Ce que je retiens de la période agitée que vit la magistrature
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 02:27 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par un magistrat, ancien juge d'instance, ancien parquetier, ancien juge des libertés et de la détention, appelé aujourd'hui à d'autres fonctions judiciaires
Le suicide d'un mineur en prison c'est d'abord et avant tout un épouvantable drame. L'ordonnance du 2 février 1945[1] que ne nous dit-elle pas, en préambule que «La France n'est pas assez riche d'enfants pour que l'on ne se donne pas tous les moyens d'en faire des êtres sains. »
Si nous traitons dans nos prisons des mineurs de telle sorte qu'ils croient n'avoir pour seul recours que le suicide, quels adultes aurons-nous ?
Le suicide de près de 100 personnes, majeurs et mineurs, en prison depuis le début de l'année est d'abord et avant tout un épouvantable drame.
Si nos prisons sont des lieux d'inhumanité, comment peut-il en ressortir des être sains?
Nous pouvons nous interroger et nous indigner sur les épouvantables conditions d'incarcération en France, mais puisque les prisons sont pleines des gens que nous y envoyons, cela nous renvoie forcément à notre responsabilité de magistrat, pour la part qui nous incombe: la lourde tâche de juger. Avons-nous fait ce qu'il nous était possible de faire ? Avons-nous écouté ? Avons-nous compris ? Et surtout, surtout, avons-nous cédé à l'air du temps ? nous sommes nous laissé aller à choisir avec facilité la voie toute tracée du tout-répressif qui nous est désignée par l'opinion publique et maintenant ses représentants.
N'avons-nous pas oublié que la passion, la vengeance, l'automaticité sont incompatibles avec la justice ?
Avant, pendant les "émeutes de 2005", et depuis, poussés par le durcissement ambiant, et la dénonciation du supposé laxisme, la peur d'aller à contre-courant, n'avons-nous pas cédé à la tentation de faire des exemples, ce qui se fait toujours au détriment d'un individu particulier, privé de justice ?
Ce que je retiens de la période agitée que vit la magistrature ? Garde-toi de te laisser aller à vouloir plaire à quiconque, ferme tes oreilles à ce que te hurle ou sussure l'air du temps, ne te laisse pas impressionner par l'agitation, les rodomontades, les déclarations de principes, la "politique pénale", les pressions réelles ou supposées de l'entourage. Sois un digne et loyal magistrat, et pour cela reste fermement libre.
Notes
[1] Il s'agit du texte régissant l'enfance délinquante, règles de procédure et sanctions spécifiques. Contrairement à ce que sa date peut laisser entendre, et sur quoi joue abondamment l'actuel Garde des Sceaux, ce texte n'a pas 63 ans. Il a été souvent (très souvent ces derniers temps) réformé et il ne reste plus grand chose du texte originel, si ce n'est le principe de la priorité faite à l'éducatif sur le répressif, la méthode inverse ayant été expérimentée dans les décennies d'avant-guerre (et avec une toute autre brutalité), avec des résultats désastreux. Ces multiples réformes sans suivi ont des conséquences regrettables sur la clarté et la cohérence du texte. NdEolas.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 12:21 par ceriselibertaire
2. Le samedi 25 octobre 2008 à 02:37 par Vox Populi