Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 8 décembre 2008

Prix Busiris pour Rachida Dati

On va encore m'accuser de m'acharner, mais face à un tel talent, je suis impuissant. C'est le troisième trophée que notre Élégantissime Justicière remporte haut la main, par acclamations du jury extatique : une récidive de récidive, c'est bien le moins qu'elle pouvait faire. Rachida Dati, cachant avec difficulté sa fierté pour cette troisième consécration - Photo ministère de la justice

Voici les propos récompensés. Ils ont été tenus, le contexte compte, le 3 décembre dernier lors du discours de réception du rapport Varinard, dont Dadouche et Justice (un et deux) vous ont abondamment entretenu.

Les voici :

Dans l’ordonnance de 1945 [ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante] le mot « victime » n’apparaît à aucun moment, pas plus d’ailleurs qu’il n’apparaissait auparavant dans la loi de 1912 [loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée].

Détaillons, voulez-vous ?

L'ordonnance de 1945 ne contiendrait pas le mot « victime ». Affirmation juridiquement aberrante car contraire au texte qu'elle cite : il y figure à sept occurrences (voyez vous-même : articles 5, 7-2, 8-1, 12-1 par deux fois, 14 et 15-1), sa première apparition remontant à la loi du 4 janvier 1993 (c'est l'article 12-1, qui prévoit la possibilité de prononcer une mesure d'aide ou de réparation à l'égard de la victime, seulement si celle-ci est d'accord).

J'ajoute que la victime est implicitement citée à l'article 6, depuis la loi du 24 mai 1951, qui parle de « l'action civile », qui est l'action de la victime demandant réparation devant le tribunal pour enfants (avant 1951, la victime devait saisir la juridiction civile de droit commun, tribunal d'instance ou tribunal de grande instance selon le montant demandé), ce qui caractérise une première fois la mauvaise foi.

Celle-ci est une deuxième fois caractérisée par le fait que cette affirmation n'est exacte que si l'on prend les mots “ ordonnance de 1945 ” au sens de “ telle qu'elle fut promulguée en février 1945, abstraction faite de l'évolution législative des 57 dernières années ”, ce qui ne ressort nullement du discours et est même contradictoire avec le fait de recevoir un rapport visant à une réforme de l'ordonnance telle qu'elle est actuellement en vigueur.

Enfin, l'objet de cette affirmation étant de laisser entendre qu'une fois de plus, le garde des sceaux vole au secours des victimes laissées à l'abandon par tous ceux qui l'ont précédée, cela caractérise l'opportunité politique prenant le pas sur le respect du droit, qui est ici déshonoré sans rémission.

L'Académie présente donc ses compliments au Garde des Sceaux, qui aura sans nul doute réussi à marquer de sa griffe son passage par la Chancellerie.

vendredi 5 décembre 2008

La peur

Par Fantômette


La peur, vous vous y attendez toujours. Elle arrive rarement par surprise. Elle prévient avant de frapper. Mais les coups n’en sont pas moins brutaux, et la douleur qu’ils laissent, lancinante.

Depuis que j’ai prêté serment, je ne crois pas qu’il se soit jamais écoulé une semaine sans que je ne la côtoie, constante et silencieuse, une ombre parmi les ombres. En audience. En détention. En rendez-vous.

Elle s’invite souvent dès le premier rendez-vous, le tout premier contact avec un nouveau client.

Vous l’avez vu arriver, depuis la fenêtre de votre bureau.

Il est peut-être jeune, ou plus âgé. Il a les mains profondément enfoncées dans les poches, un blouson à la mode, un peu crasseux. Ou un costume bon marché, une mallette à la main. Il la posera très soigneusement sur votre bureau après avoir écarté le pot à crayons.

La peur l’a accompagné, mais elle ne se montre pas tout de suite. Elle apparaît pour la première fois, sans bruit mais dans une brève et soudaine lueur, lorsqu’il vous tendent leur convocation. Elle est pliée en seize, déjà grise et froissée par cette main tout à l’heure enfoncée dans la poche. Ou encore dans son enveloppe, sortie de la mallette. Nette et blanche. Implacable.

Vous y jetez un bref coup d’œil, qui vous apprend ce que, souvent, vous savez déjà. Convocation… tribunal de grande instance … chambre correctionnelle. L’audience est dans deux jours, trois semaines, ou deux mois. Les faits poursuivis sont visés, les articles du code pénal qui fondent les poursuites également.

Vous relisez la convocation, laissez passer un ange, et puis deux.

- Peut-être avez-vous eu la curiosité d’aller regarder les articles visés du code pénal ? Sur internet ? Non ?

Le code pénal est sur le côté, l’article souvent déjà repéré. Vous lui tendez le code, ouvert à la bonne page. Deuxième coup de poing, la peur a frappé au ventre cette fois.

Et puis, sur une invitation de votre part, les explications viennent.

C’est un peu confus. Souvent très long.

Silencieux, attentif, les yeux fixés sur votre interlocuteur, vous observez monter, descendre, monter à nouveau, l’angoisse, à la façon d’une respiration.

Ils vous parlent des faits, ceux qui sont visés par l’article qu’ils viennent de lire en silence, et qu’ils redécouvrent sous un autre angle, sous l’angle du droit. Et cet angle là les trouble et les inquiète. Ils viennent vous parler d’une bêtise, et vous leur répondez que l’on ne convoque pas souvent les gens devant un tribunal correctionnel pour "une bêtise". Ils ont lentement acquiescé et la peur les a frappé, une troisième fois.

Cette fois-là, elle ne les quitte pas.

Ils repartent avec, la convocation repliée, remise dans la poche ou dans son enveloppe, toujours aussi blanche. Elle laisse son ombre derrière elle, qui s’attarde à votre bureau, et rôde quelques instants encore.

Vous ne la chassez pas.

On ne sait jamais.

Elle pourra resservir.

Plus tard, vous les retrouvez à l’audience. La salle est vide, il est un peu tôt. Il n’y a personne à l’accueil du tribunal, encore. Les justiciables tournent en rond, ils ont la démarche inquiète. Il s’assoient. Ils attendent. Ils se relèvent. Et ils attendent encore.

Lorsque vous êtes arrivé, celui-là, qui vous attendait, s'est approché rapidement de vous, soulagé de voir que vous n'étiez pas en retard.

En réalité, le plus souvent, vous êtes arrivé avant lui. Mais vous avez votre propre itinéraire au tribunal. Vous êtes arrivé tôt, par précaution, et vous êtes passé par l’Ordre, encore tranquille, mais pas désert. Deux ou trois confrères sont là, qui vous saluent d’un signe de tête, enfilent leur robe d’un mouvement ample et précis, patientent à la machine à café, consultent leur dossier. Vous posez votre robe, qui pèse sur votre avant-bras, roulée en boule[1], et le dossier à côté, sur la table. Un sourire pour les uns, un mot pour les autres.

Vous profitez de ce moment de calme, qui ne durera pas, car tout à l’heure, dans la salle d’audience, la peur vous aura rejoint. La vôtre. Celle de vos clients. Celle des prévenus. Celle des victimes.

Dans la salle d'audience, à l’immobilité qui précède l’arrivée de l’huissier, suit un mouvement lent et confus, dont la signification n'est pas immédiatement apparente aux regards extérieurs. Les avocats s’agglutinent près de l’huissier, qui sort les dossiers, les uns après les autres. Quelques jeunes avocats, le rabat immaculé, un dossier serré dans les bras, hésitent un peu à s’avancer, à interrompre l’huissier qui salue les habitués du prétoire. Et puis, les justiciables s'avancent enfin, ou c'est l'huissier vient les trouver, dans la salle ou à l'extérieur, pointant sur le rôle[2] les présents, ceux qui se défendront seuls, ceux qui attendent leur avocat, ceux dont l'avocat est déjà là.

Une légère impression de désordre se dégage de la scène. Le bavardage des avocats, l'air affable de l'huissier qui s'affaire, l'expression stoïque et ennuyée du policier en faction, tout cela crée une impression de banalité, qui allège un instant l'atmosphère d'attente inquiète.

Cela ne dure pas, et le silence et la peur reprennent possession des lieux à l'entrée du tribunal, annoncé par l'huissier ("Le Tribunal !") qui, d'un geste, nous fait tous lever.

L'audience a commencé.

Parfois, vous allez vous asseoir à côté de votre client. Il est anxieux, fatigué. Il parle peu, ou au contraire, il parle trop. Il pose quelques questions dont il écoute à peine les réponses. Vous chuchotez parfois quelques mots d'encouragement, de réconfort. Pas toujours, cependant.

La peur qui l'accompagne sera peut-être votre alliée, tout à l'heure. Lorsqu'à une question précise que posera le Président, elle brisera la voix de votre client. Lorsqu'après avoir écouté la partie civile, elle lui fera bredouiller des paroles d'excuse - maladroites, mais sincères.

Mais ce n'est pas sûr.

La peur qui l'accompagne sera peut-être votre ennemie, tout à l'heure. Lorsque, épuisé par son incessante lutte contre elle, le prévenu la transforme en une colère sourde, mal contenue, mal interprétée. Ou lorsqu'au contraire, comme soudainement vaincu, le prévenu se ferme et n'oppose plus qu'une indifférence muette, discrètement hostile, aux questions de plus en plus agacées du Président.

Au moment où vous prendrez la parole, de toute façon, vous en aurez le coeur net. Vous agirez en conséquence. Vous devrez trouver les mots qui sont restés coincés dans la gorge du prévenu. Vous devrez défaire ceux qui sont sortis mal à-propos, tenter d'en corriger les effets. Expliquer ce que vous - oui : vous - vous avez compris de cet individu, depuis ce jour-là où il est venu vous voir la première fois, sa convocation à la main.

Après, reste l'ultime attente. Celle du délibéré. De la décision. Coupable ou non ? Et si oui, quelle peine ?

Attendre, attendre, attendre. Le tribunal peut s'être immédiatement retiré pour délibérer. Ou il aura pris une autre affaire, en prendra une seconde, une troisième, pour délibérer sur plusieurs en même temps.

Attendre, attendre, attendre. Parler avec le prévenu, votre client, qui n'a plus qu'une seule question à poser, celle à laquelle vous n'avez pas de réponse. "Alors ? Alors, Maître ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Comment ça s'est passé ?" Vous restez prudemment évasif. "Nous verrons. Il n'y a plus longtemps à attendre."

Cette attente-là est épuisante. Vous étouffez soigneusement vos inquiétudes, vos espoirs. Refaites mentalement la plaidoirie que vous avez faite, celle que vous auriez du faire, celle que vous auriez pu faire, et puis vous recommencez. Lorsque le tribunal revient et rappelle votre client à la barre, vous vous levez également, le dossier sur le bras, un stylo à la main, et la peur au ventre.

Le verdict tombe, la peur avec elle, qui se brise et s'échappe pour ne laisser derrière elle qu'une vérité judiciaire, LA vérité judiciaire. Coupable ou non. Prison ferme ou non. La fatigue et le soulagement, l'épuisement et la rage... La journée n'est pas terminée. D'autres vous attendent ce soir, ou vous appelleront dans l'après-midi, inquiets, anxieux, une convocation à la main. Vous partez les retrouver. Sans hâte.

Notes

[1] Une robe d'avocat se transporte roulée en boule, toujours, toujours, toujours. C'est comme ça. C'est pour ainsi dire la première leçon que m'a donnée Patron n°1. Cela emporte obligation d'en acheter un modèle infroissable naturellement.

[2] Le rôle de l'audience est tout simplement la liste des affaires qui seront appelées à l'audience du jour et dénommées d'après le nom du ou des prévenus. Cette liste est également affichée à l'extérieur de la salle.

jeudi 4 décembre 2008

La réforme de la justice des mineurs (acte II)

Par Justice, juge des enfants mineurs.




Voilà, nous avançons à grand pas. La commission Varinard vient de déposer son volumineux rapport (bonne lecture à tous ...) ; ses propositions deviennent officielles. C'est désormais à la Garde des sceaux de trancher.

Je sais que je vais encore frustrer du monde (on est tous des frustrés, ne vous inquiétez pas !) mais il ne s'agit pas pour moi de commenter toutes les idées émises dans ce rapport (j’ai tout parcouru mais mon temps est un peu limité aussi...). Un bon aperçu a été fait dans un autre billet. Il y a des choses intéressantes, c'est certain, d'autres un peu plus surprenantes. Bref, excusez encore, je voudrai au contraire me centrer sur ce qui "dérange", c'est à dire ce qui sort du lot, apparaît inhabituel, voire a priori incroyable.



En numéro un : les enfants de 12 ans pourraient aller en prison

La rumeur n'est désormais plus une rumeur. Il s'agit bien d'une proposition formulée à la GDS.
La proposition : “La fixation d’un âge de responsabilité pénale à douze ans permet, en matière criminelle, d’appliquer aux mineurs âgés de douze à seize ans le traitement pénal applicable à ce jour aux seuls mineurs âgés de treize a seize ans.

Ainsi, en matière criminelle, un mineur âgé de douze ans au moment des faits pourra être condamné par un tribunal des mineurs et se voir appliquer une peine. De même, dans l’hypothèse ou le placement sous contrôle judiciaire n’aura pas paru suffisant, ce mineur pourra être placé en détention provisoire, dans les limites aujourd’hui applicables aux mineurs de 13 à 16 ans (une durée de six mois qui peut être prolongée, une seule fois et a titre exceptionnel, d’une durée de six mois).”

Elle mérite sa position "numéro un" non seulement par son écho médiatique mais surtout par ce qu'elle viendrait signifier (les 2 étant intiment liés évidemment).

Nous avons déjà beaucoup débattu à ce sujet ; je n'y reviendrai donc pas. Personnellement, je reste sur ma position et encore pardon pour les frustrations liées aux explications non fournies sur : « pourquoi un gosse de 12 ans est immature et ne peut être jugé comme un plus grand ». Cela fait appel à la psychologie, à l'éducatif, au médical, au juridique, au bons sens également. Voilà pourquoi c'est trop long ...



En numéro 2 : le tribunal correctionnel pour les mineurs (de mieux en mieux !)



Depuis quand ne parle-t-on plus de tribunal Correctionnel pour les mineurs ? Eh bien, ma bonne dame, il faut remonter loin dans la mémoire collective ... (ça, ce n’est jamais très bon en matière de mineurs, vu les déboires et les erreurs commises dans le passé pour réprimer toujours plus sévèrement). Moi je n’étais pas né mais je m’en souviens car c’est le texte fondamental en matière de droit des mineurs que j’applique au quotidien : je veux parler de l’ordonnance du 2 février 1945. Cela fait donc 63 ans que les mineurs n’ont plus de liens avec les Tribunaux pour majeurs.

Petit retour en arrière (toujours nécessaire en cas de réforme proposée).

Jusqu’au XVIIIème siècle, l’enfant ne bénéficie pas d’un régime pénal spécifique et peut être condamné comme un majeur par les mêmes tribunaux.

Le Tribunal Correctionnel, avec le Code Pénal de 1810[1], reste la juridiction compétente pour eux et est composée par 3 magistrats. La loi du 28 avril 1832 vient même l’autoriser à juger certains crimes commis par les mineurs.

Art.68 du Code Pénal de l’époque : “ L’individu âgé de moins de 16 ans qui n’aura pas de complices présents au-dessus de cet âge, et qui sera prévenu de crimes autres que ceux que la loi punit de la peine de mort, de celle des travaux forcés à perpétuité, de la peine de déportation ou de celle de la détention, sera jugé par les tribunaux correctionnels...

Les peines peuvent être sévères et on estime au milieu du XIXème s. que 50% des mineurs jugés par ces juridictions sont condamnés à une peine supérieure ou égale à un an.

Grâce à la loi du 22 juillet 1912, des règles particulières, à consonance éducative, sont instaurées spécifiquement pour les mineurs (obligation d’enquêter sur son histoire familiale). Le mineur est désormais jugé par une chambre spéciale du tribunal de première instance, le tribunal pour enfants et adolescents. Toutefois, ce

« Tribunal pour enfants n'était qu'une fiction. Le Tribunal Correctionnel ordinaire se constituait en tribunal pour enfants ou en chambre du conseil mais sa composition ne variait pas. En outre les magistrats restaient soumis à la loi du roulement et passaient un ou deux ans, quelquefois moins, au tribunal pour enfants » (Hélène CAMPINCHI, avocate à la cour de Paris in « Revue de l'Education Surveillée » n°778 ;1 – mars 1946)



Il faut attendre 1945 pour que notre pays, conscient de la spécificité des problèmes touchant les mineurs, créé un Juge des Enfants :

“Le Garde des Sceaux, ministre de la justice, désigne au sein de chaque tribunal de grande instance un magistrat qui prend le nom de Juge des Enfants” (art. 4, version initiale de l’ordonnance)

et une juridiction réellement particulière, le Tribunal Pour Enfants :

“Les mineurs de 18 ans[2] auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des Tribunaux Pour Enfants” (art.1)

Que se passe-t-il quand une affaire concerne un mineur et un majeur ? Dès 1945, il est prévu que

“lorsque le mineur de 18 ans est impliqué dans la même cause qu’un ou plusieurs inculpés âgés de plus de 18 ans, la poursuite qui le concerne sera disjointe”.

Depuis 1951, il est désormais prévu, dans l’intérêt des victimes, d’unifier l’action civile :

“lorsqu’un ou plusieurs mineurs sont impliqués dans la même cause qu’un ou plusieurs majeurs, l’action civile contre tous les responsables peut être portée devant le tribunal correctionnel ou devant la cour d’assises compétente à l’égard des majeurs. En ce cas, les mineurs ne comparaissent pas à l’audience mais seulement leurs représentants légaux” (art.6 Ord. 2 février 1945).

Si le mineur n’a pas encore été déclaré coupable, le tribunal correctionnel peut alors surseoir à statuer sur l’action civile.

Personnellement, je n’ai jamais vu appliquer cet article. C’est dommage car il faciliterait les démarches de la victime, l’exécution de la décision (en prévoyant la solidarité entre les condamnés majeurs et mineurs) et elle garantirait la cohérence des décisions. En effet, le Juge des Enfants n’est pas forcément informé des sommes allouées par le tribunal correctionnel à la victime. Il peut donc avoir une appréciation différente.



Voici la proposition :

Création d’un tribunal correctionnel pour mineurs spécialement composé.
Composé d’au moins un juge des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs sera compétent : - pour les mineurs devenus majeurs au moment du jugement, les mineurs poursuivis avec des majeurs et les mineurs de 16 à 18 ans en état de nouvelle récidive. Il ne pourra alors être saisi que par le juge des mineurs ou le juge d’instruction. - pour les infractions commises par des jeunes majeurs au cours de l’année suivant leur majorité. Il sera dans cette hypothèse saisi par le juge d’instruction ou par le parquet.”

Cette proposition, je le dis, est des plus surprenante. Je ne disconviens pas de l’intérêt d’une progressivité de la sanction (ce que l’on fait au quotidien) mais j’y vois ici un retour en arrière sans précédent. Non seulement le mineur n’est plus jugé par une juridiction spécialisée pour mineurs (si elle est composée d’un seul juge des enfants, ce n’est pas une juridiction spécialisée ; par ailleurs le Juge des Enfants pourra ne rien connaître de la situation du jeune) mais en plus on permet son jugement avec des majeurs ... Et pourquoi pas demain, dans ces conditions, ne pas prévoir d’incarcérer ensemble majeur et mineur de plus de 16 ans ?

Cette proposition est inutile. Le Tribunal Pour Enfants a toute possibilité d’appliquer les sanctions et peines prévues par la loi. Par ailleurs, si l’on veut réellement favoriser le sort des victimes, commençons par appliquer l’article 6...

Numéro trois : la Cour d’Assises des mineurs compétente pour le tout.

La proposition :

En revanche, le caractère spécialisé de la cour d’assises des mineurs ainsi que la plénitude de juridiction dont elle dispose qui lui permet de juger de faits commis par un même accuse antérieurement et postérieurement à sa majorité et des affaires mixtes mettant en cause des mineurs et des majeurs a été rappelé. Cette réalité a conduit la commission à préconiser qu’elle traite des faits commis par un mineur avant et après ses seize ans si la decision de renvoi l’a saisie de l’ensemble de ces faits.

Actuellement, que se passe-t-il lorsqu’un mineur a commis un crime de l’âge de 15 ans à l’âge de 17 ans ? Vous l’aurez compris, il s’agit dans ces hypothèses de faits de nature sexuelle (viols) et non de crimes de sang (sauf à imaginer un mineur meurtrier en série ...).

Une instruction est obligatoirement menée par un juge d’instruction et, si les charges sont suffisantes, le mineur est renvoyé devant le Tribunal Pour Enfants (pour les faits commis avant ses 16 ans) et devant la cour d’Assises des Mineurs (pour les faits commis postérieurement).

Il n’y a pas d’ordre. Le mineur peut être jugé par la Cour d’Assises avant ou après le procès devant le Tribunal Pour Enfants.

Dernièrement, le Tribunal Pour Enfants que je présidais a ainsi passé une journée entière à entendre des témoins, des experts, le mineur, la famille alors que la Cour d’Assises avait déjà condamné le mineur pour des faits qui étaient dans la continuité complète de ceux commis avant l’âge de 16 ans (mêmes victimes).

Perte de temps incroyable sachant, en plus, que les peines prononcées sont généralement confondues entre elles après pour n’en former qu’une seule[3]...

Cette proposition est intéressante car elle a le mérite de donner plénitude de juridiction à une juridiction déjà spécialisée (la cour d’assises des mineurs), composée de 2 Juges des Enfants et de jurés. Elle évitera des procès à répétition où souvent les mêmes éléments sont débattus (on peut évidemment difficilement passer sous silence ce qui s’est passé avant et après 16 ans ...).



Numéro 4 : le tribunal pour mineurs à juge unique.



La proposition :

Le tribunal des mineurs siégeant a juge unique sera compétent pour le jugement des délits pour lesquels la peine encourue est inférieure ou égale a 5 ans d’emprisonnement. Cependant, les mineurs comparaissant en détention provisoire et les mineurs en état de récidive légale devront obligatoirement être poursuivis devant la juridiction collégiale. Le renvoi devant la juridiction collégiale est de droit sur demande du mineur. Le tribunal des mineurs siégeant à juge unique pourra prononcer des sanctions et des peines.

La commission considère que le tribunal des mineurs statuant à juge unique, tel qu’elle l’a défini, aura vocation à juger une part importante des dossiers, actuellement orientés en chambre du conseil. Le procureur de la République disposera alors de la possibilité de prendre des réquisitions dans des affaires qui aujourd’hui ne lui sont pas soumises et de faire usage plus utilement de son droit d’appel. En effet, le tribunal des mineurs siégeant a juge unique devrait permettre d’audiencer plus facilement ces affaires que devant le tribunal des mineurs siégeant en collégialité.

D’une part, en l’absence des assesseurs, le tribunal des mineurs statuant a juge unique ne suppose que la réunion du personnel judiciaire habituellement présent dans les palais de justice. Ainsi, les audiences du tribunal des mineurs statuant à juge unique pourront être fixées a un rythme plus soutenu.”



Je ne comprends pas le raisonnement[4]. “La commission considère que le tribunal des mineurs statuant à juge unique, tel qu’elle l’a défini, aura vocation à juger une part importante des dossiers, actuellement orientés en chambre du conseil”. Les dossiers orientés actuellement en audience de cabinet et vers le Tribunal Pour Enfants ne se ressemblent pas. Dans le premier cas, on souhaite prononcer des mesures éducatives (parce que les mineurs les méritent), dans le second cas plutôt des peines (même si les mesures éducatives restent possibles). Je ne vois donc pas bien pourquoi créer ces nouvelles audiences à juge unique.

les audiences du tribunal des mineurs statuant a juge unique pourront être fixées a un rythme plus soutenu”. Les assesseurs nous font perdre du temps, c’est cela ? Si c’est cela (car ça y ressemble) disons le, plutôt que de faire croire que Juge des Enfants seul sera bien plus performant. Ah oui, j’oubliais ! Il ira forcément plus vite car :
- un vol avec effraction, c’est 5 ans d’emprisonnement encouru (donc juge unique) ;
- un vol avec effraction et en réunion, c’est 7 ans (donc présence de 2 assesseurs).
Le temps d’examen du dossier dans les 2 cas doit et devra être le même, sous peine de faire de “l’abattage” comme cela arrive dans certaines audiences pour majeurs.



Numéro 5 : élaboration d’un code spécifique.



Il serait intitulé “Code de la justice pénale des mineurs” recouvrant ainsi l’ensemble des dispositions de droit pénal et de procédure pénale applicables aux mineurs.

Jusqu’à présent, les Juges des Enfants ouvraient leur code pénal (celui qui est applicable aux majeurs) et cherchaient vers la fin l’ordonnance du 2 février 1945, figurant parmi de multiples autres textes.

Il est évident que nous étions attachés à ce texte, non pas pour son appellation vieillotte mais pour son symbole. 1945 marque un tournant historique dans le droit des mineurs.

Malheureusement, très régulièrement, on nous servait la même soupe ! “Mais les mineurs de 1945 ne sont plus les mineurs d’aujourd’hui ...”. Ah, bon j’avais pas remarqué ...Et le citoyen de 1958, il ressemble à celui d’aujourd’hui ?

Autant dire que cette connotation ancienne (bien que le texte ait toujours été adapté à son époque[5]) facilitait le message public tendant à discréditer le droit des mineurs et à militer pour sa réforme en profondeur.

Ce code aura le mérite de regrouper tous les textes concernant le droit pénal des mineurs et donnera ainsi, au moins en apparence, le sentiment de “neuf” ou de “modernité”.

Notes

[1] NdEolas : Abrogé en 1994, remplacé par un nouveau code entré en vigueur le 1er mars 1994.

[2] Je rappelle que la majorité pénale à 18 ans date de 1906, avant elle était à 16 ans. NdA.

[3] NdEolas : quand une juridiction confond des peines, elle ne se trompe nullement. La confusion de peine (du latin fondre ensemble) consiste à ordonner que des peines prononcées par des juridictions différentes pour des faits distincts mais non commis en récidive s'exécuteront simultanément et non successivement.

[4] NdEolas : Moi, je le comprends trop bien.

[5] NdEolas : L'ordonnance de 1945 a été réformée 34 fois en 63 ans, dont 12 fois ces dix dernières années, les dernières fois en août 2007, mars 2007 (deux fois, le même jour !), janvier 2005 et mars 2004 rien que par l'actuelle majorité.

mardi 2 décembre 2008

Est-ce bien raisonnable ?

Par Dadouche


Ayant depuis peu lancé mon propre élevage de taupes, je dispose, tout frais tout chaud, du rapport de la Commission Varinard [1]de Réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, intitulé « Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs ».

Bon, soyons modeste, vu les fautes de frappe et la mise en page défaillante du document dont je dispose, ce n'est pas la version qui atterrira sur la bureau de la Garde des Sceaux (que mille bénédictions pleuvent sur ses invitations à déjeûner). Mais presque.

Rappelons à titre liminaire la mission assignée à cette commission :

La lettre de mission adressée par la Ministre au Président de cette commission assigne au groupe de travail trois axes de réflexion :

  • assurer une meilleure lisibilité des dispositions applicables aux mineurs,
  • renforcer la responsabilisation des mineurs notamment en fixant un âge minimum de responsabilité des mineurs et en assurant une réponse pénale adaptée et une sanction adéquate graduée et compréhensive par tous,
  • revoir la procédure et le régime pénal applicables aux mineurs.

Alors, il dit quoi ce rapport "raisonnable" ? Je vais le détailler ci-dessous.
Ce ne sont pas des appréciations de fond, mais uniquement des éléments factuels, éclairés éventuellement par la situation existante, pour nourrir le débat au delà des gros titres

En ce qui me concerne, j'y trouve des propositions intéressantes, voire pour certaines attendues des praticiens. D'autres me laissent plus dubitative.

Il est intéressant de noter que la commission s'est fixée comme objectif de formuler des propositions "raisonnables", adjectif qui traduit précisément la volonté de la commission de proposer des réformes efficaces mais constitutionnellement acceptables et susceptibles d’être comprises par le plus grand nombre dans un domaine qui suscite les passions.
En principe donc, pas de révolution, mais des "innovations fondamentales". Voyons voir ça...

Notes

[1] la composition se trouve ici

Lire la suite...

lundi 1 décembre 2008

La réforme du droit des mineurs (Acte I)

Par Justice, juge des enfants, qui avait déjà pris la plume lors de la journée du 23 octobre


La commission mandatée par la garde des sceaux, Rachida Dati, pour réformer la justice des mineurs n’a pas encore rendu son rapport et pourtant, déjà, certaines de ses préconisations (et pas des moindres) sont connues à en croire la presse

Fuite volontaire pour lancer d’ores et déjà le débat et sonder le pouls de l’opinion publique ou fuite involontaire ?

Nous ne le saurons pas. A chacun de se faire son opinion... Quoi qu’il en soit, la garde des Sceaux tranchera et elle annonce un projet de loi pour juin 2009, donc avant la rentrée des classes ... Ceci est bien évidemment une pointe d’humour de ma part car nous avons compris (on n'arrête pas de nous le dire) que nous ne parlions plus d’enfants mais de mineurs !

Et pourtant ... Enfants, vous avez dit enfants ?

Si le juge des enfants et le tribunal pour enfants ont de bonnes changes de changer de noms (pour juge des mineurs et tribunal pour mineurs), on parle bien d’enfants en ce moment avec les moins de 13 ans...

Ils font la une, ces 3407 enfants (sur 85.596) dont le Juge des Enfants a été saisi en 2006 (source : les chiffres clés de la Justice - octobre 2007)

Ceux de 12 ans pourraient aller en prison. Voici la proposition que l'on lance à l'opinion ! Pour la convaincre ? Parlons des mineurs de 12 ans criminels ... Qui va contester qu'un criminel de 12 ans ne doit pas être condamné, comme quiconque, à une peine de prison.

Et bien moi !

Oui, notre démocratie s'est contruite sur des fondamentaux. Des fondamentaux éprouvés qui font sa force. On n'incarcère pas un malade mental (même si l'on voit périodiquement que l'on aimerait bien ...), on ne juge pas un mineur comme un adulte (même si on s'en rapproche de plus en plus à partir de 16 ans ...). Les raisons sont profondes ; trop longues à exposer ici.

Sur les mineurs, l'autre fondamental est qu'un mineur de 13/16 ans ne peut, au maximum, qu'être condamné à la moitié de la peine qui serait prononcée pour un majeur. C'est ce qui est dit depuis 1945 et qui se justifie pas l'immaturité de ces jeunes en cours de construction.

Un enfant (excusez le lapsus !) ... un mineur, disais-je, en dessous de 13 ans ne peut pas encourir une peine. Donc, pas de prison ; seulement des mesures éducatives pour s'occuper d'eux intensément (évidemment, dans la réalité, ce n'est pas le cas faute de moyens suffisants ... mais ça, c'est un autre problème)

Pourquoi ? Parce qu'il y a une limite à fixer sinon on va enfermer des gamins alors qu'ils sont avant tout victimes de leurs conditions d'éducation (vous connaissez bcp d'enfants de 12 ans que l'on peut qualifier de gros délinquants sans que les regards ne se tournent vers leurs parents ??? eh bien non. C'est pour cela que le juge intervient aussi dans le domaine de l'assistance éducativeet qu'il peut aussi prononcer des mesures éducatives au pénal) et que la société a le devoir de les sauver. Comment ? en leur rappelant la loi, les règles et en les rééduquant (le mot est vilain) par des moyens éducatifs.

La prison n'a jamais été un moyen éducatif permettant à un jeune de réapprendre les valeurs et d'avancer vers l'avenir.

Elle est malheureusement nécessaire parfois. Mais de grâce, laissez ces enfants de 12 ans en dehors du système carcéral et ne laissez pas croire que tout est fichu pour eux à cet âge.

Mais ce sont des criminels, me direz vous ?

Parmi les 203 700 mineurs mis en cause par la police en 2006, 1,3 % étaient impliqués dans des actes criminels. Chaque année, une cinquantaine d'adolescents de moins de treize ans sont condamnés pour crimes, et environ 500 jeunes de 13 à 18 ans.

(Source : l’article du monde susmentionné).

D’où provient ce chiffre d’une cinquantaine de mineurs de moins de 13 ans qui auraient été reconnus coupables de crime ? Nul ne le sait. De quels crimes parle-t-on ? Parce que des enfants qui ont été abusés et qui abusent à leur tour, cela existe et j'en ai vus, comme tous les juges des enfants. Des braqueurs ou des assassins à cet âge, ça devient rarissime...

Je croyais, de façon simpliste, que la commission allait (seulement) fixer un âge en deçà duquel l'enfant ne pourrait pas être pénalement responsable d'une infraction. C'est une demande légitime de l'Europe de fixer un âge fixe et non pas variable en fonction du discernement (comme c'est le cas en france).

Au lieu de faire juste ça, on propose de pouvoir condamner des gamins de 12 ans et d'abandonner le volet éducatif du juge des enfants au pénal au profit des départements ...

lundi 24 novembre 2008

J’y pensais, même en me rasant…

Par Guile, élève avocat, qui vous propose de découvrir de l'intérieur comment on devient avocat, une fois réussi l'examen d'accès au Centre Régional de Formation des Avocats (CRFPA).


11, 56… Et oui, devenir avocat, cela commence comme ça : Par une note, vécue comme le Saint Graal après plusieurs mois de dur labeur. Je passerais bien entendu sur les épreuves d’entrée à l’école des avocats, qui, dans le fond, ne présentent pas grand intérêt pour vous lecteurs, puisqu’elles restent assez théoriques, quoiqu’on en dise.

Ce jour là, devant le panneau des résultats, l’étudiant en droit, encore naïf et épuisé par ses longues heures de révisions, croit bêtement avoir fait le plus dur. Que nenni, il lui reste encore à subir une longue période initiatique, appelée formation initiale (que l’on oppose à la formation continue qui est de 20H par an pour les « Maîtres ») à laquelle les apprentis Jedi n’ont rien à envier. Ce périple dure 18 mois en théorie, mais 20 à 22 en pratique. En effet, l’élève avocat (tel est son nom une fois qu’il a intégré l’école des avocats de sa région) doit passer par trois étapes de 6 mois chacune, plus une petite surprise finale.

Ainsi, on parle de la période d’enseignement, de la période de PPI (Projet Pédagogique Individuel), et de la période dite de « stage cabinet ». A l’issue de ses trois phases, se joint l’ultime étape faite d’angoisses et de réminiscence de l’entrée à l’école, le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat). Comme si l’examen d’entrée, qui a perdu son appellation de concours lors de la réforme (les étudiants restant persuadés qu’il s’agit d’un concours caché…), n’était pas suffisant pour juger de votre capacité à devenir avocat, le législateur a tout prévu : Un examen d’entrée dans la profession après un examen d’entrée à l’école. Vous suivez toujours ?

Chronologiquement, l’élève avocat a la chance d’entamer son parcours de jeune padawan par les 6 mois d’enseignement. Cette étape se décompose en deux parties (et oui le juriste reste binaire jusqu’au bout), puisque l’enseignement à l’école des avocats commence par une première partie dite « générale », qui est suivie d’une seconde dite « optionnelle » (Je précise que ce n’est pas le cas dans toutes les écoles, mais je ne m’aventurerais pas à les comparer).

Je sens déjà que vous vous demandez à quoi sert cet enseignement ? Vous pouvez, puisque de longues années d’études nous ont façonnées, pour ne pas dire formaté. En réalité, le droit n’est pas la seule chose à savoir pour devenir avocat, loin s’en faut. Ainsi, l’élève découvre les règles propres à la profession, comme la déontologie, ou les règles fiscales régissant les professions libérales et apprend à bafouiller (euh plaider pardon). Bien sûr, l’élève avocat continue de parfaire sa formation juridique, pour ne pas oublier tout ce qu’il a mis si longtemps à retenir, au risque de l’overdose législative d’ailleurs.

De cette période, je ne retiendrais qu’une chose : le « Petit Serment ». Il s’agit d’une prestation de Serment qui engage les élèves avocats à respecter certaines règles déontologiques durant leurs stages, notamment le secret professionnel.

Comment décrire ce moment sans avoir l’air d’un adolescent boutonneux devant son nouveau jeu vidéo… Grandiose, solennel, et impressionnant : Cour d’appel, réquisitions de l’avocat général, et Serment debout, un par un, dans une magnifique salle d’audience en noyer massif. J’avoue en garder un souvenir impérissable. J’ai hâte de vivre la « vraie » prestation de Serment, pour vibrer un peu plus….

Ensuite vient la période de PPI. Très simplement il s’agit d’un stage dans « tout sauf un cabinet d’avocat ». Paraît-il, cela ouvre l’esprit de l’apprenti avocat, vers d’autres professions et d’autres méthodes de travail. Ce stage permet une assez grande marge de manœuvre, puisque tout est possible ou presque (l’ostréiculture n’ayant qu’un lointain rapport avec le droit, cela est exclu). De nombreux élèves choisissent de passer cette période de 6 mois en juridiction. L’avantage, c’est qu’on voit l’envers du décor, qu’on découvre très vite ce que les magistrats aiment ou n’aiment pas chez les avocats et que raconter les anecdotes des arcanes de la Justice en famille, c’est toujours plus croustillant que de parler de ses professeurs. Inconvénient : pas de gratification de stage. Quand on vous dit que la Justice n’a pas de budget…

D’autres préfèrent les entreprises, ou les autres professionnels du droit (qui vont d’ailleurs bientôt disparaître pour certains d’entre eux, rappelons-le). C’est également intéressant, car l’élève avocat va enfin avoir une approche concrète des problèmes juridiques posés dans la « vraie vie » (En effet, à l’Université nous avons été bercés aux cas pratiques avec dans le rôle du méchant M. Lescroc et de la victime, Mme Lablonde).

Cette période est notée, évidemment, et fait l’objet d’un rapport de stage.

Enfin, pour finir (pas tout à fait, vous comprendrez pourquoi), l’élève avocat, devenu « avocat-stagiaire » dès son passage par l’étape PPI, doit terminer par un stage en cabinet d’avocats pour une durée de 6 mois également.

Ce stage fait un peu office de « période d’essai » pour les recruteurs. Du coup, contrepartie oblige, ils sont très regardants sur le bétail qu’ils emploient. C’est un peu celui qui sera la meilleure bête à concours, qui trouvera une place dans les meilleurs cabinets. Ce stage fait l’objet de recherches approfondies de la part des élèves avocats, à tel point que le harcèlement téléphonique des cabinets devient règle. On en oublierait presque les principes élémentaires de politesse… A force d’expérience, je dois dire, qu’on arrive à maîtriser parfaitement l’Art de la lettre de motivation et du CV trafiqué (euh mis en valeur, pardon).

Durant ces 6 mois, le stagiaire est en véritable immersion dans son futur univers professionnel. C’est formidable, me direz vous, mais pas pour tout le monde. Certains étant victimes de la terreur infligée par leur patron, d’autres n’ayant pas eu de tâches intéressantes à accomplir mais maîtrisant parfaitement la machine à café. (6 mois à ses côtés, ça aide)

Pour les futurs élèves, je vous rassure, ces cas ne sont pas légion, et dans l’ensemble, cela se passe plutôt bien et reste très formateur pour l’apprenti. Cette période est également notée et doit être retranscrite sur un rapport de stage.

Contrairement à certains stages PPI (période précédente), celui ci est rémunéré. La gratification du stagiaire est liée à la taille du cabinet d’avocats et du nombre de salariés non-avocat qui le compose. En gros, la fourchette va de 60% du SMIC à 85%. Bref, c’est pas énorme, mais c’est déjà ça, surtout qu’on est encore loin d’être aussi efficace qu’un collaborateur en exercice.

Après tout ça, me direz vous, le parcours du combattant étant terminé, il n’y a plus qu’à prêter serment, et c’est parti… Et bien non.

Comme je l’ai dit plus haut, il reste un dernier examen de passage, pour embrasser enfin la profession d’avocat. Le CAPA. Pour beaucoup, c’est juste une formalité, enfin en apparence, puisque le taux de réussite est très élevé. (Je crois que dans mon Centre de formation, il est de 98%). Le problème, c’est que les impétrants sortent d’une période de stage, et l’enseignement, notamment de déontologie, est derrière eux depuis plus d’un an. Bref, pas facile de se souvenir de ce que le Bâtonnier a raconté sur le secret des correspondances ou sur le conflit d’intérêt.

Enfin, il arrive parfois que les rapports de stage posent problème, et ne soient pas très bien notés (souvent en raison du travail de rédaction insuffisant paraît-il). Je vous rassure, il existe un rattrapage qui oblige l’élève ayant échoué à se refaire ses rapports de stages si ces derniers ont été mal notés !!!

La conclusion de ce parcours interminable, est la fameuse Prestation de Serment. Chaque élève ayant réussi prêtera Serment dans son Barreau de rattachement et prononcera la formule consacrée : « Je jure comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité, humanité ». Etant superstitieux et n’étant pas encore parvenu à cette ultime étape, je préfère laisser les avocats en exercice vous raconter cet instant, magique d’après ce que j’en sais.

Voilà, je crois avoir fait le tour de ce qu’est la formation initiale. Il m’a semblé important que ce soit raconté par un apprenti avocat qui vit cela de l’intérieur, pour vous montrer que ce métier, on ne le choisit pas par hasard pour accepter tout ça.

mercredi 19 novembre 2008

Prix Busiris attribué à Brice Hortefeux

Si André Ride a échoué au pied du podium, c'est quatre à quatre que Brice Hortefeux a grimpé les trois marches pour arriver au sommet et recevoir un prix bien mérité, conquis de haute lutte ce matin sur RTL, face à Jean-Michel Aphatie. Brice Hortefeux sur RTL le 23 juillet 2008

Les propos récompensés sont les suivants. Ils ont été prononcés dans le cadre d'une interview relative à une affaire révélée par la station luxembourgeoise d'une femme camerounaise menacée de reconduite à la frontière à la suite du décès de son enfant français (je détaille les faits plus bas).

Après avoir affirmé d'entrée de jeu au début de l'interview (ce sont ses premières paroles hormis le bonjour adressé à son hôte), en réponse à la question « Y avait-il eu erreur d'appréciation de la part du préfet ? » :

Tout d'abord, en terme d'erreur, je voudrais soulever un point de forme. (…) Qu'est-ce que j'ai entendu hier à l'antenne de RTL ? (…) Une affirmation assénée… assénée concernant effectivement la situation d'une jeune femme étrangère, affirmation assénée sans vérification préalable, sans contact avec les services préfectoraux, des Hauts de Seine, comme vous venez de le citer, sans interrogation auprès de mon ministère[1] et un reportage donnant la parole à tous sauf à l'administration ;

le Ministre de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale et du développement solidaire (M3I pour les intimes et les paresseux ; je suis les deux) finit par conclure :

Le rôle d'un ministre (…) est de rectifier les dysfonctionnements de l'administration quand il y en a (…) et j'ai donc décidé de confirmer l'autorisation de séjour de l'intéressé.

Tenez, je vous ai fait le montage.

Décomposons les composants du prix : l'affirmation juridiquement aberrante, c'est tout simplement celle du dysfonctionnement. La préfecture a parfaitement appliqué la loi en la matière. L'article R. 313-36 du CESEDA impose à l'étranger de justifier à chaque renouvellement annuel de sa carte de séjour qu'il remplit toujours les conditions de sa délivrance, faute de quoi ce renouvellement peut être refusé, et en pratique l'est systématiquement. On comprend que le ministre ait du mal à assumer publiquement la politique en la matière quand elle frappe des mères frappées par la perte de leur enfant, mais la qualifier de dysfonctionnement est faux, et pas très charitable pour ce pauvre préfet des Hauts de Seine (comme s'il n'avait pas assez de moi pour lui faire des malheurs). Ce qui caractérise la mauvaise foi.

La contradiction se résume par le rapprochement des propos : le problème qui a fâché Brice tout rouge, c'est que RTL ait « asséné » qu'il y avait un problème et n'ait pas demandé à la préfecture de s'exprimer. Mais bon, c'est vrai, il y a bel et bien eu un problème qui a obligé le ministre à intervenir pour le réparer.

L'opportunité politique est manifeste, et est admirablement mise en valeur par cette inutile charge contre les journalistes qui en l'occurrence ont bien fait leur travail (et je suis prêt à parier que le journaliste avait appelé la préfecture des Hauts de Seine qui n'a pas souhaité faire de déclaration et a dû l'inviter à appeler le patron, selon une technique de transfert hiérarchique grâcieux qu'en droit administratif on appelle la patate chaude).

Détaillons un peu le droit en la matière pour édifier notre ministre bien aimé, avant de conclure, après toutes ces railleries, par un petit hommage qu'il mérite néanmoins.

Il s'agit donc d'une femme camerounaise arrivée irrégulièrement (c'est à dire sans visa) en France en 2001, et qui a été régularisée en 2004 à la suite de la naissance de son enfant, né d'un père français et donc lui-même français. En tant que mère d'un enfant français, elle bénéficiait d'un droit au séjour, issu de l'article L.313-11, 6° du CESEDA.

Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (…)

6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 [être entré en France muni d'un visa long séjour] soit exigée.

Notons pour les adeptes de la théorie des clandestins pondeurs qu'il ne suffit pas d'avoir un enfant né en France pour être régularisé : il faut que cet enfant soit lui même français, donc que son père soit français (art. 18 du Code civil) ou né en France et que l'enfant soit aussi né en France (art. 19-3 du Code civil), et qu'il faut prouver à la préfecture que l'on participe effectivement à l'éducation de l'enfant (pension alimentaire, droit de visite et d'hébergement). Car ne croyez pas qu'être français suffise en soi à pouvoir grandir auprès de ses deux parents quand on a eu le mauvais goût d'avoir un des deux étranger (étranger hors Union Européenne s'entend).

Dans notre affaire, un titre de séjour avait été délivré à la mère de l'enfant. Malheureusement, le nourrisson est mort à l'âge de trois mois d'une infection. Néanmoins, le titre de séjour de cette dame a été régulièrement renouvelé. Pourquoi ? Je l'ignore. Juridiquement, la préfecture n'avait à compter du décès de l'enfant plus aucune obligation de renouveler ce titre. Elle pouvait néanmoins le faire, je rappelle que l'administration est libre de régulariser qui elle souhaite sans avoir à s'en justifier.

Arrive 2008 et le préfet des Hauts de Seine s'avise que le bambin est mort. Il prend donc une décision de refus de renouvellement du titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français sous un délai d'un mois. Cette décision peut faire l'objet d'un recours suspensif dans le délai d'un mois qui doit être jugé dans un délai de trois mois (pourquoi ? Parce que le législateur a décidé que rien n'était plus urgent pour les tribunaux administratifs que le contentieux des étrangers qui veulent rester. Le contentieux fiscal ? Le contentieux des marchés publics ? Le contentieux de l'indemnisation des victimes de transfusion et des accidents médicaux ? Ils peuvent bien patienter un an de plus.).

A priori, cette décision paraît légale. Sous réserve de la situation actuelle de cette dame (qui a eu deux autres enfants mais qui ne sont pas français précise Jean-Michel Aphatie en début d'interview, ce qui en soi ne crée aucun droit au séjour) et surtout que la préfecture n'ait pas délivré une carte de séjour en connaissant le décès de l'enfant : la jurisprudence ne permet pas à la préfecture de revenir sur une telle délivrance discrétionnaire par application de la théorie des droits acquis : CAA Douai, 20 déc. 2002, n°01DA00657, Kalloga. Mais le ministre emploie le terme d'autorisation de séjour, ce qui laisse à penser qu'en fait, la préfecture avait délivré des titres provisoires à répétition pendant la durée de l'examen de la demande de carte de séjour. Mais là, je commence à faire de la divination, et ce n'est pas toujours mon fort.

Nouvelle illustration du caractère rigoureux jusqu'à l'absurde du droit des étrangers en France. Que ce soit une mère qui a perdu son enfant, une veuve, une femme battue si elle a le malheur d'être algérienne (non pas que les femmes d'une autre nationalité soient bien mieux protégées), ou un étranger déjà en partance pour chez lui, tout est bon pour atteindre les 26000 expulsions par an.

Un hommage néanmoins à Brice Hortefeux. Malgré la maladresse de la forme, justement récompensée par ce prix, ce qu'il a fait, user de son pouvoir hiérarchique pour tempérer une application rigoureuse mais selon toute vraisemblance légale de la loi, c'est très bien. Éviter des mois de procédure à cette femme qui ne fait de mal à personne et élève ses deux enfants en essayant de se remettre de l'insurmontable, cela mérite malgré toute mon ironie un coup de chapeau et un merci pour elle.

Notes

[1] Ce qui est accessoirement inexact, le M3I avait été contacté la veille par RTL et avait répondu qu'il désirait s'informer de ce dossier avant de répondre officiellement.

lundi 3 novembre 2008

Non, le président de la République ne peut pas accorder l'asile

La semaine dernière, la France annonçait qu'elle était prête à accueillir un guerillero des FARC, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, qui avait déserté, emmenant avec lui un député démocratiquement élu kidnappé au nom du peuple.

Il existe une certaine ambiguïté sur la nature de cet accueil, et les propos rapportés par Le Point ne sont pas là pour éclairer :

La présidence de la République réaffirme sa volonté d'accueillir en France l'ex-guérillero Isaza , qui a permis la libération d'Oscar Lizcano, otage durant huit ans. Lundi matin, pourtant, une précision apportée par l'Élysée selon laquelle l'accueil se ferait "sous réserve de vérification de sa situation judiciaire" avait semé le doute sur l'octroi de l'asile politique à ce membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).

Jointe par lepoint.fr à ce sujet, la présidence explique : "Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc, mais à condition qu'ils soient repentis, et qu'ils ne soient pas sous le coup de procédures judiciaires où que ce soit dans le monde, notamment en Colombie et aux États-Unis." Toujours selon l'Élysée, ces restrictions ne posent pas de problème particulier. Il s'agit juste de s'assurer que le guérillero "bénéficie d'une loi sur les repentis votée par la Colombie qui a saisi l'équivalent du procureur général de Colombie pour en décider. C'est une question de procédure judiciaire".

Une phrase ne peut que me faire tiquer : « Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc ». Certes, la précision quant à l'absence de poursuites judiciaires à l'encontre d'Isaza, le geôlier repenti, ne remet pas en cause l'engagement du président de la République. C'est autre chose qui le remet en question.

Car l'asile politique échappe à l'État, et donc à son chef, qui a décidément bien du mal avec la notion d'indépendance à son égard.

Rappelons d'abord brièvement l'histoire du droit d'asile.

Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas d'instrument international unique visant à la protection des réfugiés. Chacun faisait ce qu'il voulait chez lui, et globalement, la France n'a pas démérité. C'est au début du XXe siècle que se pose la question de l'accueil des réfugiés, avec l'arrivée massive de deux émigrations dues à la fuite face à l'oppression : les Arméniens, à partir de 1915, et les Russes, à partir de 1917. La France créera deux offices de protection pour chacune de ces nationalité ; pour la petite histoire, l'office de protection des réfugiés russes s'est installé dans les locaux du Consulat de Russie, le Consul récemment nommé par le Tsar étant nommé président de cet office, étant le mieux placé pour traiter les demandes et distinguer les vrais réfugiés des agents envoyés par le nouveau pouvoir pour liquider des opposants politiques.

Dans les années 30, c'est l'arrivée encore plus massive d'Espagnols qui va conduire à la fusion des différents offices en un seul, chargé de traiter toutes les demandes de toutes les nationalités. Là encore, pour la petite histoire, cette fusion a entraîné une cohabitation difficile entre le service en charge des Russes et celui en charge des Républicains espagnols, situés à deux étages du même bâtiment, les premiers étant aussi blancs que les seconds étaient rouges.

Après la seconde guerre mondiale, la question des réfugiés a acquis une toute autre dimension. C'est par millions que l'Europe faisait face à des populations déplacées, certaines chassées par les nazis de pays désormais occupés par les soviétiques. Une convention va être signée à Genève le 28 juillet 1951 pour donner un statut spécifique et unique aux réfugiés, et leur donner les mêmes garanties où qu'ils se trouvent. Le Haut Commissariat des nations Unis aux Réfugiés (UNHCR) est créé à cette occasion.

Le principe est que tout État signataire doit accorder le statut de réfugié à toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

La France a unilatéralement élargi ses obligations et a créé une deuxième catégorie ouvrant droit au statut de réfugié, la protection subsidiaire (autrefois appelée l'asile territorial), qui concerne

toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :

a) La peine de mort ;

b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.

Article L.721-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Cependant, et c'est ici très important, tant la Convention de Genève que le CESEDA prévoit que des personnes répondant à ces critères se voient retirer ce droit si, s'agissant du droit d'asile, i lexiste des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;



b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;



c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

(Convention de Genève de 1951, article 1,F.)

et s'agissant de la protection subsidiaire, s'il existe des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;

b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;

c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;

d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

CESEDA, article L.721-2.

D'où les prudentes réserves de la France quant à la virginité de son casier judiciaire. Notre joyeux guerillero entre en effet très probablement dans les clauses d'exclusion du statut de réfugié (ne serait-ce que parce que la séquestration est un crime), et appartient plus à la catégorie des bourreaux qu'à celle des victimes que le statut de réfugié est censé protéger.

Ce statut est, en France, octroyé par un Établissement public spécialisé, l'Office Français de de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), sis à Fontenay-Sous-Bois dans le Val de Marne (). Cet établissement, rattaché traditionnellement au ministère des affaires étrangères, et depuis peu au ministère de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale, du développement solidaire et des crêpes au jambon, jouit d'une autonomie administrative et financière, et d'une inviolabilité qui s'apparente à celle d'une organisation internationale (ses archives sont par exemple d'une confidentialité absolue, y compris s'agissant des demandeurs déboutés).

L'OFPRA n'a donc d'ordre à recevoir de personne s'agissant de l'octroi ou du refus du statut de réfugié. Ses décisions de refus peuvent être attaqués devant une juridiction spécialisée, la Cour Nationale du Droit d'Asile, siégeant à Montreuil Sous Bois en Seine Saint Denis ().

Bon, je dois à la vérité de dire que si l'OFPRA n'a pas d'ordre à recevoir, cela ne signifie pas que s'il en reçoit, il ne fait pas montre d'une certaine docilité. C'est avant tout une administration, et son directeur général a une carrière à gérer. Mais que diable, il y a des apparences à respecter.

Est-ce à dire que le Président ne peut rien promettre ?

Du tout. En droit des étrangers, il y a un principe essentiel : l'État est toujours libre de décider qu'Untel peut entrer et séjourner sur son territoire. L'État n'est JAMAIS tenu de refuser un visa ou un titre de séjour. Il est des cas où il est tenu de l'accorder et viole la légalité en le refusant, mais accorder un titre de séjour ne peut JAMAIS violer la légalité.

Simplement, cet étranger aura une carte de séjour, voire de résident (valable dix ans) mais pas le statut de réfugié.

Mais alors, sommes-nous en présence de ce pinaillage que les juristes affectionnent tant, l'Élysée a-t-il employé le terme d'asile pour simplifier, alors qu'il entendait parler d'un simple droit au séjour ?

Que nenni. Le statut de réfugié présente des avantages incomparables à ceux fournis par une simple carte de résident. Outre la liberté de circuler et de travailler; le réfugié jouit du droit à la protection de l'État où il est réfugié. Cette protection s'étend à sa famille proche dès lors qu'elle est exposée à des représailles. Elle lui permet de voyager partout dans le monde sous couvert d'un document de transport équivalent à un passeport, et où qu'elle soit dans le monde, a droit à la protection consulaire de la France comme un de ses ressortissants. Enfin, le réfugié est protégé dans tous les pays signataires de la Convention de Genève contre l'arrestation et l'extradition vers son pays d'origine.

Le statut de simple résident enfermerait de fait l'intéressé dans les frontières françaises, ne le met pas à l'abri d'une demande d'extradition, et peut lui être retiré par l'administration. On comprend qu'il fasse la moue.

Tous ces avantages font que le statut de réfugié est très prisé par les anciens dignitaires de régimes pas très respectueux des droits de l'homme. Pas les chefs d'État, ce ne serait pas discret. Mais vous seriez surpris de voir qui se promène avec une carte de réfugié délivré par la France. Et un peu honteux quand vous saurez que les victimes du régime de ces messieurs se voient, eux refuser la qualité de réfugié. Mais que voulez-vous, la France n'oublie pas ses amis, africains ou mésopotamiens. Et ne voit plus dans le statut de réfugié qu'une pesante et coûteuse obligation, que l'on peut heureusement de temps en temps rentabiliser en en faisant une monnaie d'échange.

lundi 27 octobre 2008

Au secours ! Un homme libre s'est évadé !

Deuxième volet de la contre-attaque médiatique à la Jacquerie des Parlements, l'affaire de cet homme jugé à Montpellier pour viol, et qui a déguerpi avant la fin de l'audience à l'issue de laquelle il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement.

Et là, je vais devoir critiquer la presse, même si ça me coûte, vous le savez, et qu'elle fait tant pour ma notoriété ces derniers temps. Car si je ne lui fais dans son ensemble aucun reproche pour avoir traité l'affaire de la faute de frappe (sauf pour les organes de presse qui ont parlé de récidiviste ou de multirécidiviste, surtout en citant le nom de la personne concernée au mépris de la présomption d'innocence), là, il y a une insuffisance de sa part.

Il est facile de deviner pourquoi ce qui relève de l'anecdote a tant fait parler : après l'erreur de jeudi, cela peut paraître comme une nouvelle bévue, un nouveau violeur remis en liberté par erreur.

Peut paraître. Et là est l'origine de mon mécontentement : le rôle de la presse, plutôt que de s'empresser de relayer une information qui accessoirement est si opportune pour le gouvernement dans sa contre-offensive médiatique à l'égard de la magistrature, est de rechercher où est l'anomalie, quelle erreur a été commise, et qui l'a commise. Cela fait partie intégrante de l'info qui ne peut être comprise sans cette mise en perspective. Sinon, c'est une information partielle qui est relayée et qui peut alimenter les préjugés des lecteurs. Or le rôle de la presse est, par l'information, l'analyse, l'éclairage qu'elle fournit, entre autres d'aider le citoyen à lutter contre ces préjugés.

Car je ne peux pas croire que ce que je vais expliquer soit si difficile à trouver pour un journaliste. Un homme libre est, comment dirais-je ? Libre. Donc un homme libre ne peut pas s'évader, et il n'y a nul dysfonctionnement, nulle faute à l'empêcher d'aller et venir. Et que le priver de cette liberté serait d'ailleurs un délit. C'est la loi qui le dit.

Détaillons.

L'accusé dans cette affaire comparaissait libre. C'est depuis 2000 de plus en plus fréquent.

Avant la loi du 15 juin 2000, le principe était que tout accusé devant la cour d'assises comparaissait détenu. Il devait se constituer prisonnier la veille des débats. C'est ce qu'on appelait la prise de corps. L'avocat de l'accusé pouvait, dès le début des débats, demander à la cour de remettre son client en liberté pour la durée des débats. La sanction était que l'accusé qui ne s'était pas constitué prisonnier n'avait pas le droit d'être défendu par un avocat.

La cour européenne des droits de l'homme n'a pas compris cette marque du génie français d'obliger un homme libre et présumé innocent à se constituer prisonnier sous peine de ne pas être défendu et a trouvé que décidément, cela ne paraissait guère compatible avec la présomption d'innocence. Elle a donc condamné à plusieurs reprises la France, la dernière fois dans un fort humiliant arrêt Papon, car être condamné pour violation des droits de l'homme d'un homme poursuivi pour complicité de crime contre l'humanité peut paraître, d'un point de vue d'exemplarité, quelque peu contre-productif.

Depuis la loi du 15 juin 2000, une personne accusée devant la cour d'assises et qui n'a pas été maintenue en détention à la fin de l'instruction ou remise en liberté entre l'ordonnance de mise en accusation et le jugement comparaît donc libre. Elle entre par la même porte que le public, et le soir rentre chez elle. Et lors des suspensions d'audience, elle peut aller fumer dehors ou boire un café au bistro en face.

C'était le cas de ce monsieur.

Ce n'est qu'à la clôture des débats, après la plaidoirie de l'avocat de la défense et que l'accusé a eu la parole en dernier, que l'accusé est momentanément privé de sa liberté.

L'article 354 du Code de procédure pénale (rédaction issue de la loi du 15 juin 2000) dispose :

Le président fait retirer l'accusé de la salle d'audience. Si l'accusé est libre, il lui enjoint de ne pas quitter le palais de justice pendant la durée du délibéré, en indiquant, le cas échéant, le ou les locaux dans lesquels il doit demeurer, et invite le chef du service d'ordre à veiller au respect de cette injonction.

Avant cela, l'accusé libre est… libre.

Or dans l'affaire de Montpellier, l'accusé, secoué semble-t-il par des réquisitions virulentes de l'avocat général, est sorti de la salle, et après avoir dit à son avocat qu'il ne se sentait pas bien, est parti et n'est pas revenu.

Nul n'avait à ce moment là le pouvoir de l'empêcher de partir. Sauf à violer la loi. Mais ça, ce n'est pas aux juges qu'il faut le demander. Je le sais, j'ai déjà essayé quand je débutais. J'ai arrêté, ça marche pas.

Cet homme ne s'est donc pas évadé, il n'a lui-même violé aucune loi.

Qu'a fait le président de la cour ? Vous ne devinerez jamais. Il a appliqué la loi.

L'article 379-2 du Code pénal, rédaction issue de la loi Perben II du 9 mars 2004 qui a abrogé la procédure de contumace en matière criminelle parce que devinez quoi ? Oui, elle n'était pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Cet article dispose que :

L'accusé absent sans excuse valable à l'ouverture de l'audience est jugé par défaut conformément aux dispositions du présent chapitre. Il en est de même lorsque l'absence de l'accusé est constatée au cours des débats et qu'il n'est pas possible de les suspendre jusqu'à son retour.

La cour pouvait aussi tout arrêter et reprendre à zéro à une session ultérieure : même article, alinéa 2.

Toutefois, la cour peut également décider de renvoyer l'affaire à une session ultérieure, après avoir décerné mandat d'arrêt contre l'accusé si un tel mandat n'a pas déjà été décerné.

Elle n'a pas décidé de le faire, car il y avait d'autres accusés, présents, eux. Elle a donc prononcé une peine par défaut, c'est à dire en l'absence de l'accusé.

S'agissant d'une peine de prison ferme, la cour a décerné mandat d'arrêt, comme la loi lui en fait l'obligation :

Art. 379-3 du CPP :

En cas de condamnation à une peine ferme privative de liberté, la cour décerne mandat d'arrêt contre l'accusé, sauf si celui-ci a déjà été décerné.

Mandat d'arrêt que le parquet général a transformé en mandat d'arrêt européen conformément à l'article 695-16 du CPP.

Que va-t-il se passer par la suite ? Le condamné par défaut ne peut pas faire appel (art. 379-5 du CPP). C'est l'article 379-3 qui règle la question :

Si l'accusé condamné dans les conditions prévues par l'article 379-3 se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par la prescription, l'arrêt de la cour d'assises est non avenu dans toutes ses dispositions et il est procédé à son égard à un nouvel examen de son affaire par la cour d'assises conformément aux dispositions des articles 269 à 379-1.

En effet, l'accusé même couard a droit à deux procès en entier. Il faudra donc le rejuger, et il pourra faire appel s'il le souhaite. Toutefois, il comparaîtra détenu pour ce nouveau procès, le mandat d'arrêt délivré par la cour valant mandat de dépôt jusqu'à sa comparution devant la cour (art. 379-5 alinéa 2), comparution au cours de laquelle son avocat pourra détendre l'atmosphère en présentant une demande mise en liberté qui devrait bien faire rire la cour.

Comme vous le voyez, dans cette affaire, il n'y a eu aucun dysfonctionnement, mais l'application rigoureuse de la loi, votée faut-il le rappeler par l'actuelle majorité.

D'où mon agacement à l'égard du traitement de cette affaire qui est une non affaire. Je ne demande pas à la presse de connaître les subtilités du défaut criminel que je viens de vous expliquer, bien sûr. Vous l'expliquer, c'est mon rôle. Mais avant de se jeter sur l'info en se disant : « Tiens ? Un nouveau dysfonctionnement ! Hop, un article ! », se demander tout simplement : c'est quoi, le dysfonctionnement, au fait ? Car rechercher la réponse, c'était découvrir qu'il n'y en avait eu aucun. Et que les mécontents ne peuvent s'en prendre qu'au législateur ; à tort à mon sens, la loi actuelle sur le défaut criminel est très bien comme ça, c'est avec la réforme de l'application des peines le meilleur de la loi Perben II.

Je ne crois pas être trop exigeant en demandant cela à la presse.


Un petit post-sciptum inspiré par Raven-hs qui me dit que oui, tout cela est bel et bien bon, mais qu'il faut comprendre que l'on peut s'émouvoir de ce qu'une personne, placée en situation d'accusé, puisse lors de son procès disposer pleinement de sa liberté d'aller et venir au point de partir tranquillement du palais de justice.

Je me souviens d'une autre affaire de viol, plus grave, car les faits avaient été commis en réunion, les victimes étaient mineures, et les accusés étaient leurs ascendants. Pourtant, la moitié des accusés avait comparu libre. Et dans cette affaire, ce qui a posé finalement problème, c'est que l'autre moitié ne l'était pas.

C'était l'affaire d'Outreau.

Et je ne me souviens pas, lors de l'audition du juge Burgaud, ou lors de la comparution du procureur Lesigne devant le CSM, qu'une seule voix se soit élevée dans l'opinion publique pour dire : il faut comprendre que l'on aurait pu s'émouvoir que ces personnes, placées en situation d'accusés, pussent disposer de leur liberté d'aller et venir.

Elle est là, la schizophrénie dont se plaint la magistrature.

Libéré par une faute de frappe ?

Il fallait s'y attendre. À l'offensive des magistrats devait répondre une contre-offensive, médiatique bien entendu, puisque sur le terrain de l'argumentation, le général Lefèbvre a démontré que la position était imprenable.

Et quel bonheur d'avoir cette affaire qui tombe à point nommé, d'une personne libérée contre la volonté du juge car celui-ci aurait commis une erreur de rédaction dans son jugement. Cela tombe tellement à point nommé qu'on pourrait croire que c'est fait exprès, mais vous le verrez, je suis convaincu qu'il n'en est rien.

Que s'est-il donc passé ?

N'ayant eu accès à aucune des pièces du dossier, je me fonde sur les éléments donnés par la presse, qui me semblent assez convergents pour en tirer des conclusions fiables. J'insiste sur cette réserve, mes déductions s'étant parfois révélées en partie erronées. Je suis avocat, pas devin.

Une personne était mise en examen pour des faits de viols, l'un accompagné d'une séquestration de la victime et l'autre sous la menace d'une arme.

Le juge d'instruction de Créteil en charge du dossier a estimé début octobre avoir fini son instruction : tout le monde a été interrogé, au besoin confronté, les expertises ont été rendues, le dossier est selon lui prêt à être jugé. Il a donc rendu un avis à partie[1] les informant de cela, ce qui leur ouvre un délai d'un mois pour demander des actes complémentaires qu'elles estimeraient utiles, ou pour présenter des observations sur le sort à réserve à ce dossier (non lieu, mise en accusation devant les assises, requalification en délit et renvoi devant le tribunal correctionnel). Cette phase finale de l'instruction s'appelle le règlement.

Aussitôt, l'avocat de la défense a présenté une demande de mise en liberté. C'est un réflexe. L'article 175 notifié fait disparaître des arguments qui avaient pu justifier la détention provisoire : le risque de concertation frauduleuse, puisque les mis en cause ont été interrogés et confrontés, est moindre voire inexistant ; le risque de pression sur les victimes aussi puisqu'elles aussi ont été entendues, leur témoignage figure au dossier. Bref, tout ce qui consiste à permettre à l'instruction de se dérouler en toute sérénité ne tient plus. L'avocat de la défense provoque donc un débat sur la nécessité de continuer à détenir son client.

Le juge d'instruction qui reçoit la demande la transmet d'abord au procureur de la République, mais il doit donner sa réponse dans un délai de cinq jours, que le procureur ait ou non donné son avis. Puis le juge peut soit remettre en liberté, soit, s'il n'est pas d'accord avec cette mesure, transmettre la demande au juge des libertés et de la détention (JLD) avec son avis motivé, expliquant pourquoi selon lui la détention provisoire s'impose. Le JLD doit statuer dans les trois jours : lui seul peut ordonner le placement, le maintien ou la prolongation en détention provisoire.

L'ordonnance, prise sans débat oral pour aller plus vite, puisque chacun a donne son avis par écrit, peut faire l'objet d'un appel devant la chambre de l'instruction.

C'est précisément ce qui s'est passé. Le juge d'instruction s'est opposé à la libération, a transmis au JLD, qui a rejeté la demande, et l'avocat a fait appel.

L'appel d'un refus de mise en liberté ou de prolongation de la détention doit être examiné dans des délais stricts : 15 jours en principe, porté à 20 jours si le détenu a demandé à comparaître devant la cour (ce délai est de dix jours, porté à 15 en cas de demande de comparution, pour le placement en détention). Le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté d'office.

Dans notre affaire, le délai a été respecté, et le 17 octobre, l'arrêt a été rendu. Et c'est là que l'affaire se noue.

La cour d'appel, ce n'est pas contesté, avait décidé de rejeter l'appel. Le mis en examen devait rester détenu jusqu'à son procès.

Pour comprendre ce qui s'est passé ensuite, une brève explication de ce à quoi ressemble une décision de justice.

Elle se décompose en trois parties : le chapeau, les motifs, le dispositif.

Le chapeau (peut-être les greffiers utilisent-ils un autre terme ?) contient les informations sur la décision et la procédure : la désignation de la juridiction (Cour d'appel de Paris, 5e chambre de l'instruction), le numéro d'enregistrement de l'affaire (n°2008/XXXXX, XXXXX étant le numéro d'ordre de l'affaire ; on approche la 5700e à ce jour), la date de la décision, le nom des parties, des avocats, des magistrats ayant pris la décision, de l'avocat général ayant requis, du greffier rédigeant la décision, et un bref rappel de la procédure (date des demandes et décisions du juge d'instruction et du JLD, dépôt de mémoires par les parties, nom des avocats présents à l'audience).

Les motifs rappellent dans une première partie, le “rappel des faits”, les faits motivant l'instruction, puis dans une deuxième, la “discussion”, expose les arguments des uns et des autres avant d'y répondre et de donner l'opinion de la cour.

Le dispositif clôt la décision. Elle est introduite par les mots « Par ces motifs », et expose en quelques phrases ce qu'ordonne la cour.

Ainsi, tout avocat qui reçoit une décision de justice saute à la dernière page pour lire le « par ces motifs » et savoir s'il a gagné ou perdu. S'il a gagné, il bondit sur son dictaphone pour informer son client. S'il a perdu, il lit les motifs pour voir où le juge s'est trompé.

Un arrêt de chambre d'instruction rendu en matière de détention provisoire peut avoir deux dispositifs (trois, si la demande est irrecevable, si l'appel a été fait hors délai par exemple).

Soit la cour maintient en détention. Le dispositif sera :

PAR CES MOTIFS, Dit l'appel recevable, Confirme l'ordonnance du juge des libertés du …

Soit la cour décide de remettre en liberté :

PAR CES MOTIFS,
Dit l'appel recevable,
Infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du …,
Ordonne la remise en liberté de Monsieur LANDRU Henri Désiré,

La plupart du temps, la mise en liberté s'accompagne d'un placement sous contrôle judiciaire dont les modalités sont énumérées :

Place LANDRU Honoré Désiré sous contrôle judiciaire sous les obligations ci-après :
- Se présenter périodiquement à la gendarmerie de Gambais (Yvelines) ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer de riches veuves, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;
- Ne pas détenir de cuisinière ou de poêle à bois.

Dans notre affaire, l'arrêt rejetant la demande de mise en liberté aurait dû être rédigé comme le premier modèle : par ces motifs, confirme l'ordonnance.

Or à la suite d'une erreur, c'est infirme qui a été écrit. Mais sans plus.

Le greffier n'a pas vu l'erreur et a signé l'arrêt, le président a fait de même, et l'arrêt a été notifié. En effet, pour un œil distrait ou fatigué, le dispositif court, les lettres -nfirme qui le composent, tout cela a l'apparence d'un arrêt de rejet, comme la cour a dû en rendre une dizaine identique le même jour.

Le parquet général, à qui l'arrêt est également notifié, n'a rien vu non plus.

Les parties civiles, à qui l'arrêt est notifié, n'a rien vu non plus (ce qui explique peut-être le ton rageur de leur avocat).

L'avocat de la défense, lui, l'a vu. Et il a fait ce que j'aurais fait, ce que tout avocat de la défense aurait fait : il a serré les fesses pendant cinq jours.

Pourquoi cinq jours ? C'est le délai de pourvoi en cassation contre cet arrêt. Un éventuel pourvoi aurait été incontestablement couronné de succès puisqu'il y a contradiction entre les motifs et le dispositif.

Une fois ce délai expiré (soit : le 17 octobre + 5 jours = 22 octobre, dernier jour pour se pourvoir, +1 = le 23 octobre, la journée d'action des magistrats, par le plus grand des hasards, j'en suis convaincu), il est allé voir le juge d'instruction pour lui faire remarquer qu'il avait une décision définitive infirmant l'ordonnance du JLD. Donc le titre de détention a disparu. Son client est arbitrairement détenu. Soit le juge le remet en liberté, soit il se rend pénalement complice de séquestration arbitraire, et on renvoie des procureurs en correctionnelle pour ça.

Le juge d'instruction n'avait donc pas d'autre choix que d'ordonner la remise en liberté, qu'il a assorti d'un strict contrôle judiciaire.

Quelques questions qui se posent désormais :

Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ?

Je ne sais pas. Ce genre d'erreur est hélas rarissime (il y a un précédent en 1994, c'est tout à ma connaissance), et s'explique en partie par le rythme de galérien imposé aux chambres de l'instruction, qui doivent faire face à un contentieux sans cesse grandissant (il y a des instructions aux parquets leur imposant de requérir la détention dans de plus en plus de types d'affaires, tandis que la loi a élargi les possibilités de recours des détenus, toujours cette schizophrénie dont parlent les juges).

Les jugements et arrêts ne sont-ils pas relus ?

Si, en principe deux fois avant la signature, par le président et le greffier, qui signent la décision, le greffier l'authentifiant en y apposant le sceau de la cour, et plein de fois avant l'expiration du délai de pourvoi, par l'avocat général, les avocats des parties, le juge d'instruction, et le directeur d'établissement à qui la décision est notifiée, qui tous auraient pu tiquer et déclencher le pourvoi. Une enquête administrative s'impose pour identifier l'erreur et éviter qu'elle ne se reproduise. L'Inspection Générale des Services Judiciaires va pouvoir servir à quelque chose.

Pouvait-on éviter cette mise en liberté ?

À partir du 23, à mon sens non. L'arrêt était définitif, et réduisait à néant le titre de détention. Garder cet homme prisonnier, c'était le séquestrer. Or séquestrer, c'est mal, d'ailleurs cet homme était mis en examen pour avoir commis de tels faits, entre autres. J'ai rappelé qu'un magistrat, et pas n'importe lequel, est renvoyé en correctionnelle pour avoir peut-être commis de tels faits.

Le parquet général pouvait former un pourvoi en cassation (suspensif) dans le délai de 5 jours, il ne l'a pas fait. Les parties civiles le pouvaient aussi (art. 568 du CPP), mais elles ne l'ont pas fait.

Et la rectification d'erreur matérielle ?

L'USM prétend que là est le salut. Je disconviens respectueusement.

L'article 710 du CPP prévoit que l'on peut saisir à nouveau la juridiction ayant statué pour « procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ses décisions. »

Purement matérielles. Or la jurisprudence de la cour de cassation en la matière est très claire, transposant d'ailleurs les règles appliquées en matière de rectification d'erreur matérielle en procédure civile : l'erreur purement matérielle ne peut aboutir à changer le sens de la décision. La contrariété entre un dispositif et les motifs d'une décision de justice ne sont susceptibles que de la voie de la cassation, en aucun cas cela ne peut constituer une "erreur matérielle". Le dispositif est la seule partie du jugement qui fait foi jusqu'à inscription de faux et la seule qui a l'autorité de la chose jugée. Voir l'arrêt Crim. 26 juin 1984, solution maintenue lors d'une affaire similaire à celle qui nous occupe le 9 février 1994 et inconfirmée le 17 juin 2003. Un exemple d'erreur matérielle dont la rectification est admise est un jugement qui condamne à payer 1000 au titre du préjudice matériel, 42 millions au titre du préjudice moral et 500 au titre des frais d'avocats alors que le dispositif ne reprend qu'une condamnation totale de 1500 : il s'agit d'une simple erreur d'addition (voir par exemple, pour des montants un peu inférieurs, cet arrêt du 25 février 1991).

La cour, saisie d'une telle requête par le parquet sur instructions expresse du Gouvernement, risque fort de refuser de rectifier son erreur, ce qui permettra une fois de plus de taper sur les magistrats qui osent refuser de violer la loi pour rattraper leurs bévues.

N'est-ce pas scandaleux, horrible, un déni de justice, un nouvel Outreau, un dysfonctionnement sans précédent, comme je l'ai lu dans les commentaires des lecteurs du Figaro.fr ?

Non, loin de là.

Que s'est-il passé ? Un homme, accusé d'avoir commis deux viols, mais toujours présumé innocent faute d'avoir été condamné (Ça ne vous rappelle rien ? Je vous aide : article 9), a été remis en liberté. Je vous la refais en plus court. Un présumé innocent a été remis en liberté. Je voudrais que ça arrive plus souvent, surtout concernant mes clients. Mais ce n'est pas sexy, alors voyez comment on vous le présente.

Un récidiviste, voire un multirécidiste pour 20 minutes (qui à sa décharge semble reprendre le texte d'une dépêche d'agence) a été remis en liberté par erreur. Sous-entendu en ce moment même il doit être en train de violer jusque dans vos bras vos filles et vos compagnes.

NON, NON et NON : il n'est pas récidiviste, faute d'avoir été condamné une deuxième fois, et la première condamnation ne porte pas sur des faits de viols. De plus, cette condamnation antérieure daterait de 2007, soit postérieurement aux faits de viols commis en 2006. Il ne peut donc pas être légalement considéré comme récidiviste. Il n'a JAMAIS réitéré son comportement criminel après avoir été condamné. Il est même parfaitement possible que la condamnation de 2007 ait mis fin à son comportement, et qu'il solde ses dettes pénales.

Ce n'est pas un violeur en série, rien ne permet d'affirmer qu'il va récidiver, même si des expertises médico-psychologiques soulignaient sa dangerosité : on parle de risques, pas de certitudes, et en l'occurrence, ce monsieur n'ayant pas été déclaré dément, la perspective de devoir passer un jour prochain aux assises a de quoi le décourager à passer à nouveau à l'acte.

Y a-t-il faute lourde de l'État engageant sa responsabilité ?

C'est ce que pense l'avocat d'une des parties civiles, qui compte agir très bientôt, annonce-t-il. Mieux vaut tard que jamais. Je me demande toutefois quel préjudice vont invoquer les victimes. La liberté est-elle un préjudice ? La peur des victimes ? Mais si la cour avait décidé de le remettre en liberté, ce préjudice aurait tout autant existé. En fait, il s'agit de la déception de ne pas obtenir ce que l'on souhaite ; ce n'est pas indemnisé par l'État.

En conclusion

Comme je l'ai dit en introduction, ce haro sur le baudet est de bonne guerre, même si l'exploitation qui en est faite, et qui consiste à amplifier les faits (c'est Hannibal Lecter qu'on a libéré…) pour exciter le peuple contre ses juges est infiniment regrettable. Tout comme le sont les propos du président de la République, qui depuis la Chine, a déclaré « Je n'ai pas l'intention qu'on laisse libérer un violeur récidiviste simplement parce quelqu'un a fait une erreur matérielle ». Atteinte à la présomption d'innocence, atteinte à la séparation des pouvoirs, complicité de séquestration arbitraire par instructions… Ah, l'immunité pénale du président, ça a du bon.

Et cette attaque tous azimuts contre la magistrature rebelle fait flèche de tous bois, y compris s'il le faut de manière totalement infondée. Je parle de l'affaire de « l'évadé » de Montpellier.

Mais cela fera l'objet d'un prochain billet, je suis en code jaune.

Notes

[1] Les praticiens disent : “le juge a notifié l'article 175”, car c'est l'article 175 du CPP qui prévoit cela.

jeudi 23 octobre 2008

Billet de dernière minute

Par Jojo, magistrate


Jeudi après midi, je lis les messages des collègues sur votre blog, les piles attendront, le week-end est long.

Je cherchais le message sur Monsieur F., vous aviez fait un tel buzz autour…

Les larmes montent aux yeux. Bon, je suis fatiguée mais je suis payée par l'Etat pour encaisser toute la misère du monde qui défile dans mon bureau.

Alors pourquoi ça coince ?

L'histoire de Monsieur F. met le doigt sur le fait que derrière nos dossiers, nos piles, nos mesures, il y a des gens, un monsieur, la dame, des gosses ...

J'ai choisi ce métier parce que j'aimais les gens justement, que je voulais les aider en servant l’Etat. J'avais 21 ans, j'étais dans la section "administration d'État" à ScPo et je me suis dit que je ne voulais pas être enfermée dans un bureau à rédiger des notes ou des rapports. Pour faire moins niais, je pourrais dire que j'ai choisi le métier de magistrat parce qu'il m'offrait l'opportunité d'exercer tout au long de ma carrière des métiers très différents, en restant indépendante, que j'y emploierais chaque jour mon sens de l'écoute en restant au contact des réalités sociales...

J'aime toujours mes semblables, passionnément, mais je ne suis pas sûre de réussir ce que je voulais en entrant dans la magistrature.

Pour nous titiller, Maître, vous nous demandez si nous sommes timides, oui, sans doute. Et pourtant chaque jour, nous devons prendre la parole, dans ce dossier de divorce très conflictuel, dans ce dossier de tutelles où aboutissent trente ans de tensions familiales... Les collègues ont raconté tout cela très bien.

Chaque jour nous devons parler, dire, expliquer, rappeler pour aider, dénouer, trancher.

J'ai souvent l'impression d'une justice bâclée, parce qu'on nous demande de recevoir les dossiers, situations, mesures, tous les quart d'heure au nom de la sacro-sainte statistique … de l'abattage, est-ce qu'on peut faire de l'abattage sur l'humain ?

Hier, les matinales de France culture et de France Inter étaient consacrées à la médecine. J'ai l'impression que le tribunal et l'hôpital sont tous les deux dans de beaux draps, au nom de l'efficacité, de la rationalité, de la rentabilité, on passe complètement à côté de l'humanité.

Je ne veux pas que les gens m'aiment mais je veux continuer à les aimer, à aimer mon métier, en préservant ma santé et ma dignité. Et pour cela, il faut commencer par conserver celle des justiciables. Parce que les victimes dans tout ça, ce sont certes celles qui sont si chères à notre Président mais c'est aussi ceux qu'on incarcère à trois dans 9m², ceux qui n'ont pas pu raconter l'histoire de leur couple parce qu'on ne leur a pas laissé le temps et qui vont garder ce divorce coincé en travers de la gorge pendant des années parce qu'on ne les a pas écouté, qui par conséquent reviendront une fois, deux fois, trois fois, ceux qui n'ont pas trouvé un fonctionnaire de l'accueil, disponible et formé, pour leur donner les renseignements nécessaires à la préparation de leur affaire, ceux qui tous les jours viennent dans les palais de justice pour attendre cette dernière mais la justice n'y est pas.

Fenotte propose une grève du zèle, la machine ne tournera pas longtemps, elle ne tourne de toutes façons que grâce à toutes les petites mains et les bonnes volontés qui l'habitent, fonctionnaires, greffiers, magistrats, partenaires. Aucune logique de gestion ne pourra jamais rendre la justice plus juste parce que la justice est rendue par des hommes pour des hommes.

Je ne veux pas le pouvoir ou l'argent, je veux continuer à aimer les gens, pour lesquels je travaille, et au nom desquels, chaque jour, je tâche de rendre la justice.

Qui suis-je ou vais-je et dans quel état j'erre ?

Par Petit Pois, substitut


Depuis huit ans, je suis une petite main de la Justice pénale. Substitut du procureur dans une ville moyenne du sud de la France qui figure régulièrement au bas des hit-parades des villes criminogènes comme on dit dans les gazettes, je tente, à mon petit niveau et avec mes petits moyens d'apporter une réponse à une délinquance de masse que ni moi, ni mes collègues, ni la police, aussi nombreuse et équipée soit elle, n'endiguerons pas. C'est la délinquance de la misère et du malaise social. Eh oui, dans le sud on a du soleil, mais contrairement à ce que chantait Aznavour, la misère n'est pas moins pénible au soleil.

La misère elle est aussi dans mon tribunal, comme dans tous ceux que j'ai fréquentés jusqu'ici : plein comme un oeuf, des cartons d'archives jusque dans les couloirs. Dans les réunions auxquelles j'assiste à la Mairie, à la préfecture, on me demande les coordonnées de mon secrétariat et je suis obligé d'expliquer que ma secrétaire, c'est ma main droite parce qu'il n'y a que le procureur qui a une secrétaire.

Mais ça, ce n'est pas le problème. Quand j'ai passé le concours d'entrée dans la magistrature, le budget de la Justice était déjà parmi les derniers d'Europe et, comme la plupart de mes collègues, je n'ai pas décidé de devenir magistrat pour m'enrichir, simplement pour essayer d'être utile. Utile à ces victimes dont parle si souvent Rachida Dati mais que, contrairement à elle, je croise tous les jours dans les salles d'audience. Utile à la société en essayant de trouver dans l'arsenal législatif les moyens d'éviter que l'auteur d'une infraction en commette une autre. Utile à mon prochain en essayant de contribuer à lui permettre de vivre en sécurité dans la même ville que moi.

Pendant la moitié de ma carrière, j'ai été substitut des mineurs. Parce que c'est usant, qu'il faut beaucoup de patience pour ne pas mettre des claques, aux mineurs parfois, à leurs parents souvent, c'est un contentieux dont les anciens se débarassent souvent au profit des jeunes magistrats. J'ai croisé beaucoup de gamins paumés, laissés à eux même par des parents absents ou inexistants, d'autres qui reproduisaient dans la rue la violence de la maison, quelques uns qui relevaient déjà plus du psy que du juge et beaucoup qui avaient besoin qu'on leur donne un cadre, qu'on jugule une crise d'adolescence.

J'en ai fait envoyer en prison, comme ma collègue de SARREGUEMINES, et je ne le regrette pas parce qu'à un instant T, dans la vie d'un adolescent qui accumule les actes de délinquance c'est quelque chose qui peut avoir un sens. Un sens parce que ce n'était pas une décision prise à la légère. Parce qu'avant de demander qu'on les emprisonne j'avais demandé qu'on les condamne à de la prison avec sursis, le plus souvent avec une mise à l'épreuve, pour qu'on leur donne ce cadre qui leur manquait. je les ai prévenus, d'audience en audience, que, s'ils recommençaient, la prison les attendrait et que je n'hésiterais pas à les y envoyer. Et l'enseignement essentiel de quatre ans au parquet des mineurs, c'est qu'il ne faut jamais avoir de paroles en l'air. Ma ministre n'a pas dû rester assez longtemps au parquet pour retenir cette leçon. Tous ces gamins dont j'ai requis l'emprisonnement, savaient pourquoi je le demandais et s'ils étaient peut être étonnés de s'apercevoir que ça tombait, ils savaient pourquoi ça tombait.

Puis vint l'ère des injonctions paradoxales. Ca a commencé par une loi sur les peines plancher qui ne m'a pas dérangé parce qu'elle permet aussi de déroger au plancher quand la situation l'exigeait, bref de faire du sur mesure éclairé et pas du prêt-à-condamner aveugle. Alors, légaliste, j'ai appliqué cette loi, TOUTE cette Loi. Puis on a commencé à fliquer l'application des peines plancher, à nous faire remplir une fiche pour chaque condamnation pour alimenter les stastistiques du Ministère. Sur cette fiche, il n'y avait pas de case pour expliquer pourquoi il était juste, et parfaitement légal, de prononcer une peine inférieure au plancher en raison des faits ou de la personnalité de l'auteur. Parce qu'il faut vous dire que, tant qu'ils ne se suicident pas, les mineurs (et les majeurs) dans les prisons, place Vendôme on s'en contre fiche. Ce ne sont que des statistiques.

Comme ces statistiques étaient trop hautes, et que nos prisons sont dans le même état d'indigence et d'indécence que nos palais de Justice, on nous a ensuite vanté les mérites des alternatives à l'incarcération... Magnifique mais pour ça il faut des hommes pour suivre les condamnés en semi-liberté, des bracelets électroniques qui coutent cher, quand ils marchent. Et malgré tout son entregent, notre ministre n'a pas réussi à faire réaliser ce genre de bracelets chez Dior.

A côté de ça, la police de terrain, avec laquelle les magistrats du parquet travaillent tous les jours, est démotivée parce qu'au ministère de l'intérieur, on ne raisonne aussi qu'en statistiques et que pour être bien vu, un commissaire préfère 15 arrestations de petits dealers, qui sont remplacés le lendemain, parce que c'est facile et rapide. Tandis qu'enquêter pour identifier les réseaux qui alimentent ces dealers depuis l'étranger, ça demande du temps et des moyens et que le gros dealer, dans les stats, il compte autant que le petit.

Moralité : substituts de base et flics de base deviennent désabusés parce qu'on ne leur donne pas les moyens humains, matériels et juridiques de faire appliquer efficacement la Loi.

Et quand, en plus, on convoque et traite comme une... (ne soyons pas aussi vulgaire que ceux qui nous gouvernent) une substitut de base qui n'a fait qu'appliquer la Loi à la lettre , je craque.

Je sais que Napoléon a organisé les parquets comme il organisait son armée : en pyramide avec un seul chef en haut. Mais quand le chef est atteint de schyzophrénie, donne ordres et contre-ordres à des troupes qu'il méprise profondément, il ne faut pas qu'il s'étonne de provoquer un grand désordre.

Plaidoyer pour la justice

Par Casamayor, parquetière


Il est difficile de parler d'un métier qu'on exerce à des lecteurs qui n'ont qu'une image de la justice tronquée et une méconnaissance du fonctionnement de nos juridictions.

C'est vrai qu'il y a un profond malaise dans la magistarture, nous en parlons ,nous essayons de comprendre et d'analyser pourquoi.

Non pas avec le garde des Sceaux qui n'en a cure, mais très régulièrement en fait à chaque fait divers qui est repris dans la presse.

J'étais magistrat en 2000, comme notre garde des sceaux avec plus d'ancienneté, la différence entre hier et aujourd'hui c'est qu'hier il y avait l'espoir d'être entendu et de la courtoisie à notre égard.

Aujourd'hui il y a quelque chose de l'ordre du désespoir face aux demandes folles de la société que nous représentons. Je suis au parquet.

Aujourd'hui réulièrement, je me demande si je resterai jusuq'au bout pour exercer un métier qui pourtant est exceptionnel, non pas par la théatralité de l'audience mais par la réalité du quotidien.

Nous exerçons notre métier sur des concepts qui sont très éloignés de ceux qui prédominent dans l'ère médiatique actuelle:Pour illustrer ce que je veux dire je tire quelques lignes d'un livre d'Al Gore que je transpsoe à la justice "A mesure que la prédominance de la télévision s'est accrue, les éléments extrêmements importants de la démocratie sont devenus marginaux. Mais la perte la plus grave est de loin est celle du terrain même où elle s'exerçait. le "forum des idées", était un lieu dans lequel "les vérités"pouvaient être découvertes et perfectionnées grâce à la comparaison la plus complète et la plus libre des opinions contradictoires".

la Sphère publique fondée sur l'écrit, qui avait émergé des lumières, a fini en l'espèce d'une génération par sembler aussi obsolète qu'une voiture à cheval.

Tout cela a fait place à une mise en place d'une politique de la peur."

Politique délibérémment mise en oeuvre depuis 18 mois maintenant.

Les magistrats respectent le contradictoire ,il y a toujours au moins deux points de vue dans un procès, nous savons que nous ne pouvons pas être aimés et nous ne devons pas l'être.

Notre devoir et de faire appliquer la loi dans sa rigueur et son humanité.

Nous respectons les personnes qui ont à faire à la justice, mais pour moi fondmentalement respecter un individu n'est nécéessairment pas faire droit à toutes ses demandes.

Requérir de l'emprisonnement n'est pas chose facile, nous le faison parce qu'il faut le faire parce que c'est pour cette mission sociale que nous sommes payés.

Nous savons ce que représente une peine d'emprisonnement pour un enfant ou un adolescent.

Nous savons aussi ce que ressentent les victimes de viols ou autres crimes .A l'audience et dans nos bureaux, nous les rencontrons quotidiennement.

Nous ne sommes pas dans une bulle à l'extérieur des murs de la Cité nous en sommes au coeur.

J'invite les citoyens à venir aux audiences.

Souvent à la fin des procès d'assises, les spectateurs venaient me parler pour discuter de ce qui s'est passé à l'audience ou du contenu de mes réquisitions. J'acceptais cet échange. Je ne requiers plus aux assises.

Comment faire comprendre que dans ce métier le plus souvent les décisions sont sur le fil ,que nous optons non pas, pour la meilleure mais pour la moins mauvaise décision.

Que quoi qu'on fasse surtout au pénal on fera mal.Mais qu'il n'y a que nous pour ça.

Nous ne pouvons et ne devons pas être dans la dégoulinence démagogique parce que cela ne rend pas service aux individus qui sont sous main de justice et à la société toute entière.



Oui nous doutons, mais il nous faut trancher.

Nous sommes avant tout contairement à ce qui se dit des professionnels de l'humain, nous connaissaons les hommes leurs faiblesses, leurs passions, leurs perversions, nous faisons avec.Nous agissons dans un cadre professionnel.



Les magistrats ne sont pas des fonctionnaires: la magistrature et une Autorité.

Les démocraties sont fondées, toutes sans exception, sur trois entités: le l'égislatif, l'éxécutif et le judiciaire, c'est l'équilibre entre ces trois pouvoirs qui assoie la démocratie. C'est là que doit résider l'indépendance de la magistarture du siège comme du parquet.

Briser l'un des trois, et l'éxécutif et le législatif se confondent en une seule voix.

Bien sûr nous ne sommes pas parfaits mais nous n'avons collectivement aucune arrogance, ni prétention à l'être. Dans les périods de crise, et de doute sur l'engagement professionnel, je pense aux écrits religieux qui fondent notre culture.

Aujourd'hui, je pense à Ponce-Pilate face à la foule qui demandait la tête du Christ. Ponce-pilate était magistrat. Il connaissait les hommes et je me dis "toujours la foule libérera Barrabas", il y deux mille ans comme aujourd'hui les hommes n'ont rien appris de leur histoire.

Mais pour le moment, trève de philososphie, il nous faut continuer pour les justiciables qui attendent que leur situation soit traitée, et qui heureusement pour un certain nombre nous en remercie.

Merci de cet espace de parole. bien cordialement à tous.

Malaise...? vous avez dit “malaise”...?

Par Pacifique en colère, magistrat


Magistrat depuis plus de trente ans, j’avais pour ambition d’être un “gardien de la paix”, qui tente, avec humanité et par une application adéquate du droit, de régler les conflits, de répondre avec justesse à la délinquance, de préserver ou rétablir, au moins devant la loi, l’égalité des citoyens, de garantir leur liberté dont la sécurité est une condition.

Aujourd’hui, la politique judiciaire m’atterre, m’inquiète car elle assigne au juge, un rôle qui n’est pas celui que je décris. C’est beaucoup plus qu’un “malaise”.

Notre ministre, vient clamer sur les ondes, sa compassion pour toutes les victimes d’injustices etc. alors que la réforme brouillonne et politicienne de la carte judiciaire, par la suppression des tribunaux d’instance, interdit à nombre de citoyens, le simple accès au juge.

L’orientation pénale est désastreuse et incohérente. D’un côté on oblige le juge à incarcérer - et les prisons n’ont jamais été aussi surpeuplées - de l’autre on lui demande des comptes lorsqu’un détenu se suicide, et que la presse en parle...

En matière judiciaire, la démagogie gouverne ce pays.

- Par de multiples biais, on accroît le sentiment d’insécurité - distinct des données objectives -, et l’on y répond ( à la délinquance la plus visible, celle des jeunes...) par des lois de plus en plus répressives, où le tout carcéral devient l’unique peine possible pour le juge, avec, le résultat, inéluctable pour demain, de voir augmenter et s’aggraver la criminalité. Ayant été pendant quelques années juge d’application des peines, j’ai constaté - et un audit du CNRS l’a confirmé - que la prévention de la récidive était bien mieux obtenue, par l’exécution rigoureuse des peines de milieu ouvert (obligations d’indemniser les victimes, de travailler, de soigner les addictions à l’alcool ou au drogue , d’accomplir un travail d’intérêt général etc.), de semi-liberté et autres alternatives à l’incarcération, que par celle-ci. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais efficace. Il est plus productif de mettre un jeune au travail, que de le laisser des mois dans une cellule à ne rien faire . Que prépare-t-on pour demain, si l’on enferme inconsidérément le jeune adulte, à l’âge où bien souvent il pourrait se stabiliser sur le plan affectif et social?

- L’on prétend lutter contre l’insécurité, mais on veut dépénaliser la délinquance financière, envers laquelle on est si peu sévère, alors qu’elle peut ébranler un pays, qu’elle s’alimente d’argent parfois fort sale récolté dans les trafics qui créent tant de violence dans nos banlieues,

- On rafle les étrangers en situation irrégulière, mais, de fait on tolère qu’on les (sous?) emploie, sans régulariser leur séjour...

- On demande au juge toujours plus de productivité, de rapidité, d’humanité et l’on restreint ses moyens... En 2008, le recrutement a diminué des deux tiers. Evalués par conseil de l’Europe les moyens donnés à la Justice placent la France au 39ème rang... (cf rapport du CEPEJ). Et c’est ainsi que nombre de magistrats font un travail de nuit... Citoyens, fréquentez les audiences correctionnelles et restez jusqu’au bout, vous apprécierez.... comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’erreurs...Quand je présidai une chambre pénale, dans un grand TGI, j’avais trois audiences par semaine, commencées à 13h, nous étions contents lorsqu’elles se terminaient à 22h... Entre temps, il fallait étudier les dossiers (“gros dossiers”...essentiellement d’affaires économiques et financières), rédiger (ou bâcler) les jugements, assurer les permanences de semaine ou week end, (juge des liberté et de la détention, rétention ou maintien en zone d’attente des étrangers). J’ai souvenir d’un joli premier mai de labeur, commencé dès 8h, achevé vers 1h (du matin) dans les embouteillages de rentrée de week end... sans récupération aucune le lendemain bien sûr...

Il faut donc comprendre qu’il y a plus qu’un “malaise” dans la Justice Française... C’est bien qu’il y ait colère, je crains que cela devienne une lassitude et un découragement déprimant...

Profession : juge

Par Profession : juge, vice-présidente en charge d'un tribunal d'instance


La version initiale de ce texte a été rédigée au moment où la commission Outreau procédait à ses auditions. Vice-présidente chargée du service d’un tribunal d’instance, j’ai peu à faire avec les mécanismes de la procédure pénale sur lesquels elle se penchait pour rechercher les erreurs et dysfonctionnements à l’origine du résultat que l’on sait. Il m’a semblé important d’essayer de faire comprendre que, quoique les litiges du quotidien qui forment l’ordinaire des tribunaux d’instance aient peu de chances de faire la une des médias, les évolutions actuelles favorisent, là comme ailleurs, la multiplication de minuscules Outreau dont seules les victimes s’indigneront. Quand les syndicats, dans la justice comme ailleurs, se plaignent que “l’exigence d’une justice de qualité est trop souvent sacrifiée au nom du productivisme”, on y voit au mieux une sempiternelle revendication de moyens, respectable mais secondaire. Je voudrais modestement essayer de faire comprendre comment l’exigence du productivime, désormais au centre du fonctionnement d’un tribunal d’instance, pèse au quotidien sur ses magistrats. Un juge des enfants, un juge d’instruction, un procureur, pourraient en dire tout autant sur les effets, dans leur sphère respective, de cette révolution copernicienne.

La LOLF, mode d’emploi

Le Parlement a voté à l’unanimité la LOLF (loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001), appliquée depuis 2006 sur tout le territoire. Désormais, les moyens de chaque juridiction - moyens humains aussi bien que matériels - sont attribués en fonction d’objectifs à préciser dans la demande annuelle de crédits. L’activité des tribunaux d’instance relevant pour la plus grande part du contentieux civil, nous devons nous placer dans le cadre de l’objectif stratégique n° 1 retenu dans le projet annuel de performance du programme “justice judiciaire” (PAP) issu de la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOLP) du 9 septembre 2002: “rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile”.

Le principe étant posé que “la performance est au coeur du dispositif de la LOLF”, des indicateurs ont été mis en place pour mesurer cette performance. Ils sont au nombre de 8:
1) délai moyen de traitement des procédures (4,7 mois en 2003 et 2004, prévision 4,5 mois en 2005 et 2006, objectif-cible: 3 mois),
2) durée maximum nécessaire pour évacuer 75 % des affaires civiles (5,8 mois en 2003, 5,8 mois prévus en 2005 et 2006, objectif-cible: 4 mois), 3) ancienneté moyenne du stock, mesurée au 31 décembre de chaque année: cet indicateur sera disponible au plus tôt en 2008,
4) délai moyen de délivrance de la copie exécutoire,
5) taux de requêtes en interprétation, rectification d’erreurs matérielles et omission de statuer,
6) taux de cassation des affaires civiles (critère peu pertinent pour une juridiction du premier degré, la plupart des décisions rendues par les tribunaux d’instance étant susceptibles d’appel et non soumises directement à la Cour de Cassation),
7) nombre d’affaires traitées par magistrat du siège,
8) nombre d’affaires traitées par fonctionnaire.

On voit que, sur le double objectif “décisions de qualité - délais raisonnables”, le second est infiniment plus aisé à mesurer le premier. C’est à quoi s’attachent les 4 premiers indicateurs, les deux derniers mesurant la productivité des personnels en termes de flux. Le seul indicateur pouvant se rattacher à une notion de “qualité”, le n° 5, désavantage le tribunal d’instance, qui traite des contentieux dits “de masse”: problèmes locatifs, crédit à la consommation, paiement de factures... Depuis l’introduction de l’informatique, les juges sont fortement incités à utiliser le procédé du “copié/collé”: en reproduisant la motivation-type, on modifie uniquement les éléments relatifs à l’identité des parties, aux dates, aux chiffres, aux circonstances. Le risque est beaucoup plus grand de laisser passer, à la relecture, un élément provenant du jugement d’origine, que de se tromper dans une décision qu’on rédige entièrement. Plus généralement, apprécier la qualité d’une production judiciaire en se référant à la seule absence d’erreurs matérielles ne peut manquer d’être perçu, par un magistrat consciencieux, comme singulièrement réducteur, voire outrageant.

Alors cette fameuse qualité, que je revendique lorsqu’on me parle délais et stocks, en quoi consiste-t-elle si ce n’est pas un cache-sexe voilant l’inefficience ? Aux trois mots qui me viennent pour la définir, le découragement me gagne, car rien n’est plus antinomique à l’esprit de la LOLF: prendre le temps.

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Une semaine habituelle, ou : le journal d'un juge d'instruction

Par Annette, juge d'instruction et soutier de la justice


LUNDI

8h30 les gendarmes de la section de recherches m’appellent pour me tenir informée de l’avancée d’une commission rogatoire que je leur avais confiée en mars dernier. Le spécialiste des abus de biens sociaux est parti en mutation, l’enquête est restée en rade, ils me promettent de s’en occuper à partir de décembre quand le remplaçant (non spécialiste) arrivera.

9h30 je mets en examen l’ex-compagne d’un monsieur mort dernièrement de la maladie d’Alzeimer. Les enfants du monsieur la soupçonnent de lui avoir soutiré de l’argent. Cette dame très digne me dit qu’elle a vécu pendant plus de 10 ans avec son ex-compagnon, qu’elle l’a beaucoup aimé, qu’elle l’a soigné, lavé et habillé alors que la maladie s’aggravait, qu’il avait des moyens financiers beaucoup plus importants qu’elle et qu’il payait toutes les factures. Elle reconnaissait avoir signé des chèques à sa place, en sa présence et avec son accord car il avait de moins en moins de force. Elle explique que les enfants avaient toujours soutenu leur mère et lui avait interdit d’aller rendre visite à leur père quand il avait été, à leur demande, admis en maison de retraite. Il est mort trois mois après son admission. L’infraction de faux est constituée, j’espère que le tribunal sera très indulgent.

14h30 encore une affaire de viols et agressions sexuelles. 1/3 des dossiers de mon cabinet. La victime de 26 ans porte plainte contre son beau-père. Elle se trompe dans les dates et les lieux mais qui est capable d’être précis quand les faits remontent 15 ans en arrière? L’auteur présumé ne comprend pas ce qui lui arrive et crie au complot. Que vais-je trouver comme preuves pour des faits aussi anciens?

MARDI

Je me suis accordé la journée pour préparer l’audience à juge unique que je dois présider dans deux jours. 25 dossiers. En commençant à 8h30, j’espère finir à 15h. Il faut se méfier de la simplicité des dossiers qui passent dans ces audiences. Les enquêtes sont parfois sommaires, les affaires souvent contestées, les victimes tendent parfois à vouloir obtenir beaucoup d’argent. Il ne faut pas oublier d’expliquer, expliquer et encore expliquer. Tout le monde n’a pas d’avocat et on peut être perdu dans une salle avec trois personnes en robe sur une estrade (procureur, juge, greffier) et plein de gens avec la même robe qui circulent, parlent entre eux et passent en premier (les avocats). De plus, le droit est un jargon pour le commun des mortels, un langage entre initiés qui se comprennent.

Je ne dois pas oublier d’organiser le transport de plusieurs scellés au laboratoire d’expertises génétiques pour recherche D’ADN dans une affaire de meurtre ni de téléphoner aux experts psychiatres pour leur rappeler une expertise confiée depuis 6 mois. Etre diplomate au téléphone, les experts sont rares sur le ressort et il faut les ménager si on veut continuer à pouvoir faire appel à eux. D’autant qu’ils ne sont plus payés depuis le 15 septembre car la caisse des frais de justice est vide. Il faudra attendre janvier. Je parie que l’année prochaine, vu le rattrapage à faire et l’absence de revalorisation, les caisses seront vides fin juillet. Je veux bien, comme on me le demande, dépenser moins mais cela veut dire que je ne mets pas tous les moyens en oeuvre sur les affaires. Cela veut dire que j’engage ma responsabilité. Est-ce que ma ministre viendra me soutenir parce que je lui aurais permis de faire des économies ce qui est très bon pour son image auprès de Bercy?

MERCREDI

9H30 J’ai 110 dossiers dans mon cabinet dont 20 en fin d’instruction pour lesquels je n’ai plus d’acte à faire. Le plus ancien a été ouvert en 2003, le dernier date de hier. Il y a au moins 20 dossiers qui attendent que je trouve le temps de les lire et de leur donner une orientation après le retour des enquêtes. J’espère en lire un ce matin. Pas trop gros. Je ferai une audition dans deux mois vu mon emploi du temps. J’ai refermé la porte de mon armoire où dort un dossier de 5 tomes sur des abus de confiance et prises illégales d’intérêts de la part d’un gérant de tutelle. Il est technique et délicat, il y a plus de 350 victimes. Il faut que je trouve le temps de m’y replonger dedans mais quand? Les week-ends? Si la Justice est lente pour les justiciables, c’est parce qu’elle est pauvre pour les juges. D’après les prévisions, on devrait être 2000 en moins en 2012 (il faut dégraisser la fonction publique) sur 8000 actuellement. A ce rythme, on va tomber dans les profondeurs des classements européens. Mais je ne devrais pas me plaindre, c’est pire dans d’autres tribunaux.

JEUDI

14H30 j’ai gagné une demi-heure sur mes prévisions. J’ai juste mangé une barre de céréales et une pomme. Je vais aller à la boulangerie pour un, non deux pains au chocolat. Je me ferais un thé en rédigeant l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel dans une affaire de vols de plusieurs boulangeries. Une histoire de toxicomanes en manque d’argent. Dans les boulangeries, les caisses sont tenues par des femmes, en général plutôt âgées et donc plus faciles à braquer avec un pistolet factice.

Un avocat vient me parler d’un dossier de coups mortels ayant donné la mort sans intention de la donner. La mise en examen, qu’il défend, est en détention provisoire depuis 8 mois. Il veut savoir si j’envisage de la placer sous contrôle judiciaire dans les prochaines semaines. Je lui dis que j’attends encore des informations et que cela me paraît prématuré. Je ne m’interdis pas de discuter avec les avocats sur les dossiers. Je choisis ceux avec qui je peux le faire, ceux qui sont honnêtes, sérieux et francs, qui respectent ma fonction et le rôle de chacun. Ce ne sont pas forcément les plus médiatiques, ceux qui font la Justice non dans les tribunaux mais dans les journaux ni les plus chers, ceux qui voient dans le justiciable d’abord un client.

VENDREDI

9H30 En parlant d’avocat médiatique, voilà un type d’affaires qui les attire: les homicides involontaires. Porter plainte contre le docteur du SAMU qui n’a pas diagnostiqué l’embolie pulmonaire, contre l’hôpital qui n’a pas gardé le jeune homme qui s’est enfui après avoir été admis après une tentative de suicide et qui ne rate pas la seconde, contre l’infirmière qui s’est trompée de perfusion. Je n’aurais pas dû programmer cette audition de partie civile en fin de semaine. Il est impossible d’expliquer à des parents ayant perdu leur enfant que le risque zéro n’existe pas, que tout incident n’est pas pénalement répréhensible. Je ne serais à leurs yeux qu’une juge sans sentiment, inhumaine, sans compassion. Je ne supporte plus ce mot. Est-ce de la compassion que de mettre sur la sellette un médecin qui a des conditions de travail aussi difficiles que les miennes et dont les décisions ont autant d’impact sur la vie des gens que les miennes seulement pour faire plaisir à des victimes qui veulent un coupable à tout prix? Mais leur avocat le leur a dit et il a raison.

14h30 quelques signatures, quelques courriers et je m’accorde une heure pour envoyer ce mail à Maître Eolas Pour dire que je fais mon travail avec conscience, responsabilité, en essayant d’avoir le même respect pour une victime ou un prévenu, que je tremble parfois devant les difficultés, que j’hésite souvent avant de demander une détention provisoire, que je sais ce qu’est une victime puisque j’en vois toutes les semaines Pour affirmer haut et fort que si, comme dans toutes les professions, il y a des cons et des incompétents dans la magistrature, il n’y en a pas plus qu’ailleurs et qu’il y a (voir les statistiques) plus de sanctions disciplinaires qu’ailleurs. Qu’on me parle d’Outreau mais qu’on me parle aussi de ce qui marche Pour râler contre mes conditions de travail Pour refuser la Justice émotionnelle et coup de pub voulue par nos politiques Pour refuser d’être un bouc émissaire. Que chacun prenne ses responsabilités.

« Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés… »

Par Damoclès, magistrat


Maître eolas,



Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés...peut être simplement résignés. 8000 robes noires comme autant de personnes endeuillées, pleurant un idéal enterré, l'idéal de justice. L'homélie sera brève et sévère.

On martèle que les juges ont démissionné sans connaître vraiment leurs missions et le contexte difficile dans lequel elles sont remplies. Garants des libertés individuelles, ils tranchent les litiges et se prononcent sur les affaires pénales en statuant sur la culpabilité et la peine. Le volume des affaires a explosé, signe d'une société qui ne sait plus s'autoréguler et cherche à tout prix des coupables expiatoires. De loin nos robes noires impressionnent;, de près elles sont mitées tant notre justice est miséreuse. Nos concitoyens savent-ils seulement que notre grand pays compte 11, 2 juges et 2, 9 procureurs pour 100 000 magistrats, se classant ainsi au 35è rang européen pour les juges et au 42 è pour les procureurs sur une échelle de 43 pays ? Le nombre de magistrats est sensiblement le même que sous Napoléon. Alors oui, les magistrats sont fatigués, épuisés, maltraités, y compris parfois par leur hiérarchie. Les lois s'empilent et même les magistrats ne peuvent plus affirmer pour eux-mêmes que "nul n'est sensé ignorer la loi".

Etre magistrat, c'est tout le contraire du chercher à plaire..."Qui vous savez" a sans doute oublié que l'inconfort de cette position contribuait aussi à la légitimité de notre fonction. L'impartialité et l'indépendance commandent en effet d'être au-dessus pour décider loin du tumulte, sauf que ce tumulte vient de nous rattraper. Crise de confiance ou crise de défiance ? On lance des sondages de satisfaction en oubliant ou en faisant mine d'oublier que le procès fait forcément un ou des mécontents : celui qui n'a pas obtenu gain de cause ou celui qui se dit injustement condamné. Sans sompter que depuis quelques années, aux cris à l'injustice du condamné, s'ajoutent les diatribes des victimes qui ne se satisfont jamais de la sentence...Le fameux Toujours plus ! gangrène aussi la justice.

Jeune magistrat, je suis révolté par la caporalisation de la justice mais aussi par la difficulté des hauts magistrats à protéger l'autorité judiciaire. Mais quelle capacité de résistance peut-on espérer de Procureurs généraux nommés en Conseil des ministres ? Au-delà de la justice, c'est la démocratie qui est en péril. Que penser en effet d'un pays dans lequel le Procureur et ses substituts ne sont pas considérés par la Cour européenne des droits de l'homme comme une autorité judiciaire ?

Face à toutes ces questions, épris de doutes, la tentation de faire simplement son travail en rentrant chez soi à des heures décentes (et non à 22, 23 heures ou minuit) est d'autant plus forte que la difficulté de ce métier n'est pas reconnue et que les attaques et destabilisations incessantes le rendent encore plus difficile. Que dire des nuits de permanence (payées 46 € brut non revalorisées depuis 2001 ah le pouvoir d'achat !!!), des week ends et jours fériés payés environ 30 € brut ? Nos concitoyens savent-ils que si un enfant est en fugue, errant ou maltraité, c'est la justice qui est saisie à tout moment du jour et de la nuit avec souvent un jeune magistrat au bout du fil ? Nos concitoyents savent-ils que l'on peut être réveillés plusieurs fois par nuit, se rendre sur les lieux et aller travailler le lendemain ? Nos concitoyens savent-ils qu'ils nous arrivent de pleurer sur des dossiers difficiles et de nous sentir tellement seuls face à une décision grave et lourde de conséquence pour les personnes ? Nos concitoyens savent-ils que parce que nous sommes à leur service jour et nuit, que le travail de la police et de la gendarmerie ne peut se réaliser sans le concours de la justice ? On félicite les enquêteurs mais rarement les procureurs alors qu'ils contribuent largement à la sécurité de nos concitoyens.

Nos concitoyens savent-ils que parce que leur rendre justice est une tache noble, nous prenons encore le chemin des palais de justice alors que de plus en plus souvent nous sommes tentés de les fuir...

Demain, nous lirons des communiqués que personne ne retiendra, demain nous nous rassemblerons sur les marches des palais et notre petit nombre pourrait laisser croire que ce sont les professionnels de la justice qui sont sortis fumer une cigarette...alors que ce sont nos idéaux que nous défendons avant qu'ils ne partent en fumée...Demain, nous rendrons encore la justice avec les épaules encore un peu plus lourde du fardeau des attaques répétées.

Alors, s'il est toujours légitime de se demander qui jugera les juges, le temps est venu de savoir qui rendra justice aux juges ?

Mon cher maître, merci de nous avoir accordé ce droit à la défense que bien peu nous reconnaissent aujourd'hui...

C'est aussi cela l'Etat de droit

« J'avais 20 ans… »

Par Léandre, Substitut général (parquetier de cour d'appel)


J’avais 20 ans. J’étais étudiant en droit. J’ai choisi de devenir magistrat parce qu’il me semblait que ce métier me permettrait d’allier mon goût pour le droit à la possibilité d’aller à la rencontre des hommes et de contribuer au bien public.

J’en ai un peu plus du double. J’ai exercé plusieurs fonctions, du siège et du parquet, toujours au pénal. Jamais je n’ai regretté ce choix.

Jamais je n’ai trouvé ce métier facile. Mais peu de métiers permettent d’entrer ainsi de plein fouet avec la vie de nos contemporains, leurs drames, leurs petitesses, leurs souffrances, leur mesquinerie, leur dignité. Pas par voyeurisme. Simplement pour maintenir et consolider ce ciment social qui permet d’éviter que tout explose ou que tout se délite.

Avec des outils qui ne sont pas la truelle, mais qui peuvent apparaître parfois bien artisanaux pour une si grande tâche. L’écoute et le respect de chacun, même si le devoir de neutralité nous oblige à garder une certaine distance, parfois interprétée à tort comme du mépris. La Loi comme guide et comme garde-fou, pour nous rappeler que nous ne sommes juge qu’en son nom. Le doute, bien-sûr. Un doute qui nous conduit à soupeser, analyser, réfléchir, mais qui ne doit pas nous paralyser ou nous empêcher de trancher. Sinon, nous ne remplirions plus notre mission.

Portrait d’un juge idéal, protesteront certains, bien loin de la réalité ? C’est en tout cas à ce modèle que presque tous les collègues rencontrés au cours de mes 20 ans de carrière m’ont paru s’efforcer de se conformer. Ce qui ne signifie pas qu’ils y soient toujours parvenus, parce que, voyez vous, dans la vie des juges, comme dans celle des autres humains, il y a toujours un écart entre les “bonnes résolutions” et la vie au quotidien.

Mais il faut aussi réaliser que le juge n’agit pas dans une sorte de monde idéal, qu’il est au contraire continuellement confronté à une réalité pleine de difficultés.

Prenons le cas d’un magistrat du parquet. Pour pouvoir faire face à un nombre toujours plus grand de dossiers à examiner, il faut nécessairement qu’il passe moins de temps sur chaque dossier. Pour pouvoir donner une réponse immédiate à tout acte de délinquance et décider de poursuivre un de ses concitoyens devant un tribunal, il ne disposera que de deux minutes à l’issue d’un compte-rendu téléphonique d’un policier, dix autres appels étant en attente sur son poste. Pour pouvoir donner une réponse à chaque violation de la loi et ne plus classer “en opportunité” un dossier comme par le passé, puisque telle est désormais la volonté du législateur, il devra nécessairement passer moins de temps sur l’analyse et la réflexion. Pour pouvoir tenir informé systématiquement les victimes de ses décisions, il devra gagner du temps sur d'autres tâches. La pression est permanente. Chaque minute compte. Les journées sont souvent épuisantes. Les erreurs sont inévitables.

Nous avons toujours travaillé en confrontant nos moyens limités aux contraintes de la réalité. Nous les comprenons. De la même façon qu’un médecin de famille fait de son mieux pour soigner son patient, même s’il ne dispose pas des moyens dont il aurait besoin pour le faire, nous avons fait face avec persévérance à ces difficultés, convaincus que notre intervention, même imparfaite, apporterait un mieux et, plus simplement, s’imposait en application de la loi que nous servons.

Le paradoxe est qu’aujourd’hui, ces contraintes externes sont de plus en plus fortes, les décisions sont prises de plus en plus vite, dans une approximation parfois inquiétante, et que les mêmes autorités politiques qui sont à l’origine d’une partie de ces contraintes imposent une obligation de “zéro défaut” qui n’est pas compatible avec cette situation, ni même avec la nature de la mission du juge.

Cette communication du pouvoir exécutif autour du thème “le juge doit payer” va beaucoup plus loin que la recherche du “zéro défaut”. Le juge est désormais responsable et jeté en pâture à l’opinion publique s’il n’incarcère pas assez, s’il y a trop de monde en prison, s’il remet en liberté quelqu’un qui récidive, s’il met en détention quelqu’un qui se suicide, s’il place un “innocent” en détention et s’il relâche un coupable...

On ne lui demande plus d’être un juge avec les limites humaines qui sont les siennes, mais d’être une créature capable de distinguer d’un regard la vérité du mensonge, de traiter un nombre croissant de dossiers avec le même sérieux que lorsqu’il en traitait dix fois moins, de montrer de la fermeté vis à vis du méchant et de la compassion vis à vis de la victime. On régresse dans un espèce de monde magique, dans lequel il serait doué de pouvoirs surnaturels et un autre personnage se verrait prêter des dons qu’il n’a pas, le psychiatre, qui sait tout, comprend tout et peut tout soigner, même les gens qui ne sont pas malades.

Un juge n’est pas d’être un personnage de conte de fée. C’est un homme chargé par la Loi de punir ceux qui la violent et d’apaiser les conflits entre les particuliers. Il doit le faire en respectant un certain nombre de règles claires : la loyauté, l’équité, le respect du contradictoire, l’impartialité, l’égalité des justiciables, la présomption d’innocence... Il a besoin, pour bien faire son travail, de prendre du temps et de la distance vis à vis des justiciables, de ne pas être obsédé par le souci de communiquer ou celui de devoir rendre des comptes à son ministre de tutelle.

On lui demande aujourd’hui tout le contraire : décider de plus en plus vite, si possible avant le journal de 20 heures, communiquer, montrer de la compassion à l’égard des victimes, rendre toujours la décision attendue par l’opinion publique, et préparer sa défense en vue de la menace de dénonciation publique.

La Garde des sceaux et la plupart de ses collègues ministres ont pour ligne de conduite de se montrer réactifs au moindre mouvement d’opinion, de donner l’illusion qu’ils ont pouvoir sur tout, de lancer tous les matins une nouvelle réforme, d’utiliser les médias pour “communiquer”, c’est à dire pour se forger une image plutôt que de convaincre du bien fondé d’une politique. Elle souhaiterait que nous suivions cet exemple et que nous sachions, comme elle, communiquer et être réactif...

Et si on inversait le processus ? Si les politiques (re)découvraient qu’il est utile de prendre le temps de la réflexion, que les décisions prises sur un coup de tête à la suite d’un fait divers dramatique sont rarement de qualité, que le respect et l’écoute dûs aux citoyens ne passent pas nécessairement par une proximité affichée devant les caméras de télé?

Nous serions sans-doute dans une société plus responsable, gouvernée par des adultes qui auraient le courage de dire qu’ils ne sont pas des magiciens, mais eux-aussi, des hommes et des femmes avec leurs limites, des hommes et des femmes qui feront le maximum en vue de rechercher le bien commun. Ils n’en seraient que plus respectables...

Manquer sa cible ?

Par BC, magistrat


Il me semble que si cette journée de protestation est nécessaire, elle vient bien tard et risque de manquer sa cible.

D'abord, les réformes, qu'elles portent sur l'institution elle-même (carte judiciaire, etc) ou sur le fond du droit, s'inscrivent dans une logique plus générale de démantèlement des services publics et d'exclusion des plus faibles (les pauvres, les éclopés de la vie, les étrangers, etc.) que nous aurions intérêt à ne pas négliger.

Critiquer Rachida Dati et sa politique (ou plutôt celle qu'elle accepte d'incarner), oui bien sûr, mais la révolte semble plus motivée par la protection des magistrats contre des attaques inacceptables, certes, que contre l'évolution générale de la justice, en marche depuis plusieurs années et dont nous sommes aussi responsables.

Qui refuse, dans sa pratique quotidienne, et pas seulement dans les discours, de siéger jusqu'à point d'heure ? De condamner sur des dossiers vides, ou presque ? Qui combat réellement la politique du chiffre, et refuse cette logique du toujours plus, même si c'est toujours plus vite, toujours moins bien ? Qui se souvent du débat autour des primes modulables ?

Qui s'élève contre les abus de pouvoir de certains chefs de juridiction soutenus par leur hiérarchie, au parquet comme au siège, qui écartent des responsabilités ceux qui ne sont pas "dans la ligne" ? Tant qu'ils ne sont pas personnellement concernés, "l'intérêt du service" justifie tout. Où sont les syndicats ?

Qui accepte sans broncher de devenir "chef de service", fonction qui n'existe que dans la pratique de certains présidents et qui équivaut à promouvoir des "petits chefs" ? La caporalisation n'existe pas qu'au parquet ...

Qui remet en cause (et les avocats sont concernés par ma question) les pratiques de tel ou tel président d'audience qui se permet de traiter les prévenus (et parfois les victimes) de façon méprisante, ou de faire de l'ironie, voire des jeux de mots sur leur dos dans la connivence avec le Barreau, ou de tel parquetier qui emploie des mots insultants ?

Qui, au delà de l'indignation exprimée verbalement, s'efforce de trouver des solutions pour éviter aux justiciables des attentes qui peuvent durer plusieurs heures, dans des conditions matérielles indignes ?

La liste serait longue, hélas !

Je suis magistrat depuis longtemps, j'ai exercé à peu près toutes les fonctions, j'ai adoré ce métier, et je ne voudrais pour rien au monde aujourd'hui que mes enfants le choisissent. Quel gâchis !

Certes, les politiques (de tout bord) nous haïssent, pour des raisons diverses, et peut-être surtout parce que nous sommes apparus à une certaine époque comme étant le seul contre-pouvoir. La reprise en main ne date pas d'aujourd'hui, et elle n'est que la conséquence logique d'un affaiblissement parfaitement orchestré de l'institution, à la fois dans l'opinion publique et à l'intérieur même du corps. Les magistrats courageux ont toujours été minoritaires (rappelez-vous le "Pinsseau Coudé", et quelques autres), et rien n'est fait pour modifier cet état de choses.

Bien sûr, il existe des gens remarquables dans la magistrature, comme ailleurs. Certains font sans bruit du travail de qualité. D'autres s'expriment, et leurs contributions, notamment lors de l'affaire d'Outreau, ou sur certaines listes de discussion, font chaud au coeur. Que faudrait-il faire pour dépasser le stade du discours ?

Je m'associerai à toute action qui ira dans ce sens, même si je suis pessimiste quant à son avénement.

« Je voudrais m'excuser…»

Par Alma, juge d'instruction


Je pourrais témoigner de ce dont mes collègues témoigneront sûrement sur les conditions de travail parfois (heureusement pas toujours) honteuses dans lesquelles on nous contraint d'exercer notre mission : le manque de personnels judiciaires, les audiences interminables, les postes vacants et les magistrats "à tout faire", l'insécurité juridique dans laquelle nous plonge l'inflation législative sans relâche depuis des années, le budget minable de la Justice, les permanences de week-end royalement payées 60 euros (pour info : la demi-heure de main d'oeuvre du technicien qui entretient ma chaudière est de 74 euros), etc ...

Je pourrais dire à quel point je suis effrayée par les poncifs récurrents qui sont assénés à longueur de posts par les citoyens justiciables dans les commentaires de chaque article de presse concernant la Justice, écumant de haine et revendiquant la têtes des juges, ces notables trop bien payés, imbus de leur pouvoir dont ils abusent forcément, éloignés des réalités quotidiennes, toujours irresponsables ... A ceux-là, je pourrais parler de moi, dire que je suis une simple fille d'ouvriers, que mon frère est smicard dans un garage et peine à boucler les fins de mois avec ses trois gosses , que mon mari est de nationalité étrangère, que pour payer mes études j'ai récurré des pissotières et été caissière dans un supermarché ... mais je n'ai pas envie de me justifier ou de m'excuser d'avoir passé un concours et d'avoir été parmi les 17 personnes recrutées dans toute la France cette année-là ...

Je préfèrerais dire que si, pendant 3 ans, j'ai passé 12 heures par jour et quasiment tous mes week-end dans mon ancien bureau de juge d'instruction, je l'ai fait avec passion, jusqu'à l'épuisement quand c'était nécessaire, sans me plaindre et sans congés maladie. Parce que j'ai aimé cette fonction. Parce que le sort des mis en examen ne m'a jamais été indifférent, au point que j'assistais aux audiences où ils ont été jugés, et que parfois je souffrais avec eux. Parce que j'ai pesé en conscience chaque placement ou maintien en détention provisoire que j'ai demandé ou décidé. Parce que des victimes en souffrance étaient en attente, à défaut de réponse judiciaire, du moins d'une écoute.

Je préfèrerais expliquer aussi à quel point j'exerce actuellement avec appréhension mes fonctions de Juge de l'Application des Peine. Avec la même passion et le même investissement. Mais avec d'énormes difficultés à assumer la shizophrénie de la fonction qu'imposent les objectifs contradictoires imposés par le législateur : condamner sévèrement les récidivistes mais aménager systématiquement les peines d'emprisonnement ; octroyer des libérations conditionnelles mais ne pas libérer ceux qui peuvent un jour récidiver, au risque de devoir le "payer". Je suis JAP, je ne suis pas Madame Irma.

Je pourrais dire tout cela. Et encore combien je suis écoeurée et humiliée de subir, jour après jour, impuissante car lasse d'être taxée de corporatiste, les coups de boutoir assénés à l'Institution de la Justice, délégitimée, décrédibilisée, avilie.

Mais en fait, je voudrais simplement m'excuser.

M'excuser auprès de cette épouse aimante - dont le mari qui avait demandé à me parler "seul à seule" avait alors reconnu "hors procédure" la véracité des attouchements sur des gamines qui lui étaient reprochés - qui est passée un soir à mon bureau, sans rendez-vous et après une journée épuisante. Ce soir là, je l'ai reçue, excédée et fatiguée, et je lui ai dit que je croyais son époux coupable. Il a été condamné par la suite. Je n'avais pas à lui dire ça.

M'excuser aussi auprès de cet homme condamné à 7 ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants dans un dossier que j'ai instruit. Pas pour sa condamnation ni son quantum, cette décision là ne m'a pas appartenue. M'excuser simplement parce que je lui ai permis d'avoir avec moi des discussions très libres, "hors procédure", lors de sa garde à vue ou de ses interrogatoires, et même juste avant l'audience correctionnelle. Cette relation "humaine" (dans le sens de désinstitutionnalisée), il ne l'a évidemment pas retrouvée devant le Tribunal durant les quelques heures de débat d'audience, et s'est senti trahi par la Justice que j'ai, pour lui, essentiellement incarnée. Je n'aurais pas dû permettre cela.

Mais je ne suis pas qu'un juge. Je suis aussi une femme. C'est aussi pour cela que je serai marquée à vie par certains mis en examen, condamnés ou victimes auxquels je pense toujours des années plus tard, par les affaires que j'ai traitées et dont, dans mon intimité, je porte encore le poids, la douleur, les angoisses, parfois les doutes ... Elle est là ma responsabilité. Tous les jours.

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