Parlons programme : les propositions de Nicolas Sarkozy sur la justice. (Le pavé du week end)
Par Eolas le vendredi 23 février 2007 à 19:37 :: Politique :: Lien permanent
Chose promise, chose due. Voici mon commentaire des 16 propositions de l'UMP en matière de justice. Le prochain épisode sera sur François Bayrou.
C'est un pavé, vous avez de quoi tenir jusqu'à lundi. Bon week end.
1. Réformer la carte judiciaire autour d'une cour d'appel par région et d'un tribunal de grande instance par département. Moins de tribunaux d'instance, mais des tribunaux plus importants.
La carte judiciaire française est un héritage de l'Ancien Régime, et ne correspond pas à la carte des régions administratives, à laquelle elle est largement antérieure. Son dessin correspond plus aux anciennes provinces, et fait apparaître quelques bizarreries, que je rechigne à qualifier d'anomalies. Par exemple, certains départements sont fort bien pourvus en tribunaux de grande instance, le record étant détenu par le département du Nord, qui n'a pas moins de sept tribunaux de grande instance (Dunkerque, Hazebrouck, Lille, Cambrai, Valenciennes, Avesne sur Helpe et Douai, siège de la cour d'appel) ; de même, les cours d'appel n'ont pas leur siège dans les principales métropoles régionales, mais dans les villes où se trouvait la résidence du seigneur de la province, ce qui fait que des grandes villes comme Lille, Clermont-Ferrant ou Marseille ne sont pas le siège d'une cour d'appel, ces juridictions siégeant à Douai, Riom, ou Aix-en-Provence.
La proposition vise ici à aligner la carte judiciaire sur la carte administrative de la France. Je n'ai guère d'opinion sur cette question, qui est une pure question organisationnelle, qui me concerne peu. Avocat au Barreau de Paris, j'exerce devant un tribunal de grande instance dont le ressort est celui d'une ville qui est aussi un département, et les juridictions devant lesquelles je plaide le plus souvent (les tribunaux de grande instance de Créteil, de Bobigny, de Nanterre, de Versailles et de Pontoise) ont une compétence départementale, puisque issue de la réforme de 1967 ayant morcelé les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise. Tout au plus relevè-je une certaine anomalie que le département des Yvelines, d'une taille considérable pour la région parisienne, n'ait qu'un seul tribunal de grande instance à Versailles, qui plus est, complètement excentré, tandis qu'un département d'une taille sensiblement équivalente, comme la Seine-et-Marne, ait trois tribunaux de grande instance : Meaux, Melun et Fontainebleau. L'opinion des magistrats sur la question sera intéressante : amis lecteurs qui portez une robe à la simarre de soie noire, votre avis m'intéresse. Toujours est-il que cette organisation peut éventuellement poser problème pour les barreaux d'avocats qui parfois sont réduits à être des micro-barreaux, mais la loi prévoit depuis longtemps la possibilité pour des barreaux voisins de s'associer et se fondre en un barreau unique afin de mettre en commun leurs moyens. Une telle réforme sera en tout cas très coûteuse à mettre en place, ce changement de carte judiciaire impliquant des déménagements, des créations de nouveaux tribunaux de grande instance plus grands pour réunir des services auparavant disséminés sur le territoire, et une profonde révision des postes de magistrats, greffiers, et autre personnel administratif des tribunaux. Je ne suis pas sûr que la simplification que suppose cette réforme vaille vraiment le coût qu'elle implique, mais là-dessus, je reste encore une fois dans l'expectative de commentaires plus éclairés.
2. Spécialiser davantage les juridictions et créer des chambres spécialisées au niveau national ou interrégional pour les contentieux difficiles, techniques ou rares.
J'avoue me prendre à rêver de demander mon admission sur titre au sein de la magistrature afin d'obtenir ma mutation dans une de ces juridictions spécialisées dans le contentieux rare. Par exemple, je suis volontaire pour présider la future Chambre Nationale des Dégâts causés par des Météorites. Je promets que le dossier que j'aurai à traiter tous les dix ou douze ans sera examiné avec une diligence et une célérité qui feront honneur au traitement mensuel que je recevrai. Ironie mise à part, mais il n'y avait pas de raisons que seule Ségolène Royal fût victime de mon goût pour moquer les puissants, l'idée proposée ici par l'UMP est déjà en application. Le tribunal de grande instance de Paris est en effet doté d'une compétence nationale pour bien des contentieux extra-ordinaires. C'est pour cela par exemple qu'au moment où j'écris ces lignes se tient à Paris le procès sur la catastrophe de l'Erika, dont les plaques de mazout ne sont pas que je sache venues lécher le pied des murs de la Cour de Cassation. En matière de terrorisme, le tribunal de grande instance de Paris a également une compétence nationale, ce qui explique que les procès de terroristes corses, basques ou islamistes s'y tiennent quelque soit l'endroit où ont eu lieu leurs attentats. A défaut de la nouveauté, je peux déduire que cette proposition vise à renforcer ce mouvement, et à créer des juridictions spécifiques sur le modèle espagnol de l'Audiencia Nacional plutôt que refiler le bébé au tribunal de grande instance de Paris.
Je ne puis que regretter que ces contentieux « difficiles, techniques ou rares » ne soient pas explicités. Mais il paraît qu'être candidat à la présidentielle dispense d'entrer dans les détails qui ennuient l'électeur ou de se préoccuper du financement selon le principe bien connu de « l'intendance suivra », principe qui nous a valu des succès du type de Dien Bien Phû.
3.Revaloriser le statut des magistrats, c'est-à-dire réévaluer leurs traitements et augmenter les moyens mis à leur disposition pour exercer leurs fonctions.
Voilà enfin une proposition qui réconciliera Nicolas Sarkozy avec la magistrature. J'ignore en revanche les raisons de l'hostilité du ministre-candidat à l'égard des greffiers ainsi exclus de toute augmentation. L'augmentation des moyens revient à une augmentation du budget de la justice, aucun objectif chiffré n'étant indiqué ici, contrairement à Ségolène Royal, et comme nous le verrons, à François Bayrou, qui parlent tous deux d'un doublement de ce budget. Il y a donc un consensus entre les principaux candidats pour la nécessité d'augmenter le budget de la justice, mais comme ce consensus existait déjà il y a cinq ans, vous me pardonnerez de faire preuve d'un optimisme modéré.
4.Séparer les carrières du siège et celles du parquet, pour garantir l'indépendance des juges du siège.
Cette proposition figure également dans le programme de Ségolène Royal, à ceci près que la candidate socialiste propose que cette séparation soit effective au bout de 10 ans de carrière. Nicolas Sarkozy propose une séparation immédiate et vraisemblablement dès la formation, bien que cela ne soit pas précisé. Je vous renvoie à mes explications dans le billet sur le programme de Ségolène Royal sur cette séparation, mon peu d'enthousiasme pour l'idée n'ayant pas varié depuis.
5.Permettre l'application d'une vraie politique pénale gouvernementale, en créant notamment un poste de procureur général de la nation.
Les compétences de ce procureur général de la Nation ne sont pas précisées. Actuellement, c'est le ministre de la justice, Garde des Sceaux, qui est le supérieur hiérarchique du parquet. Il a directement sous ses ordres les procureurs généraux, qui sont à la tête des parquets des cours d'appel, qui ont eux-mêmes sous leurs ordres les procureurs de la République, à la tête des parquets des tribunaux de grande instance.
La proposition formulée ici changerait la pointe de la pyramide en substituant au Garde des Sceaux un procureur général de la nation, dont on peut supposer qu'il serait lui-même magistrat de carrière. Là encore, l'absence de détails du programme laisse en suspends beaucoup de questions. Le procureur général de la nation sera-t-il hiérarchiquement soumis au Garde des Sceaux, auquel cas c'est une réforme pour rien, la situation restant la même. Le procureur général de la nation sera-t-il indépendant, auquel cas on aboutirait de facto à une indépendance du parquet, qui était déjà une proposition du candidat Chirac en 2002.
Si tel était le cas, c'est une véritable révolution judiciaire qui est proposée ici, qui bouleverserait une grande partie de la conception de la politique pénale française. En effet, la politique pénale, c'est à dire le choix des priorités en matière de poursuites pour chaque parquet, est coordonnée au niveau national actuellement par le gouvernement. Cette solution n'a rien de choquante, puisque le gouvernement est issu de la majorité parlementaire, parlement qui a dans la constitution pour fonction de contrôler l'activité du gouvernement et au besoin de l'interpeller sur telle ou telle question, voire le renverser. Ainsi, cela permet à la politique pénale d'être contrôlée à la fois par l'exécutif et par le législatif, étant entendu que les décisions elles-mêmes sont rendues par des magistrats parfaitement indépendants.
Dans ce cas, se posera la question de la légitimité du procureur général de la nation. Le Garde des Sceaux est un homme politique, qui est membre du gouvernement, sous la surveillance directe de la présidence de la République, garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire, et comme je l'ai indiqué, sous celle du parlement. Le pouvoir exécutif est légitime ; il est prévu par la Constitution et émane du Parlement ou du suffrage universel direct. Il n'en va pas de même de ce procureur général de la Nation, et se pose dès lors la question des conditions de sa nomination, de sa révocation, et des éventuelles instructions qu'on pourrait lui donner. Vous voyez que lancer une idée comme cela sans entrer un tant soit peu dans les détails ne permet vraiment pas de se faire une opinion sur l'opportunité et la qualité de la suggestion.
6.Faire évoluer la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) vers une majorité de membres non magistrats.
Cette proposition relève d'un consensus des principaux candidats. Rappelons que le Conseil Supérieur de la Magistrature a une double fonction. Il intervient dans la nomination et dans la discipline des magistrats. Il est composé de 18 membres, le président de la République en étant le président de droit, et le Garde des Sceaux, ministre de la justice, le vice-président. Outre ces deux augustes membres, il comprend 16 membres dont quatre ne sont pas des magistrats, les douze autres membres étant eux des magistrats élus par leurs pairs, qui sont répartis entre les deux formations différentes du Conseil de la Magistrature. La formation qui examine les questions relatives aux magistrats du siège, c'est à dire les juges, comporte 5 magistrats du siège et un magistrat du parquet, tandis que la formation examinant les questions relatives à un membre du parquet comportent cinq magistrats du parquet pour un du siège.
Comme je l'avais expliqué dans ce billet sur la responsabilité des magistrats, la formation disciplinaire des magistrats du siège prend la décision de sanction, hors la présence du président de la République et du ministre de la justice, pour garantir l'indépendance des juges, tandis que la formation jugeant disciplinairement un membre du parquet ne fait que formuler un avis, la décision finale étant prise par le Garde des Sceaux, comme pour tout fonctionnaire.
Cette composition et ses règles de compétence ne sont pas innocentes. L'actualité récente en a donné un exemple. A la suite de l'affaire d'Outreau, le Garde des Sceaux a marqué sa ferme volonté de sanctionner le premier juge d'instruction ayant eu à connaître de cette affaire, l'estimant responsable de ce désastre judiciaire, car il va de soi que le parlement n'a voté que d'excellentes lois, et que le gouvernement s'est assuré que la justice avait tous les moyens nécessaires pour faire correctement et promptement son travail.
Or le Conseil Supérieur de la Magistrature, formation du siège, a refusé de sanctionner ce magistrat, estimant qu'il n'avait commis une faute disciplinaire. Le Garde des Sceaux s'est néanmoins interrogé sur la question de savoir s'il pouvait prononcer une sanction à l'égard de ce magistrat, qui depuis a fait l'objet d'une promotion l'ayant amené au parquet d'un grand tribunal de grande instance que je connais particulièrement bien. Vous voyez donc toute l'importance qu'il y a dans ces garanties d'indépendance : si un magistrat du siège ayant courroucé un ministre de la justice n'était plus à l'abri sous prétexte qu'il passait du siège au parquet, c'est toute l'indépendance des juges qui est ainsi remise en cause.
Je connais fort peu, pour ne pas dire pas du tout, le Conseil Supérieur de la Magistrature, qui n'est pas une juridiction devant laquelle j'ai eu l'honneur de plaider. Le Conseil Supérieur de la Magistrature rend un rapport annuel mentionnant ses décisions disciplinaires, qui sont peu nombreuses, et peuvent parfois sembler d'une certaine indulgence, surtout si on les compare aux décisions disciplinaires rendues par nos Conseils de discipline pour les avocats en exercice. Cette réforme de la composition ne doit pas être prise à la légère comme une simple réforme d'un comité Théodule. Mettre les magistrats en minorité, c'est une façon détournée pour le pouvoir politique de tenter de prendre le contrôle de ce Conseil, et de pouvoir imposer des décisions plus conformes à sa volonté, étant clairement entendu que la volonté de l'exécutif n'est pas forcément conforme à l'intérêt du pouvoir judiciaire. Une telle réforme nécessiterait d'ailleurs une révision de la constitution, texte qu'il ne faut jamais changer à la légère, ce que le président actuel affectionne pourtant tout particulièrement. Pour ma part, tant qu'on ne m'aura pas démontré que dans sa formation actuelle, le Conseil Supérieur de la Magistrature ne satisfait pas à sa mission, je suis opposé à toute modification de sa composition. Et le fait que l'exécutif soit agacé par les décisions que prend le Conseil Supérieur de la Magistrature aurait plutôt tendance à me démontrer qu'il est tout à fait indépendant à son égard et est de nature à me rassurer.
7.Ouvrir le droit de saisine du CSM aux justiciables qui estiment avoir été victimes de la négligence ou de la faute d'un magistrat.
Actuellement, le droit de saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), n'appartient qu'au Garde des Sceaux. Un justiciable qui estimerait avoir été victime de la négligence ou de la faute d'un magistrat doit donc s'adresser à lui, qui effectuera donc une fonction de filtre des plaintes manifestement infondées ou abusives. La proposition de saisine élargie consisterait donc à permettre aux justiciables de ne pas avoir à passer par le Garde des Sceaux, mais à s'adresser directement à ce Conseil. Auquel cas, il faudra prévoir une procédure de filtrage des recours, car le pouvoir judiciaire rendant environ trois millions de décisions par an, dans lesquelles il y a toujours au moins une partie qui a des raisons d'être mécontente, le CSM risque rapidement de crouler sous les recours. Cela dit, je n'ai aucune objection de principe à ce qu'une juridiction, ce qu'est le CSM en matière disciplinaire, puisse être saisie directement sans trop d'obstacles. Mais ce système de filtrage dont je parlais sera concrètement absolument indispensable. Ce sera donc un objet de débat essentiel, et de ce fait naturellement escamoté de la campagne.
8. Créer un juge s'occupant spécifiquement des victimes, chargé notamment de veiller à la pleine et entière exécution de la condamnation.
Je ne suis pas certain qu'un juge spécifiquement compétent sur ce point soit véritablement nécessaire. Au civil, il existe ce que l'on appelle le juge de l'exécution, qui est compétent pour les questions d'exécution, comme son nom l'indique, de décisions de justice. C'est un juge du tribunal de grande instance qui siège à juge unique selon une procédure rapide et simplifiée, puisque par hypothèse la question principale a déjà été tranchée et définitivement tranchée, et il n'est plus compétent que pour les incidents liés à l'exécution tels qu'une demande de délai de grâce par le débiteur, une contestation de la validité d'une saisie, et toute mesure de manière générale visant à l'exécution forcée d'un jugement. Ce juge, de création relativement récente (1991), est sans nul doute très utile et a été une bonne idée. Mais nous sommes dans un cadre civil, c'est à dire d'un conflit entre particuliers. Il y a un demandeur et un défendeur qui se connaissent déjà fort bien, qui sont en conflit l'un avec l'autre, et à qui appartient l'initiative de faire exécuter leur jugement. La partie ayant gagné peut sans problèmes saisir le juge d'un litige lié à l'exécution, qui entend les arguments de l'autre partie et tranche.
En matière pénale, la situation est totalement différente. Le litige qui existe est entre l'Etat, ou la société, représentés par le parquet, et le condamné. La victime n'est au procès qu'une pièce rapportée, elle vient greffer son action sur celle de l'état visant à réprimer l'auteur de l'infraction, pour demander au juge de profiter de cette audience pour lui accorder des dommages-intérêts (voyez mes explications dans ce billet sur l'affaire Dieudonné.
Le juge compétent pour les décisions relatives à l'exécution de la peine est le juge d'application des peines (JAP), en laissant de côté les questions contentieuses portant sur la peine elle-même, qui relèvent toujours de la compétence de la juridiction ayant statué en dernier. Le JAP peut intervenir dans le paiement effectif des dommages-intérêts si ce paiement a été prévu comme modalité d'un sursis avec mise à l'épreuve, encore que son intervention se résume à menacer de révoquer le sursis si le condamné le paye pas.
La victime ayant obtenu une condamnation à des dommages-intérêts se retrouve dans la même situation que la personne ayant obtenu du juge civil un jugement de condamnation de son débiteur. Si elle fait exécuter sa condamnation par un huissier de justice afin qu'il pratique des saisies, c'est le juge de l'exécution qui est compétent. La difficulté qui apparaît là est qu'une telle exécution suppose un contact judiciaire prolongé entre la victime et l'auteur des faits, notamment parce que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant le juge de l'exécution, et que les parties peuvent donc avoir à comparaître en personne, contact qui risque fort d'être désagréable pour la victime, et qui surtout suppose pour elle de s'identifier parfaitement (notamment en indiquant un domicile). Ce n'est pas donc tant un juge spécifique qu'il faut créer, puisqu'il existe déjà, mais une procédure particulière distincte des voies de recouvrement civiles existantes, ce qui là encore pose des questions et crée des difficultés considérables, dont le règlement en faveur de la victime suppose de porter atteinte à d'autres droits tout aussi dignes de respect du condamné.
Je n'ose pas interpréter cette proposition comme étant la création d'un juge s'occupant spécifiquement des victimes chargé de la pleine et entière exécution de la condamnation pénale. Si tel était le cas, nous sombrerions dans une proposition purement démagogique, et faisant fi d'un principe fondamental, tant juridique que philosophique : la victime n'a à prendre aucune part dans le châtiment du coupable, qui relève de la seule société. La justice n'est pas l'exercice du droit de vengeance, et pour bien des victimes, être ainsi chargé en plus du fardeau de punir l'auteur des faits ne ferait qu'ajouter à leur souffrance.
9.Renforcer la présomption d'innocence en adoptant un code de déontologie des médias dont le respect sera assuré par une autorité administrative indépendante.
La profession de journaliste s'est dotée d'un code de déontologie depuis 1918, qui a été reformulé par une fédération de journalistes européens en 1971 sous la forme de déclaration de devoirs et de droits des journalistes. L'indépendance des médias et de la presse est d'une importance telle en démocratie qu'il est peu souhaitable que l'Etat intervienne en la matière, puisque c'est contradictoire avec la notion d'indépendance. La meilleure garantie d'indépendance d'une profession est de la laisser s'autoréguler. Dès lors, laisser l'Etat imposer des obligations aux journalistes, sachant que ceux qui rédigeront ce projet de loi et ceux qui le voteront sont parmi les premières victimes potentielles des journalistes ne me paraît pas une bonne idée, loin de là.
L'autorégulation ne signifie pas l'absence de règles, au contraire, et il y a en France une loi sur la liberté de la presse depuis le 29 juillet 1881 qui fixe très clairement les limites que toute personne publiant, pas seulement les journalistes, mais aussi les blogueurs, doit respecter. A cela s'ajoutent des textes protégeant l'image des personnes et leur vie privée, et depuis quelques années leur présomption d'innocence. Bien sûr, souvent des affaires mettent en conflit deux intérêts dignes de protection : le droit à l'information d'une part et le droit à la protection de la vie privée et de la présomption d'innocence d'autre part. Mais pour cela il existe une autorité administrative indépendante pour fixer les limites de l'un et l'autre de ces droits, cela s'appelle la Justice, et en l'occurrence elle fait plutôt bien son travail. Cette proposition me paraît donc au mieux inutile, au pire pernicieuse.
10.Repenser en profondeur la phase d'instruction autour de deux solutions possibles :
- regrouper les juges d'instruction dans des pôles, un par département, rendre la cosaisine obligatoire pour les affaires lourdes et pour les juges d'instruction débutants, et renforcer les droits de la défense tout au long de la procédure ;
- confier l'instruction des affaires au parquet qui agirait sous le contrôle d'un juge de l'instruction et des libertés.
Ou comment faire une proposition en en faisant deux totalement contradictoires. Je veux bien admettre qu'un programme se dispense d'entrer dans les détails, ces choses qui sont supposées rebuter l'électeur (encore que, quand je lis les commentaires chez moi, je ne suis pas convaincu de la réalité de ce désintérêt supposé). Mais à tout le moins un programme doit présenter des choix qui ont été faits. Dire « votez pour moi, je ferai soit l'un, soit l'autre, je ne sais pas encore », cela ne s'appelle pas un programme, mais une publication d'hésitation. Si je devais glisser un bulletin au nom de Nicolas Sarkozy dans l'urne, j'aimerais bien savoir pour laquelle de ces deux solutions je vote en fait. Notre candidat n'étant pas encore sorti de sa réflexion sur ce point là, quelques observations sur l'alternative qui nous est proposée.
Sur l'idée de regrouper les juges d'instruction dans des pôles départementaux, je me permets de faire remarquer au candidat que sa proposition numéro 1 vise à réformer la carte judiciaire en créant un tribunal de grande instance par département. Regrouper les tribunaux de grande instance en un seul tribunal implique nécessairement de regrouper les juges d'instruction dans des pôles départementaux. Cela pourrait prêter à sourire si cela ne démontrait pas que les candidats ne réalisent pas les conséquences de leurs propres propositions. Et là, le sourire se fige.
Rendre la co-saisine obligatoire pour les affaires lourdes ne me pose pas de problème dès qu'on m'aura défini ce qu'est une affaire lourde. S'agit-il de peser le dossier ? Rendre la co-saisine obligatoire pour les juges d'instruction débutants : s'agit-il de mettre deux juges débutants ensemble ou de les mettre sous la (responsabilité ? subordination ?) d'un juge d'instruction plus expérimenté ? Rien n'est dit.
Le poste de juge d'instruction peut être le premier poste d'un magistrat fraîchement sorti de l'école nationale de la magistrature. Cela peut étonner, mais cela fait longtemps que cela fonctionne ainsi, et beaucoup de juges d'instruction ayant eu à diriger leur cabinet à peine sortis de l'ENM s'en sont fort bien sortis, et ce même dans des petits tribunaux où ils étaient le seul juge à ce poste. Beaucoup d'instructions ne posent en effet aucune difficulté particulière. Seul un tout petit nombre finit par faire la Une des journaux et Dieu merci une quantité infinitésimale tourne à la catastrophe comme les affaires d'Outreau ou Villemin. Réformer toute l'organisation des cabinets d'instruction uniquement en considération d'affaires qui ne surviennent qu'au rythme d'une tous les dix ans, sans qu'il ait été établi qu'une telle réforme aurait évité à ces affaires de tourner au désastre me paraît une idée très difficile à mettre en place, matériellement coûteuse, et d'une efficacité douteuse.
Notons enfin que la proposition de regrouper les tribunaux de grande instance en en mettant un et un seul par département supposera qu'il n'y aura plus de juge d'instruction seul, que la co-saisine est déjà possible, et que les juges d'instruction ont déjà l'habitude, face à une difficulté particulière, de demander l'avis de leurs collègues, y compris les plus anciens dans la profession. Rendre une co-saisine systématique et obligatoire aura enfin pour effet d'alourdir et donc de rallonger des instructions qui ne le nécessitaient nullement.
Renforcer les droits de la défense tout au long de la procédure : comment ne pourrais-je pas être d'accord avec cette proposition ? Mais d'une part de la part d'un gouvernement qui a en cinq ans pris une dizaine de lois visant exclusivement à favoriser les autorités chargées des poursuites et de la répression, revenant sur un bon nombre des avancées de la loi du 15 juin 2000, ce soudain revirement et cette prise de conscience de la grandeur et de l'utilité des droits de la défense me paraît aussi crédible que la pudeur de Tartuffe. Là-dessus, le candidat se contente d'ailleurs d'une jolie formule, sans fournir le moindre exemple concret de point sur lequel les droits de la défense méritent d'être renforcés selon lui. Chat échaudé craignant l'eau froide, je n'accorde là-dessus aucun poids à la parole de ce candidat, tout en espérant au fond de moi me tromper.
Deuxième branche de l'alternative, supprimer le juge de l'instruction en mettant à la place une procédure accusatoire, l'instruction relevant du parquet sous le contrôle d'un juge de l'instruction et des libertés qui serait saisi par la défense. Combien de fois me suis-je énervé contre des juges d'instruction qui me semblaient instruire à charge sous le prétexte que mon client avait reconnu les faits qui étaient au surplus parfaitement établis ?
Plus sérieusement, le juge d'instruction « instruit à charge et à décharge », c'est à dire qu'il a pour fonction de chercher la vérité et de vérifier tout élément dans le dossier permettant d'établir cette vérité, sans prendre en considération le fait que le résultat probable de la mesure qu'il ordonne tend à prouver la culpabilité ou au contraire à démontrer l'innocence (règle que le sort facétieux ne respecte pas toujours, et combien d'expertises censées mettre Untel hors de cause l'ont en fait mis dans le pétrin, et son avocat dans l'embarras ?).
Le juge d'instruction n'est pas un juge de l'accusation. Il peut d'ailleurs être saisi tant par le parquet que par la défense d'une demande de faire tel ou tel acte. Dans le catalogue des clichés des avocats, la première place revient sans nul doute à l'accusation faite au juge d'instruction de n'instruire qu'à charge. Ca ne mange pas de pain, et les journalistes adorent. Il demeure que les juges d'instruction recherchent réellement les éléments à charge et à décharge, mais que les parquets ayant la sale habitude de mener des enquêtes préliminaires bien ficelées (soyez maudits !), lorsqu'il saisit le juge d'instruction d'un réquisitoire contre personne dénommée, c'est que des preuves de la culpabilité existent. Il est absurde de demander au juge d'instruction de tout faire pour trouver des éléments dont rien ne prouve l'existence, qui permettront à la défense de soulever des contestations. Mon expérience des cabinets de juges d'instruction m'a révélé que la neutralité des juges d'instruction est globalement une réalité en France. Notez bien que je ne répéterai jamais cela avec une caméra de télévision braquée sur moi sur les marches du Palais : je pesterai naturellement contre ce juge qui n'instruit qu'à charge.
Dès lors, renoncer à cette autorité, quoi qu'on en dise impartiale, au profit d'une autorité, certes elle aussi magistrate, mais hiérarchiquement soumise au procureur de la République, au procureur général, et tout là haut, au Garde des Sceaux, n'est vraiment pas une perspective qui me paraît plus enchanteresse que la configuration actuelle. Je crains fort que mes confrères dénonçant aujourd'hui les juges d'instruction instruisant à charge les regretteront le jour où ils auront face à eux un procureur dont la fonction sera effectivement d'instruire à charge. Dès lors, cette réforme ne me paraît pas souhaitable.
11.Supprimer le juge des libertés et de la détention et le remplacer par une juridiction d'habeas corpus, formation collégiale sans le juge d'instruction chargé de l'affaire et statuant en audience publique.
En fait cette formulation compliquée revient à dire : faire du juge des libertés et de la détention (JLD) une juridiction collégiale statuant en audience publique, en en changeant le nom pour faire plus réforme. En effet, depuis la création du JLD par la loi du 15 juin 2000, il a toujours été entendu que le juge d'instruction ne pouvait pas être également juge des libertés et de la détention dans le même dossier. Plus encore, la loi interdit, à peine de nullité du jugement, que le juge des libertés et de la détention ayant connu un dossier siègeât par la suite dans la juridiction de jugement de la même affaire.
Dès lors exclure que le juge d'instruction fasse partie de la juridiction collégiale des libertés et de la détention ne change rien à l'état du droit actuel, et n'est qu'une application des principes européens garantissant l'indépendance de la justice.
Ajoutons que la loi permet déjà aujourd'hui de solliciter la publicité de l'audience devant le juge des libertés et de la détention, demande à laquelle le juge des libertés et de la détention ne peut s'opposer que par un jugement motivé. La difficulté qui se pose ici est que l'audience devant un juge des libertés et de la détention suppose de faire état des éléments du dossier tels qu'ils résultent des enquêtes de police qui ont pu être effectuées, ou de l'instruction si elle a déjà été ouverte plusieurs mois auparavant. Certains de ces éléments doivent dans l'intérêt de la justice et de la personne poursuivie elle-même rester secrets. Par exemple, l'un des motifs pouvant justifier une demande de placement en détention provisoire est que des actes d'investigation sont encore en cours, actes qui doivent être détaillés (on recherche X pour l'interpeller, on doit perquisitionner chez Y...). Si le public peut assister à cela, cela peut être un moyen pour les éventuels complices d'apprendre les futures actions de la police, et éventuellement tenter de s'en prémunir. C'est ce qui justifie le secret de l'instruction, au-delà même de la protection de la présomption d'innocence, dont on connaît le caractère largement fictif.
Dès lors le législateur ne pourra pas faire l'économie de l'hypothèse d'audiences se tenant néanmoins à huis clos. Donc passer du principe du huis clos, pouvant être public à la demande de la défense, au principe de la publicité pouvant devenir huis clos à la demande de l'accusation, est là véritablement du coupage de cheveux en quatre qui n'a vraiment pas sa place dans un programme présidentiel.
12.Prévoir la motivation des arrêts de cour d'assises et permettre aux jurés d'avoir accès aux pièces du dossier.
Soyons clairs : cette proposition est totalement irréaliste. J'indique dans ce billet récent comment est votée une décision d'assises, et dans quelles conditions les jurés peuvent avoir connaissance des pièces du dossier. Voyez aussi ce billet de Dadouche racontant un délibéré.
Un dossier criminel est un dossier d'instruction qui fait au minimum plusieurs centaines de pages, et facilement plusieurs milliers (le dossier d'Outreau faisait plusieurs dizaines de milliers de pages). La plupart de ces documents sont dans un vocabulaire technique difficile à comprendre. Dès lors, vouloir permettre à neuf jurés, douze jurés en cas d'appel, de prendre connaissance de ces pièces risque de nécessiter des heures et d'embrouiller leur réflexion plus que de l'aider. Rappelons que la procédure devant la Cour d'assises et une procédure orale, que le président, l'avocat de la partie civile, l'avocat général, et l'avocat de la défense peuvent lire ou demander à ce que soit lue ou présentée au jury telle ou telle pièce qui leur semble particulièrement pertinente. En aucun cas la cour et le jury n'iront délibérer sans q'une pièce paraissant utile à l'une des parties n'ait été lue. Si des pièces doivent être examinées en cours de délibéré, cet examen aura lieu en présence des avocats de toutes les parties. Les délibérations durent déjà assez longtemps pour ne pas risquer que quelques jurés curieux et têtus les fassent durer des heures et des heures en plus, le temps pour eux de feuilleter un dossier qui aura déjà été débattu en audience publique pendant de longues heures, si ce n'est de longs jours.
De plus, comme vous avez pu le lire dans le billet que je vous ai signalé, le vote se fait par la simple formule « en mon âme et conscience, ma réponse est » oui, non, ou sur la peine, de tant d'années. Motiver un arrêt suppose d'expliquer les raisons pour lesquelles on a pris cette décision plutôt qu'un autre. Cela est totalement incompatible avec le secret du vote et risque de poser d'interminables difficultés pour peu que, alors qu'une majorité de jurés et d'accord pour voter une peine de dix ans, aucun d'entre eux n'est d'accord sur les raisons qui le poussent à choisir cette durée plutôt qu'une autre. Le jury statue en tant que représentant du peuple souverain. Pas plus que nous n'aurons à motiver les raisons qui nous ferons choisir tel ou tel candidat le 22 avril prochain, il n'y a à demander aux citoyens jurés d'expliciter plus avant leur décision. Ce d'autant que la motivation d'une décision de justice est un exercice intellectuel fort difficile qui suppose de solides connaissances juridiques. Faire de citoyens tirés au sort des juges est en soi un gageure qui est admirablement bien tenue par le code de procédure pénale ; en faire dans le même laps de temps d'éminents juristes est proprement inconscient.
13.Réformer l'ordonnance de 1945 pour mieux lutter contre la délinquance des mineurs, et notamment expérimenter une séparation entre le juge chargé de protéger l'enfance en danger et le juge chargé des mineurs délinquants.
L'ordonnance de 45 dont il s'agit ici est l'ordonnance du 2 février 1945, qui fixe les règles de procédure et de sanctions dérogatoires au droit commun s'appliquant aux mineurs. Réformer l'ordonnance de 45 est un voeux présent chez tous les candidats à la présidentielle. Il faut dire que la présenter sous la simple mention de sa date permet de laisser entendre qu'effectivement il s'agit d'un texte totalement désuet, voire obsolète, ne correspondant plus aux nécessités actuelles. Rappelons qu'en France un texte qui n'est pas un code de loi est désigné sous sa nature suivie de sa date : loi du 29 juillet 1881, décret du 26 décembre 2006. Par la suite, des lois peuvent être prises qui modifieront le contenu de ce texte sans pour autant en modifier la date. Ainsi la loi sur la prévention de la délinquance, tout juste adoptée, prévoit de nombreuses modifications de l'ordonnance du 2 février 1945, qui ne s'en appellera pas moins ordonnance du 2 février 1945 après coup.
Et je peux vous dire que cette ordonnance a déjà fait l'objet d'un nombre impressionnant de modifications depuis 1945, en dernier lieu par la loi Perben I du 9 septembre 2002, qui l'a déjà réformée en profondeur. Il s'agit donc d'un texte fort instable, instabilité qui est loin de faciliter le travail des juges des enfants. Dès lors, la nécessité de réformer encore cette ordonnance de la part d'un gouvernement qui l'a déjà réformée à plusieurs reprises ne me paraît pas d'une évidence telle qu'elle dispense le candidat d'expliquer pourquoi ce changement lui paraît nécessaire et quels changements il lui semble utile d'apporter.
La seule précision qui est donnée est une séparation entre le juge de protéger l'enfance en danger et le juge chargé des mineurs délinquants. Cette fonction est en effet tenue par le même juge, le juge des enfants. Mes lecteurs savent déjà que le ministre candidat est en délicatesse avec l'un d'entre eux en particulier, le président du tribunal des enfants de Bobigny. De la part d'un candidat réputé pour être rancunier, j'ai du mal à croire que cette proposition soit totalement innocente, mais je vois sans doute le mal partout.
L'utilité de cette séparation organique m'apparaît loin d'être évidente. Les questions de l'enfance, qu'elle soit victime ou délinquante, nécessitent une technicité assez identique. Elle suppose de plus une connaissance et un contact régulier avec les mêmes services chargés des questions des mineurs : brigade des mineurs, aide sociale à l'enfance, DASS, etc. et surtout pour une raison encore plus simple : très souvent les enfants en danger et les enfants délinquants sont une seule et même personne.
Là encore, on m'accusera sans doute de faire du mauvais esprit, mais je pense que cette suggestion est motivée par l'idée que le fait de s'occuper d'enfants en danger rend les juges des enfants trop enclins à la compassion, et donc à l'indulgence à l'égard des enfants délinquants, alors que la mode est plutôt à l'hostilité à leur égard. C'est aussi absurde que de voir une incompatibilité dans le fait que le ministre de l'intérieur est à la fois ministre des cultes, et chargé de la surveillance des sectes. Le fait que deux missions soient différentes ne signifie pas qu'elles soient incompatibles, et au contraire, peuvent apporter chacune une expérience utile à l'autre.
Le comportement de l'Etat vis à vis des mineurs délinquants me fait parfois penser au même désarroi que je vois chez les parents de ces enfants, totalement dépassés par l'attitude de leur progéniture, incapables d'y faire face, et surtout de comprendre comment en très peu de temps leurs adorables enfants se sont mis à vendre de la drogue ou à braquer des petits commerces. A cette différence près que l'Ztat a à sa disposition le monopole de la violence légale, sans avoir l'amour parental pour tempérer sa volonté d'action...
14. Lutter contre la récidive en instituant des peines planchers pour les multirécidivistes.
Oh la belle proposition démagogique que voilà ! Rappelons d'abord que par une loi du 12 décembre 2005, le gouvernement actuel a voté une loi qui aggrave considérablement la répression à l'égard des récidivistes, et a créé une nouvelle catégorie de réitérants, pour les délinquants qui ne rentrent pas dans le cadre de la récidive, mais qui a modifié à leur égard les règles du cumul de peines les exposant de facto à des peines maximales supérieures à celles prévues par la loi pour des délinquants ordinaires. Cette loi a également limité le recours au sursis et au sursis avec mise à l'épreuve, obligeant dans certaines hypothèses le juge à prendre des décisions de prison ferme.
Cette loi est appliquée, je suis bien placé pour le savoir. L'utilité d'une nouvelle aggravation de la répression un an à peine après l'entrée en vigueur de cette loi me paraît donc pour le moins douteuse, mais l'électeur connaissant encore moins bien le code pénal que les délinquants, il n'y a pas de raisons de laisser à Ségolène Royal le monopole des propositions de loi déjà en vigueur.
La nouveauté qui est toutefois proposée ici est l'instauration de peines-plancher, c'est à dire encore une fois la limitation du pouvoir d'appréciation et de personnalisation du juge. J'aimerais que l'on m'expliquât les raisons de cette défiance du législateur vis à vis du juge. Par quel tour d'esprit étrange le candidat à la présidentielle peut-il penser qu'un juge qui voit arriver devant lui une personne déjà condamnée à au moins trois reprises pour des faits identiques (la récidive supposant la commission d'un deuxième fait identique, "multirécidive" suppose au moins trois commissions d'infractions), situation qui le prive déjà de bien de possibilités d'aménagement de peine, et qui double le maximum de l'emprisonnement encouru, pourquoi donc ce juge aurait l'idée de prononcer une peine légère ou dérisoire ? La dangerosité révélée par la récidive et encore plus par la "multirécidive" entraîne d'ores et déjà des peines sévères.
Quand un juge ou un tribunal décident de prononcer malgré l'état de récidive une peine légère, c'est qu'il y a des circonstances exceptionnelles dans le dossier qui justifient une telle décision, circonstances qui auront été démontrées par l'avocat de la défense. Dès lors, pourquoi en face de telles circonstances exceptionnelles qui pourraient pousser le tribunal à faire preuve d'une clémence extraordinaire, la loi l'interdirait-elle de manière catégorique et absolue ? La loi est un règle générale qui s'applique à tous. Par quelle incroyable présomption le législateur peut-il estimer mieux savoir que le juge quelle règle il faut appliquer à tous les cas, y compris ceux dont il n'a pas la moindre idée de l'existence ? Cette proposition de loi est une véritable machine à injustices, comme il en existe déjà quelques unes en vigueur. Il s'agit là d'une proposition visant à flatter un électorat ciblé et qui relève de la démagogie. Encore une fois, je n'ai rien contre les lois sévères, tant qu'elles laissent au juge le pouvoir d'adapter la sanction à la personne qu'il a en face de lui. Le juge, lui, voit ces personnes. Le législateur, lui, décide en fonction de ses fantasmes et de ceux de l'opinion publique. Choisissez par qui vous voulez être jugés.
15.Améliorer les conditions de détention et l'accueil des visiteurs, notamment des familles, dans les établissements pénitentiaires.
Je ne puis qu'être d'accord avec cette proposition, naturellement, ce d'autant que les deux précédentes propositions semblent indiquer que la population carcérale va encore faire un bond. Mais ici, aucune modalité concrète n'est donnée, selon une tradition maintenant bien établie dans les programmes électoraux. On peut supputer une augmentation du budget de l'administration pénitentiaire, mais aucun engagement n'est pris, et les familles des détenus n'ont jamais été un lobby électoral très influent. Je ne me fais guère d'illusions sur cette proposition, qui doit, je pense, figurer dans tous les programmes électoraux depuis l'élection du président de la République au suffrage universel.
16.Créer des établissements pénitentiaires exclusivement réservés aux personnes placées en détention provisoire, pour des conditions de détention compatibles avec le respect de la présomption d'innocence.
Actuellement, la loi distingue, en simplifiant quelque peu, deux types d'établissement. D'une part, les maisons d'arrêt, où sont placées les personnes en détention provisoire, c'est à dire qui n'ont pas encore été jugées, et les personnes condamnées à moins d'un an d'emprisonnement, ou à qui il reste un reliquat de moins d'un an à effectuer, et d'autre part les établissements pour peines, où sont placées les personnes ayant plus d'un an de prison à effectuer.
Il va de soi que la population des maisons d'arrêt est largement plus nombreuse que celle des établissements pour peine, ce qui a pour conséquence paradoxale que les conditions de détention en maison d'arrêt sont et de loin les pires alors que les détenus y sont supposément moins dangereux.
Les maisons d'arrêt, qui sont en principe au nombre d'une par tribunal de grande instance, voient donc se côtoyer des personnes présumées innocentes, des petits délinquants, et des criminels lourdement condamnés se préparant à recouvrer la liberté. Cette cohabitation peut surprendre la raison. L'idée de créer des établissements à part peut donc paraître une bonne idée, et je n'ai a priori rien contre. Il faut toutefois tempérer cette apparente aberration. Il y a beaucoup de mis en examen en détention provisoire, ou de prévenus en détention provisoire, donc présumés innocents, qui ont déjà effectué des peines de prison et connaissent les maisons d'arrêt. Les criminels les plus endurcis sont en maison d'arrêt tant qu'ils n'ont pas été jugés. De fait, une grande majorité des prisonniers en détention provisoire sont effectivement coupables des faits qu'ils ont commis, et ne sont absolument pas mélangés à des gens d'un autre monde.
En réalité, le problème qui est ici posé est celui des innocents qui sont placés en détention provisoire, et qui eux se retrouvent confrontés à un univers difficilement supportable, et à des individus disons moins respectueux de la vie en collectivité. Ce dernier problème étant bien plus difficile, voire impossible à résoudre, c'est un changement d'angle d'attaque que propose le gouvernement, en distinguant des catégories de prisonniers aisément identifiables, mais qui concrètement ne correspondent pas à des populations différentes. Créer des maisons d'arrêt exclusivement réservées aux détenus provisoires n'empêchera pas la cohabitation de quelques personnes innocentes avec des délinquants endurcis.
Ajoutons à cela qu'il arrive fréquemment qu'une personne ayant effectué la détention provisoire, une fois condamnée soit frappée d'une peine d'emprisonnement égale à la durée de la détention provisoire qu'il a déjà effectuée, ce qui évite un retour à l'emprisonnement. Ce qui aboutirait donc à ce que cette personne effectivement condamnée n'ait jamais mis les pieds dans les établissements réservés aux personnes définitivement condamnées, toute sa peine ayant été purgée dans les établissements pour personnes présumées innocentes. Qui a dit que la vie était simple ?
Encore une fois, le problème qui se pose ici n'est pas celui que la loi se propose de remédier : c'est celui d'une part de la détention des personnes innocentes, et d'autre part de la durée de la détention provisoire. La résolution du premier problème supposerait des capacités divinatoires surhumaines, mais le deuxième peut par contre être utilement pris à bras le corps par le législateur, à condition pour cela qu'il ait le courage d'affronter l'opinion publique plutôt que de la caresser dans le sens du poil. En 2012, peut-être ?
En guise de conclusion et de synthèse, ici encore, on est en présence d'un candidat qui ne traite la question de la justice que sous l'angle de la justice pénale. Eu égard au candidat en question, ce n'est guère étonnant, ce candidat, et son parti de manière générale faisant campagne sur le thème de l'insécurité.
Il demeure qu'une fois de plus, les justices civile et administrative sont totalement ignorées, alors qu'elles jouent un rôle tout aussi noble et fondamental dans le besoin de justice des citoyens de la République. Les propriétaires confrontés à un locataire mauvais payeur, les locataires confrontés à un propriétaire qui refuse de faire des travaux, les parents séparés de leurs enfants par la mauvaise volonté de leurs anciens conjoints, les consommateurs victimes de l'incompétence d'un professionnel, les victimes d'un sinistre confrontés à la mauvaise volonté de leur assurance, savent que la justice civile, ça compte aussi au quotidien. Les propriétaires expropriés de leurs maisons pour une bouchée de pain pour faire passer un TGV ou une autoroute, ceux dont leur maison se fissure de partout à cause de travaux sur la voie publique, ceux dont l'enfant est mort dans un hôpital publique sans qu'aucun médecin n'accepte de dire pourquoi savent également que la justice administrative mérite mieux que d'être passée par pertes et profits dans le débat publique.
Cela relève d'une perception de la justice par les politiques seulement comme arme répressive, alors qu'elle est bien plus que cela. Elle est l'autorité qui tranche les conflits, qui assure le règne de la règle de droit, et qui protège le faible contre le fort. Y compris, et je dirai même surtout, quand ce fort, c'est l'Etat.
Voilà sans doute ce qui explique que l'Etat ne souhaite pas que nous nous y intéressions un peu trop.
Commentaires
1. Le vendredi 23 février 2007 à 21:30 par Prof. Y
2. Le vendredi 23 février 2007 à 21:36 par Juge du siège
3. Le vendredi 23 février 2007 à 21:39 par Celui
4. Le vendredi 23 février 2007 à 21:44 par Ben
5. Le vendredi 23 février 2007 à 21:49 par P. Marcel
6. Le vendredi 23 février 2007 à 21:49 par Christophe Cavaillès
7. Le vendredi 23 février 2007 à 21:55 par Raph
8. Le vendredi 23 février 2007 à 21:57 par bibal
9. Le vendredi 23 février 2007 à 22:03 par Esurnir
10. Le vendredi 23 février 2007 à 22:04 par salomon
11. Le vendredi 23 février 2007 à 22:09 par salomon
12. Le vendredi 23 février 2007 à 22:10 par Dicky Hervé
13. Le vendredi 23 février 2007 à 22:15 par Lucas Clermont
14. Le vendredi 23 février 2007 à 22:19 par Lausannensis
15. Le vendredi 23 février 2007 à 22:20 par Pabl o
16. Le vendredi 23 février 2007 à 22:23 par Juge du siège
17. Le vendredi 23 février 2007 à 22:26 par Charles
18. Le vendredi 23 février 2007 à 22:30 par FL
19. Le vendredi 23 février 2007 à 22:31 par AFB
20. Le vendredi 23 février 2007 à 22:38 par LDiCesare
21. Le samedi 24 février 2007 à 00:05 par silice
22. Le samedi 24 février 2007 à 02:36 par Durelaloi
23. Le samedi 24 février 2007 à 02:49 par julie
24. Le samedi 24 février 2007 à 03:34 par gabriel
25. Le samedi 24 février 2007 à 05:05 par Damien
26. Le samedi 24 février 2007 à 06:57 par bayonne
27. Le samedi 24 février 2007 à 08:32 par Rataxès
28. Le samedi 24 février 2007 à 09:37 par Deilema
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30. Le samedi 24 février 2007 à 09:59 par Jean
31. Le samedi 24 février 2007 à 10:45 par Ayin
32. Le samedi 24 février 2007 à 10:53 par Jeune Parquetière
33. Le samedi 24 février 2007 à 11:18 par salomon
34. Le samedi 24 février 2007 à 11:44 par YR
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36. Le samedi 24 février 2007 à 15:44 par Les amoureux des bancs publics...
37. Le samedi 24 février 2007 à 16:04 par Paul
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40. Le samedi 24 février 2007 à 19:04 par sebastien
41. Le samedi 24 février 2007 à 21:58 par kristian
42. Le samedi 24 février 2007 à 22:49 par pangloss
43. Le dimanche 25 février 2007 à 00:28 par kombu
44. Le dimanche 25 février 2007 à 03:17 par serdan
45. Le dimanche 25 février 2007 à 08:51 par Nicolas
46. Le dimanche 25 février 2007 à 11:38 par Lordphoenix
47. Le dimanche 25 février 2007 à 12:50 par Anne
48. Le dimanche 25 février 2007 à 16:38 par Judge Dredd - Avocat provincial
49. Le dimanche 25 février 2007 à 18:47 par arbobo
50. Le dimanche 25 février 2007 à 18:53 par arbobo
51. Le dimanche 25 février 2007 à 19:50 par Juge du siège
52. Le dimanche 25 février 2007 à 20:00 par verdun55
53. Le dimanche 25 février 2007 à 22:05 par Lucas Clermont
54. Le dimanche 25 février 2007 à 23:56 par Schmorgluck
55. Le lundi 26 février 2007 à 14:02 par Polydamas
56. Le lundi 26 février 2007 à 14:33 par Nina
57. Le lundi 26 février 2007 à 14:38 par Nina
58. Le lundi 26 février 2007 à 15:15 par Schmorgluck
59. Le lundi 26 février 2007 à 15:31 par nina
60. Le lundi 26 février 2007 à 16:04 par hungarian fear
61. Le lundi 26 février 2007 à 16:24 par Bernard H.
62. Le lundi 26 février 2007 à 20:07 par Geo
63. Le lundi 26 février 2007 à 22:45 par Raph
64. Le mardi 27 février 2007 à 00:34 par FrédéricLN
65. Le mardi 27 février 2007 à 10:07 par vanille
66. Le mardi 27 février 2007 à 10:23 par Hubert Montjoie de Saint-Denis
67. Le mardi 27 février 2007 à 13:53 par Jaca
68. Le mardi 27 février 2007 à 14:05 par Neville
69. Le mardi 27 février 2007 à 18:29 par Xuelyno;
70. Le mardi 27 février 2007 à 19:33 par Clément Cordaro
71. Le mercredi 28 février 2007 à 00:01 par rouldug
72. Le mercredi 28 février 2007 à 10:10 par fred
73. Le mercredi 28 février 2007 à 17:24 par fred
74. Le jeudi 1 mars 2007 à 17:37 par PissTroiGüt
75. Le jeudi 1 mars 2007 à 20:49 par Karim
76. Le jeudi 1 mars 2007 à 21:24 par sigismon
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80. Le vendredi 2 mars 2007 à 00:14 par eberlue
81. Le vendredi 2 mars 2007 à 11:26 par max-00-
82. Le vendredi 2 mars 2007 à 14:14 par DanRi76
83. Le vendredi 2 mars 2007 à 14:16 par sigismon
84. Le samedi 3 mars 2007 à 18:21 par Katioucha
85. Le dimanche 4 mars 2007 à 21:37 par Derek
86. Le jeudi 8 mars 2007 à 21:39 par jean philippe