Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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La condamnation de Sandra Muller dans l'affaire #BalanceTonPorc

— Ah, cher maître, comme je suis bien aise de vous retrouver en ces lieux.

— Ma chère lectrice ! Je ne puis en croire mes yeux tellement est grande ma joie de vous revoir. J'ai craint que votre serviteur ayant laissé les lieux en jachère, vous ne l'ayez abandonné à votre tour, jetant à jamais sur ce blog d'un voile d'obscurité qui l'eût enlaidi.

— Cher maître, rassurez-vous, je suis fort bien en ces lieux, et ce n'est pas parce que vous fûtes resté un temps coincé dans les toilettes que l'envie de partir me fût venue.

— J'implore votre pardon pour ce retard. Je n'arrivais pas à ouvrir la porte : un institut bloquait le passage.

— Mais on ne peut faire entrer un institut dans des toilettes, maître !

— Je le sais mais il m'a fallu aller jusqu'en cassation pour le faire admettre. Mais n'anticipons pas. Je vous retrouve comme je vous ai laissée : l'œil brillant de colère et la poitrine soulevée d'indignation. Dites-moi tout : d'où vient votre courroux ?

— De chez vous, comme toujours, enfin de la justice, dont vous êtes l'auxiliaire. Elle a ce jour rendu un jugement condamnant lourdement Sandra Muller, pour diffamation, à cause d'un tweet.

— Je sais ce que ça fait, je compatis. Et quel tweet !

— LE tweet, maître, celui qui a lancé en France le hashtag équivalent à l'anglophone #MeToo, à savoir #BalanceTonPorc. Sur Twitter, les réactions à la nouvelle ont été, qu'elles soient approbatives ou désapprobatrices, plutôt modérées et équilibrées. Je plaisante, bien sûr.

— Je suis ravi de voir que votre ire ne vous fait point départir de votre humour.

— Bien que je doute que vos explications parviendront à faire passer cette décision pour acceptable à mes yeux, j'aimerais néanmoins les avoir, pour être certaine de mon opinion, ou le cas échéant en changer.

— Vous fîtes bien. Celles et ceux que les faits intéressent et aiment en prendre connaissance pour se faire leur opinion avant de prendre position publiquement trouveront toujours un havre ici. Voyons ensemble ce que dit réellement cette décision.

— Je vous ois. Vous connaissant, j'ai pris la liberté de vous préparer du thé.

— Un gyokuro Hiki, en hommage au Japon qui accueille la coupe du monde de rugby : vous êtes parfaite. Première précision importante pour notre affaire, il s'agit d'un jugement de la 17e chambre civile. C'est donc un jugement civil, et non pénal. La 17e chambre, spécialisée dans les affaires de presse, a en effet deux sections, une correctionnelle, qui juge les poursuites pénales pour injure et diffamation, et une chambre civile, qui ne juge que des poursuites civiles selon les règles du code de procédure civile.

— Et comment une affaire va-t-elle devant l'une plutôt que l'autre ?

— C'est le choix du plaignant. Ce choix est fait au moment où il lance la procédure, et est en principe irrévocable. Ici, Éric B., visé par le propos en cause, a choisi d'assigner au civil plutôt que de citer au pénal. Les raisons de l'un ou l'autre choix sont subtiles, et relèvent aussi bien de considérations de pur droit que d'opportunité stratégique. Je serais incapables de les donner avec certitude. Je pense que ce qui a pu être un des critères déterminants est la discrétion de la procédure : la procédure civile de droit commun s'appliquant, la représentation par avocat est obligatoire et la procédure est écrite. Cela évitait une audience pénale publique, où les parties et la presse sont présentes, et qui bénéficie d'une large publicité, ce qui peut être désastreux en cas d'échec, demandez à Denis Baupin.

— J'aime autant éviter. Quelle est la conséquence pour Sandra Muller que cette procédure soit civile ?

— Deux avantages : d'une part, elle n'est pas condamnée pénalement et ne peut plus l'être. Quoi qu'il arrive, elle n'aura pas de casier judiciaire. D'autre part, la procédure civile respecte, elle, l'égalité des armes : la défense peut demander au même titre que le demandeur que son adversaire soit condamné à prendre en charge tout ou partie de ses frais d'avocat ; au pénal, c'est impossible.

— Le jeu de dupe dont vous parlez sans cesse ?

— Disons que je constate qu'au pénal, on ne me parle d'égalité des armes que pour donner au procureur le droit d'appel en matière criminelle, ou pour revendiquer pour la victime le droit de faire appel de l'action publique. Quand je demande que le prévenu ou l'accusé bénéficie d'un droit ouvert aux autres parties au procès, on me répond "équilibre de la procédure."

— Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos porcs. Quelle était l'argumentation du demandeur ?

— Eric B. poursuivait en réalité deux personnes : Sandra Muller d'une part, et la société ABSM, éditrice de la Lettre Audio, puisque c'est sur le compte Twitter de cette société que le propos funeste a été publié. Il estimait que Sandra Muller a agi en tant que représentante de la société ABSM.

— Et quel était le propos litigieux ?

— Deux tweets enchaînés le 13 octobre 2017, en réaction à l'affaire Weinstein qui venait d'éclater à la suite de la publication d'un article du New York Times. Le premier disait :

#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends

Quatre heures plus tard, elle publiait ce second tweet (les noms propres ont été supprimés par mes soins, eu égard à la décision rendue) :

“Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.” Eric B. ex patron de E. #balancetonporc

C'est ce deuxième tweet, mais lu à la lumière du premier, qui était poursuivi comme diffamatoire. Éric B. a estimé que ce tweet lui imputait la commission du délit de harcèlement sexuel au travail, délit distinct du harcèlement sexuel de droit commun. Or imputer un délit est une diffamation, ce point ne fait plus discussion depuis longtemps.

— Et la défenderesse ?

— Les défenderesses, chère lectrice, puisqu'il y en avait deux : la journaliste et sa société. Elles ont déployé tout l'éventail classique des moyens de défense en la matière, sauf un, qui sera peut-être leur salut en appel. Mes lecteurs habitués connaissent un peu le droit de la diffamation, et se souviendront que le premier moyen de défense est l'exception de vérité : si la personne poursuivie pour diffamation prouve la vérité du fait, elle est immune et impune.

— Mais diffamer n'est donc pas imputer un fait mensonger ?

— Pas du tout, et les personnes qui poursuivent en diffamation, ou surtout font savoir à sors et à cris qu'elles vont poursuivre en diffamation quitte à ce qu'il y ait trop loin de la coupe aux lèvres, le savent et en jouent. Non, la diffamation n'est pas la calomnie. On peut diffamer en disant la vérité, car diffamer est imputer un fait contraire à l'honneur et à la considération. Peu importe qu'il fût vrai. Ainsi, si je dis que Raoul Vilain a tué Jaurès, je le diffame : je le traite de meurtrier. Et pourtant c'est vrai, nonobstant son acquittement par les assises, puisqu'il revendiquait ce geste.

— Et l'exception de vérité ?

— Il fallait tout de même protéger la presse. Ainsi, si la presse publie un article imputant des faits diffamatoires, comme par exemple la révélation qu'un maire de la région parisienne frauderait le fisc (je sais, l'hypothèse est absurde), il ne faudrait point que ledit maire pût obtenir une condamnation pour diffamation. Mais la preuve de la vérité est enserré dans des conditions de forme rigoureuses : la principale étant qu'elle doit être produite dans les dix jours de l'assignation.

— Pourquoi un délai si bref ?

— L'idée de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse était qu'un journal qui publie l'imputation de tels faits se doit d'avoir les preuves sous le coude. S'il doit faire une enquête a posteriori pour réunir les preuves de ce qu'il a publié, c'est qu'il a été téméraire dans ses accusations, et c'est ce que l'on souhaitait sanctionner. De plus, l'idée du législateur était que le procès se tînt promptement pour que le jugement sanctionne la publication alors qu'elle est encore fraîche dans la tête du lecteur. Cet objectif a été oublié depuis longtemps en tout cas à Paris, la 17e chambre étant totalement engorgée (mais à Créteil ou Fontainebleau, on obtient des jugements dans des délais beaucoup plus conformes à l'esprit de la loi).

— Et qu'arguait-elle au titre de la preuve de la vérité des faits ?

— Que les propos en question ont bien été tenus, parce qu'Éric B. a reconnu les avoir tenus et a présenté ses excuses ; que Sandra Muller en parlant de harcèlement ne faisait pas allusion au délit de harcèlement sexuel au travail, faute de lien de subordination entre elle et Éric B., et que le mot harcèlement était utilisé dans son acception courante et non juridique.

— Et que répliquait le demandeur ?

— Que la preuve des propos qu'il avait tenus n'était pas rapportée, et qu'aucun délit de harcèlement n'était prouvé que ce fût le délit spécial de harcèlement sexuel au travail, ou le délit de droit commun de harcèlement sexuel, qui suppose la répétition du comportement, or le propos qui lui est imputé n'avait été ténu qu'une seule fois.

— Et qu'en dit le tribunal ?

— A titre liminaire, je n'ose dire préliminaire, il rappelle le contexte : le 5 octobre 2017, le New York Times publie son enquête sur l'affaire Weinstein. Le 12, le Parisien publie le premier article sur cette affaire. Le 13, Sandra Muller publie les deux tweets ci-dessus. Puis le tribunal donne son interprétation du tweet.

Au vu de ces éléments et dans ce contexte très particulier, le premier tweet de Sandra MULLER fait référence à Harvey WEINSTEIN et à l’affaire en cours en employant le mot “porc” et en commençant par “toi aussi”. Il invite d’autres femmes que celles qui ont déjà témoigné à ce sujet à dénoncer des faits de harcèlement sexuel au travail. Le second tweet, en reprenant le #balancetonporc, renvoie nécessairement au premier, publié de surcroît quelques heures auparavant.

Dans le contexte spécifique de l’affaire WEINSTEIN, et compte tenu de l’emploi des mots “toi aussi” et des termes très forts de “porc” et de “balance”, qui appellent à une dénonciation, ainsi que des faits criminels et délictuels reprochés au magnat du cinéma, le tweet de Sandra MULLER ne peut être compris, contrairement à ce que soutient la défense, comme évoquant un harcèlement au sens commun et non juridique.

Dans la mesure où Sandra MULLER n’écrit pas qu’Eric B. était son supérieur hiérarchique, que le terme “au boulot”, dans une société où le travail indépendant est devenu très développé, n’implique pas nécessairement d’être salarié et où il est notoire que Sandra MULLER est une journaliste indépendante, l’imputation pour ce tweet n’est pas celle d’un harcèlement sexuel au travail au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail.

Le tweet litigieux impute à Eric B. d’avoir harcelé sexuellement Sandra MULLER. Il s’agit d’un fait précis, susceptible d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, et réprimé par l’article 222-33 du code pénal, qui, dans sa version en vigueur au moment du tweet, réprime :

- le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante,

- le fait, même non répété, assimilé au harcèlement sexuel, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Ensuite, le tribunal rappelle les conditions d'efficacité de la preuve de vérité :

Pour produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire.

L’offre de preuve ne comporte aucun jugement pénal définitif condamnant Eric B. pour harcèlement sexuel envers Sandra MULLER. Par conséquent, elle n’est pas parfaite, complète et corrélative à l’imputation diffamatoire et la demanderesse échoue dans son offre de preuve.

— En somme, le tribunal n'eût accepté l'offre de preuve que si Éric B. avait été condamné pour harcèlement sexuel antérieurement au tweet litigieux. En somme, le message est "poursuivez ou taisez-vous" ?

— L'interprétation stricte du terme "harcèlement" par le tribunal entraine une interprétation stricte de l'exception de vérité. À suivre le tribunal, les femmes qui voudraient dénoncer un comportement inapproprié d'un homme à leur encontre devront veiller à ne pas utiliser de terme pouvant avoir une connotation juridique.

— Je sens que Sandra Muller aura déjà bien des choses à dire en appel. Soulevait-elle un autre moyen de défense ?

— Bien sûr. Le deuxième moyen classique : la bonne foi. Qui en matière de presse, n'est jamais présumée, même au pénal.

— Qu'est-ce que la bonne foi, en la matière ?

— Sans débat sur la véracité ou non des faits, la personne poursuivie est immune si elle établit quatre éléments cumulatifs : qu'elle a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’elle s’est conformée à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos. Le tribunal ajoute un paragraphe supplémentaire :

Ces critères s'apprécient également à la lumière des notions "d'intérêt général" s'attachant au sujet de l'information, susceptible de légitimer les propos au regard de la proportionnalité et de la nécessité que doit revêtir toute restriction à la liberté d'expression en application de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de "base factuelle" suffisante à établir la bonne foi de leur auteur, supposant que l'auteur des propos incriminés détienne au moment de les proférer des éléments suffisamment sérieux pour croire en la vérité de ses allégations et pour engager l'honneur ou la réputation d'autrui et que les propos n’aient pas dégénéré en des attaques personnelles excédant les limites de la liberté d’expression, la prudence dans l'expression étant estimée à l'aune de la consistance de cette base factuelle et de l'intensité de l'intérêt général.

— Houla, c'est un peu obscur.

— Oui, j'ai connu la 17e plus claire. D'autant que cette irruption de l'article 10 de la CEDH dans la bonne foi, alors qu’elle constitue un moyen totalement distinct dans ses conditions me surprend quelque peu. Pour résumer, le tribunal indique qu'il va examiner si Sandra Muller pouvait croire en la vérité des propos au vu des éléments dont elle disposait et que ses propos n'ont pas dégénéré en attaque personnelle.

— Mais le demandeur avait reconnu les faits !

— Il avait reconnu avoir tenu des propos déplacés, on y reviendra : mais le tribunal a estimé que le tweet n'imputait pas à Éric B. d'avoir tenu les propos en cause mais lui imputait de s'être rendu coupable d'un délit de harcèlement, et surtout les excuses d'Éric B. sont postérieures à la publication, alors que la bonne foi s'apprécie au moment de la publication et non sur des éléments postérieurs à icelle.

— Mais cela change tout pour la défenderesse !

— C'est peu de le dire. Voici ce que dit le tribunal :

S’agissant du premier critère de la bonne foi, en pleine affaire Weinstein, médiatisée internationalement et ayant permis la libération de la parole de femmes victimes, et dans une société française où les femmes ont eu le droit de vote en 1944, les maris ont cessé d’être appelés “chefs de famille” dans le code civil en 1970, l’égalité salariale entre hommes et femmes n’est pas atteinte, le viol conjugal a été reconnu par la jurisprudence à partir de 1990 et plusieurs plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes ont été adoptés, la question des rapports entre hommes et femmes, et plus particulièrement des violences sous toutes leurs formes infligées aux femmes par des hommes, constitue à l’évidence un sujet d’intérêt général.

— Ça commence bien, même si on se demande ce que vient faire ce rappel historique abrégé du retard de la France en matière d'égalité homme/femme.

— Ça continue plutôt bien.

S’agissant du critère de l’animosité personnelle, si le demandeur verse des éléments ayant trait à la déception voire à la colère de Sandra MULLER en raison du refus d’Eric B. de s’abonner à sa lettre entre 2004 et 2008, puis en 2012, ces pièces ne démontrent pas une animosité personnelle au sens du droit de la presse, qui s’entend d'un mobile dissimulé ou de considérations extérieures au sujet traité, ces attestations évoquant des faits anciens et sans commune mesure avec l’imputation diffamatoire.

— Pas d'animosité personnelle donc. Où le bât va-t-il blesser ?

— Sur le sérieux de l'enquête, ou ici le sérieux de la base factuelle, et la prudence dans les propos.

S’agissant des critères de base factuelle et de prudence dans les propos, alors même que, vivement interpellée par tweet, Sandra MULLER répondait avoir la preuve irréfutable de ce qu’elle affirmait, force est de relever que :

- le message du 12 juillet 2016 dans lequel elle indique les propos que lui aurait tenus Eric B. (”j’adore les femmes a gros seins viens avec moi Je vais te faire jouir toute la nuit”) ne comprend pas les mêmes propos que ceux qu’elle lui prête dans le tweet litigieux,

— Le tribunal chipote, là, non ?

— Il n'a pas fini de chipoter :

- si elle écrit dans un message du même jour à Eric B. “Qui est allé trop loin en me harcelant tellement en me manquant tellement de respect que j’ai du appeler le dir com de Orange pour Faire Bouclier ?”, Eric B. répond à ce message “ C’est marrant. Tu ne changes pas. Toujours aussi énervée et rancunière. Au fond, tu ne m’a jamais pardonné de ne pas m’être abonné et tu es prête à écrire n’importe quoi !”, contestant ainsi le harcèlement allégué,

— Le tribunal voit dans cette réponse une contestation des faits ?

— Oui. Ça ne m'est pas aussi manifeste qu'au tribunal.

— Mais la reconnaissance des faits par Éric B. ?

— Nous y arrivons.

- Eric B., dans une tribune au Monde, a reconnu avoir, lors d’un cocktail dans une soirée, tenu des propos à Sandra Muller qu’il a qualifiés de “déplacés” et a affirmé regretter (pièce 24 en défense),

- il a précisé lors d’une interview sur Europe 1 (pièce 25 en défense) avoir dit à la journaliste “lors d’une soirée arrosée” : “t’as de gros seins, tu es mon type de femme” une fois, avoir “été lourd”, avoir “mal agi” puis après que Sandra Muller lui aurait dit “stop”, avoir ajouté “sur un ton ironique : “Dommage je t’aurais fait jouir toute la nuit” et avoir présenté des excuses le lendemain,

- aucune des attestations produites en défense n’évoque la tenue par Eric B. des propos rapportés par Sandra Muller ou de propos proches de ceux-ci ni d’un quelconque harcèlement à son encontre.

Le tribunal en déduit que :

Alors même que l’emploi du terme harcèlement évoque une répétition ou une pression grave, les pièces produites en défense n’établissent aucune répétition des propos qu’Eric B. lui aurait tenus - ni même d’ailleurs qu’il lui ait précisément tenus les propos allégués - ou d’une quelconque attitude susceptible d’être qualifiée de harcèlement envers Sandra Muller, au sens de l’article 222-33 du Code pénal.

Aussi, quel qu’ait pu être le ressenti subjectif de Sandra Muller à la suite de paroles d’Eric B., qui ont pu entrer en résonance avec une agression subie par la journaliste, la base factuelle dont elle disposait était insuffisante pour tenir les propos litigieux accusant publiquement le demandeur d’un fait aussi grave que celui du délit de harcèlement sexuel et elle a manqué de prudence dans son tweet, notamment en employant des termes virulents tels que “porc” pour qualifier le demandeur, l’assimilant dans ce contexte à Harvey Weinstein, et “balance”, indiquant qu’il doit être dénoncé et en le nommant, précisant même ses anciennes fonctions, l’exposant ainsi à la réprobation sociale ; elle a dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, ses propos dégénérant en attaque personnelle.

Le sort de Sandra Muller est dès lors scellé, il ne reste plus qu'à chiffrer ses condamnations.

Compte tenu de l’ensemble des éléments de la cause, du retentissement exceptionnel mondial qu’ont eu ces deux tweets, Eric B. étant devenu connu comme le “premier porc” du mouvement international “balance ton porc”, des justificatifs relatifs à l’état psychologique d’Eric B., en “état dépressif majeur” depuis avril 2018, sous antidépresseurs, anxiolytiques et bénéficiant d’un suivi régulier et à l’isolement social subi à la suite de ces faits, ainsi que du préjudice de réputation établi notamment par la pièce 19, il convient de condamner in solidum - dans la mesure où il s’agit d’une instance civile et où la solidarité ne se présume pas- les défenderesses à lui verser la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi, incluant le préjudice de réputation.

En outre s'y ajoutent deux réparations dites en nature : l'obligation de supprimer ledit tweet, et de publier sur le compte Twitter de la lettre Audio ainsi que dans deux journaux le communiqué suivant : Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance de PARIS (chambre civile de la presse) a condamné Sandra MULLER pour avoir diffamé publiquement Eric BRION, en diffusant sur ce site le 13 octobre 2017 un tweet sous le #balancetonporc, le mettant en cause. (Je laisse le nom puisqu'il figure en toutes lettres dans le communiqué édicté par le tribunal, par respect pour la décision).

Pour le plaisir, je ne résiste pas à reproduire ci-dessous les exigences précises du tribunal, ce qui fera sourire les utilisateurs de Twitter et suffira à lui seul à justifier l'appel annoncé de ce jugement :

Dit que ce communiqué, placé sous le titre “PUBLICATION JUDICIAIRE”, devra figurer en dehors de toute publicité, être rédigé en caractères gras de taille 12, en police “Times New Roman”, être accessible dans le délai de quinze jours à partir de la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et de manière continue pendant une durée de deux semaines, soit directement en intégralité sur le premier écran de la page d’accueil du compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio, soit par l’intermédiaire, depuis ce premier écran, d’un lien hypertexte portant la mention “PUBLICATION JUDICIAIRE” en caractères gras, noirs et d’un centimètre, sur fond blanc,"

Si quelqu'un sait comment faire apparaître sur la page d'accueil d'un compte Twitter une mention en Times New Roman grasse de taille de police 12, ou d'un lien hypertexte mesurant 1 cm de hauteur même sur les écrans de smartphone, je suis preneur.

S'y ajoutent 5000 euros de frais de procédure divers, dont le coût du constat d'huissier, et naturellement les honoraires de l'avocat, qui ne sont à mon avis que partiellement couverts.

— Je suffoque de rage. Sandra Muller a dénoncé quelqu'un qui a reconnu avoir eu un comportement inapproprié, et même franchement grossier à son égard, et elle doit lui payer 20.000 euros ! Ne me dites pas que vous approuvez ce jugement ?

— Chère lectrice, ce jugement est critiquable, et il sera critiqué, par la seule voie que permet la loi : l'appel. Comme je vous l'ai dit, la défense aura du grain à moudre devant la cour, mais je me garderai de prédire sa victoire. Si cela vous rassure, elle a un avocat qui, quelle que soit la discourtoisie dont il a cru devoir faire preuve à l'égard de votre serviteur, demeure incontestablement un excellent avocat, et même un des meilleurs de France. Le tribunal a eu la sagesse de ne pas assortir sa décision de l'exécution provisoire, donc l'appel en suspendra tous les effets. Néanmoins, le tribunal soulève dans sa décision des points non dénués de toute pertinence. Sandra Muller a été victime de quelque chose que je connais bien et que je me garderai de lui reprocher : la précipitation sur Twitter. De celle qui vous fait écrire "institut" au lieu de "pacte", ou employer des mots maladroits, comme le verbe "balancer" et le mot "porc" (ou le mot caca, soit dit en passant). À titre personnel, je comprends l'argument disant que l'important n'est ni le verbe ni le nom mais le comportement dénoncé. Pour tout dire, j'y adhère, pour ce que ça vaut. Le problème avec l'emploi de mots violents pour dénoncer un comportement violent tellement entré dans les mœurs qu'on ne le remarque plus quand on n'est pas celle qui le reçoit, c'est qu'il offre un boulevard aux personnes se demandant si elle n'ont pas un jour été elles-mêmes un porc balançable pour détourner le sujet en surjouant l'indignation sur le vocabulaire employé pour dénoncer le comportement. Et on y a eu droit dans les mois qui ont suivi, à l'indignation vertueuse des exégètes du mot balancer, avec points Godwin à la clé.

Il demeure, est j'espère ne pas subir votre ire de ce chef, que dans ce genre de circonstances, il peut aisément se produire un phénomène de bouc émissaire, où, dès qu'une personne sera pointée du doigt, elle se prendra une avalanche d'opprobre et d'attaques qui en sont pas sans rappeler par leur disproportion les Animaux malades de la peste de La Fontaine. Éric B., cela semble acquis, s'est comporté avec Sandra Muller comme un gougnafier fini lors d'une soirée professionnelle où l'on se doute qu'il n'a pas carburé qu'à l'eau de Vittel. Sandra Muller ne prétend jamais, à aucun moment qu'il serait allé au-delà des paroles, jusqu'à un acte physique transgressant la loi pénale (ce en quoi je diffère avec l'analyse du tribunal qui voit dans les propos l'imputation du délit de harcèlement sexuel). Or Éric B. semble avoir subi en répercussion une mise au ban comme s'il avait commis des faits similaires à ceux imputés à Harvey Weinstein, par un déshonneur par association, alors que les faits sont sans commune mesure, on doit cette vérité aux victimes du producteur américain. Cela semble avoir préoccupé le tribunal, qui a choisi la voie de la sévérité pour dissuader les dérives.

— Je ne suis pas convaincue mais je comprends votre position. Au fait vous disiez qu'un moyen n'avait semble-t-il pas été soulevé qui pourrait changer bien des choses en appel ?

— En effet. Il ressort du jugement, qui est le seul document dont je dispose, que si l'exception de vérité et la bonne foi ont bien été soulevés, un moyen autonome tiré de l'article 10 de la CEDH, lui, ne l'a pas été.

— Et que dit cet article ?

— C'est l'article de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui protège la liberté d'expression. Or la cour européenne a une vision très libérale (rappel : ce n'est pas un gros mot) de cette liberté, qui devient quasi absolue dès lors que l'on touche à un débat d'intérêt général. La cour exige que plus l'intérêt du propos est général, plus la liberté d'expression soit large, frôlant l'absolu en matière politique. C'est un moyen autonome dans le sens où il n'a pas à se conformer aux conditions restrictives du droit interne liées à l'exception de vérité ou de bonne foi. Si le débat est d'intérêt général, le propos doit être protégé, peu importe qu'il soit excessif dans son expression. Spoiler alert : je dois beaucoup à cet article.

Or ici, le tribunal ne semble pas avoir été saisi expressément d'un argument disant : vu l'intérêt général de la dénonciation du comportement inapproprié que les femmes subissent au quotidien dans leur milieu professionnel, la liberté d'expression protège le propos. Le tribunal enferme l'article 10 dans les conditions de la bonne foi. Je pense qu'un argument d'appel invoquant l'article 10 de la CEDH de manière autonome aura de bonnes chances de triompher. Cela dit avec toutes les réserves du commentateur qui n'a que la décision et pas le détail des écritures des parties.

— Maître, merci de ces lumières. J'attendrai donc le résultat de l'appel.

— Par pitié, n'attendez pas si longtemps pour revenir.

— Promis, maître, à une condition : que vous n'attendiez pas si longtemps pour publier un nouveau billet.

— Le coup est rude, chère lectrice, mais régulier. Vous avez ma promesse en retour.

Commentaires

1. Le jeudi 26 septembre 2019 à 07:31 par Tabseur

Merci pour ces explications. On comprend mieux le jugement.

2. Le jeudi 26 septembre 2019 à 07:49 par LPDLB

Les mêmes qui encensent la 17ème pour le jugement Baupin il y a quelques mois lui tombent dessus dans le jugement Brion... C'est dire s'il n'y de l'intérêt que pour le sens des décisions et non pour leur motivation. Merci Maître de nous permettre de juger, en partie, sur pièce.

Tentant d'articuler ces deux décisions, je me dis que le chemin tracé par le tribunal doit être dans ce goût là : on peut balancer à la terre entière les turpitudes supposées d'un homme... à condition d'avoir des billes sur ce qu'on lui reproche. Exiger une enquête, qu'elle soit judiciaire ou journalistique, avant d'exciter les hordes à la vindicte, cela m'apparaît moins scandaleux qu'à votre chère lectrice :)

Quant à Me Spizner que vous évoquez, sans méjugez de ses qualités, ce qu'on lit du compte-rendu d'audience (notamment le LT de Marie Barbier) laisse à penser qu'il a quitté les rives de la démonstration juridique pour celle des effets d'audience ("Quand j'étais jeune avocat, on poursuivait les femmes pour avortement") et des petites blagues ("Quant à l'animosité personnelle... Vous savez, moi quand je plaide devant la 17e contre Plenel, je le hais, il me hait !"). C'est sûrement très bien si on plaide pour les médias, mais il ne faut pas s'étonner que ça n'ait pas servi au tribunal. D'ailleurs vous indiquez qu'il aurait visiblement oublié un moyen de défense fondamental, ça va dans ce sens.

Il faut espérer pour Madame MULLER, puisqu'elle fait appel, qu'elle et ses conseils se rappellent qu'une juridiction juge en droit et pas en "sens de l'histoire" ou en "il ne faut pas bâillonner les femmes". J'ai peur sinon que les mêmes causes entrainent les mêmes effets.

3. Le jeudi 26 septembre 2019 à 08:12 par Gage

Excellent billet, comme d'habitude, même si votre lectrice a raison de les trouver trop rares ;)

Une petite correction :
— Vous fîtes bien. Celles et ceux que les faits intéressent et aiment en prendre connaissance pour se faire leur opinion avant de prendre position publiquement trouveront toujours un havre ici.

— Vous fîtes bien. Celles et ceux que les faits intéressent et qui aiment en prendre connaissance pour se faire leur opinion avant de prendre position publiquement trouveront toujours un havre ici.

(Je pinaillerais aussi sur le "vous fîtes bien", puisque la phrase précédente est au présent, on pourrait pinailler sur la concordance des temps, mais le pinaillage n'est pas au programme de ce billet, n'est-ce pas ?)

4. Le jeudi 26 septembre 2019 à 09:44 par xc

A en juger par son 2ème alinéa, l'art.10 CEDH admet des restrictions à la liberté d'expression, entre autres pour "la protection de la réputation ou des droits d'autrui". Il me semble donc possible que ce texte (j'ignore comment il est appliqué) ne couvre pas le fait de mettre au pilori pour le restant de ses jours un malotru qui a tenu des propos déplacés mais occasionnels. Qu'en dit la jurisprudence ?

5. Le jeudi 26 septembre 2019 à 09:47 par Tandhruil

Bonjour Maître et très heureux de vous lire à nouveau (je n'ai pas tweeter).

Petite question à propos de l'article 10, est ce qu'il s'applique également aux propos de M. Melenchon lorsqu'il qualifie les CRS de barbares ?

6. Le jeudi 26 septembre 2019 à 10:59 par bertrouf

Commentaire à supprimer dès les deux corrections orthographiques effectuées (je ne pinaille que quand la faute m'oblige à relire la phrase pour la comprendre ; en l'occurrence j'ai tiqué).
Bisou Maître.

Il demeure, est et j'espère ne pas subir votre ire de ce chef, que dans ce genre de circonstances, il peut aisément se produire un phénomène de bouc émissaire, où, dès qu'une personne sera pointée du doigt, elle se prendra une avalanche d'opprobre et d'attaques qui en ne sont pas sans rappeler par leur disproportion les Animaux malades de la peste de La Fontaine.

7. Le jeudi 26 septembre 2019 à 11:09 par Tarod

Bonjour,

Merci pour l'explication autour de ce jugement. Je ne peux m'empêcher d'avoir une réflexion sur les motivations des juges appliquées aux femmes qui, à raison, souhaiteraient dénoncer par exemple des harcèlements qu'elles subissent :
- J'ai compris qu'en cas de contact physique, la donne changerait complètement. On est donc sur une configuration d'échanges de gestes / paroles pouvant donner lieu à harcèlement au sens juridique du terme;
- Si une femme dénonce un comportement inapproprié au travail, par exemple des propos salaces tenus en réunion, je comprends suite à vos explications qu'il faudrait une dénonciation "modérée" en termes de verbage sous le #balancetonporc, ce qui semble assez contradictoire. Ou alors, il faudrait dénoncer sans utilisation de ce hashtag, ce qui changerait la donne en termes de publicité de la dénonciation pour les victimes présumées.

Mais alors, dans ce cas de figure, cela impliquerait-il de porter une attention énorme (comme par exemple lorsqu'on veut soulever les critères d'exception de nécessité ou de légitime défense) et surtout constante dans toutes ces publications? Socialement, l'effet Kisscool serait peut-être assez dévastateur en ce que beaucoup de mékeskidis penseraient que la Justice "patriarcale" ne permet pas une libération pleine et entière de la parole sur ce genre de faits … Autant je peux bien sûr comprendre le danger de légitimer la mise en pâture publique sans fondements, autant l'équilibre à trouver me semblerait très délicat pour avoir des publications juridiquement acceptables (aujourd'hui, combien de termes juridiques se retrouvent utilisés à des sens courants différents de leur stricte interprétation légale?).

Quoiqu'il en soit, jugement très intéressant : je vais suivre l'appel (s'il a lieu) avec grand intérêt.

8. Le jeudi 26 septembre 2019 à 11:57 par Don quichotte

Cher Maître,

J'ai une question sur un point de détail, à laquelle vous trouverez peut-être le temps de répondre.

Que voulez-vous dire par : " ... la procédure civile respecte, elle, l'égalité des armes : la défense peut demander au même titre que le demandeur que son adversaire soit condamné à prendre en charge tout ou partie de ses frais d'avocat ; au pénal, c'est impossible".

Cela signifie-t-il qu'un individu émettant une citation directe pour des motifs fallacieux (ou au moins non-justifiés en droit) ne peut être condamnée à payer une partie des frais d'avocat du prévenu bénéficiant d'une relaxe ?
Cette règle me paraît assez injuste.

Merci pour cet article.

9. Le jeudi 26 septembre 2019 à 13:09 par Vinche

Merci, cher Maitre, pour ce pastiche de Robert Merle fort instructif et plaisant à lire!

10. Le jeudi 26 septembre 2019 à 13:39 par Gage

@8 : c'est effectivement ce que vous décrivez : le plaignant, au pénal, ne peut être condamné à supporter les frais de procédure s'il perd le procès. Ceci parce qu'un procès est toujours un risque : il y a de nombreuses façons de ne pas être condamné alors même que les faits ont bien eu lieu (par exemple, existence d'une infraction et existence d'une preuve ne sont pas la même chose), or le but du législateur était de ne pas décourager les victimes en leur faisant courir le risque d'être elles-mêmes condamnées (ce qui s'apparenterait à une triple peine : on a subi une infraction, l'auteur repart libre, et en plus on lui doit de l'argent).

Il existe toutefois un cas de figure où le plaignant peut être condamné à verser des dommages et intérêts à la personne attaquée : si vous portez plainte en sachant que les faits n'ont pas eu lieu, vous commettez le délit de dénonciation calomnieuse et vous vous exposez à en subir les conséquences. Notez que même dans ce cas de figure, c'est la règle générale qui s'applique. Vous ne verserez pas de dommages et intérêts parce que vous êtes le plaignant, mais parce que vous êtes vous-même l'auteur d'une infraction.

11. Le jeudi 26 septembre 2019 à 16:00 par AlainCo

Merci de cet éclairage d'utilité publique.

J'avoue que je m'intéresse plus au droit de la diffamation qu'à celui du harcèlement même s'ils sont liés (les menaces légales étant utilisées).

Quels conseils donneriez-vous, à de petits bloggeurs, twitos, au minimum polis par habitude, mais souhaitant dénoncer des comportements réels mais souvent mal qualifiés (c'est un escroc <grognement> ... enfin un scientifique qui suis une idéologie... pas un escroc... <parôle de modération>)...
Nous partirons de l'hypothèse que les faits sous-jacents sont réels, mais les interprétations imparfaites, l'expression parfois émotionnelle sans aller dans l'ordurier...
Enfin supposons aussi que l'impact matériel ne soit pas objectif (un twitos ne va pas faire tomber un journaliste).

Enfin la CEDH, sur des allégations d'intérêt général, fondées avec imperfection, mais fondées, donne t'elle une porte de sortie ?
Sinon quel est le cout typique d'une procédure de ce type, et ne vaut t'il pas mieux juste se coucher et payer, que de gagner ruiné ?

J'avoue que de mon point de vue, la procédure elle-même est une victoire du harceleur judiciaire, mais je peux me tromper.

12. Le jeudi 26 septembre 2019 à 19:55 par dab

Comment est évalué le préjudice ? 15 000 euros semble extrêmement faible, j'imagine que le préjudice réel est au moins 10 fois plus grand.

13. Le jeudi 26 septembre 2019 à 21:10 par Enzo Pelissolo

Il me semble qu'il y a un vrai problème avec "l'exception de vérité" dans le cas où le "diffameur" est la victime de ce qu'il dénonce. Dans le cas d'un journal, c'est une bonne idée que la preuve doive être produite dans les dix jours de l'assignation, car cela évite qu'un journal tente une attaque "au bluff". Mais dans le cas où la victime est le dénonciateur, il n'agit jamais "au bluff" puisqu'il sait qu'il détient la vérité.

Donc il ne devrait pas y avoir de délai maximum dans ce cas précis, l'important étant que la preuve soit apportée - ce qui est ici le cas. Qu'en pensez-vous ?

14. Le jeudi 26 septembre 2019 à 21:15 par Églantine

Je crois me rappeler une formation informatique dans laquelle on nous expliquait que le "gras" n'avait pas de sens s'agissant de la police "Times New Roman" ...

15. Le jeudi 26 septembre 2019 à 21:23 par Enzo Pelissolo

Sur le fond du jugement, tout semble tourner autour de l'assimilation qu'a faite Sandra Muller entre Harvey Weinstein (accusé de crimes) et son "harceleur", uniquement accusé de propos déplacés.

Si elle avait juste dit "cet homme m'a dit cela" sans relier l'affaire à Weinstein, elle s'en serait peut-être sortie ? (c'est une question de plus à Maître Eolas)

Mais dans les faits, cela pose la question du hashtag : placer deux affaires sous un même hashtag signifie-t-il équivalence ? C'est sur ce point qu'il me semble le cour a jugé "hâtivement". Un hashtag est "juste" une clé de regroupement, signifiant des similitudes, mais seuls les paroles dites doivent être jugées.

Car sinon, cela reviendrait à dire que si je mets le hashtag #shoah quelque part, je désigne automatiquement toute personne citée dans la suite comme responsable de la Shoah. Ce qui est aberrant, non ?

16. Le jeudi 26 septembre 2019 à 21:24 par Francois Pelissolo

Pour compléter mon précédent post, on pourrait même dire que Weinstein étant présumé innocent, elle a juste traité son propre porc d'innocent...

17. Le jeudi 26 septembre 2019 à 22:22 par hadock

L'interprétation stricte du terme "harcèlement" par le tribunal entraine une interprétation stricte de l'exception de vérité.

Je vais faire le mekeskidi, mais comment un delit peut il etre interprêté de manière non stricte ? Le droit n'est il pas censé être précis et litteral à l'excès ?

18. Le vendredi 27 septembre 2019 à 20:44 par Stephane

Le droit n'est il pas censé être précis et litteral à l'excès ?

bwahahahaahahahah et la jurisprudence ca sert a quoi a votre avis....

Tiens c'est quoi un port 'sûr' (perso, c'est un port ou le bateau va pas couler et l'equipage etripé...pas un ou y a le clud med a l'arrivee....) par exemple.

Le droit n'est ni precis ni litteral, justement pour que les riches puissent echapoper a la justice. ce sont eux qui ecrivent es lois.

19. Le samedi 28 septembre 2019 à 10:14 par Willy

C'est marrant, j'étais plutôt satisfait de la décision du tribunal, mais à lire les attendus dans le détail, je suis assez atterré. On a l'impression que le tribunal a rendu la bonne décision pour de mauvaises raisons. (évidemment "bonne décision" est mon opinion, à chacun la sienne)

Le passage sur le fait que l'exception de vérité n'est pas retenue parce que E. n'a pas été condamné pour harcèlement sexuel est ahurissant, si cette interprétation devait perdurer, et très dommageable pour de futures défenderesses qui auraient, elles, subi de véritables harcèlements.
A mon avis, en l'espèce, il n'était point besoin de dégainer cette interprétation très discutable pour constater que, non, personne n'a prétendu que le comportement ait été réitéré, donc ce n'est pas du harcèlement au sens pénal du terme...

Au passage, je ne suis pas très convaincu par le parallèle que vous dressez entre le cacagate et cette affaire, quand vous parlez de "précipitation sur Twitter" et "mauvais choix de mots". Elle a voulu faire du buzz en surfant sur l'affaire Weinstein, et pour ce faire elle a très bien choisi ses mots pour établir l'allusion.

20. Le samedi 28 septembre 2019 à 19:03 par Michel Hervé Hervé Bertaux-Navoiseau

"Ainsi, si je dis que Raoul Vilain a tué Jaurès, je le diffame : je le traite de meurtrier. Et pourtant c'est vrai, nonobstant son acquittement par les assises, puisqu'il revendiquait ce geste."

La remarque est amusante mais peu opérante car puisqu'il revendiquait son geste, il aurait été insensé de porter plainte pour dénonciation calomnieuse.

21. Le samedi 28 septembre 2019 à 20:02 par Michel Hervé Hervé Bertaux-Navoiseau

Le deuxième tweet raconte une insulte grossière subie.

Cette insulte constitue une circonstance atténuante pour l'insinuation de harcèlement.

La défenderesse devrait attaquer EB pour insulte.

Mais nous avons affaire à deux insulteurs.

Le tribunal devrait alors juger comme Salomon et dire qu'on ne rend pas le mal pour le ma(â)l(e) et que tous deux sont coupables.

22. Le lundi 30 septembre 2019 à 10:51 par Baralai

Bonjour, merci pour ce billet instructif comme toujours ! Vous est-il possible de publier le jugement ou de nous indiquer comment y accéder ? Merci d'avance

23. Le lundi 30 septembre 2019 à 16:54 par xc

@Michel Hervé Hervé Bertaux-Navoiseau (21)

On interprète généralement mal le jugement de Salomon (Premier Livre des Rois, 3, 16-28).

Rappel: 2 femmes ont accouché en même temps, dans la même maison, mais un des enfants est mort, et les deux se disputent le survivant devant le Roi Salomon. Pas de témoin. Quant à l'analyse ADN...

Salomon ordonne qu'on tranche l'enfant en deux et qu'on donne une moitié à chacune des deux femmes.

L'une d'elles approuve la décision, l'autre déclare préférer renoncer à l'enfant plutôt qu'il soit mis à mort.
Salomon reconnaît alors cette dernière comme la vraie mère et fait châtier la première.

Interprété comme il l'est souvent, ce jugement serait une injustice, privant la vraie mère de la moitié (enfin plus...) de ce à quoi elle a droit, et faisant cadeau à l'autre femme de ce à quoi elle n'a pas droit. Autrement dit, c'est une ruse pour faire émerger la vérité.

Pour l'illustration (un peu lourde) par Hollywood: https://www.youtube.com/watch?v=y_a... (http://www.allocine.fr/film/fichefi...). Activez les sous-titres avec traduction si vous pratiquez mal l'anglais (c'est mon cas).

A la réflexion, la femme qui a refusé que l'enfant soit tué était-elle bien la mère biologique ? Pas plutôt celle susceptible d'être la meilleure mère ?

24. Le mercredi 2 octobre 2019 à 13:08 par Stephane

A la réflexion, la femme qui a refusé que l'enfant soit tué était-elle bien la mère biologique ? Pas plutôt celle susceptible d'être la meilleure mère ?

Douteux. Si la vrai mere en avait pas grand chose a faire, elle aurait abandonné son gosse, surtout si elle en avait deja plein, chose plus que probable a cette epoque. En l'occurence, si elle a accouché avec une autre, et seule, c'est quelle etait pauvre.
Bref elle ne serait pas alle en justice pour le garder.
On se demande ou etaient les geniteurs, en prime....deja a l'epoque...

25. Le jeudi 3 octobre 2019 à 18:12 par xc

@Stephane (41)
Je ne comprends pas. Si elle n'avait rien à en cirer, elle ne se serait pas opposée aux prétentions de sa rivale dès la mort de l'autre enfant et jusque devant le roi, au "risque" de se voir donner raison.
Mais je cesse de polluer ce billet par ce HS.

26. Le jeudi 3 octobre 2019 à 23:18 par Stephane

Je ne comprends pas. Si elle n'avait rien à en cirer, elle ne se serait pas opposée aux prétentions de sa rivale dès la mort de l'autre enfant et jusque devant le roi,

Si elle en avait rien a cirer, l'affaire n'aurait pas existé et elle aurait laissé le gosse a l'autre femme tout de suite... C'est pourtant clair.
Que ne comprenez vous pas?

27. Le mercredi 9 octobre 2019 à 20:29 par Oldchap

Mon cher Maître,

Quel plaisir de vous (re)lire. J’attends avec impatience vos lumières sur l’usucapion allégué par M. Campion. Une belle occasion de faire du droit, de l’histoire et de l’histoire du droit au travers d’un récit dont vous avez le secret.

Un ex Confrère

Cordialement

28. Le samedi 12 octobre 2019 à 05:00 par Justesse Nulle Part

@ 7.

- Si une femme dénonce un comportement inapproprié au travail, par exemple des propos salaces tenus en réunion, je comprends suite à vos explications qu'il faudrait une dénonciation "modérée" en termes de verbage sous le #balancetonporc, ce qui semble assez contradictoire. Ou alors, il faudrait dénoncer sans utilisation de ce hashtag, ce qui changerait la donne en termes de publicité de la dénonciation pour les victimes présumées.

Le soucis vient du fait de tout mettre dans le même "panier" (#hashtag).

C'est parfait pour la viralité, mais la source d'énormément de problèmes pour la suite : cela apporte une généralisation aveugle des sujets traités, une polarisation des opinions (les plus extrêmes deviennent les plus visibles), et un effet boule-de-neige des réactions.

Quand en plus le sujet concerne des personnes précises et des infractions, on se retrouve avec la "justice" des foules, qui part dans tous les sens et va faire des "exemples" de ses accusés.

Le système de viralité et de #hashtag pousse vraiment à ça, il n'y a pas de solution viable à ce problème : il faudra un jour ou l'autre passer à d'autres systèmes de communications.

_ _ _

Pour ce qui est de l'affaire en question, le problème est l'assimilation, du fait du timing (= juste au moment où l'affaire Weinstein explose), de la phrase d'Eric B., une remarque grossière à caractère sexuel étant survenu une fois, à l'affaire Weinstein, qui comporte 14 accusations de viols et plus d'une centaine d'accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel sur une période de 30 ans, au sein de rapports hiérarchiques professionnels (Weinstein étant un riche producteur influent d'Hollywood durant toute cette période).

C'est le mélange qui gêne la chambre :
- du fait du timing, on s'attend à du Weinstein (viols et agressions répétés, par un supérieur hiérarchique influent, sur des dizaines d'années)
- du fait du premier tweet, on s'attend à un harcèlement sexuel au travail

Or ensuite le second tweet évoque... une injure à caractère sexiste, qui aurait pu constituer un harcèlement si elle avait été répétée. La distance entre les différents éléments, injure et viol, est gigantesque.

(nb : l'outrage sexiste ou sexuel n'arrive qu'en août 2018 - les deux tweets sont d'octobre 2017)

Le soucis est que le hashtag #balancetonporc, créé par ce premier tweet, implique la dénonciation du viol, un crime, et l'un des plus odieux qui soit, de personnes vulnérables du fait du rapport hiérarchique de surcroît, et cela de façon répété.
Ensuite, l'auteur du premier tweet met en ligne un second tweet, qui dénonce... une injure (du fait de son caractère unique), une contravention (qui /peut/ être traitée en correctionnelle si les caractères sexistes et publics sont retenus).

Cette assimilation de l'injure au viol a eu des conséquences immédiates, les réactions des milliers d'internautes qui ont vu ce tweet, tout comme la couverture médiatique de cette accusation publique ont été à la hauteur du message : Eric B. fait partie des porcs violeurs multi-récidivistes abusant leurs employées. Le fait qu'il ait perdu toute activité professionnelle, sociale et familiale correspond clairement à celle d'un violeur multi-récidiviste, pas celle d'un c#nn#rd ayant eu une injure sexiste en étant bourré.

Il y a quand même là un problème de proportionnalité (un élément majeur du système judiciaire français) : la punition sociale pour avoir fait cette remarque sexiste une fois, est ici la même que pour des violeurs récidivistes. La peine perd ici une part importante de son sens : elle punit uniquement le fait d'avoir été "pris" (dans le cas des réseaux sociaux, d'avoir été dénoncé par quelqu'un d'assez influent), pas la gravité du fait.

Certains pourraient y voir une forme de "justice" différente, dans le sens où cette punition sociale de masse, certes disproportionnée pour les cas pris dans leur individualité, compenserait les cas impunis et justifierait ainsi l'excédant de punition attribué à la poignée d'accusés mis sous les projecteurs.

En dehors de toute considération sur la question de l'individualité dans notre société, qui serait alors bien mise à mal, se pose quand même la question de l'efficacité et la pérennité d'un tel système.

Car que ce soit l'idée de faire des exemples sur la place publique, ou de terroriser la population (pendre le voleur de pomme, croyant ainsi faire peur aux brigands et violeurs), c'est non seulement inefficace au possible (l'histoire, comme l'étude des systèmes étrangers nous l'a appris maintes fois), mais cela fait perdre toute légitimité à cette forme de justice et empêche tout rôle éducatif/dissuasif de la peine : si une injure sexiste vaut autant de condamnation qu'une série de viols, et seulement dans 0,001% des cas, alors ni les injurieux ni les violeurs ne se sentiront concernés et adapteront leur comportement pour éviter la punition.

NB : croire pouvoir atteindre un taux important de condamnation de l'ensemble des infractions, de la plus petite à la plus grave, sans atteindre massivement aux droits et libertés et sans asseoir un pouvoir totalitaire, est illusoire : si on coupe la langue à tous les injurieux, nous allons rapidement tous parler la langue des signes (jusqu'à ce qu'on coupe la main des injurieux à présents muets). Tout progrès passera par un ensemble de mesures en nuance et degrés, la brutalité judiciaire ne résoudra rien. Voilà pourquoi la proportionnalité a son rôle à jouer : le sentiment d'une réponse effective et grandissante de la société à ses déviances pousserait à minimiser ses écarts, plutôt qu'à espérer ne pas être pris.

Et auquel s'ajoute le calcul de celui qui se sait condamné (si pris) : si le risque ne change pas selon que l'on ait commis une petite ou une grosse infraction, pourquoi se limiter à la petite ? Pourquoi ne pas maximiser le profit de son illégalité, en chargeant au maximum la mule, vu que la facture sera la même à la fin ? La proportionnalité de la peine met justement un terme à ce calcul, en rendant bien plus profitable la légalité ou faible illégalité, pour celui qui cherche les limites d'un système judiciaire.

_ _ _

Pour en revenir au sujet du #hastag, il me semble que le problème réside dans la perte des détails et du sens dans le processus de viralité sur les réseaux sociaux : pour maximiser l'impact et la visibilité d'un message, on résume tout à un seul #hashtag et aux infos les plus chocs, mais au final toute la nuance et la teneur du propos disparaît.

Si le but recherché est la libération de la parole de milliers de victimes sur les réseaux sociaux, il faudrait soit mettre de côté la viralité choc (= la mise en avant massive des cas extrêmes) - chose impossible vu que plus ça choque, mieux ça se répand, qu'on le veuille ou non - soit compartimenter les #hashtags pour ne pas grouper les viols avec les outrages, les meurtres avec les insultes - mais outre le fait que cela va réduire l'impact global du message, l'intérêt d'utiliser un #hashtag plus fort que les faits allégués est évidente : qui va faire attention aux signalements de "simples" insultes sexistes, alors que d'autres personnes signalent des viols et des agressions ? On ne peut pas attendre des victimes qu'elles se refusent des moyens supplémentaires de dénoncer ce qu'elles ont subis : la modération doit venir du système pas des individus.

On commence à voir des idées de plateformes et systèmes qui pourraient répondre à ces questions complexes et difficiles, pour organiser l'après "réseaux sociaux basés sur la viralité algorithmique", mais cela reste encore du conceptuel et hypothétique : pour le moment nos sociétés vont continuer de subir les conséquences néfastes de cette génération de réseaux sociaux viraux, qui attisent les extrémismes et empêchent les mouvements de prise de conscience d'atteindre un niveau d'organisation permettant d'atteindre leurs buts.

Au final, je crois bien que cet objectif de libération est impossible à réaliser sur les réseaux sociaux tels qu'ils sont conçus et rentabilisés actuellement. Le salut de la parole des victimes de harcèlement, d'agressions, et de viols viendra d'ailleurs.
The revolution will not be retweeted.

29. Le samedi 12 octobre 2019 à 05:42 par Justesse Nulle Part

@ 11.

Quels conseils donneriez-vous, à de petits bloggeurs, twitos, au minimum polis par habitude, mais souhaitant dénoncer des comportements réels mais souvent mal qualifiés (c'est un escroc <grognement> ... enfin un scientifique qui suis une idéologie... pas un escroc... <parôle de modération>)... Nous partirons de l'hypothèse que les faits sous-jacents sont réels, mais les interprétations imparfaites, l'expression parfois émotionnelle sans aller dans l'ordurier...

N'étant ni Maître, ni maître, je n'aurais que de maigres conseils de citoyen-à-citoyen à partager :

  • Aller bûcher les quelques définitions et pages officielles (exemple) sur la diffamation, l'insulte, etc, pour avoir les grandes lignes.
  • Vraiment étudier la question en particulier quand il s'agit de crimes ou de délits graves, particulièrement lorsqu'il s'agit de porter atteinte à l'intégrité physique de la personne. Exemple : Monsieur Grognon est agressif et violent verbalement dans ses interventions - je ne vais pas pour autant l'accuser de battre sa femme ou ses enfants, du moins sans avoir longuement fait une enquête et trouvé des éléments à charge (condamnations précédentes, témoignages, etc).

De toute évidence, accuser quelqu'un de violences, de meurtre ou de viol, ou de harcèlement sexuel, fait partie du top 10. De même pour le financement illégal / les emplois fictifs pour les politiques : ce genre d'accusation peut plomber la carrière politique d'une personne, que ce soit vrai u faux. Idem pour les accusations d'erreur médicale pour les médecins/infirmiers/praticiens : la simple suspicion de cette faute professionnelle peut détruire la vie professionnelle de la personne visée. Ou encore les accusations de rapports inappropriés pour le personnel encadrant dans les structures accueillant des enfants : la simple accusation est largement assez pour faire appliquer la peine sociale, avant toute enquête ou signalement.

Pour l'exemple du scientifique, je pense qu'on peut parler d'escroc si le contexte du message va bien indiquer qu'il s'agit d'une dénonciation d'un biais idéologique dans la production ou la présentation des résultats de recherche. Si la personne a également une activité commerciale, et que la dénonciation (et son contexte) n'indique pas que cela concerne l'aspect scientifique des activités de celle-ci, dans ce cas cela pourrait injustement porter atteinte à ses affaires et constituer un préjudice.

Le mieux serait bien évidemment de développer le propos et de ne pas tweeter des messages qui pris individuellement ou hors contexte pourrait porter une accusation bien plus grave ou plus générale sur la personne. Généralement, il vaut mieux dénoncer des agissements, les actions, les propos précis, que les qualités intrinsèques de la personne - parler "d'escroquerie scientifique" vis à vis de ses publications/déclarations, plutôt que "d'escroc" en parlant de la personne, même si dans les deux cas son nom apparaît, la nature du message est différente (à mon avis).

PS : ce n'est qu'une interprétation personnelle, restez prudents !

Enfin supposons aussi que l'impact matériel ne soit pas objectif (un twitos ne va pas faire tomber un journaliste)

Détrompez-vous ! L'effet boule-de-neige par la viralité algorithmique peut tout à fait transformer un simple tweet en un déferlement de réactions, hashtags et articles, et durablement affecter la vie de l'intéressé(e). Il ne faut pas croire, ou prétendre, que ses publications sur les réseaux sociaux et les blogs vont rester d'ordre privé ou de portée négligeable simplement parce que vous n'êtes pas un auteur connu.

30. Le samedi 12 octobre 2019 à 07:01 par Justesse Nulle Part

@ 13.

Il me semble qu'il y a un vrai problème avec "l'exception de vérité" dans le cas où le "diffameur" est la victime de ce qu'il dénonce. Dans le cas d'un journal, c'est une bonne idée que la preuve doive être produite dans les dix jours de l'assignation, car cela évite qu'un journal tente une attaque "au bluff". Mais dans le cas où la victime est le dénonciateur, il n'agit jamais "au bluff" puisqu'il sait qu'il détient la vérité. Donc il ne devrait pas y avoir de délai maximum dans ce cas précis, l'important étant que la preuve soit apportée - ce qui est ici le cas. Qu'en pensez-vous ?

Ce n'est pas pour autant que cette vérité sera celle de sa dénonciation.

Cela va dépendre de ce qui est recherché par le dénonciateur, qui n'est pas "naturellement" et toujours parfaitement honnête et transparent sur ses intentions.

Il faut se libérer d'une vision manichéenne des conflits entre les individus, c'est bien souvent plus complexe et nuancé qu'une histoire de gentils et de méchants. Des gentils vont avoir de bonnes raisons d'omettre des éléments ou de transformer la vérité, et des méchants vont avoir des raisons légitimes d'avoir agit d'une certaine façon : tout l'art du jugement va résider dans l'équilibre entre les textes de loi, leur esprit, la jurisprudence, mais aussi une petite dose de moralité, de légitimité, de droits universels.

S'il était simple de juger les individus, nous n'aurions pas besoin d'autant de lois, de droits et de magistrat(e)s. Même si certaines personnes ne voient pas ce que ces éléments et fonctions apportent à la société, leur contribution à un environnement plus juste et plus stable est certain, même si difficilement perceptible au quotidien.

_ _ _

Si le dénoncé ne peut pas compter sur un délai court pour l'exception de vérité, je peux très bien faire subir à ce dernier toute la condamnation sociale et professionnelle de l'accusation, sans que celui-ci ne puisse demander à ses collègues, proches et amis, d'attendre le court délai de cette exception de vérité, avant de le condamner définitivement.

Si j'ai plusieurs semaines, plusieurs mois, ou années pour finalement prouver mon propos, alors une diffamation portant sur des éléments faux/partiellement faux vaudra tout à fait le coup, l'effet recherché de condamnation extra-judiciaire persistante aura été obtenu.

Si je suis condamné pour diffamation plusieurs années plus tard après les faits, la personne accusée aura de toute façon perdu son emploi, sa carrière pro, ses amis, sa famille, ses enfants, son conjoint, sa santé mentale, tandis que j'aurais seulement une petite amende à payer.

_ _ _

Bien évidemment, dans le cas d'un dénonciateur parfaitement honnête et transparent, cette histoire de délai est injuste : si j'ai subi un préjudice, je devrais pouvoir le dénoncer aussitôt que possible, et d'avoir le temps nécessaire pour rassembler les éléments me permettant de le prouver, même si cela prend des années.

Mais si on prend le problème du côté du dénoncé, non seulement celui-ci subit la condamnation immédiate de l'accusation ("pas de fumée sans feu"), mais en plus ce dernier n'aura aucun moyen de temporiser un minimum cette condamnation sociale/professionnelle avant l'arrivée de la condamnation judiciaire (si celle-ci doit avoir lieu) : la présomption d'innocence n'existera pas, car une fois l'accusation faite en public, le défendeur ne sera jamais libéré de celle-ci y compris par la voie judiciaire, car son action en diffamation n'aboutira jamais (ou beaucoup trop tard).

L'intérêt de la diffamation (concept juridique) et de l'exception de vérité est aussi de permettre au dénoncé de se libérer d'une accusation publique (et non judiciaire) dommageable, si le contenu de celle-ci ne peut pas être prouvé (ou raisonnablement déduite d'une enquête de bonne foi, etc). Le jugement a alors une fonction symbolique : le dénoncé peut le citer, le communiquer au public, afin d'atténuer la condamnation sociale résultant de l'accusation publique initiale.

_ _ _

C'est pour ça qu'on parle d'exception, on ne refuse au dénoncé ce jugement symbolique permettant de partiellement réduire le préjudice subi (qui doit être établi par le demandeur, c'est pas automatique) que si les faits avancés se trouvent être véridiques, autrement le dénoncé a droit à cet outil de réparation.

Là encore, on se base sur la présomption d'innocence : le dénoncé subissant la condamnation sociale est de base innocent, et de la sorte il est une victime de cette condamnation hâtive qui est pour le moment injustifiée (par une décision de justice ou la vérité établie).

C'est pourquoi on recherche sa culpabilité (par l'établissement rapide de la vérité) pour savoir s'il faut maintenir cette condamnation préventive ou non. On ne va pas indéfiniment le condamner sans avoir apporté les preuves de sa culpabilité, tout comme on ne peut pas indéfiniment garder en détention quelqu'un sans jugement.

nb : c'est mon interprétation personnelle de la chose

31. Le dimanche 13 octobre 2019 à 08:05 par xc

@Stephane (26)
Ne pas s'opposer aux prétentions de sa rivale dès la mort de l'autre enfant et laisser le gosse a (sic) l'autre femme tout de suite, c'est la même chose dite de façons différentes.

32. Le dimanche 13 octobre 2019 à 17:30 par Stephane

Ne pas s'opposer aux prétentions de sa rivale dès la mort de l'autre enfant et laisser le gosse a (sic) l'autre femme tout de suite, c'est la même chose dite de façons différentes.

Bon, on va reprendre: que ne comprenez vous pas dans:

"A la réflexion, la femme qui a refusé que l'enfant soit tué était-elle bien la mère biologique ?"

Parce que c'est a ca que je repondais... (raison pour laquelle c'est en citation). Hypothese que je trouve pus que farfelue, pour les raisons que je donne.

33. Le mercredi 16 octobre 2019 à 21:14 par Joël

@13, Enzo. "Qu'en pensez-vous?" Il me semble que c'est très bien argumenté, et parfaitement convaincant.

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