Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Ce que je retiens de la période agitée que vit la magistrature

Par un magistrat, ancien juge d'instance, ancien parquetier, ancien juge des libertés et de la détention, appelé aujourd'hui à d'autres fonctions judiciaires


Le suicide d'un mineur en prison c'est d'abord et avant tout un épouvantable drame. L'ordonnance du 2 février 1945[1] que ne nous dit-elle pas, en préambule que «La France n'est pas assez riche d'enfants pour que l'on ne se donne pas tous les moyens d'en faire des êtres sains. »

Si nous traitons dans nos prisons des mineurs de telle sorte qu'ils croient n'avoir pour seul recours que le suicide, quels adultes aurons-nous ?

Le suicide de près de 100 personnes, majeurs et mineurs, en prison depuis le début de l'année est d'abord et avant tout un épouvantable drame.

Si nos prisons sont des lieux d'inhumanité, comment peut-il en ressortir des être sains?

Nous pouvons nous interroger et nous indigner sur les épouvantables conditions d'incarcération en France, mais puisque les prisons sont pleines des gens que nous y envoyons, cela nous renvoie forcément à notre responsabilité de magistrat, pour la part qui nous incombe: la lourde tâche de juger. Avons-nous fait ce qu'il nous était possible de faire ? Avons-nous écouté ? Avons-nous compris ? Et surtout, surtout, avons-nous cédé à l'air du temps ? nous sommes nous laissé aller à choisir avec facilité la voie toute tracée du tout-répressif qui nous est désignée par l'opinion publique et maintenant ses représentants.

N'avons-nous pas oublié que la passion, la vengeance, l'automaticité sont incompatibles avec la justice ?

Avant, pendant les "émeutes de 2005", et depuis, poussés par le durcissement ambiant, et la dénonciation du supposé laxisme, la peur d'aller à contre-courant, n'avons-nous pas cédé à la tentation de faire des exemples, ce qui se fait toujours au détriment d'un individu particulier, privé de justice ?

Ce que je retiens de la période agitée que vit la magistrature ? Garde-toi de te laisser aller à vouloir plaire à quiconque, ferme tes oreilles à ce que te hurle ou sussure l'air du temps, ne te laisse pas impressionner par l'agitation, les rodomontades, les déclarations de principes, la "politique pénale", les pressions réelles ou supposées de l'entourage. Sois un digne et loyal magistrat, et pour cela reste fermement libre.

Notes

[1] Il s'agit du texte régissant l'enfance délinquante, règles de procédure et sanctions spécifiques. Contrairement à ce que sa date peut laisser entendre, et sur quoi joue abondamment l'actuel Garde des Sceaux, ce texte n'a pas 63 ans. Il a été souvent (très souvent ces derniers temps) réformé et il ne reste plus grand chose du texte originel, si ce n'est le principe de la priorité faite à l'éducatif sur le répressif, la méthode inverse ayant été expérimentée dans les décennies d'avant-guerre (et avec une toute autre brutalité), avec des résultats désastreux. Ces multiples réformes sans suivi ont des conséquences regrettables sur la clarté et la cohérence du texte. NdEolas.

Commentaires

1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 12:21 par ceriselibertaire

Eolas m'avais prévenu de la présence de texte si ce n'est libertaire à tout le moins humaniste. 96 pages c'est long aussi je lis par mots clés. le mot suicide apparait dans beaucoup de texte (le mot banlieu n'est jamais utilisé par exemple)

Est-ce que le mot doute est beaucoup utilisé. Par vous il l'est. En tant que citoyen je partage votre doute. Que veut-on comme société ? Une société qui prévoit d'emblée une forte population carcérale de jeunes plus violents, moins équilibrés, moins polis que la moyenne. C'est l'ensemble de la population qui est responsable de la politique pénale.

2. Le samedi 25 octobre 2008 à 02:37 par Vox Populi

Par respect pour votre profession, je parcours les commentaires 1 à 1, quelque fusse leur nombre.

Certes le suicide des mineurs en prison est un drame.

Mais comment peut-on en faire des être sains
- Dans un monde ou toute valeur s'étiole au profit de l'argent
- Dans un monde ou la corruption ne se couvre même plus
- Dans un monde en période de transition et d'incertitude économique, morale, religieuse, sociale...

Les êtres sains n'existent pas. Il n'existe que des gens conscients de leur folie, de leur déviances / perversions, et les autres, ceux qui cherchent à être normaux en des temps dépourvus de normes.

Si ceux-là se perdent, tant pis s'il se suicident, ils doivent être mis à l'écart. Sélection naturelle. C'est cruel mais le monde fonctionne comme cela depuis la nuit des temps.

Je ne suis pas inhumain, mais je vois les choses telles qu'elles sont.


Tout cela pour vous dire que je pense qu'il y a de bonnes raisons de mettre un humain en prison, a fortiori un mineur, et qu'il ne faut pas vous reprocher le suicide du condamné.

C'est le système qui tue ces détenus, pas le juge. C'est le meurtrier qui tue sa victime, pas son arme.

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