfois), mais il y a des trésors enfouis quand on se donne la peine d'aller les chercher au-delà du diptyque prison - amende. Une proposition originale et bien pensée peut séduire le tribunal.

Et pensez à la motivation ! De plus en plus, le tribunal se trouve forcé de motiver la clémence, et non plus la prison ferme. Si vous êtes en récidive, le tribunal devra motiver spécialement le fait d'écarter une peine plancher ou l'emprisonnement, voire exceptionnellement de ne pas recourir au placement en détention en cas de récidive de violence ou d'agression sexuelle. C'est à vous de fournir cette motivation, clés en main au tribunal. Si vous ne faites pas l'effort, il y a peu de chances qu'il le fasse à votre place. Surtout en fin d'audience.

Leave parquet alone !

Quand on plaide, on parle au tribunal. Ne répondez jamais aux réquisitions du parquet. Ça trahit le civiliste aussi sûrement que celui vouloir plaider au tribunal administratif. C'est la plaidoirie du néant, celle de ceux qui n'ont rien à dire. Répondre au parquet, ça revient à dire : “je suis nul, mais le proc l'est plus que moi”. C'est possible, notez, mais le proc, il prend le café avec le président et il lui dit “tu”. Je ne parle même pas d'agresser verbalement le parquetier. Non seulement c'est inutile (ce qui est déjà une faute pour l'avocat), mais c'est discourtois, et ça va braquer le tribunal : c'est un collègue que vous agressez, malgré tout.

En plus, la plupart du temps, le tribunal n'aura même pas écouté le parquet. Il aura juste noté la proposition de peine. Lui répondre, c'est attirer l'attention du tribunal sur son argumenation. Retenez bien : les réquisitions du parquet n'ont pas assez d'importance pour qu'on s'attarde dessus. Vous avez peu de temps pour plaider (le tribunal vous suivra 5 minutes, 7 si vous êtes un orateur hors pair ; au delà, il commencera à s'inquiéter de l'heure à laquelle il va finir par votre faute). Vous avez largement de quoi remplir ce peu de temps.

Il y a bien sûr une exception, comme toujours en droit : si vous êtes d'accord avec le parquet. Si le parquet a requis la relaxe, ou “s'en rapporte” ce qui chez certains parquetier semble être la formulation la plus proche du mot relaxe qu'il soient capables de prononcer, ou demande une peine légère avec remise en liberté à la clef, oubliez tout ce que je viens de dire : il faut attirer l'attention du tribunal là-dessus. Ne chipotez pas deux mois avec sursis simple si le proc en propose trois, ça fait mesquin (et souvent, le tribunal prononcera de lui-même deux mois pour bien montrer qu'il est indépendant). Dites que le parquet a raison d'écarter tout emprisonnement ferme, qu'une telle peine concilie les intérêts de la société représentée par le parquet, ceux de votre client en ne remettant pas en cause son insertion, ajoutez vos arguments en faveur d'une telle décision et soyez particulièrement bref, le tribunal ne devrait pas se montrer plus royaliste que le procureur.

► Soyez là lors du délibéré.

Quand je vois un avocat qui, ayant fini de plaider, s'en va et laisse son lient seul lors du délibéré, je cours récupérer mon code de procédure pénale que j'ai laissé dans la figure de l'avocat qui ne cite pas ses témoins pour l'envoyer dans celle de ce confrère (oui, à Paris, les compas, quand j'y suis, c'est violent). Vous devez être à ses côtés lors du délibéré, c'est la moindre des choses. Il va peut-être partir en prison plusieurs mois, voire plusieurs années. Vous pouvez lui accorder deux heures. Pour lui expliquer, pour lui conseiller de faire appel ou non, pour recevoir ses instructions quant à sa famille. C'est ça aussi, la défense. Depuis quelques années, je constate avec plaisir que nous sommes toujours plusieurs à rester jusqu'à la fin. C'était exceptionnel à mes débuts, et j'en suis ravi à chaque fois. Bravo les p'tits jeunes. Et je pense que le tribunal apprécie. Et puis, égoïstement, quand le résultat est bon, la poignée de main et le “merci” que vous dira le client, ça vaut mille indemnités d'AJ. C'est pour ça qu'on fait ce métier, aussi. Ne vous privez pas de ces moments.

► Classe jusqu'au bout.

Quand tout est fini, n'oubliez pas d'aller saluer le procureur, sans faire de commentaire sur ses réquisitions ni sur la décision, ce serait déplacé. Un simple “au revoir monsieur le procureur” avec un sourire aimable suffit. C'est votre contradicteur, au même titre que l'avocat de la partie civile.

Nothing really ever ends

Ce n'est pas fini pour autant. Pensez, de retour à votre cabinet, à commander une copie du jugement au greffe correctionnel (à Paris, porte 160, escalier H, 2e étage). Vous l'aurez quelques semaines plus tard (le délai se réduit peu à peu, ça trime sévère). Gardez en une copie dans votre tableau de chasse et envoyez-le à votre client. Il n'est pas juriste, il n'aura pas tout bien compris, et ce document aidera son assistant social, le JAP en charge de son dossier, et lui aussi à savoir à quoi il a été condamné. Si vous ne le faites pas, personne ne le fera et il n'aura jamais copie du jugement l'ayant envoyé là où il est. Accessoirement, s'il est content de vous, il y a votre nom sur le jugement…

Enfin, le greffier vous remettra, soit à l'audience, soit par le palais, votre Attestation de Fin de Mission (AFM). Joignez là à votre demande de paiement et envoyez le tout à l'Ordre pour être payé. C'est là que vous aurez besoin des informations que vous aurez pris soin de noter (cf. la 1e partie de ce vade mecum) : nom, date et lieu de naissance, domicile, numéro parquet de l'affaire.

Bravo. Vous avez gagné 200 euros. Vous avez bien mérité une tasse de thé.


Suite et fin bientôt avec le 4e épisode : la partie civile en comparution immédiate.

Notes

[1] En langage juridique, un délai expire. Dans le jargon des avocats, laisser s'écouler un délai par inattention s'appelle faire péter un délai.

lundi 30 mars 2009

Libres propos sur le procès Colonna

— Bien le bonjour cher maître.

— Ma lectrice bien-aimée, quelle joie de vous revoir ! Chacune de vos absence est pour moi comme un exil…

— Vous avez toujours la langue aussi bien pendue. Puis-je vous soumettre comme à l'accoutumée quelques questions que je me pose, et vos autres lecteurs probablement aussi ?

— Faites, faites, je fais chauffer l'eau à 95 °C pour un Margaret's Hope Second Flush FTGFOP, c'est bien le moins. Sur quel sujet portent vos interrogations ?

— Sur ce bien étrange procès Colonna.

— Je reconnais bien là votre délicatesse : vous avez attendu qu'il soit fini pour venir m'interroger, devinant que je m'étais interdit d'en parler tant qu'il était en cours. Voici : le thé infuse, laissons-le en paix pour le moment, et pour tromper mon impatience, je boirai vos paroles.

— Merci. Tout d'abord, est-il bien terminé ce procès ?

— Le procès, oui :l'arrêt rendu vendredi a déssaisi la cour spéciale, qui a perdu tout pouvoir pour statuer sur ce dossier. Mais l'affaire, non. Un pourvoi en cassation va être formé dans les cinq jours, et s'il devait ne pas aboutir à l'annulation de cet arrêt, le dossier sera soumis à la cour européenne des droits de l'homme.

— Vous avez dit « cour spéciale ». Qu'a-t-elle de spécial, cette cour d'assises?

— Comme vous, elle est unique et ne siège qu'à Paris (pour les affaires de terrorisme du moins). De plus, elle ne comporte pas de jury populaire mais est composée d'un président et six assesseurs (huit en appel) qui sont des magistrats professionnels.

— Et pourquoi doit-elle être spéciale ? Je n'aime guère les cas particuliers et autres dérogations quand ils portent sur des dossiers aussi sensibles…

— En effet, la cour d'assises spéciale a une mauvaise réputation car elle est la légatrice universelle d'une juridiction qui n'a pas laissé de bons souvenirs : la Cour de Sûreté de l'État (CSE). La CSE, composée de trois magistrats et deux officiers supérieurs, a été créée par deux lois du 15 janvier 1963, les lois 63-22 et 63-23 (pdf), pour succéder elle-même aux juridictions d'exceptions crées pendant la guerre d'Algérie : le Haut Tribunal Militaire et la sinistre Cour de Justice Militaire, créée par le Général de Gaulle de manière illégale et qui va néanmoins condamner à mort plusieurs personnes.

— Une pénible ascendance, en effet.

— François Mitterrand, à l'époque où un cœur d'avocat battait encore dans le corps de pierre du politicien, avait juré la perte de ce tribunal d'exception dans son livre Le coup d'État permanent (Ed. Plon, 1964). Il tint parole et la CSE fut supprimée par une loi n°81-737 du 4 août 1981 (pdf).

— Et remplacée par ?

— Par rien du tout, du moins au début. Mais il apparut rapidement nécessaire de créer une dérogation à la compétence ordinaire pour les affaires mettant en cause les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, en raison de leur complexité technique et des informations confidentielles pouvant apparaître dans le dossier. Un tribunal de grande instance à une chambre n'est pas capable de juger une affaire d'espionnage international. Ainsi, dans chaque cour d'appel, un tribunal de grande instance (le plus grand, généralement) est compétent pour juger de ce type d'affaires, ainsi qu'une cour d'assises spéciale. C'est la loi n°82-621 du 21 juillet 1982 relative à relative à l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l'Etat et modifiant les codes de procédure pénale et de justice militaire.

— Quel type d'affaires sont concernées ?

— La livraison de tout ou partie du territoire national, de forces armées ou de matériel à une puissance étrangère, l'intelligence avec une puissance étrangère, la livraison d'informations à une puissance étrangère, le sabotage, la fourniture de fausses informations[1] et la provocation à ces infractions.

— Nous sommes loin du terrorisme.

— Nous en sommes à quatre ans. En 1986, la majorité a changé de côté, et une vague d'attentats frappe la France depuis 1985[2]. Une loi Chalandon n°86-1020 du 9 septembre 1986 créera une section antiterroriste au parquet de Paris, à compétence nationale (ce qui fait que la cour d'assises spéciale jugeant les affaires de terrorisme ne siège qu'à Paris), ainsi que des cabinets d'instruction spécialisés (confiés entre autres à Gilles Boulouque, qui mérite un hommage à sa mémoire), créera le principe d'une compétence générale du parquet de Paris pour les affaires de terrorisme et étendra le jugement de ces affaires à la cour d'assises spéciale, qui retrouvera son caractère de juridiction d'exception. D'autant plus que trois mois plus tard à peine, une loi viendra donner un effet rétroactif à cette loi, qui ne devait au début s'appliquer qu'aux affaires jugées postérieurement à son entrée en vigueur.

— Que s'est-il passé ?

— Lors du procès de Régis Schleicher, membre d'Action Directe, celui-ci a proféré des menaces de mort sur les jurés. Il faut savoir que l'accusé, devant une cour d'assises, se voit obligatoirement notifier la liste des membres du jury, avec leur nom, prénom, date et lieu de naissance et profession (mais pas leur adresse personnelle). Cinq d'entre eux avaient par la suite produit un certificat médical expliquant qu'ils étaient terrassés par une maladie aussi brutale qu'imprévisible, et le procès avait dû être renvoyé. La santé des magistrats professionnels est beaucoup plus solide que celle des simples citoyens, et le procès de renvoi, devant une cour d'assises spéciale, a pu se tenir sans difficultés : Régis Schleicher a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté de 15 ans. Notons qu'à l'époque déjà, la défense criait au procès politique écrit d'avance (je ne me souviens pas si elle est partie en cours de route ou pas).

— Aujourd'hui, la cour d'assises spéciale juge donc les affaires d'espionnage et de terrorisme ?

— Pas seulement : sa compétence a encore été élargie en 1992 aux affaires de trafic de stupéfiant en bande organisée. Là aussi, la possible pression sur les jurés explique la réforme.

— Combien d'affaires par an sont-elles jugées par la cour d'assises spéciale ?

— Une dizaine environ.

— Revenons en à notre berger corse, si vous le voulez bien.

— Mais je vous suivrai jusqu'au bout du monde, une tasse de thé à la main.

— Contentons-nous du Vestibule de Harlay, où siégeait la cour. Ce procès a été remuant…

— Doux euphémisme. Nous entrons en effet sur le terrain accidenté de la défense de rupture. Tout était réuni pour que le procès soit explosif, il n'y fallait plus qu'une étincelle, et il y en eut à profusion.

— Tout ? Pourriez vous entrer dans le détail ?

— Certainement. Premier élément : la gravité extrême des faits. L'assassinat se situe au sommet de l'échelle des peines. Mais en plus, la victime était préfet en exercice d'une région connaissant la violence armée depuis 33 ans. Deuxième élément : l'absence de preuves, j'entends objectives, certaines, irréfutables. Aucune empreinte, aucune trace d'ADN, aucune image de vidéosurveillance ne démontraient la présence d'Yvan Colonna sur les lieux. Ajoutons à cela des témoins qui ne reconnaissaient pas l'accusé, mais on sait hélas qu'en Corse, les témoignages sont aussi fiables qu'une promesse électorale. L'accusation reposait sur les aveux des autres membres du commando, aveux rétractés depuis. La combinaison de ces deux éléments est d'une simplicité dramatique : c'est tout ou rien. Yvan Colonna devait être acquitté ou condamné au maximum. Troisième élément : l'accusé se réclame de l'idéologie nationaliste corse et s'estime en lutte contre un État colonial illégitime. En tout état de cause, il ne comptait pas offrir un procès serein à l'État qu'il honnit.

— La désertion de la défense était donc inévitable ?

— Je ne le pense pas. Les incidents d'audience, oui. La défense était une défense de combat et n'allait laisser passer aucune possibilité de déstabiliser la cour. Mais quitter les bancs de la défense est une option dangereuse : c'est opter pour le mutisme, et renoncer à faire acter des incidents, à pouvoir déposer des demandes. Les avocats de la défense étant loin d'être des sots, je suppose qu'ils n'ont eu recours à cette extrêmité qu'une fois convaincus d'avoir en main des éléments permettant d'obtenir l'oreille de la cour européenne des droits de l'homme (la cour de cassation est un passage obligé mais je doute qu'elle casse cet arrêt eu égard à sa jurisprudence). L'avenir dira si elle a eu raison.

— Si c'était évitable, pourquoi est-ce arrivé ?

— Le conflit entre la défense et le président de la cour a atteint un point de non-retour. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été un refus par la cour d'une reconstitution demandée par la défense, mais le vase était déjà plein. Cette reconstitution n'avait en effet guère de raison d'être, dès lors que la moitié des membres du commando avaient annoncé leur refus d'y participer ; or reconstituer un crime avec un accusé qui affirme n'être pas là, et ceux qui étaient là qui refusent de participer est d'un intérêt douteux. Sachant qu'un tel transport, qui concerne toute la cour, coûte pas loin d'un million d'euros. Un million pour un acte manifestement inutile, on peut comprendre le rejet. Mais ce refus a été pris par la défense comme la preuve finale d'un parti-pris de la cour qui ferait tout pour entraver la défense. Ce fut l'aboutissement d'incidents à répétition où la défense a gravement mis en cause le président de la cour d'assises.

— Et avait-elle raison de penser cela ?

— Je n'ai pas assisté au procès, je me garderai bien d'émettre une opinion définitive. Disons que dans cette affaire, chacun verra son préjugé consolidé par le déroulement des faits. Ce qui en soit signe l'échec de ce procès.

— Décelè-je une certaine amertume ?

— Oui, et ce n'est pas que que ce délicieux Darjeeling. Encore une fois, Colonna est-il ou non coupable ? Je n'ai aucune certitude personnelle sur la question, dans un sens ou dans l'autre. Si une cour d'assises, fût-elle spéciale, a décidé par deux fois que oui, cela signifie qu'au moins neuf juges sur seize en ont eu l'intime conviction. Ce que je ne comprends pas, c'est ce que les débats en appel ont mis en évidence qui a justifié que la cour d'assises spéciale aggrave la peine prononcée en première instance en prononçant la période de sûreté maximale.

— Cela pourrait-il signifier que le verdict était écrit d'avance ?

— Non : je n'adhère clairement pas à cette théorie. Rappelons ce qu'est un vrai procès politique. Lors de son procès devant une juridiction dont la création avait été jugée illégale jusqu'à ce qu'un loi votée en catastrophe par un parlement docile fasse échec au juge administratif, l'avocat de Jean-Marie Bastien-Thiry, poursuivi pour tentative d'assassinat sur la personne du chef de l'État, a mis en cause l'indépendance de cette cour. La cour a demandé et obtenu que cet avocat, le grand Jacques Isorni, soit suspendu trois ans. Gageons que cela ferait rêver le président de la cour d'assises spéciale, mais relevons que la pire mesure de rétorsion qu'il a exercée est… de suspendre l'audience. Sylvie Véran, qui a suivi au quotidien cette audience et a fait d'excellents compte-rendus sur son blog, trouve dans cette sévérité un arrière-goût de vengeance. Je crains de ne pas parvenir à la contredire.

— Cher maître, la théière ne contient plus que le souvenir de cet excellent thé, et j'entends bruisser la salle d'attente des commentateurs impatients. Souffrez que je vous laisse, en vous remerciant une nouvelle fois de votre hospitalité.

Notes

[1] Ce délit ne vise pas les journalistes du Figaro mais le fait de fournir, en vue de servir les intérêts d'une puissance étrangère, d'une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger, aux autorités civiles ou militaires de la France des informations fausses de nature à les induire en erreur et à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

[2] 23 février 1985, magasin Marks & Spencer : 1 mort, 14 blessés ; 9 mars 1985, cinéma Rivoli Beaubourg : 18 blessés ; 7 décembre 1985, double attentat des magasins "Galeries Lafayette" et "Printemps Haussmann", 43 blessés ; 3 février 1986, attentat à la galerie marchande de l'Hôtel Claridge situé sur les Champs-Elysées, 8 blessés ; le même jour un attentat était déjoué à la Tour Eiffel ; 4 février 1986, librairie Gibert Jeune à Paris, 5 blessés ; 5 février 1986, FNAC Sport du Forum des Halles, 22 blessés ;17 mars 1986, date de la nomination de Jacques Chirac comme Premier ministre, un attentat vise le TGV, alors qu'il circulait à hauteur de Brunoy, et fait 9 blessés ; 20 mars 1986, galerie Point Show des Champs-Elysées, 2 morts dont le poseur de bombe et 29 blessés ; le même jour, un attentat est déjoué de justesse à la station Châtelet du RER ; 4 septembre 1986, un attentat échoue à la station RER Gare de Lyon ; le 8 septembre, bureau de poste de l'Hôtel de ville de Paris, 1 mort et 21 blessés ; 12 septembre 1986, Cafétéria Casino au Centre commercial de la Défense, 54 blessés ; 14 septembre 1986, Pub Renault sur les Champs-Elysées, 2 policiers et 1 serveur sont tués et un autre serveur blessé par l'explosion de l'engin déplacé ; le 15 septembre,Service des permis de conduire de la préfecture de police à Paris, 1 mort et 56 blessés ; dernier attentat le 17 septembre,magasin Tati, rue de Rennes clos la série, et se révèle le plus meurtrier de tous : 7 morts et 55 blessés. Avec les compliments de l'Iran.

mercredi 25 mars 2009

Avocats commis d'office : le grand n'importe quoi du Figaro

Mon amie Laurence de Charette, qui s'était déjà illustrée dans l'art de la divination statistique récidive dans la maltraitance des faits avec cet article publié dans l'édition papier du Figaro : Avocats commis d'office : le grand gâchis.

À noter qu'il y a un premier problème indépendant de la volonté de l'auteur : l'article semble avoir été publié deux fois à la suite, le début de l'article étant une version tronquée et de travail, d'où une curieuse répétition. L'article semble commencer réellement à la deuxième occurrence des mots « Dans le boxe de la 14èeme chambre au tribunal de Paris, le jeune homme aux cheveux bouclés ébènes tente de faire entendre sa cause aux trois magistrats de la chambre correctionnelle. »

L'article se veut très critique sur le système actuel de l'aide juridictionnelle et de la commission d'office. Ce n'est pas moi qui dirai qu'il est à l'abri de toute critique, mais vous vous doutez bien que mes critiques ne seront pas les mêmes. Je ne pense pas trahir la pensée de l'auteur en disant que l'aide juridictionnelle, partant d'une idée noble, devient une coûteuse gabegie, puisque des avocats incompétents font main-basse sur le pactole en défendant des personnes qui ne devraient pas bénéficier de cette prise en charge (ce n'est que sur ce dernier point que je suis d'accord, voir plus bas sur le plancher de l'aide juridictionnelle).

Et pour démontrer cela, une méthode qui faisait rougir de honte même les journalistes de la Pravda : prendre un cas particulier pour illustrer un cas général.

Ouverture de l'article : nous voici à la 14e chambre correctionnelle (qui juge essentiellement des affaires de proxénétisme, stupéfiants, et infractions relatives aux moyens de crédit de paiement), qui juge une affaire de faux documents administratifs. Dans quel cadre ? Ce n'est pas indiqué et je ne puis le deviner. Il y a trois magistrats, mais s'agissant d'une affaire de faux, il n'y a pas de juge unique possible. Le prévenu est détenu, ça c'est un indice : on peut être en présence d'un jugement après instruction (détenu placé sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention), un “DPAC” (Détenu pour Autre Cause) : il est libre dans cetet affaire, mais est détenu dans le cadre d'une autre affaire, ou une comparution immédiate : en principe, c'est la 23e chambre qui les juge mais en cas d'affluence, le parquet reverse des dossiers dans les chambres siégeant en collégiale (trois juges, obligatoire pour les comparutions immédiates, quel que soit le délit). Ce n'est pas du chipotage, car cela révèle si l'avocat est saisi du dossier depuis un an, un mois, ou une heure.

Un avocat “asiatique” qui ne sera pas nommé par charité chrétienne défend un client dont le nom arabe sera cité par manque de charité chrétienne (un reportage doit être équilibré). On apprend donc qu'il est « complètement inaudible » ce qui n'empêche pas notre journaliste d'entendre ce qu'il dit et de constater “qu'il ne parle qu'à peine le Français”, avant de citer son exorde et sa péroraison en français dans le texte, à moins que notre journaliste ne parle couramment l'asiatique, bien sûr. Quant à ce qu'il y a entre les deux, comment ça s'appelle, déjà ? Ah, oui, l'argumentation. Le lecteur ne sera pas dérangé avec ces détails : on va lui dire quoi en penser.

Pour démontrer que la défense est mauvaise, plutôt que d'expliquer en quoi elle l'est, deux arguments forts : “Sur le banc d'à côté, deux de ses confrères gardent la tête baissée, légèrement mal à l'aise”. Je précise aux journalistes qui pourraient me voir un jour à l'audience que j'ai souvent la tête baissée lors du jugement des autres affaires : je relis mes notes. Merci de ne rien en déduire sur mon éventuel malaise. Et le clou dans le cercueil de ce pauvre confrère : “Les magistrats, eux, n'affichent aucune émotion.” Ça alors, un tribunal impartial ? Ça ne peut être que la preuve de la nullité de l'avocat.

Je n'étais pas à cette audience, je ne connais pas ce dossier, et je ne travaille pas au Figaro. Je me garderai donc de porter une opinion définitive là dessus, mais je précise que tous les confrères que j'ai rencontrés ont un point commun : ils parlent français. Ça vaut mieux pour passer les épreuves. Les barreaux de Paris et de la périphérie accueillent certes beaucoup de confrères étrangers ou d'origine étrangère, et leurs accents embellissent nos prétoires, mais insinuer qu'ils ne parlent pas français est insultant à leur égard.

Enfin, voilà le premier argument démontré : les avocats commis d'office sont nuls. Et cher, c'est la Chancellerie qui le dit (et on n'a jamais vu le Gouvernement mentir). Et mauvais, c'est reconnu par « les avocats », comprendre ceux qui ne font pas des commissions d'office et qui n'ont pas intérêt à ce que leurs clients fassent appel à leur confrères gratuits. Parce que si on en est aux arguments d'autorité, je suis sur les listes des commissions d'office depuis des années, je n'ai pas demandé ma radiation depuis mon installation à mon compte, et je défends mes clients commis exactement comme je défends mes clients qui me choisissent. La seule différence est que j'utilise un papier à en-tête moins cher (vélin 100g/m² quand même) et des timbres au tarif écopli, sauf pour les détenus qui ont tous droit au tarif prioritaire. Voilà la ségrégation que j'opère. J'y perds de l'argent, au temps passé. Mais c'est pour moi une question de conception du métier. Ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas les moyens qu'elle ne doit pas avoir une chance de tomber sur un avocat expérimenté.

Sur l'argument du coût : le budget a augmenté de 72% en 10 ans, dit la Chancellerie. Je vous rassure, nos indemnités n'ont pas suivi cette courbe. C'est surtout le plancher de l'aide juridictionnelle qui a été régulièrement relevé, outre la multiplication des cas où un avocat gratuit est un droit sans condition de ressources (notamment pour les victimes). Aujourd'hui, une personne seule a droit à l'aide juridictionnelle partielle à partir de 1367 euros de revenus mensuels. Autant dire tous les bas salaires, et ceux un peu moins bas. L'État aime être généreux, mais pas qu'on lui présente la note.

Mais puisqu'on vous dit que l'AJ, c'est le Pérou pour les avocats : ainsi, un des trois avocats de permanence aux Comparutions immédiates (en fait, il y en a six par jour, ils arrivent par fournées de trois) ne peut venir :

Mais il sera remplacé dans la journée sans trop de difficulté : A Paris, les permanences pénales sont recherchées par les jeunes avocats : même modestement rémunérées (en moyenne 192 euros pour un dossier correctionnel), elle assurent un minimum d'activité, et permettent de draguer au passage d'autres clients à venir... Par temps de crise, même les professionnels installés s'inscrivent -discrètement- au tableau des volontaires.

Là, c'est du grand n'importe quoi. Les jeunes avocats ne comptent pas les brins de leur épitoge en attendant que le téléphone sonne. Ils sont collaborateurs d'un cabinet, qui s'assure qu'ils rentabilisent chaque seconde de chaque minute de chaque heure facturable. Et la rétrocession qu'ils touchent pour cela est au minimum de 2500 euros HT mensuels pour la première année, et 2800 pour la deuxième année. Autant dire qu'ils ont intérêt à facturer plus que ça pour garder leur poste, et expliquer à son patron qu'on doit laisser là le dossier d'arbitrage Machin facturé à 350 euros de l'heure pour aller gagner 192 euros en une après-midi aux comparutions immédiates ne déchaîne pas un enthousiasme avide. Mais on trouve tout de même des volontaires avec des patrons assez compréhensifs pour décharger leur collaborateur afin qu'il puisse aller défendre un démuni menacé de dormir en prison. J'ajoute que lesdits jeunes ont dû suivre 24 heures de formations réparties sur 6 samedi matin avant de pouvoir s'inscrire sur ces listes. Ils sont donc motivés et méritent un hommage et non des sarcasmes sur leur âpreté au gain. Quant à draguer les clients… Laissez-moi rire. Les clients nous trouvent super sympas et super bons quand on leur évite la prison. Tous me demandent ma carte… et mes tarifs. Ils ne me rappellent presque jamais (deux seulement cette année).

Relevons au passage le perfide “par temps de crise même les professionnels installés s'inscrivent -discrètement- au tableau des volontaires.” Des chiffres ? Des sources ? Des noms ? Allez vous faire voir, on est au Figaro ici. Pour ma part, je ne me suis pas désinscrit lors de mon installation (mon comptable m'engueule chaque année à ce sujet) et j'ajoute que l'inscription se faisant par courrier, il est difficile de s'inscrire de manière ostentatoire, même si envoyer un messager accompagné d'une fanfare n'est évidemment pas interdit.

Et ça continue.

«Certains jours, les jeunes avocats traînent dans les couloirs, devant les salles de correctionnelle, où les familles guettent le passage des leurs, dans l'espoir d'assurer la défense de l'un ou de l'autre.», raconte un habitué du palais.

Et au Figaro, on a remplacé l'eau du robinet par de la Vodka et les journalistes par des chimpanzés, raconte un habitué de la rédaction (peut être ce même habitué ?).

Cette image de l'avocat tapinant comme une prostituée est très flatteuse, mais tous les avocats (et les journalistes qui leur posent des questions) le savent : quand on déambule dans le palais, la seule chose qu'on vous demande, c'est son chemin. La famille angoissée a déjà été contactée par l'avocat de permanence en charge du dossier quand elle n'a pas appelé l'avocat habituel du rejeton et elle ne va pas prendre le premier qui passe dans le couloir au hasard. C'est grotesque.

Reprenons la méthode du cas particulier : la commission Darrois aurait relevé UN cas d'un avocat ayant défendu 10 clients en une permanence et donc ainsi perçu 1936 euros pour ce faire. Félicitations à cet heureux confrère. je viens de recevoir mon relevé annuel. J'ai pour ma part touché, en cumulant les gardes à vue, permanences pénales et commissions d'office 4500 euros pour 2008. La commission s'interroge sur la qualité de la défense. Bien. Je ferai remarquer qu'à une audience ou six avocats se succèdent pour assurer la défense, il n'y a qu'un seul parquetier du début à la fin. Personne ne s'interroge sur la qualité de l'accusation ? De même pour les trois magistrats qui vont juger tous les dossiers. J'ajoute que 10 clients, c'est rare mais parfaitement possible : il suffit de deux affaires où il y a 5 prévenus à chaque fois, sans conflit d'intérêt (violences et dégradations en réunion, par exemple : en novembre 2005, ça pleuvait) : l'avocat défendra les 5 à chaque fois. Ça lui fait 2 dossiers, mais 10 commissions. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter.

Je passe sur le “marché ” de l'aide juridictionnelle. À 192 euros du dossier, ce marché, je le laisse à qui le veut.

Suit un paragraphe sur le manque de rigueur (au Figaro, on a le sens de l'humour) des bureaux d'aide juridictionnelle qui ne vérifient pas les resssources. J'invite madame de Charette à aller au bureau d'aide juridictionnelle de Paris (4 quai de corse, dans l'atrium du tribunal de commerce) et de faire une demande. Elle va voir la quantité de justificatifs demandés (et en photocopies payantes, bien sûr). Le dossier sera refusé tant qu'il en manquera un. Ce que l'article ne mentionne pas, c'est que pour les commissions d'office au pénal, aucune vérification n'est faite puisque le prévenu a droit à un avocat gratuit : c'est l'article 6, 3, c de la Convention européenne des droits de l'homme qui l'exige. Même si c'est Bill Gates. La loi prévoit qu'une vérification peut être effectuée a posteriori pour demander le remboursement des 192 euros versés à l'avocat. Sachant que la plupart des clients sont insolvables ou le sont devenus à cause d'une incarcération, le coût des vérifications systématique pour gratter 192 euros de temps en temps serait disproportionné, et les vérifications ne sont que très rarement faites.

Par ailleurs, le montant en jeu dans certains litiges est parfois moins élevé que la somme dépensée par l'Etat pour rémunérer les avocats...

C'est exact. Pour un RMIste, une affaire de 150 euros, c'est énorme.

Et la magnifique conclusion :

Depuis peu de temps, les fonctionnaires de la Justice ont reçu la consigne de demander au justiciable s'il ne bénéficie pas d'une assurance juridique -souvent vendue en même temps qu'un autre contrat d'assurance- qui pourrait prendre en charge les frais de justice. Mais le justiciable reste libre de sa réponse, car il est parfois plus simple de solliciter l'Etat que l'assureur.

Depuis peu de temps. Comprendre : depuis la loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique, dont le décret d'application (décret n°2008-1324 du 15 déc. 2008) a été pris presque deux ans plus tard, décret qui n'instaure cette obligation de déclaration d'une assurance de protection juridique qu'à compter… du 1er mars 2009 (art. 13 du décret). Laurence de Charette nous a déjà montré qu'elle n'avait pas besoin d'attendre qu'une réforme soit appliquée pour en connaître les résultats. Ravi de voir qu'elle a su garder la forme.

mardi 24 mars 2009

Le petit manuel du parfait strasbourgeois pacifiste

J'ai lu avec une surprise non dissimulée, puisque personne ne me voyait, que des policiers se seraient présentés, à Strasbourg, au domicile de particuliers ayant pavoisé la façade de leur domicile de drapeaux pacifistes ouvertement hostiles au retour de la France dans l'OTAN, dans la perspective du sommet de cette Organisation qui se tiendra dans la capitale de l'Alsace et de l'Europe les 3 et 4 avril prochain (cf cette dépêche AFP).

J'ai été interrogé à ce sujet par une journaliste de Rue 89 qui prépare un article sur la question, et, étant lancé sur le sujet, j'en profite pour écrire rapidement sur ce sujet.

Nous supposerons pour l'intérêt de ce billet que l'info est exacte (la préfecture du Bas-Rhin dément avoir donné de telles instructions, mais je vous expliquerai plus loin pourquoi je ne la crois pas sur parole).

Soyons clairs : c'est complètement, totalement, absolument illégal.

De manière générale, aucune loi n'interdit d'afficher ainsi son opinion à sa fenêtre, sous réserve que cette manifestation ne prenne pas des formes illégales (ex : image pornographique, puisque susceptible d'être vue par un mineur passant dans la rue). Au contraire, ce genre de manifestation est une forme de la liberté d'expression et comme le rappelle notre Constitution,

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen.

J'ajoute que dans cette superbe ville qui va bientôt accueillir notre Garde des Sceaux Déjà Regrettée, au bord du Canal de la Marne au Rhin, siège une juridiction qui a pour but de s'assurer que tous les pays du Conseil de l'Europe applique les règles suivantes :

Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, article 10.

Ce serait dommage qu'une violation de cet article se produise à sa porte.

Donc :

La police ne tire d'aucune loi actuellement en vigueur le pouvoir d'interdire ou de faire retirer, voire de retirer par la force un tel drapeau.

Le préfet peut, dans le cadre de ses pouvoirs dits de police, prendre des mesures temporaires limitant les libertés dans le but d'assurer le maintien de l'ordre. Mais ces mesures doivent prendre la forme d'un arrêté préfectoral publié, et susceptible de recours devant le juge administratif, qui s'assurera que ces mesures ne sont pas disproportionnées par rapport au but poursuivi.

C'est ainsi que le préfet va limiter la circulation à proximité des lieux où se tiendra le sommet, voire bouclera littéralement certains quartiers. Voyez la liste des mesures sur cette page.

À ma connaissance, aucun arrêté n'a été pris pour interdire aux moins bellicistes des alsaciens d'afficher des drapeaux hostiles à la guerre et à l'OTAN, quand bien même on pourrait leur objecter que la seconde est faite pour prévenir la première.

Donc que faire si la police sonne chez vous pour s'offusquer d'un drapeau pacifiste ?

1 : Refusez-lui d'entrer. La police n'a pas le droit de pénétrer de force chez vous si elle n'a pas été mandatée par la justice (commission rogatoire, mandat d'arrêt, ou d'amener, etc), si elle n'est pas en enquête de flagrance (et ces drapeaux ne constituent pas un délit), si elle n'a pas été appelée depuis l'intérieur du domicile, sauf état de nécessité supposant un danger grave et imminent. Attention : si vous commettez un outrage, la police peut agir en flagrance et dès lors pénétrer chez vous. Soyez d'une politesse mielleuse.

2 : Demandez aux agents de prouver leur qualité en exhibant leur carte professionnelle. Un air patibulaire et un brassard "POLICE" sont des indices d'appartenance aux forces de l'ordre, mais insuffisants en soi. Profitez-en pour prendre note de leur nom et matricule, pour que si le préfet continue à dire qu'il s'agit d'éléments isolés agissant de leur propre chef, on puisse les retrouver et leur poser la question.

3 : S'ils vous somment d'ôter le drapeau de votre fenêtre, demandez-leur à quel titre, quelle loi ou quel arrêté préfectoral invoquent-ils (là aussi, notez leur réponse).

4 : Refusez poliment et souhaitez-leur une bonne journée. En effet, il n'y a pas de loi qui vous interdise d'exhiber un tel drapeau, et si un arrêté préfectoral a été pris, vous risquez au pire du pire 38 euros d'amende pour ne pas y déférer, et encore il faudra vous citer devant la juridiction de proximité pour cela, et le parquetier rigolera bien en lisant le procès verbal d'infraction avant de le classer sans suite. Si l'arrêté a moins de deux mois, vous pouvez d'ailleurs l'attaquer devant le tribunal administratif (pensez au référé suspension).

5 : S'ils forcent le passage et s'emparent par la force de votre drapeau (ce qui est peu probable, rassurez-vous), laissez-les faire. D'abord, vous êtes pacifiste, c'est une question de cohérence. Ensuite, résister par la violence à une voie de fait de la police est un délit en France, le saviez-vous ? Et portez plainte contre eux pour violation de domicile et vol, ajoutez-y les violences volontaires s'ils vous ont bousculé (car OUI, bousculer est une violence volontaire, j'ai assez de clients qui ont été condamnés sur cette base pour constituer une jurisprudence constante). Ajoutez-y une plainte à l'IGS pour des poursuites disciplinaires et demandez à un député ou sénateur de l'opposition de saisir la CNDS (C'est là que le fait d'avoir noté leurs noms et matricule prend un intérêt renouvelé). Des violences même légères sont toujours aggravées quand elles sont commises par des policiers et sont un délit. Quoi qu'il arrive, ne ripostez pas par la violence, même verbale. Soyez un Gandhi qui n'aurait rien contre la charcuterie.

6 : Tenez-moi informé via ce même blog.

Mais je suis prêt à parier que maintenant que la presse est alertée, plus aucun képi ne viendra perturber les décorations des fenêtres de Strossburi.

OTAN en emporte le vent.

jeudi 19 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (2)

(Lien vers la première partie)

Deuxième partie de mon vademecum.

À ce stade, vous êtes censé avoir devant vous :

Le dossier de la procédure, dûment stabilobossé et signetté (mais PAS désagrafé, pitié pour le greffe) ; deux pages de notes : faits/procédure et personnalité ; et un paquet de gâteau entamé. Vous avez une première opinion du dossier, et une idée sur l'option du délai.

Vous pouvez faire venir le client.

Vous serez confronté à tous les cas imaginables, et même un ou deux inimaginables. Du délinquant chevronné, routard des compas, qui va vous regarder de haut car si vous êtes jeunes et commis d'office, vous êtes forcément nul, au type sans histoire embarqué dans une affaire qui le dépasse et qui fondra en larmes toutes les cinq minutes ; du SDF qui pue et qui parle à peine français au lunatique qui tient des propos à peine cohérent.

Il n'y a pas un code de conduite unique, à vous de vous adapter à la personnalité du prévenu. Quelques grands principes toutefois.

1 - Allez-y mollo.

Le client est forcément un peu paumé, même s'il a de l'expérience. Il sort surtout de deux voire trois jours pénibles, a très peu dormi, peu et mal mangé. Et il est probablement en manque de nicotine, ou d'autres substances moins licites. Et durant tout ce laps de temps, il n'a vu que des gens pas très amicaux. Vous êtes le premier visage ami qu'il va voir. Alors, présentez-vous (qu'il connaisse votre nom), assurez-vous qu'on lui retire les menottes (je ne m'entretiens JAMAIS avec un client menotté, même exalté, et violent), un sourire, surtout si vous avez la chance d'être une femme et lui le malheur d'être un homme, une poignée de main (personne ne lui a serré la main durant toute son arrestation — on vous préviendra s'il a la gale), quelques mots gentils. Demandez-lui comment ça va (la réponse est : mal), comment s'est passé la garde à vue (c'est la même réponse). Et réservez les mauvaises nouvelles pour la seconde partie de l'entretien.

2 - C'est vous le chef.

Vous êtes l'avocat, vous connaissez le droit, vous avez lu le dossier. Lui, non. Faites-vous respecter. De toutes façons, il ne vous paye pas (mais c'est encore plus valable s'il vous paye). N'acceptez aucune remarque désobligeante sur votre âge, le fait que vous êtes commis d'office, ou qu'il voulait maître Eolas, mais comme il a piscine il n'a pas pu venir. N'hésitez pas à lui demander s'il préfère se débrouiller tout seul. Signalez-lui que vous avez un vrai cabinet avec des vrais clients et que c'est grâce à ça que vous vivez, et que vous êtes ici parce que vous êtes volontaire, pour ne pas dire bénévole vu ce qu'on vous paye, et que c'est lui qui a besoin de vous et pas l'inverse. Vous verrez, il ne vous en respectera que plus (un conseil : l'habit fait le moine. Recevez-le en robe, même au mois d'août).

3 - C'est vous le chef.

Oui, il faut le répéter. C'est vous aussi qui dirigez l'entretien. Vous n'avez pas le temps de l'écouter raconter son histoire et celle de son grand-père depuis le Déluge. Rappelez-lui ses déclarations, résumez-lui celles de la victime et des témoins s'il y en a, demandez-lui s'il compte changer quelque chose et posez-lui les questions que vous avez notées lors de la lecture du dossier.

Là arrive la partie la plus difficile de toutes. Vous faire votre opinion. Dit-il la vérité ? Ment-il ? Soyons clairs : jamais il ne vous dira dans le creux de l'oreille : « Bon, voilà maître, entre nous, c'est bien moi, mais je ne pense pas qu'ils aient de preuves, je veux plaider la relaxe ». Il vous mentira comme il a menti aux policiers et mentira aux juges tout à l'heure. Il testera son baratin sur vous, convaincu que si vous le croyez, alors ça devrait passer auprès des juges.

Et même s'il a avoué, il peut n'avoir avoué que partiellement, ou avoué car il a commis des choses plus graves que ce que la police lui reprochait et est ravi de passer sur une qualification moindre.

Attention toutefois. Parfois, il dira la vérité. Parfois, vous tomberez sur un vrai, vous en aurez un, alors que vous pensiez que c'était comme les licornes, une légende : un innocent. Et un innocent n'est pas forcément plus crédible. Je n'ai hélas aucun truc à vous donner pour les reconnaître. C'est l'instinct. Un accent de sincérité dans la voix, une trouille qui ne peut être feinte, et des explications qui collent avec tous les détails du dossier.

Et là, vous serez terrifié. Vous avez un innocent happé par la machine à condamner, vous avez peu de temps pour présenter une défense, et seul vous pouvez empêcher la catastrophe (un proc s'y est trompé, c'est mal parti).

4 - C'est lui le co-pilote.

Essayez d'impliquer le client dans la mise en place de sa défense. Les choix importants, c'est à lui de les faire, après vos explications.

Et rappelez-vous que c'est lui qui ira en prison.

Premier point à éclaircir, et d'urgence : la question du délai. Expliquez-lui qu'il a le doit de demander ce délai, les risques que ça implique. Ne lui dites pas encore votre idée sur la chose, demandez-lui s'il peut contacter quelqu'un pour amener d'urgence des justificatifs de domicile. Vous avez le droit de téléphoner à ses proches, il n'est plus en garde à vue depuis longtemps, l'article 63-4 al. 5 du CPP ne s'applique plus. Évitez toutefois de lui passer directement le téléphone, vous ne savez pas ce qu'il va dire exactement, ce n'est pas la peine de vous retrouver mêlé par imprudence à des destructions de preuves. Mais téléphonez en sa présence, comme ça, votre interlocuteur aura confirmation que vous êtes bien l'avocat de l'intéressé. S'il a besoin d'un numéro de téléphone dans son portable ou des clefs de chez lui qui sont à sa fouille, allez voir le parquet qui fera extraire de sa fouille ce dont vous avez besoin.

Comme garantie de représentation, vous aurez besoin de tout papier prouvant son domicile : facture EDG/GDF/France Telecom récente, taxe d'habitation, contrat de bail et dernière quittance de loyer. Si ces documents ne sont pas à son nom, une attestation d'hébergement du titulaire (avec copie de la carte d'identité de l'auteur ; s'il est présent à l'audience, présentez aussi l'original à la barre). S'il a un travail, ses trois derniers bulletins de paie, son contrat de travail s'il y en a un écrit. S'il étudie, un certificat de scolarité, sa carte d'étudiant, et un relevé de notes récent prouvant son assiduité. Sinon, tout justificatif de sa situation (lettre du Pôle Emploi, dernier bulletin de paie). S'il a un CV récent, c'est parfait, sinon faites-en un simplifié. C'est un document utile aussi pour le parquet et le tribunal. Sachant que le tribunal aura horreur des longues périodes d'oisiveté, tâchez de les expliquer.

Une fois que vous êtes fixé sur la possibilité de les obtenir, faites le choix en accord avec le client. Comme je vous l'ai dit, c'est votre avis qui sera suivi. Mais expliquez-lui bien que vous ne pouvez garantir qu'il ressortira libre. Avec l'expérience, vous évaluerez de mieux en mieux les risques.

Si le choix est sur un délai, c'est terminé. Rendez-vous à l'audience.

Sinon, ou si vous n'êtes pas sûr d'avoir les pièces, préparez le dossier au fond avec lui.

Rappelez-lui ses déclarations. Ne lisez pas les PV in extenso. Il est crevé, il n'écoutera pas. Juste les passages clés (ceux que vous avez surlignés). Ah, un mot là-dessus. On s'est étonné sous le premier billet que je déflore ainsi les dossiers. Parce que les juges se gênent, peut-être ? La seule différence est que leurs Post-It™ sont coupés en deux et que leurs stabilos seront utilisés jusqu'à l'extrême usure. Mais n'oubliez pas que quelqu'un d'autre lira ce dossier. Ne stabilobossez que ce qui est utile à la défense.

Faites de même avec les déclarations des témoins et victimes. Demandez-lui ses explications en cas de divergence, s'il maintient en cas de convergence. Posez-lui les questions que vous aurez notées lors de l'analyse du dossier.

Et surtout ne le laissez pas s'embarquer dans des divagations interminables.

Autre écueil, celui du répétiteur. Vous n'avez pas à dire à votre client ce qu'il devra dire au tribunal. Surtout s'il vous le demande.

Si vous lui faites apprendre ce qu'il doit dire et faire, il aura tout oublié à l'audience, et si ça tourne au vinaigre, il n'hésitera pas à dire « c'est mon avocat qui m'a dit de dire ça ». Effet garanti. Et de toutes façons, ça ne passera pas. Ils ne sont pas les bons acteurs qu'ils imaginent. Vous voulez une preuve ? S'ils l'étaient, ils ne seraient pas ici.

S'il a bâti un baratin qui est une insulte à l'intelligence, démontez-le. Faites-lui comprendre que ça ne passera pas à l'audience. Les magistrats sont des professionnels, et on leur ment du matin au soir (et pas que pendant les plaidoiries). Ils développent un sixième sens. La fatigue de votre client peut lui provoquer un état d'euphorie le laissant penser que son histoire est irréfutable. Montrez-lui que ça ne tient pas. Là encore, il va vous falloir être diplomate. Il s'en faut de peu qu'il ne perde confiance en vous, croie que vous êtes contre lui, justice pourrie tout ça. Si vous voyez qu'il se vexe, expliquez-lui que vous vous mettez dans la peau du président pour le préparer, que ce que vous dites, c'est exactement ce que lui dira le président tout à l'heure, sauf que là, ça se passe entre vous et ça ne compte pas. Mais ne le laissez pas aller au casse-pipe avec une histoire qui ne tient pas sans avoir tout fait pour le convaincre de dire la vérité.

Oui, la vérité. En CI, comme ailleurs, et en CI plus qu'ailleurs, la vérité est souvent la meilleure défense.

Quand on dit la vérité, on ne se contredit pas, toute l'histoire est cohérente, ça donne le sentiment qu'on assume la responsabilité de ses gestes et si on est condamné, on l'est pour ce qu'on a fait. Parfois, le travail de l'avocat de la défense, c'est tout simplement ça : préparer son client à dire la vérité.

Une autre stratégie est celle dite du dossier vide, pour viser la relaxe. Si vous estimez que le dossier ne contient pas la preuve des faits, contentez-vous des dénégations du client. Présomption d'innocence : ce n'est pas à votre client de prouver son innocence, c'est au parquet de prouver sa culpabilité. Votre plaidoirie consistera à réfuter les indices et arguments du parquet, et invoquer le doute. Dites à votre client d'en dire le moins possible à l'audience : ce n'est pas moi, point. Des réponses courtes aux questions du tribunal.

Notez que les stratégies de la vérité et du dossier vide reviennent pour vous exactement au même lorsque le client est innocent.

À ce propos, attention à la présomption d'innocence. Ce terme a deux sens : le sens de règle de preuve, et le sens de “ on n'a pas le droit de présenter comme coupable quelqu'un qui n'a pas été condamné, il faut le traiter comme un innocent ”. Ce dernier sens, celui de l'article 9-1 du code civil, n'existe pas dans le prétoire. Votre client va entrer menotté, il sera surveillé par un gendarme, et trois jours de cellule lui auront donné une tête de tueur pervers. Considérez que votre client sera présumé coupable. Je sais que je fais bondir les magistrats qui me lisent. Mais c'est la vérité. Il faudrait un effort surhumain aux trois juges pour oublier où ils sont, oublier les 20 autres prévenus de la journée, la plupart coupables voire récidivistes, pour se remettre l'esprit comme une page blanche et se demander "Bon, celui-là, me prouve-t-on qu'il est coupable ?". Une bonne plaidoirie de relaxe doit viser à prouver l'innocence, ou du moins à saccager les preuves de la culpabilité de façon à ce qu'il n'en reste rien. Votre plaidoirie sera des coups de boutoir sur chacune des preuves invoquées par le parquet. De toutes façons, elles auront suffit à détruire ce qui restait de la présomption d'innocence - règle de preuve. La plaidoirie doit être offensive. Une plaidoirie défensive qui se contente de dire “ Je ne suis pas convaincu par les preuves et vous ne le serez pas non plus ” serait suicidaire.

Mais je m'avance, on n'en est pas encore là.

Dernière hypothèse : la plaidoirie de la peine.

Les faits sont établis et reconnus, pas de discussion là-dessus (hypothèse assez fréquente, en fait). Il faut préparer une plaidoirie sur la peine. SURTOUT s'il y a récidive. On peut écarter une peine plancher par une motivation spéciale. À vous de la fournir clés en main au tribunal. Brieffez votre client sur l'attitude à avoir. Assumer sa responsabilité n'est pas une attitude naturelle. L'attitude naturelle est le déni, l'atténuation. Ça passe mal, car dans la tête d'un juge, ça allume la loupiote « risque de réitération ». Et les avocats détestent cette loupiote. Elle est connectée à la loupiote « détention ». Expliquez à votre client que si quelqu'un doit dire que ce n'est pas grave, que la victime l'a cherché, que c'est la faute à la société, c'est vous, son avocat. Le code de procédure pénale ne prévoit pas encore qu'on puisse décerner mandat de dépôt à l'encontre de l'avocat (même si des syndicats de parquetiers lillois font pression en ce sens auprès de la chancellerie).

Le reste, c'est du droit pénal pur.

Voyez d'abord la liste des peines disponible (merci le Crocq). Voyez ce que les antécédents au B1 excluent. Profitez-en pour demander à votre client s'il n'a pas été jugé depuis sa dernière condamnation. ne lui demandez pas s'il a été condamné depuis, il risque fort de vous répondre non même si c'est oui (quand je vous dis qu'ils mentent même à leur avocat). Demandez-lui s'il est passé devant un tribunal. S'il répond oui, considérez qu'il y a encore une condamnation qui n'est pas inscrite. Et méfiez-vous, le parquet peut établir l'antécédent en produisant le jugement, c'est facile pour lui s'il a été rendu par le tribunal où vous vous trouvez (maudite Chaîne Pénale informatisée). Il m'a déjà fait le coup à l'audience. Assurez-vous dans ce cas que le jugement est contradictoire. S'il est contradictoire à signifier, demandez la preuve de la signification. S'il est par défaut, idem. Le jugement doit être définitif. Sinon, il ne constitue pas un antécédent au sens des lois Récidive I[1] et Récidive II[2]. Ça change beaucoup de choses. Révisez les règles sur les sursis(attention, billet antérieur à la loi Récidive II) et leur cumul (Bref rappel : pas de sursis simple d'emprisonnement s'il y en a déjà au casier ; deux SME max, un seul pour des violences volontaires) et de détention (rappel : le tribunal peut ordonner le maintien en détention —on ne parle pas de mandat de dépôt en CI sauf en cas de demande de délai— quelle que soit la peine ; il DOIT le faire sauf motivation spéciale en cas de récidive de violences volontaires).

Pensez aux peines alternatives, et complémentaires prononcées à titre principal : c'est possible : art. 131-11 du code pénal. Évitez de demander, pour un étranger sans papiers, une interdiction du territoire à titre principal. Ça implique placement en rétention, donc jusqu'à un mois de détention en centre, et ça fait obstacle à la régularisation. Au contraire, plaidez contre l'ITF, relevez les éléments qui peuvent permettre d'envisager une régularisation. Oui, il faut connaître un peu son CESEDA (je vous aide : c'est l'article L.313-11). L'avantage des peines alternatives et complémentaires est qu'elles échappent en grande parties aux règles sur les cumuls des sursis, puisqu'elles ne peuvent être assorties du sursis. Pensez au jour-amende, notamment.

Mettez au point avec le client une proposition de peine raisonnable (pas d'ajournement pour 5 kg de cannabis) qu'il accepterait, plutôt qu'une simple appel à la clémence qui n'aide pas le tribunal. Une proposition de peine originale et adaptée peut séduire le tribunal et éviter une peine de détention. Il faut impérativement connaître ce pan méconnu et méprisé du droit pénal (qui n'est généralement pas enseigné à la fac), et pourtant essentiel à la défense : le droit des peines.

Si vous plaidez la relaxe, évitez le subsidiaire sur la peine, par cohérence, sauf si c'est important (par exemple votre client est sans papier mais va se marier avec une française : faites un subsidiaire pour en cas de condamnation exclure l'ITF, en invoquant l'article L.313-11, 4° du CESEDA, ensemble l'article 8 et 12 de la CSDH).

Enfin, il existe encore des possibilités à exploiter pour la défense : faire citer un témoin (vous verrez que rien n'est plus facile en CI), demander des mesures d'instruction… Mais comme elles sont présentées à l'audience, je les laisse pour la saison 3.

Et pour finir, prenez encore une minute pour lui expliquer le déroulement de l'audience. Qui est qui, à qui s'adresser et comment (TOUJOURS au président, JAMAIS à la victime quoi qu'il arrive ; pas Votre Honneur, mais monsieur le président SAUF si c'est une femme auquel cas madame le président). Précisez-lui le schéma : constat d'identité - rappel de la prévention - demande si accepte d'être jugé tout de suite - discussion des nullités - interrogatoire sur les faits - victime - témoins - plaidoirie partie civile - réquisition - plaidoirie de la défense - dernier mot au prévenu, le tout en vingt à trente minutes. Préparez avec lui ce dernier mot qui peut être très opportunément qu'il n'a rien à rajouter.

Mais le temps passe, le temps passe, il est temps de filer à l'audience, pour le troisième épisode (qui ne sera pas le dernier, il y aura un quatrième, pour les victimes et leur avocat).

À suivre…

Notes

[1] Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

[2] Loi n°2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

mardi 17 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (1)

Ce billet s'adresse avant tout aux avocats débutants qui me lisent et qui vont bientôt se frotter au redoutable exercice de la défense en comparution immédiate (CI ; oralement, on parlera plutôt de “compa'”). Les vieux croûtons avocats expérimentés comme moi y trouveront matière à réfléchir à leur pratique et je l'espère à corriger la mienne. J'espère que les magistrats auront de leur côté un aperçu du travail concret de l'avocat, quant aux autres, extérieurs à l'arène du prétoire, cassez-vous cela vous donnera une idée de ce que c'est qu'être avocat, en vous priant de m'excuser pour les termes techniques que je vais immanquablement devoir employer.

La défense en comparution immédiate est un travail essentiel de l'avocat pénaliste. On ne peut y échapper en début de carrière, c'est un vrai travail de défense mais qui obéit à des règles très différentes de la défense ordinaire, tout en maintenant les principes essentiels de la procédure pénale. Ce n'est certainement pas le lieu de l'improvisation, mais contrairement à ce qu'on a tendance à croire, une vraie défense est possible à condition de se saisir des possibilités laissées par le Code.

Tout d'abord, une comparution immédiate, c'est quoi ?

Cela relève de la politique pénale appelée étrangement “traitement en temps réel”. L'idée est de conduire directement devant le tribunal une personne qui vient d'être arrêtée en flagrant délit pour y être jugée immédiatement. Le Beccarien que je suis applaudit à l'idée : tonton Cesare a démontré il y a longtemps que l'immédiateté de la sanction est un des critères d'une dissuasion efficace (avec sa certitude, sa sévérité n'ayant que très peu d'effet). Las, l'idée n'a pas été inspirée par Beccaria mais par une logique toute technocratique de gestion des stocks et des flux : une CI, c'est un dossier entré et sorti le même jour. C'est très bon pour le chiffre, et le chiffre, c'est la drogue de la Chancellerie.

Le futur prévenu doit être privé de liberté. C'est une condition sine qua non, aisément résolu par un placement en garde à vue. Soit, ce qui est l'idée originelle, que le prévenu a été arrêté dans le cadre d'une enquête de flagrance (à condition que la peine encourue soit d'au moins six mois, ce qui couvre la quasi totalité des délits), soit, cela arrive de plus en plus, que le prévenu a été convoqué dans le cadre d'une enquête préliminaire et a été placé en garde à vue (dans ce cas, la peine encourue doit être d'au moins deux ans, art. 395 CPP). Ce dernier schéma est légal, mais constitue à mon sens un détournement de la procédure de CI. Autant l'enquête de flagrance relève d'une certaine urgence dans laquelle la CI s'inscrit logiquement, autant l'enquête préliminaire exclut par sa nature l'urgence : on n'est plus dans le cas d'une sanction immédiate. C'est la logique technocratique qui l'emporte ici.

À l'issue de la garde à vue, l'intéressé (qui n'est donc plus gardé à vue mais pas encore prévenu, ça a des conséquences, vous allez voir, il est simplement retenu), est déféré au parquet pour présentation au procureur de la République. C'est lors de ce bref entretien que le procureur, qui va consulter rapidement et pour la première fois le dossier de la procédure (jusqu'à présent, les PV étaient au commissariat ou à la brigade de gendarmerie), va faire le choix d'aiguillage du dossier. Soit une simple convocation à une audience ultérieure, et l'intéressé est laissé libre (c'est une convocation par procès verbal, CPPV), mais c'est rare : cela signifie que le dossier s'avère beaucoup moins grave ou complet que les comptes-rendus téléphoniques le laissaient entendre, sinon, le parquet aurait opté par une convocation par officier de police judiciaire (COPJ). Soit une présentation au JLD pour placement sous contrôle judiciaire jusqu'à une audience ultérieure : une convocation par procès verbal pour contrôle judiciaire (CPPVCJ, art. 394 al. 3 du CPP), assez fréquente pour les violences conjugales légère sans antécédents. Soit c'est la CI, et le tribunal est techniquement saisi par procès-verbal[1]. Ce n'est qu'à partir de ce moment que le prévenu est officiellement un prévenu, et que s'ouvrent les droits de la défense : droit à un avocat, droit à l'accès au dossier.

Une incise, je ne peux pas m'en empêcher. On a ici une illustration du caractère jurassique de notre procédure. Le prévenu est entre les mains de la police depuis 24 voire 48 heures (techniquement, il peut même avoir été arrêté trois jours plus tôt avec le délai de retenue de 20 heures). Il a été interrogé par la police, puis par le procureur, qui est partie au procès qui va intervenir, et même l'adversaire du prévenu. Cet entretien a pourtant lieu hors la présence de l'avocat, sans qu'un avocat ait seulement pu examiner le dossier et s'entretenir de cela avec le prévenu. Bref, tout est fait pour tenir l'avocat éloigné jusqu'au dernier moment, afin de laisser le futur prévenu désemparé s'accabler lui-même. Nous sommes un des derniers pays occidentaux à pratiquer ainsi, et ce n'est pas la commission Léger, chargée de liquider le juge d'instruction, qui va faire œuvre révolutionnaire puisque dans son rapport d'étape, l'avocat n'aurait qu'un accès —partiel— à la procédure qu'au bout de 12 heures, et ne pourra assister aux interrogatoires. Les États-Unis assurent depuis 1966 l'accès effectif à un avocat à toute personne arrêtée (Arrêt Miranda v. Arizona, 13 juin 1966, 384 U.S. 436 (1966).), ce qui ne les empêche pas d'avoir des prisons remplies à ras-bord et d'exécuter des innocents de temps en temps, vous voyez qu'il n'y a pas de raison d'avoir peur.

Bref.

Le prévenu va comparaître sur-le-champ devant un tribunal. Sauf s'il n'y a pas de tribunal, ce qui arrive les dimanches et jours fériés. Dans ce cas, le prévenu va être présenté au juge des libertés et de la détention, statuant en chambre du conseil, pour placement sous mandat de dépôt jusqu'à la prochaine audience utile (art. 396 du CPP). À Paris, les permanences du dimanche consistent donc à assister le prévenu devant le JLD et s'il est placé sous mandat de dépôt, à l'audience du lundi matin devant la 24e chambre. Si vous faites libérer tous vos clients (qui sont alors reconduits devant le procureur pour une CPPV classique, parfois le lendemain matin s'il y a renonciation au délai de 10 jours en votre présence, mais hors régime de la CI), vous avez votre lundi matin de libre, mais vous ne serez pas payé de votre permanence, uniquement de l'audience JLD (2 UV, soit un peu plus de 40 euros par affaire ; oui, un excellent dimanche, ça valait le coup de ne pas voir vos enfants ce jour là).

La préparation du champion.

Une permanence, c'est un marathon qui se court à la vitesse d'un sprint. C'est éprouvant, fatigant, et vous n'avez pas une minute à perdre. Le matériel indispensable :

— Votre kit à prendre des notes. Chacun son truc. Moi, c'est stylo plume (c'est ce qu'il y a de moins fatiguant pour prendre longtemps des notes), plusieurs pour prévenir les pannes d'encre. Plus des stylos de toutes les couleurs, c'est mon côté greffier, j'ai des codes couleurs pour distinguer la simple note du dossier (ex : “victime : il m'a porté des coups de pied au sol”) du commentaire personnel (ex : “le prévenu n'est-il pas cul-de-jatte ?”) voire des instructions importantes (“Soulever la nullité de la GAV, demander la non inscription au B2”). Et bloc note, bien sûr.

— Les codes. Je sais, ça pèse lourd, mais c'est notre arme, avec le stylo. Code pénal à jour, code de procédure pénale à jour et idéalement, code des étrangers. Le guide des infractions de Saint-Jean-Christophe Crocq est très utile, mais il ne remplace pas les précieuses annotations de jurisprudence des codes modèle scoliose précoce.

— Signets, post-it, stabilos. Surlignez les passages importants pour les retrouver facilement, mettez un signet ou un post-it sur les pièces importantes (auditions, confrontation, certificat des UMJ, éventuellement saisine interpellation et notification de GAV si vous soulevez des nullités). Vous ne pouvez pas vous permettre de chercher pendant cinq minutes un passage clé.

— Votre mobile, chargé à bloc. S'il le faut, prenez votre chargeur, vous avez une prise dans le local. Vous allez passer des coups de fil. À Paris, un téléphone est à votre disposition. Mais il faut que la famille ait votre numéro de mobile pour vous retrouver facilement où que vous soyez. Donc vous appelez de votre portable, numéro affiché. Pas de chichis.

— À manger et à boire. Vous n'aurez pas le temps d'aller casser la graine. Prévoyez de quoi proposer à votre client (une pomme, un paquet de gâteaux peuvent faire l'affaire). L'intendance du dépôt est ce qu'elle est, votre client est épuisé par la garde à vue, ce n'est pas la peine qu'en plus il soit à jeun et assoiffé.

— Des conclusions en blanc. Vous aurez peut-être des conclusions à déposer. Elles seront manuscrites. Mais vous pouvez prévoir une trame facile à remplir. Tenez, c'est cadeau (pdf). À noter que si vous voulez faire propre, à Paris, l'espace convivialité au premier étage du vestiaire met à votre disposition des ordinateurs connectés à internet avec Word® et une imprimante. Mais je vous déconseille, c'est beaucoup trop long.

— Votre robe. Ça peut paraître évident, mais sachez que les horaires du vestiaire sont incompatibles avec un prêt de robe pour les CI. Vous venez avec la vôtre.

Top départ !

Vous entrerez en scène donc au moment où le prévenu se verra notifier sa citation par procès verbal, s'il a demandé un avocat commis d'office. On vous remettra une copie du dossier, que vous pourrez consulter pendant que votre client ira voir l'enquêteur de personnalité (à Paris, Bobigny, créteil, Nanterre et Melun, c'est l'A.P.C.A.R.S. s'en occupe, l'Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale). L'APCARS fera une enquête rapide, pour vérifier les éléments dits de personnalité : contacter la famille pour avoir confirmation du domicile, l'employeur pour confirmation du travail). C'est un élément très important pour vous, et vous ne l'aurez pas pendant que vous préparerez la défense de votre client, c'est ainsi. Les enquêtes rapides arrivent in extremis dans la salle d'audience (c'est une feuille A3 recto verso, exigez-à à l'huissier), avec parfois de sales surprises.

Première phase : la prise de connaissance du dossier. Songez à Foch, et demandez-vous comme lui à chaque fois : « De quoi s'agit-il ?». C'est là que vous allez découvrir le nom de votre client, ce pourquoi il est prévenu. Notez-le en haut de votre bloc, vous irez chercher plus tard les peines encourues, principales et complémentaires, et vérifier les particularités procédurales (merci le Crocq). Puis avant de lire les PV, regardez le B1[2]. S'il n'est pas là, allez le demander au greffe. C'est un élément essentiel. N'allez pas dans la prétoire avant d'avoir vu le B1. Il vous indiquera si certaines peines sont exclues (sursis, mise à l'épreuve) et surtout s'il y a récidive, donc peines plancher, auquel cas vous devez plaider sur ce point. Vérifier aussi sa nationalité, et s'il est en situation régulière ou pas. Profitez-en pour noter l'état civil complet de votre client, son adresse, son téléphone (vous le trouverez dans l'interrogatoire de grande identité, le premier à son arrivée au commissariat) et le numéro de parquet. Vous en aurez besoin par la suite, notamment pour remplir votre demande de paiement d'AJ.

Deuxième phase : la lecture. Vous devez tout lire, pour décortiquer la procédure et repérer les PV utiles. Une simple mention de trois lignes peut être essentielle, et elle aura peut-être échappé à la vigilance des magistrats (ou peut-être pas, et gare à votre client dans ce cas). Notez tout ce qui est important, en précisant en marge la source. Prenez les notes sur deux pages : les faits (et la procédure) et la personnalité.

Les pièces qui doivent retenir toute votre attention :
— La saisine interpellation. C'est le premier acte. Comment la police a-t-elle mis son nez là dedans. Vérifiez que les conditions de la flagrance sont réunies (par exemple, deux noirs qui discutent la nuit aux Halles, l'un donnant un billet à l'autre ne sont pas nécessairement des dealers et cela ne justifie pas un contrôle d'identité ; non, on ne peut pas voir à 1h du matin, à 50 mètres, une boulette d'un gramme de shit changer de main, pas plus qu'on ne peut la détecter lors d'une palpation de sécurité contre un jean's, il y a eu fouille illégale…). Si c'est une enquête préliminaire, vérifiez les autorisations de perquisition, les autorisations du parquet quand la loi l'exige et même la compétence territoriale des OPJ. Tout.
— La notification de garde à vue. À quelle heure a-t-elle eu lieu ? Toutes les mentions sont-elles là ? Le parquet a-t-il a été informé immédiatement (une simple mention suffit, dit la cour de cassation, inutile d'exiger le fax ou la preuve d'envoi) ? Si le gardé à vue a fait usage de ses droits, ont-il été respectés (a-t-il vu un avocat, un médecin, sa famille a-t-elle été prévenue ?). Notez le numéro de téléphone de la famille qu'il a demandé à contacter.
— Les auditions, interrogatoires, et confrontations. Cherchez les contradictions, surtout chez la victime, voyez si les preuves sont réunies. Notez les questions que vous souhaiterez poser à votre client. L'interrogatoire de grande identité (celui où on s'obstine à lui demander, même s'il est un SDF sans papier, s'il est titulaire du permis de chasse, s'il a effectué son service militaire ou s'il a été décoré) contient des éléments importants pour la personnalité : travaille-t-il ? A-t-il un domicile ? A-t-il de la famille ?

N'hésitez pas à recopier in extenso les déclarations importantes (vous n'aurez plus le dossier à l'audience).

Une fois que vous avez ces éléments notés, il est temps de se poser LA question qui ouvrira les débats : votre client doit-il accepter d'être jugé tout de suite ou doit-il solliciter un délai ?

Rappelons que le prévenu, une fois constatée son identité et rappelée la prévention, se verra demander s'il accepte d'être jugé tout de suite ou demande un délai pour préparer sa défense (art. 397-1 CPP). Vous aurez préparé cette question avec votre client, qu'il sache quoi répondre sans hésiter (Ça fait mauvais genre quand le client a l'air perdu et se tourne vers vous pour savoir quoi répondre). Le choix doit être fait avec lui lors de l'entretien mais ne vous faites aucune illusion : il fera ce que vous lui direz. Le choix pèse sur vos épaules. Vous avez voulu faire du pénal. Bienvenue à bord.

Les critères de choix sont à mon sens les suivants.

Le client préférera a priori opter pour être jugé aujourd'hui. Être débarrassé de l'incertitude, être fixé.

Pourtant, le principe doit être de demander le délai.

Quelques raisons qui peuvent justifier d'accepter d'être jugé le jour même sont :

— Si une peine de prison ferme est prévisible, mais courte. Dans ce cas demander le délai peut aboutir à retarder sa libération. Si la peine encourue est inférieure à 7 ans, le délai est court : 2 semaines minimum sauf renonciation, 6 maximum. Mais pour les délits supérieurs à 7 ans, qu'on ne pouvait juger en CI avant 2004, le délai est beaucoup plus long : 2 mois minimum (sans renonciation possible), 6 mois maximum. Or le moindre trafic de stup, c'est 10 ans encouru. Si votre client encourt 3 mois fermes, demander un délai est exclu. À vous de connaître votre juge, et les dates de renvoi prévisibles (c'est là que le ballotin de chocolats offert au greffier à Noël trouve son utilité).

— Si le client est étranger en situation irrégulière. Le parquet a sur un plateau l'argument du défaut de garantie de représentation, outre le fait que la présence du prévenu en France est un délit en soi. Les étrangers sans papiers échappent rarement à la détention provisoire. Toutefois, ça se tente si l'étranger est présent en France depuis longtemps, a ses enfants avec lui, travaille, a un domicile (et que vous en avez les preuves). Il n'est plus à proprement parler un clandestin, il a des garanties de représentation, et le plus obtus des magistrats comprendra qu'un étranger dans sa situation aurait tout à perdre à ne pas déférer à une convocation.

— Si le client est SDF. C'est triste à dire, mais sans domicile, il n'y a pas de garantie de représentation (et une domiciliation postale ne suffit pas).

— Si le client ne parle pas français. Soyons réalistes, il est TRÈS difficile d'organiser la défense de quelqu'un quand le dresse l'obstacle de la langue. Là, au palais, vous avez un interprète à disposition. Si le prévenu est détenu, il sera très difficile à son avocat de communiquer avec lui.

— S'il s'avère que le client ne peut vous fournir de justificatif de domicile (facture EDF ou France Telecom) ou de travail (sous réserve de ce que l'enquête APCRAS révélera). Ça arrive parfois car le prévenu habite seul, et les clefs de son logement où se trouvent tous ses documents sont à sa fouille, et personne ne peut y avoir accès.

La reconnaissance de sa culpabilité n'est pas un élément déterminant à mes yeux. Ce n'est pas parce que “c'est lui” qu'il faut se dire “autant qu'il soit jugé aujourd'hui.” La détermination de la peine peut mériter un débat où la réunion de pièces sera utile, surtout avec les peines plancher.

Si le client est récidiviste, attention. Avant 2007, j'aurais dit : récidiviste, jugement tout de suite. La détention est quasi certaine de toutes façons. Mais depuis les peines plancher, demander un délai peut s'imposer, eu égard au quantum encouru (qu'est-ce que six mois quand on encourt 4 ans minimum ?). À vous de voir en fonction du dossier et des éléments que vous pouvez espérer vous procurer.

Cette position est susceptible d'évoluer jusqu'à l'audience. Mais il vous faut savoir à tout moment où vous en êtes.

Prochains épisodes : l'entretien avec le client et la mise en place d'une stratégie de défense puis l'audience elle même et ses suites.

Notes

[1] Je vous rappelle les modes de saisine du tribunal correctionnel : la citation directe, la convocation par officier de police judiciaire, la convocation par procès verbal et la comparution volontaire.

[2] Extrait n°1 du casier judiciaire.

mardi 10 mars 2009

Service commandé

Le comité de réflexion sur la justice pénale, dit comité Léger, vient de déposer entre les mains du Garde des Sceaux un rapport d'étape, dont le Monde propose la lecture en son intégralité. Lecture qui s'avère extrêmement instructive. Pas de coup de théâtre, certes: si le comité propose la suppression du juge d'instruction, rappelons que dans son désormais célèbre discours du 7 janvier dernier, le Président de la République avait montré aux éminents membres de ce comité la direction à suivre, si jamais ils ne l'avaient pas trouvée tout seuls. L'intérêt de ce rapport d'étape est d'énoncer quelques propositions pour mettre en musique cette possible réforme, propositions qui seront sans nul doute vivement débattues. Quelques commentaires à chaud.

A titre liminaire, qu'il me soit permis de regretter le pieux silence observé dans ce rapport quant à la démission de deux des membres de ce comité, suite justement au discours du Président de la République, ces deux personnalités ayant considéré qu'elles n'étaient pas là pour inaugurer les chrysanthèmes. En clair, que ce n'était la peine de mettre en place une commission chargée de discuter des orientations fondamentales de notre système pénal si celles-ci étaient déjà décidées en haut lieu.

Je ne sais pas ce que les autres praticiens du droit en penseront, mais l'entrée en matière de ce rapport d'étape témoigne d'une méconnaissance pour le moins inquiétante de la matière: j'apprends ainsi, un peu coite, que l'instruction "n'améliore ni l'efficacité de l'enquête ni la protection des droits fondamentaux des mis en cause et des victimes".

Merci, ça fait toujours plaisir d'apprendre que l'on ne sert à rien.

Je suggère vivement aux membres du comité Léger une petite visite dans les services d'audiencement des juridictions, pour consulter à la fois des dossiers d'instruction et des dossiers faisant suite à des enquêtes de flagrance et de préliminaire. Et pour comprendre pour quelles raisons, dans ce dernier cas, il arrive que des avocats, lors de l'audience, expriment le regret que l'affaire n'ait pas fait l'objet d'une information judiciaire.

Par ailleurs, énoncer que l'instruction n'assure pas la protection des droits fondamentaux des victimes et des mis en cause n'est pas seulement une inexactitude, mais une contre-vérité.

Lors des interrogatoires chez le juge d'instruction, le mis en examen peut être assisté par un avocat. Lequel a accès à la procédure. Lequel peut formuler des demandes d'acte. Lors de ses auditions par le juge d'instruction, la partie civile peut être assistée par un avocat. Lequel a accès à la procédure. Lequel peut formuler des demandes d'actes.

Dans le cadre des enquêtes de flagrance et de préliminaire, les victimes et les mis en cause ont le droit... et bien, pas à grand chose en fait. Le gardé à vue peut s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure de garde à vue et en cas de prolongation. Cet avocat n'a pas accès à la procédure. Si l'officier de police judiciaire décide d'organiser une confrontation entre le mis en cause et la victime ce qui est fréquent, y compris dans des affaires graves comme les agressions sexuelles, il n'y a pas d'avocats présents. Les avocats ont accès à la procédure quand leurs clients sont convoqués devant le tribunal correctionnel et pas avant.

Bref, les droits des parties sont considérablement plus étendus dans le cadre d'une procédure d'instruction que dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire.

Ceci étant dit, comment le comité Léger envisage-t-il le système procédural français, une fois le juge d'instruction passé par pertes et profits?

Et bien, avec un Parquet menant des investigations "à charge et à décharge".

Là, j'avoue que la subtilité du raisonnement suivi par le comité Léger m'échappe un peu: selon lui, ce que le juge d'instruction, magistrat du siège indépendant et inamovible, ne peut pas faire, à savoir instruire à charge et à décharge, le magistrat du parquet, qui s'inscrit pourtant dans une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve le Garde des Sceaux, laquelle s'est benoîtement définie en "chef des procureurs", peut le faire. Enfin, passons.

A ceux qui espéraient négocier une refonte du statut des magistrats du parquet contre la suppression du juge d'instruction, le comité Léger oppose une fin de non-recevoir. Pas question non plus de modifier le statut de la police judiciaire, alors que les affaires sensibles ont pourtant démontré que la position des officiers de police judiciaire pouvait être intenable, du fait d'injonctions contradictoires des magistrats et de leur hiérarchie.

Point de salut, selon le comité Léger, sans l'instauration d'un juge de l'enquête et des libertés, qui sera chargé de contrôler les mesures attentatoires aux libertés pouvant être prises lors de l'enquête (écoutes téléphoniques ou placement en détention provisoire par exemple) et pour s'assurer du respect des droits des parties durant cette phase préparatoire au procès pénal.

Une sorte de super-JLD en somme. D'ailleurs, la fonction de Juge des Libertés et de la Détention va disparaître, ce qui va faire beaucoup d'heureux: tous les collègues qui exercent cette fonction à contrecoeur et croyez-moi, ils sont nombreux.

Pour ma part, je ne suis pas convaincue que la disparition du juge d'instruction au profit du juge de l'enquête et des libertés constituera une avancée et une garantie d'un meilleur contrôle du travail des officiers de police judiciaire. C'est même tout le contraire. Il suffit pour s'en convaincre, de discuter avec les collègues JLD: souvent, il s'agit de magistrats qui exercent cette responsabilité à titre de "tâche annexe" et beaucoup avouent, s'agissant de leur intervention en matière d'enquête préliminaire (autorisation d'écoutes téléphoniques), qu'elle ne leur paraît pas satisfaisante, parce que ponctuelle. La principale force du juge d'instruction est sa qualité de directeur d'enquête. Il dirige l'enquête donc il connaît le dossier. Et c'est ce qui lui permet de contrôler efficacement le travail des officiers de police judiciaire.

Voyons la suite. La garde à vue par exemple.

Avec une proposition notable: la présence de l'avocat lors de la garde à vue et son accès au dossier.

Attention, amis avocats, ne sabrez pas tout de suite le champagne. L'avocat sera présent uniquement si la garde à vue est prolongée. Soit après 24 heures. Et il n'aura pas accès à tout le dossier mais uniquement aux auditions de son client, à partir de la douzième heure de garde à vue. Nuance. Donc pas d'accès aux auditions de la victime et aux PV de perquisition. Le gardé à vue aura d'avantage de droits certes, mais point trop n'en faut.

Où l'on voit que le comité Léger tente de ménager la chèvre et le chou, les avocats et les officiers de police judiciaire, au risque de mécontenter tout le monde.

Autre manifestation de cette prudence toute diplomatique: la création, à côté de la garde à vue qui devrait être réservée aux infractions pour lesquelles une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à un an est encourue, d'une mesure de retenue judiciaire, mesure qui ne pourrait excéder six heures et au cours de laquelle la personne mise en cause aurait le droit de s'entretenir avec un avocat.

Là, je suis perplexe: si la garde à vue est parfois vécue comme une mesure infamante, rappelons que c'est une mesure protectrice de la personne mise en cause car elle lui offre un certain nombre de droits. Dans le système actuel, on considère que l'audition d'une personne mise en cause, lorsqu'elle se déroule hors garde à vue, ne doit pas excéder quatre heures, suivant le délai indiqué pour les vérifications d'identité. J'ai donc beaucoup de mal à considérer comme un progrès pour les droits de la défense une audition hors garde à vue d'un délai maximal de six heures.

Le comité Léger souhaite également la réduction des délais de la détention provisoire, objectif on ne peut plus louable, dont on peut néanmoins déplorer qu'il s'accompagne de considérations sur la nécessaire promotion de "la culture de la liberté dans la phase préparatoire au procès pénal". La liberté est le principe et la détention l'exception, c'est sympa de nous le rappeler mais nous le savions déjà. Ce serait bien si enfin, on arrêtait de considérer les magistrats comme de vilains embastilleurs dont l'unique obsession serait d'envoyer les justiciables derrière les barreaux. Cliché, quand tu nous tiens...

Sur ce point, les propositions du comité Léger ont au moins le mérite de la simplicité et de la clarté. Il s'agirait d'instituer une durée maximale de la détention provisoire entre le début de l'incarcération et la comparution devant la juridiction de jugement, dans les conditions suivantes: six mois si la peine encourue est comprise entre trois et cinq ans d'emprisonnement, un an si la peine encourue est comprise entre cinq et dix ans d'emprisonnement, deux ans en matière criminelle et trois ans pour les faits de terrorisme ou de criminalité organisée.

Silence en revanche sur la question des moyens accordés aux magistrats et aux services d'enquête. Moyens qui influent directement sur la durée des enquêtes et donc, sur la durée des mesures de détention provisoire. Silence également sur la question de l'engorgement des services d'audiencement. Actuellement, le délai de comparution d'un accusé détenu devant la Cour d'Assises dont je dépends est approximativement de 10 ou 11 mois à partir de l'ordonnance de mise en accusation. Si le législateur doit adopter cette proposition de la commission Léger, il y aura bien peu d'accusés qui comparaîtront détenus. C'est un choix de société qui peut avoir des conséquences importantes, y compris en terme de réitération des faits. Conséquences dont il conviendrait, pour une fois, de ne pas faire peser la responsabilité sur les magistrats.

A noter un point intéressant: la possibilité pour le mis en cause de demander que la décision de placement en détention provisoire soit prise par une juridiction collégiale comprenant le juge de l'enquête et des libertés. Mais là encore, silence pudique sur la composition exacte de cette collégialité, magistrats professionnels ou juges de proximité comme on a pu l'entendre ici ou là.

Enfin, le comité Léger propose de maintenir le principe du secret de l'instruction mais de dépénaliser sa violation. En clair, plus de poursuites pour recel du secret de l'instruction, à l'encontre notamment des journalistes. Les atteintes à la présomption d'innocence pourraient toujours faire l'objet de poursuites civiles sur le fondement de l'article 9-1 du Code civil.

A mon sens, cette dépénalisation est susceptible de menacer l'efficacité des investigations. Essayez de faire aboutir une enquête et d'arrêter l'auteur des faits si celui-ci est informé en temps et en heure des investigations des enquêteurs.

Voilà pour les grandes lignes du pré-rapport du comité Léger, qui soulève beaucoup plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses. Le comité reprend sans sourciller la proposition présidentielle de suppression du juge d'instruction, mais élabore un système bancal, et passe sous silence beaucoup de questions fondamentales, notamment la nécessité d'augmenter considérablement le budget de l'aide juridictionnelle. On dira que je prêche pour ma paroisse, mais après lecture de ce rapport, je n'ai toujours pas compris l'intérêt de supprimer la procédure d'instruction. Procédure d'enquête qui, rappelons-le une nouvelle fois, est actuellement la plus respectueuse des droits des parties.

A vos claviers.

lundi 9 mars 2009

Plus belle l'assises

Mes colocs ayant visiblement boudé mon appel à la mobilisation, pour des raisons que je devine excellentes, je vous propose un feuilleton judiciaire pour la semaine, offert par France 2.

France 2 a pu filmer un procès d'assises, y compris les coulisses, hormis ce qui n'est pas légalement filmable (les délibérations et je l'espère les entretiens des avocats avec leur client). Il va être diffusé en feuilleton dans le 13 heures?

Le premier épisode a été diffusé aujourd'hui, il est visible à cette adresse (valable toute la semaine), cliquez dans le sommaire à droite de la vidéo sur “Notre feuilleton : au cœur des assises” (c'est à 22'34", sinon). Ça se passe dans la très belle (quoique provinciale…) cour d'appel de Lyon, avec sa monumentale et insolente colonnade qui nous rappelle à nous, pauvres parisiens, que notre palais, lui, en est dépourvu.

Quelques explications et commentaires :

L'accusé est poursuivi pour meurtre et tentative de meurtre. Ces deux crimes sont punis d'un maximum de trente ans de réclusion criminelle (la tentative est punie comme le crime lui-même). La loi exige qu'il soit condamné à une peine unique pour ces deux crimes (la cour ne peut pas dire 20 ans pour le meurtre plus 10 ans pour la tentative, elle doit dire trente ans, point), dans la limite du maximum encouru pour le plus grave (ici, c'est trente ans dans les deux cas).

Première formalité filmée (23:30) : la notification de la liste (rectifiée) des jurés. Cette liste rectifiée est la liste définitive, après radiation de certains jurés lors de l'ouverture de la session d'assises et au besoin l'ajout de jurés de la liste complémentaire (voyez ce billet pour plus d'explications). Elle contient les nom, prénoms, date et lieu de naissance et profession des jurés. Elle permet aux avocats de repérer certains jurés à récuser, et de s'assurer avec leur client qu'il ne connaît personne. Notez la courtoisie du greffier. Elle reflète un élément essentiel : la justice juge sans haine. Il a (semble-t-il, je ne connais pas encore l'affaire) tué et tenté de tuer. Une famille inconsolable va venir s'asseoir dans le prétoire. La victime était sûrement un homme de bien. Peu importe. On n'a pas à le maltraiter, à l'injurier, à l'humilier. L'impartialité de la justice commence là, et est incompatible avec la commisération à l'égard des victimes, ce qui est trop souvent et à tort pris pour de la froideur, de l'indifférence ou du mépris.

(25:14) Notez le juré qui lit la presse sur l'affaire qu'il va juger. La loi ne l'interdit pas (contrairement à la loi américaine) mais c'est un problème pour moi. Le juré a déjà une idée préconcue de l'affaire, et la fiabilité de la presse (qui peut être engagée dans un point de vue sécuritaire par exemple) est ce qu'elle est. Point de vue d'avocat de la défense. La salle où sont entassés les jurés est la salle des délibérations.

(25:40) Le procureur général en personne ? Wouhaou. C'est rare, rarissime, même. Mais tout à fait légal. C'est lui le chef de sa crèmerie. Mais le procureur général a des responsabilités qui font en principe obstacle à sa présence continue à un procès, surtout sur plusieurs jours : il est le chef du parquet de toute la cour d'appel, soit pour Lyon les parquets de Roanne, Montbrison, Saint-Étienne, Villefranche-Sur-Saône, Bourg-en-Bresse et Belley, outre bien sûr celui de la capitale des Gaules, et leur intermédiaire avec Sa Très Précieuse Grâcitude (que mille diamants illuminent son bureau au parlement européen). Comme quoi, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, mais avec une caméra de télévision. Rien à redire sur son laius liminaire : très beau résumé de ce que doit être un avocat général (titre du parquetier qui officie normalement aux assises).

(26:10) : YES ! François Saint-Pierre ! J'aime beaucoup cet avocat, excellent pénaliste, adversaire de l'outrance, préférant la défense technique. C'est mon école. Notez la calvitie précoce, marque de la race des meilleurs avocats, si vous voulez mon avis. Bon, il est pour la partie civile, il ne peut être parfait tout le temps.

(26:11) : Cette causerie légère avant l'audience est un usage constant aux assises : les avocats vont se présenter au président et à l'avocat général. Moment de courtoisie, qui permet aussi de régler les derniers problèmes pratiques qui ne relèvent pas strictement de la procédure (ordre des plaidoiries…), et permet au président d'indiquer l'emploi du temps qu'il a prévu en fonction des disponibilités des témoins. C'est un peu la poignée de main des boxeurs avant le combat.

(26:31) : Notez la terreur qui s'abat sur les avocats provinciaux qui apprennent qu'un avocat parisien débarque. On a l'habitude. Qu'ils se rassurent : ce n'était pas moi. Mais l'inquiétude est ici une coquetterie : il est courant que les avocats de la défense soient en infériorité numérique. C'est encore plus beau comme ça. Reste à savoir si ce sera Bir Hakeim ou Fort Alamo (deux hypothèses de défense en infériorité numérique avec des résultats fort divergents).

(26:36) : Le greffier sort les pièces à conviction. Elles doivent être présentées aux jurés. C'est toujours un moment difficile pour la famille que de voir l'objet qui a tué leur fils, leur frère, leur père. Surtout quand l'objet n'est pas une arme à feu, mais par exemple une pierre (pas toujours très bien lavée), ou une hache. Je garde des souvenirs de moments très durs, même pour la défense. Conseil aux familles : sortez de la salle à ce moment là. C'est vous faire bien du mal pour rien. Seul le greffier peut le faire car il est garant de l'authenticité de toute la procédure. Il doit donc s'assurer de l'intégrité des scellés, qu'il aura pour charge de reconstituer.

(27:04) : Ce menottage est une honte. Il va se défendre, il est présumé innocent et pour le mettre en condition, on l'entrave. Article 803 du code quoi ? Nous fêterons bientôt les neuf ans de non application de cette loi par la police et la gendarmerie. Et summum de l'hypocrisie : diffuser des images d'un individu menotté sans son accord est un délit (d'où la précision du journaliste). La police viole la loi 9 fois sur 10 en mettant des menottes, mais si vous filmez et diffuser cela, vous risquez 15.000 euros d'amende. Tartuffe aurait fait un excellent député.

(28:23) : J'ai toujours le cœur qui accélère en entendant ces sonneries. J'ose penser que c'est plutôt bon signe. Notez que seule la cour proprement dite entre : les trois magistrats. Le jury n'est pas encore constitué, c'est ce à quoi nous allons assister… la prochaine fois. Notez aussi que l'accusé entre sans les menottes. C'est la loi, et depuis deux siècles. Toujours cette hypocrisie : tant que le public ne le voit pas, qu'on l'enchaîne, qu'on l'entrave, mais en public, maximum respect des libertés.

À suivre…

vendredi 20 février 2009

Les droits d'auteur pour les nuls

J'avoue être surpris du retentissement qu'ont eu mes deux billets répondant à la tribune de Luc Besson et à l'interview de Frédéric Lefèbvre (j'ai eu plus de visites dans la journée de mardi que lors de la journée du 23 octobre 2008 où j'avais publié 63 billets de magistrats). Cela révèle un véritable intérêt pour le droit de la propriété littéraire et artistique, discipline non pas complexe, mais contre-intuitive, à cause du parallèle fait avec le droit de propriété tout court, source de confusion chez les artistes eux-même (sur ce point, la tribune de Luc Besson était un exemple parfait).

Alors je vous propose une explication, que j'espère simple, sur la propriété littéraire et artistique (PLA), aussi appelée propriété intellectuelle. Retenez d'ores et déjà une chose : ces expressions sont indivisibles. Les épithètes “ littéraire et artistique ” ou “ intellectuelle ” changent le sens du mot propriété. Ce qui exclut que l'atteinte à la propriété littéraire et artistique soit un vol.

La propriété littéraire et artistique est d'apparition relativement récente. Le droit romain, ancêtre de notre droit, ignorait le droit d'auteur ; mais pas les poètes. Martial (40-104 ap. JC) qualifiait dans ses épigrammes ceux qui usurpaient ses poèmes de voleurs (furs) voire de plagiarus, c'est-à-dire voleurs d'enfants et d'esclaves, ce qui donnera le mot plagiat.

L'Ancien droit ne le connaissait pas non plus. L'œuvre se confondait avec son support : l'auteur d'une pièce vendait le manuscrit à un éditeur qui pouvait l'exploiter lui même sans avoir à reverser un sol à l'auteur. Le roi pouvait néanmoins accorder par lettre patente un privilège à un auteur sur le monopole d'exploitation de ses propres œuvres (!) ; mais c'était selon “son bon plaisir”. Ronsard se verra accorder un tel privilège (mais à charge pour lui de les faire imprimer effectivement), Molière aussi, mais Corneille se le verra refuser en 1643. C'est de ce privilège royal, qui existait à l'identique chez ces copieurs d'anglais, que vient le terme de royalty pour désigner la rémunération due à l'auteur.

La propriété littéraire et artistique est donc véritablement un apport de la Révolution, sous l'impulsion de Voltaire et de Beaumarchais. L'idée étant que pour favoriser le foisonnement intellectuel, il faut que les auteurs puissent vivre de leurs œuvres.

Notez bien ceci pour le moment : le droit d'auteur est né pour protéger les auteurs des éditeurs. Ça aura son importance.

Aujourd'hui, la propriété littéraire et artistique, c'est quoi ?

C'est un monopole d'exploitation que la loi accorde à l'auteur de l'œuvre, de plein droit. Il n'est soumis à aucune formalité préalable (comme une déclaration de l'œuvre par exemple) : il suffit de prouver qu'on est l'auteur, cette preuve étant libre.

Mais qu'est-ce qu'une œuvre de l'esprit ?

Question importante puisque c'est l'élément déclencheur de la protection légale. Et dans sa grande sagesse, le législateur s'est abstenu de la définir (c'était une autre époque…). Une définition est proposée par Bernard Edelman dans le Que Sais-Je ? consacré à la question (PUF, juin 2008) : “ une création caractérisée par un travail intellectuel libre et s'incarnant dans une forme originale ”. En peu de mots, tout y est. La création (un plagiat n'est pas une œuvre de l'esprit), la liberté de l'auteur (écrire un texte sous la dictée n'est pas une œuvre de l'esprit), et surtout l'originalité. Notez bien qu'un critère est volontairement laissé de côté : le mérite de l'œuvre. C'est tout à fait intentionnel. L'auteur mérite la protection de son œuvre quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir de celle-ci. Les débats esthétiques n'ont pas leur place dans un prétoire, et rappelons qu'en leur temps, les impressionnistes ont fait scandale et Van Gogh était boudé.

L'article 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui régit la question, donne une liste non exhaustive d'œuvres de l'esprit. Vous noterez que les logiciels y figurent. Les billets de ce blog sont ainsi des œuvres de l'esprit, de même que le sont mes dessins.

Une simple idée n'est pas une œuvre de l'esprit et n'est pas protégée en soi. C'est le processus qui va partir de cette idée pour lui donner corps, pour lui permettre de s'incarner en une œuvre cohérente qui fait naître cette protection. Si l'un d'entre vous avait l'idée de faire lui aussi un billet sur la propriété littéraire et artistique, il ne commettrait ni plagiat ni contrefaçon de ce billet, même si l'idée lui venait à la lecture de ce billet.

Quels sont les droits de l'auteur ?

Son monopole d'exploitation se traduit par deux types de droit : les droits patrimoniaux et le droit moral.

Le droit moral

Le droit moral est le droit de faire respecter son œuvre. Il est inaliénable, c'est-à-dire qu'il reste perpétuellement dans le patrimoine de l'auteur et passe à ses héritiers. Il ne peut être cédé et survit aux droits patrimoniaux, qui s'éteignent quand l'œuvre tombe dans le domaine public.

C'est au nom de ce droit moral que les héritiers de Victor Hugo se sont opposés à la parution de deux romans de François Céséra, Cosette ou le temps des illusions et Marius ou le fugitif qui se veulent la suite des Misérables de Victor Hugo. Si les héritiers avaient dans un premier temps obtenu gain de cause, la cour de cassation a rappelé à l'ordre la cour d'appel de Paris en lui rappelant qu'écrire une suite relève du droit d'adaptation, que l'œuvre étant tombée dans le domaine public, le seul fait qu'elle soit achevée ne saurait interdire d'écrire une suite, sous peine de juger une œuvre sur son mérite, ce qui est mal, et que la cour n'a pas caractérisé en quoi concrètement ces œuvres porteraient atteinte au droit moral de l'auteur (Civ 1e, 30 janvier 2007, Bull. civ., I, N° 47, p. 41, pourvoi n° 04-15.543). La cour d'appel de Paris a finalement jugé le 19 décembre 2008 qu'il n'y avait pas une telle atteinte. Il en serait allé différemment si par exemple Cosette et Marius devenaient dans l'œuvre partisans de la censure de la presse, de l'esclavage et de la peine de mort, causes contre lesquelles Victor Hugo s'est battu toute sa vie. Mais notez bien qu'à aucun moment on n'a contesté à Pierre Hugo, arrière-arrière-petit-fils de l'écrivain, le droit d'agir pour faire respecter ce doit moral.

Les droits patrimoniaux

C'est là que se situe le nerf de la guerre. Une œuvre peut être exploitée de deux façons : par la reproduction et par la représentation. La reproduction consiste en la réalisation d'une copie fidèle : impression d'un texte (ou sa photocopie), photographie d'un dessin, moulage d'une sculpture. Peu importe que le format initial de l'œuvre ne soit pas respecté : une carte postale du Guernica de Picasso en est une reproduction, même si l'original est un peu plus grand qu'une carte postale. La représentation est la communication de l'œuvre par un procédé quelconque. C'est la projection d'un film, la représentation d'une pièce de théatre, l'exposition d'un tableau.

Notons que toutes les œuvres ne peuvent faire l'objet d'une reproduction et d'une représentation. Une performance d'artiste est par nature insusceptible de reproduction (à la rigueur, ce serait une nouvelle création). Un logiciel ne peut faire l'objet d'une représentation : ça n'a pas de sens. Peu importe que l'un ou l'autre soit matériellement impossible, ça ne retire pas à l'œuvre sa qualité.

Ces droits peuvent être cédés, contre rémunération (on parle de redevance, même si le terme anglais de royalty est plus connu). On appelle les cessionnaires des droits d'auteurs, qui ne sont pas les auteurs, les ayant-droits : ceux sont eux qui ont les droits de l'auteur. La loi encadre ces contrats pour protéger les auteurs, en interdisant la cession d'œuvres futures, en imposant un contrat écrit et une rémunération proportionnelle aux gains générés par l'œuvre. La loi prévoit aussi des exceptions, mais rigoureusement encadrées. La sanction est la nullité du contrat, comme l'ont découvert à leurs dépens les éditions Dargaud quand elles ont vu annulée la cession des droits sur Astérix faute d'avoir respecté le droit à rémunération proportionnelle de leur auteur sur les publications étrangères.

Une exception notable à la prohibition de la cession des œuvres futures est l'adhésion à une société de gestion collective des droits des auteurs (le terme exact étant société de perception et de répartition des droits, SPRD) du type de la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM).

Rappelons l'histoire de la SACEM : en mars 1847, des compositeurs de musique eurent la surprise de voir que leurs œuvres étaient interprétées publiquement dans un café sans qu'on les rémunère pour cela (alors que le café était comble du fait du succès du spectacle). Après avoir refusé de payer leurs consommations du fait qu'on ne ne leur payait pas leurs œuvres (ils obtinrent gain de cause) ils fondèrent la première société de perception des droits, la SACEM : chaque sociétaire apporte en nature ses droits patrimoniaux à la société, qui s'occupe de percevoir les redevances et les reverse aux sociétaires selon des modes de calcul source d'infinies fâcheries entre sociétaires. Cela libère les artistes de cette tâche de gestion et permet à la SACEM d'avoir des moyens pour aller débusquer les fraudeurs les plus pervers se cachant dans les endroits les plus sournois.

Deuxième point à noter : si le droit d'auteur est apparu contre les éditeurs, il s'est développé par la suite contre les interprètes.

L'exploitation d'une œuvre consiste donc à donner contre paiement une autorisation de reproduction ou de représentation. Cette autorisation,appelée licence, est plus ou moins limitée, ce qui en module le prix.

Ainsi, quand vous achetez un DVD dans le commerce, vous rémunérez l'auteur de l'œuvre en contrepartie du droit à UNE copie de l'œuvre et d'un droit de représentation un nombre de fois illimité hormis par la durée de vie du support mais dans un cadre restreint, le cercle de famille. Cela ne vous donne pas le droit d'organiser une projection publique de ce DVD, même sans perception de droit d'entrée. Vous ne me croyez pas ? Lisez le texte qui s'affiche sur votre écran au début et que vous tentez en vain de zapper avec votre télécommande. C'est écrit en toutes lettres.

Quand un film est diffusé à la télévision, la licence couvre tout le territoire national, mais ne permet qu'une seule diffusion. Autant dire que le prix est légèrement supérieur à celui d'un DVD.

Les droits patrimoniaux s'éteignent avec le temps : 70 années civiles après la mort de l'auteur, l'œuvre tombe dans le domaine public (Peter Pan est ainsi tombé dans le domaine public le 1er janvier 2008 ; le 1er janvier dernier, les œuvres de Georges Méliès sont tombées à leur tour dans le domaine public).

Les auteurs et leurs voisins

Certaines œuvres ne sont rien sans une interprétation : une pièce n'est qu'un texte sans un acteur pour donner vie aux personnages, une chanson est un joli texte avec une jolie partition, mais c'est le chanteur et ses musiciens qui vont lui donner une âme. Parfois au point d'en devenir un co-auteur, comme ce fut le cas pour Clare Torry, interprète du solo vocal de The Great Gig In The Sky de Pink Floyd, reconnue co-auteur de l'œuvre par la justice britannique en 2004 (elle n'avait été payée que d'un cachet de 30£ en 1973).

Mais sans aller jusqu'à devenir co-auteur de l'œuvre, un artiste apporte quelque chose à l'œuvre et fait lui-même œuvre de création. L'interprète de l'œuvre se voit donc reconnaître lui aussi un droit, qui n'est pas le droit d'auteur, forcément, mais qui en est voisin. On l'a donc appelé tout simplement le droit voisin (d'où le nom de la loi DADVSI : Droit d'Auteur et Droit Voisin dans la Société de l'Information). Il ne s'applique pas à l'artiste dit de complément, celui dont la présence est nécessaire à l'interprétation mais n'en est pas un élément essentiel : figurant, musicien d'un orchestre, choriste, etc. Le droit voisin se décompose lui aussi en droit moral (droit au respect de son nom et de son interprétation, concrètement de figurer au générique) et en droit patrimonial : droit d'être rémunéré pour tout mode de reproduction de son interprétation. Je simplifie, bien sûr.

Les interprètes ont eux aussi leurs société de perception et répartition de droits (Adami, Spedidam)

Les dealers d'oranges qui téléchargent des baguettes de pain

Pour bannir toute confusion, il faut oublier le mot propriété, ou plus exactement se souvenir que ce mot ne vient pas seul. Une œuvre de l'esprit est par nature immatérielle. De ce fait, elle ne peut être volée à son auteur, même si on lui dérobe le support sur lequel cette œuvre est matérialisée (qui constitue bien un vol, mais du support, pas de l'œuvre). L'atteinte au droit d'auteur n'équivaut pas à voler une baguette de pain (argument d'Eddy Mitchell en 2006), ni à dealer de la drogue (argument Besson) ni à distribuer des oranges (argument Lefèbvre). Ça ne veut pas dire que c'est légal, mais c'est autre chose.

Les droits d'auteur et les droits voisins sont protégés pénalement : toute reproduction ou représentation d'une œuvre sans l'autorisation de son auteur est un délit spécifique : la contrefaçon (punie de trois ans de prison et 300.000 euros d'amende).

Télécharger un film au format DivX peut être un acte de contrefaçon si l'auteur n'a pas autorisé cette forme de diffusion (sinon, c'est parfaitement légal : la technologie DivX n'est pas illégale en soi), car il y a reproduction de l'œuvre (une copie est crée sur votre disque dur) et représentation de l'œuvre (chaque fois que vous la regardez, vous commettez un acte de contrefaçon : art. L.335-3 du code de la propriété intellectuelle, mais en pratique, c'est impossible à établir, alors que la reproduction l'est plus facilement). De même, regarder une œuvre protégée (par la loi s'entend) en streaming est une représentation, donc une contrefaçon. Proposer une telle œuvre en streaming suppose d'en avoir une copie sur un serveur : reproduction non autorisée, donc contrefaçon. Utiliser une chanson pour illustrer un clip diffusé en straming sur le site d'un parti politique est une reproduction de l'œuvre, donc une contrefaçon (pwned again…)

Les exceptions au droit d'auteur

Le droit français reconnaît certaines limites au droit d'auteur. Elles figurent à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle (si vous devez ne retenir qu'un seul article de ce code, c'est celui-là). Dès lors que l'oeuvre a été divulguée par son auteur, celui-ci ne peut interdire :

1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille (vous pouvez regarder votre DVD de Taxi 4 avec votre épouse et vos enfants ; une soirée entre amis entre dans ce cadre, mais si vous invitez tous vos collègues du service comptabilité, vous sortez de cette limite, a fortiori si la représentation a lieu ailleurs qu'à votre domicile).

2° La copie privée, qui s'entend de la copie réalisée à l'usage exclusif du copiste. C'est ripper un CD audio ou un DVD sur votre ordinateur, faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte d'abîmer ou de se faire voler l'original, par exemple.

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (vous pouvez citer de courts extraits d'un de mes billets pour démontrer que je suis nul en droit sans mon autorisation, et je ne peux même pas vous l'interdire) ;

b) Les revues de presse ;

c) La diffusion, même intégrale, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles (vous pouvez publier l'intégralité des discours du président de la République sur votre blog) ;

4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre (d'où la légalité du clip de Mozinor sur Luc Besson) ;

Ajoutons que les reproductions que supposent nécessairement certains processus informatiques (mise en mémoire tampon, installation sur le disque dur) sont également couverts par la loi, ainsi que les reproductions faites par des bibliothèques à des fins d'accessibilité (transcription en braille) ou de conservation des originaux.

Le tout sous réserve de ne pas causer à l'auteur un préjudice injustifié.

L'enregistrement d'une œuvre diffusée à la télévision est couvert par l'exception de copie privée, mais doit être restreinte au seul usage du copiste (ce qui exclut qu'un tiers réalise la copie, affaire Wizzgo) et pour des représentations dans le seul cadre du cercle de famille. Profiter de cette diffusion pour diffuser une copie par internet dans le monde entier n'est pas couvert par la copie privée. La redevance audiovisuelle (qui comme son nom l'indique est une taxe) ne donne droit à aucune contrepartie, tout particulièrement sur les droits des auteurs des œuvres diffusées, de même que la rémunération pour copie privée perçue sur l'ensemble des supports mémoire (cassette audio, VHS, CD ROM, DVD ROM, balladeurs à disque dur ou mémoire flash…), qui est une taxe parafiscale visant à indemniser les auteurs. La copie privée est une exception, pas un droit a récemment rappelé la cour de cassation (affaire Mulholland Drive) : l'auteur ne peut l'interdire, mais il n'a pas à permettre ou faciliter sa réalisation (les mesures techniques de protection s'opposant à la copie ayant expressément été légalisées par la loi DADVSI).

Quelques exemples concrets

Si le droit d'auteur repose sur des principes simples, concrètement, ça se complique très vite, les œuvres étant souvent collectives, et les droits cédés à des sociétés de perception et de répartition des droits.

Prenons un premier cas simple : un livre. L'auteur est l'écrivain. Il propose son œuvre à un éditeur, qui, s'il estime qu'elle est de nature à rencontrer le succès, va conclure avec l'auteur un contrat d'édition. L'éditeur a le droit de reproduire l'œuvre sous forme de livre, qu'il va proposer à la vente au public, et rémunérera l'auteur en fonction des ventes, sur la base du prix de vente au public hors taxes. Le livre est une reproduction de l'œuvre. L'acheteur peut s'en faire une copie privée (en recopiant à la main ou en photocopiant certains passages qui lui plaisent) ou en faire une représentation dans le cadre du crecle de famille : lire l'histoire à ses enfants par exemple.

Autre cas plus complexe : une œuvre plastique, comme un tableau. La particularité est qu'il y a ici une matérialisation de l'œuvre sur un support dont elle ne peut être détachée, ce qui crée un original unique. Il y a cumul de propriété classique et de propriété littéraire et artistique. L'artiste va céder le support de l'œuvre, mais cela n'inclut pas nécessairement le droit de reproduire l'œuvre (en distribuer à la vente des cartes postales par exemple) ni le droit de représentation. Si j'achète une toile de Juan Romano Choucalescu, je peux l'accrocher dans mon salon, et l'admirer dans mon cercle de famille à loisir. Mais pour l'exposer dans un musée, il faut l'autorisation de l'auteur, qui peut soumettre cette autorisation à une rémunération (et connaissant Choucalescu, il le fera). Enfin, si pris d'un moment de rage, je détruis cette œuvre, je pourrais être poursuivi par Choucalescu pour atteinte à son droit moral[1].

Continuons dans la complexité avec une chanson. Une chanson suppose des paroles, et de la musique. Il y a donc un auteur et un compositeur (ça peut être la même personne bien sûr). Puis cette chanson va faire l'objet d'une fixation. Va donc s'ajouter aux titulaires de droit l'interprète, qui a ses droits voisins, mais aussi un autre auteur : l'arrangeur, qui va trouver la meilleure orchestration pour mettre en valeur l'œuvre et l'interprétation, et faire de la chanson un air qu'on reconnaît immédiatement et qu'on n'oublie pas ensuite (et un bon arrangeur peut faire toute la différence). Les choses vont encore se compliquer quand la réalisation de l'œuvre suppose des coûts importants (studio d'enregistrement, musiciens, ingénieur du son, matériel) : va intervenir alors le producteur, qui apporte l'argent nécessaire contre une cession des droits sur l'œuvre à venir, et l'éditeur (la maison de disque) qui va assumer le coût de la fabrication des copies (CD audio) et de la distribution dans les points de vente. Vous voyez pourquoi on peut parler d'industrie de la musique.

Autant dire que pour un film, on atteint le sommet de la complexité, comme en témoigne la longueur du générique de fin qui mentionne tous les intervenants. Disons, là encore pour tenter de faire simple, qu'en cas de téléchargement illicite d'Angel-A, la victime est EuropaCorp, le producteur du film[2], qui a acquis les droits patrimoniaux sur l'œuvre des auteurs, le scénariste et le réalisateur de l'œuvre, qui lui peuvent eux aussi agir au titre du droit moral sur leur œuvre dont ils sont restés titulaires. En fait, la simplicité revient vite puisque le président de la société de production, le scénariste et le réalisateur sont la même personne.

Deux mots pour conclure, comme disent les avocats qui en ont encore deux cent à dire : d'une part, la protection des œuvres de l'esprit, et le droit de leurs auteurs de les exploiter commercialement est pour moi tout à fait légitime. Permettre à un artiste de vivre de son art est normal et sain pour la vie artistique. Je ne suis pas en guerre contre les droits d'auteur. J'émets simplement des doutes sur la réalité de l'étendue du préjudice que les ayants droit prétendent subir à cause du téléchargement par des particuliers (télécharger une œuvre ne fait pas obstacle à l'acheter par la suite pour l'avoir en meilleure qualité ou bénéficier des bonus, et rien ne permet d'affirmer que ceux qui ont téléchargé une œuvre l'aurait acheté s'ils avaient été mis dans l'impossibilité de se la procurer de cette façon), et constate que le conservatisme de cette industrie qui espère arrêter le cours du temps et de la technologie plutôt que faire face aux défis que représentent l'évolution de la technique est proprement suicidaire. Nous sommes en 2009, et l'industrie musicale commence tout juste à proposer légalement des titres au format largement compatible, ayant semble-t-il compris la bêtise que constituaient les mesures techniques de protection qui protégeaient surtout contre l'écoute du morceau.

Car, et c'est là ma deuxième observation, rappelez vous ce que je vous ai dit. Le droit d'auteur est apparu pour protéger les auteurs contre les éditeurs qui s'enrichissaient sur leur dos, puis contre les producteurs de spectacle et les interprètes qui faisaient de même. Le combat des ayant-droits aujourd'hui présente une grande nouveauté : il oppose les ayant-droits à leur public, qui ne s'enrichit pas sur leur dos. Les musiciens insultent ceux qui apprécient leur musique en les traitant de voleurs, les réalisateurs font de même avec ceux qui apprécient leur film en les traitant de dealers.

Je ne suis pas expert en marketing, mais qu'il me soit permis d'émettre des doutes sur la viabilité de cette attitude, et même de sa simple rationalité.

Notes

[1] Pour ceux qui ne connaissent pas Choucalescu, cette contrefaçon en ''streaming'' vous éclairera.

[2] En fait, EuropCorp est co-producteur aux côtés de TF1 films production, et Apipoulaï, avec une participation de Canal + et Sofica Europacorp…

mercredi 18 février 2009

Tout le monde n'a pas le talent de Luc Besson

À moins que ce ne soit son audience. Mais il y en a qui font de tels efforts qu'ils méritent néanmoins qu'on leur présente nos compliments.

Et je dois reconnaître que Frédéric Lefèbvre s'est surpassé avec cette interview dans 20 minutes. L'académie Busiris n'a pas été convoquée faute de propos juridiquement aberrant : ils sont simplement atterrants.

Pourquoi êtes-vous venu en aide à Luc Besson?
Les propos de Luc Besson ne sont qu’un élément déclencheur, mais cela fait longtemps que les sites de vidéos en streaming se développent sur le Net, faisant fi des droits d’auteur. C’est pourquoi je demande une commission d'enquête parlementaire.

Ah, il n'aura pas attendu longtemps pour la première bêtise.

Les commissions d'enquête sont prévues par l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (cette ordonnance a valeur de loi organique). Cet article précise que les commissions d'enquête « sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées. »

Des faits déterminés. Une commission d'enquête ne peut donc se réunir sur le thème général du streaming et des droits d'auteur. Il peut s'en réunir une sur l'affaire Beemotion.fr, par exemple. Mais "les sites de vidéo en streaming" n'est pas un sujet de commission d'enquête. Il y a les rapports d'information pour ça, et ça ne prend qu'un seul parlementaire (mais ça ne donnera pas lieu à l'audition télévisée de gens célèbres, c'est vrai…).



Dans quel but?
Je veux que l’on trouve une façon de rendre le Net plus responsable.

La prochaine fois que je déjeune avec le Net, promis, je lui demande d'être plus responsable. Le Net, ou l'internet, est un réseau d'ordinateurs pouvant se transmettre des fichiers informatiques grâce à des protocoles normalisés (le HTTP étant le plus répandu). C'est comme demander à un téléphone d'être responsable.

Or certains sites, comme beeMotion, sont des dealers.

Là, on a un parlementaire qui fait fi des droits d'auteur de Luc Besson : c'est lui qui a inventé cette analogie. Je demande une commission d'enquête.

beeMotion a profité du système et gagné de l’argent pendant six mois en mettant des pubs sur son site, grâce à des films dont il n’a pas les droits. C’est illégal! beeMotion a fait un bras d’honneur au groupe Iliad, qui a hébergé ce site sans en vérifier le contenu.

D'une part, personne ne sait combien BeeMotion a gagné grâce à la pub. Rappelons que la société Wizzgo, avec son “magnétoscope numérique”, affichait 1294 euros de recettes publicitaires en une année d'existence. Je crois qu'il y a une vraie illusion d'une criminalité extrêmement lucrative, entretenue par les chiffres fantaisistes de l'industrie (rappelons que Luc Besson parle d'un milliard d'euros par an pour la France), donc d'argent à confisquer ou taxer, qui va faire des malheureux. D'autre part, si quelqu'un comprend cette histoire de bras d'honneur, merci de me l'expliquer.

Là, excellente question de la journaliste, qui a bien préparé son sujet :



Sauf qu’Iliad n’a pas vocation à vérifier le contenu a priori, puisqu’il n’est pas éditeur, donc pas responsable pénalement. C’est ce que dit la LCEN (loi de confiance en l’économie numérique)...

Article 6, I, 2. Pwned. Réponse immédiate qui laisse pantois :

Je veux changer la loi.

Il y a un député qui n'a pas préparé son sujet. La LCEN est la transposition (avec retard) d'une directive européenne, la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Donc pour changer le régime actuel de responsabilité de l'hébergeur, il faudrait un consensus au niveau des 27 pays de l'UE[1] puisqu'il faudrait que tous changent leur législation pour calmer les humeurs de M. Lefèbvre. Mais bon, hein, si les politiques tenaient compte de la faisabilité de leurs caprices, où irait-on ?



Légiférer le Net: mission impossible?
Non, pas impossible. Il faut légiférer, car les dealers vont justement se nicher dans les endroits sans règle.

Laisser entendre que l'internet est un “endroit sans règle” — Passons sur le fait que ce serait un “endroit” ce qui est déjà aberrant— juste après qu'on lui a cité la loi qui a légiféré sur l'internet, ça demande quand même une certaine audace grâce à laquelle on reconnaît facilement M. Lefèbvre à l'assemblée.

Si vous faites fermer les sites de streaming, ils délocaliseront leurs serveurs à l’étranger...
C’est pour cela que je demande un G20 du Net. De la même façon qu’on fait la chasse aux paradis fiscaux à l’échelle mondiale, il faut faire la chasse aux dealers du Net. Il y a une dimension nationale et internationale à cette affaire.

Je vous la refais en abrégé, en shorter comme on dit sur le Net sans foi ni loi :

—Que voulez-vous ?
— Une commission d'enquête.
— Mais il y a déjà une loi.
— Alors je veux changer la loi.
— Mais il y a une dimension internationale.
— Alors je veux un G20 du Net.

Débranchez-le, encore deux questions, et il demande l'usage de l'arme nucléaire.

La journaliste ne lâche pas l'affaire : un G20 du Net, rien que ça. Voilà un scoop. Question logique, pour voir si le député a bien préparé son dossier.

Qui sont vos interlocuteurs européens et américains sur cette question?

Vous avez déjà vu une baudruche se dégonfler ?

C’est à déterminer. Pour l’instant, je demande aux autorités publiques l’organisation de ce G20 du Net.

Le député Lefèbvre, qui il y a quelques lignes voulait une commission d'enquête, changer la loi, que dis-je, le droit européen, refile piteusement le bébé aux autorités publiques, ce qui n'inclut pas les membres du parlement visiblement, réalisant que houlala, c'est bien compliqué cette affaire, pourtant, en lisant Besson, ça avait l'air simple.

Las, le chemin de croix de Frédéric Lefèbvre n'est pas encore terminé, la journaliste a encore des questions dans son sac.



Le visionnage en streaming n’est-il pas un frein au piratage de peer-to-peer?
Si, car il offre souvent une meilleure qualité et évite aux consommateurs de perdre de la mémoire en stockant des fichiers téléchargés. Mais justement, le streaming est plus dangereux et plus puissant quand il se fait sans respecter les droits d’auteur...

Mes bras étant tombés, j'écris la suite de ce billet en tapant sur mon clavier avec mon front. Le streaming, de meilleure qualité que le téléchargement d'un fichier DivX ? Donc les téléchargeurs sont des imbéciles d'utiliser une technologie obsolète ? Ah mais non, ils ont dû oublier que ça existe, puisque le streaming “fait perdre de la mémoire aux consommateurs”, un peu comme le shit, en fait (puiqu'on vous dit que ce sont des dealers !). Quant au final : “le streaming est plus dangereux et plus puissant quand il se fait sans respecter les droits d’auteur”, on sent que le député souhaiterait déjà être ailleurs. Le streaming n'est pas un Pokémon : il n'est ni puissant ni dangereux ; et s'il se fait dans le respect des droits d'auteur, il est légal, point.

Heureusement arrive une question facile.

Pourquoi n’aurait-on pas le droit de regarder une série gratuitement sur le Net si on peut la voir à la télévision?
La télé paie l’auteur de cette série, le téléspectateur paie une redevance. Il n’y a pas de raison que le Net y échappe. C’est comme si vous me disiez «les oranges sont trop chères au supermarché, alors quelqu’un va les distribuer gratuitement dans la rue». Il faut développer une offre légale et alléchante sur le Net pour les consommateurs.

Bon, une bonne fois pour toute, il faut arrêter les analogies. Ça suffit. Je fonde ce jour l'ACAF, l'Association Contre les Analogies Foireuses. Après les voleurs, les dealers, les distributeurs d'orange. Non mais je crois rêver. En plus ça gâche la première phrase intelligente : le constat de l'absence d'offre légale intéressante, qui est la source du problème à mon sens. Sur la question sur la série, rappelons que les chaînes de la TNT et du câble, qui diffusent la majorité des séries, ne touchent pas un centime de la redevance audiovisuelle. C'est par la publicité et le cas échéant les abonnements qu'elles gagnent de l'argent. Précisément, regarder une série sur le net leur porte préjudice puisque leurs tarifs publicitaires dépendent directement de leur audience, et l'internet peut détourner une partie de cette audience.



Une offre de quel type?

Las, M. Lefèbvre n'a vraiment pas préparé son dossier.

Il faut qu’on organise des concertations. Notamment avec des sites comme Dailymotion, d’ailleurs victimes des sites de streaming pirates, qui leur piquent des annonceurs. Les régies publicitaires n’ont pas à proposer à leurs clients de faire de la pub sur des sites illégaux. Je plaide notamment pour le raccourcissement du délai entre la sortie d’un film au cinéma et sa sortie en DVD. On pourrait le réduire à trois mois, voire à quelques semaines, et autoriser la vente du DVD dès que le film n’est plus exploité en salles.

Contre le piratage sur internet, le DVD. Frédéric a tout compris.



Pourquoi vous intéressez-vous au Net depuis quelques mois?

Quelques mois, pas plus, visiblement. Mais Frédéric Lefèbvre ne voit pas la vacherie.

Je suis porte-parole de l’UMP, tous les sujets m’intéressent, mais ma spécialité, ce sont les médias et l’audiovisuel. Or le Net est un nouveau média.

Un nouveau média, comme M. Lefèbvre est un nouveau député.

(Propos recueillis par Alice Antheaume.)

Notes

[1] C'est une procédure dite de codécision : il faut que le parlement européen soit d'accord et que 55 % des membres du Conseil représentant les États membres participants, réunissant au moins 65 % de la population de ces États le soient aussi. Articles 238 et 294 du TCE.

lundi 2 février 2009

C'est pas moi qui le dis

Ce billet aurait pu s'intituler également la sagesse des anciens.

Voici deux textes, qui ne datent pas d'hier, sur lesquels je vous invite à méditer. Et desquels le législateur contemporain, qui se croit sûrement meilleur que celui d'hier, devrait s'inspirer. Car, non seulement ils sont fort bien écrits, mais de plus, le fait que 288 ans et 205 ans plus tard respectivement, ils soient autant d'actualité est accablant.

Le premier est de Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, un magistrat qui tenait un blog anonyme au XVIIIe siècle nommé les Lettres Persanes. C'est la lettre CXXIX (129 pour les arabophones) que je vous propose de lire (du moins un large extrait), lettre qui contient une des citations les plus célèbres de Montesquieu.


Usbek à Rhédi, à Venise.

La plupart des législateurs ont été des hommes bornés, que le hasard a mis à la tête des autres, et qui n'ont presque consulté que leurs préjugés et leurs fantaisies.

Il semble qu'ils aient méconnu la grandeur et la dignité même de leur ouvrage: ils se sont amusés à faire des institutions puériles, avec lesquelles ils se sont, à la vérité, conformés aux petits esprits, mais décrédités auprès des gens de bon sens.

Ils se sont jetés dans des détails inutiles; ils ont donné dans les cas particuliers, ce qui marque un génie étroit qui ne voit les choses que par parties, et n'embrasse rien d'une vue générale.

Quelques-uns ont affecté de se servir d'une autre langue que la vulgaire: chose absurde pour un faiseur de lois. Comment peut-on les observer, si elles ne sont pas connues?

Ils ont souvent aboli sans nécessité celles qu'ils ont trouvées établies; c'est-à-dire qu'ils ont jeté les peuples dans les désordres inséparables des changements. Il est vrai que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l'esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et, lorsqu'il arrive, il n'y faut toucher que d'une main tremblante: on y doit observer tant de solennités et apporter tant de précautions que le peuple en conclue naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu'il faut tant de formalités pour les abroger.

Souvent ils les ont faites trop subtiles, et ont suivi des idées logiciennes plutôt que l'équité naturelle. Dans la suite, elles ont été trouvées trop dures, et, par un esprit d'équité, on a cru devoir s'en écarter; mais ce remède était un nouveau mal. Quelles que soient les lois, il faut toujours les suivre et les regarder comme la conscience publique, à laquelle celle des particuliers doit se conformer toujours.

(…)

De Paris, le de la lune de Gemmadi 1719.


Le second est un extrait du discours préliminaire du premier projet de Code civil, signé des quatre rédacteurs du code : Tronchet, Portalis, Maleville et Bigot de Préameneu, mais dont on sait que le rédacteur fut Portalis. Il a été prononcé devant Napoléon, qui n'était encore que Bonaparte, c'est à dire Premier Consul, le 1er pluviôse an IX (21 janvier 1801). D'août 1800 à janvier 1801, une commission composée de ces quatre juristes issus des deux traditions juridiques de la France, le droit romain au sud et le droit coutumier au nord, a rédigé un projet de Code regroupant des règles uniques valables pour tout le royaume pour tout ce qui concernait les citoyens : le mariage, la filiation, la nationalité, les successions, les contrats, la propriété… La Commission présente donc ce qu'on appellerait aujourd'hui son rapport, avant que le projet ne soit envoyé aux diverses cours de France pour avis (oui, à l'époque, on faisait rédiger les lois par des magistrats et des avocats, et on demandait leur avis aux juges sur la législation ; étonnez vous que ce code ait tenu 200 ans) avant d'entrer dans la phase de rédaction définitive par le Conseil d'État, en présence des quatre rédacteurs et sous la houlette du premier Consul, qui s'intéressera beaucoup à ce Code, qui s'appelle encore officiellement le Code Napoléon.


Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce.

Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites : qu’il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que sil est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même ; qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ; que l’histoire nous offre-à peine la promulgation de deux ou trois bonnes lois dans l’espace de plusieurs siècles.


L'année 2008 aura vu la promulgation de 1545 textes normatifs, loi ou décret.

vendredi 30 janvier 2009

LibéréS par une faute de frappe, le retour...

Par Gascogne


Si le législateur, tel l'éminent député Lefebvre, a pu en son temps s'offusquer de la libération d'un individu peu recommandable du fait d'une faute de frappe dans un arrêt de Cour d'Appel, je ne doute pas que dans les jours à venir, la faute de frappe du législateur qui est en train de conduire dans beaucoup de juridictions de France et de Navarre à la libération de tout un tas de personnes tout aussi peu recommandables, va conduire à des réactions de ces mêmes députés en recherche de responsabilité.

Je m'explique (si ça, c'est pas du teasing...).

La loi du 5 mars 2007 visant à "rééquilibrer la procédure pénale", suite immédiate des conclusions rendues par la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau, a instauré l'enregistrement obligatoire des auditions en garde à vue des personnes suspectées de crime. Ces dispositions ont été insérées dans un article 64-1 du CPP créé pour l'occasion :

Les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisés dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

Il s'agissait de ne filmer que les auditions criminelles car les crimes ne sont pas seulement les infractions les plus graves, ce sont aussi les moins nombreuses, ce qui permet de limiter en partie la lourdeur du dispositif.

Seulement, voilà : lorsque le législateur fait bien son travail, il "toilette" le reste du code, et corrige en tant que de besoin les autres articles, lorsqu'il existe un risque de contradiction entre les anciens articles et les nouveaux, ou encore lorsque les renvois nécessaires d'un article vers un autre doivent être indiqués.

Et lorsqu'il ne le fait pas, par oubli, ou par précipitation, les erreurs qui en découlent, purement matérielles pourtant, peuvent avoir des effets procéduraux catastrophiques.

En l'occurrence, la loi du 5 mars 2007 a omis de corriger un article pourtant fort peu éloigné de l'article 64-1, puisqu'il s'agit de l'article 67 du CPP, qui, très court, impose les règles suivantes :

Les dispositions des articles 54 à 66 sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement.

J'avais déjà eu l'occasion de contredire respectueusement le Maître des lieux sur la base de cet article (c'est ) concernant la possibilité de placement en garde à vue pour des infractions non punies d'emprisonnement, puisque l'article 67 renvoie vers les dispositions concernant la garde à vue.

Vous commencez à voir où est le problème ? Et bien, si l'article 64-1 parle de procédure criminelle, l'article 67, lui, indique que les dispositions contenues dans les articles 54 à 66 s'appliquent également aux délits flagrants. Ça n'était bien évidemment pas ce que le législateur de 2007 souhaitait, mais il aurait donc dû réécrire l'article 67, ce qu'il n'a pas fait.

Résultat des courses, la trainée de poudre est partie de la Cour d'Appel de Versailles pour se répandre à très grande vitesse, particulièrement dans deux matières : le droit des étrangers, et les comparutions immédiates, où les présentations découlent quasi-systématiquement de procédures flagrantes. Les avocats de la défense ont soulevé sur la base de l'article 67 que l'audition en garde à vue aurait dû être filmée, ce qui ne fut pas le cas puisque la loi de 2007 ne le prévoyait pas, et plusieurs Cours d'Appel ont suivi, ordonnant dés lors la libération immédiate des prévenus suite à l'annulation de la procédure.

D'autres, comme Lyon et Nîmes, ont statué en sens contraire, faisant prévaloir l'esprit de la loi sur sa lettre. On attend donc les décisions de la Cour de Cassation pour harmoniser le droit, décisions qui devraient intervenir assez rapidement, vu l'urgence.

Il y avait déjà eu il y a quelques temps des difficultés liées à la rédaction des textes sur les réductions de peine, qui avaient donné des sueurs froides au Ministère. Aujourd'hui, ce problème. Et demain ?

Pierre Truche avait pu dire que l'on ne saurait juger que la main tremblante. Il me semble qu'il faudrait légiférer de la même manière. Les empilements de textes, pris dans l'urgence et sans étude d'impact, ne peuvent que mener à d'autres catastrophes.

jeudi 29 janvier 2009

Merci de bien vouloir dire au parquet de faire appel de votre jugement

Je suis assez surpris du contenu d'une note du 22 janvier 2009 que le vice président du tribunal de grande instance de Paris (respect) vient d'adresser à ses collègues siégeant en correctionnelle. Je vous la livre tout de gob avant d'expliquer en quoi elle suscite une certaine réserve de ma part.


TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE
DE PARIS
Le premier vice-président
- - - -
Service pénal
CS/09/07
Paris, le 22 janvier 2009
Le Premier Vice-Président
chargé du service pénal

À

Mesdames et Messieurs les vice-présidents et juges
présidant des chambres correctionnelles


Le Procureur de la République a reçu pour consigne de faire appel de toutes les décisions pour lesquelles la peine plancher n'est pas prononcée lorsque les dispositions de la loi du 10 août 2007 sont applicables.

Le délai d'appel ne permettant pas au Procureur de la République d'avoir en cas de jugement rendu le jour même la décision motivée, il est important lors du prononcé de la peine de préciser s'il y a lieu, qu'il a été fait application des dérogations prévues par l'article 132-19-1 du CPP(sic), et de le mentionner sur le feuilleton d'audience.

En outre, le jugement doit impérativement contenir une motivation de ces dérogations.


Qu'est-ce qui me gêne dans ce courrier ?

Tout, sauf le dernier paragraphe, qui est juste un peu vexant pour ses collègues qui, depuis un an et demi qu'ils appliquent la loi sur les peines plancher, avaient sûrement remarqué qu'il fallait motiver la décision de ne pas les appliquer. Mais bon, rappeler la loi n'est jamais totalement inutile.

Car pour le reste, j'avoue que je tique.

Nous avons un magistrat du siège, un juge, donc, censé être impartial et indépendant, répondre favorablement à une requête du parquet, qui est partie, et partie demanderesse, à tous les dossiers que les chambres correctionnelles ont à juger. Premier problème, mais le plus léger. Je me demande simplement si le vice-président en charge du service pénal serait aussi réceptif aux demandes émanant de l'ordre des avocats.

Là où ça devient particulièrement problématique, c'est que par cette lettre complaisamment transmise, le parquet fait savoir qu'il fera systématiquement appel des jugements faisant application de l'article 132-19-1 du code pénal[1] (et non du CPP comme mentionné par erreur), disposition légale permettant au tribunal d'écarter l'application des peines planchers.

On peut prendre ça dans tous les sens, c'est une pression faite par une partie au procès sur le juge : si vous n'appliquez pas la peine plancher, je ferai appel. Automatiquement. C'est l'appel plancher.

C'est aussi une façon fort claire de dire au juge que bien que la loi lui permette d'écarter ces peines planchers, il a systématiquement tort de les écarter. Faut-il en déduire que le législateur a eu tort de prévoir cette possibilité ?

Donc le parquet fait pression sur les juges correctionnels, et le premier d'entre eux s'assure que tout les juges soient au courant.

Qu'il me soit permis de faire remarquer qu'à la place du vice-président chargé du service pénal, c'est au procureur que j'aurais écrit en lui faisant remarquer que l'exercice du droit d'appel et ses modalités ne regardaient que lui et ses substituts, et que le cela n'intéresse absolument pas le siège. Mais bon, c'est l'autre voie qui a été choisie.

Mais ce n'est pas tout.

La lettre demande en outre aux juges de faciliter le travail du parquet. Car le pauvre n'a que dix jours pour faire appel. Vous me direz que le prévenu aussi, mais lui a en général un avocat, alors que le parquet, jamais, ou alors un général.

Pour lui mâcher le travail, il faut bien marquer sur le feuilleton "application de l'article 132-19-1 CP" afin qu'il sache qu'il doit faire appel. Aux dernières nouvelles, il y a pourtant un procureur à l'audience qui note soigneusement toutes les décisions rendues, au besoin en demandant au tribunal de répéter. Ça ne demande pas un MBA pour voir qu'une peine plancher a été écartée : il suffit de savoir compter jusqu'à 5. Si un vol en réunion (peine encourue 5 ans) en récidive (peine encourue portée à 10 ans, plancher de deux ans) est punie d'un an de prison, un étant inférieur à deux, la peine plancher a été écartée, et le parquet sait qu'il doit faire appel. Le droit pénal n'est pas toujours bien compliqué. Faudra-t-il demander au président de sonner du cor en agitant un drapeau rouge, en plus ?

D'où la sensation que le but n'est pas exclusivement de faciliter le travail du parquet mais de s'assurer que le message de l'appel systématique est passé.

Et enfin, permettez-moi un peu d'ironie et de mauvaise foi.

Cette lettre révèle assurément une révolte des parquets contre le Garde des Sceaux, ce qui devrait alarmer la Chancellerie.

En effet, le Garde des Sceaux a déclaré devant la Conférence des Bâtonnier, je cite :

Toutes les réformes conduites depuis mai 2007 ont offert une place majeure aux droits de la défense.

Permettez-moi de prendre un premier exemple concret : la loi du 10 août 2007 sur la récidive.

Depuis son entrée en vigueur, cette loi a montré son utilité : plus de 10 000 condamnations à une peine plancher ont déjà été prononcées.

Ce dispositif laisse toute sa place à la défense : une fois sur deux, le juge écarte l'application de la peine minimale. C'est la preuve de l'efficacité de l'intervention de la défense.

Vous y lisez comme moi une approbation expresse de la part du Garde Sceaux du fait que l'application des peine planchers soit écartée une fois sur deux, ajoutant qu'elle y voit une illustration de sa politique visant à offrir une place majeure aux droits de la défense.

Dès lors, le fait que le parquet décide de faire systématiquement appel des décisions écartant les peines planchers ne peut que révéler une insubordination, que dis-je, une Jacquerie du parquet de Paris refusant la politique favorable aux droits de la défense du Garde des Sceaux. Je redoute donc que Jean-Claude Marin ne soit convoqué cette nuit par l'Inspection Général des Services Judiciaires pour rendre des comptes sur cette Haute Trahison.

Car je ne peux pas croire que des instructions émanant de la Chancellerie soient à l'origine de cette politique pénale. Je me refuse farouchement à croire que le Garde des Sceaux puisse vanter devant la Conférence des Bâtonniers l'application, disons modérée de sa loi sur les peines planchers et dans le même temps tout faire pour qu'elle soit plus durement appliquée.

On m'accuse de m'acharner contre elle, mais là, non : je ne puis un seul instant imaginer une telle duplicité de la part du Garde des Sceaux.

C'est donc forcément une mutinerie du parquet de Paris.

Soyez sans crainte, madame le Garde des Sceaux, je veillerai personnellement à ce que votre loi du 10 août 2007 soit le plus souvent possible écartée, dans le plus grand respect des droits de la défense et de l'indépendance des juges. Votre combat est le mien.

Notes

[1] Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

vendredi 23 janvier 2009

Un nouveau prix Busiris pour Rachida Dati

Le Garde des Sceaux a décidé de partir sur un feu d'artifice. À tel point que je la soupçonne d'avoir écrit spécialement en vue de cette récompense son discours tenu ce jour devant la Conférence des Bâtonniers, qui réunit tous les bâtonniers de France sauf celui de Paris, mais qui a son siège à Paris, ne cherchez pas à comprendre.Rachida Dati, étouffant de fierté face à son quatrième prix - Photo ministère de la justice

Voici le texte qui lui a valu cette récompense à l'unanimité des suffrages moins une voix, un des membres de l'académie Busiris s'étant évanoui de joie avant d'avoir pu exprimer son vote et les efforts pour le réanimer étant restés vains pour le moment. C'est du beau, du très beau Busiris.

Toutes les réformes conduites depuis mai 2007 ont offert une place majeure aux droits de la défense.

Bon déjà en soi ça méritait un prix, mais dans un louable effort de pédagogie, le Garde des Sceaux a voulu aller plus loin.

Permettez-moi de prendre un premier exemple concret : la loi du 10 août 2007 sur la récidive.

Oui, la loi sur les peines plancher est invoquée pour vanter son action en faveur des droits de la défense. Vous ne rêvez pas.

Depuis son entrée en vigueur, cette loi a montré son utilité : plus de 10 000 condamnations à une peine plancher ont déjà été prononcées.

Clin d'œil à un de ses précédents prix Busiris.

Ce dispositif laisse toute sa place à la défense : une fois sur deux, le juge écarte l'application de la peine minimale. C'est la preuve de l'efficacité de l'intervention de la défense.

Ou de l'inefficacité de la loi ? Mais bon, non bis in idem : le prix Busiris est déjà passé par là.

La mission de l'avocat est tout aussi fondamentale dans le cadre de l'application de la loi du 25 février 2008 sur la déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental. La mise en place d'une audience contradictoire et publique sur la question de la responsabilité pénale de l'auteur permet aux parties de s'exprimer par l'intermédiaire de leurs avocats. De même, le prononcé d'une mesure de surveillance de sûreté ou de rétention de sûreté suppose un débat contradictoire au cours duquel la personne sera obligatoirement assistée par un avocat.

Oui, mes chers confrères : les peines plancher, c'est-à-dire l'obligation de principe faite au juge de prononcer une peine minimale est un progrès des droits de la défense, car elle oblige les avocats à plaider pour l'écarter, alors qu'avant, dame ! Ils n'avaient pas à argumenter sur ce point là, au grand détriment des droits de la défense, donc. Première affirmation juridiquement aberrante.

Mais le jugement des fous aussi est un progrès des droits de la défense. Hé quoi ? Avant, on ne jugeait pas les fous, ils ne pouvaient donc pas se défendre ! C'est imparable comme démonstration, non ? Deuxième affirmation juridiquement aberrante.

Mais la rétention de sûreté, c'est-à-dire la possibilité d'enfermer au-delà de la fin de la peine quelqu'un à vie car il POURRAIT commettre un nouveau crime s'il sortait, hé bien c'est AUSSI un progrès des droits de la défense, car là encore, les criminels en fin de peine s'exposaient à une sortie de prison sans qu'un avocat ait à plaider. Désormais, ils auront droit à un avocat, mais ne seront plus sûrs de sortir. Magnifique avancée des droits de la défense.

Trois affirmations juridiquement aberrantes, en rafale. C'est un miracle qu'il n'y ait pas de morts. Et contradictoires en ce qu'elles tentent de faire passer les pires reculs des droits de la défense depuis la loi du 12 décembre 2005 comme des avancées.

Et circonstance aggravante, devant 180 bâtonniers en exercice. Qui sur le coup en sont restés scotchés, et muets comme des procureurs généraux.

Ai-je vraiment besoin de caractériser la mauvaise foi, et l'opportunité politique primant sur le respect du droit de ces propos ?

Ah, je crois qu'elle me manquera. Un peu comme Bush.


Mon dieu, mais c'est une mine d'or, ce discours : quelques lignes plus bas, on lit ;

Notre code de procédure pénale a été modifié une vingtaine de fois en 20 ans et a incontestablement perdu son unité. Notre société a évolué, nos règles doivent désormais évoluer aussi.

Comme dit Fantômette : Ça suffit les réformes, il faut réformer cela.

De l'enquête préliminaire et des droits de la défense, un cas pratique

J'ai écouté avec intérêt ce matin l'interview de Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, au micro de Jean-Michel Aphatie sur RTL.

Évacuons rapidement les attaques personnelles. Jean-Michel Aphatie est un journaliste qui semble agacer beaucoup de monde. Moi, j'aime bien son style mordant, ironique quand son interlocuteur fait dans les circonvolutions, qui n'a pas les idées dans ses poches. Je préfère ça au style ronflant de trop d'intervieweurs. Il se prête en outre depuis longtemps à l'exercice du blog avec un certain talent. Il se trompe parfois ? Peu importe. Je le lui reprocherai vertement le jour où j'aurai moi-même atteint la perfection.

Bref, tout ça pour dire que je n'ai aucune animosité personnelle envers lui et même plutôt de la sympathie, et que l'éventuelle mauvaise opinion que vous pourriez avoir de ses prestations n'est pas le sujet du billet, que j'espère plus intéressant.

Mais ce matin, il a eu une prise de position qui m'a fait bondir (c'est à 1'34"), et qu'il reprend dans son billet du jour .

En substance, il relève que l'enquête dont fait l'objet Julien Dray est une enquête préliminaire, c'est-à-dire menée sous l'autorité du parquet, secrètement (en principe), et non contradictoirement. Retenez bien ces deux critères, j'y reviendrai : secrètement (nul n'a accès au dossier hormis les lecteurs de l'Est Républicain) et non contradictoire (le dossier est la chose du parquet, nulle personne extérieure n'a le droit d'y accéder). Et il s'en réjouit : l'enquête préliminaire exclut l'intervention des avocats, réputés « transmettre à la presse des éléments d'un dossier ». Même le procureur Marin se sent obligé de voler au secours de la vérité en rappelant que les avocats sont libres de parler d'un dossier en cours s'ils l'estiment nécessaires à la défense de leur client (à 2'30"), ce qui ne veut pas dire divulguer des éléments de ce dossier en violation du secret professionnel, la cour de cassation l'a rappelé récemment.

Le journaliste s'émeut donc de cette fuite, avant de s'émouvoir derechef que Julien Dray, un mois après avoir subi une perquisition à son domicile (je dis subi même s'il a dû donner son accord : un homme politique ne peut se permettre dans des circonstances de ce genre de refuser une perquisition), n'a toujours pas été entendu pour s'expliquer.

Sur son blog, il reprend son argument :

En soi, la démarche paraît juste. Une enquête préliminaire présente le double avantage pour le justiciable d’une rapidité relative et d’une confidentialité presque certaine puisque les avocats n’ont pas accès au dossier, ce qui limite considérablement le risque de fuite.

Je pourrais en rire, me mettre en colère, mais non, là, c'est l'abattement qui me saisit. Lire ça émanant d'une personnalité que j'estime et qui est l'opposé d'un imbécile me fait réaliser à quel point la défense est encore considérée comme importune et intruse en France.

Car tout de même : accuser les avocats d'être responsables des fuites avant de constater qu'il y a des fuites même quand il n'y a pas d'avocats, ça suscite un peu réflexion, non ? Surtout quand ce constat aussitôt battu en brèche, qui ressemble donc à une idée reçue, sert à justifier et approuver l'absence des avocats.

Pourquoi voudrais-je voir des avocats partout, hormis par corporatisme et pour augmenter mon chiffre d'affaire ?

On dit actuellement beaucoup de mal du juge d'instruction. La diatribe de Jean-Louis Bourlanges dans l'Esprit Public de dimanche dernier sur France Culture restera en la matière une référence. Le reproche principal qui leur est fait est qu'ils seraient le symbole de la procédure inquisitoire, voire « inquisitoriale » quand on connaît mal son sujet comme Max Gallo. Elle a des défauts, c'est certain, et je ne l'aime guère.

Mais sachons de quoi on parle : qu'est-ce qui définit, profondément la procédure inquisitoire, par rapport à l'accusatoire ?

Quatre éléments.

C'est une enquête (c'est l'origine latine du mot inquisition : l'autorité recherche la preuve, elle ne l'attend pas des parties), elle est écrite, elle est secrète, elle est non contradictoire (celui qui en fait l'objet n'y prend aucune part active). C'est la procédure inquisitoriale inventée par Innocent III pour lutter contre la Simonie, et étendue à la lutte contre les hérésies .

Telle était exactement l'instruction tout au long du XIXe siècle, jusqu'en 1897. L'inculpé était seul face au juge d'instruction, sans avocat, n'avait pas accès au dossier, tout ce que le juge faisait donnait lieu à inscription dans le cahier de l'instruction (ou aucun interligne n'était admis—art. 78 du code d'instruction criminelle ancien—, je vous laisse imaginer le plaisir de la lecture).

Et sous le code d'instruction criminelle, la police et le parquet n'avaient aucun pouvoir d'enquête propre : le juge d'instruction était le passage obligé.

En 1897, on ouvre la porte des cabinets d'instructions aux avocats. Mais ils doivent rester taisants. Ils n'ont pas le droit de prononcer un mot ou de demander quoi que ce soit. Ce ne sera le cas qu'en 1993, vous voyez la vitesse de progression des droits de la défense.

Les avocats, même cois, étant des gêneurs, on va trouver un moyen de les éviter le plus longtemps possible. Les juges d'instruction vont retarder au maximum les inculpations, et vont déléguer énormément à la police par commission rogatoire : ces actes d'enquête ne sont pas versés au dossier avant que la commission ne soit « rentrée » c'est à dire que tous les actes aient été accomplis. L'enquête a lieu dans le dos des avocats des mois durant. Une sous-traitance de l'instruction, en quelque sorte, qui est devenue institutionnelle car les juges d'instructions seraient aujourd'hui incapables de faire eux-même ces actes, en raison de leur surcharge de travail.

La police devenant de fait en charge des enquêtes, le parquet va prendre l'habitude de leur demander de faire de telles enquêtes pour lui. C'est une pure pratique validée par la loi quand en 1958 le code de procédure pénale remplacera le code d'instruction criminelle, sous le nom d'enquête préliminaire.

Admirez le tour de passe-passe : on a fait entrer les avocats dans le cabinet du juge d'instruction, et pour leur faire de la place, on en a fait sortir l'enquête.

Et l'enquête préliminaire va connaître un succès croissant, au point de représenter 95 à 96% des affaires pénales. Dame ! Les avocats n'ont pas droit de cité dans les commissariats, sauf depuis peu, une petite demi-heure au début (à la 21e heure avant 2000), et encore, pour les dossiers de terrorisme, de stupéfiant ou de délinquance organisée, on les tient éloignés plusieurs jours. Et de toutes façons, aucun accès au dossier. Quand je vous dis qu'on est des gêneurs.

Les policiers enquêtent donc tranquillement, secrètement, et transmettent leurs constations sous forme de procès verbaux.

Ça y est ? Vous avez compris ?

Enquête écrite, secrète et non contradictoire, ça vous rappelle quelque chose ?

L'instruction n'a plus grand chose d'inquisitoire, si ce n'est le pouvoir d'initiative du juge qui en reste le principal moteur : « Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.» (art. 81 du CPP). Tous ses actes sont immédiatement versés au dossier, qui est tenu à la disposition des avocats, qui peuvent en faire appel, en demander certains auquel le juge n'aurait pas procédé de lui même, demander à la chambre de l'instruction d'en annuler d'autre ou de passer outre un de ses refus. Le secret perdure pour le public, mais il n'est pas opposable à l'avocat, et l'instruction est contradictoire de ce point de vue (encore plus depuis la loi du 5 mars 2007 qui a rendu la phase finale, le règlement, contradictoire).

En fait, l'inquisitoire pur existe encore : au stade de l'enquête préliminaire. Personne n'a accès au dossier hormis le parquet, pas même les avocats quand bien même on sait pertinemment qui est soupçonné. Secret, écrit, pas de contradictoire.

Depuis un siècle, les défauts du système inquisitoire ont conduit à un recul perpétuel, lent, mais continu. Mais parallèlement à ce recul, l'État qui n'aime pas être moins fort face à ses sujets citoyens, a repris d'une main ce qu'il donnait de l'autre.

Pour en revenir aux propos de Jean-Michel Aphatie, loin de se réjouir pour Julien Dray qu'il ne fasse l'objet que d'une enquête préliminaire, il devrait s'en scandaliser, et être rouge de colère comme il sait l'être contre les juges pas aimables.

Car si une instruction était ouverte, et que Julien Dray était mis en examen, il pourrait demander à être entendu, et même forcer le juge à l'entendre s'il refusait en faisant appel de ce refus, et mieux : assisté d'un avocat qui aurait eu préalablement accès au dossier.

Et le risque de fuite à cause des avocats ? En négligeant un instant le fait quand même intéressant que la fuite a eu lieu sans qu'un avocat approche le dossier à moins d'un kilomètre, qui ferait fuiter des éléments accablants comme le rapport de TRACFIN ? L'avocat de Julien Dray ? Car ce serait le seul dans ce dossier, personne n'ayant porté plainte ou se prétendant victime. La FIDL ou SOS-RACISME pourraient le faire, mais on doute qu'ils veuillent le moindre mal à Julien Dray qui est leur interlocuteur privilégié au Parti Socialiste, dont ces associations sont les incubateurs.

L'enquête préliminaire est en l'espèce un scandale : c'est une enquête secrète, même et surtout à l'égard du principal intéressé, laissant Julien Dray dans l'impuissance et l'impossibilité de se défendre, menée souverainement par le parquet, hiérarchiquement soumis… au Gouvernement, qui n'est pas réputé être des amis de Julien Dray. Côté fuite, cette source aussi a été oubliée par Jean-Michel Aphatie. Car les dossiers sensibles (on dit “signalés”) sont suivis de près par la Chancellerie. Si le Garde des Sceaux le souhaite, il aura sur son bureau, dans l'heure, copie de tous les PV de la procédure. Légalement. Et au fait TRACFIN, c'est quoi ? Ne serait-ce pas un service du ministère de l'économie et des finances ?

Pauvre Procureur Marin ! Le voilà obligé d'acquiescer à l'accusation de fuite visant ses services prononcée par Jean-Michel Aphatie, l'autre branche de l'alternative étant d'accuser le Gouvernement auquel il est hiérarchiquement soumis et qui sa tient sa carrière entre ses mains (les procureurs hors hiérarchie comme M. Marin sont nommés en Conseil des ministres, comme les préfets et les PDG de France Télévision).

Et on est confondu de la naïveté de Jean-Michel Aphatie, qui écrit :

Ce qu’il faudrait chercher, ce sont les personnes, au Palais de justice, qui ont confié ces divers éléments à la presse. Une enquête est ouverte, a assuré Jean-Claude Marin, ce matin, au micro de RTL. Personnellement, je doute qu’elle aboutisse.

Moi aussi, si elles se cantonnent à l'île de la Cité. Place Vendôme, ou Bercy, sont des meilleures pistes.

Mais elle n'est rien à côté de la candeur de tous ceux qui actuellement applaudissent la mort de l'inquisitoire avec la suppression du juge d'instruction, alors que cette suppression risque fort d'être le triomphe de l'inquisitoire le plus orthodoxe.

mardi 20 janvier 2009

La Justice, vue de l'intérieur

À voir absolument d'ici la fin de la semaine : le reportage que Capital a consacré, sur M6, à la justice. Un état des lieux impitoyable, et qui évite la facilité qui consisterait à imputer ce fonctionnement lamentable aux magistrats. Ce reportage rend bien compte de ce que je constate tous les jours, encore que Paris soit relativement chouchouté par rapport à la périphérie.

Voyez comment ils travaillent, voyez pourquoi je peste sans cesse sur le manque de moyens de la justice, et voyez pourquoi les années à venir ne sont pas rassurantes.

C'est votre justice, chers concitoyens. Au XXIe siècle. C'est le seul moyen légal de faire trancher vos différends, d'obtenir par la force le respect de vos droits ou la réparation des torts que vous avez subis. Ou qui peut un jour décider de vous envoyer jusqu'à dix ans en prison sur la base d'une enquête de personnalité bâclée et avec une défense qui aura eu moins d'une heure pour préparer le dossier. Voilà tout ce que l'État consent, et encore à contrecœur, à vous consacrer à cette fin.

Par effet de contraste, vous pourrez regarder avec profit comment les deux autres pouvoirs sont traités, ou plus exactement se traitent eux-même, avec le premier reportage sur les finances de l'exécutif, et le troisième sur une des assemblées parlementaires. Notons au passage que le ministre de la justice a obtenu une rallonge de ses frais de représentations (réceptions et buffets) qui incluent ses frais de maquillage ; mais il est vrai qu'elle, c'est l'exécutif.

Le sens des priorités, ça s'appelle.

Le reportage sur la justice commence à la 34e minute (et vingt secondes).

lundi 19 janvier 2009

Pourquoi appelle-t-on la police aux frontières la PAF ?

La réponse est au journal officiel (je graisse ; mes commentaires sont insérés en rouge).

JORF n°0015 du 18 janvier 2009 page texte n° 33

Rapport spécial de la Commission nationale de déontologie de la sécurité


Le 10 avril 2006, M. Gérard Bapt, député de la Haute-Garonne, a communiqué à la commission un courrier de M. P.D. faisant état de violences policières commises en sa présence sur la personne d'un homme menotté et allongé à terre, le 15 mars 2006, à l'entrée du couloir d'embarquement de l'aéroport de Toulouse-Blagnac.


La loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création de la commission fixe sa compétence, ses obligations et ses pouvoirs. Après enquête sur les faits et conformément à l'article 7, alinéa 1, de cette loi, la commission a adressé ses avis et recommandations au ministre de l'intérieur et au garde des sceaux, le 8 octobre 2007, en leur demandant, en application du même article, de bien vouloir lui faire connaître la suite donnée à ceux-ci, dans un délai de deux mois. L'intégralité de cet avis, qui porte le numéro 2006-29, et des réponses qu'il a suscitées, est consultable sur le site web http://www.cnds.fr.


Après avoir pris connaissance de la réponse du garde des sceaux, datée du 1er avril 2008 (la chancellerie a le sens de l'humour) et de celles du ministre de l'intérieur, en date des 7 janvier et 4 décembre 2008, les membres de la commission, réunis en séance plénière le 15 décembre 2008, ont estimé que leurs propositions n'avaient pas été suivies d'effet. Ils ont donc décidé qu'un rapport spécial sur cette affaire serait adressé au Journal officiel pour publication, conformément à l'article 7, alinéa 3, de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000.


Tel est l'objet du présent rapport qui, après un bref rappel de la teneur du témoignage de M. P.D. et des constatations de la commission, reprendra ses recommandations, en soulignant celles qui n'ont pas, à son avis, été effectivement prises en compte.


I. - Le témoignage de M. P.D. et les constatations de la commission :


Le 15 mars 2006, alors qu'il se trouve dans le hall 2 de l'aéroport de Toulouse-Blagnac pour prendre un avion à destination de Paris, précisément à 7 h 17, heure affichée à cet instant par l'horloge, l'attention de M. P.D. est appelée par « des cris intenses exprimant une douleur profonde ».


Contournant l'escalier pour observer la scène, il constate la présence d'un « homme à terre, immobile, (...) en souffrance, (...) qui n'oppose aucune résistance ». Dans le même laps de temps, il voit « un policier (...) donner des coups de pied espacés à l'homme au sol », coups qui l'atteignent à l'abdomen. Selon lui, « l'individu ne se défend pas (...). Entravé les mains dans le dos, il n'a pas la possibilité de se protéger ». La scène dure trois minutes, jusqu'à ce qu'un attroupement se forme et que les policiers cessent de frapper. Indigné de voir des agents publics se comporter de cette manière, il en informe le parlementaire susdésigné pour lui permettre de saisir la commission.


L'article 5 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 l'astreignant à « recueillir sur les faits portés à sa connaissance toute information utile », la commission, après avoir interrogé le témoin, convoque, le 5 décembre 2006, les deux fonctionnaires de police susceptibles d'être mis en cause pour connaître leur version des faits et assurer ainsi le plein respect de la contradiction. Ceux-ci refusent d'être entendus, confortés dans leur position par les propos du directeur départemental de la police aux frontières de la Haute-Garonne, qui les assiste. Ils prétendent que les faits soumis à la commission ont été définitivement jugés, le 19 juillet 2006, lorsque la cour d'appel de Toulouse a condamné le ressortissant turc F.A. pour refus de se soumettre à une mesure d'éloignement et violences à agents de la force publique. Ils lui opposent donc les dispositions de l'article 8 de la loi du 6 juin 2000, qui interdit à la commission de remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle.


Je résume : les policiers disent à la commission : « nous refusons de répondre à vos questions, la victime des violences ayant été condamnée pour refus d'embarquer et nos actes de violences gestes techniques strictement proportionnés s'inscrivaient dans ce cadre ». Le directeur départemental de la PAF les appuie en ce sens. C'est important, car la suite du rapport va prouver que c'est faux. Mais non contents de présenter une défense fallacieuse, les fonctionnaires vont plus loin :


Deux jours plus tard, ces mêmes fonctionnaires portent plainte en dénonciation calomnieuse contre M. P.D., cette plainte étant directement transmise au procureur de la République compétent par leur supérieur hiérarchique. M. P.D. maintient son témoignage, par « exigence morale », précise-t-il, et ce malgré les pressions morales dont il fait l'objet, de la part des gendarmes enquêteurs, pour qu'il revienne sur ses déclarations ou les édulcore. Il confirme notamment que, s'il n'a pas vu l'intégralité de la scène, le peu qu'il en a vu l'a « choqué profondément ».


L'exigence morale n'a pas de prix.


Heu… En fait, grâce au parquet, si :


A réception de l'enquête, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulouse lui propose un classement sans suite de la plainte des policiers sous condition de rédaction d'une lettre d'excuses et du versement d'une somme d'argent à chacun des fonctionnaires, proposition qu'il accepte, après réflexion et concertation avec son avocat.


Je vous rappelle qu'on veut supprimer le juge d'instruction pour confier toutes les enquêtes au parquet, au prétexte que le juge d'instruction ne peut pas être enquêteur et impartial. Je suppose qu'on n'aura pas cette exigence à l'égard du parquet…


Analysant dans le détail les déclarations du témoin et celles des fonctionnaires de police consignées dans la procédure de refus d'embarquement immédiatement après les faits, la commission constate que les violences dénoncées par le témoin n'ont pas été soumises à la juridiction correctionnelle parce qu'elles n'ont ni la même localisation géographique, ni le même cadre temporel, ni la même gestuelle que les violences sanctionnées par la cour d'appel : elles sont en effet survenues plusieurs minutes après le refus d'embarquement, dans le hall 2 et non pas, comme l'indiquent les policiers, en bas ou sur la passerelle d'embarquement, à proximité de la porte de l'avion.


Je traduis : les violences ont eu lieu largement après le refus d'embarquer, qui a fait l'objet d'un jugement correctionnel. Bref, ce n'était pas l'usage de la force nécessaire pour passer outre le refus illégal de l'intéressé, ou nécessaire pour le maîtriser. Il s'agissait bien selon la CNDS d'un passage à tabac pour lui apprendre à faire perdre des miles aux fonctionnaires de la PAF :


Elles ont atteint un homme menotté dans le dos et couché à terre, n'opposant aucune résistance, et ne peuvent donc être confondues avec les gestes techniques de maîtrise d'un homme donnant des coups de pieds et griffant les policiers qui sont évoqués par les fonctionnaires dans la procédure initiale.


La commission observe également que les violences décrites par le témoin sont en tous points compatibles avec les traces de coups constatées au niveau des côtes inférieures gauches et du tiers inférieur de l'avant-bras gauche de F.A., lors des examens cliniques réalisés sur sa personne le jour des faits par le département des urgences de l'hôpital Purpan.


Elle en conclut que, quel que soit le degré de violence dont a fait preuve cet étranger au moment du refus d'embarquement, les coups portés par un représentant de la force publique sur un homme à terre, entravé et immobile, ainsi que la passivité de l'autre policier présent, sont contraires aux articles 7 et 10 du code de déontologie de la police nationale, qui leur enjoignent un respect absolu des personnes appréhendées, placées sous leur responsabilité et leur protection.


Bref, ces fonctionnaires ont commis des violences sur un homme sans défense, qui sont illégales, sont un délit et passibles de sanctions disciplinaires. Et l'homme qui a dénoncé ces violences a dû faire une lettre d'excuse accompagnée d'un chèque à ces fonctionnaires.


Heureusement, maintenant que la lumière est faite, la justice va passer.


Comment ça, non ?

II. ― Les recommandations de la commission et leurs suites :


La commission a transmis son avis au ministre de l'intérieur, en vue de l'engagement de poursuites disciplinaires. Elle a également exprimé le souhait que soient fermement rappelés aux fonctionnaires concernés les missions de la commission, ses obligations légales et ses pouvoirs, ainsi que la prohibition absolue faite aux titulaires de la force légale de tout acte de violence commis sans nécessité sur une personne menottée.


Préoccupée par les conséquences que fait peser, sur son propre fonctionnement comme sur la sincérité des déclarations recueillies, la pression susceptible d'être exercée sur les plaignants ou témoins désirant s'adresser à la commission par le biais d'une plainte en dénonciation calomnieuse déposée immédiatement après une convocation des fonctionnaires mis en cause et traitée par les parquets sans attendre ses propres conclusions, la commission a en outre adressé son avis au garde des sceaux, lui demandant plus précisément, dans une lettre de rappel datée du 29 janvier 2008, d'inviter les parquets à privilégier la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Paris et à différer les poursuites de ce chef jusqu'à la communication des conclusions de la commission sur les faits dénoncés.


Je résume : Bonjour madame le ministre, est-ce que vous pourriez inviter vos choses les parquets à éviter de traiter les plaintes en dénonciations calomnieuses portées par des policiers, le temps qu'on fasse notre travail et qu'on vérifie les faits, pour éviter de voir un témoin de vraies violences forcé à faire des excuses et un chèque sous la menace de 5 ans d'emprisonnement, ou à tout le moins qu'on les confie au tribunal de Paris, pour délocaliser le dossier ?


La réponse du garde des sceaux est d'un cynisme exemplaire :


Dans sa réponse, le ministre de la justice a estimé que la proposition de traitement unifié et coordonné de ce type de plaintes à Paris n'était pas souhaitable, au motif qu'elles « nécessitent non seulement l'audition de l'ensemble des protagonistes mais également, si nécessaire, des transports sur les lieux ». Il a ajouté que « la qualité de l'enquête dépend étroitement des échanges nourris entre les officiers de police judiciaire et le procureur de la République de leur ressort, naturel directeur d'enquête ».


« Vous n'y pensez pas ? Cela gâcherait les excellentes relations entre le parquet et la police.»


La commission réfute les deux arguments, observant que les transports sur les lieux sont exceptionnels, sauf en matière criminelle, et que la qualité principale d'une enquête dépend plus étroitement encore de l'impartialité objective et subjective de ceux qui la mènent, impartialité qu'assure, y compris au niveau des apparences, le traitement à distance des procédures susceptibles de mettre en jeu la responsabilité pénale de fonctionnaires locaux.


Il y a mieux : le garde des sceaux ajoute que traiter ainsi ces plaintes assure à la commission de ne pas être saisie de plaintes fallacieuses, alors même que le dossier en question démontre que la plainte n'était pas fallacieuse mais a été traitée comme telle par le parquet :


Sur le second point, le garde des sceaux, arguant de la permission de la loi, a refusé de demander aux parquets de différer l'action du ministère public, qui ne « remet nullement en cause le fonctionnement de l'autorité administrative indépendante qu'est la CNDS » et constitue même « une garantie pour la commission (...) de ne pas être saisie pour des raisons fallacieuses ».


J'ajoute que la loi impose le filtrage d'un parlementaire pour saisir la commission. Là, la commission est vexée :


La commission, dont les rapports annuels témoignent, depuis sa création, qu'elle n'a nullement besoin d'une aide extérieure pour départager les réclamations infondées et celles qui ne le sont pas, considère au contraire que, si les dispositions du code pénal permettent aujourd'hui à l'autorité judiciaire de poursuivre et de sanctionner le délit de dénonciation calomnieuse sans attendre son avis sur la véracité des faits dénoncés, sa proposition, qui n'est pas contraire à la loi, favorise une complète information de l'autorité judiciaire, garantie de bonne justice.

De son côté, le ministre de l'intérieur a répondu aux recommandations de la commission en lui indiquant saisir l'inspection générale de la police nationale pour vérifier, à titre préalable, si les faits dénoncés avaient été « examinés par l'autorité judiciaire » et, dans la négative, pour déterminer « si des suites disciplinaires doivent y être réservées ».


Consulté sur le premier point, le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a confirmé en tous points l'analyse de la commission, les juges du refus d'embarquement n'ayant pas été saisis des faits de violences policières et la médiation proposée par le procureur de la République de Toulouse ne pouvant constituer une décision juridictionnelle.


Donc, il est établi que les violences n'étaient pas couvertes par l'autorité de la chose jugée et étaient illégales, et que les fonctionnaires ont menti à la commission avec la bénédicition de la hiérarchie pour ne pas avoir à répondre à ses convocations. Le ministère de l'intérieur va donc sévir.


Comment ça, non ?


Sur le second point et après avoir pris connaissance de l'enquête de l'IGPN réalisée à sa demande, le ministre de l'intérieur a informé la commission qu'aucun élément ne permettait « d'imputer de faute professionnelle ou déontologique aux policiers mis en cause » qui, « confrontés à la résistance de M. F.A.., (...) ont dû user de la force strictement nécessaire pour le maîtriser ».


Hé oui : pour se faire comprendre du ministre de l'intérieur, il faut d'adresser à lui avec des marionnettes, sinon, y comprend pô. La commission en remet donc une couche :


Tout en maintenant son analyse des faits, solidement adossée au témoignage d'un tiers étranger à la scène décrite et aux constatations médicales, la commission observe que l'exercice des poursuites disciplinaires relève exclusivement des pouvoirs de l'autorité ministérielle et de sa responsabilité propre.


Bon d'accord, dit la commission, l'exerce de poursuites disciplinaire relève du seul ministre, la commission ne peut rien faire, c'est légal de la part du ministre de ne pas engager de poursuites. Mais on pourrait au moins leur dire que ce qu'ils ont fait, c'est pas bien ?


Non, même pas :


Elle déplore cependant que sa demande de rappel des principes légaux qui gouvernent ses missions, ses obligations et ses pouvoirs n'ait pas été suivie d'effet et n'ait pas même donné lieu à des observations écrites adressées aux deux fonctionnaires mis en cause et à leur supérieur hiérarchique, alors qu'ils ont tenté, à plusieurs reprises et par différents procédés, de faire obstacle à l'exercice des missions de la commission et de donner une interprétation fallacieuse des dispositions de la loi portant création de cette autorité administrative indépendante.


La commission déplore également qu'aucune réponse n'ait été apportée à sa demande de rappel solennel aux agents de la force publique de la prohibition absolue de tout traitement inhumain ou dégradant.


Cette absence délibérée de prise en compte de ses recommandations justifie la publication du présent rapport au Journal officiel.


Et sur mon blog.


Merci à Romanis de m'avoir signalé l'info.

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