Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 23 novembre 2009

Les gardes à vue sont-elles illégales ?

— Pardonnez-moi, maître…

— Oui, mon Jeannot, mon fidèle stagiaire. Entre donc, et sers toi du thé. Que puis-je pour toi ?

— J’ai entendu à la radio le Bâtonnier de Paris tonner contre le système français de la garde à vue qui serait selon lui illégal…

— Eh bien ?

— Mon papa, il dit que c’est n’importe quoi. Mais comme lui aussi parfois, il dit n’importe quoi, je me suis dit que j’allais vous demander votre avis.

— Je ne prétends pas être à l’abri de dire parfois n’importe quoi moi-même, mais je veux bien prendre le risque.

Mon bâtonnier bien-aimé a en effet lancé cette semaine une offensive contre le système français de la garde à vue. Cela me réjouit, et mérite que je m’attarde sur les arguments d’un côté et de l’autre, en les rectifiant si besoin est, pour que tu te fasses ton opinion, ainsi que mes lecteurs dont les oreilles traînent parfois par ici.

Note que je confesse volontiers un biais en faveur de la thèse de l’illégalité de la garde à vue à la française, encore que ma première opinion était plus restreinte que celle défendue par le bâtonnier, je vais y revenir. Afin de clarifier les choses, je voudrais préciser que ce n’est pas un biais corporatiste parce que je suis avocat : c’est juste que je revendique fièrement mon biais pro-droits de l’homme et acquiescerai volontiers à tous les procès d’intention qui me seraient faits en ce sens.

— Mon papa se dit très attaché aux droits de l’homme. 

— Las, comme pour les catholiques, il y a beaucoup de croyants non pratiquants en France. Tu trouveras sur cette page du site de France Info les arguments des parties, dont, à tout seigneur, tout honneur, celui du Bâtonnier Charrière-Bournazel. Reprenons-les plus en détail après avoir rappelé ce qu’est la cour européenne des droits de l’homme.

Plantons le décor

L’affirmation du Bâtonnier est la suivante : le système de garde à vue français n’est pas conforme à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (de son vrai nom Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, en respectant les majuscules, soit CsDHLf, ce qui n’est pas joli, d’où l’expression généralement employée de Convention européenne des droits de l’homme. Cette Convention a été signée au lendemain de la Seconde guerre mondiale, dans le cadre du Conseil de l’Europe, une organisation internationale consacrée à la paix et aux droits de l’homme, totalement distincte de l’Union Européenne, notamment en ce qu’elle est beaucoup plus large (47 États membres, dont la Turquie, ce qui en 1950 n’a choqué personne), et qu’elle la précède de 7 ans.

Attardons-nous sur cette convention car le comportement de la France a son égard montre combien la France, en matière de droit de l’homme, est croyante mais non pratiquante.

La France a signé la convention dès le 4 novembre 1950, soit le jour de sa signature officielle.

— Il y a donc des signatures postérieures ?

— Oui, c’est le principe d’un traité multilatéral. Des États peuvent embarquer en route. Par exemple, des États nouvellement créés : la Bosnie Herzégovine aurait eu du mal à ratifier la convention en 1950. D’autres États ont moins d’excuses, comme la Principauté de Monaco, qui n’a signé qu’en 2004. Mais signer n’est pas tout.

— Comment ça ?

— Chaque État a ses règles en matière de ratification ; mais souvent il faut que le parlement national ratifie la signature du chef de l’État, pour que la Convention fasse effet en droit interne : c’est le respect de la séparation des pouvoirs, qui interdit au chef de l’exécutif d’empiéter sur le domaine du législatif.

— Et en France, comment ratifie-t-on ?

— Généralement, par une loi, qui peut être parlementaire, comme c’est le cas pour la quasi totalité des traités et convention internationale, ou exceptionnellement par referendum, encore qu’une expérience malheureuse en 2005 a je crois démontré l’inanité de l’idée.

— Donc le parlement a dû ratifier la Convention européenne des droits de l’homme pour qu’elle s’applique en France ?

— Absolument. Et c’est là que nous voyons la première hypocrisie de la République. Si la France s’est empressée de signer la Convention la main sur le cœur en vagissant son amour inconditionnel des droits de l’homme qu’elle prétend avoir inventés, il y eut loin de la coupe aux lèvres puisque ce n’est que le 31 décembre 1973 que la loi de ratification fut votée. 

— la première ? Il y en eut une seconde ?

— Absolument. Car la Convention européenne des droits de l’homme, contrairement à sa cousine universelle de l’ONU, avait vocation a être directement applicable en droit interne ; et pour assurer l’effectivité de cette application, la convention prévoyait la création d’une cour européenne des droits de l’homme, siégeant à Strasbourg, comme le Conseil de l’Europe, devant laquelle des individus estimant qu’un État avait violé à son encontre un des droits garantis par la Convention pouvaient exercer un recours.

— Je ne vois là nulle hypocrisie.

— La voici. La France en ratifiant la Convention avait exclu l’application de ce droit au recours individuel. La France, qui hébergeait la Cour européenne des droits de l’homme, a ainsi tardé 24 ans à l’appliquer, et 7 ans de plus avant de permettre à ses citoyens, dont certains habitaient à quelques rues de la là, de saisir la cour qui en garantit l’application.

— Et quand ce dernier obstacle a-t-il été levé? 

— Le 9 octobre 1981, le même jour que la loi abolissant la peine de mort. Quelle que soit l’importance que j’accorde à cette loi, le discret voyage de Robert Badinter à Strasbourg pour aller lever cette réserve a je crois plus d’impact historique.

— Et quelles sont les conditions d’exercice de ce recours ?

— Il y en a trois cumulatives. Avoir épuisé les voies de recours internes (il faut donc aller jusqu’au Conseil d’État ou la cour de cassation, selon qu’on est devant les juridictions administratives ou judiciaires), avoir au cours de l’instance soulevé dans son argumentation la violation de la convention, et former le recours dans les six mois de la date de la décision mettant définitivement fin au litige. 

— Et quels en sont les effets ?

— Devant la cour, on peut obtenir une indemnisation pécuniaire. La loi Française permet en outre depuis 2000 une révision des décisions qui ont entraîné une condamnation de la France, ce qui est tout à son honneur, après autant de retard à l’allumage.

— Une autre précision à ajouter pour un béjaune tel que moi ?

— Ta modestie t’honore, Tartuffe. Oui, une, d’importance pour la suite : si la cour apprécie la violation ou non de la Convention au cas d’espèce, elle veille à ce que son interprétation dépasse le cas d’espèce et soit une indication valable pour tous les États membres. À présent que te voilà armé pour comprendre, si tu le veux bien, passons à notre affaire des gardes à vue.

— Je suis toute ouïe et bois vos paroles.

— Bois plutôt ton Bi Luo Chun, il refroidit.

La parole est à l’accusation 

L’argumentation de mon Bâtonnier bien-aimé repose sur deux arrêts récents de la Cour. le premier est l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre dernier.

— Ce nom me dit quelque chose…

J’en avais déjà parlé en juillet dernier. Me croyant en retard, j’étais en fait plutôt en avance. 

— Mais à l’époque, vous considériez que cet arrêt ne s’appliquait qu’aux procédures d’exception repoussant de plusieurs jours l’intervention de l’avocat.

— Tout à fait. Et cet aspect là, tu vas le voir, me paraît hors de toute discussion. Mais depuis il y a eu un nouvel arrêt Danayan contre Turquie le 13 octobre 2009 qui précise la position de la cour.

— Je suis toute ouïe et bois mon Bi Lui Chun.

— Tu apprends vite. Rappelons que dans le premier cas, nous avions un jeune homme, mineur, arrêté pour un odieux attentat terroriste.

— Qui consistait à…?

— Étendre une banderole sur un pont, en soutien à Apo, Abdullah Ôcalan, fondateur du PKK, parti des travailleurs du Kurdistan, mouvement de guérilla et groupe terroriste. Je n’ai guère d’estime pour Öcalan, mais afficher un soutien à son égard, surtout quand on est mineur, ne me paraît pas relever d’une procédure d’exception. Et pourtant ce fut le cas : il fut placé en garde à vue selon le régime des lois turques antiterroristes, qui excluent l’assistance d’un avocat, et fut condamné à 2 ans et demi de prison. Procédure qui, du fait de l’exclusion de l’avocat, aboutit à la condamnation de la Turquie. La cour statuant en Grande Chambre avait à cette occasion déclaré que “Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même” (§54) et  qu’ “Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.” (§55)

— Mon papa est contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, et franchement, quand je lis ça, je l’approuve. Une procédure où sous prétexte de lutter contre le terrorisme, on écarte l’avocat ! Ce n’est pas en France qu’on verrait une chose pareille.

— Ah, oui ? Tu me copieras 100 fois l’article 706-88 du code de procédure pénale pour demain. À la main, s’entend.

— Heu… Et que dit l’arrêt Danayan ? 

— Seyfettin Dayanan a été accusé d’être un militant d’un parti islamiste kurde, le hizbollah. Il a subi la même procédure antiterroriste “avocat-free”. Mais lui, à la différence de Yusuf Salduz, ne va pas parler au cours de sa garde à vue. Il ne va rien dire. Pas un mot.

— Ah ! Donc nonobstant l’absence d’avocat, il avait usé de son droit à ne pas s’incriminer lui-même. 

— Absolument. Ce qui ne va pas empêcher la Cour de condamner la Turquie, en allant un peu plus loin dans les précisions relatives au rôle que doit pouvoir jouer l’avocat. Voici ce que dit la cour : “Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.”  

Mon Bâtonnier vénéré en déduit que le système actuel des gardes à vue, qui ne permet que ce qu’il appelle avec pertinence une simple “visite de courtoisie”, sans accès à la procédure, ni communication des éléments de preuves recueillis, ni même la qualification des faits reprochés (qui ne seront fixés par le parquet qu’au moment de la citation, j’ai vu des gardes à vues entières menées sous une qualification juridique erronée avant que le parquet ne redresse l’erreur, moins d’une heure avant la comparution devant le tribunal). De fait, la première chose que je dis aux gardés à vue que je vais visiter est que je ne suis pas là pour les aider à préparer leur défense mais leur expliquer leur situation, leur dire quels sont leurs droits, et ce qui va se passer par la suite. Dissiper le brouillard juridique, c’est déjà beaucoup, et pourtant c’est si ridiculement peu. Le système actuel est tout entier conçu pour écarter la défense et l’empêcher de faire son travail, et c’est tellement entré dans nos mœurs que ça ne nous choque même plus, à commencer par les magistrats, pourtant gardiens de la liberté individuelle.

— Vous vous laissez emporter, maître…

— Ah, vraiment ? Tiens, connecte toi à M6Replay et regarde l’émission Zone Interdite du 22 novembre (accessible jusqu’au 29). File à 3 mn et regarde l’édifiante histoire d’Ali, le braqueur de coiffeur. Il est soupçonné d’un crime, vol à main armée. 15 ans encourus. Il est arrêté à l’aube, chez ses parents, après trois ans d’enquête. Il y a donc déjà un dossier, avec à charge une empreinte génétique et ces gants en latex verts abandonné par le malfaiteur, outre un témoin oculaire. Tu noteras qu’alors qu’il se fait réveiller avec une lampe torche dans les yeux et un pistolet sous le nez, le policier ne juge pas utile de lui notifier les raisons de son interpellation. “Par respect pour sa mère”. Le même respect ne s’opposait cependant pas à une entrée de force alors que la respectable maman dormait du sommeil du juste. Logique policière, sans doute. 

En fait, il s’agit juste de plonger l’interpellé dans une situation de stress et d’angoisse, pour “attendrir la viande”. En toute illégalité, soit dit en passant, car l’article 63-1 du Code de procédure pénale (CPP) dispose que “Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête”. La sanction est la nullité de la procédure. Pourquoi le major de police le fait-il donc devant une caméra de télévision ? Mais parce qu’il sait bien que ce brave Ali n’aura aucun moyen de faire valoir cette violation de ses droits, dont il n’a même pas conscience. Le procès verbal de notification, qui sera rédigé bien plus tard, mentionnera bien tous ces éléments, comme s’ils avaient été notifiés immédiatement au moment de l’interpellation, et Ali signera tout ça sans tiquer. Pas vu, pas pris. Avis aux magistrats qui me lisent, sur la foi à accorder aux procès-verbaux de notification qui leur sont soumis. Heureusement qu’entre toutes ces personnes qui violent la loi, certains ont un brassard “police”, pour qu’on évite de les confondre.

À 08’35”, un autre grand moment : la notification de la durée de la mesure. “Deux jours maximum”. En fait, c’est 24 heures, renouvelable une fois sur autorisation d’un magistrat. C’est dire si cette autorisation est perçue comme un contre-pouvoir par les policiers : ils la considèrent comme acquise alors même que le procureur ignore l’existence de cette garde à vue. Notez l’explication du policier : “je vais te poser des questions et tu vas y répondre, tu me répondras oui ou non, c’est moi ou c’est pas moi”. Vous comprenez maintenant ce qu’entend la cour européenne des droits de l’homme par “Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même? Ali a le droit de se taire et c’est sans doute à ce stade son meilleur choix (sachant que dire “ce n’est pas moi”, c’est déjà faire une déclaration). C’est pourquoi on ne le mentionnera même pas dans l’éventail des possibles. “Tu répondras à mes questions”, point. Ah, et je vous laisse deviner l’ambiance si Ali s’avisait de tutoyer le policier en retour, bien sûr.

— Un peu comme si je m’avisais de le faire à votre égard ?

— Exactement, mon Jeannot. Mais tu sais où est ta place, même si parfois tu lorgnes celle des autres. Continuons avec Ali. Dès son arrivée, le voilà placé en cellule. Un esprit naïf comme le mien a tendance à penser que si les policiers se sont levés à 4 heures du matin pour aller l’arrêter à 6, c’est qu’ils étaient pressés de lui parler. Alors pourquoi le faire poireauter en cellule près tout cet empressement ? La journaliste le dit candidement : “ils ont 48 heures pour le faire avouer”. Alors on le met à mijoter après lui avoir confisqué ses lunettes, et ses chaussures. L’ennui est propice à la réflexion morale.

L’affaire reprend à 11’40. Ali est enfin interrogé. Il conteste les faits, et demande à voir les preuves réunies contre lui. Dans un pays ordinaire, on trouverait que c’est la moindre des choses. Surtout que les gants saisis lors de la perquisition étant dans la pièce à côté, on peut se dire que l’effort de manutention serait limité. De même qu’on lui agite son ADN. Il demande où l’échantillon témoin a été recueilli. N’est-ce pas une question légitime ? Un droit fondamental de connaître les preuves à charge pour les discuter ? Réponse du policier : “Ah je sais pas, moi”. Il n’a qu’à demander au journaliste qui filme la scène, lui est au courant, il nous l’a expliqué plus tôt dans le reportage. Bienheureux journaliste, qui a plus de droit que les avocats à ce stade.

Alors évidemment, Ali, pensant qu’en fait les policiers n’ont rien et veulent le faire avouer au bluff, va nier. Non pas l’évidence comme dit le commentaire, à ce stade, il n’a même pas connaissance de l’évidence à nier. Mais ça fera tellement mieux devant le tribunal que dans un premier temps, il ait nié sa participation. Dans les dents de la défense qui voudrait plaider les remords sincères. L’avocat n’a pas le droit d’être là, mais ça n’empêche qu’on pense à lui.

Et voici venir le culte de l’aveu, la “chansonnette”, comme on appelle ces interrogatoires interminables visant à briser par l’épuisement les défenses du gardé à vue. Très efficace, comme l’ont montré des affaires comme celles de Patrick Dils ou Richard Roman, ou des innocents ont fini par passer aux aveux. C’est l’efficacité administrative en action. Pourtant, il y aurait de quoi boucler le dossier. ADN, gants en latex similaires, deux témoins sur trois catégoriques, le parquet a des munitions. Mais la défense aussi, elle peut encore plaider le bénéfice du doute. Ça tombe bien, on a encore des heures sans cette gêneuse. Et quand il est en cellule pour réfléchir, on lui retire ses lunettes. On voit plus clair quand on ne voit plus très clair. Logique policière. L’argument du suicide ? Mais ça fait longtemps que les verres de lunette ne sont plus en verre mais en polycarbonate, en Trivex® ou en CR-39. Essayez de vous taillader les veines avec ça. En outre, vous admirerez l’élégance de l’argument : on ne veut pas qu’Ali se suicide car… cela attirerait des ennuis au major et à son chef de poste : paperasse à remplir, serpillère à passer. Ça doit être ce qu’on appelle le respect du citoyen.

Victoire de la Justice : il passe aux aveux. Avec le major, grand seigneur : “au bout du compte, ça va te servir”. Vous allez voir en effet comme ça va le servir. Maintenant qu’il avoue, miracle, la caisse des scellés a trouvé le chemin du bureau et on lui montre les pièces à conviction (l’arme). 

Nous avons donc des aveux complet. Il est alors déféré au tribunal où l’attend…

— …son avocat.

— Perdu. Le procureur de la République. Qui va le recevoir, toujours sans avocat, qui va l’entendre sur sa version des faits. Je précise que le procureur est partie à l’audience, c’est même lui qui va y soutenir en personne l’accusation. J’ai expliqué un jour à un confrère américain qui visitait le palais que le procureur recevait ainsi notre client en tête à tête et recevait ses déclarations sans même qu’on puisse l’assister, il ne voulait pas me croire. Un avocat français qui recevrait la partie adverse seule avant un procès encourt la radiation. Un procureur, une promotion. 

Le procureur va donc recevoir des déclarations d’Ali, qui seront dûment notées au procès verbal de citation. Là encore, notez bien qu’aucun avocat n’est là pour lui dire de se taire, ni n’a pu le voir avant pour lui suggérer des réponses appropriées pour sa défense. Il va donc se plaindre lui-même (le procureur note : absence de remords à l’égard de la victime), reconnaître le mobile pécuniaire (c’est un crime crapuleux, ceux où la récidive est la plus fréquente), le mensonge à son père (il prétendait travailler et volait pour donner le change), s’enfonçant encore un peu plus. Conclusion : le procureur lui annonce déjà que ça va mal se passer. Et en effet, il n’y a pas grand chose qu’il pourrait encore faire pour démolir sa défense. L’avocat peut donc entrer en scène. Vous voyez comme ça l’aide d’avoir avoué. 

On va enfin autoriser un avocat à prendre connaissance du dossier, une demi heure avant de le plaider, alors que le parquet le mijote depuis trois ans. Ce qui sera pile la peine prononcée, dont 18 mois fermes, face à un Ali incrédule, qui n’a pas vu le coup venir. Au bout d’une procédure illégale et donc nulle depuis le moment de l’arrestation. Le tribunal précisant “c’est criminel ce que vous avez fait”, montrant bien qu’il a jugé non pas le délit qu’on lui présentait (un vol avec violences) mais un crime (vol à main armée) qui aurait dû aller aux assises. Voilà en images le système ordinaire français, tel qu’il fonctionne au quotidien. 

Et quand on compare ce fonctionnement à ce que dit la cour européenne des droits de l’homme, en effet, on peut avoir des difficultés à le trouver conforme. Sauf quand on est porte-parole de la Chancellerie, comme on va le voir. Oui, mon Jeannot, je te le dis en face : ce qu’a montré M6 ce dimanche soir est une violation de la convention européenne des droits de l’homme.

— Mais c’était un braqueur ! 

— On traite ainsi les braqueurs comme les innocents. Parles-en à monsieur Kamagaté.

La parole est à la défense

— Et que répond le gouvernement face à cette offensive ?

— La réponse de Guillaume Didier, porte-parole du Garde des Sceaux, que je salue ici (Guillaume, pas Michèle) car je sais que c’est un lecteur assidu et un commentateur occasionnel peut être écoutée sur la page de France info précitée. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’emportera pas la conviction d’un juriste.

1) L’arrêt Danayan condamnerait la Turquie et non la France. Un étudiant en droit qui sortirait cet argument se prendrait aussitôt zéro. La Cour interprète la Convention, qui est la même pour ces deux pays. Ce qui vaut pour l’un vaut pour l’autre. Il est très courant d’invoquer devant des juges français des jurisprudences de la cour sanctionnant d’autres pays. Ils n’y voient rien d’anormal dès lors que les faits sont pertinents. 

2) La Turquie n’aurait pas du tout le même système judiciaire que la France. Argument qui repose sur l’ignorance de l’interlocuteur. En effet, si je vous dis qu’en Turquie, les ordres de juridictions judiciaires et administratifs sont séparés, que la cour suprême administrative s’appelle le Conseil d’État (Danıştay) tandis que la cour suprême en matière judiciaire s’appelle la cour de cassation (Yargıtay) dont le rôle est d’unifier au niveau national l’interprétation de la loi par la jurisprudence, et dont le président porte le titre de Premier Président (Birinci Başkan), le juriste réalisera qu’en effet, les deux systèmes ne sont pas du tout comparables. En fait, tu as compris, les deux systèmes sont très proches, il n’est que de lire l’arrêt Salduz, notamment l’exposé du droit turc pertinent (§27 à 31) pour voir que le système turc est même plus respectueux de la Convention que le notre (il ne permet de repousser l’intervention de l’avocat que de 24 heures, contre 48 à 72 chez nous), la Turquie n’ayant pas attendu sa condamnation pour se mettre en conformité avec ce texte. 

— Il y a quand même des différences culturelles entre les deux pays ?

— C’est exact. Par exemple, la Turquie a accordé le droit de vote aux femmes 15 ans avant la France. Croyante, non pratiquante, cher Jeannot…

3) Ce que la cour exigerait, c’est le principe de l’accès immédiat à un avocat, ce que prévoit le droit français depuis dix ans (seulement, ai-je envie d’ajouter), avec ce droit à l’entretien dès la première heure de garde à vue. Au contraire, cet arrêt consacrerait le système français. Là, j’ai envie de dire : un arrêt de la cour européenne des droits de l’homme c’est du sérieux. Il ne faut pas lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Qu’il consacre le système français, c’est non, sans aucun doute. Il condamne même le système dérogatoire applicable au terrorisme, trafic de stupéfiants et aux bandes organisées. Quant au système de droit commun, celui d’Ali, la cour parle du droit à l‘assistance d’un avocat, pas à un droit à un entretien avec un avocat ignorant du dossier. Assistance semblerait supposer que l’avocat puisse assister, du latin ad sistere, être présent à côté de quelqu’un. À propos du système français, rappelons que jusqu’en 1993, l’avocat était tenu à l’écart de la garde à vue. La France ayant été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, elle a introduit cette visite de l’avocat, sans accès au dossier, par une loi du 4 janvier 1993. Mais face aux geignements des syndicats de policier, une loi d’août 1993 va repousser à la 20e heure cette intervention. Et on va même gratter une heure aux avocats en disant que la loi disant “à l’issue de la 20e heure”, cela s’entend comme la 21e heure. Ce n’est que par une loi du 15 juin 2000 que l’avocat a pu enfin intervenir dès la première heure. Toujours sans accès au dossier. Croyante, non pratiquante, te disais-je, cher Jeannot;

4) Si la cour avait voulu dire que l’avocat devait être présent tout au long de la garde à vue, elle l’aurait dit explicitement. Oui, je suis d’accord, avec cette limite qu’elle statue sur ce qu’on lui demande de juger. Et ici, il n’y avait pas du tout d’avocat, là est la violation. Je ne crois pas que M. Didier puisse exciper de son côté d’une décision de la même cour consacrant explicitement le système français en disant que cet entretien d’une demi heure sans accès au dossier était satisfaisant au regard de la Convention. Donc miroir à paroles. Je reprends ici les mots de la cour : Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière [du gardé à vue] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même” (Salduz, §54) et  qu’ “Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.” (ibid. §55) un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.”(Danayan, §32). Si Guillaume Didier pouvait nous expliquer en quoi un avocat n’ayant pas accès au dossier pouvait au cours d’un entretien de 30 minutes maximum dont il lui est fait interdiction absolue de faire état auprès de quiconque organiser une défense, discuter l’affaire, rechercher des preuves favorables à l’accusé, et préparer les interrogatoires, je suis avide de ses lumières. Dans l’intervalle, je risque de rester convaincu de l’incompatibilité du système français avec la Convention européenne des droits de l’homme.

5) La cour dirait même expressément qu’il est admissible de retarder l’intervention de l’avocat. Écoutez bien ce passage. On sent le trouble du porte-parole. Il a failli dire que l’avocat était écarté deux voire trois jours. Il se rattrape à temps et dit juste “retardé” car le journaliste n’aurait pas laissé passer un argument aussi grossier. Voici ce que dit en réalité la cour européenne : c’est dans Salduz, §55 : Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6 (…). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.” La cour admet cette éventualité pour aussitôt la restreindre. Or l’article 706-88 du CPP s’applique systématiquement à toutes les affaires qu’il concerne, sans distinction, seul l’officier de police judiciaire décidant souverainement de recourir à cette procédure dérogatoire. Là, Guillaume Didier fait dire à un arrêt le contraire de ce qu’il dit, ce qui ne manque pas de saveur quand il joue les gardiens du temple du respect de la parole de la cour.

— Alors que faire ?

— Ce sera si tu le veux bien l’objet d’un prochain billet, celui-ci risquant d’épuiser la patience de mes lecteurs. Maintenant, va me photocopier ces dossiers, et n’oublie pas de faire tes lignes pour demain.

jeudi 12 novembre 2009

Prix Busiris pour Éric Raoult

L’Académie Busiris, réunie en sous-section, vient de décerner le prix Busiris à monsieur Éric Raoult, député de la 12e circonscription de Seine Saint Denis et maire du Raincy, dans le même département. Éric Raoult, photo officielle de l'Assemblée nationale, cherchant des yeux une nouvelle occasion d'outrager son devoir d'intelligence.

Les propos primés ont tout particulièrement retenu l’attention de l’Académie car ils ont été publiés au Journal Officiel de la République (dans son édition consacrée aux débats parlementaires) le 10 novembre dernier (question n°63353). Les voici, tels qu’à jamais gravés dans la mémoire de la république, c’est-à-dire avec les approximations grammaticales (et bien sûr juridiques) non corrigées.

M. Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du prix Goncourt. En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays. Les prises de position de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, qui explique dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve « cette France [de Sarkozy] monstrueuse », et d’ajouter « Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux », sont inacceptables. Ces propos d’une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du chef de l’État. Il lui semble que le droit d’expression ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de comptes personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, et de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi il lui paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière.

Tout d’abord, et le ministre de la culture et de la communication aura rectifié de lui-même, le devoir de réserve ne peut en tout état de cause être dû aux lauréats mais dû par les lauréats : cette erreur de préposition fait du lauréat le créancier alors que dans l’esprit la tête du député, il en serait évidemment le débiteur. 

Le propos juridiquement aberrant est donc qu’un écrivain serait soumis à un devoir de réserve sous prétexte qu’il aurait été honoré d’un prix littéraire. À cette lecture, et sans violer le secret des délibérations, l’Académie unanime s’est exclamée : « Gné ? » ce qui révèle sa surprise, son désarroi et pour dire le tout, sa détresse face à ce naufrage.

Rappelons les textes applicables en la matière à toute personne, ce qui inclut, vérification faite, les écrivains, mais aussi, même si parfois on en vient à le regretter, les députés.

À tout seigneur tout honneur, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est en vigueur et a même valeur constitutionnelle, c’est à dire supérieure à la loi, en son article 10 : 

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Reconnaissons qu’à l’époque, les députés savaient manier la langue française.

L’Europe est aussi de la partie puisqu’un autre article 10, celui de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, dite Convention Européenne des Droits de l’Homme brevitatis causa.

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

 « 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

 Et n’en déplaise à monsieur le député, l’expression critique à l’égard du pouvoir en place, si elle peut troubler la digestion d’un député de Seine Saint Denis, ne trouble pas l’ordre public, la sécurité nationale, la sûreté publique, la santé, ou la morale. J’ajouterais même qu’elle est, y compris dans ses excès, nécessaire dans une société démocratique.

Et ce fameux devoir de réserve, alors ?

C’est une création jurisprudentielle du Conseil d’État (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, n° 28238). au domaine très délimité : il frappe les fonctionnaires et agents publics (les magistrats ne sont pas des fonctionnaires au sens strict car ils ont leur statut propre, mais ils sont soumis au devoir de réserve), et eux seulement.

Le statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) en son article 6 proclame la liberté d’expression des fonctionnaires, qui sont des citoyens comme les autres. Mais le Conseil d’État a apporté une limite à cette liberté, le devoir de réserve, que le Conseil n’a pas défini (que diantre, il n’est pas législateur) mais qui apparaît au fil des décisions comme une obligation de modération sur la forme, liée à l’obligation de neutralité de l’État qui s’exprime à travers ses agents, et à l’obligation de loyauté de ceux-ci envers l’État dont il se sont faits les serviteurs. Question de cohérence, en somme. Le Conseil d’État ayant précisé que les élus syndicaux sont largement déliés de ce devoir, l’action syndicale s’accompagnant volontiers d’une certaine outrance revendicative.

Le devoir de réserve est souvent invoqué à tort et à travers par des gens qui n’y ont rien compris comme interdisant à un fonctionnaire de s’exprimer, y compris parfois sur des affaires purement privées. Éric Raoult, à son corps défendant, nous en fournit un exemple qui va encore plus loin puisqu’un écrivain, fût-il primé, n’est pas fonctionnaire pour autant, d’autant que le prix Goncourt (d’un montant rappelons-le de dix euros) est remis par la société littéraire des Goncourt, association loi 1901 reconnue d’utilité publique, c’est-à-dire une personne privée.

La question qui a fait débat est celle de la mauvaise foi. Éric Raoult n’est-il pas, au fond, convaincu que les écrivains seraient tenus à un devoir de réserve, et n’est-il pas sincère dans son interpellation, ce qui exclurait le Busiris ?

Plusieurs éléments ont fait opiner en faveur de la mauvaise foi. L’élément essentiel est la publicité donnée par ce député à la question qu’il se préparait à poser, au mépris de la courtoisie élémentaire due à un ministre qui voulait qu’on lui en réservât la primeur. La recherche manifeste de médiatisation crée une présomption de mauvaise foi. 

De plus l’Académie a estimé que s’agissant d’une personne qui a été député depuis 1986 (avec une interruption de 1997 à 2002), deux fois ministre, et aujourd’hui vice président de l’assemblée nationale, une certaine connaissance du droit pouvait sinon s’induire, du moins être exigée.

Ajoutons à cela qu’en 2005, en tant que maire du Raincy, lors des émeutes de l’automne, il fut le premier à proclamer l’état d’urgence dans sa commune pourtant épargnée par les actes de violence afin de griller la politesse au premier ministre, ce qui montre une certaine tendance à la gesticulation inutile pour attirer l’attention sur lui. 

Ce qui établit en même temps le mobile d’opportunité politique, et emporte la décision. 

Le prix lui est donc décerné avec la mention très déshonorable

L’Académie adresse ses félicitations à l’heureux gagnant et remercie ses collègues de l’Académie Goncourt de lui avoir fourni cette occasion de poilade.

dimanche 25 octobre 2009

Shimewaza

Par Gascogne


L’on sait tout le mal que les mass média, comme on disait autrefois, peuvent bien vouloir au pouvoir en place. Les affaires récentes l’ont a elles seules démontré.

Mais les média sont me semble-t-il restés fort silencieux sur un document pourtant officiel qui a été diffusé dans une administration auprès de certains fonctionnaires, si ce n’est l’intervention d’Edwy Plenel dans médiapart.

Ce document n’a pas eu la publicité qu’il mérite, et vous comprendrez pourquoi je souhaite revenir dessus.

La première de ces raisons est que les techniques, dites de “régulation phonique” (un simple bouchon auditif ne semble pas suffisant), sont purement et simplement des cours de ju-jitsu. Je pratique les arts martiaux depuis un certain nombre d’années maintenant, et j’ai beaucoup appris grâce à ce manuel. Quelques techniques d’étranglement sur un tatami vous montreront mieux que n’importe quel discours que les policiers de la police de l’air et des frontières ont tout a gagner à passer les portes d’un dojo, ne serait-ce qu’en terme de formation continue. Ils y retrouveront les facilités pratiques du port du keikogi (improprement appelé “Kimono”), notamment lorsqu’il s’agit pour étrangler d’utiliser tout à la fois le vêtement du partenaire et ses propres bras, comme indiqué sur le schéma de la page 36 (le vieux t-shirt mité du reconduit ne permettant pas une excellente saisie).

Pour les éléments spirituels des pratiques martiales, cela demanderait cependant un peu trop de temps.

Alors, certes, ces techniques sont extrêmement dangereuses. Elles peuvent soit couper la circulation sanguine via les carotides, ce qui est peu douloureux, mais entraîne très rapidement perte de conscience et coma, puis bien sûr décès passé un certain nombre de minutes, soit les techniques constituent des étranglements respiratoires, beaucoup plus douloureux (on appuie notamment sur la trachée), mais plus rapidement efficaces lorsqu’un “reconduit” serait un peu trop récalcitrant. Fort heureusement, le schéma de la fin du document démontre les risques que ces pratiques font encourir aux étrangers.

Ceci étant dit, que les policiers de la PAF permettent à un magistrat pratiquant d’arts martiaux de leur donner quelques conseils techniques (en droit, plus qu’en pratique martiale). Le fait d’avoir recours à ces techniques de “régulation phonique” pourrait pour un esprit pénaliste quelque peu pervers (et je ne doute pas que chez les avocats, il y ait quelques pervers qui se perdent à s’inscrire au barreau) , se traduire par le bien vilain terme de droit pénal spécial suivant : violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique (art. 222-13 7° du code pénal). Trois ans d’emprisonnement sont encourus, en l’absence d’incapacité de travail. Le séjour irrégulier n’est lui puni que de un an d’emprisonnement (art. L 621-1 du CESEDA). Mais rassurez vous, ne pas appliquer ces techniques pourrait vous rendre coupable d’aide au séjour irrégulier, infraction punie quant à elle de cinq années d’emprisonnement (art. L 622-1 du CESEDA). L’échelle des valeurs est donc respectée, non ?

Cependant un professionnel du droit, fut-il parquetier, pourrait vous dire également que ces violences qui vous sont prescrites par votre administration n’ont rien de légitime. Tout être humain est en droit de protester contre son sort, tant qu’aucun outrage n’en ressort. Il semblerait même que cette convention internationale qui s’appelle Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales appelle cela “liberté d’expression”. Et si cette même convention, dans son article 10, parle de “formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi”, concernant d’éventuelles limitations à la liberté d’expression, les techniques d’étranglement pour éviter qu’une personne ne se plaigne ne semblent pas entrer dans le cadre des limitations tolérées par la jurisprudence européenne. Ou alors, que l’on me donne les références d’un arrêt, et je m’en servirai avec grand plaisir à ma prochaine audience, certains contradicteurs de la défense me donnant parfois envie de les inviter sur un tatami.

Je passe sur l’ensemble de recommandations très détaillées du fascicule, qui vont jusqu’aux délais à respecter pour conduire l’étranger aux toilettes.

Je ne peux par contre pas passer sur les dernières photographies du manuel, yeux bandés et bouteille d’eau à la main, qui m’ont fait penser, pour une raison que j’ignore, aux techniques dites de la baignoire ayant cours à Guantanamo. Quelqu’un pourra-t-il m’expliquer la nécessité de pratiquer en plus de la régulation phonique une régulation visuelle qui n’apporte rien, à mon sens, en terme de sécurité ?

Vian, Sagan, et d’autres ont pu dire que l’humour et l’ironie étaient la politesse du désespoir. Je ne prétends bien sûr pas manier avec brio l’ironie dans ce billet. J’espère cependant que vous comprendrez mon désespoir, lorsque j’ai eu connaissance de ces recommandations officielles.

Mesdames et messieurs de la PAF, je travaille suffisamment avec vous pour savoir que si vous faites globalement bien votre métier, vous n’êtes pas toujours fiers d’appliquer les directives de votre ministère. Mais à partir du moment où l’on frise l’illégalité (vous comprendrez la litote, devoir de réserve oblige), rangez ce fascicule au seul endroit qu’il mérite : la poubelle.


Addendum, par Eolas

Ce document, que je découvre avec vous (Merci Gascogne), me laisse pantois. Ainsi que, je l’avoue, les commentaires de ceux qui veulent à tout crin y voir de l’humain là où il n’y a que la machine administrative en action.

Deux liens vers des anciens billets de votre serviteur pour alimenter votre réflexion : un exemple de geste technique professionnel d’intervention (GTPI, c’est le vrai jargon) non réglementaire, Air Chiotte (mon client, deux ans plus tard, et toujours en France, sans me vanter, m’a confirmé ce récit, et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité vu le bonhomme et vu sa situation actuelle).

Rappelons que ces gestes techniques non réglementaires ont déjà fait deux morts en 2003 : Air Chiotte est-il possible ?

samedi 10 octobre 2009

Nouveau prix Busiris pour Rachida Dati

L’Académie Busiris, siégeant en formation plénière, et après en avoir délibéré conformément à ses statuts a décerné, au premier tour de scrutin et à l’unanimité, son huitième prix Busiris à madame Rachida Dati, dépitée européenne et maire du 7e arrondissement de Paris, ci-devant Garde des Sceaux. Les Académiciens debouts saluent l’exploit consistant à repousser plus loin les frontières de l’audace médiatique et de l’irrespect élémentaire du droit, doublé de celui d’en récolter un nouveau avant même que son successeur à la Chancellerie n’ait glané son premier.

Voici tout d’abord les propos primés, captés pour l’histoire par les caméras de l’émission de France 2 “13:15 dimanche”. Ils portent sur la fameux lapsus présidentiel : « Des juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être renvoyés devant le tribunal ». Rappelons que conformément aux statuts de l’Académie, le président de la République en exercice jouit d’une immunité au prix Busiris jusqu’à un mois après la cessation de ses fonctions, en vertu de l’article 67 de la Constitution.


Reprenons le verbatim.

Il y a eu une enquête par des juges indépendants. Ce sont des juges indépendants qui ont fait une enquête.

On sent le Busiris approcher : il baille et s’étire. 

On se demande pourquoi cette répétition en changeant juste l’ordre des mots pour insister sur un pléonasme : des juges indépendants. N’est-ce pas consubstantiel à un juge d’être indépendant ? Ou alors, il y aurait des juges dépendants en France, que le pouvoir aurait volontairement tenu à distance de ce dossier pour montrer sa probité ? Curieuse insistance. Je suppose pour ma part que le fait que l’un des juges d’instruction de cette affaire ait bénéficié d’une promotion à l’issue de cette instruction, dont le décret a été signé par une partie civile à l’instruction, partie civile qui a repoussé in extremis de quelques jours cette promotion pour lui permettre de signer l’ordonnance de renvoi devant le tribunal est une preuve de cette indépendance que l’on ne proclame jamais tant qu’au moment de la piétiner. 

L’enquête est terminée, l’instruction est terminée, que décident les juges ? C’est de renvoyer cette affaire devant le tribunal correctionnel. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il existe des charges suffisantes pour dire qu’il y a des coupables dans cette affaire. 

Ah ? Le Busiris se recouche et semble fermer les yeux. Fausse alerte ? En effet, rien à redire à cette phrase. Quand un juge d’instruction estime avoir terminé son travail d’enquête, il ouvre la phase dite de règlement de l’instruction. Chaque partie est amenée à donner son avis, c’est obligatoire pour le parquet, facultatif pour les autres parties, puis le juge rend une ordonnance de règlement qui peut être un non lieu à suivre (il n’y a rien à juger, art. 177 du CPP), de renvoi devant le tribunal correctionnel (il existe des charges suffisantes contre tel mis en examen d’avoir commis un délit, art. 179 du CPP) ou de mise en accusation devant la cour d’assises (il existe des charges suffisantes contre tel mis en examen d’avoir commis un crime, art. 181 du CPP). Il peut aussi renvoyer devant le tribunal de police ou la juridiction de proximité si c’est une contravention (art. 178 du CPP)

Mais ce n’était qu’une ruse : en fait le Busiris bondit soudainement, toutes griffes dehors.

Et donc les coupables sont forcément renvoyés devant le tribunal correctionnel parce qu’il existe des charges suffisantes. [Le président de la République] n’a rien dit de plus ni de moins. Des juges considèrent en toute indépendance qu’il y a des charges. Et donc s’il y a des charges, il y a des auteurs.

Notez encore une fois la méthode consistant à redire à peu près la même chose en changeant l’ordre des mots pour faire comme si la deuxième phrase démontrait la justesse de la première. L’aberrance consiste à dire que les coupables sont forcément renvoyés devant le tribunal correctionnel, qu’ils se trouvent nécessairement parmi les prévenus. 

Cela n’a pas échappé à Laurent Delahousse qui objecte à juste titre : 

Il y a parfois des procès où les coupables ne sont pas obligatoirement dans le box des prévenus.

Réponse magnifique de rachida Dati : 

Il [le président de la République] n’a pas dit “dans le box des prévenus”. 

C’est vrai, mais il ne pensait pas non plus à la salle des témoins.

Il a dit “la justice renvoie devant le tribunal pour que les coupables puissent être condamnés. Mais s’il y a des charges, il y a des coupables, sinon la justice aurait dit “il n’y a pas assez de charges, ou il n’y a pas de coupable, ou il n’y a pas d’auteur : il n’y a pas d’audience”. 

Et le Busiris se repaît du droit déchiqueté en lambeau.

Le critère légal du renvoi devant le tribunal est qu’il existe contre tel mis en examen (il est impératif que la personne concernée ait été préalablement mise en examen dans les formes) des charges suffisantes d’avoir commis tel délit ou tel crime. Cela ne préjuge en rien de la culpabilité, j’ai obtenu assez de relaxes après instruction pour le savoir.

Quelques exemples simples pour vous faire comprendre. 

Plusieurs personnes sont soupçonnées d’avoir commis le même délit (au hasard : une dénonciation calomnieuse sur la base de listings falsifiées ; toute ressemblance avec des faits réels blah blah blah). Chacune d’entre elles accuse les autres en affirmant n’y être pour rien. L’instruction ne permet pas de savoir lequel est à l’origine de la dénonciation mais établit que chacun savait que les listings étaient faux. Il existe contre chacun des charges suffisantes d’avoir commis le délit pour aller s’en expliquer devant le tribunal. Ces charges sont : la connaissance de la fausseté du listing ET les témoignages accusateurs des autres mis en cause. Cela ne veut pas dire que tous sont coupables (on est même dans l’exemple certain du contraire) ni même que c’est l’un d’entre eux qui est coupable. Peut être est-ce un autre larron auquel personne n’a pensé, nos mis en examens étant trop enthousiastes à s’accuser mutuellement. Ou peut être que cet autre larron, lui, ignorait que les listings étaient faux et les a transmis de bonne foi à la police, puis, découvrant sa bévue, préfère se taire en raison d’une violente allergie aux crocs de boucher. Auquel cas, tous les prévenus sont innocents.  

Et même dans l’hypothèse où un des prévenus est le coupable, mais que chacun s’en tenant à sa version, le tribunal ne parvient pas à y voir plus clair, on devra alors aboutir à une relaxe générale au bénéfice du doute. 

Un autre exemple : une jeune fille accuse un cinéaste franco-moldave de l’avoir violée quand elle avait treize ans. Le cinéaste nie. Les faits sont anciens, donc aucune expertise médicale n’a pu être faite pour constater des lésions confirmant le viol. Mais une expertise déclare que la victime est crédible dans ses propos, que son traumatisme semble réel. D’interrogatoires en confrontations, sa version ne varie pas, tandis que les propos du cinéaste sur la soirée s’embrouillent, qu’il reconnaît être attirée par les très jeunes filles mais précise qu’il entend par là “de son âge ou ayant cinq ans de moins, à condition qu’elles pratiquent la boxe”. Le juge d’instruction estime qu’il y a des charges suffisantes. Mais devant la cour, la victime s’effondre : elle a tout inventé pour qu’on s’intéresse à elle. On a eu une ordonnance de mise en accusation alors qu’il n’y avait pas de faits, pas de coupable, ni d’auteur (ces deux derniers termes étant rigoureusement synonymes).

Pour ceux qui pensaient que les politiques avaient, eux, tiré les leçons de l’affaire d’Outreau, dans laquelle il n’y avait ni faits ni coupables, les voici fixés. Et Mme Dati a été magistrate. 

C’est là qu’on voit l’intérêt du mot indépendant accolé frénétiquement au mot juge : cela signifie “si les choses tournent mal, ce sera de sa seule faute”.

mardi 29 septembre 2009

Quelques mots sur l'affaire Polanski

Les plus attentifs de mes lecteurs auront peut-être entendu parler de cette affaire dont les médias se sont discrètement fait l’écho : un cinéaste français a été interpellé en Suisse et placé en détention, à la demande des États-Unis d’Amérique, en raison d’une affaire de mœurs remontant à la fin des années 70.

Un petit point juridique sur la question s’impose pour mes lecteurs qui n’étant pas ministre de la culture désireraient avoir un point de vue éclairé sur la question.

Roman Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice américaine. Un mandat d’arrêt international est une demande émanant forcément d’une autorité judiciaire (en France, un juge d’instruction ou une juridiction répressive) et relayée par voie diplomatique, s’adressant à tous les autres États, d’interpeller telle personne et de la lui remettre. Le vocabulaire juridique parle d’État requérant et d’État requis.

En principe, un mandat d’arrêt international, restant un acte interne à l’État requérant, ne lie pas les autres États requis. Mais de nombreuses conventions internationales, bilatérales (liant deux États entre eux) ou multilatérales (liant plusieurs États : il y en a une en vigueur en Europe, en Afrique de l’Ouest, au sein de la Ligue Arabe, en Amérique du Nord, etc…), dites de coopération judiciaire, sont intervenues pour rendre obligatoire l’exécution de ce mandat par l’État requis. Ces conventions ne sont pas signées avec n’importe quel État : la France n’a par exemple pas de convention d’extradition avec l’Iran ou avec la Corée du Nord. Dans notre affaire, il s’agit du Traité d’extradition entre les États-Unis d’Amérique et la Confédération Helvétique signée à Washington le 14 novembre 1990 (pdf).

Concrètement, le mandat est notifié aux autorités du pays où se trouve la personne visée, ou enregistrée dans une base de données internationale, la plus connue étant celle de l’Organisation Internationale de police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol. Quand une personne se présente à la frontière, la police vérifie sur la base de son passeport si la personne est recherchée (les passeports actuels permettent une lecture optique, le contrôle ne prend que quelques secondes). En cas de réponse positive, la personne doit être interpellée, la police n’a pas le choix.

Le droit interne s’applique alors. Je ne connais pas le droit suisse en la matière, mais on peut supposer qu’il est proche du droit français en la matière. Le mandat d’arrêt vaut titre provisoire d’incarcération, généralement de quelques jours, le temps pour les autorités de notifier à la personne le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet, qu’elle sache qui a ordonné son arrestation et pourquoi. C’est capital pour les droits de la défense et le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté immédiate. Le détenu a naturellement droit à l’assistance d’un avocat. 

Le détenu est ensuite présenté à un juge qui va s’assurer que la notification a été faite et demander à l’intéressé s’il accepte d’être remis à l’État requérant (auquel cas son transfèrement est organisé dans les délais prévus par la loi, là aussi sous peine de remise en liberté immédiate. S’il refuse, le juge statue sur une éventuelle remise en liberté surveillée, et l’intéressé peut contester le mandat d’arrêt. 

Les arguments que l’on peut soulever sont divers. La régularité de forme, tout d’abord : le mandat d’arrêt international doit être conforme à la convention internationale liant l’État requérant à l’État requis, sinon ce n’est pas un mandat d’arrêt international. Classiquement, il doit indiquer l’autorité émettrice, la date d’émission, la nature des faits qui le fondent, et les textes de loi interne réprimant ces faits. Un État requis peut refuser une extradition pour certains motifs, qui généralement figurent dans la convention d’exclusion. Classiquement, ce sont les délits politiques (terrorisme exclu) et les faits qui ne constituent pas une infraction dans la loi de l’État requis, ainsi que le fait pour le détenu d’avoir déjà été jugé par un autre État pour ces mêmes faits : c’est la règle non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits (l’appel n’est pas un deuxième jugement mais une voie de recours). L’intéressé peut également soulever que le châtiment auquel il est exposé est illégal. L’Europe n’extrade pas quelqu’un exposé à la peine de mort, mais elle extrade si l’État requérant fournit des garanties que cette peine ne sera pas prononcée ou exécutée. Et oui, les États requérants (vous vous doutez que je parle surtout des États-Unis) tiennent parole, sous peine de se voir refuser toutes leurs futures demandes d’extradition.

Je passe sur le droit français qui est encore plus compliqué puisqu’il connait une phase judiciaire et une phase administrative, la cour de cassation et le Conseil d’État pouvant connaître du même dossier d’extradition (Cesare Battisti a fait le tour des juridictions françaises avant de faire le tour du monde).

Enfin, il existe un principe fondamental : un État n’extrade jamais ses ressortissants. C’est contraire à la protection qu’il doit à ses citoyens. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont l’abri de poursuites dans leur État d’origine.

J’ajoute que depuis 2004, le droit européen (de l’UE s’entend) a créé le mandat d’arrêt européen, qui exclut toutes les règles de l’extradition, notamment l’interdiction d’extrader un national. Il est de fait plus proche du mandat d’arrêt interne que du mandat d’arrêt international. Ce qui est conforme à la logique d’intégration européenne. Je me méfie autant des juges espagnols et allemands que Français, mais pas plus (c’est assez suffisant comme ça).

Et je crois nécessaire d’ajouter qu’aucune loi ni convention internationale ne prévoit d’immunité pour les artistes, oscarisés ou non.

Ah, une dernière précision ,décidément, on n’en a jamais fini : l’extradition ne se confond pas avec le transfèrement : ce terme concerne des personnes purgeant une peine dans un État autre que le leur, et prononcé par cet État. Le transfèrement vise à permettre au condamné d’être rapatrié dans son pays pour y purger sa peine. C’était le cas des condamnés de l’Arche de Zoé.

Revenons-en à notre cinéaste.

Il est de nationalité française (et polonaise, mais ici cela n’a aucune incidence). Il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice de l’État de Californie pour une affaire remontant à 1977. Il a à l’époque eu des relations sexuelles avec une mineure âgée de treize ans après lui avoir fait boire de l’alcool et consommer des stupéfiants. Si mon confrère Dominique de Villepin me lit, qu’il ne s’étouffe pas d’indignation en invoquant la présomption d’innocence : celle-ci a expiré peu de temps après les illusions de cette jeune fille, puisque Roman Polanski a reconnu les faits en plaidant coupable. La culpabilité au sens juridique de Roman Polanski ne fait plus débat. Roman Polanski, après quelques jours en prison, a été remis en liberté dans l’attente de l’audience sur la peine. Il en a profité pour déguerpir et a soigneusement évité le territoire américain pendant trente ans.

Au départ, l’accusation contenait cinq chefs d’accusation, dont une qualification de viol. À la suite d’un accord passé avec le parquet, comme la loi californienne le permet, Roman Polanski a plaidé coupable pour un chef unique d’abus sexuel sur mineur (unlawful sexual intercourse with a minor), code pénal californien section 261.5., délit puni de 4 ans de prison maximum. 

Le mandat d’arrêt vise à le faire comparaître pour prononcer la peine, la comparution personnelle du condamné étant obligatoire pour la loi californienne. 

La victime a été indemnisée et a retiré sa plainte. Cela faisait partie probablement de l’accord passé avec le parquet (la victime n’est pas partie au procès pénal en droit américain). Cela ne fait pas obstacle à la poursuite de l’action publique.

Tant qu’il résidait en France, il était tranquille : la France n’extrade pas ses nationaux. Et il ne pouvait être poursuivi en France, bien que de nationalité française, les faits ayant déjà été jugés aux États-Unis. C’est la règle non bis in idem dont je vous parlais plus haut.

C’est la vanité qui a piégé notre cinéaste : invité en Suisse pour y recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre (il ne se doutait pas qu’en effet, c’est bien l’ensemble de son œuvre qui allait recevoir ce qui lui revenait), il s’est rendu dans la sympathique confédération fédérale. Fatalitas : à l’aéroport, le contrôle de son passeport donne un ping Mise à jour : D’après la presse suisse, ce serait le cinéaste qui a donné l’alarme lui-même en demandant à la police suisse une protection, attirant ainsi l’attention des autorités sur sa venue : elles ont constaté que ce monsieur était l’objet d’un mandat d’arrêt international émis en 2005 (je vais revenir sur cette date curieuse de prime abord), il n’était pas suisse, il pouvait être arrêté. Et le voici qui goûte la paille humide des cachots helvètes, où il est en cellule individuelle, confiné 23 heures par jour. Ça vous choque ? À la bonne heure. Les prisonniers en France sont traités de la même façon en maison d’arrêt, sauf qu’en plus, ils sont dans une cellule surpeuplée. Pensez-y aux prochaines élections.

La Suisse va notifier par voie diplomatique l’arrestation de Roman Polanski. Les États-Unis ont 40 jours pour demander officiellement l’extradition à compter de l’arrestation (article 13§4 de la convention de 1990), soit jusqu’au 5 novembre 2009 à 24 heures, faute de quoi Roman Polanski sera remis en liberté. Ce dernier a indiqué qu’il refusait l’extradition et compte porter l’affaire devant le Tribunal pénal Fédéral (Bundesstrafgericht) et le Tribunal fédéral (Bundesgericht), la cour suprême suisse, le cas échéant. L’affaire est désormais dans les mains de la justice suisse et de mon excellent confrère Lorenz Erni.

Enfin, dernier point, sur l’ancienneté de cette affaire. Tous les soutiens au cinéaste invoquent à l’unisson l’argument que cette affaire est ancienne (à l’exception de Costa Gavras, qui lui soulève que cette jeune fille de 13 ans en faisait 25 ; il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument). Se pose en effet la question de la prescription.

Je ne reviendrai pas sur le magistral exposé des règles en la matière (sans oublier la deuxième partie) par Sub lege libertas, règles qui sont à l’origine d’une grande partie de la consommation de paracétamol par les juristes. J’ajouterai simplement une précision : la loi californienne prévoit une prescription de 6 10 ans pour des faits de la nature de ceux reprochés à Roman Polanski (Code pénal de Californie, section 801.1). Cela dit sous toutes réserves, je n’ai pas accès à l’évolution du droit pénal californien depuis 1977.

Mais il faut garder à l’esprit que la prescription n’est pas un laps de temps intangible qui une fois qu’il est écoulé fait obstacle aux poursuites. Il peut être interrompu, et repart dans ce cas à zéro. Il faut six ans d’inaction des autorités judiciaires pour acquérir la prescription. Or les autorités judiciaires californiennes ne sont pas restées inactives depuis trente ans et ont toujours interrompu la prescription. La preuve ? En 2005, elles ont délivré un nouveau mandat d’arrêt international, acte qui interrompt la prescription : ce n’était en l’état actuel des choses qu’en 2011 que la prescription aurait éventuellement pu être acquise (sauf éléments du dossier que j’ignore, bien sûr).

Enfin et j’en terminerai là-dessus, je trouve choquant deux choses dans le tir de barrage du monde artistique. 

Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.

Et je bondis en entendant le ministre de la culture parler de « cette amérique qui fait peur ». Ah, comme on la connait mal, cette amérique.

Tocqueville avait déjà relevé il y a 170 ans, la passion pour l’égalité de ce pays. Elle n’a pas changé. Il est inconcevable là-bas de traiter différemment un justiciable parce qu’il appartiendrait à une aristocratie, fut-elle artistique. Il y a dix ans, l’Amérique a sérieusement envisagé de renverser le président en exercice parce qu’il avait menti sous serment devant un Grand Jury. Quitte à affaiblir durablement l’Exécutif.

Une justice qui n’épargne pas les puissants et les protégés des puissants ? On comprend qu’un ministre de la République française, qui a soigneusement mis son président et ses ministres à l’abri de Thémis, trouve que cette Amérique fait peur.

PS : billet mis à jour, merci à nemo pour ses lumières sur le droit du Golden State.

lundi 28 septembre 2009

Prescription, vous avez dit prescription...? (chapitre II)


par Sub lege libertas


Je vous ai conté il y a peu les aventures de Samantha avec le temps judiciaire, pour confirmer l’analyse lapidaire de Maître Kiejman, avocat de Roman Polanski quand il affirmait : “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans”. Je vous ai promis une suite car la généralité du propos rapporté ci-avant est trompeuse : une petite Vanessa pourrait presque faire mentir l’illustre Georges Kiejman. Ce qui suit est très rigoureusement inspiré d’un cas réel.[1] Mais qui est cette Vanessa ?

Vanessa est née le 11 mars 1976, première enfant d’une mère célibataire âgée de 16 ans et va être élevée jusqu’à ses quatre ans par ses grands parents maternels qui vont la recueillir de façon permanente, avant que sa mère âgée de 20 ans ne se mette en ménage avec un homme qui reconnaîtra Vanessa. Son grand père est né le 10 juillet 1940 et sa grand mère le 6 juin 1944.[2]

Aujourd’hui donc, le Parquet reçoit un courrier de Vanessa dénonçant son grand père pour lui avoir introduit plusieurs fois un doigt son sexe[3] dans l’anus et le sexe lors du mois d’août 1979, alors qu’il la gardait seule, sa grand mère étant hospitalisée. Elle explique déposer plainte car elle a été alarmée par l’attitude de son grand-père qui avait des gestes équivoques à l’égard de sa propre fille Cindy âgée de 7 ans lors des grandes vacances de cette année, ce qui a causé cette réminiscence de son propre passé. A nouveau, après un rire panique, Sub lege libertas s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Je vous rappelle que trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. La plaignante est majeure depuis le 11 mars 1994. Les faits ont eu lieu en août 1979. La qualification possible des faits des faits : viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité.

Interlude

Comme Eugène Pierre me l’a rappelé, le sexe et la loi sont un couple inconstant. Il a effectivement fallu attendre le 24 décembre 1980 pour que la loi définisse le viol comme

tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise.

Le Code pénal de 1810 promulgué le 27 février 1810, ne définissait pas le crime de viol. On y lisait ceci :

ARTICLE 331. : Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion.

ARTICLE 332 : Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps.

ARTICLE 333 : La peine sera celle des travaux forcés à perpétuité, si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l'attentat, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou s'ils sont fonctionnaires publics, ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes.

Observons d’ailleurs qu’en ce temps, le viol et les attentats à la pudeur sont de toute façon criminels. Aussi la loi du 28 avril 1832 a-t-elle séparé les deux notions considérant que seul le viol devait rester criminel, notamment car il pouvait résulter de cette conjonction sexuelle un enfant et désormais, on lisait dans le Code pénal :

ARTICLE 332 : Quiconque aura commis le crime de viol sera puni (des travaux forcés[4]à temps) de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans .

ARTICLE 333 : Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat, s’ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignés, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle (des travaux forcés[5] à perpétuité) de la réclusion criminelle à perpétuité.

Le viol n’était donc que la conjonction sexuelle forcée entre un homme et une femme, l’homme étant l’agent, la femme la victime. Il n’y avait viol que lors de l’intromission par violence du sexe viril dans le sexe d’une femme. R. Garraud parlait “du fait de connaître charnellement une femme sans la participation de sa volonté”. Emile Garçon disait “le coït illicite avec une femme que l’on sait n’y point consentir”.

Tout le reste n’était qu’attentats à la pudeur. Ainsi Vanessa se plaindrait-elle que son grand père lui eût imposé des fellations ou introduit des doigts dans le sexe ? Comme la cour de cassation l’a jugé, il ne s’agirait que de délits atteints par la prescription. Avec la loi de 1980, les intromissions anales forcées, les pénétrations digitales, les introductions dans le sexe d’objet et les fellations imposées, tombent dans le “champ du viol”. Il est même légalement reconnu qu’un homme peut être violé.

Fin de l’interlude

Avec Samantha vous avez (ré-)appris que le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est à lire dans la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957 entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [6] le 8 janvier 1958. On y lit que s’il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite, la prescription est acquise dix ans après la commission des faits. Pour Vanessa, la prescription intervient fin août 1989

Vous savez également que des règles spéciales pour les faits sexuels commis sur mineur ont été apportées par la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée le 14 juillet 1989 qui a introduit un alinéa 3 dans l’article 7 du Code de procédure pénale :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s'applique qu'à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en août 1989 soit après l'entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s'applique. La prescription est acquis dix ans après la majorité de Vanessa donc le 11 mars 2004.

L’ article 121 de la loi du 4 février 1995 n°95-116 (publié au JORF le 5 février 1995) a introduit une nouvelle rédaction de l'alinéa 3 de l'article. 7 du Code de procédure pénale :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription ne commence à courir qu'à partir de sa majorité.

Pour Vanessa, cela ne change rien; la prescription reste acquise le 11 mars 2004. Mais la loi du 17 juin 1998 n°98-468 du 17 juin 1998 par son article 25 (publié au JORF le 18 juin 1998) a encore modifié la rédaction de l'alinéa 3 de l'article 7 du Code de procédure pénale. On y lit désormais ceci :

Le délai de prescription de l'action publique des crimes commis contre des mineurs ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Le suspens est immense mais non cela ne change rien pour Vanessa : prescription acquise le 11 mars 2004. J’en vois déjà qui m’imaginent prenant mon bic administratif pour cocher la case n°34 (extinction de l’action publique) sur un formulaire de classement sans suite à agrafer sur la lettre de Vanessa. Mais le législateur veille...

Et par l’article 72 I de la loi du 9 mars 2004 publiée au JORF 10 mars 2004 et entrée en vigueur le 10 mars 2004, nos parlementaires ont fixé la rédaction actuelle (ouf!, enfin pour l’instant) de l'alinéa 3 de l'article 7 du Code de procédure pénale. Et çà alors, il y a du changement :

Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 et commis contre des mineurs est de vingt ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Bigre, quel est donc ce 706-47 ? Et bien c’est un article qui liste les infractions sexuelles commises sur mineur pour lesquelles des tombereaux de règles procédurales particulières s’appliquent. On y découvre notamment que cela concerne les crimes réprimés par l’article 222-24 du Code pénal, c’est à dire notamment le viol sur mieur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. Euréka ! Eh non je veux dire Vanessa ! Donc pour elle la prescription est acquise le 11 mars 2014, puisqu'à un jour près les faits ne sont pas prescrit le 10 mars 2004 lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004.

En conclusion, le parquetier qui reçoit la lettre de Vanessa aujourd’hui doit faire recevoir sa plainte ! Et pour achever de nous distraire, si Vanessa le souhaite elle peut différer sa demande de justice jusque au début du mois de mars 2014. Le magistrat du Parquet aura alors quelques jours pour signer un soit- transmis pour enquête qui interrompra la prescription. Mais, s’il traite son courrier avec retard ... attention au dysfonctionnement du service public de la Justice.

Folle perspective :

L’enquête est menée durant l’automne 2009 par une Brigade des mineurs et le grand-père de Vanessa, désormais âgé de 69 ans, reconnaît en garde à vue avoir introduit son doigt sexe[7] dans l’anus ou le sexe de sa petite fille, tous les matins du mois d’août 1979, soit 30 ans auparavant... Il sort de garde à vue et le dossier est transmis par courrier au procureur, car le grand-père habite hors ressort du Parquet compétent à raison du lieu des faits où est toujours domiciliée la plaignante.

En février 2010 un réquisitoire introductif criminel est pris pour saisir le juge d'instruction -s'il n'est pas supprimé. Et en septembre 2010, le grand-père, retraité âgé de 70 ans, convoqué par courrier est mis en examen et conteste ses aveux, son avocat faisant état de troubles psychiques liés à son âge qui ont pu influer sur ses déclarations en garde à vue. Il est placé sous contrôle judiciaire.

L’expertise psychiatrique révèle que le mis en examen a commencé à avoir des symptômes discrets de la maladie d’Alzheimer depuis deux ans, qui peuvent influer sur ses déclarations. L’expertise relève aussi une problématique sexuelle complexe depuis 1979 à la suite de la découverte chez sa femme d’un fibrome utérin ayant conduit à une hystérectomie en août 1979 (la fameuse hospitalisation qui laisse le grand-père seul avec la petite Vanessa). Par ailleurs, le magistrat instructeur a la chance de retrouver aux archives de l’hôpital un dossier attestant que Vanessa avait été hospitalisée en septembre 1979 pour des problèmes urinaires et selon le médecin expert, les pièces quoique parcellaires du dossier médical évoquent des lésions compatibles avec l’introduction répétée d’un doigt membre viril de petite taille en érection[8] dans le sexe d’un fillette...

La clôture de l’information criminelle intervient en novembre 2011 avec renvoi aux assises. Et l’audience devant la Cour d’assises n'a lieu qu’en janvier 2015 soit plus de 35 ans après les faits. A 75 ans passés, le grand-père de Vanessa est condamné à 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Bien entendu, il est inscrit au FIJAIS pour 30 ans ! Il fait appel et obtient sa remise en liberté avant examen de l’appel qui intervient en mars 2016[9].

Il est acquitté ? Hélas, son avocat m’indique qu’il n’est pas présent à l’ouverture des débats : il produit un certificat médical attestant qu’à raison de la dégradation de sa maladie, il est désormais hébergé dans une unité de psychiatrie gériatrique. Affaire renvoyée !



La discussion se poursuit sous le billet initial : cliquer et commenter.



Post-scriptum : non, je ne glose pas sur le cas précis de Roman Polanski, car j'ai déjà mal au crâne avec le droit français en la matière ; alors, pour ce qui est du droit américain, voire du droit suisse de l'extradition...

Notes

[1] Les étudiants en droit et autres amateurs de diptérosodomie aérienne me sauront gré de leur offrir par ce cas pratique, la version exacte des textes applicables à la date concernée, nos amis Dalloz et Litec n'ayant plus laissé figurer sous les articles du Code les versions très antérieures du texte actuel alors que ces versions sont encore utiles... Mais comme le député Warsmann le sait les procureurs ne sont pas foutus de savoir si un texte est en vigueur ou abrogé, mais parfois applicable.

[2] certaines dates ont leur importance... enfin, même pour notre histoire.

[3] Comme mes lecteurs sont rigoureux, l'un d'entre eux m'a rappelé à l'ordre en me renvoyant à la lecture du Code pénal dans sa version antérieure à la loi n°80-1041.

[4] L’article 8 de l’ordonnance n°60-529 du 4 juin 1960 a supprimé et remplacé cette peine par la réclusion.

[5] Voir note précédente.

[6] Journal Officiel de la République Française

[7] voir note 3

[8] voir note 3, et l'on apprend par la même que la nature ne prend pas de mesure pour l'égalité des sexes, le grand père de Vanessa ne démentant pas avoir été peu gaté

[9] et non 2012 nos lecteurs auront corrigé d'eux même, comme dirait min 'tiot Didier Specq dins sin journo

vendredi 18 septembre 2009

Dissolution de la dissolution : réaction en commission des lois

Les députés de la commission des lois ont abordé au cours de la réunion de la commission du 16 septembre dernier l’affaire de la suppression de la peine de dissolution des personnes morales coupables d’escroquerie.

Il ressort des explications du président de la commission, Jean-Luc Warsmann que c’est bien lui qui a introduit cette disposition, qui n’a pas été voulue par la Chancellerie. Au passage, on se demande naïvement de ce que la Chancellerie ait son mot à dire dans une proposition de loi qui est purement parlementaire, la Chancellerie pouvant déposer des projets de loi, et elle ne s’en prive pas. Évidemment, il faut y lire l’aveu de ce que cette proposition de loi a été pour l’essentiel rédigée par les services du Gouvernement.

Le président Warsmann réfute toute influence de l’Église de Scientologie dans cette affaire, et je veux bien le croire. Il explique avoir voulu rétablir une échelle des peines cohérente, ayant relevé huit infractions plus sévèrement punies que l’escroquerie pour lesquelles la dissolution était écartée par la loi. Sauf que la rédaction choisie écarte la dissolution pour l’escroquerie en bande organisée, qui est punie du maximum délictuel (10 ans de prison pour une personne physique). En fait, cette phrase trahit à mon sens ce qu’a été son erreur d’appréciation : après avoir rappelé que personne n’avait parlé de la Scientologie lors des débats (il faut dire que personne n’a parlé de cet article lors des débats), il ajoute

D’autre part, l’incrimination d’escroquerie porte généralement sur des affaires concernant le droit commercial ; quand il s’agit de personnes morales, ce sont plutôt des entreprises qui sont concernées, pas des associations.

Où l’on voit que la droite a toujours pour les entreprises commerciales les yeux de Chimène et pour la justice les yeux de Stevie Wonder.

Le président Warsmann a donc tremblé à l’idée qu’une entreprise condamnée pour une petite escroquerie puisse être dissoute, jetant à la rue des employés innocents. Où l’on voit que l’on peut faire la loi sans avoir une bonne idée de son application. Et que le législateur n’a décidément aucune confiance dans les juges.

La peine de dissolution est la peine de mort des personnes morales. Les juges savent parfaitement tout ce que cela implique. Liquidation du patrimoine qui est dévolu à l’État, licenciement économique du personnel, etc. C’est donc la peine la plus élevée applicable aux personnes morales. Et comme le principe de personnalisation des peines (chaque peine doit être adaptée entre autres à la personnalité et la situation personnelle du condamnée) s’applique aussi aux personnes morales, elle n’est prononcée que dans des cas extrêmes (8 fois ces 10 dernières années). Et qu’est-ce qu’un cas extrême ? C’est une personne morale qui n’a été constituée QUE dans l’objet de réaliser une ou des escroqueries, ou dont la seule activité consiste à réaliser ces escroqueries, qui n’ont aucune utilité sociale (étant entendu qu’une société commerciale a une utilité sociale). Aucun juge n’envisagera un seul moment de dissoudre une société commerciale florissante qui emploie de nombreux salariés parce que son PDG a fait des fausses fiches de paie pour permettre à sa nièce enceinte de bénéficier des indemnités journalières du congé maternité.

Voilà la conséquence tragique de cette défiance du législatif et de l’exécutif envers les juges. En voulant retirer une arme dangereuse aux juges, dont ils n’ont jamais fait un mauvais usage en 15 ans mais on sait jamais, on provoque des conséquences inattendues.

Heureusement, nos parlementaires croient à la vertu de l’exemple et assument courageusement leur responsabilité.

Vous avez deviné, je plaisante. Non seulement Jean-Luc Warsmann va dire que ce n’est pas sa faute, mais en plus il va dire que celui qui a fait une bourde, en fait, c’est le magistrat du parquet.

Vous ne me croyez pas ?

Chapitre un : ce n’est pas ma faute.

D’abord, la vertu outragée, ou, “j’ai peut-être merdé mais ce n’est pas une raison pour me parler comme ça”.

Pourriez-vous faire savoir à M. Ayrault, de ma part, qu’il a dépassé toutes les limites acceptables lors de la conférence de presse qu’il a donnée : suggérer que le président de la Commission des lois que je suis ait pu faire preuve de « complaisance » à l’égard de l’Église de scientologique est proprement écœurant.

Bon, on peut avoir ses susceptibilités, et je veux bien admettre que la violence de l’indignation causée par cette affaire a été disproportionnée à l’égard de Jean-Luc Warsmann, qui a dû en prendre plein la figure. Tout le monde, à commencer par un avocat, et même un député, peut commettre une erreur, ou faire quelque chose sans envisager toutes les conséquences, Que je sache, Jean-Luc Warsmann a une excellente réputation à l’assemblée : c’est un député honorable, actif et bosseur, respectueux de l’opposition et ouvert ; je ne pleurerais pas si l’Assemblée était composée de 577 Jean-Luc Warsmann. Mais commencer par se plaindre quand on est pris en faute n’est pas forcément ce qu’on peut attendre à ce niveau de responsabilité.

Ensuite : c’est pas vraiment moi, c’est plutôt tout le monde.

Comme je l’ai indiqué, la rédaction qui a été adoptée est celle de la proposition de loi que j’avais déposée – je l’assume totalement. Et je le répète : cette disposition n’a jamais fait l’objet de la moindre observation ou de la moindre remarque au cours du processus législatif. Étienne Blanc peut en attester, et c’est également ce que montrent les mails que j’ai de nouveau consultés depuis que cette polémique a été lancée par certaines personnes avant tout préoccupées de se faire de la publicité.

Arrêtez-moi ou je fais un malheur et ce sera votre faute, en somme.

Il est vrai que dans cette affaire, aucun garde-fou n’a fonctionné. Comme on l’a vu, personne n’a eu l’idée de démanteler l’article en question pour réaliser que le 33° pouvait avoir des conséquences sur cette affaire en cours, mais aussi mettre à l’abri tous les mouvements sectaires s’étant rendus coupables d’escroquerie. Mais l’absence de garde-fou effectif n’autorise pas à se comporter comme un fou. Et le fait que tout le monde soit fou à l’assemblée n’est pas non plus une excuse.

Bref, conclut le président Warsmann :

je voudrais remercier ceux qui ont évoqué la notion d’erreur collective et la nécessité d’être solidaire.

Tant il est vrai qu’en politique, on aime assumer les erreurs des autres.

Mais la meilleure défense, c’est l’attaque. Haro sur le baudet. En fait, c’est le procureur qui a fait n’importe quoi.

Chapitre II : Blâmez le procureur

Là, je m’insurge : c’est une atteinte au monopole de la profession d’avocat.

Le problème, vont dire les députés, ce n’est pas que la dissolution ait été supprimé comme un seul homme (un Monsieur Jourdain en l’occurrence), mais que le procureur l’ait requis ! Dame ! S’il avait requis autre chose, personne n’aurait relevé la disparition de la peine.

La première salve vient de Dominique Perben (UMP), ancien garde des sceaux :

Ne simplifions pas à l’extrême : si le Parquet n’a pas suivi l’évolution de la loi, ce n’est pas la faute de la Commission. Il aurait été tout à fait été possible de requérir une mesure d’interdiction. Notre commission n’a pas à endosser une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Le Parlement a exercé sa responsabilité ; c’est maintenant à la chancellerie qu’il revient d’expliquer comment le Parquet a pu être conduit à requérir une sanction qui n’existait plus.

Et pourquoi pas saisir le CSM au disciplinaire, pendant qu’on y est ?

Ce n’est plus haro sur le baudet, c’est le coup de pied de l’âne. L’assemblée connaît ses classiques.

Jean-Luc Warsmann n’a plus qu’à jouer les grands seigneurs en volant au secours du parquetier, sans oublier quand même de froncer les sourcils : il a en effet horreur des erreurs des autres.

S’agissant des réquisitions du Parquet, on peut penser que le magistrat concerné s’est servi d’une version « papier » du code, qui n’était pas à jour, au lieu de consulter la version électronique. Sans cela, le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie. L’intérêt de cette mesure est qu’elle permet de viser les activités localisées dans d’autres pays que le nôtre, contrairement à la peine de dissolution. Si le Parquet avait requis cette mesure, aucune polémique n’aurait vu le jour ; la presse aurait sans doute trouvé, au contraire, que le Parquet y allait fort.

Comme Dominique Perben, je souhaiterais que la chancellerie nous explique ce qui s’est passé au Parquet de Paris : comment se fait-il qu’une peine n’existant plus ait été requise ?

Mais il n’y a qu’à demander, monsieur le président. Parce que les magistrats ne lisent pas mieux le JO que les députés ne lisent les propositions de loi. Les parquetiers n’ont pas le temps de prendre leur stylo et de griffonner en marge de leurs codes tous les changements géniaux que vous votez sans réfléchir. Le seul article 124, celui qui contenait la disposition funeste, modifie 53 articles du code pénal (et deux du code de procédure pénale). Et la version électronique met quelques semaines à être mise à jour. Enfin, vu que personne n’a réalisé ce qu’il votait, qui donc était censé avertir le procureur qu’une peine avait disparu à quinze jours de l’audience ? Rappelons que même l’avocat de la Scientologie n’avait pas soulevé dans sa plaidoirie que la peine requise était juridiquement impossible.

Là, je trouve Jean-Luc Warsmann gonflé, et je pèse mes mots.

Non seulement il n’assume pas sa responsabilité bien qu’il affirme le contraire puisque pour lui, c’est une responsabilité collective (et quand c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne), mais en plus, il se scandalise que le parquet ne réalise pas immédiatement ce que lui même ne réalisera que quand la MIVILUDES sortira l’affaire.

C’est un peu comme l’affaire Hortefeux : la faute est lamentable mais excusable ; ce qui est pire que tout, ce sont les excuses invoquées. Un épisode qui ne grandit pas ceux qui y sont mêlés.

Et pour les fines bouches, il y a un chapitre 3.

Chapitre 3 : de toutes façons, il y a pire : il y a une peine moindre.

Plusieurs intervenants vont se rassurer en disant que de toutes façons, il reste la possibilité de prononcer la peine d’interdiction d’exercice, qui à la limite serait même mieux que la dissolution (on se demande alors pourquoi cet empressement à la rétablir).

Jean-Paul Garraud (UMP) :

Que le Parquet ait commis une erreur dans ses réquisitions, comme cela arrive parfois, cela n’empêchera nullement la juridiction de jugement de prononcer des peines d’interdiction à l’encontre de l’association en cause, ce qui aura à peu près le même effet.

“À peu près”. On appréciera la rigueur juridique du législateur en action.

Daniel Vaillant (SRC) :

Mais force est de reconnaître qu’il existe un véritable problème, lequel ne résume pas à une défaillance de vigilance sur ce texte. Le Parquet n’a pas fait les réquisitions qui convenaient. Nous devons également nous demander, sur le fond, si la dissolution est un meilleur instrument de lutte contre les sectes que l’interdiction.

Heureusement, toute raison n’a pas encore déserté le Palais-Bourbon :

Alain Vidalies (SRC) :

D’un point de vue juridique, on ne peut pas prétendre, comme l’a suggéré Jean-Paul Garraud, que l’interdiction emporte des effets identiques à ceux d’une dissolution. Si la loi faisait mention de deux peines distinctes, c’est qu’il y avait une différence de degré. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les membres de l’UMP ici présents : sont-ils d’accord avec la garde des sceaux, qui affirmait hier la nécessité de réintroduire la dissolution dans l’arsenal pénal ? Il me semble que c’est notre devoir de le faire.

François Bayrou (non inscrit) :

Il me vient toutefois une question de Béotien : la dissolution n’emporte-t-elle pas une conséquence différente en matière patrimoniale ? Si tel est le cas, on voit quel est l’intérêt pour les entités relevant de la scientologie d’échapper à la dissolution.

Les critiques sont pertinentes. La dissolution et l’interdiction ne sont pas du tout la même chose.

C’est pourtant ce que vont tenter de démontrer Jean-Luc Warsmann et Étienne Blanc, les Laurel et Hardy de la séance :

Jean-Luc Warsmann :

Le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie.

Amusant d’ouïr le président fustiger ce procureur qui requiert des peines illégales avant de lui suggérer de requérir une peine illégale.

L’article 131-39, 2° du code pénal prévoit la peine d’interdiction, ainsi définie. le tribunal peut prononcer

2° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;

Une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. La loi ne permet pas de prononcer une interdiction de toute activité. Seulement de certaines, celles qui ont permis la commission de l’infraction. Et comment définit-on une activité sectaire ? Un tribunal ne peut pas interdire à l’Église d’enseigner la dianétique, l’enseignement de la parole de L. Ron Hubbard ou la fascinante vie et œuvre de Xenu, dictateur de la Confédération galactique qui a commis un génocide sur notre planète à coups de bombes nucléaires dans les volcans de Hawaï (je n’invente rien). Ce ne sont pas des activités professionnelles ou sociales, et la liberté de conscience s’y oppose.

Étienne Blanc : 

Les faits reprochés à l’Église de scientologie sont susceptibles de recevoir plusieurs qualifications juridiques. Elle est poursuivie pour escroquerie, mais elle pourrait également l’être pour abus de biens sociaux et pour vol.

Heu… Non. D’abord, la qualification des faits a fait l’objet d’un débat au cours de l’instruction, et si d’autres qualifications étaient possibles, elles auraient pu être relevées jusquà la clôture des débats. Ensuite, l’Église de scientologie étant une association, elle ne peut commettre d’abus de biens sociaux, réservé aux dirigeants de droit et de fait de sociétés commerciales de capitaux (S.A., SARL, SAS). Et ça donne des leçons aux parquetiers. 

S’agissant de l’Église de scientologie, organisation qui dispose de ramifications partout dans le monde – au Danemark, en Suisse ou encore en Belgique –, l’arme de la dissolution ne serait qu’un sabre de bois : nous ne pouvons pas dissoudre des associations ayant leur siège dans des pays étrangers. L’outil le plus opérant, c’est l’interdiction d’exercer ses activités.

Eh oui : on ne peut pas dissoudre des assocations situées à l’étranger mais on peut leur interdire toute activité. Magie vaudou. 

Argument à côté de la plaque : l’Église de Scientologie est composée en France d’associations loi 1901 toutes domiciliées sur le territoire de la République. Il suffit de lire le JO

Mais laissons travailler les députés. Ils doivent encore adopter définitivement la loi HADOPI 2, pour nous montrer que quand ils veulent, ils peuvent faire du bon travail. 

Heu, non, oubliez ce que je viens de dire.

lundi 14 septembre 2009

Pas désintérêt : désintéressement

Audience ordinaire d’une chambre pénale d’un tribunal de la région parisienne, affectée au «service général», c’est-à-dire le tout-venant des délits. Plusieurs avocats négocient ferme leur ordre de passage avec l’huissier : c’est la veille des vacances, tout le monde a un train, un avion, une voiture chargée de mômes et de parasols garée en double file. Un avocat a même une audience de référé administratif à quinze heures. Il négocie un passage en troisième position, sous le regard chargé de commisération de ses confrères habitués des audiences pénales. Il n’a aucune chance d’être à temps à son audience au TA mais il ne le sait pas encore.

Les affaires sont appelées. D’abord, des délibérés à rendre. Puis les demandes de renvoi[1]. Refus. Refus. Refus. La chambre a décidé d’écluser du stock avant les vacances. Ah, un renvoi est accepté. À mi avril 2010. On comprend la réticence du tribunal à renvoyer.

Il est déjà 14h15 quand la première affaire commence à être jugée. L’avocat au référé administratif jure entre ses dents. Tous les avocats regardent frénétiquement leurs montres.

16h00. L’avocat au référé administratif plaide son affaire. Il a pleuré au téléphone et a obtenu que son référé administratif soit décalé de deux heures. Dieu bénisse les juges compréhensifs.

16h30. Le tribunal a à peine eu le temps de dire que le jugement sera rendu en fin d’audience que la porte de la salle claque sur les talons de l’avocat qui file vers le tribunal administratif à une vitesse qui lui vaudrait le respect d’Usain Bolt (qui n’a pas l’habitude de courir en robe, ce frimeur).

Affaire suivante. Une jeune avocate se lève.

— “Votre client est présent, maître ?” demande le président.
— “Non, monsieur le président, je suis sans nouvelle de lui.”
— “Donc pas de lettre de représentation ?” demande le président d’un ton agacé.
— “Non”.

Pas de lettre de représentation, ça veut dire que le jugement sera contradictoire à signifier. Il ne sera pas exécutoire tant que le jugement n’aura pas été signifié par huissier au prévenu. Ce qui peut vouloir dire des années, voire jamais, outre que les frais sont à la charge du ministère public. Si le prévenu était présent ou avait donné une lettre de représentation, le jugement aurait été contradictoire : le délai d’appel aurait pu courir dès le prononcé et le jugement être définitif dix jours plus tard, sans un centime de frais pour la Justice.

Avant 2004, le code de procédure pénale prévoyait (art. 411 ancien du CPP, a contrario) que si un prévenu régulièrement cité à compraître ne venait pas sans donner de raison valable ou sans donner de lettre de représentation à un avocat, son avocat ne pouvait être entendu par le tribunal. Oui, chers amis. Je vous parle bien de la procédure française.

Cette magnifique disposition a valu naturellement à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 23 mai 2000, Van Pelt c. France, n°31070/96) pour atteinte au procès équitable. Eh bien vous me croirez si vous le voulez, mais il nous a fallu pendant des mois aller aux audiences avec une copie de cet arrêt en main au cas où notre client n’oserait pas venir, pour exiger du tribunal qu’il nous entende. Très souvent en vain. Il faudra attendre le 2 mars 2001 pour que la cour de cassation, et en assemblée plénière s’il vous plaît, dise enfin très clairement cette évidence : 

Attendu que le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l’assistance d’un défenseur s’opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense ;…

Et encore, je me souviens d’avoir du me bagarrer en avril 2001 avec un tribunal pour qu’il m’entende en l’absence de mon client, en lui mettant cet arrêt sous les yeux. J’entends encore le président me répondre que cet arrêt n’était pas encore publié au bulletin, et qu’une impression issue du site de la cour de cassation ne lui suffisait pas. Les droits de la défense sont un perpétuel combat.

La loi Perben II du 9 mars 2004 a inséré cette règle dans la loi (62 ans après la promulgation du Code de procédure pénale) qui est désormais à l’article 410

Aujourd’hui encore, bien des tribunaux, qui n’apprécient pas qu’un prévenu se défile, ce que l’on peut comprendre[2], ne manquent jamais une occasion de marquer leur mécontentement et de faire sentir qu’entendre l’avocat est une obligation de la loi et non un mouvement spontané.

Revenons-en à ma consœur. Le tribunal n’est pas content. Ce dossier était une comparution immédiate du dimanche, mais le juge des libertés et de la détention (JLD) avait refusé le mandat de dépôt de 24 h jusqu’à la première audience suivante, soit celle du lundi, contraignant le parquet à remettre le prévenu en liberté. Ce sont des violences aggravées en récidive, un vol et un séjour irrégulier. Le prévenu encourt six ans ans (ce sont des violences avec arme n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail : trois ans encourus, fois deux pour la récidive), un an de peine plancher et le tribunal doit prononcer un mandat de dépôt, c’est obligatoire (art. 465-1 du CPP). À se demander pourquoi le JLD a remis cet homme en liberté qui, vu ce qu’il risque, a décidé de se faire rare.

— “À ce propos, monsieur le président…”
— “Oui, maître ?”
— “Il s’agit d’une citation après tentative de comparution immédiate. J’étais de permanence ce dimanche-là, et c’est moi qui l’ai assisté devant le JLD. Il m’a demandé de l’assister pour la suite de la procédure, ce que j’ai accepté, car il y a dans le dossier des éléments sur lesquels je crois nécessaire d’attirer l’attention du tribunal. J’ai déposé la semaine dernière des conclusions au fond reprenant ces arguments. Mon client n’ayant pas répondu à mes appels n’a pas demandé au bâtonnier ma commission d’office. Pourriez-vous me commettre d’office à l’audience comme le code de procédure pénale le permet ?” (Art. 417 du CPP).
— “Ah non : vous n’avez pas de lettre de représentation, je n’ai rien au dossier où il demande un avocat d’office.”
— “Cela vous a échappé : c’est sur le procès verbal de citation. Il a déclaré : «je demande que maître Caumy d’Aufyce (c’est moi) me défende». C’est juste à côté de la signature du procureur.”
Après un silence, le président qui a pris connaissance du document reprend : 
—”L’article 417 exige que le prévenu comparaisse pour que le président puisse accéder à sa demande. Votre client n’est pas là et il n’a pas fait de lettre de représentation. Il ne demande pas à être jugé en son absence dans le procès-verbal. Je refuse votre commission d’office.”
—”Fort bien, monsieur le président”, répond-elle d’un ton glacial. Elle reste debout sans bouger. Le président avait sorti ses conclusions du dossier pour les lui rendre. Il est interloqué de la voir rester à sa place.
—”Vous… vous allez soutenir vos conclusions ?”
—”Oui monsieur le président.”
—”Vous avez bien compris que vous ne serez pas payée ?”
—”J’ai bien compris. Le plaisir de plaider devant vous me paiera de ma peine” conclut-elle les yeux rivés dans ceux du président.

L’audience commence. Morne et sommaire rappel des faits, expédié en cinq minutes. Personne ne demande à l’avocate si elle a quelque chose à dire. Le procureur requiert et résume sa démonstration à : «les faits sont manifestement constitués» et demande un an de prison ferme avec mandat de dépôt. 

L’avocate se lève. Visiblement, regrette-t-elle, le tribunal n’a pas plus que le parquet pris la peine de lire les conclusions qu’elle a déposée il y a une semaine. Et elle reprend les procès-verbaux de police, et montre que rien ne prouve la réalité du vol : la prétendue victime n’a pas confirmé qu’on avait tenté de lui voler son sac et n’a jamais répondu aux appels de la police. Quant aux violences, le récit des faits décrits par la police ne correspond absolument pas aux déclarations faites par la victime trente minutes après les faits. On a deux récits divergents, trois avec celui du prévenu en garde à vue (qui ne reconnaît pas les violences). Enfin sur le séjour irrégulier, la citation ne précise pas quelle serait la nationalité du prévenu, né à Dijon il y a quarante ans, c’est écrit sur la citation. C’est d’ailleurs sur la base de ces éléments que le JLD a refusé la comparution immédiate : il le dit clairement dans son ordonnance qui est au dossier et qui semble avoir bénéficié de la même attention que ses conclusions. 

Au fil de la plaidoirie, le président consulte les procès verbaux et l’ordonnance de son collègue, et les passe à ses assesseurs. 

Elle conclut en disant non sans ironie qu’elle prie le tribunal de l’excuser si elle ne sera pas là lorsque le délibéré sera rendu, elle doit prendre un train, puisqu’elle a repoussé son départ en vacances pour pouvoir défendre son client.

Pendant la plaidoirie, je fais un rapide calcul. Elle a assisté le prévenu devant le JLD, un dimanche. Elle a demandé une copie du dossier, qu’elle a potassé. Elle a rédigé des conclusions d’une demi douzaine de pages. Elle a passé quatre heures en audience. C’est au minimum une douzaine d’heures de travail consacrées au dossier, non compris la permanence du dimanche. Le président ayant refusé de la commettre d’office, elle sera donc payée en tout et pour tout les deux UV du débat devant le JLD, soit 51 euros HT. Le président en la commettant lui aurait permis d’en toucher 203 de plus, HT. 254 euros pour tout ce travail n’aurait pas été volé : un avocat choisi aurait facturé au moins cinq fois cette somme à son client.

En la regardant sortir après avoir serré la main d’un procureur un peu penaud, je repense à un texte que les élèves avocats de Paris doivent potasser en ces jours d’épreuve de déontologie. C’est l’article 3 du décret du 17 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Superbe démonstration, confrère.


PS : Je suis repassé au greffe quelques semaines plus tard. Le tribunal a relaxé sur les trois préventions. Le parquet n’a pas fait appel.

Notes

[1] Demande par laquelle une partie demande au tribunal de ne pas juger cette affaire à cette audience et de la renvoyer à une date ultérieure. C’est une mesure d’administration, non susceptible de recours. Elle est sollicitée quand une partie n’est pas, pour des circonstances idnépendantes de sa volonté, en état de présenter correctement sa défense : l’avocat a une autre audience, ou a la grippe A, etc.

[2] L’ambiguïté de la formulation est voulue. On peut comprendre l’agacement du tribunal comme on peut comprendre la peur du prévenu.

vendredi 11 septembre 2009

Saine colère

Mon confrère Mô n’est pas content. Et comme je partage cette colère tous les jours, et que je n’aurais pas mieux dit, je vous invite à aller planter son serveur aller le lire.

Car moi aussi, j’en ai marre et archi-marre d’être sans cesse considéré à la fois comme un alibi et un indésirable par le code de procédure pénale. Moi aussi, je refuse de dire merci quand le législateur me permet de picorer des miettes de droit de la défense qui tombent de sa table, le plus souvent par accident, ou parce que la cour européenne des droits de l’homme souffle dessus. Moi aussi, je ne supporte plus cette impuissance de la défense organisée méticuleusement par le législateur, avec le soutien bienveillant de la cour de cassation. Moi aussi, je suis outré de lire que le rapport Léger ne sort de l’enfilage de perles et l’alignement des platitudes sans originalité que pour insulter ma profession[1].

Allez donc lire chez Mô ce que ça donne concrètement. « Maître, mon fils est en garde à vue, qu’est ce que vous pouvez faire ? — Rien. Ça fera 1000 euros hors taxe pour la consultation. »

Chaque année, plus de 500.000 personnes connaissent cela. Moins de 400.000 seront finalement jugées. Ça fait 170.000 personnes gardées à vue pour finalement rien qui en valait la peine. Si on prend une moyenne de 12 heures de privation de liberté par garde à vue inutile (ce qui est généreux, elles peuvent durer 48 heures, voire 96 heures, quand ce n’est pas 144 heures), ça fait chaque année l’équivalent de 160 ans de liberté jetés à la poubelle. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Et encore, mon septentrional confrère a de la chance. Il peut téléphoner à la permanence du parquet, il connait et est connu de ses 11 juges d’instruction (je doute qu’un seul des 73 juges d’instruction parisien pourrait dire mon nom en me voyant). Il bénéficie aisément de ces “off”, qu’on appelle aussi la foi du palais, et qui est le plus heureux des tempéraments à notre procédure pénale archaïque. Illégal, mais heureux.

Bientôt, je vais être à nouveau de permanence mise en examen. Je vais à nouveau servir essentiellement d’alibi en assistant une personne sur le point d’être mise en examen après avoir eu royalement trente minutes pour lire le dossier (qui fait parfois plusieurs centaines de pages, non indexées bien sûr, à moi de trouver les PV d’audition de mon client en tournant les pages une par une), expliquer ce qui va se passer à mon client et tenter de le rassurer et choisir avec lui s’il doit se taire, parler ou répondre, sachant que tout cela peut ou non, selon l’état d’esprit du juge vis à vis du dossier, le conduire devant le juge des libertés et de la détention, ou flinguer sa défense, mon client ayant la lucidité de quelqu’un qui n’a pas dormi ou si peu depuis 48 heures. Le tout sous la pression du juge venant toquer à la porte de mon minuscule bureau, en me faisant remarquer qu’il ne reste plus grand’chose du délai de 20 heures pour l’interroger. Car oui, c’est quand on n’aura plus de temps qu’on me laissera enfin faire mon travail. On me laissera au mieux le temps de jouer à la roulette russe procédurale sur mon client pour pouvoir inscrire avec satisfaction sur le procès verbal d’interrogatoire de première de comparution “Monsieur Tartempion est assisté de Me Eolas, avocat au Barreau de Paris, qui a eu accès au dossier”. De toutes façon, en sortant du palais, ce ne sera plus mon client, un autre avocat sera désigné à ma place.

Franchement, de quoi se plaint-il ? Il a eu un avocat, et on va supprimer le juge d’instruction, dont l’apparition était synonyme du début des droits de la défense (même si on fait en sorte de les saboter d’entrée, au nom de, comment dit-on déjà ? Ah, oui, l’efficacité de l’enquête, et la manifestation de la vérité).

Bon, excusez-moi, je suis grognon, je le suis toujours à l’approche d’une permanence “MEX”. Et plus encore en sortant. Mais comptez sur moi, ils seront défendus, ces gaillards, et bec et ongles.

Bravo confrère, mes amitiés à Michel et Rachida, quand vous aurez enfin le droit de les voir.

Notes

[1] Page 18 du rapport, on peut lire ces lignes : ””…afin de protéger efficacement les droits du gardé à vue, certains membres (comprendre les quatre avocats, NdEolas) estiment nécessaire que l’avocat soit présent dès la première heure et puisse assister à l’ensemble des auditions du gardé à vue. Il a été indiqué lors des débats que cette mesure permettrait de conforter la valeur des déclarations faites durant la garde à vue et désamorcerait les discussions sur les condition dans lesquelles peuvent intervenir les aveux du mis en cause. Toutefois, la majorité des membres s’oppose à cette proposition car elle considère qu’il convient de préserver l’efficacité de l’enquête et que les premières investigations s’avèrent souvent déterminantes pour la manifestation de la vérité.

mardi 8 septembre 2009

ORDRE DE MOBILISATION GENERALE

Par Gascogne


Drapeaux

Oyez, Oyez,

Magistrats du Siège et Magistrats du Parquet,

Les temps sont graves, notre Patrie Judiciaire est en danger

Point de Teutons à l’horizon, mais un virus que d’aucuns nous décrivent comme extrêmement dangereux ;

La grippe A H1N1 est bientôt dans nos Palais !

Afin de faire face à cette immense menace, et pour éviter les risques de contamination, le gouvernement entend ordonner les mesures suivantes :

- les audiences pénales ne se tiendront plus à trois juges, mais à juge unique : il ne s’agit finalement que de généraliser ce qui était devenu le principe de notre justice. Le justiciable pourra certes tomber sur un juge irascible ou incompétent (voire les deux, j’ai des noms), mais au moins sera-t-il préservé des miasmes.

- les audiences ne seront plus publiques. Nul ne saura ce qui se dira au procès “Clearstream”, mais c’est pour le bien de tous.

- Foin d’avocats en garde à vue dés la première heure. L’intervention ne pourra se faire que passées 24 heures. Le gardé à vue aura été entre temps hospitalisé, ce qui permettra la consultation d’un avocat dans les conditions prophylactiques nécessaires.

- les mandats de dépôt correctionnels, de quatre mois, seront prolongés à six mois, sans débat préalable, le Juge des Libertés et de la Détention n’intervenant que de son bureau, sur dossier. Quant aux mandats de dépôt criminels, ils seront maintenus jusqu’à ce que mort s’en suive.

- Les tribunaux pour enfants étant, comme tout le monde le sait, enclins au développement des maladies infectieuses, voire infantiles, les mineurs seront désormais jugés par les tribunaux correctionnels.

- Afin d’éviter toutes difficultés d’ordre juridique, les délais de prescription seront suspendus, dans le cas où la pandémie durerait plusieurs années.

Gascogne aurait-il abusé de boissons anisées, pensez-vous. Que nenni ! Il s’agit, selon le Syndicat de la Magistrature, d’un projet du Gouvernement en cas de pandémie grippale. Lequel Gouvernement serait bien entendu autorisé à prendre tous textes utiles par voie d’ordonnance, en toute bonne logique médicale (trop dangereux d’aller discuter les textes à l’Assemblée Nationale, toute assemblée devenant suspecte).

Puisque seules les activités pénales semblent intéresser le pouvoir (les gens qui divorcent ou qui se disputent la garde du chien peuvent continuer à se contaminer), je propose en outre les mesures suivantes :

- Le Procureur de la République décide seul, par défèrement qui se déroulera en visio-conférence depuis le commissariat, de la culpabilité et de la peine à infliger à tout auteur d’infraction : la multiplication des étapes procédurales et des passages devant différents magistrats fait encourir trop de risque à la population pénale (puisqu’on vous dit que c’est pour leur bien).

- Encellulement individuel généralisé, comme les règles européennes le prescrivent, afin d’éviter les contaminations (Ah…Non…On me glisse dans l’oreillette, dont tout procureur qui se respecte est doté, qu’un choix différent vient d’être fait).

- Aucune libération de détenu pendant la pandémie (c’est pour leur bien, et puis la rétention de sûreté étant déjà en place, ça ne change pas grand chose).

Le Garde des Sceaux a nié tout plan de ce type. Nous voilà rassurés. En tout état de cause, tout ceci était tellement gros que l’on ne pouvait y croire.

N’est-ce pas ?

samedi 22 août 2009

Prix Busiris pour Franck Louvrier

Décidément, pour être récipiendaire du prestigeux prix, il y a mieux qu’être ministre, il y a conseiller du président. Franck Louvrier, rosissant de l'honneur qui lui est fait, prend la pose, après avoir, pour se faire remarquer, mis une cravate à pois avec un costume à rayures. Le photographe a été admis à l'Hôtel Dieu pour d'importants saignements oculaires.

Et aujourd’hui, c’est le conseiller à la présidence de la République pour la communication et la presse qui est récompensé, pour cette tribune dans Le Monde, intitulée Internet et son potentiel démocratique

Le conseiller commence son propos par une présentation de l’importance prise par l’internet dans le débat démocratique. Dans les démocraties d’abord, comme aux États-Unis, où le président Obama a mené une formidable campagne sur le net qui a été déterminante dans son succès lors des primaires démocrates, et dans les dictatures ensuite, où Twitter a été l’outil avec lequel les opposants à Ahmadinedjad ont dénoncé les fraudes et raconté ce qui se passait malgré le blocus médiatique de l’État (avec moins de succès, hélas). 

Jusque là, on ne sort pas du niveau de la banalité : le conseiller dit ce que tout le monde sait déjà. Au moins peut-on se réjouir de ce que la nouvelle semble arrivée à l’Élysée. 

Le conseiller va ajouter deux arguments : d’une part, le niveau de contrôle de l’État sur le contenu et l’accès de l’internet est un étalon de son niveau démocratique (retenez bien cet argument, il va devenir particulièrement savoureux et a été déterminant pour l’attribution du Busiris). D’autre part, le danger principal contre ce phénomène de communication libre et directe est la manipuation, le mensonge, et la désinformation. Que des séides des États dictatorieux se fassent passer pour des citoyens de leur pays et fassent circuler des fausses informations.  

Sur ce dernier point, si en effet l’impossibilité de vérifier la source peut donner libre cours à des rumeurs, il y a des limites : si un compte twitter ThanShweRules publie un tweet disant qu’Aung San Suu Kyi est très contente d’être assignée à résidence et que la vie au Myanmar, c’est trop LOL, personne ne le prendra au sérieux. Mais bon, pointer les faiblesses d’un service qui peut provoquer un enthousiasme excessif est toujours très sain. Jusque là, tout va bien. 

Et puis brutalement, on bascule. Et on comprend que le conseiller de l’Élysée n’est pas venu nous faire partager ses réflexions sur l’internet mais faire l’article pour un produit avarié qu’on veut à toute force nous faire avaler. 

Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux. Ainsi,  face à l’émergence de ces nouveaux outils de communication, l’enjeu central pour nos démocraties est de savoir protéger l’authenticité de ce lien numérique entre les citoyens du monde. L’enjeu est la vérification des sources, dont la responsabilité repose sur la vigilance des professionnels de l’information.  

Admirez le glissement sémantique en jouant sur le double sens du mot faux. Est faux le mensonge, et est faux le tableau qui n’est que la copie de l’original. Faux témoignage, faux Picasso : même combat. Et plus dangereux encore que la censure, arme de l’État - et en France l’État est votre ami-, il y a la contrefaçon, la copie, qui est synonyme du faux.  

On devine la suite : puisqu’il y a plus dangereux encore que la censure par l’État, qui est tout désigné pour vous protéger ? Réponse : l’État, avec comme arme… la censure. 

Cette grande menace nous concerne tous. Et si c’est grâce aux actualités américaine et iranienne que nous sommes sensibilisés au potentiel démocratique de ces nouveaux médias, c’est bien la France qui est à l’avant-garde. Plus que tout autre débat sur la planète, c’est le cas Hadopi qui pose aujourd’hui les questions auxquelles nos sociétés devront répondre demain sur le terrain de la démocratie. 

Là, le lecteur ne peut que se dire qu’HADOPI et la démocratie sur l’internet n’ont aucun rapport. La parade de Franck Louvrier est rudimentaire mais efficace : puisqu’il n’y a aucun rapport, il faut affirmer qu’il y en a bien un, mais c’est juste qu’il est bizarre. 

Le parallélisme des deux débats fait apparaître de curieuses similarités. Sur le pouvoir multiplicateur d’Internet, il en est de même pour la viralité des contenus sur Twitter que pour la circulation des oeuvres musicales : les mécanismes de la censure sont incomplets.  

On sent une pointe de regret sur ce dernier point : l’État a ceci de commun avec les acheteurs de viagra qu’il redoute plus que tout l’impuissance. Mais admirez surtout l’assimilation de la viralité des contenus de Twitter au piratage. Qui retwitte télecharge un film. 

Telle l’éclaircie dans la tempête arrive un moment de lucidité :

Aucune solution technologique ne peut vraiment mettre fin à la copie, et le Conseil constitutionnel a reconnu définitivement l’accès à Internet comme un droit fondamental des Français.

Mais cent fois sur le métier Louvrier remet remet son ouvrage, et c’est reparti  pour le délire :  

La question de la protection des oeuvres se joue donc ailleurs, dans la nécessité de protéger le caractère personnel des messages : l’oeuvre d’art a cela de commun avec le témoignage sur Twitter  qu’elle exprime le point de vue sur le monde d’une individualité originale.  

Je pense que Franck Louvrier devait penser à ce tweet en écrivant cela.  

Son sens et sa valeur reposent sur le caractère singulier et inaliénable d’un témoignage personnel mis à la disposition de tous. Ainsi il en va de même pour l’étudiant révolté des rues de Téhéran que pour l’artiste qui enregistre sa chanson à Paris : l’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires.  

Bon, là, on bascule juste dans l’indécence. Si Franck Louvrier demandait à son collègue Jen-David Lévitte ce qui se passe à Téhéran, il réaliserait que les préoccupations des étudiants iraniens ne sont pas exactement les mêmes que celles de René la Taupe.  

Et au cas où une personne arriverait à suivre et réalise que c’est du grand n’importe quoi, arrive la conclusion-mystère pour clouer le bec :  

Que la reconnaissance de la source soit partie intégrante de la construction du sens. 

Et toc. Même Frédéric Mitterrand ne l’a pas comprise celle-là.  

La conclusion se veut lyrique :  

Notre société doit reconnaître la dette que nous avons tous envers celui qui a la générosité de partager avec nous son témoignage le plus précieux - quel que soit son support. Faire comme si celui-ci n’existait pas reviendrait à briser le sens du partage, qui est au coeur de l’expérience artistique comme de la vie démocratique. Reconnaître le caractère inaliénable d’un témoignage personnel, tel est le sens profond de la réflexion en cours dans Hadopi, qui rayonne bien au-delà de l’industrie du disque, jusqu’au sens de notre vie en commun dans une démocratie. 

Ce qui au passage nous livre un scoop : la HADOPI sera compétente pour la contrefaçon des tweets. Et ça, c’est une bonne nouvelle. 

Mais redevenons sérieux un moment, l’heure est grave. J’ai annoncé un prix Busiris ; il faut y mettre les formes. 

L’affirmation juridiquement aberrante consiste à assimiler le mensonge à la contrefaçon en jouant sur l’ambiguïté du mot faux. La contrefaçon est une copie ou une représentation d’une oeuvre ou d’une marque sans l’accord du titulaire des droits. On ne parle de faux en propriété intelectuelle que quand l’oeuvre a un seul original ou un nombre déterminé de copies officielles (un faux Picasso, un faux Chanel). De fait, si un morceau protégé récupéré illégalement sur internet est une contrefaçon, ce n’est certainement pas un faux. C’est une copie, exactement comme le fichier qu’on télécharge légalement sur un site payant. Le morceau est le même. Il y aurait faux et mensonge au sens où le dénonce Franck Louvrier si un site proposait en télechargement un fichier RenéLaTaupe.mp3 qui s’avérait en fait être le Dardanus de Rameau. Mais je ne crois pas que Franck Louvrier milite pour la transparence des noms de fichiers sur les réseaux P2P.  

La mauvaise foi consiste d’une part dans l’assimilation du combat des opposants iraniens à la protection des intérêts pécuniaires des artistes français. Non que cette cause soit méprisable ; mais ce n’est décidément pas la même. Et d’autre part dans le rappel grandiloquent de l’importance de l’internet dans la vie démocratique et de la protection que le Conseil constitutionnel lui a donné en oubliant que c’est précisément contrele projet HADOPI que ce droit a été proclamé. Lire dans cet article que le niveau de contrôle de l’accès à l’internet est un étalon du niveau démocratique pour promouvoir un projet de loi visant à priver en masse de l’accès à l’internet pour protéger des intérêts privés expose au lumbago intelelctuel, tant le lecteur n’a pas l’habitude de tordre la logique avec cette rapidité.

L’opportunité politique est caractérisée par l’objet de cet article, qui est de faire une nouvelle tentative de promotion d’un projet de loi voulu à toute force par le gouvernement, à portée purement interne, et qui porte atteinte à tous les principes vantés par cet article.  

L’Académie en formation restreinte décerne donc ce prix avec mention très déshonorable et adresse ses félicitations au récipiendaire.  

mardi 21 juillet 2009

Quelques mots sur l'affaire Orelsan

Ça me déman­­geait depuis quel­­ques mois de par­­ler de cette affaire. Sa nou­­velle jeu­­nesse cha­­ren­­taise m’en four­­nit l’occa­­sion.

Ainsi, les Tar­­tuf­­fes sont lâchés de nou­­veau, et encore une fois, une liberté fon­­da­­men­­tale est fou­­lée du pied au nom des meilleu­­res cau­­ses. Et vous êtes priés d’applau­­dir.

Vous ne con­­nais­­sez pro­­ba­­ble­­ment pas Auré­­lien Coten­­tin. C’est un chan­­teur de rap, qui a pris le nom de scène d’Orel­­san. Il a sorti au début de l’année son pre­­mier album, Perdu d’avance.

Le rap est une forme d’expres­­sion artis­­ti­­que appa­­rue aux États-Unis au début des années 80, même si ses raci­­nes remon­­tent au blues. Il a évo­­lué avec le temps mais aujourd’hui pri­­vi­­lé­­gie un style décla­­ma­­toire plus que chanté, mais sur un rythme mar­­telé se mariant à une musi­­que où la part belle est faite aux per­­cus­­sions. La musi­­que est véri­­ta­­ble­­ment un sim­­ple sup­­port du texte qui est l’élé­­ment cen­­tral. L’impro­­vi­­sa­­tion est une tech­­ni­­que que se doit de maî­­tri­­ser tout rap­­peur qui se res­­pecte. C’est une musi­­que popu­­laire au sens pre­mier du terme car elle ne néces­­site pas de savoir par­­ti­­cu­­liè­­re­­ment bien chan­­ter ni jouer d’un ins­­tru­­ment (le rap uti­­lise abon­­dam­­ment des musi­­ques déjà exis­­tan­­tes dont cer­­tai­­nes phra­­ses sont extrai­­tes pour être sam­­plées c’est-à-dire tour­­ner en bou­­cle sur le fond ryth­­mi­­que pour don­­ner à la chan­­son un cachet uni­que.

Voici trois exem­­ples de chan­­sons repri­­ses dans des chan­­sons de rap, ladite chan­­son la sui­­vant immé­­dia­­te­­ment. Mon­­tez le son, c’est les vacan­­ces. Notez comme les per­cus­sions pren­nent le des­sus dans Walk This Way, par rap­port aux gui­ta­res de la ver­sion rock.

L’aspect musi­cal étant secon­daire, ce qui en veut pas dire qu’il est négligé, le rap se con­cen­tre donc sur les paro­les. Oui, le rap, ce sont des chan­sons à texte : cha­que chan­son raconte une his­toire.

S’agis­sant d’une forme popu­laire très à la mode dans ce qu’on appelle « les ban­lieues » pour ne pas se deman­der ce que c’est exac­te­ment, ces chan­sons racon­tent des his­toi­res de ces quar­tiers dif­fi­ci­les où il fait bon ne pas vivre, avec les mots des per­son­nes y ayant grandi. Et dans les ver­sions se vou­lant les plus dures, on y parle en mots crus dro­gue et vio­lence, on n’y aime pas la police, et on est obsédé par le sexe. Mais tout y est rap­port de force, comme dans la vie quo­ti­dienne de ces vil­les, y com­pris l’amour. Con­fes­ser ses sen­ti­ments, c’est con­fes­ser sa fai­blesse. Alors l’amour y est com­bat, et ven­geance quand il prend fin. Le rap est sexiste, sans nul doute. Mais il n’est, comme tout art, que le reflet de la vie. Et sur­tout, sur­tout, le rap repose sur de la pro­vo­ca­tion. Il faut être le pre­mier à dire les pires cho­ses pour se faire cette répu­ta­tion de mau­vais gar­çon qui seul assu­rera le res­pect et le suc­cès du groupe auprès des “vrais” fans. MC Solaar, s’il fait dan­ser aux Plan­ches, fait rica­ner à Gri­gny.

Reve­nons-en à Orel­san. Son album con­tient une chan­son qui va faire scan­dale, vous allez aisé­ment com­pren­dre pour­quoi. Elle est inti­tu­lée “Sale Pute”. Le thème est sim­ple : un gar­çon qui aimait une fille décou­vre acci­den­tel­le­ment qu’elle le trompe et l’amour se trans­forme en haine. Sha­kes­peare a traité ce thème dans Othello, sauf que la trom­pe­rie était ima­gi­naire, mais elle abou­tit à la mort. 

Rien de tel ici, le chan­teur débite une logor­rhée d’impré­ca­tions à l’encon­tre de la belle volage. Les paro­les sont crues, bru­ta­les et vio­len­tes. Vous pou­vez écou­ter ici, vous êtes pré­ve­nus.

Je recon­nais que ce n’est pas du Ron­sard. Cela dit, une rap­peuse se pré­ten­dant celle visée par la chan­son a mon­tré qu’elle pou­vait répon­dre sur le même regis­tre, ce qui cette fois fait applau­dir les Chien­nes de gar­des. Comme quoi ce n’est pas un pro­blème de mots, mais de camp.

Je ne sais com­ment un dis­que de rap a atterri sur les pla­ti­nes d’âmes aussi bon­nes que sen­si­bles, mais ce texte a déchaîné des pas­sions. Sur inter­net, chez nom­bre de blogs fémi­nis­tes, avec appel à péti­tion auprès du Prin­temps de Bour­ges, ou Orel­san devait se pro­duire, polé­mi­que reprise par des poli­ti­ques, Chris­tine Alba­nel, minis­tre de la cul­ture, dont on sait l’amour pour la liberté d’expres­sion, Marie-Geor­ges Buf­fet, pre­mier secré­taire du Parti Com­mu­niste qui lui aussi s’est illus­tré sur ce front, et Valé­rie Létard, secré­taire d’État à la soli­da­rité, qui a appelé les plate-for­mes de vidéo en ligne à la « res­pon­sa­bi­lité », façon de dire qu’elle ne pren­drait pas les sien­nes, en leur deman­dant d’ôter ce clip. Dieu merci, elle n’a pas été écou­tée.

Orel­san a tenté de désa­mor­cer la polé­mi­que, en publiant un com­mu­ni­qué apai­sant :

cette œuvre de fic­tion a été créée dans des con­di­tions très spé­ci­fi­ques rela­ti­ves à une rup­ture sen­ti­men­tale” : “En aucun cas ce texte n’est une let­tre de mena­ces, une pro­messe de vio­lence ou une apo­lo­gie du pas­sage à l’acte, pour­suit le com­mu­ni­qué. Cons­cient que cette chan­son puisse heur­ter, Orel­san a décidé il y a quel­ques mois de ne pas la faire figu­rer dans son album ni dans ses con­certs, ne sou­hai­tant l’impo­ser à per­sonne”.

Hélas, il en va en poli­ti­que comme dans les ban­lieues, un aveu de fai­blesse déclen­che la curée. On pou­vait faire ployer ce jeune homme mal élevé ? Nul besoin d’enga­ger une hasar­deuse action en jus­tice, tous les moyens sont bons pour par­ti­ci­per au triom­phe du poli­ti­que­ment cor­rect. Ultime épi­sode : Ségo­lène Royal qui fait pres­sion sur le fes­ti­val des Fran­co­fo­lies de la Rochelle, avec sem­ble-t-il un chan­tage aux sub­ven­tions sur la direc­tion, la pré­si­dente de la région mena­çant de remet­tre en cause les 400.000 euros de sub­ven­tions annuel­les que la région verse au fes­ti­val si le rap­peur s’y pro­dui­sait. Vous aurez noté qu’Orel­san avait d’ores et déjà retiré cette chan­son de son réper­toire : il était donc hors de ques­tion que le chan­teur chan­tât cette chan­son. Peu importe, tout comme il importe peu que ce chan­tage aux sub­ven­tion excède les pou­voirs de la pré­si­dente en ce que le pou­voir bud­gé­taire appar­tient au Con­seil Régio­nal. Quand on veut cen­su­rer, qu’importe le res­pect dû à la loi.

Et la polé­mi­que entre pro- et anti-Orel­san fait rage.

Alors que les cho­ses soient clai­res. Cette polé­mi­que, je me refuse à y par­ti­ci­per.

Parce qu’il n’y en a pas. Ce qui s’est passé porte un nom : la cen­sure. C’est inac­cep­ta­ble, et je ne vois pas quel argu­ment par­vien­drait à me con­vain­cre que la liberté d’expres­sion serait réservé à un art approuvé, un art offi­ciel. Dès lors, ce qu’il chante m’est indif­fé­rent.

Orel­san est un chan­teur. Qu’il chante ce qu’il sou­haite. Ça ne vous plaît pas ? À moi non plus. Per­sonne ne vous oblige à l’écou­ter. Rien ne vous auto­rise à le con­train­dre à se taire.

Inter­dire un chan­teur, ça s’est déjà vu. On trouve tou­jours d’excel­len­tes rai­sons pour le faire. Boris Vian s’est vu empê­cher de chan­ter sa chan­son le Déser­teur. Bras­sens a scan­da­lisé avec son gorille qui sodo­mise un juge. Aujourd’hui, tous les magis­trats chan­ton­nent cette chan­son en pouf­fant en ima­gi­nant leur pre­mier pré­si­dent ou leur pro­cu­reur géné­ral entre les pat­tes du pri­mate.

— Mais Orel­san n’est pas Vian ou Bras­sens, me dira-t-on.

Je ne le crois pas non plus, mais la ques­tion n’est pas là. La liberté d’expres­sion n’est pas sou­mise à une con­di­tion de mérite de l’œuvre. Mérite qui était nié à Bras­sens et à Vian en leur temps, d’ailleurs. La nou­veauté est que cette fois, c’est l’État décen­tra­lisé qui est inter­venu pour obte­nir cette cen­sure alors que Vian, c’était des anciens com­bat­tants agis­sants de leur pro­pre chef, avec une pas­si­vité com­plice des auto­ri­tés. En ce sens, ce qui se passe est pire encore.

— Mais ses paro­les sont dis­cri­mi­na­toi­res et appel­lent à la vio­lence con­tre les fem­mes, ajou­tera-t-on.

Ah ? Mais alors, por­tez plainte, c’est un délit. Allez en jus­tice, obte­nez sa con­dam­na­tion. Mais non, per­sonne ne le fera, car la vérité est que ces paro­les ne tom­bent pas sous le coup de la loi. Il ne dit pas que tou­tes les fem­mes sont des sales putes, mais que la copine ima­gi­naire du per­son­nage tout aussi ima­gi­naire qui chante en est une car elle le trompe. Et tout le monde se sou­vient des déboi­res de l’ancien minis­tre de l’inté­rieur qui a tenté de faire con­dam­ner Hamé, chan­teur du groupe La Rumeur qui avait accusé la police de se livrer à des vio­len­ces. Un fiasco : relaxe, con­fir­mée en appel, sous les applau­dis­se­ments de la cour de cas­sa­tion. Les poli­ti­ques ont com­pris qu’il ne fal­lait pas comt­per sur les juges pour se prê­ter à ces bas­ses-œuvres.

— Eh bien pour légal que ce soit, ça n’en est pas moins scan­da­leux.

Oui, c’est le but. Et d’ailleurs, en cher­chant un peu, vous trou­ve­rez pire (à tout point de vue). Le groupe TTC par exem­ple. Les chan­teu­ses de rap ne sont pas en reste, Yelle ayant connu un grand suc­cès en répon­dant à Cui­zi­nier, chan­teur du groupe TTC sus-nommé. Un grand moment de poé­sie.

Cui­zi­nier avec ton petit sexe entoure de poils roux
Je n’arrive pas a croire que tu puis­ses croire qu’on veuille de toi
Je n’y crois pas même dans le noir, même si tu gar­des ton pyjama
  Mêmesi tu gar­des ton pei­gnoir, en forme de tee-shirt rin­gard
Garde ta che­mise ça limi­tera les dégâts bataaaaaaaard


Je veux te voir
Dans un film por­no­gra­phi­que
En action avec ta bite
Forme pota­toes ou bien fri­tes
Pour tout savoir
Sur ton ana­to­mie
Sur ton cou­sin Teki
Et vos acces­soi­res feti­ches

Rin­gard, bataaaaaaard, bite, frite : les rimes sont pau­vres.

Le rap, c’est ça aussi. Pas seu­le­ment ça, mais ça en fait par­tie. Et je prie pour que ceux qu’Orel­san épou­vante ne décou­vrent jamais l’exis­tence du Death Metal.

Per­sonne n’est obligé d’écou­ter, nul n’a à inter­dire.

Car c’est quel­que chose qu’on ne répé­tera jamais assez. La liberté d’expres­sion est tou­jours la pre­mière atta­quée, parce que c’est la plus fra­gile. Il y a tou­jours une bonne cause qui jus­ti­fie que ÇA, non, déci­dé­ment, on ne peut pas le lais­ser dire. Le res­pect dû aux morts tués à l’ennemi, le res­pect dû à la jus­tice, le res­pect dû à la femme. Tout ça, ça l’emporte sur le res­pect dû à la liberté, cette sale pute. Et les attein­tes qu’elle a d’ores et déjà subies, au nom de cau­ses infi­ni­ment nobles (comme la lutte con­tre le néga­tio­nisme), me parais­sent déjà exces­si­ves.

Lais­sez tom­ber Orel­san, et un jour, c’est votre dis­cours qui déran­gera.

Les Révo­lu­tion­nai­res l’ont dit il y a pres­que 220 ans jour pour jour :

La libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions est un des droits les plus pré­cieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc par­ler, écrire, impri­mer libre­ment, sauf à répon­dre de l’abus de cette liberté, dans les cas déter­mi­nés par la Loi.

Ils l’ont écrit à une épo­que où tout texte, pour paraî­tre et être repré­senté publi­que­ment, devait au préa­la­ble être approuvé par le Roi. C’est cette auto­ri­sa­tion qui s’appe­lait la Cen­sure. Et c’est exac­te­ment cela que ce com­por­te­ment vise à réta­blir. Alors peut-être que des fémi­nis­tes, des mili­tants des droits des fem­mes trou­ve­ront que leur cause, qui est bonne, est tel­le­ment bonne qu’elle jus­ti­fie ce réta­blis­se­ment.

Qu’ils sachent qu’ils me trou­ve­ront tou­jours sur leur che­min pour leur bar­rer la route. Aux côtés d’Orel­san.

À con­di­tion qu’il ne chante pas.

lundi 13 juillet 2009

Les procédures pénales d'exceptions vivent-elles leurs dernières heures ?

Je n'ose y croire, tant j'en ai rêvé, mais là, la cour européenne des droits de l'homme semble sonner le glas d'un aspect parmi les plus scandaleux de la procédure pénale française, qui pourtant n'en manque pas.

Par un arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 (Requête no 36391/02), la Grande Chambre de la Cour a condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable pour une loi qui refusait l'accès à un avocat au stade de l'enquête de police en raison de son objet qui, vous l'aurez deviné puisqu'il permet de porter atteitne aux droits de l'homme sous les applaudissements de l'opinion publique, est de lutter contre le terrorisme. 

En l'espèce, c'est un mineur kurde, soupçonné d'avoir ourdi deux odieux attentats terroristes, en l'espèce avoir participé à une manifestation du Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale (qui est bel et bien une organisation terroriste violente), en soutien au chef de ce parti, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis 1999,  ET d'avoir accroché une banderolle sur un pont ainsi rédigée : "Longue vie à notre chef Apo", Apo ("Tonton" en kurde) étant le surnom d'Öcalan.

Comme vous le voyez, c'est presque aussi grave que d'abîmer des caténaires de la SNCF.

 Après six mois de détention provisoire, il fut déclaré coupable sur la base de ses déclarations en garde à vue (faites sans avoir pu bénéficier du conseil d'un avocat), quand bien même il les avait rétractées par la suite (sur le conseil de son fourbe avocat, ce pire ennemi de la vérité, de l'ordre public et de l'autorité de l'État) et condamné à 4 ans et six mois de prison, ramenés à 2 ans et demi et raison de sa minorité. 

Je passe sur la procédure d'appel qui n'était pas non plus conforme aux standards de la Convention.

Les passages de l'arrêt qui ont retenu mon attention en ce qu'elles peuvent concerner la France sont ceux-ci. Après avoir rappelé que la Cour veille à ce que les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soient effectifs et concrets, la Cour affirme que (j'ai ôté les références jurisprudentielles pour alléger le texte ; les gras sont de moi) : 

54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants-NdA) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.


Une petite pause ici. Le droit français a été mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme par la loi du 4 janvier 1993 en prévoyant que tout gardé à vue a droit a l'assistance d'un avocat. La loi, comme effrayée de sa propre audace, a toutefois prévu que ce droit se résumait à un entretien de trente minutes sans que l'avocat ait accès au dossier. Un changement de majorité s'étant produit en mars de la même année, une loi du 24 août 1993 va repousser l'intervention de cet avocat à la 21e heure de garde à vue, parce que sékomsa. Cela permettait de tenir éloigné ce gêneur dont la tâche, non mais je vous demande un peu, consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. En juin 2000, la loi a enfin permis à l'avocat d'intervenir dès le début de la garde à vue. Mais là encore, changement de majorité en 2002 et en mars 2004, une loi revient sur ce point en repoussant l'intervention de l'avocat à la 48e heure en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de délinquance organisée.

Je rappelle que des affaires comme celles de Julien Coupat ont été traitées selon cette procédure d'exception, de même que la plupart des gardes à vue des délits de solidarité qui n'existent pas : la dame arrêtée à son domicile pour avoir rechargé des téléphones mobiles d'étrangers a été interpellée pour aide au séjour en bande organisée. Quand bien même l'affaire va probablement aboutir à un classement sans suite, elle n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat pendant ses 14 heures de garde à vue. 

Permettez à l'État de s'affranchir des libertés fondamentales en matière de terrorisme ou de délinquance organisée, et ne vous étonnez pas qu'un jour, il vous accuse d'un de ces faits pour s'affranchir d'avoir à respecter les vôtres.

Donc, l'intervention de l'avocat est repoussée de 48 heures dans trois série de cas. Systématiquement. Revenons-en à notre arrêt de la Cour.

55.  Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (…), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandisMagee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

Arrêtez-moi si je me trompe (mais pas selon la procédure de délinquance organisée s'il vous plaît) : la cour dit qu'elle veut bien qu'on repousse l'intervention de l'avocat, mais elle doit avoir lieu en tout état de cause avant le premier interrogatoire de police, sauf à ce que des circonstances particulières au cas d'espèce (et non une règle de procédure générale appliquée systématiquement) font qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

Or les procédures françaises d'exception repoussent à la 48e heure cette intervention de l'avocat, systématiquement, et des interrogatoires du suspect ont bien évidemment lieu pendant ce laps de temps. C'est même le but : obtenir des aveux avant qu'un baveux vienne lui dire de se taire.

Conclusion logique : les procédures française d'exception ne sont pas conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Toutes les personnes qui ont avoué des faits dans ce laps de 48 heures peuvent demander une indemnisation pour violation de leurs droits, et la révision de leur procès (art. 626-1 du CPP) si elles ont été condamnées sur la base de ces aveux, car leur procédure est présumée avoir porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.

Peut-être vois-je midi à ma porte car depuis 2004, où j'ai participé aux manifestations des avocats contre ce volet de la loi Perben II, je suis convaincu que cette procédure est contraire aux droits de l'homme. Je lirai donc avec intérêt tout point de vue contradictoire visant à démontrer que je me trompe.

Car si tel n'est pas le cas, le 27 novembre 2008 fut une belle journée pour les droits de l'homme.

mercredi 8 juillet 2009

Ces gens sont des menteurs

À écouter, à podcaster (iTunes, Lien RSS), l'émission Les Pieds Sur Terre du 6 juillet 2009, diffusée sur France Culture, qui revient sur le fameux délit de solidarité, celui dont le ministre qui ne devrait pas exister nie l'existence. Pauline Maucort et Olivier Minot sont allés interviewer des gens qu'on a arrêté, placé en garde à vue, et oui, pour certains poursuivis et condamnés pour avoir aidé un étranger en situation irrégulière. Des acteurs, sans doute.

Écoutez leurs élucubrations, c'est drôlement bien inventé et joué, tous ces détails : ils sont forts ces menteurs.

Car bien sûr qu'Éric Besson dit vrai.

JAMAIS en France la police aux frontières ne viendrait embarquer à 7 heures 45 du matin une dame qui recharge des téléphones portables en l'accusant d'un délit qui n'existe pas commis en bande organisée. AUCUN policier n'aurait la désarmante naïveté de lui dire avoir été gentil d'attendre 7 heures du matin, la procédure ouverte selon la loi Perben II pour délinquance organisée permettant une perquisition à toute heure de la nuit —art. 706-89 du code de procédure pénale (CPP), sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD)—, et écartant l'avocat, ce gêneur qui rassure les dames en garde à vue : art. 706-88 du CPP al. 6 : l'avocat n'est autorisé qu'à partir de 48 heures de garde à vue, soit bien plus que le nécessaire pour boucler une procédure pour trois portables, même si le policier tape les PV avec deux doigts), et d'en rajouter une louche en disant que vraiment, ils sont super sympas de ne pas lui avoir défoncé sa porte ni de ne pas l'avoir menotté (Oui, c'est à 15'10). C'est qu'elle a oublié de dire merci, cette ingrate.

EN AUCUN CAS en France un religieux de 78 ans ne serait placé en garde à vue pour avoir transporté dans le coffre de sa voiture les bagages d'une famille qu'il accompagnait… acheter des billets de train. Jamais un policier n'aurait l'idée saugrenue de demander à un frère rédemptoriste pourquoi il vient en aide à des démunis[1].

COMMENT IMAGINER qu'en France, un citoyen soit arrêté pour avoir hébergé chez lui l'homme dont il était amoureux, et soit pour un soupçon de ces faits attaché à un mur pendant 17 heures ? C'est dangereux, un homo amoureux, mais quand même… Qui oserait croire qu'un procureur général fasse appel de la relaxe qui va suivre, et qu'une cour d'appel, fût-ce celle de Nîmes, même si celle de Douai l'a déjà fait, le condamne effectivement à 1000 euros d'amende, croyant utile d'ajouter que cet hébergement se faisait manifestement en contrepartie de faveurs sexuelles ? Au fait, monsieur le juge, votre femme, elle vous paye un loyer ?

Non, c'est trop gros.

Heureusement que le ministre du fifre et du pipeau est là pour rétablir la vérité, la Pravda ayant depuis longtemps failli à cette mission d'édification du peuple.

Une superbe fiction, donc, mise en scène par Véronique Samouiloff.

Mais pourquoi donc n'arrivè-je pas à applaudir ?

Notes

[1] La réponse se trouve à l'article premier des Constitutions de la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur : “ Son but est de continuer le Christ Sauveur en annonçant la Parole de Dieu aux pauvres, selon ce qu'il a dit de lui-même: «Il m'a envoyé évangéliser les pauvre» ” ; “Elle s'acquitte de cette tâche avec un élan missionnaire qui la porte vers les urgences pastorales en faveur des plus délaissés, surtout des pauvres, à qui elle s'efforce d'apporter la Bonne Nouvelle.” Ça signe la bande organisée.

lundi 6 juillet 2009

Les ternes vitres de la République

Alassane T. est mauritanien, il a 46 ans. Il habite Orléans, où il est laveur de vitres. Depuis 6 ans, il se rend une fois par mois au commissariat de police d'Orléans pour en nettoyer les carreaux. On l'y connait, on le salue et on le laisse circuler librement dans les bureaux.

Un jour, un policier lui demande ses papiers. Pourquoi ? C'est toute la question, vous allez voir. Alassane, bien embêté, lui avoue qu'il est sans papier. S'ensuit la procédure standard : garde à vue pour séjour irrégulier, arrêté de reconduite à la frontière avec placement en centre de rétention pour 48 heures, classement sans suite de la procédure pour séjour irrégulier, la routine.

Au bout des 48 heures, notre laveur de carreau étant toujours là, le préfet doit saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation du placement en rétention pour 15 jours max. C'est à cette occasion enfin et à cette occasion seulement que l'étranger, assisté d'un avocat, pourra faire valoir ses arguments sur la légalité de la procédure ayant abouti à sa situation. Ça vous paraît dur ? Il y a pire encore, vous allez voir.

À cette occasion, son avocat soulève la nullité du contrôle d'identité initial. Un classique.

Un policier ne peut pas demander ses papiers à qui il souhaite selon son envie. C'est l'article 78-2 du code de procédure pénale. J'en avais déjà parlé ici, je vous renvoie à cet article pour les règles applicables.

Le commissariat d'Orléans n'est pas, après vérification auprès de l'IGN, à moins de 20 km d'une frontière : la frontière la plus proche, le périphérique sud, est à 120 km de là. Le procureur de la République n'avait certainement pas pris des instructions de procéder à des contrôles d'identité dans l'enceinte du commissariat pour rechercher des sans-papiers. Ne restait donc que le contrôle spontané. Il fallait donc établir qu'un laveur de carreau en train de laver des carreaux comme il le fait depuis 6 ans à cet endroit a une attitude constituant une raison plausible de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'il se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu'il est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête en cas de crime ou de délit, ou enfin qu'il fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Brisons tout de suite le suspens : le préfet n'y est pas parvenu.

Le juge des libertés et de la détention annule le contrôle d'identité, au motif que “ le fait de venir laver les vitres d'un commissariat n'est pas une raison plausible de soupçonner que le laveur de vitres a commis ou tenté de commettre une infraction ”. Face à une telle motivation solide comme le granit, le parquet, qui a le sens de la pudeur, ne fait pas appel. Le contrôle d'identité était illégal : le policier n'avait aucun droit de demander ses papiers à Alassane. On peut s'offusquer de ces étrangers qui ne respectent pas la loi, mais à la condition de s'offusquer au moins autant quand ce sont les policiers qui le font, sous peine de perdre sa cohérence.

Le contrôle étant nul, la garde à vue qui l'a suivi aussi, puisqu'elle n'a plus de raison d'être. Et le placement en rétention, qui en découle logiquement. Alassane est remis en liberté.

End of story, justice est faite ?

Pas du tout.

Si vous avez suivi, vous avez dû tiquer. Le contrôle est d'identité est nul, la garde à vue aussi, le placement en rétention aussi… Mais quid de l'arrêté de reconduite à la frontière ?

Eh bien il reste parfaitement valable. Conséquence logique et absurde de la séparation des autorités administratives et judiciaires : le juge judiciaire, en charge de la liberté individuelle, a annulé tout ce qui a porté atteinte à la liberté d'Alassane. Mais sa situation administrative ne regarde que le juge administratif, qui est saisi d'un recours totalement autonome, sur la légalité de cet arrêté. Peu lui importe à lui dans quelles circonstances cet arrêté a été pris, même si c'est à l'occasion d'une violation de la procédure pénale à l'origine. Le préfet avait-il le droit d'éloigner Alassane, ou celui-ci peut-il invoquer des circonstances qui imposent sa régularisation ? Telle est la seule question qui intéresse le juge administratif. Il n'avait pas le droit de le priver de liberté ? Peu importe. Le juge judiciaire a déjà tranché la question.

Le tribunal administratif d'Orléans,s'il a été saisi[1], a dû statuer depuis longtemps : le contrôle d'identité a eu lieu le 10 juin, la notification de l'arrêté a dû avoir lieu le 11, recours déposé le 13 au plus tard (oui, c'est un samedi, et alors ?), le tribunal a dû statuer le 16 juin au plus tard, l'article L. 512-2 du CESEDA imposant au juge administratif un délai de 72 heures pour statuer sur le recours (même si ce délai, contrairement au délai de recours de 48 heures, n'est pas sanctionné : le juge peut statuer au-delà des 72 heures sans conséquences pour le dossier). Quelqu'un a des infos ?

Car si le tribunal a estimé que l'arrêté de reconduite à la frontière était valable, le séjour illégal d'Alassane prendra[2] fin grâce à une procédure illégale.

Un partout, match nul.

Notes

[1] Le recours doit impérativement être déposé dans les 48 heures de la notification.

[2] Je dois à la Vérité et à la Cour des comptes d'ajouter ici un peut-être, tant le taux d'exécution des reconduites à la frontière est bas, et en diminution constante ; je me flatte d'y être un peu pour quelque chose.

mardi 30 juin 2009

Une terrible leçon

Il s'appelle Vamara Kamagaté (kamagaté est son nom de famille). Il est ivoirien, SDF, sans papiers, mais en France depuis 20 ans, il traîne à Paris. Il a établi ses pénates du côté de Bastille. Oh, ce n'est pas un SDF discret et poli. Il se fait remarquer quand il est ivre en insultant les femmes qui passent.

Elle s'appelle Alexandra G. Elle est étudiante en médecine. Son petit ami est policier à Paris, et ne s'intéresse pas assez à elle à son goût.

Un soir de février 2008, elle lui raconte qu'elle a été agressée le 6 février précédent dans la rue, par un homme noir d'une soixantaine d'années pourtant un bob sur la tête. Après l’avoir injuriée, il l’aurait saisie par le cou, aurait passé sa main sous ses vêtements pour lui pincer les seins avant de passer sa main au niveau de ses hanches en lui rentrant les doigts dans les côtes des deux côtés, en la pinçant, puis de mettre sa main dans sa culotte sous son jean et de lui frotter le sexe avec la main, et enfin de la repousser en hurlant.

Le 25 février 2008, son compagnon la conduit sur son lieu de travail pour prendre sa plainte. Munie d'une réquisition à cet effet, elle se rend aux Urgences Médico-Judiciaires pour qu'un certificat médical établissant les violences soit établi. Là, mesdames et messieurs les magistrats, j'attire votre attention : un certificat médical lui est délivré, ne relevant pas de doléances physiques mais un état de stress post-traumatique majeur avec une ITT[1] de dix jours, tout en relevant une « rumination psychologique » et des « antécédents victimologiques ».

L'enquête est rondement menée. La police fait passer l'info qu'on recherche « un SDF africain d’âge mûr ». Muni de cette description détaillée, le bureau de coordination des opérations signale qu'il a ça en magasin, au centre de rétention de Vincennes. Vous l'avez deviné, c'est Vamara Kamagaté. 46 ans, c'est moins que 60, mais il est noir et a un chapeau : son compte est bon.

On présente la photo de Monsieur Kamagaté au milieu de huit autres à Alexandra G., qui l'identifie en précisant être « pas absolument formelle » mais précisant reconnaître sa casquette rasta, « très caractéristique ». Vamara Kamagaté est extrait du centre de rétention et placé en garde à vue 28 heures, pendant lesquelles il nie absolument les faits.

La procédure est transmise au parquet, le rapport de synthèse précisant que le « bonnet noir » du suspect aurait été identifié par la victime et que « quelques incohérences [dans les déclarations de Monsieur Kamagaté] étaient toutefois relevées, mettant en évidence sa vision particulière de la vérité ». Retenez bien cette dernière phrase.

Le parquet estime en avoir assez pour une comparution immédiate, et notre ivoirien est jugé le 8 mars 2008 par la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, pour agression sexuelle, violences suivies d’une incapacité totale temporaire de plus de huit jours, injures publiques envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine, et infraction à la législation sur les étrangers. Si tel est le cas, et ma source est fiable, il y avait une superbe double nullité, la procédure de comparution immédiate n'étant pas applicable à un délit puni de six mois d'emprisonnement sauf flagrance (art. 395 du CPP), et on était là un mois après les faits, ce qui exclut la flagrance (art. 53 du CPP), et elle est en tout état de cause inapplicable aux délits de presse, ce qu'est l'injure raciale (art. 397-6 du CPP).

Malgré ses dénégations à l'audience, il est déclaré coupable pour le tout et condamné à 18 mois d'emprisonnement avec placement en détention, et trois ans d'interdiction du territoire, accessoirement en violation de l'article 131-30-1, 3° du code pénal faute de motivation spéciale. La victime ne se présente pas à l'audience mais est représentée par un avocat. Elle obtient 3000 euros de provision sur dommages-intérêts, l'affaire étant renvoyée sur intérêt civils pour qu'une expertise évalue son préjudice, susceptible d'être pris en charge par la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction (faits d'agression sexuelle, art. 706-3 du CPP).

Monsieur Kagamaté ne fait pas appel. Justice est faite.

Sauf que.

Sauf que voilà, Alerxandra G. a tout inventé. Tout.

Le 14 mai 2008, rongée par le remord (elle croyait, naïve, que M. Kamagaté ne pouvait se faire condamner sur une accusation fantaisiste), elle écrit une lettre que son avocat transmet au tribunal exposant qu'elle avait bien été victime d'une telle agression, mais à l'âge de 13 ans, agression dont elle avait le sentiment qu’elle n’avait pas été suffisamment prise en compte par ses parents, puis à la fin de ses études secondaires, elle avait été victime d’un viol qu’elle avait gardé secret, et que, « fréquentant un policier, elle avait été touchée de sa réaction face à l’agression dont avait été victime une de ses amies » et du coup que, traversant une crise d’angoisse, elle lui avait déclaré qu’elle s’était fait agresser et lui avait en réalité décrit ses agressions antérieures.

Le parquet fait diligenter une enquête qui établit qu'en effet, tout le récit était inventé. Merveilleuse police qui à la demande, établit dans la même affaire, la culpabilité puis l'innocence. C'est la polyvalence des services. Voilà le problème : la vision particulière de la vérité de monsieur Kamagaté, c'est juste la vérité, en fait. On dissertait hier sur “ qu'est ce que la vérité ?” Voilà. C'est ça.

Problème : monsieur Kamagaté n'a pas fait appel. On se demande d'où vient son peu de confiance dans la justice. La condamnation est donc définitive.

C'est le garde des Sceaux de l'époque, Rachida Dati (il aura fallu qu'elle parte pour que je trouve enfin une raison de lui rendre hommage…) qui débloquera la situation en saisissant la Commission de révision de la cour de cassation, seule habilitée à revenir sur une condamnation définitive. Vamara Kamagaté pouvait le faire lui-même, mais pour des raisons que j'ignore, il n'a semble-t-il pas été informé par son avocat d'alors, qui n'est pour rien dans la procédure de révision. C'est l'avocat de la partie civile et le président du tribunal qui ont lancé la procédure grâce au Garde des Sceaux. C'est la même commission qui a statué dans l'affaire Seznec. (NB : paragraphe mis à jour.)

Et le 24 juin dernier, la cour de révision a cassé le jugement du 8 mars 2008 et renvoyé l'affaire pour être à nouveau jugée devant la 23e chambre. Pourquoi juger à nouveau ? Dame ! Il reste le séjour irrégulier. Car même si eu égard à sa situation, 20 ans de séjour en France, il a droit à une carte de séjour (art. L.313-14 du CESEDA), il n'a pas demandé cette carte, ce qui suffit à constituer le délit.

Cette affaire ne doit pas être l'occasion de pointer du doigt tel ou tel magistrat. C'est facile, c'est commode, et ça ne change rien. Vous voyez à quoi je fais allusion. Dans cette affaire, le président qui a prononcé la condamnation a aidé l'avocat de M. Kamagaté mise à jour :d'Alexandra G. à lancer la procédure de révision. C'est la moindre des choses ? Mais rien ne l'y obligeait.

Ce qu'il faut en tirer, c'est une grande leçon pour nous tous, du monde judiciaire.

Dans cette affaire, il y avait un certificat médical des UMJ qui arrêtait 10 jours d'ITT. Sur la base d'un récit imaginaire. La religion du certificat médical est pernicieuse dans le prétoire. Il faut prendre ce document avec des pincettes : ce n'est pas une preuve, c'est un document d'un médecin, pas d'un haruspice, qui dit : “ si ce récit est vrai, alors l'ITT est de… ”, et même quand il constate des blessures, il ne peut garantir que ces blessures aient été causées comme le déclare la victime. À trop vivre dans une société victimaire, où on n'a pas assez de larmes à verser sur leur épaule, on oublie que les victimes mentent, calculent, ont des intérêts, ou simplement soif d'attention. Bref, elles sont terriblement humaines.

Le témoignage de la seule victime ne peut, ne doit JAMAIS être considéré comme suffisant pour emporter condamnation. Un certificat des UMJ ne peut pas suppléer à l'absence de preuves objectives ou de témoignages fiables. Et quand on est avocat, qu'on a un SDF alcoolique qui traite les femmes de salope quand Bacchus lui ouvre les bras, qui n'est peut-être pas sympathique et sent la vinasse, et qui dit qu'il est innocent et parle de victime qui ment et de police complice, il faut se demander s'il n'y a pas un fond de vérité. Je n'aurais pas la prétention d'affirmer que, si monsieur Kagamaté était entré dans mon box de la section P12 parquet ce jour-là, j'aurais réalisé que j'avais affaire à un innocent.

Un innocent condamné, c'est une défaite pour tout le monde.

Et cette affaire sera maudite jusqu'au bout, puisque je lis dans Libération :

Pendant ce temps, Vamara Kamagate est en prison. Il y restera au total six mois, sans que personne ne l’informe de la procédure qui s’est enclenchée. «Un matin, les surveillants sont venus me chercher et ils m’ont dit : vous sortez.» Seul devant les portes de Fresnes, un papier qu’il ne sait pas lire à la main, il regagne son ancien quartier, où, enfin, un travailleur social lui explique ce que «révision» veut dire.

Laissons le mot de la fin à Monsieur Kamagaté :

« La justice, c’est humain, ça peut se tromper comme tout le monde ».

Monsieur Kamagaté, je suis profondément désolé de ce qui vous est arrivé. Puisse ce modeste billet aider à rétablir votre honneur.

Notes

[1] Incapacité totale de travail, l'unité de mesure des blessures en droit pénal.

mercredi 24 juin 2009

Prix Busiris à Éric Besson

Ce nouveau gouvernement n’aura pas attendu longtemps : il aura fallu douze heures pour son membre désormais le plus prometteur pour rafler un deuxième prix.

Portrait d'Éric Besson, dont la tête penche légèrement à droite. Photo ministère de l'Oriflamme et des Sarrasins.

C’était ce matin, sur France Inter, au cours de l’excellente (donc bientôt supprimée) revue de presse de Frédéric Pommier.

D’emblée, le journaliste va interpeller le ministre (c’est au moins ça qu’il y a de bien avec un journaliste viré, c’est qu’il perd ses inhibitions ; si vous voulez voir le journalisme que j’aime, Frédéric Pommier en a fait une démonstration ce matin) sur le fameux délit de solidarité-qui-n’existe-pas, avec une question à la limite de l’insolence, mais qui répond à l’insulte à l’intelligence que constitue le déni de réalité du ministre.

Éric Besson ne se laisse pas démonter et montre qu’il a bien préparé ses fiches. En shorter : comment peut-on me reprocher de mentir aujourd’hui puisque Chevènement mentait hier ?

Arrive aussitôt la première citation busirible. Attention, ça va vite, mais c’est un classique : je ne peux pas commenter une décision de justice, propos qui en soit est tellement banal qu’il n’éveille pas l’attention de l’académie, sauf que cette fois, écoutez bien : aussitôt dit cette phrase, que fait le ministre ? Il commente cette affaire.

L’affirmation d’un politique selon laquelle il ne peut commenter une affaire en cours ou une décision de justice est une aberration, et elle est juridique car elle se fonde sur le fait que la loi le leur interdirait (même si ce n’est pas clairement dit ici). Rappelons que juridiquement, il est parfaitement licite de commenter, et même de critiquer une décision de justice. La seule chose que la loi interdit est de jeter le discrédit sur cette décision dans des conditions de nature à porter atteinte au respect dû à la justice ou à son indépendance (art. 434-25 du code pénal). Du reste, il semble me souvenir que toute la classe politique ne s’est pas gênée pour commenter, et ce de manière critique, une bonne part des décisions de justice rendues dans l’affaire dite d’Outreau. Avez-vous entendu UN magistrat dire “ mais vous n’avez pas le droit ” ? Non, et pour cause. La justice est une des prérogatives régaliennes de l’État, elle est rendue au nom du peuple français, publiquement, afin que tout citoyen puisse se rendre compte par lui-même de comment elle est rendue. Ce qui implique le droit de la critiquer. Ce que je fais devant la cour à chaque fois que je fais appel. Et a fortiori un politique a ce droit, lui dont ce serait même le rôle. On peut critiquer. Mais pas d’insulter.

Ici, d’ailleurs, Éric Besson ne se gêne pas pour la commenter aussitôt, par un argument d’autorité en invoquant la position du parquet (qui est partie au procès) et du préfet (qui ne l’est pas et n’est pas censé avoir accès au dossier) : il y aurait plusieurs autres préventions, sans préciser lesquelles. À ce sujet, si des personnes proches du dossier me lisent, pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information et me préciser le cas échéant les autres chefs de prévention ?

Affirmation juridiquement aberrante, avec en plus la contradiction immédiate. Je ne m’étendrai pas par pudeur sur la question de la mauvaise foi et de l’opportunité politique. Mais est-ce suffisant pour un Busiris, demanderont les plus orthodoxes d’entre vous ? À ce stade, je dois l’avouer, l’Académicien balance encore. Il ne s’agit pas de galvauder l’Honorable Prix en le donnant à n’importe qui. Enfin, si, à n’importe qui, en l’espèce, mais pas pour n’importe quoi.

Sentant peut-être le prix lui échapper, le ministre va un peu plus tard placer l’estocade. Mais avant, relevons ce passage.

Là-dessus, cela mérite d’être noté, le ministre dit vrai. Ce n’est pas arrivé une seule fois en 65 ans ; mais au moins 29 fois en 22 ans. Et oui, l’État aide des associations qui viennent en aide aux étrangers (citons au hasard le Collectif Respect, ou l’ASSFAM, qui a même perçu des subventions illégales pour pouvoir concourir au marché des centres de rétention, si ça c’est pas de l’aide). Mais le délit n’est pas d’aider des étrangers sans papier (heureusement pour moi), mais d’aider au séjour des étrangers sans papier. Une assistance juridique ne tombe pas sous le coup de la loi, mais héberger pour une nuit, oui : cour d’appel de Douai, arrêt n°06/01132 du 14 novembre 2006, publié par le GISTI.

Et voici donc venir la touche :

Moment de grâce. Reprenons au ralenti et décomposons en trois temps.

1. Le délit de solidarité n’existe pas.

2. Mais dans le cadre des enquêtes pour lutter contre les filières d’immigration clandestine (c’est ÇA, le vrai délit d’aide au séjour), oui, des particuliers, des membres d’association sont interpellés pour être interrogés. 4300 l’année dernière, et le président en veut 5000 cette année, tout ça pour juger 1000 passeurs par an[1].

3. Mais, ça, la loi n’y peut rien, c’est la pratique, la police, la justice, etc. En fait, la police télécharge illégalement les gardes à vue, quoi.

Les 5000 personnes qui connaîtront ces pratiques contre lesquelles la loi ne peut rien cette année pour satisfaire le bon plaisir présidentiel seront interpellées (art. 73 du CPP) et placées en garde à vue (art. 63 et s. du CPP) car il existera à leur encontre une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison (art. 67 du CPP), à savoir l’aide au séjour irrégulier (art. L.622-1 du CESEDA), le fameux délit de solidarité. En supposant un instant que le chiffre de 1000 passeurs condamnés soit vrai, cela signifie que quatre personnes sur cinq seront finalement mises hors de cause et ne seront pas poursuivies.

Mettons que chacune de ces gardes à vue pour rien durera douze heures en moyenne, soit la moitié de la durée légale de base de 24 heures. Cela signifie que des innocents passeront en 2009 dans les commissariats de France l’équivalent de 5 ans et demi de privation de liberté pour un délit dont le ministre n’a de cesse de nous répéter qu’il n’existe pas. Et le ministre pour démontrer son point de vue arguera du fait qu’en effet, ces personnes n’auront finalement pas été condamnées, ni même poursuivies !

Face à cela, le cœur de l’Académicien ne peut balancer une seconde. Quand c’est demandé aussi élégamment, refuser le prix Busiris serait discourtois.

Le prix lui est donc décerné, et avec mention “ très déshonorable ” encore.

Notes

[1] Chiffre qui soit dit en passant est manifestement mensonger. Selon l’annuaire statistique de la justice 2009 (pdf, 2 Mo), page 149 du pdf, rubrique 28, le casier judiciaire a enregistré en 2006 5767 condamnations pour la police des étrangers et des nomades, chiffre en tendance baissière (6462 en 2002, 7337 en 2003, 6219 en 2004, 5668 en 2005). 1000 condamnations par an, cela signifierait qu’une personne sur six poursuivies pour infraction à la police des étrangers serait un passeur. Là, déjà, tous les avocats et magistrats qui me lisent comprennent que l’affirmation du ministre est fausse. Cela signifierait donc que trois passeurs seraient condamnés par jour ouvrable en France. Sachant que c’est un délit qui nécessite de longues enquêtes dans un milieu peu enclin à se confier à la police et qu’il faut des semaines de planque pour identifier un passeur, ce chiffre est, soyons poli, fantaisiste, pour le moins.

dimanche 21 juin 2009

Fous (pas) ta cagoule !

Tremblez, casseurs, frémissez, black-blocks : votre fin est proche. Le décret « anti-cagoule » est paru au JO, mais vous le savez bien car il s'agit de votre lecture favorite, après le Code de procédure pénale, me murmure Frédéric Lefèbvre Christian Estrosi.

Le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l'incrimination de dissimulation illicite du visage à l'occasion de manifestations sur la voie publique est paru au J.O. du 20 juin 2009 (page 10067, texte n° 29). Ce décret est bref : il crée un nouvel article R. 645-14 dans le code pénal, ainsi rédigé :

Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public.

La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15[1].

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »

Le décret est entré en vigueur aujourd'hui à zéro heure.

Pourquoi une simple contravention, alors qu'on se souvient qu'il y a deux mois tout juste, le chef de l'État déclarait sur un ton va-t-en guerre son intention de «passer la vitesse supérieure» dans sa «lutte sans merci contre les voyous et les délinquants» ? Si « la vitesse supérieure » de « la lutte sans merci » s'entend de 1.500 euros d'amende max, 3000 en cas de récidive, on se dit que le gouvernement a une marge de progression dans la répression sanguinaire et que la menace de prison indiquera le passage en sur-régime dans la guerre à outrance. L'hypothèse que tout cela relève de la comm' étant naturellement exclue.

Rassurez-vous, pas de mansuétude ici, c'est juste que la contravention de 5e classe est la plus haute sanction qui puisse se prévoir par un simple décret. Pour la prison, il y faut une loi, et ça prend plus de temps, surtout quand il faut revoter les lois que l'assemblée a rejetées avant qu'elles ne se fassent annuler devant le Conseil constitutionnel.

Parce que le fait que c'est une contravention pose un premier problème. Une contravention ne permet pas la garde à vue (art. 67 du CPP). Il est en effet délicat de priver deux jours de liberté une personne qui, fût-elle coupable, ne risque pas la prison. Donc les policiers ne peuvent que contrôler, et le cas échéant vérifier l'identité du contrevenant, dans un délai de quatre heures maximum, puis dresser un procès-verbal de leurs constatations, transmis à l'officier de ministère public du tribunal de police qui décide de poursuivre ou non. Or pendant une manifestation, la police a autre chose à faire que demander ses papiers aux manifestants masqués. Le maintien de l'ordre est un art délicat, qui suppose de s'abstenir de toute provocation qui pourrait déclencher la violence (comme commencer à demander ses papiers à une personne dissimulant son visage mais qui à part ça ne fait rien), et des violences éclatent, à les contenir, tant dans leur localisation que dans leur intensité. Quand volent les pavés et les lacrymos, il n'est plus temps de s'intéresser aux spectateurs passifs dissimulant leur visage.

De plus, cette contravention est un bonheur pour avocat. Probablement soufflés par le Conseil d'État consulté sur cette affaire, la contravention ne frappe pas la simple dissimulation du visage (qui se heurtait au fait que seule la loi peut interdire de dissimuler son visage). Il faut que le contrevenant masqué se dissimule le visage afin de ne pas être identifié. C'est à dire que le ministère public devra apporter la preuve d'un mobile (car on peut se dissimuler le visage à cause d'une vilaine cicatrice, ou porter un masque contre la grippe A…). Ce ne sera pas trop difficile ici mais c'est une première difficulté supplémentaire.

En outre, il faut établir des « circonstances de nature à faire craindre des atteintes à l'ordre public ». Sachant qu'un même fait ne peut constituer plusieurs éléments constitutifs d'une infraction (application classique de l'interprétation stricte de la loi pénale), il sera impossible pour le parquet de soulever que le fait de porter une cagoule fait craindre en soi des atteintes à l'ordre public. Accessoirement, le pluriel impose au moins deux atteintes à l'ordre public, une atteinte ne suffira pas.

De plus, l'infraction, pour être constituée, devant également se dérouler « au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique », le parquet ne pourra tirer argument de ce fait pour établir cette crainte d'atteintes à l'ordre public.

Le calvaire du ministère public ne s'arrête pas là. En supposant qu'il parvienne à établir les éléments constitutifs, la défense peut invoquer deux exceptions, c'est à dire deux faits qui, si elle les établit, exonèrent le prévenu qui doit être relaxé. L'usage local (faut-il en déduire que la contravention est inapplicable en Corse ?) et le motif légitime. Ce dernier point protège notamment les policiers qui, à l'occasion des manifestations, dissimulent leur visage derrière des masques à gaz. Mais précisément, l'usage de gaz lacrymogènes ne rend-il pas légitime le fait de s'apposer un linge sur le visage (bien que son efficacité soit quasi nulle) ? Et, sans parler des manifestations de clowns, que dire de celles à venir contre la prohibition du port du niqāb, où les manifestantes revendiquant la liberté de porter cet accoutrement joindront probablement le geste à la parole, sans tomber sous le coup de la contravention. En outre, n'est-il pas possible d'invoquer le fait que le fait de vouloir dissimuler son identité (élément constitutif de la contravention) constitue le motif légitime du fait de la prolifération des fichiers de police et de la pratique de filmer les manifestants par la police, à des fins inconnues, certes, mais la prudence voulant que dans le doute, on s'abstienne et on cèle son visage ?

Autant dire que cette contravention ne devrait pas connaître un succès, fût-il d'estime, dans les prétoires. Oh bien sûr, il y aura une première fois bien médiatisée par le service communication du ministère de l'intérieur pour démontrer la nécessité et l'utilité de ce texte (alors que personne ne contestera l'utilité médiatique du texte : permettre à un ministre de se faire mousser).

D'autant que la machine à n'importe quoi fonctionne plutôt bien ici, puisque pas plus tard que mardi prochain, l'assemblée va discuter de la proposition de loi rédigée signée par Christian Estrosi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, la fameuse loi “ anti-bandes ”. On sent que le décret a été publié en hâte pour que le ministre de l'intérieur grille la politesse au député d'appoint ainsi désappointé. Car cette loi va rendre ce décret largement inutile.

En effet, cette loi (article 3) prévoit une nouvelle circonstance aggravante de dissimulation du visage, applicable aux violences volontaires (on arrive à une telle liste qu'il devient très difficile de commettre des violences simples), aux vols aggravés, à l'extorsion, à la destruction du bien d'autrui, à la participation délictueuse à un attroupement[2], et la participation armée à un attroupement.

On relèvera que le fait d'avoir visé le seul vol aggravé de l'article 311-4 exclut les auteurs de vol qualifié comme le vol à main armée ou le vol en bande organisée (art. 311-8 et 311-9 du code pénal) ; c'est-à-dire que les braqueurs pourront continuer à se dissimuler le visage dans la plus grande tradition du polar sans encourir d'aggravation de la répression, contrairement à celui qui casse un abribus. Appelons ça de la cohérence législative.

Sur cet aspect de la loi, je n'ai guère à redire. S'agissant d'une circonstance aggravante, elle suppose, pour faire effet, que l'individu se dissimulant le visage commette un délit. Ce qui du coup évite tout débat sur les raisons de cette dissimulation. Juridiquement, ça tient la route.

D'un point de vue criminologique, je suis plus réservé.

Pourquoi une personne se préparant à commettre une infraction se dissimule-t-elle le visage ? Pour ne pas être reconnue : se dissimuler le visage permet de se convaincre de l'impunité. Pas vu, pas pris, comme disait mon légionnaire. Que veut-on donc sanctionner en incriminant cette dissimulation ? Le fait de ne pas vouloir être pris ? Faut-il donc aussi aggraver la répression quand l'auteur essuie ses empreintes, ou veille à ne pas laisser d'empreintes ADN, par cohérence ? Aggraver la répression suppose que l'on considère comme plus grave un comportement délictuel commis dans certaines circonstances. On comprend que frapper une personne est grave, mais s'y mettre à plusieurs ou utiliser une arme est plus grave encore. En quoi lancer un cocktail molotov vers des policiers est-il plus grave si on le fait masqué qu'à visage découvert ?

La réponse du législateur, à lire l'exposé des motifs, est désarmante de naïveté : c'est pour faciliter l'identification des délinquants. Je vous jure, allez le lire. La loi anti-Rapetout, en somme. On imagine très bien la scène :

— Éh, Mouloud ! T'es ouf ! Vire ta cagoule quand tu frappes la vieille dame, tu veux aller en taule ou quoi ?

Une réflexion un peu plus élaborée consisterait à dire : celui qui n'est pas masqué hésitera plus à passer à l'acte de peur d'être identifié. Mais dans ce cas, une circonstance aggravante est inadaptée, puisqu'elle suppose un passage à l'acte accompli.

Un autre argument serait de dire que l'individu masqué a moins d'inhibitions et donc est plus dangereux car il pense ainsi ne pas être pris. Là encore, l'argument se heurte à un autre argument de fait : celui qui agit masqué n'a pas à faire du mal aux témoins, puisqu'il pense qu'ils ne pourront le reconnaître. J'aurais aimé que le député s'appuyât sur des travaux un tant soit peu scientifique pour étayer cette pétition de principe. Rappelons que les Chauffeurs de la Drôme agissaient à visage découvert, puisqu'ils tuaient leurs victimes. Ah, et pour le législateur, qui ouvre sa proposition de loi sur la nouveauté du phénomène des bandes violentes, les Chauffeurs de la Drôme, c'est 1909, et les Apaches de Manda et Leca se disputant Casque d'Or à coups de couteau (et sans cagoule), c'est 1902.

Reste le dernier argument et le seul contre lequel je n'ai rien à répliquer : les cagoules, ça passe super bien à la télé.

Notes

[1] La récidive est constituée si la contravention est à nouveau commise dans le délit d'un an suivant l'expiration, c'est-à-dire généralement le paiement, ou la prescription de la précédente peine (art. 132-11). L'article 132-15 applique la récidive… aux personnes morales. D'où une question : une société commerciale qui porte la cagoule est-elle ce qu'on appelle une société anonyme ?

[2] la participation devient délictueuse après que les forces de l'ordre ont sommé dans les formes prévues par la loi les participants de se disperser.

jeudi 11 juin 2009

In Memoriam HADOPI

La loi HADOPI est donc allée devant le Conseil Constitutionnel comme César est allé aux Ides de Mars : pour y rencontrer sa fin.

Un rapide rappel de ce qu'est le Conseil constitutionnel pour mes lecteurs étrangers, car pour tout citoyen français, il va de soi que les articles 56 et suivants de la Constitution n'ont aucun secret.

Le Conseil constitutionnel est le gardien de la Constitution, la norme suprême, supérieure aux lois et aux traités, même européens[1]. La Constitution est une loi adoptée dans des conditions très particulières qui rendent sa modification extrêmement difficile et qui fixe les grands principes de la République (la Constitution inclut ainsi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pose le principe de l'égalité sans distinction d'origine, de race ou de religion, etc…) et de son fonctionnement (c'est la Constitution qui établit le drapeau, l'hymne national, ainsi que les pouvoirs du président de la République, du Gouvernement, du Parlement, etc…).

Quand une loi est adoptée, elle peut (c'est facultatif, sauf trois exceptions : les lois soumises à référendum, les lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires) être déférée au Conseil constitutionnel qui jugera de leur conformité à la Constitution. La décision de déférer une loi au Conseil constitutionnel peut être prise par le président de la République, le président du Sénat, le Président de l'assemblée nationale, ou un groupe de soixante députés ou soixante sénateurs (pas de panachage entre les deux assemblées). Cette décision, appelée recours, doit idéalement être motivée, c'est-à-dire indiquer en quoi cette loi violerait la Constitution. La qualité des recours est très variable, et je ne sais pas ce qu'attendent les groupes parlementaires pour se constituer une équipe d'avocats constitutionnalistes. Ils en ont les moyens et ce serait redoutablement efficace.

Survolons rapidement les arguments rejetés par le Conseil avant de nous attarder sur ceux qu'il a retenus, soit en formulant une réserve d'interprétation, soit en annulant purement et simplement.

(NB : les numéro après le symbole § renvoient aux numéros de paragraphe de la décision).

Les moyens rejetés.

► La procédure d'adoption de la loi : les parlementaires auteurs de la saisine affirmaient ne pas avoir reçu les informations suffisantes du gouvernement pour pouvoir légiférer en connaissance de cause. La Conseil estime que les assemblées ont disposé, comme l'attestent tant les rapports des commissions saisies au fond ou pour avis que le compte rendu des débats, d'éléments d'information suffisants (§3).

► L'obligation de surveillance de l'accès à internet : les requérants soutenaient que l'obligation faite aux abonnés à l'internet par l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle (créé par la loi HADOPI) de veiller à ce que cet accès ne serve pas à pirater[2] ferait double emploi avec le délit de contrefaçon et serait formulée de façon trop générale, alors que la Constitution exige que la loi soit claire et accessible. Le Conseil rejette, estimant au contraire que la définition de cette obligation est distincte de celle du délit de contrefaçon ; qu'elle est énoncée en des termes suffisamment clairs et précis (§7). Je suis d'accord.

► Le renvoi à des décrets en Conseil d'État : les requérants critiquaient le renvoi à des décrets pour définir les modalités de délivrance du label HADOPi certifiant qu'une source de téléchargement est légale. Le Conseil rejette en rappelant qu'il s'agit d'une simple information du public et que l'HADOPI n'aura pas le choix et devra délivrer ce label à tout site en faisant la demande qui remplit les conditions légales. Dès lors, le législateur a bien rempli son rôle, le reste n'étant que de l'intendance, domaine du décret (§35).

Les réserves d'interprétation.

Une réserve d'interprétation est une façon inventée par le Conseil de corriger une inconstitutionnalité sans dégainer l'arme nucléaire de l'annulation. Le Conseil dit que si on applique le texte de telle façon, alors il n'est pas contraire à la Constitution. Ces réserves d'interprétation sont prises en compte par les juges, qu'ils soient administratifs ou judiciaires.

On commence à entrer dans les aspects intéressants de la décision. La loi HADOPI n'est pas, sur ces points, censurée, mais elle est modifiée dans son esprit.

► L'atteinte à la vie privée : Attention, c'est un peu subtil.

Les données relatives aux infractions de piratage sont relevées par des agents assermentés qui sont salariés des sociétés de gestion collective de droits d'auteur (essentiellement pour transférer le coût des ces opérations sur ces sociétés plutôt que les faire supporter par l'État). Ces données sont collectées dans un fichier informatisé géré par ces sociétés privées. Jusqu'à présent, ces données étaient soit communiquées au parquet au soutien d'une plainte, soit directement utilisées par ces sociétés pour poursuivre les internautes concernés en justice. Dans tous les cas, c'était l'autorité judiciaire qui ordonnait au fournisseur d'accès internet (FAI) la communication de l'identité du titulaire de l'abonnement suspect[3]. Avec la loi HADOPI, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADŒPI) qu'elle crée acquiert le droit de se faire communiquer directement et sur simple demande par le fournisseur d'accès internet concerné, les coordonnées du titulaire de l'abonnement, pour mettre en jeu sa responsabilité. L'autorité judiciaire est court-circuitée. C'est cela que contestaient les requérants devant le Conseil constitutionnel : il y a une atteinte disproportionnée au droit des citoyens au respect de leur vie privée en permettant à une autorité administrative de se faire communiquer ces données personnelles sur simple demande.
Le Conseil donne raison aux requérants, mais sans aller jusqu'à interdire ce dispositif. Il précise que la loi HADOPI permettant l'identification des titulaires des abonnements correspondants aux adresses IP collectées par les agents assermentés a pour effet de rendre ces données nominatives, ce qu'elles n'étaient pas auparavant. Le Conseil rappelle donc que la Commission Nationale Informatique et Liberté (la CNIL) a pour vocation de surveiller les traitements informatiques de données nominatives, et qu'il lui appartiendra de s'assurer que les modalités de ce traitement sont proportionnées au but poursuivi. En clair, cela signifie que toute poursuite fondée sur ces relevés sera nulle tant que la CNIL n'aura pas donné son feu vert quant au fonctionnement de ce fichier (§29). Où comment la rue Montpensier venge la rue Vivienne. La CNIL est notamment invitée à veiller à ce que ces données ne servent que dans le cadre des procédures judiciaires liées au piratage supposé et ne soient pas conservées à d'autres fins, genre une liste noire des pirates.

► Les mesures judiciaires envers les FAI : l'article 10 de la loi ajoute au code de la propriété intellectuelle un article L. 336-2 qui permet aux ayant-droits d'une œuvre objet de piratage d'obtenir du tribunal de grande instance, au besoin en référé, toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte à leurs droits, auprès, là est la précision importante, « des personnes susceptibles de contribuer à y remédier », et non uniquement auprès des personnes auteurs de cette atteinte. Quelle périphrase, mes amis, pour dire simplement fournisseur d'accès internet et hébergeurs ! En clair, la loi permet aux ayant-droits d'une œuvre piratée d'obtenir du FAI qu'il puisse suspendre l'accès internet du pirate supposé, et de l'hébergeur qu'il supprime de son serveur le fichier ou le site illicite (mais sur ce dernier point, la loi n'invente rien, le droit commun le permet déjà). Suspension, il y a, mais ordonnée par l'autorité judiciaire, ce qui est une garantie. Insuffisante, estime le Conseil, qui souffle à l'oreille du juge le mode d'emploi : il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté [la liberté d'expression, voir plus bas], que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause (§38). Bref, le juge devra se contenter d'ordonner le minimum minimorum pour mettre fin à cette atteinte au droit d'auteur sans porter atteinte de manière disproportionnée à la liberté d'expression, qui devient la marraine, comme on va le voir, de l'accès à internet. Autant dire que le seul abonnement qui pourra être suspendu est celui qui ne sert qu'à pirater à l'exclusion de tout blogging, twitting, facebooking, netsurfing et autres mot en -ing visant à précipiter les Académiciens vers une mort prématurée par apopléxie.

Le Conseil a posé ses banderilles. Vient le moment tant attendu de l'estocade. Cette fois, le Conseil frappe pour tuer.

Les annulations.

Les annulations portent sur toutes sur le même point : la répression des manquements à l'obligation de surveillance.

Rappelons d'une phrase le mécanisme de la loi HADOPI : tout abonné à internet a l'obligation de veiller à ce que son abonnement ne serve pas à pirater, peu importe qui pirate ; tout piratage constaté depuis un abonnement donné est une violation de cette obligation par le titulaire de cet abonnement, qui peut être sanctionné, après deux avertissements, par une suspension de l'abonnement décidée par une autorité administrative, la Commission de Protection des Droits (et non la HADŒPI), hors de toute procédure judiciaire.

Et c'est là que le bât blesse pour le Conseil constitutionnel. Au cours des débats, on a beaucoup entendu dire et répéter que, que diable, il n'y a pas de droit à l'abonnement à internet, et qu'internet n'est pas un droit fondamental[4]. Le Conseil disconvient respectueusement (§12) :

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi " ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;

Internet ne devient pas une liberté fondamentale, mais le voici le pupille de la liberté d'expression, ce qui le met sur un beau piédestal.

Mais le Conseil constitutionnel apporte aussitôt un tempérament (§13), en rappelant qu'on est ici dans un conflit entre deux droits fondamentaux : la liberté d'expression, dont internet est le prophète, et la propriété, dont le droit d'auteur est une variante immatérielle mais tout aussi protégée.

Face à ce conflit, le législateur a un certain pouvoir d'appréciation :

Le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines[5] ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle (§14).

Là, on retient son souffle. HADOPI est-elle sauvée ? Une incise pendant que vous virez lentement au rouge puis au bleu : ce genre de conflits entre des principes d'égale valeur mais contradictoires est le cœur de ce qu'est le droit. C'est l'essence du travail du juriste que de résoudre ce conflit, non pas en disant lequel des deux l'emporte, mais en délimitant le territoire de chacun selon les hypothèses. Dans tels et tels cas, le premier l'emportera, mais avec ces limites ; dans telles autres, ce sera le second, mais là encore dans telles limites pour préserver le premier. Exemple typique : le juge pénal, qui doit concilier la nécessité de la répression d'un comportement interdit avec celle de réinsérer l'individu qui a commis ces faits. Punir le passé en tenant compte du présent sans insulter l'avenir. On n'est pas trop de trois (le juge, le procureur et l'avocat) pour y arriver.

Allez-y, vous pouvez respirer : ici, c'est la liberté d'expression qui l'emporte, et le couperet tombe aussitôt sur la loi.

Le Conseil rappelle d'abord que « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés » ; et « que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (§15). Tous ceux qui ont lu la loi savent déjà que c'en est fini de son mécanisme répressif. Pour les autres, le Conseil continue :

les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n'est pas une juridiction[6], à restreindre ou à empêcher l'accès à internet de titulaires d'abonnement ainsi que des personnes qu'ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice, par toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins ;

En clair : la liberté d'expression ne s'efface pas pour protéger des intérêts économiques catégoriels aussi nobles soient-ils (rires).

Le coup est mortel mais alors que la bête titube encore, le Conseil porte une seconde estocade : la loi HADOPI piétine également la présomption d'innocence.

En effet, la loi HADOPI met en cause la responsabilité de l'abonné par la simple constatation du piratage, qui suffit à mettre en branle la machine à débrancher, sauf à ce que l'abonné démontre que le piratage est dû à la fraude d'un tiers (je laisse de côté la force majeure, qui exonère de toute responsabilité sans qu'il soit besoin de le prévoir dans la loi, et l'installation du logiciel mouchard, qui au contraire interdit de facto à l'abonné d'invoquer la fraude d'un tiers). Preuve impossible à rapporter.Ce renversement de la charge de la preuve aboutit à faire de l'abonné mis en cause un coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence(§18). C'est prévu par le code pénal nord coréen, mais pas par le nôtre. Le législateur a imaginé ce mécanisme anticonstitutionnellement[7]

La bête s'écroule et le Conseil prélève les deux oreilles et la queue : toutes les dispositions donnant un pouvoir de sanction à la Commission de Protection des Droits sont annulées.

Conclusion : la loi HADOPI est-elle morte ?

Elle est en coma dépassé : son corps vit encore mais son esprit a basculé dans le néant. Le reste de la loi étant validé, le président de la République a quinze jours pour la promulguer, ou demander au parlement une seconde délibération (art. 10 de la Constitution). La HADŒPI sera créée (mon petit doigt me dit qu'elle va fusionner avec l'Autorité de Régulation des Mesures Techniques créée par DADVSI), ainsi que la CPD. La HADŒPI se contentera donc de délivrer son label “ ici, on télécharge légalement, lol ” à qui en fera la demande, et remplira ses autres missions, purement consultatives.

Le Conseil constitutionnel tire d'ailleurs les conclusions de son annulation et de l'absence de jugeotte du parlement en donnant le mode d'emploi qui ne manque pas d'ironie (§28) :

…à la suite de la censure résultant des considérants 19 et 20, la commission de protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; que son intervention est justifiée par l'ampleur des contrefaçons commises au moyen d'internet et l'utilité, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie ; qu'il en résulte que les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre par les sociétés et organismes précités ainsi que la transmission de ces données à la commission de protection des droits pour l'exercice de ses missions s'inscrivent dans un processus de saisine des juridictions compétentes ;

Traduction : la CPD existera bel et bien mais sera cantonnée à un travail d'avertissement sans frais (les mises en garde par courrier existent toujours, tout comme l'obligation de surveillance de sa ligne, mais elles ne peuvent aboutir à des sanctions), de filtrage et de préparation des dossiers pour l'autorité judiciaire, dans le but, et c'est là qu'on voit que le Conseil constitutionnel a le sens de l'humour, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie.

Bref la machine à punir 10.000 pirates par jour devient la machine à s'assurer qu'on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l'enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant.

On n'avait pas vu un tel succès législatif depuis la promulgation-abrogation du Contrat Première Embauche en 2006.


Voir aussi l'avis de Jules, toujours le plus rapide s'il n'a pas un verre de Chardonnay dans une main et la taille d'une jolie fille dans l'autre.

Notes

[1] Oui, c'est un appeau à troll, mais c'est quand même vrai.

[2] Ce verbe sera utilisé, brevitatis causæ, dans le sens de “ reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu'elle est requise ”, afin d'économiser ma bande passante.

[3] Rappelons qu'une adresse IP permet d'identifier l'accès internet utilisé, mais pas forcément l'ordinateur utilisé si plusieurs sont connectés, et en aucun cas la personne devant son clavier.

[4] Jean-François Copé, président du groupe UMP (quand il a le temps d'être à l'assemblée), le 24 mai 2009 sur Europe 1.

[5] C'est à dire que toute faute amenant à une sanction doit avoir été prévue par la loi, de même que la sanction qui l'accompagne : pas d'arbitraire en ce domaine.

[6] Spéciale dédicace à Franck Riester, rapporteur du texte, qui a affirmé le contraire le 4 mai 2009 dans l'hémicycle, juste avant qu'un prix Busiris ne lui frôle les oreilles.

[7] Pour une fois qu'on a l'occasion de l'utiliser, lâchons-nous.

jeudi 4 juin 2009

[Journée d'action des magistrats administratifs] Je crois que je vais jouer au roseau encore longtemps

PAr Naya


J’exerce mes fonctions dans un tribunal de taille moyenne qui affiche des délais de jugement « raisonnables » (un peu moins d’un an en moyenne), ce qui nous protège, moi et mes collègues, pour l'instant des dérives que l’on peut observer dans des juridictions surchargées de vieux et moins vieux dossiers.

Je me débrouille d’ailleurs pour « avoir de l’avance » c’est à dire travailler les dossiers avant qu’ils soient enrôlés, ce qui me permet de faire toutes les mesures d’instruction nécessaires sans avoir peur de provoquer un renvoi de l’affaire pour respecter le principe du contradictoire. Ainsi, je peux donner dans certain dossier tout son sens au caractère dit inquisitoire de l’office du juge administratif et c’est bien plus intéressant de juger ainsi, avec toutes les pièces nécessaires à la bonne compréhension du litige…plutôt que de jouer à chat perché avec la dialectique de la preuve ! Mais bon, encore faut-il avoir le temps, ne pas être noyé dans les dossiers… Alors, je ne prends pas forcément toutes les vacances auxquelles j’ai droit conformément à mon statut, je ne lis pas régulièrement les revues juridiques qui me permettraient de suivre les évolutions législatives et jurisprudentielles… Ma situation professionnelle, tant sur le plan de la charge du travail (qui est conséquente, mais me permet encore d’avoir des activités extra-professionnelles) que sur le plan des rapports avec mes collègues (sympatiques) est satisfaisante.



Pourtant, pourtant j’ai souvent la rage au ventre quand je pense à mon métier ou que j’en parle, quand je pense à ce qu’il devient dans les grosses juridictions, ce qu’il pourrait devenir dans les moins grosses …



1.La conception qu’ont nos dirigeants (chef d’Etat et gouvernement) de la Justice me met en colère. Je ne m’étendrais pas trop longtemps sur ce point, votre blog l’illustre assez régulièrement. Il y a en particulier cet attachement presque sacré aux chiffres, véritables dieux auxquels doit obéir toute gestion quitte à faire disparaître toute autre valeur.

Mais la position du conseil d’Etat, représenté par son vice-président ne font qu’accroître cette colère.

On pourra toujours dire que le conseil d’Etat ne décide pas des moyens que l’on veut bien accorder aux juridictions administratives, c’est tout de même lui qui prépare les réformes qui vont faire de ces juridictions des purs lieus de théâtre pour certains contentieux. Les membres du conseil d’Etat semblent bien se moquer de la justice, ce qui les intéressent c’est le droit. Et c’est bien ce qui rend leur position impardonnable, eux qui siègent au sein d’une cour suprême. A entendre ces grands modernisateurs de la juridiction administrative, seule la question de droit épineuse mérite une décision prise en collégialité ou un regard attentif d’un rapporteur public ; l’appréciation des faits, qui peut bien être la qualification juridique d’une situation au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, serait d’une importance de second rang qu’un juge devrait donc traiter seul avec toute sa subjectivité et dans la précipitation que lui impose la course aux dossiers (c’est à dire sans la sérénité ni le recul si nécessaire à la prise de distance avec nos propres préjugés).

La manière dont le conseil d’Etat parle du contentieux d’étranger me révulse. Il est révélateur d’un profond décalage avec ma conception de la justice, la place de celle-ci dans la société. La partie noble du métier du juge est, selon moi, celle qui l’amène à sauvegarder les libertés et les droits fondamentaux des personnes, celle qui le fait être un élément essentiel de la paix sociale. Et parce qu’il est selon moi important de penser le juge et sa fonction au sein de la société et non au sein d’un club de juristes, un dossier portant sur le droit au séjour d’un étranger en France où sur la mutation d’un agent public ne posant aucune question de droit en tant que telle peut être bien plus important qu’un dossier de marché public techniquement très compliqué.



2.Mais ma colère ne vient pas que des faits et gestes des gens de là haut…elle est également suscitée par le comportement d’un nombre important de mes collègues qui s’illustrent par leur lâcheté ordinaire, leur individualisme, leur carriérisme ou parce qu’ils se sentent autant juge qu’un sous préfet (d’ailleurs certains passent d’une fonction à l’autre sans être pour autant gênés). Comment comprendre que dans les grandes juridictions, des dérives importantes ont cours sans que les membres de ces juridictions s’en émeuvent ? Comment comprendre que si peu de personnes exerçant les fonctions de juge manifestent leur attachement aux garanties du droit au recours effectif lorsqu’on annonce une réforme qui peut avoir des conséquences si désastreuses pour la réalité de la justice administrative, lorsqu’on annonce une gestion des juridictions dirigées principalement par le nombre de dossier « à sortir des stocks » ?

C’est bien beau de râler dans les couloirs et de briller dans les soirées mondaines en se drapant du statut du juge, ça devient carrément dégueulasse quand dans le cadre de ses fonctions, on n’ose pas ou on ne se fatigue pas à dire non à la farce à laquelle on veut nous faire jouer (par exemple, prétendre juger quand on ne fait que signer des jugements rédigés par des vacataires en ayant regardé 5 minutes le dossier, être content des statistiques du tribunal alors qu’un nombre anormal d’affaire est réglé par des ordonnances de rejet… pour ne citer que quelques exemples de ce grand numéro de cirque que l’on nous propose).

Je remercie quand même au passage les collègues qui ont compris que le métier de juge était un grand métier, un métier de combat, même dans un bureau silencieux devant un ordinateur, et dont la présence est indispensable à mon moral.



3.Je pourrais également parler de la colère que suscitent certains avocats… bien que ça puisse être mal pris sur ce blog. Ah, ces auxiliaires de justice qui se contentent de raconter la vie de leur client en finissant par un « c’est pas juste », qui travaillent tellement bien leur dossier qu’ils arrivent à nous soutenir qu’un homme de nationalité angolaise qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement qui le destine vers l’Angola craint pour sa vie en cas de retour en Guinée… ces chers partenaires qui nous émeuvent par la citation de disposition du code du travail pour défendre des fonctionnaires…Bien évidemment, il ne faut pas généraliser, je connais pas mal de bons avocats, de très bons même, et de moins bons mais qui font un travail honnête…mais au nom du libéralisme qui imprègne la profession, il est quasiment impossible de protéger les justiciables d’avocats qui ont une notoriété d’escrocs au sein d'un tribunal, à tel point que l’on lance des paris à qui arrivera à annuler une décision contestée par une requête de Me untel…



4.A tout ça, s’additionne le mal-être qui naît chez moi quand je me retrouve à devoir vérifier la légalité de décisions prises en vertu de lois que je considère comme injustes. Alors même que j’ai fait grève contre le juge unique en 2007, je regrette parfois amèrement de ne pas être seule à pouvoir décider dans des affaires du contentieux d’étranger…



Voilà, je fais grève jeudi 4 juin pour les raisons qu’a avancées l’USMA, avec toute ma colère, parce que je tiens à l’existence d’une véritable justice dans notre pays comme à la prunelle de mes yeux.

En fonction des jours j’oscille entre la furieuse envie de changer de métier et la furieuse envie de me battre pour que ce métier corresponde le plus possible à mon idéal de justice et parce que j’y ai mis le sens de ma vie je crois que je vais jouer au roseau encore longtemps.

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