Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Commensaux

Billets écrits par d'autres personnes que l'hôte de ces lieux.

Fil des billets - Fil des commentaires

samedi 28 mars 2009

432-13

Non, ce n'est pas le résultat d'un match Angleterre-France...

Lire la suite...

jeudi 12 mars 2009

Défense de rupture

Par Gascogne


Ainsi donc, Yvan Colonna a décidé, en accord avec ses avocats, je n'en doute pas une seule seconde, de ne plus comparaître à son procès et de "renvoyer" ses défenseurs, sans doute à mieux se pourvoir. Le président d'audience, en application de l'article 317 du CPP, a commis d'office ces mêmes avocats, comme l'y autorise la jurisprudence de la Cour de Cassation[1], et ceux-ci ont bien entendu refusé de faire droit à cette réquisition, les rendant théoriquement passibles de poursuites disciplinaires, le constat d'huissier établi semblant d'ailleurs avoir cette utilité...

Le motif en est que la Cour a eu l'outrecuidance de refuser à l'accusé une mesure d'instruction complémentaire, à savoir la reconstitution des faits qui lui sont reprochés (si tant est que l'on puisse reconstituer des faits avec quelqu'un qui ne les reconnaît pas...).

Ce caprice était d'autant plus prévisible que c'est une défense de rupture qui a été choisie par Yvan Colonna dés le premier jour du procès, mélangeant aggressions et insultes, notamment envers le président d'audience, qui ne peut réagir sous peine de s'entendre encore plus accusé de partialité. Et ce dans le plus grand silence de la place Vendôme, qui ne souhaite pas intervenir avant la fin du procès "pour ne pas que cette intervention se retourne contre le corps judiciaire" (je vous assure que je n'invente rien).

Il est d'autant moins excusable que dans une société démocratique, et je n'ai aucun doute sur le fait que la notre en soit encore une, le refus d'une décision judiciaire se conteste par les voies de recours, et par elles seules.

En l'occurrence, il est tout de même étonnant de jouer les vierges effarouchées alors que, outre le fait que sa fuite n'a pas facilité l'instruction préparatoire du dossier, au sein de laquelle les mesures de reconstitution prennent généralement toute leur place, l'accusé avait lui même refusé de participer à cette mesure d'instruction prononcée lors de son premier procès, ce qui avait contraint la Cour d'Assises de l'époque à se transporter en Corse, à grands frais sans bénéficier de la participation du client des demandeurs...

Autres temps, autres moeurs, me direz vous, et vous aurez bien raison. A ceci près que les éléments nouveaux manquent quelque peu pour expliquer le changement d'avis de l'accusé. Les molles dénégations des condamnés définitifs, qui ne risquent dés lors plus rien à changer leurs versions, ne peuvent être mises en avant, puisque ces revirements ont déjà eu lieu en première instance. De plus, la demande de reconstitution avait déjà été présentée une semaine auparavant, et rejetée par la Cour. Il ne s'agit donc que d'un prétexte de plus pour se faire passer pour le martyr qu'il me semble très loin d'être.

La défense répliquera sans doute qu'elle n'a pas le choix face à la partialité du président d'audience. Ce serait un pieux mensonge. Les procédures de récusation existent. Les donner actes aussi. Et s'il s'avérait que la partialité d'un juge n'est pas le fruit de la seule imagination de l'accusé, la Cour de Cassation en tirerait toutes les conséquences.

Lorsque l'on n'a que peu à dire sur le fond, on attaque la forme. Lorsque la forme est difficile à combattre, on donne dans la rupture et le procès médiatique. Lorsque l'on fait en sorte, en toute connaissance de cause, qu'un procès ne puisse se dérouler dans la sérénité, c'est que l'on rejette les règles de fonctionnement d'une justice démocratique. Peut-être est-ce finalement cela le but ultime des quelques nationalistes exacerbés qui applaudissent dans la salle, voire qui hurlent sur les bancs de la défense, peu important le sort final de l'accusé qui ne sera qu'un pion dans un débat politique.

Et quand je pense que cela donne à nouveau des idées de réformes au plus haut lieu, vous comprendrez le regard désabusé que je porte sur ce procès qui n'a pourtant rien d'extraordinaire, si ce n'était qu'il s'agit tout de même de la mort d'un homme dont on parle finalement bien peu...

Notes

[1] Crim. 19/02/86, 23/11/94

mardi 10 mars 2009

Service commandé

Le comité de réflexion sur la justice pénale, dit comité Léger, vient de déposer entre les mains du Garde des Sceaux un rapport d'étape, dont le Monde propose la lecture en son intégralité. Lecture qui s'avère extrêmement instructive. Pas de coup de théâtre, certes: si le comité propose la suppression du juge d'instruction, rappelons que dans son désormais célèbre discours du 7 janvier dernier, le Président de la République avait montré aux éminents membres de ce comité la direction à suivre, si jamais ils ne l'avaient pas trouvée tout seuls. L'intérêt de ce rapport d'étape est d'énoncer quelques propositions pour mettre en musique cette possible réforme, propositions qui seront sans nul doute vivement débattues. Quelques commentaires à chaud.

A titre liminaire, qu'il me soit permis de regretter le pieux silence observé dans ce rapport quant à la démission de deux des membres de ce comité, suite justement au discours du Président de la République, ces deux personnalités ayant considéré qu'elles n'étaient pas là pour inaugurer les chrysanthèmes. En clair, que ce n'était la peine de mettre en place une commission chargée de discuter des orientations fondamentales de notre système pénal si celles-ci étaient déjà décidées en haut lieu.

Je ne sais pas ce que les autres praticiens du droit en penseront, mais l'entrée en matière de ce rapport d'étape témoigne d'une méconnaissance pour le moins inquiétante de la matière: j'apprends ainsi, un peu coite, que l'instruction "n'améliore ni l'efficacité de l'enquête ni la protection des droits fondamentaux des mis en cause et des victimes".

Merci, ça fait toujours plaisir d'apprendre que l'on ne sert à rien.

Je suggère vivement aux membres du comité Léger une petite visite dans les services d'audiencement des juridictions, pour consulter à la fois des dossiers d'instruction et des dossiers faisant suite à des enquêtes de flagrance et de préliminaire. Et pour comprendre pour quelles raisons, dans ce dernier cas, il arrive que des avocats, lors de l'audience, expriment le regret que l'affaire n'ait pas fait l'objet d'une information judiciaire.

Par ailleurs, énoncer que l'instruction n'assure pas la protection des droits fondamentaux des victimes et des mis en cause n'est pas seulement une inexactitude, mais une contre-vérité.

Lors des interrogatoires chez le juge d'instruction, le mis en examen peut être assisté par un avocat. Lequel a accès à la procédure. Lequel peut formuler des demandes d'acte. Lors de ses auditions par le juge d'instruction, la partie civile peut être assistée par un avocat. Lequel a accès à la procédure. Lequel peut formuler des demandes d'actes.

Dans le cadre des enquêtes de flagrance et de préliminaire, les victimes et les mis en cause ont le droit... et bien, pas à grand chose en fait. Le gardé à vue peut s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure de garde à vue et en cas de prolongation. Cet avocat n'a pas accès à la procédure. Si l'officier de police judiciaire décide d'organiser une confrontation entre le mis en cause et la victime ce qui est fréquent, y compris dans des affaires graves comme les agressions sexuelles, il n'y a pas d'avocats présents. Les avocats ont accès à la procédure quand leurs clients sont convoqués devant le tribunal correctionnel et pas avant.

Bref, les droits des parties sont considérablement plus étendus dans le cadre d'une procédure d'instruction que dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire.

Ceci étant dit, comment le comité Léger envisage-t-il le système procédural français, une fois le juge d'instruction passé par pertes et profits?

Et bien, avec un Parquet menant des investigations "à charge et à décharge".

Là, j'avoue que la subtilité du raisonnement suivi par le comité Léger m'échappe un peu: selon lui, ce que le juge d'instruction, magistrat du siège indépendant et inamovible, ne peut pas faire, à savoir instruire à charge et à décharge, le magistrat du parquet, qui s'inscrit pourtant dans une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve le Garde des Sceaux, laquelle s'est benoîtement définie en "chef des procureurs", peut le faire. Enfin, passons.

A ceux qui espéraient négocier une refonte du statut des magistrats du parquet contre la suppression du juge d'instruction, le comité Léger oppose une fin de non-recevoir. Pas question non plus de modifier le statut de la police judiciaire, alors que les affaires sensibles ont pourtant démontré que la position des officiers de police judiciaire pouvait être intenable, du fait d'injonctions contradictoires des magistrats et de leur hiérarchie.

Point de salut, selon le comité Léger, sans l'instauration d'un juge de l'enquête et des libertés, qui sera chargé de contrôler les mesures attentatoires aux libertés pouvant être prises lors de l'enquête (écoutes téléphoniques ou placement en détention provisoire par exemple) et pour s'assurer du respect des droits des parties durant cette phase préparatoire au procès pénal.

Une sorte de super-JLD en somme. D'ailleurs, la fonction de Juge des Libertés et de la Détention va disparaître, ce qui va faire beaucoup d'heureux: tous les collègues qui exercent cette fonction à contrecoeur et croyez-moi, ils sont nombreux.

Pour ma part, je ne suis pas convaincue que la disparition du juge d'instruction au profit du juge de l'enquête et des libertés constituera une avancée et une garantie d'un meilleur contrôle du travail des officiers de police judiciaire. C'est même tout le contraire. Il suffit pour s'en convaincre, de discuter avec les collègues JLD: souvent, il s'agit de magistrats qui exercent cette responsabilité à titre de "tâche annexe" et beaucoup avouent, s'agissant de leur intervention en matière d'enquête préliminaire (autorisation d'écoutes téléphoniques), qu'elle ne leur paraît pas satisfaisante, parce que ponctuelle. La principale force du juge d'instruction est sa qualité de directeur d'enquête. Il dirige l'enquête donc il connaît le dossier. Et c'est ce qui lui permet de contrôler efficacement le travail des officiers de police judiciaire.

Voyons la suite. La garde à vue par exemple.

Avec une proposition notable: la présence de l'avocat lors de la garde à vue et son accès au dossier.

Attention, amis avocats, ne sabrez pas tout de suite le champagne. L'avocat sera présent uniquement si la garde à vue est prolongée. Soit après 24 heures. Et il n'aura pas accès à tout le dossier mais uniquement aux auditions de son client, à partir de la douzième heure de garde à vue. Nuance. Donc pas d'accès aux auditions de la victime et aux PV de perquisition. Le gardé à vue aura d'avantage de droits certes, mais point trop n'en faut.

Où l'on voit que le comité Léger tente de ménager la chèvre et le chou, les avocats et les officiers de police judiciaire, au risque de mécontenter tout le monde.

Autre manifestation de cette prudence toute diplomatique: la création, à côté de la garde à vue qui devrait être réservée aux infractions pour lesquelles une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à un an est encourue, d'une mesure de retenue judiciaire, mesure qui ne pourrait excéder six heures et au cours de laquelle la personne mise en cause aurait le droit de s'entretenir avec un avocat.

Là, je suis perplexe: si la garde à vue est parfois vécue comme une mesure infamante, rappelons que c'est une mesure protectrice de la personne mise en cause car elle lui offre un certain nombre de droits. Dans le système actuel, on considère que l'audition d'une personne mise en cause, lorsqu'elle se déroule hors garde à vue, ne doit pas excéder quatre heures, suivant le délai indiqué pour les vérifications d'identité. J'ai donc beaucoup de mal à considérer comme un progrès pour les droits de la défense une audition hors garde à vue d'un délai maximal de six heures.

Le comité Léger souhaite également la réduction des délais de la détention provisoire, objectif on ne peut plus louable, dont on peut néanmoins déplorer qu'il s'accompagne de considérations sur la nécessaire promotion de "la culture de la liberté dans la phase préparatoire au procès pénal". La liberté est le principe et la détention l'exception, c'est sympa de nous le rappeler mais nous le savions déjà. Ce serait bien si enfin, on arrêtait de considérer les magistrats comme de vilains embastilleurs dont l'unique obsession serait d'envoyer les justiciables derrière les barreaux. Cliché, quand tu nous tiens...

Sur ce point, les propositions du comité Léger ont au moins le mérite de la simplicité et de la clarté. Il s'agirait d'instituer une durée maximale de la détention provisoire entre le début de l'incarcération et la comparution devant la juridiction de jugement, dans les conditions suivantes: six mois si la peine encourue est comprise entre trois et cinq ans d'emprisonnement, un an si la peine encourue est comprise entre cinq et dix ans d'emprisonnement, deux ans en matière criminelle et trois ans pour les faits de terrorisme ou de criminalité organisée.

Silence en revanche sur la question des moyens accordés aux magistrats et aux services d'enquête. Moyens qui influent directement sur la durée des enquêtes et donc, sur la durée des mesures de détention provisoire. Silence également sur la question de l'engorgement des services d'audiencement. Actuellement, le délai de comparution d'un accusé détenu devant la Cour d'Assises dont je dépends est approximativement de 10 ou 11 mois à partir de l'ordonnance de mise en accusation. Si le législateur doit adopter cette proposition de la commission Léger, il y aura bien peu d'accusés qui comparaîtront détenus. C'est un choix de société qui peut avoir des conséquences importantes, y compris en terme de réitération des faits. Conséquences dont il conviendrait, pour une fois, de ne pas faire peser la responsabilité sur les magistrats.

A noter un point intéressant: la possibilité pour le mis en cause de demander que la décision de placement en détention provisoire soit prise par une juridiction collégiale comprenant le juge de l'enquête et des libertés. Mais là encore, silence pudique sur la composition exacte de cette collégialité, magistrats professionnels ou juges de proximité comme on a pu l'entendre ici ou là.

Enfin, le comité Léger propose de maintenir le principe du secret de l'instruction mais de dépénaliser sa violation. En clair, plus de poursuites pour recel du secret de l'instruction, à l'encontre notamment des journalistes. Les atteintes à la présomption d'innocence pourraient toujours faire l'objet de poursuites civiles sur le fondement de l'article 9-1 du Code civil.

A mon sens, cette dépénalisation est susceptible de menacer l'efficacité des investigations. Essayez de faire aboutir une enquête et d'arrêter l'auteur des faits si celui-ci est informé en temps et en heure des investigations des enquêteurs.

Voilà pour les grandes lignes du pré-rapport du comité Léger, qui soulève beaucoup plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses. Le comité reprend sans sourciller la proposition présidentielle de suppression du juge d'instruction, mais élabore un système bancal, et passe sous silence beaucoup de questions fondamentales, notamment la nécessité d'augmenter considérablement le budget de l'aide juridictionnelle. On dira que je prêche pour ma paroisse, mais après lecture de ce rapport, je n'ai toujours pas compris l'intérêt de supprimer la procédure d'instruction. Procédure d'enquête qui, rappelons-le une nouvelle fois, est actuellement la plus respectueuse des droits des parties.

A vos claviers.

jeudi 26 février 2009

HU-MA-NI-TE !

Par Gascogne


Les débats devant la commission parlementaire d’enquête suite à l’affaire dite d’Outreau nous avaient appris, au moins pour ceux qui n’étaient pas encore au courant (c’est à dire pour les habitants de Mars qui ne lisent ni le Figaro ni le blog de Jean-Michel APHATIE), que la Justice était particulièrement inhumaine, et que sa figure emblématique, le juge d’instruction, présentait autant d’humanité qu’un bulot mal cuit.

Diverses réformes sont donc intervenues pour remédier à tout cela. La scolarité des auditeurs de justice a été profondément remaniée, le stage avocat est passé de deux mois à six mois, afin d’apprendre aux pioupioux la vraie vie. Malheureusement, et pour ne pas alourdir une scolarité de 31 mois, le stage extérieur, en administration, ou dans une entreprise, qui devait aérer un peu les futurs magistrats dont la majorité sort à peine de faculté, en leur montrant autre chose que du judiciaire, a été supprimé (n'hésitez pas à demander le programme).

On demande dés lors aujourd’hui au juge d’être tout à la fois à l’écoute des victimes, pour lesquelles on n’en fait jamais assez (et je rejoins à 300 % la réponse faite par le Maître de Céans à un commentaire sous un précédent billet), mais également de se présenter sous son meilleur jour aux personnes poursuivies. Tout en conservant bien entendu la neutralité qui fait l’essence de son métier. Cela peut paraître certes quelque peu complexe, voire schizophrénique (sauf pour les juges d'instruction, qui ont l'habitude), mais des cours de psychologie ont été rajoutés à la formation initiale des auditeurs pour les aider, non à supporter la scolarité, mais à comprendre leur prochain.

Et la Chancellerie, à l’écoute de cette humanisation nécessaire des machines à juger que sont les magistrats, vient de diffuser une circulaire[1] concernant la visioconférence (à lire en intégralité sur le site du Syndicat de la Magistrature qui vient de communiquer sur le sujet).

C’est que tous ces juges qui exigent d’avoir face à eux les détenus pour procéder à des interrogatoires et autres débats contradictoires coûtent du temps et de l’argent aux services du Ministère de l’Intérieur en charge des extractions judiciaires. 155 000 extractions[2] pour l’année 2008, afin qu’une personne incarcérée puisse s’expliquer, c’est trop. Elles doivent diminuer de 5 % pour l’année 2009.

Et si cet objectif n’était pas atteint, le Ministère de la Justice paierait au Ministère de l’Intérieur la différence “au prorata des extractions non évitées et donc des ETPT (pour un peu plus d'explications technocratiques, voir ici) engagés pour les réaliser”. Par contre, si les Cours d’Appel dépassent l’objectif, il y aura certes une “compensation”, mais dont on ne connaît pas encore les modalités. Pile je gagne, face tu perds.

Je n’ai rien de particulier contre la visionconférence pour l’avoir moi même pratiquée lorsque j’étais à l’instruction. Lorsque j’ai dû notifier une mise en examen supplétive pour un chèque falsifié à un détenu se trouvant à 800 km, je ne voyais pas l’intérêt de lui faire faire ce voyage pour quelques minutes d’entretien, et d’imposer une journée complète de déplacement à deux gendarmes pour cela. J’ai pu également faire une confrontation par ce moyen, la victime résidant fort loin et ne pouvant se déplacer. Mais ces cas restent à la marge.

Le Secrétariat Général de la Chancellerie veut pourtant imposer cette "virtualisation" du rapport humain sous contrainte financière :

La performance des cours d’appel sera appréciée au regard du nombre de visioconférences qui auront été réalisées dans le cadre de l’activité juridictionnelle en lien avec des détenus, ayant ainsi permis d’éviter des extractions, et leur responsabilité sera engagée, en début d’année 2010, sur leur crédits vacataires

C’est visioconférence ou pas de personnels supplémentaires...

J’ai déjà eu connaissance de Chambres de l’instruction qui dans le cadre d’appels concernant des demandes de mise en liberté procédaient par visioconférence pour des mis en examen détenus pourtant à la maison d’arrêt du siège de la Cour d’Appel[3]. Le détenu argumentait sa demande de mise en liberté devant trois juges apparaissant sur un écran (grand format, je vous rassure). Et on nous demande de multiplier, pour des raisons d’économies à faire faire au Ministère de l’Intérieur, ce genre de procédures.

M. Vallini avait eu la délicatesse lors d’un déjeuner à l’ENM avec les auditeurs de justice de dire à une demoiselle qui, certes partageait sa table mais qu’il ne connaissait pourtant absolument pas, qu’elle manquait visiblement d’épaisseur humaine pour exercer à son âge les fonctions de juge.

L’épaisseur humaine web 2.0 va améliorer le système, n’en doutons pas.

Notes

[1] circulaire SG-09-005 / SG / 03.02.09 du 5 février 2009

[2] devant un chiffre aussi énorme, je suppute que la Chancellerie a comptabilisé pour la bonne bouche TOUTES les extractions, tant médicales qui judiciaires. Mais la visioconférence médicale est techniquement plus délicate à mettre en place...

[3] c'est à dire pour être plus précis à quelques centaines de mètres

vendredi 6 février 2009

Au moins, les choses sont claires...

Par Gascogne


Pour ceux qui avaient encore quelques doutes, non pas sur le statut des magistrats du parquet, pour lesquels Rachida Dati est clairement la "chef", mais pour ceux du siège, l'indépendance n'est pas un dû en soi, elle se mérite.

Ainsi donc, et contrairement aux textes en vigueur, nos politiciens sont clairs : les juges ne sont pas indépendants par nature, ils ne le sont que par leur comportement.

Mais qui va définir quel doit être ce comportement ? Un juge qui déplairait au pouvoir en place, parce qu'il ne condamne pas dans le sens voulu, par exemple celui de la récidive avec application automatique des peines "plancher", ou parce qu'il renvoie des amis politiques devant la juridiction de jugement, aurait donc un mauvais comportement, contraire à l'indépendance que l'on peut attendre de lui ? Au contraire, celui qui va dans le sens des victimes, même si les preuves sont faibles, serait un bon juge indépendant, parce que plaisant à l'opinion ? Je ne doute dés lors pas que mon collègue Burgaud, que je soutiens bien évidemment par corporatisme mal placé, était à l'époque des mises en examen prononcées un excellent juge indépendant.

Un juge indépendant, fut-il juge disciplinaire, irait donc dans le sens de ce que souhaite l'opinion publique, le dossier qui lui est soumis serait-il parfaitement creux ?

Et puis franchement : comment définit-on la "légitimité d'une décision" ? Est-elle légitime par rapport à la loi, ou par rapport à ce que les français attendent, notamment dans le cadre des sondages dont les journaux nous abreuvent grâce à internet ? De quel "légitimité" parle-t-on ? Politique ou purement légaliste ?

Mais que Madame la Ministre, qui fut un temps magistrat, se rassure : l'indépendance n'a rien d'un dogme que les magistrats, éventuellement par le biais de leurs syndicats, ânonneraient par monts et par vaux : il s'agit avant tout d'un texte de valeur constitutionnelle qui le dit. L'ordonnance du 22 décembre 1958, qui n'a finalement valeur constitutionnelle que par un tour de passe-passe que seule notre démocratie semble connaître, le déclare, particulièrement dans son article 4 sans toutefois le dire directement, tant le législateur de l'époque semble s'être fait peur en disant que les juges étaient inamovibles. Figurez-vous qu'un juge ne peut faire bien son office que s'il est libéré de toutes pressions extérieures. Faire bien son office dans les limites humaines que nous connaissons, et que nous tentons de corriger, par exemple par la voie de l'appel, puis de la cassation.

Eh bien non. Cela ne suffit pas. Encore faut-il rappeler aux piou-pious de Bordeaux que l'indépendance, on ne l'acquiert pas comme cela : "c'est parce que l'on est au-delà de tout reproche et de toute suspicion que l'on est indépendant".

Bien entendu, le pouvoir politique saura nous protéger de toute suspicion de pression, d'intervention, de mise en cause médiatique, pour nous permettre d'être au-delà de tout reproche.

Et bien évidemment, Madame le Ministre, vous me permettrez respectueusement, à la lecture de votre approche de ce que doit-être la magistrature de vos vœux, ou de ceux de celui qui vous a fait politiquement, d'avoir quelques divergences sur ce que doit être l'indépendance de la magistrature. Vous en fûtes quelques temps, vous n'en êtes visiblement plus, au vu du nombre record de prix Busiris qui ont pu vous être octroyés.

Un juge ne rend pas de décision en toute indépendance pour son propre confort, mais pour ne pas rendre de décision sous la pression du plus fort, qu'il pourrait dés lors craindre, ou par lequel il pourrait se trouver corrompu. Un juge n'est pas soumis à la pression d'une quelconque autorité, fut-elle membre de son propre corps, et magistrat chargé de son évaluation, il ne se soumet qu'à la loi. Un juge n'a ainsi que faire du statut social des parties qui sont face à lui, pauvre ou riche, faible ou puissant : c'est cela qui fait sa noblesse. Que vous soyez puissant ou misérable, les arrêts de la cour ne vous rendrons pas blanc ou noir. Il vous diront simplement ce qu'est le droit.

jeudi 5 février 2009

Va-t-on enfin parler des vraies causes d'Outreau ?

Par Dadouche


Depuis quelques jours, Fabrice Burgaud comparaît devant le CSM.

Le billet d'Eolas sur ce sujet a déjà soulevé des points intéressants et Didier Specq, dans plusieurs commentaires, a notamment rappelé le poids du contexte de l'époque dans le traitement des affaires d'agressions sexuelles sur les mineurs.

J'ai déjà pour ma part exposé au fil de différents billets et commentaires ce que je percevais, du haut de ma modeste expérience de 5 ans d'exercice des fonctions de juge d'instruction et d'assesseur aux assises, des raisons profondes d'un "plantage" comme celui du dossier-dont-on-ose-encore-à-peine-prononcer-le nom.

Au moment où les audiences devant le CSM commencent à faire apparaître une réalité plus nuancée sur la façon dont a été menée l'instruction que celle qui a été servie à longueur d'articles, de commission parlementaire et de débats compassionnels, je voudrais reproduire ici une partie d'une réponse que j'avais faite aux commentaires sur l'un de mes billets.
Car il me semble que les débats actuels devant le CSM, focalisés sur l'éventuelle responsabilité disciplinaire de Fabrice Burgaud, est, malgré les nuances apportées, une nouvelle occasion manquée, après la commission parlementaire, de se pencher sérieusement sur les écueils que rencontre la justice pénale dans le traitement de ce type d'affaires.
La réflexion qui suit n'est donc pas une analyse du dossier d'Outreau (dont je ne connais que ce qui en a été dit dans la presse et lors des multiples auditions devant la commission parlementaire, y compris celles qui n'ont pas été diffusées), mais une tentative d'explication des difficultés rencontrées dans ce type de dossier, qui mettent régulièrement l'institution judiciaire en difficulté.


Sur "la pédophilie" : Je voudrais revenir sur ce point dans l'analyse des causes d'Outreau. Je soutiens depuis le début que les deux problèmes véritablement posés dans cette affaire sont la détention provisoire (et notamment sa durée) et le traitement judiciaire des affaires de moeurs et notamment celles impliquant des mineurs.
Pendant des années, ces affaires ont été insuffisamment prises en compte par l'institution judiciaire, qui leur appliquait rigidement sa grille de lecture pénale en matière de preuve (importance de l'aveu, recherche de preuves matérielles non équivoques).
Or, les affaire de ce type présentent des particularités que la justice pénale a tatonné à prendre en compte.

- l'absence de preuves matérielles évidentes : dans la majorité des cas, les actes commis laissent peu de traces. Des attouchements, une fellation, tout cela est sans conséquence physique pour les victimes. On résume souvent ces affaires à "c'est parole contre parole". Ce sont en réalité, sur la base des paroles des protagonistes, des faisceaux de faits qui sont recherchés (confidences faites à un proche à l'époque des faits, concomitance avec une dégradation de l'état psychologique de la victime, possibilité matérielle). Et il est plus difficile de se forger une conviction.

- le temps écoulé : dans ce type de dossier, les faits sont souvent révélés longtemps après leur commission. Parfois quelques mois, parfois des années. Et le législateur a renforcé cette tendance en augmentant petit à petit les délais de prescription. La recherche d'éléments matériels devient encore plus difficile, les témoignages sont fragilisés.

- l'exploitation de la parole des uns et des autres : le témoignage humain est fragile, ce n'est pas nouveau. La perception d'une même scène peut être différente pour chacun et des divergences apparaissent souvent. Il est particulièrement difficile d'avoir une grille de lecture raisonnée des témoignages. On a tendance à penser que si un élément est faux, tout le reste l'est nécessairement. Et pourtant, particulièrement s'agissant d'enfants, et encore plus quand les faits sont anciens et ont été répétés, la non réalité d'un élément n'invalide pas pour autant le reste. J'ai le souvenir notamment d'un dossier, où les faits étaient reconnus, et où les récits de la victime et de ses deux agresseurs divergeaient notablement sur les lieux (elle situait la plupart des agressions dans une chambre, ses deux frères dans une autre pièce) et les dates (à l'âge qu'elle pensait avoir au moment de certaines agressions ses frères ne résidaient plus au domicile). Chacun d'eux était pourtant sincère dans son récit.

- la réprobation sociale qui s'attache à ce genre de faits : les agresseurs sexuels, particulièrement ceux qui s'en prennent à des enfants, sont fortement réprouvés. Un homme qui tue sa femme pourra espérer garder le soutien de sa famille et de ses proches. Un agresseur d'enfant qui le reconnaît perd tout. Ce sont des faits extrêmement difficiles à admettre, parce qu'il leur est même souvent difficile de l'admettre en leur for intérieur. Les dénégations des coupables sont aussi fortes que celles des innocents. Il n'est pas rare qu'un agresseur qui reconnait les faits dans le cabinet du juge d'instruction continue à protester de son innocence devant ses proches.

Toutes ces particularités bousculent les repères judiciaires. Faut-il les prendre en compte et traiter différemment les affaires de moeurs, avec des exigences différentes en matière de preuve ? Faut-il au contraire leur appliquer la même grille de lecture et les mêmes standards qu'aux autres infractions ?
La justice pénale a oscillé (et oscille sans doute encore) entre ces deux positionnements, qui portent chacun en germe des risques d'erreur judiciaire, dans des sens opposés. Une lecture non spécifique conduit à innocenter des coupables, une lecture sur-adaptée amène le contraire. Le choix devrait être facile à faire : celui de la présomption d'innocence.

Les repères se sont pourtant progressivement brouillés en la matière. Le législateur a délibérément fait le choix de privilégier de plus en plus les victimes, pour des raisons au fond tout à fait louables.
Par exemple, l'allongement des délais de prescription, s'il a pu être une avancée quand on a retardé leur point de départ à la majorité de la victime, devient délirant. En faisant croire que l'on peut établir des faits de ce type (s'ils ne sont pas reconnus) parfois vingt ou trente ans après les faits, on fait porter sur la justice pénale un poids qui pousse insensiblement à baisser un peu le curseur en matière d'exigences de preuves. Et on favorise la religion de l'aveu, on se raccroche au moindre point reconnu par les mis en examen.
De même, les dispositions de la loi de 1998 sur l'enregistrement des auditions des mineurs victimes pour éviter d'avoir à les multiplier durant la procédure ne sont évidemment pas mauvaises en soi. Mais en "vendant" l'idée qu'il n'y aurait qu'une seule audition, on pousse là encore la justice pénale à la faute. Faut-il, parce que la victime est un enfant, dénier au mis en examen le droit à une confrontation ? Faut-il, alors que des incohérences apparaissent, s'empêcher de poser de nouvelles questions ? C'est pourtant à cela qu'ont parfois abouti ces dispositions. Et on a baissé un peu plus le curseur.

Et puis il y a l'accroissement de la place des expertises psychologiques dans les procédures de ce type. En l'absence de preuves matérielles, en présence de deux versions contradictoires, il est facile et tentant de chercher ailleurs des éléments que l'on espère solides.
Parce qu'on lui demande parfois l'impossible, la justice pénale a essayé de trouver des réponses auprès des experts. Qui n'ont pas refusé. Et le législateur a aussi poussé à la roue, en encourageant ce type d'expertises.
Le développement d'une certaine idéologie sur la parole de l'enfant n'a pas aidé. Rappelons que, pendant l'instruction d'Outreau, des parlementaires (parmi lesquels certains membres de la Commission parlementaire qui s'est penchée sur cette affaire, et qui n'ont pas eu de mots assez durs pour stigmatiser ces benêts de magistrats qui avaient aveuglément "suivi" les enfants), ont proposé une loi visant à créer une présomption de crédibilité de la parole de l'enfant.

La compassion pour les victimes, surtout celles-là, a favorisé un activisme qui a poussé à brouiller les principes. Ainsi, on note de plus en plus d'exceptions au principe selon lequel seule la victime directe de l'infraction peut se constituer partie civile. La place prise par certaines associations dans quelques procédures a contribué un peu plus à faire de la lutte contre les atteintes aux mineurs une espèce de grande cause sacrée qui pouvait justifier qu'on abaisse un peu plus le curseur. Et qui a aussi contribué à ce que l'on recoure à des détentions provisoires longues fondées en réalité uniquement sur la gravité des faits reprochés.

Et les magistrats au milieu de tout ça ? N'est-ce pas aussi leur rôle de garder un peu de raison au milieu de tout cela ? Ils essayent de le faire. Contrairement à l'idée répandue par certains au moment d'Outreau, toutes les dénonciations ne sont pas suivies de poursuites, d'instructions et de détentions provisoires quasi arbitraires. Beaucoup de faits signalés sont classés sans suite, faute d'élément suffisants.

Mais les magistrats ne sont pas imperméables à la compassion pour les victimes, et peuvent être ponctuellement aveuglés. Et puis il y a une certaine expérience de ce genre de dossier, qui conduit à ne pas refuser de croire ce qui peut paraître improbable ou impossible au plus grand nombre. Anatole Turnaround écrivait : "Le soupçon de pédophilie ne devrait guère impressionner un magistrat pénaliste moyennement expérimenté, pour qui le récit de viols d'enfants commis de façon variée et répétée et par des personnes différentes fait hélas partie du quotidien." pour en tirer la conclusion que (si j'ai bien compris) cette habitude lui permettait de garder son sang froid et procéder, malgré la charge émotionnelle qui s'attache à ce genre de chose, à une analyse rigoureuse du dossier.
Je suis d'accord, mais je pense que cette expérience en la matière conduit aussi le magistrat pénaliste moyen à savoir que l'Homme est capable de tout. Quand on a vu certaines photos pédophiles, on peut, je trouve, plus difficilement rejeter d'emblée certains récits qui pourraient paraître délirants. On essaye de vérifier. Cette mithridatisation à l'horreur, particulièrement dans les juridictions du Nord, fausse également la perception.

Après ce très long développement, j'en viens (enfin) au coeur de ce que je voulais dire : Outreau est le paroxysme des tâtonnements (peut être des errements) de la justice pénale en matière d'affaires d'atteintes sexuelles sur mineurs.
Tout y est, pêle mêle : la difficulté à faire le tri dans la parole des uns et des autres, les fragilités des expertises, la peur de prendre le risque de laisser s'en tirer des monstres supposés, le refus des confrontations avec les enfants, la pression exercée par l'idéologie de la parole de l'enfant, des détentions d'une longueur à mon sens injustifiable compte tenu des garanties de représentation de certains, le poids phénoménal des aveux de certains pour retenir des charges contre les autres, tout cela dans un certain émoi médiatique.
Ce cocktail explosif (ajouté encore une fois au manque de moyens qui, comme le rappelait Anatole, favorise les plantages), on ne peut en faire porter la responsabilité à ceux qui, individuellement, ont traité cette affaire hors-normes suivant les mêmes standards que ceux auxquels tous nous ont poussés. C'est une responsabilité collective de l'institution judiciaire d'abord, de ne pas avoir su y résister, mais aussi dans une certaine mesure des politiques et notamment du législateur, qui en a semé les germes .
Et c'est ensuite la responsabilité des politiques d'avoir attisé le feu et focalisé le débat sur cette affaire particulière au lieu d'en examiner les ressorts plus profonds, ce qui n'a abouti qu'à bloquer l'institution judiciaire dans une positions défensive peu propice à l'analyse de ses propres dysfonctionnements.
Je crois que c'est aussi à la société dans son ensemble, par la voix du législateur et de l'exécutif, de faire un choix clair : faut-il faire passer en priorité les intérêts des victimes ou ceux de ceux qu'elles accusent ? Une position intermédiaire peut sans doute être trouvée, et je pense que les pratiques sont désormais à des standards plus proches de ceux des affaires traditionnelles, mais on en revient à la spécificité de ces affaires : il y aura toujours des erreurs dans un sens ou dans l'autre. La réforme du CSM, l'élargissement de la responsabilité disciplinaire ou l'enregistrement des interrogatoires d'instruction n'y changeront rien. Du tout.

vendredi 30 janvier 2009

LibéréS par une faute de frappe, le retour...

Par Gascogne


Si le législateur, tel l'éminent député Lefebvre, a pu en son temps s'offusquer de la libération d'un individu peu recommandable du fait d'une faute de frappe dans un arrêt de Cour d'Appel, je ne doute pas que dans les jours à venir, la faute de frappe du législateur qui est en train de conduire dans beaucoup de juridictions de France et de Navarre à la libération de tout un tas de personnes tout aussi peu recommandables, va conduire à des réactions de ces mêmes députés en recherche de responsabilité.

Je m'explique (si ça, c'est pas du teasing...).

La loi du 5 mars 2007 visant à "rééquilibrer la procédure pénale", suite immédiate des conclusions rendues par la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau, a instauré l'enregistrement obligatoire des auditions en garde à vue des personnes suspectées de crime. Ces dispositions ont été insérées dans un article 64-1 du CPP créé pour l'occasion :

Les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisés dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

Il s'agissait de ne filmer que les auditions criminelles car les crimes ne sont pas seulement les infractions les plus graves, ce sont aussi les moins nombreuses, ce qui permet de limiter en partie la lourdeur du dispositif.

Seulement, voilà : lorsque le législateur fait bien son travail, il "toilette" le reste du code, et corrige en tant que de besoin les autres articles, lorsqu'il existe un risque de contradiction entre les anciens articles et les nouveaux, ou encore lorsque les renvois nécessaires d'un article vers un autre doivent être indiqués.

Et lorsqu'il ne le fait pas, par oubli, ou par précipitation, les erreurs qui en découlent, purement matérielles pourtant, peuvent avoir des effets procéduraux catastrophiques.

En l'occurrence, la loi du 5 mars 2007 a omis de corriger un article pourtant fort peu éloigné de l'article 64-1, puisqu'il s'agit de l'article 67 du CPP, qui, très court, impose les règles suivantes :

Les dispositions des articles 54 à 66 sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement.

J'avais déjà eu l'occasion de contredire respectueusement le Maître des lieux sur la base de cet article (c'est ) concernant la possibilité de placement en garde à vue pour des infractions non punies d'emprisonnement, puisque l'article 67 renvoie vers les dispositions concernant la garde à vue.

Vous commencez à voir où est le problème ? Et bien, si l'article 64-1 parle de procédure criminelle, l'article 67, lui, indique que les dispositions contenues dans les articles 54 à 66 s'appliquent également aux délits flagrants. Ça n'était bien évidemment pas ce que le législateur de 2007 souhaitait, mais il aurait donc dû réécrire l'article 67, ce qu'il n'a pas fait.

Résultat des courses, la trainée de poudre est partie de la Cour d'Appel de Versailles pour se répandre à très grande vitesse, particulièrement dans deux matières : le droit des étrangers, et les comparutions immédiates, où les présentations découlent quasi-systématiquement de procédures flagrantes. Les avocats de la défense ont soulevé sur la base de l'article 67 que l'audition en garde à vue aurait dû être filmée, ce qui ne fut pas le cas puisque la loi de 2007 ne le prévoyait pas, et plusieurs Cours d'Appel ont suivi, ordonnant dés lors la libération immédiate des prévenus suite à l'annulation de la procédure.

D'autres, comme Lyon et Nîmes, ont statué en sens contraire, faisant prévaloir l'esprit de la loi sur sa lettre. On attend donc les décisions de la Cour de Cassation pour harmoniser le droit, décisions qui devraient intervenir assez rapidement, vu l'urgence.

Il y avait déjà eu il y a quelques temps des difficultés liées à la rédaction des textes sur les réductions de peine, qui avaient donné des sueurs froides au Ministère. Aujourd'hui, ce problème. Et demain ?

Pierre Truche avait pu dire que l'on ne saurait juger que la main tremblante. Il me semble qu'il faudrait légiférer de la même manière. Les empilements de textes, pris dans l'urgence et sans étude d'impact, ne peuvent que mener à d'autres catastrophes.

vendredi 23 janvier 2009

CSM, CSA, même combat...

Par Gascogne


Je ne serai pas aussi cruel que le site Acrimed peut l'être envers le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dont plusieurs membres doivent être nommés ce jour, pour affirmer que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) va devenir la voiture balai des déçus des élections, mais je ne suis tout de même pas loin de le penser.

Le parallèle est malgré tout particulièrement intéressant. Le mode de nomination des membres du CSM a été modifié lors de la dernière réforme constitutionnelle, dans un but bien entendu purement anti-corporatiste, pour permettre au pouvoir politique de nommer une majorité de membres, tous totalement indépendants.

Le CSM aura dans ses fonctions de nommer notamment les premiers présidents de Cour d'Appel, alors que les Procureurs Généraux continueront à être nommés directement en Conseil des Ministres, comme les Préfets.

J'entends bien qu'il a été déclaré qu'il fallait cesser les hypocrisies, et que puisque, concernant le Président de France Télévision, il était déjà nommé par le pouvoir, autant le faire au grand jour, l'argument imparable étant que cette désignation ne se ferait qu'après avis du CSA, dont on peut dorénavant très bien imaginer le statut d'autorité indépendante. Bien entendu, personne n'a envisagé de rendre cette instance réellement indépendante, et de soumettre à son avis conforme les décisions de nomination.

Et si cette analyse était transposable aux chefs de Cour ? Je n'ose y croire. Pas dans une société démocratique, avec une réelle séparation des pouvoirs.

Quand je pense qu'en Belgique, le Premier Ministre a dû présenter sa démission suite à des suspicions d'immixtion du pouvoir politique dans une affaire judiciaire, j'en viens à comprendre la démarche de demande de naturalisation de Jean-Philippe SMET...

mardi 20 janvier 2009

La suppression annoncée du juge d'instruction (suite mais pas fin)

La suppression du juge d'instruction, il y a ceux qui sont pour.

Il y a aussi ceux qui sont contre et qui peuvent aller le manifester . http://www.jeunesmagistrats.fr/instruction/

Motion rédigée par des magistrats hors de tout cadre syndical ou associatif.

lundi 19 janvier 2009

Un juge averti en vaut-il deux ?

Par Dadouche


Il y a des jours où même les chewing-gums les plus mentholés ne peuvent rien contre l'arrière-goût amer qui vous reste après certaines nouvelles.

Tous les ans au mois de janvier, une audience solennelle de rentrée ouvre l'année judiciaire dans chaque juridiction. C'est notamment l'occasion pour la juridiction et ceux qui la servent de faire un bilan de leur activité de l'année passée.
Hormis, désormais, à la Cour de Cassation, où c'est le chef du pouvoir exécutif qui a fait l'actualité cette année, ce sont les chefs de juridiction qui se chargent généralement de ce bilan.

A Bourges, où l'audience solennelle se tiendra jeudi 22 janvier, les magistrats du siège ont souhaité eux aussi faire le bilan de l'année écoulée pour la juridiction et plus généralement pour la justice en France.
Soucieux de souligner le dénuement de l'institution judiciaire et sa vulnérabilité face aux attaques contre son indépendance, ils ont cherché un moyen "non verbal" de faire passer ce message, puisque seuls les chefs de juridiction peuvent faire un discours lors de ces audiences [1]

Pour ne pas déranger l'assistance par des manifestations bruyantes (on a vu que les applaudissements nancéens avaient fait des remous, et encore faut-il qu'il y ait quelque chose à applaudir), et instruits par un précédent regrettable à Chalon Sur Saône (où les communiqués syndicaux déposés sur les sièges des personnalités devant assister à l'audience avaient été prestement retirés avant l'arrivée desdites personnalités), les juges de Bourges avaient donc décidé d'assister à l'audience solennelle de rentrée dans leur tenue civile et non en robe noire agrémentée de la toque et de l'ineffable ceinture bleue.
Ils en avaient courtoisement avisé leur Président.

Las, le Premier Président Robert CORDAS leur a illico fait savoir qu'il infligerait la sanction disciplinaire d'avertissement avec inscription au dossier, la seule qu'il puisse décider lui même sans saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature, s'ils persistaient dans leur intention.

Rappelons qu'une sanction disciplinaire doit avoir comme préalable une faute disciplinaire, c'est à dire un manquement à la dignité ou à l'honneur.
Il me semble que c'est justement à l'honneur et de la responsabilité des magistrats de faire connaître à la société civile les difficultés qu'ils rencontrent dans l'exercice de leur mission.
Mais toute possibilité d'expression leur est refusée lors de l'événement majeur de l'année judiciaire, qui est le lieu institutionnel de contact entre la juridiction et la société.

Cette année, à Bourges, les magistrats du siège n'assisteront tout simplement pas à l'audience solennelle de rentrée, plutôt que d'aller à un affrontement stérile.

La reprise en main du Parquet est souvent évoquée en ces lieux. Celle du siège n'est peut-être pas loin.

Quelqu'un a une marque de chewing-gum très fort à suggérer ?

Notes

[1] Ce privilège était jusque là également concédé dans le ressort de la Cour d'appel de Bourges aux Bâtonniers des ordres des avocats de Nevers, Bourges et Chateauroux mais vient de leur être peu aimablement retiré

dimanche 18 janvier 2009

Billet d'humeur

Par Gascogne


Michel DENISOT a l'art de faire venir dans son émission des invités particulièrement intéressants, et de s'entourer de chroniqueurs qui le sont tout autant, au moins pour la majorité d'entre eux.

Jeudi 15 janvier était invité Gilles LATAPIE, magistrat présidant la Cour d'Assises des Ardennes, et ayant eu le "plaisir" de présider le procès "Fourniret". Ses explications sur la préparation et l'intérêt d'un tel procès sont particulièrement intéressantes (à voir ici : Le grand journal, 15/01/2009, partie 2).

Ma soirée aurait pu être agréable devant cette émission si Jean-Michel APHATIE n'avait pas une fois de plus fait remonter de manière particulièrement significative mon taux d'acidité gastrique.

J'avais déjà cru comprendre par le passé qu'il avait quelques problèmes, peut-être personnels, à régler avec les magistrats, qu'il qualifie copieusement de tous les vices, le corporatisme n'en étant pas un des moindres, puisque, comme chacun le sait, les journalistes sont épargnés par ce fléau (attention : appeau à Aliocha).

L'affaire s'est mal engagée lorsque notre chroniqueur national a demandé au président LATAPIE si son livre sur l'intérieur du procès Fourniret, et ses explications sur sa manière de présider l'audience, n'étaient finalement pas une critique du comportement "des magistrats" qui montrent si peu d'humanité (je n'invente rien, c'est à la minute 4:26). C'est ce qui s'appelle surinterpréter dans le sens que l'on souhaite des propos qui n'évoquaient absolument pas la question.

Sa chronique a fini de me convaincre que la colère n'est jamais bonne conseillère lorsque l'on se targue d'analyser la société dans laquelle on vit.

Revenant (7:30) sur la perquisition dont a été l'objet l'appartement de Julien DRAY il y a quelques semaines, Jean-Michel APHATIE, dans son souci de démontrer tout le mal qu'il pense des magistrats français, a fait montre d'un mélange d'approximation et de mauvaise foi comme j'en ai rarement vu, si ce n'est dans des discours politiques.

Il parle en effet de parfum de scandale concernant l'intervention de la Brigade Financière au domicile de Julien DRAY , car cette intervention s'est faite sur la simple base d'une dénonciation de TRACFIN. Et notre journaliste analyseur chroniqueur blogueur de s'emporter sur cette procédure où personne n'a porté plainte. Sans doute ne sait-il pas que dans notre système judiciaire, la plainte n'est en rien un préalable à l'enquête dont le monopole, pour des raisons tendant notamment à éviter les pressions sur les victimes, et à ne pas privatiser la justice, appartient au procureur de la République.

Il s'emporte ensuite et trouve "dégueulasse" que dans le cadre de cet "archaïsme" que constitue l'enquête préliminaire en France, il n'y ait pas d'instruction, et que par dessus tout la Justice ne dise pas ce qu'elle reproche à la personne chez qui elle se présente...Là, les bras m'en tombent. C'est soit de l'incompétence, soit de la mauvaise foi, soit un mélange des deux. Toute enquête, débutée par la saisine d'un service par le procureur, démarre sur la base d'une infraction supposée, en l'espèce, d'un abus de confiance (a priori, je ne connais pas le dossier). Et une perquisition débute en indiquant à la personne les faits reprochés, liés à ce que l'on recherche. A plus forte raison dans le cadre d'une enquête aussi archaïque que l'enquête préliminaire, où l'accord de la personne perquisitionnée (et non pas "fouillée" comme le dit M. APHATIE qui devrait demander à son confrère de Libération où se trouve la différence) est obligatoire (art. 76 du CPP). En matière d'atteinte aux droits des personnes, on fait quand même pire...

Mieux, et sans peur du paradoxe, le chroniqueur politique indique que les fonds objets de l'enquête, sont peut être, ou peut être pas, d'origine malhonnête, et qu'en conséquence il ne comprend pas cette enquête. Faut-il en déduire qu'une enquête pénale ne pourrait intervenir que lorsque l'on est sûr de l'origine malhonnête des choses, ce qui rendrait dés lors impossible les investigations suivant de simples plaintes des citoyens ordinaires ?

Enfin, concernant la violation du secret de l'enquête qui dérange tant notre choqué national, et sans crainte de se contredire puisqu'il estime qu'il est normal au vu de l'hypocrisie du secret de l'instruction que tout se sache, Jean-Michel APHATIE part du principe que les magistrats ont en urgence téléphoné aux gazettes quotidiennes (et même selon lui dans le quart d'heure qui a suivi le début de la perquisition...) pour transmettre toutes les pièces compromettantes possibles. Outre le fait que je vois difficilement ce que cela apporterait au parquetier suivant l'affaire, il n'est pas venu une seule seconde à l'esprit de notre si impartial analyste que les fuites pouvaient certes venir des magistrats, mais également des policiers, voire, mais c'est bien évidemment hautement improbable, de la Chancellerie, qui est tenue au courant à la minute près du déroulement de ce genre d'affaire. Chancellerie qui n'y a bien entendu aucun intérêt puisqu'elle est du même bord politique que le mis en cause.

Et de conclure "vraiment, les magistrats ne sont pas aimables" (avec cet accent qui me le rendait jusqu'alors fort sympathique).

Alors non, effectivement, le magistrat que je suis ne peux pas être aimable avec ce semblant de journaliste lorsqu'il entend de telles analyses. Lorsque l'on compare la finesse des questions et des interventions d'un Ali BADOU avec l'agressivité et les approximations d'un Jean-Michel APHATIE, visiblement dans le seul but de servir une conclusion déjà toute faite dans son esprit, on se dit qu'il vaut mieux pour ses neurones et son temps de cerveau disponible écouter France Culture plutôt que RTL. Mais ça doit être mon côté tant peu aimable que corporatiste qui me fait dire ce genre de choses...

vendredi 16 janvier 2009

Une page d'histoire - la création du juge d'instruction

Par Paxatagore


Regarder de temps à autre en arrière est fort amusant, à défaut de donner des leçons pour l'avenir. Car, de la même façon qu'on se dit maintenant qu'on va supprimer le juge d'instruction pour faire comme les Anglais (je caricature), on a aussi institué le juge d'instruction pour faire, un peu comme les Anglais.

Avant, c'est-à-dire du temps où Louis XVI régnait encore à peu près paisiblement sur le royaume de France, nous connaissions une vraie procédure inquisitoire. Les juges ouvraient des enquêtes de leur propre chef. Ils procédaient seuls à l'audition des témoins. Ils arrêtaient les suspects et les interrogeaient, sans leur notifier aucune charge, aucun droit (vous rigolez ! des droits ?). Évidemment, le suspect n'avait pas accès à un avocat, ni même à la procédure. Lorsque le juge estimait que l'enquête était terminée, il tenait un procès, où l'on répétait les charges recueillies et on statuait sur la culpabilité et, le cas échéant sur la peine. Au passage, il faut signaler qu'il y avait des règles formelles exigeantes sur la preuve et qu'on recourrait donc très couramment à la torture pour obtenir des aveux, condition essentielle à la déclaration de culpabilité.

Ca c'était la vraie procédure inquisitoire[1], une procédure caractérisée par le fait que le juge décidait de l'ouverture de l'enquête, y procédait seul, et siégeait dans la composition de jugement. Une procédure marquée par le sceau du secret à l'égard même du suspect, qui ne savait que ce que ses juges lui avaient dit. Une procédure également marquée par l'écrit, puisque chaque moment de la procédure donnait lieu à un procès verbal, dressé par le juge et son greffier.

Cette procédure était déjà dénoncée largement au XVIIIe siècle par les intellectuels et la Révolution s'est empressée de souhaiter qu'on y mette fin. Après quelques réflexions, on s'est tourné vers la procédure qui se mettait en place au même moment outre-manche.

La procédure anglaise de l'époque était marquée par une forte distinction entre deux phases : la phase d'accusation et la phase de jugement. L'accusation était généralement prononcée par un jury, qui examinait les preuves (à l'époque, les preuves réunies par un juge) et décidait s'il y avait ou non lieu à renvoyer le suspect devant une cour d'assises (Old Bailey), où il était jugé par ses pairs. La Révolution s'est empressée de copier ce système formidablement libéral par rapport à ce qu'on connaissait jusqu'à présent en France et nous avons donc, nous aussi conçu un jury d'accusation et un jury de jugement (d'où notre cour d'assises).

L'enquête était faire sommairement soit par les juges de paix, soit par des officiers publics[2]. Le jury d'accusation était présidé par un juge, le "directeur du jury d'accusation". Rapidement, toutefois, ce système est apparu lourd et on a supprimé le jury, pour ne garder que le seul président du jury, devenu juge d'instruction. Ce juge devait logiquement non pas faire une enquête, mais refaire l'enquête et la mettre sous forme judiciaire, c'est-à-dire en procès verbaux de juge et de greffier. A l'issue, il devait se réunir avec deux autres juges et statuer sur un éventuel renvoi devant une juridiction de jugement (on appelle cette formation de trois juge, la chambre du conseil. Elle a été supprimée en France en 1856 mais elle existe toujours en Belgique).

A vrai dire, on n'a pas compris le système anglais parce qu'on était resté avec les vieux réflexes de la procédure inquisitoire. En France, on faisait des procès verbaux au lieu de s'appuyer sur l'oralité des débats. Le greffier du jury d'accusation notait le détail des dépositions, en Angleterre, pour garder une trace de ce qui avait été dit pour la juridiction d'appel. Nous avons transformé cela en procès verbaux utilisés par la juridiction de jugement. Et notre bonne vieille culture du secret a refait surface.

La réforme importante qui a supprimé le jury d'accusation et a entraîné la création du juge d'instruction a également conduit à une modification substantielle du rôle du ministère public (le procureur). Jusqu'alors le "parquet" était surtout là pour donner son avis aux juges, éventuellement pour les inviter à mettre en oeuvre une enquête. Mais le pouvoir d'enquête et de jugement appartenait aux juges seuls. Le code d'instruction criminelle va donner au ministère public le pouvoir de procéder ou de faire procéder aux investigations sommaires, préalables à l'ouverture de l'enquête judiciaire (l'instruction). Il va également donner au procureur un rôle essentiel : décider des poursuites (il y a là une séparation entre l'autorité de poursuite et l'autorité de jugement). Mais nous sommes dans une logique où l'instruction est dans l'ordre des choses, le parquet s'abstenant de saisir le juge d'instruction que dans des cas rares.

Le juge d'instruction est donc une conjonction entre notre histoire ancienne et un emprunt à nos voisins. De l'ancien régime, il a gardé le secret, le rôle essentiel du procès verbal, les pouvoirs d'enquête étendus. De l'emprunt aux Anglais, on a hérité la distinction entre une première enquête sommaire, une enquête judiciaire et un procès. C'est amusant, et instructif pour notre législateur, de voir à quel point le poids de l'histoire l'a emporté sur les volontés de réformes.

Notes

[1] ce qui fait que lorsqu'on dit qu'en France, on a une procédure inquisitoire, il me semble qu'on date un peu... on est heureusement très loin de ce schéma !!

[2] il faut se souvenir qu'à l'époque il n'y avait pas de vraie police judiciaire et que dans la mentalité judiciaire de l'époque, le juge est le seul qui détient les pouvoirs nécessaires pour enquêter

mardi 13 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (3) - Mettre fin à la dualité des poursuites

Par Paxatagore


Troisième argument, à mes yeux le plus important ce ceux que j'ai évoqué jusqu'à présent : la nécessité de supprimer la dualité des poursuites.

Aujourd'hui, quel est notre système ?

95% des affaires présentées à un tribunal ont fait l'objet d'une enquête par la police ou la gendarmerie. Celle-ci a fait son enquête tranquillement dans son coin, en en rendant plus ou moins compte au procureur de la République. Il n'y a pas eu de phase contradictoire : pendant la garde à vue, on a demandé au suspect s'il avouait, on a éventuellement vérifié ses déclarations, ses alibis. Mais on ne lui a pas donné accès au dossier. Et s'il a vu un avocat, c'est d'avantage pour se rassurer que pour se défendre, l'avocat non plus n'ayant pas accès au dossier. Du reste, ce dossier n'est matériellement pas réellement constitué et ordonné de façon à être consultable par un avocat ou un magistrat. Souvent, il n'est pas encore ordonné, les pièces pas encore numérotées, les copies, les originaux, les doubles pour les archives n'ont pas été séparés... Le procureur prend la décision de poursuivre, on se retrouve au tribunal et là, et seulement là, les avocats ont accès au dossier. Le tribunal, réuni pour juger de l'affaire, peut cependant ordonner des investigations supplémentaires si cela lui apparaît nécessaire.

Parfois - de plus en plus souvent -, l'enquête est soumise au tribunal dès la fin de la garde à vue. Le suspect est conduit menotté au tribunal, devant lequel il comparaît dans la journée. Le tribunal, sauf exception, statue aussitôt sur la peine et délivre, le cas échéant, un mandat de dépôt. C'est la procédure de comparution immédiate, très brutale et peu propice à l'exercice serein de la justice et de la défense, mais qui présente l'intérêt de l'immédiateté de la répression.

Dans les 5% restants, l'affaire a été instruite par un juge d'instruction. Après une phase policière identique à celle que je viens de décrire, le juge d'instruction est saisi. Il va généralement faire des investigations supplémentaires (on l'a d'ailleurs saisi parce qu'il y a des investigations supplémentaires à faire). Il va notamment étoffer le dossier de personnalité du suspect (qu'on appelle, à ce stade, la personne mise en examen). Il va l'interroger plus complètement, dans des conditions plus agréable (non menotté, en présence d'un avocat) qu'en garde à vue.

Cette différence ne doit pas laisser à penser que les 95% des affaires qui ne passent pas par l'instruction sont bâclées. La police fait bien son travail. Quand on lui sort un alibi, elle le vérifie. Mais bon, dans l'ensemble, chacun s'accorde à dire que les dossiers d'instruction comprennent plus de renseignements. Pas forcément plus de preuves, ni plus de certitudes. Mais plus d'informations. Plus de détails. Notamment des détails que la police ne cherche pas toujours (même si je soutiens qu'on pourrait certainement lui indiquer que ces détails sont importants. Travailler par exemple sur l'élément intentionnel, faire une enquête de personnalité, faire des environnements).

L'instruction a donc l'avantage de nous apporter un dossier plus intéressant, plus étoffé. Forcément, c'est plus long, ça coûte plus cher à la justice et il n'y a pas forcément lieu de mettre en œuvre de tels moyens pour toutes les affaires, bien au contraire.

La tendance actuelle de nos réformes législatives, depuis disons 1993, c'est de renforcer les garanties et les droits procéduraux des parties dans la phase d'instruction. La défense y a sans cesse plus de droits (qu'elle n'utilise du reste que façon très limitée). L'enquête ordinaire (les 95%), elle, ne suit pas cette tendance : tout est entre les mains de la police et du parquet, il n'y a pas de "partie" à ce stade, et donc pas de droit.

C'est l'existence d'une institution (le juge d'instruction) qui est une "option" entre les mains du procureur, qui introduit cette dissymétrie.

Je crois que l'un des intérêts de la suppression du juge d'instruction serait justement d'unifier le régime de l'enquête, de donner à chacun les mêmes droits.

Un juge de l'enquête préliminaire, dont la désignation devrait apporter des garanties d'indépendance comme celles qu'offre aujourd'hui le juge d'instruction, pourrait être saisi par les parties, à tout moment. Qui est une partie ?

  • le procureur de la République, dès lors que s'ouvre une enquête. Il pourrait demander au juge les mesures coercitives qu'il ne pourrait autoriser seul, comme la prolongation de la garde à vue, le contrôle judiciaire, la détention provisoire, les mandats, mais aussi les écoutes téléphoniques, etc.
  • la partie civile, dès lors qu'une personne dépose plainte (la reconnaissance automatique du statut de partie civile à tout plaignant ne me paraît pas problématique en soit). Elle pourrait demander au juge, au moins à certains stades de la procédure, d'ordonner certaines investigations, et, pourquoi pas, lui demander également une provision sur ses dommages et intérêts (imaginons le cas où les faits sont reconnus, rien n'interdit de restreindre le rôle de ce juge à la seule matière pénale), ou l'éloignement du conjoint violent (pour les victimes de violences conjugales).
  • le suspect. A l'issue au moins de sa garde à vue ou d'une audition sous un statut de suspect (qu'il conviendrait impérativement de créer), le suspect pourrait également demander au juge des investigations pour sa défense.

Le juge pourrait en outre statuer sur toutes sortes d'incidents d'enquête (désignation contradictoire d'un expert, délimitation de sa mission, restitution des scellés, nullités des actes de procédure,...). A l'issue d'une garde à vue, ou postérieurement, le procureur de la République pourrait faire conduire ou citer le prévenu devant le juge de l'enquête préliminaire. Les incidents préalables à l'audience seraient évoqués, les nullités purgées. Des mesures coercitives provisoires pourraient être prises (on supprimerait ainsi les comparutions immédiates devant le tribunal, au profit d'une comparution immédiate devant le juge de l'enquête préliminaire).

A ce stade, il interviendra peut être déjà un accord sur la culpabilité et la peine entre le procureur de la République et le suspect. Cet accord pourrait être homologué par le juge de l'enquête préliminaire. D'autres affaires, relevant du juge unique, pourraient être évoquées immédiatement. Pour les autres, le juge de l'enquête préliminaire renverrait l'affaire devant la formation compétente (tribunal correctionnel collégial, cour d'assises).

Pour les débats contradictoires, l'audience serait publique et contradictoire, sauf exception.

Ce système présente les intérêts suivants :

  • toutes les procédures suivront le même cheminement, sans faire de différenciation entre les plus complexes et les moins complexes, à la discrétion du procureur de la République (ou presque). Les droits de chaque prévenu sont donc les mêmes, ce qui est logique dans un système de présomption d'innocence.
  • A un stade raisonnable, l'enquête pourra devenir contradictoire. Le cas échéant, si cela nuit aux investigations, on pourrait imaginer que certaines pièces soient maintenues au secret quelques temps (cela existe en droit Suisse), par la décision d'un juge, pour ne pas compromettre l'efficacité de l'enquête : le système est souple.
  • La plupart des affaires peuvent être évoquées publiquement assez rapidement, au moins sur certains aspects du dossier, ce qui permet de donner des informations aux journalistes et satisfaire le goût de l'insatiable curiosité malsaine de nos concitoyens pour le sang et le sexe (ok, le mien aussi). Cette publicité n'est pas forcément une mauvaise chose : je fais le pari qu'on peut "éduquer" l'opinion publique sur les difficultés des affaires pénales. Les effets de manche des avocats sur les marches du palais sur la justice sourde et aveugle ne dureront pas !
  • on peut envisager plusieurs équilibres entre nécessités de l'enquête et libertés individuelles : le nôtre, ou quelque chose de beaucoup plus exigeant du point de vue des libertés. On peut aussi envisager de rester avec le rôle actuel des juge à l'audience (instruction par le juge), dans la tradition française, ou imaginer un système où les parties ont d'avantage la maîtrise du débat (le parquet présente le dossier à un juge qui ne le connaît pas). Il permet enfin de conserver un système actuel avec des obligations fortes pour la police (instruire à charge et à décharge) ou aller - ce que je ne souhaite pas - vers un système plus anglo-saxon.

Souplesse, évolutivité, égalité.

lundi 12 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (2) - séparer l'usage du pouvoir coercitif de la contrainte

Par Paxatagore


Je poursuis timidement mon propos (cf. mon billet d'hier) en examinant un autre thème.

Dans notre pratique actuelle, celui qui détient le pouvoir de contrainte est, grosso modo, celui qui enquête. L'OPJ qui place en garde en vue est celui qui réalise l'enquête. La garde à vue est contrôlée par le magistrat qui est en charge de l'enquête (procureur de la République ou juge d'instruction). Il en va de même pour les perquisitions, les réquisitions, les écoutes téléphoniques, les mandats, etc. Toutes décisions pour lesquelles celui qui ordonne doit, ou devrait, mettre en balance l'intérêt qu'il peut attendre de la mesure envisagée, d'une part, et le désagrément qu'il représente pour la personne qui est contrainte, ses droits, ses libertés. Ce contrôle, à vrai dire, n'est jamais réellement fait. De là vient qu'on place facilement en garde à vue, qu'on perquisitionne à tout va, qu'on pratique des écoutes téléphoniques... De là vient surtout qu'il n'y a aucune doctrine jurisprudentielle sur la proportionnalité entre mesure de contrainte et intérêt de l'enquête.

Soyons honnêtes à ce sujet. Évitons de sortir les grands arguments de principes. Si la police place les gens en garde à vue, c'est pas pour leur offrir des droits pendant le temps où on va les interroger. C'est pour les interroger tranquillement en faisant usage d'une dose raisonnable de pression (notez bien que ce n'est pas une critique de ma part). Etc.

Le raisonnement de la proportionnalité entre la fin et les moyens est même parfois difficile à tenir. En matière de détention provisoire, par exemple, où le sacro-saint principe de présomption d'innocence se heurte à toute argumentaire raisonnable sur la question. Je préférerai qu'on évacue cette dimension mystique de la présomption d'innocence et qu'on demande clairement au juge d'arbitrer entre la probabilité qu'une personne soit coupable et la gravité des faits qui lui sont imputés.

Notre système français repose entièrement sur cette confusion, le même individu (OPJ, procureur, juge d'instruction...) devant faire une balance entre des intérêts contradictoires. Plus exactement, entre certains intérêts qui sont le principe même de son action, ceux sur lesquels il est évalué par ses chefs (la résolution des affaires, la sortie des dossiers...) et des intérêts qui sont de grands principes qui ne donnent lieu à aucune évaluation concrète. Autant dire que tout repose sur la conscience individuelle. Heureusement, notre culture judiciaire n'est pas trop répressive. Mais il me semble qu'un système qui repose exclusivement sur la bonne volonté de ceux qui le servent n'est pas idéal.

Je préfère donc imaginer un système où les mesures coercitives seraient confiées à un juge - je l'appelle le juge de l'enquête préliminaire. Sollicitées par le procureur ou les avocats, il pourrait autoriser les perquisitions, les écoutes téléphoniques, prononcer les contrôle judiciaire ou les placement en détention provisoire, ou encore délivrer des mandats. Donnons lui des principes : qu'il mette en balance, dans chaque décision, l'intérêt que représente la résolution de l'affaire, d'une part, la contrainte qu'elle représente pour les personnes concernées, de l'autre. Qu'il donne la priorité aux mesures les moins coercitives. Certaines décisions seraient prises, par nature, hors de tout débat contradictoire (les écoutes téléphoniques), d'autres, par nature, après un tel débat (la détention provisoire).

Ainsi, on sépare clairement deux fonctions distinctes et, je l'espère, les libertés seraient mieux protégées. Les enquêtes n'en seront pas mieux menées, il faut être très clair à ce sujet : il est même probable qu'elles seront moins parfaites.

C'est aussi parce que nous (juges) sommes très laxistes avec la liberté des autres qu'on a pu se laisser se développer une justice si pauvre. Qu'on cesse de maintenir les suspects en détention provisoire plus de 3 mois, un délai parfaitement raisonnable pour réaliser l'essentiel des investigations dans la quasi totalité des dossiers criminels, pour peu que l'Etat mette les moyens. Et peut-être qu'alors on consentira à mettre un peu d'argent pour payer nos experts à leur juste valeur et on consentira à réorganiser le fonctionnement de la police de façon à ce que les affaires soient traitées rapidement même après la garde à vue.

Cela nous emmène à mon troisième argument : supprimer le juge d'instruction pour mettre fin à la dualité des modes d'enquête.

dimanche 11 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (1) - professionnaliser la direction d'enquête

Par Paxatagore


J'avoue : moi aussi, j'ai été juge d'instruction. Plusieurs années même. Moi aussi, j'ai mis des gens en examen, j'ai demandé que certains d'entre eux soient placés en détention provisoire. J'assume.

Qu'on me pardonne de ne pas maudire ce que je fus : j'ai adoré cette fonction, qui m'a donné beaucoup de plaisir professionnel. Mais le grand plaisir qu'elle m'a apporté n'est pas une justification suffisante pour la maintenir. De telles raisons existent et Maître Eolas en a listé un certain nombre. Je vais même dire quelque chose qui peut apparaître comme incohérent avec la suite de mon billet mais il me semble que le juge d'instruction fonctionne globalement bien rapport à son objectif premier (contribuer à réduire la délinquance) et pas trop mal par rapport à la défense des droits des différentes parties. C'est une institution peu onéreuse pour la société et cependant très efficace. La supprimer sans y avoir sérieusement réfléchi est hasardeux.

Mais pourtant, je crois qu'il existe bonnes raisons aussi de souhaiter la suppression du juge d'instruction. Des raisons qui dessinent, en creux, ce que j'attends de la réforme et ce qui me déplairait. Aujourd'hui, j'aimerai parler de la professionnalisation de l'enquête et de la direction d'enquête.

Il y a longtemps, disons en gros avant les années 1850, il n'y avait pas d'enquêteur policier, il n'y avait que des magistrats. C'étaient des magistrats qui faisaient les enquêtes importantes. Puis, devant l'augmentation de la délinquance, la police - au départ créée pour surveiller la population et non pour traquer les auteurs d'infractions - a fini par développer une vraie compétence en la matière. Au début du XXe siècle, Clémenceau a ainsi créé les "brigades du tigre", les ancêtres de l'actuelle police judiciaire : un corps de policier entièrement tourné vers le travail judiciaire, c'est-à-dire la recherche des auteurs d'infractions pénales et des preuves. Progressivement, les magistrats ont été cantonnés dans un rôle de "direction d'enquête", c'est-à-dire qu'ils donnaient des instructions à des enquêteurs qui faisaient, eux, le vrai travail d'enquête. Les juges d'instruction ont continué à avoir une petite importance comme enquêteurs, au moins pour les auditions et les interrogatoires, et, dans une certaine mesure pour les perquisitions. La police nationale a "rafflé" l'essentiel de ce qui fait une enquête moderne : les fichiers, les capacités à mener des écoutes téléphoniques...

Le problème, c'est que l'enquête, chez nous magistrats, reste un savoir faire artisanal et individuel. Pour avoir suivi la formation de l'ENM, je l'affirme : les magistrats ne sont pas sérieusement formés à la direction de l'enquête. Nous sommes vaguement formés à la technique de l'interrogatoire, mais c'est tout. Certains juges d'instruction sont de très bons directeurs d'enquête : c'est grâce à leur personnalité, à leur expérience. Pas à leur formation, pas au fonctionnement du système.

La police a une vision bien plus professionnelle de l'enquête (mais je crains qu'elle soit en train de la perdre). D'abord, une organisation en groupe, qui permet de confronter les points de vue, de balayer tous les aspects d'un problème. Ensuite, une organisation hiérarchique qui permet de valider les options choisies ou de trancher en cas de conflits. Enfin, une capacité à mettre en œuvre, en fonction des moments, des moyens plus ou moins importants sur une enquête donnée (ainsi, pour une enquête sur un trafic de stupéfiants, un groupe de quelques agents va faire un travail préparatoire, dépouiller des relevés téléphoniques, faire des filatures... Puis, au moment des interpellations, c'est tout le service qui va venir sur l'enquête, le temps de 4 jours).

Que manque-t-il à la police ? Deux choses. L'expérience du débat judiciaire et, parfois, la culture du doute.

- L'expérience du débat judiciaire, c'est la plus value du magistrat du parquet (ou du juge d'instruction) sur le fonctionnaire de police même le plus gradé. Avec un peu d'expérience (car là non plus, point de formation), il a quelques idées sur les arguments que la défense va produire et donc aiguiller le travail de la police sur ces points. Il sait aussi ce que les juges du siège vont attendre comme informations, comme preuves, et, là encore, il va demander ces éléments à la police.

- La culture du doute manque parfois à celui qui édifie l'accusation. C'est d'autant plus vrai que celui-ci a d'autres objectifs en vue. Le policier, souvent, a aussi l'ordre public en ligne de mire (il me semble, par expérience, que la culture du doute est plus forte dans les services de PJ, qui n'ont pas de rôle en matière d'ordre public, que dans les commissariats, qui ont un double rôle : maintenir l'ordre et faire des enquêtes). Le procureur aussi, d'une certaines façons. Le juge d'instruction est souvent vu comme plus objectif puisqu'il n'a pas d'autre intérêt à défendre que celui de la manifestation de la vérité. Plus on s'éloigne de l'enquête, plus on est enclin à en voir les failles, c'est naturel. La police a, par nature, un moyen d'y remédier : le contrôle hiérarchique. Malheureusement, ce contrôle joue de moins en moins.

Pour moi, une vision professionnelle de l'enquête implique une responsabilité des enquêteurs. Une enquête ratée, bâclée, mal faite, peut logiquement entraîner la responsabilité de ses auteurs. La société est en droit d'attendre que leur responsabilité soit mise en jeu, dès lors à tout le moins que les pouvoirs publics s'engagent réellement dans une logique de professionnalisation de l'enquête - on en est loin, me semble-t-il, tellement on est obnubilé par cette idée que chaque enquête est différente.

Le directeur d'enquête doit pouvoir être responsable et cela, à mon sens, n'est pas compatible avec l'idée qu'il s'agisse d'un magistrat du siège. Il doit avoir une compétence technique professionnelle et cela, à mon sens, n'est pas vraiment compatible avec l'idée qu'il s'agisse d'un magistrat du siège (auquel on demande déjà une grande maîtrise du droit et d'autres qualités professionnelles par ailleurs : à chacun suffit sa peine).

En toile de fonds, on devine ce que je souhaite (et les conditions qui me paraissent nécessaires à la suppression du juge d'instruction) : - un parquet, qui reçoive une formation spécialisée dans la direction de l'enquête, qui soit clairement séparé des magistrats du siège et dont les membres pourraient voir leur responsabilité engagée s'ils ne dirigent pas convenablement les enquêtes. Un parquet qui soit organisé sur un mode hiérarchique (un procureur / des substituts). - une police judiciaire renforcée dans cette même logique de professionnalisation et de valorisation du travail judiciaire - mais c'est la voie inverse que suit actuellement le ministère de l'intérieur.

C'est, à mon sens, un gage en terme de qualités d'enquête.

On me dira que le juge d'instruction pourrait assurer cette qualité. Bien sur. Dans les faits, il l'assure, généralement. Pour les enquêtes dont il est saisi. Il n'en reste que 5%. Pensons aux 95% restants : ça sera mon prochain billet.

vendredi 9 janvier 2009

Sous vos applaudissements

Par Dadouche


On apprend ce matin par une dépêche que les magistrats du Parquet du Tribunal de Grande Instance de NANCY, qui se sont levés comme un seul petit pois avec tous leurs collègues du siège pour applaudir le discours de la Présidente du Tribunal lors de l'audience solennelle de rentrée de cette juridiction, sont convoqués comme un seul bataillon aujourd'hui chez le Procureur de la République Raymond MOREY puis lundi chez le Procureur Général Christian HASSENFRATZ pour s'expliquer sur leur attitude.

Au delà des commentaires faciles (et forcément corporatistes, passéistes et j'en passe) sur la reprise en main des Parquets, une vraie question se pose : ceux qui ont (maigrement m'a-t-on dit) applaudi l'oraison funèbre de l'indépendance de la justice pénale le discours du Président de la République lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation seront ils convoqués chez la chef des Procureurs (que des dizaines de bagues étincellent à ses doigts de fée) ?

Décidément, en 2009 non plus il ne fait pas bon être magistrat du Parquet dans l'Est...


Edit : d'après des sources bien informées, la question des applaudissements n'a pas été abordée lors de la "réunion" des magistrats du parquet de Nancy ce matin et si le Procureur Général viendra à leur rencontre lundi, c'est pour évoquer le fond de la réforme.
Ce que c'est que les coïncidences quand même...

lundi 29 décembre 2008

Profitons des vacances...

Par Gascogne


...pour réviser un peu nos bases de droit constitutionnel intergalactique.

Je suis tombé (un grand merci aux listes de discussions de magistrats et à certains Conseillers Référendaires qui les fréquentent) sur cet excellent article du blog "Droit administratif", rédigé par Alexis FRANK.

Un régal pour les amateurs de la Guerre des Etoiles.

Une saine lecture juridique de congés.

jeudi 18 décembre 2008

Lettre au Pere Noël

Par Gascogne


Je ne voudrais pas pourrir l'ambiance, il paraît que ce n'est pas la période. Mais que voulez-vous, je ne crois pas au Père Noël. J'ai passé l'âge. C'est sans doute une période féerique pour les enfants, mais me dire que l'on fabrique du bonheur sur un mensonge m'a toujours quelque peu perturbé.

Je ne crois plus au Père Noël depuis que je suis en âge de comprendre la fable de La Fontaine : "Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le Corbeau honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus." (A lire ici)

Je me vois bien en corbeau, enrobé de noir, en haut de mon pupitre, croyant ce que ce renard de prévenu me dit : "vous n'allez pas me croire, monsieur le procureur, mais cette fois-ci, j'ai compris. Je sais bien que c'est la dixième fois que je passe en correctionnel, mais là, c'est bon, je veux devenir quelqu'un de bien". Bah, requérons un travail d'intérêt général. C'est Noël...

Je m'imagine parfaitement en corbeau écoutant le renard du Ministère me contant, à l'occasion d'un dîner place Vendôme, les augmentations de budget et d'effectifs, et accessoirement tout son amour pour notre si beau métier. Certes, le budget famélique de la Justice augmente. Mais parle-t-on des gels de lignes budgétaires qui interviennent systématiquement dans l'année qui suit ? Oui, le nombre de magistrats s'est accru, mais pourquoi parler d'emplois en Equivalant Temps Plein ? Pourquoi manque-t-on toujours cruellement de fonctionnaires dans les juridictions ? Pourquoi diminue-t-on le nombre de places au concours d'accès à l'ENM, alors que la pyramide des âges nous entraîne vers des départs massifs à la retraite ?

Je ne crois plus au Père Noël depuis que mon travail me fait découvrir jour après jour des situations sociales plus terribles les unes que les autres. Ca ne s'est d'ailleurs pas arrangé depuis que je fréquente ce blog.

Et dans l'horreur du droit pénal, qui est mon quotidien, il arrive parfois qu'il y ait une lueur étrange. Oh, pas une très belle lumière, la noirceur humaine qui est notre fonds de commerce ne le permet pas. Juste une petite lumière. Et elle me permet d'ouvrir les yeux. Oui, finalement, c'est une évidence : il existe.

Alors joyeuses fêtes à tous.

lundi 15 décembre 2008

Mais qui veut la peau du juge d'instruction ?

Par Paxatagore, ancien juge d'instruction


Plein de monde en vérité.

Un extra-terrestre qui débarquerait en France en novembre ou décembre 2008 pourrait tirer hâtivement quelques conclusions sur le fonctionnement de notre démocratie. Un journaliste, ancien directeur de rédaction d'un grand journal de gauche, est interpellé - selon ses dires - dans des conditions extrêmement brutales dans le cadre d'un mandat d'amener délivré par un juge d'instruction. On peut gloser à l'infini à ce sujet qui associe liberté de la presse, dignité humaine, usage de la contrainte par la police et, évidemment, opportunité de l'usage de cette contrainte par la justice. Ce qui importe, c'est que naît de cette interpellation un grand scandale médiatique qui appelle, nécessairement, dans notre démocratie moderne, une réaction du pouvoir politique. Parmi les propositions, il se murmure de plus en plus - Le Monde se fait l'écho de ce murmure - que l'Elysée voudrait mettre fin à cette institution pluri-séculaire qui est le symbole de notre justice : le juge d'instruction.

Notre extra-terrestre ne connaissant peut-être pas le juge d'instruction, il fera quelques recherches à ce sujet et s'apercevra que c'est une institution sommes toutes récente, qui dans sa forme actuelle n'existe que depuis 1808 mais qui plonge ses racines dans des institutions plus anciennes qui font l'orgueil de notre culture juridique, les lieutenants criminels et, plus loin encore, les inquisiteurs.

Une impression étrange démangera alors l'extra-terrestre. Voilà une institution des plus anciennes, fortement ancrée dans les mentalités judiciaires et, même, populaires, que l'on va supprimer simplement parce qu'UNE fois, UN juge aurait délivré UN mandat d'amener. Si cet extra-terrestre se sent quelques solidarités avec les juges, il ajoutera qu'en plus la décision du juge était parfaitement légale et ses modalités d'application - par la police nationale, dont personne n'évoque la suppression - regrettables et inutilement humiliantes.

Car tel est bien le fonctionnement moderne de nos institutions. Sur un incident[1], on envisage sérieusement de supprimer une institution qui marche plutôt bien. Être ministre, de nos jours, ce n'est plus coller à ses dossiers, c'est coller à l'actualité : à chaque évènement médiatique, sa réponse juridique. Les étudiants en sociologie du droit devraient ajouter une nouvelle source sociologique du droit : les rédactions de presse.

Mais notre extra-terreste ayant un peu de temps libre pourrait aussi jeter un regard circulaire sur cette institution qui marche si bien. Il pourrait alors constater que beaucoup de pays européens avaient adopté ce juge au XIXe siècle, sur le modèle français, et ont passé le XXe siècle à le supprimer, l'Allemagne en 1974, l'Italie en 1993, par exemple (l'Angleterre avait suivi le même chemin au XVIIIe siècle). On pourrait également lire de très nombreuses critiques contre la procédure d'instruction, dénoncée à raison pour sa lenteur, pour l'énormité des pouvoirs concentrés entre les mains d'une seule personne (trois à compter du 1er janvier 2010).... Certaines de ces critiques ne sont pas dénuées d'arrières pensées : il est probable que nombre d'hommes politiques voudraient ainsi échapper à des poursuites pénales désagréables. Mais beaucoup de ces critiques sont formulées par des magistrats, par des policiers, par des avocats, par la doctrine juridique (les professeurs)... Et ces critiques sont particulièrement nombreuses depuis une trentaine d'années.

L'idée de supprimer le juge d'instruction ne date donc pas d'hier. Les critiques nombreuses contre la fonction ont conduit à des réformes législatives considérables de la procédure à un rythme effréné, sans moyen supplémentaire. A petit feu, tranquillement, le législateur va tuer le juge d'instruction en l'étouffant sous les réformes. Cela dure depuis 1993[2].

Si jamais, début 2009, le parlement votait une loi supprimant le juge d'instruction, la loi "Filippis-Dati", il ne faudrait pas accuser un fait divers médiatique. Ce n'est jamais qu'une longue et lente tendance de l'histoire.

Le juge d'instruction marche bien, dans l'ensemble, c'est certain. C'est une institution assez peu onéreuse pour le ministère de la justice, c'est évident. Mais ne tançons pas nos hommes politiques d'inconstance à ce sujet : ça fait longtemps qu'ils cherchent un prétexte pour céléber le Requiem. Le terme « prétexte » n'est pas le bon, le bon terme serait étincelle.

Ce qu'il faut bien comprendre, ce sont les ressorts de notre société démocratico-médiatique. Les médias n'ont pas inventé les défauts du juge d'instruction. Un évènement va peut être précipiter la chute d'une institution ancestrale mais ça ne sera que l'aboutissement d'une tendance lourde. Ne blâmons donc pas trop les journalistes, pour une fois...

Notes

[1] On me permettra de traiter l'affaire Filippis d'incident mineur, si je compare par exemple aux conditions de détention en France que l'hôte de ses lieux évoquait encore très récemment. Incident révélateur certes, mais incident.

[2] Il n'est pas inutile de préciser que les règles qui régissent le juge d'instruction relèvent de la loi : les juges, on l'oublie trop souvent, ne décident pas de l'organisation de la justice.

vendredi 5 décembre 2008

La peur

Par Fantômette


La peur, vous vous y attendez toujours. Elle arrive rarement par surprise. Elle prévient avant de frapper. Mais les coups n’en sont pas moins brutaux, et la douleur qu’ils laissent, lancinante.

Depuis que j’ai prêté serment, je ne crois pas qu’il se soit jamais écoulé une semaine sans que je ne la côtoie, constante et silencieuse, une ombre parmi les ombres. En audience. En détention. En rendez-vous.

Elle s’invite souvent dès le premier rendez-vous, le tout premier contact avec un nouveau client.

Vous l’avez vu arriver, depuis la fenêtre de votre bureau.

Il est peut-être jeune, ou plus âgé. Il a les mains profondément enfoncées dans les poches, un blouson à la mode, un peu crasseux. Ou un costume bon marché, une mallette à la main. Il la posera très soigneusement sur votre bureau après avoir écarté le pot à crayons.

La peur l’a accompagné, mais elle ne se montre pas tout de suite. Elle apparaît pour la première fois, sans bruit mais dans une brève et soudaine lueur, lorsqu’il vous tendent leur convocation. Elle est pliée en seize, déjà grise et froissée par cette main tout à l’heure enfoncée dans la poche. Ou encore dans son enveloppe, sortie de la mallette. Nette et blanche. Implacable.

Vous y jetez un bref coup d’œil, qui vous apprend ce que, souvent, vous savez déjà. Convocation… tribunal de grande instance … chambre correctionnelle. L’audience est dans deux jours, trois semaines, ou deux mois. Les faits poursuivis sont visés, les articles du code pénal qui fondent les poursuites également.

Vous relisez la convocation, laissez passer un ange, et puis deux.

- Peut-être avez-vous eu la curiosité d’aller regarder les articles visés du code pénal ? Sur internet ? Non ?

Le code pénal est sur le côté, l’article souvent déjà repéré. Vous lui tendez le code, ouvert à la bonne page. Deuxième coup de poing, la peur a frappé au ventre cette fois.

Et puis, sur une invitation de votre part, les explications viennent.

C’est un peu confus. Souvent très long.

Silencieux, attentif, les yeux fixés sur votre interlocuteur, vous observez monter, descendre, monter à nouveau, l’angoisse, à la façon d’une respiration.

Ils vous parlent des faits, ceux qui sont visés par l’article qu’ils viennent de lire en silence, et qu’ils redécouvrent sous un autre angle, sous l’angle du droit. Et cet angle là les trouble et les inquiète. Ils viennent vous parler d’une bêtise, et vous leur répondez que l’on ne convoque pas souvent les gens devant un tribunal correctionnel pour "une bêtise". Ils ont lentement acquiescé et la peur les a frappé, une troisième fois.

Cette fois-là, elle ne les quitte pas.

Ils repartent avec, la convocation repliée, remise dans la poche ou dans son enveloppe, toujours aussi blanche. Elle laisse son ombre derrière elle, qui s’attarde à votre bureau, et rôde quelques instants encore.

Vous ne la chassez pas.

On ne sait jamais.

Elle pourra resservir.

Plus tard, vous les retrouvez à l’audience. La salle est vide, il est un peu tôt. Il n’y a personne à l’accueil du tribunal, encore. Les justiciables tournent en rond, ils ont la démarche inquiète. Il s’assoient. Ils attendent. Ils se relèvent. Et ils attendent encore.

Lorsque vous êtes arrivé, celui-là, qui vous attendait, s'est approché rapidement de vous, soulagé de voir que vous n'étiez pas en retard.

En réalité, le plus souvent, vous êtes arrivé avant lui. Mais vous avez votre propre itinéraire au tribunal. Vous êtes arrivé tôt, par précaution, et vous êtes passé par l’Ordre, encore tranquille, mais pas désert. Deux ou trois confrères sont là, qui vous saluent d’un signe de tête, enfilent leur robe d’un mouvement ample et précis, patientent à la machine à café, consultent leur dossier. Vous posez votre robe, qui pèse sur votre avant-bras, roulée en boule[1], et le dossier à côté, sur la table. Un sourire pour les uns, un mot pour les autres.

Vous profitez de ce moment de calme, qui ne durera pas, car tout à l’heure, dans la salle d’audience, la peur vous aura rejoint. La vôtre. Celle de vos clients. Celle des prévenus. Celle des victimes.

Dans la salle d'audience, à l’immobilité qui précède l’arrivée de l’huissier, suit un mouvement lent et confus, dont la signification n'est pas immédiatement apparente aux regards extérieurs. Les avocats s’agglutinent près de l’huissier, qui sort les dossiers, les uns après les autres. Quelques jeunes avocats, le rabat immaculé, un dossier serré dans les bras, hésitent un peu à s’avancer, à interrompre l’huissier qui salue les habitués du prétoire. Et puis, les justiciables s'avancent enfin, ou c'est l'huissier vient les trouver, dans la salle ou à l'extérieur, pointant sur le rôle[2] les présents, ceux qui se défendront seuls, ceux qui attendent leur avocat, ceux dont l'avocat est déjà là.

Une légère impression de désordre se dégage de la scène. Le bavardage des avocats, l'air affable de l'huissier qui s'affaire, l'expression stoïque et ennuyée du policier en faction, tout cela crée une impression de banalité, qui allège un instant l'atmosphère d'attente inquiète.

Cela ne dure pas, et le silence et la peur reprennent possession des lieux à l'entrée du tribunal, annoncé par l'huissier ("Le Tribunal !") qui, d'un geste, nous fait tous lever.

L'audience a commencé.

Parfois, vous allez vous asseoir à côté de votre client. Il est anxieux, fatigué. Il parle peu, ou au contraire, il parle trop. Il pose quelques questions dont il écoute à peine les réponses. Vous chuchotez parfois quelques mots d'encouragement, de réconfort. Pas toujours, cependant.

La peur qui l'accompagne sera peut-être votre alliée, tout à l'heure. Lorsqu'à une question précise que posera le Président, elle brisera la voix de votre client. Lorsqu'après avoir écouté la partie civile, elle lui fera bredouiller des paroles d'excuse - maladroites, mais sincères.

Mais ce n'est pas sûr.

La peur qui l'accompagne sera peut-être votre ennemie, tout à l'heure. Lorsque, épuisé par son incessante lutte contre elle, le prévenu la transforme en une colère sourde, mal contenue, mal interprétée. Ou lorsqu'au contraire, comme soudainement vaincu, le prévenu se ferme et n'oppose plus qu'une indifférence muette, discrètement hostile, aux questions de plus en plus agacées du Président.

Au moment où vous prendrez la parole, de toute façon, vous en aurez le coeur net. Vous agirez en conséquence. Vous devrez trouver les mots qui sont restés coincés dans la gorge du prévenu. Vous devrez défaire ceux qui sont sortis mal à-propos, tenter d'en corriger les effets. Expliquer ce que vous - oui : vous - vous avez compris de cet individu, depuis ce jour-là où il est venu vous voir la première fois, sa convocation à la main.

Après, reste l'ultime attente. Celle du délibéré. De la décision. Coupable ou non ? Et si oui, quelle peine ?

Attendre, attendre, attendre. Le tribunal peut s'être immédiatement retiré pour délibérer. Ou il aura pris une autre affaire, en prendra une seconde, une troisième, pour délibérer sur plusieurs en même temps.

Attendre, attendre, attendre. Parler avec le prévenu, votre client, qui n'a plus qu'une seule question à poser, celle à laquelle vous n'avez pas de réponse. "Alors ? Alors, Maître ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Comment ça s'est passé ?" Vous restez prudemment évasif. "Nous verrons. Il n'y a plus longtemps à attendre."

Cette attente-là est épuisante. Vous étouffez soigneusement vos inquiétudes, vos espoirs. Refaites mentalement la plaidoirie que vous avez faite, celle que vous auriez du faire, celle que vous auriez pu faire, et puis vous recommencez. Lorsque le tribunal revient et rappelle votre client à la barre, vous vous levez également, le dossier sur le bras, un stylo à la main, et la peur au ventre.

Le verdict tombe, la peur avec elle, qui se brise et s'échappe pour ne laisser derrière elle qu'une vérité judiciaire, LA vérité judiciaire. Coupable ou non. Prison ferme ou non. La fatigue et le soulagement, l'épuisement et la rage... La journée n'est pas terminée. D'autres vous attendent ce soir, ou vous appelleront dans l'après-midi, inquiets, anxieux, une convocation à la main. Vous partez les retrouver. Sans hâte.

Notes

[1] Une robe d'avocat se transporte roulée en boule, toujours, toujours, toujours. C'est comme ça. C'est pour ainsi dire la première leçon que m'a donnée Patron n°1. Cela emporte obligation d'en acheter un modèle infroissable naturellement.

[2] Le rôle de l'audience est tout simplement la liste des affaires qui seront appelées à l'audience du jour et dénommées d'après le nom du ou des prévenus. Cette liste est également affichée à l'extérieur de la salle.

- page 5 de 9 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.