Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 22 novembre 2007

Bilan rapide de la loi Hortefeux

Je viens de saccager d'annotations colorées mon beau CESEDA tout neuf (puisse Vincent Tchen qui me lit me pardonner, c'était un cas de force majeure), car la loi MIIA, dite loi Hortefeux, ou encore loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile est parue au JO d'hier et entrée en vigueur aujourd'hui. Comme je l'avais dit précédemment, les tests ADN n'ont été qu'un hochet médiatique qui a été très efficace.

La loi fait 64 articles. Ils sont numérotés de 1 à 65, mais le 63, celui des statistiques ethniques, a succombé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel et a disparu corps et bien de la version publiée de la loi.

Comme d'habitude en la matière, il s'agit d'une loi modificative de textes existant. Autant dire que vous aurez beau lire la loi, vous ne pourrez pas comprendre ce qu'elle dit sauf à lire également le CESEDA. Pour rebondir sur un débat en commentaires, c'est exactement comme le traité de Lisbonne. C'est pratique, car cela permet de faire des coups en douce et de laisser l'opposition s'acharner sur un hochet.

Par exemple, les tests ADN.

S'agissant d'une création législative, il fallait inclure dans la loi toutes les règles relatives à ces tests. Cela facilite la mobilisation de l'opposition. C'est donc un amendement n°36 de l'amendeur fou qui a introduit le principe dans le texte :

« Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, les agents diplomatiques ou consulaires peuvent, en cas de doute sérieux sur l’authenticité ou d’inexistence de l’acte d’état civil, proposer au demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois d’exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d’une filiation biologique déclarée avec au moins l’un des deux parents.

« Les conditions de mise en œuvre de l’alinéa précédent, notamment les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à des identifications par empreintes génétiques, sont définies par décret en Conseil d’État. »

Mobilisation médiatique, concert au zénith, des sénateurs motivés, et cela devient finalement l'article 13 de la loi :

« Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée.

« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

« Si le tribunal estime la mesure d'identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa.

« La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d'identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l'Etat. (...)

Vous voyez la transformation. Ajoutons à cela les réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel, et vous verrez que quand Thierry Mariani se réjouit de l'adoption de son amendement, il est comme le père d'une fille à soldats enceinte qui assure qu'elle est encore pucelle.

Mais en tout état de cause, cet article est bien plus sexy à tout point de vue qu'un article comme l'article 25, par exemple :

L'article L. 221-3 du même code est ainsi modifié :

1° Dans le premier alinéa, les mots : « quarante-huit heures » sont remplacés par les mots : « quatre jours » ;

2° Le second alinéa est ainsi modifié :

a) La troisième phrase est supprimée ;

b) Dans la dernière phrase, les mots : « ou de son renouvellement » sont supprimés.

Allez me remplir un Zénith avec ça... Je n'oserais même pas inviter Emanuelle Béart à s'émouvoir avec moi.

Et pourtant, je dois confesser que cet article me contrarie un peu plus que les tests ADN.

Tenez, voici cet article L. 221-3. Les parties supprimées sont rayées, les parties ajoutées sont en gras. Nous sommes dans l'hypothèse d'un étranger qui arrive à la frontière française et aussitôt se jette dans les bras des policiers pour demander l'asile politique. Face à ce dément dangereux qui croit être arrivé dans une terre accueillante, aussitôt, la police lui refusera l'entrée en France, et le parquera dans une zone d'attente. Il est privé de liberté, par une décision d'un policier.

Article L. 221-3 : Le maintien en zone d’attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures quatre jours par une décision écrite et motivée d’un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire.
Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l’état civil de l’intéressé et la date et l’heure auxquelles la décision de maintien lui a été notifiée. Elle est portée sans délai à la connaissance du procureur de la République. Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée. Lorsque la notification faite à l’étranger mentionne que le procureur de la République a été informé sans délai de la décision de maintien en zone d’attente ou de son renouvellement, cette mention fait foi sauf preuve contraire.

Je vous rappelle qu'un assassin d'enfants ne peut être retenu par la police que 24 heures, durée renouvelable une fois avec l'autorisation préalable d'un magistrat, durée à l'issue de laquelle il devra avoir été vu par un magistrat qui décidera de son sort dans les 20 heures. Donc 68 heures maximum, avec deux interventions d'un magistrat. Un homme qui n'a rien fait hormis demander sa protection à la France sera privé de liberté 96 heures par simple décision policière sans avoir vu l'ombre d'un magistrat, le procureur étant juste informé de cette mesure, par un simple coup de téléphone généralement, procureur qui n'aura ni le temps ni les moyens de s'interroger sur son bien-fondé. Même le crime organisé est mieux traité. Il faut choisir ses priorités, c'est ce que fait le législateur.

Certes, avant, c'était 48 heures renouvelables, maintenant, c'est directement quatre jours. N'empêche. Le message est clair.

Au bout de ces quatre jours, il sera enfin présenté à un juge, le juge des libertés et de la détention, qui pourra le maintenir huit jours en zone d'attente, durée renouvelable une fois pour un maximum de 20 jours.

Et pourquoi ce dangereux énergumène est-il ainsi privé de liberté ? Pour qu'il puisse déposer sa demande... de demande d'asile. En effet, puisqu'il n'a pas été admis à entrer sur le territoire, il ne peut effectuer de demande d'asile auprès de l'OFPRA. Il s'agit donc pour les autorités administratives de décider s'il faut le laisser entrer en France pour qu'il puisse présenter sa demande d'asile, bref si cette demande est manifestement infondée ou non. Jusqu'à il y a peu, si l'administration considérait que la demande était manifestement infondée, c'était le retour direct au pays. Sans aucun recours possible. Avec une place assise tous conforts. France, terre d'asile.

La France a donc eu l'honneur de se faire condamner par la cour européenne des droits de l'homme : CEDH, 26 avril 2007, AFFAIRE GEBREMEDHIN [GABERAMADHIEN] c. FRANCE, n°25389/05 pour cette absence de recours effectif contre une décision qui peut avoir pour conséquence de l'envoyer à la mort alors qu'aucun juge n'aura jamais eu connaissance de ce dossier. A ce sujet, je relève l'argumentation en défense du gouvernement (§66) :

le Gouvernement soutient notamment que le recours requis n'a pas à être suspensif de plein droit : il suffirait qu'il ait un effet suspensif « en pratique ». Or tel serait le cas de la saisine du juge administratif des référés, puisque les autorités s'abstiendraient de procéder à l'éloignement avant que ledit juge ait statué.

C'est un mensonge. J'ai assez de preuves dans mes dossiers de réacheminements (c'est le terme consacré) d'étrangers non-admis après ma saisine du tribunal administratif en référé et avant l'audience pour savoir que cette soi-disant abstention de procéder à l'éloignement, c'est du vent. D'ailleurs, le demandeur, et l'ANAFE qui était intervenue au procès ont contesté cette affirmation, qui n'a pas été retenue par la cour. Au-delà du sentiment de malaise de voir la France mentir à la cour européenne des droits de l'homme pour se défendre, vous avouerez une chose : si le gouvernement ment sur ce point, c'est qu'au fond, il sait que ses pratiques sont contraires aux droits de l'homme, mais préfère les dissimuler plutôt que les changer.

C'est en France, c'est aujourd'hui. Et on vous parle des tests ADN...

A la suite de cette condamnation, la France n'a eu d'autre choix que de modifier sa législation, d'autant plus que les JLD de Bobigny, invoquant cette jurisprudence, ordonnaient systématiquement que les étrangers soient admis à entrer en France pour éviter une violation de leur droit à un recours effectif. Et Bobigny, c'est Roissy Charles de Gaulle...

Et la vengeance de la France est terrible.

Un recours suspensif contre la décision rejetant la demande de demande d'asile comme manifestement infondée est désormais possible et il est suspensif. Il doit être exercé dans les 48 heures de la décision, et doit être motivé, et rédigé en Français. La décision tombe un vendredi soir ? Bonne chance pour trouver un avocat et un interprète : vous avez jusqu'au dimanche soir. Le recours doit être examiné dans les 72 heures par un juge du tribunal administratif (ça tombe bien, ils ont du temps libre pour le contentieux des étrangers). Et last but not least : si le refus d'admission sur le territoire tombe à la fin du délai légal de privation de liberté (soit 20 jours), et que l'étranger ose exercer un recours alors qu'il lui reste 4 jours ou moins de privation de liberté, sa privation de liberté est automatiquement prorogée de 4 jours. Raffinement dans la perversion : en demandant à être remis en liberté, il signe sa privation de liberté pour quatre jours supplémentaires (article L.222-2 du CESEDA).

Alors récapitulons : nous avons une autorité policière habilitée à priver de liberté quatre jours sans contrôle effectif de l'autorité judiciaire ni voie de recours. Nous avons un recours suspensif à former dans un délai très bref (48 heures), en français et qui doit être motivé, c'est à dire qui doit indiquer les arguments soulevés à l'encontre du refus d'entrée en France, recours dont l'exercice peut avoir pour effet automatique d'allonger de quatre jours une privation de liberté, là aussi sans contrôle du juge ni recours. Tiens, on pourrait se demander si tout cela est bien conforme à la Constitution.

On aurait pu.

Mais les parlementaires qui ont saisi le Conseil constitutionnel n'ont pas jugé bon de s'interroger là-dessus. Ils n'ont concentré leurs critiques que sur les tests ADN et les statistiques ethniques. Voyez le recours des députés, et celui des sénateurs, qui sont identiques au mot près, et d'une indigence juridique qui ferait honte à des étudiants en droit de première année.

Les hochets ont bien servi.

Et à part ça ?

Ho, trois fois rien.

Les magistrats administratifs et judiciaires qui siégeaient dans les Commissions du titre de séjour, qui doit rendre un avis quand un préfet envisage un refus de renouvellement de titre dans des cas graves, disparaissent. Pas besoin de juristes, ces empêcheurs de reconduire en rond. Désormais, ces commissions sont composées d'un maire et de deux personnalités "qualifiées" sans autre précision, choisies discrétionnairement par le préfet, donc forcément majoritaires. Hop, un souci de moins. (art. L.312-1 du CESEDA).

Les parents proches (parents, conjoint, enfants), âgés de plus de 16 ans et de moins de 65 ans, d'un étranger résidant régulièrement en France qui veulent le rejoindre devront d'abord passer un examen de français et de connaissance des valeurs de la République (pourquoi un demandeur d'asile doit être enfermé, alors qu'un maire de Paris peut taper dans la caisse et devenir président de la République, tout ce qui fait qu'on est un pays civilisé, quoi). S'il le rate, il devra suivre une formation de deux mois maximum et repasser l'examen. Bref, le retour des pères blancs. On va vous faire entrer dans l'histoire de gré ou de force, c'est moi qui vous le dis.

Ha, oui. Et les tests ADN, bien sûr.

lundi 19 novembre 2007

Rions un peu grâce à Christophe Barbier

Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l'Express, propose chaque semaine un édito en image sur le site du magazine.

Celui du 19 novembre, intitulé "L'Autre Réforme", est consacré à la réforme de la carte judiciaire, et mérite d'être cité pour un extraordinaire alignement de clichés, d'absurdités, et de servilité, le tout en 2 minutes et 16 secondes, sans même un temps d'hésitation, et ce tout en marchant.

L'homme à l'écharpe rouge approuve sans réserves cette réforme menée par Rachida Dati, qui a « entièrement raison » de supprimer des juridictions à tour de bras. Dissipons d'emblée certaines accusations : ce n'est pas cette position qui lui sera reprochée. C'est juste après que les ennuis commencent.

Grand seigneur, le journaliste admet que l'on puisse « ergoter » sur sa méthode et sur son style, mais bon, que voulez-vous, il y a toujours des « rouspétances » quand on veut réformer, comme disait... Pierre Mauroy, promu autorité en la matière et figure tutélaire du garde des Sceaux, qui appréciera.

Pour le journaliste, c'est là toute la critique qu'il consentira à émettre. Rassurez-vous, je me permettrai d'ergoter un peu de rouspétance à la fin de cet article.

Le journaliste développe ensuite deux clichés arguments à l'appui de son approbation béate, ou plutôt contre les deux arguments qui seuls, selon lui, peuvent expliquer qu'on puisse être mécontent de cette réforme. Au cas où un lecteur froncerait encore les sourcils pour se faire une opinion, l'auteur a la gentillesse de lui montrer la voie : il s'agit de lutter contre deux "démons". Bref, ce n'est plus une réforme, c'est un exorcisme.

Le premier démon est LE cliché dont on peut faire l'économie si on parle de la justice : le corporatisme. Il n'est qu'anecdotique comparé au second où l'auteur fait montre de tout son art. Afin de vous éviter un baillement d'ennui, je vous propose un petit jeu. Cherchez la démonstration de Christophe Barbier. La réponse est ci-dessous, c'est le passage en gras.

Le premier démon, c'est celui du corparatisme : les avocats, les magistrats, tous ceux qui en vivent, de la justice, évidemment, se sont ligués pour qu'on ne tape pas dans leur gâteau.

Techniquement, cela s'appelle décrédibiliser l'adversaire pour réfuter tout argument de sa part. Peu importe ce que je pourrai dire : je suis avocat, donc tout ce qui sortira de ma bouche sera du "corporatisme" pour protéger "ma part de gâteau" (car je comptais sur mes affaires au tribunal d'instance de Bourganeuf pour me payer une Aston Martin, et son regroupement avec le tribunal d'instance de Guéret est une catastrophe économique pour moi).

C'est déjà affligeant mais ce n'est qu'une mise en bouche. Le meilleur reste à venir. Quel est le deuxième démon ? Attention, je vous jure que Christophe Barbier est sérieux.

En matière judiciaire, créer l'institution, c'est créer la demande. C'est à dire que s'il existe un tribunal, on va créer du contentieux pour le nourrir.

Bon, là, Christophe Barbier sent que c'est un peu gros. Alors il feint de céder à un contre-argument, qui est en fait une telle évidence que le nier revenait à reconnaître l'absurdité de son propos.

Certes, il faut que dans de vrais cas, justifiés, de contentieux il puisse y avoir dans la proximité la plus immédiate une institution pour juger le conflit.

Concession faite à la réalité, mais de courte durée.

Mais il faut éviter de tomber dans le travers inverse, c'est-à-dire de surdoter le pays en institutions judiciaires, qui incitent tout un chacun à judiciariser son comportement, à entraîner notre collectivité vers la pratique systématique du conflit judiciaire pour juger tel ou tel différend.

A ce stade, le lecteur espère encore avoir mal compris. Mais Christophe Barbier veille à faire voler en éclat ce mince espoir. Il a bien voulu dire que c'est l'existence des tribunaux qui pousse à faire des procès. Et il le prouve.

C'est éloquent en matière de prud'hommes : parce qu'il y a autant de Conseils de prud'hommes, il y a autant de litiges et ils durent aussi longtemps. Qui croira qu'en multipliant les Conseils de prud'hommes, on rendra cette justice plus rapide et moins fournie ?

Mes confrères qui exercent en droit du travail apprécieront l'argument, et ne manqueront pas de reprocher au Conseil de prud'hommes son existence, cause du contentieux du licenciement. Même au MEDEF, on n'ose pas la faire, celle-là.

Non, ce n'est pas la fonction qui crée l'organe, c'est l'organe qui crée le besoin et la fonction.

Si vous êtes malade, c'est parce qu'il y a trop de médecins ; si vous avez faim, c'est qu'il y a trop d'épiciers.

Il fallait rompre avec cette logique, c'est fait. C'est fait dans la douleur, mais ce n'est que le début, d'autres réformes du même type verront bientôt le jour dans d'autres domaines.

Fermez le ban.

Extraordinaire. Avec des journalistes comme ça, plus besoin de Pravda.

Car qu'aurait pu dire un autre journaliste aux mains moins encombrées de brosses à reluire ?

Par exemple ceci : il est en France un petit département merveilleux, épargné par cette vague de suppression de juridiction, qui au contraire bénéficie d'une augmentation de leur nombre. Un tribunal d'instance supprimé, mais un autre créé à la place, et pas moins de deux tribunaux de commerce créés pour le département qui jusque là n'en avait pas. C'est la Haute-Savoie, qui perd le tribunal d'instance de Saint-Julien-en-Genevois mais en gagne un à Annemasse, et gagne un tribunal de commerce à Annecy (chef lieu de canton, 52.000 habitants) et Thonon-Les-Bains, chef lieu d'arrondissement, 30.000 habitants. Nul doute que cela répondra à l'impératif besoin de justice des Haut-Savoyards, qui eux sont insensibles au phénomène du tribunal-qui-crée-le-contentieux. Pas comme ces malotrus de Savoyards-d'En-Bas, qui ont perdu trois tribunaux d'instance sans rien gagner. ca leur apprendra à ne pas savoir se retenir. En tout cas, cela n'a absolument rien à voir avec le fait que le maire d'Annecy-Le-Vieux, député de la 1e circonscription de Haute Savoie n'est autre que Bernard Accoyer, président de l'Assemblée Nationale, et troisième personnage de l'Etat. Rien du tout.

De même que si en Picardie, la Somme (550.500 habitants) a perdu deux de ses trois tribunaux de grande instance, tandis que l'Aisne voisine et ses 530.000 habitants garde ses trois tribunaux, ce n'est certainement pas parce que Xavier Bertrand est issu de la 2e circonscription de l'Aisne et qu'il occupe actuellement un poste clef au gouvernement, en charge de la réforme des retraites. C'est à en croire Christophe Barbier parce que là bas, les gens savent se tenir. Ils ont trois tribunaux, mais ne font pas de procès : on peut donc leur laisser ces trois tribunaux inutiles.

Puisqu'on vous dit que le danger, c'est le complot des magistrats et des avocats pour garder leur gâteau et vous, vous, les citoyens, qui dès que vous voyez un conseil de prud'hommes, vous faites licencier pour faire un procès à votre employeur.

Faites comme Christophe Barbier : arrêtez de penser, lisez l'Express.

vendredi 16 novembre 2007

Réforme de l'aide juridictionnelle : les pauvres paieront !

Le Garde des Sceaux, ministre de la justice, qui trouvait sans doute qu'elle ne se prenait pas assez de critiques avec sa réforme de la carte judiciaire a décidé de remettre le couvert.

Lors du débat sur le projet de budget de la justice, jeudi 15 novembre, la garde des sceaux Rachida Dati a provoqué la colère de l'opposition en évoquant la possibilité d'instaurer une franchise sur l'aide juridictionnelle, qu'elle a qualifiée de "ticket modérateur justice", pour les personnes à bas revenus qui en bénéficient. L'aide juridictionnelle permet aux personnes ayant de faibles revenus de faire valoir leurs droits en justice. L'aide, fournie par l'Etat, peut être totale ou partielle selon le niveau de ressources dont la personne dispose.

Interrogée par le socialiste Jean-Michel Clément sur la revalorisation de l'aide juridictionnelle perçue par les avocats qui défendent des clients à faibles ressources, Mme Dati a répondu en citant un rapport réalisé par le sénateur UMP de la Sarthe Roland du Luart. "Nous nous inspirons de ce rapport qui a fait des propositions en matière d'aide juridictionnelle notamment, peut-être, en instaurant une franchise sur l'aide juridictionnelle ou un 'ticket modérateur'", a-t-elle déclaré.

Ha, le rapport du Luart, assurément promis à un brillant avenir car il a l'intelligence de proposer plein de solutions... pour faire payer les autres que l'Etat. Notamment la brillante idée de faire financer l'augmentation de l'AJ... en taxant les avocats. Vivement la taxe sur l'essence pour compenser la hausse du prix du pétrole.
Et que dit-il, ce rapport, sur ce point ?

Le rapport envisage plusieurs niveaux du ticket modérateur, de 5 à 40 euros, mais le sénateur penche plutôt pour 15 euros, un montant proche du forfait hospitalier (16 euros). En seraient cependant dispensés les plus pauvres, à savoir les étrangers en situation irrégulière et tous ceux qui touchent les minima sociaux, ainsi que les mineurs et les victimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne.

Le premier qui m'explique en quoi le forfait hospitalier est une bonne référence pour le ticket modérateur de l'aide juridictionnelle gagne un an d'abonnement à mon flux RSS.

Bon bon bon. Respirons et prenons un peu de recul.

L'aide juridictionnelle (AJ) est la prise en charge par l'Etat des frais de justice : huissier, expert, et avocat. Elle peut être totale ou partielle.

L'AJ totale est accordée aux personnes dont les revenus (salaires + loyers, pensions alimentaires, etc, sauf aides sociales) n'excèdent pas un certain plafond. Pour 2007, ce montant est de 874 euros par mois pour une personne seule, plus 157 euros par personne à charge à concurrence de deux, et 99 euros pour les suivantes. En cas de vie de couple, les revenus des deux s'additionnent.

Pour les personnes gagnant entre 875 et 1311 euros par mois (mêmes correctifs pour personnes à charge), il y a l'aide juridictionnelle partielle, qui implique des honoraires réduits payés à l'avocat. Cette prise en charge partielle va de 85% à 15%, ce pourcentage représentant la fraction de l'indemnité versée à l'avocat par rapport à celle qui lui aurait été payée si l'aide juridictionnelle avait été totale : par exemple, l'indemnité pour assister un prévenu devant le tribunal correctionnel est d'environ 200 euros ; si mon client bénéficie de l'AJ partielle à hauteur de 15%, je toucherai... 30 euros de l'Etat, à moi de négocier mes honoraires complémentaires avec mon client. Les frais d'huissier et d'expertise restent intégralement pris en charge par l'Etat.

Pour plus de détails, voir ce billet. Les montants sont anciens, mais rassurez -vous, ils n'ont pas trop augmenté depuis. Et pour une illustration des absurdités du système actuel, dont la réforme n'est pas d'actualité, voir ce billet.

Bref, il y a déjà un ticket modérateur (l'AJ partielle), dont sont dispensés les plus pauvres (qui ont l'AJ totale) : ce sont les honoraires convenus avec l'avocat (par une convention écrite et validée par le bâtonnier qui s'assure de leur montant raisonnable et conforme aux usages). Ca fait réfléchir avant d'agir et rémunère directement l'avocat qui prête son concours. Mais le problème, c'est que ce ticket modérateur n'est pas touché par l'Etat. Ho, il en touche sa part, rassurez-vous.

Donc l'idée est de faire un autre prélèvement. Et de restreindre le nombre de ceux en étant dispensés. Faire payer les pauvres, c'est une nouvelle mode.

Ces pauperes pauperi inter pauperibus pauperrimi ex pauperibus[1], qui sont-ils ?

- Les bénéficiaires des minima sociaux (RMI, minimum vieillesse). Cela peut se comprendre.

- Les mineurs. Certes, quand on a 17 ans, 15 euros, c'est pour les clopes ou le shit, par pour un avocat.

- Les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, ainsi que leurs ayants droit[2]. Pardon ? Et pourquoi, je vous prie ? Les victimes de crime ont déjà droit à l'AJ totale sans conditions de ressource, même si elles payent l'ISF. Et en prime, on leur fait un cadeau de 15 euros. A quand le ticket de métro et le pin's parlant du président promettant d'aggraver les peines encourues pour ce crime ? Quand on s'est fait violer, quand son enfant s'est fait assassiner, payer 15 euros sur les dizaines de milliers qu'on va recevoir, c'est obscène ? Par contre, quand on gagne 10 euros de plus que le RMI par mois et qu'on risque de se faire expulser de son logement qui vient d'être vendu, on peut bien payer le ticket modérateur à l'Etat pour être défendu contre la perspective de la rue ou des foyers, c'est la moindre des choses ? C'est ça la logique de "responsabilisation" du sénateur du Luart qui a séduit le Garde des Sceaux ? On ne sait jamais, ce SDF en devenir est peut-être un procédurier quérulent ?

La commisération affichée à l'égard des victimes vire à l'absurde. Ce n'est pas nouveau, mais désormais, on ne fait même plus l'effort de le cacher. Quand on compare cela à la façon dont sont traitées les victimes de l'Etat, je pense notamment aux personnes contaminées par le VIH, l'hépatite C ou la maladie de Creutzfeldt-Jakob par l'hormone de croissance lors de traitement administrés par des établissements publics, on n'a pas le cœur à rire, quand bien même ce serait la meilleure chose à faire.

Notes

[1] Pauvres parmi les pauvres. Enfin, j'espère que c'est ce que ça veut dire.

[2] Ce sont les héritiers de la victimes si elle est décédée : ses enfants, à défaut ses parents, à défaut ses frères et sœurs. Il exercent l'action de la victime en réparation de son préjudice.

jeudi 15 novembre 2007

A lire absolument

J'ai presque honte de faire un lien sur un billet de Boulet, puisque je suppose que vous lisez son blog avant de lire le mien, mais ce billet là, vous devez absolument le lire. Il est tellement vrai. D'un bout à l'autre.

Et la conclusion est extraordinaire.

La décision du conseil constitutionnel sur la loi Hortefeux

Touché, et coulé, voilà résumé en deux mots la décision du Conseil constitutionnel rendue ce jour, par les onze sages, Jacques Chirac faisant son entrée au Conseil constitutionnel en qualité d'ancien président.

1) Touché, c'est l'article sur les tests ADN.

Le Conseil l'a validé mais avec une réserve d'interprétation. C'est une technique inventée par le Conseil, pour éviter d'annuler un article quand il peut être interprété de façon à ne pas être contraire à la Constitution.

Cette réserve est de taille : la loi ne peut avoir pour effet de créer des règles d'état civil spéciales, donc discriminatoires, à l'égard de certains étrangers.

La conséquence tirée en est double. La loi, pour permettre le recours à un test ADN, exige plusieurs conditions. Des conditions d'ordre général tout d'abord : ce dispositif est expérimental pour 18 mois et prendra fin, sauf nouvelle loi le prolongeant, le 31 décembre 2009 ; dans ce délai, il ne s'applique qu'à certains pays dont la liste sera fixée par décret. Des conditions propre à chaque dossier enfin : que l'acte d'état civil (acte de naissance...) soit inexistant, ou qu'il existe un doute sérieux sur l'authenticité de l'acte produit, doute qui n'est pas levé par la possession d'état conformément à l'article 311-1 du Code civil (l'enfant doit porter le nom de son père supposé, être traité par lui comme son fils, et être considéré comme tel par tous). Il faut enfin que ce test soit autorisé par le tribunal de grande instance de Nantes. Pourquoi Nantes ? Parce que c'est là que sont les services du ministère des affaires étrangères s'occupant des visas. Ironie de l'histoire : Nantes était le premier port négrier de France. On n'échappe pas facilement à son destin...

Le Conseil trouve à redire à cet article : tout d'abord, le recours à la possession d'état ne sera possible que si ce mode d'établissement de la filiation existe dans la loi du pays concerné. Je ne suis pas sûr que cette réserve soit favorable aux étrangers dont le pays ne connaît pas la possession d'état, si du coup les consulats passent directement à la case "refus de visa".

En outre, si ces étrangers établissent leur filiation conformément à la loi qui s'applique à leur nationalité, l'administration sera tenu de s'y plier et ne pourra pas demander un test ADN en plus. Ces tests ne seront donc qu'un mode de preuve subsidiaire, proposé uniquement à un étranger sollicitant un regroupement familial et ne pouvant établir sa filiation par la preuve prévue par la loi du pays dont son enfant a la nationalité, ou si l'administration démontre le sérieux de ses doutes sur l'authenticité de l'acte produit. Se pose ici un problème de compétence. La contestation du doute de l'administration sera-t-il de la compétence du juge judiciaire nantais ? Ou du juge administratif selon la tradition française ? Cette loi fait-elle exception à la compétence administrative ? Ce serait somme toute logique, puisqu'en matière d'état civil, c'est le juge judiciaire qui est compétent. La loi n'est pas claire là dessus.

Ainsi interprétée, la loi ne peut être utilisée par l'administration pour remettre en cause toute filiation qui lui semble simplement douteuse sans qu'elle ait à s'expliquer sur les raisons de son scepticisme, mais seulement proposer un tel test à la place du refus de visa pur et simple, test qui sera autorisé finalement par le juge après débat contradictoire. Bref, le test ADN sera une exception.

2) Coulé, c'est l'autorisation de collecte de données ethniques à des fins statistiques.

Le conseil la juge contraire à la Constitution, pour deux raisons, chacune suffisante en soi.

Première torpille, procédurale, qui porte peut être bien la signature de l'Amiral Debré : cet amendement parlementaire est sans rapport avec l'objet de la loi. C'est la condamnation de ce qu'on appelle les « cavaliers législatifs ». Or les statistiques ethniques en question pouvant s'appliquer aussi bien aux Français qu'aux étrangers, on se demande ce que cet amendement venait faire là. Au fait, devinez qui l'avait déposé ?

Et une deuxième torpille, histoire d'enfoncer le clou. En effet, le Conseil a inversé l'ordre logique de l'examen de la constitutionnalité de cet article. Le simple défaut de lien avec la loi aurait pu suffire, sans même s'interroger sur le contenu de l'article. Mais non. Le conseil commence par examiner l'article, avant de constater que de toutes façons, il n'avait même pas à le faire. Il y a clairement un message, au cas où l'amendeur fou serait tenté de trouver une loi ayant assez de lien avec son projet pour l'y accoler.

En tout état de cause, dit le Conseil, l'article 1er de la Constitution, qui interdit toute distinction d'origine, de race ou de religion, interdit toute collecte de données sur une base ethnique. Donc même si une loi spéciale était votée, ce serait niet. Au passage, cela devrait donner à réfléchir les constitutionnalistes à la petite semaine qui se disent choquées de voir le mot "race" dans la Constitution, en se refusant à lire les mots "sans distinction de" qui le précèdent. C'est grâce à la présence de ce mot qui les dérange que des lois qui les dérangeraient bien plus ne peuvent être votées. A bon entendeur...

L'opposition ayant soulevé seulement ces deux points, et le Conseil n'ayant rien vu dans la reste du texte d'assez grave pour l'obliger à se saisir lui-même, le reste de la loi est validée sans discussion. Vous l'avez deviné, l'essentiel de la loi se trouve bien dans ces articles, qui n'ont pas eu l'heur d'intéresser l'opposition. Je vous ferai un topo de la loi IIA (Immigration, Intégration et Asile) prochainement. Vous verrez que les tests ADN, c'était un hochet, qui a très bien fonctionné.

lundi 12 novembre 2007

Avis de Berryer

Peuple de Berryer !

Après de trop longues vacances, la Conférence Berryer revient enfin !

A cette occasion, pour sa septième séance, la Conférence Berryer recevra, ce jeudi 15 novembre à 21h, dans la Chambre des Criées, Monsieur Philippe Tesson.

  • ► 1er sujet : Faut-il continuer le combat ?
  • ► 2ème sujet : Doit-on avoir peur des mots ?

Le rapporteur de cette séance sera Monsieur Thibault Halmenschalger, Douzième Secrétaire de la Conférence.

Il est nécessaire de se munir d’une invitation par personne et d’une pièce d’identité pour entrer au Palais le soir de la Berryer.

Les invitations sont disponibles EN CLIQUANT ICI.

Il est rappelé que les invitations ne valent pas réservation de place assise et que l’accès à la Chambre des Criées sera limité au nombre de places disponibles.

Les candidats peuvent s’inscrire directement auprès du Quatrième Secrétaire à l’adresse suivante : alevy[@]darroisvilley.com

vendredi 9 novembre 2007

Rediffusion : Je n'oublierai jamais la petite A...

On ne rit pas tous les jours en audience.

Et ce jour là, ce ne fut pas le cas.

J’attendais mon tour pour plaider un dossier de partie civile, une bagarre entre clochards où mon client avait failli perdre un œil. L’huissier m’a informé que mon dossier passera après celui-là. « Homicide involontaire, accident de la circulation » me précise-t-il. « Bon, dossier classique, ça ne devrait pas durer » ai-je pensé.

Le prévenu est très jeune, à peine vingt ans.

Les parties civiles sont une jeune femme et un homme âgé de la quarantaine mais qui semble avoir cent ans, tant il est courbé et se déplace lentement. Comme si un poids invisible l'écrasait.

La présidente vérifie rapidement l’identité de chacun, rappelle la prévention : « il vous est reproché d'avoir, à Paris, le..., et en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, par imprudence, négligence, maladresse ou inobservation des règlements, involontairement provoqué la mort d'A..., en l'espèce en remontant une file de voiture à l'arrêt sur votre scooter sur la partie de la chaussée consacrée à la circulation en sens inverse... » et un froid glacial s'abat soudainement sur la salle quand elle dit à la jeune femme : « la victime est donc votre fille A., âgée au moment des faits de… (elle regarde le dossier) un mois et demi ».

D'un coup, silence de plomb.

La présidente lit le procès verbal de la police.

Cela s’est passé à Paris, un soir vers 18 heures. Le père d’A. (le centenaire voûté sur sa chaise) veut traverser un boulevard parisien à deux fois deux voies, séparées d’une ligne discontinue. Les deux voies du côté du père sont immobilisées par un embouteillage. Il tient sa petite fille dans les bras. Le prochain passage piéton, protégé par un feu est un peu loin, et après tout, se dit-il, le trafic est paralysé. Tant pis. Il traverse donc en slalomant entre les voitures, passe devant une camionnette et arrive au milieu de la chaussée. Il regarde à sa droite, pour s'assurer qu'aucune voiture ne vient dans l'autre sens. Il fait un pas.

Il ne voit pas le scooter qui arrive à sa gauche.

Son conducteur, voyant que la voie allant dans l'autre sens était dégagée, et que le bouchon semblait insoluble, a pris la partie gauche de la chaussée et était en train de doubler toutes les voitures à l’arrêt. Il va assez vite, pour rester le moins longtemps possible à contre sens, et se réfugier au prochain feu rouge du bon côté de la circulation. Il ne voit qu'au dernier moment le père d’A. débouler de devant la camionnette qui le cachait.

Quand le père surgit, le conducteur du scooter fait une brutale embardée et l'évite de justesse. Toutefois, la pointe droite de la poignée de son guidon heurte le coude gauche du père d’A., coude qui se soulève d'une dizaine de centimètres.

Et tout bascule dans l'horreur.

La tête d’A. glisse alors sous le bras soulevé. Le petit corps et les jambes suivent. Le père sent sa fillette basculer dans le vide, mais trop vite pour qu'il puisse faire le moindre geste pour la rattraper.

Plus d'un mètre de chute, la tête la première.

Elle heurte le bitume avec le sommet du crâne.

Le SAMU et les pompiers arrivent en urgence. Les os du crâne se sont disjoints. Il y a enfoncement de la boite crânienne. Un hématome sous dural massif s’est formé. A. est dans un coma profond à son arrivée à l’hôpital.

Sa mère, qui a accouru à l’hôpital dès qu’elle a su, ne quitte pas le chevet de sa fille. Jour et nuit.

A. ne sortira jamais du coma. Elle mourra deux jours plus tard, à deux heures du matin.

Le père ne répond à aucune question de toute l’audience. C’est la mère qui prend la parole.

Elle raconte comment leur vie a explosé ce soir là. Elle a amené des dizaines de photos de son bébé pour le tribunal. Elle a apporté des vêtements d’A., si minuscules qu’on croirait des vêtements de poupée. Elle raconte comment depuis 6 mois que c’est arrivé, ils n’ont pas encore eu le courage d’entrer dans la chambre de la petite. Comment son mari, qui avant était joyeux et volubile, s’est enfermé dans un mutisme absolu, passe des heures devant la télé, comment elle le retrouve parfois assis dans le noir au milieu de la nuit, à pleurer. « C’est comme s’il était mort dans sa tête », dit-elle.

Le père est originaire du Pakistan et A. a été enterrée là bas, très vite, quelques jours après, comme l'exige le rite musulman.
« Comme on n’a pas les moyens, je n’ai pas pu aller à son enterrement. Je n’ai même pas une tombe pour pleurer ma fille ». La voix brisée à cause des sanglots, elle explique la douleur insupportable qui ne s’atténue pas, jour après jour, mois après mois.

Un des juges assesseurs, une femme, essaie de s’essuyer les yeux discrètement. J’entends des reniflements dans le public. Le gendarme d’audience a les yeux rougis. Sur les bancs des avocats, on n'a pas fière allure non plus. Une chape de plomb s’est abattue sur le tribunal.

Le prévenu a ensuite la parole. Il a la réaction d’un gosse de vingt ans. Il esquive sa responsabilité, dit qu’il ne roulait pas au dessus de la vitesse limite, que « c’est pas sa faute ». Assumer le fait d’avoir tué un bébé d’un mois et demi à 20 ans pour avoir voulu éviter un embouteillage, c’est dur.

Les plaidoiries des avocats sont brèves et peuvent sembler obscènes pour un non juriste, puisqu’elles portent principalement sur l’indemnisation financière. L’avocat de la compagnie d’assurance chipote sur la demande de réparation consistant en un billet d’avion par an pour que la mère puisse aller au Pakistan sur la tombe de sa fille. L’avocat de la défense soulève que la ligne était discontinue, que le scooter avait le droit de doubler, qu’il ne commettait pas d’excès de vitesse, que si faute il y a eu, c’est celle du père qui a traversé hors des clous et qu’à défaut de faute caractérisée de son client, il faut le relaxer.

La mère s’insurge : « Le relaxer ? Dire qu’il n’a pas tué ma fille ? Qu’il ne s’est rien passé ? ». La présidente calme la mère avec fermeté : la défense est libre, elle soulève les arguments qu’elle souhaite, le tribunal tranchera, mais la défense a la parole en dernier, il n’y a pas à réagir ou à commenter. La mère quitte la salle au bord de la crise de nerf, torturée d’angoisse à l’idée que celui qu’elle considère comme le responsable puisse être relaxé. Ce n'était pas ce qu'elle était venue entendre.

L’affaire est mise en délibéré. Les avocats assis sur le banc de la défense se regardent. Nous sommes tous sous le choc… Une ambiance oppressante a envahi le tribunal. La sortie des parties fait peu à peu sortir le prétoire de sa torpeur. Des bancs du public, des chuchotements s'élèvent : tout le monde commente ce qu'ils viennent d'entendre. Je pense « je plains celui qui va devoir plaider après une affaire comme ça… »

L’huissier me sort de mes songes.

—« Maître, c’est à vous ».

Ha, oui, tiens, il m’avait prévenu.

Je me suis senti honteux avec mon dossier de bagarre de pochetrons.

Jamais je n’ai autant souhaité que mon dossier fût cette fois tout en bas de la pile.

Epilogue : le jeune homme a été condamné à une peine de six mois de prison avec sursis simple et 18 mois de suspension de permis. L’assurance a été condamnée entre autre à prendre en charge un billet d’avion par an à la mère pendant dix ans.

L’assurance n’a pas fait appel.


Pourquoi exhumè-je ce billet, qui est un des premiers qui j'ai écrits pour ce blogue ?

Tout d'abord parce que, trois ans et demi après l'avoir écrit, et bien des années après avoir vécu cette scène, je n'ai toujours pas oublié la petite A., ni la voix de sa mère dont les mots si justes et si forts résonnent encore dans ma tête.

Et puis parce qu'il y a quelques temps, j'ai rencontré à un événement mondain où j'étais invité, la magistrate qui présidait cette audience. Elle a continué sa carrière, est devenue conseillère à la cour d'appel, puis présidente de cour d'assises. Nous avons parlé de nos expériences respectives, du point de vue des divers intervenants au procès pénal. Et puis je lui ai dit qu'une de mes premières plaidoiries avait été devant elle, et qu'elle avait été terriblement difficile à cause de l'affaire qui la précédait. Je n'ai eu besoin que de quelques phrases pour qu'elle se souvienne.

Elle non plus, malgré les années, et des dizaines et des dizaines de dossiers traités, parfois des crimes odieux, elle n'avait pas pu oublier la petite A.

Les couloirs du palais sont peuplés de fantômes. Et parmi eux, il y a une petite fille d'un mois et demi, que je n'ai jamais connu, et qui pourtant m'accompagne souvent.

mercredi 7 novembre 2007

Le référé contre Wikipédia

Le 29 octobre dernier, le tribunal de grande instance de Paris a eu à statuer en référé sur une affaire concernant Wikipédia, la version française de l'encyclopédie collaborative, dans une affaire qui peut intéresser tous ceux qui publient sur internet. Voici la copie de cette décision, hébergée sur l'indispensable Juriscom.net.

Je passerai rapidement sur le lamentable édito du Monde relatant cette affaire. Jules s'est occupé de lui tailler un costard et c'est effectivement un parfait exemple de maljournalisme : l'auteur n'a pas compris la décision, ce qui est pardonnable, mais lui fait dire ce qu'elle ne dit pas pour appuyer des revendications corporatistes, ce qui l'est moins.

Les faits étaient les suivants :

Wikipédia est une encyclopédie collaborative qui est gérée par un système dit de wiki, c'est à dire que toute personne peut librement créer ou modifier un article. Certains articles faisant l'objet de vandalisme peuvent être protégés provisoirement, mais le principe est la liberté de modification. En effet, le wiki garde en mémoire toutes les modifications apportées, et il est très aisé de revenir à une version antérieure si une erreur ou un dommage est commis. La décision de suppression d'un article est en revanche prise collectivement, après un débat ouvert.

Un internaute anonyme (mais dont l'adresse IP a été enregistrée) a créé un article parlant d'une société commerciale, la société S. Cet article désignait nommément trois cadres de cette société et révélait, en des termes laudatifs, l'homosexualité prétendument assumée de ces cadres et des conséquences que cela avait sur la bonne ambiance de travail.

Ces trois cadres ont découvert cet état de fait et se sont émus de ce qu'ils ont considéré comme une atteinte à leur vie privée. Si certes il leur était loisible d'effacer ces mentions dans l'article en cause, elles figureraient néanmoins dans l'historique et pourraient être rétablies en première page par quiconque d'un simple clic de souris.

Ils se sont alors adressé à l'entité qui héberge matériellement wikipédia sur ses serveurs, soit la Fondation Wikimedia, association de droit américain, de l'Etat de Floride plus précisément, seule capable d'assurer l'effacement définitif de ces données. Deux e-mails ont été envoyés à la Fondation demandant le retrait des passages incriminés, sans effet.

Ils ont alors saisi en référé le tribunal de Paris afin d'obtenir le retrait de ces mentions et une somme d'argent à valoir sur des dommages-intérêts obtenus par une procédure au fond. Mais au fond de quoi ?

C'est ici qu'une première explication s'impose sur le référé. Le référé est une mesure provisoire que l'on demande en urgence parce que son principe ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Elle est très rapide à obtenir (ici, la demande a été présentée le 8 octobre et la décision rendue le 29) mais ne saurait régler un litige. Elle sert à faire en sorte d'éviter que le délai nécessaire à la justice pour statuer sur le fond du litige (d'où le terme de "procédure au fond") ne nuise trop à une partie.

Ici, les trois cadres voulaient que la mention de leur homosexualité soit effacée de Wikipédia, avant d'aller régler leur compte avec les responsables de cette atteinte à leur vie privée ; et, estimant que le principe de leur victoire était acquis, demandaient à ce que le juge leur accorde par avance une fraction de cette somme correspondant à la partie non contestable de leur préjudice.

Première difficulté : à qui s'adresser pour cela ? En effet, juridiquement, Wikipédia n'existe pas. Wikipédia est un ensemble de fichiers informatiques, pas une personne avec qui on peut dîner. Tout comme Le Monde est un assemblage de feuilles de papier où des signes sont imprimés à l'encre dans un premier temps, avant de se retrouver sur les doigts du lecteur. Mais Le Monde est un journal, soumis au droit de la presse (la loi du 29 juillet 1881) et a un directeur de la publication responsable de tout ce qui est imprimé. Le fait que le journal soit électronique ne change rien à l'affaire : il y a publication non pas quotidienne mais continue au fur et à mesure que les articles sont rédigés. LeMonde.fr est ainsi un journal publié par la société Le Monde Électronique, et le directeur de la publication est au jour où j'écris ces lignes Madame Dao Nguyen, directrice générale de la société.

Mais Wikipédia ? Hé bien, pour Wikipédia, ce ne sont pas les mêmes règles qui s'appliquent, car Wikipédia n'est pas un journal. Ce n'est pas un scoop, mais ça a échappé au journaliste du Monde. Wikipédia est un site internet qui héberge des écrits composés librement par des internautes. Cela exclut l'application du droit de la presse, car la responsabilité du directeur de la publication s'explique par le fait qu'il contrôle a priori tout ce qui est publié. Exit donc la loi de 1881.

C'est donc vers la loi du 21 juin 2004 qu'il faut se tourner, la fameuse LCEN, Loi sur la Confiance dans l'Économie Numérique. Ha, la LCEN. Elle est en partie à l'origine de mon blog, car lors des débats de cette loi, il y a eu une telle propagande sur l'internet, un peu à l'instar de celle lors de la loi DADVSI, où se multipliaient des textes catastrophistes annonçant la censure généralisée d'internet (voyez ce bandeau qui fleurissait sur les blogs) alors que précisément cette loi visait à protéger ceux qui hébergeaient des textes qu'il n'avaient pas écrits, que j'ai réalisé que le manque d'information et de culture juridique de mes contemporains les rendaient vulnérables à la manipulation.

Que dit cette loi ? Cette loi distingue trois intervenants dans l'internet : le fournisseur d'accès à internet (celui qui vous demande 29,99 euros par mois sauf s'il porte le nom d'une couleur auquel cas c'est plus cher pour la même chose), qui n'est en principe pas responsable de ce qui transite sur l'internet ; l'éditeur, qui est l'auteur des textes ou images publiés, et est responsable mais peut dans certains cas décider de rester anonyme ; et enfin l'hébergeur, celui qui stocke les signaux et permet à l'éditeur de publier ces textes. L'hébergeur est en principe aussi irresponsable, mais sa responsabilité peut être engagée dans des conditions strictes prévues par la loi. Il devient civilement responsable de ce qu'il héberge à deux conditions : s'il est établi qu'il a connaissance du caractère illicite du contenu ET s'il n'a pas agi promptement pour ôter ce contenu illicite. La loi prévoit une façon irréfutable d'établir la connaissance du caractère illicite du contenu par l'hébergeur : il suffit de lui envoyer une notification par lettre recommandée comportant des mentions déterminées[1].

La loi impose la mention de l'hébergeur sur tout site, mais sinon, il peut être retrouvé aisément par un Whois.

La Wikimedia Foundation est l'hébergeur du site Wikipédia. C'est à elle que se sont adressés nos trois cadres fin septembre, par courrier électronique resté sans suite. Les trois demandeurs se sont alors tournés vers le juge des référés, en lui demandant de constater que l'article litigieux portait atteinte à leur vie privée et était diffamatoire[2] ; de constater que malgré ces deux e mails, la Fondation n'a pas ôté ces contenus, devenant alors civilement responsable ; d'ordonner à la Fondation le retrait de ces passages ; de lui ordonner de communiquer les coordonnées exactes du rédacteur du texte incriminé ; et la condamner à leur payer à chacun 15.000 euros de provision sur dommages-intérêts pour diffamation outre 3000 euros chacun pour frais de procédure.

La Fondation Wikimedia a réagi à cette assignation (oui, on peut assigner devant un tribunal français une entité américaine, ce n'est absolument pas un problème) en ôtant le texte incriminé. Pour sa défense, elle soulève un point de procédure intéressant pour les juristes, mais qui sera rejeté, je ne compliquerai donc pas ce billet en l'abordant. Elle réplique sur le reste qu'elle a ôté le contenu litigieux le 17 octobre 2007, qu'elle n'est pas tenue à une obligation de surveillance de ses contenus en application de la LCEN, qu'on le lui a pas notifié de contenu illicite en respectant le formaliste prévu par la LCEN, et qu'elle ne dispose d'aucun élément d'identification du rédacteur hormis l'adresse IP qui, s'agissant d'un rédacteur anonyme, est accessible à tous, et renvoie au fournisseur d'accès concerné l'identification du rédacteur fautif.

Ce à quoi le juge va répondre ceci.

Sur le retrait du contenu : il constate que le retrait a été effectué, la demande des trois cadres est donc devenue sans objet. On ne débat pas du retrait de ce qui a déjà été retiré.

Sur la responsabilité de la Fondation Wikimedia : le juge relève que les e-mails envoyés fin septembre ne remplissent pas les conditions prévues par la LCEN. Il n'y a pas de preuve de leur réception effective, ils ne mentionnent pas les textes légaux sur lesquels s'appuient la dénonciation du contenu, qui est une mention essentielle pour permettre à l'hébergeur de vérifier le bien fondé de la réclamation. Donc, conclut le juge, il n'est pas évident, comme ce doit l'être dans le cadre d'un référé, que la Fondation Wikimedia soit bien civilement responsable.

De plus, la deuxième condition n'est pas non plus établie : celle du retrait tardif du contenu litigieux. Le juge constate que le retrait est antérieur à l'audience, et que la Fondation ne peut nier avoir eu connaissance de la réclamation par la réception de l'assignation. Or le laps de temps entre ces deux événements est plutôt bref, et crée une contestation sérieuse sur ce caractère tardif. Le juge ne tranche pas cette contestation : il constate qu'elle existe, ce qui exclut qu'il statue en référé.

Enfin, sur l'identification du rédacteur indélicat : le juge constate qu'en effet, la Fondation Wikimedia n'a que l'adresse IP de celui-ci, et que seul son fournisseur d'accès peut fournir cette information, ce qui met la Fondation hors de cause.

Le juge déboute donc les trois demandeurs de leurs demande, hormis de celle de retrait qui, elle, est sans objet.

C'est une application orthodoxe de la LCEN, qui vise à protéger les hébergeurs contre les conséquences d'une responsabilité entendue trop largement. Ils n'ont pas la maîtrise de ce qu'ils publient, sauf à interdire toute publication immédiate, ce qui serait antinomique à la liberté d'expression et à ce qu'est le réseau mondial. A rebours de ce qu'affirme le monde, la diffamation et la divulgation de la vie privée n'est pas impune sur internet. Le rédacteur, quand il sera identifié, aura du mal à échapper à une condamnation. Si la Fondation n'avait pas rapidement ôté le contenu litigieux, ou si la réclamation avait été faite dans les formes sans être suivie d'effet, la Fondation aurait bel et bien engagé sa responsabilité.

C'est simplement un régime différent qui s'applique aux sites dont le contenu est modifié en temps réel par leur éditeur, parce que ces sites ne sont pas des journaux.

Voilà tout ce qu'a dit le juge des référés dans son ordonnance.

Notes

[1] Il s'agit de la date de la notification ; si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ; les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ; la description des faits litigieux et leur localisation précise ; les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ; la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.

[2] La mention diffamatoire étant bien celle de l'homosexualité, réelle ou supposée, des requérants... Erreur de ma part : la mention diffamatoire étant que l'un des demandeurs aurait pu adopter ses deux enfants que du fait de son militantisme homosexuel.

mardi 6 novembre 2007

Alors, ces reliques de la mort ? (billet AVEC spoilers)

Maitre Eolas est en robe de sorcier, bleu nuit parsemée d'étoiles, avec un bonnet de sorcier, du même bleu avec un croissant de lune. Il gronde une élève toute penaude qui a du mal à retenir une larme. Maitre Eolas lui dit : "Rachida, en transfiguration, encore zéro ! Tu devais TRANSFORMER la carte judiciaire, et tu as juste fait disparaître des tribunaux. Déjà que tu n'as pas réussi à transformer ton pipeau en MBA, ça sent le redoublement..."

Attention, ne cliquez pas sur « Lire la suite » si vous n'avez pas fini les Reliques de la Mort ou si vous vous fichez de Harry Potter.

Lire la suite...

lundi 5 novembre 2007

La réforme de la carte judiciaire - rapport d'étape

Image de la couverture d'un album de "Martine", la collection pour enfants de Gilbert Delahaye et Marcel Marlier. On y voit Martine, entourée d'enfants sages et concentrée, qui discute avec un adulte de ce qui figure sur une grande feuille blanche étalée devant elle sur la table. Titre de l'album : "Martine redessine la carte judiciaire".

J'avais déjà parlé de cette réforme ici, quand elle était annoncée dans son principe. A présent que les détails commencent à être connus (plus de la moitié de la réforme a été révélée), il est temps de faire un retour dessus.

Premier constat : la montagne annoncée accouche d'une souris. On est très loin de l'objectif, il faut le dire irréaliste, d'un tribunal de grande instance par département et d'une cour d'appel par région.

En fait, cette réforme se résume essentiellement à la suppression massive de tribunaux d'instance (il y en a 476 à ce jour) et de commerce dans les régions rurales, et de quelques petits tribunaux de grande instance, choisis sur des critères assez obscurs. Les suppressions de cours d'appel annoncées (Bourges, qui a une faible activité, Metz, qui ne s'étend que sur un seul département et trois tribunaux de grande instance) n'ont pas eu lieu.

A Paris et en région parisienne, là, on sombre dans l'incompréhensible. Les magistrats comme les avocats souhaitaient un regroupement des 20 tribunaux d'instance en quatre pôles nord, sud est et ouest, tant le problème du transport ne se pose pas hors période de grève (et encore, il y a vélib). Il n'en sera rien. Quand on sait que trois tribunaux d'instance parisiens traitent moins de 500 dossiers par an (1er, 2e et 4e arrondissements), contre plus de 1000 pour la plupart des tribunaux de la région, comme celui de Vincennes, pourtant supprimé pour être regroupé avec Nogent Sur Marne (lui aussi à plus de 1000 dossiers par an). L'argument semble avoir été que Vincennes et Nogent Sur Marne sont à deux stations de RER, ce qui est exact, à ceci près que le tribunal est à 1,2 km de la gare de RER.

Mais Paris n'a pas à se plaindre, par rapport au ressort de la cour d'appel de Bourges, qui va passer de 12 à 4 tribunaux d'instance. La civilisation de l'automobile n'est pas près de disparaître.

La réforme voulait regrouper les tribunaux de grande instance en vue de l'apparition des pôles de l'instruction le 1er janvier 2010 (les instructions seront menés par trois juges d'instruction travaillant de conserve et devant délibérer à trois sur les décisions les plus importantes) ce qui menaçait tous les tribunaux ayant moins de trois juges d'instruction. On se dirigerait en fait vers la suppression d'une vingtaine sur 181. De ce point de vue, on est loin de l'ambition affichée au départ.

On notera au passage un virage à 180° par rapport au président précédent, qui ne jurait que par la proximité et avait même créé un "juge de proximité", qui ne méritera plus guère son nom quand les habitants de Chateau-Chinon devront faire 64 kilomètres pour faire juger leur contentieux de 250 euros à Nevers.

Enfin, et c'est ce qui suscite la grogne des avocats, c'est la concertation annoncée qui est une vaste farce. Un Comité Consultatif National a été créé et n'a jamais été consulté avant les premières annonces. Les avocats en ont donc claqué la porte il y a quinze jours.

Bref, le Garde des Sceaux a réussi le tour de force de prendre une réforme qui n'était pas contestée dans son principe, même si l'argument du vieillissement de la carte judiciaire est fallacieux, et en produisant pourtant un résultat inférieur à ce qui était annoncé de prime abord, à se fâcher avec à peu près tous les acteurs de la justice.

Pourquoi dis-je que l'argument du vieillissement de la carte judiciaire est fallacieux ? Parce qu'il consiste à dire : « cette carte date de 1958 et n'a pas été révisée depuis alors que la France a changé. Je vais donc moderniser tout ça, en laissant entendre que ceux qui ne seront pas d'accord sont des notables corporatistes qui voudraient vivre dans les années 50 ». D'une part, le projet de départ était d'aligner la carte des tribunaux de grande instance sur la carte des départements qui date de 1790. On se demande où est la modernisation. D'autre part, la carte a été modifiée, et parfois en profondeur, depuis 1958. Citons par exemple la création de la cour d'appel de Versailles en 1975, et des tribunaux de grande instance de Bobigny, Créteil et Nanterre à la même époque, tribunaux qui aujourd'hui sont parmi les plus gros de France. Enfin, la population de la France n'a pas diminué depuis 1958, pas plus que le nombre d'actions en justice, au contraire. L'évolution de la législation du travail, plus protectrice du salarié, et la libéralisation du divorce en 1975, ont considérablement augmenté la charge de travail des conseils de prud'hommes et des tribunaux de grande instance pour ne prendre que deux exemples. Une réforme cohérente aurait voulu que l'on déplaçât des juridictions isolées vers des nouveaux pôles urbains, et qu'on en augmente plutôt le nombre. Or c'est tout le contraire. On concentre et centralise. C'est aller à contresens de l'histoire.


Crédits : Martine Cover Generator

vendredi 2 novembre 2007

None Shall Pass ! (2)

On savait déjà que la France n'était plus une terre d'accueil. On apprend que ce n'est même plus une terre de transit.

Bertrand Delanoë, maire de Paris, auquel se sont associés d'autres maires et élus locaux français, a adressé, mercredi 31 octobre, une lettre à Nicolas Sarkozy pour protester contre le refus des autorités françaises de délivrer des visas de transit à plusieurs "élus et hauts fonctionnaires africains".

(...)

Sept maires camerounais invités en Corée ont déploré, dans un courrier à M. Delanoë, "l'attitude humiliante" du consulat général de France à Yaoundé, qui leur a "purement et simplement" refusé un visa de transit. Ils ont dû rallier la Corée du Sud à bord de Suisse Air, en transitant par l'Allemagne, la Suisse et la Chine, "sans exigence de visa aéroportuaire" de la part de cette compagnie, précisent-ils.

Bon, c'est une gaffe. Heureusement, le ministre du drapeau et des métèques assume courageusement.

Brice Hortefeux, ministre de l'immigration et de l'identité nationale, a saisi, mercredi, le directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France pour connaître les "motifs" du rejet de visa par la France, "si tel a bien été le cas".

Car le directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France est assurément responsable des problèmes de visas pour les maires camerounais qui veulent aller en Corée.

« C'est pas moi, M'sieur... »

jeudi 1 novembre 2007

Boire ou conduire, il faut être prévenu

Billet écrit à deux mains avec Dadouche, sans qui ce blog ne serait rien. C'est en fait un commentaire qu'elle a laissé sous mon billet sur les délits volontaires et involontaires, et qui mérite un peu plus de visibilité.

Nous sommes à une audience correctionnelle consacrée exclusivement aux délits routiers. Autant dire que dans ces cas, l'ivresse au volant est reine du prétoire. Il s'agit toujours de conducteurs contrôlés positifs à l'alcool en dehors de tout accident, lors d'un banal contrôle routier (les dossiers de blessures ou d'homicides involontaires sont traités à d'autres audiences, par des chambres formées au contentieux très technique de la réparation du préjudice corporel). C'est souvent à ces audiences, où les conducteurs sont rarement assistés d'un avocat, que le refus de se reconnaître fautif se manifeste avec la plus outrecuidante naïveté, puisqu'au fond, ils n'ont fait de mal à personne.

La présidente : Ca vous arrive souvent de prendre le volant après avoir bu ?
Le prévenu : non, c’est la première fois, je n’ai pas eu de chance.
La présidente (d’un ton doucereux pas du tout bon signe pour le prévenu) : pourquoi pas de chance ?
Le prévenu : ben, d’être contrôlé...
La présidente (d’un ton beaucoup moins doux) : en réalité, vous avez de la chance de comparaître devant le tribunal, parce que pour ça il faut être vivant !
Le prévenu (un peu indigné) : mais j’étais en état de conduire, puisque je n’ai pas eu d’accident. Comment ça vous voulez suspendre mon permis ?

(Deux dossiers plus tard)

Le prévenu : si j’avais su, j’aurais fait attention
La présidente (naïvement) : A ne pas boire autant ?
Le prévenu : non, à éviter le contrôle.

(Cinq dossiers plus tard)

Le prévenu : j’étais tout à fait en état de conduire.
La présidente : donc il n’y a aucun rapport entre votre taux d’alcoolémie à 2 mg/l d’air expiré[1] et le fait que vous ayez été contrôlé après vous être mis au fossé tout seul ?
Le prévenu : non, l’accident c’est parce que j’ai été surpris par un chien qui traversait.
La présidente (un très mauvais sourire aux lèvres) : Vous ne voudriez pas déposer plainte contre le propriétaire par hasard ?

(Dossier suivant)

La présidente : vous réalisez que vous auriez pu tuer ou blesser quelqu’un ?
Le prévenu : oh non quand même pas.
La présidente : oh ben si quand même ! Vous laisseriez votre fils prendre le volant après avoir bu ce que vous aviez bu ce soir là ?
Le prévenu : non mais c’est pas pareil, moi je conduis 20000 km par an et j’ai le bonus maximum. D'ailleurs, pour le permis ça se passe comment ?

(Dernier dossier)

La présidente : Je ne comprends pas. Il est indiqué dans le dossier que vous avez perdu votre mère à la suite d’un accident provoqué par un conducteur ivre. Vous devriez être sensibilisé à ce type de danger. Qu’est-ce qui vous a pris de conduire dans cet état là ?
Le prévenu : Je sais, c’est idiot, mais j’avais juste deux kilomètres à faire pour rentrer chez moi.

J'y ajoute une des miennes, entendues récemment. Le prévenu avait un avocat (non, ce n'était pas moi).

Le président : Donc, vous étiez au café quand votre femme vous a appelé sur votre portable pour vous dire qu'il y avait des gens qui rodaient.
Le prévenu : Oui. Et ça fait trois fois qu'on se fait cambrioler le garage. En plus, ils avaient des pieds de biche, elle était terrorisée.
Le président : Oui, et effectivement, votre femme a appelé la police qui est arrivée très rapidement et a interpellé les individus. C'est en vous voyant arriver en zig-zagant et sortir de votre voiture en titubant que la police a décidé de vous contrôler, et vous étiez à 1,6mg/l d'air expiré. Il est mentionné l'ouverture d'une procédure pour des faits de vol.
L'avocat, tout confiant : Oui, et cette affaire vient le mois prochain, mes clients sont partie civile. Je produis des pièces de la procédure montrant que ces personnes étaient armées.
Le président, sentant venir la plaidoirie sur l'état de nécessité : Donc, Monsieur, vous avez pris votre véhicule pour porter secours à votre épouse ?
Le prévenu: exactement !
Le président : D'accord. Une dernière question. Si votre épouse n'avait pas téléphoné, vous comptiez rentrer comment ?


Voir déjà sur ce sujet, il y a bien longtemps...

Notes

[1] Le maximum légal est de 0,40 mg/l, ce qui équivaut environ à 0,8g d'alcool dans le sang ; les tests sanguins ont disparu au profit d'éthylomètres électroniques. Le prévenu frôlait donc les 4g d'alcool par litre de sang...

mercredi 31 octobre 2007

Délits volontaires et involontaires

La discussion d'hier sur les chiens dangereux m'incite à enfin écrire un billet explicatif sur un des concepts les moins bien compris du droit pénal : l'élément moral de l'infraction, et la distinction qui en découle entre les délits volontaires et involontaires.

Toute infraction a une composante matérielle (un acte prohibé, comme des violences, ou une abstention, pour la non assistance à personne en danger ou la non dénonciation de crime) et un élément moral, qui implique la conscience qu'a l'auteur de ce qu'il fait.

Ici, il faut se remémorer la pierre angulaire du droit pénal français, la distinction tripartite des infractions.

A chaque catégorie d'infraction correspond un élément moral plus ou moins marqué.

Pour les contraventions, il suffit d'être conscient de ses actes, de ne pas agir sous l'empire d'une force majeure.

Ainsi, si vous grillez un feu rouge, peu importe que vous puissiez démontrer avec une certitude absolue que vous n'aviez pas vu le signal lumineux, la contravention est constituée. Votre seul moyen de défense est de démontrer qu'au moment des faits, vous avez agi mû par une impérieuse nécessité : vous transportiez une personne victime d'une crise cardiaque à l'hôpital, vous avez agi ainsi pour éviter un accident qui sinon aurait été certain, ou vous aviez perdu conscience, par exemple. Dans ces cas là seulement, l'élément moral disparait, et vous devez être relaxé.

Pour les crimes, il faut avoir recherché le résultat. Le meurtrier doit avoir voulu tuer. L'assassin doit avoir prémédité son geste. Le violeur doit avoir conscience du refus de sa victime d'avoir un rapport avec lui. Question classique de TD de droit pénal : « Mais quid du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner ? La définition du crime exclut l'intention ? » Là, le chargé de TD se doit de coller immédiatement un zéro à l'étudiant. La définition légale exclut l'intention homicide, mais les violences demeurent volontaires, et ce crime, loin d'être une exception, démontre le principe : entre celui qui frappe à la tête pour assommer et tue, et celui qui frappe à la tête et tue, la seule différence est l'intention, et elle fait toute la différence.

Laissons l'étudiant se morfondre sous les regards chargés d'opprobre de ses camarades, et tournons nous maintenant vers la catégorie intermédiaire, celle des délits, qui va nous poser le plus de problèmes.

Pour les délits, la jurisprudence exige que le coupable ait agi en connaissance de cause, qu'il ait « fait exprès ». Attention, cela ne signifie pas qu'il doit avoir conscience de transgresser telle disposition législative ou réglementaire. Nul n'est censé ignorer la loi, cette preuve n'a pas à être rapportée. Peu importe que celui qui télécharge des films sur internet soit persuadé que c'est légal parce que ces films sont déjà passés à la télé. Il ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi pour échapper à la condamnation. Voilà le sens exact de cette célèbre expression, qui n'a jamais voulu dire que tout le monde était censé connaître la loi.

Mais alors, pourquoi parle-t-on de délits involontaires ? L'expression est très mal comprise, et s'ajoute à cela la déplorable traduction des séries américaines. Souvent, vous verrez un procureur américain (district attorney) et l'avocat d'une crapule finie négocier des aveux contre une requalification en "homicide involontaire" avec 15 ou 20 ans à la clef, alors que toutes les preuves indiquent que ladite crapule a vidé deux ou trois chargeurs (selon le budget de la série) dans le corps de la victime.

C'est que le crime de unvoluntary manslaughter est traduit littéralement par homicide involontaire, alors qu'en fait il s'agit de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner (puni en France de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, tandis que l'homicide involontaire est puni de trois à 5 ans, à une exception près). En fait, dans ces hypothèses, le procureur sait que son dossier a une faiblesse : il aura du mal à apporter la preuve de l'intention homicide qui constitue le meurtre. Or aux Etats-Unis, la requalification à l'audience n'est pas possible. L'accusé de meurtre qui établit l'absence d'intention homicide sera acquitté et ne pourra pas être à nouveau poursuivi sur les mêmes faits. D'où la proposition de la crapule : "je suis prêt à avouer ma culpabilité pour une infraction certes grave, mais me garantissant d'échapper à la prison à vie ou à la peine de mort. Si vous voulez me voir condamner à mort, prenez le risque de mon acquittement". Rassurez-vous, si la série passe sur TF1, la crapule sera immanquablement condamnée à mort et le procureur pourra aller trinquer gaîment avec ses collègues.

Revenons au droit français. Le délit volontaire se distingue du délit involontaire par la recherche du résultat. Celui qui frappe volontairement veut faire mal. Celui qui vole veut s'emparer d'un bien qui ne lui appartient pas. Le délit involontaire résulte d'une imprudence, d'une négligence, d'une maladresse, ou de l'inobservation volontaire de règles de sécurité.

Mais il y a bien au départ une action en connaissance de cause. L'auteur d'un délit involontaire commet bien un acte volontaire, mais jamais il n'a voulu causer le mal qui en résulte. Et la différence est fondamentale si vous voulez des décisions justes.

Un exemple qui fait comprendre la différence : prenons un ouvrier sur un échafaudage qui, pour épater ses camarades, jongle avec des marteaux. Un des marteaux lui échappe et blesse un passant. Il n'a pas voulu blesser qui que ce soit. Mais jongler avec des marteaux sur un échafaudage est une imprudence coupable, tant le risque de blesser quelqu'un si un marteau tombait était évident et n'a pas pu échapper au jongleur amateur. Il a pris un risque en connaissance de cause. Il mérite une sanction pénale, mais ne peut être assimilé à celui qui viserait sciemment des passants avec des marteaux, qui ne prend pas de risque mais cherche à blesser.

Or pour les propriétaires de chiens qui attaquent des enfants, comme pour les chauffards, on est dans le domaine de l'homicide involontaire. Le propriétaire de chien commet une faute, et même plusieurs : il s'occupe mal de son chien, le sort sans muselière, parfois sans laisse, le laisse divaguer, et n'a pas la force de le contrôler s'il devient méchant. Tout cela justifie qu'il soit condamné. Mais il ne peut être assimilé à celui qui lancerait son chien sur un enfant. De même que le conducteur qui roule trop vite, a bu quelques verres de trop, et regarde le cadran de son téléphone mobile en composant un numéro et ne voit pas arriver le cycliste qu'il percute ne peut être assimilé à celui qui aura jeté son véhicule contre le cycliste parce qu'il est l'amant de sa femme.

Cela est souvent mal compris des victimes, ou plutôt de leurs proches, quand celles-ci sont décédées des suites de cette faute. La loi du Talion a laissé des traces, et celui qui a tué doit être regardé comme un meurtrier dans le bon sens populaire. Quand elles entendent que les assises ont condamné tel meurtrier à 15 ans de réclusion criminelle, et que celui qui a fauché leur fils de 17 ans sur son scooter se prend 2 ans avec sursis, c'est souvent l'incompréhension. Et l'incompréhension, qui devrait appeler la pédagogie, attire en fait la démagogie, qui pousse à aggraver les peines en dépit de toute logique judiciaire.

Mais vouloir manifester son indignation en élevant l'imprudent au rang du criminel, cela revient aussi à rabaisser le criminel au rang de l'imprudent.

mardi 30 octobre 2007

Sans commentaire (ou presque)

PARIS (AFP) — Nicolas Sarkozy a demandé à la Garde des Sceaux de modifier la loi pour les propriétaires de chiens dangereux responsables d'accidents mortels encourent désormais une peine de 10 ans d'emprisonnement, a annoncé lundi l'Elysée.

Constitution de la Ve république, article 34 :

« La loi est votée par le Parlement. (...) »


PARIS (AFP) [Suite] - M. Sarkozy a dit aux parents d'Aaron que les "chiens dangereux doivent désormais être considérés comme des armes et que leurs propriétaires doivent être plus sévèrement condamnés lorsque les blessures que ces animaux infligent causent la mort d'une victime".

Code pénal, article 132-75, alinéa 4 :

« L'utilisation d'un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l'usage d'une arme. En cas de condamnation du propriétaire de l'animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal peut décider de remettre l'animal à une œuvre de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer.»

Homicide involontaire : Code pénal, article 221-6 :

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
« En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros d'amende. »

Blessures involontaires : Code pénal, article 222-19 :

« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende.
« En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45000 euros d'amende. »


PARIS (AFP) [Suite] - "A ce titre, le président de la République a demandé au Garde des Sceaux de modifier la loi pour que l'homicide involontaire causé par un chien dangereux devienne une circonstance aggravante, et que la peine encourue s'élève désormais à 10 ans d'emprisonnement".

Soit le sommet de l'échelle des délits, à l'égal du trafic de stupéfiants, de l'association de malfaiteurs, et plus que l'agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans (passible de sept années d'emprisonnement "seulement"). Votre chien vous échappe et tue un enfant qui passe, vous êtes assimilé au chef de la French Connection.

"Cette modification sera intégrée au projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux, qui sera prochainement examiné par le Parlement", a-t-il précisé.

C'est à dire qu'il y a déjà un projet de loi contre les chiens dangereux suite à des faits divers antérieurs. Mais comme un nouveau fait divers s'est produit, il faut aggraver le projet de loi pour montrer qu'on réagit.


Dictionnaire de l'Académie française, V° Démagogie :

« Substantif féminin. Recherche de la faveur du peuple pour obtenir ses suffrages et le dominer. »

vendredi 26 octobre 2007

Et ça fait quoi, un procureur ?

Troisième et dernier volet de notre saga. Sautons directement au cœur du récit.

Le vice-procureur Parquetier arrive tôt, comme tous les jours où il est en charge du traitement en temps réel. Il y a toujours de l'imprévu, et la fin de matinée est toujours surchargée. Autant profiter du calme de début de matinée pour traiter les premiers dossiers.

D'abord, saluer les greffières. Elles aussi vont passer une rude journée. Première tasse de café, et coup d'œil à la pile des dossiers. Il y en a déjà quelques uns. Qui les a traité... Ha, c'est Lincoln. Bon, il ne devrait pas y avoir trop de surprises. Qui compose le tribunal cet après midi ? Le président est le juge Gascogne. Ouille. Pas commode celui-là. Il aime autant taper sur les avocats que sur les procureurs. Quoique... Depuis quelques mois, il est devenu plus zen. Premier assesseur... Dadouche. Sympa, mais il ne faut pas lui casser les pieds. Deux juges d'instruction. Il va falloir être vigilant sur les procédures. Et un juge de proximité pour compléter. Hé ! Hé ! Le président adore les juges de proximité, les délibérés vont être animés.

Allez, hop, au bureau.

Veste posée sur le porte manteau : l'agitation donne chaud.

Premier dossier : affaire Boullu. Conduite en Etat d'Ivresse. Premier relevé : 0,46mg. Deuxième : 0,47mg. Profession... Artisan marbrier. Donc besoin de conduire. Allez, en Ordonnance pénale. On va demander le tarif « petite ivresse » : 500 euros d'amende, suspension de trois mois. Il doit bien avoir un apprenti ou en employé qui conduit. Pas de prison avec sursis, il n'a pas de casier, c'était un petit dépassement.

Hop, dans le casier Ordonnance pénale.

Deuxième dossier : Affaire Ladrón. ILE, vol, recel, recel, recel. Je prends.

« Allô, madame le greffier ?

« - Monsieur le procureur ?

« - Vous pouvez m'appelez un interprète en espagnol pour une comparution immédiate cet après midi ?

« - C'est fait. Monsieur Tapioca est en route.

« -Parfait, merci. »

In Petto : Alors voyons. La saisine... Les policiers sont appelés par le personnel du Mac Quick de la place Georges Rémi pour un vol commis dans l'établissement... Le voleur a été repéré par un client, qui s'en est saisi. La police arrive 5 minutes après, pas de coups, pas de fouille par les vigiles du restaurant... Il est conduit aussitôt auprès de l'OPJ de permanence. Notification des droits dans la foulée. Prolongation... Voici le fax envoyé par Lincoln, dans les temps. La procédure est bonne.

Alors, sur les faits. Le vol est établi. Il s'est emparé du portefeuille, l'a sorti du sac, c'est un vol, pas une tentative. On a un témoin, il a été entendu... Le prévenu nie les faits, il a jeté le portefeuille par terre et a prétendu qu'il était tombé...Ben voyons.

Les recels... Deux téléphones portables, un ticket restaurant... Quoi ? Un ticket restaurant de 7 euros ? Décidément... Allez, qui vole un oeuf recèle un boeuf.

Ensuite, sur les téléphones... Réquisition aux opérateurs, qui ont donné les coordonnées des propriétaires... Ils ont été entendus... Allons bon, le premier dit qu'il avait perdu son téléphone et n'avait pas signalé la perte, s'agissant d'un téléphone mobicarte. Pas de vol, pas de recel.

Mais... Mais... Par le MBA de Rachida Dati ! Le deuxième propriétaire aussi déclare que c'était une perte. C'est sa fille qui l'avait perdu dans le bus. Perdu, mon oeil, oui. Mais du coup, je n'ai rien pour les deux recels.Et deux réquisitions judiciaires facturées pour rien, deux.

Et le ticket restaurant ? Ils ont appelé la société okké, qui émet ces titres. Encore une réquisition judiciaire. C'était des tickets de la société Mondass Assurance. La société a indiqué qu'un de leurs employés, Séraphin Lampion, s'était fait voler son carnet de tickets restaurant au marché aux puces. Il avait déposé plainte, la copie est annexée. Bon, j'ai de quoi caractériser le recel du ticket restau.

(Soupir)

J'adore quand un dossier se déballonne. Un portefeuille restitué, un ticket restaurant de 7 euros, restitué aussi. Ha, il a fière allure, mon dossier. Je vais encore me prendre de l'ironie du président Gascogne.

Ha, oui, il y a l'ILE, aussi. Entré sans visa, il y a trois ans, aucune démarche en cours pour sa régularisation, pas de famille en France. L'ILE est caractérisée. On va poursuivre sous cette qualification pour pouvoir demander une interdiction du territoire comme peine complémentaire, elle n'est pas prévue pour le vol ni le recel.

Attends un moment... Il a quel âge ? 19 ans. Donc il est arrivé à 16 ans ? Il n'y a pas un truc pour les mineurs dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ? Flûte, il faut que je vérifie.

Ha, voilà, article L.313-11, 2bis. Il aurait fallu qu'il soit confié à l'ASE, et il aurait eu droit à sa carte. Mais on lui a dit de se cacher des autorités, et voilà, c'est trop tard. J'adore ce dossier.

Dring dring.

« -Monsieur le procureur, l'interprète est arrivé, et Monsieur Ladrón est au dépôt.

« - Merci. Le B1[1] est arrivé ? »

« - A l'instant. Il est néant. »

In Petto : Primodélinquant. Ha, oui, le président Gascogne va adorer.

« - Merci. Vous me faites monter Monsieur Ladrón ?

« - Bien Monsieur le procureur. »

Quelques minutes plus tard, entre un jeune homme, menotté, escorté d'un policier.

« - Bonjour Monsieur, asseyez-vous.

« - Sientese aqui, por favor.

« - Bonjour Monsieur l'interprète. Alors vous vous appelez Ramón Ladrón Hurtero, vous êtes né le 31 juillet 1988 à Alcazaropolis, au San Theodoros.

« - El fiscal le pregunta si usted se llama Ramón Ladrón Hurtero, nacido el treinta y uno de julio del ochenta y ocho, en Alcazaropolis.

« -Si. »

In Petto : Concentre-toi sur ce que dit l'interprète, sinon, tu vas avoir une migraine avant l'audience.

« - Vous avez été arrêté pour un vol de portefeuille, et d'avoir recelé deux téléphones portables et un ticket restaurant. Qu'avez-vous à me dire sur ces faits ?

« - Sur le vol du portefeuille, il dit que c'est bien lui, il avait besoin d'argent pour manger.

« - Ha, vous reconnaissez donc ?

« -Si.

« - Parce que ce n'est pas ce que vous aviez dit à la police.

« - Il dit qu'il avait peur, les policiers criaient très fort.

« - Bon je note : Je reconnais le vol du portefeuille. Et sur les téléphones ?

« - Il dit qu'il les a acheté 20 euros chacun dans la rue des Frères Loizeau.

« - Quartier mal famé. Vous devriez peut être garder votre argent pour vous acheter à manger plutôt qu'acheter des téléphones portables. Et le ticket restaurant ?

« -Il dit que c'est un individu qui en distribuait à des amis rue des frères Loizeau, et qu'il lui en a demandé un.

« - Et pourquoi vous n'avez pas utilisé le ticket restaurant plutôt que voler un portefeuille ?

« -Il dit que c'était une bêtise et qu'il regrette.

« - Je note : C'était une bêtise et je regrette. Pour le ticket restaurant, on me l'a donné dans la rue. Bon, Monsieur, vous allez passer devant le tribunal cet après midi pour être jugé. vous voulez un avocat ou vous voulez vous défendre tout seul ?

« - Il veut un avocat.

« - Vous avez un avocat ou vous en voulez un commis d'office ?

« - Il dit qu'il n'a pas d'argent.

« - Un avocat commis d'office, c'est un avocat gratuit.

« - Alors il veut l'avocat gratuit.

« - Très bien. Il va aller voir un enquêteur de personnalité, puis il rencontrera son avocat. Merci, monsieur l'interprète.

« -Gracias, Señoria. Adios.


Laissons le vice-procureur Parquetier tranquille pour qu'il finisse ses dossiers, et retrouvons le l'après midi même. Il a revêtu sa robe et est assis dans le prétoire, au bureau réservé au procureur, sous la fenêtre, sur l'estrade, à côté du tribunal. Le box des prévenus lui fait face, la porte s'ouvrant régulièrement pour amener le stock des prévenus en emmener ceux qui ont été jugés.

Le président demande à l'huissier d'appeler la première affaire.


L'huissier annonce « Dossier numéro 4, Ladron, Ramon ». L'interprète se place à la hauteur du prévenu. Le président tend le dossier au juge de proximité, qui a préparé ce dossier.

Le juge constate l'identité du prévenu, rappelle la prévention. Froncement de sourcil du président, il a l'air de ne pas comprendre quelque chose. Il doit être en train de se dire « Tiens ? IL n'y avait pas une histoire de téléphones portables, dans ce dossier ? »

Le juge attaque les faits, mais est aussitôt coupé par le président qui lui murmure quelque chose à l'oreille.

Le pauvre rougit et bredouille, avant de demander au prévenu s'il accepte d'être jugé tout de suite pendant que le président lève les yeux au ciel. Les juges de proximité et la procédure...

Pendant ce temps, le prévenu regarde son avocat d'un air interrogatif. Bon sang, ils ne briefent pas leurs clients avant l'audience sur le fait qu'on va leur poser cette question ?

Bon, il est d'accord. Le juge de proximité reprend son résumé des faits, qui est rapide. Récit de l'arrestation, déclarations en garde à vue, et l'identification du propriétaire des tickets restaurant.

La parole est donnée au prévenu, qui renouvelle ses aveux sur le vol, et maintient qu'on lui a donné le ticket restaurant. Le président demande à la salle s'il y a des parties civiles. Silence. Petit regard en coin vers le procureur. « Ce n'est guère étonnant... ».

In Petto : Oui, je sais, on a audiencé un dossier à sept euros de préjudice, le recel des téléphones nous a claqué dans les doigts...

« Des questions ? »

C'est d'abord au procureur. Il se lève et demande au prévenu :

« Mais vous pensiez que ce monsieur qui distribuait ces tickets restaurants s'était rendu rue des frères Loizeau pour distribuer gratuitement ses tickets restaurants comme ça, par bonté d'âme ?

« -Non, traduit l'interprète, s'ils étaient à lui, il les aurait gardé pour manger. Et puis c'est réservé à ceux qui ont un travail, ça.

« - Pas d'autre question. »

In Petto : Hop, trop facile. Coup d'oeil à l'avocat du prévenu. Il secoue la tête, accablé. Hé oui, son client vient de reconnaître le recel. Il n'a pas de question. Hé. Hé. Tu m'étonnes.

« Monsieur le procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions. »

In Petto : Bon, vu le dossier et le profil, on ne va pas être méchant. C'est un dossier qui en fait aurait dû en rester au traitement administratif par un arrêté de reconduite à la frontière, on va le remettre sur les rails qu'il n'aurait pas dû quitter...

« Inutile de s'étendre longuement sur ce dossier, qui est d'une simplicité diaphane. Le vol est établi et reconnu par le prévenu ; quant au recel du ticket restaurant, il est établi par le fait que le prévenu reconnaît qu'il savait que ce généreux mécène n'était pas le propriétaire des tickets restaurants. La jurisprudence exige que le receleur sache que le bien recelé provient d'une infraction, mais il n'a pas à connaître la nature exacte de l'infraction principale. Cette infraction, nous la connaissons : c'est le vol dont a été victime Monsieur Lampion. Enfin, le prévenu est entré sans visa, et n'est pas muni d'un titre de séjour, ce qui constitue le séjour irrégulier.

« En conséquence, vous déclarerez le prévenu coupable des trois préventions.

« S'agissant de la peine, eu égard au fait que le prévenu n'a aucun condamnation à son casier, que le préjudice a été réparé par la restitution des objets volés et recelés, je demande simplement une interdiction du territoire français d'une durée de trois ans à titre principal. Le prévenu étant sans domicile fixe et en situation irrégulière, une remise en liberté reviendrait à ce que l'infraction de séjour irrégulier continue à être commise. En conséquence, je demande que l'interdiction du territoire soit assortie de l'exécution provisoire, ce qui entraînera de plein droit son placement en centre de rétention. »

Voyons ce que l'avocat trouve à redire... ? Bon, tout va bien : il lit la lettre de Guy Môquet.

« - Monsieur le procureur...

Un avocat s'est glissé près du bureau du procureur.

« - Bonjour Maître...

« - Je suis dans le dossier Grobeauf, uméro 11, les violences conjugales...

« - Oui ?

« - Tenez, voici des conclusions en nullité que je soutiendrai tout à l'heure, et des pièces, des justificatifs du travail de mon client, bulletins de salaire, contrat de travail.

In Petto : Hé oui, on n'a pas peur de cogner sa femme mais on a peur de perdre son boulot... Bah, je comptais demander un sursis avec mise à l'épreuve pour que Monsieur aille habiter un peu ailleurs, pas l'envoyer en prison pour qu'il perde son boulot. Par contre, il va falloir lire ces conclusions et y répondre, tout en suivant les débats du dossier. Bon, le président met l'affaire Ladrón en délibéré à la suspension d'audience. L'après midi va être longue...


Épilogue : Ramón Ladrón sera condamné à une interdiction du territoire d'une durée de trois ans, avec exécution provisoire. L'audience se terminera à 22 heures 10. 16 dossiers auront été jugés.

Notes

[1] Bulletin numéro 1 du casier judiciaire. C'est le relevé le plus complet, réservé à la justice. Il est géré par un service situé à Nantes, qui répond par fax aux demandes urgentes de toute la France.

jeudi 25 octobre 2007

Ca marche comment, un procureur ?

Après cette parenthèse législative et littéraire, reprenons notre étude ethnographique de nos amis du parquet.

Nous avons vu que le procureur a une triple casquette. Il agit au nom de la société, dans le cadre d'une organisation hiérarchisée, mais avec la liberté inhérente à sa qualité de magistrat.

L'essentiel de son activité est bien sûr centrée sur le pénal. Autorité de poursuite, c'est à lui que la police judiciaire (ce terme recouvrant également les brigades de gendarmerie agissant au judiciaire, c'est à dire enquêtant sur les infractions commises dans leur ressort) rend compte qu'elle a découvert une infraction pour prendre des instructions. En conséquence, dans chaque tribunal de grande instance, il y a un procureur de permanence, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Au moment où j'écris ces lignes comme à celui où vous les lirez, 181 procureurs sont à côté d'un téléphone, dans un bureau au palais s'il fait jour ou chez eux avec un mobile s'il fait nuit. Cette permanence s'ajoute à leur activité ordinaire de suivi des instructions, de directions d'enquêtes de police dites "préliminaires", visant à réunir des preuves avant de prendre une décision sur le déclenchement de poursuites, l'exécution des peines, la protection des mineurs, la présence aux audiences (qui est obligatoire), outre les tâches purement administratives (rapports, statistiques).

C'est à cette activité de permanence que nous allons nous consacrer aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que c'est sans doute la plus spécifique à cette profession avec la présence aux audiences (sur laquelle nous reviendrons dans le troisième volet de cette saga), le reste étant du travail de bureau, volumineux, et en flux tendu, mais du travail de bureau quand même, qui ne nécessitera pas un effort d'imagination particulier du lecteur.

Le parquet centralise et dirige les investigations policières, mais la loi fait primer l'efficacité : quand un policier découvre une infraction sur le point de se commettre, en train de se commettre ou qui vient de se commettre, il bénéficie d'une certaine autonomie pour se livrer aux constations et recherches urgentes. Ces opérations, appelées "enquête de flagrance" sont réalisées par un officier de police judiciaire, ou sur la supervision d'un officier de police judiciaire. Un officier de police judiciaire (OPJ) est un policier ou un gendarme qui a été désigné par arrêté ministériel ET qui a reçu une habilitation du parquet général, habilitation révocable si le policier manque à ses devoirs. Cette subordination de la police judiciaire au parquet est fondamentale : elle remonte à la naissance de la police judiciaire sous Clemenceau, le 30 décembre 1907, les faleuses Brigades Mobiles, devenues les Services Régionaux de Police Judiciaire (SRPJ) et ne va pas sans mal parfois, cette subordination s'ajoutant à celle de la hiérarchie du corps.

Mais dès que ces constations urgentes ont été faites, ou immédiatement si une personne a été interpellée et est gardée à vue, le procureur de permanence doit être informé (c'est une cause de nullité de la procédure, sinon) et il peut donner des instructions aux policiers.

Il y a un cas où un juge prend la place et les attributions du procureur : c'est quand la police agit sur l'ordre d'un juge d'instruction dans le cadre de l'enquête (on dit instruction, ou information judiciaire) qu'il mène sur les faits dont il est saisi. On parle de commission rogatoire. Dans ce cas, l'arrestation d'un individu doit être sans délai notifiée au magistrat instructeur, qui seul peut donner l'autorisation de prolonger la garde à vue, ou d'y mettre fin avec le cas échéant déferrement devant lui.

Le procureur de permanence doit naviguer sans visibilité. Il pilote plusieurs procédures et doit se contenter de ce que lui dit l'OPJ au téléphone, qui parfois présente les faits de manière à obtenir la décision qu'il souhaite, ce qui amène des surprises désagréable quand le dossier, on dit "la procédure", arrive au palais avec le mis en cause.

Mais je sens que vous commencez à naviguer à vue vous aussi. Alors je vous propose une petite saynète, inspirée d'affaires ordinaires que j'ai vues juger, mon imagination suppléant à ce que je n'ai pas vu et nous permettant même de nous immiscer dans les pensées du procureur. Toute ressemblance avec des commentateurs habituels ici serait purement... voulue.

Notre première scène se situe au palais de justice de Moulinsart, chef-lieu du département de la Bièvre Maritime, dans le bureau du procureur de permanence. Aujourd'hui, c'est le substitut Lincoln qui s'y colle. C'est un petit bureau, aux murs agrémentés de quelques affiches de cinéma, encombré de dossiers plus ou moins volumineux, des étagères étant jonchées de codes pas tous à jour. Derrière le bureau, une fenêtre, qui donne sur les hangars du port marchand de Blogville.

Le téléphone sonne. Le substitut Lincoln écarte rapidement le dossier qu'il était en train d'annoter et se saisit d'un cahier relié dans sa main droite et du téléphone dans sa main gauche.

-Permanence du parquet, bonjour.

- Bonjour Monsieur le procureur. Lieutenant Dupond, du commissariat central de Moulinsart. Je vous appelle vous vous signaler le placement en garde à vue d'un dénommé Roberto Ladrón, ressortissant San-theodorien, sans titre de séjour, pour des faits de vol à la tire, commis au restaurant MacQuick de la place George Rémi.

- Qu'est ce qui a été volé ?

- Hé bien, le mis en cause a pris un portefeuille dans le sac à main d'une cliente assise derrière lui, mais il a été vu par un client qui a aussitôt donné l'alerte et a attrapé l'individu. Une patrouille pédestre passait dans le secteur et a appréhendé le mis en cause...

- Le porte monnaie a été restitué à la victime ?

- Affirmatif.

- Le gardé à vu est connu de vos services ?

- Négatif. Rien au STIC[1] ni au FPR[2].

In Petto : Tentative de vol, sans doute pas de casier, pas de préjudice matériel, la victime ne demandera probablement rien... On va basculer ça en ILE[3] et refiler le dossier à la préfecture pour une reconduite à la frontière.

- Donc c'est une tentative de vol simple et une ILE ?

- Heu, il y a peut être autre chose...

- Quoi ?

- Hé bien, il avait sur lui deux téléphones portables, qu'il dit avoir acheté dans la rue à un type qu'il ne connaît pas, et un ticket restaurant, qu'il prétend qu'un individu san-theodorien dont il ne connaît pas le nom lui aurait donné... ca sent le carnet volé.

In petto : Ha, ça change tout, ça. Une tentative de vol, et trois recels, ça commence à faire beaucoup. On dirait qu'il s'est installé dans la délinquance. C'est peut être pas pour la préfecture, finalement.

- Bon, vous continuez l'enquête en flagrance pour voir si vous identifiez les propriétaires des téléphones, et si vous retrouvez le propriétaire des tickets restaurants. Essayez d'obtenir leur témoignage et s'ils le souhaitent, leur plainte. Tenez moi informé.

- Bien monsieur le procureur. Au revoir.

Le substitut ajoute le dossier Ladrón à la liste des dossiers susceptibles d'être à l'audience de comparution immédiate du lendemain.

Le téléphone sonne à nouveau.

-Permanence du parquet, bonjour.

- Bonjour, commissariat de Boucherie-sur-Sanzot, capitaine Dupont. C'est pour la garde à vue d'un dénommé Wladimir Moltus, un ressortissant Syldave en situation irrégulière.

- Qu'est-ce qu'il a fait ?

- Heu... Ben rien, il est syldave, quoi.

- Ha, c'est une ILE ?

- Ben oui.

- Bon, vous informez la préfecture et vous me rappelez quand elle aura pris un arrêté de reconduite à la frontière, pour que je classe sans suite la procédure.

Le substitut Lincoln raccroche en soupirant. Ca fait trois rien que ce matin. Tout ça, c'est des effectifs en moins dans la rue...

Dring dring...

-Permanence du parquet, bonjour.

- Bonjour, Maréchal des Logis Chef Halambique, brigade territoriale de Saint-Giron-Lès-Désert, mes respects Monsieur le procureur.

- Heu, oui, bonjour.

- C'est pour vous informer du placement en garde à vue du dénommé Boullu Isidore pour CEEA (conduite en état alcoolique).

- Qu'a dit l'éthylomètre ?

- 0,46 mg.

- Et quelles sont les explications du gardé à vue ?

- On n'a pas encore pris sa déposition, il est en cellule de dégrisement. Mais il nous a expliqué dans le véhicule qui l'amenait à la brigade qu'il est marbrier, qu'il a bu un coup avec ses amis de la fanfare, et qu'il a été appelé en urgence par un client à Moulinsart pour réparer une marche d'escalier.

- Bon, vérifiez régulièrement son alcoolémie, et si elle commence à descendre, vous lui notifiez ses droits et l'entendez. On le fera passer en CRPC.

- Et pour son client ?

- Quoi, son client ?

- Ben il dit que c'est un type pas commode, et qu'il était très pressé.

- Il n'avait qu'à y penser avant. Il attendra, le client. Ca ne va pas entraîner un scandale à la une de Paris Flash, non plus.

- Bien, Monsieur le procureur. Mes respects.

In Petto : encore un qui va se rendre compte qu'il a besoin de son véhicule pour travailler. Et qui va découvrir qu'il n'y a plus de permis blanc. Ha, il risque d'attendre longtemps, son client.

Dring dring.

- Bonjour, capitaine Sponsz, commissariat de Cokenstock. Mes effectifs viennent de m'apporter trois étudiants interpellés pour outrage, dégradation légère et offense au chef de l'Etat.

- ...

- Allô ?

- Vous pouvez me répéter ? Offense au chef de l'Etat ?

- Ben heu... Oui.

In Petto : Garde ton calme.

- (D'une voix anormalement mielleuse) Pourriez ♪ vous je vous prie ♥ me préciser en quoi ♫ consiste au juste la dernière infraction ☼ que vous m'avez signalée ?

- (D'une voix moins assurée) Heu alors, d'après les agents qui sont intervenus, les individus collaient une affiche représentant le président de la République dans une attitude offensante.

- C'est à dire ?

- Heu... En train de faire un doigt d'honneur.

La main tenant le stylo est agitée de soubresauts nerveux.

- Permettez-moi de résumer. Des étudiants collent une affiche anti-sarkozy. Vos hommes interviennent, on se demande pourquoi, les étudiants les envoient balader, certes, ce n'est pas bien, et ils ouvrent une procédure pour outrage, dégradation pour le collage des affiches, et offense au chef de l'Etat, une infraction totalement désuette, que si ça se trouve elle n'a même pas de NATINF[4], c'est ça ?

- Heu... (ton embarrassé)

- Bon, et bien vous mettez fin à la garde à vue, et vous me transmettez la procédure pour classement sans suite.

- Entendu.

- Je vous remercie.

Il raccroche. Profond soupir. Et dire que pendant ce temps, il y a deux dossiers d'instruction qui attendent un réquisitoire définitif, et que la pile de courrier augmente dans sa case.

Dring dring.

-Permanence du parquet, bonjour.

- Bonjour, capitaine Hadoque, commissariat du port. Je vous téléphone pour vous informer de la découverte d'un corps, probablement un noyé, repêché dans le port.

- Ha. Vous avez pu observer le corps ?

- Affirmatif. Pas beau à voir.

- je m'en doute, s'il a séjourné dans l'eau. Vous avez vu du sang, des traces de blessure ?

- Pas de sang, pas de trou dans les vêtements, pas de trace de choc sur les parties exposées. Pas de papiers sur lui pour l'identifier.

- Bon, on ouvre en enquête de mort suspecte. Transférez le à l'Institut Médico Légal Professeur Tournesol pour une autopsie, et voyez si une disparition a été signalée. Si ça ne donne rien, on ouvrira une instruction.

- Bien monsieur le procureur. A tout à l'heure.

A peine le temps de reposer le combiné que le téléphone sonne à nouveau.

- Lieutenant Dupond, du commissariat central de Blogville. Je vous appelle pour l'affaire Ladrón.

- Ladrón... (regarde ses notes) Ha, oui, le vol et les recels. Alors ?

- J'ai envoyé une réquisition aux opérateurs de téléphonie. On a retrouvé les propriétaires, on les a convoqué, ils viennent déposer plainte cet après midi.

- Très bien. Et il y avait une histoire de ticket restaurant ?

- Oui, la société qui les a émis nous a donné le nom de la société qui les a acheté. Contact pris avec la société, le service du personnel nous a confirmé qu'un employé leur avait signalé qu'on lui avait volé son carnet de tickets restaurant. Il vient déposer plainte après le travail.

In petto : Il a un ton très content de lui. Il a fait du bon boulot, mais il doit y avoir autre chose.

- Vous avez d'autres éléments ?

- Oui. Vous savez où le carnet de tickets restaurant a été volé ?

- Non ?

- Au Mac Quick de la place George Rémi.

- Mais... C'est là qu'il a été arrêté ?

- Oui.

- hé, hé. Bien joué. Bon, vous recueillez les plaintes, et vous me rappelez pour clôture de la procédure. On le déferrera pour une comparution immédiate demain. Prévenez les victimes quand elles viendront.

- Affirmatif.


Laissons là le substitut Lincoln avant que le téléphone ne sonne à nouveau. Fermez la porte en sortant.

Voici à quoi ressemble plus ou moins une permanence téléphonique, où le procureur est en quelque sorte la tour de contrôle de l'activité de police judiciaire dans son secteur. Vous voyez qu'il a déjà un rôle protecteur des libertés, en mettant fin rapidement à des procédures douteuses voire sans fondement. C'est lui également qui autorise la prolongation des gardes à vue au delà de la durée légale (en principe, 24 heures), le placement initial relevant de la seule initiative de l'OPJ.

Cette saynète est inspirée de permanences téléphoniques réelles auxquelles j'ai assistées quand j'étais élève avocat. L'affaire des étudiants colleurs d'affiche est inspirée d'un fait divers récent. Mon imagination a suppléé au reste : si j'ai commis des erreurs ou suis tombé dans les idées reçues, je prie humblement les procureurs qui me lisent de me pardonner et de bien vouloir participer à mon édification et à celle de mes lecteurs en rectifiant et classant sans suite leurs reproches à mon égard.

Cette saynète est en deux actes : et demain, nous suivrons les aventures du collègue de Lincoln, le vice-procureur Parquetier, qui assure l'audience de comparution immédiate. Nous y retrouverons Monsieur Ladrón en chair et en os, et quelques autres invités, que nous suivrons jusqu'à l'audience.

Notes

[1] Système de Traitement des Infractions Constatées, le fichier de la police recensant toutes les personnes mises en cause à quelque titre que ce soit dans une procédure.

[2] Fichier des Personnes Recherchées, qui recense les personnes devant être interpellées car objet d'un mandat d'arrêt, d'un mandat de dépôt, d'un mandat d'amener, d'un arrêté d'expulsion ou de reconduite à la frontière, d'un mandat de recherche, d'une peine de prison devant être mise à exécution, etc.

[3] Infraction à la Législation sur les Etrangers

[4] NATure de l'INFraction, un numéro de nomenclature donné à toute infraction pour des fins statistiques.

Y'a pas un truc aujourd'hui ?

En tout cas, je sais pas, mais il y avait une ambiance un peu différente, au tribunal, ce matin...

Dans un tribunal, un procureur, avec une éiptoge aux couleurs de Serpentard, une baguette magique à la main, lance un sort intitulé : "CONDAMNUS !" ; Maitre Eolas, déchaîné, avec une épitoge aux couleurs de Griffondor, lance un contre-sort intitulé : "RELAXIO ! ". Les deux sortilèges se percutent dans un maelström étrange. Au milieu de cela, le tribunal reste stoïque, et le président, portant un chapeau pointu de sorcier, appelle les parties au calme en lançant le sort de "Délibéro"...

Un procureur raconte

Sous mon premier billet sur nos amis les procureurs (le deuxième sera mis en ligne aujourd'hui), un parquetier habitué de ces lieux, Lincoln, a laissé un commentaire racontant un peu le quotidien des procureurs. Vous verrez, le hasard a fait que ce billet se combine parfaitement avec celui que je compte mettre en ligne aujourd'hui...

Je promeus ce commentaire au rang de billet à part entière dans ma rubrique "Guests", afin que Dadouche n'en soit pas la seule locataire. Je n'ai fait que modifier un peu la mise en page et remplacé des abbréviations par le mot entier.

Merci à lui de participer à cette série de billets.


Sur la question de l'organisation du parquet (très brièvement et schématiquement...si seulement on pouvait laisser des posts vocaux) : je dirai pour faire simple que chaque magistrat du parquet se voit attribuer, par le procureur de la République, un contentieux s'agissant de la gestion du courrier.

Par exemple :

substitut DUPONT: atteintes aux personnes + mineur + environnement + armes + mixtes +....,

vice procureur DURAND: commercial, urbanisme...etc...

Ceci signifie que toutes les procédures courriers, en général des piles entières quotidiennes émanant des différents services enquêteurs, arrivent dans la case -cent fois trop petite - du parquetier qui doit les traiter selon une politique pénale en principe fixée par le procureur et discutée par l'ensemble du parquet.

La politique pénale dépend largement du type de juridiction et de la personnalité du procureur. Elle peut être extrêmement détaillée (notamment dans les grosses juridictions: des gros classeurs à emmener partout avec soi... c'est lourd), supprimant une grande partie de la liberté d'appréciation au magistrat du parquet ; ou plus lâche, fixant les grandes lignes ou même ....rien du tout.

La politique pénale est une tâche extrêmement difficile car actuellement, elle est notamment très rigoureusement encadrée par des circulaires qui ne cessent d'arriver sur tout et n'importe quoi, au gré des évènements et de l'émotion suscitée par les médias sur ces évènements en général. Car, comme chacun l'aura bien compris, la loi magico-magique résout tout et immédiatement.

En quelques années de fonction maintenant, selon les modes, et à vrai dire les affinités/accointances politiques, selon les mois, il faut "avoir des réquisitions particulièrement fermes et ne pas hésiter interjeter appel" (termes généralement utilisés) dans les domaines de...

la pêche maritime - la France ayant une astreinte par la CJCE pour carence -,
les violences conjugales,
les Infractions à la Législation sur les Etrangers (ILE),
les auteurs d'incendie,
les mineurs auteurs d'atteintes aux personnes,
les détenteurs de chiens dangereux etc...

Il faut aussi voir tous les partenaires possibles et mettre en place protocoles, conventions, réunions pour affiner cette politique pénale (dernière exemple en date: la lutte contre les discriminations).... Bien évidemment sans aucun moyen ni humain (secrétaire ?), et encore moins financier (pas un euro débloqué pour mettre en place un projet: tout doit être gratuit). Dernière exemple en date: j'ai voulu sensibiliser un collège au jeu du foulard suite à une procédure, je suis parvenu à envoyer un mail à une association après moults recherches, mais c'est payant (10 € la malette), or pas d'argent, donc pas de sensibilisation, donc rappel à la loi).

Les relations entre un procureur de la République et les magistrats de son parquet sont complexes et très dépendantes en réalité de la personnalité des uns et des autres. Vient se surajouter le parquet général, le procureur étant le subordonné hiérarchique du procureur général. Parfois, le procureur est en réalité le procureur général, c'est à dire qu'il n'y a pas de filtre.

La tâche de procureur de la République est également très difficile car il est chef de juridiction et cela implique tout un tas de tâches qu'un magistrat n'est pas formé à faire. Mais de façon générale, c'est une grande tendance, les magistrats doivent être spécialistes de tout.

Exemple récent: les frais de justice: avant chaque acte, il faut savoir combien ça va coûter puis vérifier les prix (il faut prendre des réquisitions sur ordonnance de taxe au delà d'un certain prix: il faut donc se munir d'une calculette et se rapporter à des nomenclatures pour tout recalculer...c'est un exemple parmi tant d'autres).

Dans certains parquets, le parquetier de permanence[1] doit tous les jours faire le compte rendu au procureur, dans d'autres, seules les affaires jugées dignes d'intêret doivent être évoquées, enfin, dans certains, c'est l'autonomie la plus complète. Nouveau problème: l'information permanente demande beaucoup de temps - alors que le parquetier n'en a pas - et peut amener à ce que ce soit en réalité le procureur qui décide de tout.

Pas d'information ou l'information séléctive - affaire "importante": mais selons quels critères ? - pose un problème de responsabilité: si jamais, pour une raison X ou Y, souvent très incompréhensible, l'affaire "sort" dans la presse - affaire qui souvent n'a rien d'extraordinaire mais la presse fait aujourd'hui l'évènement et non l'inverse, et que tel ministère est prévenu avant la chancellerie - et que l'information n'a pas suivi le canal hiérarchique, le malheureux substitut en prend pour son grade alors qu'objectivement, il n'y avait rien d'intéressant à dire. Souvent même, les affaires les plus graves, mais classiques, n'intéressent absolument pas le parquet général. En revanche, ce qui peut être potentiellement médiatisé, et c'est parfois bien difficile de comprendre le raisonnement de l'illustre auteur de la feuille de chou local, peut avoir de lourdes répercussions.

D'où ce terrible réflexe, pour être enfin tranquille, d'appeler le parquet général pour tout pour être "couvert", à eux ensuite de faire le tri et de porter la responsabilité. A début, on a peur de déranger et puis après, quand on a eu à essuyer quelques demandes d'explications peu amènes pour des broutilles, et bien, on se couvre et on se demande même pourquoi il existe encore des juridictions du premier degré (enfin, en réalité, on le sait...)

Un parquet, ce sont avant tout des personnes, parfois au tempérament très différent, et souvent très loin des petits pois tous identiques, et sans saveur. D'ailleurs, de façon générale, dans la magistrature, à la différence de bien d'autres corps, j'ai l'impression que la diversité, dans les tempéraments et les parcours, est bien plus présente qu'ailleurs peut être tout simplement parce que le contradictoire[2], c'est un principe essentiel du droit français (?). Le procureur, grand DRH, va devoir trouver un équilibre: on s'aperçoit souvent de sérieux déséquilibres de charge de travail, le principe voulant souvent que plus on est gradé, moins on ait de tâches du quotidien. Il faut aussi noter que la modification des grades, depuis quelques années, a considérablement brouillé la situation à tel point que la magistrature semble désormais une armée de mexicains. Le substitut se fait rare, et il y a souvent plus de chefs que de lampistes. Avant, être un vice-procureur avait un sens et correspondait à un rôle et une fonction spécifique, le bras droit du procureur. Maintenant, il n'y a plus aucune différence dans la plupart des parquets entre le travail du vice-procureur et un substitut...et lorsqu'il y a plusieurs vice-procureurs, aucun n'a une véritable légitimité.

Le procureur anime donc la politique pénale et la coordonne sur son ressort. Il va pouvoir la déléguer aux magistrats du parquet: la tendance actuelle est à une multiplication des démarches vers l'extérieur dans des domaines extrêmement variés, aboutissant parfois à faire du parquetier un spécialiste de choses très ...loin du juridictionnel.

Exemple : la numérisation des procédures pénales: un parquetier est directeur de projet dans ce domaine qui touche à de vrais problèmes informatiques, souvent sans appui ni humain ni logistique. Il faut comprendre le matériel, organiser la numérisation (qui fait quoi ? quand ? comment ?), signer la convention avec les barreaux etc etc....

Le parquetier croule sous les tâches et on lui en demande toujours plus en ayant de moins en moins avec une rémunération, notamment pour les permanences qui peuvent revenir très régulièrement dans les petits parquets (ex chez nous: une semaine sur trois, jour et nuit, et il faut tout faire) décidément qui ne permet pas de justifier son maintien en poste. On touche ainsi une trentaine d'euros brut par nuit - et encore, avant, il n'avait rien du tout pour aller voir Madame Z dans son bain de sang à deux heures du mat à SAINT GIRON LES DESERTS à 80 bornes (lieu inventé) et être tout frais et dispos pour les trois défèrements, et l'ouverture d'information judiciaire le lendemain matin..ce n'est pas très attractif.

Effectivement, je crains que dans quelques années, le parquet n'attire plus et par nécessité, car il n'y a rien d'autre de proposé aux auditeurs de justice (nom des élèves magistrats) sortis de l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) : bon courage à eux !

Mais quand serons-nous enfin comme des fonctionnaires de la DDE ou, mieux, ...des bornes informatiques (la borne ne se trompe pas, applique la loi et que la loi, et rend un ticket immédiatement) ? Qui en veut ? (dans la dernière circulaire, la borne est très prisée: clin d'oeil aux collègues qui jetteront un coup d'oeil sur la circulaire sur les victimes).

Se plaindre est effectivement consubstantiel à la nature humaine: c'est pourquoi je finis sur une note d'optimisme sinon on me répétera que je ne suis pas bien dans mes baskets de parquetier (ben, j'aimerai bien la voir avec des baskets au parquet...), on y croit tous -enfin presque - et on tient le coup mais parfois, à l'issue d'une grosse permanence - comme aujourd'hui -, on aimerait bien jeter l'éponge ...sur le parquet (mais sans faire de blessé par glissade, sinon, qui va-t-on appeler ....?)

Notes

[1] Voir mon billet de ce jour.

[2] Principe qui veut qu'avant qu'une décision soit prise, chaque partie concernée soit mise à même de présenter ses arguments. C'est un principe essentiel du procès.

mercredi 24 octobre 2007

Apostille à "honte sur l'assemblée nationale"

De mieux en mieux. De mieux en mieux. A la honte s'ajoute le grotesque.

La discussion de ce matin a été houleuse. D'autant que l'opposition a décidé de faire son travail est est venue en nombre, au point de mettre la majorité... en minorité. Dans ces conditions, la motion d'irrecevabilité soulevée par François Bayrou était sure de passer, sauf à laisser le temps au groupe UMP de battre le rappel des troupes.

D'où des interventions dépassant largement le temps de parole, sous le regard bienveillant de Jean-Luc Warsmann Marc-Philippe Daubresse, président de séance, pendant que les téléphones portables chauffent.

L'ambiance devient électrique, et alors que les députés du groupe Socialiste Républicains Citoyens exigent sans cesse que le vote ait lieu immédiatement, le député UMP Jérôme Chartier, préposé au gain de temps, joue les vierges outragées et demande une suspension de séance ainsi motivée :

La façon dont le groupe socialiste s’est comporté pendant que je m’exprimais est inacceptable et scandaleuse. Il n’est pas convenable de ne pas écouter ses collègues.

Docile, le président saute sur l'occasion de faire le point pour trouver une solution.

La présidence ne peut accepter un vote dans de telles conditions. Je suspends la séance.

Cinq minutes après, la solution a été trouvée. L'article 61 du règlement de l'assemblée nationale prévoit que l'assemblée peut valablement voter quel que soit le nombre de députés présents SAUF si un président de groupe demande au bureau une vérification de quorum, c'est à dire de s'assurer que la majorité absolue des députés est présente. Si le quorum n'est pas atteint, il y a une suspension de séance d'une heure, après laquelle le vote a lieu valablement, quel que soit le nombre de députés présents. François Sauvadet, président du groupe Nouveau Centre (et coauteur de la proposition de loi en discussion) forme une demande de quorum. Petit problème : depuis le temps que les députés UMP sont sommés de rappliquer, il n'est pas sûr que le quorum ne soit pas atteint.

La suite se passe de tout commentaire, et figure dans le compte rendu des débats. Asseyez-vous, vous n'allez pas y croire.

M. le Président– Je suis saisi par M. François Sauvadet, président du groupe Nouveau centre, d’une demande de vérification du quorum avant le vote sur l’exception d’irrecevabilité, en application de l’article 61 du Règlement (Protestations sur les bancs du groupe SRC). Cette vérification est de droit (De nombreux députés des groupes UMP et NC se lèvent et quittent l’hémicycle sous les huées des députés du groupe SRC).

Et donc, ce qui devait arriver arriva :

Je constate que le quorum n’est pas atteint (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC). Le vote est donc reporté et la séance suspendue pour une heure.

Une heure plus tard, les stations vélibs autour de l'assemblée sont saturées, des bruits de godillots au galop ont résonné dans les couloirs, et tout est rentré dans l'ordre républicain :

À la majorité de 230 voix contre 157 sur 388 votants et 387 suffrages exprimés, l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

Fermez le ban.

Honte encore sur l'assemblée nationale

Les bras m'en tombent, ce qui m'oblige à écrire ce billet avec les dents.

A l'instar de mes amis Jules de Diner's Room, tellement cité ici qu'il va finir par devenir copropriétaire de ce blog, et Authueil, je suis estomaqué du cynisme faisant fi de toute pudeur dont sont parfois capables nos députés. A croire qu'ils sont convaincus que tout sens moral a également déserté le peuple qu'ils représentent, qui avalera toutes les couleuvres qu'ils voudront bien voter.

Un petit retour en arrière.

Lors des dernières élections législatives, l'UMP a torpillé le croiseur Bayrou en débauchant la plupart de ses députés sous le pavillon du Nouveau Centre[1] , le navire amiral de ceux qui tournent avec le vent. Abandonné par sa flotille, François Bayrou a sombré, se retrouvant seul élu avec Jean Lassalle, un député qui ne coûte pas bien cher à nourrir, et réduit à bouder sur les bancs des non inscrits.

Las, guidés par un piètre capitaine, qui s'est pourtant vu promu Amiral, car de nos jours on récompense la fidélité et non la compétence, la flottille de Nouveau Centre n'a pu éviter des écueils légaux.

Pour avoir le droit de recevoir un financement public, un parti politique doit, en vertu de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, article 9, avoir présenté au moins 50 candidats ayant obtenu plus de 1% des voix.

D'où une grotesque mascarade lors de la campagne, l'amiral Morin ayant saupoudré la France de candidats qui furent discrets dans leur circonscription, et qui étaient membres de sa famille (Catherine Broussot-Morin, Philippe Morin, Lisa Morin, Julien Morin, Micheline Morin), secrétaires, assistants, et même... son chauffeur.

Par un terrible concours de circonstance, que les experts les plus pointus appellent "le faits que les Français n'aiment pas qu'on se moque d'eux en tout cas aussi visiblement", ces Morin d'eau douce obtinrent des scores lamentables, et le seuil des 50 fois 1% ne fut pas franchi.

Ainsi, le seul financement que touche le Nouveau Centre est celui dit "de la deuxième fraction", qui est fonction du nombre d'élus, 22 pour le Nouveau Centre. Comme disent les juristes, ça fait pas bézef.

Mise à jour : Rectification : le Nouveau Centre n'a pas droit à la deuxième fraction, celle-ci n'étant accordée qu'aux partis ayant droit à la première (art. 9 de la loi de 1988 précitée).

Mais en vérité, qu'importe, quand on écrit les règles du jeu ! Il suffit de les modifier pour dire que finalement, on a gagné !

Et c'est exactement ce qu'a fait le Nouveau Centre.

Messieurs François Sauvadet, Charles de Courson, et Jean-Christophe Lagarde, et les membres du groupe Nouveau Centre et apparenté, ils méritent que leurs noms soient cités ici pour ne pas être oubliés : Jean-Pierre Abelin, Christian Blanc (quelle déception de le voir mêlé à cette tartufferie), Stéphane Demilly, Jean Dionis du Séjour, Francis Hillmeyer, Michel Hunault, Olivier Jardé, Yvan Lachaud, Maurice Leroy, Claude Leteurtre, Nicolas Perruchot, Jean-Luc Préel, François Rochebloine, Rudy Salles, Marc Vampa, Francis Vercamer, Philippe Vigier, et Philippe Folliot, apparenté, ont déposé le 17 octobre dernier une proposition de loi « relative au pluralisme et à l’indépendance des partis politiques », comme le cynisme politique inspire des noms poétiques, dont l'objet est d'accorder au Nouveau Centre le financement qu'il aurait touché s'il avait bel et bien obtenu les cinquante fois 1% des voix, du fait qu'ils ont au moins 15 députés, critère opportunément retenu. Lisez l'exposé des motifs, si vous voulez lire un grand moment d'hypocrisie politique : le lucre paré du masque de la vertu républicaine. Si vous vous sentez nauséeux, ce n'est pas le mal de mer, nonobstant ma métaphore marine.

Bref, comme dit très justement Jules,

il s'agit ni plus ni moins que d'abaisser la barre lorsqu'on ne peut la franchir ; de tordre les principes pour pouvoir s'en prévaloir. Ce qui n'est guère élégant.

Comprendre : une forfaiture.

Initiative isolée de mutins ayant envie de taper dans le trésor, et qui seront vite passés par la planche, ou pendus à la grande vergue pour l'exemple ?

Pas du tout. L'UMP appuie ce projet, qui est discuté au moment même où j'écris ces lignes, soit une semaine après le dépôt de la proposition de loi. Le gouvernement maîtrisant l'agenda parlementaire, c'est peu dire qu'il a donné son aval. Et quand on voit que le rapporteur du projet de loi n'est autre que celui qui l'a rédigé, on se doute que la commission des lois va être très conciliante.

Que dire en conclusion ? Qu'entendre le gouvernement asséner doctement qu'il faut "moraliser" la vie financière, c'est le camembert qui dit au roquefort « Tu pues ! ». Qu'entendre ces élus pleurnicher sur l'abstention, sur le désintérêt des Français pour la vie politique et le peu de reconnaissance qu'ils ont au niveau local me donne l'envie irrépressible de leur offrir un balai pour le devant de leur porte.

Le Sénat, ou sinon le Conseil constitutionnel auront-ils l'audace de mettre fin à cette mascarade honteuse, faite en notre nom en vertu de la démocratie représentative ?

Ou toute vertu a-t-elle déjà déserté la République ?

En tout cas, il est hors de question que je laisse faire cela en catimini, pendant que les télés ne parlent que du Grenelle de l'environnement et des ampoules éteintes pendant cinq minutes. Faisons savoir que nous ne sommes pas dupes.

Notes

[1] A l'époque de l'élection, le navire battait pavillon Parti Social Libéral Européen, il deviendra le Nouveau Centre pour permettre d'autres ralliements in extremis, le nouveau nom ayant l'avantage de ne vouloir strictement rien dire et de dissimuler ainsi le caractère opportuniste du ralliement.

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