C’est cette bonne question que relève mon excellent confrère Francis Szpiner, qui me donne l’occasion de vous faire un billet sur la procédure disciplinaire des avocats.
D’abord un peu de théorie, avant de voir un exemple pratique.
Les avocats dont Francis Szpiner et moi faisons partie, prêtons serment au tout début de notre exercice, (Prêtons seulement, car selon le mot de Talleyrand, nous n’avons qu’une parole, c’est pour ça que nous sommes obligés de la reprendre), devant la cour d’appel (À Paris, c’est devant la 1e chambre, tous les mercredi à 1 heures, au pied de l’escalier Z)..
Le texte de notre serment est :
Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité.
Les avocats l’aiment, ce serment, C’est notre devise, et il est rudement bien tourné. Il figure sur les pages d’accueil de pas mal de barreaux ; par exemple : Tours, Montpellier, Gap, Poitiers…
Il est quand même plus classe que celui des magistrats, sans vouloir les vexer :
“Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat.”
Nous jurons d’être indépendants, ils jurent d’être fidèles et loyaux. Tout un symbole de cette indestructible méfiance des deux autres pouvoirs à l’égard du troisième qui fait tant de mal à la République.
Nos obligations déontologiques ne se résument pas au “DCIPH”[1] de notre serment. D’autres se trouvent au décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat qui fixe ce que nous appelons “les principes essentiels” de la profession.
L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment. Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.
L’article 4 et 5 rappellent en outre que nous sommes tenus au secret, sous réserve des droits de la défense (Le secret professionnel ne peut nous interdire de révéler des éléments favorables à notre client).
 ces règles s’en ajoutent une profusion d’autres, plus techniques, sur la confidentialité des correspondances entre avocats, la prise de contact avec la partie adverse, les successions d’avocats, les conflits d’intérêts, les honoraires, les commissions d’office, etc. C’est une discipline juridique à part entière sur laquelle on écrit des codes et même des traités.
Ces règles, surtout, sont sanctionnées. L’avocat violant une de ces règles peut être poursuivi devant la juridiction disciplinaire, sur laquelle je vais revenir, et être frappé d’une sanction disciplinaire. Ces sanctions sont, selon la gravité : 1° L’avertissement ; 2° Le blâme ; 3° L’interdiction temporaire, qui ne peut excéder trois années ; 4° La radiation du tableau des avocats, ou le retrait de l’honorariat (art. 184 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat). L’avertissement, le blâme et l’interdiction temporaire peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l’ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier pendant une durée n’excédant pas dix ans. L’instance disciplinaire peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner la publicité de toute peine disciplinaire (même article).
À Paris, cette peine complémentaire de privation du droit de faire partie du Conseil de l’Ordre est quasiment systématiquement prononcée avec les sanctions autres que la radiation.
La procédure disciplinaire commence par une plainte auprès du Bâtonnier[2] dont relève l’avocat, qui est autorité de poursuite. Il peut aussi de lui-même engager des poursuites, sans plainte de quiconque. Le procureur général peut saisir directement le Conseil de discipline, mais l’usage est pour lui de passer par une plainte auprès du bâtonnier, pour que celui-ci procède à une enquête déontologique (art. 187 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat). Cette enquête informelle vise á établir les faits et à écarter les plaintes infondées ou fantaisistes (classement sans suite), ou voir si une simple admonestation paternelle peut suffire si l’avocat répare promptement une erreur vénielle (art P72-2 du règlement intérieur du barreau de Paris). Si l’enquête établit des faits susceptibles de constituer une faute caractérisée, le conseil de discipline est saisi par le Bâtonnier. Si le bâtonnier ne saisit pas le conseil de discipline, le procureur général peut passer outre et le saisir lui-même. Pas de protection corporatiste donc. C’est précisément ce qui vient de se passer pour les quatre défenseurs d’Yvan Colonna et les six d’Antonio Ferrara, qui avaient quitté le procès en appel et refusé d’être commis d’office par le président de la cour. Les bâtonniers de Paris et de Bastia n’ayant pas donné suite, les procureurs généraux de ces deux cours d’appel ont saisi le Conseil de discipline (J’en profite pour signaler au Figaro que le Conseil de discipline de Paris n’est pas compétent pour tous “les avocats du continent” mais seulement ceux de Paris, en l’espèce Patrick Casanova Maisonneuve et Pascal Garbarini, mes confrères Antoine Sollacaro et Gilles Simeoni étant avocats aux Barreaux d’Ajaccio et Bastia respectivement et relevant du Conseil de discipline de Bastia )
La juridiction disciplinaire est le Conseil de discipline, siégeant au niveau de la cour d’appel (Il doit siéger dans la même ville, mais pas forcément dans les locaux de la cour : art. 193 du décret du 27 novembre 1991 ; généralement, c’est dans les locaux de l’Ordre), composé de représentant des Conseils de l’Ordre du ressort de la cour (Sauf à Paris, vous allez voir), devant lequel le bâtonnier soutient l’accusation. C’est notre procureur, en somme, Il ne participe bien évidemment pas aux délibérations. À Paris, les règles sont un peu différentes, pour tenir compte de la taille hors norme du barreau (la moitié des avocats français sont parisiens). Nous avons notre propre conseil de discipline, divisé en trois formations, exclusivement composés d’avocats parisiens (art. 22-2 de la loi du 31 décembre 1971).
L’avocat poursuivi reçoit aussitôt copie de la plainte, des pièces qui l’appuient, et du rapport d’enquête déontologique s’il y en a eu une. Il peut se faire assister d’un avocat et a accès à une copie du dossier,
Dans un premier temps, le Conseil désigne un de ses membres pour instruire l’affaire : le rapporteur. Il a quatre mois pour ce faire, pouvant être repoussé à six mois en cas de besoin, mais les parties doivent en être informées.
Car le Conseil de discipline doit statuer dans les 8 mois de sa saisine, délai pouvant être repoussé à un an en cas de besoin. Passé ce délai, la plainte est réputée rejetée, c’est à dire que l’avocat est automatiquement relaxé. Mais le procureur peut faire appel, et c’est même dans le but de lui ouvrir ce droit d’appel que ce mécanisme existe, pour éviter la tentation de faire traîner un dossier embêtant pour un confrère (art. 195 du décret du 27 novembre 1991).
Il existe un cas de procédure accélérée : lorsque la faute est commise à une audience et que le procureur saisit le Conseil de discipline à la demande de la juridiction concernée, le Conseil doit statuer dans les quinze jours (art. 25 de la loi de 1971 modifié par la loi du 15 juin 1982). C’est la procédure qui a remplacé les délits d’audience, Avant 1982, la juridiction pouvait elle même statuer sur le champ, étant à la fois juge et victime. Pour l’anecdote, un avocat parisien a été victime de cette loi à une audience où il défendait un cient contre lequel la mort était requise. Il s’appelait Robert Badinter, et devenu Garde des Sceaux, il fit voter cette loi de 1982.
L’audience est publique, et le procureur général peut y participer s’il est le plaignant. La décision est écrite.
Le droit d’appel d’une décision du conseil de discipline appartient à l’avocat condamné, au bâtonnier, et au procureur général, qui est tenu informé de toutes les poursuites engagées et de la décision rendue (art. 196 du décret précité).
Alors que l’audience du Conseil de discipline est en principe publique (art. 194 du décret), l’audience d’appel est en principe à huis clos (art. 16 du décret). Je n’ai pas d’explication de cette disposition qui fait le bonheur des examinateurs de l’oral de déontologie du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (à bon entendeur, votre bien dévoué).
L’audience d’appel se tient en audience solennelle : c’est le premier président qui préside, les conseillers viennent de deux chambres différentes et sont au nombre de quatre (art. R.312-9 du code de l’organisation judiciaire) et c’est la robe rouge qui est de rigueur, et à Paris l’épitoge herminée pour les avocats. La prestation de serment a d’ailleurs lieu en audience solennelle.
Maintenant, la pratique : revenons en à Francis et moi.
À tout seigneur, tout honneur : Francis. Mon excellent confrère, à la suite d’un verdict décevant à ses yeux, a étalé son blues dans la presse et a tenu des propos désobligeants contre, ma foi, un peu tout le monde, votre serviteur y compris, qui ne méritait pas cet honneur.
Francis Szpiner reconnaît avoir usé dans le Nouvel Observateur, du doux vocable de “connards” contre des blogueurs tenant des propos qu’il a estimés “effrayants” au cours du procès (ce qui ne me vise manifestement pas puisque je n’ai parlé de ce procès qu’une fois le verdict connu), et ses contradicteurs de “bobos de gauche”, le choix du Nouvel Obs’ visant sans doute à s’assurer que ses cibles le liraient.
La principale cible de l’acrimonie de mon confrère a été l’avocat général, à qui il reproche d’avoir “failli à sa mission”, ce qui est manifestement un malentendu puisque cette mission serait, aux yeux de mon confrère, de suivre aveuglément la position de la partie civile et de requérir le maximum pour tout le monde, alors qu’il n’en est rien puisque la mission de l’avocat général était de requérir librement ce que sa conscience lui dictait après avoir étudié le dossier et assisté à l’audience. Ce que Philippe Bilger fait depuis plus de dix ans à la cour d’assises de Paris.
Emporté par son erreur, mon confrère a qualifié cet avocat général de “traître génétique”, propos qu’il a confirmés, en précisant toutefois qu’ils ne faisaient nullement allusion à un douloureux épisode familial dont le magistrat avait déjà parlé, ce que tout le monde avait cru comprendre, mais aux “trahisons à répétition” de ce magistrat, qui aurait trahi dns un premier temps la partie civile, puis son procureur général en déclarant ce verdict “satisfaisant” à ses yeux, ce qui aurait mis son supérieur en difficulté lorsqu’il a décidé de faire appel. À ceci près que ce n’est pas son supérieur qui a décidé de faire appel, et je doute que cela ait pu échapper à mon confrère.
À la suite de ces déclarations (du moins de leur première mouture, celle du Nouvel Obs’), le procureur général de Paris a décidé de donner à mon confrère une leçon de loyauté en déposant une plainte contre lui auprès du bâtonnier de Paris. Celui-ci a aussitôt fait savoir qu’il avait déjà décidé de l’ouverture d’une enquête déontologique du fait de ces propos, qui pouvaient de prime abord sembler difficilement conformes aux principes essentiels de dignité, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.
Nous en sommes au stade de cette enquête (qui sera essentiellement une audition de mon confrère pour savoir ce qu’il reconnaît voir dit). Vous savez désormais la suite : le bâtonnier rendra un rapport communiqué au procureur général puisqu’il est plaignant. Si le bâtonnier devait décider de classer sans suite ou d’admonester paternellement mon confrère, le procureur général pourra saisir directement le conseil de discipline. Ce ne sera pas avant septembre. Le Conseil serait-il saisi qu’un rapporteur sera nommé et devra rendre son rapport sous quatre mois, prolongeables à six, le Conseil devant statuer sous huit mois, prolongeables à douze. Ce qui fait qu’une éventuelle décision tombera à peu près au moment du procès en appel.
Pour ma part, je souhaite à mon confrère que cette procédure disciplinaire n’aille pas jusqu’à une sanction. L’amertume de la défaite est une épreuve douloureuse, surtout quand elle est médiatisée. En effet, mon confrère espérait des peines très sévères pour tous les accusés, proches du maximum ; ce ne fut pas le cas. L’avocat général a obtenu les peines qu’il avait requises dans la moitié des cas, et des peines à peine inférieures pour l’autre moitié, cet écart s’expliquant notamment par le travail de fond des avocats de la défense. Qui donc a failli à sa mission, en l’espèce ?
Avoir le sentiment de ne pas avoir été entendu, alors que le parquet a eu l’oreille du juge, est horripilant, je le sais, même quand in fine c’est le parquet qui avait raison. Cela excuse beaucoup à mes yeux les excès verbaux de mon confrère à qui j’exprime ma solidarité. D’ailleurs, lui même le dit :
Non, je n’ai rien à me reprocher. Je regrette en revanche l’interprétation qui en a été faite.
C’est déjà assez vexant pour un avocat de ne pas être compris par qui que ce soit quand il s’exprime pour en plus lui rajouter des soucis déontologiques.
Enfin, quid de votre serviteur ?
Mon excellent confrère Szpiner me fait l’honneur de s’intéresser à mon cas. Soucieux de l’égalité devant la justice disciplinaire, il se demande si je ne devrais pas moi-même faire l’objet des mêmes tracas du fait de mes propos où je parlais de “valet des victimes” s’agissant du Garde des Sceaux et de “larbins” pour deux députés.
En droit, rien ne s’y oppose. Je m’exprime ici en tant qu’avocat, et je ne conteste absolument pas être tenu de ce fait à mes obligations déontologiques, qui me suivent jusque dans ma vie privée.
C’est en fait que l’accusation ne tient pas.
Je n’ai pas traité le garde des sceaux de valet des victimes. Mes lecteurs savent qu’en ces lieux, la plus profonde déférence envers le garde des Sceaux en exercice est de mise. J’ai dit qu’en agissant comme elle l’a fait, c’est à dire en s’empressant de déférer à l’injonction de l’avocat de la victime d’ordonner un appel sans réfléchir aux conséquences potentielles, elle s’est comportée en valet des victimes. Ce reproche n’a de sens que si on saisit le corollaire : c’est que précisément, le garde des sceaux n’est PAS le valet des victimes et ne doit pas l’être.
Quant aux députés Baroin et Lang, je ne les ai pas traité de larbins : j’ai dit : “Si le législatif aussi se met à jouer les larbins des victimes, il ne reste que le judiciaire pour garder la tête froide.”
Cela étant, la lecture du Nouvel Obs m’apprenant que
Dès le début du procès, Francis Szpiner a demandé à son ami[3] le député UMP François Baroin de rédiger une proposition de loi pour modifier la procédure (voir encadré). «Il me fallait une personnalité de gauche estimable pour que cela n’apparaisse pas comme une opération partisane, j’ai pensé à Jack Lang» Ce dernier a consenti ;
je constate que si c’était eux que j’avais effectivement traité de larbins, je n’aurais pas forcément mis à côté.
Je réalise cependant avec horreur que mes propos à moi aussi peuvent être mal interprétés, même par un grand esprit comme mon confrère. ce qui est signe de grande fatigue.
Selon la formule consacrée, je ne regrette pas ce que j’ai dit mais je regrette l’interprétation qui en a été faite par mon confrère, et je retourne vite à mes vacances.