Par Gascogne
Ah, qu'il était doux le temps où l'on se posait la question de l'accession des femmes à la magistrature...Car si aujourd'hui 75 % des auditeurs de justice sont des auditrices (pour plus de précision, voir là), sachez, Mesdames, que la magistrature entièrement composée d'hommes n'est pas si lointaine.
Des projets personnels et familiaux m'ayant conduit à faire un peu de ménage dans mes archives, j'ai retrouvé un discours de rentrée judiciaire que je ne peux que vous faire partager. En effet, le procureur général près la cour d'appel de Liège, en Belgique, M. Delwaide, se posait le 27 mai 1946 cette difficile question de l'accès des femmes à la magistrature, la France ayant permis cette évolution sociale quelques temps plus tôt.
Et je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager quelques extraits de cette Mercuriale, que vous pourrez lire en intégralité ici. L'on y devine très rapidement que M. le procureur général, sous une plume fort alerte, est très opposé à cette idée. Pourquoi donc ? Parce que cela serait totalement contre la nature même de l'art de juger, nous explique-t-il. En effet, celui-ci impose calme et détermination, alors que comme chacun le sait, "les femme sont incapables de garder leur sang-froid dans les discussions et ne sont pas faites pour le métier de juge".
Bien au delà, les femmes sont dépourvues des capacités pour exercer ce métier. Mieux, elles le savent, puisque "si les femmes réussissent dans l'art dentaire, et même dans la médecine, elles s'abstiennent volontairement de toucher à la grande chirurgie, sentant bien que cet art à responsabilité énorme les dépasse. Or, il y a certaines analogies entre la chirurgie et la justice. Dans les deux cas, il faut savoir avec sang-froid et parfois sur l'heure prendre les décisions dont dépend toute l'existence d'un sujet". Nous voilà avertis.
Pour bien faire comprendre à l'auguste assemblée masculine que l'échec serait patent si la porte de la magistrature était ouverte, le procureur général prend alors appui sur "l'échec" que constitue l'accession des femmes à la profession d'avocat[1] :
"Nous constatons que généralement, les femmes prennent les affaires par le détail et que les grandes lignes leur échappent. Puis, elles n'ont pas la puissance. Ce qu'elles font est souvent gentil, mais elles manquent de ce qui fait l'orateur : le pectus[2]. Il y a dans l'existence de la femme avocate, une indication qu'en général, la femme n'est pas faite pour la vie du Palais. Et c'était à prévoir, puisque la vie du Palais est une lutte perpétuelle, et que dans toute la nature, physiquement et psychiquement, le mâle seul, à l'exclusion de la femelle est fait pour la lutte". (il ne connaissait pas encore Arlette Laguiller).
Car finalement, le problème qui se pose, "c'est au tréfonds, une question de glandes" (je vous assure que c'est dans le discours, je n'invente rien). "Chez l'homme de quinze à vingt ans, l'esprit s'illumine et prend son radieux élan. Il s'enrichit progressivement. A cinquante ans, l'homme est dans toute sa force intellectuelle renforcée de son expérience. A la fin de sa carrière, il vit de son acquis puis vient l'âge de la retraite vers soixante dix ans...Pour la femme, le processus est analogue, mais le mariage et la maternité constituent une nouvelle étape de son évolution, et vers les quarante-cinq ans, la vie sexuelle se retire, lui laissant le sentiment intime d'une diminution de son être et, souvent, un sentiment de modestie qu'elle n'avait pas antérieurement. La femme à ce moment engraisse et devient matrone. Ne faudrait-il pas dés lors, avancer de quinze ans l'âge de la retraite pour les femmes magistrats ?".
Je vous ai dit que sa plume était alerte, je n'ai pas dit légère...Rajoutez à cela que "de même, à la ménopause, sans aller jusqu'à l'entière irresponsabilité, une grande partie des femmes subit, dans une certaine mesure, des troubles psychiques..." Classe, on vous dit.
S'en suit tout un développement sur le fait que la gent féminine ne s'intéresse finalement qu'à la mode, dans le but de plaire aux hommes, et qu'une telle frivolité est incompatible avec la lourde tâche du juge. Il manque à la femme pour exercer les fonctions judiciaires la sérénité : "Il faut que la justice soit sans passion, modérée et sage. Or, cela est congénitalement contraire au tempérament de la femme. La femme est un être subjectif, émotif, passionnel, extrême en tout, se décidant avant tout pour des motifs de sentiments..." Et comme le disait un "savant professeur d'économie politique...après s'être apitoyées sur la victime, elles s'apitoieraient sur le condamné...Tranchons le mot, la femme est une personne antijuridique" (ah, on fait moins les malignes, là).
Je passe sur l'inévitable grossesse de la femme juge, pour laquelle "il faudra aussi installer au Palais une pouponnière avec nurse, et suspendre les audiences aux heures de tétée". "Et que fera-t-on quand une Présidente grosse de huit mois devra précéder son tribunal à l'audience, voir au Te Deum, avec le tangage d'une frégate désemparée ?" (oui, mesdames, je vous le demande, que fera-ton ? Chérie, si tu me lis...). "Il est certain qu'en raison des nécessités du service, on ne peut songer à nommer magistrat une femme mariée. Avec l'actuelle crise des domestiques, quand donc, mon Dieu, aurait-elle le temps de s'occuper des dossiers ?".
Et puis, que voulez vous, la femme "reste toujours dans une certaine mesure une proie destinée à être subjuguée". Seule solution qu'entrevoit notre haut magistrat, "la loi admettant les femmes dans la magistrature devrait prescrire formellement que seules pourront être nommées les vieilles qui sont laides". Cela évitera que les hommes magistrats ne succombent aux succubes...
Voilà mesdames un condensé de ce que l'on pouvait penser de vous il y a quelques 60 ans. Heureusement, aujourd'hui, les choses ont bien évolué, et plus personne n'oserait dire "Mais qui va garder les enfants ?"...