Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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janvier 2009

vendredi 30 janvier 2009

LibéréS par une faute de frappe, le retour...

Par Gascogne


Si le législateur, tel l'éminent député Lefebvre, a pu en son temps s'offusquer de la libération d'un individu peu recommandable du fait d'une faute de frappe dans un arrêt de Cour d'Appel, je ne doute pas que dans les jours à venir, la faute de frappe du législateur qui est en train de conduire dans beaucoup de juridictions de France et de Navarre à la libération de tout un tas de personnes tout aussi peu recommandables, va conduire à des réactions de ces mêmes députés en recherche de responsabilité.

Je m'explique (si ça, c'est pas du teasing...).

La loi du 5 mars 2007 visant à "rééquilibrer la procédure pénale", suite immédiate des conclusions rendues par la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau, a instauré l'enregistrement obligatoire des auditions en garde à vue des personnes suspectées de crime. Ces dispositions ont été insérées dans un article 64-1 du CPP créé pour l'occasion :

Les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisés dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

Il s'agissait de ne filmer que les auditions criminelles car les crimes ne sont pas seulement les infractions les plus graves, ce sont aussi les moins nombreuses, ce qui permet de limiter en partie la lourdeur du dispositif.

Seulement, voilà : lorsque le législateur fait bien son travail, il "toilette" le reste du code, et corrige en tant que de besoin les autres articles, lorsqu'il existe un risque de contradiction entre les anciens articles et les nouveaux, ou encore lorsque les renvois nécessaires d'un article vers un autre doivent être indiqués.

Et lorsqu'il ne le fait pas, par oubli, ou par précipitation, les erreurs qui en découlent, purement matérielles pourtant, peuvent avoir des effets procéduraux catastrophiques.

En l'occurrence, la loi du 5 mars 2007 a omis de corriger un article pourtant fort peu éloigné de l'article 64-1, puisqu'il s'agit de l'article 67 du CPP, qui, très court, impose les règles suivantes :

Les dispositions des articles 54 à 66 sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement.

J'avais déjà eu l'occasion de contredire respectueusement le Maître des lieux sur la base de cet article (c'est ) concernant la possibilité de placement en garde à vue pour des infractions non punies d'emprisonnement, puisque l'article 67 renvoie vers les dispositions concernant la garde à vue.

Vous commencez à voir où est le problème ? Et bien, si l'article 64-1 parle de procédure criminelle, l'article 67, lui, indique que les dispositions contenues dans les articles 54 à 66 s'appliquent également aux délits flagrants. Ça n'était bien évidemment pas ce que le législateur de 2007 souhaitait, mais il aurait donc dû réécrire l'article 67, ce qu'il n'a pas fait.

Résultat des courses, la trainée de poudre est partie de la Cour d'Appel de Versailles pour se répandre à très grande vitesse, particulièrement dans deux matières : le droit des étrangers, et les comparutions immédiates, où les présentations découlent quasi-systématiquement de procédures flagrantes. Les avocats de la défense ont soulevé sur la base de l'article 67 que l'audition en garde à vue aurait dû être filmée, ce qui ne fut pas le cas puisque la loi de 2007 ne le prévoyait pas, et plusieurs Cours d'Appel ont suivi, ordonnant dés lors la libération immédiate des prévenus suite à l'annulation de la procédure.

D'autres, comme Lyon et Nîmes, ont statué en sens contraire, faisant prévaloir l'esprit de la loi sur sa lettre. On attend donc les décisions de la Cour de Cassation pour harmoniser le droit, décisions qui devraient intervenir assez rapidement, vu l'urgence.

Il y avait déjà eu il y a quelques temps des difficultés liées à la rédaction des textes sur les réductions de peine, qui avaient donné des sueurs froides au Ministère. Aujourd'hui, ce problème. Et demain ?

Pierre Truche avait pu dire que l'on ne saurait juger que la main tremblante. Il me semble qu'il faudrait légiférer de la même manière. Les empilements de textes, pris dans l'urgence et sans étude d'impact, ne peuvent que mener à d'autres catastrophes.

jeudi 29 janvier 2009

Merci de bien vouloir dire au parquet de faire appel de votre jugement

Je suis assez surpris du contenu d'une note du 22 janvier 2009 que le vice président du tribunal de grande instance de Paris (respect) vient d'adresser à ses collègues siégeant en correctionnelle. Je vous la livre tout de gob avant d'expliquer en quoi elle suscite une certaine réserve de ma part.


TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE
DE PARIS
Le premier vice-président
- - - -
Service pénal
CS/09/07
Paris, le 22 janvier 2009
Le Premier Vice-Président
chargé du service pénal

À

Mesdames et Messieurs les vice-présidents et juges
présidant des chambres correctionnelles


Le Procureur de la République a reçu pour consigne de faire appel de toutes les décisions pour lesquelles la peine plancher n'est pas prononcée lorsque les dispositions de la loi du 10 août 2007 sont applicables.

Le délai d'appel ne permettant pas au Procureur de la République d'avoir en cas de jugement rendu le jour même la décision motivée, il est important lors du prononcé de la peine de préciser s'il y a lieu, qu'il a été fait application des dérogations prévues par l'article 132-19-1 du CPP(sic), et de le mentionner sur le feuilleton d'audience.

En outre, le jugement doit impérativement contenir une motivation de ces dérogations.


Qu'est-ce qui me gêne dans ce courrier ?

Tout, sauf le dernier paragraphe, qui est juste un peu vexant pour ses collègues qui, depuis un an et demi qu'ils appliquent la loi sur les peines plancher, avaient sûrement remarqué qu'il fallait motiver la décision de ne pas les appliquer. Mais bon, rappeler la loi n'est jamais totalement inutile.

Car pour le reste, j'avoue que je tique.

Nous avons un magistrat du siège, un juge, donc, censé être impartial et indépendant, répondre favorablement à une requête du parquet, qui est partie, et partie demanderesse, à tous les dossiers que les chambres correctionnelles ont à juger. Premier problème, mais le plus léger. Je me demande simplement si le vice-président en charge du service pénal serait aussi réceptif aux demandes émanant de l'ordre des avocats.

Là où ça devient particulièrement problématique, c'est que par cette lettre complaisamment transmise, le parquet fait savoir qu'il fera systématiquement appel des jugements faisant application de l'article 132-19-1 du code pénal[1] (et non du CPP comme mentionné par erreur), disposition légale permettant au tribunal d'écarter l'application des peines planchers.

On peut prendre ça dans tous les sens, c'est une pression faite par une partie au procès sur le juge : si vous n'appliquez pas la peine plancher, je ferai appel. Automatiquement. C'est l'appel plancher.

C'est aussi une façon fort claire de dire au juge que bien que la loi lui permette d'écarter ces peines planchers, il a systématiquement tort de les écarter. Faut-il en déduire que le législateur a eu tort de prévoir cette possibilité ?

Donc le parquet fait pression sur les juges correctionnels, et le premier d'entre eux s'assure que tout les juges soient au courant.

Qu'il me soit permis de faire remarquer qu'à la place du vice-président chargé du service pénal, c'est au procureur que j'aurais écrit en lui faisant remarquer que l'exercice du droit d'appel et ses modalités ne regardaient que lui et ses substituts, et que le cela n'intéresse absolument pas le siège. Mais bon, c'est l'autre voie qui a été choisie.

Mais ce n'est pas tout.

La lettre demande en outre aux juges de faciliter le travail du parquet. Car le pauvre n'a que dix jours pour faire appel. Vous me direz que le prévenu aussi, mais lui a en général un avocat, alors que le parquet, jamais, ou alors un général.

Pour lui mâcher le travail, il faut bien marquer sur le feuilleton "application de l'article 132-19-1 CP" afin qu'il sache qu'il doit faire appel. Aux dernières nouvelles, il y a pourtant un procureur à l'audience qui note soigneusement toutes les décisions rendues, au besoin en demandant au tribunal de répéter. Ça ne demande pas un MBA pour voir qu'une peine plancher a été écartée : il suffit de savoir compter jusqu'à 5. Si un vol en réunion (peine encourue 5 ans) en récidive (peine encourue portée à 10 ans, plancher de deux ans) est punie d'un an de prison, un étant inférieur à deux, la peine plancher a été écartée, et le parquet sait qu'il doit faire appel. Le droit pénal n'est pas toujours bien compliqué. Faudra-t-il demander au président de sonner du cor en agitant un drapeau rouge, en plus ?

D'où la sensation que le but n'est pas exclusivement de faciliter le travail du parquet mais de s'assurer que le message de l'appel systématique est passé.

Et enfin, permettez-moi un peu d'ironie et de mauvaise foi.

Cette lettre révèle assurément une révolte des parquets contre le Garde des Sceaux, ce qui devrait alarmer la Chancellerie.

En effet, le Garde des Sceaux a déclaré devant la Conférence des Bâtonnier, je cite :

Toutes les réformes conduites depuis mai 2007 ont offert une place majeure aux droits de la défense.

Permettez-moi de prendre un premier exemple concret : la loi du 10 août 2007 sur la récidive.

Depuis son entrée en vigueur, cette loi a montré son utilité : plus de 10 000 condamnations à une peine plancher ont déjà été prononcées.

Ce dispositif laisse toute sa place à la défense : une fois sur deux, le juge écarte l'application de la peine minimale. C'est la preuve de l'efficacité de l'intervention de la défense.

Vous y lisez comme moi une approbation expresse de la part du Garde Sceaux du fait que l'application des peine planchers soit écartée une fois sur deux, ajoutant qu'elle y voit une illustration de sa politique visant à offrir une place majeure aux droits de la défense.

Dès lors, le fait que le parquet décide de faire systématiquement appel des décisions écartant les peines planchers ne peut que révéler une insubordination, que dis-je, une Jacquerie du parquet de Paris refusant la politique favorable aux droits de la défense du Garde des Sceaux. Je redoute donc que Jean-Claude Marin ne soit convoqué cette nuit par l'Inspection Général des Services Judiciaires pour rendre des comptes sur cette Haute Trahison.

Car je ne peux pas croire que des instructions émanant de la Chancellerie soient à l'origine de cette politique pénale. Je me refuse farouchement à croire que le Garde des Sceaux puisse vanter devant la Conférence des Bâtonniers l'application, disons modérée de sa loi sur les peines planchers et dans le même temps tout faire pour qu'elle soit plus durement appliquée.

On m'accuse de m'acharner contre elle, mais là, non : je ne puis un seul instant imaginer une telle duplicité de la part du Garde des Sceaux.

C'est donc forcément une mutinerie du parquet de Paris.

Soyez sans crainte, madame le Garde des Sceaux, je veillerai personnellement à ce que votre loi du 10 août 2007 soit le plus souvent possible écartée, dans le plus grand respect des droits de la défense et de l'indépendance des juges. Votre combat est le mien.

Notes

[1] Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

mercredi 28 janvier 2009

Ces juges inhumains

Dès qu'on parle des juges, et on en parle beaucoup sur ce blog, je constate que beaucoup de commentateurs considèrent comme acquis le fait que les juges sont tous, forcément, par nature et par essence, inhumains. Ce n'est même pas un cliché, ni un préjugé, c'est un axiome. Une loi de la nature, comme la gravité : il faut faire avec.

Alors, à ceux-là, un peu de lecture.

D'abord, flash back.

Ensuite, retour au présent.

Oui, c'est du droit des étrangers. La matière se prête beaucoup à l'humanité.

PS : Merci, madame le président. Et à Humaniste pour l'info.

Un prix Busiris comme si vous y étiez

Merci à la Chancellerie et à Rada Marinova qui ont mis en ligne la vidéo du discours de Mme Dati qui lui a valu l'attribution de son quatrième prix Busiris.

Le moment historique commence à 2 minutes et 40 secondes.

Je suis rassuré sur un point : quand le Garde des Sceaux se lance, elle a quand même du mal à ne pas se marrer.

mardi 27 janvier 2009

Affaire des terroristes de Tarnac : mise au point du juge d'instruction

Le Monde publie une tribune de Thierry Fragnoli, juge d'instruction au pôle antiterroriste de Paris et un des juges d'instruction en charge du dossier des sabotages de caténaires, en réponse aux mises en cause d'André Vallini.

L'exercice est délicat et très rare (je me demande même s'il n'est pas inédit) de la part d'un juge d'instruction en charge de l'enquête. Cet aspect de communication institutionnelle est d'ordinaire réservé au parquet.

Cela peut traduire un profond agacement du juge, ce que le ton du texte tend à confirmer. L'ironie (figure que j'apprécie tout particulièrement, vous avez pu vous en rendre compte) est à la limite de l'insolence.

J'apprécie en tout cas l'exercice : je préfère des juges bavards à des juges taisants.

C'est une lecture intéressante, quelle que soit l'opinion personnelle que l'on a sur cette affaire, qui n'est pas le véritable sujet de l'article, et n'a donc pas à être celui des commentaires.

La réplique du juge d'instruction dans l'affaire des "terroristes" de Tarnac, par Thierry Fragnoli

lundi 26 janvier 2009

Promotion touristique

Voici le texte d'un courrier envoyé par la directrice départementale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse d'Indre-et-Loire au président du tribunal de grande instance de Tours (j'ai vu le document original, c'est authentique). La police Comic Sans est d'origine, je suis désolé. Les gras sont de moi.


MINISTERE DE LA JUSTICE

Direction Départementale
de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
d'Indre-et-Loire
Tours, le 21 janvier 2009

La directrice départementale

à

Tribunal de Grande Instance de Tours
Monsieur le Président


OBJET : Information relative au Quartier des Mineurs de la Maison d'Arrêt de TOURS.

La Maison d'Arrêt de Tours accueille depuis le mois de mai dernier un quartier des mineurs de 11 places entièrement rénové.

Deux éducateurs du Centre d'Action Éducative de TOURS y assurent une intervention continue auprès des jeunes incarcérés et s'attachent à faire bénéficier les détenus d'un programme d'activité scolaire et d'insertion et d'un accompagnement individualisé propre à favoriser pour chacun d'eux l'élaboration d'un projet de sortie.

L'activité moyenne du Quartier Mineurs se situe aujourd'hui à 4 jeunes, aussi j'attire votre attention et celle des magistrats placés sous votre autorité sur la capacité d'accueil de ce service et sur la possibilité qui leur est offerte d'orienter les mineurs prévenus et condamnés vers ce dispositif.

Signé : la Directrice Départementale







Traduction en Français : Notre prison est à moitié vide ; vous pourriez pas nous envoyer un peu des jeunes, qu'on élabore avec chacun d'eux un projet de sortie ? Condamnés ou en détention provisoire, on n'est pas regardant.

La lutte contre la sous-population carcérale est un combat de tous les jours.

samedi 24 janvier 2009

Avis de Berryer : Francis Lalanne

Promets-moi
si la Conférence me programme
Dans ses grandes joutes d'orateur
de ne pas en faire un drame,
De ne pas en avoir peur !

La conférence pense à vous, comme elle vous aime, et elle vous délivrera, elle brisera l'anathème qui vous tient loin de la chambre des Criées.

Venez tous chanter que l'amour est plus fort que tout, que ni l'enfer ni le paradis ne se mettront entre nous le jeudi 5 février 2009 à 21 heures, quand la Conférence recevra Francis Lalanne, chanteur et poète (poète-poète, dirais-je même).

Et foulant du pied, qu'elle a pour l'occasion chaussé d'une cuissarde, la tradition la mieux établie, ce n'est pas le Premier qui fera sa rentrée, mais, cela s'imposait : l'octave, monsieur Kyum LEE, 8ème secrétaire, qui fera le rapport.

Si le roi de la soirée est désigné, encore lui faut-il des sujets.

Ceux-ci sont secs :

- le Palais est il un théâtre de ronds de cuir ?
- les super poètes vont ils sauver la planète ?

Qu'on se le dise !


Découvrez Francis Lalanne!

vendredi 23 janvier 2009

Un nouveau prix Busiris pour Rachida Dati

Le Garde des Sceaux a décidé de partir sur un feu d'artifice. À tel point que je la soupçonne d'avoir écrit spécialement en vue de cette récompense son discours tenu ce jour devant la Conférence des Bâtonniers, qui réunit tous les bâtonniers de France sauf celui de Paris, mais qui a son siège à Paris, ne cherchez pas à comprendre.Rachida Dati, étouffant de fierté face à son quatrième prix - Photo ministère de la justice

Voici le texte qui lui a valu cette récompense à l'unanimité des suffrages moins une voix, un des membres de l'académie Busiris s'étant évanoui de joie avant d'avoir pu exprimer son vote et les efforts pour le réanimer étant restés vains pour le moment. C'est du beau, du très beau Busiris.

Toutes les réformes conduites depuis mai 2007 ont offert une place majeure aux droits de la défense.

Bon déjà en soi ça méritait un prix, mais dans un louable effort de pédagogie, le Garde des Sceaux a voulu aller plus loin.

Permettez-moi de prendre un premier exemple concret : la loi du 10 août 2007 sur la récidive.

Oui, la loi sur les peines plancher est invoquée pour vanter son action en faveur des droits de la défense. Vous ne rêvez pas.

Depuis son entrée en vigueur, cette loi a montré son utilité : plus de 10 000 condamnations à une peine plancher ont déjà été prononcées.

Clin d'œil à un de ses précédents prix Busiris.

Ce dispositif laisse toute sa place à la défense : une fois sur deux, le juge écarte l'application de la peine minimale. C'est la preuve de l'efficacité de l'intervention de la défense.

Ou de l'inefficacité de la loi ? Mais bon, non bis in idem : le prix Busiris est déjà passé par là.

La mission de l'avocat est tout aussi fondamentale dans le cadre de l'application de la loi du 25 février 2008 sur la déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental. La mise en place d'une audience contradictoire et publique sur la question de la responsabilité pénale de l'auteur permet aux parties de s'exprimer par l'intermédiaire de leurs avocats. De même, le prononcé d'une mesure de surveillance de sûreté ou de rétention de sûreté suppose un débat contradictoire au cours duquel la personne sera obligatoirement assistée par un avocat.

Oui, mes chers confrères : les peines plancher, c'est-à-dire l'obligation de principe faite au juge de prononcer une peine minimale est un progrès des droits de la défense, car elle oblige les avocats à plaider pour l'écarter, alors qu'avant, dame ! Ils n'avaient pas à argumenter sur ce point là, au grand détriment des droits de la défense, donc. Première affirmation juridiquement aberrante.

Mais le jugement des fous aussi est un progrès des droits de la défense. Hé quoi ? Avant, on ne jugeait pas les fous, ils ne pouvaient donc pas se défendre ! C'est imparable comme démonstration, non ? Deuxième affirmation juridiquement aberrante.

Mais la rétention de sûreté, c'est-à-dire la possibilité d'enfermer au-delà de la fin de la peine quelqu'un à vie car il POURRAIT commettre un nouveau crime s'il sortait, hé bien c'est AUSSI un progrès des droits de la défense, car là encore, les criminels en fin de peine s'exposaient à une sortie de prison sans qu'un avocat ait à plaider. Désormais, ils auront droit à un avocat, mais ne seront plus sûrs de sortir. Magnifique avancée des droits de la défense.

Trois affirmations juridiquement aberrantes, en rafale. C'est un miracle qu'il n'y ait pas de morts. Et contradictoires en ce qu'elles tentent de faire passer les pires reculs des droits de la défense depuis la loi du 12 décembre 2005 comme des avancées.

Et circonstance aggravante, devant 180 bâtonniers en exercice. Qui sur le coup en sont restés scotchés, et muets comme des procureurs généraux.

Ai-je vraiment besoin de caractériser la mauvaise foi, et l'opportunité politique primant sur le respect du droit de ces propos ?

Ah, je crois qu'elle me manquera. Un peu comme Bush.


Mon dieu, mais c'est une mine d'or, ce discours : quelques lignes plus bas, on lit ;

Notre code de procédure pénale a été modifié une vingtaine de fois en 20 ans et a incontestablement perdu son unité. Notre société a évolué, nos règles doivent désormais évoluer aussi.

Comme dit Fantômette : Ça suffit les réformes, il faut réformer cela.

De l'enquête préliminaire et des droits de la défense, un cas pratique

J'ai écouté avec intérêt ce matin l'interview de Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, au micro de Jean-Michel Aphatie sur RTL.

Évacuons rapidement les attaques personnelles. Jean-Michel Aphatie est un journaliste qui semble agacer beaucoup de monde. Moi, j'aime bien son style mordant, ironique quand son interlocuteur fait dans les circonvolutions, qui n'a pas les idées dans ses poches. Je préfère ça au style ronflant de trop d'intervieweurs. Il se prête en outre depuis longtemps à l'exercice du blog avec un certain talent. Il se trompe parfois ? Peu importe. Je le lui reprocherai vertement le jour où j'aurai moi-même atteint la perfection.

Bref, tout ça pour dire que je n'ai aucune animosité personnelle envers lui et même plutôt de la sympathie, et que l'éventuelle mauvaise opinion que vous pourriez avoir de ses prestations n'est pas le sujet du billet, que j'espère plus intéressant.

Mais ce matin, il a eu une prise de position qui m'a fait bondir (c'est à 1'34"), et qu'il reprend dans son billet du jour .

En substance, il relève que l'enquête dont fait l'objet Julien Dray est une enquête préliminaire, c'est-à-dire menée sous l'autorité du parquet, secrètement (en principe), et non contradictoirement. Retenez bien ces deux critères, j'y reviendrai : secrètement (nul n'a accès au dossier hormis les lecteurs de l'Est Républicain) et non contradictoire (le dossier est la chose du parquet, nulle personne extérieure n'a le droit d'y accéder). Et il s'en réjouit : l'enquête préliminaire exclut l'intervention des avocats, réputés « transmettre à la presse des éléments d'un dossier ». Même le procureur Marin se sent obligé de voler au secours de la vérité en rappelant que les avocats sont libres de parler d'un dossier en cours s'ils l'estiment nécessaires à la défense de leur client (à 2'30"), ce qui ne veut pas dire divulguer des éléments de ce dossier en violation du secret professionnel, la cour de cassation l'a rappelé récemment.

Le journaliste s'émeut donc de cette fuite, avant de s'émouvoir derechef que Julien Dray, un mois après avoir subi une perquisition à son domicile (je dis subi même s'il a dû donner son accord : un homme politique ne peut se permettre dans des circonstances de ce genre de refuser une perquisition), n'a toujours pas été entendu pour s'expliquer.

Sur son blog, il reprend son argument :

En soi, la démarche paraît juste. Une enquête préliminaire présente le double avantage pour le justiciable d’une rapidité relative et d’une confidentialité presque certaine puisque les avocats n’ont pas accès au dossier, ce qui limite considérablement le risque de fuite.

Je pourrais en rire, me mettre en colère, mais non, là, c'est l'abattement qui me saisit. Lire ça émanant d'une personnalité que j'estime et qui est l'opposé d'un imbécile me fait réaliser à quel point la défense est encore considérée comme importune et intruse en France.

Car tout de même : accuser les avocats d'être responsables des fuites avant de constater qu'il y a des fuites même quand il n'y a pas d'avocats, ça suscite un peu réflexion, non ? Surtout quand ce constat aussitôt battu en brèche, qui ressemble donc à une idée reçue, sert à justifier et approuver l'absence des avocats.

Pourquoi voudrais-je voir des avocats partout, hormis par corporatisme et pour augmenter mon chiffre d'affaire ?

On dit actuellement beaucoup de mal du juge d'instruction. La diatribe de Jean-Louis Bourlanges dans l'Esprit Public de dimanche dernier sur France Culture restera en la matière une référence. Le reproche principal qui leur est fait est qu'ils seraient le symbole de la procédure inquisitoire, voire « inquisitoriale » quand on connaît mal son sujet comme Max Gallo. Elle a des défauts, c'est certain, et je ne l'aime guère.

Mais sachons de quoi on parle : qu'est-ce qui définit, profondément la procédure inquisitoire, par rapport à l'accusatoire ?

Quatre éléments.

C'est une enquête (c'est l'origine latine du mot inquisition : l'autorité recherche la preuve, elle ne l'attend pas des parties), elle est écrite, elle est secrète, elle est non contradictoire (celui qui en fait l'objet n'y prend aucune part active). C'est la procédure inquisitoriale inventée par Innocent III pour lutter contre la Simonie, et étendue à la lutte contre les hérésies .

Telle était exactement l'instruction tout au long du XIXe siècle, jusqu'en 1897. L'inculpé était seul face au juge d'instruction, sans avocat, n'avait pas accès au dossier, tout ce que le juge faisait donnait lieu à inscription dans le cahier de l'instruction (ou aucun interligne n'était admis—art. 78 du code d'instruction criminelle ancien—, je vous laisse imaginer le plaisir de la lecture).

Et sous le code d'instruction criminelle, la police et le parquet n'avaient aucun pouvoir d'enquête propre : le juge d'instruction était le passage obligé.

En 1897, on ouvre la porte des cabinets d'instructions aux avocats. Mais ils doivent rester taisants. Ils n'ont pas le droit de prononcer un mot ou de demander quoi que ce soit. Ce ne sera le cas qu'en 1993, vous voyez la vitesse de progression des droits de la défense.

Les avocats, même cois, étant des gêneurs, on va trouver un moyen de les éviter le plus longtemps possible. Les juges d'instruction vont retarder au maximum les inculpations, et vont déléguer énormément à la police par commission rogatoire : ces actes d'enquête ne sont pas versés au dossier avant que la commission ne soit « rentrée » c'est à dire que tous les actes aient été accomplis. L'enquête a lieu dans le dos des avocats des mois durant. Une sous-traitance de l'instruction, en quelque sorte, qui est devenue institutionnelle car les juges d'instructions seraient aujourd'hui incapables de faire eux-même ces actes, en raison de leur surcharge de travail.

La police devenant de fait en charge des enquêtes, le parquet va prendre l'habitude de leur demander de faire de telles enquêtes pour lui. C'est une pure pratique validée par la loi quand en 1958 le code de procédure pénale remplacera le code d'instruction criminelle, sous le nom d'enquête préliminaire.

Admirez le tour de passe-passe : on a fait entrer les avocats dans le cabinet du juge d'instruction, et pour leur faire de la place, on en a fait sortir l'enquête.

Et l'enquête préliminaire va connaître un succès croissant, au point de représenter 95 à 96% des affaires pénales. Dame ! Les avocats n'ont pas droit de cité dans les commissariats, sauf depuis peu, une petite demi-heure au début (à la 21e heure avant 2000), et encore, pour les dossiers de terrorisme, de stupéfiant ou de délinquance organisée, on les tient éloignés plusieurs jours. Et de toutes façons, aucun accès au dossier. Quand je vous dis qu'on est des gêneurs.

Les policiers enquêtent donc tranquillement, secrètement, et transmettent leurs constations sous forme de procès verbaux.

Ça y est ? Vous avez compris ?

Enquête écrite, secrète et non contradictoire, ça vous rappelle quelque chose ?

L'instruction n'a plus grand chose d'inquisitoire, si ce n'est le pouvoir d'initiative du juge qui en reste le principal moteur : « Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.» (art. 81 du CPP). Tous ses actes sont immédiatement versés au dossier, qui est tenu à la disposition des avocats, qui peuvent en faire appel, en demander certains auquel le juge n'aurait pas procédé de lui même, demander à la chambre de l'instruction d'en annuler d'autre ou de passer outre un de ses refus. Le secret perdure pour le public, mais il n'est pas opposable à l'avocat, et l'instruction est contradictoire de ce point de vue (encore plus depuis la loi du 5 mars 2007 qui a rendu la phase finale, le règlement, contradictoire).

En fait, l'inquisitoire pur existe encore : au stade de l'enquête préliminaire. Personne n'a accès au dossier hormis le parquet, pas même les avocats quand bien même on sait pertinemment qui est soupçonné. Secret, écrit, pas de contradictoire.

Depuis un siècle, les défauts du système inquisitoire ont conduit à un recul perpétuel, lent, mais continu. Mais parallèlement à ce recul, l'État qui n'aime pas être moins fort face à ses sujets citoyens, a repris d'une main ce qu'il donnait de l'autre.

Pour en revenir aux propos de Jean-Michel Aphatie, loin de se réjouir pour Julien Dray qu'il ne fasse l'objet que d'une enquête préliminaire, il devrait s'en scandaliser, et être rouge de colère comme il sait l'être contre les juges pas aimables.

Car si une instruction était ouverte, et que Julien Dray était mis en examen, il pourrait demander à être entendu, et même forcer le juge à l'entendre s'il refusait en faisant appel de ce refus, et mieux : assisté d'un avocat qui aurait eu préalablement accès au dossier.

Et le risque de fuite à cause des avocats ? En négligeant un instant le fait quand même intéressant que la fuite a eu lieu sans qu'un avocat approche le dossier à moins d'un kilomètre, qui ferait fuiter des éléments accablants comme le rapport de TRACFIN ? L'avocat de Julien Dray ? Car ce serait le seul dans ce dossier, personne n'ayant porté plainte ou se prétendant victime. La FIDL ou SOS-RACISME pourraient le faire, mais on doute qu'ils veuillent le moindre mal à Julien Dray qui est leur interlocuteur privilégié au Parti Socialiste, dont ces associations sont les incubateurs.

L'enquête préliminaire est en l'espèce un scandale : c'est une enquête secrète, même et surtout à l'égard du principal intéressé, laissant Julien Dray dans l'impuissance et l'impossibilité de se défendre, menée souverainement par le parquet, hiérarchiquement soumis… au Gouvernement, qui n'est pas réputé être des amis de Julien Dray. Côté fuite, cette source aussi a été oubliée par Jean-Michel Aphatie. Car les dossiers sensibles (on dit “signalés”) sont suivis de près par la Chancellerie. Si le Garde des Sceaux le souhaite, il aura sur son bureau, dans l'heure, copie de tous les PV de la procédure. Légalement. Et au fait TRACFIN, c'est quoi ? Ne serait-ce pas un service du ministère de l'économie et des finances ?

Pauvre Procureur Marin ! Le voilà obligé d'acquiescer à l'accusation de fuite visant ses services prononcée par Jean-Michel Aphatie, l'autre branche de l'alternative étant d'accuser le Gouvernement auquel il est hiérarchiquement soumis et qui sa tient sa carrière entre ses mains (les procureurs hors hiérarchie comme M. Marin sont nommés en Conseil des ministres, comme les préfets et les PDG de France Télévision).

Et on est confondu de la naïveté de Jean-Michel Aphatie, qui écrit :

Ce qu’il faudrait chercher, ce sont les personnes, au Palais de justice, qui ont confié ces divers éléments à la presse. Une enquête est ouverte, a assuré Jean-Claude Marin, ce matin, au micro de RTL. Personnellement, je doute qu’elle aboutisse.

Moi aussi, si elles se cantonnent à l'île de la Cité. Place Vendôme, ou Bercy, sont des meilleures pistes.

Mais elle n'est rien à côté de la candeur de tous ceux qui actuellement applaudissent la mort de l'inquisitoire avec la suppression du juge d'instruction, alors que cette suppression risque fort d'être le triomphe de l'inquisitoire le plus orthodoxe.

CSM, CSA, même combat...

Par Gascogne


Je ne serai pas aussi cruel que le site Acrimed peut l'être envers le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dont plusieurs membres doivent être nommés ce jour, pour affirmer que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) va devenir la voiture balai des déçus des élections, mais je ne suis tout de même pas loin de le penser.

Le parallèle est malgré tout particulièrement intéressant. Le mode de nomination des membres du CSM a été modifié lors de la dernière réforme constitutionnelle, dans un but bien entendu purement anti-corporatiste, pour permettre au pouvoir politique de nommer une majorité de membres, tous totalement indépendants.

Le CSM aura dans ses fonctions de nommer notamment les premiers présidents de Cour d'Appel, alors que les Procureurs Généraux continueront à être nommés directement en Conseil des Ministres, comme les Préfets.

J'entends bien qu'il a été déclaré qu'il fallait cesser les hypocrisies, et que puisque, concernant le Président de France Télévision, il était déjà nommé par le pouvoir, autant le faire au grand jour, l'argument imparable étant que cette désignation ne se ferait qu'après avis du CSA, dont on peut dorénavant très bien imaginer le statut d'autorité indépendante. Bien entendu, personne n'a envisagé de rendre cette instance réellement indépendante, et de soumettre à son avis conforme les décisions de nomination.

Et si cette analyse était transposable aux chefs de Cour ? Je n'ose y croire. Pas dans une société démocratique, avec une réelle séparation des pouvoirs.

Quand je pense qu'en Belgique, le Premier Ministre a dû présenter sa démission suite à des suspicions d'immixtion du pouvoir politique dans une affaire judiciaire, j'en viens à comprendre la démarche de demande de naturalisation de Jean-Philippe SMET...

mercredi 21 janvier 2009

Pour en finir avec la présomption d'innocence

Dans les commentaires sous mon billet reprenant le rapport de la CNDS sur cette affaire de violences policières couvertes par la hiérarchie, des commentateurs, policiers ou gendarmes, se déclarent choqués de voir un avocat fouler ainsi au pied la présomption d'innocence de ces policiers, qui n'ont pas été jugés et condamnés pour ces faits. Et de me tancer d'oublier ainsi mes grands principes quand les personnes visées font partie des forces de l'ordre. Ce n'est donc pas une réaction corporatiste : c'est la seule défense des droits de l'homme qui les anime.

J'applaudis à leur réaction : je pense que les forces de l'ordre ne seront jamais assez soucieuses des droits de l'homme et de la présomption d'innocence. Même si sur ce coup, la réaction est erronée.

Car on fait dire à la présomption d'innocence tout et n'importe quoi. Ce qui est déjà agaçant. Mais quand en plus c'est à moi, avocat de la défense, qu'on fait la leçon sur le sujet, ça en devient horripilant.

La présomption d'innocence, une bonne fois pour toutes n'est qu'une chose : une règle de preuve en matière pénale.

C'est à l'accusation, généralement le parquet, mais parfois la victime qui agit de son propre chef, d'apporter les preuves de la culpabilité, et non à l'accusé de démontrer son innocence. Si cette preuve n'est pas rapportée, la relaxe s'impose, sauf devant la cour d'assises, où c'est l'acquittement qui s'impose, mais ça revient au même.

Point.

Ce qui ne veut pas dire que le rôle de l'avocat de la défense est de rester les mains dans les poches et criant « présomption d'innocence ! » au moment de plaider (même s'il existe des avocats qui emploient cette tactique). Il faut démonter les preuves, les contester, démontrer qu'elles n'ont pas de force probante, qu'elles laissent subsister un doute sur la culpabilité qui s'oppose à la condamnation.

JAMAIS la présomption d'innocence, qui est une présomption SIMPLE, c'est à dire que la preuve contraire peut être rapportée, n'a interdit de dire ou de laisser entendre que telle personne était coupable. C'est même l'objet de la plainte de la victime. Ou alors, quoi ? Une femme vient porter plainte contre son mari qui vient de la frapper : faut-il l'arrêter pour atteinte à la présomption d'innocence de son époux ? Dois-je porter plainte contre tous les juges d'instruction qui concluent leur ordonnance de règlement en disant qu'il existe contre mon client des charges suffisantes d'avoir commis un délit ou un crime ? Dois-je citer en correctionnelle les procureurs qui demandent au tribunal de les déclarer coupables alors que le tribunal ne les pas encore déclaré coupables, donc qu'ils sont présumés innocents ?

Vous voyez l'absurdité de l'argument.

À une époque où les juges d'instruction s'intéressaient un peu trop à leurs turpitudes, nos dirigeants, pris dans un élan droit-de-l'hommiste d'autant plus rare qu'il émanait d'une écrasante majorité de droite, ont introduit dans le code civil un article 9-1 protégeant la présomption d'innocence d'un régime proche de celui de la vie privée. Il est désormais interdit de présenter publiquement comme coupable une personne faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction (loi n°93-1013 du 24 août 1993, art. 44, remplacé par une nouvelle rédaction issue de l'article 91 de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000). Vous voyez, quand je vous dis que rien ne fait plus pour les droits de la défense que d'appliquer la loi à ceux qui la votent ?

C'est depuis cette époque que le mot « présumé » est le compagnon inséparable des mots tueurs, violeurs, voleurs et autres du même acabit dans la presse, dans le plus grand respect de la loi mais pas toujours de la langue française.

Mais voyez les limites de cette protection : il faut que la personne qui s'en prévaut fasse l'objet de poursuites, d'une instruction, ou à tout le moins d'une enquête.

Or, nos policiers cités dans le rapport ne font l'objet d'aucune poursuite, d'aucune enquête, et les ministres concernés ont répondu clairement qu'il n'en était pas question. C'est même précisément le scandale dénoncé par ce rapport.

C'est-à-dire que par un tour de passe-passe, on transforme le problème mis en lumière par le rapport de la CNDS (les policiers ne seront pas poursuivis) en bouclier pour les protéger : puisqu'ils ne seront pas poursuivis, on n'aurait pas le droit de les dire coupables, peu importe qu'un rapport détaillé de la CNDS l'établisse (donc qu'une preuve de la culpabilité soit apportée, conformément au principe de la présomption d'innocence). En tant qu'avocat, j'apprécie l'audace du procédé mais il est hélas un peu gros (c'est un métier, que voulez-vous).

Ou alors, qu'on me poursuive, qu'on me condamne, car je vais devant vos yeux ébahis porter une atteinte insupportable à la présomption d'innocence.

John Wilkes Booth a tué Abraham Lincoln.

Et qu'on interdise et brûle tous les livres d'histoire qui contiennent cette affirmation portant atteinte à la présomption d'innocence de Booth, et qu'on ne vienne pas me dire qu'il y a eu des centaines de témoins : celui-ci ayant été abattu lors de son arrestation le 26 avril 1865, il n'a jamais été jugé coupable de cet assassinat.

mardi 20 janvier 2009

La suppression annoncée du juge d'instruction (suite mais pas fin)

La suppression du juge d'instruction, il y a ceux qui sont pour.

Il y a aussi ceux qui sont contre et qui peuvent aller le manifester . http://www.jeunesmagistrats.fr/instruction/

Motion rédigée par des magistrats hors de tout cadre syndical ou associatif.

In memoriam Stanislav Markelov

Stanislav Markelov était un confrère russe, grand défenseur des droits de l'homme, membre du Rule Of Law Institute. Stanislav Markelov, photo Rule Of Law InstituteIl a défendu des journalistes, comme Anna Politovskaia, les familles des victimes de la prise d'otage du théâtre de Moscou, et s'était illustré au début de sa carrière en défendant la famille d'une jeune fille Tchétchène, Elza Koungaïeva, morte à 18 ans, étranglée par un colonel de l'armée russe, Iouri Boudanov, après qu'il l'ait enlevée, battue et violée.

Cette enflure de Boudanov, photo AP

La famille Koungaïev, ayant subi des menaces de représailles si elle ne retirait pas sa plainte, vit réfugiée en Norvège.

Le colonel Boudanov a été condamné à 10 ans de prison pour des crimes de guerre en Tchétchénie, dont le viol et l'assassinat d'Elza.

Il devait être remis en liberté le 12 janvier mais Markelov avait fait appel.

Appel rejeté, l'ex colonel Boudanov a été remis en liberté le 15 janvier dernier.

Il y en a qui ne perdent pas de temps. Le 19 janvier, en sortant d'une conférence de presse dénonçant cette libération, Stanislav Markelov a été abattu en pleine rue, à Moscou. Il avait 34 ans.

Une jeune journaliste de 25 ans, Anastasia Baburova, journaliste à la Novaya Gazeta, qui avait accompagné l'avocat à la conférence de presse et s'était portée à son secours, a été elle aussi abattue.

Je vous proposerai bientôt la traduction d'un de ses derniers articles, publié le 2 décembre dernier. Elle y dénonce l'amalgame fait trop souvent depuis le 11 septembre entre anarchistes et terroristes, en s'appuyant sur l'affaire Coupat en France.

Je crois qu'on peut lui concéder que le terrorisme, elle sait ce que c'est.

Sale jour pour les droits de l'homme.

La Justice, vue de l'intérieur

À voir absolument d'ici la fin de la semaine : le reportage que Capital a consacré, sur M6, à la justice. Un état des lieux impitoyable, et qui évite la facilité qui consisterait à imputer ce fonctionnement lamentable aux magistrats. Ce reportage rend bien compte de ce que je constate tous les jours, encore que Paris soit relativement chouchouté par rapport à la périphérie.

Voyez comment ils travaillent, voyez pourquoi je peste sans cesse sur le manque de moyens de la justice, et voyez pourquoi les années à venir ne sont pas rassurantes.

C'est votre justice, chers concitoyens. Au XXIe siècle. C'est le seul moyen légal de faire trancher vos différends, d'obtenir par la force le respect de vos droits ou la réparation des torts que vous avez subis. Ou qui peut un jour décider de vous envoyer jusqu'à dix ans en prison sur la base d'une enquête de personnalité bâclée et avec une défense qui aura eu moins d'une heure pour préparer le dossier. Voilà tout ce que l'État consent, et encore à contrecœur, à vous consacrer à cette fin.

Par effet de contraste, vous pourrez regarder avec profit comment les deux autres pouvoirs sont traités, ou plus exactement se traitent eux-même, avec le premier reportage sur les finances de l'exécutif, et le troisième sur une des assemblées parlementaires. Notons au passage que le ministre de la justice a obtenu une rallonge de ses frais de représentations (réceptions et buffets) qui incluent ses frais de maquillage ; mais il est vrai qu'elle, c'est l'exécutif.

Le sens des priorités, ça s'appelle.

Le reportage sur la justice commence à la 34e minute (et vingt secondes).

lundi 19 janvier 2009

Un juge averti en vaut-il deux ?

Par Dadouche


Il y a des jours où même les chewing-gums les plus mentholés ne peuvent rien contre l'arrière-goût amer qui vous reste après certaines nouvelles.

Tous les ans au mois de janvier, une audience solennelle de rentrée ouvre l'année judiciaire dans chaque juridiction. C'est notamment l'occasion pour la juridiction et ceux qui la servent de faire un bilan de leur activité de l'année passée.
Hormis, désormais, à la Cour de Cassation, où c'est le chef du pouvoir exécutif qui a fait l'actualité cette année, ce sont les chefs de juridiction qui se chargent généralement de ce bilan.

A Bourges, où l'audience solennelle se tiendra jeudi 22 janvier, les magistrats du siège ont souhaité eux aussi faire le bilan de l'année écoulée pour la juridiction et plus généralement pour la justice en France.
Soucieux de souligner le dénuement de l'institution judiciaire et sa vulnérabilité face aux attaques contre son indépendance, ils ont cherché un moyen "non verbal" de faire passer ce message, puisque seuls les chefs de juridiction peuvent faire un discours lors de ces audiences [1]

Pour ne pas déranger l'assistance par des manifestations bruyantes (on a vu que les applaudissements nancéens avaient fait des remous, et encore faut-il qu'il y ait quelque chose à applaudir), et instruits par un précédent regrettable à Chalon Sur Saône (où les communiqués syndicaux déposés sur les sièges des personnalités devant assister à l'audience avaient été prestement retirés avant l'arrivée desdites personnalités), les juges de Bourges avaient donc décidé d'assister à l'audience solennelle de rentrée dans leur tenue civile et non en robe noire agrémentée de la toque et de l'ineffable ceinture bleue.
Ils en avaient courtoisement avisé leur Président.

Las, le Premier Président Robert CORDAS leur a illico fait savoir qu'il infligerait la sanction disciplinaire d'avertissement avec inscription au dossier, la seule qu'il puisse décider lui même sans saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature, s'ils persistaient dans leur intention.

Rappelons qu'une sanction disciplinaire doit avoir comme préalable une faute disciplinaire, c'est à dire un manquement à la dignité ou à l'honneur.
Il me semble que c'est justement à l'honneur et de la responsabilité des magistrats de faire connaître à la société civile les difficultés qu'ils rencontrent dans l'exercice de leur mission.
Mais toute possibilité d'expression leur est refusée lors de l'événement majeur de l'année judiciaire, qui est le lieu institutionnel de contact entre la juridiction et la société.

Cette année, à Bourges, les magistrats du siège n'assisteront tout simplement pas à l'audience solennelle de rentrée, plutôt que d'aller à un affrontement stérile.

La reprise en main du Parquet est souvent évoquée en ces lieux. Celle du siège n'est peut-être pas loin.

Quelqu'un a une marque de chewing-gum très fort à suggérer ?

Notes

[1] Ce privilège était jusque là également concédé dans le ressort de la Cour d'appel de Bourges aux Bâtonniers des ordres des avocats de Nevers, Bourges et Chateauroux mais vient de leur être peu aimablement retiré

Pourquoi appelle-t-on la police aux frontières la PAF ?

La réponse est au journal officiel (je graisse ; mes commentaires sont insérés en rouge).

JORF n°0015 du 18 janvier 2009 page texte n° 33

Rapport spécial de la Commission nationale de déontologie de la sécurité


Le 10 avril 2006, M. Gérard Bapt, député de la Haute-Garonne, a communiqué à la commission un courrier de M. P.D. faisant état de violences policières commises en sa présence sur la personne d'un homme menotté et allongé à terre, le 15 mars 2006, à l'entrée du couloir d'embarquement de l'aéroport de Toulouse-Blagnac.


La loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création de la commission fixe sa compétence, ses obligations et ses pouvoirs. Après enquête sur les faits et conformément à l'article 7, alinéa 1, de cette loi, la commission a adressé ses avis et recommandations au ministre de l'intérieur et au garde des sceaux, le 8 octobre 2007, en leur demandant, en application du même article, de bien vouloir lui faire connaître la suite donnée à ceux-ci, dans un délai de deux mois. L'intégralité de cet avis, qui porte le numéro 2006-29, et des réponses qu'il a suscitées, est consultable sur le site web http://www.cnds.fr.


Après avoir pris connaissance de la réponse du garde des sceaux, datée du 1er avril 2008 (la chancellerie a le sens de l'humour) et de celles du ministre de l'intérieur, en date des 7 janvier et 4 décembre 2008, les membres de la commission, réunis en séance plénière le 15 décembre 2008, ont estimé que leurs propositions n'avaient pas été suivies d'effet. Ils ont donc décidé qu'un rapport spécial sur cette affaire serait adressé au Journal officiel pour publication, conformément à l'article 7, alinéa 3, de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000.


Tel est l'objet du présent rapport qui, après un bref rappel de la teneur du témoignage de M. P.D. et des constatations de la commission, reprendra ses recommandations, en soulignant celles qui n'ont pas, à son avis, été effectivement prises en compte.


I. - Le témoignage de M. P.D. et les constatations de la commission :


Le 15 mars 2006, alors qu'il se trouve dans le hall 2 de l'aéroport de Toulouse-Blagnac pour prendre un avion à destination de Paris, précisément à 7 h 17, heure affichée à cet instant par l'horloge, l'attention de M. P.D. est appelée par « des cris intenses exprimant une douleur profonde ».


Contournant l'escalier pour observer la scène, il constate la présence d'un « homme à terre, immobile, (...) en souffrance, (...) qui n'oppose aucune résistance ». Dans le même laps de temps, il voit « un policier (...) donner des coups de pied espacés à l'homme au sol », coups qui l'atteignent à l'abdomen. Selon lui, « l'individu ne se défend pas (...). Entravé les mains dans le dos, il n'a pas la possibilité de se protéger ». La scène dure trois minutes, jusqu'à ce qu'un attroupement se forme et que les policiers cessent de frapper. Indigné de voir des agents publics se comporter de cette manière, il en informe le parlementaire susdésigné pour lui permettre de saisir la commission.


L'article 5 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 l'astreignant à « recueillir sur les faits portés à sa connaissance toute information utile », la commission, après avoir interrogé le témoin, convoque, le 5 décembre 2006, les deux fonctionnaires de police susceptibles d'être mis en cause pour connaître leur version des faits et assurer ainsi le plein respect de la contradiction. Ceux-ci refusent d'être entendus, confortés dans leur position par les propos du directeur départemental de la police aux frontières de la Haute-Garonne, qui les assiste. Ils prétendent que les faits soumis à la commission ont été définitivement jugés, le 19 juillet 2006, lorsque la cour d'appel de Toulouse a condamné le ressortissant turc F.A. pour refus de se soumettre à une mesure d'éloignement et violences à agents de la force publique. Ils lui opposent donc les dispositions de l'article 8 de la loi du 6 juin 2000, qui interdit à la commission de remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle.


Je résume : les policiers disent à la commission : « nous refusons de répondre à vos questions, la victime des violences ayant été condamnée pour refus d'embarquer et nos actes de violences gestes techniques strictement proportionnés s'inscrivaient dans ce cadre ». Le directeur départemental de la PAF les appuie en ce sens. C'est important, car la suite du rapport va prouver que c'est faux. Mais non contents de présenter une défense fallacieuse, les fonctionnaires vont plus loin :


Deux jours plus tard, ces mêmes fonctionnaires portent plainte en dénonciation calomnieuse contre M. P.D., cette plainte étant directement transmise au procureur de la République compétent par leur supérieur hiérarchique. M. P.D. maintient son témoignage, par « exigence morale », précise-t-il, et ce malgré les pressions morales dont il fait l'objet, de la part des gendarmes enquêteurs, pour qu'il revienne sur ses déclarations ou les édulcore. Il confirme notamment que, s'il n'a pas vu l'intégralité de la scène, le peu qu'il en a vu l'a « choqué profondément ».


L'exigence morale n'a pas de prix.


Heu… En fait, grâce au parquet, si :


A réception de l'enquête, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulouse lui propose un classement sans suite de la plainte des policiers sous condition de rédaction d'une lettre d'excuses et du versement d'une somme d'argent à chacun des fonctionnaires, proposition qu'il accepte, après réflexion et concertation avec son avocat.


Je vous rappelle qu'on veut supprimer le juge d'instruction pour confier toutes les enquêtes au parquet, au prétexte que le juge d'instruction ne peut pas être enquêteur et impartial. Je suppose qu'on n'aura pas cette exigence à l'égard du parquet…


Analysant dans le détail les déclarations du témoin et celles des fonctionnaires de police consignées dans la procédure de refus d'embarquement immédiatement après les faits, la commission constate que les violences dénoncées par le témoin n'ont pas été soumises à la juridiction correctionnelle parce qu'elles n'ont ni la même localisation géographique, ni le même cadre temporel, ni la même gestuelle que les violences sanctionnées par la cour d'appel : elles sont en effet survenues plusieurs minutes après le refus d'embarquement, dans le hall 2 et non pas, comme l'indiquent les policiers, en bas ou sur la passerelle d'embarquement, à proximité de la porte de l'avion.


Je traduis : les violences ont eu lieu largement après le refus d'embarquer, qui a fait l'objet d'un jugement correctionnel. Bref, ce n'était pas l'usage de la force nécessaire pour passer outre le refus illégal de l'intéressé, ou nécessaire pour le maîtriser. Il s'agissait bien selon la CNDS d'un passage à tabac pour lui apprendre à faire perdre des miles aux fonctionnaires de la PAF :


Elles ont atteint un homme menotté dans le dos et couché à terre, n'opposant aucune résistance, et ne peuvent donc être confondues avec les gestes techniques de maîtrise d'un homme donnant des coups de pieds et griffant les policiers qui sont évoqués par les fonctionnaires dans la procédure initiale.


La commission observe également que les violences décrites par le témoin sont en tous points compatibles avec les traces de coups constatées au niveau des côtes inférieures gauches et du tiers inférieur de l'avant-bras gauche de F.A., lors des examens cliniques réalisés sur sa personne le jour des faits par le département des urgences de l'hôpital Purpan.


Elle en conclut que, quel que soit le degré de violence dont a fait preuve cet étranger au moment du refus d'embarquement, les coups portés par un représentant de la force publique sur un homme à terre, entravé et immobile, ainsi que la passivité de l'autre policier présent, sont contraires aux articles 7 et 10 du code de déontologie de la police nationale, qui leur enjoignent un respect absolu des personnes appréhendées, placées sous leur responsabilité et leur protection.


Bref, ces fonctionnaires ont commis des violences sur un homme sans défense, qui sont illégales, sont un délit et passibles de sanctions disciplinaires. Et l'homme qui a dénoncé ces violences a dû faire une lettre d'excuse accompagnée d'un chèque à ces fonctionnaires.


Heureusement, maintenant que la lumière est faite, la justice va passer.


Comment ça, non ?

II. ― Les recommandations de la commission et leurs suites :


La commission a transmis son avis au ministre de l'intérieur, en vue de l'engagement de poursuites disciplinaires. Elle a également exprimé le souhait que soient fermement rappelés aux fonctionnaires concernés les missions de la commission, ses obligations légales et ses pouvoirs, ainsi que la prohibition absolue faite aux titulaires de la force légale de tout acte de violence commis sans nécessité sur une personne menottée.


Préoccupée par les conséquences que fait peser, sur son propre fonctionnement comme sur la sincérité des déclarations recueillies, la pression susceptible d'être exercée sur les plaignants ou témoins désirant s'adresser à la commission par le biais d'une plainte en dénonciation calomnieuse déposée immédiatement après une convocation des fonctionnaires mis en cause et traitée par les parquets sans attendre ses propres conclusions, la commission a en outre adressé son avis au garde des sceaux, lui demandant plus précisément, dans une lettre de rappel datée du 29 janvier 2008, d'inviter les parquets à privilégier la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Paris et à différer les poursuites de ce chef jusqu'à la communication des conclusions de la commission sur les faits dénoncés.


Je résume : Bonjour madame le ministre, est-ce que vous pourriez inviter vos choses les parquets à éviter de traiter les plaintes en dénonciations calomnieuses portées par des policiers, le temps qu'on fasse notre travail et qu'on vérifie les faits, pour éviter de voir un témoin de vraies violences forcé à faire des excuses et un chèque sous la menace de 5 ans d'emprisonnement, ou à tout le moins qu'on les confie au tribunal de Paris, pour délocaliser le dossier ?


La réponse du garde des sceaux est d'un cynisme exemplaire :


Dans sa réponse, le ministre de la justice a estimé que la proposition de traitement unifié et coordonné de ce type de plaintes à Paris n'était pas souhaitable, au motif qu'elles « nécessitent non seulement l'audition de l'ensemble des protagonistes mais également, si nécessaire, des transports sur les lieux ». Il a ajouté que « la qualité de l'enquête dépend étroitement des échanges nourris entre les officiers de police judiciaire et le procureur de la République de leur ressort, naturel directeur d'enquête ».


« Vous n'y pensez pas ? Cela gâcherait les excellentes relations entre le parquet et la police.»


La commission réfute les deux arguments, observant que les transports sur les lieux sont exceptionnels, sauf en matière criminelle, et que la qualité principale d'une enquête dépend plus étroitement encore de l'impartialité objective et subjective de ceux qui la mènent, impartialité qu'assure, y compris au niveau des apparences, le traitement à distance des procédures susceptibles de mettre en jeu la responsabilité pénale de fonctionnaires locaux.


Il y a mieux : le garde des sceaux ajoute que traiter ainsi ces plaintes assure à la commission de ne pas être saisie de plaintes fallacieuses, alors même que le dossier en question démontre que la plainte n'était pas fallacieuse mais a été traitée comme telle par le parquet :


Sur le second point, le garde des sceaux, arguant de la permission de la loi, a refusé de demander aux parquets de différer l'action du ministère public, qui ne « remet nullement en cause le fonctionnement de l'autorité administrative indépendante qu'est la CNDS » et constitue même « une garantie pour la commission (...) de ne pas être saisie pour des raisons fallacieuses ».


J'ajoute que la loi impose le filtrage d'un parlementaire pour saisir la commission. Là, la commission est vexée :


La commission, dont les rapports annuels témoignent, depuis sa création, qu'elle n'a nullement besoin d'une aide extérieure pour départager les réclamations infondées et celles qui ne le sont pas, considère au contraire que, si les dispositions du code pénal permettent aujourd'hui à l'autorité judiciaire de poursuivre et de sanctionner le délit de dénonciation calomnieuse sans attendre son avis sur la véracité des faits dénoncés, sa proposition, qui n'est pas contraire à la loi, favorise une complète information de l'autorité judiciaire, garantie de bonne justice.

De son côté, le ministre de l'intérieur a répondu aux recommandations de la commission en lui indiquant saisir l'inspection générale de la police nationale pour vérifier, à titre préalable, si les faits dénoncés avaient été « examinés par l'autorité judiciaire » et, dans la négative, pour déterminer « si des suites disciplinaires doivent y être réservées ».


Consulté sur le premier point, le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a confirmé en tous points l'analyse de la commission, les juges du refus d'embarquement n'ayant pas été saisis des faits de violences policières et la médiation proposée par le procureur de la République de Toulouse ne pouvant constituer une décision juridictionnelle.


Donc, il est établi que les violences n'étaient pas couvertes par l'autorité de la chose jugée et étaient illégales, et que les fonctionnaires ont menti à la commission avec la bénédicition de la hiérarchie pour ne pas avoir à répondre à ses convocations. Le ministère de l'intérieur va donc sévir.


Comment ça, non ?


Sur le second point et après avoir pris connaissance de l'enquête de l'IGPN réalisée à sa demande, le ministre de l'intérieur a informé la commission qu'aucun élément ne permettait « d'imputer de faute professionnelle ou déontologique aux policiers mis en cause » qui, « confrontés à la résistance de M. F.A.., (...) ont dû user de la force strictement nécessaire pour le maîtriser ».


Hé oui : pour se faire comprendre du ministre de l'intérieur, il faut d'adresser à lui avec des marionnettes, sinon, y comprend pô. La commission en remet donc une couche :


Tout en maintenant son analyse des faits, solidement adossée au témoignage d'un tiers étranger à la scène décrite et aux constatations médicales, la commission observe que l'exercice des poursuites disciplinaires relève exclusivement des pouvoirs de l'autorité ministérielle et de sa responsabilité propre.


Bon d'accord, dit la commission, l'exerce de poursuites disciplinaire relève du seul ministre, la commission ne peut rien faire, c'est légal de la part du ministre de ne pas engager de poursuites. Mais on pourrait au moins leur dire que ce qu'ils ont fait, c'est pas bien ?


Non, même pas :


Elle déplore cependant que sa demande de rappel des principes légaux qui gouvernent ses missions, ses obligations et ses pouvoirs n'ait pas été suivie d'effet et n'ait pas même donné lieu à des observations écrites adressées aux deux fonctionnaires mis en cause et à leur supérieur hiérarchique, alors qu'ils ont tenté, à plusieurs reprises et par différents procédés, de faire obstacle à l'exercice des missions de la commission et de donner une interprétation fallacieuse des dispositions de la loi portant création de cette autorité administrative indépendante.


La commission déplore également qu'aucune réponse n'ait été apportée à sa demande de rappel solennel aux agents de la force publique de la prohibition absolue de tout traitement inhumain ou dégradant.


Cette absence délibérée de prise en compte de ses recommandations justifie la publication du présent rapport au Journal officiel.


Et sur mon blog.


Merci à Romanis de m'avoir signalé l'info.

dimanche 18 janvier 2009

Aggravons les aigreurs d'estomac de Gascogne

Je profite honteusement de ma position de seul maître à bord à part Fantômette pour publier mon commentaire au billet de Gascogne sous forme d'un autre billet, pour apporter un autre son de cloche.

En tant qu'avocat (j'assume pleinement le biais de perception), je me réjouis des propos de M. Aphatie, nonobstant les quelques approximations et contradictions, relevées avec justesse par Gascogne. Car si Gascogne a raison de s'agacer des attaques gratuites à l'encontre des juges (je confirme que pas un seul juge n'a eu à connaître à ce jour du dossier de M. Dray), Jean-Michel Aphatie a raison de s'indigner des conditions de cette enquête. Même si elle est parfaitement légale.

Je me réjouis de cette indignation car je sais que rien ne fait plus progresser les libertés des citoyens que la peur des élus (et des journalistes, à l'occasion) qu'on leur applique un jour la loi.

De ce point de vue, je remercie Julien Dray et Vittorio de Filippis d'avoir ainsi donné de leur personne.

L'enquête préliminaire, pour ce qui concerne monsieur Dray, est, je ne dirais pas un archaïsme, mais en son état actuel une anomalie née d'une tricherie. C'est même cet aspect de tricherie qui a fait son succès (je sens le froncement de sourcils dubitatif des magistrats et policiers qui me lisent : je vais m'expliquer).

Une anomalie car au début, elle n'était pas prévue par le Code d'instruction criminelle mais est née d'une pratique. Le principe était que toute infraction (même en flagrance) devait passer entre les mains du juge d'instruction, sauf citation directe par la partie civile (et la partie civile seulement) : art. 182 du code d'instruction criminelle ancien. C'est un coup d'État judiciaire qui a peu à peu dépossédé le juge d'instruction de ses prérogatives, avec sa complicité parfois. La suppression annoncée est l'aboutissement d'un long processus plus que l'inspiration soudaine d'un président hyper-actif.

Entendons-nous bien. Que la police puisse aujourd'hui, d'office ou sur ordre du parquet, mener une enquête non coercitive, y compris sur la base d'un simple soupçon me paraît en soi acceptable dans une société démocratique. Le rôle de la police et du parquet est de rechercher les infractions, pas de juger celles qui lui tombent toutes ficelées entre les mains. Rappelons que dans l'affaire Dray, nous avons le schéma suivant : l'État verse des subventions à une association lycéenne, la FIDL, et on découvre des traces de mouvements financiers importants entre cette association et un élu et haut responsable du deuxième parti de France, spécifiquement en charge de la jeunesse, élu qui procède à des achats d'objets de luxe dont le coût est incompatible avec son train de vie pourtant confortable. Le simple soupçon, reposant sur des indices, que des subventions de l'État finisse par financer des achats de luxe d'un élu suffit largement selon moi à justifier que l'on procède à une enquête.

Là où se noue le problème, c'est que l'enquête préliminaire peut devenir coercitive et le devient très facilement.

La garde à vue est applicable en matière d'enquête préliminaire : art. 77 du CPP. C'est-à-dire que la loi permet à l'officier de police judiciaire en charge de l'enquête de maintenir à sa disposition, dans les conditions que l'on sait, une personne pendant 24 heures au commissariat, au secret, sans lacet, sans ceinture, sans montre (et on sait que pour M. Dray, une telle éventualité est insupportable), avec au bout de 24 heures non pas la liberté mais l'annonce d'un renouvellement de la mesure.

Dès lors, la demande d'autorisation de perquisitionner est une pantalonnade. Je vais vous expliquer comment ça se passe.

— Ding ♪ Dong ♫
— (L'homme lève la tête de son ordinateur, affichant la page des comms de son skyblog) Tiens ? On a sonné. (Coup d'œil à sa montre) À 07h 57mn 41s 23 centièmes ? Comme c'est curieux. (Ouverture de porte)
— Bonjour. Je suis le commandant de police Mèque-Mailledet. Dans le cadre d'une enquête préliminaire pour abus de confiance, j'ai reçu du procureur des instructions de procéder à une perquisition à votre domicile.
— Ah ? Mais… Je… Puis-je appeler mon avocat ?
— Négatif, monsieur, le Code de procédure pénale ne le prévoit pas[1]. Mais au préalable, il faut que vous me signiez ce formulaire.
— (Chausse ses lunettes Porsche®) Voyons. Ah ? Vous avez besoin de mon autorisation ? Donc, je peux refuser ?
— Affirmatif. (Sort ses menottes et joue avec ostensiblement) Mais dans ce cas, c'est la garde à vue, pendant que le procureur saisit le JLD pour obtenir une autorisation de perquisitionner malgré votre refus (art. 76 du CPP).
— Mais… J'avais lu sur le blog de maître Eolas que cette possibilité n'était ouverte que pour les délits punis d'au moins cinq ans de prison, et l'abus de confiance n'est puni que de trois ans ?
— (In Petto : Damned, c'est un dur à cuire) Et bien on dira que c'est pour escroquerie, ou détournement de bien public par personne chargée d'une mission de service public. De toutes façons, la demande d'autorisation au JLD se fait sans débat donc hors la présence de votre avocat (ou de la votre…) et si on requalifie postérieurement en délit passible d'une peine inférieure à 5 ans, il n'y a pas de nullité de la procédure. Et puis ça vous fera 48 heures de garde à vue. Vous imaginez, si la presse l'apprenait ?
— (Sort son stylo MontBlanc®) Je signe là ?

Voilà tout le problème : la coercition est déjà là, mais pas encore les droits de la défense, parce que, argument que vous me permettrez, car ne l'ayant pas entendu dans votre bouche, cher Gascogne, de trouver hypocrite, on n'en serait qu'au stade de l'enquête préliminaire, et qu'aucune décision de poursuite n'a été prise. Pas de notification des charges (c'est à la bonne volonté de l'officier de police judiciaire, jusqu'au placement en garde à vue, qui est seule créatrice de droit), pas d'assistance d'un avocat, pas de communication du dossier. Mais on peut d'ores et déjà l'interroger (si on veut) et même priver de liberté et engeôler. J'avoue que n'étant pas assez intelligent pour avoir fait magistrat, la subtilité fondée sur l'absence de décision de poursuite m'échappe.

Et cette situation est une tricherie, une violation de l'esprit de la loi, perpétrée par vos collègues il y a 111 ans.

La grande loi qui a mis fin à la procédure d'instruction secrète où l'inculpé était la chose du juge d'instruction est la loi du 8 décembre 1897. Merci les affaires de Panama et des décorations qui ont fait goûter aux politiques le goût amer du Code d'instruction criminelle.

Elle a posé le principe, repris à l'article 105 du CPP, que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants de commettre une infraction ne peuvent être entendues en qualité de témoin. Comprendre : elle ne peuvent l'être que comme mises en examen, en présence de leur avocat ayant eu préalablement accès au dossier.

Puis apparurent les enquêtes de police. Et les suspects, mot qui rappelons-le ne figure pas dans le code, furent longuement entendus en garde à vue. Émotion des avocats, qui soulèvent la nullité : leur client n'étant pas mis en examen, il est entendu comme témoin, ce que la loi prohibe.

Pas du tout a dit la cour de cassation. L'article 105 ne s'applique qu'aux seules informations judiciaires. Oubliant qu'à l'époque du vote du texte, l'instruction étant un passage obligé, le législateur ne pouvait pas avoir voulu prévoir de limiter la portée de ce principe.

Dans le cadre d'enquêtes de police, conclut la cour de cassation, c'est parfaitement possible (et fut un temps où on leur faisait même prêter serment de dire la vérité…).

Et encore, si la cour de cassation avait strictement appliqué l'article 105 à l'instruction, mais il n'en fut rien, à tel point que le législateur, oublieux de ses ennuis passé, a cédé et expressément validé les gardes à vue sur commission rogatoire des suspects. D'où le sommet d'hypocrisie de notre procédure pénale, qui permet à un juge d'instruction de faire placer en garde à vue, de se faire communiquer les PVs d'audition, de renouveler la mesure pour 24 heures supplémentaires, qui prévoit l'obligation de se faire présenter la personne pour renouveler la mesure de garde à vue (art. 154 du CPP) mais surtout interdit au juge d'instruction, à peine de nullité de la procédure, d'interroger lui même le gardé à vue. Dame : il faudrait qu'un avocat soit présent et accède au dossier, vous n'imaginez pas. C'est ce que mon confrère François Saint-Pierre appelle pertinemment la sous-traitance de l'instruction aux services de police[2]. Cette garde à vue ne vise pas à réunir des éléments nouveaux, mais à obtenir des aveux avant l'arrivée de cet importun en robe qu'est l'avocat. Et la cour de cassation veille jalousement à valider cette pratique contra legem. Avec des brillants résultats à l'occasion.

L'indignation de Jean-Michel Aphatie me réjouit. Elle révèle une prise de conscience de certains aspects archaïques pour un État de droit de notre procédure pénale (je reprends ma formule : faite pour qu'un État fort juge des coupables). Il est plus que temps. Je rappelle ici que la France, entre 1999 et 2007, s'est vue condamnée 187 fois pour violation du droit à un procès équitable : seules la Turquie, la Russie, l'Italie et l'Ukraine font mieux sur les 47 pays signataires.

Il y a cependant un danger dans la réforme à venir : si on supprime l'instruction pour lui substituer la seule enquête préliminaire, ce serait un grave recul des droits de la défense. Ce n'est pas ce qui ressort des propos du président. Mais j'ai en la matière des droits de la défense une confiance très modérée en l'actuelle majorité.

2009 promet d'être une année charnière. Mais dans quelle sens la charnière jouera-t-elle ?


PS : aux étudiants en droit : j'espère que ce billet vous fera comprendre tout l'intérêt de prendre les matières d'histoire du droit à la fac. Ce sont elles qui vous feront comprendre le droit d'aujourd'hui. Qui de toutes façons aura changé quand vous commencerez à exercer.

Notes

[1] C'est exact, mais il ne l'interdit pas non plus, voyez l'astuce.

[2] François Saint-Pierre, Le Guide de la Défense Pénale, Dalloz, 2007, §112.7.

Billet d'humeur

Par Gascogne


Michel DENISOT a l'art de faire venir dans son émission des invités particulièrement intéressants, et de s'entourer de chroniqueurs qui le sont tout autant, au moins pour la majorité d'entre eux.

Jeudi 15 janvier était invité Gilles LATAPIE, magistrat présidant la Cour d'Assises des Ardennes, et ayant eu le "plaisir" de présider le procès "Fourniret". Ses explications sur la préparation et l'intérêt d'un tel procès sont particulièrement intéressantes (à voir ici : Le grand journal, 15/01/2009, partie 2).

Ma soirée aurait pu être agréable devant cette émission si Jean-Michel APHATIE n'avait pas une fois de plus fait remonter de manière particulièrement significative mon taux d'acidité gastrique.

J'avais déjà cru comprendre par le passé qu'il avait quelques problèmes, peut-être personnels, à régler avec les magistrats, qu'il qualifie copieusement de tous les vices, le corporatisme n'en étant pas un des moindres, puisque, comme chacun le sait, les journalistes sont épargnés par ce fléau (attention : appeau à Aliocha).

L'affaire s'est mal engagée lorsque notre chroniqueur national a demandé au président LATAPIE si son livre sur l'intérieur du procès Fourniret, et ses explications sur sa manière de présider l'audience, n'étaient finalement pas une critique du comportement "des magistrats" qui montrent si peu d'humanité (je n'invente rien, c'est à la minute 4:26). C'est ce qui s'appelle surinterpréter dans le sens que l'on souhaite des propos qui n'évoquaient absolument pas la question.

Sa chronique a fini de me convaincre que la colère n'est jamais bonne conseillère lorsque l'on se targue d'analyser la société dans laquelle on vit.

Revenant (7:30) sur la perquisition dont a été l'objet l'appartement de Julien DRAY il y a quelques semaines, Jean-Michel APHATIE, dans son souci de démontrer tout le mal qu'il pense des magistrats français, a fait montre d'un mélange d'approximation et de mauvaise foi comme j'en ai rarement vu, si ce n'est dans des discours politiques.

Il parle en effet de parfum de scandale concernant l'intervention de la Brigade Financière au domicile de Julien DRAY , car cette intervention s'est faite sur la simple base d'une dénonciation de TRACFIN. Et notre journaliste analyseur chroniqueur blogueur de s'emporter sur cette procédure où personne n'a porté plainte. Sans doute ne sait-il pas que dans notre système judiciaire, la plainte n'est en rien un préalable à l'enquête dont le monopole, pour des raisons tendant notamment à éviter les pressions sur les victimes, et à ne pas privatiser la justice, appartient au procureur de la République.

Il s'emporte ensuite et trouve "dégueulasse" que dans le cadre de cet "archaïsme" que constitue l'enquête préliminaire en France, il n'y ait pas d'instruction, et que par dessus tout la Justice ne dise pas ce qu'elle reproche à la personne chez qui elle se présente...Là, les bras m'en tombent. C'est soit de l'incompétence, soit de la mauvaise foi, soit un mélange des deux. Toute enquête, débutée par la saisine d'un service par le procureur, démarre sur la base d'une infraction supposée, en l'espèce, d'un abus de confiance (a priori, je ne connais pas le dossier). Et une perquisition débute en indiquant à la personne les faits reprochés, liés à ce que l'on recherche. A plus forte raison dans le cadre d'une enquête aussi archaïque que l'enquête préliminaire, où l'accord de la personne perquisitionnée (et non pas "fouillée" comme le dit M. APHATIE qui devrait demander à son confrère de Libération où se trouve la différence) est obligatoire (art. 76 du CPP). En matière d'atteinte aux droits des personnes, on fait quand même pire...

Mieux, et sans peur du paradoxe, le chroniqueur politique indique que les fonds objets de l'enquête, sont peut être, ou peut être pas, d'origine malhonnête, et qu'en conséquence il ne comprend pas cette enquête. Faut-il en déduire qu'une enquête pénale ne pourrait intervenir que lorsque l'on est sûr de l'origine malhonnête des choses, ce qui rendrait dés lors impossible les investigations suivant de simples plaintes des citoyens ordinaires ?

Enfin, concernant la violation du secret de l'enquête qui dérange tant notre choqué national, et sans crainte de se contredire puisqu'il estime qu'il est normal au vu de l'hypocrisie du secret de l'instruction que tout se sache, Jean-Michel APHATIE part du principe que les magistrats ont en urgence téléphoné aux gazettes quotidiennes (et même selon lui dans le quart d'heure qui a suivi le début de la perquisition...) pour transmettre toutes les pièces compromettantes possibles. Outre le fait que je vois difficilement ce que cela apporterait au parquetier suivant l'affaire, il n'est pas venu une seule seconde à l'esprit de notre si impartial analyste que les fuites pouvaient certes venir des magistrats, mais également des policiers, voire, mais c'est bien évidemment hautement improbable, de la Chancellerie, qui est tenue au courant à la minute près du déroulement de ce genre d'affaire. Chancellerie qui n'y a bien entendu aucun intérêt puisqu'elle est du même bord politique que le mis en cause.

Et de conclure "vraiment, les magistrats ne sont pas aimables" (avec cet accent qui me le rendait jusqu'alors fort sympathique).

Alors non, effectivement, le magistrat que je suis ne peux pas être aimable avec ce semblant de journaliste lorsqu'il entend de telles analyses. Lorsque l'on compare la finesse des questions et des interventions d'un Ali BADOU avec l'agressivité et les approximations d'un Jean-Michel APHATIE, visiblement dans le seul but de servir une conclusion déjà toute faite dans son esprit, on se dit qu'il vaut mieux pour ses neurones et son temps de cerveau disponible écouter France Culture plutôt que RTL. Mais ça doit être mon côté tant peu aimable que corporatiste qui me fait dire ce genre de choses...

samedi 17 janvier 2009

Cachez-moi ces tortures que je ne saurais voir

La République des Tartuffes vient, encore une fois, de se faire taper sur les doigts.

La France vient à nouveau de se faire condamner par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour atteinte à la liberté d'expression. Pour une décision rendue par un tribunal, validée en appel, et ayant reçu l'onction de la cour de cassation.

L'affaire y ayant donné lieu est bien connue : il s'agit de la condamnation de la société éditrice PLON et de ses deux dirigeants pour apologie de crimes de guerre à la suite de la publication du livre de témoignage du Général Paul Aussaresses « Services Spéciaux Algérie 1955-1957 » (Plon 2001). Le général Aussareses a été lui aussi condamné mais n'a visiblement pas saisi la cour européenne des droits de l'homme.

On a torturé et assassiné pendant la guerre d'Algérie. Dix ans après la fin de l'Occupation. Pas des mouvements clandestins. L'armée française. Sur ordre. Mais il ne faut pas le dire. Cette névrose française de l'histoire revisitée, toujours pour la plus grande gloire du pays. Ce qui permet à la France de continuer en toute bonne conscience à se poser en donneuse de leçon au monde entier sur les droits de l'homme, sans réaliser qu'en dehors de l'Hexagone, nul n'est dupe. Vous croyez que Guantanamo ne doit rien à Alger ?

Car quand même, quelle hypocrisie, quelle tartufferie que de condamner un éditeur qui publie le témoignage d'un des principaux acteurs de ces « opérations spéciales », dans le cadre d'opérations dites de « guerres contre-révolutionnaires », qui dit la vérité, fût-ce avec cynisme puisqu'il expliquait ne pas regretter et estimer qu'aucune autre solution n'existait.

C'est ce qu'a fait la cour d'appel de Paris, en reconnaissant que le témoignage lui-même a un intérêt historique « incontestable », mais que :

la liberté d'expression doit s'exercer dans le cadre des limites fixées par la loi, notamment dans le respect des dispositions qui interdisent l'apologie de crimes de guerre ; qu'au-delà du témoignage, le livre comporte, comme l'a jugé à juste titre le tribunal, une apologie de crimes de guerre ;

et que

dans son très bref « avertissement », l'éditeur ne prend aucune distance vis-à-vis du texte du Général Aussaresses ; qu'il se borne à annoncer un « témoignage direct », « sans équivalent », qui « contribue à faire comprendre la terrible complexité d'une époque qui continue d'habiter notre présent » ; que bien au contraire, dans la « quatrième de couverture », il glorifie le général Aussaresses en le présentant comme une « légende vivante » et décrit la mission du général Aussaresses comme « la mission la plus douloureuse ».

Ou comment faire du politiquement correct une police de la pensée : vous pouvez publier des témoignages sur des crimes de guerre, mais à condition de dire que l'auteur que vous publiez est très méchant, qu'il faut l'agonir et le couvrir d'opprobre. Toute autre position, ou le rappel d'une carrière militaire extraordinaire, vous rend coupable d'apologie de crime de guerre. (C.A. Paris, 11e ch., 25 avril 2003).

Approbation de la cour de cassation qui conclut son arrêt par cette précision :

En effet, celui qui se réclame du droit à l'information, fondement de la liberté d'expression, n'est pas tenu d'assortir l'exposé des faits qu'il rapporte de commentaires propres à justifier des actes contraires à la dignité humaine universellement réprouvés, ni de glorifier l'auteur de tels actes.

Non, en effet, il n'est pas tenu de la faire. Mais est-ce trop exiger qu'il soit libre de le faire ?

C'est ce que rappelle la cour européenne des droits de l'homme (Orban et autres contre France, requête no 20985/05).

Et elle ne prend pas de gants.

D'une part, avec une fausse naïveté cruelle, elle relève :

La Cour ne perçoit (…) pas en quoi le fait de qualifier la mission [du Général Aussaresses] en Algérie de « la plus douloureuse » équivaut à une glorification de l'auteur ou des faits dont il témoigne. Quant au recours à l'expression « légende vivante » pour qualifier le général Aussaresses, elle n'y discerne pas davantage une volonté de glorification de celui-ci. Outre le fait qu'une telle expression peut recevoir plusieurs acceptions, y compris négatives, elle renvoie manifestement, en l'espèce, à la réputation que le général Aussaresses avait « dans les cercles très fermés des services spéciaux » au moment où il avait été envoyé en Algérie.

Ensuite, si elle reconnaît la valeur de l'argument soulevé par le Gouvernement français que « la mémoire des tortures pratiquées par certains militaires français reste encore très vive et douloureuse chez ceux qui les ont subies », la cour relève qu'ils remontaient alors à plus de quarante ans et que

s'il est certain que les propos litigieux dont il est question en l'espèce n'ont pas pour autant perdu leur capacité à raviver des souffrances, il n'est pas approprié de les juger avec le degré de sévérité qui pouvait se justifier dix ou vingt ans auparavant ; il faut au contraire les aborder avec le recul du temps.

Et vient le moment de l'estocade.

Cela participe des efforts que tout pays est appelé à fournir pour débattre ouvertement et sereinement de sa propre histoire.

Fallait-il aller devant la CEDH pour rappeler une telle évidence ? Dans le doute, la cour en remet une couche.

Il y a lieu de rappeler à cet égard que sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10[1], la liberté d'expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique ».

Et paf. Et ce, à l'unanimité des sept juges. Re-paf.

Mais terminons néanmoins sur une note optimiste. Les juridictions françaises ne sont pas entrées en résistance contre la CEDH. À force de condamnations (qui sont toutes reprises en détail dans les bulletins d'information de la cour de cassation), la jurisprudence s'infléchit et les tribunaux rendent de plus en plus des décisions faisant prévaloir la liberté d'expression sur la défense de l'ordre. De plus en plus, des condamnations sont écartées, quand bien même la loi le permettrait, au nom de l'absence de nécessité de cette interdiction dans une société démocratique. Voyez le jugement relaxant le bâtonnier Hoarau raillant le MBA de Rachida Dati, ou encore plus récemment la relaxe de militants pour les droits des sans-papiers relaxés du chef de diffamation envers la police aux frontières qualifiée de bras armée de la xénophobie d'État.

Ce n'est tout de même pas encore gagné quand on voit qu'un simple « Casse-toi pov'con » brandi sur le passage du cortège présidentiel a été qualifiée d'offense au Chef de l'État alors même qu'il s'agissait manifestement d'une citation ironique de ce dernier.

Le combat pour la liberté d'expression a encore de beaux jours devant lui.

Notes

[1] 2. L'exercice de ces libertés [d'expression, d'opinion, de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées] comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

vendredi 16 janvier 2009

Quelques propos un peu en vrac

► Actualité

La presse l'annonce, mais pas toujours de manière claire. Peu importe, mes lecteurs auront rectifié d'eux même. Pour vous confirmer que vous aviez tout bon, voici le processus judiciaire ayant amené à la remise en liberté (provisoire) d'Yldune Lévy dans l'affaire des terroristes des caténaires invisibles ou je sais plus quoi.

— 8 janvier : le juge d'instruction Thierry Fragnoli procède à l'interrogatoire de Mlle Lévy. Son avocat, peut-on supposer, dépose peu après (le lendemain ?) une demande de mise en liberté. Il a cinq jours pour y faire droit ou l'envoyer au juge des libertés et de la détention en lui demandant de la refuser.

— Le juge transmet la demande au parquet qui donne son avis ( « Gnan ! »).

— Le mercredi 14 janvier, le juge d'instruction décide de la remise en liberté sous contrôle judiciaire, estimant que la détention n'est plus la seule façon de garantir la sauvegarde des intérêts figurant à l'article 144 du CPP . La décision est notifiée au parquet.

— Dans les quatre heures qui suivent, le parquet interjette appel et forme un « référé détention ». L'ordonnance de remise en liberté est suspendue, et le premier président de la cour d'appel ou tel conseiller qu'il désignera à cette fin a trois jours ouvrables pour examiner s'il y a lieu de suspendre la mesure jusqu'à l'audience de la chambre de l'instruction qui statuera sur le fond de la question de la liberté. Le délai expirait donc lundi.

— Aujourd'hui 16 janvier, le conseiller délégué par le premier président a examiné le référé liberté et a estimé, après avoir ouï les parties (le parquet général et l'avocat de la défense) qu'il n'y avait pas lieu de suspendre cette ordonnance, avant de renvoyer l'affaire à l'audience de vendredi prochain 23 janvier, où notre héroïne se présentera libre.

— Dernier épisode le 23 janvier, où la cour pourra soit confirmer la remise en liberté, le cas échéant en modifiant le contrôle judiciaire, ou infirmer l'ordonnance et ordonner le retour en détention en délivrant mandat de dépôt.


► Presse : qu'est-ce qu'un journaliste ?

Une de ces merveilleuses controverses hors sujet est née sous mon billet précédent sur la question de savoir si l'article que je cite est du journalisme, son auteur n'étant pas journaliste professionnel mais chercheur au CNRS.

Aliocha, gardienne du temple, fronce le nez (qu'elle a ravissant) :

un chercheur au CNRS ne se transforme pas en journaliste par le seul fait qu'il écrit dans un journal, pas plus qu'un directeur juridique ne deviendrait avocat en assistant son client devant le tribunal de commerce. Si l'on admettait votre théorie, alors n'importe quel ministre publiant une tribune dans ce même journal pour expliquer sa politique deviendrait de facto journaliste, je ne sais pas vous, mais moi ça me gêne un peu intellectuellement.

Elle a raison, mais moi aussi.

Qu'est-ce qu'un journaliste ?

Le droit n'apporte qu'une réponse… juridique. L'article L.7111-3 du Code du travail donne la définition du journaliste professionnel :

Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

L'article L.7111-5 enfonce le clou dans mon cercueil :

Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.

Patrick Weil n'est donc pas journaliste. Professionnel.

Car c'est en réalité cet épithète que réglemente le code du travail avant de préciser les adaptations du code du travail au journaliste professionnel (dérogation au droit de la propriété intellectuelle lui permettant de céder forfaitairement ses œuvres futures ; clause de conscience lui permettant d'être licencié pour cause économique en cas de changement de direction du journal…). C'est ces critères qui ouvrent droit à la délivrance de la carte de presse, de son vrai nom carte d'identité professionnelle des journalistes (art. R. 7111-1 du Code du travail).

En dehors de cette activité professionnelle principale, on peut néanmoins faire du journalisme, et dès lors, être qualifié de journaliste. C'est ce que j'entendais.

Car on est journaliste quand on écrit un article destiné à publication dans la presse. Un article est :

— Une œuvre de commande. La commande précède l'œuvre. Ce peut être une initiative du rédac'chef (« Aliocha, fais moi trois feuillets sur l'affaire Madoff, pour avant-hier ! ») ou une proposition acceptée (« Chef, ça vous dirait, un article sur la tremblante du poisson rouge ? — Fonce, Coco, fais moi quatre feuillets ! »), ou une commande renouvelée tacitement (« Aliocha, je veux chaque jeudi une rubrique d'un feuillet sur “droit et charcuterie”. ») mais l'article n'est pas écrit avant cet aval de principe. Sinon, c'est une tribune, ou un éditorial. Voilà un des critères qui différencie le blog du journalisme : le blogueur est libre de son sujet.

— Dans un format imposé. Je cite une professionnelle :

Un article de presse (…) s’inscrit dans un journal et à l’intérieur d’une rubrique, ce qui impose de respecter un certain nombre de contraintes. Chaque chef de rubrique (International, politique, société etc.) dispose d’un nombre de pages déterminé, lesquelles sont divisées en plusieurs emplacements de différents formats. Ce sont les contraintes de maquette. Pour qu’un journal soit lisible en effet, il faut qu’il soit organisé, le format des articles est donc prédéterminé. Inutile d’envisager de modifier la maquette, allonger ici, raccourcir là, elle est fixe, il faut donc s’adapter. Cela suppose de sélectionner les informations car on ne pourra pas toutes les traiter puis de les hiérarchiser, autrement dit de décider quelle importance on va accorder à chacune.

La principale caractéristique de ce format étant d'être toujours trop court ce qui oblige à une douloureuse synthèse et un difficile élagage. Autre différence avec le blogueur, qui n'a aucune contrainte d'espace pour ses billets hormis la patience de ses lecteurs.

— Sur un sujet lié à l'actualité.

Entendons-nous bien. Si pour les quotidiens, c'est nécessairement l'actualité immédiate, mais cela peut aussi être l'actualité de disciplines précises. La science, ou même l'histoire peut être de l'actualité. Je ne dénierai pas à Historia le caractère d'organe de presse, mais même un dossier sur Byzance fera état des plus récents travaux en la matière.

Un chercheur au CNRS qui écrit, dans la matière qu'il connaît, un texte qu'on lui a demandé, devant tenir sur deux pages pleines, moins les illustrations et encadrés, réagissant aux chiffres publiés par le gouvernement sur cette matière ne fait pas un travail de recherche, mais de journalisme. Ça n'en fait pas un journaliste professionnel, il n'aura pas droit à la carte de presse, mais ce qu'il a fait, c'est du journalisme. Et, je maintiens, du bon.


► Excuses et regrets.

Enfin, sur le front de ce blog.

Mon activité professionnelle et l'afflux des commentaires font qu'il m'est impossible de répondre à tout le monde, ou de m'investir dans des discussions. J'en suis désolé et prie mes lecteurs de m'excuser. J'ai toujours dit et je maintiens que je ferai toujours passer ma vie privée et mon activité professionnelle avant ce blog. Et elles ne me laissent guère de temps en ce moment. J'implore votre compréhension et votre patience. Merci de continuer à vous écharper sans moi. Et si un Troll venait à pointer le bout de son vilain nez pointu, merci de me le signaler. Ma vigilance peut parfois s'en ressentir.

Une page d'histoire - la création du juge d'instruction

Par Paxatagore


Regarder de temps à autre en arrière est fort amusant, à défaut de donner des leçons pour l'avenir. Car, de la même façon qu'on se dit maintenant qu'on va supprimer le juge d'instruction pour faire comme les Anglais (je caricature), on a aussi institué le juge d'instruction pour faire, un peu comme les Anglais.

Avant, c'est-à-dire du temps où Louis XVI régnait encore à peu près paisiblement sur le royaume de France, nous connaissions une vraie procédure inquisitoire. Les juges ouvraient des enquêtes de leur propre chef. Ils procédaient seuls à l'audition des témoins. Ils arrêtaient les suspects et les interrogeaient, sans leur notifier aucune charge, aucun droit (vous rigolez ! des droits ?). Évidemment, le suspect n'avait pas accès à un avocat, ni même à la procédure. Lorsque le juge estimait que l'enquête était terminée, il tenait un procès, où l'on répétait les charges recueillies et on statuait sur la culpabilité et, le cas échéant sur la peine. Au passage, il faut signaler qu'il y avait des règles formelles exigeantes sur la preuve et qu'on recourrait donc très couramment à la torture pour obtenir des aveux, condition essentielle à la déclaration de culpabilité.

Ca c'était la vraie procédure inquisitoire[1], une procédure caractérisée par le fait que le juge décidait de l'ouverture de l'enquête, y procédait seul, et siégeait dans la composition de jugement. Une procédure marquée par le sceau du secret à l'égard même du suspect, qui ne savait que ce que ses juges lui avaient dit. Une procédure également marquée par l'écrit, puisque chaque moment de la procédure donnait lieu à un procès verbal, dressé par le juge et son greffier.

Cette procédure était déjà dénoncée largement au XVIIIe siècle par les intellectuels et la Révolution s'est empressée de souhaiter qu'on y mette fin. Après quelques réflexions, on s'est tourné vers la procédure qui se mettait en place au même moment outre-manche.

La procédure anglaise de l'époque était marquée par une forte distinction entre deux phases : la phase d'accusation et la phase de jugement. L'accusation était généralement prononcée par un jury, qui examinait les preuves (à l'époque, les preuves réunies par un juge) et décidait s'il y avait ou non lieu à renvoyer le suspect devant une cour d'assises (Old Bailey), où il était jugé par ses pairs. La Révolution s'est empressée de copier ce système formidablement libéral par rapport à ce qu'on connaissait jusqu'à présent en France et nous avons donc, nous aussi conçu un jury d'accusation et un jury de jugement (d'où notre cour d'assises).

L'enquête était faire sommairement soit par les juges de paix, soit par des officiers publics[2]. Le jury d'accusation était présidé par un juge, le "directeur du jury d'accusation". Rapidement, toutefois, ce système est apparu lourd et on a supprimé le jury, pour ne garder que le seul président du jury, devenu juge d'instruction. Ce juge devait logiquement non pas faire une enquête, mais refaire l'enquête et la mettre sous forme judiciaire, c'est-à-dire en procès verbaux de juge et de greffier. A l'issue, il devait se réunir avec deux autres juges et statuer sur un éventuel renvoi devant une juridiction de jugement (on appelle cette formation de trois juge, la chambre du conseil. Elle a été supprimée en France en 1856 mais elle existe toujours en Belgique).

A vrai dire, on n'a pas compris le système anglais parce qu'on était resté avec les vieux réflexes de la procédure inquisitoire. En France, on faisait des procès verbaux au lieu de s'appuyer sur l'oralité des débats. Le greffier du jury d'accusation notait le détail des dépositions, en Angleterre, pour garder une trace de ce qui avait été dit pour la juridiction d'appel. Nous avons transformé cela en procès verbaux utilisés par la juridiction de jugement. Et notre bonne vieille culture du secret a refait surface.

La réforme importante qui a supprimé le jury d'accusation et a entraîné la création du juge d'instruction a également conduit à une modification substantielle du rôle du ministère public (le procureur). Jusqu'alors le "parquet" était surtout là pour donner son avis aux juges, éventuellement pour les inviter à mettre en oeuvre une enquête. Mais le pouvoir d'enquête et de jugement appartenait aux juges seuls. Le code d'instruction criminelle va donner au ministère public le pouvoir de procéder ou de faire procéder aux investigations sommaires, préalables à l'ouverture de l'enquête judiciaire (l'instruction). Il va également donner au procureur un rôle essentiel : décider des poursuites (il y a là une séparation entre l'autorité de poursuite et l'autorité de jugement). Mais nous sommes dans une logique où l'instruction est dans l'ordre des choses, le parquet s'abstenant de saisir le juge d'instruction que dans des cas rares.

Le juge d'instruction est donc une conjonction entre notre histoire ancienne et un emprunt à nos voisins. De l'ancien régime, il a gardé le secret, le rôle essentiel du procès verbal, les pouvoirs d'enquête étendus. De l'emprunt aux Anglais, on a hérité la distinction entre une première enquête sommaire, une enquête judiciaire et un procès. C'est amusant, et instructif pour notre législateur, de voir à quel point le poids de l'histoire l'a emporté sur les volontés de réformes.

Notes

[1] ce qui fait que lorsqu'on dit qu'en France, on a une procédure inquisitoire, il me semble qu'on date un peu... on est heureusement très loin de ce schéma !!

[2] il faut se souvenir qu'à l'époque il n'y avait pas de vraie police judiciaire et que dans la mentalité judiciaire de l'époque, le juge est le seul qui détient les pouvoirs nécessaires pour enquêter

jeudi 15 janvier 2009

De l'excellent journalisme

On ironise régulièrement sur LE quotidien de référence, moi le premier, quand il n'est pas à la hauteur de la réputation que parfois il se bâtit à lui-même.

Mais n'empêche. Le Monde est toujours capable de faire un vrai travail de journaliste qui ne peut que forcer l'admiration. Voilà la presse que j'aime, qui démontre par l'exemple et non par proclamation combien elle est indispensable à la République.

Voici décortiqués, analysés et démontés, les chiffres de l'immigration. Les menteurs professionnels communiquants du Ministère de l'immigration, de l'intégration, de la fanfare et du clafoutis envoyés dans les cordes, et allongés pour le compte. N'attendez jamais la vérité du gouvernement, mais vous pouvez encore l'attendre de la presse. Ça fait du bien.

Bravo à Patrick Weil pour ce travail. Lisez-le d'un bout à l'autre, ce ne sera pas du temps de perdu.

Politique d'immigration : le dessous des chiffres

2002-2008 : comment Nicolas Sarkozy a viré de bord (… sur la question de l'immigration, soyez sans crainte pour Carlita)

mercredi 14 janvier 2009

Et ailleurs, ça se passe comment ? (1) L'Angleterre et le Pays de Galles

Avant de continuer à débattre sur le juge d'instruction en France, voyons comment ça se passe ailleurs.

Commençons par nos voisins dont nous avons su prendre le meilleur (la démocratie et le rugby) en leur laissant le pire (la Marmite® ) : le Royaume-Uni. Qui en l'espèce n'a d'uni que le nom, puisque le système judiciaire dont nous parlerons ne concerne que deux des quatre royaumes : l'Angleterre et le Pays de Galles.

L'Angleterre et le Pays de Galles ont un système accusatoire centré sur l'oralité des débats et la stricte égalité des armes. C'est le modèle anglo-saxon, dont des déclinaisons existent aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Hong Kong et dans les îles du Pacifique et qui a été adopté assez largement par les pays de l'est après la fin de la guerre froide.

Rez-de-chaussée : l'enquête de police

En Angleterre et au Pays de Galles, la police est sinon indépendante, du moins largement autonome pour mener les enquêtes criminelles. C'est la charge d'un service spécial, le CID, Criminal Investigation Department. Ses membres portent tous le titre de Detective, du grouillot de base le Detective Constable au chef, le Detective Chief Superintendant. Ce sont des policiers expérimentés (il faut au moins deux ans d'expérience en tenue pour passer Detective) qui sont sélectionnés sur dossier et suivent une formation spécifique. Cela s'apparente en France à l'examen d'habilitation d'Officier de Police Judiciaire. Les Detectives sont en civil pour opérer en toute discrétion. Historiquement ce sont les premiers à avoir ainsi opéré (les Français ont bien eu l'idée en premier, mais ne l'ont appliqué qu'à la police politique…). Notons que la police britannique n'est pas un corps national, mais divisé au niveau de chaque région (Londres étant une région à elle seule). Londres est le domaine de la Met, la Metropolitan Police Service, à l'exception de la City dont les 8000 habitants (plus 300.000 aux heures de bureau…) ont leur propre police pour des raisons historiques : la City Of London Police.

Dans la tradition anglo-saxonne, la police n'a pas de prérogative particulière, ni de statut spécifique. On est loin de la tradition française, qui donne des prérogatives particulières aux officiers de police, en contrepartie d'obligations déontologique et du serment. La police par exemple ne peut contraindre personne à venir témoigner. Alors qu'on n'a pas le choix de ne pas venir témoigner en justice.

Cela dit, les choses ont légèrement changé depuis tout de même un certain temps et la police a quelques petits pouvoirs. Ainsi, la police a le pouvoir d'arrêter un suspect (pouvoir en théorie dévolu à tout citoyen, mais qui engage alors sa responsabilité. La police n'engage sa responsabilité si elle arrête un suspect que de façon restreinte) et de le maintenir dans ses locaux pour quelques heures, pour y être interrogé. Ce qui ressemble à une garde à vue est contrôlé par un officier de police spécial, qui n'est pas en charge de l'enquête. Le délai de la garde à vue est normalement de 24 heures et il peut être porté à un maximum de 28 jours en matière de terrorisme.

L'interlocuteur judiciaire des CID est l'équivalent du Parquet, le Crown Prosecution Service (CPS). La police a normalement la charge de saisir la justice mais pour certaines affaires, les plus graves, cette responsabilité est contrôlée par le CPS dont c'est la responsabilité de s'assurer que les preuves suffisantes des éléments constitutifs de l'infraction ont été réunies. Il n'est pas hiérarchiquement supérieur à la police, la loi britannique ne parle que de conseils sur l'enquête, mais en pratique, ce conseil se rapproche bien d'un ordre. La politique pénale est donc entièrement entre les mains de la police, le CID n'ayant aucune prérogative à cet égard.
Les membres du CPS sont des fonctionnaires, totalement distincts des magistrats britanniques, recrutés, comme nous allons le voir, soit parmi des citoyens de bonne volonté soit parmi des avocats expérimentés et honnêtes (c'est dire si la sélection est relevée…).


Le Bail

Une fois un suspect arrêté, se pose la question de savoir quoi en faire.

La détention provisoire telle que nous la connaissons est quasiment inconnue en Angleterre et au Pays de Galles. Le principe est celui du Bail, prononcer Bé-il. Le Bail désigne historiquement une caution, une somme d'argent déposée par le suspect pour garantir sa représentation. Par extension, c'est devenu tout ordre de comparution en justice, même sans caution. Le Bail peut être délivré par la police quand la personne interpellée n'est pas poursuivie (l'enquête doit se poursuivre), soit pour se représenter au service tel jour à telle heure (Police Bail), soit de se présenter directement à la Cour (Police to Court Bail). Le Bail peut également être délivré par un magistrate (v. plus bas), avec ou sans caution dont le montant est alors fixé, si l'affaire n'est pas en état d'être jugée ou relève d'une juridiction supérieure.

Ne pas se présenter à la convocation quand on fait l'objet d'un bail est un délit grave, passible de prison de 6 mois à un trois ans, je reviendrai sur ce point). C'est d'ailleurs un problème car les populations les plus défavorisées ne comprenant pas l'importance de ce bail sont les plus enclines à ne pas y déférer (les juges français qui me lisent qui ont ordonné des renvois en correctionnelle dans des affaires où le prévenu est sans avocat comprendront) avec des conséquences dramatiques puisque la carence à un bail prive du droit au bail dans la même affaire.

Le Bail est en principe un droit : un suspect doit être relâché sous bail. Néanmoins, dans certains cas particulièrement graves, la loi autorise le juge à refuser le bail, ce qui signifie le placement en détention jusqu'au jugement. Ces détentions sont toutefois rares, et surtout courtes, le délai moyen entre l'arrestation et le passage devant la cour (y compris en matière criminelle) étant de treize semaines. Je peux vous dire que ça fait rêver un avocat français.


Premier étage : les magistrates.

La porte d'entrée de l'édifice judiciaire pénal de sa Gracieuse Majesté est le Magistrate's court. Un magistrate n'est pas en principe un juge professionnel. Ce sont en principe des citoyens qui assument bénévolement ces fonctions, seulement défrayés de certains frais, en tant que justice of peace, abrégé JP) (juge de paix, un peu comme nos juges de proximité aujourd'hui). Les JP siègent par trois (ils forment le Bench, le Banc) et doivent 26 demi-journées de service par an. Ils sont assistés d'un Clerk of Justices, qui est là pour leur apporter l'éclairage juridique indispensable quand des points de droit complexes sont abordés, ou pour leur signaler que la sanction qu'ils envisagent est illégale.

Il y a cependant des juges professionnels qui assument ce rôle, quand un tribunal ne parvient pas à avoir suffisamment de JP. Ces stipendiary magistrate ou depuis 1999 district judge, abrégé DJ, sont choisis parmi les avocats ayant 5 ans d'ancienneté (7 ans avant 2004). Ils siègent dans ce cas seuls (mais aussi assistés d'un Clerk).

En matière pénale, les magistrate's courts sont un passage obligé. La loi distingue trois catégories d'infractions passibles du juge : les summary offences, qui relèvent de la seule compétence du magistrate, qui peuvent être punies de prison pour un maximum de 6 mois, 12 mois en cas de récidive, les indictable offences, qui relèvent de la seule compétence de la juridiction supérieure, la Crown Court (cf. ci-dessous), et les offences triable either way : ces délits d'une certaine gravité peuvent être jugés par les magistrates mais s'ils estiment vu la gravité des faits et la personnalité du prévenu que la peine qui s'imposerait dépasse leur compétence (soit plus de 6 mois de prison ou 12 en cas de récidive), ils peuvent décider de renvoyer l'affaire à la Crown Court. Le prévenu peut demander lui-même à être renvoyé devant la Crown Court, pour bénéficier du jugement par un jury, mais il doit être averti du risque de se voir condamné plus lourdement. Enfin, les magistrates qui ont jugé une affaire et déclarent coupable le prévenu peuvent renvoyer le condamné devant la Crown Court pour le prononcé de la peine (sentencing) s'ils estiment qu'une sévérité plus grande que celle que leur permet la loi s'impose.

C'est aux magistrates de qualifier l'affaire qui leur est soumise (même si dans certains cas c'est une simple formalité) et de statuer sur le sort du prévenu dans l'attente du jugement : liberté, liberté sous caution (bail) ou détention provisoire. Ils ont donc ici le rôle dévolu en France au juge d'instruction de notification des charges (la mise en examen) et au juge des libertés et de la détention, mais n'ont aucun pouvoir d'interrogatoire sur les faits.

La défense pénale devant les magistrates est du domaine des Sollicitors, qui se rapprochent de nos avoués. Les barristers (les avocats) peuvent bien sûr aller plaider devant les magistrates, mais c'est rare (ils sont nettement plus chers). On s'adresse à un magistrate en lui disant Your Worships, ou si un District Judge est présent, Sir/Madam.


Deuxième étage : les judges and jury.

La Crown Court (il y en a 90 en Angleterre et au Pays de Galles) juge les délits les plus graves et les crimes. Elle est également juge d'appel des décisions des magistrate's courts. Elle est composée d'un judge et d'un jury de douze citoyens tirés au sort (dans le cas d'une offence triable either way, c'est le prévenu qui décide s'il veut un jury ou non). Le jury délibérera seul, et sur la seule question de la culpabilité. Le principe est l'unanimité, mais le juge peut décider d'accepter une décision majoritaire de 10 contre 2 (autant dire qu'en Angleterre, 12 hommes en colère aurait été un court métrage). C'est le juge qui décidera seul de la peine. Notons que les cours d'assises ont fonctionné ainsi en France jusqu'à une loi de 1941 (oui, de Pétain) validée à la libération qui a instauré le système actuel de délibération commune avec les magistrats sur la culpabilité et la peine (ce système est encore en vigueur en Belgique). Le juge est assisté d'un Clerk, qui tient ici plus du greffier français que du conseil, du cryer qui est notre huissier, outre un sténographe qui tient un compte-rendu détaillé des débats (un autre domaine où le droit français pourrait faire des progrès dans l'intérêt de la défense).

On s'adresse à eux en disant My Lord ou My Lady (attention, le port de la perruque et de la robe est trompeur).

Troisième étage : la High Court, la Court Of Appeal et la Chambre des Lords.

La High Court of Justice, juridiction unique siégeant en principe à Londres mais se déplaçant selon les besoins, juge les crimes les plus graves (selon une procédure avec jury similaire à la Crown Court mais étant présidée par des magistrats expérimentés et triés sur le volet). Les juges à la High Court étant systématiquement anoblis si besoin avec le titre de Chevalier Bachelier (Knight Bachelor) pour les hommes et Dames Commander of the Order of the British Empire pour les dames, on les appelle My Lord ou Your Lordship si ce sont des hommes, ou My Lady ou Your Ladyship dans le cas contraire. Quand on se réfère à eux, on fait précéder leur nom du mot Justice : Mr Justice Donaldson.

La Court of Appeal juge les appels des jugements des Crown Courts rendus avec l'intervention d'un jury, c'est-à-dire ceux où l'accusé plaidait non coupable (v. plus bas). Les jugements sur la peine relèvent de la High Court. Mêmes règles d'adresse que ci-dessus : le terme de Your honor étant réservé aux Circuit Judges, qui est un rang et non une fonction (équivalent de président de chambre de cour d'appel).

L'appel des décisions de la Court Of Appeal ou de la High Court sur la peine relève de la Chambre des Lords (pas en son entier, une formation restreinte, spécialisée et distincte de la fonction législative, qui va disparaître en octobre prochain au profit d'une Cour Suprême plus classique), avec cette particularité que l'appel doit être autorisé par la Court of Appeal ou la Chambre des Lords, au vu du sérieux des moyens soulevés.

Le droit anglais distingue les appels sur la culpabilité et les appels sur la peine. Tout simplement parce que la culpabilité est prononcée par un jury populaire et la peine par un juge. D'autant que comme nous allons le voir, le jury ne siège que si la culpabilité est niée : un accusé plaidant coupable n'a qu'un jugement sur la peine.


Le noyau du système : le plea.

Le système anglo-saxon repose sur un élément totalement ignoré de la procédure pénale française : la position de l'accusé sur sa culpabilité, ou plea, déformation du français plaid, racine de plaidoirie.

Le système anglais connaît une incitation à la reconnaissance de culpabilité : si l'accusé plaide coupable (guilty plea), le tribunal passe directement au prononcé de la peine. Pour le remercier d'alléger ainsi la charge de la justice, le tribunal prononcera une peine plus légère. Si la loi ne prévoit pas de droit à la réduction ni ne la quantifie, l'usage tourne autour d'un tiers en moins par rapport à ce qui aurait été prononcé en cas de culpabilité contestée. On peut contester ce marchandage au nom de la dignité et de l'égalité, mais reconnaître la culpabilité est généralement un signe de prise de conscience de la gravité et de l'acte, donc d'amendement. C'est de ce système qu'est inspiré la Comparution sur Reconnaissance Préalable de culpabilité, sauf que les parquets ont souvent du mal à intégrer le concept de carotte : il faut proposer une peine plus légère que celle qui sera prononcée, et non requise. La négociation actuelle tourne trop souvent sur le simple gain de temps ou la disparition de l'incertitude sur la peine. Il y a du progrès à faire.

Quand un accusé plaide non coupable, l'accusation (le Crown Prosecution Service, CPS, qui est un corps de fonctionnaires en Angleterre sans statut assimilé à celui de magistrat) doit présenter ses preuves (offer evidence), et l'accusé a le droit d'être confronté à ses accusateurs. Le principe est que les témoins et les policiers ayant procédé à l'enquête doivent venir déposer en personne, afin d'être interrogé par le CPS et contre-interrogé par l'avocat du défendeur. Si le CPS ne peut présenter de preuve, parfois pour de pures raisons techniques (les documents se sont égarés, ça arrive dans les dossiers de délits mineurs, ou le témoin n'est pas venu), c'est la relaxe ou l'acquittement assurée. Sinon, les preuves sont examinées par la juridiction qui Devant une cour avec jury, quand un dossier s'écroule en pleine audience, la défense peut demander que le juge constate que le dossier ne contient pas de base suffisante pour une accusation (a live issue) par une demande appelée submission of no case to answer ou motion for dismissal). Ça ressemble à un non lieu en pleine audience. Le juge qui constate que l'accusation est aussi insubmersible que le Titanic et que l'avocat de la défense a l'esprit ailleurs, peut d'office demander à l'accusation si elle maintient les poursuites (ce qui est une invitation à ne pas le faire). Si l'accusation jette l'éponge, le juge retire le dossier au jury (withdraws the case from the jury) et prononce un acquittement immédiat. Cette nécessité d'apporter un dossier solide à l'audience s'appelle couramment passing the judge : passer le juge.

Récemment, un juge de Crown Court a ainsi retiré le dossier à un jury dans une affaire de vol avec violences, commis sur un véhicule d'auto-école. L'accusation a présenté à la barre la monitrice, qui avait repoussé les agresseurs sans se laisser démonter,et a formellement identifié le jeune prévenu. Le juge a estimé que la procédure était viciée, car le témoin inspirait une trop grande confiance de nature à impressionner le jury, mais présentait une preuve en réalité trop fragile (elle n'a pu voir le visage de son agresseur qu'un bref moment, dans des circonstances de grand stress). Dès lors, l'accusation substituait à une preuve solide la crédibilité de la victime, qui avait toute la sympathie du jury. Le juge ne pouvait accepter cela et a aussitôt prononcé un non-lieu. Les tabloïds britanniques sont fous de rage. L'avocat est admiratif.

Le jury n'a pas d'instruction particulière pour trancher. Son serment, prêté sur le Nouveau Testament pour les chrétiens, l'Ancien Testament pour les juifs, le Coran pour les musulmans, est ainsi libellé : - I swear by Almighty God that I will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence : « Je jure par Dieu Tout-Puissant que je jugerai loyalement le défendeur et rendrai un verdict sincère et conforme aux preuves produites ». Les athées et autres religions peuvent à la place du Serment prononcer l'Affirmation : - I do solemnly, sincerely and truly declare and affirm that I will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence : « Je déclare et affirme solennellement, sincèrement et véritablement que je jugerai loyalement le défendeur et rendrai un verdict sincère et conforme aux preuves produites ».

Après l'audience sur la culpabilité se tient, souvent un peu plus tard, l'audience sur la peine, sans jury. C'est à ce moment là, et à ce moment là seulement que peuvent être présentés des éléments de personnalité. La peine, en règle générale, est sensiblement plus sévère que les peines prononcées en France.


Conclusion : the best system in the world ?

Le système accusatoire britannique a des vertus, notamment du point de vue des droits de la défense, qui charment l'avocat français. Ainsi, le prosecutor ne plaide pas devant un collègue qu'il tutoie dans les couloirs, mais devant un magistrat aussi intraitable avec lui qu'avec l'avocat de la défense. Les délais de jugement sont également bien plus courts et la détention provisoire reste exceptionnelle.

Mais il a également des côtés négatifs. La défense peut discuter le dossier de la police, mais n'a pas de moyen de la forcer à accomplir telle ou telle diligence. La recherche de preuves (comme une expertise parfois coûteuse) est à sa charge. Également, la protection des droits de la défense a pour contrepartie une plus grande sévérité dans les peines. Le système n'est pas à l'abri d'erreurs voire d'errements de la police : les Quatre de Guildford, les Sept de Maguire, dont l'histoire a inspiré le film Au Nom du Père de Jim Sheridan (1993), ont passé 16 ans en prison, et ont vu un recours en révision rejeté quand bien même le ministère de l'intérieur avait admis dans un mémoire qu'il était peu probable qu'ils fussent coupables. L'histoire se souviendra de leur premier juge, Mr Justice Donaldson, qui lors du procès avait expressément regretté que l'accusation n'eût pas retenu le crime de Trahison qui était passible de la peine de mort automatique, peine qu'il n'aurait eu aucune difficulté à prononcer, magistrat qui, l'usage d'alors voulant que le juge donnât son avis sur une éventuelle libération conditionnelle mais craignant d'être mort ce jour là, a prononcé une peine de sûreté de 30 à 35 ans selon les accusés. Il est mort en 2005, soit bien après que l'innocence de ces irlandais ait été reconnue en 1989.

Les Britanniques sont bien conscients de ces difficultés et plusieurs éléments de réformes sont intervenus, dans deux sens :
- faciliter le travail de l'accusation, par exemple en limitant la portée du Hear-say rule, une règle qui interdit de faire état de chose que l'on a entendue ("oui-dire"). Il ne s'agit pas simplement d'interdire de rapporter une rumeur, mais plus largement d'interdire de rapporter ce qu'on a entendu (j'ai entendu untel me dire qu'il avait fait cela). Désormais, par exemple, la police pourra produire des procès verbaux d'audition de témoins qui ne peuvent pas se déplacer en justice (parce qu'ils habitent loin, parce qu'ils sont décédés...).
- accroître les exigences en terme de preuve. Cela est passée par une professionnalisation des services d'enquête, mais aussi par la création du CPS (institution récente, qui date de 1984). Par le "double regard" qu'il apporte à l'enquête, le CPS contribue à sa qualité.

Je me souviens avoir lu qu'un haut magistrat britannique, qui connaissait fort bien les deux systèmes, s'était vu demander s'il préférerait être jugé par une cour britannique ou française. Il avait répondu, en bon britannique : « Ça dépend. Si je suis coupable, je préférerai le français. » Une façon élégante de faire du French-bashing, mais il a raison sur un point : le système français a été conçu comme l'outil d'un État fort pour juger des coupables. Malheur à l'innocent entraîné par son maëlstrom. Il n'est pas conçu pour lui.
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Mes remerciements à Paxatagore, co-auteur de ce billet, pour ses corrections, remarques, et suggestions.


NB Lisez absolument les commentaires signés "Trouble-fête" sous ce billet, qui nous apporte des précisions et parfois des corrections. Nothing beats the practice : rien ne vaut l'éclairage de quelqu'un qui pratique le système de l'intérieur.

Le karaoké du mercredi : Le sermon de l'instruction

Par Maboul Carburod… Z, magistrat.


Pour la musique :


Découvrez Eddy Mitchell!



Nicolas a dit que l’instruction
sans accusatoire est un péché.

Cette nouvelle il me faut l'annoncer
à mon tribunal en pleine AG.

J'ai pris une dose de whisky
afin de préparer mon sermon
je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit
je me posais bien trop de questions.
Au petit matin Rachida m'est apparue
Et elle m'a donné la solution
Aussitôt vers le tribunal j'ai couru
parler à mes juges sur ce ton :

Mes biens chers frères, mes biens chères soeur,
reprenez avec moi tous en chœur :

{Refrain:}
Pas d’interrogatoire sans accusatoire
(interrogatoire, pas d’interrogatoire)
Ne faites pas d’interrogatoire
sans respecter le contradictoire
(interrogatoire, pas d’interrogatoire)
Maintenant l’inquisitoire est devenu péché mortel,
ne provoquez pas votre cour d’appel
Pas d’interrogatoire sans accusatoire.

Puis j'ai réclamé le silence,
afin d'observer les réactions,
sur certains visages de l'assistance
Se reflétait surtout l'indignation.
Quand aux autres visiblement obtus
voyant qu'ils n'avaient rien compris
il me demandèrent de faire à nouveau
le sermon du juge d’instruction

Ah, mes biens chers frères, mes biens chères soeurs
reprenez avec moi tous en chœur :

{au Refrain}

Maintenant tout est fait, tout est dit
mais mes collègues sont partis.
Rachida je reste seul dans ta maison,
J'en ai l'air mais le dire à quoi bon.
Si ta réforme m'a fait perdre l’affaire
J'irai tout droit, tout droit à Hazebrouck

Mais j’essayerai encore à l’audience de midi
le sermon du juge d’instruction.

mardi 13 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (3) - Mettre fin à la dualité des poursuites

Par Paxatagore


Troisième argument, à mes yeux le plus important ce ceux que j'ai évoqué jusqu'à présent : la nécessité de supprimer la dualité des poursuites.

Aujourd'hui, quel est notre système ?

95% des affaires présentées à un tribunal ont fait l'objet d'une enquête par la police ou la gendarmerie. Celle-ci a fait son enquête tranquillement dans son coin, en en rendant plus ou moins compte au procureur de la République. Il n'y a pas eu de phase contradictoire : pendant la garde à vue, on a demandé au suspect s'il avouait, on a éventuellement vérifié ses déclarations, ses alibis. Mais on ne lui a pas donné accès au dossier. Et s'il a vu un avocat, c'est d'avantage pour se rassurer que pour se défendre, l'avocat non plus n'ayant pas accès au dossier. Du reste, ce dossier n'est matériellement pas réellement constitué et ordonné de façon à être consultable par un avocat ou un magistrat. Souvent, il n'est pas encore ordonné, les pièces pas encore numérotées, les copies, les originaux, les doubles pour les archives n'ont pas été séparés... Le procureur prend la décision de poursuivre, on se retrouve au tribunal et là, et seulement là, les avocats ont accès au dossier. Le tribunal, réuni pour juger de l'affaire, peut cependant ordonner des investigations supplémentaires si cela lui apparaît nécessaire.

Parfois - de plus en plus souvent -, l'enquête est soumise au tribunal dès la fin de la garde à vue. Le suspect est conduit menotté au tribunal, devant lequel il comparaît dans la journée. Le tribunal, sauf exception, statue aussitôt sur la peine et délivre, le cas échéant, un mandat de dépôt. C'est la procédure de comparution immédiate, très brutale et peu propice à l'exercice serein de la justice et de la défense, mais qui présente l'intérêt de l'immédiateté de la répression.

Dans les 5% restants, l'affaire a été instruite par un juge d'instruction. Après une phase policière identique à celle que je viens de décrire, le juge d'instruction est saisi. Il va généralement faire des investigations supplémentaires (on l'a d'ailleurs saisi parce qu'il y a des investigations supplémentaires à faire). Il va notamment étoffer le dossier de personnalité du suspect (qu'on appelle, à ce stade, la personne mise en examen). Il va l'interroger plus complètement, dans des conditions plus agréable (non menotté, en présence d'un avocat) qu'en garde à vue.

Cette différence ne doit pas laisser à penser que les 95% des affaires qui ne passent pas par l'instruction sont bâclées. La police fait bien son travail. Quand on lui sort un alibi, elle le vérifie. Mais bon, dans l'ensemble, chacun s'accorde à dire que les dossiers d'instruction comprennent plus de renseignements. Pas forcément plus de preuves, ni plus de certitudes. Mais plus d'informations. Plus de détails. Notamment des détails que la police ne cherche pas toujours (même si je soutiens qu'on pourrait certainement lui indiquer que ces détails sont importants. Travailler par exemple sur l'élément intentionnel, faire une enquête de personnalité, faire des environnements).

L'instruction a donc l'avantage de nous apporter un dossier plus intéressant, plus étoffé. Forcément, c'est plus long, ça coûte plus cher à la justice et il n'y a pas forcément lieu de mettre en œuvre de tels moyens pour toutes les affaires, bien au contraire.

La tendance actuelle de nos réformes législatives, depuis disons 1993, c'est de renforcer les garanties et les droits procéduraux des parties dans la phase d'instruction. La défense y a sans cesse plus de droits (qu'elle n'utilise du reste que façon très limitée). L'enquête ordinaire (les 95%), elle, ne suit pas cette tendance : tout est entre les mains de la police et du parquet, il n'y a pas de "partie" à ce stade, et donc pas de droit.

C'est l'existence d'une institution (le juge d'instruction) qui est une "option" entre les mains du procureur, qui introduit cette dissymétrie.

Je crois que l'un des intérêts de la suppression du juge d'instruction serait justement d'unifier le régime de l'enquête, de donner à chacun les mêmes droits.

Un juge de l'enquête préliminaire, dont la désignation devrait apporter des garanties d'indépendance comme celles qu'offre aujourd'hui le juge d'instruction, pourrait être saisi par les parties, à tout moment. Qui est une partie ?

  • le procureur de la République, dès lors que s'ouvre une enquête. Il pourrait demander au juge les mesures coercitives qu'il ne pourrait autoriser seul, comme la prolongation de la garde à vue, le contrôle judiciaire, la détention provisoire, les mandats, mais aussi les écoutes téléphoniques, etc.
  • la partie civile, dès lors qu'une personne dépose plainte (la reconnaissance automatique du statut de partie civile à tout plaignant ne me paraît pas problématique en soit). Elle pourrait demander au juge, au moins à certains stades de la procédure, d'ordonner certaines investigations, et, pourquoi pas, lui demander également une provision sur ses dommages et intérêts (imaginons le cas où les faits sont reconnus, rien n'interdit de restreindre le rôle de ce juge à la seule matière pénale), ou l'éloignement du conjoint violent (pour les victimes de violences conjugales).
  • le suspect. A l'issue au moins de sa garde à vue ou d'une audition sous un statut de suspect (qu'il conviendrait impérativement de créer), le suspect pourrait également demander au juge des investigations pour sa défense.

Le juge pourrait en outre statuer sur toutes sortes d'incidents d'enquête (désignation contradictoire d'un expert, délimitation de sa mission, restitution des scellés, nullités des actes de procédure,...). A l'issue d'une garde à vue, ou postérieurement, le procureur de la République pourrait faire conduire ou citer le prévenu devant le juge de l'enquête préliminaire. Les incidents préalables à l'audience seraient évoqués, les nullités purgées. Des mesures coercitives provisoires pourraient être prises (on supprimerait ainsi les comparutions immédiates devant le tribunal, au profit d'une comparution immédiate devant le juge de l'enquête préliminaire).

A ce stade, il interviendra peut être déjà un accord sur la culpabilité et la peine entre le procureur de la République et le suspect. Cet accord pourrait être homologué par le juge de l'enquête préliminaire. D'autres affaires, relevant du juge unique, pourraient être évoquées immédiatement. Pour les autres, le juge de l'enquête préliminaire renverrait l'affaire devant la formation compétente (tribunal correctionnel collégial, cour d'assises).

Pour les débats contradictoires, l'audience serait publique et contradictoire, sauf exception.

Ce système présente les intérêts suivants :

  • toutes les procédures suivront le même cheminement, sans faire de différenciation entre les plus complexes et les moins complexes, à la discrétion du procureur de la République (ou presque). Les droits de chaque prévenu sont donc les mêmes, ce qui est logique dans un système de présomption d'innocence.
  • A un stade raisonnable, l'enquête pourra devenir contradictoire. Le cas échéant, si cela nuit aux investigations, on pourrait imaginer que certaines pièces soient maintenues au secret quelques temps (cela existe en droit Suisse), par la décision d'un juge, pour ne pas compromettre l'efficacité de l'enquête : le système est souple.
  • La plupart des affaires peuvent être évoquées publiquement assez rapidement, au moins sur certains aspects du dossier, ce qui permet de donner des informations aux journalistes et satisfaire le goût de l'insatiable curiosité malsaine de nos concitoyens pour le sang et le sexe (ok, le mien aussi). Cette publicité n'est pas forcément une mauvaise chose : je fais le pari qu'on peut "éduquer" l'opinion publique sur les difficultés des affaires pénales. Les effets de manche des avocats sur les marches du palais sur la justice sourde et aveugle ne dureront pas !
  • on peut envisager plusieurs équilibres entre nécessités de l'enquête et libertés individuelles : le nôtre, ou quelque chose de beaucoup plus exigeant du point de vue des libertés. On peut aussi envisager de rester avec le rôle actuel des juge à l'audience (instruction par le juge), dans la tradition française, ou imaginer un système où les parties ont d'avantage la maîtrise du débat (le parquet présente le dossier à un juge qui ne le connaît pas). Il permet enfin de conserver un système actuel avec des obligations fortes pour la police (instruire à charge et à décharge) ou aller - ce que je ne souhaite pas - vers un système plus anglo-saxon.

Souplesse, évolutivité, égalité.

Dans le mille

Audience d'un tribunal correctionnel. À l'appel des parties, deux personnes s'avancent, chacune ayant un avocat sur les talons.

Une vieille dame, distinguée et élégante, va s'asseoir au pied de l'estrade du procureur. Un jeune homme, au milieu de sa trentaine, va s'asseoir en face, sur le banc des prévenus. Ils se frôlent presque mais s'ignorent totalement. L'hostilité entre eux est presque palpable.

Le procureur, le visage fermé, a posé ostensiblement son stylo et croisé les bras, et s'est renversé sur son fauteuil. Ça sent l'affaire entre parties, une saisine directe du tribunal par la victime.

— Madame, dit le président, veuillez prendre en place de l'autre côté : vous êtes à la place de la partie civile.

Surprise sur le banc des avocats : c'est donc cette élégante septuagénaire qui est prévenue ?

Les deux parties se croisent en s'ignorant avec tout le mépris possible dans un si petit espace.

Après avoir constaté son identité, le président rappelle la prévention, c'est à dire la nature des faits reprochés.

C'est en effet une citation directe par la partie civile, pour dénonciation calomnieuse.

La dame est l'ex belle-mère du monsieur. Un divorce très conflictuel, d'autant que le père a eu la résidence habituelle[1] des enfants, des procédures à répétition devant le juge aux affaires familiales par la mère qui veut récupérer cette résidence habituelle, et un confit qui a dégénéré et a fini devant le juge des enfants.

La vieille dame a dans ce contexte accusé face à la police son ex-gendre de commettre des attouchements sur ses petites filles.

Enquête de police, garde à vue, ouverture d'une information, pendant laquelle le juge des enfants a été saisi et a placé les enfants chez leur mère, le contrôle judiciaire du père lui interdisant de voir ses filles.

Au bout de quelques mois, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non lieu, les fillettes interrogées ne portant aucune accusation contre leur père, un expert pédopsychiatre ayant constaté que ces petites filles étaient équilibrées et heureuses, hormis à cause de cette séparation forcée d'avec leur père, qui leur manquait et pour laquelle elles ressentaient une forme de culpabilité, ayant parfaitement compris que c'était à cause d'elles que la séparation avait eu lieu sans comprendre pourquoi. À cet âge, dans le doute, on se dit qu'on a dû faire une bêtise et que si on ne voit plus papa, c'est qu'il est fâché.

Aujourd'hui, le père a retrouvé ses fillettes, mais l'affaire a laissé des traces : les petites filles qui étaient de bonnes élèves sont menacées de redoublement et ont des problèmes de discipline à l'école.

On comprend la colère du père, qui a aussitôt cité son ex-belle-mère pour dénonciation calomnieuse. La guerre judiciaire continue.

Le parquet a d'emblée affiché son état d'esprit. Ces règlements de compte ne l'intéressent pas, il ne posera pas la moindre question.

D'autant que la grand-mère, à la barre, ne regrette rien et dit rester persuadée que son ex-gendre est un pervers qui finira par violer ses filles. On frôle l'incident de la part du père.

Rouge de colère, il se présente à son tour à la barre et raconte sa version des faits. Le président doit rappeler à l'ordre la prévenue à plusieurs reprises qui ne peut s'empêcher de soupirer ou commenter les propos qu'il tient. L'avocat de la grand-mère a l'air étrangement serein, même si la dame suscite l'hostilité de toute la salle. D'autant que son ex-gendre est très émouvant dans son témoignage, quand il raconte l'enfer qu'il a vécu, le fait de fondre en larme en rentrant chez lui le soir, en voyant une simple peluche abandonnée dans un coin, les regards des collègues de travail à qui il a eu le malheur de se confier, les anti-dépresseurs pour tenir, le poids insupportable du soupçon, et le changement survenu chez ses filles même après les avoir récupérées. Il se doute bien du bourrage de crâne qu'elles ont connu durant ces mois de séparation chez leur mère. Alors il veut qu'elle paye pour cette haine à son égard.

Le président se tourne vers l'avocat de la partie civile :

— Des questions, maître ?
— Non, monsieur le président, répond l'avocat, avec le sourire serein de celui dont le client a été bon à la barre.
— Monsieur le procureur ?
Le procureur secoue la tête sans desserrer les dents.
— Maître, pour la défense ?
— Une seule, monsieur le président.

L'avocat se lève. L'homme, à la barre, lui tourne ostensiblement le dos. On se doute qu'il le méprise autant qu'il méprise sa belle-mère. Il ne voit pas le regard de prédateur qu'a l'avocat quand il formule la question, ce qui aurait pu l'avertir du danger.

— Nous avons tous compris que les relations avec votre ancienne belle-famille sont tendues. Je suis bien placé pour le savoir. Vous qui connaissez bien votre belle-mère, qui nous dites qu'elle vous hait, ne serait-elle donc pas capable de croire que vous pourriez fort bien vous livrer à de tels actes sur vos filles ?
Le père explose :
— Ah, mais j'en suis convaincu ! Je sais qu'elle croit dur comme fer que j'ai pu faire cela à mes filles, et qu'elle le croira jusqu'à son dernier souffle, même si le Bon Dieu en personne venait lui dire que c'est faux !

L'avocat a un sourire triomphant.

— Je n'ai pas d'autre questions.

L'avocat de la partie civile s'est affaissé sur son banc, accablé. Même le procureur n'a pu s'empêcher de hausser les sourcils de surprise. Le président semble un temps gêné, et regarde ses deux assesseurs, qui secouent la tête d'un air entendu. À la barre, le père réalise qu'il s'est passé quelque chose, mais ne comprend pas quoi.

En fait, il vient de détruire son dossier, de se faire admirablement piéger par l'avocat de la défense.

Son avocat essaie en vain de sauver le dossier, mais sa conviction ne peut rien face à cet aveu.

Le procureur devance l'avocat de la défense, et requiert la relaxe : manifestement, il manque un élément intentionnel à l'infraction : la mauvaise foi. La dénonciation calomnieuse doit calomnier : le calomniateur doit savoir que les faits qu'il dénonce sont faux. Une fausse accusation, fût-elle très grave et lourde dans ses conséquences, portée par une personne convaincue de sa véracité n'est pas un délit. Or la partie civile, à l'origine des poursuites, souligne bien le procureur, reconnaît elle-même être convaincue de la sincérité de la dénonciatrice. Cette affaire ne relève pas du droit pénal, mais, ajoute-t-il avec un éclair dans les yeux, de la psychothérapie.

L'avocat de la défense sait avoir le triomphe modeste et reste sobre et court dans sa plaidoirie : la messe est dite. Le tribunal prononce la relaxe sur le siège, sans même mettre en délibéré.

Le père sanglote silencieusement près de son avocat, la grand-mère se dirige vers la sortie, arborant un air de triomphe.

Notes

[1] On ne parle plus de "garde" des enfants depuis très longtemps.

lundi 12 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (2) - séparer l'usage du pouvoir coercitif de la contrainte

Par Paxatagore


Je poursuis timidement mon propos (cf. mon billet d'hier) en examinant un autre thème.

Dans notre pratique actuelle, celui qui détient le pouvoir de contrainte est, grosso modo, celui qui enquête. L'OPJ qui place en garde en vue est celui qui réalise l'enquête. La garde à vue est contrôlée par le magistrat qui est en charge de l'enquête (procureur de la République ou juge d'instruction). Il en va de même pour les perquisitions, les réquisitions, les écoutes téléphoniques, les mandats, etc. Toutes décisions pour lesquelles celui qui ordonne doit, ou devrait, mettre en balance l'intérêt qu'il peut attendre de la mesure envisagée, d'une part, et le désagrément qu'il représente pour la personne qui est contrainte, ses droits, ses libertés. Ce contrôle, à vrai dire, n'est jamais réellement fait. De là vient qu'on place facilement en garde à vue, qu'on perquisitionne à tout va, qu'on pratique des écoutes téléphoniques... De là vient surtout qu'il n'y a aucune doctrine jurisprudentielle sur la proportionnalité entre mesure de contrainte et intérêt de l'enquête.

Soyons honnêtes à ce sujet. Évitons de sortir les grands arguments de principes. Si la police place les gens en garde à vue, c'est pas pour leur offrir des droits pendant le temps où on va les interroger. C'est pour les interroger tranquillement en faisant usage d'une dose raisonnable de pression (notez bien que ce n'est pas une critique de ma part). Etc.

Le raisonnement de la proportionnalité entre la fin et les moyens est même parfois difficile à tenir. En matière de détention provisoire, par exemple, où le sacro-saint principe de présomption d'innocence se heurte à toute argumentaire raisonnable sur la question. Je préférerai qu'on évacue cette dimension mystique de la présomption d'innocence et qu'on demande clairement au juge d'arbitrer entre la probabilité qu'une personne soit coupable et la gravité des faits qui lui sont imputés.

Notre système français repose entièrement sur cette confusion, le même individu (OPJ, procureur, juge d'instruction...) devant faire une balance entre des intérêts contradictoires. Plus exactement, entre certains intérêts qui sont le principe même de son action, ceux sur lesquels il est évalué par ses chefs (la résolution des affaires, la sortie des dossiers...) et des intérêts qui sont de grands principes qui ne donnent lieu à aucune évaluation concrète. Autant dire que tout repose sur la conscience individuelle. Heureusement, notre culture judiciaire n'est pas trop répressive. Mais il me semble qu'un système qui repose exclusivement sur la bonne volonté de ceux qui le servent n'est pas idéal.

Je préfère donc imaginer un système où les mesures coercitives seraient confiées à un juge - je l'appelle le juge de l'enquête préliminaire. Sollicitées par le procureur ou les avocats, il pourrait autoriser les perquisitions, les écoutes téléphoniques, prononcer les contrôle judiciaire ou les placement en détention provisoire, ou encore délivrer des mandats. Donnons lui des principes : qu'il mette en balance, dans chaque décision, l'intérêt que représente la résolution de l'affaire, d'une part, la contrainte qu'elle représente pour les personnes concernées, de l'autre. Qu'il donne la priorité aux mesures les moins coercitives. Certaines décisions seraient prises, par nature, hors de tout débat contradictoire (les écoutes téléphoniques), d'autres, par nature, après un tel débat (la détention provisoire).

Ainsi, on sépare clairement deux fonctions distinctes et, je l'espère, les libertés seraient mieux protégées. Les enquêtes n'en seront pas mieux menées, il faut être très clair à ce sujet : il est même probable qu'elles seront moins parfaites.

C'est aussi parce que nous (juges) sommes très laxistes avec la liberté des autres qu'on a pu se laisser se développer une justice si pauvre. Qu'on cesse de maintenir les suspects en détention provisoire plus de 3 mois, un délai parfaitement raisonnable pour réaliser l'essentiel des investigations dans la quasi totalité des dossiers criminels, pour peu que l'Etat mette les moyens. Et peut-être qu'alors on consentira à mettre un peu d'argent pour payer nos experts à leur juste valeur et on consentira à réorganiser le fonctionnement de la police de façon à ce que les affaires soient traitées rapidement même après la garde à vue.

Cela nous emmène à mon troisième argument : supprimer le juge d'instruction pour mettre fin à la dualité des modes d'enquête.

dimanche 11 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (1) - professionnaliser la direction d'enquête

Par Paxatagore


J'avoue : moi aussi, j'ai été juge d'instruction. Plusieurs années même. Moi aussi, j'ai mis des gens en examen, j'ai demandé que certains d'entre eux soient placés en détention provisoire. J'assume.

Qu'on me pardonne de ne pas maudire ce que je fus : j'ai adoré cette fonction, qui m'a donné beaucoup de plaisir professionnel. Mais le grand plaisir qu'elle m'a apporté n'est pas une justification suffisante pour la maintenir. De telles raisons existent et Maître Eolas en a listé un certain nombre. Je vais même dire quelque chose qui peut apparaître comme incohérent avec la suite de mon billet mais il me semble que le juge d'instruction fonctionne globalement bien rapport à son objectif premier (contribuer à réduire la délinquance) et pas trop mal par rapport à la défense des droits des différentes parties. C'est une institution peu onéreuse pour la société et cependant très efficace. La supprimer sans y avoir sérieusement réfléchi est hasardeux.

Mais pourtant, je crois qu'il existe bonnes raisons aussi de souhaiter la suppression du juge d'instruction. Des raisons qui dessinent, en creux, ce que j'attends de la réforme et ce qui me déplairait. Aujourd'hui, j'aimerai parler de la professionnalisation de l'enquête et de la direction d'enquête.

Il y a longtemps, disons en gros avant les années 1850, il n'y avait pas d'enquêteur policier, il n'y avait que des magistrats. C'étaient des magistrats qui faisaient les enquêtes importantes. Puis, devant l'augmentation de la délinquance, la police - au départ créée pour surveiller la population et non pour traquer les auteurs d'infractions - a fini par développer une vraie compétence en la matière. Au début du XXe siècle, Clémenceau a ainsi créé les "brigades du tigre", les ancêtres de l'actuelle police judiciaire : un corps de policier entièrement tourné vers le travail judiciaire, c'est-à-dire la recherche des auteurs d'infractions pénales et des preuves. Progressivement, les magistrats ont été cantonnés dans un rôle de "direction d'enquête", c'est-à-dire qu'ils donnaient des instructions à des enquêteurs qui faisaient, eux, le vrai travail d'enquête. Les juges d'instruction ont continué à avoir une petite importance comme enquêteurs, au moins pour les auditions et les interrogatoires, et, dans une certaine mesure pour les perquisitions. La police nationale a "rafflé" l'essentiel de ce qui fait une enquête moderne : les fichiers, les capacités à mener des écoutes téléphoniques...

Le problème, c'est que l'enquête, chez nous magistrats, reste un savoir faire artisanal et individuel. Pour avoir suivi la formation de l'ENM, je l'affirme : les magistrats ne sont pas sérieusement formés à la direction de l'enquête. Nous sommes vaguement formés à la technique de l'interrogatoire, mais c'est tout. Certains juges d'instruction sont de très bons directeurs d'enquête : c'est grâce à leur personnalité, à leur expérience. Pas à leur formation, pas au fonctionnement du système.

La police a une vision bien plus professionnelle de l'enquête (mais je crains qu'elle soit en train de la perdre). D'abord, une organisation en groupe, qui permet de confronter les points de vue, de balayer tous les aspects d'un problème. Ensuite, une organisation hiérarchique qui permet de valider les options choisies ou de trancher en cas de conflits. Enfin, une capacité à mettre en œuvre, en fonction des moments, des moyens plus ou moins importants sur une enquête donnée (ainsi, pour une enquête sur un trafic de stupéfiants, un groupe de quelques agents va faire un travail préparatoire, dépouiller des relevés téléphoniques, faire des filatures... Puis, au moment des interpellations, c'est tout le service qui va venir sur l'enquête, le temps de 4 jours).

Que manque-t-il à la police ? Deux choses. L'expérience du débat judiciaire et, parfois, la culture du doute.

- L'expérience du débat judiciaire, c'est la plus value du magistrat du parquet (ou du juge d'instruction) sur le fonctionnaire de police même le plus gradé. Avec un peu d'expérience (car là non plus, point de formation), il a quelques idées sur les arguments que la défense va produire et donc aiguiller le travail de la police sur ces points. Il sait aussi ce que les juges du siège vont attendre comme informations, comme preuves, et, là encore, il va demander ces éléments à la police.

- La culture du doute manque parfois à celui qui édifie l'accusation. C'est d'autant plus vrai que celui-ci a d'autres objectifs en vue. Le policier, souvent, a aussi l'ordre public en ligne de mire (il me semble, par expérience, que la culture du doute est plus forte dans les services de PJ, qui n'ont pas de rôle en matière d'ordre public, que dans les commissariats, qui ont un double rôle : maintenir l'ordre et faire des enquêtes). Le procureur aussi, d'une certaines façons. Le juge d'instruction est souvent vu comme plus objectif puisqu'il n'a pas d'autre intérêt à défendre que celui de la manifestation de la vérité. Plus on s'éloigne de l'enquête, plus on est enclin à en voir les failles, c'est naturel. La police a, par nature, un moyen d'y remédier : le contrôle hiérarchique. Malheureusement, ce contrôle joue de moins en moins.

Pour moi, une vision professionnelle de l'enquête implique une responsabilité des enquêteurs. Une enquête ratée, bâclée, mal faite, peut logiquement entraîner la responsabilité de ses auteurs. La société est en droit d'attendre que leur responsabilité soit mise en jeu, dès lors à tout le moins que les pouvoirs publics s'engagent réellement dans une logique de professionnalisation de l'enquête - on en est loin, me semble-t-il, tellement on est obnubilé par cette idée que chaque enquête est différente.

Le directeur d'enquête doit pouvoir être responsable et cela, à mon sens, n'est pas compatible avec l'idée qu'il s'agisse d'un magistrat du siège. Il doit avoir une compétence technique professionnelle et cela, à mon sens, n'est pas vraiment compatible avec l'idée qu'il s'agisse d'un magistrat du siège (auquel on demande déjà une grande maîtrise du droit et d'autres qualités professionnelles par ailleurs : à chacun suffit sa peine).

En toile de fonds, on devine ce que je souhaite (et les conditions qui me paraissent nécessaires à la suppression du juge d'instruction) : - un parquet, qui reçoive une formation spécialisée dans la direction de l'enquête, qui soit clairement séparé des magistrats du siège et dont les membres pourraient voir leur responsabilité engagée s'ils ne dirigent pas convenablement les enquêtes. Un parquet qui soit organisé sur un mode hiérarchique (un procureur / des substituts). - une police judiciaire renforcée dans cette même logique de professionnalisation et de valorisation du travail judiciaire - mais c'est la voie inverse que suit actuellement le ministère de l'intérieur.

C'est, à mon sens, un gage en terme de qualités d'enquête.

On me dira que le juge d'instruction pourrait assurer cette qualité. Bien sur. Dans les faits, il l'assure, généralement. Pour les enquêtes dont il est saisi. Il n'en reste que 5%. Pensons aux 95% restants : ça sera mon prochain billet.

vendredi 9 janvier 2009

Premières réflexions sur la suppression annoncée du juge d'instruction


« Mais depuis longtemps quelques citoyens, supportant ceci avec peine, murmuraient contre moi, secouant silencieusement leurs têtes ; et ils ne courbaient point le cou sous le joug, comme il convient, et ils n'obéissaient point à mon commandement. »

Créon.

«Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n'est plus admirable que l'homme. »
Le Chœur.

Sophocle, Antigone (traduction de Leconte de Lisle)




Ainsi, Antigone a obtenu de Créon le droit d'enterrer le juge d'instruction. Je considère la chose comme acquise, car elle est inéluctable. Le président de la République l'a annoncé, en personne, devant la cour de cassation en entier. Il ne peut se dédire sans perdre la face ou pire, donner l'impression de céder.

Mais m'étant régulièrement trompé sur ce blog, cette certitude affichée est peut-être le meilleur espoir des magistrats instructeurs.

Il est d'usage lors du décès d'un personnage important de faire une notice nécrologique. Rappelons donc ce qu'est encore le juge d'instruction, pour un certain temps encore.

Requiescat in Pace, judex cogniti

Rappelons que le corps des magistrats se divise en deux parties : le siège et le parquet.

Le siège, ou magistrature assise, ce sont les juges. Ils sont indépendants, doivent être impartiaux, doivent statuer sur tout ce dont ils sont saisis et qui relève de leurs attributions (on parle de compétence), mais n'ont absolument pas le droit de statuer sur le reste. C'est un principe essentiel, fondamental : le pouvoir du juge est limité à ce qu'il a le pouvoir de juger ET qu'on lui a régulièrement demander de juger. Ces bornes délimitent son espace de liberté qu'on appelle la saisine.

Le parquet est autorité de poursuite : il a le pouvoir de saisir le juge compétent de toute question intéressant l'ordre public, que ce soit la validité d'un mariage, on l'a vu récemment, ou naturellement de tout fait constituant une infraction. Il est de ce fait hiérarchiquement soumis au Garde des Sceaux, en charge de la mise en place de la politique pénale du gouvernement. Il a à sa disposition la police judiciaire (terme entendu ici au sens large, qui ne recouvre qu'une partie de la police nationale — essentiellement la DCPJ— et inclut une partie de la gendarmerie : les CRS sont des policiers mais ne font pas de police judiciaire). Pour la plupart des dossiers, de l'ordre de 95% d'après les statistiques du ministère de la justice, cette enquête de police, dont l'avocat est soigneusement tenu éloigné, suffit au parquet pour constituer un dossier assez solide pour être soumis à un tribunal. Avec parfois à la clef des mauvaises surprises à l'audience.

Reste les 5%, qui sont en principe les dossiers les plus complexes ou les plus graves, exception faite de quelques dossiers égarés par là[1], sur lesquels je reviendrai. Quand l'enquête de police montre ses limites, ou que des suspects ont été identifiés et doivent être tenus sous contrainte à disposition de la justice (que ce soit en détention ou en liberté surveillée, qu'on appelle contrôle judiciaire) alors que les investigations ne sont pas terminées, on entre dans le domaine du juge d'instruction. Des mesures d'enquête et de sûreté doivent être prises, et leur gravité est telle qu'elle ne peuvent être prises que par un juge. Ajoutons que dans une hypothèse, le recours au juge d'instruction est obligatoire : ce sont les faits qualifiés de crime, et jugés par la cour d'assises. La procédure devant la cour d'assises est orale, et la cour se compose d'un jury populaire de neuf ( ou douze en appel) citoyens tirés au sort, qui ne sont pas pour la plupart juristes. Il est impératif au préalable d'éclaircir toutes les zones d'ombre et régler les questions techniques juridiques pour que les débats portent uniquement sur les faits et la personnalité de l'accusé.

La solution napoléonienne sera la création du juge d'instruction, juge enquêteur, enquêteur (il doit rechercher la vérité) et juge (en tant que tel, impartial). Cette contradiction, qui, nous le verrons n'est qu'apparente, est un des principaux reproches adressés au juge d'instruction, et le président de la République n'a pas manqué de le formuler dans son discours.

Verbatim

Pour me faire une opinion sur la réforme annoncée, j'attendais le discours du président. J'avoue que je suis resté sur ma faim.

Je navigue en effet entre des courageuses banalités (« Je ne crains pas de le dire, la justice prend toute sa part dans la lutte contre l'insécurité. ») et des décisions en contradiction avec le diagnostic : «…ce n'est pas l'action des juges qui est en cause mais l'inadaptation et la lourdeur des textes qu'on leur demande d'appliquer. N'est-il pas d'ailleurs de règle générale qu'il n'est de bons juges qu'avec de bonnes lois ? Or, le nombre de modifications du code de procédure pénale, près de 20 réformes depuis 20 ans, marque que l'on n’a manifestement pas encore trouvé l’équilibre nécessaire.» ; donc que va-t-on faire ? Une nouvelle réforme. : «C’est la raison pour laquelle avec le Premier Ministre nous avons confié une mission très ambitieuse à la commission présidée par Philippe Léger,(…)». Mission tellement ambitieuse que le président ne laisse à personne d'autre le soin de décider ce qu'elle va décider : «Je souhaite aujourd'hui vous dire quelles sont, à mon sens, les lignes directrices de cette réforme qui devra être engagée dès cette année.» Messieurs de la commission, à bon entendeur….

Et quand enfin on semble s'aventurer sur le terrain du concret, le sol se dérobe vite sous les pieds. On croit comprendre du discours que :

— Le juge d'instruction deviendra juge de l'instruction, et ne dirigera plus l'enquête. Mais alors qui ?
— Le secret de l'instruction et la mise en examen vont disparaître au profit d'une audience publique et contradictoire sur les charges. Je croyais que ça existait déjà et que ça s'appelait le procès.
— L'avocat pourra en contrepartie intervenir dès le stade de l'enquête policière. Voilà une carotte qui fait frétiller l'âne que je suis.
— Les règles en matière de détention provisoire seront simplifiées ; comprendre, on va la faciliter. Elle sera ordonnée publiquement par une juridiction collégiale, un tribunal des libertés et de la détention, en quelque sorte.
— Les libertés individuelles seront mieux garanties, mais demain.
— On ne reviendra pas sur l'abolition de la torture par Miromesnil.
— Antigone, c'est mieux que la Princesse de Clèves.

Dès lors, je suis bien en peine de dire si j'approuve ou désapprouve cette réforme. Je sais ce qu'on me retire : un juge impartial et indépendant ; je ne sais pas ce que j'y gagne si ce n'est la promesse d'un progrès des droits de la défense, dont je me réjouis, mais pour cela, point n'est besoin de supprimer le juge d'instruction.

Néanmoins, d'ores et déjà, des observations peuvent être faites sur les divers arguments soulevés dans l'arrêt de mort du juge d'instruction.

Évacuons d'abord les clichés, ça fera de la place.

L'homme le plus modérément puissant de France

C'est une tarte à la crème que de dire que le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France. Ces propos sont attribués à Balzac ou à Napoléon, je n'ai pas retrouvé la source. Il l'était peut-être jusqu'en 1897, quand il instruisait seul et secrètement sans que l'inculpé ait droit à un avocat ni même accès au dossier (art. 91 du Code de justice criminel ancien) et mettait en détention provisoire quasi discrétionnairement. Mais à l'époque, les instructions criminelles duraient quelques mois : rappelons que dans l'affaire Seznec, les faits ont eu lieu le 25 mai 1923, Seznec a été inculpé le 7 juillet 1923, renvoyé devant les assises le 18 août 1924 et jugé du 24 octobre au 4 novembre 1924. De tels délais font rêver aujourd'hui, mais il est vrai qu'une partie du prix était le sacrifice des droits de la défense.

Le juge d'instruction n'est plus depuis longtemps l'homme le plus puissant de France. Je tremble moins devant un juge d'instruction que devant un tribunal correctionnel à juge unique, surtout s'il est saisi de faits commis en récidive. Quasiment chacun de ses actes d'instruction peut être contesté par les parties devant la chambre de l'instruction (selon des modalités variables, il y aurait un sacré boulot de simplification ici). On peut le saisir de demandes auxquelles il est tenu de répondre, parfois à bref délai, notamment pour les remises en liberté (cinq jours). Le pouvoir de placer en détention lui a été retiré par la loi du 15 juin 2000. La défense a des droits dans le cabinet des juges d'instruction. Encore faut-il les connaître et les utiliser.

L'impossible contradiction ?

La schizophrénie qui lui est reprochée, et le vocabulaire psychiatrique utilisé à l'encontre de juges du siège n'est, contrairement à mes clients, jamais innocent, est aussi un cliché issu d'une mauvaise compréhension.

Le code dit cette célèbre phrase : le juge d'instruction instruit à charge et à décharge (art. 81 du CPP). C'est une figure obligée pour les avocats médiocres qui ont un micro sous le nez que de s'exclamer que le juge n'instruit qu'à charge. Ça ne mange pas de pain et ça ne sera pas coupé au montage, car c'est court, c'est choc et ça fait juridique. La contradiction des termes n'est qu'apparente. Cela signifie que le juge d'instruction est impartial et doit rechercher la vérité et non la preuve de la culpabilité (quitte à finir par rendre un non lieu faute d'avoir pu identifier le coupable). De fait, concrètement, quand un juge ordonne un acte d'instruction, il ignore si cet acte va être à charge ou à décharge avant d'en connaître le résultat. Par exemple : une personne est suspectée de meurtre. On a retrouvé sur les lieux de l'ADN pouvant être au meurtrier, et le suspect prétend avoir un alibi. Le juge va tout naturellement mettre en examen le suspect, ordonner que les empreintes génétiques de celui-ci soient comparées à celles trouvées sur les lieux et faire interroger la personne servant d'alibi au suspect. Est-ce un acte à charge ou à décharge ? Dame ! Ça dépend : si les empreintes correspondent et que l'alibi s'écroule, il sera à charge. Si l'alibi est solide, et que les empreintes ne correspondent pas, il sera à décharge. Dans les deux cas, il sera valable, le parquet ne pourrait pas en demander l'annulation au motif qu'il ne va pas dans le sens de la culpabilité : l'article 81 l'interdit. De même qu'il interdit au juge de refuser d'accomplir un acte au motif qu'il viserait à démontrer l'innocence du mis en examen. Il ne peut le faire que s'il estime que cet acte n'apporterait rien à la manifestation de la vérité.

Bien sûr, nous sommes tous un jour ou l'autre confrontés à un juge d'instruction enfermé dans ses convictions, qui dès la première comparution a du mal à cacher sa certitude de la culpabilité de notre client. C'est une catastrophe contre laquelle nous sommes largement démunis, les actions pour faire dessaisir un tel juge sont rarement couronnés de succès pour peu que le juge sache sauvegarder les apparences. Il faut vraiment une manifestation de partialité dont on puisse rapporter la preuve, et faire acter par le greffier tel propos tenu par le juge n'est pas toujours facile : même si le greffier est indépendant du juge, ils travaillent ensemble, dans le même bureau, tous les jours, pendant des mois voire des années, tandis que l'avocat ne fait que passer ; quant aux conclusions de donner acte (art. 120 du CPP), nous en sommes les rédacteurs : lors d'une procédure de suspicion légitime (art.662 du CPP), de renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (art. 665 du CPP) ou de récusation (art. 668 du CPP), on a beau jeu de nous répliquer que nous nous sommes constitués nous-même la preuve de ce que nous alléguons. Quant au changement de juge par la chambre de l'instruction, elle ne peut être ordonnée (et ce n'est qu'une faculté) que dans certaines circonstances : annulation d'un acte, ou infirmation d'une ordonnance notamment. Ce n'est que l'inaction prolongée d'un juge d'instruction qui aboutit de droit à son désaisissement, mais pas une activité biaisée. Ajoutons que demander le désaisissement de juge et ne pas l'obtenir, c'est la garantie pour la suite de l'instruction d'une ambiance qui ferait passer le climat actuel pour tropical.

En tout état de cause, ces hypothèses, heureusement fort rares mais qui peuvent faire tant de dégâts quand le mis en examen est innocent (c'est du vécu) ne justifient pas par elles-même la suppression du juge d'instruction. Car celui qui le remplacera (un procureur de l'instruction ?) peut donner dans le même travers, puisque ces futurs procureurs de l'instruction seront pour la plupart d'anciens juges d'instruction.

Le problème aurait pu utilement être traité en assurant une vraie procédure de contestation du juge d'instruction, juridictionnelle, contradictoire et publique, comme le suggère mon confrère François Saint-Pierre dans son indispensable Guide de la Défense Pénale[2] (Ed. Dalloz). C'est finalement une autre solution qui a été retenue, la collégialité, j'y reviendrai.

Le juge d'instruction, star malgré lui ?

Le juge d'instruction est devenu le symbole de toutes les erreurs et échecs judiciaires. L'affaire d'Outreau restera associée au nom du juge Burgaud, l'affaire Villemin au juge Lambert, celle de Bruay en Artois au juge Pascal. Il est tentant de se dire qu'en supprimant le juge d'instruction, on empêchera de telles catastrophes de se reproduire, comme supprimer les médecins ferait disparaître les erreurs médicales. Une bonne partie de l'opinion publique a entonné cette chanson, si on en croit les sites des journaux (Cher Anatole, n'allez JAMAIS lire les commentaires des sites de presse : seuls vont s'y réfugier ceux que même les cafés du commerce trouvent insupportables).

Là encore, gare au cliché.

La personnalisation de l'enquête est difficilement évitable. Une affaire criminelle dure deux à quatre ans aujourd'hui. De ce laps de temps, les deux tiers au moins relèvent de l'instruction, le reste de l'attente du procès. Le procès lui même dure généralement deux jours, les affaires les plus complexes pouvant occuper une session de 15 jours, les affaires allant au-delà étant rarissimes (pensons au procès Barbie, qui a duré deux mois, et au procès Papon qui a duré six mois). Pour une affaire correctionnelle, c'est de un à deux ans, les trois quart relevant de l'instruction (estimations validées par l'IMP, l'institut Mondial de la Pifométrie). Et c'est encore pire pour les affaires démesurées, comme l'Angolagate (7 ans d'instruction, 6 mois de procès), ou le crash du Mont Saint-Odile (14 ans d'instruction —en grande partie du au fait qu'à chaque changement de juge d'instruction, il fallait des mois de travail à plein temps son successeur rien que pour se mettre à jour d'un dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages—, 7 semaines de procès).

Il y a donc un déséquilibre chronologique entre l'instruction, qui prend l'essentiel du temps judiciaire et est confiée à un juge, et où le principe du secret fait que la presse est à la recherche de fuites et que les informations sont distillées au compte-goutte ; et celui du procès, nécessairement collégial, ou tout est débattu publiquement, mais à un rythme trop soutenu pour que la presse puisse faire un vrai travail de fond et l'opinion publique s'intéresser aux débats. Prenez l'affaire ELF. Tout le monde se souvient d'Éva Joly, et des bottines de Roland Dumas. Qui se souvient que Roland Dumas a finalement été relaxé dans cette affaire ?

De plus, le juge d'instruction a une particularité : c'est la seule juridiction nommée que je connaisse. Si mes clients sont jugés par la 10e chambre du tribunal correctionnel, puis relaxés en appel par la 20e chambre des appels correctionnels, si c'est la 2e section de la cour d'assises qui acquitte mes clients quand la 5e chambre de l'instruction n'a pas annulé l'instruction, si mes clients sont divorcés par le cabinet F du juge aux affaires familiales, que leurs enfants sont placés par le secteur H du juge des enfants, ou vont devant le tribunal d'instance de Framboisy chanter pouilles à leur débiteur, c'est le cabinet de Madame Lulu, ou de monsieur Gascogne qui instruit les dossiers pénaux. C'est marqué tel quel dans l'en tête de leurs ordonnances : « Cour d'appel de Moulinsart, tribunal de grande instance d'Ys, cabinet de Cunégonde Lulu, juge d'instruction ».

Cela concourt à cette forte personnalisation du juge d'instruction. Si j'ai parfois du mal à nommer tel ou tel président devant lequel j'ai plaidé, je me souviens toujours du nom du juge d'instruction, même des années après. Entre confrères, on se dit qu'on va plaider « à la 12e », mais qu'on a aussi une mise en examen chez cette folle de madame Dadouche.

C'est certes une dérive, à laquelle se sont prêtés certains juges, enivrés par ce vedettariat soudain, surtout s'ils exerçaient dans un petit tribunal, ou mis à profit par d'autres lors de l'alliance des juges et des journalistes qui a permis aux affaires des années 90 de sortir.

Le juge d'instruction, responsable mais pas coupable ?

À cause de cette forte exposition (il n'est pas un juge d'instruction qui n'aura son nom cité dans la presse locale au moins une fois), le retour de bâton est inévitable quand le dossier tourne mal pour l'accusation. C'est mérité quand le juge s'est laissé aveuglé par ses convictions erronées, mais parfois, c'est tout simplement injuste.

Ainsi, je parlais du juge Lambert, et de son instruction ratée de l'affaire Villemin. Ce ratage est indéniable, non pas en ce qu'il n'a pas permis l'identification de l'assassin, il y a des affaires insolubles, mais en ce qu'il a accusé du meurtre la mère de l'enfant sur des éléments pour le moins évanescents et a indirectement conduit à la mort de Bernard Laroche, un temps soupçonné du meurtre. Mais qui se souvient du remarquable travail effectué par son successeur, le président Simon, conseiller à la cour d'appel de Dijon, qui y a laissé sa santé jusqu'à mourir prématurément d'un accident cardiaque, et qui a tant fait pour innocenter la mère ?

L'affaire d'Outreau est imputée quasiment exclusivement au juge Burgaud. Qui n'a pas lu que son incompétence manifeste et notoire était établie au-delà de toute discussion par le fait qu'il avait notamment accusé un des mis en examen d'avoir violé un de ses enfants qui n'était pas encore né ? Mais qui sait seulement que le juge Burgaud n'est que le premier de deux juges d'instruction à avoir instruit ce dossier, qu'il ne s'en est occupé que de février 2001 à juillet 2002 (l'instruction a été clôturée en mars 2003) et que cette erreur a en réalité été commise en mars 2003 par le juge d'instruction qui lui a succédé, dont personne ne se souvient du nom, erreur reprise texto des réquisitions du parquet, et rectifiée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai bien avant le premier procès ? Si le Conseil Supérieur de la magistrature ne prononçait aucune sanction à l'encontre du juge Burgaud (tout comme il a mis le procureur Lesigne hors de cause), qui se souviendra de ce genre de détails ? L'accusation de corporatisme et d'irresponsabilité fleurira immanquablement.

Le juge d'instruction, coupable idéal et bouc émissaire facile pour les politiques qui n'aiment pas qu'on leur vole les micros ? En tout cas, il a rarement droit à une instruction à charge et à décharge. De ce point de vue, les politiques ne réalisent pas combien il leur manquera. Ça sera plus compliqué de se défausser de ces ratages sur un magistrat hiérarchiquement soumis au garde des Sceaux.

Three's company…

L'isolement et la personnalisation du magistrat instructeur posent indiscutablement problème. Mais figurez-vous que le législateur y a apporté une solution : la collégialité de l'instruction. Le juge d'instruction est sur le point d'être remplacé par un collège de trois juges co-saisis. Les jours du juge d'instruction seul sont comptés : la loi du 5 mars 2007, qui se voulait inspirée de l'affaire d'Outreau justement, est déjà votée, et elle entre en vigueur le 1er janvier 2010, le temps de permettre la mise en place de cette réforme considérable.

Autant dire que la réforme annoncée la rend caduque avant même son entrée en vigueur. C'est sympa de trouver des solutions et de les voter, mais leur laisser le temps d'entrer en vigueur, c'est pas idiot non plus. Tellement représentatif de ce qu'est la procédure pénale depuis des décennies. Je vous laisse imaginer l'état d'une discipline ainsi traitée. Ce n'est pas comme si la liberté des citoyens en dépendait directement, vous me direz. Oh. Oups. Je ne sais plus quel grand esprit disait déjà :

« …ce n'est pas l'action des juges qui est en cause mais l'inadaptation et la lourdeur des textes qu'on leur demande d'appliquer. N'est-il pas d'ailleurs de règle générale qu'il n'est de bons juges qu'avec de bonnes lois ? Or, le nombre de modifications du code de procédure pénale, près de 20 réformes depuis 20 ans, marque que l'on n’a manifestement pas encore trouvé l’équilibre nécessaire. », mais c'était pas con.

Je ne suis pas expert, mais je crois que pour trouver l'équilibre, un bon début est d'arrêter de gesticuler.

On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne.

Une question me vient à l'esprit sur les modalités pratiques. L'instruction en tant que telle pourra difficilement disparaître. Il semble qu'elle soit donc confiée aux procureurs. Soit. Mais quid de la plainte avec constitution de partie civile ? Le droit de saisir le juge appartient en effet à deux personnes : le procureur, et la victime. Actuellement, toujours depuis la loi du 5 mars 2007, la victime doit d'abord porter plainte auprès du procureur (sauf en matière de presse, j'y reviendrai), qui peut soit décider d'ouvrir lui-même une instruction, soit refuser, soit ne rien faire : dans ce dernier cas, au bout de trois mois, la victime peut saisir elle même le doyen des juges d'instruction par une plainte avec constitution de partie civile.

C'est une garantie essentielle, même si elle est susceptible d'abus : la personne qui s'estime victime d'une infraction doit pouvoir saisir le juge, même si le parquet n'est pas intéressé. Elle peut saisir directement le tribunal correctionnel, mais parfois, parce que l'auteur a disparu, est inconnu, ou que les faits sont complexes ou constituent un crime, la voie de l'instruction s'impose.

Problème : si la victime a porté plainte auprès du procureur, et que celui-ci n'a pas donné suite voire a classé la plainte, quand bien même la victime aurait-elle le droit de l'obliger à instruire avec un mécanisme analogue, le parquetier instructeur aura déjà émis une opinion sur le dossier, et on peut supposer qu'il s'y tiendra et traînera les pieds pour instruire. De fait, ce sera à l'avocat de la partie civile de bombarder le procureur instructeur de demandes d'actes et faire appel de ses refus, jusqu'à, de fait, prendre la direction de la procédure. Or ce n'est pas son rôle. En tout état de cause, ce mécanisme ne satisferait pas aux exigences de voir sa cause entendue par un tribunal impartial, protégé par l'article 6 de la CSDH puisque ce passage obligé par une personne qui sera de fait adversaire de la procédure et en charge de l'instruction constituera un obstacle au droit au juge. Ah, vous avez aimé le juge schizophrène qui instruit à charge et à décharge ? Vous adorerez le procureur bipolaire qui charge malgré lui.

J'aurais aimé là-dessus être éclairé sinon rassuré.

Diffame, ♫ I want to live forever ♪

Oui, je sais, il est temps que je termine ce billet, mes titres sombrent comme le moral des juges d'instruction.

Un peu occulté par l'annonce de la disparition du juge d'instruction, un autre point est passé inaperçu. Le président doit enrager car un cadeau pareil fait aux journalistes aurait mérité un peu plus de louanges. Les blogs et la presse étant une fois de plus complémentaires, je m'empresse de réparer cet oubli. Le président a annoncé la dépénalisation de la diffamation simple (pas de la diffamation raciale). Les fesses de M. de Filippis peuvent cesser de trembler, les mandats d'amener, c'est fini, la correctionnelle aussi. Je reviendrai plus longuement dans un autre billet sur les conséquences de cette réforme, qui risque de coûter cher aux journaux. Notre président adore les cadeaux coûteux.

Mais un problème me saute aux yeux. La plainte avec constitution de partie civile joue un rôle très important en matière de diffamation, particulièrement sur internet. Car si la diffamation est commise sur un site anonyme ou par une personne extérieure au site (genre, je ne sais pas, un commentaire sous un article de Libé disant pis que pendre de Xavier Niel ?), le seul moyen pour la victime de la diffamation de retrouver l'auteur et lui demander des comptes est de saisir le juge d'instruction, qui obtiendra du directeur de publication les données de connexion (adresse IP), du fournisseur d'accès internet le nom de l'abonné ayant utilisé cette adresse IP tel jour à telle heure, puis entendra l'abonné en question pour savoir qui utilisait le poste informatique en cause. Dépénaliser la diffamation, c'est fermer la voie de la plainte au pénal, donc d'avoir les moyens d'investigation correspondant. Certes, il est possible de faire soi-même ces démarches à coups de référés de l'article 145 du CPC. Mais le coût pour la victime va monter en flèche.

De fait, la diffamation sur internet sera largement impune, ou réservée aux demandeurs qui en ont les moyens (à propos, comment va Kylie Minogue ?), et les condamnations à venir prendront en compte ces surcoûts. Oubliez l'euro symbolique de dommages-intérêts, la diffamation va être ruineuse. Bref, ce sera tout (une facture exorbitante pour un commentaire rédigé sns réfléchir) ou rien (l'impunité derrière le bouclier économique). Pas sûr que l'égalité républicaine sorte gagnante de cet aspect.

L'herbe est toujours plus verte à côté.

Un dernier point, sur l'argument comparatiste, très apprécié et utilisé à toutes les sauces : le juge d'instruction serait une spécificité française, une incongruité, une bizarrerie en voie de disparition, puisque nos voisins l'ignorent ou l'ont abandonné.

Tout d'abord, je suis toujours étonné de l'enthousiasme avec lequel on défend nos exceptions, culturelles ou autres, avant d'entendre que celle-ci ou celle-là doit disparaître puisque nos voisins font différemment. Cela aboutit généralement à une cote mal taillée, où on importe l'institution, en l'affublant d'un « à la française » ce qui veut dire qu'on l'a tellement défigurée que ce n'est plus qu'un vague ersatz inefficace. Je pense au plaider-coupable à la française, ou à la class-action à la française, dans les cartons depuis des temps immémoriaux.

Ensuite, cet argument est faux. L'Espagne connaît toujours le juge d'instruction et n'a pas l'intention de s'en passer.

Je reviendrai là-dessus dans un prochain billet, où je ferai une brève présentation du système pénal ibère et anglo-saxon, en distinguant celui de Sa Gracieuse Majesté (non, pas Rachida Dati, mamie Windsor) et de la Terre des Libres et Maison des Braves.

De toutes façons, ce sujet va faire couler des octets, on n'a pas fini d'en parler.

Notes

[1] Les dossiers de diffamation et les plaintes avec constitution de partie civile sur des faits mineurs.

[2] § n°611.8.

Sous vos applaudissements

Par Dadouche


On apprend ce matin par une dépêche que les magistrats du Parquet du Tribunal de Grande Instance de NANCY, qui se sont levés comme un seul petit pois avec tous leurs collègues du siège pour applaudir le discours de la Présidente du Tribunal lors de l'audience solennelle de rentrée de cette juridiction, sont convoqués comme un seul bataillon aujourd'hui chez le Procureur de la République Raymond MOREY puis lundi chez le Procureur Général Christian HASSENFRATZ pour s'expliquer sur leur attitude.

Au delà des commentaires faciles (et forcément corporatistes, passéistes et j'en passe) sur la reprise en main des Parquets, une vraie question se pose : ceux qui ont (maigrement m'a-t-on dit) applaudi l'oraison funèbre de l'indépendance de la justice pénale le discours du Président de la République lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation seront ils convoqués chez la chef des Procureurs (que des dizaines de bagues étincellent à ses doigts de fée) ?

Décidément, en 2009 non plus il ne fait pas bon être magistrat du Parquet dans l'Est...


Edit : d'après des sources bien informées, la question des applaudissements n'a pas été abordée lors de la "réunion" des magistrats du parquet de Nancy ce matin et si le Procureur Général viendra à leur rencontre lundi, c'est pour évoquer le fond de la réforme.
Ce que c'est que les coïncidences quand même...

mercredi 7 janvier 2009

Et bien voilà.

La suppression du juge d'instruction dans le texte. Je ne commenterai pas à chaud, sinon je fais un malheur.

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Il suffit qu'on parte cinq minutes en vacances…

… et c'est le foutoir.

Je reviendrai plus longuement sur l'annonce de la suppression du juge d'instruction. C'est une annonce qui soulève beaucoup de questions, et j'attends des réponses du discours du président de la République devant les Petits-Pois en chef, demain. Un peu de patience, donc. Il va de soi que cette réforme sera suivie au plus près sur ce blog, d'autant que tous mes colocataires magistrats sont ou ont été juges d'instruction, et Fantômette et moi avons une certaine pratique de l'instruction, du côté du mis en examen comme de la victime. Nous sommes à la veille de la plus grande révolution de la procédure pénale depuis un siècle, on ne va pas la laisser passer sans rien dire.

Juste une petite illustration d'un thème qui m'est cher : l'insupportable infantilisation des citoyens par l'État. Alors que la République est un régime de citoyens adultes et majeurs qui désignent certains d'entre eux pour assumer les indispensables fonctions de la Cité, depuis plusieurs décennies, l'État se comporte comme le tuteur de 60 millions d'incapables. La première de ces manifestations est le recours à la comm', l'art de ne rien dire tout en anesthésiant. La seconde est le recours au mensonge plutôt qu'assumer une vérité qui n'a pas forcément quoi que ce soit de honteux, juste par commodité. Qu'on me mente pour cacher une faute, je le comprends, sans le pardonner. Mais me mentir sans raison, je crois que ça m'agace encore plus. Je mettrais dans cette catégorie le mensonge sur la nationalité de Carla Bruni, dont je suis convaincu qu'elle n'est pas française, contrairement à ce qu'elle prétend (si un lecteur du JO papier a vu passer son décretde naturalisation, qu'il me fasse signe : en tout cas elle est inconnue au Service central d'état civil), et dont il est certain qu'elle n'a pas perdu la nationalité italienne, là aussi contrairement à ce qu'elle prétend.

Dernière illustration en date : désormais, on finance sur fonds publics des films qui nous parlent comme à des demeurés. Pour être poli.

Entendons nous bien : une campagne sur ces escroqueries, dites 4-1-9 ou au wash-wash, je le comprends. Aussi incroyable que cela puisse paraître, des gens tout à fait normaux et sains d'esprit sont dupés par ces manœuvres. Mais le faire comme ça ? Vous, je sais pas, mais moi, je me sens insulté.

C'est le ministère de l'intérieur qui nous offre (avec nos impôts) ces chefs d'œuvres de la honte.

Oui, c'est la peluche d'un hibou qui nous délivre la morale de cette histoire : il ne faut pas croire ceux qui nous promettent de gagner plein d'argents facilement et légalement. Sauf s'ils sont candidats à la présidentielle, auquel cas il faut voter pour lui, vous aurez rectifié de vous-même.

mardi 6 janvier 2009

Le juge enfin pendu, dansez Messires!

Par Anatole Turnaround

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lundi 5 janvier 2009

Autoréduction, ou extorsion ?

Cet article est écrit à la demande de Rue89, et est repris sur leur site.


Rue89 fait état d'une nouvelle forme d'action révolutionnaire baptisée "l'autoréduction" qui se manifeste dans des lieux, disons inattendus, puisque c'est aux heures d'ouverture du Monoprix qu'a désormais lieu le Grand Soir. L'article est ici, et sa lecture est recommandée pour la suite des débats.

La rédaction de Rue89 m'a contacté pour me demander l'avis du juriste sur ces opérations. Le bon sens voudrait qu'elles fussent illégales, mais la police, qui a assisté à ces faits, n'est pas intervenue. Et la rhétorique des personnes concernées utilise des termes comme "réduction", "réquisition", affublés toutefois du préfixe auto-, qui veulent exclure toute illégalité.

Voici une excellente occasion de faire du droit sous a forme la plus pure : l'essence du travail de juriste consiste à qualifier, c'est à dire prendre un fait, une situation, et l'analyser sous l'angle juridique pour trouver la qualification adéquate. Ensuite, il ne reste plus qu'à y appliquer les règles de droit en vigueur. N'oubliez pas : le vide juridique n'existe pas. Le droit est partout. Vous êtes cerné. Toute résistance est inutile.

Ce travail est essentiellement celui du juge, qui dit le droit, mais, en droit pénal, celui qui va retenir notre attention, c'est aussi celui du parquet que de proposer une qualification, et de l'avocat de la réfuter pour en proposer une plus conforme sinon au droit du moins aux intérêts de son client. Au juge de trancher.

Voyons tout d'abord les faits. L'ironie n'est pas nécessaire à l'analyse, c'est juste une coquetterie de l'auteur.

¡ Hasta los delicatesssen, siempre !

Ainsi donc, nos révolutionnaires des supermarchés ont le mode opératoire suivant : ils se rendent en nombre dans un magasin, remplissent des chariots de produits de première nécessité comme du saumon fumé et du foie gras (il y a certes aussi de l'huile et des pâtes), et, une fois aux caisses, ils refusent de payer, invoquant cet argument définitif (les italiques sont de moi) :

"C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement."

Je retiens de prime abord que les Che Guevara de l'épicerie fine reconnaissent implicitement qu'en dehors des temps de crise, leur action est injuste, et constate avec effroi que vu mon menu de Réveillon, je n'ai pas fêté le Nouvel An dignement selon leurs critères.

L'attroupement crée du désordre, bloque les caisses, ce qui entraîne un manque à gagner immédiat (les clients préférant renoncer à leurs courses et aller voir ailleurs si la révolution y est) jusqu'à ce que la direction du magasin cède et les autorise à partir avec ces produits. Comme le disent eux-même les Picaros des pique-assiettes, cités par Rue89 (je graisse) :

"Treize chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le blocage des caisses (perte de chiffre d’affaires) ou prendre le risque d’une intervention policière dans les rayons."

Cette phrase, issue d'un communiqué rédigée par les auteurs de cette action, nous sera précieuse le moment venu.

Chaussons à présent les lunettes du juriste et tentons de qualifier les faits.

Les violences physiques ayant été évitées (même si, et ça aura son importance, des témoins rapportent que des bousculades ont eu lieu : il y a eu instauration à tout le moins d'un rapport de force), et n'étant en tout état de cause pas l'objet premier de cette opération, si délit il y a eu, c'est donc donc une atteinte aux biens. Mais quelle atteinte ?

Certaines hypothèses sont à écarter.

« L'autoréduction » n'est pas un vol.

Selon l'article 311-1 du Code pénal, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Soustraction : le voleur appréhende la chose d'autrui et se comporte de manière univoque comme le propriétaire, c'est à dire commet un acte que seul le propriétaire pourrait légitimement accomplir. Frauduleuse : le voleur sait que la chose qu'il appréhende n'est pas à lui (peu importe qu'il ne sache pas à qui elle est, du moment qu'il sait qu'elle n'est pas à lui).

Or à l'apparition des grandes surfaces, un défi a été porté aux juristes. Tout au long du XIXe siècle, c'est le modèle traditionnel de la vente qui prévalait. L'acheteur désignait le bien qui l'intéressait, le vendeur la lui remettait contre un paiement du prix. Comme sur les marchés de quartier aujourd'hui encore. Mais selon les règles du Code civil, encore en vigueur à ce jour, et venant directement du droit romain, le transfert de propriété se fait en principe et sauf dérogation contractuellement prévue dès qu'il y a accord sur la chose et sur le prix (article 1583 du Code civil), indépendamment de la remise de la chose.

Avec les grandes surfaces, l'acheteur se saisit lui même de la chose qu'il souhaite acheter, exposée à portée de sa main, et sur laquelle le prix est affiché. Il y a accord sur la chose et sur le prix : il est théoriquement propriétaire de ce qu'il y a dans son chariot. Dès lors, en suivant ce raisonnement juridiquement orthodoxe, s'il franchit les portes sans payer, il ne commet pas de vol car il est propriétaire de ce qu'il emporte ; mais il a simplement une dette envers le magasin. C'est l'argument qui était soulevé par mes confrères de l'époque.

Si cela était arrivé aujourd'hui, les propriétaires de ces magasins auraient crié « vide juridique ! » et obtenu que le parlement vote en catastrophe un texte spécial. Mais nous étions à une autre époque, et le législateur a fait ce qu'il avait de mieux à faire : rien.

Car les juges ont trouvé tout seul la solution, en répondant au droit par le droit.

Ils ont observé comment se déroulait cette nouvelle méthode de vente, à la recherche des indices permettant de comprendre l'opération juridique. Exactement ce que nous sommes en train de faire avec les autoréducteurs.

Ils ont constaté que d'une part, le client pouvait, jusqu'à son passage en caisse, reposer l'objet à sa place (ou, comme c'est à présent la mode, partout sauf à sa place) sans que nul n'y trouve à redire. C'était un premier indice révélant que le transfert de propriété avait été repoussé à plus tard.

D'autre part, l'usage mis en place voulait que lorsqu'un produit fût brisé accidentellement par un client, le magasin ramassât les débris, nettoyât, et sans rien demander au client, le laissât aller chercher un produit identique mais intact. Or si le client était devenu propriétaire, il aurait dû payer le prix de la chose brisée, car le transfert de propriété entraîne transfert du risque de perte de la chose, même par cas fortuit (article 1138 du code civil).

Conclusion juridique du juge observateur (c'est un raisonnement en induction - déduction, pour les étudiants en droit) : tant que le client est dans les rayons du magasin, le transfert de propriété n'a pas encore eu lieu : la détention par lui des produits est précaire. Il peut revenir sur sa volonté d'achat, discrétionnairement et ne supporte pas les risques. Il n'est donc pas encore propriétaire.

À partir de quand se comporte-t-il de manière univoque comme le propriétaire ? La réponse est d'une clarté diaphane : lors du passage en caisse. Ce n'est donc qu'à ce moment qu'a lieu le transfert de propriété, par cette manifestation irrévocable d'acquérir la chose.

Et ce n'est donc qu'à partir de ce moment que le comportement du voleur devient lui aussi univoque et constitue l'appropriation frauduleuse : quand il franchit les caisses en dissimulant des biens pour ne pas les payer, ou qu'il franchit les portes du magasin sans passer par les caisses en étant porteur de choses vendues. Il montre ainsi sa volonté de ne pas acquérir ces choses, et se comporte pourtant comme le propriétaire puisque seul le propriétaire peut les emporter hors du magasin.

C'est pourquoi vous ne pouvez être condamné pour vol pour avoir glissé des articles dans vos poches tant que vous êtes dans les rayons. Il est licite de porter ses emplettes dans ses poches. Même si vous êtes repéré, vous ne serez intercepté qu'une fois franchie la ligne de caisse, car il est désormais certain que vous n'avez nullement l'intention de payer.

Pour en revenir à nos bolchéviques du code barre, ils s'arrêtent aux caisses et manifestent bruyamment leur volonté de ne pas payer. MAIS ils ne franchissent pas la ligne de caisse. Comme le relève leur communiqué, c'est après négociation avec la direction et avec son accord qu'ils sont sortis. Il n'y a donc pas eu appréhension mais remise de la chose par la direction du magasin. Or la remise exclut le vol.

« L'autoréduction » est peut-être un néologisme, mais ce n'est pas un vol.

« L'autoréduction » n'est ni une escroquerie ni un abus de confiance.

L'escroquerie et l'abus de confiance font partie des infractions d'atteinte aux biens avec remise de la chose par son propriétaire. On se rapproche donc de la solution. Mais sans l'avoir trouvée, comme nous allons voir.

L'escroquerie consiste à provoquer la remise de la chose en trompant son propriétaire par une manœuvre frauduleuse qui doit être un minimum élaborée[1] . La victime remet la chose par erreur, mais une erreur provoquée. Elle ne s'est pas trompée, elle a été trompée.

Ici, nulle manœuvre frauduleuse : les autoréducteurs ont clairement affiché leurs intentions : ils ne veulent ni payer ni rendre, et ne partiront que par la force des baïonnettes ou avec leurs paniers garnis. On dira ce qu'on veut sur le procédé, mais au moins il est franc, ce qui exclut l'escroquerie.

L'abus de confiance consiste, pour celui qui s'est vu remettre une chose en vertu d'un contrat sans en devenir propriétaire, à dissiper la chose, c'est à dire de se mettre dans l'incapacité de la rendre quand le contrat l'exige. C'est celui qui loue une voiture et ne la rend pas, c'est le propriétaire qui dépense le dépôt de garantie de son locataire de sorte qu'il ne peut le lui rendre à la fin de la location, c'est celui qui se paye des courses avec la carte bleue de la boîte dont il est le salarié, c'est le banquier qui détourne l'argent des déposants.

Mais dans un supermarché, il y a transfert de propriété, ce qui exclut l'abus de confiance. Entre le rayon et la caisse, le client est détenteur précaire, et pas dépositaire en vertu d'un contrat, et il n'est pas tenu de représenter la chose (en fait, on l'incite même à ne pas la rendre mais à l'acheter), mais d'en payer le prix. Faute de cette obligation de rendre, l'abus de confiance n'est pas applicable.

Est-ce à dire que nos adeptes de l'autopromotion sont couverts de la plus parfaite légalité ?

Nenni.

L'autoréduction est très probablement une extorsion.

L'article 312-1 du code pénal définit l'extorsion comme

le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

Il y a là aussi remise volontaire de la chose, mais à la suite d'une forme de violence, physique ou morale. Le racket est de l'extorsion.

Allons, me diront mes lecteurs libertaires : ces sympathiques Robin des bois du rayon frais, de vulgaires racketteurs ?

D'abord, Robin de Locksley, lui, n'a jamais nié qu'il volait aux riches pour donner aux pauvres. Il n'a pas prétendu faire de l'autoredistribution. Voleur, pas faux cul.

Et puis sympathiques, sympathiques, c'est vite dit pour qui sait lire.

Reprenons leur autocommuniqué de presse, que je citais au début (je graisse) :

Treize chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le blocage des caisses (perte de chiffre d’affaires) ou prendre le risque d’une intervention policière dans les rayons.

Les auteurs des faits n'ont guère laissé le choix au directeur du magasin : soit il donnait les denrées, soit son magasin était bloqué indéfiniment avec une perte économique (on était à quelques heures du Réveillon) soit il fallait l'intervention des forces de l'ordre, ce qui entraînait un « risque » pour les « rayons ». On comprend que dans ces conditions, qualifier les « négociations » de « tendues » est un doux euphémisme.

En fait, vous l'aurez compris, de négociations il n'y eut point, c'était : « laisse-nous partir ou on bloque ton magasin, ou appelle la police et on casse tout. » Résumé comme ça, je pense que c'est plus clair. Il me paraît difficile de nier que le directeur n'a remis les biens que sous la contrainte, pour éviter un mal plus grand (une perte financière supérieure à la valeur des biens — 5000 euros d'après les informations de Rue89— ou des dégâts importants dans le magasin : 50 personnes lâchées dans les rayons à jouer à chat perché avec la police). Ce qui constitue l'extorsion.

Et l'état de nécessité ?

Selon le Code pénal :

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace (article 122-7 du code pénal).

L'état de nécessité consiste donc à commettre un acte illicite pour prévenir un mal plus grand et imminent, que ce soit une autre infraction ou un danger quelconque.

Rappelons l'argumentation des autojusticiers :

"C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement."

La jurisprudence est muette sur la question, mais pour fréquenter quelque peu les juges pénaux, je ne pense pas que le danger imminent de passer un Nouvel An de manière non conforme à la tradition gastronomique, ce qui serait une atteinte à la dignité, soit un danger suffisant pour justifier l'extorsion de 13 caddies de victuailles.

J'ajouterai qu'il n'y a jamais d'état de nécessité à s'emparer par la force de produits de luxe comme le saumon fumé ou le foie gras, et ce même un 31 décembre.

L'article relève qu'il y avait aussi des produits de première nécessité (pommes de terre, huile, pâtes). Dont acte. Mais l'état de nécessité suppose que la personne n'ait pu agir autrement que comme elle l'a fait, ou du moins a choisi la solution la moins dommageable pour autrui ou l'ordre public.

Les précaires en question risquaient-ils vraiment de mourir de faim, de manière imminente ? Et nos cinquante autorévolutionnaires n'avaient-ils vraiment pas les moyens, en se cotisant, d'acheter de quoi remplir treize caddies, ou seulement douze, de pâtes, d'huile et de pomme de terre ? Ils étaient 50. Ça fait 100 euros par tête de pipe, et bien moins au Franprix en face (il y a vraiment un Franprix en face du Monoprix en question). Je rappelle à toutes fins que la banque alimentaire collecte chaque année auprès des clients des supermarchés de toute la France, et c'est plus que treize caddies, qu'ils emportent, c'est 11.300 tonnes de nourriture. Et légalement.

Dire qu'aller ainsi se servir dans les magasins est la seule façon de venir en aide à des précaires en danger imminent me paraît quelque peu audacieux

Il me paraît fortement douteux que les personnes réalisant ces actions n'aient absolument pas d'autre moyen de porter secours à des précaires en danger imminent, ce qui seul constituerait l'état de nécessité.

Et la dignité des précaires ?

Franchement, elle a bon dos, en l'espèce. Car à commettre une extorsion pour les nourrir, on les rend coupables de recel. Avec des amis pareils, qui a besoin d'ennemis ?

L'addition, s'il vous plaît.

L'extorsion simple est punie de prison pouvant aller jusqu'à 7 ans et de 100.000 euros d'amende au maximum. Chaque personne ayant participé à l'opération en bloquant les caisses ou en participant à la pression mise sur le directeurs se rend coauteur de l'infraction et est punissable.

J'ajoute, car je lis dans l'article de Rue89, que des actions similaires ont eu lieu partout en France, et que le mode opératoire est à chaque fois le même et réglé comme du papier à musique, que constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions (art. 132-71 du code pénal). Et que l'extorsion en bande organisée, c'est 20 ans et 1.500.000 euros d'amende, avec régime spécial : 96 heures de garde à vue, pas d'avocat avant la 48e heure et la 72e heure.

Je doute que le parquet retienne la qualification criminelle, ne serait-ce que pour éviter les assises, mais juridiquement, elle tient.

Qui a dit que la révolution, même à coup de chariots de supermarché, était sans danger ?


Je profite d'une prépublication de ce billet sur Rue89 pour répondre à certains arguments soulevés par les lecteurs.

► Sophie35 : « Beaucoup d’actions collectives sont à la limite de la légalité, mais c’est parfois le seul moyen de faire progresser les droits sociaux. » Et de citer le droit de grève, et la liberté syndicale.

D'une part, je ne vois pas en quoi piller des supermarchés relève de l'avancée des droits sociaux. D'autre part, les exemples sont mal choisis : le droit de grève est une exception : une grève n'est légale que dans les limites tracées par la loi (mouvement collectif : illicéité de la grève individuelle ; cessation totale du travail : illicéité de la grève perlée ; revendications professionnelles : illicéité de la grève politique), et en dehors de ce cadre peut justifier un licenciement voire une action pénale (le piquet de grève par exemple est une atteinte à la liberté du travail). Les «grèves » des étudiants sont illicites et justifieraient des sanctions disciplinaires ou scolaires pour absentéisme ou perturbation de l'enseignement pour les fameux blocages. L'autoréduction ne s'inscrit dans aucun cadre légal. Quant à la liberté syndicale, qui est une liberté et non un droit, il y a certes eu des actions illégales pour obtenir la reconnaissance de cette liberté, mais ces actions, menées sous des régimes pour la plupart non démocratiques (il n'y a eu que quatre ans de démocratie avant leur légalisation sous le Second Empire), consistaient… à créer des syndicats, pas à aller piller l'épicier du coin.

► Johanjohan : Si on appliquait la qualification d’extorsion que je préconise, avec les peines que je rappelle, on mettrait sur le même plan ces 13 joyeux(sic) chariots de bouffe et des malfaiteurs qui extorquent en menaçant de mort ou de photos compromettantes. Mon approche juridique passerait à côté du sens de l’action (et des moyens : personne n’est menacé dans son intégrité physique). Ce serait un peu comme confondre terrorisme et vandalisme.

En droit pénal, les mobiles sont en principe indifférents (il y a des exceptions : ainsi les violences au mobile raciste sont aggravées de ce fait). Voler aux riches pour donner aux pauvres, ou voler aux pauvres pour garder le butin, ça reste un vol. Ici, une extorsion reste une extorsion. Fut-elle perpétrée dans la joie, ce qui en l'espèce se discute déjà. Le mode opératoire et les mobiles sont pris en compte seulement une fois la culpabilité établie pour fixer la peine. Ainsi, celui qui a mené les négociations tendues sera-t-il plus sévèrement sanctionné que celui qui s'est contenté de bloquer une caisse en criant des slogans, car on distingue le meneur des suiveurs : le premier fait passer à l'acte le second, le second ne passe pas à l'acte sans le premier. C'est là que nos auto-réducteurs seront moins sévèrement traités que les vilains malfaiteurs qu'invoque Johanjohan : les peines les frappant seront plus légères que celles prononcées à l'encontre des mafieux. Notamment, la prison ferme devrait pouvoir être évitée la première fois, tandis que les percepteurs de l'impôt révolutionnaire sont lourdement condamnés dès leur première visite d'un prétoire.

Et j'ajoute que menacer de révéler des photos compromettantes pour se faire remettre une somme ou des biens, ce n'est pas de l'extorsion, c'est du chantage et c'est “seulement” 5 ans de prison (art. 312-10 du code pénal). Vous voyez bien que je ne confonds pas des délits distincts.

Notes

[1] Un simple mensonge ne suffit pas : la loi cite comme exemple l'usage d'un faux nom, d'une fausse qualité, ou l'abus d'une qualité vraie : art. 313-1 du code pénal.

vendredi 2 janvier 2009

Brouir ou conduire, il faut choisir

Notre président ne connaît pas le repos. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour lancer sa première fusée intellectuelle, pour reprendre cette si exacte expression de Philippe Bilger, de l'année 2009.

Comme ce fut le cas il y a un an avec la disparition de la pub sur le service public, on sent que plus de soin a été apporté à la précipitation de l'annonce qu'à la réflexion sur la faisabilité. Il suffit que la mesure réponde immédiatement à un fait divers, satisfasse un public frustré par une colère impuissante, aggravée par les dérangements digestifs d'un lendemain de Réveillon, et que le Bon Sens y appose son sceau pour que la mise en orbite ait lieu.

Voyons le cru 2009 :

PARIS (AFP) — Le président Nicolas Sarkozy souhaite empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire "aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

Jeudi, en recevant à l'Elysée les personnels de services publics ayant travaillé durant la nuit de la Saint-Sylvestre, le chef de l'Etat a affirmé que "tant que (les incendiaires) n'auront pas réglé les conséquences de leur forfait, ils ne passeront pas le permis de conduire".

Le chef de l'Etat a affirmé vouloir "que l'on réfléchisse à la possibilité pour les juridictions pénales d'interdire à un mineur condamné pour des faits d'incendie de véhicule de passer un permis de conduire pour des véhicules deux ou quatre roues aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

« On » étant toute autre personne que le président, trop occupé à avoir des idées pour s'occuper de détails comme la faisabilité, ou l'efficacité. Je prédis une commission et un rapport.

Et comme d'habitude, pour soutenir la mesure : l'argumentation négative. Je ne vais pas dire pourquoi je le fais, je vais dire qu'il n'y a pas de raison pour ne pas le faire.

"Il n'y a aucune raison que ce soit les honnêtes gens qui aient à payer les conséquences des comportements de délinquants", a-t-il ajouté.

Comme le faisait observer une (é)lectrice au sujet de la rétention de sûreté : peu importe que ça ne serve à rien ; rien ne serait pire que de ne rien faire. La gesticulation plutôt que l'inaction. D'un point de vue rationnel, ça se discute (l'inutile et l'inefficace ont un coût supérieur à l'inaction pour un résultat similaire) ; du point de vue politique, il n'y a pas photo : ça marche.

En ces lieux, on préfère le rationnel à la politique. Assumons donc le rôle du « on » présidentiel et voyons en quoi il y a loin de la coupe de champagne aux lèvres.

L'idée est de faire pression sur les auteurs mineurs des incendies de voiture pour qu'ils indemnisent leur victime. La sanction serait de leur interdire de passer le permis jusque là. On pouvait aussi les priver de dessert ou de télé, mais non, ce sera le permis.

Voyons les objections de principe avant de voir les difficultés pratiques.

Objections de principe.

D'abord, pourquoi les mineurs seulement ?

Bien sûr, on est certain qu'un mineur n'a pas le permis. Mais pourquoi un majeur condamné pourrait-il aussitôt sorti du tribunal aller passer l'examen de conduite, tandis qu'un mineur verra cette échéance suspendue jusqu'au complet paiement des dommages-intérêts ? Premier reproche : l'incohérence.
Deuxième reproche : l'injustice. En principe, les mineurs sont mieux traités que les majeurs, car ils sont immatures, influençables (notamment par des majeurs non concernés par la mesure), et le passage à l'acte révèle souvent un problème plus profond. Ici, on vote une mesure qui les traitera plus durement que des majeurs. C'est une première. À rapprocher des propos qui accompagnent l'annonce de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs et qui fait de nos enfants des êtres sans foi ni loi dont il faut avoir peur. À croire que pour le Gouvernement, il n'y a que deux types de mineurs : les délinquants et les victimes de pédophiles.

Ensuite, pourquoi les véhicules seulement ?

Tout incendie est grave en soi, et un feu de boîte aux lettres peut se propager à l'édifice. Ou alors, il faut compléter le dispositif. Une cabine téléphonique détruite ? Interdiction d'avoir un portable jusqu'à ce qu'il ait remboursé. Un feu de poubelle ? Défense de sortir ses poubelles, il vivra avec ses détritus jusqu'à ce qu'il ait remboursé les services de la voirie. Vous voyez l'absurde.

Ensuite, pourquoi le permis de conduire ?

Là, on est en présence de réflexes issus du droit archaïque. “ Il a fâché le dieu des automobilistes, il doit faire un sacrifice pour apaiser sa colère ”.
Car si l'interdiction de passer le permis de conduire existe dans l'arsenal pénal, c'est pour des infractions commises lors de la conduite d'un véhicule. Si l'article 131-6, 3° du code pénal prévoit la faculté pour le juge de prononcer à titre de peine principale l'annulation du permis avec interdiction de le repasser pendant une période pouvant aller jusqu'à 5 ans, ce pour tout délit passible d'emprisonnement, un juge n'aura recours à une telle peine que pour des infractions au cours desquelles l'usage d'une automobile a été un facteur essentiel, de sorte que cette interdiction empêche le renouvellement de l'infraction. Mais en quoi une interdiction de passer le permis prévient-elle le renouvellement d'une infraction de destruction volontaire par incendie ?

Il faut tout de même rappeler que le permis de conduire n'est pas une faveur faite par l'État à des citoyens méritants. C'est une mesure de police, une restriction à la liberté d'aller et venir de chaque citoyen justifiée par des raisons de sécurité publique, que je ne conteste pas en soi : conduire un véhicule suppose des compétences, des réflexes qui s'acquièrent et des connaissances juridiques minimales[1], et le permis de conduire sanctionne, après un examen, la connaissance de ces éléments. Refuser la simple possibilité de solliciter cette autorisation pour soutenir des intérêts privés (un particulier n'est qu'un particulier, et le Fonds de Garantie n'est pas l'État, c'est une structure de droit privé financée par les assurances), à savoir le paiement de dettes, ne repose sur aucune légitimité et relève de l'abus de pouvoir par l'État.

Difficultés pratiques

La réforme supposerait d'abord que l'auteur ait été identifié. Or sur les 1147 autodafés de la Saint-Sylvestre officiellement recensés, combien d'auteurs ont-ils été arrêtés ? Sur les 288 interpellations officielles de la nuit, combien concernent des auteurs d'incendie ? Et sur ces auteurs arrêtés, combien de mineurs ? Silence radio. Et pour cause. Je ne sais pas s'il y en a un seul.

Tout simplement parce que les incendiaires sont déjà loin quand l'incendie est détecté, et encore plus loin quand la police arrive sur place. Pas de témoins (il fait nuit et les gens réveillonnent chez eux), pas de traces récupérables : les flammes détruisent les empreintes digitales ou l'éventuel ADN.

Autant dire que l'argument de la dissuasion fait long feu : tous les auteurs de ces incendies sont convaincus d'échapper à la justice pour ces faits, et la plupart du temps, ils ont raison.

D'autant plus que toutes les voitures brûlées la nuit de la saint-Sylvestre ne sont pas victimes de sauvageons pyromanes. Les assurances remboursent les incendies du Nouvel An sans trop y regarder : tradition des incendies, nombre de dossiers, pression des autorités. C'est le jour idéal pour se débarrasser d'un vieux tacot en panne mais encore coté à l'argus.

Ensuite, cette réforme impliquerait que la victime ait obtenu un jugement de condamnation ou que le Fonds de Garantie des Victimes d'Infraction ait indemnisé. Cela exclut donc les affaires où le propriétaire, découragé ou résigné, ne donnera pas de suite et fera jouer son assurance. Pas de condamnation, pas d'indemnisation, pas d'interdiction de permis.
Si le mineur auteur des faits a été identifié, pas de problème. Le tribunal pour enfants prononcera la condamnation, et la victime pourra utiliser le nouveau dispositif d'aide au recouvrement pour se faire avancer les sommes par le Fonds de Garantie (dans la limite de 3000 euros). Le remboursement intégral suppose le paiement du solde à la victime, le remboursement au Fonds des sommes avancées, outre le pourcentage supplémentaire au titre des frais de recouvrement.

S'il n'a pas été identifié ou si la victime n'a pas envie de se constituer partie civile, l'article 706-14-1 du CPP prévoit un mécanisme autonome d'indemnisation, si le propriétaire du véhicule a des revenus mensuels inférieurs à 1966,50 euros[2], dans la limite de 4000 euros. Mais rappelons que l'auteur des faits n'est généralement pas identifié. Il pourra donc aller passer le permis à 18 ans sans avoir à rembourser quoi que ce soit.

Autre problème : les parents sont civilement responsables de leur enfant mineur : art. 1384 du Code civil. C'est à dire qu'ils doivent indemniser les victimes de faits dommageables commis par leur rejeton. Quel que soit son âge. Même sans faute pénale. Donc si un mineur est condamné pour destruction volontaire par incendie, ses parents seront cités devant le tribunal en tant que civilement responsables (c'est la terminologie officielle), par opposition au mineur, prévenu, pénalement responsable (la peine ne peut frapper que l'enfant : on ne peut aller en prison pour un délit commis par son enfant). Pour peu que les parents soient un tant soit peu solvables, la victime ou le Fonds de Garantie auront été indemnisés… par les parents. Victime indemnisée, Fonds de Garantie remboursé ? Le galopin pourra aller passer le permis avec la bénédicition du président, sans avoir sorti un centime de sa poche.
Bref, la mesure n'est susceptible de faire pression que sur des mineurs issus de familles pauvres, qui ne pourront payer les dettes de leur chérubin. Si quelqu'un comprend où se trouve la justice là-dedans, je lui saurai gré de me l'expliquer.

Et concrètement, au fait, on fait comment, pour savoir si l'impétrant conducteur est venu à l'auto-école adorer ce qu'il a brûlé ?

La condamnation pour destruction volontaire est certes inscrite au casier judiciaire. Mais à partir de là, ça se complique.

En fait, il y a trois casiers judiciaires, plus exactement trois bulletins reflétant de manière plus ou moins complète le contenu du casier. Le bulletin n°1 (dit le « B1 »), réservé à la justice, est le relevé intégral des condamnations. Le n°2 est accessible aux administrations et à certains établissements publics lors du recrutement, et est un peu moins complet (notamment n'y figurent pas les condamnations avec sursis une fois que le délai d'épreuve est terminé) ; et le n°3, qui ne peut être demandé que par la personne concernée, est encore moins complet. Disons qu'il vous donne la garantie que vous ne devriez pas être en prison.

Or les condamnations des mineurs ne figurent pas au bulletin n°2 du casier judiciaire : art. 775, 1° du CPP. Donc une préfecture, ne peut, en demandant le bulletin n°2 d'un impétrant conducteur, s'il a ou non été condamné pour une jeunesse un peu trop flamboyante.

Qu'importe, rétorquerez-vous : qu'il demande au procureur de mirer le bulletin n°1 pour lui. Outre le fait que les procureurs ont mieux à faire que commander un B1 pour chaque candidat au permis, les condamnations des mineurs pour des faits délictuels sont également effacées du B1 dans un délai de trois ans à compter de la majorité s'il n'est pas condamné pour un crime ou un délit dans ce délai (art. 769, 7° du CPP). Donc un incendiaire à 17 ans peut se présenter à l'auto-école le lendemain de ses 21 ans avec un casier virginal et une dette en souffrance.

Cela suppose donc la création, fort coûteuse, d'un nouveau fichier qui répertorierait uniquement les rares condamnations de mineur pour incendie et serait, je ne sais comment, mis à jour des paiements effectués, deuxième condition de l'interdiction envisagée.

Car saurait-on qu'il a été condamné pour incendie de voiture qu'il faudrait ensuite s'assurer qu'il n'a pas indemnisé la victime ou le Fonds. S'agissant d'une dette purement privée, ça risque d'être délicat. Si le Fonds a payé, ce sera facile : un courrier suffira. Mais si c'est la victime, encore faudra-t-il la retrouver, et qu'elle réponde. Alors, dans le doute ? Il peut ou il ne peut pas passer le permis ? Et si la victime a renoncé à être indemnisée ? Faut-il considérer que la dette est payée (pour le Code civil, c'est oui) ? Ou faut-il qu'il paye néanmoins, mais à qui ?

Et au fait, si le mineur a un besoin ardent du permis pour pouvoir travailler et ainsi indemniser la victime ?

Encore une fois, nous sommes en présence d'une politique d'annonce, et fort efficace du point de vue médiatique : les journaux en parlent tous. Elle donne l'impression d'un président qui agit, sans que personne ne se dise que tiens, vu que ça fait 6 ans qu'il est aux premières loges pour voir flamber les voitures au Nouvel An, il aurait peut-être pu y penser avant, ni ne s'interroge sur la faisabilité ou l'efficacité réelle du projet. Un fait divers = une annonce.

Avec à la clef, un (vague) projet, à l'effet dissuasif nul, dont la réalisation promet d'être difficile et coûteuse, pour un résultat qui sera forcément inefficace car ne frappant qu'une toute petite partie des personnes concernées. Mais une opinion publique bien contente.

De ce point de vue, 2009 s'inscrit pleinement dans la continuité.

Notes

[1] Et oui, ce qu'on appelle le Code, c'est un examen de droit…

[2] Il s'agit d'1,5 fois le pafond de l'aide juridictionnelle partielle. Le revenu est calculé par foyer, avec une majoration par personnes à charge. Soit 1966,50 euros pour une personne seule ou un couple sans enfants, 2147,05 euros avec un enfant, 2382,55 avec deux enfants, et 148,50 euros par personne à charge supplémentaire.

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