Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

samedi 6 octobre 2007

Devine qui vient dîner ce soir ?

C’est donc nulle autre que la Nouvelle Zélande que le XV de France affrontera ce soir. Arrivera ce qu’il arrivera, assurément ce sera du beau rugby.

Drapeau de la Nouvelle Zélande

Le drapeau de la Nouvelle Zélande est en réalité le Drapeau Bleu (Blue Ensign) de la Royal navy, bleu avec en haut à gauche (on dit en quadrant) l’Union Jack, ou drapeau d’union, le champ d’azur étant, pour identifier la Nouvelle Zélande, frappé d’étoiles rouges bordées de blanc qui représentent la constellation de la Croix du Sud. Cette constellation, qui frappe aussi le drapeau australien, rappelle la domination maritime anglaise, la Croix du Sud servant aux navires dans l’hémisphère sud de substitut à l’étoile polaire qui dans l’hémisphère boréal indique le pôle nord céleste : il suffit de tracer une ligne passant par Gamma crux et Alpha crux (l’étoile du haut et l’étoile du bas) et de reporter 4,5 fois la distance les séparant pour tomber sur le pôle sud céleste.

C’est une loi anglaise de 1865, le Colonial Navy Defence Act qui a obligé les colonies anglaises à prendre comme drapeau une variante de la Blue Ensign, afin d’être identifiées par les navires de guerre croisant dans les environs ; ce qui explique que bien des drapeaux soient basés sur ce modèle : l’Australie, les Fidji, dans le Pacifique, et Montserrat dans les Antilles par exemple.

Les néo-zélandais sont assez peu attachés à ce drapeau, le premier reproche qu’ils lui font étant d’être aisément confondu avec le drapeau australien (dont je vous reparlerai pour notre demi finale face à ce pays). Il est le drapeau de la Nouvelle Zélande depuis 1869, succédant au drapeau des Tribus Unies de Nouvelle ZélandeDrapeau des Tribus Unies de Nouvelle Zélande, et aujourd’hui encore, le thème du drapeau est un débat récurent en Nouvelle Zélande.

L’hymne néo-zélandais est God Defend New Zealand, et comme il n’y a pas de raison que nous ne riions que des clips géorgiens, j’ai l’honneur de vous présenter le clip qui ouvrait et fermait les émissions de la télévision publique néo-zélandaise dans les années 80. Attention, là aussi, c’est du lourd. Je recommande à Jo Maso de montrer ça aux joueurs : ça devrait aider à alléger la pression.

L’équipe de Nouvelle Zélande s’appelle les All-Blacks, littéralement les tout-noirs. La couleur noire n’a aucune signification spéciale, si ce n’est que c’est la couleur choisie par l’équipe nationale lors de sa première formation en 1903, parce que les joueurs s’achetant leurs maillots eux même, le noir permettait de s’assurer qu’il n’y aurait pas de problème de nuances de couleur. Les poètes du rugby ont pris la relève et ont décidé que les All Blacks portaient le deuil de leurs adversaires. A ce train là, les Anglais jouant en blanc, je suppose qu’ils veulent demander la main de leurs adversaires.

Le nom de All Blacks viendrait, d’après Billy Wallace, de la première tournée des néo-zélandais en Angleterre en 1905 (rappelons qu’à l’époque, le voyage se faisait en bateau). Selon Wallace, un journaliste, impressionné par le jeu de mouvement pratiqué par les néo-zélandais, aurait dicté son article en disant “They’re all backs” : ce sont tous des arrières, le poste du joueur numéro 15, qui aurait été mal retranscrit en “They’re all blacks”. Mais aucune trace de cette erreur n’a jamais été retrouvée, et le plus probable est que le terme All Blacks décrive tout simplement leur tenue.

Le symbole de l’équipe est la Fougère Argentée, Silver Fern, de son petit nom cyathea dealbata, une plante très fréquente en Nouvelle Zélande.cyathea dealbata Quand les Blacks viennent jouer un test match en France, ils ajoutent sur leur manche droite un coquelicot (poppy), symbole des soldats de l’empire britannique tombés lors de la première guerre mondiale, car cette fleur pousse sur les sols remués, et c’était la seule fleur qui poussait sur les champs de bataille du nord de la France.

Mais ce pour quoi les All Blacks sont les plus connus est leur danse traditionnelle juste avant le début du match, après les hymnes, le Haka.

Avant toute chose, le haka, ca s’écoute. Voilà ce que ça donne dans un stade.

Impressionnant, non ?

Le haka est une danse rituelle des maoris, l’ethnie polynésienne indigène à la Nouvelle Zélande.

Les Néo Zélandais ne sont pas les seuls à effectuer une telle chorégraphie, qui est un point commun à toutes les équipes du Pacifique : les Tonga ont le Sipi Tau, les Samoa ont le Siva Tau, et les Fidjis ont le Cibi.

Contrairement aux apparences, le haka n’est pas un chant de guerre mais une danse de cérémonie, les grimaces et grognements faisant partie de la chorégraphie et symbolisant la vie, la vivacité, la résolution, et non la menace. Les All Blacks y rajoutent une bonne part de défi et la magie du marketing a fait le reste.

Pendant longtemps, le seul haka que les All Blacks accomplissaient était le Ka mate, datant de 1810, composé par le chef Te Rauparaha du clan Ngāti Toa. Ce chef était poursuivi par des ennemis et pour leur échapper s’est caché dans un puits sous la robe d’une femme. Quand il a pensé que ses ennemis étaient partis, il est remonté à la surface, pour se trouver nez à nez avec un guerrier, mais qu’il ne pouvait bien voir, ébloui qu’il était par la lumière, et se voyait mort jusqu’à ce qu’il réalise que c’était en fait Te Whareangi (appelé “l’homme hirsute”), le chef d’une tribu alliée venue à son secours.

Le Ka Mate raconte cette aventure :

Le leader commence par donner ses instructions au groupe : “Frappez des mains sur vos cuisses ! Gonflez vos poitrines ! Pliez vos genoux ! Que votre bassin suive ! Frappez le sol de vos pieds le plus fort que vous pouvez !”, puis il lance le chant :

Ka mate, ka mate (Je vais mourir ! je vais mourir !)
Ka ora, ka ora (je vais vivre ! je vais vivre !)
Ka mate, ka mate (Je vais mourir ! je vais mourir !)
Ka ora, ka ora (je vais vivre ! je vais vivre !)
Tēnei te tangata pūhuruhuru (Voici l’homme hirsute qui se tient devant moi)
Nāna nei i tiki mai whakawhiti te rā (et qui a amené le soleil et l’a fait briller)
Ā upane, ka upane (un pas vers le haut, un autre vers le haut)
Ā upane, ka upane (un pas vers le haut, un autre vers le haut)
Whiti te rā, hī! (le soleil brille ! )

Les All Blacks en ont fait une occasion de se motiver, et d’impressionner l’adversaire. Les voici face à l’équipe de France, lors d’un test match (vous noterez le coquelicot rouge sur la manche droite).

Comme je vous l’ai dit, les néo zélandais ne sont pas les seuls à avoir une telle danse, d’où des face à face parfois tendus, comme ce Nouvelle Zélande-Tonga, où les Tongiens n’ont pas pu attendre que le haka soit terminé pour répondre par leur Sipi Tau.

Mais depuis 2005, les All Blacks réalisent de temps en temps un nouvel haka, le Kapa O Pango, qui a fait scandale a cause d’un geste d’égorgement qui le terminait. Les néo zélandais se sont justifiés en disant que ce geste traditionnel symbolisait l’énergie attirée vers le coeur et les poumons, mais l’excuse de la naïveté (et de l’ignorance des rudiments de l’anatomie) me paraît ici d’une hypocrisie finie, tout comme le fait que le geste principal de la nouvelle chorégraphie soit une série de bras d’honneur faits aux adversaires. A ce petit jeu, je propose que le XV de France leur présente le poing fermé à l’exception du majeur tendu vers le ciel, en expliquant ensuite que cela symbolise le caractère Un et Indivisble de la République (article 1er de la constitution). D’ailleurs, depuis cette année, ils ont trouvé un autre symbole pour le remplacer : la main droite part de la hanche gauche et remonte vers l’épaule droite. Ha, la subtilité de la gestuelle maori…

Je n’aime pas le Kapa O Pango, vous l’avez compris. Ce qui achève d’attirer mon antipathie sont les paroles, qui ne sont rien d’autre qu’un chant de supporter à la gloire des All Blacks :

Kapa o Pango kia whakawhenua au i ahau! (All Blacks, laissez moi n’être qu’un avec la terre)
Hī aue, hī! (faire un !)
Ko Aotearoa e ngunguru nei! (C’est notre terre qui tremble)
Au, au, aue hā! (C’est mon heure ! C’est mon moment !)
Ko Kapa o Pango e ngunguru nei! (c’est ce qui nous définit les All Blacks)
Au, au, aue hā! (C’est mon heure ! C’est mon moment !)
I āhahā! (I hahaha !)
Ka tū te ihiihi (Notre domination)
Ka tū te wanawana (Notre suprématie triomphera)
Ki runga ki te rangi e tū iho nei, tū iho nei, hī! (et sera placée haut !)
Ponga rā! (Fougères d’argent !)
Kapa o Pango, aue hī! (All Blacks!)
Ponga rā! (Fougères d’argent !)
Kapa o Pango, aue hī! (All Blacks!)

Je suppose que ce n’est que parce qu’il n’y a pas de mot maori pour “Adidas” qu’il n’y a pas un vers pour remercier leur sponsor…

Franchement, si c’est pour se comporter comme des joueurs de foot, c’est pas la peine de jouer au rugby. En plus, la chorégraphie est ridicule. Voici le Kapa O Pango lors de Nouvelle Zélande Ecosse (les All Blacks sont en gris). Le public ne s’y trompe pas qui siffle copieusement le Kapa O Pango alors que le haka était généralement respecté et apprécié.

J’espère donc que c’est bien le ”Ka Mate” que nous aurons, mais j’ai des doutes, vu la controverse sur les maillots qui a précédé le mtach (Eu égard à la ressemblance de couleur entre les maillots, et la France ayant gagné par tirage au sort le droit de porter ses couleurs principales, l’IRB demande aux All Blacks de jouer en maillot gris, ce qu’ils n’ont pas du tout envie de faire), ils auront envie de prendre la version la plus agressive.

En tout cas, Ka Mate ou Kapa O Pango… ALLEZ LES BLEUS ! Ecrivez une belle page de votre histoire.

Photos et images Wikipedia

vendredi 5 octobre 2007

Merci, Messieurs les sénateurs

J'ai encore des aigreurs à l'estomac, mais ça va mieux.

Vous me réconciliez avec le bicamérisme.

jeudi 4 octobre 2007

Vous avez du courrier

Philippe Bilger écrit à Rachida Dati et donne une leçon de diplomatie et de subtilité. Il maîtrise l'art de critiquer en paraissant flatter, qui n'est pas de la fourberie ou de l'hypocrisie, mais simplement une grande habileté doublée d'élégance, car rien ne porte plus qu'un reproche enrobé d'un compliment, tant que l'un et l'autre sont justes.

Quelques exemples ?

Comment exprimer sa désapprobation d'un projet du ministre :

Votre politique, celle qui est mise en oeuvre et celle que vous annoncez, puis-je vous dire que je l'approuve totalement. Je tiens pour rien mes réticences sur telle ou telle fusée intellectuelle lancée par le président de la République et dont la validité est, pour le moins, à vérifier. Par exemple, la comparution des personnes déclarées irresponsables devant les cours d'assises. Je ne crois pas que les familles de victimes seraient davantage consolées et je suis certain que l'Etat de droit y perdrait.

Sa réticence face à la volonté du ministre de nommer de préférence des femmes procureurs généraux :

Vous avez manifesté votre désir de nommer plus de femmes à des postes importants de responsabilité. Je n'y vois que des avantages si on ne tombe pas dans le travers qui a permis, parfois, l'hégémonie virile: reléguer la compétence au second plan. Peut-on vous suggérer d'adopter des méthodes moins brutales? Est-il ainsi indispensable, pour la bonne administration de la justice, de "virer" quelques mois avant sa retraite un procureur général respecté?

Sa désapprobation de la convocation d'un procureur par le Garde des Sceaux :

Peut-être êtes-vous en train de songer que ce magistrat sur lequel, par l'entremise de son procureur général, vous avez une autorité, exagère, qu'il dépasse les limites et que votre existence de garde des Sceaux ne le regarde en rien.

Voilà à mon sens comment on peut dire ce qu'on veut en respectant l'obligation de réserve.

Quand je vous dis que les avocats tremblent quand Philippe Bilger va requérir, vous comprenez maintenant pourquoi.

(Merci de réserver vos commentaires sur le fond de cette lettre au blog de son auteur).

mercredi 3 octobre 2007

Ce que j'aime et ce que je n'aime pas

  • Ce que j'aime dans cette profession :

Les veilles d'audience qu'on a eu le temps de préparer, quand on passe en revue tout son matériel pour l'audience, jusque dans les moindres détails, comme un général qui se prépare à la bataille.

Découvrir l'argument juridique imparable qui vous donne raison.

Le client qui vous dit merci pour ce que vous avez fait même quand vous avez perdu.

La bouffée d'excitation et de peur au moment d'entrer dans le prétoire. La même en plus fort au moment de prendre la parole.

L'inattendu qui détend l'ambiance de l'audience, un prévenu drôle malgré lui, un président au trait d'esprit fin sans manquer de respect aux parties, les sourires qui effacent la fatigue des visages.

L'envie de danser et de crier de joie quand on prend connaissance d'un bon jugement.

Le coup de fil à la famille du client pour annoncer qu'il sort de prison.

Le fait qu'on ne sait JAMAIS comment une audience va se dérouler.

L'absence absolue de routine.

  • Ce à quoi je n'arrive toujours pas à me faire :

Le client qui vous manque de respect sous prétexte qu'il ne vous paie pas, parce que vous êtes commis d'office ou à l'aide juridictionnelle alors que vous vous défoncez pour lui.

Quand vous savez que vous avez raison mais que vous n'arrivez pas à en convaincre le juge.

Les week-ends passés au cabinet ou au palais, en code rouge, sans voir ma fille.

Les voix d'enfants dans le public qui s'exclament joyeusement "Papa !" aux audiences de rétention administrative quand leur père entre sous escorte.

Les voix d'enfants dans le public qui s'exclament joyeusement "Papy !" aux audiences de rétention administrative quand leur grand-père entre sous escorte.

L'horreur qui vous saute à la gorge au détour d'un dossier quand vous ne vous y attendez pas.

L'absence absolue de routine.

mardi 2 octobre 2007

Enfin un vrai Code des étrangers...

Je viens de recevoir la nouvelle édition du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA), publié par LITEC.couverture du code

C'est l'héritier des éditions antérieures, de la collection "Juriscode", dont l'organisation interne ne m'avait jamais paru satisfaisante (surtout avant la codification, où l'index renvoyait aux articles selon une classification absconse entre "texte pertinent" et "texte leader" qui n'en faisait pas un outil de travail très pratique).

Grand coup de balai, pour un résultat très heureux : cette fois, c'est un vrai code, similaire aux Code civil, Code pénal, Code de procédure pénale édités par la maison aux codes bleus. Les articles de la partie législative, puis réglementaire, avec en dessous les annotations de jurisprudence et commentaires pertinents de Vincent Tchen et Fabienne Renault-Malignac, suivi d'annexes où se trouvent les autres textes utiles au droit des étrangers (Convention européenne des droits de l'homme, accord Franco-Algérien de 1968, textes communautaires...) avec cette organisation à laquelle nous sommes habitués.

Réduction de format aussi, qui le rend plus aisément transportable : on passe du Juriscode 24x16 cm, 1400 pages, au format Code 19,5 X 14cm, 1500 pages.

Par contre, ce Code est loin d'être abordable : 73 euros, pour un Code qui ne sera plus à jour dans quelques semaines. Il demeure que c'est un support indispensable pour tous les praticiens de la matière, avocats bien sûr, mais aussi pour les associations intervenant dans le domaine.

Vous pouvez y aller, il est Eolas approved.

NB : Gros errata tout de même : à l'article L.511-1, il manque le premier alinéa du II, ainsi rédigé :

II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :

Cet oubli cause un vrai problème de compréhension du texte, la liste des cas où un APRF peut être pris apparaissant directement sous la liste des cas où le préfet peut prendre une OQTF. A vos crayons pour rectifier.

  • Editeur : Litec; Édition : édition 2008 (sorti le 5 septembre 2007)
  • Collection : Codes LITEC
  • ISBN-10: 271100905X
  • ISBN-13: 978-2711009053

Full disclosure : j'ai acheté mon Code avec mes sous à moi, je ne connais pas Vincent Tchen autrement que par la lecture assidue de son excellent blogue, je n'ai pas été sollicité pour faire cette promotion, qui est spontanée et traduit ma satisfaction face à ce nouveau code que j'attendais depuis longtemps. Cela dit, si les Editions Litec veulent m'offrir l'inévitable édition 2009 mise à jour des deux ou trois lois qui seront votées d'ici là, qu'elles n'hésitent pas, j'en ferai un excellent usage.

dimanche 30 septembre 2007

Devine qui vient dîner ce soir ?

Dernier match de poule aujourd'hui, contre la Géorgie (avec un accent, pour ne pas la confondre avec le quatrième Etat des Etats-Unis d'Amérique).

Drapeau de la Géorgie

La Géorgie, capitale Tbilissi, est une ancienne république soviétique ayant accédé à l'indépendance en 1990. Son drapeau représente la croix de Saint Georges, qui est, comme vous l'avez deviné, le saint patron du pays. C'est la même croix que celle qui constitue le drapeau anglais, Saint Georges étant aussi le saint patron de la perfide Albion, et qui apparaît dans l'Union Jack du Royaume-Uni.

Ceux d'entre vous qui ont bonne mémoire auront levé un sourcil étonné : lors de la dernière coupe du monde, la Géorgie avait déjà été qualifiée, mais n'arborait pas ce drapeau. ancien drapeau de la Georgie, 1990-2004En effet, le drapeau de la Géorgie a changé le 1er janvier 2004, l'ancien drapeau tricolore adopté en 1918, lors de l'indépendance de l'Empire Ottoman, étant devenu le symbole des années de chaos qui ont suivi l'indépendance de l'Union Soviétique (1990-2004).

Le 1er janvier 2004, la Géorgie a opéré un retour aux sources, car ce drapeau date du Ve siècle après Jésus Christ pour la croix de Saint Georges, armes du roi Vakhtang Gorgasali (440-502). C'est au XIIIe siècle que le drapeau deviendra le drapeau aux cinq croix, lors du règne de George V le Brillant (1286-1346), qui chassa les mongols de Géorgie, bien que certains historiens fassent remonter son apparition au règne de la grande reine Tamar (1160-1213), cet ajout étant inspiré par les bannières des croisés qui ajoutaient des croix potencées de Jérusalem à leurs armes. Les cinq croix symbolisent les cinq blessures infligées au Christ lors de la passion (les deux mains, les deux pieds, et la lance au coeur).

La Géorgie est un pays chrétien orthodoxe, très religieux car son histoire est celle de la résistance de la chrétienté au milieu des envahisseurs païens (perses, Mongols) ou musulmans (Arabes au VIIe siècle, Turcs au XVIe).

L'équipe de Géorgie a toutes les raisons d'avoir de la sympathie pour la France. En 2003, c'est grâce à l'aide de la Fédération Française que les Géorgiens ont pu jouer la coupe du monde, la FFR ayant financé les maillots de l'équipe (grâce à la mobilisation du plus basque des Géorgiens, Dimitri Yashvili). Beaucoup de joueurs Géorgiens jouent en professionnels dans le Top 14 français, ou dans des clubs de division inférieure (citons les équipes de Massy et du Racing Metro 92 Paris).Logo de la Fédération Géorgienne de Rugby

Le rugby est un sport très populaire en Géorgie, depuis son introduction par des Français dans les années 50, mais surtout comme sport à regarder plus qu'à pratiquer. Seuls huit terrains existent dans le pays, et la Fédération ne compte que trois cent licenciés. Ce qui rend leur présence ici proche de l'exploit, et mérite un hommage.

Les rugbymen géorgiens sont surnommés les Lelos, du nom d'un sport local ayant des points de ressemblance avec le rugby (un peu comme la soule en France).

Leur hymne est intitulé Tavisupleba, ce qui signifie Liberté en Géorgien. Voici un clip délicieusement kitsch de cet hymne (attention, c'est du lourd). Les sous-titres sont de votre serviteur. je crois que ça se voit par moments. La statue équestre visible à 1'03" est la statue de George V le brillant, de même que le portrait aperçu fugacement aussitôt après, suivi tout aussi fugacement par le portrait de la reine Tamar.

Et bien évidemment, ALLEZ LES BLEUS ! ! !

Et vu que juste après il y a Irlande Argentine, ALLEZ L'IRLANDE ! ! !

vendredi 28 septembre 2007

Dear George

Voici un nouveau billet écrit par un auteur invité, en l'occurrence une nouvelle fois Dadouche, qui est venu avec un ami, George, qui a plein de questions à lui poser sur le métier de juge des enfants, quelques idées reçues sur le sujet, et un drôle d'accent.

Elle vous propose de glisser une oreille indiscrète lors de cette conversation à bâtons rompus qui se tient dans son cabinet, autour d'une tasse de café. Pour ma part, je file sur la pointe des pieds, je dois aider un préfet à ne pas atteindre son quota d'expulsion d'étrangers.


— Chère Dadouche, me permettez vous une question ?

— Mais comment donc, cher George (oui, mon beau lecteur à moi s’appelle George et a une passion pour le café), posez, posez donc.

— Comment faites vous pour vous livrer quotidiennement à votre coupable industrie ?

— Coupable industrie, comme vous y allez, cher Georges. Si vous continuez comme ça, je vais vous rebaptiser Quasimodo et vous sonner les cloches.

— Ne prenez pas la mouche ma mie (oui, George m’appelle sa mie, c’est mon droit d’auteur). Je m’interrogeais simplement : comment une magistrate, garante des libertés individuelles, peut-elle cautionner que les services sociaux arrachent sans pitié des chérubins à leurs familles aimantes qui ne les battent pas ? Si vous exerciez un métier respectable, vous seriez une héroïne récurrente au lieu d’être de la chair à couteau de cuisine.

— Eteignez donc votre télévision et laissez moi vous expliquer…

Si le juge des enfants existe, ce n’est pas seulement pour juger les mineurs délinquants. C’est aussi pour protéger ceux dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger ou dont les conditions d’éducation ou de développement physique, affectif, intellectuel ou social sont gravement compromises, si les mesures proposées à la famille par les services du Conseil Général, en charge de la protection de l’enfance, ne sont pas suffisantes (article 375 du Code civil).

— Vous ne me ferez pas accroire que vous avez mené de longues et brillantes études de droit (George est d’un naturel flatteur), passé un concours difficile et survécu à la scolarité de l’ENM pour devenir assistante sociale.

— Justement non, cher George. Si j’interviens dans le champ socio-éducatif et suis donc amenée à m’intéresser à des notions que je maniais peu du temps où je sévissais comme juge d’instruction, c’est bien en tant que magistrat que je le fais. Car les mesures que j’ordonne sont par nature attentatoires aux libertés et je les prends à l’issue d’une procédure judiciaire, dans le cadre de règles définies par le code civil et le code de procédure civile. Les personnes concernées ont accès aux pièces du dossier qui fonderont ma décision, peuvent être assistées d’un avocat, sont entendues lors d’une audience et peuvent faire appel de mon jugement. Le législateur, dans son infinie (bien qu’intermittente) sagesse, a donc choisi de confier à un juge le soin de décider si le danger couru par des mineurs justifie d’attenter à l’autorité parentale pour les protéger. C’est donc bien en ma qualité de garante des libertés individuelles que j’ai délaissé les joies réputées plus nobles du droit de la construction et des liquidations de régimes matrimoniaux pour mener des audiences d’assistance éducative au cours desquelles la loi m’impose de m’efforcer de recueillir l’adhésion des familles aux mesures qui me paraissent nécessaires.

— Dès qu’une mère débordée arrive en retard pour récupérer son rejeton au Centre aéré ou qu’un père excédé par un ado insolent a la main un peu leste, vous le placez donc en foyer pour le « protéger » ?

— Décidément, cher George, vous devriez arrêter le café ! Le Procureur de la République, mon plus grand pourvoyeur d’activité, ne me saisit que dans les situations les plus graves, quand les mesures de prévention proposées par les services sociaux n’ont pas permis de faire disparaître un risque avéré pour l’enfant ou ont été refusées par la famille. C’est le principe de subsidiarité : le conseil général et plus particulièrement le service de l’aide sociale à l’enfance ont une compétence de principe pour centraliser toutes les actions de protection de l’enfance, et je n’interviens que pour trancher les situations les plus délicates.

Je peux aussi être saisie directement par les parents ou le mineur lui même. Mais pas par les grands-parents ou les voisins dont je renvoie tous les courriers au Procureur pour qu’il décide s’il y a lieu de me faire intervenir.

— Il y a donc tant d’enfants maltraités en France pour justifier d’occuper à plein temps plusieurs centaines de juges des enfants qui ne sont saisis que des cas les plus graves ? Allons donc, vous galéjez je pense.

— Que nenni mon cher George. Votre fine connaissance de la langue française vous permettra aisément de comprendre que le mineur « en danger » tel qu’il est défini par le code civil n’est pas seulement le Julien Leclou de l’Argent de poche (très joli film de Truffaut sur l’enfance) ou le Poil de Carotte de Jules Renard. Nul besoin de Folcoche ou de Mme MacMiche pour mettre un enfant en danger.

Laissez-moi vous présenter quelques uns de mes habitués :

Julie, 7 ans, est une fillette adorable et un vrai petit tyran domestique. Elle a bien compris que sa maman ne supporte pas de la voir pleurer et crier « je ne t’aime plus » quand elle lui refuse quelque chose. Si ça marche avec maman, pourquoi pas avec les autres ? Résultat, Julie est complètement intolérante à la frustration, pique des colères impressionnantes. Sa maman, complètement dépassée et épuisée, lève alors le ton (et parfois la main) hors de toute proportion, ce qui aboutit fatalement à des conflits insupportables pour elle. Mère et fille sont toutes les deux épuisées par ces soubresauts de plus en plus fréquents. Les conditions de l’éducation de Julie, qui développe à l’école des troubles du comportement qui la rendent indisponible aux apprentissages de base, apparaissent gravement compromises. Sa santé psychologique et sa sécurité semblent être aussi en danger.

Raphaël est né il y a trois jours. Sa maman souffre d’une maladie mentale et arrête régulièrement son traitement. Il a été constaté à la maternité que la maman a des gestes inadaptés et réagit avec une grande brusquerie au moindre pleurs de l’enfant. Toute l’équipe médicale est très inquiète et craint que le suivi, même intensif,de la Protection Maternelle et Infantile (PMI, service qui dépend du Conseil Général) ne suffise pas à garantir la sécurité du nourrisson.

Jessica a 14 ans. Au collège, des rumeurs parviennent à l’assistante sociale : Jessica serait victime de tournantes. Une enquête est déclenchée. Les garçons mis en cause décrivent une après midi où ils ont été 4 à avoir successivement des relations sexuelles avec la jeune fille, sur sa proposition. Jessica explique aux gendarmes dans des termes assez crus qu’elle était consentante pour chaque relation sexuelle et qu’on a pas à se mêler de ses affaires. Une vidéo tournée par un des Dom Juan avec son téléphone portable confirme cette version. Il n’est pas abusif de subodorer que Jessica, que ses parents n’arrivent pas à empêcher de quitter le domicile quand elle le désire, est en danger quant à sa moralité. Sa santé psychologique et les conditions de son développement affectifs ne sont pas bien vaillants non plus.

Grégoire a 17 ans. Ses parents, qui n’ont rencontré aucune difficulté avec Hermine, Charles-Henri et Quitterie, ne savent plus comment réagir aux provocations de leur fils, totalement déscolarisé, qui fume du shit toute la journée et les insulte quand ils veulent le faire se lever à 14 heures. Ils se disent aujourd’hui qu’ils ont peut être un peu trop gâté le petit dernier et que l’internat strict au fin fond de la Creuse dont il a réussi à se faire renvoyer en 15 jours est arrivé un peu tard. Ils n’en peuvent plus et supplient le juge des enfants de le placer dans une structure fermée pour le sauver de lui même.

Manon a 15 ans. Elle aime sa mère mais la méprise un peu plus chaque fois qu’elle la trouve ivre morte. Pourquoi respecterait-elle cette adulte qui n’est même pas capable de se soigner ? Alors elle l’insulte, elle fuit le domicile et se met en danger en menant une vie qui n’est pas de son âge pour passer le moins de temps possible chez elle.

Matthieu, 12 ans, Elodie, 7 ans et Louis, 5 ans, aiment beaucoup leurs parents. Mais leurs parents ne peuvent plus se sentir. Quand ils rentrent des week-ends chez Papa, Maman inspecte leurs vêtements et vérifie s’ils n’ont pas le nez qui coule. Elle prépare une liste de tous les problèmes qu’elle constatera pour montrer au juge aux affaires familiales lors de la prochaine audience. Quand ils arrivent chez Papa, ils subissent un feu roulant de questions sur Maman, son nouvel ami, le nombre de fois où elle est arrivée deux minutes en retard pour les chercher à l’école. Louis est encoprétique et fait des cauchemars au début et à la fin de chaque week-end ou vacances chez son père. Elodie est renfermée et ne raconte plus à personne ce qui se passe ni chez Papa ni chez Maman. Son anxiété est telle qu’elle est incapable de se concentrer à l’école et est en grave échec scolaire. Matthieu vient d’être exclu du collège, où il a multiplié les comportements agressifs avec les autres élèves et les insolences avec les professeurs.

Kelly, 11 ans, s’est confiée à sa meilleure amie. Ca fait plusieurs fois que son grand frère Julien, 13 ans, dont elle partage la chambre, lui fait faire « des saletés » la nuit dans son lit. Elle en a parlé à sa Maman qui a grondé Julien, qui a promis de ne pas recommencer.

Théo et Priscilla sont très inquiets. A 8 et 10 ans, chaque fois qu’ils entendent leurs parents se disputer, ils se demandent si cette fois encore Papa et Maman vont se battre. Dans le deux-pièces familial, ils sont aux premières loges à chaque bagarre. Priscilla fait des cauchemars toutes les nuits et s’endort à l’école. Théo fait preuve d’une violence croissante. Et ils ont très peur pour la santé de leur maman, qui a déjà eu le bras cassé.

— Chère Dadouche, n’en jetez plus, je crois que j’ai compris où vous voulez en venir.

— Mais George, il y en a tellement d’autres ! Songez que je suis chargée de la situation de 400 familles, sans compter les mesures de tutelles aux prestations familiales, les mesures de protection des jeunes majeurs de 18 à 21 ans et surtout les procédures pénales (qui peuvent concerner des mineurs que je suis par ailleurs en assistance éducative).

Je pourrais vous parler de Winnie, qui a accusé ses parents de maltraitance parce qu’ils ne la laissaient pas assez sortir et que ses copines lui ont dit qu’au foyer c’était plus sympa, de Brandon, Killian et Jérémy, dont le manque d’hygiène a alerté les services sociaux qui ont découvert un appartement infesté de blattes et jonché de vieux papiers, d’Alexis, qui souffre de troubles psychiatriques et se bat régulièrement avec son père, d’Océane, victime d’agressions sexuelles de la part de son beau-père et dont la mère refuse de la croire, de Jonathan, qui a découvert à 13 ans que son père n’était pas son père et a du changer de nom, de Zoé, la gothique qui s’amuse beaucoup des inquiétudes de ses parents persuadés qu’elle sacrifie des poulets à la peine lune, de Geoffrey, placé depuis l’âge de 18 mois, qui se languit depuis deux ans d’avoir des nouvelles de sa mère qui aux dernières nouvelles serait dans un foyer d’urgence, de Romuald, qui n’a jamais bénéficié des stimulations nécessaires chez ses parents et présente à 5 ans d’inquiétants retards dans les acquisitions, de Jérôme, dont tous les frères aînés sont en prison et qui fait tout pour perpétuer la tradition familiale.

— Je vous en prie, arrêtez-là. Les foyers doivent déborder !

— Encore ce mythe du juge des enfants croquemitaine qui vient voler les enfants pour les entasser dans les dortoirs des foyers… Plus de la moitié des mesures éducatives judiciaires sont des mesures d’ « action éducative en milieu ouvert ». Un service éducatif intervient alors, soit au domicile soit par des rencontres au sein du service pour prodiguer aide et conseil à la famille et tenter, par un travail éducatif, de faire évoluer la situation. La loi impose au juge des enfants de privilégier le maintien du mineur « dans son milieu naturel ».

— Le terme a une résonnance quelque peu animalière. Est-ce à dire que les foyers sont des zoos ?

— Toujours les clichés ! Les prises en charge et les lieux d’accueil ont beaucoup évolué. Beaucoup d’enfants placés sont accueillis dans des familles d’accueil, et ce n’est pas réservé aux tout-petits. Certains ne supportent pas cette atmosphère familiale, par loyauté envers leur propre famille, et sont orientés vers des maisons d’enfant à caractère social (MECS), où les nouvelles normes imposent des chambres individuelles avec douche privative. Des lieux de vie peuvent également accueillir des enfants ou des ados qui ne supportent pas une trop grande collectivité et nécessitent une structure plus vigilante qu’une famille d’accueil. Beaucoup d’établissements ont une vocation généraliste, d’autres proposent des prises en charges très spécialisées, par exemple pour des jeunes déscolarisés ou des jeunes filles victimes d’abus sexuels.

— C’est le pays des Bisounours que vous me décrivez là chère Dadouche. Tout serait-il si rose au royaume de la protection de l’enfance ?

— Non bien sûr, sauf à consommer des substances faisant apparaître sous vos yeux ébahis des pachydermes en tutu à paillettes. Si beaucoup de placements (qui peuvent durer quelques mois, deux ans, parfois beaucoup plus longtemps) se passent bien, d’autres sont des échecs cuisants, où le remède est parfois pire que le mal tant la problématique du jeune ou de sa famille est complexe. Parfois il faut maintenir la mesure contre vents et marées pour qu’elle porte ses fruits, parfois il faut savoir faire marche arrière. Souvent on manque de place dans la structure qui paraîtrait la plus adaptée et un mineur qui n’a rien à y faire reste au foyer de l’enfance du département, lieu d’accueil d’urgence par excellence. Parfois il s’écoule plusieurs mois entre le moment où une mesure qui paraît indispensable est ordonnée et le moment où elle est effective. Parfois aussi on ne mesure pas la gravité de la situation et un enfant laissé chez ses parents continue à subir des maltraitances.

— Mais on ne vous fournit pas de boule de cristal avec la robe et l’épitoge ?

— Vous êtes tellement mignon mon cher Georges… Non, aucun équipement surnaturel n’est prévu au pays des Moldus. Mais décider fait partie du boulot de juge, et c’est bien pour ça qu’on en a prévu un dans ces cas là.

— Chère Dadouche, je crains d’abuser de votre temps si précieux, mais pourriez vous me parler des vilains mineurs, pas ceux qui sont victimes et qu’on doit protéger, mais ceux - qui - pourrissent - la - vie - des - honnêtes - gens - et - que - les - juges - laxistes - relâchent - dix - fois - avant - de - songer - à - les - sanctionner - alors - que - la - police - les - connaît ?

— Cher George, c’est avec plaisir que je vous parlerais des mineurs délinquants (qui sont parfois les mêmes que ceux que je rencontre en assistance éducative), mais au rythme où vont les choses, mon exposé risquerait d’être obsolète avant que d’être achevé. Souffrez donc que je parcoure d’abord Légifrance pour vérifier si une nouvelle réforme révolutionnaire de l’ordonnance de 1945 n’a pas été votée depuis trois jours avant que de vous l’infliger.

Par ailleurs c’est l’heure de « la danse de l’OPP » rituellement annoncée par le substitut des mineurs qui hurle « P… l’ASE vient juste de s’apercevoir après deux jours d’intense réflexion qu’il y a urgence absolue à prendre une ordonnance de placement provisoire dans une situation qui ne peut pas attendre lundi matin ! »

— Un vendredi à 17 heures ? What else ?

mardi 25 septembre 2007

La machine folle

A lire, ce très bon article du Monde, Expulsions d'étrangers : les objectifs fixés mettent policiers et juges sous tension.

Quelles que soient vos opinions sur la question, votre absence de sympathie pour la cause des étrangers, vous ne pouvez pas rester insensible à ce que cet article met en lumière : une utilisation aberrante et absurde des moyens de l'Etat, dont on ne cesse de nous répéter qu'ils sont limités.

Extraits, avec quelques explications que je crois utiles :

"A Paris, les unités judiciaires de traitement en temps réel[1] sont en surchauffe avec parfois plus de 80 % de gardes à vue portant sur des infractions à la législation des étrangers", ajoute un autre [policier]. "Les magistrats de permanence sont eux aussi excédés et nous demandent parfois ironiquement si nous sommes encore intéressés par arrêter de vrais délinquants..." Un troisième s'interroge : "Dans mon département de l'ouest de la France, je les trouve où et comment mes étrangers en situation irrégulière ?"

Ca, c'est sûr que reconduire des étrangers à la frontière, pour la préfecture de la Roche Sur Yon (Vendée), il va falloir taper dans les Bretons.

Au tribunal de grande instance de Bordeaux[2], les procédures concernant les étrangers sont passées d'une centaine en 2001 à 600 en 2006. Olivier Joulin, vice-président du tribunal, membre du Syndicat de la magistrature[3], souligne que, "si le préfet de Gironde, lui aussi convoqué par le ministre, saisit les juges des libertés et de la détention pour atteindre les objectifs assignés, il leur faudra prononcer 500 décisions de maintien en centre de rétention en trois mois, l'équivalent de ce que nous avons fait en neuf mois." Le contentieux des étrangers, qui, représente de 30 % à 40 % de l'activité des deux JLD, "en représenterait le double. Cela se fera au détriment des autres contentieux".

Les « autres contentieux », c'est juste le contentieux de la détention provisoire. Prêts pour un nouvel Outreau ?

Une JLD de la région parisienne évoque "une machine qui tourne à vide" : des étrangers continuent d'être présentés à la justice, mais, faute de place en centre de rétention, les décisions ne vont pas être appliquées.

Ca, je confirme, je l'ai vécu, mais je ne vous dirai pas où ça se passe. A l'arrivée à l'audience, le greffier vient nous dire que le centre de rétention étant complet, le préfet remet en liberté tous les étrangers dont le maintien est prononcé. Sachant qu'il fait appel de toutes les remises en liberté, sur annulation de la procédure ou assignation à résidence, les avocats escamotent aussitôt leurs pièces et se contentent de "s'en rapporter". La première fois, j'ai dû aller au dépôt pour m'assurer qu'on ne m'avait pas menti. Le temps que j'y arrive par les couloirs du palais, mon client était déjà dehors.

Les magistrats des tribunaux administratifs, pour leur part, ont donné l'alerte[4] : leurs juridictions sont en passe d'être asphyxiées par le contentieux des étrangers. Celui-ci représente déjà plus du quart des requêtes enregistrées (quelque 44 000 sur un total de 167 000) et connaît un rythme de croissance qui ne cesse de s'accélérer : sur le seul premier trimestre, les affaires en droit des étrangers se sont accrues de 10,29 %, contre 6,14 % pour l'ensemble du contentieux.

"Le contentieux des étrangers étant le seul contentieux de masse pour lequel nous soyons soumis à un délai, nous ne jugeons plus le reste", relève Stéphane [Julinet], délégué du Syndicat de la juridiction administrative (SJA). A Paris, sur l'ensemble des requêtes audiencées entre la mi-septembre et la fin octobre, 70 % relèvent du droit des étrangers, 21 % du droit fiscal et 9 % seulement des litiges portant sur les autres politiques publiques.

Ces 9% recouvrent entre autres les permis de construire illégaux, le droit de l'environnement, et toute la responsabilité de l'Etat, notamment les victimes transfusionnelles (VIH, hépatite...), celles des infections nosocomiales, et les patients en bonne santé décédés dans un hôpital. Ces victimes de l'Etat attendront (quatre ans en moyenne). Pourquoi devrait-elles être pressées sous prétexte qu'elles ont l'hépatite C ou portent le VIH ?

Rappelons que même si la pensée de leur présence vous insupporte, ces étrangers ne font rien d'autre qu'être là. Ils travaillent, pour la plupart, payent leur loyer, leurs impôts (l'Etat n'a RIEN contre les étrangers quand il s'agit de payer la taxe d'habitation ou quand ils supportent la TVA sur leurs achats). Ceux qui commettent des délits relèvent de la juridiction pénale et de la peine d'interdiction du territoire : ils n'entrent absolument pas dans le circuit décrit ici.

Permettez moi une dernière citation. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, article 15 : La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Je crois que ceux qui ont bâti par empilement de lois cette machine folle qui consume en vain les moyens de l'Etat et le conduit à démissionner de ses fonctions de protection des citoyens et de sa fonction régalienne de justice ont de sérieux comptes à rendre. Seul l'aveuglement des citoyens les met à l'abri pour l'instant.

Ouvrez les yeux, il est plus que temps.

Notes

[1] Il s'agit des services chargés de réprimer la petite délinquance aussitôt qu'elle se commet, de l'arrestation aux comparutions immédiates. Les étrangers interpellés sont d'abord placés en garde à vue pour infraction à la législations sur les étrangers (ILE) le temps que la préfecture prenne un arrêté de reconduite à la frontière. Aussitôt cet arrêté pris, l'affaire est classée sans suite. Après avoir immobilisé inutilement les policiers, dont un officier de police judiciaire, qui ont surveillé et interrogé l'étranger.

[2] Un étranger frappé d'une arrêté de reconduite à la frontière peut être, et c'est souvent le cas en pratique, placé dans un Centre de Rétention Administratif (CRA) pour 48 heures par le préfet. S'il souhaite maintenir l'étranger au-delà de cette période (c'est toujours le cas en pratique car la reconduite ne peut pas être exécutée dans ce délai, qui est le délai de recours suspensif contre l'arrêté, voir plus bas), il doit saisir le juge des libertés et de la détention pour qu'il ordonne le maintien en rétention pour une durée de quinze jours, renouvelable une fois. Le JLD vérifie lors de cette première audience que la procédure a bien été respectée, faute de quoi l'étranger est aussitôt relâché. A titre exceptionnel (c'est le terme qu'emploie la loi), le juge peut aussi assigner à résidence un étranger qui peut justifier d'un domicile.

[3] Marqué à gauche, pour ceux qui préfèrent tirer sur le facteur plutôt que recevoir des mauvaises nouvelles.

[4] Outre l'audience devant le JLD pour la régularité de la procédure, l'étranger peut saisir le tribunal administratif pour obtenir l'annulation de l'arrêté de reconduite à la frontière. Ce recours doit être présenté dans les 48 heures, week ends et jours fériés inclus, et examiné en 72 heures. Mentionnons aussi les Obligations de Quitter le Territoire Français, OQTF : un préfet qui refuse un titre de séjour peut prendre en même temps un titre équivalant à un arrêté de reconduite à la frontière, qu'on appelle l'OQTF ; l'étranger étant libre par hypothèse, l'Etat est beaucoup plus généreux : un mois pour le recours, trois mois pour le juger. Vous avez remarqué ? Quand il s'agit des affaires concernant les citoyens, l'Etat n'est plus pressé et ne fixe plus de délai. C'est ce qu'on appelle avoir le sens des priorité, ou : charité bien ordonnée...

dimanche 23 septembre 2007

On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs

Un peu passé inaperçu, l'avis du 7 septembre dernier (pas de lien direct, il faut faire défiler la liste) du Défenseur des Enfants (qui est une autorité instituée par la loi du 6 mars 2000 et dont le rôle est de veiller au respect des droits des enfants au besoin en saisissant les autorités administratives et judiciaires compétentes) relève que le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, tout juste adopté par le parlement, viole la Convention Internationale des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant (CIDE). Et par trois fois, s'il vous plaît.

Des conditions de ressources pour obtenir le regroupement familial (art 2 du projet de loi)..

L’article 2 du projet de loi énonce que les parents demandeurs au regroupement familial devront justifier d’un montant de ressources « au moins égal au SMIC, et au plus égal à ce salaire majoré d’un cinquième » (soit entre 1280 et 1536 euros brut), selon la taille de la famille. S’il est légitime de se préoccuper des conditions matérielles dans lesquelles les enfants vont se trouver après le regroupement familial, cette nouvelle exigence a pour conséquence de contrevenir aux articles 9 et 10 de la CIDE, en empêchant certains enfants de retrouver rapidement leur(s) parent(s) alors qu’il s’agit de « leur intérêt supérieur ».

Cette disposition du projet de loi exige en effet des familles étrangères qui demandent à être réunies avec leurs enfants des conditions de ressources qui seront, dans un certain nombre de situations, difficiles à réunir. Rappelons que 11,7 % de la population métropolitaine vit en dessous du seuil de pauvreté, soit 788 euros par mois : parmi elle, 20% des familles vivant en France avec 3 enfants se trouvent d ans ce cas de figure (chiffres de l’INSEE). 1.

Cette disposition relative aux conditions de ressources pour obtenir le regroupement familial est donc contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant dans la mesure où elle ferait obstacle dans bon nombre de cas au « droit de l’enfant à ne pas être séparé de ses parents ».



  • Création d’un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille, comportant une formation sur les droits et devoirs des parents en France dont le non-respect peut entraîner la saisine du Président du Conseil Général avec des conséquences possibles en terme de suspension de mise sous tutelle des prestations familiales (article 3 du projet de loi).

    L’initiative d’une formation sur les droits et devoirs des parents peut être intéressante pour faciliter l’intégration des familles. Toutefois, elle aurait pu faire l’objet d’un volet supplémentaire dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration individuel que chaque parent signe par ailleurs.

    Par contre, le texte prévoit qu’en cas de non-respect par les parents des stipulations de ce contrat, le Préfet pourrait saisir le Président du Conseil Général, sur la base de l’article L. 222-4-1 du code de l’action sociale et des familles. Ce dernier pourrait alors proposer un contrat de responsabilité parentale ou toute autre aide sociale avec des conséquences possibles en terme de suspension ou de mise sous tutelle des prestations familiales.

    Or, l’article L. 222-4-1 prévoit la saisine du Président du Conseil Général en cas de « difficulté liée à une carence de l'autorité parentale ». Le fait que les parents ne suivent pas une formation sur leurs droits et devoirs ne saurait en aucun cas être assimilé à une carence de l’autorité parentale.

    En conséquence, il n’y a pas de raison de saisir le Président du Conseil Général sur la base de l’article L. 222-4-1 au seul motif que les parents n’auraient pas respecté la formation prévue par le contrat d’accueil et d’intégration « famille ».



  • Obligation pour le mineur de 16 à 18 ans de justifier dans son pays d’origine, préalablement au regroupement familial, d’une évaluation de sa connaissance de la langue française et des valeurs de la République, et en cas d’insuffisance de suivre une formation d’une durée maximale de deux mois (article 4 du projet de loi).

    Cette formation, qui serait dispensée gratuitement par les réseaux des centres culturels et des Alliances françaises à l’étranger, comporterait des frais de dossier. Or, il est peu probable que des jeunes gens, déjà fragilisés par l’absence de leurs parents, puissent, s’ils vivent loin de la capitale de leur pays, subvenir à leurs besoins pendant plusieurs semaines pour suivre cette formation et s’acquitter des frais de dossier exigés. Cette obligation risque de plus, de les mettre en situation de danger durant cette période, s’ils se retrouvent isolés et sans entourage familial.

    Cette disposition est donc en contradiction avec l’article 9 de la CIDE, dans la mesure où elle introduit un obstacle à l’intérêt supérieur d’un mineur de rejoindre rapidement ses parents. Il serait plus adapté de prévoir une mise à niveau de la connaissance de la langue française à l’arrivée sur le territoire français dans un environnement familial sécurisant.

  • Et pour ceux qui ne voient dans ceux qui éprouvent un tant soit peu de compassion pour les étrangers que des gauchistes inconséquents, Madame Dominique Versini a été désignée à ce poste en juin 2006 par le président Chirac après avoir fait toute sa carrière politique au RPR.

    Monsieur Etienne Pinte n'a pas le monopole du coeur et de la conscience à droite.

    Mais je vous rassure, chacune de ces dispositions a bien été conservée dans le texte définitif adopté 12 jours plus tard.

    Mesdames, Messieurs les sénateurs, la balle est dans votre camp. Montrez la voie de la sagesse à ces jeunes excités des bords de Seine, et prouvez ainsi que les plus sourds des parlementaires ne sont pas ceux qu'on croit.

    samedi 22 septembre 2007

    Au JO du jour...

    ... ne dites plus Creative Commons, mais oeuvre en partage.

    [Via Melismes' twitter, et n'oubliez pas : l'anglais c'est bad mal]

    vendredi 21 septembre 2007

    Prix Busiris à Monsieur Eric Ciotti

    Bravo à Monsieur le député de la première circonscription des Alpes Maritimes. Au-delà de la puissante nausée qu'il a contribué à m'infliger, sa participation aux débats de l'infâme amendement 69 lui vaut ce prix qui récompense un des plus beaux mauvais traitements infligés au droit et à la simple raison entendu depuis longtemps dans cette enceinte, qui en a pourtant ouï de belles. Eric Ciotti, photo Assemblée nationale Je vous rappelle les critères d'attribution du prix : une affirmation juridiquement aberrante, contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit.

    Cette récompense a été attribuée à l'unanimité des voix et au premier tour de scrutin, pour les propos tenus lors de la troisième séance du mercredi 19 septembre 2007 (que je restitue sans les interruptions pour lui conserver sa pureté, les gras sont de moi) :

    M. Éric Ciotti. Le groupe UMP est très favorable à l’amendement n° 69… [Réduisant d'un mois à quinze jours le délai de recours devant la Commission des Recours des Réfugiés, NdR] (…) parce que notre pays se caractérise par sa tradition d’accueil de tous ceux qui souffrent et qui sont victimes, dans leur pays d’origine, d’atteintes à leur intégrité de par leur opinion politique ou leur statut. Cette vocation universelle de notre pays à faire de son sol un lieu d’accueil pour tous ceux qui sont martyrisés dans leur pays doit être réaffirmée, et ce texte y contribue. Les dispositions qui ont été introduites dans ce projet de loi vont dans ce sens et renforcent le caractère intangible de cette vocation, auquel, tout comme vous, nous sommes attachés.

    Voici déjà l'affirmation juridiquement aberrante et contradictoire : Diviser par deux le délai de recours contribue à réaffirmer la vocation universelle de la France à faire de son sol un lieu d'accueil pour ceux qui sont martyrisés.

    Mais pour que ce droit d’asile, pour que cette vocation universelle de la France demeure, il faut que ces demandes d’asile ne soient pas dévoyées. Or vous savez que, malheureusement, la demande d’asile a, au cours des années écoulées, souvent été l’objet de détournements et a fréquemment servi de vecteur à une immigration ne correspondant pas au statut de réfugié. Les dispositions adoptées depuis 2003 ont diminué le délai moyen de recours de vingt mois à quatorze mois en 2006. La France est le pays d’Europe qui possède la législation la plus généreuse en termes d’accueil. Et c’est bien. Nous nous en félicitons et nous nous en réjouissons, mais nous estimons aussi qu’il y a aujourd’hui une obligation d’harmonisation avec la législation européenne.

    Monsieur le député nous gâte, en voici une deuxième. La France a la législation la plus généreuse en la matière (ce qui est faux, l'Espagne fait mieux, mais passons), et c'est bien, youpi, mais en fait non, car il faut harmoniser notre législation avec les pays les moins généreux. Car l'harmonisation, c'est plus important que ce qui est bien et dont il faut se réjouir. En prime, le député sous entend que les vrais demandeurs font leur recours en quinze jours, et les fraudeurs en trente, ce qui serait un critère pertinent pour les distinguer et éliminer les seconds.

    Nous l’avons évoquée tout à l’heure à propos des tests ADN. Comment pouvoir prétendre, là encore, que la Grande-Bretagne, qui prévoit un délai de recours de dix jours et n’est pas pour autant caractérisée par un régime liberticide, devrait avoir une obligation plus forte que la France en ce domaine ? Nous sommes attachés à cette harmonisation.

    En plus, vous le savez, nous serons confrontés à partir du 1er janvier 2008, du fait de l’aide juridictionnelle qui va entrer en vigueur pour les demandeurs d’asile, à une augmentation des recours. (...) C’est naturellement une bonne chose. (...) Cela va mécaniquement conduire à une augmentation des délais d’instruction des demandes d’asile. Le gain de temps – j’espère que vous vous en félicitez, monsieur Braouezec – que nous avions obtenu au cours de ces dernières années, notamment grâce à l’action du ministre de l’intérieur de l’époque, et qui allait dans le sens du renforcement du statut du demandeur d’asile, risque d’être perdu à partir du 1er janvier 2008. La réduction du délai de recours que proposent M. Mariani et M. Cochet est donc tout à fait pertinente, et nous la soutenons.

    Et de trois, et à deux heures du matin, quelle santé ! Reprenons : Nous allons (enfin) accorder l'aide juridictionnelle aux demandeurs d'asile. Et c'est bien. Cela va les aider à présenter leurs recours. Et c'est bien. En plus, nous renforçons leur statut, et c'est bien. Mais du coup, ça va augmenter le nombre des recours. Car avant, on avait plein de demandeurs d'asile qui ne pouvaient pas exercer de recours faute d'argent, de connaître un avocat ou de parler la langue. Maintenant, ils vont pouvoir le faire. Et ça c'est mal, car les délais de traitement augmentent. Et le délai de traitement, c'est comme l'harmonisation, c'est plus important que la vocation universelle de la France à accueillir sur son sol les victimes des tyrans. Donc il faut compenser cette facilité en instaurant une difficulté supplémentaire.

    Voilà qui en prime apporte la mauvaise foi. L'opportunité politique est enfin démontrée par le petit coup de langue sur "le ministre de l'intérieur de l'époque" qui a fait du si bon travail, ha, comme il nous manque, quelqu'un sait où il est passé ?

    Félicitations pour votre prix, votre prestation contribue à réhausser encore sa valeur et sa nécessité.

    Devine qui vient dîner ce soir ?

    Ce soir, le XV de France affronte le XV au trèfle, l'équipe de la République d'Irlande, Poblacht na hÉireann comme on dit dans les pubs de Galway.

    Son drapeau est celui-ci :

    Drapeau des Quatre Provinces

    Je vous sens surpris.

    Et en effet, l'équipe d'Irlande présente la particularité d'être la seule équipe de cette coupe du monde à jouer sous un drapeau autre que son drapeau national, et à chanter un hymne (Ireland's call) qui n'est pas l'hymne national (Amhrán na bhFiann, la chanson du Soldat)[1]. Plus exactement, c'est la seule équipe bi-nationale.

    L'équipe d'Irlande a en effet depuis longtemps achevé la réunification de l'Ile. Elle représente à la fois les joueurs de la République d'Irlande, et les joueurs d'Irlande du Nord (qui sinon joueraient dans la sélection anglaise, inconcevable). Et quand les joueurs au trèfle jouent, des acclamations d'encouragement montent aussi bien de Belfast que de Dublin... Magie du rugby, encore une fois.

    Pour éviter que des joueurs nord-irlandais jouent sous le drapeau vert, blanc et orange qui est le drapeau de la République d'Irlande, l'équipe utilise donc ce drapeau, dit des Quatre Provinces, drapeau traditionnel qui réunit les armes des quatre provinces d'Irlande :

    La croix rouge sur champ d'or avec en son centre un écu blanc et une main rouge représente l'Ulster (nord de l'Ile), qui ne se confond pas avec l'Irlande du Nord : une partie de l'Ulster est en République d'Irlande (le Comté de Donnegal). Ce drapeau est le mélange des armes des deux plus grandes familles nobles d'Ulster, les De Burgo (croix rouge sur champ d'or) et les O'Neill, la famille royale d'Ulster jusqu'à sa conquête par les Tudor.

    Les trois couronnes représentent le Munster (sud de l'Ile), qui était autrefois composé des royaumes de Thomond, Desmond et Ormond.

    Le drapeau composé d'un aigle et d'un bras armé est le drapeau du Connacht (ouest de l'Ile ; prononcer conaôt). L'aigle est celui du clan des Browns, qui dirigeait Galway (capitale du Connacht) et le bras armé est le symbole des O'Connor, qui dirigeait la région avant l'invasion normande.

    La harpe, symbole de l'Irlande (vous la verrez sur les euros irlandais), est le drapeau du Leinster (est de l'Ile), où se trouve Dublin. C'est le premier drapeau des indépendantistes irlandais, lors de leurs premiers soulèvement en 1798 et dans les années 1830-1840, d'où son adoption comme symbole héraldiqueArmes de l'Irlande. Mais le vert étant trop associé aux catholiques irlandais, le drapeau tricolore sera adopté en 1917 par le Sinn Fein : le vert pour les catholiques, l'orange pour les protestant, partisans de Guillaume d'Orange à la bataille du Boyle le 1er juillet 1690, et le blanc pour symboliser la paix entre ces communautés.Draoeau de la République d'Irlande

    Notons toutefois que l'International Rugby Board (IRB) a contribué à compliquer les choses : quand l'équipe joue à Dublin, elle peut lever le drapeau tricolore et jouer l'hymne national Irlandais après Ireland's call. Mais la tradition de jouer le God Save The Queen quand l'équipe joue à Belfast a été abandonnée, l'IRB estimant que dans ce cas, l'Irlande ne jouait pas à domicile.

    Si la harpe est le symbole officiel de l'Irlande, son symbole le plus connu est aussi non officiel : c'est le trèfle. La légende dit que Saint Patrick, patron de l'Irlande et évangélisateur de l'île, a utilisé cette plante pour expliquer le mystère de la trinité aux païens. C'est ce symbole qu'arbore sur son plastron l'équipe de rugby irlandaise, sous la forme du logo de l'IRFU, l'Irish Rugby Football Union. Symbole de l'équipe d'Irlande Rappelons en effet que le nom officiel du rugby en anglais est le rugby football pour le sport en général, et le rugby union pour le rugby à XV (le rugby à XIII s'appelant rugby league).

    L'équipe d'Irlande est une vieille connaissance, puisque nous l'affrontons chaque année dans le cadre du tournoi des Six nations. Jusqu'à l'entrée de l'Italie, l'Irlande était abonnée à la dernière place dans les années 90. Le début des années 2000 a été une période faste, grâce à des joueurs d'exception comme Keith Wood, maintenant retraité (il représentait l'Irlande à la cérémonie d'ouverture) ou Brian O'Driscoll, encore en activité. L'Irlande a ainsi fini 2e du tournoi cette année derrière la France, tout comme en 2006, en remportant la Triple couronne à chaque fois, c'est à dire en battant toutes les équipes britanniques dont l'Angleterre (dont une vitoire à Twickenham le 18 mars 2006, le lendemain de la Saint-Patrick, fête nationale irlandaise).

    Cette période faste semble terminée, et le XV au trèfle ne semble pas au sommet de sa forme depuis le début de cette coupe du monde. Mais ce n'est pas un adversaire à prendre à la légère. Le match sera nettement moins déséquilibré que France Namibie. Mettez la Guinness au frais, et n'hésitez pas à aller voir ce match dans un pub irlandais. Les irlandais sont un public formidable, et il n'y a aucun antagonisme avec la France.

    Et bien évidemment... ALLEZ LES BLEUS ! ! !

    Notes

    [1] Certes, l'Ecosse et le Pays de Galles font partie du Royaume-Uni, mais sont bien des nations autonomes inscrites en tant que telles aux fédérations internationales de football et de rugby.

    jeudi 20 septembre 2007

    La nausée

    Je suis dans une colère noire. Il faut que je me retienne, tant les mots qui me viennent à l'esprit sont violents pour qualifier ce que les députés ont fait ce matin, à 2h10. Et quand je lis les mots qu'a eu le rapporteur de ce projet de loi, Monsieur le député Mariani, j'en ai des nausées.

    Ha, tout le monde n'avait d'yeux que pour le test ADN, avec des belles formules à gauche, "les heures les plus sombres de notre histoire", la filiation est-elle seulement biologique, alors même que notre droit n'a jamais intégré cette notion.

    Pendant que tout le monde dissertait doctement, l'assassin attendait son heure. Il portait un nom qui pourrait prêter à sourire : l'amendement 69. Et à l'heure où l'hémicycle se vide, après une suspension de séance qui est une invitation à ne pas revenir, il est revenu et a frappé.

    L'Assemblée a décidé, oh, trois fois rien. Le délai de recours contre les décisions de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), qui accorde ou refuse l'asile politique, a été réduit d'un mois à quinze jours.

    Ha, décidément, ce Maître Eolas, quel adepte des effets de manche ! Il essaye de nous faire passer quinze jours comme étant le socle de la démocratie, penserez-vous.

    Croyez-vous ?

    Allons voir un peu comment ça se passe, concrètement.

    La plupart des demandeurs d'asile présentent leur demande dès leur arrivée en France ; sur Paris, c'est à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, en se présentant à la police aux frontières (PAF). Comme je l'avais déjà narré en son temps, l'hospitalité de la France se manifeste par un enfermement immédiat dans les ZAPI. Un premier examen sommaire a lieu pour tenter de déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée. Si elle n'est pas infondée, l'étranger reçoit... un laisser passer lui permettant de présenter sa demande d'asile à l'OFPRA (dans un délai de 20 jours, sinon, c'est définitivement irrecevable). En Français, la demande, bien sûr. Avec des preuves en prime. Le dossier fait 16 pages.

    Si elle est considérée comme manifestement infondée (et c'est le ministre de l'intérieur qui décide, bientôt le ministre de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement), il est "réacheminé" dans les conditions que vous savez.

    Actuellement, la défense de ces étrangers connaît une embellie. La France ayant été condamnée par un arrêt du 24 avril 2007 de la cour européenne des droits de l'homme pour absence de recours suspensif à cette décision ministérielle (oui, la France a été condamnée par la cour européenne des droits de l'homme pour les règles en vigueur en matière d'asile, elle est pas belle, la patrie des droits de l'homme ?), les juges des libertés et de la détention de Bobigny libèrent systématiquement les demandeurs d'asile qui leur sont présentés au bout de quatre jours pour qu'ils puissent bénéficier de la procédure normale. Ca ne durera pas, l'un des objets de l'actuel projet de loi étant de prévoir un recours suspensif - sans que l'étranger soit libéré de la ZAPI, bien entendu.

    Quand un étranger se trouve sur le territoire français, il peut donc présenter sa demande à l'OFPRA. Il doit remplir un dossier et fournir des preuves des faits qu'il allègue. D'ailleurs, j'en profite pour tancer les divers groupements terroristes ou de guerilla du monde entier : pensez à faire des attestations d'oppression à vos victimes, ça rendrait bien service à l'OFPRA qui a une âme d'enfant et se refuse à voir le mal où que ce soit et croit que quand on lui raconte des horreurs, c'est en fait une bonne blague.

    La procédure devant l'OFPRA n'est pas juridictionnelle mais administrative. Le demandeur d'asile est reçu seul par un Officier de Protection (c'est le nom des fonctionnaires de l'OFPRA) qui va lui poser des questions précises sur son récit, pour s'assurer de sa crédibilité. On a donc un étranger, qui neuf fois sur dix ne parle pas français (il y a un interprète, bien sûr...) qui est interrogé par un fonctionnaire, représentant de l'autorité. Souvent, dans son pays, ce type de personnage a le pouvoir de vie et de mort sur vous, au sens propre. En outre, ils savent que cette personne a entre ses mains la clef de leur avenir, de leur liberté et parfois de leur sécurité. Autant dire qu'ils sont détendus, à l'aise, et volubiles. Tout silence ne sera pas imputé à l'intimidation de la situation mais au mensonge et à l'invention.

    La décision est envoyée par lettre recommandée à l'étranger, le délai court de la réception de la lettre recommandée ou de la date de première présentation si la lettre n'est pas retirée (cela a son importance...).

    Cette décision est très courte (une page), l'essentiel tenant en deux paragraphes : le résumé des faits allégués par l'étranger et les motifs de l'acceptation ou du rejet de la décision.

    Cette décision peut faire l'objet d'un recours juridictionnel devant une juridiction ad hoc, la Commission de Recours des Réfugiés[1] (elle siège à Montreuil, en Seine Saint Denis, 35 rue Cuvier), c'est à dire qui sera examiné en séance publique (allez-y, les audiences ont lieu le matin et l'après midi, c'est instructif), par un collège de trois personnes, l'étranger pouvant être assisté d'un avocat qui aura accès au dossier de l'OFPRA.

    Le délai de recours est actuellement d'un mois. Le recours doit être écrit (en français) et motivé, sous peine d'être rejeté d'office et sans audience. Il s'agit de contester la décision de l'OFPRA en apportant les preuves que l'Office estime avoir fait défaut (preuves qu'il faut parfois se faire envoyer depuis le pays étranger), et d'invoquer la jurisprudence de la Commission et du Conseil d'Etat en la matière, recherches qui prennent du temps. Ajoutons que si votre client ne parle pas français, les frais d'un interprète ne sont pas pris en charge par l'aide juridictionnelle. Il faut se débrouiller avec les amis, et avec la formidable solidarité qui existe dans les communautés d'exilés.

    Enfin et surtout, le recours ne peut être fait que par lettre recommandée avec avis de réception. Vous ne pouvez vous présenter au secrétariat de la Commission avec votre recours : il sera refusé. Vous êtes tributaire de la Poste, donc le délai d'acheminement se décompte du délai effectif de recours.

    Hé bien ce délai de recours va être ramené à quinze jours, acheminement postal compris. Cela signifie que votre client, du jour où il reçoit la lettre, va devoir vous en avertir, vous apporter la décision de l'OFPRA (le recours est irrecevable s'il n'est pas accompagné de cette décision), vous allez devoir rédiger le recours, expliquer en quoi l'OFPRA s'est trompée, apporter des preuves qui n'ont pas été soumises à l'OFPRA, et l'envoyer à temps pour que la commission le reçoive. Votre client ayant souvent une domiciliation postale, s'il laisse s'écouler le délai de présentation qui est de quinze jours, le délai de recours aura expiré sans même qu'il ait eu connaissance de la décision (malheur aux hospitalisés et à ceux qui oublient de passer relever leur courrier).

    Bref, des centaines de recours, peut être parfaitement fondés, seront rejetés d'office car non reçus dans le délai. Ha, le délai, quelle merveilleuse invention. Quand vous ne pouvez pas supprimer un droit car il relève des droits de l'homme, enfermez le dans un délai très bref. Et l'Etat est le roi quand il s'agit de se prémunir des recours contre ses décisions. Voyez vous même.

    Un épicier est en conflit avec un fournisseur sur la qualité de ce qu'il lui a apporté. Après un premier procès, il aura un mois pour faire appel. S'il perd en appel, il aura deux mois pour faire un pourvoi en cassation.

    Un délinquant ou un criminel condamné (c'est l'Etat la partie poursuivante) a dix jours pour faire appel. S'il est à nouveau condamné en appel, il a cinq jours pour se pourvoir en cassation. Un condamné à mort avait 5 jours pour faire un pourvoi, un épicier, deux mois.

    En matière d'étrangers, c'est encore mieux.

    Un arrêté de reconduite à la frontière est pris contre vous ? Vous avez 48 heures pour former un recours, écrit, motivé, devant le tribunal administratif. Qui aura 72 heures pour statuer. Sachant que dans la majorité des cas, vous êtes privé de liberté dans un centre de rétention. Et si tel est votre cas, vous serez conduit au bout de deux jours devant le juge des libertés et de la détention qui va décider de votre maintien ou non en rétention pour quinze jours de plus. S'il vous y maintient, le délai d'appel est de... 24 heures. A la minute près. Recours écrit, en français, et motivé : vous devez expliquer en quoi le juge s'est trompé. Votre appel sera jugé dans les 48 heures.

    Par contre, si votre enfant est mort dans un hôpital pour une simple appendicite, vous attendrez bien trois ans avant d'avoir une première décision, n'est ce pas ? Il y a des priorités.

    Donc, forcément, ce délai de recours d'un mois apparaissait comme une anomalie comparé aux autres. Voilà qui est corrigé.

    Mais au fait, ça ressemble à quoi, un attentat au droit d'asile comme celui-là ?

    La lecture du compte rendu des débats est hautement instructive. Je graisse. Le rapporteur est Monsieur Thierry Mariani. Le secrétaire d'Etat est Monsieur Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

    M. le Rapporteur – L’amendement 69 vise à réduire à quinze jours le délai autorisé pour introduire un recours devant la CRR lorsque la demande d’asile a été rejetée par l’OFPRA, comme c’est le cas ailleurs en Europe. Le délai actuel d’un mois allonge les procédures et nuit au bon accueil des demandeurs d’asile.

    Ha, bon, en fait, c'est fait POUR les demandeurs d'asile. En fait, c'est moi qui vois le mal partout.

    M. le Secrétaire d'État - Sagesse.

    M. Noël Mamère – Le Gouvernement a raison de ne pas se déclarer favorable à cet amendement qui, sous son allure technique, est en fait de nature très politique, car il réduira davantage les faibles droits de recours des demandeurs d’asile. Vous ne pouvez marchander sur ce délai, souvent crucial. Le Parlement avait d’ailleurs déjà voté contre une telle mesure en 2006. Le droit de recours est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme ; cette mesure le remet en cause.

    M. le ministre de l’asile nous disait hier vouloir faire respecter la tradition d’accueil de notre pays et conforter les demandeurs dans leur procédure. J’espère que l’Assemblée aura cette sagesse, comme vous l’y invitez !

    M. Serge Blisko – Un droit n’est rien s’il n’est pas effectif. Or, ce droit inaliénable hier encore ne sera plus applicable demain. En effet, le délai en question comprend le temps d’acheminement au greffe – souvent quelques jours – soit un peu moins d’un mois, sans compter qu’il ne s’agit pas d’arriver une minute en retard !

    M. le Rapporteur – C’est toujours comme cela, pour les élections comme pour les trains.

    En effet, Monsieur le député, ça revient au même. Quand on rate un train, on prend le suivant. Quand on arrive trop tard pour se présenter à une élection, on se présente à la suivante. Quand on arrive trop tard pour présenter son recours, c'est définitivement fini. Mais sinon, c'est tout pareil[2].

    M. Serge Blisko – Par ailleurs, le recours ne consiste pas en une simple lettre : il faut étoffer le dossier refusé par l’OFPRA. Il arrive que des pièces nouvelles doivent être fournies, par exemple pour attester la réalité des mauvais traitements subis. Pour les rassembler et les faire traduire, il faut du temps. Autant dire que cette mesure, présentée comme de bon sens, est bien plutôt une chausse-trape, un guet-apens pour ceux qui veulent introduire un recours. Restons-en au délai actuel d’un mois – la loyauté voudrait même que ce délai commence au moment où la lettre informant de la décision de première instance de l’OFPRA est reçue, le cachet de la poste faisant foi.

    M. Éric Ciotti – Le groupe UMP est très favorable à cet amendement. La France se caractérise par sa tradition d’accueil des persécutés. Cette vocation doit être réaffirmée, et les dispositions de ce texte y contribuent en renforçant son intangibilité, à laquelle nous sommes, comme vous, attachés. Encore faut-il que les demandes d’asile ne soient pas détournées de leur objet. Or, la procédure est devenue, on le sait, un vecteur d’immigration. Grâce aux mesures adoptées depuis 2003, le délai d’instruction des demandes d’asile est passé de vingt mois à quatorze mois en 2006. La France est le pays européen dont la législation en matière d’accueil est la plus généreuse. Nous nous en réjouissons, mais il faut tendre à l’harmonisation ; en Grande-Bretagne, le délai de recours est fixé à dix jours ; personne ne prétendra que cela en fait un pays au régime liberticide. L’entrée en vigueur, le 1er janvier 2008, de l’aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile…

    Oui, jusqu'à présent, l'étranger doit payer son avocat et ne bénéficie d'aucune aide pour cela. France terre d'asile, n'oubliez jamais.

    M. Patrick Braouezec – Vous semblez la regretter…

    M. Éric Ciotti – Du tout, c’est une bonne chose, mais cela aura pour effet mécanique d’accroître le nombre de recours, et d’effacer de ce fait le raccourcissement du délai d’instruction des demandes que l’action du précédent ministre de l’intérieur a rendu possible. C’est une autre raison qui nous fait approuver la proposition des rapporteurs.

    Mieux dit, ça donne : des demandeurs d'asile sont empêchés d'exercer un recours faute de moyens. Maintenant, ils vont pouvoir le faire. Il faut donc trouver autre chose pour les en empêcher.

    M. Étienne Pinte – Je suis très défavorable à cet amendement, qui remet en cause l’un des fondements du droit d’asile. À l’heure actuelle, le délai de quinze jours est insuffisant. Peut-être ne le sera-t-il plus après l’entrée en vigueur de l’aide juridictionnelle, mais nous n’y sommes pas encore, et le fait que les délais d’instruction des demandes aient été réduits à quatorze mois devrait inciter à la prudence. Puis-je vous rappeler la procédure ? Après que l’OFPRA a rejeté une demande d’asile, le demandeur doit prendre connaissance de cette décision, et beaucoup habitent en province. Il leur faudra ensuite trouver un avocat, rédiger un recours et, pour les non francophones, trouver un interprète. On peut, certes, faire référence aux dispositions en vigueur dans d’autres pays, mais la Déclaration des droits de l’homme de 1789 a été rédigée en France, et nulle part ailleurs ! L’asile est une tradition qui fait honneur à notre pays, et cette disposition, qui a suscité la stupeur et l’indignation du Haut Commissariat pour les réfugiés, lui porte une atteinte grave. À Villeurbanne, vous avez, Monsieur le ministre, visité le centre de transit de l’association Forum réfugiés dirigée par mon ami Olivier Brachet : vous avez dit qu’il n’était pas question de « faire du chiffre » à propos des réfugiés et que vous respecteriez le droit d’asile et protégeriez les réfugiés. Ce serait pourtant un très mauvais signe que de réduire à quinze jours le délai de recours.

    M. Patrick Braouezec – M. Pinte est votre Jiminy Cricket, Messieurs…

    Et pourtant :

    L'amendement 69, mis aux voix, est adopté.

    L'épitaphe revient à Monsieur Serge Blisko :

    M. Serge Blisko – C’est catastrophique !

    Vous n'avez pas idée.

    Bon sang, que j'ai mal au coeur ce soir.

    Notes

    [1] Qui va devenir par cette loi la Cour Nationale du Droit d'Asile, CNDA. On apprend à l'occasion des débats que ses moyens ont été diminués, 125 postes ont été supprimés, mais la loi lui donne une sucette, désormais, on l'appellera "cour". Ca ne coûte rien et ça fait réforme...

    [2] Paragraphe modifié depuis la première mise en ligne.

    La justice s'acharne contre José Bové

    La preuve que José Bové est victime d'un complot de la justice est à présent irréfutable. Non seulement elle s'obstine à ne pas le mettre en prison, mais en plus, elle refuse désormais de le juger.

    Le tribunal correctionnel de Carcassonne a ordonné sine die mercredi le renvoi du procès de cinq militants anti-OGM dont José Bové, poursuivis pour une action menée en 2006 chez le semencier Monsanto à Trèbes (Aude), et s'est dessaisi du dossier comme venait de lui demander la défense.

    "Le tribunal ordonne le renvoi sine die et demande la transmission du dossier au ministère public", a déclaré à l'issue d'un bref délibéré, peu après l'ouverture de l'audience, le président du tribunal Jean-Hugues Desfontaine, sous les applaudissements des personnes assistant à l'audience.

    Le procureur de la République Jean-Paul Dupont avait auparavant demandé le renvoi du procès à une date ultérieure, arguant de la proximité du prochain Grenelle de l'environnement, où la question des OGM (organismes génétiquement modifiés) sera examinée en octobre.

    Jusqu'où ira ce terrible harcèlement judiciaire ?

    Dans une salle d'audience, José Bové sourit à la barre. Le procureur est debout, et déclare, avec un geste d'impuissance : « Désolé Monsieur le Président, il s'avère que la prévention est biodégradable... »

    Je précise que la pancarte "Pas d'ADN dans mes tomates" reprend un vrai slogan aperçu dans une manifestation d'anti OGM...

    Sur le même sujet, lire l'indignation d'Authueil.

    mardi 18 septembre 2007

    Je serais parlementaire de l'opposition...

    ... plutôt que de faire dans la surenchère verbale devant le premier micro qui traîne, j'irais lire avec intérêt le blogue de Diner's Room. Dire de l'amendement de Thierry Mariani qu'il est contraire aux valeurs de la République est une formule creuse. Dire qu'il est juridiquement absurde et inapplicable, c'est plus exact, et en plus, c'est un poil humiliant.

    Maljournalisme à Libération : la tradition continue

    Je m'étais promis de laisser un peu Libé en paix, mais là, ils me cherchent.

    Relater un litige juridique porté au procès est un exercice difficile quand on n'est pas juriste soi même, je le conçois très bien et ai les yeux de Chimène pour ceux qui se frottent à l'exercice. Tant qu'ils le font de bonne foi.

    Parce que quand la bonne foi laisse place au parti pris, et la tentative d'explication aux propos de comptoir, c'est le lecteur qu'on insulte.

    Démonstration avec cet article de Renaud Lecadre, dans le numéro daté du 18 septembre 2007 : La justice tord le droit pour sauver un avocat, sous titrée : La cour d’appel d’Aix et la Cour de cassation sont revenues sur une décision sanctionnant fortement Me Lombard.

    D'emblée, on en déduit qu'un tribunal de grande instance a condamné fortement mon confrère Paul lombard, mais que cette condamnation a été réduite ou annulée (la lecture de l'article apprend qu'elle a été réduite) par la cour d'appel d'Aix en Provence, confirmée en cela par la cour de cassation. Bref, la sévérité des juges du premier degré tempérée par les juges du second degré, approuvés en cela par la cour de cassation. C'est d'une banalité affligeante.

    Le corps de l'article essaie néanmoins d'en faire un scandale judiciaire, au point qu'on en arrive à se demander si l'auteur a un compte à régler avec l'avocat marseillais ou est ami avec les plaignants. Jugez vous-même (les gras sont de moi, les italiques sont d'origine).

    Une boulette d’avocat empoisonne la justice française depuis un quart de siècle. Commise par Me Paul Lombard, elle pèse plusieurs millions d’euros. La magistrature semble s’être mobilisée pour sauver ce ténor du barreau de Marseille. De l’art de compliquer à plaisir une procédure judiciaire d’une simplicité biblique.

    Une telle entrée en matière est un monument en soi. Vous n'avez pas encore UN élément d'information, mais déjà, on vous met dans le crâne que l'avocat a commis "une boulette", que cette affaire "empoisonne la justice française" et que la magistrature "se mobilise pour sauver" cet avocat, "compliquant à plaisir" une procédure "d'une simplicité biblique".

    Alors, cette procédure d'une simplicité biblique, de quoi s'agit-il ?

    En 1983, une discothèque des Bouches-du-Rhône, Le Pénélope, est détruite par le feu. Ses exploitants sont couverts par une assurance. L’assureur Allianz rechigne à les indemniser, prétextant un sinistre d’origine ­criminelle.

    Le prétexte fera long feu, mais les tauliers du night-club doivent entre-temps recourir à un avocat, le célèbre Me Lombard.

    N'y aurait-il pas une possibilité pour que l'intervention "entre-temps" de l'avocat soit la cause de l'abandon de la thèse criminelle ? Non, le "prétexte" a fait long feu tout seul, tant on sait que la Vérité triomphe toujours toute seule, que les assurances sont enclines à reconnaître spontanément leurs torts, et que les discothèques des Bouches-du-Rhônes sont sujettes à la combustion spontanée.

    [L'avocat] s’emmêle les crayons : il lance un référé, procédure d’urgence, en vue d’obtenir une ­provision avant que le litige ne soit définitivement tranché ; puis omet de lancer une procédure au fond, laissant passer le délai de prescription - à dix-neuf jours près… Résultat : les ­propriétaires du Pénélope ont certes pu se faire indemniser au titre de la perte ­d’ex­ploi­tation (460 000 francs), mais pas au titre de la réparation des ­dégâts matériels, bien plus conséquents.

    Que les lecteurs qui ont compris cette procédure d'une simplicité biblique lèvent le doigt.

    C'est bien ce que je pensais. Moi même, avec ces quelques éléments, j'ai du mal.

    Nous étions en présence d'un fait couvert par un contrat d'assurance : on appelle cela un sinistre. Le sinistré a demandé à son assurance de l'indemniser du dommage qu'il a subi. L'assurance a refusé sa garantie, car visiblement elle ne couvrait que les incendies accidentels et non les incendies criminels (ce qui en soi est étonnant).

    Quand une assurance refuse sa garantie, c'est au juge de trancher si le sinistre est ou non un événement couvert par le contrat. Le procès pouvant être long, la loi prévoit la possibilité de demander une provision, c'est à dire si l'obligation de l'assureur n'est pas sérieusement contestable, on peut par une procédure spéciale et rapide, le référé, demander à ce que l'adversaire soit condamné immédiatement au paiement d'une somme que le juge fixe à ce qu'il estime être le minimum de ce que le tribunal prononcera. Si le juge estime qu'effectivement, dans cette affaire, se pose une contestation sérieuse, il refusera d'accorder la moindre somme.

    L'avocat en cause saisit le juge des référés et obtient le paiement d'une provision, ce qui semble indiquer que la contestation de l'assureur n'était pas sérieuse (ce qui doit être résumé par le journaliste comme "le prétexte a fait long feu", car entre informer le lecteur et faire un jeu de mot, le journaliste doit toujours choisir le second.

    Mais en droit des assurances, le délai de prescription est très court : il est de deux ans. La procédure en référé a interrompu le délai, qui court à nouveau. Il semblerait donc que l'avocat n'ait pas engagé une action devant le tribunal pour faire juger l'intégralité du préjudice dans les deux ans suivant l'ordonnance de référé, ayant laissé passer ce délai de 19 jours nous apprend l'article (car seuls les détails insignifiants méritent d'être portés à la connaissance du lecteur, dans l'hypothèse ou aucun jeu de mot n'est possible).

    Or si de manière générale nous avons en tant qu'avocat une simple obligation de moyens, c'est à dire que nous sommes tenus de faire de notre mieux sans jamais être tenu à garantir un résultat, il n'en va pas de même pour les aspects procéduraux. Nous devons saisir le tribunal comme Dieu le code de procédure l'ordonne, et ce dans les délais qu'il prescrit. Laisser s'écouler un délai est une faute, sauf à ce que l'avocat puisse fournir des justifications puissantes (par exemple, il avait indiqué en temps utile à son client que faute d'être payé de ses honoraires, il n'engagerait pas l'action en justice). Le délai, c'est le cauchemar de l'avocat.

    Ici, la faute (laisser courir le délai de prescription) a causé à son client un dommage : il est déchu du droit de demander à être indemnisé des dégâts à son établissement soit la somme de 5 millions de francs. Conséquence, son avocat doit l'indemniser de ce préjudice. C'est pourquoi nous avons tous une assurance professionnelle obligatoire (votre serviteur est ainsi couvert jusqu'à plus de trois millions d'euros de dégât par dossier). Concrètement, l'assurance de l'avocat se substitue à l'assurance de la discothèque.

    Vous voyez ici l'avantage de recourir aux services d'un avocat : s'il se plante, vous avez la certitude d'être couvert.

    D'où nouveau procès, le propriétaire de feu la boîte de nuit (il n'y a pas de raison que seuls les journalistes fassent des jeux de mots dans leurs articles) contre son ancien avocat et son assurance.

    Reprenons notre lecture.

    Faute lourde ou légère ? En 1996, le tribunal de Marseille condamne Me Lombard et l’assureur de son cabinet d’avocat, Axa, à verser 5 millions de francs de dommages et intérêts - 12 millions avec les pénalités de retard - à l’ancienne boîte de nuit. Avec ces attendus saignants : Me Lombard, «praticien expérimenté et de renom», a «manifestement commis une lourde négligence», «failli à son devoir le plus élémentaire de conseil». Humiliation suprême, il est condamné à rembourser les frais judiciaires engagés contre lui-même par ses anciens clients…

    Là encore, je ne comprends pas une chose : pourquoi le tribunal parle-t-il de l'obligation de conseil de l'avocat, alors que laisser s'écouler un délai (on dit "faire péter un délai" entre nous) relève de l'obligation de diligence ? Las, ce n'est pas dans l'article que je trouverai une explication. Quant à "l'humiliation suprême" dont se délecte le journaliste, il s'agit tout simplement de l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, qui est une règle d'équité et non d'humiliation, ces considérations n'ayant pas leur place dans un prétoire.

    En 1997, la cour d’appel d’Aix-en-Provence reprend les choses en main. La boulette professionnelle est certes confirmée, mais requalifiée en «négligence pouvant avoir pour origine une conviction erronée» : la «faute commise par Me Lombard, pour être patente, n’était cependant pas grossière», pas même «absurde ou désespérée»… Avant de réduire par deux les dommages et intérêts, la cour d’appel a dû phosphorer : l’issue de la procédure qu’il aurait dû initier, «n’étant pas certaine d’aboutir», Me Lombard n’a «donc fait que perdre à ses clients une chance d’obtenir satisfaction».

    Le Pénélope était pourtant assuré à 100 %, il était donc sûr d’être remboursé pour peu que son assureur eût été correctement assigné. La Cour de cassation a validé la réduction par deux, au motif «qu’une instance n’est jamais certaine». On ne saurait mieux dire que la justice est une loterie.

    Et on ne saurait mieux dire que l'auteur ne sait ni ne comprend de quoi il parle. Passons sur la confusion entre réduction et division : la cour n'a pas réduit la somme due à 4.999.998 francs mais à 2.500.000.

    Qu'a décidé la cour ? Ce que le journaliste met clairement sur le compte du copinage entre les conseillers et le célèbre avocat, c'est une transformation du lien de causalité.

    Pour qu'une faute oblige à réparer un dommage, il faut que la faute ait causé le dommage. Le problème se pose de savoir parfois de savoir quel aurait été le dommage si la faute n'avait pas été commise. Par exemple, un médecin tarde à diagnostiquer un cancer qui emporte son patient. Comment être sûr que si le médecin avait diagnostiqué plus tôt, le patient eût été sauvé ? Il est des cancers qui ont un taux de mortalité élevé dès lors que leur développement atteint le point où ils sont identifiables.

    Et il en va de même avec les actions en justice : qu'est ce qui permet d'être sûr que si l'action en justice avait été introduite dans les délais, l'assurance aurait été condamnée à payer cinq millions de francs ?

    Pour éviter que face à une impossibilité de déterminer avec certitude un préjudice qui lui est certain dans son principe, la victime se retrouve sans rien, la jurisprudence a inventé la théorie de la perte de chance. Reprenons l'exemple du patient. Un expert médecin examinant le dossier va estimer que si le cancer avait été diagnostiqué dès la première visite, le patient aurait eu 80% de chance de vivre. La découverte tardive a réduit ses chances de survie à 10%. Son préjudice se calcule donc comme étant égale à 80-10=70% de la réparation de son décès s'il avait été causé par la faute exclusive du médecin. Les 30% restant représentent la probabilité que diagnostiqué à temps et soigné dans les règles de l'art, il serait mort néanmoins, ce qui n'est pas le résultat d'une faute, mais la part de la fatalité. Le préjudice est constitué par l'augmentation des chances de décès, qui elle est certaine. Et il y a aléa médical comme il y a aléa judiciaire. Ce qui ne veut pas dire que la justice est une loterie, cela veut dire qu'on ne peut savoir à l'avance le résultat d'un procès.

    C'est cette théorie qu'a appliqué la cour d'appel. Elle a étudié le dossier, et estimé qu'en l'état, il y aurait eu une chance sur deux pour que le propriétaire soit débouté de sa demande de prise en charge du sinistre. Soit que le contrat ne couvre pas ce type de sinistre, soit qu'il y ait un doute sérieux sur la réalité du caractère accidentel du sinistre.

    Ce que le journaliste balaye négligemment d'un "Le Pénélope était pourtant assuré à 100 %". Parce que vous connaissez beaucoup de contrats d'assurance qui vous assurent à 50% d'un sinistre ? "Si votre maison brûle, je vous en rembourse la moitié, si vous êtes handicapé à vie, je vous indemnise vos matinées" ? Ou alors, mais je n'ose le penser, ce journaliste est assuré "au tiers" pour sa voiture et croit qu'il s'agit d'une fraction, alors que cela désigne les tiers, soit les personnes autres que le conducteur...

    Des lecteurs, j'entends des lecteurs de mon billet, pourraient se poser des questions : comment diable les juges d'Aix ont-ils pu dire qu'il y a aléa judiciaire, alors qu'ils sont juges, qui plus est les juges qui auraient eu à juger l'affaire si elle avait été introduite à temps, et qu'ils avaient les éléments du dossier sous les yeux ? Ils n'avaient qu'à faire le procès qui aurait dû être fait, l'assureur de l'avocat étant condamné à la place de l'assureur de la discothèque.

    Ce n'est pas si simple. Ce procès était un procès en responsabilité civile d'un avocat, pas un simulacre visant à faire échec à une prescription. Les avocats de l'assurance n'étaient pas les mêmes (oui, ça peut faire une différence, nous ne sommes pas interchangeables), les mesures d'expertise qui auraient été ordonnées dans le premier procès n'étaient plus possibles, bref aucune certitude n'était permise dans ce dossier. Si tel avait été le cas, la cour aurait condamné l'avocat à prendre en charge l'intégralité du sinistre.

    Bref, en appel, l'assurance de l'avocat a réussi à démontrer que le procès que voulait intenter le propriétaire était tout sauf gagné.

    La cour n'a pas "tordu le droit", elle l'a appliqué, mais le reconnaître aurait privé le journaliste d'un autre jeu de mot pour son titre, et ça, c'était pas possible, quitte à tordre la déontologie journalistique et à commettre un délit passible de six mois de prison. On est à Libé, quoi.

    Mais une autre question doit ici vous assaillir...

    Si la cour d'appel a statué en 1997, la cour de cassation a dû rejeter le pourvoi il y a longtemps... [Mise à jour : c'était le 4 avril 2001]Pourquoi reparler de cette affaire ?

    C'est la fin de l'article qui nous l'apprend. Le propriétaire partiellement débouté a pris goût à la procédure et a porté plainte pour faux en écriture contre... la cour d'appel et la cour de cassation, ou je suppose, les juges ayant siégé dans ces affaires. Rien que ça. Pourquoi ? Parce que le récit des faits dans les arrêts de ces deux juridictions ne convient pas aux plaideurs déboutés, qui estiment que puisque ce récit est inexact, c'est qu'il est faux, hé bien les juges ont donc commis intentionnellement un faux en écritures publiques. Dans un arrêt de justice, ce qui rend les juges l'ayant commis passibles de la cour d'assises et de quinze années de réclusion criminelle. Et accessoirement, étant un crime, se prescrit par dix ans.

    Il s'agit ici de l'action d'un plaideur qui cherche à contourner l'autorité de la chose jugée, c'est à dire à remettre en cause ce que les juges ont définitivement décidé sous prétexte que ça ne l'arrange pas, en les accusant d'avoir sciemment fondé leur décision sur des faits faux. Par quérulence, il s'attaque pénalement aux juges qui ne lui ont que partiellement donné raison, sous entendant que s'ils ont statué ainsi, ce ne peut être que par malhonnêteté. Ce faisant, c'est l'indépendance de la justice qu'il attaque. On peut trouver cela condamnable, la prudence voulant qu'à tout le moins on se distancie de cette initiative qui repose sur une théorie pour le moins audacieuse : les juges auraient sciemment risqué quinze ans de réclusion criminelle pour ne pas que de l'argent qui n'est pas à eux lui soit remis, et afin de sauver (partiellement) la réputation d'un avocat, comme si la réputation d'un avocat tel que Paul Lombard, avec la carrière qu'il a eu et la qualité de ses oeuvres pouvait en quoi que ce soit être atteinte par un sinistre lié à une prescription civile...

    Hé bien pour l'auteur de l'article, c'est tout le contraire. Après avoir bu sa honte cul sec, voici sa conclusion objective et impartiale.

    Sans se désemparer, les patrons du Pénélope viennent d’attaquer la cour d’appel d’Aix et la Cour de cassation pour faux en écriture (sic). Initiative hardie, visant à contourner la sacro-sainte «autorité de la chose jugée». Certains écrits des hauts magistrats relèvent pourtant d’une véritable réécriture de l’histoire. La plainte des propriétaires du Pénélope mériterait d’être examinée, ne serait-ce que pour la beauté du geste. En avril, le juge Le Gallo a refusé de l’instruire, au motif que cela reviendrait à «permettre à tous les plaideurs mécontents d’une décision rendue à leur encontre de saisir le juge pénal pour faux intellectuel». La cour d’appel d’Aix va statuer aujourd’hui sur un faux qu’elle est présumée avoir commis elle-même, sans que la Cour de cassation n’y voit malice. Pour l’amour du droit, on repassera.

    L'amour du journalisme, lui, est mort depuis longtemps. De honte.


    PS : Full disclosure : je ne connais pas personnellement Paul Lombard, je n'ai jamais eu de dossier où il intervenait. Je ne connais aucune des parties à cette affaire, et pour ceux qui croient que seul le corporatisme me fait voler au secours de mon confrère, je ferai remarquer que dans cette affaire, le plaignant aussi avait un avocat, et que le même corporatisme devrait m'interdire d'insinuer que son client n'avait pas entièrement raison. Alors merci de vous garder de ce genre d'arguments, qui ont une curieuse tendance à la désintégration spontanée.

    dimanche 16 septembre 2007

    Devine qui vient dîner ce soir ?

    Après sa performance contre l'Argentine sur laquelle je ne reviendrai pas par charité chrétienne (mais bravo les Argentins), le XV de France affronte ce soit la Namibie.

    Drapeau de la Namibie

    NamibieAlors, avant toute chose, la Namibie, c'est là :

    Le drapeau namibien a été adopté le 21 mars 1990, lorsque le pays a accédé à l'indépendance après l'annexion de cette colonie allemande par l'Afrique du Sud en 1915 et une guerre d'indépendance lancée en 1966. Ne vous étonnez donc pas si la majorité des joueurs de l'équipe namibienne sont blancs. Il s'agit du drapeau du SWAPO (South West African People's Organization, Organisation des peuples d'Afrique du Sud Ouest), le principal mouvement de libération. Ses couleurs bleu, rouge et vert sont celles des Ovambos, la principale ethnie du pays.

    Notons que la Namibie a fondé sa Fédération de rugby (Namibia Rugby Union) le même mois qu'elle a accédé à l'indépendance, ce qui révèle un vrai sens des priorités, et a rejoint ce même mois de mars 1990 la fédération internationale de rugby, l'IRB. Son équipe a comme surnom les Welwitschias, une plante qui pousse dans le désert du namib, d'où le pays tire son nom. Le symbole de leur fédération est un aigle.

    La capitale de la Namibie est Windhoek, et son hymne, Namibia, Land of the Brave.

    Pour la petite histoire, la plus grande victoire remportée par la Namibie a été contre Madagascar le 15 juin 2002 (116 à 0), en match qualificatif pour la coupe du monde 2003. Leur plus large défaite a été contre l'Australie le 25 octobre 2003 (142 à 0), durant la coupe du Monde. Une équipe de hauts et de bas. Pour comparer la plus grande victoire du XV de France a eu lieu contre le Brésil le 2 juin 1974 (99 à 7), et sa plus large défaite, désolé de remuer le couteau dans la plaie, le 9 juin dernier, face à la Nouvelle Zélande (61 à 10).

    La Namibie n'a jamais gagné un match de coupe du monde. Alors, n'oublions pas que le rugby est un sport de tradition, s'il vous plaît, les petits.

    Et comme d'hab... ALLEZ LES BLEUS ! ! !

    (Drapeau et carte Wikipedia).


    Edit 22h58 : Mon titre était bien choisi. Les namibiens ont dégusté. Dommage pour ce carton rouge qui a tué le match dès le début : la mêlée namibienne était au supplice. Vendredi, ça sera autre chose.

    vendredi 14 septembre 2007

    La relaxe de Georges Frêche

    Le pétulant président de la région Septimanie Languedoc Roussillon a été relaxé hier par la cour d'appel de Montpellier, dans le cadre des poursuites dont il faisait l'objet pour injure à caractère racial, pour avoir traité les dirigeants d'une association de Harkis de « sous-hommes ». Il avait pourtant été condamné en première instance à une très lourde amende de 15.000 euros.

    courd'appel de Montpellier, photo de l'auteur

    Pour mémoire, les propos incriminés étaient exactement les suivants :

    Vous [les deux représentants de l'association de Harkis] êtes allés avec les gaullistes (...) Ils ont massacré les vôtres en Algérie (...). Ils les ont égorgés comme des porcs. Vous faites partie de ces harkis qui ont vocation à être cocus jusqu'à la fin des temps (...). Vous êtes des sous-hommes, vous êtes sans honneur.

    Les raisons de la relaxe, si Libération rapporte correctement les faits (et rien ne me permet de douter du contraire) prêtent à sourire, sauf les parties civiles, qui l'ont pris comme une gifle. Vous savez que le droit et la morale sont des choses distinctes. En voici une parfaite illustration, ainsi qu'une éblouissante démonstration des âneries que peut faire le législateur à voter tout et n'importe quoi plutôt que de faire des lois, des vraies.

    Le texte qui incrimine les injures raciales est l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi est le texte essentiel et central en matière de délits de presse, c'est à dire des délits constitués par des propos tenus publiquement.

    Cet article punit de peines pouvant aller jusqu'à 6 mois de prison et 22.500 euros d'amende

    l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent[c'est à dire sans être précédée de provocations], envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

    Traiter quelqu'un de sous-homme, sans honneur, et ayant vocation à être cocu jusqu'à la fin des temps est injurieux, ça ne prête guère à discussion.

    La question de droit qui se pose est : le terme Harki désigne-t-il une origine, une ethnie, une nation, une race ou une religion ? Si la réponse est négative, ce n'est pas une injure raciale mais une injure tout court, prévue par l'article 33 alinéa 1, punie seulement de 12.000 euros d'amende.

    La distinction est ici tout sauf anodine. Les règles de procédures en matière de presse sont draconiennes, et elles imposent à la partie poursuivante, parquet ou particulier, de qualifier correctement les faits. Dire qu'une diffamation est une injure, ou qu'une injure est une injure raciale, et le tribunal ne pourra que relaxer : la requalification des faits lui est interdite, contrairement au droit pénal commun.

    Les destinataires de ces propos fleuris voulant que soit reconnue l'injure à leur communauté plus qu'à leur personne ont opté pour la qualification d'injure raciale. Fatalitas.

    Car un Harki ne désigne pas une ethnie, une nation, une race ou une religion. Le mot harki désigne le soldat qui appartient à une harka, une troupe indigène. Par extension, on désigne ainsi les Français d'origine algérienne qui ont servi dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie, et leurs descendants. Ils ne sont pas une nation, ils sont aussi Français que Georges Frêche, et si cela se jugeait au mérite, peut être le seraient-ils plus encore. Ils ne sont pas une religion : ils sont quasiment tous musulmans ordinaires. Ils ne sont pas une ethnie, ils sont arabes ou kabyles, comme les algériens d'aujourd'hui ; seul un choix politique les distingue.

    L'erreur peut paraître grossière. Elle est pourtant bien pardonnable, car ils ne se sont pas trompés : ils ont été trompés. Et par nul autre que le législateur.

    La présidence antérieure à l'actuelle a été marquée, quelle que soit la tendance politique au pouvoir, à la multiplication de lois mémorielles, proclamant de manière grandiloquente la reconnaissance de tel fait, la condamnation morale de tel autre, mais ces lois sont juridiquement approximatives, pour être gentil. Citons ainsi la loi n°2001-70 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (vous pouvez la lire, ça ne prend pas trop de temps), la loi Taubira du 21 mai 2001, et la droite ne voulant pas être en reste à son retour aux affaires, la loi du 23 février 2005 et son célèbre article 4 parlant du rôle positif de la colonisation, texte abrogé à la va-vite par un décret, le gouvernement ayant demandé au Conseil constitutionnel de constater que ce texte relevait en fait du domaine du décret, pour pouvoir l'envoyer à la poubelle tel un vulgaire CPE.

    Et c'est à nouveau cette extraordinaire loi du 23 février 2005 qui est à l'origine du pataquès d'aujourd'hui.

    Car que dit cette loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ?

    Rien, et c'est là le problème.

    Détaillons.

    L'article premier est ainsi rédigé (je graisse). Sortez vos mouchoirs.

    La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.

    Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage.

    Les harkis sont bien concernés par la loi, ils sont désignés par le passage en gras.

    L'article 2 est de la même veine : il les "associe" à l'hommage national prévu chaque 5 décembre aux anciens combattants des guerres de décolonisation.

    L'article 3 crée une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie.

    L'article 4, modifié, est ainsi rédigé :

    Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.

    La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée.

    Réjouissons-nous : la colonisation n'aura pas la place qu'elle ne mérite pas, et la coopération culturelle n'est pas découragée.

    Et voilà maintenant l'article 5, qui a scellé le sort des harkis et exonéré Georges Frêche.

    Sont interdites :

    - toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ;

    - toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d'Evian.

    L'Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur.

    Voilà la base légale sur laquelle se sont appuyés les plaignants dans leurs poursuites contre Georges Frêche.

    Oui, mais... Relisez bien le texte.

    Vous avez remarqué ? L'injure est interdite. Mais sous peine de quelles sanctions ? Aucune. Cette loi ne crée nul délit. Elle proclame une interdiction.

    On objectera que cette formulation renvoie à l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, tant elle lui ressemble. C'est le raisonnement qu'a fait le tribunal correctionnel de Montpellier, semble-t-il. Or, juridiquement, ça ne tient pas.

    La loi pénale est d'interprétation stricte : c'est l'article 111-4 du code pénal, et un principe fondamental du droit. Seuls sont réprimés par l'article 33 les faits figurant à l'article 33. Ou alors, il fallait que le législateur précisât : « sont punies des peines prévues par l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ».

    Interdire quelque chose, en droit, ne veut pas dire grand'chose. Une règle doit prévoir sa sanction, sous peine d'être lettre morte. Le droit civil, comme l'est le droit des contrats, en fera aisément son affaire : tout contrat qui viole une interdiction légale est frappé de nullité : nul ne peut en exiger l'exécution, et ses effets doivent être anéantis. Car le code civil prévoit comme sanction générale d'une obligation illicite la nullité : c'est l'article 1131.

    Mais le droit pénal ne supporte pas le bricolage. Tout ce qui n'est pas assorti de sanctions pénales ne peut fonder une condamnation. Une interdiction sans sanction n'est qu'une interdiction morale, et pas du droit.

    Bref : la loi du 23 février 2005 n'a aucun effet juridique, sauf la création d'une fondation. C'est un pur texte démagogique, offert comme gage par la droite à un électorat fidèle, une déclaration grandiloquente qui caresse dans le sens du poil, et, comme l'ont découvert ces plaignants, n'est que du vent dès qu'on la présente à un juge.

    Georges Frêche n'a donc pas de quoi pavaner avec cette relaxe (je ne doute pas un instant que ça ne l'empêchera pas de le faire). La cour ne lui donne nullement raison, sauf sur un point. Sur ce coup là, les harkis se sont fait cocufier par la République une fois de plus.

    jeudi 13 septembre 2007

    Touché mais pas coulé

    Bonne surprise pour cette rentrée : l'émission Arrêt Sur Image, que France 5 n'a pas renouvelé sur sa grille cette année, renaît de ses cendres sur internet.

    Daniel Schneidermann, avec le soutien de Gandi.net (mon excellent registrar), et une bonne partie de son ancienne équipe, lance @rretsurimages.net. Le principe du site : le même que l'émission. Analyser sous un angle critique la façon dont l'actualité est traitée à la télévision, en pointant du doigt les petits arrangements, les oublis diplomatiques, et les informations partielles.

    Logo arrêt sur Images

    Je salue l'initiative, tant cette émission remplissait un rôle sain dans le paysage audiovisuel français qui est en pleine crise de croissance. Vous aurez noté que l'esprit critique est une valeur appréciée sur ce blog (les rares éconduits ne l'étant pas parce qu'ils me contredisaient, contrairement à ce dont ils se sont aisément persuadés, mais à cause de leur grossièreté ou de techniques de trolls).

    Le projet est audacieux : il s'agit d'en faire un site viable, par une formule d'abonnement (30 euros pour 12 mois - soit le prix d'un an et un jour de vélib'...), 10 euros pour trois mois, 12 euros pour 12 mois pour les étudiants, les chômeurs et les escrocs, et une formule originale, « l'ami radin », abonnement gratuit si vous expliquez de manière convaincante pourquoi vous sollicitez ce statut.

    Si ça marche, cela signifie la création d'un média totalement indépendant d'analyse et de critique de l'information télévisée. C'est nouveau en France et à ma connaissance dans la plupart des pays démocratiques. La compétence de Daniel Schneidermann et de son équipe est connue, ils ont acquis un savoir faire en douze ans d'expérience.

    Histoire de garder des amis dans les mondes des médias, le site commence par une analyse des sourires narquois ayant accueilli la nouvelle. Un peu règlement de compte, mais quand on est chez soi, on fait ce qu'on veut...

    Je soutiens absolument cette initiative et m'abonne de ce pas. Il faut être nombreux pour cela. (A ce propos Daniel, un compte Paypal pour l'abonnement, ça serait bien pratique).

    Et pour être tout à fait transparent, pour respecter l'esprit de l'émission devenue site internet : je n'ai pas été sollicité par qui que ce soit pour faire la promotion de ce site. Elle est spontanée et sans contrepartie.

    ► Gandi.net est la société auprès de qui j'ai enregistré mon nom de domaine. C'est le seul lien que j'ai avec elle.

    ► J'ai rencontré Daniel Schneidermann, qui m'avait invité à un de ses podcasts, Radio BigBangBlog (Bigbangblog qui ferme d'ailleurs à cette occasion...), aux côtés du professeur Frédéric Rolin et de Christophe Grébert, et avec Judith Bernard et David Abiker (podcast introuvable sur le site du BBB qui semble avoir été déménagé). J'avais passé un excellent moment et j'aime à penser que mes cinq commensaux aussi. Mais c'est tout. Nous ne nous sommes pas revus depuis, et je ne suis en rien associé à l'aventure d'@rrêt sur images.

    Daniel Schneidermann a ses ennemis, ses détracteurs, et ses critiques. Il peut se tromper, cela lui est arrivé. Il peut voir un complot ou de la manipulation là où il n'y a qu'incompétence et approximation. Il n'empêche qu'il fait face à ses critiques, et que son travail pose un point de départ argumenté à une réflexion critique. Rien que ça, ça n'a pas de prix.

    Voilà pour cet aspect. C'est donc le coeur qui parle quand je dis : longue, très longue vie à cette initiative.

    mercredi 12 septembre 2007

    Etat des lieux

    Le quartier disciplinaire d'une prison, c'est "le mitard" dans le jargon des prisonniers.

    Dans le jargon de l'administration et des juristes, c'est un confinement en cellule disciplinaire, défini comme

    le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu'il doit occuper seul. La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d'achats en cantine prévue à l'article D. 251 (3º) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités sous réserve des dispositions de l'article D. 251-1-2 relatifs aux mineurs de plus de seize ans. Toutefois, les détenus placés en cellule disciplinaire font une promenade d'une heure par jour dans une cour individuelle. La sanction n'emporte en outre aucune restriction à leur droit de correspondance écrite.

    Cette sanction, la plus lourde que peut prendre l'administration pénitentiaire, est d'une durée maximale de 45 jours pour les fautes du premier degré (il y a trois degrés, le premier étant le plus grave, le deuxième intermédiaire et le troisième le moins grave).

    Elle est prise par une formation disciplinaire, la commission de discipline, le "prétoire" en jargon des prisonniers. Elle est présidée par le directeur d'établissement ou son délégué, avec deux assesseurs qui sont des gardiens. Le dossier fait quelques pages, intitulées "rapport d'incident", écrit par un des gardiens qui est souvent la victime des faits reprochés. Le prisonnier est invité à exposer ses explications, son avocat s'il en a un est entendu, et la décision est rendue après un bref délibéré. L'audience a lieu à l'intérieur de la prison, c'est le seul cas où nous sommes admis dans la zone de détention pour les prisons où les parloirs des avocats sont à l'écart, soit les prisons les plus récentes (Fleury Mérogis, Nanterre...), les plus anciennes n'ayant pas anticipé la nécessité d'éloigner les regards indiscrets (La Santé, Fresnes).

    C'est expéditif, c'est le moins qu'on puisse dire.

    Et le saviez-vous ?

    Jusqu'en 1995, ces décisions étaient qualifiées par le juge administratif de "mesures d'ordre intérieur" non susceptibles de recours devant le juge de la légalité. Qui faut-il applaudir, Edouard Balladur ou Alain Juppé ? Aucun des deux, c'est le Conseil d'Etat, par deux arrêts, Hardouin et Marie (17 février 1995) qui a mis fin à ce scandaleux état de fait. Certes, le recours est porté devant la juridiction administrative, qui jugera en deux ans, soit bien après que les 45 jours auront été purgés, mais le référé administratif permet d'obtenir rapidement la suspension d'une mesure dont la légalité serait douteuse.

    J'ai mieux.

    Jusqu'en 2000, le détenu n'avait pas droit à l'assistance d'un avocat. Les prétoires étaient alors des moments de grande tension, les détenus, livrés à eux même, souvent intellectuellement limités, ayant le sentiment de n'avoir pas voix au chapitre, ce qui n'était pas absolument faux, d'après le récit d'une consoeur ayant effectué un stage à Fleury lors de sa formation d'élève avocat. Faut-il applaudir Lionel Jospin de ce progrès des droits de la défense ? Ce serait injustifié. Ce progrès est un accident législatif. Le gouvernement Jospin a fait voter une loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Cette loi prévoyait dans son article 24, toujours en vigueur, que toute personne faisant l'objet d'une décision individuelle qu'elle n'a pas sollicité et qui a le caractère d'une sanction, peut se faire assister d'un avocat. Les débats parlementaires montrent que le législateur n'avait à l'esprit que les commissions de discipline des fonctionnaires. Mais la loi ne distinguant pas, les avocats ont exigé son application aux "prétoires" des prisons. Le gouvernement a dans un premier temps estimé que non, ce texte ne s'appliquait pas aux prétoires, parce que ce n'était pas ce que le législateur avait à l'esprit. Certes, mais c'est ce qu'il a écrit. Il faudra un avis du Conseil d'Etat le 3 octobre 2000 pour le gouvernement se rende à l'évidence et réalise sa terrible erreur: sans avoir fait exprès, il avait fait progresser les libertés.

    France, pays des droits de l'homme... On nous rebat tellement les oreilles avec cette formule qu'on n'en oublie de se demander si la réalité y correspond.

    Et une cellule disciplinaire, concrètement, c'est quoi ?

    Grâce à Rue 89, qui fait état d'une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal administratif de Versailles, nous apprenons des détails qui donnent la nausée. Chaque cellule mesure en moyenne 8,21m² chez les hommes et 7,59m² chez les femmes (ben quoi, elles sont plus petites que les hommes, non ?), lit et toilettes comprises. La surface de déambulation, c'est à dire là où le prisonnier peut se tenir debout et marcher fait en moyenne 4,15m², c'est à dire inférieure aux normes réglementaires pour les chenils (5 m², arrêté du 25 octobre 1982). La luminosité y est de 7 à 30 lux. Pour lire, la norme est de 300. Notons que le code de procédure pénale précise que les prisonniers au mitard conservent le droit de recevoir et d'écrire des lettres. Manifestement, cela n'inclut pas celui de les lire. Les prisonniers sont confinés dans ces cellules 23 heures par jour. Ils ont droit à une promenade d'une heure, dans des cours spéciales où ils sont seuls, de 20 à 30m², ces cours étant en réalité des pièces couvertes par des barreaux grillagés, qui sont inondées les jours de pluie rendant la promenade impossible (vous vous souvenez du temps de ce mois d'août ?). Le prisonnier n'ayant pas le droit de "cantiner" c'est à dire de se procurer des produits en les payant auprès de l'administration pénitentiaire, ils n'ont même pas de cigarettes.

    Et pour ceux qui espéraient qu'au moins, ce sont des endroits propres et confortables, voyez les photos réalisées par l'expert. Pour ceux qui ont des doutes, le filet d'eau de la 6e photo, qui sort du mur vers les toilettes, oui, c'est la douche.

    Un particulier qui logerait quelqu'un dans ces conditions encourrait cinq années d'emprisonnement (les peines initiales de deux ans ont été portées à cinq par la loi sur la sécurité intérieure du précédent ministre de l'intérieur...). Mais l'Etat est pénalement irresponsable, alors il peut se permettre.

    C'est en France. C'est au XXIe siècle.

    Et pour ceux qui ont un coeur désespérément sec, et qui estiment qu'il n'y a pas à pleurer sur le sort de délinquants et criminels qui ne savent pas bien se tenir en prison, une petite suggestion. Prenons un de ces mauvais garçons, au comportement violent. Enfermez le 45 jours dans un tel cul de basse fosse. Imaginez vous 23 heures d'affilée avec 4,15m² pour marcher, dans des conditions où si vous mettiez un chien, vous seriez vous même un délinquant ; ce pendant 45 jours.

    Et pensez au jour où ce type va sortir de prison, peine purgée. Vous croyez qu'il sera calmé, assagi, devenu citoyen modèle, ayant mûri par cette expérience ? Le jour où vous le croiserez, j'espère que tel sera le cas.

    Dans le doute, puisque vous n'avez pas pitié des autres, ayez pitié de vous.

    - page 58 de 90 -

    Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

    Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

    Vous avez trouvé ce blog grâce à

    Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

    Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.