Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 16 août 2008

Mort d'un flic

Bernard Vigna vient de mourir.

Vous ne savez pas qui était Bernard Vigna ? Normal. Personne ne sait qui était Bernard Vigna.

Bernard Vigna était un policier, qui rappelait constamment par sa simple existence qui paye les pots cassés quand il faut tout simplement maintenir l'ordre mais que des raisons d'État passent par là.

Le deuil appartient à ses collègues. Je ne fais pas partie de la grande famille bleue, et me contenterai donc d'un hommage aussi silencieux que sincère.

Pour en savoir plus sur Bernard Vigna.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'appeler à la décence en commentaires.

vendredi 15 août 2008

Mieux vaut en rire

Fantômette, toute dépitée, est au bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Framboisy. Le panneau qui l'annonce précise : «Justiciables qui devez entrer, abandonnez tout espoir», allusion à l'Enfer de Dante. Le responsable du bureau répond à Fantômette : «Non, pas de revalorisation de l'AJ cette année ; par contre, pour ceux qui assurent les permanences du mois d'août, la Chancellerie nous a distribué ça.» et il tend à Fantômette un T-Shirt où est écrit «My client went to prison and all I got is this lousy T Shirt». Derrière, sur le mur, un portrait géant de Rachida Dati e ngros plan est accroché au mur. En dessous, on peut lire «Don du ministère de la justice (à valoir sur la LOLF 2009)». Par terre, une poubelle. Au dessus, on peut lire, à l'adresse des avocats : «Déposez vos demandes d'indemnisation ici» Signé Eolas, d'après une idée de Fantômette.

Cliquez sur l'image pour la voir en plus gros.

jeudi 14 août 2008

Coup d'œil impartial sur la magistrature ibère

De retour d'outre Pyrénées, je ramène dans ma besace quelques nouvelles locales, juridiques comme il se doit.

Le droit comparé est une matière riche d'enseignement, et en outre, s'agissant d'un pays qui n'est pas le nôtre, l'aspect passionnel disparaît : mépriser les juges étrangers est vain, puisqu'aucun d'eux ne viendra prendre la parole pour les défendre et être agonit d'accusation de corporatisme, et les jalouser reviendrait à dire que notre pays serait moins bien qu'un de ses voisins, et cette attitude est contraire au génie français.

Les points communs entre le législateur français et espagnol sont frappants. Si notre voisin semble avoir une production législative largement inférieure, il s'agit en grande partie d'une illusion : chaque région autonome (l'Espagne en compte 17) a son propre parlement et produit sa propre législation : si l'Espagne se présente comme un État unitaire, elle est à la limite de l'État fédéral. Certaines régions ont même leur langue officielle à côté de l'espagnol, qui s'appelle espagnol partout dans le monde sauf en Espagne où il est le castillan.

Ainsi il a lui aussi ses obsessions, sa Némésis absolue. Si en France il s'agit du pédophile, en Espagne, il s'agit du mari violent. Une loi a été votée en 2004 qui a durci les peines encourues et créé une juridiction spécialisée, le tribunal des violences contre la femme. Imaginez qu'en France on ait, à côté du tribunal de police, du tribunal correctionnel et de la coru d'assises, un tribunal des violences conjugales. C'est ce qu'a fait l'Espagne. Et que s'est-il passé ? Rien. Les violences conjugales n'ont pas sensiblement baissé. Beccaria n'est pas plus lu de l'autre côté des Pyrénées que de ce côté-ci, et le mythe de la dissuasion par la terreur à la peau dure.

Un fait divers dramatique a relancé le débat. Un homme qui manifestement maltraitait sa compagne ou son épouse (il s'agissait de son épouse) a été pris à parti par un passant, professeur d'université et journaliste, âgé de la cinquantaine, Jesús Neira, qui lui a vertement reproché son comportement et a menacé d'appeler la police. Las, le mari désobligeant était un toxicomane diabétique en crise soit de manque soit hypoglycémie et a violemment frappé le professeur à la tête. Le professeur est dans le coma depuis une semaine et son état est critique. L'épouse n'a pas voulu porter plainte, niant qu'elle ait été battue malgré les images de vidéosurveillance. cette absence de plainte a fait que l'agresseur a été laissé en liberté, ce qui a profondément ému l'opinion publique. La réaction ne s'est pas faite attendre : les faits ont été requalifiés en tentative de meurtre, qualification qui ne tient pas la route mais a permis la délocalisation de l'affaire à Madrid où le mari malfaisant a été promptement incarcéré. Le législateur ne pouvait pas être en reste et a annoncé, vous l'avez deviné, une nouvelle loi. À ceci près qu'à peine cette annonce faite, il a fallu faire machine arrière, face au constat que dans le cadre de la Constitution espagnole, on était déjà pas loin du maximum répressif. Et en Espagne, on ne touche pas à la Constitution avec la facilité française. Bref, c'est l'impasse, mais personne ne semble s'interroger sur l'efficacité de la simple aggravation des peines. En attendant, le législateur espagnol a changé son fusil d'épaule et va s'attaquer au Code civil, notamment en empêchant le mari violent d'hériter de son épouse même si sa violence n'est pas à l'origine du décès. Je vous laisse supputer l'effet dissuasif de la mesure.

Autre affaire où la justice espagnole est en effet confrontée à un casse-tête juridiquement passionnant et lourd de conséquences. Elle démontre s'il en était encore besoin que l'art du juriste consiste à anticiper à long terme les conséquences des règles de droit. À long terme s'entendant au-delà de la prochaine échéance électorale.

L'Espagne a adopté un nouveau Code pénal en 1995, remplaçant le Code pénal franquiste de 1944 largement réformé en 1973. Le Code pénal espagnol prévoyait, pour simplifier, tout un jeu de circonstances aggravantes et un cumul de peines qui aboutit au prononcé de peines démesurées. Ainsi, les deux principaux responsables des attentats de Madrid ont été condamnés chacun à plus de 40.000 ans de prison. Comme je le disais moqueur à un ami avocat espagnol, le juge a été très sévère, ces crimes méritaient 30.000 ans tout au plus.

Ces peines ne veulent ainsi pas dire grand chose puisque la loi espagnole prévoyait en 1973 un maximum de 20 années de prison effective (en fait, 30 ans, mais chaque journée travaillée comptait pour deux journées, ce qui a aboutit rapidement à une exécution des deux tiers du maximum légal pour tous les prisonniers face à l'impossibilité de leur fournir à tous du travail).

Curieusement en apparence, l'Espagne démocratique a décidé d'être bien plus sévère que l'Espagne franquiste, en portant à 30 ans, puis à quarante le maximum effectif. Des voix s'élèvent, y compris du pouvoir judiciaire qui en Espagne est un véritable pouvoir à part entière avec ses instances représentatives, pour réclamer la possibilité de prononcer une peine de réclusion perpétuelle. Pour le moment, on en est à quarante ans. Je dis que cette curiosité n'est qu'apparente, car cette aggravation des peines a été décidée en réaction aux crimes de l'ETA, qui est devenue bien plus sanguinaire la démocratie revenue, mais en ce qui me concerne, la profonde, l'abyssale lâcheté des ETArras n'est plus à démontrer. Ajoutons que ces criminels n'expriment pas le moindre remord, et le risque de récidive est considérable.

Là où cela devient particulièrement intéressant, c'est que cette modification du maximum légal n'est pas due à une intervention du législateur, trop occupé avec les femmes battues, mais au juge : c'est un arrêt du Tribunal Suprême Espagnol concernant l'ETArra français Henri Parot du 28 février 2006 qui a changé le système de computation des peines, mettant fin à leur confusion et exigeant qu'elles s'exécutassent à la suite les unes des autres en ordre de gravité, dans la limite du maximum légal de 30 ans de l'époque, porté à 40 ans par le nouveau code pénal de 1995, mais inapplicable à Parot, condamné en 1987 pour 26 assassinats et 186 tentatives d'assassinat. En Espagne, on parle de jurisprudence Parot (doctrina Parot). Alors qu'il aurait dû sortir en 2007, sa peine a été prolongée jusqu'en 2017.

Le problème est qu'ici, on se situe au niveau de l'exécution de la peine. Or la fixation de la date de fin de peine fait l'objet d'un jugement postérieur à la condamnation.

Or certains condamnés ont échappé à la jurisprudence Parot car leur peine a été fixée par un jugement définitif antérieur. C'est le cas de l'ETArra Iñaki de la Juana Chaos, qui a été condamné à 3000 ans de prison “seulement” pour 25 assassinats dont l'attentat du 14 juillet 1986 à Madrid, place de la République dominicaine, contre un convoi de la Garde Civile espagnole (14 morts, 46 blessés).

Sa peine a été fixée définitivement à 18 années. L'autorité de la chose jugée s'oppose à ce que sa peine soit rallongée conformément à la jurisprudence Parot.

De la Juana Chaos est donc sorti libre, au grand dam des politiques espagnols.

La même mésaventure arrive avec José Rodríguez Salvador, condamné à 311 ans et 8 mois (sic) de prison pour 17 viols dont une dizaine commis suite à une évasion lors d'une permission de sortie. Le tribunal de Barcelone a fixé sa date de sortie au 22 septembre 2007, sans que cette décision ne fasse l'objet d'un appel, alors même qu'elle était contraire à la jurisprudence Parot.

Le législateur, au début bien content que le Tribunal Suprême fasse le sale travail, dit désormais pis que pendre des juges qui refusent d'appliquer un changement de jurisprudence à des décisions définitives, quand bien même une telle décision serait immanquablement sanctionnée par la cour européenne des droits de l'homme.

Et que se propose-t-il de voter, je vous le demande, pour contourner ces décisions ?

je vous le donne dans le mille.

La rétention de sûreté.

C'est fou comme je n'arrive pas à me sentir dépaysé en Espagne.

Enfin, pour terminer, un coup de chapeau mérité.

Juan Del Olmo est le juge d'instruction qui a instruit les attentats de Madrid. C'est un des juges antiterroristes les plus compétents en matière de terrorisme islamiste. Il a été chargé d'une mission de collaboration avec les autorités françaises. Pour cela, il devait toucher une indemnité de 17.156,54 euros, destinée à couvrir ses frais de résidence et à le rémunérer, le déplacement d'un juge à l'étranger entraînant suspension de son traitement selon la loi espagnole.

Il a demandé à ce que cette indemnité soit réduite à 5.172,6 euros, et à ce que la différence soit versée aux familles des victimes.

J'ôte ma toque devant ce geste, Señoría.


PS : Oui, le titre est un clin d'œil à Notre dame de Paris.

mercredi 6 août 2008

Kärcher

Fermeture des commentaires pour les jours à venir. Je suis en vacances, et côté personnes inutiles désespérément en mal de reconnaissance, j'ai ce qu'il me faut avec les adolescents sur la plage.

Bonnes vacances.

lundi 4 août 2008

Les robes noires contre les blouses blanches ?

« Ah, ça, mon ami, vous me voyez toute contrariée !

— Vous, ma mie ? Cela ne saurait être. Quelle est la cause de votre trouble, que je lui fasse promptement un sort ?

— J'apprends en lisant votre blog que vous en voulez à ma santé pour vous enrichir.

— Je ne comprends pas ce que vous dîtes mais puis néanmoins d'ores et déjà protester de mon innocence. Votre teint de rose est pour moi le plus précieux des trésors et je mourrais plutôt que de le flétrir.

— Mais voilà une semaine qu'un médecin déverse ses jérémiades sous un de vos billets, et vous restez coi ! Certes, l'auguste praticien, qui est une auguste praticienne, est parfaitement hors sujet puisqu'il s'agit du billet sur la médiatisation de votre cravate. Mais qu'apprends-je ? Les médecins exercent désormais la peur au ventre ? C'est l'existence même de leur art qui est menacée par vous et vos assignations pour un oui ou pour un non ?

— Mes assignations sont comme mes clients : innocentes. Je ne pratique pas la responsabilité médicale, même si je connais un peu la matière.

— Si ce n'est toi, c'est donc ton confrère, dirait la fable.

— Et elle aurait raison, car j'approuve le principe de demander des comptes à un médecin.

— Ah, vous avouez donc ? Vous haïssez les carabins ?

— Non, point, je les aime et les respecte. Des gens qui arrivent à apprendre tant de choses en buvant autant quand ils ne font pas l'amour en tout temps forcent l'admiration pour les moines que sont les étudiants en droit.

— Mais ce que dit la disciple d'Hippocrate…

— …Est une parfaite synthèse des clichés sans cesse ressassés par une profession qui n'apprécie guère ce qu'elle ressent comme une remise en cause de son autorité, ce à quoi il faut ajouter une absence de culture juridique — cette matière étant absente de leurs interminables études, alors que l'économie a été — peut-être l'est-elle encore ?— en PCEM1. Or la responsabilité n'est que la contrepartie logique et naturelle de la liberté du médecin. Loin de la fuir, ils devraient la revendiquer. À tout le moins, la rapporter à de plus justes proportions. Si tous les médecins ont entendu parler d'un confrère qui connaît un confrère qui…, combien ont été attaqués, eux personnellement, en justice ? J'entends une assignation en bonne et due forme, pas des menaces de procès. J'assume la part des avocats dans la mise en cause de la responsabilité des médecins, mais décline celle des fâcheux.Les avocats sont d'ailleurs responsables de leurs fautes et doivent en indemniser leurs clients. Si parfois certaines jurisprudences nous paraissent critiquables, nous n'avons jamais eu l'idée de remettre en cause le principe. Au contraire, c'est un argument qui éveille la confiance de nos clients. Nous ne prétendons pas à l'infaillibilité (c'est cela qui serait inquiétant) mais nous garantissons que vous serez couvert des conséquences de nos erreurs. Alors, donnez moi la main, chère lectrice, je vous emmène faire un tour dans le monde passionnant de la responsabilité médicale, où les clichés ont la vie aussi courte qu'un virus de la grippe dans le cabinet d'un médecin.

La responsabilité médicale, une vraie spécialité

Des avocats se sont spécialisés dans le droit des victimes. Le terme de victime étant très large et donc très flou, les avocats préfèrent parler de préjudice corporel : c'est cela que l'avocat veut voir réparer. Réparer une victime relève d'autres mains que les notres. C'est une spécialité reconnue, et une discipline à part entière. Les dossiers de “corpo” ont principalement trois sources : les accidents de la circulation, les infractions pénales, et la responsabilité médicale. S'y ajoute des sources ponctuelles, isolées mais au nombre de victimes élevé, comme les accidents sanitaires (sang contaminé, hormone de croissance, hépatite C) et les catastrophes maritimes ou aériennes.

Ces trois matières ont des règles de droit différentes qui leur sont applicables ; mais elles ont en commun le travail d'orfèvre que constitue l'évaluation exacte de ce préjudice, sans rien oublier. Là est tout l'art de l'avocat en “corpo”.

Mais ce n'est qu'aux règles présidant à la mise en cause de la responsabilité que je vais m'intéresser ici. À quelles conditions peut-on demander des comptes à celui qui, voulant vous soigner a failli à sa mission ?

Comme d'habitude en France, il faut distinguer selon que le médecin a agi en tant qu'agent de l'État ou en tant que praticien libéral.

Le point commun à toutes ces situations est néanmoins à garder à l'esprit : un patient venu se faire soigner a subi, à cause des soins reçus ou de l'absence des soins pertinents, un préjudice. Je reviendrai sur le préjudice. Sachez d'ores et déjà que le patient procédurier qui fait un procès pour un ongle cassé est un pur cliché. Dans la totalité des cas, ce sont des corps brisés, parfois au-delà du réparable, des vies à jamais bouleversées. Vous verrez les exemples que je donnerai.

Heureux les agents publics : ils seront couverts

Notre hypothèse est que le dommage au patient est survenu dans un établissement hospitalier (on parle d'hôpital pour un établissement de soin relevant de l'État, et de clinique pour un établissement privé ; mais il y a des pièges comme l'Hôpital américain de Paris, qui comme son nom l'indique est une clinique française située à Neuilly Sur Seine). Le contentieux relève du juge administratif, et le défendeur est l'établissement hospitalier lui-même, pas le médecin. Ceci est une application générale du fait que l'État est responsable des agissements de ses fonctionnaires, et se substitue à eux pour réparer les dommages causés. Il peut ensuite régler ses comptes avec l'agent public fautif, en demandant le remboursement des sommes payées à la victime (action récursoire, quasiment jamais utilisée à ma connaissance) et en prenant des sanctions disciplinaires à son égard.

Arrête d'être lourde (je parle à la faute)

Jusqu'en 1992, le juge administratif exigeait que la faute ayant causé un dommage soit une faute “lourde”. Cette exigence se voulait le reflet de la particularité de la pratique médicale : un médecin ne saurait être tenu de guérir son patient. Il doit faire de son mieux. La faute lourde était donc l'hypothèse où, pour simplifier, le médecin a commis une faute qu'un autre de ses collègues n'aurait pas commis. La conséquence était néanmoins funeste, eu égard à la difficulté de la preuve. Bien des patients, incapables de prouver une faute lourde, du faut qu'au moment où celle-ci a été commise, ils étaient inconscients, ou fortement diminués, et incapables de porter un jugement sur les gestes du praticien, voyaient leur demande rejetée, avec des conséquences terribles pour eux : on parle de gens devenus invalides qui n'étaient pas indemnisés de ce fait.

Le 10 avril 1992, le Conseil d'État opère un revirement et désormais exige une simple faute. C'est l'arrêt Madame V.

— Cette Madame V. était-elle une chicaneuse désirant battre monnaie sur la tête des médecins ?

— Je vous laisse juge. Les faits remontent au 9 mai 1979. Mme V. était enceinte de son troisième enfant. Son obstétricien, qui avait détecté un placenta prævia[1] lors d'une échographie, avait décidé de pratiquer une césarienne quelques jours avant le terme prévu. Jusque là, rien de plus normal. Le placenta prævia est une complication connue, certes pas bénigne, mais que l'on sait traiter pour minimiser les risques. Ilse caractérise par un risque d'hémorragie sévère, pouvant entraîner une hypotension et une chute du débit cardiaque ; ajoutons à cela que l'anesthésie péridurale présente un risque particulier d'hypotension artérielle qui était déjà connu à l'époque, et les acteurs sont en place pour la tragédie.

Acte I : le médecin anesthésiste de l'hôpital administre à Mme V., avant le début de l'intervention, une dose excessive d'un médicament à effet hypotenseur. Sur un terrain favorable. Acte II : Une demi-heure plus tard une chute brusque de la tension artérielle, accompagnée de troubles cardiaques et de nausées a été constatée ; le même praticien a ensuite procédé à l'anesthésie péridurale prévue et a administré un produit anesthésique contre-indiqué compte tenu de son effet hypotenseur. Ce qui devait arriver arriva : une deuxième chute de la tension artérielle s'est produite à onze heures dix ; après la césarienne et la naissance de l'enfant, un saignement s'est produit et a été suivi, à onze heures vingt-cinq, d'une troisième chute de tension qui a persisté malgré les soins prodigués à la patiente. Acte III : à douze heures trente, du plasma décongelé mais insuffisamment réchauffé a été perfusé provoquant immédiatement une vive douleur suivie de l'arrêt cardiaque de la patiente.

— Mon Dieu ! Mais qu'est-il arrivé à Mme V. ?

— Mme V., alors âgée de 33 ans, est restée atteinte de graves séquelles à la jambe gauche et, dans une moindre mesure, au membre supérieur gauche ; elle souffre à vie de graves troubles de la mémoire, d'une désorientation dans le temps et l'espace, ainsi que de troubles du caractère ; elle a dû subir une longue période de rééducation ; du fait de son handicap physique, elle subit un préjudice esthétique ; enfin elle exerçait la profession de maître auxiliaire dans un collège d'enseignement secondaire et qu'elle a perdu toute perspective de reprendre une activité professionnelle correspondant à ses titres universitaires.

— Et vous me dîtes que ce fut un revirement de jurisprudence ?

— Oui. En 1986, un tribunal administratif a estimé qu'il n'y avait pas lieu à indemnisation. Voilà le paradis perdu de notre mélancolique esculape. Pour info : le Conseil d'État a alloué un million de francs à Mme V., 300.000 francs pour son mari pour le préjudice moral consistant à voir son épouse devenue invalide à vie et n'ayant plus tout à fait la même personnalité, et pour le trouble dans ses conditions d'existence, lui qui s'est retrouvé du jour au lendemain avec trois enfants et un adulte à charge.

— Ce n'est pas cher payé.

— Jamais devant le juge administratif.

— Faut-il toujours prouver une faute pour engager la responsabilité ?

— Non. Il existe deux cas où le patient victime est dispensé de prouver la faute : si cette faute est présumée ; et le cas particulier de l'aléa thérapeutique.

La faute présumée

— Le Conseil d'État a créé un régime de responsabilité pour faute présumée : c'est l'arrêt Dejous de 1988. Cette hypothèse s'applique à des hypothèses dans lesquelles un acte de soin courant à caractère bénin entraîne des conséquences très graves sans commune mesure avec le motif initial de l'hospitalisation. Il s'agissait principalement des infections nosocomiales[2].

— Je tremble en posant la question, mais que s'était-il passé dans cette affaire ?

— Le patient avait été hospitalisé pour subir une sacco-radiculographie[3] qui a confirmé la présence d'une hernie discale, qui a été opérée le lendemain (opération de cure de hernie discale). Il s'agissait d'une opération courante. Néanmoins, le patient s'est vu infecté par une infection méningée compliquée d'une lésion de la moelle dorsale. Cela a causé au patient des douleurs que je vous laisse imaginer, et l'a laissé atteint d'une paralysie des membres inférieurs, de l'abdomen et de la partie basse du tronc, entraînant une invalidité définitive de 80 %. Vraiment, il y a des gens qui font des procès pour n'importe quoi.

— Ne soyez pas ironique. Mais j'ai cru comprendre que vous employiez le passé ?

— Oui, les cris d'orfraie des médecins ont porté leurs fruits, puisque la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients (sic .) a mis fin à cette jurisprudence en matière d'infections nosocomiales. Si la même mésaventure vous arrive, vous devrez désormais démontrer qu'il y a eu une faute d'asepsie, sachant que le fait que vous avez été infectée ne démontre pas cette faute. Bonne chance. Mais vous comprendrez, c'est pour restaurer la dignité froissée des médecins.

Vous me prendrez un aléa matin, midi et soir

La jurisprudence administrative a développé trois cas de responsabilité sans faute. Cette expression, qui fait bondir les médecins, doit être bien comprise. Il ne s'agit absolument pas de dire que le médecin est responsable même s'il na commis aucune faute. C'est l'État, dans le cadre de l'exercice de ses prérogatives en matière de santé publique, pour lesquelles il s'est arrogé un monopole, qui est responsable. Le fait que ces responsabilités soient engagées sans faute exclut même toute action récursoire ou disciplinaire contre le médecin qui en serait à l'origine. Bref, le patient ET le médecin sont protégés.

Le premier cas est celui lié à l'hospitalisation des malades mentaux, et garantit les tiers. Dans les années 60, un dément qui avait été placé à l'extérieur, dans une ferme expérimentale, incendiait le bâtiment au cours d'un épisode délirant. Les propriétaires des murs ont pu être indemnisé, quand bien même ce placement dans un milieu ouvert n'était pas fautif en soi : il fallait bien essayer, et ces placements ont d'ailleurs produit de très bons effets sur d'autres malades.

S'agissant des patients, la Responsabilité sans faute couvre trois domaines :

► la technique nouvelle[4], quand on emploie une thérapeutique nouvelle dont les risques sont mal connus, et que ce recours ne s'imposait pas pour des raisons vitales et qui a eu des conséquences exceptionnelles et anormalement graves en découlant directement ;

► l'acte à risque[5], acte qui présente un risque exceptionnel mais mal connu, qui a entraîné directement un dommage anormal et d'une exceptionnelle gravité.

► et la transfusion sanguine, en cas de contamination par cette voie. Notons que la loi a créé un organisme, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM). C'est cette organisme qui indemnise les victimes d'infections nosocomiales et affections iatrogènes[6], les transfusés infectés par le VIH (mais pas l'hépatite C), les victimes de l'hormone de croissance et les victimes de surirradiation au centre hospitalier Jean Monnet d'Épinal.

— Cette dernière précision me paraît bien étrange. Si j'ai été surirradié ailleurs ?

— Hé bien, ce n'est pas leurs ONIAM.

— Je vous sens fatigué, mon cher maître, pour en tomber au niveau des calembours. Il est temps pour vous de prendre des vacances, mais pas avant, je vous prie, de me dire s'il y a une explication à ce traitement, si j'ose dire, bien particulier ?

— Oui. La politique de la rustine et du cas par cas, qui a remplacé depuis longtemps à la tête de l'État toute vision de haut pour gérer la chose publique. La presse s'en émouvait, il importait dans l'urgence de faire quelque chose, n'importe quoi. C'est cette dernière solution qui a été retenue.

— Et dans le privé, qu'en est-il ?

Le contrat médical

— Les règles sont différentes, car c'est le Code civil qui s'applique. Le principe a été posé en 1936, par l'arrêt Docteur Nicolas contre époux Mercier. Avant cet arrêt, la jurisprudence refusait d'admettre que le lien qui unissait le patient et son médecin était un contrat.

— Qu'était-ce ?

— Bonne question. Autre chose. Une relation sui generis, de son propre genre, qui obligeait le patient à payer son médecin, mais qui dégageait le médecin de toute responsabilité contractuelle du fait de son art, considérant qu'il était déjà bien bon de consentir à s'intéresser à son patient. La responsabilité du médecin ne pouvait être qu'extra-contractuelle, les médecins étant considérés comme une classe au-dessus des contingences terrestres que sont les contrats dans le cadre de leur exercice professionnel, avec leur patient du moins. Il n'a jamais été contesté que ce qui donnait droit au médecin d'exercer en son cabinet était un contrat, de bail ou de vente. En 1936, la Cour de cassation met enfin cette absurdité à la poubelle et pose la règle qui s'applique encore aujourd'hui :

" il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l'engagement, sinon, bien évidemment de guérir le malade, ce qui n'a d'ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques (…) mais consciencieux, attentifs, et réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ".

Admirez au passage l'élégance de la langue.

L'évidence de l'énoncé est toutefois encore à ce jour restée en travers de la gorge de bien des médecins old school, comme on dit en bon français, la plupart ayant toutefois parfaitement intégré cet état de fait, et surtout compris que le mot contrat n'est pas un gros mot. Après tout, les médecins louent ou achètent les murs de leur cabinet, ainsi que tout le matériel qu'ils utilisent, ils ont passé une convention avec les caisses de sécurité sociale pour que leurs honoraires soient pris en charge par la collectivité plutôt que par leur patient, à charge pour eux de les maintenir à un niveau modéré fixé par la convention. D'où le terme de médecin "conventionné". Alors si la sécurité sociale est assez bien pour passer un contrat avec les médecins, pourquoi un patient ne le pourrait-il avec son médecin ?

Cet arrêt pose le principe, jamais démenti à ce jour, que la responsabilité du médecin ne peut être engagée qu'en cas de faute.

— Faute lourde ou faute simple ?

— Vous parlez chinois pour un juriste du droit civil. Le droit civil ne connaît qu'une faute, la faute. En matière contractuelle, c'est la violation du contrat. Si l'obligation principale du patient est de payer son médecin, l'obligation principale du médecin est de donner des soins attentifs, consciencieux et conforme aux données acquises de la science. Elle se détermine en comparant le comportement qu'a eu le médecin à celui qu'aurait eu dans les mêmes circonstances le bonus medicus, le bon médecin, consciencieux, attentif et qui se tient à jour des données acquises de la médecine. Notez bien : acquises. Pas actuelles. La jurisprudence refuse encore à ce jour d'exiger une mise à jour instantanée des connaissances des médecins, ni qu'ils soient au courant des moindres découvertes publiées. Il faut que ces données fassent consensus et soient largement répandues.

— Et l'aléa thérapeutique ?

— Rien de tel en droit privé. Les règles du droit public ne sont pas transposables en droit privé, le secteur libéral de la médecine n'exerçant pas de prérogatives en matière de santé publique. Le monopole des médecins, pénalement protégé[7], est un monopole fondé sur la protection du patient, pas de la profession médicale. Cependant, ne pas informer un patient de l'existence d'un risque lié à une technique nouvelle ou à un acte à risque est une faute.

Cela dit, il est des hypothèses où la responsabilité du médecin est engagée sur un fondement extra-contractuel, par exemple si le contrat est nul, ou si le patient, inconscient, n'a pu donné son consentement qui seul peut former le contrat. Consentement qui doit être éclairé, c'est là une autre obligation du médecin.

Au fait, docteur, j'ai quoi ?

— Ah, l'obligation d'information, n'est-ce pas là que le bât blesse certains médecins ?

— Je vous laisse la responsabilité de l'image du bât, mais oui, car là encore, beaucoup ne comprennent pas le sens de cette obligation. Le patient doit consentir au geste médical qui est la prolongation du contrat médical (dont le premier acte est le diagnostic et la proposition de traitement). Et ce consentement doit être éclairé. Éclairé par qui ? Mais par le médecin. Il est hors de question, s'agissant du corps et de la vie d'un être humain, de demander que le patient se remette entre les mains de son praticien.

— Certes, mais le patient est-il le plus à même de donner ce consentement ?

— À ce jour, on n'a pas trouvé mieux. L'information donnée par le médecin n'a pas à être une démonstration scientifique : la jurisprudence exige une « information loyale, claire et appropriée ». Elle a évolué : si autrefois elle se contentait d'une information sur les risques prévisibles, depuis deux arrêts de 1998[8], c'est la gravité du risque qui détermine l'étendue de l'obligation d'information. Si les risques les plus courants doivent être signalés, les risques les plus graves, même s'ils sont exceptionnels, doivent l'être aussi. Ces risques graves sont “ ceux qui sont de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes, ou même esthétiques graves compte tenu de leurs répercussions psychologiques et sociales ” selon les mots du Conseiller Sargos, rapporteur dans les arrêts de 1998.

— Cette exigence n'est-elle pas sévère pour le médecin ?

— Ne pas la poser serait sévère pour le patient. Nous ne sommes plus dans la France des années 30 : les français sont plus éduqués, moins illettrés. On peut les traiter enfin en adultes, comme d'autres pays le font depuis longtemps, même si cela a dû se faire, là aussi, à coups de procès (oui, je pense au pays qu'un océan sépare de nous).

— Ne connaît-elle point d'exceptions ?

— Je vous reconnais bien là : vos questions paraissent naïves mais montrent bien que vous avez bien appris vos leçons. Oui, le droit est la science des exceptions, et il en va ainsi ici : il faut que le patient soit en état de recevoir l'information et de donner son consentement. L'urgence prime : si le patient est inconscient ou en danger de mort, le praticien est dispensé de son obligation d'information. De même, le code de déontologie médicale, approuvé par la jurisprudence, accepte que cacher la vérité au patient sur son état de santé n'est pas fautif, si cette vérité est celée dans l'intérêt du patient.

Ceux d'entre vous qui ont eu à fréquenter récemment un cabinet médical ont pu constater que cette obligation d'information n'est quasiment jamais respectée. Ainsi n'ai-je pas été considéré comme digne de connaître le nom de la dernière affection ayant frappé ma fille, encore moins d'être informé du choix du traitement effectué. Peut-être devrais-je aller aux consultations en robe ?

Notons pour conclure sur ce point que l'étendue de l'obligation d'information varie aussi selon la nature de l'acte de soin envisagé. En médecine “de confort”, je pense particulièrement à la chirurgie esthétique de patients dont la seule affection est l'injure du temps, l'obligation d'information est particulièrement étendue : elle doit porter sur les risques mais aussi les inconvénients pouvant en résulter. Par exemple, la pose d'implants mammaires modèle Zeppelin doit faire l'objet d'une information non seulement sur les complications possibles de l'opération, le risque de perçage des poches, mais aussi sur les douleurs au dos du fait de ce surpoids que le corps n'a jamais eu à porter.

L'obligation de sécurité, ou : prière de ne mourir que de votre pathologie dans l'enceinte du cabinet

— Est-ce là la seule obligation du médecin ?

— Non point. Ce serait dommage de faire tant d'années d'études pour avoir une seule obligation, n'est-ce pas ? Cette obligation de soin est l'obligation principale du contrat ; mais il y a une obligation accessoire, l'obligation de sécurité, qui connaît une extension régulière du fait de son attrait, puisque, contrairement à l'obligation principale de soin, qui est une obligation de moyens, l'obligation accessoire de sécurité est une obligation de résultat.

— L'obligation de moyen oblige simplement à des diligences sans s'engager sur le résultat, tandis que dans l'obligation de résultat, le fait que le résultat visé ne soit pas atteint caractérise la faute, n'est-ce pas ?

— Demogue n'aurait pas dit mieux.

— Qui est ce Demogue ?

— René Demogue, l'inventeur de la distinction obligation de moyen - obligation de résultat. L'obligation de sécurité impose au médecin, de garantir son patient de dommages qui ne sont pas liés à l'affection le frappant ou l'évolution de celle-ci. Citons ainsi la qualité des prothèses (dentaires ou de membres) et des instruments utilisés, et des accidents survenus dans l'établissement de soin, tels que des chutes de table d'opération, des brûlures causés par des instruments défectueux, etc.

Parlons faute

— Auriez-vous quelques exemple de fautes médicales retenues pour engager la responsabilité d'un médecin ?

— Trois. Une femme se présente à un hôpital pour la visite du sixième mois de grossesse. Le même jour dans la même salle d'attente se trouve une femme au nom de famille identique venue se faire ôter un stérilet. L'interne appelle la patiente au stérilet, c'est la femme enceinte qui se lève. La patiente ne parlant pas français (elle est viet-namienne), il ne fait pas d'interrogatoire et consulte le dossier. Voyant qu'il s'agissait du retrait d'un stérilet, sans faire le moindre examen qui aurait révélé une grossesse de six mois, il entreprend de retirer le stérilet avec une canule de Novack. La poche des eaux est percée, et la patiente est hospitalisée pour voir si la poche se reconstitue ou si'l faut provoquer un avortement thérapeutique. Le même médecin tentera ensuite de procéder au retrait du stérilet et n'y arrivant pas, prescrit une intervention chirurgicale. Il se produira un nouveau quiproquo est c'est la femme enceinte qui sera expédiée au bloc. Cette faute sera sans conséquence, la crise d'hystérie de la femme ayant attiré l'attention de l'anesthésiste qui reconnaîtra la patiente. Totuefois, la poche ne se reconstituera pas et le fœtus mourra. Source : cour d'appel de Lyon, 13 mars 1997.

— On croit rêver.

— Pincez-vous alors. Soit une patiente qui va voir une nutritionniste pour un problème de surpoids. Sa nutritionniste lui conseille de recourir à une liposucion, et lui conseille d'aller voir pour cela un médecin… généraliste, qui s'avère être son époux. Celui-ci va procéder dans des conditions d'asepsie épouvantables : sur une simple table de soin, la ptiente posée sur une serviette éponge souillée, après qu'elle se soit elle même enduite d'alcool à 70 pour stériliser le champ opératoire. L'opération donnera lieu à six orifice sans changement de canule (il est même douteux que le médecin ait seulement mis des gants). Quand le soir même elle sera prise de fièvre et de douleurs insupportables à la jambe, le médecin lui prescrira… du repos et une barre de vitamines. Ce n'est donc que douze heures plus tard qu'on lui diagnostiquera son embolie gazeuse, qui nécessitera sept interventions chirurgicales.

— Là, on cauchemarde.

— Non, voici un cauchemar. je serai peu disert, l'affaire est en cours. Soit des parents d'un nouveau né en pleine santé, placé en observation en réanimation néo natale car légèrement prématuré. Un jour qu'ils viennent le voir, ils apprennent qu'il est mort pendant la nuit. Aucune explication n'est donnée sur les causes du décès. Le personnel évoque vaguement une mort subite du nourrisson. Ils demandent donc une autopsie qui révèle un coup violent à la tête. Pour le médecin, pas de doute : le bébé est tombé par terre d'une grande hauteur. Car il était tenu dans des bras. Le personnel fait bloc et personne ne veut dire qui a commis la maladresse. Un non lieu est donc probable. À vous de me dire maintenant si les avocats font des misères pour des broutilles à d'honnêtes médecins qui font de leur mieux.

— Vous me permettrez de reste coite un instant.

Qui paye ?

— Parlons d'argent, voulez-vous ?

— Je suis avocat : c'est mon sujet de conversation préféré.

— Qui paye ?

— Quand la responsabilité relève d'un établissement hospitalier, l'État. Quand c'est un praticien du privé, c'est le médecin, ou s'agissant d'une clinique, la clinique elle-même. Concrètement, leur assurance, même si, contrairement à nous les avocats, les médecins ne sont pas obligés d'être assurésMISE À JOUR : obligatoire depuis la loi du 4 mars 2002 (art. L. 1142-2 du Code de la Santé Publique [Merci Poggio]. Ce qui est une folie, puisque quand un médecin se plante, les dégâts peuvent être considérables.

Qui t'a fait toubib ?

—Une question impertinente me vient à l'esprit…

— Connaissant votre esprit, je frémis avant l'impact.

— Vous n'êtes pas médecin.

— Non, mais ce n'est pas une question.

— La voici : qui êtes-vous pour dire qu'un médecin a commis une faute ?

— Personne. Pas plus que le juge, cela dit.

— Est-ce une excuse ?

— Non, mais l'ignorance est plus supportable quand elle est équitablement partagée. C'est sur ce pilier que reposent tous les comptoirs de café du commerce. De fait, pour dire qu'un médecin s'est trompé, nous faisons appel… à un médecin. Tous ces dossiers donnent lieu à une expertise judiciaire. Zythom nous parle avec talent de son activité d'expert judiciaire en informatique. Un médecin fait de même, mais n'autopsie pas des serveurs ou des disques durs.

— Cela marche comment ?

— Très simplement. On ne choisit pas son expert, c'est le juge qui le désigne. L'adversaire doit être mis en cause pour pouvoir participer aux opérations et éventuellement avoir son mot à dire sur l'expert. Cette désignation se fait en référé, aussi bien au judiciaire (art. 145 du CPC) qu'à l'administratif (art. R.532-1 du CJA). L'expert se fait communiquer le dossier médical complet, épluche les compte-rendus opératoires, convoque les parties à une réunion d'expertise où la victime sera examinée en présence des avocats, du médecin ou de l'établissement mis en cause. Les avocats en “corpo” se font assister d'un médecin conseil, qui leur apporte leurs lumières. L'expert rend ensuite un rapport répondant aux questions et remarques faites par les parties, et c'est sur la base de ce rapport que les avocats vont ensuite s'étriper en toute confraternité. Vous voyez donc que ce droit n'existe pas contre les médecins, puisque des médecins y participent. J'ajoute que dans neuf cas sur dix, les victimes se plaignent surtout de ne rien savoir, que personne ne leur ait expliqué exactement ce qui s'est passé, ce qui leur est arrivé (ou à leur proche décédé). Il y a des réunions d'expertise qui sont des moments poignants, quand enfin le médecin exprime les regrets qu'il ressent, surtout quand il réalise la gravité de l'état de la victime. Un procès en responsabilité est une épreuve pour la victime mais aussi pour le médecin. Les deux ont un travail sur eux-même à effectuer, et si celui de la victime est le plus dur, les médecins y sont les moins préparés. Il ne s'agit pas de vengeance, mais de réparation. Personne ne dit qu'ils sont indignes de leur profession (une éventuelle action disciplinaire relève de l'Ordre des médecins), mais que sur ce coup là, ils se sont plantés, et qu'il faut réparer ce qui, sans leur erreur, ne serait jamais arrivé.

L'inévitable arrêt Perruche

— Une dernière question, si vous le permettez ?

— Chère lectrice, avec moi, vous avez toute licence.

— Je n'en attendais pas moins de vous. Il me souvient d'un arrêt au nom d'oiseau qui a défrayé le chronique…

— L'arrêt Perruche.

— Celui-là même. Je crois me souvenir qu'il s'agissait d'une femme enceinte qui avait subi un examen pour diagnostiquer une éventuelle rubéole, maladie qui présente de graves danger pour le fœtus. Elle avait clairement dit que si elle était positive à ce myxovirus, elle se ferait avorter, ne désirant prendre le risque d'avoir un enfant atteint des graves malformations que provoque cette maladie.

— Votre mémoire ne vous trompe pas.

— L'examen fut négatif.

— Ô combien ! En fait, il fut positif, mais interprété à tort comme négatif.

— En effet puisqu'en réalité, elle était bien atteinte du rubivirus, et elle donna naissance neuf mois plus tard à un petit garçon atteint de graves séquelles neurologiques.

— Nicolas. Invalide à 100%.

— Il était donc acquis que si le diagnostic avait été correctement posé, la mère aurait pratiqué une IVG.

— Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.

— Pourtant, l'enfant fit un procès au médecin ayant commis l'erreur de diagnostic.

— Ses parents, en son nom, pour être exact.

— Et il triompha.

— Je vois mal comment il aurait pu en être autrement.

— Mais enfin ! Vous vous gaussez ? Cet enfant ne pouvait de plaindre que d'être né, que d'avoir échappé à l'avortement, puisqu'aucun traitement n'aurait pu prévenir les dommages qu'il a subis. La vie, fût-elle handicapée, est-elle un préjudice ?

— Vous parlez comme un médecin, ou pire un moraliste. Je vous demande de parler en juriste. Langue où les épithètes comptent. Nul n'a jamais prétendu que le préjudice subi par Nicolas Perruche était d'être né.

— Mais…

— Il est d'être né handicapé. Si vous escamotez cet article, vous vous condamnez à ne pas comprendre l'arrêt du 17 novembre 2000. Vous vous souvenez des trois mamelles de la responsabilité civile ?

— Absolument : la faute, le préjudice, et le lien de causalité reliant la faute et le préjudice.

— Exact. Ici, il y a eu faute : le médecin devait diagnostiquer la rubéole par le simple examen attentif des résultats (un premier échantillon a été négatif, un deuxième prélevé quinze jours plus tard positif ; le premier échantillon, testé à nouveau, fut positif, ce qui prouvait la présence d'une contamination récente par la Troisième Maladie). Le nierez-vous ?

— Non point.

— Ici, il y a eu préjudice : Nicolas est atteint depuis sa naissance de troubles neurologiques graves, frappé d'une surdité bilatérale, d'une rétinopathie qui va conduire inéluctablement à sa complète cécité, et d'une cardiopathie. Nierez-vous que cela est un préjudice ?

— J'en serais incapable.

— Enfin, il est établi que ces affections sont dues à la rubéole de la mère. Ça n'est nullement contesté d'ailleurs. Donc, il y a un lien de causalité entre la rubéole et les affections, et il est certain que si l'erreur n'avait pas été commise, Nicolas ne serait pas né handicapé ?

— Il ne serait pas né tout court.

— Donc pas né handicapé. Auquel cas il n'y aurait pas eu de préjudice. Voilà qui me semble établir un lien de causalité, sauf à insinuer que Nicolas devrait éprouver la plus grande reconnaissance à l'égard de ce médecin qui lui a sauvé la vie par erreur. Argument séduisant pour les mouvements anti-IVG, mais peut-être moins du point de vue (si j'ose dire) de Nicolas.

— Mais la vie n'est pas un préjudice !

— Non, mais la vie handicapée, oui. Vous voyez comme un épithète vous manque est tout est dépeuplé ?

— Était-il nécessaire de passer par ces circonvolutions aux limites de la morale, juste pour indemniser un enfant ?

— Laissez donc la morale où elle est, surtout si on l'invoque pour dire qu'un enfant naissant avec un tel handicap ne devrait pas être indemnisé de ce qu'il subit. Je ne l'aime pas, votre morale. Parlons plutôt du droit. Car cet arrêt avait un apport fondamental.

— Lequel ?

— Dans des hypothèses analogues, l'indemnisation des parents n'a jamais posé problème. Eux subissent un préjudice, et personne ne prétendra que c'est du fait d'être nés.

— Certes.

— Les parents de Nicolas ont d'ailleurs été indemnisés pour leur préjudice individuel consistant à devoir vouer leur vie à s'occuper d'un enfant lourdement handicapée alors qu'ils avaient exprimé leur refus d'une telle éventualité et avaient les moyens légaux de l'éviter.

— Fort bien.

— Mais cette indemnisation appartient aux seuls parents. Réparant leur malheur, libre à eux d'en faire ce qu'ils veulent.

— Y compris autre chose que s'occuper de leur enfant ?

— Absolument. Hormis un poste particulier, le “préjudice d'éducation” qui indemnise la surcharge financière qu'implique élever un enfant polyhandicapé (cela peut inclure un voire deux voire trois salaires d'assistants à domicile !). Mais ce préjudice d'éducation n'existe que tant que subsiste l'obligation d'éducation. À 21 ans, 25 au plus tard, l'enfant devenu adulte est censé se prendre en charge lui-même. Tandis que l'indemnisation affublée du masque du « préjudice d'être né » appartenait en fait à l'enfant et entrait dans son patrimoine.

— Donc devait être consacré à l'intérêt de l'enfant et couvrait ses besoins pour sa vie entière !

— Vous avez compris. Et notamment, lors du décès des parents, l'État et les autres héritiers ne viennent pas en prélever une part pour leur compte, sans obligation de prendre soin de l'handicapé en contrepartie.

— Mais alors, loin d'être une décision injurieuse pour les handicapés, c'était une décision formidablement protectrice des handicapés !

— Était. Car les médecins sont venus crier famine chez le législateur, leur chœur étant repris, la farce était complète, par des associations d'handicapés.

— Le choux qui défend la chèvre ?

— Là encore, je vous laisse la responsabilité de la métaphore légumineuse. Et une loi du 4 mars 2002, oui, celle-là même sur les droits des patients, a mis fin à cette jurisprudence rendant toute action de ce genre purement et simplement irrecevable.

— Sans contrepartie ?

— Tout comme : il y eut une promesse en contrepartie, que ces personnes lourdement handicapées seraient prises en charge par la solidarité nationale. On attend encore les décrets d'application, à ma connaissance.

— Et cela a donné ?

— Une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, à l'unanimité des 17 juges formant la grande chambre. Saluée comme il se doit par Veuve Tarquine, qui précisément exerce dans cette redoutable discipline qu'est le “Corpo”.

— La connaissant de réputation, je devine le feu d'artifice…

— Un bouquet, du début à la fin. En conséquence, la cour de cassation a jugé récemment que les réclamations portées avant la loi du 4 mars 2002 seraient encore recevables, ce par un effet rétroactif d'application immédiate©. Pour aux enfants nés après le 6 mars 2002 : Vae Victimis. Maintenant, vous aurez l'obligeance de me dire où se trouve la morale. Pour ma part, je suis de ceux qui l'ont vu périr sous les applaudissements qui ont accueillis le vote de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002. Il est vrai que dans l'hémicycle, personne ne se souvient plus de ce à quoi elle ressemble, la morale.

— Je vous trouve bien amer.

— Il y a de quoi, et encore : moi, je n'ai pas eu de clients qui ont subi les conséquences de cette loi. Je suis lâchement soulagé de n'avoir pas eu à leur expliquer la nouvelle en les regardant dans les yeux.

— Maître, je vous remercie, j'ai trop abusé de votre temps. Je vous laisse partir en vacances, vous l'avez bien mérité.

— Merci, chère lectrice, mais de grâce, je vous en conjure ! Ne m'appelez pas maître, quand je ne suis que votre très humble et très dévoué serviteur.


Adresses utiles :

Le site de l'ANADAVI, Association Nationale des Avocats de Victimes de Dommages Corporels, avec la liste des avocats adhérents. Ils sont tous compétents en la matière et adhèrent en outre à des bonnes pratiques qui s'ajoutent aux obligations déontologiques communes à tous les avocats. Je précise que je ne suis affilié d'aucune manière à cette association, je serais plutôt de l'autre côté de la barre.

Le site de l'ANAMEVA, Association Nationale des Médecins Conseils de Victimes d'accident avec dommage corporel. Auxiliaires précieux des avocats, ils les assistent lors des expertises qui visent à établir la faute et le préjudice.

Notes

[1] localisation anormale du placenta qui peut être responsable d'hémorragies sévères au cours du troisième trimestre de la grossesse. Le placenta est normalement inséré dans le fond de l'utérus, il est dit prævia lorsque ce n'est pas le cas (Wikipédia).

[2] Contractées à l'hôpital.

[3] Il s'agit de l'opacification du canal rachidien, dans lequel se trouve la moelle épinière, par injection d'un produit iodé, donnant ainsi à la radiographie une image du canal, de ses contours, et du départ des racines nerveuses. Aujourd'hui (l'affaire remonte à 1976), depuis la généralisation du scanner, cet examen est beaucoup moins pratiqué.

[4] CAA Lyon, 21 décembre 1991, Gomez

[5] CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi.

[6] Nées du traitement médical.

[7] L'exercice illégal de la médecine est puni de deux ans d'emprisonnement.

[8] Civ 1re, 7 oct. 1998 (J.C.P. 1998-II-10179, concl. Saint-Rose, note P. Sargos, Bull. civ. I n°287 et 291).

dimanche 3 août 2008

Reconstitution (et plus si affinités)

Par Gascogne


La reconstitution est un acte de procédure important, voire incontournable, dans le cadre d'une instruction préparatoire, et même parfois dans le cadre d'enquêtes, préliminaires ou de flagrance. Dans les dossiers criminels autres que les viols (pour des raisons faciles à comprendre), le juge d'instruction convoque le mis en examen, la partie civile (si elle est vivante...) les avocats des parties, avise le procureur qui, le plus souvent, se rend également sur le lieux, et fait refaire aux parties les gestes qui furent les leurs au moment de la commission de l'infraction. L'intérêt de cet acte est de constater in situ si la version des uns et des autres est bien compatible avec la réalité du terrain.

Le problème qui se pose parfois, avec les fonctionnaires de police (les gendarmes sont bien plus conciliants), est de savoir qui doit jouer le rôle des participants, et particulièrement de la victime. On évite en effet en règle générale de remettre la victime face à son agresseur, le côté traumatisant de la chose paraissant évident, sauf à y voir une catharsis psychanalitique que personne n'a encore osée (mais en ces temps de victimologie développée, je m'attends à tout). On prévoit également un remplaçant au cas où le mis en examen ferait sa mauvaise tête (ça ne m'est arrivé qu'une fois, mais j'ai su être conciliant en expliquant au mis en examen qu'en son absence, je ne pourrai que m'en tenir à la version de son co-mis en examen qui le chargeait bien comme il faut...La déontologie des magistrats n'interdit pas la chafouinerie, par moments).

Il y a quelques années, des fonctionnaires de police du nord-est de la France avaient estimé qu'il n'était pas dans leurs attributions de fournir un « acteur » pour procéder à ce genre d'acte. La solutions trouvée par certains collègues de l'instruction était de faire appel à des intermittents du spectacle.

Outre le fait que refuser de donner suite à une réquisition judiciaire n'est rien de moins qu'un délit (cf notamment les articles 60-1 et 60-2 du CPP, ainsi que les articles qui y renvoient concernant l'instruction préparatoire), ce qui ne va pas sans poser problème pour un commissaire de police, faire travailler des acteurs dans le cadre d'un dossier couvert par le secret professionnel pose également question.

Le ministère de la justice semble cependant enclin à favoriser la lutte contre le chômage des intermittents du spectacle. Le cas est certes différent du problème posé par la reconstitution, puisque l'on ne touche plus là le problème du secret professionnel, mais il paraît tout de même suffisamment étonnant pour être signalé.

Dans le cadre d'un appel d'offre en date du 12 juin 2008, l'ENAP, basée à Agen (le site est ici) a proposé un emploi inhabituel pour cette école : elle a recherché un intermittent du spectacle pour jouer le rôle d'un détenu suicidaire et/ou présentant des troubles du comportement dans le cadre de la formation des surveillants pénitentiaires.

Il semblerait que l'on ne se soit pas bousculé au portillon agenais puisque seule une offre a été reçue. Pourtant, à 49 800 € la prestation, j'aurais été partant. Malheureusement, le ministère n'a pas pensé aux magistrats neurasthéniques pour tenir le rôle.

Dommage, ça aurait mis du beurre dans les épinards au moment des départs en vacances...

jeudi 31 juillet 2008

“Le droit, rien que le droit…”

Je ne le dirai jamais assez : le droit et la morale sont deux choses distinctes. Et on ne l'apprend jamais assez tôt. Fût-ce à neuf ans.

Un couple de retraités, condamné pour procédure abusive et débouté de leur plainte contre leurs voisins qui avaient aménagé leur garage pour accueillir leur fillette handicapée à Marcq-en-Baroeul (Nord), ont fait appel de leur condamnation, a-t-on appris lundi auprès de leur avocat.

"La construction a été illégalement construite et cela désorganise la vue qu'ils ont, eux, de l'arrière de leur maison : c'est un lotissement, il y a des règles de construction", a fait valoir à l'AFP Me Xavier Dhonte.

En 2001, les parents d'une fillette polyhandicapée, qui aura 10 ans le 1er août, avaient décidé de transformer leur maison et aménagé deux chambres et une salle de bains dans le garage.

"L'extension n'est pourtant pas visible de l'extérieur, la seule chose qu'ils avancent toujours pour justifier ça, c'est le droit, rien que le droit et toujours le droit", a estimé à l'AFP Denis B…, le père de Diane.

— Ah mais, me direz-vous, ici, c'est la morale qui triomphe, les cacochymes légalistes ont été déboutés et condamnés pour procédure abusive (c'est à dire une action motivée par l'intention de nuire). Certes, mais ce n'est que le premier round, et le droit semble être du côté des quérulents. Et la loi est la loi disent ceux qui n'aiment pas leurs voisins ou les étrangers sans papier.

Le permis de construire, validé par la mairie et la direction départementale de l'Equipement (DDE), avait été annulé fin 2004 par le tribunal administratif de Lille saisi par les voisins. La décision avait été confirmée en appel en 2005.

Je ne suis pas spécialiste de l'urbanisme, mais les données du problème sont aisées à comprendre. Chaque commune a un Plan Local d'Urbanisme (PLU), nouveau nom de l'ex-Plan d'Occupation des Sols (POS). Ce Plan prévoit, pour simplifier, une surface maximum constructible, et la répartition de cette surface sur le territoire de la commune, et la part d'un même terrain pouvant être construite (les jardins ne sont aisni pas seulement un agrément pour l'habitant, c'est une obligation légale), ce pour éviter un urbanisme anarchique ou des villes étouffantes et à la salubrité douteuse.

Or aménager un garage (surface non habitable) en chambre et salle de bain ,cela revient de fait à augmenter la surface habitable, donc la part construite du terrain. Si cette part dépasse le maximum prévu par le PLU, le permis de construire qui l'a autorisé est illégal.

Tel était le cas en l'espèce, l'aménagement ainsi réalisé faisant dépasser de 12m² le maximum constructible sur le terrain. L'aménagement en cause semble donc bien illégal, à première vue.

Mais alors pourquoi les voisins ont-ils été déboutés ?

À cause du droit et rien que du droit. Ces voisins ne sont pas chez eux. Leur maison appartient à leurs enfants, ils n'en sont qu'usufruitiers. Le droit de propriété, que ce soit d'une maison ou d'un stylo, se décompose en effet en trois attributs. Le propriétaire de la chose peut en user (en latin : usus). Je puis écrire avec mon stylo. Il peut en jouir (en latin fructus) : je peux prêter ou louer mon stylo. Il peut enfin en disposer (en latin abusus) : je peux le vendre ou le détruire, mettant ainsi fin à mon droit. Le propriétaire jouit de ces trois attributs, parfois limités par la loi (c'est le cas en matière immobilière : la destruction d'un bien est soumise à autorisation administrative). Mais il peut, temporairement, en céder certains. Il peut ainsi consentir un droit d'usage sur un bien (art. 625 et suivants du Code civil), appelé droit d'habitation quand il porte sur un immeuble. Le bénéficiaire de ce droit peut habiter le bien, et c'est tout — mais c'est déjà pas mal.

Le propriétaire peut aussi céder provisoirement l'usage ET la jouissance : usus-fructus, en français usufruit. Le bénéficiaire de ce droit s'appelle usufruitier, et le propriétaire, qui n'a plus que le droit de disposer du bien, s'appelle le nu-propriétaire. Le droit est parfois empreint de poésie… À la différence de l'usager, l'usufruitier peut décider de louer le bien et d'en toucher les loyers, qui lui reviennent.

L'usufruit est très utilisé dans un cadre familial à des fins fiscales. Des parents à la retraite donnent à leurs enfants la nu-propriété de leur maison et en gardent l'usufruit. Ils continuent donc d'y habiter, mais à leur mort, l'usufruit cesse, et les nu-propriétaires deviennent de plein droit plein propriétaires. De plein droit veut dire : sans payer de droits de succession. Les droits sont payés au moment de la donation, mais la donation d'une nu-propriété porte sur une valeur moindre que le prix neuf de la maison (le nu-propriétaire ne pouvant espérer la vendre au prix du marché, il y a un occupant légitime). D'où une sérieuse économie d'impôt, variable selon l'âge de l'usufruitier (plus il est jeune, plus la décote est importante).

Dans les contrats dits de viager, c'est cette technique qui est utilisée : le propriétaire cède la nu-propriété à l'acquéreur et garde l'usufruit. L'acquéreur paye une part du prix de vente, appelée le Bouquet (le droit est très empreint de poésie) et une rente viagère (= à vie, d'où le nom du contrat) à l'usufruitier. C'est très appréciable pour le propriétaire, typiquement une veuve n'ayant pas travaillé : elle touche la pension de réversion (en gros, la moitié de la retraite de son défunt époux), ce qui est fort peu. En vendant la maison en viager, elle bénéficie d'un capital, et d'une rente qui améliore ses revenus mensuels, ce jusqu'à son décès, et continue à vivre chez elle jusqu'à ses derniers jours. C'est un contrat aléatoire puisqu'on ne connaît pas au moment de la conclusion le prix qu'on paiera la maison. Il y a de bonnes affaires (viager conclu en juin 2003, deux mois avant la canicule), il y en a de mauvaises (Jeanne Calment, morte à 122 ans, 5 mois et 14 jours, avait vendu sa maison en viager en 1965, alors qu'elle avait 90 ans, à son notaire, qui a payé la rente jusqu'à sa mort en 1995 ; ses héritiers ont dû la payer à leur tour pendant encore deux ans).

Revenons en à nos usufruitiers acariâtres.

M. et Mme B… avaient été assignés le 6 décembre 2007 devant le tribunal de grande instance de Lille par leurs voisins.

L'avocat de ces derniers avait exigé la démolition des aménagements sous peine d'une astreinte de 1.000 euros par jour. Les plaignants ont été déboutés et condamnés le 31 janvier à 3.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Ils ont demandé en justice la démolition des constructions illégales. Notons que cette demande, entre particuliers, a été portée devant le tribunal de grande instance, juridiction judiciaire, alors que le contentieux de l'annulation du permis de construire, acte du maire, donc de l'administration au sens large, a été portée devant la juridiction administrative. Toujours la grande séparation…

Vous noterez la célérité de la justice : assignation à la Saint-Nicolas, jugement à la Saint-Jean-Bosco. La raison en est simple : l'avocat des parents de Diane a tout de suite soulevé le défaut de qualité à agir, puisque les Lefuneste n'étaient pas propriétaires de leur maison. C'est une question qui est de la compétence du juge de la mise en état, qui a dû régler la question par voie d'ordonnance de l'article 771 du CPC.

Le défaut de qualité à agir est toutefois susceptible d'être régularisé en appel : il suffit pour cela que les propriétaires, qui ont le droit d'exercer cette action, interviennent à cette fin. C'est chose faite (il peut y avoir débat sur la validité de l'intervention, mais je ne m'étendrai pas sur le sujet, il y a —pour le moment encore— des avoués bien plus compétents que moi pour cela.

Donc, le droit, rien que le droit. Et celui-ci semble pencher du côté des Lefuneste… sauf changement de la loi.

Mais rassurez-vous : on a aussi le droit de trouver le comportement des voisins profondément méprisable.

mardi 29 juillet 2008

Passe-passe (tour de) : (expression populaire) entourloupe d'une illusioniste

Par Dadouche



Certains, pris dans la torpeur estivale, l'ignoraient peut-être : le Conseil Supérieur de la Magistrature, dans sa composition disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, a rendu le 18 juillet un avis selon lequel il n'y a pas lieu à prononcer de sanction contre Gérald Lesigne, Procureur de la République de Boulogne-sur-Mer et avocat général au procès d'Outreau.

L'avis est disponible in extenso grâce à Pascale Robert-Diard.
Pour résumer, le CSM est d'avis que les griefs formulés par le garde des Sceaux à l'encontre de Gérald Lesigne ne sont pas constitutifs de fautes disciplinaires sauf "la présentation péremptoire, parcellaire et réitérée de faits ne rendant pas compte du contenu réel du dossier", qualifiée de "manquement au devoir de rigueur qu'impose l'état de magistrat et tout particulièrement celui de chef de parquet". Cette faute ayant été commise antérieurement à la loi de 2002 qui a amnistié (entre autres) les faits passibles de sanction disciplinaires non contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs (pas que pour les magistrats, hein, c'est applicable également aux fautes disciplinaires de tout salarié ou fonctionnaire), elle ne peut donner lieu à sanction.

Les articles 58-1 et suivants de l'Ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature traitent de la discipline des magistrats du Parquet.
L'article 65-1 dispose que "Lorsque le garde des sceaux, ministre de la justice, entend prendre une sanction plus grave que celle proposée par la formation compétente du Conseil supérieur, il saisit cette dernière de son projet de décision motivée. Après avoir entendu les observations du magistrat intéressé, cette formation émet alors un nouvel avis qui est versé au dossier du magistrat intéressé. La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, est notifiée au magistrat intéressé en la forme administrative. Elle prend effet du jour de cette notification."
En gros, le garde des Sceaux peut prendre une décision de sanction plus grave que celle proposée par le CSM, mais doit d'abord redemander l'avis de celui-ci.[1]

On apprend aujourd'hui, de source bien informée, que : "Le maintien de M. Lesigne dans ses fonctions de procureur à Boulogne-sur-Mer n'est pas une réponse à la hauteur de ces traumatismes. La Garde des sceaux a souhaité qu'il quitte la juridiction de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai. M. Lesigne quittera donc ses fonctions à la tête du parquet du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai dans les prochains mois."

C'est là que l'intoxiqué des chaînes d'info en continu s'imagine avoir été enlevé par des extra-terrestres qui lui ont effacé 24 heures de mémoire vive : comment a-t-il pu louper l'annonce d'une demande de nouvel avis au CSM, qui permet juridiquement au garde des Sceaux de prononcer une sanction contre cet avis ?

Et c'est là que l'on s'aperçoit que le garde des Sceaux a sacrifié aux mânes de Jean-Eugène Robert-Houdin, dans un petit tour de passe-passe de communication.

En effet, aucune sanction n'est prononcée contre Gérald Lesigne, qui a lui même sollicité sa mutation pour, selon la rumeur, un poste de substitut général.
Ce qui, dans le communiqué ministériel, devient (roulement de tambour) : "La Garde des sceaux a souhaité qu'il quitte la juridiction de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai. M. Lesigne quittera donc ses fonctions."

J'ai mon avis sur l'avis du CSM, et je n'entends pas relancer ici le débat sur la responsabilité des magistrats ou le bien-fondé ou non d'une sanction en l'espèce.
Je ne conteste même pas le fait que, sur le fond, il est sans doute préférable que le Procureur de Boulogne-sur-Mer, à ce poste depuis 1996, se dirige vers d'autres contrées
Mais la procédure disciplinaire a été tout bonnement détournée, profitant du souhait (réel et ancien) de Gérald Lesigne de quitter ses fonctions à Boulogne-sur-Mer.
Il n'est pas anodin de noter que, si Gérald Lesigne occupe statutairement un poste du premier grade[2] en tant que Procureur de la République dans cette juridiction (car classé comme tel lorsqu'il y a été nommé), il s'agit de fait d'un poste de responsabilité supérieure que la Chancellerie classifie désormais comme un poste "hors hiérarchie".[3] Gérald Lesigne, qui a occupé des fonctions de chef de parquet dans une juridiction "HH" (comme on dit affectueusement chez nous), sera donc, sous couvert d'une mutation "à égalité", nommé sur un poste en réalité inférieur[4]

Ça a la couleur d'une sanction disciplinaire, la saveur d'une sanction disciplinaire, l'habillage d'une sanction disciplinaire, mais officiellement ça n'est pas une sanction disciplinaire
La différence est de taille : le Conseil d'Etat n'aura aucune occasion de fourrer son nez avisé dans cette histoire.

En résumé : chapeau l'artiste et Welcome to Cabaret.

J'aurais quant à moi préféré que l'illusionniste se fît plutôt dompteuse et assumât pleinement son désir de satisfaire aux attentes des foules en sollicitant un nouvel avis du CSM et en prononçant, le cas échéant, selon la procédure prévue par la Loi, la sanction disciplinaire qui lui semblait adaptée.
Quitte à faire claquer son fouet devant les magistrats estomaqués et à aller, plus courageusement, fourrer sa tête dans la gueule du Conseil d'Etat.

Notes

[1] En chipotant, on pourrait d'ailleurs s'interroger sur la possibilité de prononcer "une sanction plus grave que celle proposée" alors que l'avis ne propose aucune sanction puisqu'il n'y a selon le CSM pas de faute disciplinaire. J'avoue, je n'ai pas eu le temps de chercher de jurisprudence sur ce point et l'ordonnance de 58 ne semble même pas envisager la possibilité que le Garde ait saisi à tort le CSM, puisque son article 65 ne prévoit que le cas d'un "avis sur la sanction que les faits reprochés lui paraissent entraîner" et non le cas où il estime que les faits n'entraînent pas de sanction.

[2] le corps judiciaire est composé de trois grades : second grade, premier grade et hors hiérarchie

[3] La réforme du statut de 2001 ayant modifié la proportion de chaque grade au sein du corps, un certain nombre de postes ont été selon l'expression consacrée "repyramidés" dans le grade supérieur, mais ce surclassement ne s'applique pas automatiquement à celui qui est en poste lorsqu'il est décidé, mais seulement à son successeur.

[4] Je sais, c'est pas très clair, je crois qu'il faut que je m'attèle à un billet sur le grade et la fonction dans la magistrature, en douze tomes reliés pleine peau vu la complexité.

Flash back...

Par Gascogne


Nous avions eu à l'aube de l'été 2006 un très intéressant débat sur le fait de savoir si un ancien braqueur pouvait ou non devenir avocat.

L'intéressé vient juste de prêter serment devant la Cour d'Appel de Paris, après un véritable parcours du combattant, nous apprend Libération du jour.

A noter que selon le journal, c'est à l'unanimité des quarante membres du Conseil de l'Ordre que l'inscription a été prononcée. Les avocats parisiens semblent plus ouverts que leurs collègues des autres Barreaux français.

A moins qu'ils ne lisent plus ce blog...

vendredi 25 juillet 2008

Saluons le travail du législateur

Une fois n'est pas coutume, je vais dire du bien du législateur.

Non, je suis sérieux. Parmi le flot continu de textes qu'il vote, il se trouve des bons textes, qui apportent vraiment quelque chose. Et quand on voit qu'en outre, c'est une proposition de loi, c'est à dire une initiative parlementaire, on se sent un peu réconcilié avec le Parlement.

Bon, il y a loin de la coupe aux lèvres, et si le travail est bon, vous verrez qu'il n'est pas parfait.

Rendons donc hommage à Jean-Luc Warsmann (3e Ardennes) et Étienne Blanc (3e Ain), à l'origine de la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines.

Ce texte crée une nouvelle procédure d'indemnisation des victimes d'infraction, l'aide au recouvrement (nouveau titre XIVbis du Livre IV du Code de procédure pénale, articles 706-15-1 et suivants).

Cette procédure est subsidiaire à la procédure d'indemnisation devant la CIVI : elle n'est ouverte que si les procédures des articles 706-3 et 706-14 ne sont pas applicables.

Hein ???

— Patience, mes chers mékéskidis : je parle à mes amis kissavdekoijkozes. Voici la version sous-titrée.

La loi prévoit que certaines victimes des faits les plus graves ont le droit à être indemnisées par l'État. La procédure est portée devant la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction (CIVI) du tribunal de grande instance, et est exercée contre le Fonds de Garantie des Victimes d'Actes de Terrorisme et Autres Infractions (FGTI).

Mais l'accès à cette action est plutôt restreinte, bien que plusieurs lois successives l'ait peu à peu élargi. Il faut que la victime soit morte ou handicapée à vie (on parle d'incapacité permanente partielle, IPP) ou ait eu une incapacité totale de travail (ITT) d'au moins trente jours (Attention, l'ITT n'a rien à voir avec un arrêt de travail), ou que les faits constituent une infraction de nature sexuelle (viol ou agression sexuelle). Enfin, cela a son importance, la loi ne prévoit que l'indemnisation de la victime : les frais d'avocat[1] ne sont pas pris en charge. Ça, c'est l'article 706-3 du CPP.

Autre cas d'ouverture : l'infraction est un vol, une escroquerie, un abus de confiance, une extorsion de fonds ou une destruction, une dégradation ou une détérioration d'un bien appartenant à la victime, qui ne peut obtenir à un titre quelconque (assurance…) une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, et se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave. Cela laisse prise au débat, et de fait, les actions exercées sur ce fondement sont plutôt rares (mais je n'ai pas de chiffres vous communiquer). Ça, c'est l'article 706-14 du CPP.

En dehors de ces cas, la victime n'a pas d'autre recours que d'exiger le paiement par le condamné, souvent insolvable, outre que cela oblige à rester en contact avec l'auteur des faits, et toutes les victimes n'ont pas envie de lui donner leur adresse pour recevoir un chèque. Bref, la voici grosjean comme devant.

Heureusement, Zorro Warsmann et Blanc sont arrivés.

La loi nouvelle crée donc une action subsidiaire, dans les cas où aucune des deux voies ci-dessus ne sont ouvertes : l'aide au recouvrement. C'est une action qui s'est voulue simplifiée, puisqu'elle évite la case juridictionnelle. La demande est portée directement devant le FGTI.

Il y a une condition de délai : l'action ne peut être exercée que deux mois après la décision, en l'absence de paiement volontaire, et dans le délai d'un an à compter du jour où la décision est devenue définitive (nouvel article 706-15-2 du CPP). Attention, piège : le délai est en fait de dix mois, puisque l'action ne peut pas être exercée pendant les deux premiers mois.

Premier bruit dans le moteur

Et déjà, les premiers couinements du mécanisme. Parce qu'une question se pose et n'a pas de réponse, et côté simplicité, c'est raté.

La question : la loi dit que l'action est ouverte en cas d'absence de paiement volontaire. Mais que se passe-t-il en cas de paiement partiel ? Le prévenu doit mille euros, il verse une provision de 50 euros et puis plus rien. Il y a eu paiement volontaire (mais pas total). La victime peut-elle saisir le Fonds de Garantie ? Gageons qu'il y aura des refus de la part du Fonds, aucun recours n'est prévu sur ce point. Déduction personnelle ? Assignation du Fonds devant la juridiction civile de droit commun. C'est sans doute un juge de proximité qui va trancher le premier la question.

Côté simplicité : on veut faciliter la vie de la victime. La preuve, le tribunal devra informer la victime de son droit à exercer cette action (Mesdames et messieurs les présidents, je vous plains : vos délibérés vont bientôt tenir de la tirade cornélienne et dureront aussi longtemps que les audiences, entre les notifications des obligations du condamné, des effets du sursis, de la date de convocation du JAP, et les notifications aux parties civiles, vous n'allez pas vous coucher tôt).

Mais le point de départ du délai et donc sa date d'expiration vont être un vrai casse-tête, puisque c'est le jour où la décision devient définitive.

Une décision devient définitive le jour où plus aucun recours ne peut être exercé contre elle. A priori, ça peut paraître bref, puisque le délai d'appel est de dix jours, et celui du pourvoi en cassation, de cinq.

Oui, mais si le prévenu est absent ? C'est un “contradictoire à signifier[2]”, c'est à dire que le délai d'appel courra à compter du jour de la signification qui sera faite du jugement par huissier. À la diligence du procureur. Diligence dont la victime n'est pas informée. Donc le point de départ du délai lui est inconnu, sachant qu'elle ne pourra exercer son action que deux mois après cette date, et qu'elle n'aura que dix mois pour ce faire.

La loi tente d'apporter une solution au problème, en disposant d'une part que la signification doit être faite dans un délai de 45 jours à compter de la requête du ministère public, mais là encore, la partie civile n'est pas informée de ces diligences. Reste à la partie civile à faire signifier elle même (à ses frais donc) la décision, comme l'article 554 du CPP le lui permet.

Pis encore, si le prévenu n'a pas pu être cité en personne (parti sans laisser d'adresse, par exemple). C'est un jugement par défaut. Or le jugement par défaut peut faire l'objet d'une opposition[3] par le prévenu lorsqu'il lui est signifié, sans condition de délai. Or un jugement par défaut n'est par définition pas définitif, et aucune formalité d'information de la victime n'est prévue en cas de signification du jugement par défaut si le condamné ne fait pas opposition.

Bref, dans bien des cas, la victime risque d'être dans l'impossibilité d'exercer utilement son action, faute d'avoir connaissance du délai de dix mois pour ce faire.

Et concrètement, ça se passe comment ?

Très simplement. Au début.

La demande est portée directement devant le Fonds de Garantie (alors que d'ordinaire, on saisit la CIVI, le Fonds n'étant pas une juridiction, et encore moins impartial puisque c'est lui qui paye, et sa radinerie est légendaire).

Le Fonds peut opposer un refus tiré du non respect du délai (on parle de forclusion). La victime peut demander à être relevée de cette forclusion, si elle justifie par exemple qu'elle n'a pas pu avoir connaissance du début du délai pour agir.

Question : devant qui est portée cette demande ? On a la CIVI, qui s'y connaît en droit de l'indemnisation. On a le JUDÉVI, le JUge DÉlégué aux VIctimes, on a le président de la CIVI qui a des pouvoirs propres, on a le président de la chambre du tribunal jugeant les intérêts civils quand ceux-ci sont jugés postérieurement à l'action publique[4]. En plus c'est facile, ces trois fonctions différentes sont forcément exercées par la même personne. Hé bien non ! Ce sera le président du tribunal, statuant par ordonnance sur requête (art. 706-15-2, al. 2 du CPP). Pourquoi ? Ne cherchez aucune logique : c'est juste la seule juridiction qui peut être saisie par une partie sans que l'autre soit convoquée. Bref, on fait faire des économies au FGTI, qui n'aura pas besoin de se présenter devant le juge pour défendre son refus. Le bricolage législatif commence. On n'y coupe jamais. C'est à désespérer.

Des sous ! Des sous !

Bon, le délai a été respecté, les procédures spéciales des articles 706-3 et 706-14 sont inapplicables : le Fonds va devoir mettre la main au portefeuille.

Première chose à faire : changer de Code. C'est désormais dans celui des Assurances que ça se passe, à l'article L.422-7. Pourquoi ? Sékomsa.

Si les sommes en cause, dommages-intérêts ET article 375 ou 475-1, chers confrères, la loi le prévoit expressément, sont inférieures ou égales à 1000 euros, le Fonds les paye intégralement et immédiatement. Note aux agents du Fonds qui me lisent : préparez-vous à devenir le pourvoyeur d'une prime complémentaire pour les fonctionnaires de la police nationale. Grâce à vous, tous les outrages deviennent solvables.

Si les sommes en cause dépassent les 1000 euro, le Fonds accorde une provision égale à 30% du montant de la condamnation, avec un minimum de 1000 euro et un maximum de 3000 euro.

Par la suite, le Fonds va lui-même tenter de recouvrer l'intégralité des dommages-intérêts auprès de l'auteur des faits. Pour cela, le Fonds peut demander au procureur de la République de requérir de toute personne ou administration la communication de renseignements sur la situation professionnelle, financière, fiscale ou sociale des personnes ayant à répondre du dommage. Le secret professionnel ne peut être opposé au procureur de la République (art. 706-11 du CPP). C'est plutôt efficace.

Remboursez ! Remboursez !

Les sommes récupérées par le Fonds vont servir en priorité à payer… le Fonds. La générosité du législateur a des limites. C'est qu'une victime, c'est gentil, mais ça pleure tout le temps et ça coûte cher. Donc priorité au remboursement des sommes avancées. En outre, car il faut bien vivre, le Fonds pourra ajouter aux sommes prononcées par le tribunal une pénalité au titre des frais de gestion (sic), supportée par le condamné. Cette pénalité est un pourcentage des sommes totales (dommages-intérêts + article 375 ou 475-1) qui sera fixé par le ministre chargé des assurances. Je guette l'arrêté en cause. En outre, le Fonds pourra retenir au titre des frais de gestion un pourcentage, à fixer également par le ministre en charge des assurances, sur les sommes récupérées au-delà de la première avance, pourcentage donc supporté par la victime. L'argent n'a pas d'odeur.

En vrac

Ce n'est pas tout ce que dit la loi, mais ça intéresse surtout les kissavdekoijkozes. La procédure de l'article 706-14 (infraction au bien laissant dans une situation matérielle ou psychologique grave) est étendue aux destructions de voitures sans condition de gravité de la situation, mais sous certaines conditions, précisées au nouvel article 706-14-1 du CPP. Les règles de signification des jugements pénaux sont modifiées. Le droit de procédure de 90 euros de l'article 1018 A qui fait que tous nos clients nous rappellent six mois après leur condamnation est doublé et passe à 180 euros si le prévenu ne se présente pas ou n'a pas donné pouvoir à son avocat. Les informations relatives aux permis de conduire sont rendus plus largement accessibles aux autorités de police judiciaire.

Prochainement dans vos prétoires

Dernier point : l'entrée en vigueur du dispositif. C'est prévu pour le 1er octobre 2008, c'est à dire pour toutes les décisions rendues à partir du 1er octobre, peu important la date des faits. Chers confrères, demandez le renvoi de vos audiences de septembre ! Pour l'indemnisation des voitures détruites, c'est toutes les voitures qui le seront à partir du 1er octobre (message aux sauvageons : merci d'attendre minuit pour casser des voitures la nuit du 30 septembre). Les autres règles sont entrées en vigueur le 3 juillet 2008.

Notes

[1] On parle d'article 475-1 devant le juge de proximité, le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, et d'article 375 devant la cour d'assises ; du Code de procédure pénal s'entend.

[2] Contradictoire signifie que chaque partie a eu la possibilité de présenter ses arguments, à signifier veut dire que le jugement doit être porté à la connaissance du condamné par un huissier de justice —c'est le sens juridique du mot signifier ; en cas d'envoi postal recommandé, on parle de notification

[3] L'opposition se distingue de l'appel en ce qu'elle est jugée par le même tribunal qui a rendu le premier jugement. Le tribunal rejuge l'affaire, ce qui permet au prévenu de présenter sa défense, et lui laisse la possibilité de faire appel, respectant ainsi le droit du prévenu au double degré de juridiction.

[4] L'action civile, ou intérêts civils, fixe le montant de l'indemnisation due à la victime ; l'action publique fixe la peine infligée au condamné.

jeudi 24 juillet 2008

Arrêt sur ma cravate

Le 2 juillet dernier, j'ai participé à l'enregistrement de l'émission d'@rrêt sur image version web. Pendant la pause estivale, @SI fait une série thématique sur “comment l'internet a changé l'info”. Première émission sur le thème de la justice et les blogs, aux côtés d'un aréopage judiciaire : Philippe Bilger, redoutable avocat général à la cour d'appel de Paris, et Pascale Robert-Diard, fine et spirituelle chroniqueuse judiciaire au Monde. Le sourire de Pascale et le verbe de Philippe, Daniel Schneidermann avait mis en place un irrésistible appeau à Eolas.

L'émission est en ligne. Pour les abonnés. Mais je ne peux pas croire que vous ne soyez pas déjà abonnés…

L'équipe technique a relevé le défi de recevoir sur un plateau un invité ne voulant pas montrer son visage, et c'est donc à un plan sur ma cravate que vous aurez droit. Procédé déjà utilisé, mais Blogonautes n'a pas déposé de brevet.

L'émission dure une heure, je n'ai pas encore eu le temps de la voir, mais cette discussion avec deux personnes que je respecte et admire a été, très égoïstement, un excellent moment en non moins excellente compagnie. J'espère que ce plaisir que nous avons pris tous les trois à nous rencontrer s'est ajouté à celui éprouvé par Daniel Schneidermann à nous recevoir, et qu'il sera communicatif aux spectateurs.

Au secours, nos enfants nous égorgent !

Une petite devinette.

Vous savez que depuis des années, on nous serine avec la délinquance des mineurs, et surtout le nouvel ennemi de la République, le récidiviste.

Ah, ces capo di tutti capi des bacs à sable, pour lesquels il faudrait jeter aux orties les principes de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs, chef d'œuvre soixante-huitard bien que signée du général de Gaulle 23 ans plus tôt, qui a opté pour l'éducation au profit de la répression. La cause était entendue : l'angélisme a fait sa sinistre œuvre, nos bambins sont devenus des gangsters hors de contrôle. Il était donc urgent de leur appliquer la loi sur les peines plancher, ce qui a été votée par un parlement tremblant de peur, bien que tout ce qui le hante n'a pas été un enfant depuis fort longtemps (sauf Authueil, qui a un cœur d'enfant dans un corps de troll).

À l'occasion du prochain anniversaire de cette loi, un bilan chiffré a été publié (via la Lettre Omnidroit[€]).

Alors devinette.

À votre avis, entre le 10 août 2007 et le 1er juillet 2008, dans toute la France, combien de mineurs ont-ils été condamnés en état de récidive légale ?

Ne trichez pas, n'allez pas chercher sur Google ou sur le site du ministère de la justice. Il n'y a rien à gagner. C'est juste un petit test entre la réalité telle que vous la percevez par les messages du gouvernement et celle qui résulte de la collecte statistique au niveau des juridictions. On ne se moquera pas des écarts considérables, en plus ou en moins, et on n'applaudira pas ceux qui tombent juste.

Défense de jouer pour les magistrats, ils doivent savoir.

Réponse à 18 heures, j'actualiserai le billet.


Mise à jour 18h00 : La réponse est 231. Soit 1,27 par tribunal pour enfants.

Sur ces 231 condamnations, 51%, soit 117, ont appliqué les peines plancher. Rappelons qu'avant la loi sur les peines plancher, rien n'empêchait les tribunaux pour enfants de prononcer des peines d'une telle hauteur. La loi oblige maintenant à expliquer pourquoi le TPE estime ne pas devoir les appliquer, alors qu'avant, ils devaient expliquer pourquoi ils prononçaient une peine d'une telle hauteur.

Qu'il me soit permis de continuer à penser que l'opération de com' vire à la baudruche qui se dégonfle.

mercredi 23 juillet 2008

Facebook est-il un mouchard ?

L'art de prendre des notes est difficile, et je concède avoir une tendance à un débit élevé quand je m'exprime (les magistrats ont une capacité d'attention relativement réduite, surtout en fin d'audience, et il faut parfois faire passer un message en très peu de temps). La charmante journaliste du Post qui m'a interviewée au téléphone est donc toute pardonnée de n'avoir fait qu'une retranscription partielle de mes propos, surtout qu'elle a enduré avec le sourire mes sarcasmes sur son média.

Néanmoins, je dois à mes lecteurs une plus grande rigueur qu'aux siens, ceux-là ayant été nourris, tels de voraces Romulus, à la mamelle de l'exigence, tandis que les lecteurs du Post sont à l'abri de l'indigestion les sujets de fond étant abordés avec retenue.

Lepost.fr a donc sollicité mes lumières sur une affaire reprise par La Libre Belgique : dans deux affaires judiciaires jugées aux États-Unis, le procureur a tiré argument des pages Facebook des prévenus pour demander, et semble-t-il obtenir des peines plus lourdes. La journaliste du Post se demandait si cela serait légal en France. Ma réponse telle que retranscrite dans l'article, je le crains, ne rend pas hommage à la pédagogie dont j'ai tâché de faire montre :

“Oui.”

Je vais donc me permettre de développer un peu, ce qui évitera que mes éventuelles fulgurances intellectuelles ne soient à jamais perdues (ou à défaut de fulgurance, que mes erreurs soient redressées par un aréopage de lecteurs infiniment plus compétents que moi).

Les affaires en cause

Les deux affaires étaient les suivantes, d'après le récit qu'en fait la Libre Belgique : dans la première, Joshua Lipton, qui avait bu autre chose que du thé avant de conduire, a blessé une personne. Poursuivi pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, il a été condamné à deux ans fermes quand le procureur a exhibé une photo de lui hilare, prise à une soirée festive postérieure aux faits, où il était déguisé avec l'uniforme orange des prisonniers.

Dans la deuxième, Lara Buys était poursuivie pour homicide involontaire pour avoir causé, lors d'un accident, la mort du passager de sa voiture, elle même conduisant en état d'ivresse. Le procureur, qui pensait dans un premier temps demander du sursis, a découvert sur la page Facebook de l'intéressée une photo de celle-ci, une verre d'alcool à la main, plaisantant sur le sujet de la boisson, photo mise en ligne postérieurement aux faits.

À ma connaissance, cela n'est jamais arrivé en France, mais cela serait parfaitement possible.

Quel intérêt ?

L'enjeu d'une audience correctionnelle est double : d'abord établir la culpabilité du prévenu, qui très souvent ne fait pas de difficulté ; puis fixer la peine.

Pour fixer cette peine, la loi laisse le juge libre, lui donnant juste des instructions sur la fin recherchée. C'est l'article 132-24 du Code pénal :

Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction prononce une peine d'amende, elle détermine son montant en tenant compte également des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction.

La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions. (…)

Vous remarquerez que cette formule mêle sans ordre logique des éléments favorables au condamné (favoriser son insertion ou sa réinsertion) avec des éléments défavorables (protection de la société, prévention de l'itération voire la réitération del 'infraction). Cela est dû à des modifications subséquentes, la mention des intérêts de la victime ayant été rajoutée de manière saugrenue par un législateur ne sachant plus où déverser ses larmes (la peine ne regardant en rien la victime), et la prévention de la réitération par le même législateur ne sachant plus où écrire que la récidive ce n'est pas bien, de peur que ce détail ait échappé aux juges ces deux derniers siècles.

Juste un détail en passant, tout de même : cet ajout de la mention de la prévention de la réitération est due à la loi Clément du 12 décembre 2005. Or c'est précisément la prévention du risque de réitération qui a principalement motivé la détention provisoire dans l'affaire d'Outreau. Dormez en paix, tout va bien : le législateur s'occupe de tout.

Ha, et puisque je suis dans le législateur-bashing, une dernière : la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 (article 68) relative à la prévention de la délinquance avait ajouté à cet article un aliné ainsi rédigé :

« En matière correctionnelle, lorsque l'infraction est commise en état de récidive légale ou de réitération, la juridiction motive spécialement le choix de la nature, du quantum et du régime de la peine qu'elle prononce au regard des peines encourues. »

Cet alinéa a été abrogé par l'article 4 de la loi n°2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (dite loi sur les peines planchers). Je ne ferai pas l'injure de rappeler à mes lecteurs que s'il y a eu des élections générales dans l'intervalle, elles n'ont pas abouti à un changement de majorité politique. Vérité en mars, erreur en août. Nouvelle illustration de la politique de gribouille. Deux lois en cinq mois, pour faire un pas en avant, un pas en arrière, et ça compte pour deux réformes. Dormez en paix, tout va bien : le législateur s'occupe de tout.

Je m'égare, mais je ne voulais pas que Benoît Raphaël croie que j'en veux particulièrement à son site. J'en veux à tout le monde, je suis dans ma période Alceste.

Revenons en au sujet

Le débat sur la peine est donc un vrai débat, trop souvent escamoté de l'audience, alors qu'il peut être profondément juridique, en cas de casier garni, par exemple.

Dans des affaires graves de blessures involontaires voire homicide commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique (peines encourues : respectivement trois à sept ans et cinq à dix ans selon les circonstances), aucun obstacle légal n'empêche un procureur d'aller chercher des éléments rendus publics sur internet par le prévenu tendant à démontrer que la contrition dont il fait montre à la barre semble feinte et établir qu'il a continué à avoir une consommation alcoolique analogue à celle ayant provoqué l'accident jugé. Dès lors que n'importe qui y a accès, le procureur peut en faire état (même si, entendez-moi bien, le procureur n'est pas n'importe qui). Les seules conditions sont qu'il ait eu accès légalement à ces données, et qu'elles aient été communiquées à la défense en temps utile pour permettre le débat contradictoire.

J'ai fait ainsi état d'une affaire où je suis intervenu ou un prévenu a passé un mauvais quart d'heure quand le procureur a fait état d'un texte de rap publié sur le site du groupe auquel appartenait le prévenu où il menaçait de représailles la personne qu'il pensait être à l'origine de la dénonciation ayant abouti à sa présence en ces lieux. N'ayant pas assisté aux délibérés, je ne puis dire si cela a influé sur sa peine, mais j'ai ma petite idée, ayant cru remarquer que les juges avaient tendance à interpréter les menaces sur autrui comme un indice du chemin restant à parcourir avec l'amendement du condamné. Cet incident est passé totalement inaperçu, mais c'était une page perso horriblement[1] web 1.0, pas Facebook qui est tellement plus trendy. Pourtant, c'est la même chose, juste moins 2.0.

Procureur de la République wants to be your friend…

Donc, c'est possible. Est-ce que ça va devenir fréquent ? Non, je ne le pense pas. Facebook n'est pas si répandu que ça en France, et cela tient du phénomène de mode. C'est un site qui amuse les étudiants, les jeunes, et les candidats au bâtonnat, pas les prévenus habituels des audiences-pochtrons. Et parmi les utilisateurs, ceux qui publient en masse des détails sur leur vie privée et leurs sorties sont encore plus rares. Bref, ce serait du temps de perdu pour le parquet, qui a autre chose à faire, comme remplir de passionnants formulaires statistiques qui semblent mettre la Chancellerie en joie.

En conclusion, évitez de conduire après avoir bu, vous pourrez continuer à faire ce que vous voulez sur Facebook (sauf m'envoyer des invitations à des applications stupides, je les refuse toutes systématiquement).

Notes

[1] Sérieusement. À côté, la page d'Étienne Chouard, c'est du Vermeer.

mardi 22 juillet 2008

Mignonne allons voir si la Constitution…

…n'a pas besoin que nous la révisions.

C'est à ce cri de ralliement
Que de bon matin tout le parlement
S'est rendu sans la moindre pagaille
En son séjour de Versailles.

Depuis le matin, on annonce la débâcle ;
On décompte et recompte ; en ce jour les oracles
Ne sont pas des pythies qui font tourner des tables :
Les véritables haruspices se sont mués en comptables.

Las, le Chambellan du roy avec une girouette a pris langue,
Et au moment de crier "nenni", après des chefs la harangue,
Alors qu'on voyait la loi choir — voyez, déjà elle boîte !
Une bouche au moins est restée coite.

— Haro sur Iago, qu'il porte la marque de Caïn[1] ;
Gageons qu'au lieu de trente deniers, il aura un maroquin,
Car c'est que tout augmente, ajoutent, perfides, des voix sinistres[2] ;
Qui députent et cumulent à tout va, faute d'avoir pu être ministres.

On crie vengeance, on sonne l'hallali, on parle d'exclusion ;
Et on oublie qu'on a tout de même modifié la Constitution.
D'une voix ? De deux voix ? De l'arithmétique on a la passion,
Mais on daube ce qui est arrivé à nos institutions.

En ce jour a toutefois parlé nul autre que le Souverain.
Et de tout ce tumulte, que reste-t-il, trois fois hélas ?
Beaucoup de bruit et de mots, mais sur le fond, rien ;
Hormis, bien sûr, sur le blog de maître Eolas.

Anonyme du XXIe siècle.


Un peu de prose, après cette minute de poésie, pour revenir sur l'adoption de la réforme de la Constitution, hier par le Congrès.

Tout d'abord, qu'est ce que la Constitution ?

La Loi Fondamentale : le texte sur lequel repose tout l'édifice de la République, rien que ça. Elle est essentiellement l'expression d'un peuple souverain s'associant pour former une Nation, et créer un État chargé de défendre leurs droits et libertés. C'est elle qui dit que nous sommes en République, que notre drapeau est bleu blanc rouge, que notre hymne est la marseillaise, que notre devise est “Liberté, Égalité, Fraternité” et que notre langue est le français et pas le kikoo-lol.

C'est elle également qui définit le rôle et le mode de désignation de chacun (président de la République, Gouvernement, parlement), au moins dans les grandes lignes.

En la forme, c'est une loi, la loi du 4 octobre 1958, mais une loi constitutionnelle. La spécificité d'une loi constitutionnelle n'est pas dans son contenu (on peut y mettre tout et même n'importe quoi, le précédent président ne s'en est pas privé avec l'obligation de tenir un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'UE) mais dans la forme de son adoption. Hé oui, la forme, la procédure, toujours, car c'est là le siège des libertés et de la défense des droits.

Une loi constitutionnelle doit être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, et ratifiée soit par référendum (c'est le principe), soit par le Congrès, formé des deux assemblées, Assemblée nationale et Sénat siégeant ensemble, à une majorité des trois cinquièmes (soit 60%). Le choix appartient au Président de la République. Qui dit ça ? Mais pardi : la Constitution (article 89).

Une Constitution doit être courte et stable. C'est pourquoi nous rallongeons sans cesse la nôtre et la révisons à un rythme effréné. Il est hors de question de faire comme tout le monde. Nous en sommes ainsi à la 24e modification en 50 ans, et la 14e en dix ans (pour comparer, la Constitution des États-Unis a été révisée 15 fois en plus de deux siècles).

Il est d'ailleurs amusant de relever que le Président qui a le plus respecté la Constitution est François Mitterrand, qui n'y a pas touché hormis en 1992, pour permettre la ratification du Traité de Maastricht (avec l'abandon de la souveraineté monétaire, principalement), les révisions de 1993 (Régime de la responsabilité pénale des ministres, et droit d'asile) étant le fait d'Édouard Balladur.

Ces prolégomènes étant terminés, qu'avons-nous décidé hier ? Oui, je dis nous, car la Constitution étant l'expression du peuple souverain, c'est nous qui avons parlé hier.

Le contenu de la réforme

C'est un texte un peu fourre-tout, il faut bien le dire. Alors que chaque révision de la Constitution porte sur un point précis, là, on avait un peu de tout. Volonté de toilettage et de réforme diront les uns, prix de la négociation nécessaire pour les autres.

Le texte de loi fait pas moins de 21 pages. Certains changements sont d'importance, d'autres ne sont que cosmétiques.

Dans les changements importants, je mettrai d'abord le droit du Président de la République de s'adresser au Congrès. Certes, me direz-vous, ce n'est qu'un discours. À cela, je répondrai non : c'est avant tout un symbole.

Le discours sur l'état de la République

Chose surprenante, aucun texte n'a jamais interdit au président de la République de s'adresser en personnes aux assemblées, sous la Ve à tout le moins. C'est une tradition fort ancienne, qui remonte au début de la IIIe république. Souvenons-nous qu'après le départ d'Adolphe Thiers, Mac-Mahon s'est installé du bout des fesses sur le fauteuil présidentiel, uniquement afin de le tenir au chaud le temps de choisir le titulaire du royal postérieur qui s'y assiérait comme roi. Las, le séant le mieux placé était en même temps le plus serré, et la République usucapa le fauteuil.

De cette époque, nous avons gardé la tradition de l'irresponsabilité politique du président. Il ne peut être renversé par les assemblées dans l'exercice normal de ses fonctions. Il faut qu'il y faillisse gravement pour cela. Cette irresponsabilité s'accompagnait comme contrepartie d'une certaine impuissance (politique seulement, comme le président Félix Faure l'a démontré au mépris de sa vie). Le pouvoir était entre les mains du premier ministre, appelé alors président du Conseil (des ministres). C'est là le schéma des monarchies parlementaires européennes (Angleterre, Espagne, Pays-Bas, Danemark…) où le Chef de l'État est un roi qui ne joue aucun rôle politique sauf circonstances exceptionnelles (comme c'est le cas en Belgique où le roi Albert II a pris une vraie décision politique en refusant la démission du premier ministre Yves Leterme). C'est le cas aussi des Républiques parlementaires comme la République Fédérale d'Allemagne, l'Italie, Israël et comme c'était le cas de la France sous les IIIe et IVe républiques. Le Président ne pouvait donc monter à la tribune de l'assemblée, car y monter, c'était s'exposer au risque d'en redescendre sans son mandat (et encore, la tradition de la République romaine était un peu plus radicale). L'immunité de l'orateur s'allie mal avec la souveraineté de l'assemblée. Une autre cause de cette tradition était d'éviter toute pression du chef de l'État sur les représentants du peuple, puisque l'État n'est que l'émanation du peuple.

Désormais, le président pourra aller causer les yeux dans les yeux des parlementaires (je rappelle que la tribune est surélevée).

Cela existe dans d'autres pays, notamment les États-Unis, avec le fameux discours annuel sur l'État de l'Union. L'Espagne a adopté ce rendez-vous annuel solennel, avec le discours sur l'état de la Nation (le terme d'union, s'agissant de l'Espagne, est particulièrement audacieux). C'est, je pense, ce qu'a à l'esprit notre président bien-aimé. Ce discours n'est pas suivi d'un vote, on n'est pas à la Star Ac'. Il sera suivi d'un débat, mais hors la présence du président.

De prime abord, ce n'est qu'un discours. Ça mettra en émoi les services Politique des rédactions, obligera le service public à déprogrammer Des chiffres et des lettres, mais juridiquement, ça ne prête pas plus à conséquence, dira-t-on. Voire.

Jamais la France n'a connu un tel rendez-vous, surtout s'il devient régulier, une sorte de point fait sur l'année écoulée et les chantiers de l'année à venir. Jusqu'à présent, ce qui en faisait office, c'était le DPG, le discours de politique générale du premier ministre nouvellement nommé, qui vient faire la liste des promesses qu'il ne va pas tenir et demande si le parlement lui fait confiance pour manquer à sa parole. Vu la stabilité des premiers ministres, qui va aller grandissant avec l'alignement des mandats du président et de l'assemblée, le DPG est un événement isolé. Que le président vienne régulièrement devant le parlement faire le bilan de ce qui a été fait et reste à faire, et le DPG perd tout sens. Inéluctablement, on se dirige vers une décollation de l'exécutif : je ne vois pas à ce qui, à moyen terme, sauvera le premier ministre, si on lui retire son seul moment de bravoure. On sait ce qu'il est advenu de sa responsabilité : depuis la jurisprudence Pompidou, plus aucune motion de censure n'est passée, et la jurisprudence Galouzeau a achevé de démontrer que sa responsabilité politique est une farce (à moins qu'en l'espèce, ce ne soit le premier ministre lui-même qui n'ait été une farce). Bref, une modification symbolique qui peut être lourde de conséquences sur l'équilibre des institutions. Une Constitution est une machine complexe, et toucher à un levier peut avoir des effets imprévus.

L'exception d'inconstitutionnalité

S'il devait y avoir une bonne raison de voter oui, c'était celle là. Enfin, enfin, je cesserai de rougir face à mes homologues juristes du monde entier expliquant que chez nous, le peuple souverain n'avait pas le droit de s'émouvoir d'une liberté prise par le législateur avec la Constitution. Désormais, ce point peut être soulevé par voie d'exception devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation qui pourront alors saisir le Conseil constitutionnel d'une question préjudicielle[3] Les deux hautes cours constitueront un filtre. Je parie que le Conseil d'État, d'ici quelques années, nous pondra un grand arrêt où il se permettra de trancher lui-même les questions qui ne posent aucune difficulté, en s'abstenant de saisir le CC et en prononçant lui-même l'inconstitutionnalité. À vos GAJA. Sur la question de l'exception d'inconstitutionnalité, voyez la fin de ce billet.

L'examen en séance publique des projets de loi tels qu'amendés par les commissions

Un projet de loi (émanant du gouvernement, sinon on parle de proposition de loi) est d'abord examiné en Commission. Ces commissions parlementaires, permanentes, ont un rôle très important. Le texte est décortiqué, un parlementaire est nommé rapporteur de la commission, et devient LE spécialiste du texte, et une vraie discussion, approfondie et technique a lieu. Las, loin des caméras de télévision, les travaux des commissions n'étant pas public même si un compte rendu est publié. Les amendements déposés sur le texte sont examinés et la commission peut en adopter certains. Jusqu'à présent, le projet de loi était cependant discuté tel que déposé par le gouvernement, même après son passage en commission. Le vote de la commission ne servait qu'à signaler les amendements bien vus par l'assemblée et susceptibles d'être adoptés. Désormais, ces amendements adoptés modifieront le texte tel que débattu en séance publique. Les commissions ont un vrai droit d'amendement, ce qui les renforce considérablement. Il ne se passera pas longtemps avant qu'un ministre ne regrette cette modification. Qui a dit HADOPI ?

Le droit de veto parlementaire des certains postes de hauts fonctionnaires

La liste sera fixée ultérieurement, mais pour ces très hauts fonctionnaires (je suppute le premier président de la cour de cassation, le vice-président du Conseil d'État, et le premier président de la cour des comptes entre autres ; quid du Conseil constitutionnel ? Et, au hasard, du procureur de la République de Nanterre ?), la désignation sera soumise pour avis public à des commissions parlementaires permanentes ; si le total des "non", toutes assemblées confondues, atteint les trois cinquièmes, la nomination est refusée. Là encore, le parlement peut exercer un vrai contrôle de l'exécutif. À lui de le faire.

La possibilité de contourner le référendum obligatoire pour la Turquie tout nouveau pays entrant

Finalement, le cadeau empoisonné de Chirac a survécu, mais les deux assemblées peuvent adopter une résolution (c'est une autre nouveauté de cette réforme, déjà en germe par le traité de Lisbonne : des textes non législatifs exprimant la volonté d'une assemblée) aux trois cinquième décidant d'approuver cette adhésion par le Congrès, avec une majorité des trois cinquièmes. Donc : il n'y aura pas de référendum sur l'adhésion des futurs états membres des Balkans et d'Europe de l'est, sauf éventuellement pour la Turquie (et encore, je n'y crois pas, la France ne pourra se permettre de bloquer un traité d'adhésion qu'elle aura nécessairement signé, et provoquer une crise diplomatique avec l'Union européenne et la Turquie, vu la qualité des arguments qui seront invoqués par les nonistes— une vieille tradition, là aussi).

La ratification expresse des ordonnances

Je le mentionne pour les juristes, mais disons que c'est une anomalie sévère qui est corrigée. Jusqu'à présent, quand le parlement habilitait le gouvernement à agir dans le domaine de la loi par un texte qu'on appelle une ordonnance, il fallait que le parlement ratifie ces ordonnances, à peine de caducité. Or il suffisait pour cela de déposer un projet de loi ratifiant les ordonnances, inutile qu'il soit voté. Désormais, ce sera le cas, il faudra enfin que le parlement assume ses responsabilités de délégataire. J'applaudis.

La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature

Gascogne en avait déjà parlé. Les magistrats deviennent minoritaires. Plus exactement, à égalité avec les membres désignés par les politiques (deux par chaque président : de la République, de l'Assemblée, du Sénat) : six de chaque côté. Au milieu, pour faire pencher la balance en cas de division des simarres contre les complets-vestons : un avocat et un conseiller d'État. Je reviendrai, moi ou Gascogne, sur cette réforme, après l'adoption de la loi organique.

En vrac

Signalons aussi l'augmentation du nombre de commissions parlementaires, l'information du Parlement sur les opérations militaires extérieures avec son approbation si elles durent plus de quatre mois, la plus grande maîtrise par les assemblées de leur ordre du jour. Tout cela concourt à un renforcement du rôle du parlement, et c'est à porter au crédit du président de la République : c'est un homme qui aime la confrontation, et il ne s'est pas glissé avec délectation dans les charentaises du président intouchable avec un parlement docile. Il a donné au parlement les moyens d'un vrai pouvoir de contrôle, cela s'imposait, pensè-je. Le président de la République ne peut exercer plus de deux mandats électifs. Il est vrai que nous n'avons jamais réélu un président deux fois (notons qu'à ce jour, seul VGE aurait survécu jusqu'au bout de ce troisième terme), donc pour trois mandats, et que de prime abord, cela peut sembler bien inutile. Toutefois, le rabaissement du mandat présidentiel à cinq ans en 2001 et le rajeunissement des candidats à la dernière élection montre que l'hypothèse de quinze ans de présidence est devenue possible. Était, de fait ; désormais : le record de Mitterrand est devenu imbattable.

Poudre aux yeux

Il n'est pas de bonne loi qui ne contienne des dispositions inutiles. Celle-ci ne manque pas à la règle, et contient des modifications qui soit n'ont guère de sens, soit sont inapplicables, soit n'ont aucun intérêt. Ça sent les négociations P2P (President To Parlementaire).

— Le référendum d'initiative populaire.

Tellement encadré (initiative d’un cinquième des membres du Parlement —185—, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales—4,5 millions—, ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an) qu'il n'est qu'une virtualité.

— La limitation de l'usage du “49-3”.

Sur ce qu'est le 49-3, voir cet article. Désormais, son usage sera limité à une loi par session (en principe, une session par an, sauf sessions extraordinaire convoquée par le président de la République - nous sommes en session extraordinaire), sauf les lois de financement (budget et sécurité sociale) qui sont les lois à 49-3 par excellence. La concomitance des élections présidentielles et législative et le système majoritaire rend l'hypothèse d'un parlement rebelle peu probable. Bref, l'exécutif n'a pas cédé grand'chose.

— Limitation du recours à l'urgence législative.

Une loi doit être adoptée en des termes identiques par les deux assemblées. En principe, une loi est discutée deux fois par chaque assemblée (on parle de première lecture, deuxième lecture). En cas de désaccord persistant, le texte est envoyé en commission mixte (des députés et des sénateurs…) paritaire (…en nombre égal). Un texte de compromis est élaboré. S'il n'est pas adopté en des termes identiques, le texte repart en aller et retour (on parle de navette) sauf si le Gouvernement siffle la fin de la partie et décide que c'est l'assemblée nationale qui aura le dernier mot. Jusqu'à présent, si le Gouvernement estime qu'il y a urgence (parce que voilà) le texte part en CMP dès la fin de la première lecture. Ça limite la possibilité du dialogue entre assemblées, et les parlementaires n'aiment pas qu'on les bouscule (surtout les sénateurs, c'est connu).

Hé bien fini l'urgence !

Vous y avez cru, hein ? Désormais on parlera… de procédure accélérée. Deux mots au lieu d'un seul, voilà la réforme. Ha, oui, la conférence des présidents de groupe peut s'y opposer, et l'urgence tombe si les deux conférences des présidents s'y opposent conjointement. Ce qui est aussi improbable qu'une scène d'action dans Derrick.

— La réforme du Conseil Économique et Social.

C'est un organe qui ne sert à rien (désolé pour mes lecteurs qui y travaillent), une machine à produire des rapports que personne ne lit et à caser des obligés. Désormais… il s'appellera le Conseil Économique, Social et Environnemental. Fin de la réforme.

Je m'arrête là, n'ayant pas la prétention de l'exhaustivité, mais les détails de procédure parlementaire n'intéresseront que des personnes qui en connaissent déjà le contenu. Je ne me sens pas la compétence pour en juger le bien-fondé et l'efficacité (quoi que je reste dubitatif devant l'examen des propositions de loi par le Conseil d'État : qui fera le Commissaire du Gouvernement ? L'auteur de la proposition ? Ça pourrait être drôle).

À voir sur ce sujet, en plus bref, et aussi sur les à-côtés, et notamment pourquoi réunir ce Congrès maintenant malgré l'opposition des socialistes : Ceteris Paribus.

Notes

[1] Genèse, 4, 15.

[2] Du latin sinister, gauche.

[3] Question dont la réponse influe sur la solution d'un litige, posée à une autre autorité seule compétente pour répondre à cette question, le procès étant suspendu dans cette attente.

lundi 21 juillet 2008

Affaire R.M. c/ Allemagne : la loi allemande sur la rétention de sûreté devant la cour européenne des droits de l'homme

Par Fantômette


Le 1er juillet dernier s’est tenue devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme une audience qui devrait intéresser au plus haut point aussi bien les partisans que les opposants à la loi sur la rétention de sûreté, dont vous trouverez des commentaires notamment ici, et .

Il est inévitable que la loi française soit tôt ou tard déférée devant la cour européenne des droits de l’homme. La décision du conseil constitutionnel, que l’on qualifiera aimablement ici de décision « en demi-teinte », a réussi à laisser insatisfaits aussi bien les inévitables piliers de comptoir les partisans d’une réponse ferme - et si possible définitive - au problème de la récidive, que les amis des assassins les partisans d’une réponse pénale plus mesurée.

La loi allemande présente suffisamment de similitudes avec la loi sur la rétention de sûreté pour laisser penser que la décision à venir, quelle qu’elle soit, offrira d’intéressants arguments aux deux camps en présence, et ceci très rapidement, les juridictions nationales se référant depuis fort longtemps, tant aux principes posés par la convention européenne des droits de l'homme, qu'à la jurisprudence de la cour.

Comment se présentait l’affaire en l’espèce ?

RM a été condamné par le tribunal régional de Marburg en 1986, pour tentative de meurtre et vol, à une peine de 5 ans d’emprisonnement.

Son parcours laisse penser qu’il a toujours présenté d’importants troubles psychiques, puisqu’il alterne depuis sa majorité pénale séjours en prison et séjours en hôpital psychiatrique[1].

En plus de sa peine d’emprisonnement, le tribunal a également ordonné le placement du condamné en "détention de sûreté", placement jugé nécessaire au vu de la "forte propension du requérant à commettre des infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique"[2].

C’est ce fameux "placement en détention de sûreté", qui évoque grandement notre propre mesure de "rétention de sûreté".

Le droit pénal allemand connaît, comme le droit pénal français, la distinction classique entre les peines (Strafen) et les mesures de sûreté (Maßregeln der Besserung und Sicherung). L’objectif de ces mesures est double, et vise aussi bien à la réhabilitation du condamné, qu’à préserver l’ordre public, en écartant les personnes dangereuses.

La mesure de détention de sûreté, qui se rajoute à la peine d’emprisonnement mais ne s’y confond pas, fait naturellement partie des mesures de sûreté.

Le droit pénal allemand prévoit que la durée de cette mesure de détention doit être proportionnelle à la gravité des infractions commises ou susceptibles d’être à nouveau commises (sic), comme à la dangerosité du condamné. Précisons enfin qu’à la date de la condamnation du requérant, le maximum légal d’une détention de sûreté ne pouvait excéder 10 ans.

En 1991, après avoir purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement, le condamné commence sa détention de sûreté, et en 2001, dix ans plus tard, donc, il saisit la Cour Régionale de Marburg d’une demande de libération.

Sa demande est rejetée.

Le coeur de cette affaire relève en effet d'un problème d’application de la loi dans le temps, qui n’est pas sans rappeler celui posé par la loi française sur la rétention de sûreté.

Par une loi du 26 janvier 1998, entrée en vigueur le 31 janvier 1998[3], une réforme a supprimé le maximum légal d’une détention de sûreté, détention qui, non seulement peut désormais excéder 10 ans, mais pourra même désormais ne jamais prendre fin.

Désormais, au bout de dix années de détention, la cour[4] ne met fin à cette mesure que s’il n’y a plus de risque que le détenu commette des infractions, provoquant de graves préjudices physiques ou moraux à d’éventuelles victimes [5].

Le détenu relève désormais de ces dispositions, qui lui ont été déclarées immédiatement applicables, malgré le fait que tant les faits que sa condamnation étaient largement antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. L’argumentation des juridictions allemandes, similaire à l’argumentation du conseil constitutionnel, consiste à opérer la traditionnelle distinction entre peine et mesure de sûreté, réservant au seul bénéfice des premières l’application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, qui ont toutes rejeté ses arguments, le 24 mai 2004[6] RM a saisi la cour européenne des droits de l’homme.

Il fonde son recours sur les deux points suivants, dont nous attendrons avec impatience qu’ils soient soigneusement examinés par la cour de Strasbourg :

  • L’article 5.a de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf ...s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;"

  • Et l’article 7.1 de cette même convention :

"Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise."

Ci-dessous, pour ceux, dont je fais partie, qui n’ont jamais assisté à une audience devant la cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales : Mesdames et Messieurs, chers lecteurs, amis magistrats, et chers confrères, levez-vous…

La Cour !

L’affaire a été mise en délibéré. Aucune date n’a pour le moment été communiquée, à ma connaissance, pour la publication de l’arrêt sur le site.

Il faut préciser que depuis que le requérant a saisi la Cour, il a pu bénéficier d'une mesure de libération, son état psychatrique ayant évolué positivement selon les experts. La libération est assortie de mesures de contrôle.


PS : le nom du requérant figure en toute lettre à de multiples endroits sur le site de la cour européenne, et il est maintes fois cité dans les débats. Néanmoins, le Conseil de celui-ci a formellement requis que la Cour veuille bien ne publier l'arrêt à venir qu'en préservant l'anonymat de son client. L'arrêt pourrait être un arrêt de principe - en fait, il devrait être un arrêt de principe. Il fera probablement l'objet d'une large publicité, laquelle ne pourrait qu'être préjudiciable à RM, et nuire à ses perspectives de réinsertion. La Cour n'a évidemment pas tranché sur cette demande. J'ai pris le parti dans le billet de prendre néanmoins les devants, et de ne me référer au requérant que par le biais de ses initiales. Je vous remercie de bien vouloir vous en tenir à cette règle en commentaires.

Notes

[1] C’est d’ailleurs alors qu’il était encore suivi dans le cadre d’un séjour en HP qu’il a tenté de commettre un homicide volontaire sur une bénévole de l’établissement.

[2] oui, je sais. C’est rédigé ainsi dans le résumé des faits publiés sur le site de la CEDH.

[3] Alors donc que le condamné purge son temps de détention de sûreté

[4] dont il semble qu’elle soit automatiquement saisie à l’expiration de ce délai, si j’interprète correctement l’article 67.D-3 du code pénal allemand.

[5] La traduction officielle anglaise présente sur le site est la suivante : the court shall declare the measure terminated if there is no danger that the detainee will, owing to his criminal tendencies, commit serious offences resulting in considerable psychological or physical harm to the victims…

[6] oui, je sais, c’est un peu long. D’aucun se gausseront de voir la cour européenne condamner très régulièrement le France – et bien d’autres Etats – pour le délai déraisonnable dans lequel certaines affaires sont jugées. Il est permis de déplorer que la cour elle-même ne puisse mettre ses affaires en état plus rapidement, sans pour autant admettre que les juridictions nationales en fassent autant.

dimanche 20 juillet 2008

Mais où diable est Maître Eolas ?

Je brise enfin le silence qui fut le mien cette semaine, épuisante il faut le dire. Code rouge sur code rouge ; des bonnes nouvelles et des moins bonnes, une notamment qui a du mal à passer. J'ai fini la semaine physiquement et mentalement épuisé. Dans ces conditions, j'aurais été un piètre hôte. Merci à mes commensaux d'avoir formidablement pris la relève et d'avoir maintenu le blog en vie.

Reprenons tranquillement avec un billet qui fait du bien.

Ce dimanche, je vais vous parler de Matthew Harding.

Matthew est un américain de 31 ans, né dans le Connecticut, qui a commencé sa carrière comme développeur de jeux vidéo. Sa carrière l'a conduit à Brisbane en Australie.

Après quelques années dans ce secteur beaucoup plus sérieux et exigeant qu'on ne le croit, il en a eu un peu assez, et a eu envie de partir voyager de par le monde.

Afin de donner des nouvelles à sa famille, plutôt que d'envoyer des cartes postales, il a créé un site internet, wherethehellismatt.com, «Oùdiableestmatt.com». Dans les endroits qu'il visitait, il demandait à des gens du coin de le filmer en train de faire une danse ridicule qui était sa signature lors des fêtes où il allait (car contrairement à une légende, les informaticiens n'ont pas fait vœu de chasteté ou de célibat, c'est juste qu'ils draguent comme des mérous), et mettait cette vidéo en ligne en indiquant l'endroit où elle avait été filmée.

Très vite, son site a eu des visiteurs qui débordaient du cadre de sa famille, qui ont laissé des commentaires l'enjoignant de continuer à poster ces vidéos. Fort bien, répondit-il, mais il faut que vous m'aidiez à voyager.

Chiche, lui a répondu une marque de chewing gum, Stridegum®, qui l'a sponsorisé.

Une première vidéo, montage de ses courtes vidéos, a eu un énorme succès, et a fait de lui une célébrité de l'internet (je vous la mets en annexe, en fin de billet).

Cela fait 3trois ans qu'il enchaîne les voyages, il en est à son troisième périple, et sa venue donne désormais lieu à un rendez-vous avec les habitants de la ville qui suivent ses pérégrinations sur internet.

Et voici les dernières nouvelles de Matt.

Une vidéo qui, quelle que soit votre humeur, vous donne le sourire. (Musique de Garry Schyman, Praan).


Where the Hell is Matt? (2008) from Matthew Harding on Vimeo.

Bon dimanche.


Si vous voulez du rab, voici la première vidéeo de Matt, qui date de 2005. Vous noterez que ses talents de chorégraphe se sont améliorés avec le temps.

Et voici la deuxième vidéo, de 2006, qui a fait de Matt une célébrité. (Musique de Deep Forest, Sweet Lullaby). Regardez bien au début de la troisième minute jusqu'où il est allé…


Where the Hell is Matt? from Matthew Harding on Vimeo.

Enfin, même si ce n'est pas la période de Noël, l'inévitable bêtisier.

mercredi 16 juillet 2008

Aux méritants du 14 juillet

Par Gascogne


L'on apprend dans la presse de cette semaine que sur le contingent des promus à l'ordre de la légion d'honneur figure, outre quelques personnalités comme Ingrid BETANCOURT, Jacques SEGUELA ou Dany BOON, une dame se nommant Nicole CHOUBRAC. Fort bien pour elle, me direz-vous...Et Gascogne aurait-il abusé d'exposition solaire pour parler de cela ? Non, mon indice 60 se porte bien, merci. Ce qui me dérange, c'est que Mme CHOUBRAC est magistrate. Rien n'interdit à un magistrat d'être décoré, mais cette possibilité m'a toujours posé question. Non pas parce qu'il s'agirait de "hochets de la République", dont je pourrais me sentir jaloux, mais parce que ce genre de récompense peut prêter à interprétation.

Comment ça, me direz-vous (si, si, je suis sûr que vous me le direz, et j'ai envie de vous faire participer, amis lecteurs). Reprenons notre exemple : s'il a attiré mon attention, c'est que Mme CHOUBRAC n'est pas n'importe qui. Outre le titre de vice-présidente au Tribunal de Grande Instance de Nanterre depuis le 1er février 2004, elle est en charge des fonctions de juge aux affaires familiales. Et surtout, elle s'est occupée du divorce de certaines personnalités, du fils de Richard Anthony à l'actuel Président de la République.

Je ne remets absolument pas en cause les compétences professionnelles de cette personne, que je ne connais pas par ailleurs. En outre, elle est nommée sur le contingent du Ministère de la Justice au milieu de bien d'autres professionnels du droit. Ce qui me gêne, c'est l'impression de mélange des genres. Récompense-t-on pour "services rendus" ? Et dans ce cas, lesquels ?

Les juges ne peuvent pas d'un côté hurler à l'atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire, et de l'autre accepter les récompenses de l'exécutif, à plus forte raison lorsque le membre de l'exécutif en question a été partie à une procédure jugée par la récompensée. C'est sans aucun doute très flatteur pour l'égo et reconnaissant pour le travail effectué, mais c'est très dangereux du point de vue des symboles.

De plus, comment expliquer que ce qui est interdit au membre du pouvoir législatif (art. 12 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires[1]) soit autorisé pour les magistrats ? Une proposition de loi récente avait bien été présentée à l'Assemblée nationale, mais n'avait pas été suivie d'effet.

Comme j'ai pu le raconter, un membre "politique" du Conseil Supérieur de la Magistrature avait répondu à un membre magistrat de ce même Conseil qui déplorait le plus que faible budget de la justice : "tant que vous n'accepterez pas le collier, vous n'aurez pas la soupe". J'ai toujours en moi la crainte que pour les moins affamés d'entre nous, un hochet ne suffise.


Mise à jour du 20 juillet : Merci à Fantômette de m'avoir signalé que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a pris une résolution concernant l'éthique de ses juges, où le problème des décorations est abordé : c'est ici.

Notes

[1] Art. 12. - Les membres des assemblées parlementaires ne peuvent être nommés ou promus dans l’ordre national de la Légion d’honneur ni recevoir la médaille militaire ou toute autre décoration, sauf pour faits de guerre ou actions d’éclat assimilables à des faits de guerre.— Disposition reprise à l’article R.22 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire et, partiellement, à l’article 17 du décret n° 63-1196 du 3 décembre 1963 s’agissant de l’ordre national du Mérite.

lundi 14 juillet 2008

Les avocats, les magistrats et leur Révolution

Par Fantômette


Comme il n'aura échappé à personne, aujourd'hui, c'est le 14 juillet, jour de fête nationale et commémoration de la prise de la Bastille de la Fête de la Fédération. Si cette commération est avant tout devenue l'occasion d'une revue des armées qui, à l'instant où je vous écris [1], mobilise toutes les chaînes de télévision, l'histoire du 14 juillet 1789 n'imposait pas qu'il en soit ainsi.

La révolution française a bien des sources, que je n'ai ni la compétence, ni le désir, d'énumérer ici. Les économistes en distinguent les prémisses dans l'évolution d'une économie qui fait apparaître une classe bourgeoise, marchande et financière, éduquée et ambitieuse. Les philosophes se régalent d'en attribuer tout le mérite à la philosophie des Lumières, une philosophie qui a indubitablement bénéficié également des progrès techniques de l'imprimerie qui en ont permis une large diffusion.

Mais les juristes n'étaient naturellement pas en reste, à une époque où avocats et magistrats marchaient souvent de conserve, et ce pour le plus grand embarras du pouvoir souverain.

A l'époque, l'ancêtre de l'institution judiciaire, c'est le Parlement. Une vénérable institution, exerçant au nom du souverain, une justice déléguée. En théorie.

Car depuis longtemps, les magistrats ont de la ressource. Le Parlement, en-dehors de ses fonctions juridictionnelles, est également le gardien des sceaux royaux. Il lui appartient par conséquent d'enregistrer édits et ordonnances rendus par le pouvoir souverain. Mais que se passerait-il, se sont un beau jour demandé certains esprits libres malins si nous refusions d'apposer les sceaux sur des textes dont la teneur ne nous sied guère ?

Sitôt dit, sitôt fait : ce fut l'apparition de la pratique dite du "droit de remontrances". Le Parlement, chagriné de voir son souverain régulièrement se fourvoyer dans des décisions mal venues, s'est mis, de temps à autre, à refuser d'enregistrer les ordonnances royales, voire à les amender.

Ce droit de rémontrances est d'abord utilisé avec parcimonie, et notamment, bizarrement, lorsque le régime est affaibli. Louis XIV, par exemple, ne s'est jamais vu infliger une quelconque remontrance [2]. Ce droit fut rétabli maladroitement par le Duc d'Orléans qui souhaitait s'attirer les bonnes grâces du Parlement et s'emparer de la régence à la mort de Louis XIV, et qui va rapidement s'en mordre les doigts.

Le pouvoir, dont les caisses sont vides, veut faire passer des édits pour assainir les finances et lever des taxes ? Remontrances. Le Régent tente de rattraper le coup et de réglementer le droit de remontrances ? Remontrances. Deux magistrats sont arrêtés. Les avocats se mettent en grève. Le duc d'Orléans doit céder.

Les finances, avec tout cela, sont toujours dans un état catastrophique. L'Etat cède à prix d'or à la Compagnie des Indes le monopole du commerce avec l'Asie. Remontrances. Les magistrats sont sanctionnés[3], et dans la foulée, nouvelle grève des avocats, dont le mot d'ordre claque comme un slogan du SAF : "L'avocat libre ne peut plaider que devant un Parlement libre".

La grande épreuve de force entre le Parlement et Louis XV laissera toutefois l'avantage à ce dernier. Le Parlement ancienne version est renversé, par une grande réforme des institutions, mise en place par le chancelier Maupéou, qui jette les bases de l'organisation judiciaire moderne [4] par des édits des 20 novembre et 1er décembre 1770, 23 janvier et 13 avril 1771. Le droit de remontrances est maintenu, mais le dernier mot appartiendra au roi, qui pourra imposer l'enregistrement de ses édits lors des lits de justice. Création de charges pour les avocats, dont l'avantage majeur sera qu'elles pourront lui être retirées s'il se met en grève. Interdiction d'arrêter le service de la justice. Nomination des magistrats par l'Etat, ces derniers se voient retirer leurs charges vénales, mais non leurs offices acquis.

Le Parlement s'insurge logiquement, et refuse d'enregistrer ces édits. Un lit de justice est organisé. Le roi ne cède pas. Furieux, les magistrats se retirent et cessent le travail. Louis XV n'est ni Louis XIV, brutal, ni Louis XVI, indécis. Il suit logiquement l'esprit de sa réforme, confisque les offices des magistrats concernés et charge son chancelier d'en désigner les remplaçants.

Mais où sont passés les avocats, si prompts à défendre des magistrats qui, rappelons-le, le plus souvent, sortent de leurs rangs ?

Maupéou, habile, a compris qu'il fallait, pour faire plier le Parlement, briser la solidarité qui existait entre magistrats et avocats. Sollicités par Maupéou, qui leur présente une réforme que peu contestent sur le fond[5], ces derniers retirent leur soutien à l'ancien Parlement et rallient le Parlement Maupéou, non sans créer au passage une profonde division entre avocats, qui laissera des traces jusqu'après la Révolution. En novembre 1771, la plupart des avocats prêtent serment devant le nouveau Parlement[6].

Avocats divisés, petits pois éparpillés, était-ce la fin des haricots[7] ?

Que nenni, c'était sans compter sur ce grand benêt naïf de Louis XVI. Qui, le 12 novembre 1774, dans le but louable de réconcilier tout le monde et de s'attirer l'amabilité de ceux qu'il souhaitait obliger, rétablit l'ancien Parlement dans l'ensemble de ses prérogatives, sous cette réserve que le droit d'enregistrement sera réservé à la Grand Chambre du Roy, et que le droit de grève restera interdit. Puis, il rappelle les anciens magistrats limogés. Ces derniers ne vont pas lui démontrer pour autant toute la reconnaissance à laquelle il aurait pu s'attendre.

Le 30 novembre 1774, 18 jours après que ces magistrats se soient vus réintégrés, le Parlement refuse d'enregistrer... l'ordonnance du 12 novembre 1774. Oui, celle-là même qui vient de le rétablir. L'ambiance n'est pas fameuse. Le Parlement exerce son droit de remontrances, et proclame que nulle loi ne peut être enregistrée sans avoir préalablement reçue l'accord du Parlement, et ce - pour faire bonne mesure - en toute matière.

Le pouvoir ne réagit pas.

Entre 1775 et 1789, l'opposition systématique du Parlement et du Roi va bloquer totalement la marge de manoeuvre du souverain. L'immobilisme de ce dernier provoque l'escalade des prises de position du Parlement[8] Toute décision du Parlement, si elle est critiquée par le roi, provoque les manifestations des magistrats. S'ils sont sanctionnés[9], le barreau se met aussitôt en grève, et l'Etat est paralysé.

Dans un dernier effort pour revenir en arrière, le Roi convoque un lit de justice à Versailles, et indique vouloir créer une chambre d'enregistrement au sein du Parlement. Dans la crainte de provoquer de nouveaux troubles, il met le Parlement en vacances, mais en vain. Les magistrats sont furieux et inondent le pays de libelles, qui contribuent à échauffer les esprits. Les avocats se mettent à leur tour en grève, et bloquent une nouvelle fois tout l'appareil institutionnel.

Le roi cède, encore.

Dépassé peut-être, dans l'impasse la plus complète certainement[10], le Roi convoque alors les Etats Généraux, le 23 septembre 1788.

Cette décision, qui le place déjà sur un chemin qui s'avèrera bien sombre en ce qui le concerne, a cependant un effet un peu inattendu et va précipiter un nouveau divorce entre avocats et magistrats. Les magistrats, en effet, veulent convoquer des Etats Généraux classiques, dans lesquels noblesse de robe et clergé sont sur-représentés par rapport au Tiers Etat. Les magistrats font partie de la noblesse de robe, ce qui n'est pas le cas des avocats.

Ces derniers rompent avec les magistrats, et décident de défendre leurs propres droits, ceux de la bourgeoisie. L'avocat entre en politique. Il se trouve une nouvelle solidarité auprès des justiciables. Il couvre à son tour le pays de libelles vengeurs, pourfendeurs des privilèges et de toutes les noblesses. Il est le porte-parole des citoyens mécontents, rédige les cahiers de doléance, et commence par dominer le Tiers Etat avant, rapidement, de se trouver lui-même submergé, emporté par un mouvement dont l'ampleur n'avait peut-être jamais été prévisible.

Le 17 juin 1789, il s'agit là d'un petit coup d'état, des députés se réunissent et fondent l'Assemblée Nationale Constituante, au sein de laquelle siègent de nombreux avocats.

Le 14 juillet 1789, le peuple prend la Bastille, où la petite histoire raconte qu'il ne restait que quatre détenus.

C'est presque la fin du Parlement, qui se réunit une dernière fois en septembre 1790, date à laquelle il enregistre sans résistance les lois des 17 et 24 août 1790, instituant une organisation judiciaire dans la lignée de la réforme Maupéou.[11] La procédure pénale est également profondément remaniée - elle aura hélas du mal à s'exercer pleinement dans les années qui suivront. L'infâme ordonnance de Villers-Coterets - qui datait d'août 1539 [12] est abrogée, qui avait mis en place une procédure inquisitoriale, secrète et prévoyant l'obtention des aveux par la torture. L'inculpé n'avait alors aucun droit à un avocat, ni à l'instruction, ni à l'audience.

L'avocat est désormais présent aux côtés des accusés.

Viendra rapidement pour lui le temps où nombre d'entre eux auront grand besoin de son éloquence et de son soutien. A partir de 1790, mes confrères se lanceront avec peine, mais avec courage, dans la défense pénale qui vient de leur être ouverte. A leurs risques et périls. Je laisse cette histoire là en suspend... Peut-être pour un autre 14 juillet ?


PS : Je suis avocate, non historienne, et je ne me suis donc lancée dans la rédaction de ce billet que soutenue moralement et matériellement par deux ouvrages : l'Histoire des avocats en France de Bernard Sur, et mon fidèle Dictionnaire de la Culture Juridique - deux ouvrages indispensables quoique clairement non eligibles à la catégorie lecture en tongs. Merci de me signaler d'éventuelles erreurs, qui resteraient naturellement de mon fait.

Notes

[1] mais pas à l'instant où vous me lisez, le décalage temporel étant provoqué par ma stupéfiante capacité à relire quinze mille fois un texte en trouvant toujours un léger quelque chose à modifier.

[2] Par personne qui aurait eu l'occasion de s'en vanter par la suite, en tout cas.

[3] par le biais d'un exil - le mot n'est pas trop fort - à Pontoise.

[4] Sont notamment mises en place des juridictions de première instance et des juridictions d'appel, les Conseils Supérieurs, qui remplacent les anciens parlements de province. Ce sont les ancêtres de nos Cours d'Appel.

[5] notamment pour ce qui concerne la réorganisation judiciaire, la question du droit de remontrance concernant bien plus les magistrats que les avocats

[6] Parmi lesquels Tronchet, oui, celui-là même du code civil.

[7] Désolée, je n'ai pas pu résister.

[8] Ainsi, le 7 août 1787, pour la première fois, me semble t-il, dans l'histoire judiciaire française, le Parlement va déclarer illégale la transcription d'office par le roi ! Il ne s'agit plus là d'un refus d'enregistrement, mais bien d'un contrôle de légalité des actes du roi par le parlement. Le pouvoir n'y réagira pas davantage.

[9] Toujours généralement par le biais d'un exil, à Pontoise, voire à Troyes !

[10] Je vous rappelle que les caisses sont vides. La guerre d'indépendance américaine coûte chère, et les blocages systématiques empêchent la levée de nouvelles taxes

[11] Créations des Justices de Paix, des Tribunaux de première instance, et d'un double degré de juridiction. Apparaissent également les tribunaux de commerce, et un tribunal de cassation.

[12] Oui, à l'époque, les réformes de la procédure pénale ne se succèdaient pas au rythme effrené que nous connaissons désormais

samedi 12 juillet 2008

Ton juriste en tongs à la plage

Par Dadouche



C'est l'été. Calendairement parlant en tout cas, parce que du point de vue météorologique, ça peut se discuter.
Pour certains, c'est donc les vacances. Et l'occasion de se plonger sans vergogne dans les romans de plage. Chacun place ce qu'il veut dans cette catégorie, mais pour beaucoup, cela peut se résumer en "ouvrages qui tiennent dans une poche, qui distraient, que l'on peut délaisser le temps d'un baignade sans perdre le fil du récit".
Bien sûr, pour d'autres, c'est les oeuvres complètes d'Eolas reliées pleine peau de Troll, mais après tout les psychopathes aussi ont droit à des vacances.
Les romans policiers, et particulièrement ceux de la collection Grands Détectives chez 10/18, rentrent assurément dans ma définition personnelle du roman qu'on lit toute l'année à la plage, à la montagne, au coin du feu ou dans un bain plein de bulles.
Hors sujet sur ce blog de juristes obsédés me direz-vous ? Non : certains de ces héros ne sont ni détective, ni psychanalyste, ni libraire, ni colporteur, ni moine herboriste, ni journaliste/héritier ou marchand d'art. Ils sont juristes.

Le premier, par ordre d'apparition éditoriale chez 10/18, est le très chinois Juge Ti, héros de Robert Van Gulik.
Jen-Tsie TI a véritablement vécu de 630 à 700, sous la dynastie T'ang. On découvre dans les romans, outre la société chinoise de l'époque, la fonction de magistrat (qui tient à la fois du juge, du commissaire de police et du préfet), et un système judiciaire fondé sur l'aveu, forcément obtenu sous la torture, et où la personnalisation de la peine tient souvent dans le choix du mode d'exécution.

Soeur Fidelma de Kildare, créée par Peter Tremayne est une contemporaine irlandaise du Juge Ti.
Religieuse de l'Eglise celtique d'Irlande, elle est surtout dálaigh, avocate de haut rang des anciennes cours de justice d'Irlande, formée pendant de nombreuses années aux subtilités de la loi des brehons, codifiée au Vème siècle.
Souvent accompagnée de Frère Eadulf, moine saxon lui même ancien gerefa (juge), Fidelma parcourt au gré de ses aventures l'Irlande mais aussi les royaumes gallois, poussant même jusqu'à Rome, résolvant au passage enquêtes criminelles et crises diplomatiques. Le système judidique décrit est notamment très protecteur des femmes, tout comme l'Eglise à laquelle appartient Fidelma, qui mit plusieurs siècles à se plier aux standards romains.
Les curieux anglophones peuvent cliquer ici pour en découvrir davantage...

C'est au Ier siècle (après JC), sous le règne de Vespasien, que se situent les enquêtes de Marcus Aper, avocat romain d'origine gauloise, un des héros du Dialogue des orateurs de Tacite, ressuscité par Anne de Leseleuc.
La civilisation gallo-romaine expliquée au (plutôt jeune) lecteur, dans l'un des berceaux de l'éloquence et de la rhétorique judiciaire.

Un juge aveugle peut être un visionnaire. C'est ce que prouve Sir John Fielding, magistrate au tribunal de Bow Street au XVIII ème siècle. Les fictions de Bruce Alexander retracent les avancées que ce personnage bien réel, qui avait succédé à son demi-frère le romancier et magistrate Henry Fielding, a permises dans les techniques judiciaires. On lui doit un embryon de police judiciaire avec les Bow Street Runners, qui ne se contentent plus d'appréhender contre prime les suspects désignés par les victimes, mais sont salariés du tribunal et procèdent à des investigations. Il faisait publier dans la presse des descriptions de criminels recherchés et d'objets volés, annonçait ses audiences pour susciter des témoignages et s'est comporté comme un juge d'instruction, actif dans la recherche de la vérité, davantage que comme le magistrate traditionnel, simple récipiendaire des déclarations des victimes.
Pour plus d'éléments historiques, il y a cet article en anglais, mais les romans retracent bien cette démarche, ainsi que sa conviction que la lutte contre la délinquance passait, outre l'efficacité policière, par l'éducation et la lutte contre les inégalités.

Si le rabbin est un figure essentielle de la vie juive et une autorité religieuse en tant que ministre du culte, ce titre était anciennement délivré aux érudits jugés aptes à enseigner la Loi aux profanes et à siéger au sein du Beth Din, tribunal jugeant selon la loi religieuse. Et c'est bien en cette qualité d'érudit juriste, formé aux subtilités du pilpoul, forme de logique talmudique, que le Rabbin David Small, créé par Harry Kemelman, s'attache à exercer ses fonctions au sein de la communauté juive conservatrice de Barnard's Crossing (Massachussets) à partir des années 60, même si ses ouailles attendent souvent de lui un peu plus de sens politique. Ses dialogues (fréquents, compte tenu de sa propension à se trouver mêlé à des affaires criminelles de diverse importance) avec le catholique chef de la police Lanigan sont le prétexte à de passionnantes explications sur la religion juive, décrite davantage comme une éthique de vie qu'une affaire de foi.

Voilà donc quelques juristes devenus enquêteurs, par leurs fonctions ou par la force des choses, et propices au bronzage. Quand on vous dit que le droit est partout...
Il y en a probablement beaucoup d'autres, chez d'autres éditeurs, n'hésitez pas à les signaler...

vendredi 11 juillet 2008

Faut-il être française pour porter la burqa ?

C'est la question qu'il est permis de se poser à la lecture des comptes-rendus par la presse d'un arrêt du Conseil d'État (CE, 27 juin 2008, Mme M…, n°286798). Le port de ce vêtement semble avoir obnubilé les journalistes :

Une Marocaine se voit refuser la nationalité française parce qu'elle porte la burqa, titre Libération. Presque comme Le Monde, qui écrit Une Marocaine en burqa se voit refuser la nationalité française. Le Figaro ne semble pas, à raison, accorder d'importance à la nationalité de cette femme, mais à son vêtement, oui : Pas de nationalité française pour une femme en burqa.

Alors que la lecture de la décision montre que le mot de burqa n'est jamais cité, pas plus qu'il n'est fait allusion à la tenue vestimentaire de la requérante.

Les faits étaient les suivants.

Fazia M… est de nationalité marocaine, marié à un Français. De ce mariage sont nés trois enfants, tous trois français.

Conformément à l'article 21-2 du Code civil tel qu'en vigueur à l'époque, au bout de deux ans de mariage[1], elle a fait une déclaration au tribunal d'instance de son domicile pour acquérir la nationalité française. L'acquisition de la nationalité française est de droit, si les conditions sont remplies, à savoir : preuve que le conjoint avait la nationalité française lors du mariage et qu'il l'a encore lors de la déclaration ; preuve que les époux ont deux ans de vie commune, trois ans si la vie commune n'a pas commencé en France, et que cette vie commune n'a pas cessé lors de la déclaration ; maîtrise suffisante de la langue française par le conjoint.

La déclaration est reçue par le juge d'instance et enregistré par le ministre chargé des naturalisations, qui est, vous l'aurez deviné, le ministre… de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Pourquoi ? Paskessékomsa.

Le juge d'instance et le ministre peuvent refuser d'enregistrer la déclaration si elle ne remplit pas les conditions légales (article 26-3 du Code civil). Ce refus peut être porté dans les six mois devant le tribunal de grande instance, même s'il émane du ministre, car ce tribunal est seul compétent pour le contentieux de la nationalité (article 29 et s. du Code civil).

Dans notre affaire, il n'y a pas eu de refus d'enregistrement, les conditions légales étant remplies.

Mais la loi donne au Gouvernement un pouvoir d'opposition à l'acquisition de la nationalité, quand bien même les conditions légales seraient remplies. C'est l'article 21-4 (ancien) du Code civil (attention, le lien dirige vers la vrsion en vigueur à l'époque de la déclaration, la version actuelle est ici).

Le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai d'un an à compter de la date du récépissé [de la déclaration faite au juge d'instance] ou, si l'enregistrement a été refusé, à compter du jour où la décision judiciaire admettant la régularité de la déclaration est passée en force de chose jugée.

En cas d'opposition du Gouvernement, l'intéressé est réputé n'avoir jamais acquis la nationalité française.

C'est ce qu'a fait le Gouvernement : le 16 mai 2005, il a pris un décret d'opposition à acquisition de la nationalité française, fondée sur le défaut d'assimilation. Ce décret étant un acte administratif, c'est le juge administratif qui cette fois est compétent, et à tout seigneur tout honneur, s'agissant d'un décret du Gouvernement, nul autre que le Conseil d'État ne saurait en juger la légalité. Madame M… a donc demandé au Conseil d'État d'annuler ce décret, annulation qui lui aurait rendu sa nationalité française.

Elle invoquait les arguments suivants :
— le Gouvernement n'aurait pas respecté l'obligation qui lui est faite de communiquer les motifs de fait et de droit qui le font envisager de prendre cette décision pour que l'intéressée puisse y répondre.
— le Gouvernement ne pouvait s'opposer à son acquisition de la nationalité pour les motifs qu'il a retenus ;
— son opposition porte atteinte au principe constitutionnel de liberté d'expression religieuse, et aux stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Trois fois لا , répond le Conseil d'État : d'une part, la communication préalable avait bien été faite en mars 2005.

D'une deuxième part, le Conseil, sans être très disert, estime que :

il ressort des pièces du dossier que, si Mme M… possède une bonne maîtrise de la langue française, elle a cependant adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d'égalité des sexes ; qu'ainsi, elle ne remplit pas la condition d'assimilation posée par l'article 21-4 précité du code civil ; que, par conséquent, le gouvernement a pu légalement fonder sur ce motif une opposition à l'acquisition par mariage de la nationalité française de Mme M….

Vous voyez que ce n'est pas le port de la Burqa qui pose problème, le Conseil d'État s'intéressant à ce qui se passe sous la robe, en l'espèce l'appartenance au salafisme, la vision de l'islam appliquée par exemple en Arabie Saoudite. On peut même affirmer que même si la requérante avait cédé sur le port de la burqa au profit du simple foulard (Hidjab), la décision du Conseil d'État n'aurait pas été autre : le refus de vivre comme un être égal en droit aux hommes est ce qui, aux yeux du Conseil d'État, accessoirement dans une formation présidée par une femme, est incompatible avec la condition d'assimilation.

D'une troisième part, le Conseil d'État répond que ce refus de la nationalité n'a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté religieuse de l'intéressée, et donc laisse indemnes les principes en question.

Ce point n'est pas détaillé dans la décision, mais il mérite d'être explicité.

La requérante n'est pas condamnée à être expulsée du territoire. Elle est mariée à un Français, et quand bien même se séparerait-elle de son mari, elle est mère d'enfants français. Elle a donc un droit au séjour en France et est protégée contre les mesures d'éloignement forcé. Vu son désir affiché de ne jamais exercer son droit de vote, on peut sans crainte de se tromper affirmer que son désir de nationalité était un choix de confort, pour ne plus être tributaire d'une carte de séjour à renouveler tous les ans, ou d'une carte de résident à renouveler tous les dix ans si le préfet la lui accorde (elle n'entre pas dans un cas de délivrance de plein droit, la loi du 26 novembre 2003 ayant supprimé cette carte de plein droit pour les parents de Français).

Elle restera donc en France le temps qu'elle voudra. La possession de la nationalité française n'étant pas une condition d'exercice de la liberté religieuse, et ce refus de nationalité ne faisant nullement obstacle à sa pratique, aussi saugrenue puisse-t-elle paraître, l'invocation de la liberté religieuse est inopérante.

D'où : confirmation du refus, pour des motifs juridiques et non vestimentaires.

Pour ma part, j'approuve cette décision, qui n'a en soi rien de bien original. Elle pose la question des limites que les valeurs de la République pose aux pratiques religieuses, et apporte la même réponse depuis 103 ans : les premières l'emportent toujours. En l'espèce, ce n'est pas le port de ce vêtement qui pose problème en soi. Aucune loi n'oblige à porter tel vêtement ou à ne pas en porter tel autre, elle impose seulement d'en porter.

Pour finir, le dessin de Pessin dans Le Monde démontre une fois de plus pourquoi c'est sans doute le meilleur dessinateur de presse actuel, en mettant le doigt sur le problème.

Une femme en Burqa, dans le bureau d'un juge, assis à côté d'un homme barbu. Elle explique au magistrat : 'La burqa ? C'est mon mari français qui me l'impose.'

Notes

[1] La loi prévoit aujourd'hui quatre années de délai.

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