Pour me détendre sur mon yacht voguant vers les Seychelles, je me mets à jour sur les débats sur la loi HADOPI 2, qui s’appellera loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (PPPLAI, ou “triple plaie”).
Les travaux législatifs ont été interrompus pour laisser la place aux travaux de réfection de la verrière de l’hémicycle. En vérité, un peu de clarté ne fera pas de mal à la représentation nationale.
Profitons de cette trève pour faire un point d’étape. Que prévoit cette nouvelle loi, en l’état ?
Elle tente de redonner quelque pouvoir à la Commission de Protection des Droits (CPD), le bras armé de la HADOPI, amputé par la décision du Conseil constitutionnel.
Je vous rappelle brièvement les épisodes précédents : la loi HADOPI 1 voulait créer une machine administrative à suspendre les abonnements par paquets de 1000 (après deux avertissements), en créant une obligation de surveillance de son abonnement qui rend fautif le titulaire de tout abonnement servant à télécharger illégalement, peu importe que l’abonné ne soit pas l’auteur dudit téléchargement. Le but étant de s’éviter de rapporter une preuve trop lourde à fournir de l’identité rélle du téléchargeur. La répression massive au nom de la pédagogie.
Le Conseil Constitutionnel a sorti son carton rouge : il faut qu’une telle mesure, attentatoire aux libertés d’expression et de communication (et non de consommation comme beaucoup, dont Alain Finkelkraut, l’ont répété d’abondance) soit prononcée par un juge et respecte la présomption d’innocence.
Résultat : la CPD se retrouve amputée de tous ses pouvoirs de sanction.
La loi HADOPI 1 a été promulguée mais ce dispositif n’est pas encore entré en vigueur faute des décrets d’application. C’est volontaire, la loi-patch étant en cours de codage au parlement. Le gouvernement a jusqu’au 1er novembre pour cela, date d’entrée en vigueur de la loi HADOPI 1.
La CPD deviendra une machine à réunir les preuves : ses agents, assermentés, pourront se faire communiquer par les FAI tous les renseignements utiles et constater les téléchargements par des procès-verbaux faisant foi jusqu’à preuve contraire ne pouvant être rapportée que par écrit ou par témoin, procès-verbaux servant de support à une procédure d’ordonnance pénale, c’est à dire une condamnation pénale prononcée sans audience (le condamné ayant un délai de 45 jours pour faire opposition, ce qui annule automatiquement l’ordonnance et donne lieu à sa convocation en justice pour une audience), la loi HADOPI 2 créant enfin une peine complémentaire de suspension de l’abonnement internet que l’ordonnance pénale pourra prescrire. Le décret d’application créera quant à lui une contravention de négligence dans la surveillance de son accès à internet passible elle aussi d’une peine complémentaire de suspension d’accès à internet (mais par une procédure de droit commun).
Nous voilà retombés sur nos pieds : c’est bien un juge qui prononce la suspension, et les droits de la défense sont respectés puisque le Conseil a jugé conforme à la Constitution l’ordonnance pénale, emballez, c’est pesé. Vous avez suivi ?
Un exemple pour vous montrer l’usine à gaz.
Les agents de la CPD constatent que l’adresse IP 127.0.0.1 télécharge un fichier pirate de l’immortel chef d’oeuvre de Robert Thomas de 1982 Mon curé chez les nudistes. Ils en dressent procès verbal. L’adresse IP en question correspond au FAI dev/null Telecom. La CPD se fait communiquer par ce FAI quel abonné utilisait cette adresse IP tel jour à telle heure. L’inconscient est monsieur Überich, un Alsacien. Or ce monsieur a déjà fait l’objet d’un envoi d’e-mail et d’un envoi de lettre recommandée (peu importe qu’il l’ait reçue : le législateur me lit assurément et a contourné le problème de la lettre recommandée qu’on ne va pas chercher en remplaçant par un amendement à cette loi la réception de la lettre par sa simple présentation). Le dossier est transmis au ministère public pour qu’il requière une ordonnance pénale condamnant monsieur Überich soit pour contrefaçon soit pour négligence dans la surveillance de son accès selon les preuves réunies à une peine de suspension de l’abonnement. Monsieur Überich pourra faire opposition pour contester cette condamnation et faire valoir sa défense.
Et croyez-moi, je simplifie beaucoup.
Heureusement, on peut rire dans cette affaire, en lisant le rapport de M. Riester, rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Le rapport justifie ainsi le fait que les agents assermentés de la Commission de Protection des Droits (CPD) puissent dresser des procès verbaux faisant foi jusqu’à preuve contraire.
Le dernier alinéa (de l’article 1er, NdA) prévoit que les PV dressés à cette occasion font foi jusqu’à preuve contraire. Il s’agit ici simplement de l’application du droit commun de la procédure pénale, notamment de l’article 431 du code de procédure pénale.
Rappelons que cette précision est prévue dans les mêmes termes au deuxième alinéa de l’article 450-2 du code du commerce pour l’Autorité de la concurrence ou à l’article L. 8113-7 du code du travail pour les inspecteurs du travail.
Les Gendarmes de Saint-Tropez découvrent la procédure pénale.
Tout d’abord, l’article 431 n’est pas le droit commun en la matière puisqu’il est l’exception.
Le principe, c’est l’article 430 , il n’était pas loin pourtant.
Je graisse :
Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements.
Et c’est ce sauf dans le cas où la loi en dispose autrement que vise l’article 431 :
Dans les cas où les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire ou les fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire ont reçu d’une disposition spéciale de la loi le pouvoir de constater des délits par des procès-verbaux ou des rapports, la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins.
La loi HADOPI 2 vise donc à donner exceptionnellement cette force probante exceptionnelle aux agents de la CPD, similaire à celle reconnue aux inspecteurs du travail ou aux agents de l’Autorité de la Concurrence cités par le rapporteur. Il aurait pu ajouter aux policiers en matières de contravention routière (art. 537 du CPP), ça parlerait plus aux Français en vacances..
Vient ensuite le meilleur moment : Frank Riester nous explique ce que cela signifie.
Cela signifie que la preuve de l’inexactitude des faits constatés ne pourra pas résulter uniquement d’une dénégation ultérieure de la personne concernée. Il faudra, aux termes de l’article 431 précité, que la personne concernée fournisse une contre preuve par écrit ou par témoins – elle était par exemple hospitalisée et dispose d’un certificat médical ou était à l’étranger et quelqu’un peut en attester.
J’adore “la preuve de l’inexactitude” résultant “uniquement” d’une “dénégation ultérieure de la personne concernée”. Il faut dire à la décharge de M. Riester qu’il y a en effet des précédents fâcheux de dénégations ultérieures ayant abouti. Sans parler de ceux qui n’ont jamais avoué.
Comme quoi le gouvernement (et l’assemblée nationale quand elle est servie par un rapporteur trop empressé à jouer les supplétifs du Gouvernement) a du mal avec la présomption d’innocence. Une dénégation ultérieure n’est pas une preuve de l’inexactitude mais un simple refus de s’incriminer soi-même, ce qui est un droit de l’homme ardemment défendu par la Cour européenne des droits de l’homme, et parfois un simple cri d’innocence. C’est aux autorités d’apporter la preuve de la culpabilité, et non de faire parler le suspect pour lui dénier le droit de se rétracter ensuite.
En fait, le Gouvernement tente une nouvelle fois de contourner la présomption d’innocence, ce qui avait valu au premier texte les déboires que l’on sait. La loi HADOPI 1 ne permettait à l’abonné de contester sa sanction que de trois façons : démontrer que son abonnement a été utilisé frauduleusement, installer un logiciel de sécurisation (qui prouvait que seul l’abonné pouvait être le pirate) ou la force majeure. Niet a dit le Conseil constitutionnel. Et ajoute-t-il, il faut que le juge y passe.
Parade du Gouvernement : aller chercher l’existant, puisque cela a déjà été validé par le Conseil constitutionnel. Soit l’ordonnance pénale et les PV faisant foi. Vous voyez le mécanisme : obtenir des condamnations pénales par un juge, sans audience puisque de toutes façons le juge est lié par les procès verbaux des agents de la CPD. L’abonné ne pourra que démontrer (sur opposition à l’ordonnance pénale) qu’il est impossible que ce soit lui qui ait téléchargé illégalement tel fichier[1].
Ce qui est exactement ce que le Conseil constitutionnel a déjà censuré. Pas pour défaut d’intervention du juge mais pour atteinte à la présomption d’innocence. Je ne vois pas comment le Conseil pourrait ne pas censurer à nouveau.
Mais me direz-vous, le Conseil n’a-t-il pas déjà validé ces procès verbaux faisant foi et l’ordonnance pénale ?
À ma connaissance, il n’a jamais eu à statuer sur les procès verbaux faisant foi jusqu’à preuve contraire en matière pénale (les PV faisant foi ont été votés en 1957, un an avant la création du Conseil). Voici qui lui en fournira l’occcasion. Oh, il validera le principe, mais en l’encadrant, comme il a fait pour l’ordonnance pénale. J’ y reviendrai. Car Frank Riester nous régale d’une cerise sur son gâteau.
Selon les informations communiquées au rapporteur par le Gouvernement, aucun formalisme spécifique n’est applicable à ces PV. S’appliquent simplement les dispositions générales de l’article 429 du code de procédure pénale qui prévoient un formalisme minimal : date, identité de l’agent, signature de l’agent et, si elle est entendue, signature de la personne concernée par la procédure.
C’est bien d’écouter ce que dit le Gouvernement. C’est mieux d’aller lire soi-même ce que dit l’article 429 du CPP.
Tout procès-verbal ou rapport n’a de valeur probante que s’il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu’il a vu, entendu ou constaté personnellement.
Bref, est fait dans les formes un procès-verbal fait dans les formes. Voilà l’Assemblée bien informée. Et surtout, le rapporteur manque le principal. Le procès verbal ne se caractérise pas par sa date, sa signature et l’identité du scripteur, mais par ce qu’il rapporte, qui doit être ce qu’il a constaté personnellement et qui relève de sa compétence. Ce qui se résume à : tel jour à telle heure , telle adresse IP a téléchargé tel fichier. À ce PV s’ajoute les informations fournies par le FAI sur l’identité de l’abonné, qui elles ne font pas foi puisque l’agent de la CPD ne l’aura pas constaté personnellement, pas plus que le caractère d’oeuvre protégée du fichier, point sur lequel la CPD est incompétente. C’est sur cette base là que le juge est censé prononcer une peine délictuelle pour contrefaçon. En toute amitié, je souhaite bon courage aux procureurs chargés des ordonnances HADOPI.
Cela à supposer qu’HADOPI 2 franchisse sans encombre la rue Montpensier ce qui me paraît douteux.
Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, la loi tente maladroitement de rétablir une présomption de culpabilité expressément refusée par le Conseil. Il devrait n’apprécier que modérément qu’on tente de lui repasser le plat.
De plus, le Conseil a certes accepté le principe de l’ordonnance pénale, mais il a posé des conditions. C’était lors de l’extension de cette procédure aux délits, lors de la loi Perben 1. Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002. À la décharge du Gouvernement, l’avertissement ne se trouve pas dans la décision elle même mais dans le commentaire aux Cahiers de jurisprudence du Conseil Constitutionnel (pdf) :
Comme il a été dit à propos de la possibilité donnée au juge de proximité, par l’article 7 de la loi déférée, de renvoyer une affaire au juge d’instance en cas de difficulté sérieuse, l’égalité devant la justice ne s’oppose pas à ce que le jugement de certaines affaires fasse l’objet d’une procédure spécifique, à condition que cette procédure soit définie précisément, que le choix de cette procédure repose sur des critères objectifs et rationnels inspirés par un souci de bonne administration de la justice et que cette procédure ne lèse pas les droits des parties.
En l’espèce, le souci d’une bonne administration de la justice est totalement absent, seul le souci de la défense des intérêts patrimoniaux des artistes étant invoqué. Quant aux critères objectifs et rationnels, eh bien, comment dire ça poliment… ?
Et surtout, car j’ai gardé le plus beau pour la fin :
Par ailleurs, le ministère public aura recours à la procédure de jugement simplifiée non de façon subjective et discrétionnaire, comme le soutenait la saisine sénatoriale, mais en fonction de critères objectifs et rationnels :
- Il s’agit des délits les plus simples et les plus courants prévus par le code de la route. Ainsi, la procédure simplifiée ne peut être utilisée si le prévenu était mineur le jour de l’infraction, ou si la victime a formé une demande de dommages-intérêts…
Passons sur le fait que la contrefaçon est un délit plus complexe à établir qu’une vitesse ou un taux d’alcoolémie. Retenons que le fait que la victime ne puisse pas être partie était un critère retenu par le Conseil pour valider l’ordonnance pénale.
Or, comme je l’avais dit lorsque l’idée de l’ordonnance pénale a commencé à circuler :
…cette loi est contraire à l’intérêt des artistes, ce qui est un amusant paradoxe. En effet, l’ordonnance pénale suppose que la victime ne demande pas de dommages-intérêts (article 495 du CPP, al. 9). Donc les ayant droits ne pourront pas demander réparation de leur préjudice. Ils doivent sacrifier leur rémunération à leur soif de répression. Quand on sait que leur motivation dans ce combat est de lutter contre un manque à gagner, on constate qu’il y a pire ennemi des artistes que les pirates : c’est l’État qui veut les protéger.
Or on sait maintenant qu’on me lit au Palais Bourbon. Que croyez-vous qu’il arriva ? Rustine !
Article 2 du projet de loi adopté par la Commission :
II. - Après l’article 495-6 du même code, il est inséré un article 495-6-1 ainsi rédigé :
« Art. 495-6-1. – Les délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle, lorsqu’ils sont commis au moyen d’un service de communication au public en ligne, peuvent également faire l’objet de la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale prévue par la présente section.
« Dans ce cas, la victime peut demander au président de statuer, par la même ordonnance se prononçant sur l’action publique, sur sa constitution de partie civile. L’ordonnance est alors notifiée à la partie civile et peut faire l’objet d’une opposition selon les modalités prévues par l’article 495-3. »
Le rapporteur en personne a introduit (amendement 126 AC) la possibilité pour la victime de se constituer partie civile dans la procédure sur ordonnance pénale. Passons sur le fait qu’il a oublié de préciser comment la victime sera informée de la procédure d’ordonnance pénale et mise à même de présenter sa demande (pourra-t-elle envoyer son avocat plaider ?). On a une procédure où intervient le parquet qui demande la condamnation, la victime qui demande réparation… mais pas le principal intéressé : l’éventuel condamné (je ne peux décemment l’appeler le prévenu puisque précisément c’est le seul à ne pas être prévenu de ce qui se passe).
Le Conseil constitutionnel va avoir un malaise vagal en lisant ça. Comment disait-il, déjà ? Ah, oui, c’est valide à condition que le choix de cette procédure repose sur des critères objectifs et rationnels inspirés par un souci de bonne administration de la justice et que cette procédure ne lèse pas les droits des parties. Je crois que là, on a un sans faute dans l’inconstitutionnalité.
De la malfaçon législative comme on aimerait en voir moins souvent.
Mise à jour : l’assemblée a retiré cette force probante aux PV des agents de la CPD. Merci à Authueil, et surtout au député Lionel Tardy, à l’origine de l’amendement.