Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 21 juillet 2008

Affaire R.M. c/ Allemagne : la loi allemande sur la rétention de sûreté devant la cour européenne des droits de l'homme

Par Fantômette


Le 1er juillet dernier s’est tenue devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme une audience qui devrait intéresser au plus haut point aussi bien les partisans que les opposants à la loi sur la rétention de sûreté, dont vous trouverez des commentaires notamment ici, et .

Il est inévitable que la loi française soit tôt ou tard déférée devant la cour européenne des droits de l’homme. La décision du conseil constitutionnel, que l’on qualifiera aimablement ici de décision « en demi-teinte », a réussi à laisser insatisfaits aussi bien les inévitables piliers de comptoir les partisans d’une réponse ferme - et si possible définitive - au problème de la récidive, que les amis des assassins les partisans d’une réponse pénale plus mesurée.

La loi allemande présente suffisamment de similitudes avec la loi sur la rétention de sûreté pour laisser penser que la décision à venir, quelle qu’elle soit, offrira d’intéressants arguments aux deux camps en présence, et ceci très rapidement, les juridictions nationales se référant depuis fort longtemps, tant aux principes posés par la convention européenne des droits de l'homme, qu'à la jurisprudence de la cour.

Comment se présentait l’affaire en l’espèce ?

RM a été condamné par le tribunal régional de Marburg en 1986, pour tentative de meurtre et vol, à une peine de 5 ans d’emprisonnement.

Son parcours laisse penser qu’il a toujours présenté d’importants troubles psychiques, puisqu’il alterne depuis sa majorité pénale séjours en prison et séjours en hôpital psychiatrique[1].

En plus de sa peine d’emprisonnement, le tribunal a également ordonné le placement du condamné en "détention de sûreté", placement jugé nécessaire au vu de la "forte propension du requérant à commettre des infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique"[2].

C’est ce fameux "placement en détention de sûreté", qui évoque grandement notre propre mesure de "rétention de sûreté".

Le droit pénal allemand connaît, comme le droit pénal français, la distinction classique entre les peines (Strafen) et les mesures de sûreté (Maßregeln der Besserung und Sicherung). L’objectif de ces mesures est double, et vise aussi bien à la réhabilitation du condamné, qu’à préserver l’ordre public, en écartant les personnes dangereuses.

La mesure de détention de sûreté, qui se rajoute à la peine d’emprisonnement mais ne s’y confond pas, fait naturellement partie des mesures de sûreté.

Le droit pénal allemand prévoit que la durée de cette mesure de détention doit être proportionnelle à la gravité des infractions commises ou susceptibles d’être à nouveau commises (sic), comme à la dangerosité du condamné. Précisons enfin qu’à la date de la condamnation du requérant, le maximum légal d’une détention de sûreté ne pouvait excéder 10 ans.

En 1991, après avoir purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement, le condamné commence sa détention de sûreté, et en 2001, dix ans plus tard, donc, il saisit la Cour Régionale de Marburg d’une demande de libération.

Sa demande est rejetée.

Le coeur de cette affaire relève en effet d'un problème d’application de la loi dans le temps, qui n’est pas sans rappeler celui posé par la loi française sur la rétention de sûreté.

Par une loi du 26 janvier 1998, entrée en vigueur le 31 janvier 1998[3], une réforme a supprimé le maximum légal d’une détention de sûreté, détention qui, non seulement peut désormais excéder 10 ans, mais pourra même désormais ne jamais prendre fin.

Désormais, au bout de dix années de détention, la cour[4] ne met fin à cette mesure que s’il n’y a plus de risque que le détenu commette des infractions, provoquant de graves préjudices physiques ou moraux à d’éventuelles victimes [5].

Le détenu relève désormais de ces dispositions, qui lui ont été déclarées immédiatement applicables, malgré le fait que tant les faits que sa condamnation étaient largement antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. L’argumentation des juridictions allemandes, similaire à l’argumentation du conseil constitutionnel, consiste à opérer la traditionnelle distinction entre peine et mesure de sûreté, réservant au seul bénéfice des premières l’application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, qui ont toutes rejeté ses arguments, le 24 mai 2004[6] RM a saisi la cour européenne des droits de l’homme.

Il fonde son recours sur les deux points suivants, dont nous attendrons avec impatience qu’ils soient soigneusement examinés par la cour de Strasbourg :

  • L’article 5.a de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf ...s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;"

  • Et l’article 7.1 de cette même convention :

"Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise."

Ci-dessous, pour ceux, dont je fais partie, qui n’ont jamais assisté à une audience devant la cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales : Mesdames et Messieurs, chers lecteurs, amis magistrats, et chers confrères, levez-vous…

La Cour !

L’affaire a été mise en délibéré. Aucune date n’a pour le moment été communiquée, à ma connaissance, pour la publication de l’arrêt sur le site.

Il faut préciser que depuis que le requérant a saisi la Cour, il a pu bénéficier d'une mesure de libération, son état psychatrique ayant évolué positivement selon les experts. La libération est assortie de mesures de contrôle.


PS : le nom du requérant figure en toute lettre à de multiples endroits sur le site de la cour européenne, et il est maintes fois cité dans les débats. Néanmoins, le Conseil de celui-ci a formellement requis que la Cour veuille bien ne publier l'arrêt à venir qu'en préservant l'anonymat de son client. L'arrêt pourrait être un arrêt de principe - en fait, il devrait être un arrêt de principe. Il fera probablement l'objet d'une large publicité, laquelle ne pourrait qu'être préjudiciable à RM, et nuire à ses perspectives de réinsertion. La Cour n'a évidemment pas tranché sur cette demande. J'ai pris le parti dans le billet de prendre néanmoins les devants, et de ne me référer au requérant que par le biais de ses initiales. Je vous remercie de bien vouloir vous en tenir à cette règle en commentaires.

Notes

[1] C’est d’ailleurs alors qu’il était encore suivi dans le cadre d’un séjour en HP qu’il a tenté de commettre un homicide volontaire sur une bénévole de l’établissement.

[2] oui, je sais. C’est rédigé ainsi dans le résumé des faits publiés sur le site de la CEDH.

[3] Alors donc que le condamné purge son temps de détention de sûreté

[4] dont il semble qu’elle soit automatiquement saisie à l’expiration de ce délai, si j’interprète correctement l’article 67.D-3 du code pénal allemand.

[5] La traduction officielle anglaise présente sur le site est la suivante : the court shall declare the measure terminated if there is no danger that the detainee will, owing to his criminal tendencies, commit serious offences resulting in considerable psychological or physical harm to the victims…

[6] oui, je sais, c’est un peu long. D’aucun se gausseront de voir la cour européenne condamner très régulièrement le France – et bien d’autres Etats – pour le délai déraisonnable dans lequel certaines affaires sont jugées. Il est permis de déplorer que la cour elle-même ne puisse mettre ses affaires en état plus rapidement, sans pour autant admettre que les juridictions nationales en fassent autant.

samedi 12 juillet 2008

Ton juriste en tongs à la plage

Par Dadouche



C'est l'été. Calendairement parlant en tout cas, parce que du point de vue météorologique, ça peut se discuter.
Pour certains, c'est donc les vacances. Et l'occasion de se plonger sans vergogne dans les romans de plage. Chacun place ce qu'il veut dans cette catégorie, mais pour beaucoup, cela peut se résumer en "ouvrages qui tiennent dans une poche, qui distraient, que l'on peut délaisser le temps d'un baignade sans perdre le fil du récit".
Bien sûr, pour d'autres, c'est les oeuvres complètes d'Eolas reliées pleine peau de Troll, mais après tout les psychopathes aussi ont droit à des vacances.
Les romans policiers, et particulièrement ceux de la collection Grands Détectives chez 10/18, rentrent assurément dans ma définition personnelle du roman qu'on lit toute l'année à la plage, à la montagne, au coin du feu ou dans un bain plein de bulles.
Hors sujet sur ce blog de juristes obsédés me direz-vous ? Non : certains de ces héros ne sont ni détective, ni psychanalyste, ni libraire, ni colporteur, ni moine herboriste, ni journaliste/héritier ou marchand d'art. Ils sont juristes.

Le premier, par ordre d'apparition éditoriale chez 10/18, est le très chinois Juge Ti, héros de Robert Van Gulik.
Jen-Tsie TI a véritablement vécu de 630 à 700, sous la dynastie T'ang. On découvre dans les romans, outre la société chinoise de l'époque, la fonction de magistrat (qui tient à la fois du juge, du commissaire de police et du préfet), et un système judiciaire fondé sur l'aveu, forcément obtenu sous la torture, et où la personnalisation de la peine tient souvent dans le choix du mode d'exécution.

Soeur Fidelma de Kildare, créée par Peter Tremayne est une contemporaine irlandaise du Juge Ti.
Religieuse de l'Eglise celtique d'Irlande, elle est surtout dálaigh, avocate de haut rang des anciennes cours de justice d'Irlande, formée pendant de nombreuses années aux subtilités de la loi des brehons, codifiée au Vème siècle.
Souvent accompagnée de Frère Eadulf, moine saxon lui même ancien gerefa (juge), Fidelma parcourt au gré de ses aventures l'Irlande mais aussi les royaumes gallois, poussant même jusqu'à Rome, résolvant au passage enquêtes criminelles et crises diplomatiques. Le système judidique décrit est notamment très protecteur des femmes, tout comme l'Eglise à laquelle appartient Fidelma, qui mit plusieurs siècles à se plier aux standards romains.
Les curieux anglophones peuvent cliquer ici pour en découvrir davantage...

C'est au Ier siècle (après JC), sous le règne de Vespasien, que se situent les enquêtes de Marcus Aper, avocat romain d'origine gauloise, un des héros du Dialogue des orateurs de Tacite, ressuscité par Anne de Leseleuc.
La civilisation gallo-romaine expliquée au (plutôt jeune) lecteur, dans l'un des berceaux de l'éloquence et de la rhétorique judiciaire.

Un juge aveugle peut être un visionnaire. C'est ce que prouve Sir John Fielding, magistrate au tribunal de Bow Street au XVIII ème siècle. Les fictions de Bruce Alexander retracent les avancées que ce personnage bien réel, qui avait succédé à son demi-frère le romancier et magistrate Henry Fielding, a permises dans les techniques judiciaires. On lui doit un embryon de police judiciaire avec les Bow Street Runners, qui ne se contentent plus d'appréhender contre prime les suspects désignés par les victimes, mais sont salariés du tribunal et procèdent à des investigations. Il faisait publier dans la presse des descriptions de criminels recherchés et d'objets volés, annonçait ses audiences pour susciter des témoignages et s'est comporté comme un juge d'instruction, actif dans la recherche de la vérité, davantage que comme le magistrate traditionnel, simple récipiendaire des déclarations des victimes.
Pour plus d'éléments historiques, il y a cet article en anglais, mais les romans retracent bien cette démarche, ainsi que sa conviction que la lutte contre la délinquance passait, outre l'efficacité policière, par l'éducation et la lutte contre les inégalités.

Si le rabbin est un figure essentielle de la vie juive et une autorité religieuse en tant que ministre du culte, ce titre était anciennement délivré aux érudits jugés aptes à enseigner la Loi aux profanes et à siéger au sein du Beth Din, tribunal jugeant selon la loi religieuse. Et c'est bien en cette qualité d'érudit juriste, formé aux subtilités du pilpoul, forme de logique talmudique, que le Rabbin David Small, créé par Harry Kemelman, s'attache à exercer ses fonctions au sein de la communauté juive conservatrice de Barnard's Crossing (Massachussets) à partir des années 60, même si ses ouailles attendent souvent de lui un peu plus de sens politique. Ses dialogues (fréquents, compte tenu de sa propension à se trouver mêlé à des affaires criminelles de diverse importance) avec le catholique chef de la police Lanigan sont le prétexte à de passionnantes explications sur la religion juive, décrite davantage comme une éthique de vie qu'une affaire de foi.

Voilà donc quelques juristes devenus enquêteurs, par leurs fonctions ou par la force des choses, et propices au bronzage. Quand on vous dit que le droit est partout...
Il y en a probablement beaucoup d'autres, chez d'autres éditeurs, n'hésitez pas à les signaler...

mardi 1 juillet 2008

Les Mules

Les palais de justice en voient défiler, des marginaux, des inadapatés, des abîmés de la vie, des irrécupérables, des qui n'ont pas de chance, des épaves, des perdants, des exclus, des victimes de la grande loterie de la vie.

Je crois que le bas de cette sinistre échelle des cocus sublimes de l'humanité est occupé par les mules. Tomber sur l'une d'entre elles au hasard des commissions d'office est une déprime garantie.

Une mule, c'est un passeur de drogue. Tous ont plus ou moins le même profil : ils viennent souvent d'un petit village, d'un coin perdu de la campagne ou de la jungle, parfois même d'un patelin ne figurant sur aucune carte et d'où ils ne sont jamais sortis. Ce sont, sans aucun sens péjoratif, des paysans.

Un jour, parce qu'ils ont la peau bien blanche, baragouinent quelques mots d'anglais ou de français, et parce qu'ils ont un grand besoin d'argent, des traficants de drogue vont les trouver. On ne décline pas une promesse d'embauche de ces gens là sans en payer le prix ; et de toutes façons, la mule a besoin d'argent. Cible idéale : les parents de jeunes enfants, la mère qui vient d'accoucher et rêve que son fils soit avocat ou médecin, ou le père qui veut assumer son rôle traditionnel d'apporteur de richesse, ou mieux : d'un enfant gravement malade.

Et on les charge de drogue, d'où le terme de mule. Pendant longtemps, ils ingurgitaient la drogue dans des petites poches. Au début, il y a eu des ratés, et des morts par overdose quand un pochon se déchirait, ou par occlusion intestinale. Maintenant que la police connaît le coup (il y a même un appareil de radiographie à Roissy, il me semble), la méthode semble en net recul, au profit des miracles de la chimie : on mélange la drogue à un produit qui en modifie la consistance et l'odeur, comme une plaque de plastique, puis à l'arrivée, un chimiste sépare les molécules, récupère la drogue, avec des reliquats de ces produits parfois toxiques qui iront redécorer les sinus des noceurs parisiens du quartier où les rues portent des noms de rois.

Mais les patrons des mules ne sont pas des enfants de cœur. Parfois, ils refusent de payer la mule, sauf si elle fait un deuxième voyage de retour (l'ecstasy s'exporte bien), au risque renouvelé de se faire prendre. Parfois aussi, on retrouve la mule dans un hôtel, éventrée, la came sortie du ventre par un patron qui n'avait visiblement pas envie de payer ni d'attendre.

Beaucoup de ces mules ne passent pas les mailles du filet. Il faut dire qu'on les repère de loin : des paysans sortis de la pampa, qui ont un passeport tout neuf, un billet aller-retour dans la semaine, qui font des trajets improbables dans toute l'Europe en quelques jours. Autant leur mettre un gyrophare sur la tête. Parfois, ils sont donnés par leur propre patron, histoire de faire diversion pour leur deuxième mule, plus discrète et plus chargée dans le même avion.

Et les voilà devant nous, au local de garde à vue du commissariat ou d'entretien avant présentation au juge d'instruction, assommés de désespoir, et c'est à nous et à l'interprète de leur donner les mauvaises nouvelles. Une seule question les habite : quand sortiront-ils ? On leur donne une durée indicative, tenant compte de la durée prévisible de l'instruction et de la quantité saisie. Généralement, ça tourne autour de trois ans ferme, avec interdiction définitive du territoire (et de tout l'esapce Schengen par la même occasion) à la sortie. On voit dans leurs yeux qui se plissent qu'ils font un laborieux calcul mental pour savoir quel âge aura leur enfant quand ils le reverront. Quand ils ont trouvé, c'est le silence, et ils s'affaissent un peu.

Je me souviens de cette jeune sud-américaine de 19 ans, qui avait accouché d'une petite fille trois mois avant de partir, en état de choc, incapable de dire autre chose que “¡ Mi bebé, mi bebé, quiero mi bebé ![1], alors que sa petite fille saurait marcher avant qu'elle ne la revoie. Il y a des jours où on voudrait ne pas parler espagnol.

Ou de cet orpailleur brésilien, qu'on aurait pu prendre pour mon père tellement son visage était usé et ridé, alors qu'il était né six mois avant moi, qui avait empoisonné son plus jeune fils pendant la grossesse de sa mère avec le mercure qu'il utilisait pour amalgamer l'or, et qui, pour soigner les reins mourants de son petit (qui avait quatre ans), avait accepté de convoyer une valise avec deux kilos de cocaïne dans la doublure. Quand je lui ai dit « trois ans », il a compris ce que ça impliquait pour son enfant. Après ça, quand on sort du palais, on file chez soi serrer les siens dans ses bras. Les clients laisseront des messages.

Je me souviens qu'il avait appris un peu de français avec les gendarmes, sur le site de Kourou, en Guyane, où il avait travaillé comme maçon. Il épatait les gendarmes d'escorte en s'adressant à chacun en utilisant le grade correct.

Les débats devant le juge des libertés et de la détention ont lieu dans une ambiance pesante. On reste en chambre du conseil, le huis clos est systématiquement accordé pour les besoins de l'enquête. La détention est inévitable (très grosses quantités de drogue, contexte de réseau organisé, pas de domicile en France, risque de fuite, la totale de l'article 144), et ni le procureur ni le juge des libertés et de la détention, ni l'avocat ne sont dupes, sachant que c'est un sous-lampiste qui va partir en prison pour de longs mois, voire des années. Mais que faire ?

C'est encore pire quand on devine à la lecture du dossier que c'était une mule sacrifiée par diversion (quand son trajet lui faisait traverser en train toutes les gares d'Europe les plus surveillées par les douanes, par exemple). Ça, on le garde pour nous. Ils pensent toucher le fond du désespoir, inutile de leur révéler qu'ils peuvent encore descendre plus bas.

Notes

[1] « Mon bébé ! Mon bébé ! Je veux mon bébé ! »

lundi 30 juin 2008

Affaire de la dénonciation : l'analyse des professionnels

L'ANAS, Association Nationale des Assistants de Services Sociaux, publie sur son site une analyse juridique fort intéressante et accessible de cette affaire : contexte juridique, ce que pouvait faire l'assistante, etc. Très utiles pour les travailleurs sociaux qui se demanderaient quelles sont leurs marges de manœuvre exacte. Avec l'autorisation de l'auteur, j'en reprends l'intégralité ici, le site de l'ANAS n'étant pas un blog, il ne permet pas les commentaires.

Comme d'habitude, le point de vue exprimé après cette ligne n'engage que son auteur.


Dénonciation d'un sans-papiers : Décryptage d'un cas heureusement isolé

L'affaire de Besançon provoque des réactions massives sur différents blogs. On constate une série d'interrogations et affirmations marquées par des confusions importantes. Plusieurs d'entre elles intéressent autant les professionnels de service social que le grand public. Nous les reprenons donc, en nous appuyant sur les éléments du PV mis en ligne.

Des précisions importantes sur le cadre

Le cadre de la mission est celui d'une « AEMO judiciaire », prévue par les articles 375 et suivants du Code Civil. L'article 375-2 précise que « ''Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement.'' »

Le service dans lequel exerce cette professionnelle est une association de sauvegarde de l'enfance, donc un service de droit privé. Cette assistante sociale est tenue au secret professionnel par profession (art. L.411-3 du Code de l'Action Sociale et des Familles).

L'intervention de cette professionnelle est bien située dans le cadre de la protection de l'enfance, sous mandat judiciaire confié à son service par le Juge des enfants. Si elle ne peut opposer le secret professionnel à ce dernier, il lui est interdit de transmettre à un tiers extérieur des informations sur tout renseignement protégé par le secret professionnel, soit « ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice de son exercice professionnel » (Crim.19/12/1995).

► Des éclaircissements nécessaires

« Quelle valeur a ce PV ? »

Un Procès Verbal n'est pas un document anodin. Il est un élément essentiel d'une procédure judiciaire, qui acte et fige les propos tenus à un moment dans une affaire. De plus, ces propos ne sont pas écrits par le déclarant mais par un officier de police judiciaire. Le style, la rédaction et les mots choisis le sont par lui. Il est donc important de relire et faire modifier toute formulation ou description qui ne correspondrait pas à la réalité.

De plus, ce PV a été réalisé à sa demande par l'assistante sociale et non sur la volonté des services de police. Nous savons que dans ce dernier, le contexte peut être très différent. Ainsi, dans l'affaire dîte « de Belfort », une assistante sociale avait été confrontée à une pression importante qui aurait pu la mener à faire des déclarations dictées par la tension vécue. Il n'en fut rien. Dans l'affaire de Besançon, difficile de dire que ces mots ont été dictés sous la pression. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse qu'ils reflètent de façon fidèle sinon exacte les propos tenus.

Enfin, sur la valeur du document, il convient de savoir que l'agence France Presse a attendu d'en visualiser la copie originale avant de rédiger une dépêche.

« Une dénonciation, n'est-ce pas comme un signalement ? »

Rappelons que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance « réserve le terme de signalement à la saisine du procureur de la République. Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d'un enfant en danger qui nécessite une protection judiciaire. »1

Un signalement porte sur une situation dans laquelle un enfant est en risque de danger ou en danger. Ce risque de danger ou danger est évalué et argumenté à partir de faits, analyses et hypothèses aboutissant à une proposition. Ce sont ces éléments qui sont transmis au Juge ou au Procureur, conformément aux textes légaux touchant à la protection de l'enfance et au secret professionnel (art. 226-14 du Code Pénal).

Le seul cas où il peut y avoir une saisine directe des forces de police, c'est lorsqu'il y a péril (article 223-6 du Code Pénal). Un péril est caractérisé par une atteinte imminente, constante et grave à la santé voire à la vie d'une personne.

En reprenant le PV, il apparaît que :
- La professionnelle a eu connaissance des informations dont elle fait part dans le cadre de son exercice professionnel ;
- Les faits énoncés ne montrent pas un danger pour les personnes : la phrase « De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions » ne suffit pas à démontrer qu'il y a danger en l'état. Paradoxalement, elle tendrait à signifier que tout acte de dénonciation de la situation en génèrerait. Il n'est affirmé aucune pression ou violence sur la mère ou les enfants. De même, lorsqu'il est affirmé « Je l'ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j'interviens, tout en l'informant qu'il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation financière et familiale fragile. », il n'est fait mention d'aucune volonté de départ exprimée par la mère. Rappelons que cet homme est le demi-frère de Madame B. Enfin, une « situation financière et familiale fragile » n'est pas suffisante pour constituer une situation de péril ou de danger.

A partir de ces éléments, il apparait bien que l'acte effectué constitue une dénonciation d'une personne sans-papiers et non un signalement ayant trait à la protection de l'enfance. Si cette professionnelle avait évalué que la présence de cet homme constituait un fait générateur de risque pour les enfants, elle devait en référer uniquement au Juge des enfants ayant ordonné la mesure d'AEMO.

« Quelle responsabilité de la hiérarchie de cette professionnelle ? »

C'est une des grandes questions de cette affaire. La professionnelle a-t-elle agit de sa propre initiative sans en référer à sa hiérarchie ou, au contraire, c'est avec l'accord, voire à la demande, de sa hiérarchie qu'elle s'est rendue au commissariat ? Nous en saurons sans doute plus dans quelques temps. Mais n'oublions pas que le professionnel reste pénalement le seul responsable en cas de violation du secret professionnel. Le rôle de sa hiérarchie ou de ses pairs n'est qu'un élément du contexte ayant amené au délit. Nous réaffirmons l'importance que les professionnels ne restent pas seuls surtout lorsqu'il s'agit de déposer dans le cadre d'une enquête ou devant un tribunal. Les encadrements intermédiaires doivent pouvoir être soutien lorsque le témoignage est légitime et légal, et « garde-fou » lorsque des passages à l'acte répréhensibles sont envisagés.

« Quelle autre possibilité avait-elle ? »

Il faut d'abord définir le problème : si la famille concernée par l'AEMO accueillait cet homme volontairement, il devient un des acteurs du système avec lequel le travailleur social exerçant la mesure doit faire. Nous ne choisissons pas ceux qui peuvent ou pas vivre en interaction avec la famille. Cela relève du choix des personnes et les assistants sociaux n'ont pas à abuser de leur pouvoir pour imposer telle présence ou telle absence. Même si certaines personnes peuvent nous interpeller nous ne pouvons laisser notre sentiment personnel prendre le dessus. C'est une des bases du positionnement professionnel, l'application du principe éthique de non-jugement.

Si la situation et les comportements de cet homme constituaient un risque pour les enfants ou leur mère (donc indirectement les enfants), et si un travail avec la mère ne pouvait modifier le contexte, la saisine de l'autorité judiciaire pouvait se faire. Comme nous l'avons vu, les éléments du PV ne vont pas dans ce sens.

En clair, le rôle des assistants de service social, qu'ils exercent en AEMO ou ailleurs n'est pas de dénoncer une personne sans-papiers, quand bien même elle est contraire à ce que nous souhaiterions.

« Et pourquoi les ASS ne dénonceraient-elles pas les sans-papiers ? »

Les assistants de service social interviennent dans des situations variées, avec des publics très différents dont certains sont en situation irrégulière ou sont en contact avec des personnes en situation irrégulière. Il s'agit qu'ils puissent travailler avec ces personnes afin de faire évoluer une situation a minima vers une vie décente. Par exemple, lorsqu'une femme en situation de séjour irrégulier est victime de violences conjugales, il faut qu'elle puisse trouver de l'aide. Les assistants de service social de secteur sont par exemple des interlocuteurs de premier plan : en les rencontrant, les victimes peuvent trouver de l'aide sans se mettre dans une situation qui constitue pour elles une autre forme de danger. De même, une mère peut venir parler sans risque de la consommation de drogue de son fils sans que cela débouche sur une intervention policière. Si le secret professionnel permet de protéger des informations privées et le plus souvent légales, il est la condition pour que se disent des situations d'irrégularité. C'est à partir de la réalité de la situation que peuvent se co-construire des solutions. Ce travail se double d'une mise en perspective des risques à court, moyen et long terme de la situation. C'est une des étapes pour modifier une situation et faire en sorte que la société soit protégée. En effet, si la mère ne peut parler des passages à l'acte délictueux de son fils, jusqu'où la dérive ira-t-elle ? Quelle souffrance pour l'enfant, sa mère et des potentielles victimes des passages à l'acte ? Quel coût pour la société ? Même chose pour une femme victime de violence : plus elle restera dans cette situation, plus elle risque d'en sortir détruite. C'est le fait de parler à un professionnel soumis au secret qui est une condition de la résolution de la situation de danger. Ne nous y trompons pas : si les assistants de service social dénonçaient les « sans-papiers », ils ne tarderaient pas à ne plus en voir du tout, et les personnes sauraient très facilement masquer ces situations. La précarité des conditions d'existence de ces personnes s'en trouverait accrue, au risque de l'ensemble de la société : qui pourrait en sortir gagnant ?

« Quelle confiance entre la famille et l'assistante sociale ? »

C'est un des risques entrainé par cette situation. Comment cette assistante sociale pourrait demain travailler avec la confiance de la mère et des enfants dont elle a dénoncé le demi-frère et l'oncle ? Plus largement, comment avoir confiance en une professionnelle si les familles se demandent si, en sortant de l'entretien, cette professionnelle ne va pas aller tout raconter au commissariat ? Cette dénonciation résout peut-être le problème de la professionnelle, mais la défiance qu'elle risque de renforcer auprès des familles concernées par des mesures d'assistance éducative ne va pas aider les autres professionnels à soutenir les enfants et parents qu'ils rencontrent.

« L'ANAS devait-elle réagir aussi fort ? »

Si le principe de confraternité est un des devoirs établis dans le code de déontologie de la profession, l'ANAS ne pouvait rester silencieuse au regard des éléments de cette affaire. Nous soutenons les collègues qui font vivre au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles, les valeurs du travail social. Ce fut le cas par exemple lors de l'affaire de Belfort. On ne peut défendre le secret professionnel et l'invoquer quand cela nous arrange, pour le rompre lorsque cela nous convient. De plus, cette affaire intervient alors que les professionnels du secteur se sont mobilisés depuis plusieurs années pour dire l'importance du secret professionnel. De même, la question du secret et de la situation d'une personne sans-papiers a permis de préciser il y a quelques mois comment concilier les situations de secret et de témoignages. Enfin, le Conseil Supérieur du Travail Social vient de produire un avis sur la question.

L'ANAS ne pouvait donc se taire. Les membres de l'association sont aussi confrontés aux réalités difficiles, nous savons la complexité des conditions de travail au quotidien, la solitude des travailleurs sociaux dans des situations de tension et les responsabilités qu'ils prennent dans des cadres parfois flous. Sur la question du secret professionnel, auquel nous sommes soumis par profession, nous devons être vigilants.

C'est cet objectif que nous visons à travers notre réaction. Et que chacun sache qu'en voyant une assistante sociale, il peut éprouver de la confiance plutôt que de la crainte.

Laurent PUECH
Président de l'ANAS

samedi 7 juin 2008

A trop vouloir bien faire...

Par Gascogne


Je n'ai jamais été un grand adepte de la théorie du complot. Tout au plus mon pessimisme naturel me fait-il voir le mal là où il n'est pas forcément. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'à tout le moins, à vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler.

M. WARSMANN, député UMP fort au fait de la chose judiciaire, a introduit dans le texte soumis au parlement, dans le cadre de la réforme des institutions, un amendement visant à modifier l'article 11 de ce texte. Cet amendement a été adopté.

En voici la teneur : « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. »

Comme son nom l'indique si bien, l'exposé de la motivation de cet amendement est plus que sommaire : « Trop souvent, les textes de loi adoptés par le Parlement ont une portée rétroactive. Ceci ne facilite ni la sécurité juridique ni la stabilité de notre droit. Il convient donc ici de reprendre la proposition formulée par le « comité Balladur » en érigeant en principe constitutionnel la non-rétroactivité de la loi. »

D'un point de vue législatif, c'est l'article 2 du Code Civil qui pose le principe : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. »

Le Code Pénal n'est pas en reste et prévoit les principes d'application de la loi pénale dans le temps dans ses articles 112-1 à 112-4.

Le droit conventionnel prévoit également le principe général de la non rétroactivité des lois pénales, notamment la convention européenne des droits de l'homme, dans son article 7.

Inscrire dans la constitution, norme supérieure, le principe de non rétroactivité de la loi n'est donc pas en soi choquant. Même le grand Jean Carbonnier dans son introduction au droit civil indiquait que le législateur pouvait bien défaire se qu'il s'était imposé par le biais de la loi. Le problème est que l'ouvrage de Carbonnier date de 1955, avant la mise en place du Conseil Constitutionnel dans le cadre de la constitution de 1958.

Et si l'on s'en réfère à de récentes décisions dudit Conseil, Le principe de non rétroactivité de la loi pénale a une valeur constitutionnelle. Quel est donc dés lors l'intérêt de l'amendement Warsmann ?

Peut-être tient-il dans la formulation de cet amendement, qui est tout sauf neutre (« Sauf motif déterminant d'intérêt général... »), le droit étant, on le sait bien, la science des exceptions.

Comme on a pu l'entendre encore et encore depuis quelques temps, l'intérêt des victimes ne serait-il pas justement un « motif déterminant d'intérêt général » ?

Une loi comme celle sur la rétention de sûreté ne pourrait-elle ainsi devenir rétroactive ?

Et, ce que le rapport Lamanda ne pouvait faire, le législateur constitutionnel n'est-il pas en train d'y parvenir, sans trop de bruit ?

Je ne fais bien entendu que me poser des questions. Mais je crains d'en connaître les réponses.

mardi 3 juin 2008

Eolas sur France Info

Je suis invité sur France Info tout à l'heure à 18h45 pour un débat sur le fameux mariage annulé. Pour ceux qui ne connaissent pas le nouveau ton de France Info depuis la rentrée, les débats se veulent courts et polémiques.

J'ignore pour le moment quel sera mon contradicteur censé dire pis que pendre sur ce jugement. Si vous aimez le droit contre le bon sens, vous allez être servis.

Si vous avez des réactions, observations, questions, les commentaires sont à vous.

Mise à jour : mon contradicteur sera Madame Aurélie Filipetti, député SRC de la 8e circonscription de Moselle.

Le blog d'Aurélie Filipetti.


Bon, debriefing. Je m'attendais un peu à ce résultat, en moins pire, peut-être (c'est mon inébranlable foi dans l'homme)

Le “débat” médiatique n'a rien à voir avec le débat judiciaire. Le premier singe le second. La galanterie et la politesse qui veulent qu'on laisse parler son adversaire sont clairement des handicaps dans le premier, et l'ignorance du droit, un atout.

Mais je chicane sans doute : j'applique la loi, le député ne fait que la voter.

Difficile de réagir sous un tel déluge de sottises, avec tout le respect que je dois à madame le député. Tromperie sur la marchandise (qui insulte les femmes, là ?), clauses abusives (femmes, forfait millenium, même combat), parallèle sordide avec l'excision (qui est un crime passible de la cour d'assises dont les victimes sont de jeunes enfants et l'auteur leurs propres parents), et cerise sur le gâteau : la Convention européenne des droits de l'homme invoquée pour refuser la liberté de conscience (protégée par l'article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) et dire qu'on ne peut laisser dire des choses en République (comment ça, liberté d'expression, article 10 de la convention ?).

Je crois que ce qui m'agace le plus, au-delà de la démagogie du propos, est qu'au nom de la défense des femmes, on sacrifie une femme. Elle est débarrassée d'un mariage dont elle ne veut plus, elle en est soulagée ? Peu importe. On va la remarier ; pour le droit des femmes. Les féministes prêtes à sacrifier toutes les femmes une par une pour la Cause commettent pour moi le crime de Haute Trahison.

Hop, l'émission pour ceux qui veulent ré-écouter :

(Merci MsieurDams)


Mise à jour 23h30 : Une réflexion qui vient de me venir. oui, un peu tardivement, je sais, mais qui peut expliquer le fait que Catherine Pottier ne m'ait posé que des questions fermées et ait volontiers repris la parole. Un incident m'est revenu en mémoire.

Alors que j'ai été contacté en début d'après midi par l'assistant de Catherine Pottier et que rendez-vous avait été pris, quand je l'ai eu au téléphone pour la préparation technique, il m'a demandé de lui confirmer que j'étais bien avocat. Ce que j'ai fait. Il m'a alors demandé si je voulais bien donner mon nom. Ce que j'ai fait. Merci soulagé, et c'était presque l'heure du débat.

Je me demande dans quelle mesure Catherine Pottier n'a pas découvert à la dernière minute que l'un de ses invités était en fait un anonyme bloguant comme avocat, et qu'il allait passer en direct sans qu'on ait vérifié son sérieux, et que ça ne lui plaisait pas. Je la comprendrais tout à fait, surtout avec les récentes affaires Delarue et Elkabach. Elle réagirait en journaliste en vérifiant ses sources. D'où sa présentation : «maitre Eolas qui se présente comme avocat au barreau de Paris» ; le fait qu'elle ne me pose que des questions fermées (Combien de recours en annulation ? Est-ce le rôle du juge de statuer là dessus ? Faut-il légiférer ?) qui évitent de m'inviter à donner une opinion, de peur que je sois un farfelu, alors qu'en plus en face elle a une personne nommée, connue, et légitime (élue du peuple ET porte-parole du groupe SRC) - la tolérance n'étant pas une exigence à ce niveau.

Si tel est le cas, comment lui en vouloir ? Elle n'aurait pas été professionnelle si elle n'avait pas été prudente.

mardi 22 avril 2008

Affaires Fuzz et autres, réplique à Adscriptor

Dans un long billet, Jean-Marie Le Ray répond à mon billet “Affaires Fuzz, Dicodunet, lespipoles et autres : et si le juge avait raison ?

Je ne pensais pas pouvoir y répondre rapidement vu sa longueur, mais en fait, il s'avère que la partie argumentative, au demeurant intéressante, peut se résumer aisément, le reste n'étant que des scories atrabilaires contre le droit, accusé d'être contraire au “bon sens”, comprendre celui de Jean-Marie Le Ray, ou votre serviteur, accusé de n'être qu'un valet dudit droit. L'auteur me pardonnera de passer rapidement sur ces paragraphes qui n'ont d'autre intérêt que lui permettre de passer ses nerfs, et lui conseiller amicalement de se relire et élaguer la prochaine fois avant de poster, par respect pour son lectorat et surtout son interlocuteur, faute de quoi ce dialogue risque de terminer prématurément[1].

L'auteur de ce billet exprime son vif désaccord avec les décisions Olivier Martinez. J'espère ne pas trahir son argumentation en la reprenant ainsi.

À titre préliminaire, il reprend à son compte l'analogie funeste du kiosque à journaux, me reprochant de ne pas y répondre. En fait, j'y ai répondu en commentaire, et Narvic aussi de son côté. Je vais y répondre une dernière fois et rapidement parce que cette analogie, comme la plupart des analogies, est une perte de temps. Un kiosque à journaux est un édicule sur la voie publique qui vend des journaux. Pour y lire un journal, il faut acheter un exemplaire dont on devient propriétaire. Il n'y a pas de journaux gratuits en kiosques, ils sont distribués ailleurs, dans des présentoirs dans le métro et dans les boutiques. Car un kiosque à journaux fait partie d'un réseau de distribution qui n'inclut pas les gratuits. Le kiosquier n'a aucune liberté sur les journaux qu'il propose à la vente. Il doit vendre la presse d'extrême droite comme d'extrême gauche, la presse por-nographique comme la Vie du Rail. Cette absence de liberté l'exonère de sa responsabilité, c'est la loi, sauf s'il distribue des revues ne mentionnant ni directeur de publication, ni auteur, ni imprimeur. Enfin, en raison de leur différence de nature, la presse relève d'une loi spéciale, la loi du 29 juillet 1881, tandis que l'internet relève de la LCEN. J'ajoute dans la série des évidences invisibles au “bon sens” que les quotidiens sont retires du kiosque chaque jour, les hebdomadaires chaque semaine, et les mensuels chaque mois, tandis que sur internet, rien ne s'oublie, et que l'intégralité des numéros du Journal d'un avocat®, quatre ans de mépris et de morgue garantis sans un gramme de bon sens, est toujours disponible d'un simple clic dans la colonne de droite. L'analogie aurait quelque pertinence si on pouvait se servir gratuitement dans les kiosques à journaux, qui conserveraient en plus en réserve des exemplaires de tous les numéros qu'ils aient jamais détenus (ce qui suppose des kiosques de la taille de la bibliothèque nationale), le réseau de distribution espérant se rentabiliser uniquement par la publicité affichée sur les édicules. Vous voyez qu'on en est loin.

Donc, cette analogie n'est pas pertinente, et s'obstiner à comparer des situations sans rapport revient à changer les données du problème, donc renforce la confusion.

J'espère (sans trop y croire hélas) que nous en avons fini avec elle. En tout cas, je refuse de perdre mon temps à continuer à expliquer à des professionnels de l'internet la différence entre un site web et un kiosque à journaux. Surtout, mais là, cher Jean-Marie, vous l'avez cherché, quand vous écrivez plus loin dans le même billet, pour contester mon affirmation que la loi sur la presse de 1881 s'est bien adaptée à la radio puis à la télévision :

…qu'Internet n'a rien à voir ni avec la radio, ni avec la télévision ! Parce qu'Internet n'a rien à voir avec tout ce qui a précédé ... Internet.

Sauf avec les kiosques à journaux, le lecteur aura rectifié de lui-même.

Redevenons donc sérieux.

Le postulat de Jean-Marie Le Ray est que les sites comme Fuzz, Wikio, et je suppose, bien qu'ils ne soient pas cités, dicodunet et lespipoles, devraient être irresponsables de ce qu'ils publient car ils n'ont aucun degré de liberté sur leur contenu.

À l'appui de cette affirmation qui a de quoi surprendre, l'auteur explique que le contenu est composé d'infos au sens large, qui apparaissent soit en automatique via un flux RSS (Wikio, lespipoles, dicodunet) soit manuellement par les utilisateurs (Fuzz). Cette info peut être le titre seul, le titre accompagné d'une courte présentation ou l'intégralité de l'article, peu importe.

Cette apparition étant indépendante de la volonté de la personne qui exploite le site, elle exclurait sa responsabilité. Certes, reconnaît tout de même Jean-Marie Le Ray, il y a bien volonté en amont de s'abonner à tel flux, mais en aval, il est matériellement impossible d'en surveiller le contenu : Wikio invoque par exemple 4 millions d'articles indexés par mois. Cette impossibilité matérielle devrait aboutir à une impossibilité juridique d'engager la responsabilité des sites concernés, sauf à condamner à terme les sites d'agrégation, et, ce qui semble être pire encore pour l'auteur, “aller dans un sens totalement opposé à l'évolution d'internet”. Pour l'auteur, en conclusion, le “choix éditorial” est le choix, en amont, d'indexer tel flux, qui, s'il n'est pas illicite par sa nature, ne saurait engager la responsabilité de celui qui le reprend à raison d'un contenu ponctuel qui, lui, serait illicite. Quant à Fuzz, puisque l'éditeur du site ne peut supprimer a priori un lien qui est mis en ligne par un tiers,cela imposerait une validation préalable qui serait une tâche considérable ; et encore est-il douteux qu'en lisant qu'Olivier Martini et Kellé Mignone sont toujours amoureux et ont été vus ensemble à Paris, Éric Dupin aurait immédiatement compris qu'il s'agissait d'une atteinte à leur vie privée.

Je passe sur le reste du billet qui selon Pierre Chappaz, fondateur de Wikio, « fait honneur au web », où on apprend entre autres que son auteur « n'ose même plus aller pisser sans consulter d'abord le Code civil. Des fois que ça porterait atteinte à quelqu'un sans [qu'il ne] le sache'' ». Des fois, quand on lit ça, on se dit qu'expliquer le droit, c'est miction impossible.

Là où le raisonnement de Jean-Marie Le Ray est erroné est qu'il n'accepte que l'hypothèse d'une responsabilité immédiate, conséquence directe d'une faute, toute autre hypothèse étant invalidée comme “contraire au bon sens”, ce qui est un peu léger dans un débat qui, ne lui en déplaise, est essentiellement juridique. Selon Jean-Marie Ray, seule la personne ayant publié une information illicite comme résultat d'un acte volontaire (donc soit le site qui rédige l'original de l'article soit l'usager qui le reprend sur Fuzz) seraient responsable de son contenu. Tous ceux qui reprendraient la nouvelle mécaniquement (Wikio) ou offriraient à quiconque les moyens de la faire figurer sur leur site (Fuzz) seraient irresponsables car ils n'auraient pas commis de faute ; tout au plus auraient-ils fait encourir le risque à des victimes de contenus illicites de donner une chambre d'écho à ces contenus, sans qu'on puisse les en blâmer parce qu'ils ne sont au courant de rien. Le triomphe de l'autruche, en somme.

Le droit, qui, comme l'internet, cher Jean-Marie, s'écrit toujours avec une minuscule, admet depuis longtemps des hypothèses de responsabilité pour faute indirecte, pour faute de négligence, voire sans faute : tout le droit de l'indemnisation des accidents de la circulation repose sur un système excluant la recherche d'une faute. Et cela fait 23 ans que ça marche. Il en va de même depuis 110 ans pour la responsabilité du fait des choses (arrêt Teffaine, 1897), sans oublier la responsabilité du commettant du fait des préposés (de l'employeur pour les dommages causés par ses salariés dans l'exercice de leurs fonctions, si vous préférez), des parents du fait de leur enfant, etc. Bref, en matière civile, on peut être responsable sans nécessairement être fautif (il n'en va pas de même au pénal, mais les affaires Wikio, Fuzz et autres sont exclusivement civiles), dès lors que l'on cause un dommage.

Et c'est précisément ce que dit la loi en matière d'atteinte à la vie privée. Cette loi, l'article 9 du Code civil, prévoit que la publication d'une information portant atteinte à la vie privée cause nécessairement un dommage qui doit être réparé. Et aucune acrobatie intellectuelle sur la nature d'un flux RSS ne peut faire croire que cette information n'a pas été publiée sur Fuzz ou sur Wikio. De même que l'argument de Jean-Marie Le Ray qui croit avoir découvert que cette information ne portait pas en réalité atteinte à la vie privée des intéressés est une torsion brutale de la raison. Une relation sentimentale, comme sa fin ou sa reprise, relève de la vie privée. C'est du bon sens, pourtant.

L'informatique permet aujourd'hui des reprises d'information instantanées qui font qu'une info publiée sur un site peut être reprise en quelques minutes à des centaines d'exemplaire, et en quelques heures, à des milliers. Il y a même des outils pour surveiller ces phénomènes. Et les sites en cause, Fuzz, Wikio, lespipoles, dicodunet, se proposent d'offrir aux internautes un aperçu de ce dont on parle le plus, sous entendu : pas besoin de cavaler sur tous les sites d'actualité ou autres, vous trouverez ce dont on parle chez nous, classé par catégories.

Une de ces infos peut être illicite, porter atteinte à la vie privée, et sa publication causer un préjudice à qui en est victime. Sa reprise sur des centaines de site, fût-elle automatique, participe à ce préjudice. Chaque reprise aggrave ce préjudice. C'est une chose que le Courrier de l'Oise publie le récit de ma virée à la soirée mousse au Dépôt, c'en est une autre que cette info soit reprise par Libération, Le monde, le Figaro, Wikio et Mickey Magazine. Le fait qu'il y ait eu un être humain derrière chaque reprise dans la presse écrite et que ce ne soit que des automates informatiques qui l'aient fait sur l'internet n'est qu'une très maigre consolation, dès lors que dans les deux cas, ce sont des êtres humains qui ont accès à l'information ainsi diffusée.

Néanmoins, l'internet obéit à des spécificités techniques particulières, et la loi a pris en considération cet état de la technique. La LCEN a distingué trois intervenants sur l'internet : le fournisseur d'accès, l'hébergeur, et l'éditeur. Le FAI est en principe irresponsable, l'hébergeur est responsable à certaines conditions (d'information préalable du caractère illicite du contenu), et l'éditeur est pleinement responsable. Rappelons la définition de l'hébergeur : « La personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». La personne qui assure le stockage informatique. Par opposition à l'éditeur : « Personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne ». Dans l'esprit du législateur, l'hébergeur, c'était le propriétaire des serveurs qui loue un hébergement mutualisé, virtuel ou dédié. Et s'il est difficile de définir un visiteur de Fuzz comme une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public, il devient impossible de qualifier Gala.fr d'éditeur de Wikio. Cependant, la jurisprudence a accepté d'étendre le statut d'hébergeur à des sites comme Dailymotion ou Youtube, dont l'activité consiste à fournir un service de stockage de vidéos (Flickr aussi pour les photos, mais à ma connaissance il n'a jamais été poursuivi). Mais il reste un critère essentiel : le stockage (rappelons qu'on peut faire apparaître une vidéo hébergée sur Youtube ou Dailymotion par un lecteur embarqué). Le juge a refusé de considérer Fuzz et lespipoles comme un hébergeur (pour Wikio, la question reste entière, il n'a pas répondu) car ces sites n'étaient pas un simple site de stockage, et opéraient un vrai choix éditorial pour l'organisation des liens (lespipoles) ou en agençant différentes rubriques et décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site (Fuzz). Retour donc au droit commun.

Le juge se retrouve alors face à un dilemme. Une personne a subi un préjudice du fait d'une atteinte à sa vie privée. La loi dit qu'il a le droit d'être indemnisé. Mais la personne qui a véhiculé cette atteinte n'a fait que mettre en place une machine à reprendre des contenus (sans vouloir dénigrer Wikio ou Fuzz : je simplifie). Le juge a le choix entre refuser une indemnisation qui est légitime (qui est même exigée par la loi), et la mettre à la charge de quelqu'un qui n'a pas voulu causer ce dommage mais qui l'a causé en mettant en place les moyens qui l'ont permis. Cela n'a rien d'aberrant d'opter pour la deuxième branche de l'alternative ; la loi y pousse même.

Non, répond Jean-Marie Le Ray, il y a une troisième branche : mettre la réparation à la charge de celui qui a causé le dommage en premier. Gala.fr en l'occurrence. Le problème qui se pose pour le juge est que l'info a certes été publiée sur Gala.fr, mais aussi sur Fuzz et Wikio. Sur quel fondement dire que des trois, seul Gala est responsable, alors qu'il n'a même pas consenti à cette reprise de son contenu (accessoirement contraire à ses propres CGU ?) De quel droit Fuzz et Wikio diraient-ils : “oui, je l'ai publié, mais qu'il aille se plaindre à Gala et à Gala seulement” ? Pas de réponse hélas chez Adscriptor.

Bien sûr; rendre Gala.fr responsable y compris de la reprise de ses infos par des milliers de sites peut paraître à courte vue conforme au "bon sens", à l'honneur du web, et sauver les sites d'agrégation. À court terme.

À plus long terme, c'est les condamner.

Car mettre sur le dos des sites qui ne reprennent pas les informations d'autrui mais créent un contenu original indexé par Wikio, Fuzz et les autres, mettre sur leur dos disais-je, une responsabilité démesurée par rapport à leur propre audience, donc à leurs revenus potentiels, et le seul choix rationnel qu'il leur reste est de cesser la diffusion par flux RSS. Et si on leur met aussi sur le dos la responsabilité des reprises manuelles à la Fuzz, il ne leur reste plus qu'à fermer leur sites. Au moins, quand Gala publie sur papier l'info que Martini couche avec Mignonne, il n'est pas responsable si l'info est reprise sur TF1 (c'est TF1 qui est responsable). Un site internet deviendrait dès lors une source de responsabilité incontrôlable du fait de sites auxquels ils sont étrangers et n'ont aucun contrôle, et ils ne sont pas là pour fournir gratuitement du contenu et une assurance juridique à une myriade de sites. On ferme. Tarissement de la source. Mort de la poule aux œufs d'or (même si pour le moment elle ne pond pas beaucoup). Et Wikio Actualités, comme Fuzz, comme lespipoles deviennent des coquilles vides sans autre contenu que de la pub, ce qui du coup, il est vrai, devient cohérent avec leur absence de responsabilité.

Bref, cette troisième voie est pire encore que les deux premières.

Voilà le raisonnement juridique du juge : partir de la loi applicable, l'appliquer aux faits, voir si une ou plusieurs solutions s'offrent à lui. S'il n'y en a qu'une, l'appliquer. S'il y en a plusieurs, voir leurs conséquences, toutes leurs conséquences y compris à long terme (le “bon sens” lui est sujet à une myopie congénitale), et choisir la plus adaptée.

Ce n'est pas facile : on s'y met donc à plusieurs, après avoir fait de longues études. Et encore, on prévoit la possibilité de faire appel à des juges encore plus expérimentés si on a un doute. Signalons d'ailleurs que Fuzz a fait appel. Ceux qui ne comprennent pas et n'ont pas envie de faire l'effort de comprendre crieront à l'attentat au bon sens.

Qu'il suffise de se rappeler que le droit s'apprend à l'université, et le bon sens, au bistro.

Notes

[1] Qu'il envisage par exemple avant d'écrire que “je n'ai pas daigné répondre à son commentaire” que j'ai pu recevoir plus d'une centaine de commentaires ce jour là sur mon blog et qu'en outre, mon silence peut être plus dû à mon activité professionnelle qu'à ma nature méprisante envers autrui en général et Jean-Marie Le Ray en particulier ; cela fera du temps de gagné pour faire progresser le débat.

lundi 7 avril 2008

Toutes mes condoléances. Couloir ou fenêtre ?

Le veuvage, ça peut aussi se vivre de loin.

En un mois, la vie d'Elisabeth Guerin a basculé. Cette Béninoise de 38 ans, entrée légalement en France le 16 octobre 2005 pour se marier, menait depuis deux ans une vie heureuse et tranquille. Le 3 octobre 2007, Claude, son conjoint français, meurt d'un cancer. Le second choc survient à peine un mois plus tard, avec l'envoi par la préfecture d'un courrier qui lui refuse le renouvellement de sa carte de séjour et lui donne un mois pour quitter la France.

Vous trouvez les juges inhumains ? Essayez les préfets.

Nous nous connaissions depuis des années, avec Claude. Il venait très souvent au Bénin, et puis un jour il m'a demandée en mariage. Amoureuse, j'ai abandonné les deux salons de coiffure que j'avais, pour faire ma vie avec lui ici”, raconte Elisabeth, qui ne comprend toujours pas l'enchaînement des malheurs qui l'accablent.

C'est en toute confiance qu'en septembre 2007 Mme Guerin, titulaire d'un titre de séjour temporaire, car elle n'avait pas encore trois ans de mariage, commence les démarches nécessaires pour le renouvellement de sa carte.

“Claude était alors encore vivant. Mais j'ai dit à la préfecture que, malade, il ne pouvait plus se déplacer pour signer le dossier. Et après son décès, je suis allée les en informer. Je suis une femme honnête”, explique-t-elle.

En France, l'honnêteté est toujours récompensée, disait le président Chirac. La preuve.

À toutes ses raisons d'être traumatisée s'en est ajoutée une autre : une brève interpellation.

Interpellation n'est pas le mot : c'est incarcération. Sur ordre du préfet. Notez les dates.

Mardi 1er avril, Elisabeth Guerin a été interpellée à son domicile et conduite en centre de rétention à Tours. Jeudi, le juge des libertés et de la détention (JLD) l'a libérée en l'assignant à résidence et en lui ordonnant de se présenter chaque jour à la gendarmerie de sa commune. “Je n'ai plus désormais le droit de travailler”, s'inquiète-t-elle, salariée d'une entreprise d'aide à la personne.

Deux jours en centre de rétention pour une veuve. Monsieur le préfet d'Indre et Loire, vous avez la grande classe. Si vous n'arrivez pas à votre quota d'expulsion pour 2008, je suis prêt à attester auprès de Brice que vous aurez tout fait (quoique... Vous avez essayé les bébés ? Ça ne fait pas de recours, les bébés…)

Le tribunal administratif ayant rejeté le 6 mars le recours qu'elle avait déposé contre la décision du préfet, Elisabeth Guerin attend le jugement[l'arrêt] de la cour [administrative] d'appel, qu'elle a saisi. Mais depuis, elle vit cette attente avec d'autant plus d'angoisse. “Elle est très insérée dans la commune, elle travaille, a un appartement, des amis”, insiste Reine Gasque, une voisine, directrice d'une des écoles maternelles de la commune où s'est constitué un collectif de soutien. “Voilà à quoi conduit la précarisation du séjour ! On n'a pas arrêté de repousser le moment où les conjoints de Français peuvent avoir une carte de résident”, dénonce Nicolas Ferran du mouvement Les Amoureux au banc public, qui défend le droit à une vie normale pour les couples mixtes. Depuis a loi de 2006 [loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration], les conjoints de Français doivent attendre trois ans pour faire la demande d'une carte de résident. Avant cela, un titre de séjour temporaire leur est délivré de plein droit, mais “à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé”.

Le préfet d'Indre-et-Loire a considéré que l'administration ne pouvait renouveler le titre de séjour de Mme Guerin, “même si cette rupture de communauté de vie résulte malheureusement du décès du conjoint français” comme il l'indique dans son courrier. (Article de Laetitia Van Eeckhout)

Comme ce “malheureusement” est élégant. Et parfaitement hypocrite : l'administration peut toujours délivrer un titre de séjour à un étranger. Toujours. Il n'y a pas de cas où elle est obligée de refuser la délivrance du titre. La suite de l'histoire le prouvera.

Et le pire, c'est que ce refus est parfaitement légal.

Juridiquement, voici la situation.

Madame Guérin a sollicité depuis le Bénin un visa pour venir en France afin d'épouser Claude. Une fois arrivée en France, elle a convolé, et a sollicité une première carte de séjour, valable un an, en tant que conjoint étranger de Français (article L.313-11, 4° du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile, le CESEDA). Cette délivrance est de droit, c'est à dire que le préfet ne peut pas la refuser si la preuve du mariage ET de la communauté de vie sont rapportés. Concrètement, les préfectures demandent des pièces écrites (compte joint en activité, factures EDF aux deux noms, etc...) et tout simplement que les deux époux se présentent ensemble pour co-signer la demande de délivrance de la carte ET pour venir la chercher. Oui, ça fait deux demi journées de travail de perdue pour tous les deux, mais comme tout français qui oserait envisager de vivre avec un étranger est suspecté d'être un fraudeur, bien fait pour lui. Cette carte est valable un an, permet de travailler et son renouvellement est de droit si les conditions sont toujours remplies : preuves de vie commune, l'époux qui se déplace. Ce n'est que lors du renouvellement de la troisième carte qu'enfin, les soupçons de l'administration s'apaisent enfin et qu'elle consent à délivrer une carte de résident, valable 10 ans et renouvelable de plein droit. Bref, que la situation de l'étranger cesse d'être précaire.

Madame Guerin a obtenue une carte de séjour temporaire (CST) une première fois en 2005, a obtenu son renouvellement en 2006. En 2007, la maladie qui devait emporter son mari étant à son stade terminal, celui-ci n'a pas pu se déplacer pour co-signer la demande. Madame Guerin ne le savait pas encore, mais son sort était scellé.

Car lors de l'examen de la demande de renouvellement, l'époux était décédé. Cela ne pouvait pas échapper au préfet, qui en avait été informé par l'intéressée elle même, mais qui en outre aura eu son attention attirée par le fait que le mari ne s'était pas présenté pour cosigner la demande, ce qui impliquait une enquête administrative qui aurait révélé le décès. Et effectivement, le décès met fin à la vie commune entre époux. Il met même fin à la vie tout court, et dissout le mariage, d'ailleurs. Donc Madame Guerin n'étant plus conjointe de français, elle n'avait plus droit à sa carte de séjour. Et comme la loi (article L.511-1, I du CESEDA) lui en donne le droit, il a assorti ce refus de carte de séjour d'une mesure coercitive appelée obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Cette décision peut faire l'objet d'un recours suspensif devant le tribunal administratif dans le délai d'un mois (article L.512-1 du CESEDA). Dans sa grande sagesse, le législateur a décidé que ce type de contentieux bénéficierait d'une carte coupe-file, et devrait être jugé en trois mois. Car vous vous rendez compte ? Un étranger à qui on refuse sa carte et qui n'est pas d'accord : voilà un contentieux prioritaire, plus que l'indemnisation des transfusés atteints de l'hépatite C, des accidents médicaux de l'hôpital public, des victimes des dégâts causés par des travaux publics, que le contentieux fiscal, de l'urbanisme, ou de l'activité de l'administration en général. Ceux là peuvent attendre deux ou trois ans qu'on s'intéresse à eux. La veuve béninoise, voilà l'ennemi.

Ce recours a été exercé et a été rejeté le 6 mars dernier par le tribunal administratif d'Orléans. Et en effet, le droit a été respecté : Mme Guerin étant veuve, elle n'a plus droit à une carte de séjour temporaire conjoint de français. Le préfet avait parfaitement le droit de refuser le renouvellement de cette carte. Ses attaches familiales en France étant décédées, son séjour trop récent pour pouvoir invoquer efficacement la protection de sa vie privée et familiale par la convention européenne des droits de l'homme, ce refus de titre est parfaitement légal. La décision de l'assortir d'une OQTF est à la discrétion du préfet, qui y a vu une bonne occasion de rajouter une croix à ses objectifs d'expulsion[1]. Le juge refusera d'examiner le bien-fondé de cette décision, qui relève de la liberté du préfet.

Madame Guerin a fait appel devant la cour administrative de Nantes (la carte judiciaire des juridictions administratives, que vous trouverez ci-contre, est d'une simplicité qui ferait rêver Rachida Dati,Carte des juridictions administratives (site du Conseil d'Etat) sauf peut être le fait que Nouméa et Papeete soient dans le ressort de la cour administrative d'appel de Paris). Le recours n'est pas suspensif, et devrait être jugé dans un an ou deux. C'est trop long pour le préfet qui a des objectifs pour cette année. Il a donc ordonné l'interpellation de Madame Guerin et son placement en centre de rétention pour une durée de 48 heures, afin d'organiser son expulsion vers le Bénin.

Oui, cette dame a perdu son mari il y a tout juste six mois, a probablement hérité d'une partie de ses biens, voire est peut être propriétaire de la maison qu'elle occupe, mais non, le préfet pense qu'il n'y a rien de plus urgent que de la réexpédier à Cotonou, d'où elle pourra solliciter des visas (payants) pour de brefs séjours de trois mois maximum pour liquider son patrimoine en France ou en profiter. Comme au bout de 48 heures, cette dame n'a pas pu être effectivement expulsée, le préfet a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Tours d'ordonner son maintien en rétention pour 15 jours de mieux. J'imagine la tête qu'a dû faire le JLD en lisant ce dossier… L'avocat de Madame Guerin a demandé et obtenu une assignation à résidence (art. L. 552-4 du CESEDA), c'est-à-dire que, l'étranger qui a remis son passeport aux services préfectoraux et qui a des garanties de représentations (du genre le logement qu'il a occupé légalement pendant deux ans et demi) peut, à titre exceptionnel précise la loi, ne pas être maintenu en rétention mais assigné à son domicile en attendant que la préfecture s'occupe des formalités de reconduite au pays d'origine. Oui, vous avez bien lu. Quand un personne commet un crime, la liberté est le principe, la privation de liberté, l'exception. Pour les étrangers, si l'administration le décide, sans avoir à justifier de ses raisons, et bien la liberté devient l'exception. Il m'est plus facile d'obtenir devant un JLD la liberté d'un escroc récidiviste, je pense à un exemple réel, que celle d'un étranger sans casier judiciaire et qui paye ses impôts, pour reprendre un autre exemple réel.

À titre exceptionnel, donc, le JLD de Tours a remis en liberté notre pauvre béninoise à qui rien n'aura été épargné.

Il ne manquait plus qu'une farce pour terminer cette triste affaire, et c'est notre Brice national qui s'est gentiment proposé pour jouer les maîtres Patelin.

ArrêtSurImage.net nous apprend que le ministre du drapeau a lu cet article du Monde et en a été profondément ému. Par courrier électronique adressé à nombre de journalistes, le ministre déclare :

« Le ministre, qui a pris connaissance des faits samedi après-midi à la lecture du journal Le Monde, a immédiatement demandé au préfet de régulariser la situation de Madame GUERIN. Le ministre a estimé que le Préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation: le décès de (…) Claude GUERIN, ressortissant français, ne saurait justifier le non-renouvellement d'une autorisation de séjour de son conjoint étranger en situation régulière. »

Brice The Nice, en somme.

Sauf que.

Sauf que le préfet d'Indre et Loire a parfaitement respecté la loi. La délivrance et le renouvellement de la carte de séjour temporaire au conjoint de français est subordonnée à la qualité de conjoint de Français, ce que le veuf n'est pas. L'article L. 311-8 du CESEDA dit en toutes lettres que «La carte de séjour temporaire et la carte de séjour " compétences et talents " sont retirées si leur titulaire cesse de remplir l'une des conditions exigées pour leur délivrance.»

Il n'est prévu qu'une seule exception : si l'époux français s'est rendu coupable de violences conjugales sur son conjoint, l'administration peut, je dis bien peut, c'est une faculté, pas une obligation, renouveler la carte de séjour[2] (art. L.313-12 du CESEDA). Claude Guerin n'ayant pas eu l'idée de frapper son épouse avant d'expirer, elle ne pouvait même pas invoquer cette protection.

Le juge administratif d'Orléans a d'ailleurs confirmé la légalité de la décision préfectorale obligeant Madame Guerin à quitter le territoire français.

J'emprunterai sa conclusion à mon ami Jules, car c'est grâce à lui qu'en pleine rédaction de cet article, j'ai appris l'intervention du ministre des trois I : rions de peur d'avoir à en pleurer en pensant que c'est la loi Sarkozy du 24 juillet 2006 qui a prévu le retrait automatique du titre de séjour en cas de disparition des conditions de délivrance ; c'est cette même loi qui a empêché Madame Guerin de devenir française au bout de deux ans de mariage, ce délai ayant été porté à quatre ans. C'est cette même loi qui l'a empêché de bénéficier d'une carte de résident de dix ans dès le début de son mariage et l'a contrainte à attendre trois années de vie commune, ce que la maladie ne lui a pas octroyé. Rions de voir aujourd'hui ce proche de l'auteur de cette loi s'exclamer qu'un préfet qui l'applique très exactement commet “une erreur manifeste d'appréciation” quand son résultat est aussi inhumain.

Mais ce résultat est très précisément celui voulu par la loi. À force de voir des fraudeurs partout, on traite tout le monde comme des fraudeurs. Y compris la majorité qui ne l'est pas. Elle est là, l'erreur d'appréciation. Dans la loi elle même. Ayez au moins le courage de l'assumer, monsieur le ministre. Ça nous changera.

Notes

[1] J'emploie ici ce terme dans son sens générique d'éloignement forcé : l'expulsion en droit des étrangers est une décision de reconduite immédiate, par la force, d'une personne présentant un risque de trouble à l'ordre public.

[2] Ce qui, par un tour facétieux, est devenu dans la bouche du président : “toute femme battue peut devenir française”. On voit qu'il n'a jamais été ministre de l'intérieur.

dimanche 2 mars 2008

Le blues du jeune pénaliste

Térence, un de mes jeunes confrères mais ancien comme lecteur m'a laissé ce dimanche son témoignage désabusé de jeune avocat se frottant au droit pénal :

Bilan rapide sur la justice pénale après deux mois de barre :

J'ai bien le sentiment de servir à peu de chose ; le sentiment assez désagréable que l'avocat, à l'audience pénale, ne sert strictement à rien !

Assez déçu par l'exercice et le peu de considération que les magistrats ont pour les avocats pendant les audience pénales (le pire étant à mon sens les juridictions d'appel, et je ne parle pas même du le rapporteur qui vous sabre 2/3 des arguments d'une plaidoirie ou la mise en perpective des faits peut être déterminante) je m'oriente vers un strict contentieux civil et commercial.

A votre avis Eolas, c'est un peu court deux mois pour faire un bilan ?

Vous n'avez pas, après toutes ces années, vous aussi le sentiment de vous trouver à chaque audience à la gauche de Gnafron.

Moi si ?

Et cela ne fait que deux mois que j'exerce !

Dadouche lui a répondu son opinion de magistrate ayant pratiqué la matière, notamment comme juge en correctionnelle :

C'est vrai qu'en deux mois vous avez eu le temps de faire le tour de la question, notamment sur la considération que les magistrats accordent aux avocats. Je n'ai pas bien compris dans ce que vous indiquez à l'aune de quoi vous la mesurez. Serait-ce fonction de leur capacité à toujours tomber d'accord avec vous ? Je n'ose le croire, sinon vous allez effectivement au devant de quelques désillusions.

Je ne sais pas davantage ce que vous entendez par "servir à quelque chose". S'il s'agit d'obtenir des relaxes ou des amendes avec sursis dans tous les dossiers, ç'est sûr que là encore ça va être compliqué. Mais je ne doute pas que votre vision du rôle de l'avocat soit bien plus nuancée.

L' "utilité" ou, mieux, la valeur ajoutée apportée par l'avocat à l'audience est variable. S'il présente des arguments étayés, qu'il propose des alternatives crédibles quand il plaide sur la peine, qu'il pointe des éléments du dossier quand il plaide la relaxe, il est très utile. S'il est moins bon (ça arrive), qu'il tempête sur l'inutilité de la prison pour un multirécidiviste du vol avec violences, qu'il vitupère contre le parquet qui pousuit les revendeurs de cannabis alors que la consommation de cette substance bien moins dangereuse que l'alcool est entrée dans les moeurs ou qu'il explique que si la victime d'un viol n'avait vraiment pas été consentante, elle l'aurait mordu au moment propice (je vous jure, je l'ai déjà entendu), là, forcément, il est beaucoup moins utile, voire carrément dangereux. S'il répète, trois fois sous des formes différentes, ce qui a déjà été dit pendant l'instruction à l'audience et qu'il plaide façon fleuve en crue, ça peut aussi déclencher des réactions en chaîne incontrôlables chez les magistrats qui voient avec inquiétude l'heure tourner et la pile des dossiers ne pas baisser.

Le rôle de l'avocat au pénal ne se limite pas à l'audience : les conseils au client sur la façon de se tenir, l'examen de la régularité de la procédure, la production de justificatifs obtenus en préparant l'audience sont largement aussi (voire plus) importants sur le fond.

Cela dit, je ne nie pas que certains collègues donnent l'impression d'écouter distraitement les plaidoiries. C'est cependant loin d'être une généralité, et ça va souvent de pair avec, la pratique aidant, une aptitude quasi surnaturelle à faire deux choses en même temps.

Fantômette lui répond à son tour un commentaire très pertinent :

Je ne crois honnêtement pas qu'en deux mois, vous ayez fait le tour de la question.

J'ai pour ma part l'impression de commencer de trouver mes marques au pénal, et j'ai deux ans de barre.

Je vais me permettre de vous donner des conseils que vous choisirez ou non de suivre, sachant de toute évidence qu'il n'y a nulle vertu particulière à poursuivre une activité pénale si l'on ne s'y sent pas à l'aise.

D'abord, cette vieille règle qui veut que "les vieux chevaux passent avant les jeunes baudets" comme aurait dit ma grand-mère, c'est-à-dire les avocats les plus chevronnés avant leurs jeunes confrères, présente l'immense avantage de nous les faire écouter plaider. Croyez-moi, pour certains, ça vaut le détour, et quant à moi, j'ai toujours plaisir à les laisser passer devant moi pour profiter de la leçon.

Personnellement, je trouve en plus que c'est bon pour le moral, mais là c'est subjectif.

Ensuite, un vieux diehard pénaliste m'a donné un jour un conseil très simple, mais qui recadre bien les choses : Le travail, au pénal, c'est le dossier, et le client.

Le dossier, il faut le connaître sur le bout des doigts, et ce n'est pas une figure de style. Mes dossiers au pénal, je les dépouille, je les stabilote, les re-classe, des fois je les mets sous cote, eh oui, j'écris dessus, quand j'en ai fini avec eux, ils ressemblent plus à rien (et personne ne s'y retrouve sauf moi), mais je ne laisse passer aucune approximation de la part de personne sans la remarquer : président, procureur, confrère adverse.

Le client, pareil. Vous ne trouverez pas votre valeur ajoutée sans son aide. Pour commencer, il faut l'écouter beaucoup, beaucoup. Pas seulement sur les faits. Sur lui.

Vous avez un avantage sur le juge : vous avez la possibilité de mieux connaître votre client que lui. Profitez-en. Ce sera utile pour plaider sur la peine, et il faut plaider sur la peine.

Je ne puis qu'applaudir avec enthousiasme aux propos de ma consœur au bonnet à pompon.

Cher Térence, vous traversez une période délicate : vous perdez vos illusions sur la défense pénale. C'est un passage difficile mais nécessaire : il précède la prise de conscience de ce qu'est réellement la défense pénale. Et on n'y perd pas au change.

Le pénal est une matière difficile. Beaucoup d'avocats veulent y toucher au moins une fois, pour tester ou connaître le frisson de la correctionnelle, et parce qu'elle donne une illusion de facilité. L'avocat, au pénal, peut rester totalement passif, attendre sagement le moment de sa plaidoirie, aligner quelques perles d'un ton convaincu et croire avoir rempli sa mission. Je crois d'ailleurs que c'est ce que font certains confrères.

Or c'est une matière très technique, et l'instabilité des textes contribue à rendre la matière terriblement complexe. Tout particulièrement la procédure pénale. L'avocat y est depuis le début un intrus. Souvenez-vous qu'au XIXe siècle jusqu'à la grande loi du 8 décembre 1897, l'avocat était purement et simplement exclu de la procédure jusqu'au seuil du procès (pas d'assistance devant le juge d'instruction, notamment). Le XXe siècle a été une longue série de portes enfoncées, les dernières en date étant celles des commissariats en 1993. Bref, la place de l'avocat dans la procédure pénale est celle qu'il s'y fera en jouant des coudes. Le seul droit dont il bénéficie sans avoir à le réclamer est de parler en avant-dernier[1]. Ce n'est pas suffisant, et une grosse partie, l'essentiel même, de la défense, se joue en amont de la plaidoirie. Et rassurez-vous : si le législateur persiste à voir dans l'avocat un danger électoral qui doit être combattu[2], cela fait longtemps que les magistrats ont acquis le respect des droits de la défense. Le respect des avocats, lui, s'acquiert au cas par cas.

Il va vous falloir, maintenant que vous avez perdu la vision héroïque de la défense (celle de la télé, où l'avocat dirige le procès, rive son clou à ses adversaires, avocats comme magistrats, et termine avec son client en larmes dans ses bras, la phase du paiement des honoraires étant renvoyé à après le générique), il va vous falloir apprendre à jouer des coudes, en cumulant trois vertus que vous ne devrez jamais perdre de vue : le faire légalement, courtoisement, et intelligemment.

Légalement, c'est connaître la loi. Vous avez un argument à faire valoir, à la bonne heure. Vous devez savoir comment le faire valoir, par quelle action, sous quelle forme, dans quels délais. S'il est une chose plus désagréable que les sourcils froncés d'un magistrat qui vous écoute en essayant désespérément de comprendre le fondement juridique de l'argument que vous soulevez, c'est de l'entendre vous répondre que vous êtes irrecevable ou forclos. Faites le rapprochement avec ce que j'ai dit ci-dessus sur la complexité du droit et vous avez compris ce qui vous attend. Lire le CPP, le relire, surveiller le JO, vous faire des fiches, vous mettre à jour régulièrement, et guetter les formations continues en la matière (elles sont trop rares, hélas). Et comme d'habitude, la meilleure formation est sur le tas. Demandez à des confrères, aux greffiers, et en dernier ressort, tentez le coup et apprenez de vos erreurs. La récompense vient vite : un bel argument juridique bien étayé, ça marche.
Connaître la loi, c'est bien. Connaître aussi le dossier, c'est mieux. Faites comme Fantômette. Ruinez votre patron en Stabilo (il s'en fiche, il n'est pas greffier en chef ; lui, il les achète par conteneurs entier). Moi, j'aime bien aussi les signets, en post-it ou en ruban transparent, qui vous indiquent immédiatement où est telle pièce. Lisez attentivement, pas seulement les déclarations, mais les mentions des procès-verbaux. Les nullités aiment à se nicher dans les recoins les moins fréquentés.

Courtoisement, c'est témoigner envers les magistrats le respect qui leur est dû, parce qu'ils le méritent, tout simplement. Vous n'arriverez à rien en vous mettant à dos les magistrats. Ils sont là pour faire respecter la loi, quoi qu'ils en pensent dans leur for intérieur. Ce n'est pas toujours agréable pour eux, leur faire remarquer durement ne fera que les renfrogner encore plus. Outre s'adresser au tribunal avec respect (ce qui n'exclut pas la fermeté quand vous voulez faire valoir un argument et que le président ne semble pas comprendre que c'est maintenant que ce point doit être abordé), c'est aussi ne pas insulter son intelligence en plaidant l'invraisemblable. Enfin, c'est faire en sorte d'être agréable à écouter. Tout le monde n'a pas la volubilité pédagogique de Jean-Yves Le Borgne, l'énergie percutante de Thierry Lévy, mais tout un chacun peut parler fort, en articulant afin de ne pas obliger à un effort d'écoute, selon un plan ordonné dont on explique la progression, et parler le temps strictement nécessaire à l'exposé de son argumentation, sans la fourrer d'un semi-remorque de "effectivement", ou la truffer d'inutiles répétitions d'un argument qu'on estime tellement brillant qu'il mérite d'être entendu deux ou trois fois au moins.

Intelligemment, c'est là tout l'art de l'avocat. C'est une chose de trouver l'argument et son fondement légal, et d'exposer sa demande en attirant la bienveillance du juge ; c'en est une autre d'anticiper ses conséquences concrètes sur la suite de la procédure. Une nullité qui laisse subsister dans le dossier de quoi condamner votre client, est-ce vraiment la peine de la soulever ? Attaquer la partie civile, est-ce rendre service à votre client ? C'est le résultat pour votre client qui doit ici être votre seul guide. Vous avez une vision claire, technique, dépassionnée et à long terme. Lui ne voit que le court terme (combien je vais prendre ? Quand est-ce que je sors ?) et a une vision faussée par ses passions. On peut parler de souffrance pour la personne poursuivie (l'angoisse de l'incertitude, la perspective de la privation de liberté, de voir sa vie chamboulée...) ; et la souffrance ne rend pas lucide. Cela peut vouloir dire convaincre votre client de faire des choix qui vont à l'encontre de ce qui lui semble pertinent de faire. Le convaincre de reconnaître les faits, voire le faire accoucher (on est en pleine maïeutique, au sens philosophique du terme, en effet) de sa prise de conscience. Vous permettre de plaider sur la peine, de proposer vous même la peine qui vous paraît opportune plutôt que poursuivre la chimère de la relaxe contre l'évidence. Le décourager de faire appel même d'une décision sévère, car faute d'argument autre que "je trouve que le jugement est trop sévère", le risque d'aggravation en appel est trop gros. Le convaincre de refuser d'être jugé tout de suite en comparution immédiate, malgré le risque d'être placé sous mandat de dépôt, afin de pouvoir réunir des éléments utiles à la défense. Renoncer à demander une remise en liberté à la fin d'une instruction pour bénéficier des délais d'audiencement raccourcis, même si la pratique des audiences-relais diminue cet intérêt. Vous rendrez parfois autant service à votre client en l'aidant à accepter sa sanction qu'en l'aidant à y échapper. Et n'oubliez pas que désormais, notre rôle continue au-delà du jugement, au stade d'exécution de la peine. Qui mieux qu'un avocat peut monter un bon dossier de libération conditionnelle ? Le SPIP fait ce qu'il peut, et avec dévouement et abnégation parfois, mais vous êtes l'avocat, vous pouvez rencontrer les familles, contacter les employeurs, fournir des explications et des conseils, constituer des garanties que seul vous pouvez apporter. Par exemple, votre compte CARPA est un outil formidable pour l'indemnisation des victimes, puisque le simple relevé de dossier fournit au juge la garantie absolue que les fonds sont disponibles ou ont été effectivement versés.

Voilà, en quelques mots, c'est ça, être avocat de la défense. Entre autres. On en écrirait des traités. En apparence, c'est moins sexy que l'image qu'en donnent les fictions, ou qu'on peut avoir en fac où on fait du droit pur, tandis que dans les prétoires, le droit pénal est pollué de faits, de preuves qui n'en font qu'à leur tête, de mots malheureux, de sang, de larmes, bref, d'humain.

Mais en réalité, il n'en est que plus passionnant.

Notes

[1] Pour éviter les effets nocifs sur une politique sécuritaire d'une plaidoirie trop réussie, le législateur a prévu que c'est la personne poursuivie qui doit s'exprimer en dernier, afin de lui permettre de saccager la plaidoirie de son avocat.

[2] Sauf à l'occasion d'affaires politico-financières touchant certains de ces élus qui découvrent à cette occasion la machine judiciaire : les grandes lois des droits de la défense doivent beaucoup aux élus corrompus, que ce soit l'affaire de Panama pour la loi de 1898, l'affaire Péchiney-Triangle pour la loi de 1993, ou l'affaire URBA pour la loi de 2000.

lundi 25 février 2008

De la rétention de sûreté et de l'absence de retenue de l'exécutif

Comme promis, je reviens plus longuement sur le projet de loi sur la rétention de sûreté et ses péripéties constitutionnelles.

Tout d'abord, sur la loi elle même (texte intégral avant censure). Elle se divise en fait en deux parties, dont la deuxième a été totalement escamotée par la première : elle porte sur la réforme des procédures pénales en présence d'un auteur des faits atteint de démence.

Dans le cas d'une information judiciaire, le juge d'instruction devra désormais informer les parties (y compris le procureur de la République) qu'il existe des raisons plausibles de prononcer une irresponsabilité pénale. Les parties pourront présenter leurs observations et dire si elles demandent que le prononcé de cette irresponsabilité soit confié à la chambre de l'instruction, après un débat public et contradictoire, où le mis en examen, du moins son corps, comparaîtra si "son état le permet". Si personne ne le demande, c'est le juge qui rendra une décision, non plus baptisée "non lieu" mais "ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" qui précise qu'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés. C'est exactement la même chose qu'une ordonnance de non lieu rendue en raison de la démence de l'auteur des faits, mais on a changé les mots et appelé ça une réforme. Un grand classique.

Notons que si l'état du mis en examen ne permet pas sa comparution, il ne fait pas obstacle à sa détention provisoire, qui ne prend fin que par l'effet de l'ordonnance (ou l'arrêt si c'est la chambre de l'instruction qui statue) d'irresponsabilité pénale.

La loi prévoit également les modalités du prononcé des jugements d'irresponsabilité pénale devant les juridiction correctionnelles ou les cours d'assises quand l'irresponsabilité n'est pas relevée dès le stade de l'instruction.

J'émets pour ma part une prudente réserve. Cette audience n'apportera rien au malade mental, c'est certain, mais ce n'est pas le but. Il s'agit d'une audience faite pour les victimes, une sorte de thérapie judiciaire. Les psychiatres nous expliquent que cela peut effectivement aider les victimes à tourner la page du traumatisme de l'agression, mais préviennent que dans certains cas, cela peut être ravageur pour les victimes. Cela, j'en suis témoin. Simplement, ce sera au procureur et surtout à l'avocat des victimes de choisir s'il y a lieu de faire subir cette épreuve à son client. Lourde responsabilité face à un auteur irresponsable. L'ironie pourrait prêter à sourire.

Mais cette partie de la loi n'est pas scandaleuse en soi. Attendons les premières audiences pour voir ce que la pratique en fera.

C'est la première partie de la loi, sur la rétention de sûreté, qui concentre l'attention, et les critiques.

Que dit-elle, cette loi, du moins telle qu'elle a été voté ?

Tout d'abord, elle définit le domaine d'application de la loi. Les conditions ci-dessous sont cumulatives.

Elle est censée s'appliquer "à titre exceptionnel", mais on sait qu'en matière de justice, l'exceptionnel peut avoir une fréquence qui défie les lois des probabilités (par exemple, la détention provisoire est censée être exceptionnelle...). Bref, cette mention n'engage à rien et surtout ne protège en rien.

Elle s'applique aux personnes condamnées pour les crimes suivants : meurtre ou assassinat (qui est un meurtre prémédité), de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration sur victime mineure ou des mêmes crimes commis sur une personne majeure à condition qu'ils soient aggravés - hormis l'assassinat qui est déjà au sommet des peines. Par exemple, le viol est aggravé quand il est commis sous la menace d'une arme, ou en réunion ; le meurtre est aggravé quand il est commis sur la personne d'un pompier, d'un concierge ou d'un avocat (ce dernier point me paraissant indiscutable) ; l'enlèvement est aggravé quand il s'accompagne d'une demande de rançon ou accompagne un autre délit (prise d'otage lors d'un braquage).

Elle s'applique si la peine prononcée est d'au moins quinze ans de réclusion criminelle.

Enfin, la cour d'assises doit prévoir lors du prononcé de la peine la possibilité de recourir à une rétention de sûreté à l'issue de la peine.

La mise en œuvre relève de l'usine à gaz. Accrochez-vous.

Un an avant la date prévue pour la libération, la Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sûreté examine le dossier de l'intéressé. Un mot sur la CPMS, pour montrer que le législateur affectionne l'imbrication des usines à gaz. La loi renvoie pour la définition de la CPMS à l'article 763-10 du code de procédure pénale, insérée par la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive (qui n'a rien à voir avec la loi sur les peines planchers d'août 2007, également destinée à lutter contre la récidive : le législateur a des idées géniales à un rythme effréné, ce n'est pas sa faute). Que dit cet article 763-10 ? Il nous parle de « la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté composée selon des modalités déterminées par le décret prévu à l'article 763-14 ». En effet, l'article 763-14 nous dit qu' «un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent titre. Ce décret précise notamment les conditions dans lesquelles l'évaluation prévue par l'article 763-10 est mise en œuvre ». Ce décret n'a, à ma connaissance, jamais été pris. Bref, la commission multidisciplinaire en question n'existe toujours pas, ce qui donne l'empressement du gouvernement à vouloir appliquer tout de suite sa loi un petit côté comique. A moins qu'en fait, le gouvernement ne soit du côté des assassins ? Rectification, le décret a bien été pris le 1er août 2007. Ce qui fait que je découvre avec désespoir que mon CPP Dalloz 2008 était déjà dépassé en août 2007, date de son dépôt légal...

Bon, supposons pour la suite de notre propos que cette Commission soit un jour créée. On n'est pas à une fantaisie près dans cette loi.

Cette commission doit évaluer si l'intéressé présente ou non une "particulière dangerosité", notamment sur la base d'une expertise psychiatrique réalisée par deux experts.

Si cette "particulière dangerosité", qui n'est pas définie par la loi et sera donc laissée à la discrétion des psychiatres, est retenue, la commission pourra proposer la mise en place de la rétention de sûreté, à deux conditions cumulatives :
les obligations pouvant être prononcées dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire (période de surveillance post-peine instaurée par une loi Guigou de juin 1998, qui commence à peine de s'appliquer pour les crimes vu la longueur des peines en question) ou une surveillance judiciaire (créée par la loi Clément du 12 juillet 2005, déjà citée, qui ne s'applique que pendant le laps de temps entre la libération et la fin de la peine telle qu'elle a été prononcée), ou de notification du domicile résultant d'une inscription au FIJAIS, sont insuffisantes ;
ET la rétention est l'unique moyen de prévenir la commission de ces infractions, dont la probabilité doit être "très élevée" (la loi là encore ne donne pas les instructions pour calculer cette probabilité).

Qu'advient-il de cette proposition ?

Elle est transmise au procureur général (le chef du parquet d'une cour d'appel) qui saisit la Juridiction régionale de la Rétention de Sûreté (JRRS). Merci au législateur d'avoir éviter le terme de commission s'agissant d'une formation de trois conseillers de la cour d'appel.

Trois mois avant la libération de l'intéressé se tient devant la JRRS une audience, au cours de laquelle l'intéressé doit être assisté d'un avocat. Il peut demander une contre expertise qui ne peut être refusée. L'audience se tient en principe à huis clos mais à la demande de l'intéressé elle peut être publique. La JRRS peut à l'issue de ce débat prendre une décision de placement en rétention de sûreté d'une durée d'un an, dans un établissement "médico-socio-judiciaire". Il ne lui manque que la mention "durable" pour être totalement hype. L'intéressé, désormais retenu, peut faire appel de cette décision devant la Juridiction Nationale de la Rétention de Sûreté (JNRS), formation spéciale de la cour de cassation. En outre, il peut saisir à nouveau la JRRS au bout de trois mois pour qu'il soit mis fin à sa rétention de sûreté (et rebelotte en cas de refus au bout de trois mois), celle-ci devant en tout état de cause y mettre fin dès que les conditions ne sont plus remplies, sans que la loi ne précise les modalités de cette saisine d'office.

La décision qui met fin à la rétention de sûreté peut, si la personne présente des risques de réitération, y substituer une mesure de surveillance de sûreté (SS), qui est en fait une surveillance judiciaire prévue par la loi du 12 décembre 2005, mais pouvant s'étendre au-delà de la peine telle qu'elle a été prononcée. Cette surveillance dure là encore un an renouvelable ; la violation des mesures de surveillance peut entraîner le placement en rétention de sûreté. La décision de placement sous Surveillance de Sûreté peut faire l'objet d'un recours devant la JNRS, mais il n'est pas possible d'en demander la levée avant terme, contrairement à la Rétention de Sûreté, la loi ne prévoyant pas une telle possibilité.

Enfin, point important : la rétention de sûreté est inapplicable à un prisonnier qui a bénéficié d'une libération conditionnelle : il relève alors du régime et de la surveillance de cette mesure (qui pour être accordée suppose que le juge d'application des peines ne redoute pas une réitération à la sortie, de toutes façons).

Voici en gros la loi telle qu'elle a été présentée au Conseil constitutionnel.

A un détail près : son article 13, article marqué du sceau de l'infamie dès sa numérotation. Le gouvernement voulait absolument que cette loi soit applicable immédiatement, tant on sait que l'actuel président veut écrire son action dans l'immédiat : or une loi dont les premiers effets n'auraient pas lieu avant au mieux une douzaine d'années, c'est inconcevable pour lui. D'où le recours à une rhétorique des plus nauséabondes : les personnes concernées sont des monstres, on publie même leur nom, et leurs futures victimes sont là, blotties, tremblantes d'effroi contre le président qui veut les protéger et "on" veut l'en empêcher. Et une nouvelle usine à gaz, que je vous décris rapidement car il serait dommage qu'un tel chef d'œuvre disparût dans les limbes où l'a envoyé la décision du Conseil constitutionnel.

Pour les personnes exécutant à la date du 1er septembre 2008 une peine entrant dans le champ d'application de la loi (15 ans pour un des crimes cités plus haut), l'article 13 prévoyait, à titre exceptionnel (je vous renvoie à ce je disais plus haut sur le sens à donner à ce terme), la possibilité de leur placement en Rétention de Sûreté selon les modalités suivantes :
Le procureur général de la cour d'appel dont dépend la cour d'assises qui a prononcé la condamnation (même si le condamné est détenu depuis presque quinze ans fort loin de là) demandait au juge d'application des peines son avis sur l'opportunité de la mesure, puis, quel que soit cet avis, saisissait la chambre de l'instruction de la cette cour d'appel qui faisait comparaître le condamné (amené donc exprès pour cela sous escorte) afin que se tienne un débat qui pouvait aboutir, si la cour constatait qu'il résultait de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de cette personne, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité, susceptible de justifier, à l'issue de sa peine, un placement en rétention de sûreté, que faisait-elle ? Elle avertissait cette personne qu'elle pourrait faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.

Une fois cet avertissement donné à grands frais, on retombait sur les rails de la procédure ordinaire avec saisine de la Commission Pluridiscinaire des Mesures de Sûreté.

C'est cette procédure d'avertissement solennel destiné à suppléer au fait que la cour d'assises n'avait pas donné son feu vert pour une éventuelle rétention de sûreté qu'a censuré le Conseil constitutionnel au motif (§10) que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Cependant, le Conseil n'a pas fermé toutes les portes à aune application immédiate, sauvant ainsi l'article 13 de l'annihilation. Il n'a pas censuré, mais sans expliquer pourquoi, le III de l'article 13, qui prévoit la possibilité de prononcer une Rétention de Sûreté lorsqu'une personne faisant l'objet d'une surveillance de sûreté après une surveillance judiciaire ou un suivi socio judiciaire, ne respecte pas ses obligations et que ce non respect révèle que le Surveillé présente "à nouveau" une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau une infraction.

Voici qui nécessite quelques explications.

La Surveillance Judiciaire (SJ) dont je parlais plus haut couvre la période de réduction de peine, c'est à dire entre la remise en liberté de la personne par l'effet des réductions de peine et la fin absolue de la peine. Exemple : Une personne est condamnée à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'un concierge (homicide volontaire aggravé, art.221-4, 4° du code pénal). Elle ne bénéficie pas d'une libération conditionnelle à mi-peine. Mais elle bénéficie d'un crédit de réduction de peine de 31 mois (trois mois pour la première année et deux mois par année supplémentaire). Elle pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire pendant ces 31 mois, jusqu'au 15e anniversaire de sa condamnation.

Le suivi socio-judiciaire (SSJ) est une période de suivi post-peine. Elle doit être prononcée lors de la condamnation et peut, pour les crimes, aller jusqu'à 20 ans. Il s'agit d'une création d'une loi Guigou de juin 1998. Elle a donc dix ans. Autant dire qu'elle commence tout juste à s'appliquer pour les crimes. Ce qui ne l'a pas empêché d'avoir été modifiée par la loi Perben II : pour les crimes postérieurs au 10 mars 2004 et puni de 30 ans de réclusion criminelle ou de la perpétuité, le SSJ est automatiquement de 30 ans, et peut être prononcé sans limitation de durée en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. La surveillance judiciaire et le suivi socio judiciaire sont compatible : le second commence quand la première prend fin.

Il nous faut donc dans cette hypothèse :
-Que le condamné ait purgé sa peine de détention ;
-Ait été l'objet d'une surveillance judiciaire ou d'un suivi socio judiciaire (ou des deux) ;
-Qu'à l'issue de ces deux mesures, sans qu'il ait bien sûr réitéré sinon il serait déjà incarcéré, la Commission Pluridisciplinaire qui n'existe toujours pas décide de le placer par période d'un an renouvelables sous surveillance de sûreté ;
-Qu'au cours de cette surveillance de sûreté, il ne respecte pas une de ses obligations ;
-Que cette violation de ses obligation révèle qu'il est très probable qu'il passe de nouveau à l'acte ;
-Et bien sûr qu'il ne soit pas mort de vieillesse dans l'intervalle parce que là on en est au moins à 20 ans après sa condamnation.

Il y aurait donc bien sanction, mais pour des faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui suffit à apaiser le courroux du Conseil.

Jules de Diner's Room a une autre théorie sur la bienveillance du Conseil sur cette disposition : cet article 13-III ne serait tout simplement pas applicable, puisqu'il reposerait sur une condition impossible matérialisée par les mots "à nouveau" : il faudrait EN OUTRE que le Surveillé ait déjà fait l'objet d'une mesure de Rétention de Sûreté pour justifier qu'il soit à nouveau d'une dangerosité telle qu'il faille le placer en Rétention de Sûreté. Je ne suis pas sûr que le Conseil ait voulu dire cela (le commentaire aux Cahiers ne le laisse pas croire) mais voici un superbe argument juridique pour les amis des assassins avocats de la défense confrontés à un risque de placement en rétention de leur client dont le seul crime est de trop aimer les enfants.

En tout cas, le président de la République semble quant à lui hors d'atteinte de tout risque de retenue, puisqu'il a fait savoir par l'ex futur maire de Neuilly qu'il allait demander à Vincent Lamanda, premier président de la cour de cassation, de réfléchir au moyen de faire entrer en vigueur immédiatement ces dispositions.

Las, le président se heurte à ce dont je parle souvent ici : cette psychorigidité des magistrats dès lors qu'il s'agit d'appliquer la loi. Le premier président a fait savoir, avant même de recevoir sa lettre de mission, qu'il refusait tout de gob toute remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel sous le fallacieux prétexte que la Constitution l'interdirait.

J'aurais encore beaucoup de choses à dire mais j'ai déjà été trop long. Je ferai un deuxième billet si nécessaire.

Une chose simplement. Bien que ce sujet mêle inextricablement politique et droit, tous les commentaires visant à attaquer la personne du président de la République, à invoquer les mânes d'un régime de sinistre mémoire mais disparu il y a 63 ans, ou les propos de charretier entendu au Salon de l'agriculture seront supprimés. J'ai un peu trop été pris pour un forum des colleurs d'affiche anti-Sarkozy ces derniers temps. Mon humeur n'est plus à la tolérance, la France perdu face à l'Angleterre.

A bon entendeur...

samedi 23 février 2008

Le conseil constitutionnel censure partiellement le projet de loi sur la rétention de sûreté

Ca alors. L'application immédiate aux personnes déjà condamnées est contraire à la Constitution.

C'est vraiment totalement inattendu.

Là, le Gouvernement va droit dans le mur et je doute qu'il puisse l'ignorer. (...) Ici, la loi crée une possibilité de privation de liberté pour une durée indéterminée, les périodes d'un an étant renouvelables de manière illimitée jusqu'au décès du condamné, et la déclare applicable à des faits où cette possibilité n'existait pas au moment où ils ont été commis. C'est une mesure moins favorable au condamné, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'imagine pas un seul instant que le Conseil constitutionnel laissera passer une chose pareille sous prétexte qu'on l'aurait affublé du cache-sexe de « mesure de sûreté », surtout quand on sait qu'y siège un ancien premier président de la cour de cassation (et un condamné en puissance diront les mauvaises langues, ce que je ne suis pas).

La suite est au moins aussi inattendue.

En somme, le gouvernement se prépare à nous refaire le coup de la réductibilité des intérêts d'emprunt, dit le coup de la bonne du curé : « J'voudrais bien, mais j'peux point ». Puisque cette prolongation de surveillance judiciaire ne concerne que les condamnés à quinze ans au moins, elle n'entrerait concrètement en vigueur que douze ans après le vote de la loi au mieux, quand les condamnés à quinze ans commenceront à devenir libérables. Pour un président qui inscrit son action dans l'immédiateté et le résultat instantané, le voilà contraint de se projeter dans l'avenir, pire : dans l'après lui, et on sait que ce n'est pas dans la nature du personnage.

Non, c'est pas le genre de la maison.

Nicolas Sarkozy persiste à souhaiter une application immédiate de la rétention de sûreté pour les criminels jugés dangereux, et a demandé au président de la Cour de cassation de mener une réflexion sur ce sujet après le revers subi jeudi au Conseil constitutionnel.

Récapitulons.

Constitution de la République française :

Article 5. - Le Président de la République veille au respect de la Constitution.

Article 66. - Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.

Et là, nous avons un président qui demande à un des plus hauts représentants de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, de l'aider à faire en sorte qu'une disposition législative rétroactivement privative de liberté déclarée contraire à la Constitution puisse être néanmoins appliquée.

Justification de ce coup d'Etat light ?

"L'application immédiate de la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés (...) reste un objectif légitime pour la protection des victimes".

En plus, comme ces victimes n'existent pas, puisqu'on parle de crimes "susceptibles de se produire", aucun risque d'être contredit par celles-ci. C'est pratique.

Moi, en tout cas, je trouve que tout va bien. Pas vous ?

(Je reviendrai plus en détail sur cette décision et sur la loi telle qu'elle va entrer en vigueur).

mercredi 20 février 2008

Far Far Away, conte pour enfants pas sages

Par Dadouche



Il était une fois, dans la Province des Petis Pois de la Fédération de Far Far Away, un prince bien malheureux. Il était le benjamin des rejetons du Roi Procureur, et s'était vu confier LE fief dont personne ne voulait. Substitut Charmant, c'est le nom de notre valeureux héros, était Baron des Mineurs.
Pas un jour ne passait sans qu'il enviât son frère ainé, le Vice-Roi Comptable, qui avait reçu en apanage le Duché de la Banque et du Commerce. Même le cadet, le Prince Maton, Comte des Cachots, lui paraissait certains jours avoir un sort plus enviable.
Car la tâche que le Roi avait confiée à Substitut Charmant avec le Domaine des Mineurs, c'était de s'occuper desdits mineurs. Pas pour leur conter des histoires le soir à la veillée, ni pour les emmener jouer à la soule. Non, il devait les empêcher de faire des bêtises et de troubler la tranquillité des autres domaines.

Il était aidé dans sa tâche par la Fée Dadouche, qui vivait à l'autre bout du Royaume.
Substitut Charmant aurait préféré avoir affaire au Maréchal Gascogne, avec qui il aurait au moins pu jouer à la soule, mais tous ses frères se les disputaient déjà, lui et son pôle de Mousquetaires.
Non seulement la Fée Dadouche n'était pas toujours de bonne humeur à cause de ses insomnies, mais en plus, pour parvenir chez elle avec les mineurs turbulents, il fallait traverser le Labyrinthe de 45.

Lire la suite...

mercredi 13 février 2008

Maljournalisme à LCI (article modifié)

Comment faire un scandale à partir de rien, ou pas grand chose ?

En tapant sur la justice. Ca ne mange pas de pain et ça marche à tous les coups.

Dernier en date : LCI.fr publie un article sur un incident survenu devant la cour d'assises de Rennes, sous le titre de : « Incroyable bévue aux assises de Rennes ».

Les faits sont les suivants :

La cour d'assises de Rennes devait juger sept personnes accusées d'une série de vols à main armée commis courant 2000 et 2001 à Rennes et Saint-Malo.

La procédure devant la cour d'assises, la juridiction qui juge les crimes (punis de 15 ans de réclusion criminelle et plus) et qui est composée de trois magistrats professionnels et neuf jurés tirés au sort, est entièrement orale : tous les éléments du dossier sont débattus à l'audience, les témoins, enquêteurs et experts doivent venir en personne déposer et répondre aux questions de la cour, des parties civiles, du parquet et de la défense.

Or un des témoins a révélé à la barre que l'un des gendarmes ayant mené l'enquête l'avait à cette occasion agressé sexuellement, faits pour lesquels il avait été définitivement condamné en appel.

Émoi de la défense qui découvre ces faits, et à sa demande, ainsi qu'à celle des parties civiles, le procès est renvoyé à une date ultérieure, le président s'étant dit "contraint et forcé" d'accéder à cette demande, pour la sérénité des débats.

En fait, le seul point problématique est que l'avocat général qui représentait le parquet à cette audience était celui qui siégeait à la chambre des appels correctionnels ayant condamné le gendarme pour agression sexuelle. Ce qui pour LCI signifie sans l'ombre d'un doute que l'avocat général était « au courant de ces éléments ».

Prenons un peu de recul, et pensons en juriste et non en journaliste, c'est à dire en considérant que les personnes sont innocentes jusqu'à preuve du contraire.

Que s'est-il passé ? Un des gendarmes chargé de l'enquête dans le cadre de l'information judiciaire menée par un juge d'instruction est visiblement tombé sous le charme de ce témoin et s'est fait trop pressant, physiquement semble-t-il. Une plainte a été déposée, qui a donné lieu à des poursuites et une condamnation. Je pense que jusque là, tout le monde sera d'accord pour dire qu'il n'y a pas dysfonctionnement.

Mais le gendarme, quand il avait les mains libres, a rédigé un procès-verbal des déclarations du témoin, procès verbal qu'il lui a été demandé de relire et de signer s'il était d'accord avec son contenu. La validité de ce procès-verbal n'est pas altérée par la condamnation du gendarme pour des faits extérieurs à l'affaire. La condamnation étant largement postérieure à cette audition, elle n'a été mentionnée au dossier et il est très probable que le juge d'instruction n'ait jamais été informé de l'existence de cette procédure : la loi ne le prévoit pas, et d'ailleurs les modalités de cette information seraient bien difficiles à appliquer concrètement.

Le dossier étant muet sur ce point, les avocats des parties ignoraient tout de cette histoire, comme le juge d'instruction. Et comme le président de la cour d'assises quand il a préparé l'audience, préparation qui consiste en l'étude approfondie du dossier (ce qui ne permet de connaître que ce qui s'y trouve), l'interrogatoire des accusés (art. 272 et suivants du code de procédure pénale) et l'organisation matérielle de l'audience (citation des témoins, des experts, ordre du déroulement des débats, etc). Le président ne peut bien évidemment recevoir et interroger les témoins avant l'audience.

Bref, avant l'audience, personne ne pouvait savoir ce qui s'était passé... sauf l'avocat général. S'est-il tu sciemment ? J'ai vraiment du mal à le croire. Un avocat général (qui est un procureur mais devant une cour d'appel) traite des centaines de dossiers par an. Il voit défiler des centaines et des centaines de prévenus, de victimes, de témoins. Je ne sais pas, et le journaliste de LCI ne s'est pas posé la question, c'est pas son métier (ha, tiens, si), combien de temps s'est écoulé entre l'audience de la chambre des appels correctionnels ayant condamné le gendarme et l'audience d'assises. Il est probable que ce soit un long laps de temps, et qu'au moment où il siégeait en correctionnelle, il ne savait pas qu'il serait saisi du dossier criminel pour lequel le gendarme enquêtait lors de l'agression sexuelle ; dossier qui au demeurant n'avait aucun intérêt pour les débats sur l'agression sexuelle.

S'il avait fait le rapprochement, il aurait été dans son intérêt de prévenir tout incident d'audience qui pouvait provoquer un renvoi ou fonder un appel. Donc informer le président de cet état de fait, qui aurait à son tour informé les avocats des parties pour leur permettre de déposer les demandes qui leur paraissaient opportunes en temps utile (conclusions d'incident des articles 315 et suivants). Parce qu'espérer que la victime de l'agression sexuelle omettrait de signaler ce détail, c'était courir au désastre, et pour espérer en tirer quoi au juste ? Je ne vois pas trop, et là encore, il ne faut pas compter sur le journaliste de LCI pour se poser la question. D'autant plus que les assiduités pressantes du gendarme ne sont pas a priori (je ne connais pas du tout le détail du dossier, donc c'est sous toutes réserves) de nature à entacher le témoignage reçu, et qu'en outre, le témoin est présent à la barre pour confirmer ou modifier ses déclarations.

Plus graves sont les déclarations d'un autre témoin disant que des dates lui avaient été soufflées au cours de l'enquête ; mais là encore, c'est un élément qui ne figurait pas au dossier et qui est découvert à l'audience.

En fait, ce que cette affaire révèle, c'est tout l'intérêt de la procédure orale qui est de mise aux assises : les débats sont longs et imposent de remettre à plat tout le dossier pour discuter de chaque élément de preuve. Et les problèmes de ce type, qui ont pu échapper au juge d'instruction, ou à un avocat général, sont presque immanquablement mis au jour avant que le verdict ne soit rendu. Ce n'est pas par hasard que le dossier de l'affaire d'Outreau s'est écroulé lors des audiences devant une cour d'assises. Ces débats publics et oraux ont une vertu que ne peuvent avoir les procédures écrites et secrètes qui prévalent lors de l'instruction, quels que soient les mérites des magistrats qui en sont saisis.

Bref, ce n'est pas un dysfonctionnement de la justice auquel on a assisté ici, mais au contraire la preuve que la machine fonctionne plutôt bien, puisque rien n'est resté dissimulé. Le dossier n'était pas en état d'être jugé car un élément pouvant être important (ce qui n'est même pas sûr) a été découvert au cours de l'audience, l'affaire sera donc jugée plus tard, pour permettre à toutes les parties de décider de leur position à ce sujet.

La procédure n'est pas viciée, et grâce à cette décision, ne le sera pas. Les accusés seront jugés et d'ici là demeurent incarcérés jusqu'au procès, la cour ayant dû statuer sur ce point. C'est regrettable pour eux, la détention provisoire devant être réduite au minimum, mais c'est ici un moindre mal et leurs avocats ont dû pouvoir demander leur élargissement. Pas de bévue, mais de la sagesse et le respect de la loi. Tout au plus un peu de temps perdu.

Pas assez sexy pour LCI, donc. On connaît la suite.


MISE A JOUR IMPORTANTE

Des lecteurs proches du dossier m'ont apporté des précisions importantes, qui ne figurent pas dans l'article de LCI, qui relativisent considérablement mon propos.

D'une part, l'affaire d'agression sexuelle a donné lieu à une instruction judiciaire. Ouverte à Saint-Malo, elle aurait été suivi par le seul magistrat instructeur de la ville... donc celui qui instruisait aussi l'affaire criminelle. Donc le juge d'instruction connaissait les deux affaires, contrairement à ce que j'affirmais.

D'autre part, l'arrêt condamnant le gendarme daterait du 5 février, soit après l'ouverture du procès d'assises. L'audience de jugement était donc très proche de l'ouverture du procès d'assises. Ce d'autant que l'avocat général aurait reconnu au cours de l'audience avoir fait le rapprochement mais gardé l'information, estimant qu'elle n'avait pas de lien avec le procès d'assises.

Donc l'excuse de bonne foi amnésique que je plaidais ne tiendrait pas (je parle au conditionnel, n'ayant pu vérifier ces informations, mais disons que les sources me paraissent dignes de foi).

Si tous ces éléments sont exacts, alors, oui, on pourrait parler de bévue, car croire que cette condamnation n'aurait pas de conséquences sur l'audience (trois semaines de débats étaient prévus), soit qu'elle ne serait pas révélée par la victime, soit qu'elle ne provoquerait qu'indifférence révèle de la part de l'avocat général une naïveté certes touchante mais qui n'a pas sa place aux assises.

Il est vraiment dommage que le journaliste de LCI n'ait pas pris la peine d'apporter ces précisions.

lundi 14 janvier 2008

Electa una via, et après, tiens-y toi

Billet un peu technique, qui s'adresse surtout à mes confrères, aux étudiants, aux élèves avocats, et aux associations de victimes. Je vais donc, une fois n'est pas coutume, me cantonner à un vocabulaire technique s'adressant à des juristes.

La cour de cassation vient d'opérer un revirement de jurisprudence qui est lourd de conséquence pour les victimes de délits involontaires, ou plus exactement ceux qui s'estiment victimes de délits involontaires. Et pour leurs avocat, une source de sinistres potentiels non négligeable.

Je me permets donc d'attirer l'attention là dessus pour vous éviter de gros ennuis, et des conséquences potentiellement très dures pour vos clients.

Bon, je pense que j'ai bien excité votre curiosité.

Le revirement a eu lieu en deux temps.

Le premier, c'est l'Assemblée plénière de la cour de cassation qui l'a opéré le --6-- 7 juillet 2006. Par cette décision, la cour de cassation étend considérablement la portée de l'article 1351 du Code civil sur l'autorité de la chose jugée : désormais, pose la cour,

il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci.

Bref, si vous échouez sur un fondement juridique, vous êtes irrecevable à en soulever un autre : il fallait le faire pendant l'instance. On a ici l'adaptation au droit civil de l'unicité de l'instance prud'homale.

Les étudiants en droit auront noté ici un superbe cas d'interprétation jurisprudentielle allant à rebours de la lettre du texte, car la rédaction de l'article 1351 du Code civil limite l'autorité de la chose jugée :

L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

A contrario, on pourrait en déduire que dès lors qu'une nouvelle demande est présentée après un premier procès infructeux par le même demandeur contre le même défendeur, elle ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée, si la cause est différente ou qu'elle est présentée en une autre qualité. C'est d'ailleurs la lecture qui a prévalu pendant deux siècles de Code civil.

Mais désormais, la cour exige que dès le premier procès, le demandeur soulève tous les moyens qu'il estime de nature à fonder sa demande, à peine d'irrecevabilité.

Vous n'aimiez pas soulever des moyens subsidiaires ? Maintenant, vous n'avez plus le choix.

Mais là n'est pas la nouveauté sur laquelle je tiens à attirer votre attention.

Le 25 octobre 2007, la 2e chambre civile, spécialisée dans la responsabilité civile entre autres, a étendu cette jurisprudence à l'action civile portée au pénal[1]. Et là, les conséquences donnent le vertige.

Les faits étaient les suivants.

Une patiente, Madame Y., a, dans des circonstances que j'ignore totalement, vu son état de santé se dégrader alors qu'elle avait confié sa santé à un médecin, le Docteur X. Elle a dans un premier temps intenté contre lui une action pénale pour blessures involontaires. Mise à jour : J'ai pu me procurer des informations complémentaires :il s'agissait d'un médecin généraliste qui a pratiqué une liposuccion dans des conditions d'asepsie douteuses qui ont entraîné une gangrène gazeuse ayant nécessité sept interventions chirurgicales et laissé des séquelles gravement invalidantes ; les faits remontent à 1990 ; après dix années d'instruction et trois expertises, le tribunal correctionnel a relaxé le médecin et débouté la partie civile de sa demande fondée sur l'article 1382 du Code civil.

Qu'à cela ne tienne, Madame Y. saisit alors la juridiction civile d'une action en responsabilité contractuelle fondée sur l'article 1147 du Code civil. Le docteur X. soulève en défense une fin de non recevoir tirée de l'article 1351 du Code civil. La cour d'appel de Rouen rejette le 28 juin 2006 (soit avant l'arrêt d'Assemblée plénière) la fin de non recevoir aux motifs que le tribunal correctionnel n'a été saisi que d'une demande en responsabilité délictuelle, et non contractuelle : il y avait donc différence de cause et de qualité.

Non, répond la 2e chambre civile de la cour de cassation, qui reprend mot pour mot le même attendu de principe que l'Assemblée Plénière : il incombait à Madame Y. de soulever l'ensemble des moyens qu'elle estimait de nature à fonder la responsabilité du docteur X., puisque l'article 470-1 du Code de procédure pénale donne compétence au juge pénal qui relaxe pour une infraction non intentionnelle pour connaître des demandes fondées sur des règles de pur droit civil, à savoir la responsabilité contractuelle, la responsabilité du fait des choses et les règles spéciales applicables aux accidents de la circulation.

Madame Y. n'ayant pas soulevé ces moyens subsidiaires devant le tribunal correctionnel, elle est irrecevable à agir devant la juridiction civile.

Quand on connaît le montant des préjudices en matière de responsabilité médicale, vous imaginez les sinistres que cela peut provoquer.

Et ajoutons à cela l'article 515 du Code de procédure pénale qui rend irrecevables les demandes nouvelles de la partie civile en cause d'appel, autant dire qu'une fois que la relaxe est prononcée, il est trop tard pour rectifier ses conclusions.

Pire encore : au pénal, l'assistance par un avocat n'est pas obligatoire, quel que soit le montant du litige. Ceux qui croient pouvoir se débrouiller sans avocat vont le payer au prix fort, à savoir le risque d'absence d'indemnisation de leur préjudice, fût-il une invalidité à vie.

Avis aux victimes : il existe des cabinets spécialisés dans le préjudice corporel. Si vous êtes victime d'un accident grave, qu'il soit médical, de la circulation, ou que sais-je encore, n'hésitez pas : allez les voir. Je vous donne leur coordonnées sur simple demande par e-mail. Leur compétence devient plus que jamais indispensable.

Et quant à vous, chers confrères, désormais, quand vous défendez au pénal une victime d'infraction involontaire (blessures involontaires ou homicide involontaire), soulevez toujours subsidiairement, en cas de relaxe, la responsabilité du fait des choses ou la responsabilité contractuelle à l'appui de vos demandes, ou constituez-vous partie civile au seul soutien de l'action publique sans présenter la moindre demande, ce qui vous met à l'abri de l'autorité de la chose jugée, et vous garantit de pouvoir porter l'action au civil (devant la CIVI si le dossier le permet) quel que soit le résultat. Seuls échappent à ce danger les dommages causés lors d'un accident de la circulation, les règles de la loi de 1985 étant les seules applicables, qu'il y ait responsabilité pénale ou pas : pas de risque d'oublier de soulever un autre moyen, il n'y en a pas.

La sévérité de la solution est très grande, car l'article 470-1 du CPP précise que la compétence du juge pénal n'est maintenue en cas de relaxe que dans l'hypothèse où le tribunal est saisi par une ordonnance de renvoi ou à l'initiative du ministère public, ce qui exclut l'hypothèse de la citation directe par la partie civile, ce qui est une bien étrange prime à la partie civile procédurière, car seule est exposée celle pour qui un magistrat (juge d'instruction ou procureur) aura estimé qu'elle a vraisemblablement été victime d'un délit, tandis que celle allant directement au procès pénal par citation directe verra son action civile préservée en cas de relaxe (car il ne saurait y avoir autorité de la chose jugée si le juge saisi était incompétent).

C'est à ce genre de détails que l'on voit que la solution retenue par la cour s'insère mal dans les textes. Il va falloir que le législateur intervienne, ou que la cour écarte sa jurisprudence dans le cas de l'action civile portée au pénal. Sinon, on va aboutir à des décisions totalement inéquitables et dramatiques pour des victimes qui se sont constituées parties civiles.

Désolé pour mes lecteurs non juristes, qui doivent être perdus dans tout ce vocabulaire juridique. En guise de récompense pour avoir lu jusqu'au bout, l'explication du titre : electa una via est une règle de droit formulée en latin, et qui est comme il est d'usage citée uniquement avec les deux premiers mots, ou les trois premiers quand l'un d'entre eux est un article ou adverbe. La phrase complète est : Electa una via, non datur recursus ad alteram, règle consacrée à l'article 5 du Code de procédure pénale : la victime d'un fait qualifié délit qui a porté son action devant le juge civil ne peut plus changer de voie et la porter devant le juge pénal. Désormais, la réciproque est également vraie.

Notes

[1] Publié aux Petites Affiches n°1 et 2, 1er et 2 janvier 2008, p.13, note Barbièri.

jeudi 10 janvier 2008

Mise à jour sur la rétention de sûreté.

Le projet de loi sur la rétention de sûreté mais pas seulement a été adopté hier par l'assemblée. Comme c'était prévisible, la rétention de sûreté a été élargie par les députés, toujours prêts à faire le sale boulot, aux crimes d'enlèvement (soit sept jours ou plus, en deçà, c'est un délit), et concerne tous les crimes commis sur des mineurs, même plus de 15 ans, et sur des victimes majeures pour les seuls crimes d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé ou d’enlèvement ou de séquestration aggravé.

Cette extension aux enlèvements me paraît totalement stupide. Les kidnappeurs qui ne violent ni ne tuent leur victime (puisque s'ils le font, ils tombent sous le coup de la rétention de sûreté telle que prévues dans le projet initial) le font pour des motifs crapuleux, de l'argent la plupart du temps. Ils ne présentent donc aucun trouble mental et aucun psychiatre ne recommandera jamais leur rétention dans un centre socio-médico-judiciaire.

L'extension à tous les mineurs et aux majeurs dans un certain nombre de cas n'est pas anodine : le projet de loi visait expressément les pédophiles dans l'exposé des motifs. Or les criminels pédophiles ne s'attaquent pas à des mineurs de 16 ou 17 ans, pas plus qu'à des adultes. En outre, d'un point de vue prophylactique, puisqu'on nous rebat les oreilles qu'il s'agit d'une mesure de sûreté et rien d'autre, je ne vois pas en quoi, quand la victime est majeure, il faut l'apparition d'une circonstance aggravante pour ouvrir la possibilité d'une rétention de sûreté. Étrangler une jeune fille de 20 ans dans la rue ne révèle aucune dangerosité durable, mais étrangler une concierge, oui ? Manifestement, le législateur ne connaît pas ma concierge !

Les autres changements notables sont les suivants :

- Le critère de la rétention de sûreté est précisé : elle vise la personne qui présente, en raison d’un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une de ces infractions [Meurtre ou assassinat ; torture ou actes de barbarie ; viol ; enlèvement ou séquestration].

- L'expertise réalisée pour la commission multidisciplinaire (la première à statuer, qui propose au procureur général mais ne décide pas) sera réalisée par deux experts au lieu d'un.

- Les commissions qui statuent sont baptisées commission régionale de la rétention de sûreté (CRRS) pour celle au niveau de la cour d'appel qui décide de la mesure et de sa mainlevée, et commission nationale de la rétention de sûreté (Oui, CNRS...) pour celle statuant en appel au niveau de la cour de cassation (je suis pris de vertige devant le contresens contenu dans cette phrase, mais telle est la loi).

- Un condamné dont la libération conditionnelle a été révoquée peut faire l'objet d'une rétention de sûreté. Cela me semblait aller de soi dans le projet initial, mais autant être clair.

- Si la CRRS n'a pas statué sur la demande du retenu visant à ce qu'il soit mis fin à sa rétention dans les trois mois de la demande, celui-ci est mis en liberté d'office. Cela évitera que les rétentions durent uniquement à cause de l'engorgement des la cour d'appel.

Ha, et contrairement à ce que j'indiquais, le gouvernement a déclaré l'urgence sur ce texte. Pour des effets qui ne pourront à mon sens avoir lieu avant 2020 à 2023. C'est n'importe quoi. Quousque tandem abutere, Governatus, patientia Parlamentaria ?

A suivre au Palais du Luxembourg.

mercredi 9 janvier 2008

Retenez-moi ou je fais un malheur

L'Assemblée nationale a commencé aujourd'hui l'examen du projet de loi n° 442 relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental.

Deux points sont abordés, qui suscitent la polémique, forcément, car ils ne figuraient pas au programme du candidat Sarkozy (dont la relecture au bout de six mois de présidence est intéressante) mais semblent bien avoir été décidés en réaction à des faits divers, ce qui n'est jamais la meilleure inspiration pour le législateur. Et comme souvent, on découvre un décalage entre le discours ferme, voire rigide, du présigouvernement, et la réalité du texte, qui est plutôt modéré.

Le projet de loi, susceptible de modification au cours des débats parlementaires, se divise en trois parties sans lien logique entre elles, ce qui démontre l'aspect bricolage du texte. Et vous allez voir que le bricolage devient acrobatique parfois.

La première concerne donc cette fameuse rétention de sûreté, seul point que j'aborderai ici (je reviendrai sur le jugement des irresponsables, c'est un grand moment d'émotion).

De quoi s'agit-il ? Pour faire court, de la possibilité de maintenir enfermé au-delà de sa peine un criminel considéré comme étant encore particulièrement dangereux.

Plus en détail, ce dispositif s'appliquerait aux personnes remplissant deux conditions cumulatives : avoir été condamnées pour des faits de meurtre, assassinat (qui est le meurtre commis avec préméditation), actes de torture ou de barbarie ou viol, commis sur un mineur de quinze ans (soit âgé de quinze ans ou moins) ; et avoir pour ces faits été condamné à une peine d'au moins quinze années de réclusions criminelle.

Pour ces personnes, un an avant la date prévue de sortie, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, créée par la loi du 12 décembre 2005, doit se prononcer "au vu de tous les éléments utiles" et après une expertise médicale. La rétention de sûreté peut être envisagée par la commission si deux conditions sont réunies : 1°, les mesures existantes (inscription au FIJAIS, injonction de soin, placement sous surveillance électronique mobile) apparaissent insuffisantes pour prévenir le risque de réitération, et 2°, que la rétention soit l'unique moyen de prévenir cette réitération, dont la probabilité doit être "particulièrement élevée".

La loi est muette sur les règles de calcul de cette probabilité et il y a gros à parier que le mathématicien de service sera... l'expert psychiatre.

Le bricolage commence. Et il ne s'arrête pas là. La commission pluridisciplinaire ne va pas décider du placement en rétention de sûreté. Elle va décider s'il y a lieu ou non de faire une proposition motivée au procureur général du lieu de détention de la personne, qui pourra alors saisir... une commission régionale (Ha, que deviendrait la République sans ses commissions qui peuvent décider qu'il faudrait peut être saisir une commission ?) composée de trois juges de la cour d'appel dont un ayant rang de président de chambre.

Première incise : pourquoi ne pas appeler cela une chambre, plutôt qu'une commission, puisqu'elle statuera comme nous allons le voir après un débat contradictoire, l'avocat du condamné entendu ? D'autant plus qu'en 2002, une chambre de l'application des peines a été créée pour connaître des appels des décisions des juridictions d'application des peines (JAP statuant seul ou tribunal de l'application des peines). Pourquoi ne pas utiliser ce qui existe, plutôt que créer à chaque fois un nouveau truc appelé commission ? Oui, c'est vrai, il faut savoir que ça existe, le fait de l'avoir voté il y a 4 ans n'étant pas suffisant en soi. Fin de la première incise.

La loi ne précise pas si le procureur général est tenu par cet avis motivé. La rédaction semble indiquer que oui (« La commission régionale est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté » ; en droit le présent de l'indicatif vaut impératif.), mais le principe de l'opportunité des poursuites s'applique-t-il ? Un amendement parlementaire réglant la question serait le bienvenu (à bon entendeur, mes lecteurs assistants parlementaires salut).

Une fois cette commission régionale saisie, au plus tard trois mois avant la date de sortie prévue, elle statue comme une juridiction : un débat contradictoire, c'est à dire où les parties (le procureur général, demandeur de la rétention de sûreté d'un côté, le condamné et son avocat de l'autre) exposent leur position et répliquent à celle de l'autre, un débat contradictoire disais-je a lieu, puis la commission décide de l'éventuel placement en rétention de sûreté, en retenant les mêmes critères que ceux posés pour la commission multidisciplinaire (qui a dit « double emploi » ?) : mesures existantes insuffisantes, probabilités de récidive particulièrement élevées. Un recours est possible devant, mais oui vous avez deviné, une commission, composée de trois magistrats de la cour de cassation. Un pourvoi est possible contre cette dernière décision.

Deuxième incise : là encore, un problème se pose, et il est corsé. Faire de la cour d'appel la juridiction de premier degré de la rétention de sûreté impose de faire de la cour de cassation une juridiction d'appel. Or elle demeure compétente en cas de pourvoi. Je ne suis pas sûr et certain que la cour européenne des droits de l'homme considère le pourvoi en cassation portée devant la même juridiction, même autrement formée, comme un recours devant un tribunal impartial au sens de l'article 6 de la Convention. Autre problème : l'existence de ce pourvoi contraindra le Premier président de la cour de cassation à choisir des conseillers extérieurs à la chambre criminelle, spécialisée dans la matière pénale, pour former cette commission d'appel, puisque la chambre criminelle aura à connaître des pourvois en cassation contre les décisions de la commission d'appel. On marche sur la tête. Et là où ça devient un casse tête (donc un casse pied puisqu'on marchait déjà sur la tête), c'est qu'en cas de cassation, la règle veut que l'affaire soit renvoyée à une juridiction de même rang pour être jugée à nouveau. Or ici, il n'y a qu'une juridiction d'appel au niveau national, et elle n'est composée que de trois magistrats ! Bref, personne pour rejuger l'appel, sauf au premier président à désigner trois magistrats ad hoc pour examiner le nouvel appel, autant dire trois conseillers totalement inexpérimentés en la matière. Là encore, il y a du travail parlementaire à faire pour rendre le processus viable. Fin de la deuxième incise.

La rétention de sûreté peut être écartée, et le dossier renvoyé au JAP qui pourra utiliser les moyens existant actuellement pour surveiller le condamné. Rappelons que depuis la loi du 12 décembre 2005, on peut imposer à un condamné bénéficiant de réductions de peine une surveillance judiciaire dont la durée ne peut excéder ces réductions de peine, qui s'analysent en réduction d'incarcération (un condamné condamné en 1999 à 15 ans bénéficie de 3 ans de réduction de peine, il est libérable en 2011 ; il pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire de 2011 à 2014 – je simplifie pour l'exemple).

Si elle est décidée, cela signifie qu'au jour prévu pour la libération, le condamné sera aussitôt placé dans un centre, je cite « socio-médico-judiciaire de sûreté ». Ca n'existe pas encore, c'est renvoyé à un décret en Conseil d'Etat. Il faut dire qu'on a le temps, comme vous allez voir. Ce placement est décidé pour une durée d'un an, renouvelable un nombre illimité de fois. La commission régionale peut également décider du placement sous surveillance électronique mobile pour une durée identique (un an), renouvelable là encore un nombre illimité de fois.

Un mot sur le placement sous surveillance électronique mobile: il ne s'agit pas du bracelet électronique, qui impose au condamné d'être présent à son domicile à des plages horaires déterminées. La surveillance électronique mobile est une sorte de GPS indiquant en permanence la position du porteur et permettant de créer des zones d'exclusion (écoles, domicile de la victime, etc...). Il n'est pas très discret pour ce que j'en ai vu (un bracelet semblable au bracelet électronique, de la taille de la montre du président de la République, et un émetteur qui se porte à la ceinture de la taille d'une boite de cigare, sachant qu'il y a une batterie à l'intérieur. Voir le dossier de presse du ministère de la justice.

La rétention de sûreté ne fait pas obstacle aux règles relatives à la libération conditionnelle. Il faut préciser qu'il y a incompatibilité absolue entre les règles d'octroi de la libération conditionnelle et celle de la rétention de sûreté en ce qui concerne la dangerosité du condamné.

La rétention de sûreté étant privative de liberté, elle ne pourra s'appliquer qu'aux condamnations prononcées après son entrée en vigueur. C'est à dire pas avant 2020 au mieux, puisqu'elle ne s'applique qu'aux peines de 15 ans au moins (mois 31 mois de crédit de réduction de peine si le détenu ne pose pas de problème en prison)

Un mot avant de conclure, et ce sera ma troisième incise, sur un débat un peu trop vite escamoté par le gouvernement : la constitutionnalité de l'article 12 du projet, qui prévoit une entrée en vigueur immédiate, c'est à dire une application aux peines en cours d'exécution, de l'article 2, qui prévoit la possibilité de maintenir la surveillance judiciaire (le condamné est libre mais sour surveillance électronique mobile) au delà de la durée de la peine prononcée. La Constitution, et précisément la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et la convention européenne des droits de l'homme en appui, prohibent d'appliquer des peines plus graves que celles qui étaient prévues quand les faits ont été commis. C'est un droit de l'homme fondamental. Si vous grillez un feu, vous savez que vous commettez une contravention de la 4e classe et que vous risquez 750 euros d'amende. Si le lendemain un loi en fait un délit passible de dix ans d'emprisonnement, vous ne pouvez pas être condamné à une telle peine : on ne pourra au pire vous condamner qu'à 750 euros d'amende.

Le gouvernement invoque la décision du conseil constitutionnel 2005-527 DC du 8 décembre 2005 sur la loi sur la récidive, qui considérait que la surveillance judiciaire, dont j'ai déjà parlé, était applicable aux peines en cours même si elle n'existait pas au moment où les faits ont été commis car il s'agissait d'une mesure de sûreté et non d'une peine (considérants 10 et suivants). Là, le Gouvernement va droit dans le mur et je doute qu'il puisse l'ignorer.

En effet, rappelons que la surveillance judiciaire ne peut à ce jour excéder la durée des réductions de peine du condamné. Et c'est précisément en relevant ce point que le Conseil écarte l'inconstitutionnalité pour atteinte au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (considérants 13 à 15) :

13. Considérant, en premier lieu, que la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ;

14. Considérant, en second lieu, que la surveillance judiciaire, y compris lorsqu'elle comprend un placement sous surveillance électronique mobile, est ordonnée par la juridiction de l'application des peines ; qu'elle repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité ; qu'elle a pour seul but de prévenir la récidive ; qu'ainsi, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction ;

15. Considérant, dès lors, que le législateur a pu, sans méconnaître l'article 8 de la Déclaration de 1789, prévoir son application à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi (...).

Bref, le conseil disait : votre loi crée une mesure de sûreté modalité d'exécution de la peine, elle ne permet pas de faire durer la peine au-delà de la durée prononcée par le tribunal. Elle durcit l'octroi des mesures de retour à la liberté : je n'ai rien à y redire, ces mesures étant par nature favorables à un détenu. Qu'elles le soient un peu moins n'empêche qu'elles demeurent favorables.

Ici, la loi crée une possibilité de privation de liberté pour une durée indéterminée, les périodes d'un an étant renouvelables de manière illimitée jusqu'au décès du condamné, et la déclare applicable à des faits où cette possibilité n'existait pas au moment où ils ont été commis. C'est une mesure moins favorable au condamné, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'imagine pas un seul instant que le Conseil constitutionnel laissera passer une chose pareille sous prétexte qu'on l'aurait affublé du cache-sexe de « mesure de sûreté », surtout quand on sait qu'y siège un ancien premier président de la cour de cassation (et un condamné en puissance diront les mauvaises langues, ce que je ne suis pas).

En somme, le gouvernement se prépare à nous refaire le coup de la réductibilité des intérêts d'emprunt, dit le coup de la bonne du curé : « J'voudrais bien, mais j'peux point ». Puisque cette prolongation de surveillance judiciaire ne concerne que les condamnés à quinze ans au moins, elle n'entrerait concrètement en vigueur que douze ans après le vote de la loi au mieux, quand les condamnés à quinze ans commenceront à devenir libérables. Pour un président qui inscrit son action dans l'immédiateté et le résultat instantané, le voilà contraint de se projeter dans l'avenir, pire : dans l'après lui, et on sait que ce n'est pas dans la nature du personnage. Sauf à aligner trois mandats. Pensée qui referme ma troisième incise.

Pour conclure, que penser de ce projet de loi ?

Sur la forme, vous avez vu qu'il est mal ficelé. Un travail parlementaire intelligent peut régler cela, mais il y a du travail. Tant mieux, parce que pour le moment, le parlement est plus réduit au rôle de machine à signer que de machine à légiférer.

Sur le fond, Robert Badinter, pour qui mes lecteurs savent que j'ai le plus profond respect, émet des critiques vigoureuses. Philippe Bilger, avocat général pour qui je n'ai pas moins de respect, le prend à rebrousse-poil et approuve le principe, sans entrer dans le détail du texte, estimant probablement que ce n'est pas son rôle de magistrat, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en pense pas moins.

Pour ma part, hormis l'aspect entrée en vigueur immédiate, ce projet ne me scandalise pas sur le principe. Il faut garder à l'esprit qu'il ne concernera qu'un très petit nombre de condamnés. Philippe Bilger parle d'une dizaine de personnes. Le chiffre me semble réaliste. Ses conditions, que j'ai rappelées plus haut, sont très restrictives (Liste de crimes réduite, même si elle sera appelée à grossir, on connaît bien le moteur à deux temps au Gouvernement ; peine minimale de quinze années ; dangerosité avérée avec une réitération très probable, et aucune autre mesure de surveillance ne permettant d'y pallier). Des sûretés existent, et rien n'a plus besoin de sûreté qu'une mesure de sûreté : le dossier est forcément réexaminé une fois par an, et le retenu peut demander sa libération trois mois après la dernière décision de maintien. La décision appartient à l'autorité judiciaire et à elle seule.

L'existence d'individus intrinsèquement et à l'heure actuelle incurablement dangereux ne peut pas être ignorée. Je suis d'accord avec Philippe Bilger quand il dit qu'au nom de bons sentiments, la société ne doit pas être sans armes pour assurer la sécurité de ses membres face à un danger évident dont elle a connaissance. L'angélisme en matière pénale fait des victimes humaines. Et en l'état actuel du texte, le risque de voir une personne injustement retenue me semblent particulièrement faibles ; m'indigner alors même que les conditions exactes de cette rétention, qui n'est pas un maintien en prison, c'est-à-dire les possibilités de visite, de communication vers l'extérieur, de liberté de circulation dans l'établissement sont inconnus me paraît prématuré. Enfin, cette menace de rétention constitue enfin le levier qui manquait pour faire pression sur les condamnés qui refuseraient de suivre un traitement en prison, préférant « compter les jours ». Cette attitude ne leur garantirait plus un retour inéluctable à la liberté.

Je n'adhère pas aux critiques émises par Robert Badinter. Il parle de changement radical du droit. L'usine à gaz proposée par le gouvernement s'inscrit au contraire dans une longue tradition de montages invraisemblables. Le sénateur critique l'abandon de la règle « pas de prison sans crime » au profit d'un emprisonnement pour un crime virtuel, qu'il est susceptible de commettre. Mais la rétention n'aura pas lieu dans un établissement pénitentiaire, et ne peut avoir lieu que si un crime a bien été commis au départ. La non rétroactivité de la loi pénale fait que les futurs retenus auront su au moment du passage à l'acte que les faits les exposeraient à une telle mesure. Quant à affirmer que ce projet de loi revient à « garder quelqu'un en prison parce que des psychiatres auront dit 'vous savez, il va peut-être récidiver un jour' », cela va à l'encontre du texte qui dit que la probabilité de réitération doit être « particulièrement élevée ». Je suis d'accord pour constater que ce calcul de probabilité, je ne sais pas trop ce qu'il veut dire. Mais au moins, je sais ce qu'il ne veut pas dire. Ce n'est pas un simple peut être. Et en tant qu'avocat, il m'incombera d'y veiller.

dimanche 30 décembre 2007

Dans la hotte du Père Noël

Je voudrais vous signaler trois ouvrages qui constituent selon moi un must-have pour un avocat pénaliste. Les vieux routards connaîtront sans doute, surtout pour le premier d'entre eux, mais pour les petits jeunes, ils viennent tous les trois de sortir et sont à jour, profitez-en.

Ces ouvrages s'adressent aux praticiens professionnels. Pour les étudiants (sauf les auditeurs de justice et les élèves-avocats, qui ne sont plus tout à fait des étudiants), tournez les talons et allez lire les traités qui décortiquent la matière. Ici, on a affaire à des livres qui tiennent dans la poche et peuvent remplacer avantageusement un Code à l'audience.

Le premier intéressera indifféremment avocats et magistrats. Il trône sur le bureau de bien des procureurs à l'audience et des trois est le seul qui mérite l'épithète d'indispensable.Couverture du guide des infractions

C'est le Guide des Infractions de Jean-Christophe Crocq, qui est magistrat (Editions Dalloz, 9e édition, 46 euros[1]). La nouvelle édition a réussi l'exploit de contenir plus d'informations en réduisant de taille, grâce à l'emploi du papier "Bible" du même type de celui utilisé dans les Codes. La nouvelle édition passe au bi-chrome rouge et noir, ce qui ajoute à sa lisibilité.

C'est un mémento des infractions prévues par le droit français qui, s'il n'est pas exhaustif, tend à l'être, et regroupe en un seul volume les infractions des différents codes (code pénal, code de la route, code de la santé publique, code de commerce, etc.) et lois autonomes (loi de 1881 sur la presse...), en mentionnant les peines principales et complémentaires encourues par les personnes physiques et morales, les particularités procédurales (juge unique, régime de la presse), et si la tentative est punissable ou non. Les définitions sont données sous la forme devant figurer dans les citations en justice, et il y a même le numéro NATINF[2] pour les procureurs.

Et ce n'est pas tout. Le livre s'ouvre sur un très long chapitre sur les poursuites pénales, qui constitue un mémento très complet de la procédure pénale, depuis l'enquête de police au déroulement de l'audience, avec un chapitre sur le droit des victimes et comment former une demande en dommages-intérêts en cas de préjudice corporel lourd (avec la nomenclature Dintilhac expliquée) dont la lecture devrait être obligatoire dans les CRFPA. Il est extraordinairement complet et à jour des lois du 5 mars 2007.

Couverture du guide de la défense pénale Le second s'adresse plus spécifiquement aux avocats. Il s'agit du Guide de la défense pénale de mon confrère François Saint-Pierre, éminent pénaliste s'il en est (Editions Dalloz, 5e édition, 42 euros). C'est un mémento de l'avocat en charge de la défense. Une bonne prise en main nécessite une première lecture in extenso, tandis que les deux autres ouvrages sont faits pour être consultés ponctuellement pour trouver l'information que l'on cherche. Il présente les droits de la défense en six chapitres (le droit à un avocat, le droit de connaître l'accusation, le droit de contester l'accusation, le droit de contester la légalité de l'accusation, le droit de contester le jugement et le droit de contester le juge), sous forme de droits-actions, c'est à dire en présentant les enjeux pour l'avocat et précisant comment il peut agir pour faire valoir ces droits.

La procédure pénale est en effet comme une locomotive sur des rails. Seule la présence de l'avocat est nécessaire, pas son action (contrairement à la procédure civile, ou l'avocat est le machiniste), et un avocat passif comme une vache dans son champ ne gênera pas le déroulement de la procédure, au contraire : la locomotive roulera tranquillement vers la condamnation. L'avocat pénaliste doit être actif, pour faire dérailler la locomotive (c'est la nullité de la procédure, ou le non-lieu, la relaxe ou l'acquittement obtenus contre les réquisitions du ministère public) ou l'aiguiller vers une autre destination (c'est à dire une peine différente de celle requise par le parquet). J'arrête ici ma métaphore ferroviaire, mais ce qu'il faut en retenir est qu'un avocat avec des lacunes en droit pénal pourra se donner l'illusion d'être partie au procès alors qu'il n'en sera que spectateur. Et ce livre donne les outils pour être acteur. Chaque chapitre rappelle les textes applicables (code de procédure pénale, mais aussi ordonnance de 1945 sur les mineurs), cite quelques arrêts de référence, pose les règles de droit positif et en prime, pose les débats en jeu sur le thème du chapitre, l'auteur allant même jusqu'à glisser des suggestions de réforme dont la pertinence nourrit la réflexion.

Il se construit sur un rappel historique de la procédure pénale, qui montre avec une tragique acuité comment tous les progrès des droits de la défense ont été immanquablement rapportés par une loi postérieure, ou grandement neutralisés par la jurisprudence, les seuls progrès récents et durables étant dus à la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme. Ca fait du mal à lire, mais paradoxalement, c'est aussi très sain pour se rappeler à quoi sert un avocat de la défense. Quelques dérives dans la pratique par certains magistrats instructeurs (pas tous, loin de là, dieu merci !) sont dénoncées avec pertinence, et je vous encourage à lire le chapitre sur l'abus de droit que constitue la garde à vue de suspects dans le cadre d'une instruction (§112.7), et le paragraphe « Choses vues : exemples de faux en écritures judiciaires » (§434.7), dont je confirme la véracité, en ayant été témoin moi-même. Le ton n'est pas du tout polémique, et le respect de l'auteur pour les magistrats ne fait aucun doute, ce qui le rend tout particulièrement légitime à dénoncer certains comportements anormaux bien qu'hélas trop rentrés dans les mœurs (comme les enquêtes de personnalité ordonnée lors d'une instruction hors la présence de l'avocat sans qu'aucun texte ne l'autorise).

Couverture du guide des peinesEnfin, le troisième, lui, s'adresse plus aux magistrats, mais devrait intéresser aussi les avocats pénalistes. Il s'agit du Guide des peines, de Bruno Lavielle, Michaël Janas et Xavier Lameyre, tous trois magistrats (Editions Dalloz, 4e édition, 42 euros). Retour à un ouvrage technique, une compilation de fiches pour trouver rapidement tous les renseignements dont on a besoin. C'est un ouvrage pour les juges d'applications des peines, mais la matière s'étant considérablement judiciarisée depuis la loi Perben II, l'avocat a un rôle de plus en plus important à y jouer, et dieu sait qu'un dossier d'aménagement de peine bien monté par un avocat, qui saura réunir les éléments pertinents, en tout cas bien mieux que la famille désemparéed'un détenu contactée par le SPIP, et qui soutiendra sa demande et répliquant s'il le faut aux objections du ministère public lors du débat contradictoire devant le JAP, a de bien meilleures chances d'aboutir. Le livre décrit toutes les peines, y compris les peines complémentaires ou alternatives, avec leurs modalités pratiques d'exécution, et rappelle à quelles infractions elles s'appliquent (c'est donc le complément du Guide des infractions, qui fait la liste des peines prévues par infractions), et reprend tous les éléments utiles pour les mesures d'aménagement pouvant être prononcées. Un avocat n'ayant pas pour le moment de formation en droit de l'application des peines au cours de sa formation professionnelle, c'est à lui de se prendre en main. La matière doit être étudiée par un ouvrage technique complet (en l'occurrence, je ne connais pas mieux que le Droit de l'application des peines de Martine Herzog-Evans, Editions Dalloz, collection Dalloz Action, 78 euros [3]), mais une fois les bases acquises, le guide présente l'avantage d'être synthétique et complet, et d'être plus transportable. Là aussi, malgré son aspect technique, la réflexion d'ensemble n'est pas absente, et le blues du JAP que constitue le chapitre 04 (« Où s'arrêteront nos peines ? ») est d'une richesse que je recommande par sa réflexion sur la politique pénale récente.


Full Disclosure : Je me suis acheté ces trois ouvrages, comme je me suis acheté les éditions antérieures, dont je ne connais pas les auteurs personnellement. Je n'ai pas d'actions chez Amazon, et ne touche aucun revenu de par ces liens. L'un des auteurs de ces ouvrages a eu la gentillesse de me contacter pour m'offrir un exemplaire de son livre, ce dont je le remercie encore, mais j'avais prévu de vous parler de ces trois excellents livres depuis longtemps.

Notes

[1] Oui, je sais.

[2] Chaque infraction se voit attribuer un numéro de nomenclature afin de faciliter le traitement statistique. Le meurtre est le 5169, le viol est le 1115, le vol le 7151...

[3] Oui, je sais.

lundi 24 décembre 2007

Abécédaire judiciaire

Par Dadouche


A comme Avocat :
Bouc émissaire quand le juge est déjà pris
(Mon avocat devait s’en occuper/ne m’avait pas prévenu/m’avait dit le contraire/m’a mis sur la paille)

B comme Boule de cristal :
Accessoire dont sera dotée la promotion Albus Dumbledore de l’ENM

C comme Cour de Cassation :
Langage commun : cimetière de procureurs généraux pachydermiques
Langage présidentiel : boîte de petits pois

D comme Désistement :
Bonne nouvelle pour le juge.

E comme Erreur judiciaire :
Jugement qui me donne tort.

F comme Féminisation :
80 % de filles à chaque nouvelle promo de l’ENM.

G comme Greffier :
L’Alpha et l’Oméga des juridictions

H comme Holographie :
Technique à l’étude pour se passer (enfin) de juge.

I comme Innocence :
Présumée, sauf celle du juge.
« Il faut que le juge paye » (un ministre de l'intérieur)

J comme Juge des Victimes :
Objet Judiciaire Non Identifié

K comme Kilométrage :
Considérablement augmenté par la réforme de la carte judiciaire

L comme LOLF :
Explication désormais rituelle à tous les problèmes budgétaires.
« c’est à cause de la Lolf qu’il faut maintenant couper les post-it en 8 » (le greffier en chef de Gascogne)

M comme Moyens :
Insuffisants.

N comme Noël :
Cauchemar du juge des enfants, qu’on regarde comme s’il venait d’égorger Bambi s’il refuse un droit de visite le 25 décembre.
(Mais Madame le juge, c’est Noël)

O comme Outrage à l’intelligence du tribunal :
C'est à cause de mon sirop pour la toux qui contient de l’alcool que j'avais une alcoolémie de 3g par litre de sang. (un prévenu qui n'a pas fini de tousser)

P comme Plancher :
Avenir du Parquet si tout le monde continue à s’essuyer les pieds dessus ou à le rayer de ses dents pointues.

Q comme « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » :
Cri du cœur de l’avocat désigné par son Bâtonnier pour assister un plaignant d’habitude

R comme Récidive :
Perseverare diabolicum

S comme Sceaux :
Gardés.

T comme Tome :
Unité de mesure du dossier d’instruction
« J’peux pas, j’ai un quinze tomes à régler » (un substitut chargé de l’éco-fi)

U comme Urgent :
Caractéristique principale du rapport au parquet général

V comme Vitesse :
Jamais la bonne. Les comparutions immédiates sont toujours trop rapides, les instructions toujours trop lentes.

W comme Warrant Agricole :
On sait que ça existe, on ne veut surtout pas savoir ce que c’est. Voir aussi bail emphytéotique.

X comme X :
Classement de la plupart des interrogatoires d’instruction et des sessions d’assises

Y comme Yssingeaux : Tribunal d’instance « impacté ». RIP

Z comme Zygomatiques : Peu sollicités en ce moment.

mardi 27 novembre 2007

Liste de Noël

Par Dadouche.


Les services municipaux commencent à accrocher les décorations en travers des rues. Des monceaux de foie gras dégoulinent des rayons de mon supermarché.

Comme beaucoup de mes "clients", je commence à préparer ma lettre à qui de droit.

Lire la suite...

lundi 26 novembre 2007

Chambre avec vue

Par Dadouche


Le maître des lieux m’ayant filé un double des clés pour arroser les plantes en son absence en échange d’une chambre d’ami, je débarque avec mes petites affaires.

Si vous lisez ce billet, c’est que j’ai bien compris les instructions et que je ne suis pas restée coincée à la porte. C’est déjà ça.

Le plus dur reste à venir : trouver un sujet...

La carte judiciaire, ça, c’est bon, c’est fait, même si on en reparlera forcément.
Les moyens de la justice, c’est un peu comme la pub dans la boîte au lettres : on en parle tellement, à chaque détour de billet, que personne n’y fait plus attention.
Le droit des étrangers, j’y connais rien, le traité constitutionnel européen, pas beaucoup plus. Et puis j’aurais l’impression de squatter la chambre à coucher.

Qu’est ce que je connais mieux qu’Eolas ? Au fur et à mesure que je lis ses billets, ça se réduit comme peau de chagrin.

Si, il y a quand même un truc : l’envers du décor judiciaire, celui dont les avocats n’ont qu’un aperçu.
Voilà, c’est avec ça que je vais décorer la chambre d’ami : les coulisses de la justice en province.

J’ai déjà quelques bibelots, posés ça et là dans ce blog au fil des commentaires : les affres du JLD, la journée d’un substitut, le délibéré d’assises ou encore les joies de l’assistance éducative et de l’audience Muscadet (n’ayant pas encore trouvé le placard des produits d’entretien, je suis bien incapable de mettre les liens qui vont bien ça y est j'ai trouvé, j'espère que je n'ai pas laissé de miettes partout).
Il n'y a plus qu'à meubler autour...

Mon armoire normande, ça pourrait être le point commun à tout ça : le greffier.

Parce qu'un magistrat sans greffier, c’est Actarus sans Goldorak, Harry sans Ron et Hermione, Philémon sans Baucis, le yin sans le yang ou l’Auvergne sans Saint Nectaire : rien du tout.

Le greffe d’un tribunal comprend des greffiers (catégorie B) et des agents (catégorie C), sous l’autorité du greffier en chef (catégorie A). Le Livre huitième de la partie réglementaire du Code de l’Organisation Judiciaire leur est consacrée.
Leur rôle est ainsi défini : les greffiers en chef et les greffiers “assistent les magistrats à l’audience et dans tous les cas prévus par la loi”. Les agents peuvent également tenir ce rôle en “faisant fonction” de greffier en prêtant serment (mais pour pas un rond de plus...).

Au delà de cette fiche de poste un peu sèche, le personnel de greffe est l’âme d’un tribunal.

N’importe quel avocat vous le dira : entre le juge et le greffier, choisissez toujours le greffier. Les juges passent mais les greffiers restent et ils peuvent singulièrement faciliter ou compliquer la vie d’un auxiliaire de justice selon son attitude avec le personnel de greffe.
Les avocats les plus malins sont ceux qui se ruinent en ballotins de chocolat au moment des fêtes pour les distribuer dans les services du tribunal.

L'accueil des justiciables est réalisé par le personnel de greffe, au standard téléphonique ou au Guichet Universel de Greffe (GUG).

Au Parquet, le secrétariat-greffe enregistre toutes les procédures qui arrivent au bureau d’ordre et les font parvenir aux magistrats, puis assurent l’intendance des décisions prises.
Un classement sans suite ? On sort le courrier d’avis à la victime.
Une citation devant le tribunal correctionnel ? On audience le dossier en faisant parvenir la citation à l’huissier et on met le dossier en état (demande de casier judiciaire, avis à la victime etc...)
Une audience correctionnelle ? On assiste à l’audience où l’on prend les notes qui feront foi sur son déroulement, on met en forme le jugement et on le fait signifier si besoin est, avant d’assurer la transmission au casier judiciaire, à la maison d’arrêt, au JAP, au Trésor Public, bref, à tous ceux qui concourent à l’exécution de la décision ou doivent en être informés.
Une session d’Assises ? Il faut convoquer les jurés, les chouchouter, convoquer les experts et les témoins, prendre en charge les mémoires de frais de tout ce petit monde, veiller à éviter la moindre nullité de procédure.

Dans les procédures civiles, le secrétariat-greffe tient le répertoire général des affaires dont la juridiction est saisie et verse au dossier tous les documents relatifs à l’affaire.
Un certain nombre d’avis sont également délivrés, ainsi que les convocations des parties dans certaines matières.
Le greffier assiste à l’audience puis assure la mise en forme du jugement tel qu’il a été motivé par le juge ainsi que la délivrance des copies des décisions et la transmission des dossiers d’appel.

Dans les fonctions de cabinet (juge des enfants, juge d’instruction, juge d’application des peines, juge des tutelles) où on “gère” des stocks de dossiers plutôt que des flux, le couple juge/greffier est la pierre angulaire du système. Contrairement au service pénal ou civil, le juge et le greffier ont souvent des bureaux mitoyens (et généralement communicants) et travaillent main dans la main toute la journée.
Le greffier adresse toutes les convocations, assiste à l’audience (enfin en principe, parce que chez le juge des enfants, ce n’est pas toujours le cas), met en forme les jugements et ordonnances, délivre les copies de dossier aux avocats.
Le greffier d’instruction est le garant de la fidélité du procès verbal, le greffier du juge des enfants est la courroie de transmission indispensable avec les familles et les services éducatifs, le greffier du JAP est en relation fréquente avec l’établissement pénitentiaire et le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le greffier des tutelles reçoit souvent la visite impromptue de majeurs protégés qui viennent râler contre leur tuteur ou curateur.
Si le courant ne passe pas entre les deux membres du couple, la cohabitation est douloureuse et le fonctionnement du cabinet peut être altéré.

Les greffiers sont en première ligne, souvent le rempart du juge contre les justiciables qui veulent débarquer dans le bureau, les avocats extérieurs qui veulent “dire un mot au juge” pour le sonder avant l’interrogatoire, les officiers de police judiciaires qui attendent la prolongation de commission rogatoire qui est restée sous la pile.

Il faut rappeler que c’est une greffière du TGI de Rouen qui a été brûlée par une justiciable furieuse d’un refus de modification du contrôle judiciaire et qu’ils sont plus généralement les victimes immédiates du mécontentement des justiciables.
On comprend qu'une formation de gestion des "publics difficiles" leur soit fréquemment proposée...

Et quel soulagement, après un interrogatoire tendu, une audience de placement difficile, une reconstitution sous la pluie toute une journée, un procès d’Assises sur plusieurs jours, un débat devant le juge des libertés et de la détention qui se termine à 23 heures, de pouvoir échanger avec quelqu’un qui l’a vécu à côté de vous.

Pour avoir travaillé pendant 5 ans avec une greffière d’instruction exceptionnelle dotée d’un sens de l’humour à toute épreuve et avoir la chance encore aujourd’hui d’avoir à mes côtés une greffière de juge des enfants expérimentée qui materne “sa” juge et a l'art d'apaiser les familles les plus vindicatives, je mesure tout ce que le personnel du greffe peut apporter à l’oeuvre de justice.

Pourtant, les délais de traitement des procédures et les conditions d’accueil du public se dégradent, notamment parce que les secrétariat-greffes souffrent d’un sous-effectif chronique (revoilà la pub dans la boîte aux lettres).

Selon l’annuaire statistique de la Justice 2006, il y avait en 2005 environ 22000 fonctionnaires et contractuels des services judiciaires (ce qui comprend aussi les agents de service techniques, les concierges, les chauffeurs etc...), dont 10000 greffiers et greffiers en chef, pour 7500 magistrats. Enfin, ce sont les effectifs budgétaires, qui ne sont pas tous pourvus.
De nombreuses juridictions ne “tournent” que grâce au dévouement des fonctionnaires, qui assument, comme les magistrats, de plus en plus de tâches.
Exemple : la loi Perben (je ne sais plus le numéro, j'ai perdu le fil) prévoit la délivrance d’un avis à victime pour toutes les procédures classées sans suite au motif “auteur inconnu”. Compte tenu du taux d’élucidation des procédures, cela a représente en 2004 3.300.000 procédures sur les 5.400.000 enregistrées dans les parquets français. Le même nombre de greffiers est donc censé envoyer plus de 3 millions de courriers-type en plus. Etant donné que certains greffes ne parviennent même pas à enregistrer les procédures dont l’auteur reste inconnu, je vous laisse imaginer comment la nouvelle loi va être appliquée.

Et encore, les magistrats font de plus en plus eux-mêmes des tâches en principe dévolues aux greffiers, qui eux mêmes sont contraint d’abandonner souvent leur rôle de garant de la procédure pour un travail de secrétariat auquel les agents ne suffisent plus depuis longtemps.

Je profite donc de l'emménagement dans ma chambre d’ami pour ce coup de chapeau à ceux qu’on entend assez peu, et qui seront les plus gravement touchés par la réforme de la carte judiciaire (et on a pas fini d’en parler de celle-là).
A Moulins, ce sont des avocats et une greffière qui se sont mis en grève de la faim...

Spéciale dédicace à mon Goldorak de l’instruction et ma Baucis du tribunal pour enfants.

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