Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 7 mars 2008

1D10 minutes de silence

Gary Gygax, l'inventeur de D&D, et par extension des jeux de rôles, est mort le 4 mars dernier.

C'est toujours quand on en a besoin qu'on a plus de Scroll of Resurect.

Repose en paix, et merci.

L'affaire Note2Be : l'ordonnance de référé

Plusieurs lecteurs, enseignant pour une bonne part, m'ont fait part de leur préoccupation à l'égard de l'apparition d'un site, note2be.com, exploité par la SARL NOTE2BE.COM, dont l'objet était de proposer aux élèves de noter leurs professeurs et leurs établissements.

Il suffisait pour cela à l'internaute de s'inscrire, d'indiquer dans quel établissement il était, de donner le nom du ou des professeurs qu'il souhaitait noter, et devait fournir une appréciation chiffrée sur six critères (Intéressant, clair, disponible, équitable, respecté et motivé), dont la combinaison aboutissait à une note sur 20, la même échelle donc que la notation des devoirs des élèves.

La préoccupation de mes lecteurs était partagée, puisque 15 enseignants et deux syndicats professionnels ont saisi le juge des référés de Paris afin de lui demander d'ordonner la suppression de toute mention nominative du site et la suppression du fichier informatique stockant ces données.

Il est à noter que trois de ces enseignants n'étant pas cités sur le site, leur demande sera déclarée irrecevable, puisqu'on ne peut demander la suppression de ce qui n'existe pas.

Les demandeurs invoquent une atteinte à leur vie privée sur le fondement de l'article 9 du Code civil (ceux de mes lecteurs dont le sourcil se soulève à cette occasion ont raison, comme nous allons le voir) et le non respect de la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978 sur les traitement automatiques de données nominatives.

La société Note2be.com invoque en défense le fait que son fichier a fait l'objet d'une déclaration à la CNIL, qui donne lieu à une enquête de cette autorité, enquête toujours en cours : la CNIL n'a donc pas refusé l'exploitation de ce fichier. Elle invoque la liberté d'expression des élèves, garantie par l'article L.511-2 du Code de l'Education et plus largement par la liberté d'expression reconnue à tout homme en France.

Voilà les grandes lignes des arguments des parties au moment où l'audience va se tenir. La procédure de référé étant orale, ces arguments vont être débattus et vont amener à évoluer, le juge des référés devant dans sa décision refléter ce débat et répondre aux arguments des parties.

Laissons les parties s'installer dans le prétoire et relire leurs notes, et pendant ce temps, rappelons ce qu'est une audience de référé.

Il s'agit d'une audience tenue dans un court délai par un juge unique qui vise à ce que soit prises rapidement des mesures provisoires ou qui ne se heurtent pas à une contestation sérieuse. Notez bien le provisoire : le juge des référés ne règle pas un litige, il fixe les règles qui s'appliquent le temps que le litige soit réglé. Ses décisions n'ont pas l'autorité de la chose jugée (c'est pourquoi on ne parle pas de jugement mais d'ordonnance) et peuvent toujours, outre l'appel, être modifiées par le juge. Par exemple, votre voisin fait des travaux qui selon vous empiètent sur votre terrain : vous allez demander en référé que les travaux soient suspendus le temps de s'assurer si votre propriété est envahie ou non. Vous pouvez également demander en référé qu'un géomètre expert soit désigné pour qu'il effectue les opérations techniques traçant exactement la limite de votre terrain quand elle n'est pas matérialisée par une clôture, ce qui est plus fréquent qu'on ne le croit. La suspension est urgente car vous invoquez une atteinte à votre propriété. La désignation de l'expert ne pose pas de difficulté dans son principe car il donnera les éléments permettant de trancher le litige. Il faut juste qu'il soit désigné, et que les parties sachent qui il est.

Le code de procédure civile distingue trois grands types de référés :

Le référé de l'article 145 : les parties demandent une mesure d'instruction, généralement la désignation d'un expert. Il n'est pas nécessaire qu'un différend soit né, puisque l'expert va permettre aux parties de connaître les éléments techniques de la situation. Par exemple, votre réseau d'entreprise a planté définitivement. A-t-il été mal conçu par la société Grobug ? Ou est-ce dû à votre décision de couper la climatisation dans la salle du serveur pour sauver les pingouins ? Vous allez demander à ce que Zythom soit désigné pour qu'il réponde à la question.

Le référé de l'article 808[1] : Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Il faut donc une urgence, des mesures évidemment nécessaires, et l'existence d'un différend, ce dernier point ne posant que rarement problème quand on en est à s'assigner.

Le référé de l'article 809[2] : « Le juge du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

« Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

En fait, il y a deux actions en référé dans cet article. La première vise à prévenir un dommage imminent ou faire cesser le trouble manifestement illicite, même s'il y a une contestation sérieuse du droit invoqué par le demandeur. Dans notre exemple du voisin envahi, même si celui qui a commandé les travaux affirme que la parcelle où ont lieu les travaux est encore chez lui, laisser faire ces travaux serait un dommage imminent pour le voisin. Il vaut mieux suspendre le temps que le litige soit tranché, car retarder des travaux est moins grave que contraindre à démolir. La deuxième action vise à obtenir une provision sur une somme d'argent qui vous est due, à concurrence du montant qui n'est pas contestable. Par exemple, votre médecin vous a donné un médicament auquel vous étiez allergique, et cela figurait dans votre dossier. Vous avez dû être hospitalisé deux mois. Votre préjudice est incontestable, et la faute du praticien difficilement contestable. Vous pouvez demander une provision représentant une évaluation minimale de votre souffrance et de la perte de revenus que vous avez subie, qui vous permettra de faire face à votre situation délicate, le temps que le procès visant à votre totale indemnisation aille à son terme.

Bon, je me dépêche, le président va arriver, le greffier vient de s'asseoir dans son coin. Ici, les demandeurs, enseignants et syndicats, font un référé de l'article 809 : mettre fin à un trouble manifestement illicite, et demandent une provision d'un euro symbolique pour leur préjudice.

Voici le président. Le silence se fait, tout le monde se lève. Le bureau du procureur est vide. C'est une audience civile, entre particuliers, mais s'il le souhaite, le procureur peut assister à n'importe quelle audience pour donner son avis de représentant de la société. On dit alors qu'il est partie jointe. C'est rare qu'il intervienne ainsi, mais ce fut le cas par exemple dans le référé visant à faire interdire la publication de Charlie Hebdo lors de l'affaire des caricatures du Prophète.

Les faits sont rappelés tels qu'ils ressortent de l'assignation, le président pose les questions qu'il estime utile à sa parfaite compréhension du litige. Il va de soi que dans la vraie audience, le président n'a pas aussitôt répondu aux arguments ainsi qu'il va le faire ci-dessous. Il prendra le temps de délibérer, c'est à dire de réfléchir, faire des recherches et des vérifications, et de rédiger son jugement. Je reconstitue l'audience sur la base de l'ordonnance, pour faciliter la compréhension et rendre ce billet plus vivant.


Le président : La parole est aux demandeurs.

Les demandeurs : Notre premier argument est le suivant : il aurait été porté atteinte au droit au respect de l’intimité de notre vie privée, garanti par l'article 9 du Code civil, du fait de la mention nominative de la personne, suivie de l’indication de son lieu d’exercice professionnel et de sa discipline, et d’une appréciation, à connotation favorable ou défavorable ; au terme des débats, il apparaît que le type d’évaluation proposée est de notre point de vue de nature à stigmatiser les enseignants évalués, sans leur offrir la possibilité d’apporter la contradiction, ce qui ne serait pas sans conséquence sur leur vie privée.

Le président : Je vous arrête tout de suite. L'article 9 n'a rien à faire ici. Le seul fait de citer un nom n'est pas suffisant pour porter atteinte à l'intimité de la vie privée, surtout quand ce nom est cité dans le cadre des fonctions professionnelles exercées dans un établissement d'enseignement.

Les demandeurs : Bon. Notre deuxième argument est le non respect des dispositions de la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978.

Le défendeur (le site Note2be) : Notre site a fait l'objet d'une déclaration à la CNIL le 29 janvier 2008 !

Le Président : Certes, mais je n'ai pas beaucoup d'éléments là dessus (regard noir au défendeur)[3]. Bon, je tire des quelques pièces que vous m'avez données que la CNIL mène une enquête prévue à l'article 11, 2°, f et l'article 44 de la loi. Loin de moi l'idée d'empiéter sur les attributions de la CNIL, mais en attendant, je peux rechercher l’existence éventuelle d’un trouble à caractère manifestement illicite généré par le service de communication au public en ligne.

Le défendeur : Mais la liberté d'expression est garantie par la loi, y compris pour les élèves : c'est l'article L.511-2 du code de l'éducation et l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 !

Le Président (aux demandeurs) : Donc, ce que vous me demandez, c'est d’examiner si le traitement en question respecte les dispositions expressément visées par les demandeurs des articles 6 et 7 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, à la lumière des dispositions de l’article 1° de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, édictant le principe suivant lequel la communication au public par voie électronique est libre.

Les demandeurs: Je ne l'aurais pas mieux dit.

Le Président : Merci. Aux termes des dispositions de l’article 6 [de la loi informatique et Liberté], les données doivent être notamment collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes ; dans le cas présent, la finalité du traitement explicitement déclarée est la notation, en particulier des enseignants. Il convient donc d’examiner si les données en question sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard de cette finalité, la notation, alors que se trouve en question au titre du trouble manifestement illicite le droit des enseignants à la protection des nom et prénom qui leur appartiennent, droits de la personnalité.

Le défendeur : Est-ce le cas ?

Le Président :Patience. Il convient préalablement de rappeler qu’aux termes de l’article 7 de la loi, le traitement de données à caractère personnel, à défaut d’avoir reçu le consentement de la personne concernée, doit satisfaire à des conditions précisément et strictement définies[4]

Les demandeurs : A ce sujet, la notation proposée ne rentre pas dans le cadre de l’évaluation des fonctionnaires, dont la responsabilité appartient aux autorités investies à cette fin dans le cadre des dispositions statutaires et sous les garanties légales.

Le Président : C'est exact : le traitement automatisé concerne les enseignants appartenant aussi bien aux établissements publics et aux établissements privés sous contrat, qu’aux établissements privés, n'est-ce pas ?

Le défendeur : En effet.

Le Président : Vous ne prétendez pas, en proposant cette notation, être investi de la mission de service public d’enseignement au sens des dispositions de l’article 7, 3e [de la loi Informatique et Liberté], ou y participer de quelque manière que ce soit, en liaison avec les établissements auxquels ces enseignants appartiennent ?

Le défendeur : Pas du tout. Il s'agit d'un simple site gratuit et qui ne poursuit aucun but lucratif.

Les demandeurs : Mais il comporte des annonces publicitaires, et la société qui l’exploite, immatriculée le 9 octobre 2007, est commerciale, et que son objet porte sur la gestion de site internet.

Le Président : J'observe d'ailleurs que l’inscription sur le site est explicitement proposée, outre aux professeurs, aux élèves, mais aussi aux parents d’élèves ?

Le défendeur : Oui, mais le site est dédié aux enfants et adolescents.

Le Président : Pour autant, l’inscription d’un élève, personne mineure par définition, n’est soumise à aucun dispositif laissant présumer un accord parental préalable, ou assurant à tout le moins une information auprès des parents ?

Le défendeur : Non, rien de tel.

Le Président : Je constate donc que le projet d’entreprise ayant conduit à la création de ce site n’a pu qu’envisager la constitution d’une base de données extrêmement importante, compte tenu du nombre d’enseignants exerçant, notamment sur le territoire français, leur activité ; les seules ressources, en particulier humaines, nécessaires pour la gestion des demandes d’accès aux données nominatives, d’opposition, de modification ou de suppression de celles-ci de la base doit faire considérer d’évidence le site en question comme à vocation marchande.

Les demandeurs : Et toc.

Le président : Ceci étant établi, continuons notre cheminement. Il convient à présent d’examiner si ce traitement de données à caractère personnel poursuit la réalisation d’un intérêt légitime, suivant les termes mêmes de l’article 7, 5° de la loi, “sous réserve de ne pas méconnaître” l’intérêt ou les droits fondamentaux des personnes concernées, ou, suivant ceux de la directive 95/46/CE du Parlement Européen et du Conseil du 24 octobre 1995, “que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés de la personne concernée”.

Le défendeur : Il s’agit par conséquent de préserver un nécessaire équilibre entre les droits et intérêts de part et d’autre, au regard spécialement des droits et libertés fondamentaux reconnus par l’ordre juridique communautaire, comme le principe de proportionnalité, d’ailleurs rappelé par les dispositions de l’article 6, 3° de la loi.

Le Président : Vous avez totalement raison là-dessus. La mesure tendant à suspendre l’utilisation du fichier ne pourra de ce fait s’envisager qu’en l’absence de toute autre disposition appropriée.

Le défendeur : Monsieur le Président, il est en premier lieu de principe, suivant l’article 1° de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986, que la communication au public par voie électronique est libre.

Le Président :Certes.

Le défendeur : La liberté pour les élèves de s’exprimer, doit à mon sens prévaloir en présence d’atteintes aux droits de la personnalité.

Le Président : Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer cela ?

Le défendeur : Les dispositions de l’article L. 511-2 du code de l’éducation, qui prévoient que dans les collèges et lycées les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression ; ainsi les élèves ont faculté de s’exprimer au sein des établissements qui les accueillent, en particulier par leurs représentants et par les représentants de leurs parents. Et ce n'est pas tout.

Le Président : Quoi d'autre ?

Le défendeur : A l'Université, au niveau du 3e cycle, les étudiants participent aux procédures d’évaluation des formations et des enseignements. L’évaluation des établissements eux-mêmes que le site propose n’est pas en cause ; qu’il s’agit de promouvoir sur notre site l’évaluation individuelle des enseignants ; l’objectif de ce site, qui est de permettre l’évaluation par les élèves du sens pédagogique de leur professeur, ne caractérise pas, dans son principe, le dommage invoqué par les demandeurs.

Le Président : Mais vous ne pouvez méconnaître qu’en vertu de l'article L.511-2 cité plus haut, l’exercice par les élèves des libertés d’information et d’expression a pour limites qu’il ne porte pas atteinte aux activités d’enseignement ; or il est constant que l’évaluation des enseignants s’effectue par la seule attribution d’une note chiffrée, sur les qualificatifs “intéressant”, “clair”, “disponible”, “équitable”, “respecté”, “motivé” - rubriques présentées sur les documents joints sous les initiales “P’, “C”, “D”, “E”, “R”, “M”...

Le défendeur: J'entends privilégier ainsi ce que ressentent les élèves de la démarche pédagogique de l’enseignant.

Le Président : Soit ; mais cette approche partielle ne peut que légitimement provoquer le trouble, en ce qu’elle peut conduire à une appréciation biaisée, aussi bien dans un sens excessivement favorable que défavorable.

Le défendeur: Mais j'ai encadré l’exercice de la liberté des élèves, en interdisant de commenter les appréciations.

Le Président : Pour autant, la mise à disposition d’un forum de discussion, sans modération préalable à la publication, n’est pas sans présenter, en cas de développement exponentiel de la fréquentation de ce site des risques sérieux de dérive polémique.

Le défendeur: Me voici victime de mon succès potentiel...

Le Président : Il est en réalité évident dans ces circonstances que si l’intérêt de l’expression des élèves au sein de la communauté éducative pour l’amélioration des conditions dans lesquelles l’enseignement est dispensé n’est pas discutable, les personnes physiques concernées sont en droit de s’opposer à l’association de leurs données à caractère personnel à un dispositif présentant, faute de précautions suffisantes, un risque de déséquilibre au détriment de la nécessaire prise en compte du point de vue des enseignants.

Le défendeur: Mais les conditions générales d’utilisation du site comme les procédures mises en place pour faire valoir les droits des enseignants peuvent leur permettre de le conjurer de façon effective...

Les demandeurs : En clair, on nous demande d'exercer nous-même notre droit de rectification, donc de surveiller nous-même ce site. Comment appeler cela une garantie efficace ?

Le Président : Il est permis d'en douter, en effet. La montée en puissance de la fréquentation du site est de nature à mettre en doute l’adéquation des données au projet ; exiger de chacune des personnes potentiellement concernée la charge de procéder en fonction des circonstances de l’exercice de son métier à la surveillance périodique du site représenterait une obligation disproportionnée, relativement à l’intérêt du service actuellement présenté par l’exploitant du site.

Les demandeurs : au surplus, nous refusons de voir associés nos noms à des messages publicitaires insérés sur les pages du site, et dont le développement est prévisible, le principe de la liberté de communication au public en ligne ayant en particulier pour limites la liberté et la propriété d’autrui, en l’espèce du nom.

Le Président : Vous en avez le droit. La liberté d’expression des élèves, dans la mesure où elle se trouve déjà assurée au sein des établissements, peut de ce fait subir sur le site litigieux une limitation raisonnable en présence des droits et intérêts légitimes des enseignants. J'ai donc pris ma décision.

La salle retient son souffle.

Le Président : Il appartient au juge des référés de prendre la mesure provisoire strictement nécessaire et la plus appropriée à cette fin ; l’évaluation des établissements n’étant pas en cause, la mesure préservera cette fonctionnalité, qui n’est pas invoquée comme étant à l’origine du dommage et susceptible d’y mettre fin. Pour y parvenir, et prévenir un dommage imminent, seule la suspension de la mise en œuvre du traitement automatisé de données personnelles des enseignants représente la mesure appropriée. Il convient de l’ordonner, en faisant procéder au retrait des pages du site des données en question qui s’y trouvent affichées ; la société NOTE2BE.COM devra également prendre toutes dispositions, afin que n’apparaissent pas nominativement des enseignants, soit en modérant a priori le forum, soit par la mise en place de tout dispositif efficace à cette fin. Pour les enseignants cités, je fais droit à leur demande de provision symbolique, car leur préjudice n'est pas sérieusement contestable, de même que l'évaluation qu'ils en ont faite pour cette provision. L'audience est levée.


Le site Note2be, à mon avis bien content de l'extraordinaire couverture médiatique qu'il s'est offert, en rajoute une couche en criant à la censure.

Et comme nous vivons dans une société où, faisant fi de l'évidente contradiction du propos, tout le monde crie à la censure pour un oui ou pour un non, autant allez un cran plus haut dans l'analyse :

Cette décision remet en cause le fonctionnement même de tous les forums de discussion, blogs et sites communautaires où les internautes pouvaient s’exprimer librement sur le net français.

En fait, ce n'est pas l'idée d'une société commerciale d'attirer grâce à une controverse médiatique complaisamment relayée un large public d'adolescent (potentiellement des millions) pour vendre de la pub ciblée. Non, c'est un combat pour la liberté d'expression de tous les forums de discussion, blogs et sites communautaires sur le net français. Rien que ça.

Voyez vous-même ce que dit cette décision, vous constaterez qu'on en est loin. Le site aurait dû, conformément à la loi, solliciter l'accord préalable des enseignants cités, faute de viser une des objectifs dispensant de cet accord. Faute de quoi, les enseignants sont fondés à s'opposer en justice à l'usage de leur nom, ce d'autant plus que l'absence total de contrôle du site rend les risques d'évaluation fantaisiste très importants.

La société NOTE2BE.COM a fait appel de cette ordonnance. Je doute de l'efficacité de ce recours hormis sur des points juridiques comme l'usage inapproprié de la notion de propriété à l'égard du nom de famille. Si la jurisprudence reconnaît un droit patrimonial sur le nom, il ne s'agit certainement pas d'un droit de propriété puisqu'on ne peut le céder ou l'abandonner.

Mais c'est un autre sujet. Le prétoire est vide, tout à la Salle des Pas Perdus pour échanger nos impressions.

Notes

[1] Les mêmes pouvoirs sont donnés au président du tribunal d'instance (art. 848) et au président du tribunal de commerce (art. 872) pour leurs domaines de compétence respectifs).

[2] ou 849 pour le tribunal d'instance et 873 pour le tribunal de commerce.

[3] Mes lecteurs, jouissant d'un excellent avocat ET de l'avantage du recul dans le temps, peuvent quant à eux savoir que la CNIL a rendu depuis son avis, qui est négatif=528&cHash=7c1cd2d002|fr].

[4] 1° Le respect d’une obligation légale incombant au responsable du traitement ; 2° La sauvegarde de la vie de la personne concernée ; 3° L’exécution d’une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement ; 4° L’exécution, soit d’un contrat auquel la personne concernée est partie, soit de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ; 5° La réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée.

jeudi 6 mars 2008

6 choses

Bon. Je hais les chain mails, j'exècre les billets sur le mode du "machin m'a tagué, je repasse à bidule", mais là, je suis fait. Ceteris Paribus m'a tagué en premier, Versac remet ça. Comme dit Jules, une fois, la pudeur dicte de retenir sa plume. Deux fois, cela devient du snobisme.

Je ne puis décevoir un futur premier ministre et un futur président de la République sans compromettre mon futur poste de Garde des Sceaux.

Donc pour la SEULE ET UNIQUE fois de l'histoire de ce blog, voici donc un billet de commande : 6 choses sans intérêt sur moi.

1- Je n'aime pas le chocolat. Pas du tout. Ce n'est pas une allergie, je déteste ça, et je détecte la moindre molécule dans ce que je mange (même un vermicelle en chocolat dans de la chantilly). Je dois faire un blocage à la théobromine (ce qui expliquerait la constance de mon humeur de chien en commentaires).

2- J'ai déjà fait du vélo dans le palais de justice de Paris.

3- J'ai passé ma maîtrise de droit en même temps que j'ai fait mon service militaire. J'ai fini le second aviateur 1e classe et la première avec mention.

4- Je ne supporte pas l'inaction forcée. Je panique à l'idée de prendre le train ou l'avion sans avoir rien à lire ou ne pas pouvoir écrire. Pendant mes classes, j'avais toujours le Code de procédure pénale dans la poche de mon treillis. Je l'ai même potassé dans un abri anti-atomique, en tenue NBC[1], masque à gaz sur la tête.

5- J'ai horreur de faire la queue. Il n'y qu'une chose dont j'ai encore plus horreur : ceux qui doublent dans les queues. Généralement, une file d'attente suffit à me faire rebrousser chemin. Illustration : je voulais m'inscrire en histoire à la fac (pour faire du journalisme). Mais il y avait une file d'attente démesurée. Alors qu'il n'y avait pas la queue pour s'inscrire en droit.

6- Je sais tirer la Guinness dans les règles de l'art, y compris dessiner un trèfle dans la mousse.

Et je refile le tag, comme on dit en français à Dadouche, Gascogne, Fantômette, Lulu, Parquetier, Ed, Lincoln, X. le conseiller de TA s'il me lit encore, Zythom, Augustissime, et Clems, ci-dessous en commentaire, et à tous ceux qui le veulent tiens, pour faire connaissance. Un peu de frivolité n'a jamais fait de mal (N'oubliez pas : des choses qu'on ne connaît pas de vous et qui n'ont aucun intérêt).

Et que ce soit clair : ce n'est plus jamais la peine de me refiler ce genre de chaînes. Je n'y répondrai plus jamais.

Notes

[1] Nucléaire-Bactériologique-Chimique

mercredi 5 mars 2008

Autodérision

Je le répète régulièrement en ces lieux : je suis un grand ami des Etats-Unis. Parce que les américains sont de grands enfants.

L'arme nucléaire en plus.

C'est un pays qui a gardé deux héritages précieux de son passé de colonie anglaise : la langue, et la capacité d'autodérision.

En voici un parfait exemple.

Les élections de la fin de l'année se préparent déjà au sein des deux grands partis, républicain (conservateur, favorable à l'autonomie des Etats fédérés) et démocrate (progressiste, favorable à l'extension des compétences fédérales). Ces deux partis organisent leurs primaires au sein de chaque Etat, afin de désigner des délégués qui eux-même éliront le candidat du parti à la Convention qui se tiendra du 25 au 28 août 2008 à Denver, Colorado, pour les démocrates, et du 1er au 4 septembre à Saint-Paul, Minnesota, pour les républicains.

Actuellement, deux candidats peuvent prétendre remporter l'investiture chez les démocrates : Barack Obama et Hilary Clinton. Chez les républicains, les choses sont pliées, ce sera le sénateur de l'Arizona John McCain, qui a une avance définitive sur son rival l'ancien gouverneur[1] de l'Arkansas Mike Huckabee.

Pourtant, Mike Huckabee n'a pas encore reconnu sa défaite.

Et le 23 février dernier, il est passé à l'émission comique Saturday Night Live, une émission en direct émise chaque samedi depuis New York (d'où son nom) depuis le 11 octobre 1975. C'est cette émission qui a découvert de grands acteurs comiques comme Dan Aykroyd, Eddie Murphy, ou Mike Myers. Des personnages récurents créés pourdes sketchs dans l'émission ont donné naissance à des films cultes : citons les Blues Brothers par exemple, nés à l'époque ou Dan Aykroyd officiait dans l'émission avec John Belushi, à la fin des années 70. C'est une émission phare de la télévision américaine où il faut être vu, même quand on est politique. Les Nuls avaient tenté la même expérience avec un certains succès quand ils ont fait Les Nuls : L'Emission, d'octobre 1990 à mars 1992.

Voici donc le passage du gouverneur Huckabee lors du journal télévisé parodique qui se moque de l'actualité, sous-titres de votre serviteur. Imaginez François Bayrou faire le même genre de numéro après le premier tour. Ca décoincerait un peu la politique, non ?

Autre exemple de cette capacité d'autodérision dimanche prochain histoire de faire un billet qui vous fera franchement rire pour le week end.

Notes

[1] Le gouverneur est le président d'un des 50 Etats de l'Union, le Sénateur est un élu au parlement fédéral représentant un des Etats.

Appel à mes taupes

Quelqu'un aurait-il accès à une copie du jugement de référé rendu dans l'affaire Note2be, ce site visant à permettre aux élèves de noter leurs écoles et, jusqu'à cette décision, leurs professeurs ?

Je pense qu'un petit commentaire s'impose...

mardi 4 mars 2008

Avis de Berryer : Yvan (nevermind) Le Bolloc'h

Peuple de Berryer, réveille toi ! Sors de ta torpeur et ois l'appel !

La Conférence du Stage te semonce en son Palais, le jour de la Saint Sérapion[1], soit le vendredi 21 mars à 21 heure, en la Salle des Criées.

L'invité de la Conférence sera monsieur Yvan Le Bolloc'h qui me pardonnera mon déplorable jeu de mot du titre.

Les travaux de la Conférence Berryer porteront sur deux sujets :

1er sujet: Faut il tout faire en solo ?



2ème Sujet: Thé ou caméra café ?



Monsieur Romain (dit le Grand) Ruth, 2ème Secrétaire de la Conférence se chargera du rapport.

Point d'invitations à imprimer cette année, c'est le prix de la course. Présentez-vous le plus tôt que vous pourrez muni d'une pièce d'identité. L'entrée, si elle est libre, n'est pas garantie : le nombre de places est limité.

Et gloire à la promotion 2008 de faire des Berryer le vendredi soir.

Notes

[1] Moine égyptien, il dirige la fameuse école d’Alexandrie, mais quitte ses fonctions pour se consacrer entièrement à la prière et à la pénitence. Disciple de Saint-Antoine dans le désert et ami de Saint-Athanase. En 339, il devient évêque de Thmuis, dans la région du détroit du Nil ; dans cette charge, il combat vivement l’arianisme, ce qui lui vaut d’être chassé par l’empereur Constantin II. Il est aussi l’auteur de plusieurs écrits importants (mort vers 370)

lundi 3 mars 2008

Propaganda !

Par Dadouche



Non, ce billet n'est pas destiné à évoquer à l'élection triomphale du nouveau président russe ou les merveilleuses conférences de presse du porte parole de la Ministre de la Justice, mais à vous informer d'une réalité méconnue.

Sachez le, les magistrats sont l'un des remparts de la démocratie.

Non ?

Si.

Dans les communes de plus de 2500 habitants pour les élections municipales et dans les circonscriptions électorales pour les élections cantonales sont instituées des commissions de propagande composées d'un magistrat (qui la préside), d'un fonctionnaire désigné par le préfet, d'un fonctionnaire désigné par le trésorier-payeur général et d'un fonctionnaire désigné par le directeur départemental des postes et télécommunications.

Leur rôle est d'assurer l'envoi et la distribution de tous les documents de propagande électorale.

Mais si, vous savez, cette grosse enveloppe maronnasse qui contient les professions de foi et bulletins de chaque candidat.

La commission doit d'abord s'assurer, avant la mise sous pli, que les bulletins et circulaires sont conformes au code électoral. Puis, une fois la mise sous pli effectuée par les petites mains de la mairie, s'assurer que lesdits plis contiennent bien les documents de propagande de chaque candidat.

Pour la plupart des élections, cette tâche est dévolue aux juges d'instance, spécialistes du contentieux électoral.
Mais comme il y a beaucoup de communes et de cantons, cette année, les autres sont mis à contribution dans certaines juridictions.
Depuis quelques jours, de nombreux magistrats français se baladent donc dans les trous les plus reculés du départementles joyaux de nos belles provinces. Enfin, ceux qui sont assez bêtes consciencieux pour réunir vraiment la commission plutôt que conférer par téléphone avec les autres membres.

Imaginez vous petite souris dans la salle des mariages de la mairie de Framboisy[1].

Gascogne, président de la Commission, est assisté de Mr Rondecuir, représentant du Préfet, Mr Timbré, postier de son état, et de Madame Cheik-Amblan, émissaire du TPG.

Après avoir mesuré la taille du bulletin (article R30 du Code Electoral), vérifié qu'il est imprimé d'une seule couleur sur papier blanc (même article), étudié les couleurs employées dans la circulaire (la profession de foi), qui ne doit pas comprendre une combinaison des trois couleurs bleu-blanc-rouge, à l'exception de l'emblème d'un parti (article R 27 du Code Electoral), et pesé le tout (grammage entre 60 et 80 grammes au mètre carré), la commission vérifie les mentions figurant sur les bulletins et circulaires.

Et là, c'est le drame.

Face à la liste d'ouverture « Framboisy en Rose et Vert » qui rassemble Fantômette, Langelot, les Cinq Jeunes Filles et les Six Compagnons, deux autres listes ont déclaré leur candidature.

Le Furet a décidé en effet de se lancer en politique sous l'étiquette « Fantômette, Go Home », flanqué de ses comparses habituels Alpaga et Bulldozer.
Il a malheureusement confié à ce dernier le soin de s'occuper de l'impression du bulletin de vote. Et Buldozer, qui a des lettres, a trouvé que c'était bien plus logique de faire une liste alphabétique. C'est ainsi qu'Alpaga se retrouve tête de liste, contrairement à l'ordre de présentation déclaré à la Préfecture de Marne et Oise.
Le bulletin, non conforme aux dispositions de l'article R 117-4 du Code Electoral, est écarté de la mise sous pli et ne sera donc pas expédié aux électeurs.

De son côté, le Masque d'Argent dirige d'une main de fer la liste « Avec le Sire de Framboisy » et son pseudonyme figure donc tout en haut du bulletin. Patatras et Fatalitas ! Il a déclaré sa candidature sous son réel patronyme : de Maléfic.
Si rien n'empêche de déclarer sa candidature sous son patronyme en indiquant le pseudonyme qui figurera sur le bulletin, encore faut-il le préciser.
Les bulletins ne peuvent en effet comporter d'autre nom de personne que celui des candidats (article R 30 du Code Electoral).
La Commission hésite longuement, sous l'oeil menaçant d'Eric, représentant du candidat qui assiste à ses travaux avec voix consultative. Finalement, le bulletin est lui aussi exclu de la mise sous pli.

Les procès verbaux sont signés, et la commission prend le chemin de Moucheton-Nay pour le même cérémonial, avant d'achever son périple à Goujon-Sur-Epuisette.

Dans quelques jours, la Commission reviendra pour une autre tâche d'une haute technicité : prendre au hasard des enveloppes maronnasses dans les cartons remplis par les employés de la mairie pour vérifier si le bulletin de la liste «Framboisy en Rose et Vert » et les circulaires des trois listes y ont bien été insérés.

Le jour de l'élection, Lulu prendra le relais de Gascogne pour présider la commission de contrôle des opérations de vote, qui circule dans les bureaux des communes de plus de 20,000 habitants pour vérifier que tout se passe bien.

Bon, c'est pas tout ça, maintenant il va falloir les lire, les circulaires qui remplissent l'enveloppe maronnasse.

PS : Reconnaissance éternelle à ma marraine, qui m'a offert mon premier « vrai » livre  Fantômette et le Régent, qui, en plus d'une envie irrépréssible de visiter le Louvre pour voir le Régent « en vrai », m'a donné le goût de la lecture, ce qui a indiscutablement contribué à mes cinq années d'études supérieures, à ma réussite au concours de l'ENM et par voie de conséquence à l'octroi du privilège de vérifier la couleur des bulletins de vote.

Notes

[1] les fans de Fantômette (pas la nôtre mais celle de Georges Chaulet) se plongeront avec délice dans ce site

Nouveau prix Busiris : Rachida Dati

Chaque Garde des Sceaux aura probablement le sien, mais qu'il ne soit pas dit que l'actuel ne l'aura pas mérité haut la main.

C'est après quelques secondes seulement de délibération et par acclamations que le jury a attribué le prix Busiris à Rachida Dati, pour ces superbes propos qui feront rire dans les facultés et sangloter les magistrats qui hoquetteront entre deux sanglots "dire qu'elle fut des nôtres" et ce bien après son élection à la mairie du 7e arrondissement : Rachida Dati, très élégante en casaque noire et blanche, prête à chevaucher le droit vers de nouvelles aventures

La loi sur la rétention de sûreté "est bien rétroactive d'application immédiate", a interprété dimanche soir la ministre de la Justice Rachida Dati, arguant que le Conseil constitutionnel, en présentant le placement de criminels dangereux en centres fermés comme une mesure de sûreté et non une peine, ne s'était "pas posé la question de la rétroactivité".

"Le Conseil constitutionnel a dit que ce n'était pas une peine, c'était une mesure de sûreté (...) pour protéger les Français. Donc, le problème de la rétroactivité ne s'est pas posé. Donc la loi est bien rétroactive d'application immédiate", a assuré le garde des Sceaux sur France-2.

Revoyons cette scène au ralenti.

La loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental serait rétroactive d'application immédiate. Voici l'affirmation juridiquement aberrante et contradictoire.

En effet, pour l'entrée en vigueur d'une loi, on distingue un principe, et deux exceptions.

Le principe est posé par l'article premier du Code civil : les textes de loi entrent en vigueur immédiatement, c'est à dire le lendemain de leur parution au JO (le délai d'un jour franc a disparu depuis 2004), ou éventuellement dans le futur, à la date qu'ils fixent, afin de permettre d'anticiper le changement de la loi (par exemple, la généralisation de la collégialité de l'instruction, c'est à dire que les instructions seront confiées systématiquement à trois juges d'instruction et non à un seul, entrera en vigueur le 1er janvier 2010).

Première exception : quand le texte de loi prévoit des "mesures d'application", c'est à dire que les modalités doivent être précisées par un décret, la loi n'entre en vigueur que quand ce décret est pris. S'il est pris un jour. C'est une entrée en vigueur à date incertaine. Le législateur marque tellement sur ce point sa confiance envers l'exécutif qu'il prévoit de plus en plus que l'entrée en vigueur de ses lois aura lieu lors de la publication du décret d'application "ou au plus tard le...", et aux juges et avocats de se débrouiller avec ces réformes partielles.

Deuxième exception : la rétroactivité. La loi va remonter dans le passé pour prendre effet à une période où elle n'était encore qu'une étincelle (que l'on peut espérer d'intelligence) dans l'œil du législateur. La rétroactivité n'est pas mauvaise en soi. Elle est même parfois synonyme de justice : ce que le temps a mal fait, la loi le refait équitablement. Parfois, elle peut être la pire des inéquités : changer les règles du jeu quand on connaît le résultat de la partie, c'est de la triche. C'est pourquoi en matière pénale, la rétroactivité est une interdiction absolue. Nul ne peut être puni pour des faits qui lorsqu'ils ont été commis n'étaient pas un délit, ni subir une peine qui n'existait pas au moment des faits, quand bien même elle existerait lors du jugement. En revanche, une loi pénale plus douce (qui supprime un délit, abolit une peine, ou en diminue le maximum) s'applique immédiatement aux situations en cours. Le condamné à mort ne sera pas exécuté, le bagnard sera rapatrié, le prisonnier ayant purgé le maximum légal sera élargi. On voit donc que la rétroactivité et l'application immédiate sont antinomiques. Une loi entre en vigueur aujourd'hui ou hier, mais pas les deux.

D'où l'absurdité de l'expression de « rétroactivité d'application immédiate ».

Cette explication fumeuse vise à essayer de faire passer la très prévisible censure par le Conseil constitutionnel de l'article 13 de la loi visant à rendre applicable aux personnes déjà condamnées le dispositif de la rétention de sûreté comme un satisfecit donné par le Conseil à l'égard de cette loi, alors que c'est bel et bien l'effet rétroactif de cette loi qui a provoqué le courroux des Sages. Voilà pour la mauvaise foi.

Enfin, le propos déshonorant tant le droit que celui que le tient (le propos, pas le droit) a pour but de repasser l'ego froissé du premier d'entre nous, à la veille d'un remaniement que l'on annonce sanglant, et vise autant à neutraliser le trône de celui-ci que le siège éjectable de celle-là. Voilà pour l'opportunité politique.

Tous les critères sont donc remplis, et c'est avec plaisir que je remets ce prix magna cum laude au Garde des Sceaux, pendant qu'il les garde encore.

Madame le ministre, vous avez mis la barre très haut pour votre successeur. Vous nous manquerez.


Photo : ministère de la Justice.

dimanche 2 mars 2008

Le blues du jeune pénaliste

Térence, un de mes jeunes confrères mais ancien comme lecteur m'a laissé ce dimanche son témoignage désabusé de jeune avocat se frottant au droit pénal :

Bilan rapide sur la justice pénale après deux mois de barre :

J'ai bien le sentiment de servir à peu de chose ; le sentiment assez désagréable que l'avocat, à l'audience pénale, ne sert strictement à rien !

Assez déçu par l'exercice et le peu de considération que les magistrats ont pour les avocats pendant les audience pénales (le pire étant à mon sens les juridictions d'appel, et je ne parle pas même du le rapporteur qui vous sabre 2/3 des arguments d'une plaidoirie ou la mise en perpective des faits peut être déterminante) je m'oriente vers un strict contentieux civil et commercial.

A votre avis Eolas, c'est un peu court deux mois pour faire un bilan ?

Vous n'avez pas, après toutes ces années, vous aussi le sentiment de vous trouver à chaque audience à la gauche de Gnafron.

Moi si ?

Et cela ne fait que deux mois que j'exerce !

Dadouche lui a répondu son opinion de magistrate ayant pratiqué la matière, notamment comme juge en correctionnelle :

C'est vrai qu'en deux mois vous avez eu le temps de faire le tour de la question, notamment sur la considération que les magistrats accordent aux avocats. Je n'ai pas bien compris dans ce que vous indiquez à l'aune de quoi vous la mesurez. Serait-ce fonction de leur capacité à toujours tomber d'accord avec vous ? Je n'ose le croire, sinon vous allez effectivement au devant de quelques désillusions.

Je ne sais pas davantage ce que vous entendez par "servir à quelque chose". S'il s'agit d'obtenir des relaxes ou des amendes avec sursis dans tous les dossiers, ç'est sûr que là encore ça va être compliqué. Mais je ne doute pas que votre vision du rôle de l'avocat soit bien plus nuancée.

L' "utilité" ou, mieux, la valeur ajoutée apportée par l'avocat à l'audience est variable. S'il présente des arguments étayés, qu'il propose des alternatives crédibles quand il plaide sur la peine, qu'il pointe des éléments du dossier quand il plaide la relaxe, il est très utile. S'il est moins bon (ça arrive), qu'il tempête sur l'inutilité de la prison pour un multirécidiviste du vol avec violences, qu'il vitupère contre le parquet qui pousuit les revendeurs de cannabis alors que la consommation de cette substance bien moins dangereuse que l'alcool est entrée dans les moeurs ou qu'il explique que si la victime d'un viol n'avait vraiment pas été consentante, elle l'aurait mordu au moment propice (je vous jure, je l'ai déjà entendu), là, forcément, il est beaucoup moins utile, voire carrément dangereux. S'il répète, trois fois sous des formes différentes, ce qui a déjà été dit pendant l'instruction à l'audience et qu'il plaide façon fleuve en crue, ça peut aussi déclencher des réactions en chaîne incontrôlables chez les magistrats qui voient avec inquiétude l'heure tourner et la pile des dossiers ne pas baisser.

Le rôle de l'avocat au pénal ne se limite pas à l'audience : les conseils au client sur la façon de se tenir, l'examen de la régularité de la procédure, la production de justificatifs obtenus en préparant l'audience sont largement aussi (voire plus) importants sur le fond.

Cela dit, je ne nie pas que certains collègues donnent l'impression d'écouter distraitement les plaidoiries. C'est cependant loin d'être une généralité, et ça va souvent de pair avec, la pratique aidant, une aptitude quasi surnaturelle à faire deux choses en même temps.

Fantômette lui répond à son tour un commentaire très pertinent :

Je ne crois honnêtement pas qu'en deux mois, vous ayez fait le tour de la question.

J'ai pour ma part l'impression de commencer de trouver mes marques au pénal, et j'ai deux ans de barre.

Je vais me permettre de vous donner des conseils que vous choisirez ou non de suivre, sachant de toute évidence qu'il n'y a nulle vertu particulière à poursuivre une activité pénale si l'on ne s'y sent pas à l'aise.

D'abord, cette vieille règle qui veut que "les vieux chevaux passent avant les jeunes baudets" comme aurait dit ma grand-mère, c'est-à-dire les avocats les plus chevronnés avant leurs jeunes confrères, présente l'immense avantage de nous les faire écouter plaider. Croyez-moi, pour certains, ça vaut le détour, et quant à moi, j'ai toujours plaisir à les laisser passer devant moi pour profiter de la leçon.

Personnellement, je trouve en plus que c'est bon pour le moral, mais là c'est subjectif.

Ensuite, un vieux diehard pénaliste m'a donné un jour un conseil très simple, mais qui recadre bien les choses : Le travail, au pénal, c'est le dossier, et le client.

Le dossier, il faut le connaître sur le bout des doigts, et ce n'est pas une figure de style. Mes dossiers au pénal, je les dépouille, je les stabilote, les re-classe, des fois je les mets sous cote, eh oui, j'écris dessus, quand j'en ai fini avec eux, ils ressemblent plus à rien (et personne ne s'y retrouve sauf moi), mais je ne laisse passer aucune approximation de la part de personne sans la remarquer : président, procureur, confrère adverse.

Le client, pareil. Vous ne trouverez pas votre valeur ajoutée sans son aide. Pour commencer, il faut l'écouter beaucoup, beaucoup. Pas seulement sur les faits. Sur lui.

Vous avez un avantage sur le juge : vous avez la possibilité de mieux connaître votre client que lui. Profitez-en. Ce sera utile pour plaider sur la peine, et il faut plaider sur la peine.

Je ne puis qu'applaudir avec enthousiasme aux propos de ma consœur au bonnet à pompon.

Cher Térence, vous traversez une période délicate : vous perdez vos illusions sur la défense pénale. C'est un passage difficile mais nécessaire : il précède la prise de conscience de ce qu'est réellement la défense pénale. Et on n'y perd pas au change.

Le pénal est une matière difficile. Beaucoup d'avocats veulent y toucher au moins une fois, pour tester ou connaître le frisson de la correctionnelle, et parce qu'elle donne une illusion de facilité. L'avocat, au pénal, peut rester totalement passif, attendre sagement le moment de sa plaidoirie, aligner quelques perles d'un ton convaincu et croire avoir rempli sa mission. Je crois d'ailleurs que c'est ce que font certains confrères.

Or c'est une matière très technique, et l'instabilité des textes contribue à rendre la matière terriblement complexe. Tout particulièrement la procédure pénale. L'avocat y est depuis le début un intrus. Souvenez-vous qu'au XIXe siècle jusqu'à la grande loi du 8 décembre 1897, l'avocat était purement et simplement exclu de la procédure jusqu'au seuil du procès (pas d'assistance devant le juge d'instruction, notamment). Le XXe siècle a été une longue série de portes enfoncées, les dernières en date étant celles des commissariats en 1993. Bref, la place de l'avocat dans la procédure pénale est celle qu'il s'y fera en jouant des coudes. Le seul droit dont il bénéficie sans avoir à le réclamer est de parler en avant-dernier[1]. Ce n'est pas suffisant, et une grosse partie, l'essentiel même, de la défense, se joue en amont de la plaidoirie. Et rassurez-vous : si le législateur persiste à voir dans l'avocat un danger électoral qui doit être combattu[2], cela fait longtemps que les magistrats ont acquis le respect des droits de la défense. Le respect des avocats, lui, s'acquiert au cas par cas.

Il va vous falloir, maintenant que vous avez perdu la vision héroïque de la défense (celle de la télé, où l'avocat dirige le procès, rive son clou à ses adversaires, avocats comme magistrats, et termine avec son client en larmes dans ses bras, la phase du paiement des honoraires étant renvoyé à après le générique), il va vous falloir apprendre à jouer des coudes, en cumulant trois vertus que vous ne devrez jamais perdre de vue : le faire légalement, courtoisement, et intelligemment.

Légalement, c'est connaître la loi. Vous avez un argument à faire valoir, à la bonne heure. Vous devez savoir comment le faire valoir, par quelle action, sous quelle forme, dans quels délais. S'il est une chose plus désagréable que les sourcils froncés d'un magistrat qui vous écoute en essayant désespérément de comprendre le fondement juridique de l'argument que vous soulevez, c'est de l'entendre vous répondre que vous êtes irrecevable ou forclos. Faites le rapprochement avec ce que j'ai dit ci-dessus sur la complexité du droit et vous avez compris ce qui vous attend. Lire le CPP, le relire, surveiller le JO, vous faire des fiches, vous mettre à jour régulièrement, et guetter les formations continues en la matière (elles sont trop rares, hélas). Et comme d'habitude, la meilleure formation est sur le tas. Demandez à des confrères, aux greffiers, et en dernier ressort, tentez le coup et apprenez de vos erreurs. La récompense vient vite : un bel argument juridique bien étayé, ça marche.
Connaître la loi, c'est bien. Connaître aussi le dossier, c'est mieux. Faites comme Fantômette. Ruinez votre patron en Stabilo (il s'en fiche, il n'est pas greffier en chef ; lui, il les achète par conteneurs entier). Moi, j'aime bien aussi les signets, en post-it ou en ruban transparent, qui vous indiquent immédiatement où est telle pièce. Lisez attentivement, pas seulement les déclarations, mais les mentions des procès-verbaux. Les nullités aiment à se nicher dans les recoins les moins fréquentés.

Courtoisement, c'est témoigner envers les magistrats le respect qui leur est dû, parce qu'ils le méritent, tout simplement. Vous n'arriverez à rien en vous mettant à dos les magistrats. Ils sont là pour faire respecter la loi, quoi qu'ils en pensent dans leur for intérieur. Ce n'est pas toujours agréable pour eux, leur faire remarquer durement ne fera que les renfrogner encore plus. Outre s'adresser au tribunal avec respect (ce qui n'exclut pas la fermeté quand vous voulez faire valoir un argument et que le président ne semble pas comprendre que c'est maintenant que ce point doit être abordé), c'est aussi ne pas insulter son intelligence en plaidant l'invraisemblable. Enfin, c'est faire en sorte d'être agréable à écouter. Tout le monde n'a pas la volubilité pédagogique de Jean-Yves Le Borgne, l'énergie percutante de Thierry Lévy, mais tout un chacun peut parler fort, en articulant afin de ne pas obliger à un effort d'écoute, selon un plan ordonné dont on explique la progression, et parler le temps strictement nécessaire à l'exposé de son argumentation, sans la fourrer d'un semi-remorque de "effectivement", ou la truffer d'inutiles répétitions d'un argument qu'on estime tellement brillant qu'il mérite d'être entendu deux ou trois fois au moins.

Intelligemment, c'est là tout l'art de l'avocat. C'est une chose de trouver l'argument et son fondement légal, et d'exposer sa demande en attirant la bienveillance du juge ; c'en est une autre d'anticiper ses conséquences concrètes sur la suite de la procédure. Une nullité qui laisse subsister dans le dossier de quoi condamner votre client, est-ce vraiment la peine de la soulever ? Attaquer la partie civile, est-ce rendre service à votre client ? C'est le résultat pour votre client qui doit ici être votre seul guide. Vous avez une vision claire, technique, dépassionnée et à long terme. Lui ne voit que le court terme (combien je vais prendre ? Quand est-ce que je sors ?) et a une vision faussée par ses passions. On peut parler de souffrance pour la personne poursuivie (l'angoisse de l'incertitude, la perspective de la privation de liberté, de voir sa vie chamboulée...) ; et la souffrance ne rend pas lucide. Cela peut vouloir dire convaincre votre client de faire des choix qui vont à l'encontre de ce qui lui semble pertinent de faire. Le convaincre de reconnaître les faits, voire le faire accoucher (on est en pleine maïeutique, au sens philosophique du terme, en effet) de sa prise de conscience. Vous permettre de plaider sur la peine, de proposer vous même la peine qui vous paraît opportune plutôt que poursuivre la chimère de la relaxe contre l'évidence. Le décourager de faire appel même d'une décision sévère, car faute d'argument autre que "je trouve que le jugement est trop sévère", le risque d'aggravation en appel est trop gros. Le convaincre de refuser d'être jugé tout de suite en comparution immédiate, malgré le risque d'être placé sous mandat de dépôt, afin de pouvoir réunir des éléments utiles à la défense. Renoncer à demander une remise en liberté à la fin d'une instruction pour bénéficier des délais d'audiencement raccourcis, même si la pratique des audiences-relais diminue cet intérêt. Vous rendrez parfois autant service à votre client en l'aidant à accepter sa sanction qu'en l'aidant à y échapper. Et n'oubliez pas que désormais, notre rôle continue au-delà du jugement, au stade d'exécution de la peine. Qui mieux qu'un avocat peut monter un bon dossier de libération conditionnelle ? Le SPIP fait ce qu'il peut, et avec dévouement et abnégation parfois, mais vous êtes l'avocat, vous pouvez rencontrer les familles, contacter les employeurs, fournir des explications et des conseils, constituer des garanties que seul vous pouvez apporter. Par exemple, votre compte CARPA est un outil formidable pour l'indemnisation des victimes, puisque le simple relevé de dossier fournit au juge la garantie absolue que les fonds sont disponibles ou ont été effectivement versés.

Voilà, en quelques mots, c'est ça, être avocat de la défense. Entre autres. On en écrirait des traités. En apparence, c'est moins sexy que l'image qu'en donnent les fictions, ou qu'on peut avoir en fac où on fait du droit pur, tandis que dans les prétoires, le droit pénal est pollué de faits, de preuves qui n'en font qu'à leur tête, de mots malheureux, de sang, de larmes, bref, d'humain.

Mais en réalité, il n'en est que plus passionnant.

Notes

[1] Pour éviter les effets nocifs sur une politique sécuritaire d'une plaidoirie trop réussie, le législateur a prévu que c'est la personne poursuivie qui doit s'exprimer en dernier, afin de lui permettre de saccager la plaidoirie de son avocat.

[2] Sauf à l'occasion d'affaires politico-financières touchant certains de ces élus qui découvrent à cette occasion la machine judiciaire : les grandes lois des droits de la défense doivent beaucoup aux élus corrompus, que ce soit l'affaire de Panama pour la loi de 1898, l'affaire Péchiney-Triangle pour la loi de 1993, ou l'affaire URBA pour la loi de 2000.

vendredi 29 février 2008

Pan sur les doigts

Deux décisions disciplinaires, une d'ouverture de poursuites, une de sanction, ont attiré mon attention dans les numéros récents (voire plus que récents) du Bulletin hebdomadaire qui est distribué aux avocats.

Voilà une excellente occasion de rappeler à mes lecteurs que ma profession, si elle encourage la liberté de ses membres, ne manque pas d'en sanctionner les abus.

La première décision est une décision d'ouverture de poursuites, publiée dans le numéro 5 du 5 février 2008 :

Prise de contact et pressions à l’égard d’un tiers à l’occasion d’une émission de télévision hors la présence de son conseil et sans lui avoir indiqué qu’il pouvait être assistée d’un avocat. Manquement aux principes essentiels définis à l’article 1.3 du Règlement Intérieur du Barreau de Paris[1], d’humanité, honneur, délicatesse et modération ainsi qu’aux articles 5[2], 8.1[3], 8.2[4] et 8.3[5] relatifs aux rapports avec la partie adverse (3 avocats poursuivis).

Sans aucun doute, mes lecteurs auront compris de quelle émission il s'agit.

La deuxième concerne semble-t-il une affaire dont je n'ai pas parlé , et figure dans le Bulletin n°9 du 4 mars 2008 (d'où mon "plus que récent") :

La formation de jugement n°3 a eu à connaître de faits concernant un confrère qui, avocat d’une société étrangère propriétaire de droits d’auteur sur un jeu vidéo, a signé une série de lettres mécaniquement adressées à de multiples particuliers soupçonnés d’avoir téléchargé illégalement ce jeu sur internet. Dans sa mise en demeure, l’avocat laissait à ses interlocuteurs un délai de 14 jours pour lui adresser un engagement écrit de ne pas télécharger ni mettre à disposition le jeu concerné et pour en effacer ou supprimer toute copie. Au surplus, l’avocat sollicitait le paiement d’une somme de 400 euros en compensation des pertes de sa cliente, la dite somme devant être versée sur un compte bancaire ouvert à son nom, et joignait un formulaire de paiement.

Le conseil a estimé qu’en recopiant des modèles de mises en demeure étrangers, l’avocat avait volontairement omis d’inviter certains destinataires à consulter un conseil ce qui constitue une violation de l’article P 8.01 du Règlement Intérieur du Barreau de Paris[6]. Choisissant de reproduire une formulation agressive, destinée à provoquer des paiements, l’intéressé a également violé les dispositions de l’article 8.2 du Règlement Intérieur National qui précise que l’avocat s’interdit toute présentation déloyale de la situation et toute menace. En proposant un encaissement des règlements sur un compte autre que la Caisse des Règlements Pécuniaires des Avocats (CARPA), l’avocat a également violé les dispositions de l’article P75.2[7] du Règlement Intérieur du Barreau de Paris. Enfin, en refusant de rendre compte à la formation de jugement des encaissements ainsi réalisés, alors qu’elle l’avait été interrogé à deux reprises sur ce point, il s’est soustrait à ses obligations déontologiques. 

Décision : interdiction temporaire d’exercice de la profession d’avocat pendant une durée de 6 mois assortie de sursis. Privation du droit de faire partie du conseil de l’Ordre, du Conseil National des Barreaux et des autres organismes professionnels pendant une durée de 10 ans.

La contrefaçon de logiciel, c'est mal, me dit sans cesse Guillermito. Mais cela ne permet pas d'user de n'importe quels moyens pour lutter contre elle. Il en va de même pour la noble cause de la lutte contre les voisins bruyants et les plombiers indélicats.

Il n'était pas inutile que l'ordre le rappelât.

Notes

[1] Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.
L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.
Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

[2] L’avocat se conforme aux exigences du procès équitable. Il se comporte loyalement à l’égard de la partie adverse. Il respecte les droits de la défense et le principe du contradictoire.
La communication mutuelle et complète des moyens de fait, des éléments de preuve et des moyens de droit se fait spontanément, en temps utile et par les moyens prévus par les règles de procédure. Un avocat correspond avec un confrère par voie électronique à l'adresse figurant sur les documents professionnels de son correspondant.

[3] Chacun a le droit d’être conseillé et défendu par un avocat.

[4] Si un différend est susceptible de recevoir une solution amiable, avant toute procédure ou lorsqu’une action est déjà pendante devant une juridiction, l’avocat ne peut prendre contact ou recevoir la partie adverse qu’avec l’assentiment de son client. A cette occasion, il rappelle à la partie adverse la faculté de consulter un avocat et l’invite à lui en faire connaître le nom. Il s’interdit à son égard toute présentation déloyale de la situation et toute menace. Il peut néanmoins mentionner l’éventualité d’une procédure.
L’avocat, mandataire de son client, peut adresser toute injonction ou mise en demeure à l’adversaire de ce dernier.
La prise de contact avec la partie adverse ne peut avoir lieu qu’en adressant à cette partie une lettre, qui peut être transmise par voie électronique, en s’assurant préalablement de l’adresse électronique de son destinataire, rappelant la faculté pour le destinataire de consulter un avocat et l’invitant à lui faire connaître le nom de son conseil”.
Ces règles s’appliquent également à l’occasion de toute relation téléphonique, dont l’avocat ne peut prendre l’initiative.

[5] Lorsqu’une procédure est envisagée ou en cours, l’avocat ne peut recevoir la partie adverse qu’après avoir avisé celle-ci de l’intérêt d’être conseillée par un avocat.
Si la partie adverse a fait connaître son intention de faire appel à un avocat, celui-ci devra être invité à participer à tout entretien.
Dans le cadre d’une procédure où aucun avocat ne s’est constitué pour la partie adverse, ou d’un litige à propos duquel aucun avocat ne s’est manifesté, l’avocat peut, en tant que mandataire de son client, adresser à la partie adverse toute injonction ou mise en demeure ou y répondre.
Lorsqu’un avocat est constitué pour la partie adverse, ou lors d’un litige à propos duquel l’avocat adverse s’est manifesté, l’avocat doit correspondre uniquement avec son confrère.
Néanmoins, dans le cas où elles sont prévues par des procédures spécifiques, l’avocat peut adresser des lettres valant acte de procédure à la partie adverse, à la condition d’en rendre destinataire simultanément l’avocat de celle-ci.

[6] L’avocat ne peut prendre contact avec la partie adverse qu’avec l’assentiment de son client. Cette prise de contact ne peut avoir lieu qu’en adressant à cette partie une lettre s’inspirant des modèles constituant l’annexe III du présent règlement.

[7] Les règlements pécuniaires ne peuvent être effectués que par l’intermédiaire de la CARPA.
L’avocat doit déposer sans délai à la CARPA les fonds, effets ou valeurs reçus par lui en vue de procéder à un règlement pécuniaire.
Les opérations effectuées par chaque avocat sont retracées au compte CARPA du bâtonnier, dans un sous compte individuel ouvert au nom de l’avocat ou au nom de la structure d’exercice à laquelle il appartient. Les règles applicables au fonctionnement du sous compte individuel sont établies par le règlement intérieur de la CARPA auquel l’avocat est tenu de se conformer.
(...)
Les honoraires ne peuvent être prélevés du sous compte CARPA qu’avec l’accord préalable et écrit du client.
L’avocat ne peut disposer des fonds revenant à un mineur que sous le contrôle du juge des tutelles et un compte spécial doit être ouvert à cet effet à la CARPA.

jeudi 28 février 2008

Realpolitik

Nicolas Sarkozy regarde la Constitution de la 5e république et lui dit : 'casse toi, pauvre conne'.

EDIT : Damned, Maëster a eu la même idée que moi, mais en mieux, bien sûr.

mercredi 27 février 2008

Un coup porté à la liberté d'expression sur internet

Le coup est d'autant plus rude qu'il viendrait d'un confrère, Sylvie Noachovitch. Vous la connaissez peut-être si vous êtes insomniaques le vendredi soir : c'est une des avocates qui officie sur le plateau de l'émission de Julien Courbet ou des gens se font crier dessus au téléphone pendant qu'une vieille dame pleure en gros plan.Photo de SYlvie Noachovitch affichant son plus beau sourire

Cette consœur, outre sa carrière d'avocate et d'animatrice télé souhaite embrasser une carrière politique. Candidate malheureuse aux élections générales contre Dominique Strauss Khan dans la 8e circonscription du Val d'Oise (Cantons de Garges-lès-Gonesse Est, Garges-lès-Gonesse Ouest, Sarcelles Nord-Est, Villiers-le-Bel) en juin 2007 et à nouveau lors des élections partielles de décembre 2007 face à François Pupponi, à la suite de la démission du député élu, nommé à la présidence du FMI, elle brigue à présent la mairie de Villiers-le-Bel.

Et à l'occasion de la campagne qui s'annonce, elle semble avoir décidé de faire un grand ménage sur internet, pour ôter des billets qui ne lui étaient pas favorables. C'est ainsi que deux blogueurs au moins, Luc Mandret et Florian du blog RagZag, ont reçu un courrier électronique de mise en demeure d'avoir à retirer deux billets remontant à juin 2007 et faisant état de propos qualifiés de racistes qui auraient été tenus par ma consœur lors de la réunion d'un jury littéraire auquel elle participait.

Ce courrier, dont j'ai pu me procurer une copie, semble émaner de Sylvie Noachovitch en personne (je dis bien semble, il n'est pas revêtu d'une signature numérique). En tout cas l'auteur affirme être cette personne, et l'intéressée a confirmé sur Lepost.fr être à l'origine de ces démarches. Mais le fait que Lepost.fr publie cette information tend à me faire douter de sa véracité. Et son contenu ne fait qu'ajouter à mon trouble.

Ce courrier se veut une démonstration juridique, citation de jurisprudence à l'appui que :

la liberté d'expression n'est pas absolue, elle connaît des limites.

Je ne puis qu'acquiescer face à l'évidence.

Ces limites sont le nécessaire respect des droits et de la réputation d'autrui.

Là, je me racle la gorge. Pas plus que la liberté d'expression, le respect des droits et de la réputation d'autrui ne sont absolus. La loi doit arbitrer entre ces deux valeurs quand elles entrent en conflit.

Sur le plan civil, il est possible d'obtenir la cessation du trouble illicite dit l'auteur de ce courrier; et d'invoquer l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, en citant uniquement le 3e paragraphe. Je me permets de citer le texte dans son intégralité, il a, comment dirais-je ? Plus de saveur :

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

L'auteur ne semble avoir retenu que l'aspect limitation, sans avoir relevé que ces limitations sont elles même limitées : elles doivent être expressément prévues par la loi du pays signataire dudit Pacte.

Et voici que la même confusion est commise lors de la citation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le premier paragraphe est oublié, alors qu'il me semble assez pertinent en la matière :

Article 10 - Liberté d'expression 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'auteur du courrier en question n'a cru utile que de recopier cette partie :

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Vous aurez remarqué que là aussi, cette limitation doit être prévue par la loi du pays signataire.

Après ce passionnant rappel des sources internationales du droit, nous devrions voir arriver enfin les références de droit interne qui démontrent à l'évidence que notre impétrante est dans son bon droit.

La première est l'article 9 du Code civil.

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Suit une abondante jurisprudence sur cet article 9. Mais hélas, encore un oubli : l'expéditeur a oublié de préciser en quoi la vie privée de Sylvie Noachovitch était en cause ici, s'agissant de propos qui ont été tenus lors de la réunion d'un jury littéraire, portant sur la proportion de noirs et d'arabes dans la circonscription où elle était alors officiellement candidate, au peu d'appétence à la sensualité que ceux-ci provoquait chez elle, et à la sérénité que devait selon elle en tirer son mari quant à un éventuel adultère. Certes, sa fidélité d'airain à son légitime époux relève indiscutablement de la vie privée, mais en l'espèce, c'est Sylvie Noachovitch qui avait abordé le sujet, et sous forme d'une boutade ; en outre ce n'est pas ce point qui avait retenu l'attention des blogueurs mais plutôt les conclusions éventuelles à tirer de cette faible appétence revendiquée.

Je passe de la même façon sur le paragraphe sur la caricature, qui est juridiquement exact mais hors sujet, puisqu'il n'y avait aucun caricature dans le billet objet des foudres de ma consœur.

La deuxième référence est pénale, et me voici sur mes terres (et sur celles de ma consœur, puisqu'elle invoque le droit de la presse dans ses activités dominantes) : ma consœur ou celui qui prétend l'être invoque le délit de diffamation publique.

Il rappelle dans un premier temps la définition du délit :

Article 29 Al. 1er de la loi du 29 juillet 1881 : "Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés".

L'auteur ajoute ensuite que l’article 35 bis du même texte fait peser sur l’auteur de la diffamation une présomption de mauvaise foi, ce qui est exact. « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

Et il en déduit : « Autrement dit, il incombe au prévenu d’invoquer sa bonne foi en apportant la preuve de la vérité des faits diffamatoires ».

Patatras. Une vilaine confusion entre l'exception de bonne foi et l'exception de vérité. Ce qui est d'autant plus dommage qu'elle est de nature à induire en erreur le destinataire de ce courrier quand manifestement le but de l'expéditeur était de l'informer de bonne foi. Car ce sont deux choses différentes.

L'exception de vérité (article 35) consiste à apporter la preuve des faits diffamatoires, selon une procédure rigoureuse prévue à l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, tandis que l'exception de bonne foi (article 35bis) permet au diffamateur d'échapper aux poursuites en apportant la preuve qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait (c'est la formule employée par la jurisprudence, mes lecteurs s'en souviendront grâce à l'affaire Monputeaux commentée en ces pages en leur temps, dans lequel le tribunal a bien distingué l'offre de preuve, écartée, et l'exception de bonne foi, accueillie).

D'où mon doute de plus en plus grand sur la maternité de ma consœur de ce courrier : une avocate qui intervient habituellement en droit de la presse ne pourrait faire cette confusion, et encore moins ne voudrait-elle donner sciemment des informations erronées pouvant induire en erreur son interlocuteur, fût-il un adversaire potentiel : notre déontologie s'y oppose.

Surtout que les choses ne s'améliorent pas quand on lit juste en dessous : En cas de diffamation publique, l’auteur peut être condamné à 1 an de prison et/ou 45 000 euros d’amende. Ma consœur, elle, n'aurait pu ignorer que la loi du 15 juin 2000 a supprimé les peines d'emprisonnement pour la diffamation (article 90, III).

Ma confusion est à son comble quand l'auteur conclut en affirmant que la phrase « cette dame Noachovitch est une jeanne-foutresse » constituerait le délit de diffamation publique. Il n'aurait pas échappé à une avocate connaissant le droit pénal de la presse qu'une telle affirmation est une injure et non une diffamation, faute d'imputation d'un fait précis.

Enfin et surtout, l'auteur ignore l'article 65 de la loi, qui prévoit que les délits de presse comme la diffamation ou l'injure se prescrivent par trois mois ; or s'agissant de billets remontant aux élections générales de juin 2007, le délit était prescrit depuis belle lurette, et les poursuites en justice, au civil comme au pénal, se serait immanquablement heurté à une fin de non recevoir d'ordre public.

Bref, il n'y a pas d'atteinte à la vie privée, et les propos diffamatoires et injurieux que l'auteur pensait avoir relevé étaient en tout état de cause atteints de prescription.

Las, le charabia du courrier a impressionné ces deux blogueurs peu férus de droit et ils ont préféré mettre hors ligne les billets mis en cause.

Pour l'atteinte à la liberté d'expression, c'est trop tard. Mais j'invite ma consœur à se préoccuper du tort considérable à sa réputation que peut lui faire la personne qui manifestement se fait passer pour elle en envoyant des courriers électroniques signés de son nom qui sont aussi erronés en droit que malhonnêtes intellectuellement.

Après tout, je ne pense pas que les électeurs de Villiers-le-Bel pourraient accorder leur confiance à une candidate s'ils croyaient qu'elle pourrait user de telles méthodes.


PS : Merci de garder un ton aussi respectueux que le mien en commentaires.

mardi 26 février 2008

La loi sur la rétention de sûreté a été promulguée

Elle sera la loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, de son prénom JUSX0768872L.

lundi 25 février 2008

De la rétention de sûreté et de l'absence de retenue de l'exécutif

Comme promis, je reviens plus longuement sur le projet de loi sur la rétention de sûreté et ses péripéties constitutionnelles.

Tout d'abord, sur la loi elle même (texte intégral avant censure). Elle se divise en fait en deux parties, dont la deuxième a été totalement escamotée par la première : elle porte sur la réforme des procédures pénales en présence d'un auteur des faits atteint de démence.

Dans le cas d'une information judiciaire, le juge d'instruction devra désormais informer les parties (y compris le procureur de la République) qu'il existe des raisons plausibles de prononcer une irresponsabilité pénale. Les parties pourront présenter leurs observations et dire si elles demandent que le prononcé de cette irresponsabilité soit confié à la chambre de l'instruction, après un débat public et contradictoire, où le mis en examen, du moins son corps, comparaîtra si "son état le permet". Si personne ne le demande, c'est le juge qui rendra une décision, non plus baptisée "non lieu" mais "ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" qui précise qu'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés. C'est exactement la même chose qu'une ordonnance de non lieu rendue en raison de la démence de l'auteur des faits, mais on a changé les mots et appelé ça une réforme. Un grand classique.

Notons que si l'état du mis en examen ne permet pas sa comparution, il ne fait pas obstacle à sa détention provisoire, qui ne prend fin que par l'effet de l'ordonnance (ou l'arrêt si c'est la chambre de l'instruction qui statue) d'irresponsabilité pénale.

La loi prévoit également les modalités du prononcé des jugements d'irresponsabilité pénale devant les juridiction correctionnelles ou les cours d'assises quand l'irresponsabilité n'est pas relevée dès le stade de l'instruction.

J'émets pour ma part une prudente réserve. Cette audience n'apportera rien au malade mental, c'est certain, mais ce n'est pas le but. Il s'agit d'une audience faite pour les victimes, une sorte de thérapie judiciaire. Les psychiatres nous expliquent que cela peut effectivement aider les victimes à tourner la page du traumatisme de l'agression, mais préviennent que dans certains cas, cela peut être ravageur pour les victimes. Cela, j'en suis témoin. Simplement, ce sera au procureur et surtout à l'avocat des victimes de choisir s'il y a lieu de faire subir cette épreuve à son client. Lourde responsabilité face à un auteur irresponsable. L'ironie pourrait prêter à sourire.

Mais cette partie de la loi n'est pas scandaleuse en soi. Attendons les premières audiences pour voir ce que la pratique en fera.

C'est la première partie de la loi, sur la rétention de sûreté, qui concentre l'attention, et les critiques.

Que dit-elle, cette loi, du moins telle qu'elle a été voté ?

Tout d'abord, elle définit le domaine d'application de la loi. Les conditions ci-dessous sont cumulatives.

Elle est censée s'appliquer "à titre exceptionnel", mais on sait qu'en matière de justice, l'exceptionnel peut avoir une fréquence qui défie les lois des probabilités (par exemple, la détention provisoire est censée être exceptionnelle...). Bref, cette mention n'engage à rien et surtout ne protège en rien.

Elle s'applique aux personnes condamnées pour les crimes suivants : meurtre ou assassinat (qui est un meurtre prémédité), de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration sur victime mineure ou des mêmes crimes commis sur une personne majeure à condition qu'ils soient aggravés - hormis l'assassinat qui est déjà au sommet des peines. Par exemple, le viol est aggravé quand il est commis sous la menace d'une arme, ou en réunion ; le meurtre est aggravé quand il est commis sur la personne d'un pompier, d'un concierge ou d'un avocat (ce dernier point me paraissant indiscutable) ; l'enlèvement est aggravé quand il s'accompagne d'une demande de rançon ou accompagne un autre délit (prise d'otage lors d'un braquage).

Elle s'applique si la peine prononcée est d'au moins quinze ans de réclusion criminelle.

Enfin, la cour d'assises doit prévoir lors du prononcé de la peine la possibilité de recourir à une rétention de sûreté à l'issue de la peine.

La mise en œuvre relève de l'usine à gaz. Accrochez-vous.

Un an avant la date prévue pour la libération, la Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sûreté examine le dossier de l'intéressé. Un mot sur la CPMS, pour montrer que le législateur affectionne l'imbrication des usines à gaz. La loi renvoie pour la définition de la CPMS à l'article 763-10 du code de procédure pénale, insérée par la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive (qui n'a rien à voir avec la loi sur les peines planchers d'août 2007, également destinée à lutter contre la récidive : le législateur a des idées géniales à un rythme effréné, ce n'est pas sa faute). Que dit cet article 763-10 ? Il nous parle de « la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté composée selon des modalités déterminées par le décret prévu à l'article 763-14 ». En effet, l'article 763-14 nous dit qu' «un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent titre. Ce décret précise notamment les conditions dans lesquelles l'évaluation prévue par l'article 763-10 est mise en œuvre ». Ce décret n'a, à ma connaissance, jamais été pris. Bref, la commission multidisciplinaire en question n'existe toujours pas, ce qui donne l'empressement du gouvernement à vouloir appliquer tout de suite sa loi un petit côté comique. A moins qu'en fait, le gouvernement ne soit du côté des assassins ? Rectification, le décret a bien été pris le 1er août 2007. Ce qui fait que je découvre avec désespoir que mon CPP Dalloz 2008 était déjà dépassé en août 2007, date de son dépôt légal...

Bon, supposons pour la suite de notre propos que cette Commission soit un jour créée. On n'est pas à une fantaisie près dans cette loi.

Cette commission doit évaluer si l'intéressé présente ou non une "particulière dangerosité", notamment sur la base d'une expertise psychiatrique réalisée par deux experts.

Si cette "particulière dangerosité", qui n'est pas définie par la loi et sera donc laissée à la discrétion des psychiatres, est retenue, la commission pourra proposer la mise en place de la rétention de sûreté, à deux conditions cumulatives :
les obligations pouvant être prononcées dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire (période de surveillance post-peine instaurée par une loi Guigou de juin 1998, qui commence à peine de s'appliquer pour les crimes vu la longueur des peines en question) ou une surveillance judiciaire (créée par la loi Clément du 12 juillet 2005, déjà citée, qui ne s'applique que pendant le laps de temps entre la libération et la fin de la peine telle qu'elle a été prononcée), ou de notification du domicile résultant d'une inscription au FIJAIS, sont insuffisantes ;
ET la rétention est l'unique moyen de prévenir la commission de ces infractions, dont la probabilité doit être "très élevée" (la loi là encore ne donne pas les instructions pour calculer cette probabilité).

Qu'advient-il de cette proposition ?

Elle est transmise au procureur général (le chef du parquet d'une cour d'appel) qui saisit la Juridiction régionale de la Rétention de Sûreté (JRRS). Merci au législateur d'avoir éviter le terme de commission s'agissant d'une formation de trois conseillers de la cour d'appel.

Trois mois avant la libération de l'intéressé se tient devant la JRRS une audience, au cours de laquelle l'intéressé doit être assisté d'un avocat. Il peut demander une contre expertise qui ne peut être refusée. L'audience se tient en principe à huis clos mais à la demande de l'intéressé elle peut être publique. La JRRS peut à l'issue de ce débat prendre une décision de placement en rétention de sûreté d'une durée d'un an, dans un établissement "médico-socio-judiciaire". Il ne lui manque que la mention "durable" pour être totalement hype. L'intéressé, désormais retenu, peut faire appel de cette décision devant la Juridiction Nationale de la Rétention de Sûreté (JNRS), formation spéciale de la cour de cassation. En outre, il peut saisir à nouveau la JRRS au bout de trois mois pour qu'il soit mis fin à sa rétention de sûreté (et rebelotte en cas de refus au bout de trois mois), celle-ci devant en tout état de cause y mettre fin dès que les conditions ne sont plus remplies, sans que la loi ne précise les modalités de cette saisine d'office.

La décision qui met fin à la rétention de sûreté peut, si la personne présente des risques de réitération, y substituer une mesure de surveillance de sûreté (SS), qui est en fait une surveillance judiciaire prévue par la loi du 12 décembre 2005, mais pouvant s'étendre au-delà de la peine telle qu'elle a été prononcée. Cette surveillance dure là encore un an renouvelable ; la violation des mesures de surveillance peut entraîner le placement en rétention de sûreté. La décision de placement sous Surveillance de Sûreté peut faire l'objet d'un recours devant la JNRS, mais il n'est pas possible d'en demander la levée avant terme, contrairement à la Rétention de Sûreté, la loi ne prévoyant pas une telle possibilité.

Enfin, point important : la rétention de sûreté est inapplicable à un prisonnier qui a bénéficié d'une libération conditionnelle : il relève alors du régime et de la surveillance de cette mesure (qui pour être accordée suppose que le juge d'application des peines ne redoute pas une réitération à la sortie, de toutes façons).

Voici en gros la loi telle qu'elle a été présentée au Conseil constitutionnel.

A un détail près : son article 13, article marqué du sceau de l'infamie dès sa numérotation. Le gouvernement voulait absolument que cette loi soit applicable immédiatement, tant on sait que l'actuel président veut écrire son action dans l'immédiat : or une loi dont les premiers effets n'auraient pas lieu avant au mieux une douzaine d'années, c'est inconcevable pour lui. D'où le recours à une rhétorique des plus nauséabondes : les personnes concernées sont des monstres, on publie même leur nom, et leurs futures victimes sont là, blotties, tremblantes d'effroi contre le président qui veut les protéger et "on" veut l'en empêcher. Et une nouvelle usine à gaz, que je vous décris rapidement car il serait dommage qu'un tel chef d'œuvre disparût dans les limbes où l'a envoyé la décision du Conseil constitutionnel.

Pour les personnes exécutant à la date du 1er septembre 2008 une peine entrant dans le champ d'application de la loi (15 ans pour un des crimes cités plus haut), l'article 13 prévoyait, à titre exceptionnel (je vous renvoie à ce je disais plus haut sur le sens à donner à ce terme), la possibilité de leur placement en Rétention de Sûreté selon les modalités suivantes :
Le procureur général de la cour d'appel dont dépend la cour d'assises qui a prononcé la condamnation (même si le condamné est détenu depuis presque quinze ans fort loin de là) demandait au juge d'application des peines son avis sur l'opportunité de la mesure, puis, quel que soit cet avis, saisissait la chambre de l'instruction de la cette cour d'appel qui faisait comparaître le condamné (amené donc exprès pour cela sous escorte) afin que se tienne un débat qui pouvait aboutir, si la cour constatait qu'il résultait de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de cette personne, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité, susceptible de justifier, à l'issue de sa peine, un placement en rétention de sûreté, que faisait-elle ? Elle avertissait cette personne qu'elle pourrait faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.

Une fois cet avertissement donné à grands frais, on retombait sur les rails de la procédure ordinaire avec saisine de la Commission Pluridiscinaire des Mesures de Sûreté.

C'est cette procédure d'avertissement solennel destiné à suppléer au fait que la cour d'assises n'avait pas donné son feu vert pour une éventuelle rétention de sûreté qu'a censuré le Conseil constitutionnel au motif (§10) que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Cependant, le Conseil n'a pas fermé toutes les portes à aune application immédiate, sauvant ainsi l'article 13 de l'annihilation. Il n'a pas censuré, mais sans expliquer pourquoi, le III de l'article 13, qui prévoit la possibilité de prononcer une Rétention de Sûreté lorsqu'une personne faisant l'objet d'une surveillance de sûreté après une surveillance judiciaire ou un suivi socio judiciaire, ne respecte pas ses obligations et que ce non respect révèle que le Surveillé présente "à nouveau" une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau une infraction.

Voici qui nécessite quelques explications.

La Surveillance Judiciaire (SJ) dont je parlais plus haut couvre la période de réduction de peine, c'est à dire entre la remise en liberté de la personne par l'effet des réductions de peine et la fin absolue de la peine. Exemple : Une personne est condamnée à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'un concierge (homicide volontaire aggravé, art.221-4, 4° du code pénal). Elle ne bénéficie pas d'une libération conditionnelle à mi-peine. Mais elle bénéficie d'un crédit de réduction de peine de 31 mois (trois mois pour la première année et deux mois par année supplémentaire). Elle pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire pendant ces 31 mois, jusqu'au 15e anniversaire de sa condamnation.

Le suivi socio-judiciaire (SSJ) est une période de suivi post-peine. Elle doit être prononcée lors de la condamnation et peut, pour les crimes, aller jusqu'à 20 ans. Il s'agit d'une création d'une loi Guigou de juin 1998. Elle a donc dix ans. Autant dire qu'elle commence tout juste à s'appliquer pour les crimes. Ce qui ne l'a pas empêché d'avoir été modifiée par la loi Perben II : pour les crimes postérieurs au 10 mars 2004 et puni de 30 ans de réclusion criminelle ou de la perpétuité, le SSJ est automatiquement de 30 ans, et peut être prononcé sans limitation de durée en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. La surveillance judiciaire et le suivi socio judiciaire sont compatible : le second commence quand la première prend fin.

Il nous faut donc dans cette hypothèse :
-Que le condamné ait purgé sa peine de détention ;
-Ait été l'objet d'une surveillance judiciaire ou d'un suivi socio judiciaire (ou des deux) ;
-Qu'à l'issue de ces deux mesures, sans qu'il ait bien sûr réitéré sinon il serait déjà incarcéré, la Commission Pluridisciplinaire qui n'existe toujours pas décide de le placer par période d'un an renouvelables sous surveillance de sûreté ;
-Qu'au cours de cette surveillance de sûreté, il ne respecte pas une de ses obligations ;
-Que cette violation de ses obligation révèle qu'il est très probable qu'il passe de nouveau à l'acte ;
-Et bien sûr qu'il ne soit pas mort de vieillesse dans l'intervalle parce que là on en est au moins à 20 ans après sa condamnation.

Il y aurait donc bien sanction, mais pour des faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui suffit à apaiser le courroux du Conseil.

Jules de Diner's Room a une autre théorie sur la bienveillance du Conseil sur cette disposition : cet article 13-III ne serait tout simplement pas applicable, puisqu'il reposerait sur une condition impossible matérialisée par les mots "à nouveau" : il faudrait EN OUTRE que le Surveillé ait déjà fait l'objet d'une mesure de Rétention de Sûreté pour justifier qu'il soit à nouveau d'une dangerosité telle qu'il faille le placer en Rétention de Sûreté. Je ne suis pas sûr que le Conseil ait voulu dire cela (le commentaire aux Cahiers ne le laisse pas croire) mais voici un superbe argument juridique pour les amis des assassins avocats de la défense confrontés à un risque de placement en rétention de leur client dont le seul crime est de trop aimer les enfants.

En tout cas, le président de la République semble quant à lui hors d'atteinte de tout risque de retenue, puisqu'il a fait savoir par l'ex futur maire de Neuilly qu'il allait demander à Vincent Lamanda, premier président de la cour de cassation, de réfléchir au moyen de faire entrer en vigueur immédiatement ces dispositions.

Las, le président se heurte à ce dont je parle souvent ici : cette psychorigidité des magistrats dès lors qu'il s'agit d'appliquer la loi. Le premier président a fait savoir, avant même de recevoir sa lettre de mission, qu'il refusait tout de gob toute remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel sous le fallacieux prétexte que la Constitution l'interdirait.

J'aurais encore beaucoup de choses à dire mais j'ai déjà été trop long. Je ferai un deuxième billet si nécessaire.

Une chose simplement. Bien que ce sujet mêle inextricablement politique et droit, tous les commentaires visant à attaquer la personne du président de la République, à invoquer les mânes d'un régime de sinistre mémoire mais disparu il y a 63 ans, ou les propos de charretier entendu au Salon de l'agriculture seront supprimés. J'ai un peu trop été pris pour un forum des colleurs d'affiche anti-Sarkozy ces derniers temps. Mon humeur n'est plus à la tolérance, la France perdu face à l'Angleterre.

A bon entendeur...

dimanche 24 février 2008

Pïqûre de rappel

C'est ce soir.

samedi 23 février 2008

Chérie, devine qui vient bruncher ce soir ?

Mon cœur mon cœur ne t'emballe pas
Fais comme si tu ne savais pas
Que l'Anglais est revenu !
Mon cœur arrête de répéter
Qu'on va venger l'affront de cet été
De l'Anglais qui est revenu !
Mon cœur, arrête de bringuebaler
Souviens-toi qu'il nous a déchiré,
L'Anglais qui est revenu !
Mes amis ne me laissez pas !
Dites-moi dites-moi qu'il y a de la bière au froid
Maudit Anglais, puisque te v'là !

The crunch ! France - Angleterre, comme un parfum de revanche de cette maudite demi-finale de la coupe du monde.

Je ne reviens pas sur notre inimitié cordiale. Tout a déjà été dit. J'ai hâte de voir les petits jeunes face à une opposition coriace, rusée, et solide. Ca promet.

Juste un bref état du Tournoi à la veille de cette troisième journée.

1er : la France, 4 points, différentiel de +26.
2e : Pays de Galles, 4 points, différentiel de +22.
Seuls ces deux pays peuvent encore prétendre au Grand Chelem.
3e : l'Irlande. 2 points, +26.
4e : l'Angleterre, 2 points, -3.
5e : l'Italie, 0 point, - 9.
6e et dernier : l'Ecosse, 0 point, -36

A table !

Gascogne est confortablement avachi dans un fauteuil, son chapeau de mousquetaire orné d'un panache tricolore, ses bottes posées sur un pouf ; Eolas est lui aussi dans un fauteuil, une kro à la main, dans sa robe de supporter bleue herminée de bleu blanc rouge. D'une télé s'échappe les paroles d'un hyme : 'God bless our precious queen, cause we ain't gonna win...'. Eolas demande : 'C'est bon, les filles, vous êtes sûres que ça ne vous dérange pas qu'on regarde le match ?' Derrière eux, Fantômette, en robe d'avocat avec le célèbre bonnet à pompon a un pot de peinture rose, et Dadouche, coiffée comme la princesse Léia, regarde un échantillon de papier peint fushia orné de coeurs roses. Fantomette répond : 'Non, pas du tout. Avec Dadouche, on parlait justement de refaire la déco. Ne vous occupez pas de nous.'

Le conseil constitutionnel censure partiellement le projet de loi sur la rétention de sûreté

Ca alors. L'application immédiate aux personnes déjà condamnées est contraire à la Constitution.

C'est vraiment totalement inattendu.

Là, le Gouvernement va droit dans le mur et je doute qu'il puisse l'ignorer. (...) Ici, la loi crée une possibilité de privation de liberté pour une durée indéterminée, les périodes d'un an étant renouvelables de manière illimitée jusqu'au décès du condamné, et la déclare applicable à des faits où cette possibilité n'existait pas au moment où ils ont été commis. C'est une mesure moins favorable au condamné, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'imagine pas un seul instant que le Conseil constitutionnel laissera passer une chose pareille sous prétexte qu'on l'aurait affublé du cache-sexe de « mesure de sûreté », surtout quand on sait qu'y siège un ancien premier président de la cour de cassation (et un condamné en puissance diront les mauvaises langues, ce que je ne suis pas).

La suite est au moins aussi inattendue.

En somme, le gouvernement se prépare à nous refaire le coup de la réductibilité des intérêts d'emprunt, dit le coup de la bonne du curé : « J'voudrais bien, mais j'peux point ». Puisque cette prolongation de surveillance judiciaire ne concerne que les condamnés à quinze ans au moins, elle n'entrerait concrètement en vigueur que douze ans après le vote de la loi au mieux, quand les condamnés à quinze ans commenceront à devenir libérables. Pour un président qui inscrit son action dans l'immédiateté et le résultat instantané, le voilà contraint de se projeter dans l'avenir, pire : dans l'après lui, et on sait que ce n'est pas dans la nature du personnage.

Non, c'est pas le genre de la maison.

Nicolas Sarkozy persiste à souhaiter une application immédiate de la rétention de sûreté pour les criminels jugés dangereux, et a demandé au président de la Cour de cassation de mener une réflexion sur ce sujet après le revers subi jeudi au Conseil constitutionnel.

Récapitulons.

Constitution de la République française :

Article 5. - Le Président de la République veille au respect de la Constitution.

Article 66. - Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.

Et là, nous avons un président qui demande à un des plus hauts représentants de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, de l'aider à faire en sorte qu'une disposition législative rétroactivement privative de liberté déclarée contraire à la Constitution puisse être néanmoins appliquée.

Justification de ce coup d'Etat light ?

"L'application immédiate de la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés (...) reste un objectif légitime pour la protection des victimes".

En plus, comme ces victimes n'existent pas, puisqu'on parle de crimes "susceptibles de se produire", aucun risque d'être contredit par celles-ci. C'est pratique.

Moi, en tout cas, je trouve que tout va bien. Pas vous ?

(Je reviendrai plus en détail sur cette décision et sur la loi telle qu'elle va entrer en vigueur).

vendredi 22 février 2008

Tranche de greffe

Par Gwenwed.


Décidément, Gascogne inspire du monde, avec son rêve de vie d'avocat ! Pour ne pas être en reste, c'est une greffière en chef de tribunal d'instance[1], qui signe Gwenwed en commentaires, qui nous propose une incursion d'une semaine dans la peau d'un chef de greffe. Le greffier en chef, c'est le chef des greffiers, qui ne sont pas les secrétaires des tribunaux. Certes, ils rédigent, mais ils sont indépendants des magistrats car leur rôle est d'authentifier le jugement en le signant et en le revêtant du sceau de la République, baptisé à tort "la Marianne"[2], sans lequel le jugement n'est qu'un bout de papier A4. Il est aussi surintendant des finances du tribunal : c'est lui qui gère le budget, passe les commandes et règle les factures. Quand il le peut, vous allez voir. Il reçoit les minutes des jugements, c'est à dire les originaux des archives. Enfin, il est investi de tâches quasi-juridictionnelles puisque depuis 1993, il délivre les certificats de nationalité française, reçoit les consentements à l'adoption, appose les scellés, délivre les procurations pour voter etc. Mais je ne veux pas déflorer le sujet.

Nous sommes lundi matin, le réveil a sonné, une bonne douche, une tasse d'Assam bien serré, et c'est parti...

Eolas


Lundi :

8h : j’arrive au tribunal à pas mesurés : le verglas sur le parvis rend chaque pas risqué.

Une greffière est déjà là. A pied d’œuvre depuis 7h, comme chaque jour. Elle a gardé manteau et écharpe. « Bonjour, j’espère que tu as prévu les mitaines il n’y a pas de chauffage ».

Hum, je savais bien que j’aurais dû rester au lit. Le coup de la panne de chaudière dès le lundi matin, ça motive pour la semaine !

Me voilà partie, téléphone portable à la main (le mien, bien sûr, la juridiction ne disposant d’aucun « sans fil ») au deuxième sous-sol. Plantée devant la chaudière, j’appelle le chauffagiste qui tente un diagnostic en ligne et me promet de passer dans la semaine. Je négocie : la palais est ancien, un vrai nid à courants d’air. Nous allons geler sur place, ça ferait désordre. Il comprend. Si quelqu’un est là, il veut bien venir entre midi et deux. Qu’à cela ne tienne, je pique-niquerai sur mon bureau, mon clavier n’est plus à quelques miettes près…

8h30 : première étape de la journée, la lecture des mails : les JO du week-end d’abord, puis les messages de boulot. La Cour d’appel convoque tous les directeurs de greffe à une réunion budgétaire jeudi après-midi. Encore une demi-journée de travail perdue en perspective…

9h : le courrier est là. Je l’ouvre et constitue des piles pour chaque agent. Laborieux, certes, mais cela permet d’avoir un œil sur l’activité du tribunal et de garder à l’esprit que quand mes fonctionnaires me disent qu’elles sont débordées, c’est un très doux euphémisme. La pile des tutelles est de loin la plus dense. La mienne est bonne deuxième : demandes d’attestations de non-PACS de la part des notaires, de certificats de nationalité…

Deux lettres de rappel viennent rejoindre leurs camarades dans une volumineuse pochette : annualité budgétaire oblige, tous les paiements ont été arrêtés mi-décembre. Nous sommes mi-février et les crédits de l’année n’ont toujours pas été débloqués. Les factures s’accumulent donc. En outre, je ne peux passer aucune commande : le greffe vis sur les réserves de fournitures réalisées en fin d’année, mais plus pour longtemps : le chômage technique nous guette et je soupçonne mes greffières d’apporter leur propre papier toilette pour parer toute pénurie.

Peut-être la réunion budgétaire augure-t-elle de bonnes nouvelles ? Dans le doute, je prépare toutes mes factures : elles doivent pouvoir partir dès que le feu vert aura été donné. Idem pour les commandes les plus urgentes.

J’entame donc mon tour des bureaux : qui a besoin de quoi ? Pochettes roses pour les tutelles, jaunes pour le civil, surligneurs pour le magistrat ( « de marque, si possible, les premiers prix ne survivent pas trois jours » ), enveloppes : grandes, petites, avec ou sans fenêtre…

La fonctionnaire de l’accueil m’interpelle entre deux bureaux : une procuration de vote à signer. Les municipales approchent…

12h : sandwich dans une main, catalogue de fournitures dans l’autre, je peaufine mes commandes en attendant le chauffagiste.

14h : les couloirs du tribunal commencent à retrouver une température décente. On m’appelle à l’accueil : une « natio[3] ». Petite juridiction oblige, de l’accueil à la délivrance, le service nationalité, c’est moi.

Un couple souhaite constituer un dossier de demande de nationalité française par mariage. Elle, 23 ans, est russe. Lui, 71 ans, est français. Ils ont célébré leurs deux ans de mariage la semaine dernière et lorsqu’il parle d’elle, il dit « cette dame ». C’est dire s’ils sont intimes.

Je leur explique que la loi a changé et qu’il faut désormais quatre années de mariage et que même alors, rien n’est acquis : il y a un dossier assez lourd à constituer, des enquêtes pour s’assurer de la communauté de vie et de la « réalité des liens affectifs » : une procédure d’au minimum un an. Il lui jette un regard accusateur : « on m’avait dit que c’était pour deux ans ».

Je retourne à mon budget : il faut impérativement que je peaufine mes demandes pour pouvoir défendre mon bout de gras, ou plutôt mon quignon, à la réunion de jeudi…. Entre le téléphone et les procurations, difficile de rester concentrée. A 18h, je me résous à transférer mes tableaux budgétaires sur ma clé USB : je ferai ça à la maison…

Mardi :

E-mails, courrier… le rituel recommence. La pile des comptes annuels de gestion de tutelle commence sérieusement à monter ; ce sont mille dossiers, au total, qu’il va me falloir étudier comme chaque année : vérifier les dépenses, les comptes bancaires, s’assurer que le tuteur ne détourne pas l’argent de son protégé, qu’il demande bien l’autorisation du juge pour chaque dépense importante… Un travail de titan, souvent mené à bien à la faveur de l’accalmie estivale.

Téléphone… « Madame Lampoix, pour une nationalité », m’annonce-ton.

« Bonjour Madame, voilà, j’ai voulu refaire ma carte d’identité pour les élections, et la mairie me demande …. Aahh, attendez, je l’ai noté là….

J’anticipe, la suite, je la connais par cœur :

- un certificat de nationalité française ?

- oui, c’est ça. Alors, c’est quoi ? Je suis française, moi, j’ai 52 ans et on ne m’a jamais rien demandé avant ! C’est nouveau ?

Le juge entrouvre la porte. Je lui fais signe d’entrer…

- non, madame, le certificat de nationalité n’a rien de nouveau, ce sont les instructions données aux préfectures qui ont changé. Cette demande est devenue systématique si vous ou vos parents êtes nés à l’étranger.

Commencent le jeu de question réponse classique :

- Où êtes vous née ?

- A Tananarive (argh, Madagascar, je sais pas pourquoi, je sens que je vais ramer ! )

- Et vos parents ?

- Ma mère à Hanoï et mon père à N’Djamena … ( qu’est-ce que je disais ! ).

Impossible d’en savoir plus par téléphone. Je lui énonce une première liste de pièces dont je vais avoir besoin, lui précise qu’il en faudra peut-être d’autres après étude de son dossier. Je sens qu’elle panique, qu’elle ne comprend pas. Elle me répète qu’elle a toujours eu des papiers français, ses parents aussi : son père était militaire dans l’armée française, son grand-père également.

Je la rassure. Si les pièces dont elle dispose sont insuffisantes pour déterminer comment elle est française, on fera jouer la possession d’état sur deux générations. Elle aura de toute façon son certificat la semaine prochaine. Rendez-vous est pris après demain, pour qu’elle me remette son dossier, je veux pouvoir trier les pièces avec elle pour pouvoir lui demander sur le champ des précisions, si besoin.

Je raccroche. Le magistrat me regarde, embarrassé : «M. Dubois m’a appelé : je le connais un peu, il a fait des travaux chez moi. Il s’inquiète de n’avoir toujours pas été payé pour le changement de vitre début janvier… » . Effectivement, l’artisan avait accepté d’intervenir en urgence après que quelques fêtards du nouvel an aient pris la juridiction pour cible et brisé la plus haute vitre de la porte du palais : échafaudage, lourde grille en fonte à déposer puis reposer, la note est salée et je n’ai toujours pas l’ombre d’un euro sur mon budget. Je promets de l’appeler et m’engage à faire passer sa facture en premier lorsque les crédits seront débloqués. Ce genre de retard met souvent en péril les petits artisans qui ont peu de trésorerie, et pourtant, les instructions sont de faire passer en priorité les sociétés d’électricité ou de gaz, qui appliquent automatiquement les intérêts moratoires en cas de retard…

14h : Téléphone : « Bonjour, office HLM de Troupaumé, je souhaiterais parler au greffier en chef s’il vous plait. ». Là, pour tout vous dire, j’ai une furieuse envie de me planquer sous le bureau et de dire que, non, désolé, de greffier en chef, ici, il n’y en a plus, vous savez, avec la réforme de la carte judidciaire et tout ça… Car je sais d’avance le cauchemar qui me guette. La bête noire du greffier en chef de tribunal d’instance : l’apposition de scellés.

Quand j’entends ce dernier mot, une sorte de mécanisme d’autodéfense se met en route et je repasse mentalement tous les arguments dissuasifs dont je dispose (et je vous assure que je fais de mon mieux pour en enrichir la liste à chaque appel !).

De quoi s’agit-il concrètement ? Sur le papier, c’est simple : quelqu’un est mort et, au choix, n’a pas d’héritier connu ou a au contraire une descendance qui rêve de tout rafler avant son frère / sa mère / sa cousine (rayez la mention inutile). On me demande donc de venir inventorier les biens du défunt et d’apposer des scellés afin d’éviter que des biens ne « disparaissent ».

Pourquoi est-ce un cauchemar ? Parce que, déjà, ça n’a rien d’agréable d’aller fouiller les tiroirs d’un mort qu’on ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Ensuite et surtout, parce que dans l’immense majorité des cas, il s’agit de personnes démunies, qui vivaient seules, dans des conditions d’hygiènes douteuses. Je vous passe les détails et les anecdotes.

Et l’office HLM, dans tout ça, me direz-vous ? Il veut récupérer son appartement, pardi ! Il souhaite donc être autorisé à « cantonner » les biens dans un garde-meuble pour libérer le logement.

Après un échec flagrant de mes échappatoires, je me résous à apposer. Je m’enquiers cependant de l’état du logement. Heureusement ! L’office m’informe que le défunt a été découvert dans sa baignoire 10 jours après son décès et que les insectes grouillent. Je vous laisse imaginer. Je vais faire venir un service de désinsectisation et de nettoyage. L’apposition attendra la semaine prochaine….

Mercredi :

C’est le jour des enfants. Je sais d’avance que je vais être interrompue fréquemment par des demandes de nationalité. Quant aux procurations, je continue de plus belle à distribuer des autographes. Il faudrait quand même qu’on m’explique pourquoi cette attribution n’est pas délégable aux greffiers…

10h : Un jeune garçon m’attend pour constituer un dossier d’acquisition de nationalité par « naissance et résidence ». Rien de complexe : il suffit de prouver que ses parents sont en situation régulière, qu’il est né en France et qu’il y a résidé les cinq dernières années. Des certificats de scolarité font l’affaire. Il me tend son acte de naissance. Surprise ! Les parents, de nationalité algérienne, sont tous deux nés en France. L’enfant a donc toujours été français. Cela n’a semble-t-il pas effleuré les services de la préfecture, qui lui ont délivré un « titre républicain d’identité », équivalent, pour les mineurs, du titre de séjour. Le dossier de déclaration de nationalité devient donc une demande de certificat de nationalité.

10h15 : Encore un jeune homme, 17 ans. Il vient « pour le service militaire ». La première fois, j’avoue que j’ai eu du mal à saisir. En fait, il vient demander un certificat de nationalité française, qui lui permettra de ne pas aller faire son service militaire en Turquie. Il a acquis la nationalité par naissance et résidence à l’âge de treize ans.

Liste des pièces en main, je lui explique ce dont j’ai besoin.

- Votre déclaration de nationalité…

- J’ai pas ça, madame !

- Mais si, vous l’avez. C’est inscrit sur votre acte de naissance. Vous êtes venu ici quand vous aviez 13 ans pour devenir français.

- Moi chuis français, m’dame, chuis né en France !

Et de lui expliquer que, non, il n’est pas français parce qu’il est né en France, mais bien parce qu’il a souscrit une déclaration de nationalité…

- Vous l’avez certainement. C’est un papier très important, qui prouve que vous êtes français, vous ne pouvez pas l’avoir perdu. Demandez à votre maman, elle l’a forcément gardé.

Il traduit mes propos à sa mère, qui fouille dans son sac et sort une pochette. Bien sûr qu’elle l’a gardée. Elle l’a même faite plastifier pour qu’elle ne soit pas abîmée. Bien plus que son fils elle connaît la valeur de ce sésame.

19h30 : j’ai enfin bouclé mes tableaux budgétaires pour la réunion de demain. Je les donne pour info au juge, qui est encore là,. Au milieu d’une chaîne de montagne constituée de dossiers de tutelle, de saisies des rémunérations et de contraventions de 5è classe, il lui reste peut-être un demi mètre carré pour écrire : le bureau ancien dont il dispose est certes très joli, mais loin d’être fonctionnel…

Jeudi :

Je tente de traiter un maximum de choses avant de partir à la Cour (2h30 de route aller-retour, plus la durée de la réunion qui ne va pas manquer de s’éterniser...).

Les demandes de congés pour les vacances de Pâques : j’ai juste à officialiser, l’organisation s’est faite comme toujours autour du café du matin. Tout le monde s’est mis d’accord sans problème. J’ai la chance d’être à la tête d’un greffe qui roule tout seul, ou presque.

Une greffière m’appelle pour un problème informatique. Je revêts une de mes multiples casquettes : celle de « CLI », correspondant local informatique. Quelques bidouillages plus tard, l’affaire est réglée, mais on me demande au téléphone. Les services des statistiques du ministère ont constaté des divergences entre les chiffres que j’ai envoyés, comme chaque mois, et ceux relevés automatiquement sur nos logiciels. Je suis aimablement priée de procéder à un « comptage manuel ». Ca attendra.

A peine raccroché, cela sonne à nouveau. Encore une apposition de scellés. Décidemment, ce n’est pas ma semaine. Cette fois c’est le notaire qui me demande de venir, le lendemain matin à 10h. Je lui explique que généralement, c’est moi qui fixe les rendez-vous aux justiciables et non l’inverse. « Je suis désolé, c’est un peu particulier…

- mais encore ?

- tous les enfants sont dans la maison de leur père, décédé hier. Chacun surveille l’autre. Le seul point sur lequel ils sont d’accord, c’est qu’ils veulent que l’apposition soit faite immédiatement après la levée du corps.

- charmant … va pour demain 10h».

Reste à savoir qui va partager cette réjouissance avec moi : il faut y aller à deux. J’essaie de changer de fonctionnaire à chaque fois. Une fois la volontaire désignée, je m’échappe pour ne pas être en retard à la Cour.

14h : La réunion devrait commencer, mais pour l’instant, nous sommes trois.

14h30 : La ponctualité ne paie pas. A tout seigneur tout honneur, on commence par le budget de la Cour d’Appel, puis celui des TGI du ressort les TI ne passeront qu’ensuite. Une bonne nouvelle tout de même, 30% du budget vont être alloués. Nous allons enfin pouvoir payer les factures et passer les commandes les plus urgentes.

On examine les demandes « de programme » (c'est-à-dire d’investissement, par opposition aux demandes « de base »). Deux heures à entendre parler de télésurveillance, portiques de sécurité et caméras. Deux portiques pour la Cour : c’est le budget annuel de mon TI.

16h45, c’est enfin mon tour. Je n’ai qu’une demande. La même depuis trois ans : j’aimerais une rampe d’accès handicapés sur le parvis. J’ai fourni deux devis. « Il en faut trois ». J’ai ceux des années précédentes. Je tente de leur faire comprendre qu’au bout de 3 ans, les artisans en ont marre de se déplacer et de perdre du temps à refaire toujours les mêmes devis alors que les travaux ne sont jamais réalisés. Alea jacta est. Réponse dans quelques semaines. Je n’ai guère d’espoir. Je reprends la route pour rejoindre mes pénates, en pensant à tout ce que j’aurais pu faire si j’étais restée au bureau.

Vendredi :

9h : Pliées de rire, la greffière et moi comparons nos tenues de combat pour l’apposition de scellés : survêtement de la belle époque où « Macumba » dominaient le top 50 et tennis qui se souviennent de la victoire de Noah à Rolland-Garros pour elle, combinaison façon Valérie Damidot, mais en pire, pour moi : on sent l’expérience. Un coup d’œil à la mallette pour être sûres de ne rien oublier : les gants, si c’est sale, le Vicks, si ça sent mauvais, la cire, la Marianne, le ruban rouge, les étiquettes, le dossier, les ciseaux, le marteau et les clous, si la cire ne tient pas…

10h : Nous suivons péniblement les instructions du notaire pour trouver la maison et le corbillard que nous croisons est un bon présage : nous sommes moins perdues qu’on ne le pensait.

11h30 : Après plus d’une heure d’inventaire soigneux, en présence de tous les membres de la fratrie qui se regardent en chiens de faïence, j’appose l’ultime cachet de cire à l’endroit le plus discret de la porte : les étiquettes « respect à la loi », se traduisent en langage cambrioleur par « entrez donc, servez-vous, il n’y a personne ». Je ramène mon butin pour le coffre-fort du greffe : les clefs de la maison, les papiers d’identité, chéquiers, quelques euros en liquide.

13h : Une de mes fonctionnaires me demande l’autorisation de partir une heure plus tôt pour aller chez le médecin. Elle m’assure qu’elle restera plus tard le soir. Précision inutile. Elle reste toujours plus tard le soir. Comme tous ici, elle ne compte pas ses heures. Nous discutons un long moment. Elle m’explique ses problèmes de santé, me parle à mots couverts de ses appréhensions à l’idée de prendre prochainement sa retraite après presque 20 années dans le même greffe.

14h : Je fais des comptes d’apothicaire, tentant d’utiliser le plus stratégiquement possible les quelques euros débloqués par la Cour : paiement du vitrier en premier, comme promis. Puis des factures dont l’échéance est proche ou dépassée. Il me reste encore quelques sous, mais pas suffisamment pour ma commande de fournitures. Je la reprends : au sein de cette liste où tout est urgent, je vais encore devoir « prioriser ».

17h : Je m’échappe tôt aujourd’hui, une pile de comptes de tutelles sous le bras. Je me ravise et les repose sur mon bureau : j’ai la ferme intention de profiter de mon week-end. Les élections se profilent et avec elles les permanences du dimanche dans un TI désert…

Notes

[1] Vous savez, ces juridictions inutiles dont 200 viennent d'être supprimés pour rapprocher la justice du citoyen...

[2] Le sceau est fixé par un arrêté du 8 septembre 1848 :une femme assise, effigie de la Liberté, tient de la main droite un faisceau de licteur et de la main gauche un gouvernail sur lequel figure un coq gaulois, la patte sur un globe. Une urne portant les initiales SU rappelle la grande innovation que fut l'adoption du suffrage universel direct en 1848. Aux pieds de la Liberté, se trouvent des attributs des beaux arts et de l'agriculture. Le sceau porte comme inscription "République française" et sur le pourtour la mention de l'autorité qui la détient ("Tribunal de grande instance de Framboisy", "préfecture du Blog Maritime", etc...)

[3] Un dossier relatif à la nationalité française. NdEolas.

jeudi 21 février 2008

24 heures

24 heures[1], c'est un claquement de doigts. C'était hier, c'était là, à l'instant. C'est fugace, c'est court. C'est le laps de temps entre deux berceuses chantées à ma fille.

24 heures, pour un avocat, c'est le délai dans lequel, quand on fait appel d'une décision de placement en détention provisoire, on peut demander un examen immédiat de cette demande par le président de la chambre de l'instruction (le "référé-liberté").

24 heures, c'est le délai d'appel d'un jugement d'un tribunal correctionnel statuant sur une demande de mise en liberté [2], ou contre une ordonnance du juge d'application des peines en matière de réduction de peine, ou de modalité d'exécution des mesures de liberté conditionnelle, ou encore du juge des libertés et de la détention en matière de rétention administrative[3].

24 heures, c'est le dernier délai pour les parties avant l'audience d'assises pour se dénoncer mutuellement la liste des témoins cités.

24 heures, c'est le temps qu'il faut à Jack Bauer pour sauver le monde.

Ca passe vite.

Mais pas toujours.

Jeudi 14 février 2008, jour de la Saint-Valentin, l'audience du juge des libertés et de la détention de Paris, statuant en matière de rétention administrative, avait 78 dossiers à traiter. L'audience a commencé vers neuf heures. Elle s'est achevée un peu après neuf heures. Le lendemain matin.

Je n'y étais pas, Dieu merci.

Mais avis à la population. La machine folle est officiellement emballée. On atteint les limites. On ne peut pas aller plus loin, car au bout de 24 heures, c'est l'audience suivante qui commence. Sauf à terme à employer tous les juges ayant le grade suffisant (il faut être vice-président pour être juge des libertés et de la détention) à cette activité.

C'est moi ou bien il y a comme un problème, là ?

On essaye d'expulser des avocats qui vivent et travaillent en France depuis 46 ans.

On expulse des étrangers déjà en partance pour leur pays pour un coût de 3000 à 11000 euros.

On arrête des enfants à l'école.

On consacre deux fois plus d'argent à la police des étrangers qu'à l'accès au droit et la défense en justice des plus démunis (600 millions d'euros contre 300 millions).

Les juridictions administratives sont paralysées par l'afflux du contentieux des étrangers qu'elles doivent traiter en urgence absolue.

Et maintenant, les juges judiciaires affectés au contentieux des étrangers siègent 24 heures.

C'est assez dingue pour vous comme ça, ou c'est bon, on peut aller encore plus loin dans la démence ?

Notes

[1] Merci à ma consoeur Stéphanie pour l'idée du titre du billet.

[2] Devinette pour les étudiants en droit qui font de la procédure pénal : dans quelle hypothèse le tribunal correctionnel a-t-il à connaître des demandes de mise en liberté ?

[3] Il s'agit des étrangers frappés par un arrêté de reconduite à la frontière que le préfet décide de priver de liberté afin de permettre une exécution forcée de la mesure. Au bout de 48 heures, ils doivent être présentés à un juge qui statuera sur la légalité de la privation de liberté et l'opportunité de sa prolongation, qui ne peut excéder 15 jours, renouvelables une fois, pour un total de 32 jours.

Remise en perspective

Il y a plus de deux ans, quand je vous parlais d'Eduardo, je disais :

Il apprendra qu'un cahier est un bien rare et précieux, qu'un livre est un luxe, qu'une école est un lieu où des trafiquants recrutent des revendeurs, et que traverser la rue peut mettre sa vie en danger.

C'est cela que se propose de nous rappeler avec poésie et gravité la jeune (19 ans...) cinéaste iranienne Hana Makhmalbaf. L'histoire de Baktay, six ans, qui vit en Afghanistan, dans la région centrale de Bamiyan, là où les Talibans ont fait exploser les statues de Bouddha.

Baktay, piquée de curiosité en entendant son petit voisin réciter l'alphabet, décide qu'elle veut aller à l'école. Mais pour cela, il lui faut acheter un cahier. C'est le point de départ d'une aventure dans l'Afghanistan post-Taliban qui s'intitule Buda as sharm foru rikht, littéralement "Bouddha s'est écroulé de honte" en persan, qui sort aujourd'hui en France sous le titre de : "Le cahier".

Amis enseignants qui me lisez, si vous avez un coup de blues à cause d'élèves turbulents et ingrats, rappelez-vous pourquoi vous faites ce métier. Pour qu'en France, les petits Abbas et les petites Baktay puisse étancher leur soif d'apprendre, malgré les imbéciles qui préfèrent jouer aux Talibans et qui ne comprennent pas leur chance. Ne baissez pas les bras.

Je vous laisse, je dois pourrir le week-end d'un préfet.

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