Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 29 septembre 2008

Bon ben alors, ça va bien ou pas ?

Rachida Dati, le 11 juin 2008 :

Depuis un an, nous avons lutté contre la récidive. C’était une attente des Français. Nicolas Sarkozy s’y était engagé. Nous avons mis en place des outils efficaces :

C’est d’abord, la loi sur les peines planchers. Elle a instauré un régime clair pour les récidivistes. Cette loi a déjà été appliquée : 9250 décisions rendues par les tribunaux, c’est la preuve que cette loi était nécessaire et attendue.

Propos pour lesquels il vous en souvient Rachida Dati avait écopé d'un prix Busiris en récidive.

Un commentateur disant être Guillaume Didier,porte-parole du Garde des Sceaux, avait répliqué que je commettais une erreur dans mes estimations, et que

Le taux d’application de 20 % avancé par Maître Eolas n’est donc pas exact, il dépasse les 50% comme le disait Madame Rachida Dati.

Dont acte, les peines planchers, c'est un grand succès.

Mais alors ?

Les photos de Rachida Dati en robe du soir à l'inauguration de la Biennale des antiquaires, l'autre semaine, n'ont pas été appréciées à l'Elysée. Les « amis » de la garde des Sceaux se sont empressés de faire savoir dans le Tout-Paris que le Président reprochait à sa ministre de ne pas s'occuper assez des peines planchers...

C'est un grand succès dont il faut s'occuper. Et relancer les groupies.

La ministre de la justice Rachida Dati a convoqué vendredi cinq procureurs généraux afin de leur faire savoir son mécontement.

Son mécontentement, vraiment ? Alors qu'en juin, elle était ravie ?

Elle s'inquiète en effet que le recours aux peines planchers soit le plus faible de France dans le ressort de leur Cour d'appel respective. Ces peines planchers sont réservées aux multirécidivistes majeurs ou bien mineurs de plus de 16 ans qui passent pour la troisième fois devant un juge.

Nope ; la deuxième fois suffit.

Rachida Dati invitera régulièrement les magistrats du Parquet à se justifier lorsque leurs résultats seront considérés comme préoccupants concernant tous les délits. Ainsi, de faibles condamnations pour violences conjugales vaudra au Procureur d'une juridiction donnée d'être convoquée Place Vendôme.

Et gare à vous si les époux de votre région sont plus respectueux de leur conjoint qu'ailleurs. Les anomalies statistiques seront considérées comme de la dissidence politique.

Nobody does it better…

Nicolas Sarkozy, le 13 octobre 2006 :

Je ne veux pas faire une discrimination positive sur des critères ethniques qui serait la négation de la République. Mais je veux que sur la base de critères économiques, sociaux, éducatifs, on mette tous les moyens nécessaires pour combler des écarts qui sont devenus insupportables et qui mettent en péril la cohésion nationale. Il faut aider ceux qui veulent s’en sortir à s’en sortir.

Ou éventuellement les empêcher d'entrer.

La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité (HALDE, mais on devrait dire HALDÉ), apprends-je via Michel Huyette (attention : site en Comic Sans), a rendu trois délibérations, non encore publiées sur son site, relevant trois cas de discrimination à l'embauche… à l'École Nationale de la Magistrature.

Ainsi, soit un poste vacant pour enseigner aux bébés embastilleurs[1] les mystères et gloires de la fonction de juge d'application des peines. Soit le magistrat A. et le magistrat B., tous deux candidats à ce poste.

Le magistrat A. a été quatre années juge d'application des peines (JAP). Le magistrat B., un an. Avant d'être JAP, le magistrat A. a exercé dans quatre postes différents, contre un seul pour le magistrat B. Le magistrat A. a enseigné en faculté et est déjà intervenu ponctuellement devant des auditeurs de justice, ce qui n'est pas le cas du magistrat B. Ajoutons que le magistrat A. comme le magistrat B. sont tous deux des femmes, ce qui exclut que ce critère soit pertinent. Le directeur de l'École, qui doit donner un avis, indique sa préférence pour le magistrat A.

Seulement voilà, le magistrat A. exerce des responsabilités dans le Syndicat de la magistrature (SM), clairement marqué à gauche.

Et, mystères de la vie, c'est le magistrat B. qui est pourtant finalement retenu par la Chancellerie (la décision relevant du Garde des Sceaux, qui n'a pas à indiquer les motifs de son choix).

Le magistrat A., supputant une discrimination de nature politique, saisit la HALDE, qui demande des explications. La réponse de la Chancellerie vaut son pesant de canapés Dalloyau : le magistrat B. a été préférée car… elle parle mieux l'anglais. Et Dieu sait que pour former des futurs JAP aux mystères de la computation de la mi-peine, l'anglais est indispensable.

Et par trois fois estimera la HALDE (délibérations 2008-186, 2008-187 et 2008-188), des membres du Syndicat de la magistrature présentant objectivement un meilleur profil que d'autres impétrants seront écartés au profit de candidat plus… politiquement corrects.

Pour citer Michel Huyette, dont je partage pleinement l'opinion :

Ce qui rend beaucoup plus mal à l'aise, c'est de savoir que les décisions telles les recrutements à l'Ecole de la magistrature sont prises au plus haut niveau du ministère de la justice, de fait par la ministre et ses plus proches collaborateurs. Or le premier cercle autour de tout Garde des sceaux est constitué de.... magistrats qui, la plupart du temps, obtiennent des postes prestigieux lorsqu'ils retournent en juridiction, notamment des postes de procureur général dans une cour d'appel. Or la ministre de la justice a demandé il y a quelques mois que dans chaque tribunal un membre du Parquet (un substitut du procureur de la République) soit spécialement chargé de traquer et de poursuivre devant les tribunaux correctionnels les auteurs de toutes formes de discrimination. Et ses proches collaborateurs quand ils deviendront procureurs généraux transmettront très certainement aux procureurs dont ils seront les supérieurs hiérarchiques des consignes de fermeté envers toute personne ayant décidé de mettre en œuvre un mécanisme discriminatoire, par exemple lors de l'embauche en entreprise.

Décidément, place Vendôme, l'air pince rudement, et il fait très froid.

Notes

[1] Le terme officiel est « auditeur de justice ».

jeudi 25 septembre 2008

La France (encore) condamnée pour atteinte à la liberté d'expression

À force de taper dessus, ça finira par rentrer, c'est ce que doivent se dire les juges de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) qui viennent à nouveau de condamner la France pour violation de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (CSDH), dite brevitatis causa Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Petit cours accéléré de droit européen

La CSDH est une convention signée le 4 novembre 1950 à Rome, dans le cadre du Conseil de l'Europe, institution distincte de l'Union Européenne (même si toute les États membres de l'UE sont membres du Conseil de l'Europe, l'inverse n'étant pas vrai). Le Conseil de l'Europe, qui siège à Strasbourg, comporte 47 membres, dont la Turquie, la Russie, la Georgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, pourtant situés sur le continent asiatique. La confusion Conseil de l'Europe / UE est fréquente puisque le drapeau de l'UE est emprunté au Conseil de l'Europe, de même que l'Hymne à la joie. Ajoutons que l'UE a un organe appelé le Conseil Européen et vous comprenez le cauchemar des étudiants en droit européen.

La CSDH repose sur un mécanisme simple et efficace. La convention (modifiée et enrichie de protocoles additionnels) pose un certain nombre de droits, et précise les limites qui peuvent leur être apportés et les conditions dans lesquelles ces limites peuvent être posées. La Convention est invoquable directement devant le juge interne, mais si le juge interne estime que la Convention n'est pas violée, le justiciable peut, après avoir épuisé les recours internes, porter l'affaire devant la CEDH qui dire si oui ou non il y a eu violation de la CEDH, et éventuellement accorder une indemnité de ce fait.

La loi française prévoit qu'une condamnation par la CEDH peut donner lieu à un recours en révision contre la décision définitive ainsi condamnée.

La France a signé la convention dès le 4 novembre 1950, mais va mettre 25 ans à la ratifier, c'est-à-dire à la faire entrer en vigueur en droit interne (3 mai 1974, testament politique de Georges Pompidou). Encore sera-ce avec des réserves excluant la possibilité de saisir la CEDH, réserves qui ne seront levées qu'en 1981. France, pays des droits de l'homme. La Turquie l'a faite entrer en vigueur dès 1954.

Les droits reconnus par la Convention sont : le droit à la vie (art. 2), l'interdiction de la torture (art. 3), du travail forcé (art. 4), ces deux droits étant les seuls absolus, c'est à dire sans limite admise, le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5, qui a tant fait pour les droits de la défense notamment en garde à vue), le droit à un procès équitable (art. 6), la légalité des délits et des peines (art. 7), le droit à une vie privée et familiale (art. 8, la dernière ligne de défense des étrangers sans papiers), la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), la liberté d'expression (art. 10, qui nous intéresse aujourd'hui), la liberté de réunio net d'association (art. 11), la liberté du mariage (entre deux personnes de sexe opposé s'entend, art. 12), le droit à un recours effectif (art. 13, les étrangers lui doivent tant là aussi), l'interdiction de la discrimination (art. 14). Ajoutons-y la propriété et le respect des droits acquis par le premier protocole additionnel, très important lui aussi.

Revenons-en à l'article 10

Il est ainsi rédigé :

Article 10 : Liberté d’expression

Le premier paragraphe pose le principe.

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

Le second pose les limites admises.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Le test en trois étapes

Saisie d'un recours, la cour examine toujours le problème en recherchant s'il y a eu atteinte à la liberté d'expression, puis si la réponse est positive, si elle entre dans le cadre d'une des exceptions, puis si la réponse est encore positive, si l'atteinte était nécessaire dans une société démocratique. Si la réponse est positive, le recours est rejeté. Problème pour la France, c'est que la réponse à cette troisième question est régulièrement négative.

Ce fut déjà le cas en 2006 quand la France a été condamnée pour avoir retenus comme diffamatoires et donc illicites les propos tenus à la télévision par Noël Mamère critiquant les mensonges du Dr Pellerin sur le nuage de Tchernobyl qui, n'ayant pu obtenir de visa, s'était arrêté à la frontière française. J'en avais parlé à l'époque.

La leçon en deux couches

La leçon n'a pas porté, et c'est une deuxième couche (enfin… si seulement ce n'était que la deuxième…) que passe la Cour dans un arrêt Chalabi c. France (Requête no 35916/04).

Le Magazine Lyon Mag' avait publié en novembre 2001 une interview avec un ancien membre du conseil d’administration de la Grande Mosquée de Lyon contenant des propos fort critiques à l'égard du directeur de cette moquée, Kamel Kabtane, lui reprochant notamment une gestion « pas claire » de la mosquée, quand bien même un récent contrôle fiscal avait conclu à la sincérité et à l'exactitude des comptes. Ce passage fut retenu comme diffamatoire parle tribunal correctionnel de Lyon, confirmé par la cour d'appel de la capitale des Gaules. La cour de cassation rejeta le pourvoi de Lyon Mag dans un arrêt du 30 mars 2004.

LYon Mag' ayant soulevé la violation de la CSDH dans son pourvoi (c'est le troisième moyen de cassation du pourvoi), il était recevable à aller se plaindre devant la Cour européenne, et grand bien lui a pris.

La cour constate qu'il y a eu atteinte à la liberté d'expression, puisqu'il y a eu condamnation civile pour diffamation (l délit était amnistié).

La cour constate que cette atteinte correspond aux limites posées par l'article 10.2 de la CSDH : le resoect de la réputation des personnes.

Et, comme dans l'affaire Mamère contre France, la cour constate que cette atteinte était disproportionnée et donc non nécessaire dans une société démocratique (c'est le paragraphe 40 et ceux qui suivent).

La cour constate en effet que les propos étaient mesurés, reposaient sur une base factuelle existante à l'époque des faits (une mise en examen pour escroquerie), et, s'agissant du directeur d'une institution religieuse, relevaient de la critique légitime à laquelle doit s'attendre toute personne dans le cadre de son activité publique.

Les juges français ont, en matière de diffamation, une vision trop souvent restrictive de la liberté de critique qui est exclusive de la diffamation, et de la bonne foi qui l'excuse. La jurisprudence évolue, sous les coups de boutoir de la CEDH, mais trop timidement encore.

Pour un avocat de la défense, c'est plutôt une source de satisfaction.

Mais pour un citoyen, ça devient humiliant, à la longue.

mercredi 24 septembre 2008

Brève de prétoire

Audience correctionnelle, rapportée dans Le Nouveau Détective (je suis allé chez le coiffeur hier). Une femme est poursuivie pour avoir mutilé son époux, en l'occurrence l'avoir émasculé.

Ligne de défense : elle accuse le chien d'avoir attaqué son époux.

La prévenue, à la présidente : « J'ai regardé mon chien et je lui ai dit : “c'est toi qui as fait ça ?” Il m'a fait “non” de la tête. Mais il ne faut pas le croire, madame le président. »

La présidente, dubitative, se tourne vers le mari.

« Est-ce que c'est possible ? »

Réponse du mari :

« Non, madame le Président. Il ne mange que des croquettes. ».


Si vous voulez d'autres brèves de prétoires, voyez ici.

Affaire « La Rumeur », suite (et fin ?) Le chanteur Hamé relaxé

Je vous avais parlé de l'affaire « La Rumeur » l'année dernière dans ce billet.

Après la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, la cour d'appel chargée de réexaminer l'affaire, la cour d'appel de Versailles, a rendu son arrêt le mardi 23 septembre, et a relaxé le chanteur Mohamed Bourokba, dit « Hamé ».

Je suis bien en peine de vous expliquer pourquoi, n'ayant pas eu accès à la décision. Tout ce que dit la presse est que les propos ne seraient pas diffamatoires, ce qui est un peu tautologique puisqu'il y a eu relaxe. Maigre consolation, je ne suis pas le seul puisque le chanteur déclare au site du nouvelobs.com :

On ne connaîtra pas les détails de cette décision.

En tant qu'avocat, je me fais un devoir de faire mentir La Rumeur. Quelqu'un peut-il m'en envoyer une copie à eolaschezmaitre-eolas.fr, que j'édifie aussi bien mes lecteurs qu'Hamé ?

Ô Blogueurs Républicains…

Une petite annonce dans une journée chargée qui sera sans billet.

Ce soir, comme chaque dernier mercredi du mois se tient la République des Blogs, rencontre mensuelle et informelle de blogueurs et lecteurs de blogs à thématique politique, au sens large et donc noble, de tous bords du moment qu'ils sont ouverts au dialogue et raisonnablement assoiffés. De vraies superstars des blogs avec certificat d'authenticité décerné par Lieu-Commun seront là, comme l'élégant Jules de Dinersroom, que vous trouverez sans nul doute non loin du comptoir, surtout si vous êtes une jeune fille célibataire, Authueil, en train de titiller des blogueurs de gauche (désolé mesdemoiselles, il est marié), et bien d'autres. Si vous voulez mettre un visage sur un pseudo ou une main dans une figure, l'occasion est excellente.

Sans pouvoir affirmer que j'y serai, emploi du temps oblige, je relaie néanmoins l'information, l'initiateur de cette sympathique coutume, Versac, ayant appliqué à son blog le rituel de Seppuku.

Attention toutefois pour les habitués : la brasserie Le Pavillon Baltard, hôte habituel, est fermé pour travaux. C'est donc en face, chez mon confrère Maître Kanter, qu'aura lieu l'assemblée, comme ce fut le cas en juillet et en août.

C'est donc au 16 rue Coquillière dans le premier arrondissement, à la Taverne de Maître Kanter - Les Halles. Métro ligne 1, Louvre-Rivoli, ligne 4 et RER A, B et D Les Halles, bus lignes 67, 74 et 85 arrêt Louvre Coquillière stations, Vélib 1024 Louvre-Coq-Héron ou 1012 Bourse du Commerce, à partir de 19 heures, mais n'attendez pas la foule avant vingt heures.

mardi 23 septembre 2008

Recasé

Georges Fenech, magistrat, ancien député en froid avec les chiffres, a trouvé son point de chute. Il est nommé président de la Miviludes, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. En effet, rien de ce qui est sectaire ne lui est inconnu.

Le blog journal d'un avocat s'associe à l'ensemble de la magistrature pour se réjouir de cette nomination.

Combien ça vaut ?

Par Dadouche



« A la majorité de 8 voix au moins, la Cour et le jury réunis condamnent X à la peine de.... ».
Cette formule quasi rituelle annonce la réponse à la question que se posent (peut-être pas en ces termes, mais dans l'esprit) tous ceux qui participent à une décision pénale : combien ça vaut ?
Elle est ici formulée crûment, elle résonne comme un réflexe d'épicier, elle paraît faire litière de toute la complexité d'une affaire criminelle et d'un procès d'assises, et pourtant on ne peut mieux le résumer.
Combien vaut une vie humaine ? Certaines ont-elles plus de valeur que d'autres ? Le passé d'un homme peut-il excuser un crime ou en atténuer les justes conséquences ? Doit-on souffrir à la hauteur des souffrances que l'on a infligées ? Pourquoi 10 ans plutôt que 15 ? 1 plutôt que 12 ? perpétuité plutôt que 5 dont une partie avec sursis ? La personnalité de l'accusé doit-elle prendre le pas sur la gravité intrinsèque des faits ? Ou l'inverse ?
Est-ce qu'un meurtre « vaut » plus qu'un viol ? Est-ce que la mort de la victime « vaut » plus qu'une tentative ? est-ce que quinze braquages, "ça vaut" plus que douze ? Et combien d'années par braquage ? Est-ce qu'il y a un barême, une échelle absolue des valeurs ?

Le remarquable article de Pascal Robert-Diard a suscité parmi les commentateurs des interrogations, des assertions, et quelques divagations sur les peines prononcées par les cours d'assises.

On retrouve en vrac les questions ou affirmations suivantes :
- pourquoi 12 ans, alors qu'un meurtre c'est 30 ans ?
- depuis un bon nombre d'années les cours d'assises, lorsqu'il y a un doute, au lieu d'acquitter, condamnent à demi: 7 ans, 10 ans pour un meurtre...
- en cas de doutes graves et sérieux, on acquitte, en cas de doutes légers, on condamne à demi-peine, en cas d'absence totale de doute, on condamne lourdement.
- pour un même meurtre (tuer quelqu'un d'une balle de coup de fusil dans la cervelle, après une dispute), on peut recevoir huit, douze ou trente ans, en fonction"de la personnalité de l'auteur et des circonstances des faits",il devient difficile de prévoir. On a l'impression que le jugement se fait "à la tête du client".

Signalons d'abord qu'Eolas et Anaclet de Paxatagore (message personnel : Paxa ! Reviens !) avaient, dans un temps que seuls des lecteurs ante jugement de Lille peuvent connaître, consacré un fort intéressant billet à quatre mains sur le juge et la peine, dans lequel ils rappelaient (notamment) que la peine résulte à la fois de la gravité intrinsèque des faits et du parcours du délinquant.

J'avais moi même tenté dans un billet-fiction de retracer dans les grandes lignes comment une cour d'assises peut, dans son délibéré, déterminer une peine.

Le documentaire Cour d'assises : crimes et châtiments diffusé par France 3 ce soir, qui suscitera lui aussi j'en suis sûre de nombreux commentaires, donne à voir trois crimes, trois criminels [1], trois peines.

Tous encouraient la réclusion criminelle à perpétuité.

Jeannot R. est condamné pour tentative d'assassinat sur son épouse, séquestration et violences avec arme contre les gendarmes à 10 ans de réclusion (15 ans requis)
David A. est condamné pour le meurtre de son père à 5 ans d'emprisonnement dont 3 ans et demi assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve (6 ans requis)
Benjamin C. est condamné pour meurtre aggravé à 30 ans de réclusion (perpétuité requise).

A titre liminaire, rappelons que si on se pose cette question, c'est que l'on considère la culpabilité acquise. Dans un délibéré, on n'aborde la question de la peine qu'une fois que l'on s'est prononcé sur la culpabilité.
Chaque intervenant dans un procès pénal a sa réponse sur ce que "ça vaut", en fonction des intérêts qu'il représente.

Le premier à se poser la question du « combien ça vaut », c'est le législateur.
C'est lui qui fixe dans le code pénal la peine maximale qui peut être prononcée par une juridiction pénale pour une infraction donnée.
Ici, qu'il s'agisse de la tentative d'assassinat, du meurtre d'un ascendant ou du meurtre avec torture et acte de barbarie, le législateur a décidé que « ça vaut » le plus en prévoyant la réclusion criminelle à perpétuité.
C'est la fonction dissuasive de la peine : on espère effrayer les criminels en puissance en leur promettant un dur châtiment s'ils contreviennent aux lois de la société.

C'est ensuite à l'avocat général de résoudre l'équation impossible : dans cette affaire précise, pour cet accusé, quelle est la peine qui garantira au mieux les intérêts de tous et notamment ceux de la société.
C'est à lui qu'est revenu, dans les trois affaires montrées dans le documentaire, la tâche de rappeler que c'est à la vie humaine qu'on a attenté.
Même si c'est la vie d'un tyran domestique, qui a battu sa femme et ses enfants impunément pendant des décennies à coups de « Mirza ».

Des réquisitions particulièrement clémentes, s'agissant d'une victime haïssable, ne risqueraient-elles pas de sous-entendre qu'il y a des vies qui ne méritent pas d'être protégées ? A quelle durée d'emprisonnement évalue-t-on la vie humaine ?
L'avocat général doit aussi s'interroger sur l'avenir : la société doit-elle être protégée durablement du criminel ? S'agissant de Benjamin C., c'est clairement une peine d'élimination qui a été requise contre un jeune homme qui présente une personnalité dangereuse. S'agissant de Jeannot R., plus tout jeune, peut-être bien aussi.
Le rôle de l'avocat général est cependant plus complexe que cela et ne se limite pas à la défense des intérêts de la société. Mais il est certainement celui qui les a le plus à l'esprit.

Les avocats tentent également de répondre à cette question, que ce soit en défense de l'accusé ou au soutien des intérêts de la partie civile.
La partie civile ne requiert pas de peine. Elle fait cependant souvent savoir quel degré de sévérité elle attend de la cour. Il arrive, dans des drames familiaux, que l'avocat plaide une relative clémence, pour sauvegarder les intérêts et l'avenir commun de tous.
Il arrive, plus souvent, qu'il souligne l'horreur du crime et s'attache à rappeler à la cour et aux jurés que la peine a une fonction rétributive et doit être une sanction à la hauteur des souffrances infligées. Et c'est ce que fait l'avocat de la famille de la victime de Benjamin C.
L'avocat de l'accusé doit quant à lui (quand il plaide la peine et non l'acquittement) mettre en perspective les faits commis par son client avec l'histoire personnelle de celui-ci. Non seulement son passé, qui peut comporter des éléments d'explication du passage à l'acte, mais aussi son avenir, qui dépendra étroitement de la décision. Les « paliers » se situent souvent à des durées symboliques : celle qui implique un retour en prison, celle qui prive d'un espoir de réinsertion sociale rapide, celle qui élimine durablement voire définitivement.

Enfin, c'est à la Cour et aux jurés d'apporter la réponse, singulière à chaque affaire, à cette question lancinante : « combien ça vaut  ?».
Ils doivent avoir à l'esprit les intérêts de tous et ne trahir ni ceux de l'accusé, ni ceux de la victime, ni ceux de la société. La quadrature du cercle quoi.
Chaque jury d'une même session est unique. Chaque session d'assises comporte un panel différent de jurés potentiels. Chaque semaine de la session (voire chaque affaire) voit siéger des assesseurs différents. Chaque cour d'assises a son président. Et chacun a son idée sur ce que « ça vaut ».

Il n'y a aucune réponse absolue. C'est vertigineux. Mais c'est bien comme ça.

Parce que chaque affaire est unique. Chaque criminel est singulier. Chaque plaidoirie ou réquisitoire porte différemment.

Bien sûr, les magistrats professionnels, qui siègent régulièrement aux « assiettes » ont en tête des points de référence. Chacun se souvient que, pour des faits « du même genre » la cour avait prononcé telle peine. Mais pourquoi « ça vaut » 10 ans plutôt que 5 ? Pourquoi 15 plutôt que 12 ?

Parce que c'était lui, parce que c'était eux. Parce que c'était cette audience, cet accusé, ce jury, cet avocat, parfois cette actualité.

S'il n'y a en fait aucune réponse in abstracto à ce "combien ça vaut", on peut néanmoins apporter des éléments aux interrogations rappelées plus haut :

- pourquoi 12 ans, alors qu'un meurtre c'est 30 ans ?

Parce que la peine est individualisée en fonction non seulement des circonstances de fait mais aussi de la personnalité de l'auteur (et parfois de la victime), de son âge, de ses perspectives de réinsertion. Qui imaginerait condamner Jeannot R. ou David A. à la perpétuité qu'ils encouraient ?

Il ne faut pas non plus se leurrer. Comme le souligne Florence Aubenas dans le documentaire, certains sont plus égaux que d'autres devant la justice.
Ceux qui parviennent à verbaliser, ceux qui présentent bien, ceux qui ont un avocat expérimenté et parviennent à s'en remettre à lui, ceux qui ont fait leur paix avec eux-mêmes, ceux qui expriment des regrets, pour tous ceux là, "ça vaut" moins que pour ceux qui dissimulent leur peur derrière une apparente arrogance, ceux qui ne trouvent pas les mots qu'il faut ou qu'on attend d'eux, ceux qui ne peuvent eux mêmes croire à ce qu'ils ont fait et nient des évidences, ou ceux qui n'ont (et souvent à tort) pas confiance dans leur avocat commis d'office et à l'aide juridictionnelle parce que "si c'est gratuit c'est que c'est moins bien".
C'est aussi le rôle des magistrats professionnels, qui voient défiler toute l'année en correctionnelle, en surendettement ou encore en assistance éducative les petits cousins de ces accusés difficiles, de désamorcer l'impression laissée aux jurés.
C'est parfois difficile...

-depuis un bon nombre d'années les cours d'assises, lorsqu'il y a un doute, au lieu d'acquitter, condamnent à demi: 7 ans, 10 ans pour un meurtre...

Cette affirmation ne repose sur rien.
Je ne dis pas qu'il n'arrive jamais qu'un juré vote la culpabilité alors qu'il n'a pas d'intime conviction, parce qu'il voit que c'est l'opinion générale. C'est regrettable, c'est trahir son serment, mais c'est humain. Comme il est humain, trois jours après le délibéré, de se réveiller en sueur en se demandant si on n'a pas fait une erreur.
En revanche, les mécanismes de vote et de majorité me paraissent limiter considérablement le risque de décisions de culpabilité malgré un doute réel.
Une peine de 7 ou 10 ans d'emprisonnement pour un meurtre n'a en soi aucune signification à cet égard. Sauf peut-être que le cours de la vie humaine a baissé, tandis que celui de l'innocence abusée a grimpé en flèche, si l'on en croit les peines régulièrement supérieures à 10 ans de réclusion prononcées pour des viols sur mineurs.
Par ailleurs, il faut se rappeler que la culpabilité n'est pas nécessairement votée à l'unanimité (elle doit recueillir 8 voix sur douze) [Et dix sur quinze en appel - NdEolas]. Quoi de plus normal que les jurés ou magistrats qui ont pu voter "non" à cette première question s'attachent, dans la suite du délibéré, à faire descendre autant qu'ils le peuvent la peine finalement prononcée ?

- en cas de doutes graves et sérieux, on acquitte, en cas de doutes légers, on condamne à demi-peine, en cas d'absence totale de doute, on condamne lourdement.
Il me semble que le documentaire de France 3 apporte un démenti éclatant à cette affirmation si étayée...

- pour un même meurtre (tuer quelqu'un d'une balle de coup de fusil dans la cervelle, après une dispute), on peut recevoir huit, douze ou trente ans, en fonction"de la personnalité de l'auteur et des circonstances des faits",il devient difficile de prévoir. On a l'impression que le jugement se fait "a la tête du client".

C'est exactement ça, à ce léger détail près qu'aucun meurtre n'est jamais le même, dans ses ressorts ou dans ses protagonistes.
Et pourtant, beaucoup de greffiers d'assises peuvent prédire, avec une marge d'erreur infime, à la fin des débats, la peine qui sera finalement prononcée.

On ne sait sans doute toujours pas "combien ça vaut", mais j'espère qu'on comprend un peu mieux comment on calcule.

Notes

[1] dans la dernière affaire, je ne mentionnerai que Benjamin C., seul majeur des deux criminels et ne pouvant donc prétendre à une atténuation de la peine en vertu de l'excuse de minorité

lundi 22 septembre 2008

Discutons de cour d'assises : crimes et châtiments

Simple billet pour ouvrir un fil de discussion sur le documentaire de ce soir sur France 3.

À vos questions et commentaires.

Cachez moi cette virginité que je ne saurais voir !

C'est auprès de Molière, à moins que ce ne soit de Giraudoux, que le parquet général de Douai, chargé par le Garde des Sceaux (que ses ennemis placent leur économies en subprimes) de faire appel du jugement du tribunal de grande instance de Lille ayant prononcé l'annulation d'un mariage pour erreur sur une qualité essentielle, l'époux ayant cru à tort que son épouse était vierge, que le parquet général disais-je est allé cherché ses arguments.

C'est aujourd'hui que la cour d'appel la plus septentrionale a examiné ce bien curieux appel, ou le demandeur et le défendeur n'avaient rien demandé. Je ne sais pas si la recevabilité de l'appel du parquet a fait débat. La question devra être examinée d'office par la cour, et la question du délai me paraît poser une première difficulté, je m'en étais expliqué à l'époque.

Il demeure, l'émotion un peu hâtive étant retombée, voyons, concrètement le résultat de cette intervention de l'État dans une affaire strictement privée et qui était réglée. Tâchons d'en rire, de peur d'avoir à en pleurer.

Bref rappel : au point de départ, nous avions monsieur, qui ne veut plus être marié avec madame et madame, qui ne veut plus être mariée avec monsieur. Monsieur choisit la voie de l'annulation, madame dit « Hé bien puisqu'annulation il veut, qu'annulation il y ait et qu'on me fiche la paix ». Le juge dit donc qu'il y avait lieu à annulation. Et le parquet de dire… rien du tout, ayant d'autres chats à fouetter.

Trop de concorde dans le prétoire, ça ne se pouvait pas. Féministes et laïcistes s'émeuvent, leur brâme attire l'attention de la presse, qui décide d'en faire une affaire d'État à grand coups de doctes débats d'où les juristes sont systématiquement écartés, les intérêts en cause les dépassant supposément, puisqu'ils ne trouvent rien à redire à ce jugement.

Rachida Dati, bénies soient ses factures de réception à la Chancellerie, après avoir dit que ce jugement était fort bon et la nullité de mariage fort bonne en soi, a décidé qu'il fallait donc faire appel de ce jugement.

Et le parquet général d'aller souffler sur les braises en train de s'éteindre.

Premier acte : demander la suspension de l'exécution provisoire. Chose faite. L'hymen est donc reconstitué (juridiquement, s'entend), jusqu'à ce que la cour statue.

Deuxième acte : revient le temps de l'apaisement. « Vous voulez ne jamais avoir été mariés, mes enfants ? À la bonne heure ! » s'exclame le procureur général. « Mais demandez-le autrement, sans parler de la virginité de la femme célibataire, vous savez que cela est un sujet délicat chez notre Très Bien Aimée Garde des sceaux, qu'un million de papillons volettent autour de ses motards d'escorte », leur sussure-t-il. « Cachez-moi cette virginité que je ne saurais voir. Tenez. Sa Sainteté (je parle du pape, là, pas du Garde des Sceaux) vient de nous rendre visite. Invoquons le droit canon, et soulevez l'absence de vie commune après le mariage. Oui, je sais, ça n'a jamais été une cause de nullité du mariage, pas même en droit canon : c'est un procès en grâce de la dispense d'un mariage conclu et non consommé, canon 1697, mais que vous importe : vous êtes musulmans ; et puis c'est promis, nous fermerons les yeux et ne ferons pas de pourvoi en cassation. De nos jours, en République, si les apparences sont sauves qui se soucie du droit ? »

Dans son coin, Tartuffe rougit de honte.

Mais peine perdue. Les trois parties, époux, épouse et parquet ne peuvent s'entendre. La guerre des trois aura bien lieu; et à l'acte trois, comme il se doit.

Acte trois donc : disputons et disputons-nous devant la cour. Puisqu'on reconvoque les époux, ils ont bien l'intention de donner du travail aux conseillers de la cour.

— « Je n'entends rien à vos chattemites arguties », s'exclame le mari, qui pour être ingénieur n'en a pas moins du vocabulaire. « Elle m'a menti, la sotte[1], et je la veux sur la sellette ! Je maintiens mes demandes à l'identique. »

— « Fi !» s'exclame l'épouse « Je ne toucherai pas à son petit banc[2] de peur qu'il ne boude[3]. Réflexion faite, je suis bafouée. Or il est interdit de bafouer son épouse. Le respect est une des obligations du mariage depuis la loi n°2006-399 du 4 avril 2006, et nous nous mariâmes en juillet 2007, après l'entrée en vigueur de cette loi. Je demande la nullité du mariage pour son bafouage et manque de respect, et évalue le prix de mon honneur à 50.000 euros un euro, par chèque de préférence. »

Je vois le sourcil des partisans de la dignité de la femme se lever : le respect, qui a fait défaut de toutes parts dans cette affaire, serait-il la solution ?

Nenni, car le respect est un devoir respectif d'un époux envers l'autre, et non une condition de formation du mariage : son défaut fonde un divorce, mais pas une action en nullité, qui ne peut porter que sur le consentement au mariage avec cette personne, tout le débat était là. Mais quand on voit que le parquet en est à proposer le défaut de communauté de vie, on comprend que dans ce débat, le droit a rejoint la Raison dans la tombe.

Faisons le bilan, si vous le voulez bien.

Nous avions deux époux qui ne voulaient plus l'être et étaient tombés d'accord pour une solution rapide, à défaut d'être élégante. Si fait, a dit la justice.

Mais la société en a décidé autrement. Elle est intervenue, sous la pression d'une partie de l'opinion publique, qui était soit aveuglée par son idéologie, soit tenue dans l'ignorance de ce que disait réellement ce jugement, dans cette séparation, ravivant les plaies, jetant de l'huile sur le feu, aggravant les traumatismes, instaurant la discorde là où il y avait une concorde. Elle a obligé les époux à des dépenses supplémentaires que ni l'un ni l'autre n'ont l'intention de supporter, mais sont décidés à faire peser sur l'autre, rajoutant encore des griefs sur le champ de bataille. Car pour la République, il vaut mieux une bonne guerre qu'une mauvaise paix.

Le parquet général a finalement dû proposer une solution ni rapide ni élégante, mais qui va permettre à ceux s'étant invités à la noce de faire progresser leur agenda, et de piétiner la vie de cette jeune femme en prétendant voler à son secours.

Suis-je le seul à ressentir un immense sentiment de gâchis ?

Délibéré le 17 novembre.

Notes

[1] il a aussi de l'humour.

[2] La sellette est un petit banc inconfortable où s'asseyaient les accusés lors des interrogatoires sous l'ancien régime.

[3] Son épouse aussi a de l'humour.

Citation du jour

Nicolas Sarkozy, président de la République, s'adressant au pape Benoît XVI :

Et c’est en pensant à la dignité des personnes que nous affrontons la si délicate question de l’immigration, sujet immense qui demande générosité, respect de la dignité et en même temps prise de responsabilité.

Clap. Clap. Clap.

Via Autheuil.

vendredi 19 septembre 2008

La défense décodée

Extraordinaire article, et je pèse mes mots, de Pascale Robert-Diard dans le Monde 2 de cette semaine. Un vrai travail de journaliste, de chroniqueur judiciaire, de témoin, et je crois une première.

Pascale Robert-Diard a suivi un confrère, et quel confrère, Grégoire Lafarge, durant tout un procès d'assises, et même avant, lors des rendez-vous préparatoires entre l'avocat et le client. Vous y verrez comment un avocat pénaliste « prépare » un client, et vous verrez que ce n'est pas lui apprendre par cœur un gros mensonge, mais lui permettre de se défendre au mieux et tenter de lui donner le courage de dire la vérité.

Puis vous suivrez l'audience, assis sur le banc de la défense, à côté de l'avocat, là où on voit tous les regards, à portée d'oreille des conseils chuchotés en plein interrogatoire. Vous verrez quelle partie d'échec à quatre joueurs se joue entre la défense d'un côté, le parquet te la partie civile de l'autre, et le président au milieu, supposément au-dessus, qui fait semblant de n'avoir pas d'opinion alors qu'on la voit comme le soleil à midi.

Du vécu, il y a tant de moments que je reconnais pour les avoir vécu moi-même. Elle décrit formidablement bien la relation si particulière, si forte et pourtant éphémère, qui unit un avocat et son client devant la cour d'assises.

Je retiendrai, parmi d'autres, cette phrase, qui correspond à la fin de la plaidoirie de l'avocat de la défense.

Quand Me Lafarge rejoint son banc, le regard des jurés reste aimanté à sa robe. Il est vidé.

Jamais je n'ai ressenti un épuisement aussi complet, absolu, qu'à la fin d'une audience d'assises. Pas tant physique (on arrive encore à tenir debout, à sourire, à serrer des mains, à dire des amabilités au président, à l'avocat général et au confrère, et on sort en marchant sur ses deux pieds. Mais moralement, psychiquement. Un procès d'assises, c'est des mois d'attente, des heures de préparation, une concentration continue, une heure de plaidoirie pour tout donner, et quand la plaidoirie est terminée, la machine est lancée, il n'y a plus qu'à attendre, et toutes les digues qui canalisaient votre énergie cèdent enfin. Après un procès d'assises, on ne dort pas, on tombe dans le coma. Un sommeil lourd et sans rêve. Aucun des autres intervenants du procès n'est autant engagé que l'avocat de la défense, car l'accusé, on le porte à bout de bras. La beauté du métier, mais aussi son côté destructeur si on n'y prend pas garde.

Bref, un formidable point de vue de l'intérieur de la profession d'avocat, servi avec le style parfaitement adéquat. Bref, la presse comme je l'aime. C'est long, mais ça se lit tout seul. Méfiez-vous, d'ailleurs : il est impossible de s'arrêter quand on a commencé.

Puisqu'on s'est déjà rencontré, permettez-moi un brin de familiarité : bravo Pascale. Vous devriez ouvrir un blog.

Allez, je vous laisse aller vous régaler.

C'est ici.

Parquet flottant

Par Gascogne


Par un arrêt non encore publié en date du 18 septembre 2008, la chambre criminelle de la Cour de Cassation vient de porter un nouveau coup aux dispositions nationales régissant la vie de nos parquets.

Au départ de cette bien sombre histoire est une disposition législative que le monde entier nous envie mais dont il faut bien reconnaître qu'elle est assez spécifique. Trop, même. Il s'agit de l'article 505 du Code de Procédure Pénale. Selon ce texte, le procureur général près la cour d'appel (le sous-chef des parquetiers) dispose d'un délai d'appel de deux mois en matière correctionnelle. Jusque là, rien de bien transcendant. La spécificité de ce texte réside dans le fait que le condamné moyen, tout comme d'ailleurs le procureur de la République près le tribunal de grande instance (le sous-sous-chef), ne disposent quant à eux que d'un délai de 10 jours pour faire appel de ces décisions (art. 498 du même Code).

Ces dispositions signifient donc en pratique que si le procureur de Tataouine les Oies, pris la tête sous les piles, a laissé passer le délai d'appel d'un dossier (dix jours, c'est court), il pouvait toujours aller faire repentance tête basse (le poids des piles) auprès de son chef adoré pour lui demander de faire appel. Après sévère remontrance et humiliation publique, l'erreur était ainsi corrigée.

Le problème est que la personne poursuivie ne pouvait se retourner vers personne. Si elle laissait passer son délai d'appel, il était trop tard. La décision était exécutoire. Elle pouvait certes écrire un petit courrier au procureur général, mais on imagine assez bien l'empressement de celui-ci pour faire appel d'une décision qu'il trouvait bonne, puisque condamnant lourdement l'insolent innocent.

Cette différence des appels n'est pas neutre : en effet, lorsque seul le condamné fait appel, ce que l'on nomme un appel principal, la cour ne pourra pas aller au delà de ce que le tribunal a prononcé. Par contre, si le procureur fait appel, la cour retrouve la possibilité de se prononcer dans le cadre du maximum fixé par la loi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les procureurs font systématiquement ce que l'on nomme un appel incident lorsque le condamné ose contester la première décision.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme (cette instance castratrice des parquets, comme déjà signalé) a condamné la France sur cette base en estimant que l'article 6 de la convention, qui traite notamment de l'égalité des armes entre les parties, était violé (malgré de savantes recherches, je n'ai pas retrouvé l'arrêt en question : si quelqu'un peut mettre un lien en commentaire, je lui en serai éternellement reconnaissant et débiteur). La Cour de Cassation vient de lui emboîter le pas en estimant qu'il convenait désormais que les cours d'appel considèrent les appels du procureur général intervenant plus de dix jours après la décision contestée comme irrecevables. C'est une application pure et simple de la suprématie de la norme européenne sur la loi française, puisque l'article 505 du CPP n'est en rien abrogé.

Il semblerait que les délices de la distinction entre décision exécutoire (après dix jours) et décision définitive (après deux mois) soient en passe de ne plus être enseignés à l'ENM...

Encore un sujet pour le 13 heures de TF1 sur la disparition de nos spécificités nationales...

jeudi 18 septembre 2008

Si on ne peut plus dire n'importe quoi en plaidant, maintenant…

Le Monde nous apprend qu'un confrère, et pas n'importe lequel, un primus inter pares, comme on dit à la machine à café, un bâtonnier en exercice, rien que ça, est cité en correctionnelle pour avoir, au cours d'une plaidoirie, émis un sarcasme sur le Garde des Sceaux, que je vais donc ménager prudemment dans le billet qui suit.

Le bâtonnier Georges-André Hoarau est cité pour avoir diffamé notre Excellent et Bien-Aimé Garde des Sceaux, que Mille anges chantent sur son passage, quand, alors qu'il plaidait en défense dans une affaire de faux en écriture privée, il s'est exclamé, sans doute pour tenter d'arracher un sourire à un tribunal assommé par la chaleur, à moins que ce ne soit le talent oratoire du bâtonnier : « Un procès qui n'aura jamais lieu, c'est celui de notre grand chef à tous, madame Rachida Dati, qui utilise un faux, un MBA. »

Contrairement à ce que j'ai cru dans un premier temps, ce n'est pas le fait d'être traité de « notre grand chef à tous », nous l'horrible piétaille, l'effroyable plèbe qui patauge dans la glèbe des égouts méphitiques que sont les tribunaux ayant échappé à la Très Juste Éradication lors de la Sainte Réforme de la carte judiciaire, qui a froissé les Sublimes Oreilles du Garde des Sceaux (je me prosterne dès que je pense à elle). C'est le fait qu'elle ait fait l'usage d'un faux, à savoir un faux Master of Business Administration.

Rappelons pour les petits nouveaux qui viennent d'arriver que la diffamation consiste à imputer publiquement à une personne des faits de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de cette personne. Par opposition à l'injure, qui est toute expression outrageante ne comportant l'imputation d'aucun fait précis.

La diffamation se reconnaît en ce que les affirmations diffamatoires peuvent faire l'objet d'un débat. Rappelons que dans certaines conditions, prouver la véracité des faits diffamatoires entraîne la relaxe. Accuser une personne d'avoir fait usage de faux, c'est lui imputer un délit : affirmation diffamatoire par nature, car je suis bien placé pour savoir que l'imputation d'un délit peut donner lieu à débat.

Le fait que le propos ait été tenu lors d'une audience publique constitue la publicité, élément constitutif du délit (la diffamation non publique est une contravention de la 1e classe, passible de 38 euros d'amende au maximum).

Enfin, comme je l'ai déjà rappelé ici, les avocats, comme les magistrats, sont des citoyens comme les autres et sont soumis à la même responsabilité pénale. Un avocat peut diffamer, et il doit en répondre. Aucun privilège ici.

Aucun ? Pas tout à fait. Il y a une immunité, dite « immunité de la robe », posée à l'article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Vous devinez déjà l'axe de défense de ce Très Vilain et Très Honni Confrère qui a médit de notre Garde des Sceaux (que mille soleils éclairent son chemin sauf la nuit pour qu'elle puisse dormir) : ses propos sont couverts par l'immunité de la robe.

Dieu merci pour notre Garde des Sceaux adorée (je pleure de bonheur quand je vois son image), rien n'est moins sûr.

En effet, principe fondamental, la loi pénale est d'interprétation stricte. En ce qu'elle punit comme en ce qu'elle excuse. Et la jurisprudence pose une réserve importante au domaine d'application de l'article 41 alinéa 3.

Dans un arrêt du 4 juin 1997, soit l'année même où l'Aphrodite de la place Vendôme (bénies soient les bottes Dior qui ont reçu ses divins pieds) devenait magistrate, la cour de cassation a précisé que :

l'immunité accordée aux discours prononcés et aux écrits produits devant les tribunaux par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, destinée à garantir aussi bien la liberté de la défense que la sincérité des auditions, est applicable, sauf le cas où ils sont étrangers à la cause, aux propos tenus et aux écrits produits devant les juridictions d'instruction comme de jugement (…).

Sauf dans le cas où ils sont étrangers à la cause.

Et il faut bien reconnaître qu'ironiser sur le prétendu faux diplôme (béni soit-il) de la Garde des Sceaux (qu'un millier de fleurs éclosent à chacun de ses pas) n'avait rien à voir avec le dossier de faux dans lequel le bâtonnier Hoarau (que dix-sept cyclones s'abattent sur son cabinet et mélangent ses dossiers) plaidait.

Dès lors, l'immunité de l'article 41 ne joue pas, à mon sens.

Il demeure, et redevenons sérieux quelques minutes, cette affaire me déplaît profondément. Je n'ai jamais demandé une immunité absolue pour l'avocat qui plaide. Il ne naît jamais rien de bon de l'irresponsabilité que donne une immunité absolue. Par exemple, les parlementaires ont une immunité absolue lors des débats législatifs (c'est le même article 41). Ils peuvent proférer toutes les âneries qu'ils veulent, et même en faire des lois (oui, j'ai du mal à rester sérieux quelques minutes).

Cette saillie n'a certainement pas été le point fort de la plaidoirie du bâtonnier Hoarau, et je suis, à titre personnel agacé par les avocats (dont le bâtonnier Hoarau n'est pas, j'en suis convaincu) qui, au nom de la liberté de la défense, nuisent à la défense, confondant liberté de tout dire et droit de dire n'importe quoi.

Mais est-ce que cela mérite d'être poursuivi pénalement ? La justice n'a-t-elle rien de plus important à connaître que les écarts d'un avocat lors d'une plaidoirie à la Réunion ?

D'autant que je ne peux pas m'empêcher de faire le rapprochement avec la convocation de ce vice-procureur et de son procureur général, pour être soupçonné d'avoir, là aussi lors d'une audience, critiqué une loi-phare de l'actuelle garde des Sceaux. Qui s'est fini par une explication digne de Tartuffe.

Ce bâtonnier ne risque pas la prison, ni même une lourde amende. Ce vice-procureur n'a pas été sanctionné disciplinairement. Mais là n'était pas le but. C'est de l'intimidation méthodique. Quiconque froissera la susceptibilité ministérielle subira des tracasseries, hiérarchiques ou judiciaires. Qu'on se le dise, comme ça, ils y réfléchiront à deux fois, ces porteurs de robe. Qu'ils se rabattent sur Outreau pour critiquer la justice, ça, ça ne dérange pas le ministre, au contraire, puisque c'est les juges qu'on attaque ainsi.

Car il ne vous aura pas échappé, pas plus qu'à moi, que de nombreux journaux s'étaient fait l'écho de cette histoire de la mention d'un diplôme de MBA dans le dossier de demande d'intégration de Rachida Dati à l'ENM, alors que la future ministre, qui était bien inscrite au MBA d'HEC à l'institut supérieur des affaires (ISA) avait abandonné ce cursus en mai 1993 sans obtenir le diplôme.

Pas de faux diplôme, donc, mais un mensonge, dénoncé à raison par la presse, quand bien même la garde des Sceaux avait par la suite su démontrer qu'il n'est nul besoin de diplôme quand on a un bon carnet d'adresse.

Mais on ne va pas se fâcher avec la presse dont on a tant besoin et qui à l'occasion sait se montrer si complaisante. On tempête, mais on s'attaque aux bâtonnier d'Outre-mer, on n'a rien à en tirer, c'est moins dangereux, et ils ne sont jamais complaisants.

Et voilà comment on rétablit le crime de Lèse-Majesté en République.

mercredi 17 septembre 2008

La plume d'Aliocha

Mes lecteurs connaissent sans doute Aliocha, pseudonyme d'une journaliste qui intervient souvent en commentaires, et avec qui j'ai écrit un article à quatre mains. Vous connaissez sa plume, pointue comme un fleuret, et sa passion pour son métier.

Gaudeamus ! Elle a sauté le pas et ouvert son propre blog, La Plume d'Aliocha. On y parle de journalisme, au sens large ou qu'il soit économique, juridique ou technique.

Longue vie à ce blog. Eu égard au talent de sa créatrice, je ne doute pas de son succès.

Cour d'assises : crime et châtiment sur France 3

Je relaie ici un avis de Pascale Robert-Diard (Spoiler alert : dans le billet “la gouaille et les santiags” où Pascale Robert-Diard parlait pour la première fois de ce documentaire, elle annonce le résultat d'une des affaires), chroniqueuse judiciaire au Monde.

Lundi prochain, 22 septembre, sur France 3 passe un documentaire d'Amal Moghaizel, intitulé « Cour d'assises : crimes et châtiments ». Ce documentaire suit trois procès d'assises d'une même session à la cour d'assises de l'Oise, qui siège à Beauvais.

Si Pascale Robert-Diard ne tarit pas d'éloge sur ce documentaire, cela me suffit pour réserver ma soirée du 22.

La fiche du programme.

Trois procès d'Assises, trois histoires criminelles au coeur de l'Oise. Des histoires de tous les jours, faites de passion, de jalousie, et d'ignorance.

La première est celle de Jeanot R., un ancien mécanicien qui ne travaille plus depuis longtemps. Il boit, et le jour où sa femme lui annonce qu'elle le quitte, Jeannot lui tire dessus. Il la blesse et se remet à boire comme si de rien n'était. Le GIGN est appelé à la rescousse. Malgré les sommations, il tire aussi sur les gendarmes. Pour ce geste absurde et pour sa violence, Jeannot risque 10 à 20 ans de prison.

David A., lui, était le souffre-douleur d'un père tyrannique, comme ses deux sœurs qui ont subi dans leur âme et leur chair la cruauté de ce père impitoyable. Un jour, la coupe est pleine. Au cours d'un déjeuner familial, David prend sa carabine et tire sur son père. Il espère de tout cœur que la Cour excusera ce parricide.

La troisième histoire est la plus effroyable. Deux jeunes d'un petit village de l'Oise tentent de rejouer une version provinciale du film " l'Appât ", piège mortel tendu par des adolescents à des parisiens fortunés. Benjamin C. et Lucile P. attirent un jeune cadre de la région pour lui voler sa carte de crédit. Avec l'argent, ils rêvent de partir loin, de s'évader à l'autre bout du monde. En Nouvelle-Zélande, exactement, où personne ne les retrouvera, où ils pourront vivre leur amour librement. Ce rêve troublé par trop de drogues et d'exaltation va les entraîner trop loin. Non seulement ils tuent le jeune cadre mais ils l'achèvent à coups de hache et le décapitent. Un crime atroce passible de 30 ans de prison.

mardi 16 septembre 2008

Shine on you crazy diamonds

Syd n'est plus tout seul… In memoriam Richard Wright.

(Le solo vocal est de Clare Torry)

Fausse bonne idée

Je lis dans le Bulletin de cette semaine (page 295, 4 du pdf) les premières pistes qu'explore le barreau pour la réforme du Bureau pénal, le service qui s'occupe des commissions d'office d'avocat en matière pénale à Paris, des gardes à vue, et des permanences pénales.

Pour mes amis les mékéskidis

Un petit décryptage rapide : est commis d'office un avocat à qui le bâtonnier demande (et ses désirs sont des ordres…) d'assurer la défense d'une personne qui lui en a fait la demande. Nous pouvons également être commis d'office à l'audience par le président de la juridiction.

Les gardes à vue sont gérées par un système d'astreinte : chaque jour est divisé en deux parties, la journée (7h-21h) et la nuit (21h-7h). Les avocats parisiens peuvent s'inscrire à trois astreintes par mois (il y a peu, c'était quatre), une astreinte couvrant une journée ou une nuit. L'avocat d'astreinte est ensuite appelé sur son téléphone mobile (il y a peu, c'était encore des bons vieux Tatoo®) et on lui indique le commissariat où il doit se rendre et le nom du gardé à vue.

Les permanences pénales couvrent deux types de permanence : les permanences mises en examen et les permanences comparutions immédiates. Les permanences mises en examen consistent à se tenir à disposition des juges d'instruction, principalement celui de permanence, pour assister des personnes qui lui sont déférées (=amenées directement des commissariats à l'issue d'une garde à vue) pour être mises en examen. Le cas échéant, cela inclut l'audience devant le juge des libertés et de la détention en vue d'un éventuel placement en détention provisoire. Elle peuvent commencer le matin (vers 10 heures) et sont censées se terminer dans ce cas vers 17-18 heures, ou commencer à 14 heures et dans ce cas durent jusqu'à ce que tous les dossiers aient été traités (20h-22h selon les jours, voire plus tard les jours fastes). Les permanences comparution immédiates concernent les prévenus, eux aussi déférés à l'issue d'une garde à vue, pour être jugés dans la foulée. Ils sont présentés à un procureur (seuls), qui recueille leur déclaration, et leur notifie par procès verbal leur citation pour l'audience de l'après midi. Ils peuvent à ce moment demander un avocat commis d'office, et le dossier nous échoit. Les permanences de comparutions immédiates commencent elles aussi en plusieurs vagues : 11h00 pour les premiers dossiers (on peut espérer en avoir fini à 18 heures), 14 heures pour le reste (on finit quand Dieu, dont le président est le prophète en son prétoire, le veut).

Combien ?

Plusieurs avocats sont de permanence pour les gardes à vue (je ne sais pas combien au juste, mais je crois que ça tourne autour de la quinzaine), pour les comparutions immédiates (quatre par fournée, ce me semble, plus un pour les victimes), mais on est seul pour les mises en examen (deux en fait, un du matin l'autre de l'après midi).

À Paris, pour pouvoir être commis d'office ou volontaire pour les permanences et les gardes à vue, il faut avoir suivi une formation de six fois quatre heures, dispensée par un éminent confrère. Contrairement à ce qui se fait dans la plupart des autres barreaux (mais notre nombre pléthorique nous le permet), il faut être volontaire et avoir suivi une formation pour être commis d'office à Paris.

Et combien ?

Les permanence mise en examen est payée au dossier : environ 75 euros H.T. pour une mise en examen, 50 euros H.T. de mieux en cas de débat contradictoire devant le JLD. Les permanences comparutions immédiates sont, il me semble forfaitisées ; en tout cas on touche environ 300 euros H.T. pour une permanence. Les gardes à vue sont payées à l'intervention, 63 euros H.T. de jour et 92 euros H.T. de nuit (il existe un supplément en cas de déplacement hors de la ville où siège le tribunal, mais il est évidemment inapplicable à Paris).

Revenons à nos moutons

Le Conseil s'est ému de certains problèmes liés au fonctionnement du bureau pénal, problèmes que je ne connais pas et qui n'ont pas été détaillés. J'ai cru comprendre qu'un certain copinage faisait que certains confrères étaient plus commis que les autres. La nouvelle me laisse pantois : vu les niveaux de rémunération, les choses sont claires : à Paris, un avocat ne peut pas vivre des commissions d'office. C'est au mieux un complément de rémunération pour les collaborateurs (= avocats débutants employés par un ou plusieurs avocats installés pour les assister dans le traitement de leurs dossiers). D'où la jeunesse des commis d'office. L'ingratitude financière de la chose fait que rapidement, ils demandent à être radiés des listes.

Parmi les pistes explorées par la Conseil de l'ordre, dont certaines me paraissent excellentes (mise en oeuvre, en concertation avec les services du Tribunal, des moyens nécessaires à l’amélioration des conditions matérielles d’exercice des missions confiées aux avocats de permanence : oui, par pitié, un ordinateur et une imprimante, avec un accès aux bases de données juridique, et des codes à jour pour nous éviter de transporter les nôtres, mon “kit 23e[1]” pèse 8 kilos !), une m'a fait bondir et prendre la plume virtuelle, car je le crains, nous sommes ne présence de la fausse bonne idée par excellence.

Le conseil de l’Ordre a décidé de veiller plus généralement à une répartition équitable entre les confrères volontaires des différentes permanences pénales dont l’accomplissement, traditionnellement destiné aux jeunes avocats, sera limité à une durée maximale de dix années, à une permanence par mois et au choix de deux modules maximum pour les permanences pénales avec obligation de suivre les ateliers de formation pratique ou spécifiques aux modules choisis.

Du diable si je comprends ces histoires de modules ; quand je lis « une permanence par mois », je m'exclame : HEIN ? J'en ai une par trimestre ! Mais quand je lis « l'accomplissement des permanences pénales sera limité à dix années », mon sang se glace.

Parce que cet couperet est au-dessus de ma tête, et je n'en comprends pas la raison.

La fausse bonne idée

La seule justification est que les permanences seraient « traditionnellement destinées aux jeunes avocats ». L'argument de la tradition est très fort dans la profession, mais en l'espèce, il ne me semble pas exact. Si ce sont les jeunes avocats qui s'occupent depuis toujours de la défense des plus démunis, c'est qu'ils en ont le temps, tout simplement. Les permanences, pour les collaborateurs, sont un gain net : leur rémunération professionnelles n'est pas diminuée en raison de leur participation à ces permanences puisqu'ils sont commis par le bâtonnier (et autrefois, comme ils n'étaient pas rémunérés par leur patron, c'était un gain tout court). Pour un avocat installé, c'est un manque à gagner, la rémunération ne compensant pas une journée de perdue au cabinet.

Et je sais d'expérience que des avocats inscrits sur les listes depuis dix ans, et même depuis plus de cinq ans, il y en a peu. Mais je crois qu'ils, que nous devrais-je dire, apportons quelque chose : notre expérience. Combien de fois ai-je aidé un jeune confrère, empêtré dans un concours réel d'infraction, un conflit de qualification, une nullité de procédure qu'il n'arrivait pas à formuler, sans parler des questions de droit des étrangers qui se posent de manière récurrente à la 23e ?

Que ce soit clair : ces permanences, je ne les fais pas pour l'argent. Aucun avocat installé ne les fait pour l'argent : on est financièrement perdant. Je les fais parce que j'aime ça, profondément, et que j'estime que les prévenus à la 23e doivent avoir aussi une chance de tomber sur un avocat expérimenté. Et dussè-je faire une entorse à ma proverbiale modestie, je crois que je ne suis pas trop mauvais dans cet exercice, à en croire les résultats que j'obtiens.

Alors m'en écarter de fait, par l'argument du jeunisme et de la tradition, je ne comprends pas où est l'intérêt du justiciable là-dedans. Je croyais que ce devait être notre principale préoccupation, au-delà de filer un pourboire aux jeunes confrères (le rapporteur du Conseil de l'Ordre est ancien président de l'UJA) et de se disputer pour gratter 300 euros par trimestre.

Alors de grâce, chers confrères, laissez-moi mes quatre permanences par an, laissez-moi aller aider mes jeunes confrères qui en auraient besoin, laissez-moi tenter d'aider les hommes qui n'existent pas, laissez-moi aller voir régulièrement comment ça se passe dans l'usine pénale où on juge à la chaîne.

Je ne pense pas y déranger.

Notes

[1] C'est la 23e chambre qui, à Paris, juge les comparutions immédiates

lundi 15 septembre 2008

Bon vent !

Dans la série “Nos préfets ont la classe”.

Le 1er septembre dernier à 11 heures du matin, à Sainte-Rose, en Guadeloupe, un Haïtien qui achetait des chaussures à son fils de cinq ans, né en Guadeloupe et n'ayant jamais mis les pieds en Haïti, en vue de la rentrée des classes le lendemain (il allait effectuer sa troisième rentrée des classes, en maternelle grande section), a été contrôlé par la police. Sans titre de séjour, il a été aussitôt menotté sous les yeux de son fils, qui a été embarqué avec lui.

La mère, présente en Guadeloupe mais également en situation irrégulière, n'a pas osé aller chercher son fils, de peur d'être elle même arrêtée et reconduite à la frontière avec eux. Voilà ce qui arrive quand on fait des préfectures des souricières.

La procédure a été menée tambour battant puisque l'après midi même, à 16 heures, le père et le fils sont dans un avion, direction Port-Au-Prince. Pratique, comme ça, aucun juge n'aura eu à connaître de l'affaire. Cela semble révéler qu'un précédent arrêté de reconduite à la frontière avait déjà été pris il y a moins d'un an, et qu'il était définitif, car l'article L.512-3 du CESEDA interdit l'exécution d'un arrêté de reconduite à la frontière avant l'expiration du délai de recours de 48 heures.D'où ma déduction que le contrôle en question était tout sauf inopiné. Ça sent l'interpellation en urgence avant la rentrée. Mise à jour : ce délai suspensif est inapplicable en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte ; on comprend mieux que 80% des reconduites effectives à la frontière aient lieu dans ces trois territoires.

Mais il y a mieux.

Le 1er septembre, Haïti, déjà dévasté par les ouragans Fay et Gustav, était sous la menace directe de l'ouragan Hanna, qui a frappé l'île trois jours plus tard, faisant 529 morts. Le préfet le savait parfaitement. Et il les a lâché tous deux là bas, tels qu'ils étaient lors de leur arrestation, sans même un vêtement de rechange.

Le père et son fils ont survécu, car ils étaient dans le sud de l'île, et c'est le nord qui a été le plus durement touché ; mais la maison où ils avaient trouvé à se loger a été détruite, toit arraché.

Je vous laisse imaginer ce que c'est que pour ce petit garçon de cinq ans, né en France et qui y a toujours vécu, de passer brutalement à la préparation de la rentrée à l'école Viard-Sainte-Rose, où il allait retrouver ses copains, à l'arrestation de son père, à la séparation d'avec sa mère, puis, cinq heures plus tard, l'embarquement dans un avion pour un pays qu'il ne connaît pas et qui est dévasté par déjà deux cyclones, puis de subir l'impact d'un troisième, puis d'un quatrième (Ike a mis une deuxième couche après Hanna, faisant 74 morts de mieux), de voir le toit de cette maison qu'il ne connaît pas et qui est désormais la sienne s'envoler sous ses yeux. Qui a dit “traumatisme” ?

Cette affaire a créé une certaine émotion en Guadeloupe. Au point que le préfet de Région, Emmanuel Berthier, son nom mérite d'être cité, a cru devoir s'expliquer dans un communiqué extraordinaire.

Pour [le préfet], la procédure a été respectée, dans le cadre de l'article 78.2.

La procédure a été respectée. L'absolution absolue du fonctionnaire. Au passage, quelqu'un sait ce que c'est que cet article 78.2 ?

[Il] ajoute que la mère a immédiatement jointe afin qu'elle récupère son fils de 4 ans. Mais cette dernière, installée à Sainte-Rose, ne s'est pas déplacée.

On lui avait même réservé un siège à côté de son fils ! Quelle mauvaise mère !

Dans ce communiqué, Emmanuel Berthier déclare également « que depuis 5 ans, la mère et le père de famille se maintenaient en situation irrégulière sur le territoire français, sans avoir engagé de procédure de régularisation » auprès de ses services.

Ce qui ne dispense pas le préfet de s'assurer que sa décision de reconduite ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du père et du fils à une vie privée et familiale normale garantie par la convention européenne des droits de l'homme, ni ne viole l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant qui stipule que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale». C'est pas moi qui le dis, c'est le Conseil d'État (arrêt CE, 2 juin 2003, n°236148, Préfet de police c/ Swieca).

J'aimerais donc que le préfet détaille en quoi envoyer un enfant de cinq ans dans un pays qu'il ne connaît pas, dévasté par deux ouragans et attendant le passage de deux autres est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, considération primordiale dans sa décision. Juste par curiosité intellectuelle.

La Préfecture conclut son communiqué en expliquant qu'afin de recomposer la cellule familiale, « une aide au retour et à la réinstallation a été proposée à la mère », en Haïti.

Dans sa grande largesse, la République lui offre le billet d'avion et environ 2000 euros pour participer à la reconstruction du pays. Elle est vraiment trop sympa, la République. On comprend que ses serviteurs soient aussi zélés.


PS : Je comprends l'émotion que peut susciter ce billet ; moi-même, je ne prétendrai pas l'avoir écrit dans un état d'esprit serein. Mais merci d'éviter dans les commentaires tout parallèle avec une période historique relativement récente. C'est idiot, ça déshonore celui qui utilise cet argument, et ça n'apporte rien, et je les supprimerai tous.

Et pendant que je vous tiens, faites moi aussi grâce du couplet “la loi, c'est la loi, être sans papier est un délit, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde”. C'est idiot, ça déshonore celui qui utilise cet argument, et ça n'apporte rien, et en l'espèce, la loi protégeait cet enfant ; le préfet a fait en sorte qu'aucun juge ne puisse être utilement saisi. Et s'il veut un droit de réponse, mon blog lui est ouvert, je le publierai ci-dessous.

vendredi 12 septembre 2008

Avis de Berryer : Nicolas Dupont-Aignan

Peuple de Berryer, sors de ta torpeur ! La Conférence Berryer reprend ses travaux, et se tourne vers les minorités opprimés, vers celui qui s'écrie : « Liberté, je crie ton NON ! », l'autre petit Nicolas, j'ai nommé : Nicolas Dupont-Aignan, député de la 8e circonscription de l'Essonne, aujourd'hui et demain maire d'Yerres, président de « Debout la République ! » (ce qui n'interdit pas aux citoyens présents de rester assis), et blogueur.

Sous le rapport de monsieur Grégory « Dragonslayer » Saint-Michel, les deux sujets suivants seront traités, puis les candidats maltraités (Méfiez-vous, Nicolas Dupont-Aignan est un ancien sous-préfet, ça doit donc être un vicelard).

1er sujet : Existe t il une stratégie de l'échec?

2ème sujet : Faut il se méfier des nains connus ?

Les impétrants peuvent prendre contact, par courrier électronique seulement, avec le maître de cérémonie, Cédric « Swordmaster » Alépée, à l'adresse suivante : cedricalepee.avocat[chez]yahoo.fr.

Vous avez le temps d'écrire un beau discours, profitez-en, car la conférence aura lieu le vendredi 10 octobre 2008 à 21h30, salle des Criées, au palais de justice, entrée par la grille du Boulevard du Palais (prenez l'escalier Louis XVI à votre droite, puis en haut, première à gauche : vous voilà Salle des Pas-Perdus ; la Salle des Criées est à votre gauche, c'est écrit au-dessus des deux portes qui y mènent).

Les règles de sécurité en vigueur font qu'il est impossible de réserver des places : la distribution se fera au prix de la course, ouverture des portes à 19h45, arriver en avance est chaudement conseillé eu égard au nombre de places limitées (l'entrée est gratuite, est-il besoin de le préciser).

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