La relaxe de Georges Frêche, ou de l'intérêt de citer ses sources
Par Eolas le mardi 26 août 2008 à 10:04 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Cette règle est d'or, et ne vaut pas que pour les journalistes, le parquet de Montpellier vient d'en faire la dure expérience.
Rappelons les faits
L'inénarrable Georges Frêche, ex-[1]maire de Montpellier et gouverneur de Septimanie président du Conseil Régional de Languedoc Roussillon, avait, lors des émeutes de novembre 2005, insinué publiquement que des policiers pourraient être les auteurs des incendies de voiture, ajoutant que cette ruse aurait déjà été utilisée en mai 1968 afin de provoquer une réaction conservatrice, qui serait favorable au ministre de l'intérieur d'alors, qui aspirait à de plus hautes fonctions.
Ledit ministre n'apprécia pas et porta plainte pour diffamation envers une administration publique, plainte qui est la condition sine qua non pour que des poursuites puissent être engagées en matière de diffamation envers une administration : c'est l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881.
Incisons
Une incise ici : en matière de diffamation et d'injure, s'agissant de délits commis par voie de presse et portant atteinte à l'honneur de la personne, les règles sont dérogatoires au droit commun : le parquet ne peut engager de lui-même les poursuites, il faut une plainte préalable de la victime ou, s'agissant d'une administration, du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève (la police nationale relève du ministre de l'intérieur). Le retrait de cette plainte met fin aux poursuites. Ce n'est pas le cas pour les autres délits de droit commun : par exemple, le retrait, assez fréquent, de la plainte de la victime de violences conjugales ne met pas fin aux poursuites.
Reprenons
Le parquet, eu égard à la qualité de la personne concernée, a choisi la voie de l'instruction. Il a saisi un juge d'instruction de monter le dossier, l'acte saisissant le juge s'appelant un réquisitoire introductif. Cet acte, très simple, est fondamental, car il délimite les faits dont est saisi le juge qui, hors de ces faits, n'a aucun pouvoir, sauf à ce que le parquet les lui élargisse par un réquisitoire supplétif. S'il agi hors de sa saisine, c'est la nullité, avec des conséquences désopilantes.
Or le réquisitoire introductif demandait au juge de bien vouloir instruire sur les propos suivants :
« je me demande si ce ne sont pas des flics qui mettent le feu aux bagnoles ».
Fatalitas. Le prévenu avait en réalité tenu précisément ce langage, rapportés par le quotidien Midi Libre :
« je ne suis pas sûr que, dans les villes parisiennes où ils ont incendié des voitures, que ce soient des musulmans qui le font ; ça serait des flics déguisés en musulmans..., que ça ne m'étonnerait pas ».
Le juge d'instruction ayant établi que ces derniers propos avaient été tenus et fleuraient bon la diffamation envers une administration, avait renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel.
Devant le tribunal, le tribun prévenu avait argué que l'instruction avait porté sur des propos qu'il n'avait pas tenus et que nul acte de poursuite n'était intervenu sur les propos qu'il avait réellement tenu dans les trois mois ayant suivi, entraînant la prescription de l'action publique.
Argutie ? Non point, car la loi est formelle :
Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l'application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite.
Loi du 29 juillet 1881, article 50.
Le tribunal correctionnel de Montpellier relaxa donc le flamboyant édile. Le parquet, amateur de vieilles pierres, invita le premier magistrat à la cour d'appel sise quelques rues plus loin, voir s'ils pensaient de même.
L'esprit des lois contre la lettre des propos
Ce qui ne fut point le cas : le 11 septembre 2007, la cour d'appel de Montpellier estima qu'il n'était pas nécessaire que le réquisitoire reproduise littéralement le discours incriminé, dès lors qu'il permet au prévenu de connaître exactement les faits qui lui sont reprochés ; ajoutant que l'expression « Je me demande si ce ne sont pas des flics qui mettent le feu aux bagnoles » est, en substance, identique, à celle revendiquée par le prévenu ; ils en déduisirent que l'objet de la prévention était exactement déterminé par les mentions du réquisitoire, de telle sorte que l'intéressé pouvait utilement préparer sa défense, et en conséquence, déclara le bouillant Frêche coupable et le condamna à 1.500 euros d'amende.
Sautant dans le premier TGV, notre élu qui n'aime pas plus les policiers que les harkis qui manifestent à Palavas, se précipita Quai de l'Horloge pour crier famine chez la cour de cassation.
Qui lui fit bon accueil, en cassant le 17 juin 2008 l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier en rappelant fermement que
en matière de diffamation envers une administration publique, l'action publique est mise en mouvement, sur la plainte du ministre, par le réquisitoire introductif qui, lorsqu'il répond aux exigences de l'article 50 précité, fixe irrévocablement la nature et l'étendue de la poursuite ; que les juges ne peuvent statuer sur d'autres propos que ceux qui sont articulés par l'acte initial de la poursuite ;
(…)
en [se] prononçant sur des propos autres que ceux articulés dans l'acte initial de la poursuite, les juges ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.
La cassation a lieu sans renvoi, puisque plus rien ne restait à juger : l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel a les effets d'une relaxe.
Cet arrêt est conforme à la jurisprudence ancienne de la cour de cassation sur ce point. Pas de passe-droit pour Georges Frêche, mais au contraire, application de la loi sans jugement porté sur la validité de ses propos.
J'ignore la cause de la bourde du parquet ; probablement s'agissait-il d'une simple reprise des propos cités dans la plainte, auquel cas l'erreur est venue de la Place Beauvau, ce qui ne dispensait pas le parquet de s'assurer de la teneur réelle des propos, eu égard aux règles très rigoureuses en matière de presse.
Il demeure que je suis admiratif de la capacité de Georges Frêche à passer entre les gouttes. Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces, mais quand en prime, il vous donne des leçons de ballet, on ne peut qu'être admiratif et se dire qu'il faut arrêter d'abuser des métaphores animalières.
Notes
[1] Mes excuses à mes premiers lecteurs, M. Frêche n'est plus maire depuis 2004 ; que le temps passe vite quand on s'amuse.
Commentaires
1. Le mardi 26 août 2008 à 10:33 par Pax Romana
2. Le mardi 26 août 2008 à 10:41 par aliocha
3. Le mardi 26 août 2008 à 10:58 par boratkehul
4. Le mardi 26 août 2008 à 11:08 par torchon
5. Le mardi 26 août 2008 à 11:15 par Macha
6. Le mardi 26 août 2008 à 11:26 par Nilshar
7. Le mardi 26 août 2008 à 11:37 par Kagou
8. Le mardi 26 août 2008 à 11:38 par Séb
9. Le mardi 26 août 2008 à 11:40 par Yves D
10. Le mardi 26 août 2008 à 11:40 par Dadouche
11. Le mardi 26 août 2008 à 11:41 par patere legem
12. Le mardi 26 août 2008 à 11:50 par v_atekor
13. Le mardi 26 août 2008 à 11:53 par v_atekor
14. Le mardi 26 août 2008 à 11:55 par aliocha
15. Le mardi 26 août 2008 à 12:01 par Paralegal
16. Le mardi 26 août 2008 à 12:11 par NonoK
17. Le mardi 26 août 2008 à 12:18 par Rideau
18. Le mardi 26 août 2008 à 12:21 par GPS
19. Le mardi 26 août 2008 à 12:21 par PMB
20. Le mardi 26 août 2008 à 12:23 par PMB
21. Le mardi 26 août 2008 à 12:39 par François-Noël
22. Le mardi 26 août 2008 à 13:01 par Paralegal
23. Le mardi 26 août 2008 à 13:27 par salah
24. Le mardi 26 août 2008 à 13:47 par grumlee
25. Le mardi 26 août 2008 à 13:52 par loscar
26. Le mardi 26 août 2008 à 13:57 par Le Petit Nicolas (mais en Plus Grand)
27. Le mardi 26 août 2008 à 14:06 par Therion
28. Le mardi 26 août 2008 à 14:10 par boratkehul
29. Le mardi 26 août 2008 à 15:14 par Sartorius
30. Le mardi 26 août 2008 à 15:26 par Billevesée
31. Le mardi 26 août 2008 à 18:14 par sdr
32. Le mardi 26 août 2008 à 21:20 par Arsene
33. Le mercredi 27 août 2008 à 01:49 par D.
34. Le mercredi 27 août 2008 à 05:34 par Adrien
35. Le mercredi 27 août 2008 à 10:53 par IceCream
36. Le mercredi 27 août 2008 à 20:22 par mourkos
37. Le jeudi 28 août 2008 à 12:39 par Me Lou Clapas
38. Le vendredi 29 août 2008 à 22:57 par Bill Gates
39. Le dimanche 31 août 2008 à 00:36 par Bruno
40. Le dimanche 31 août 2008 à 15:29 par Nic La Peau Lisse
41. Le dimanche 31 août 2008 à 15:31 par Nic La Peau Lisse
42. Le mardi 2 septembre 2008 à 18:24 par DM
43. Le mercredi 3 septembre 2008 à 10:06 par DM
44. Le vendredi 12 septembre 2008 à 13:17 par Frastealb