Oui, mais seulement si l'on n'est pas un justiciable comme les autres...
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vendredi 14 novembre 2008
Peut-on choisir son juge ?
Ce billet, écrit à 08:40 par Gascogne dans la catégorie Commensaux a suscité :
lundi 10 novembre 2008
André Ride presque prix Busiris
Ah, combien il l'aurait mérité, ce prix ! Mais les règles sont faites pour être respectées, et à un cheveu, il y échappe.
La contradiction, la mauvaise foi, l'opportunité politique prenant le pas sur le respect du droit, tout y était SAUF l'affirmation juridiquement aberrante, qui est le cœur du prix.
C'est donc en retenant ses sanglots que l'Académie Busiris a rejeté à la majorité absolue de lui accorder la Distinction que toute la classe politique rêve secrètement d'obtenir, vu les efforts qu'elle déploie en ce sens.
Qui est André Ride ?
Un magistrat, et quel magistrat : l'inspecteur général des services judiciaires en personne, qui dirige l'Inspection Générale des Services Judiciaires, l'IGSJ, la police des juges. Et ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), cela a son importance.
Ce sont ses services qui ont convoqué en urgence et au milieu de la nuit la substitut de Sarreguemines qui a mis à exécution le jugement exécutoire du tribunal pour enfants de la même ville condamnant un mineur à de la prison ferme, mineur qui a mis fin à ses jours la nuit de son arrivée à la maison d'arrêt.
Convocation qui avait mis la magistrature dans une profonde colère, puisqu'il suffisait à l'IGSJ d'ouvrir son code de procédure pénale à l'article 707 pour savoir pourquoi ce jugement avait été mis à exécution :
Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais.
On se demandait donc sur quel fondement, sur quelle suspicion de faute cette jeune femme procureur avait été rappelée de congé pour répondre aux questions de cinq magistrats inspecteurs de l'IGSJ. Qu'on convoque un procureur suspecté d'avoir dit qu'il ne souhaitait pas appliquer la loi, passe encore (quoi que…). Mais qu'on le convoque aussi quand il applique la loi, ça commence à être lourd.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature, dont le rôle constitutionnel est d'assister le président de la République dans son rôle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (Oui, Nicolas Sarkozy est dans nos institutions le garant de l'indépendance de la justice. Pourquoi vous faites cette tête là ?), a donc convoqué à son tour André Ride le 6 novembre dernier pour s'informer des raisons de cette convocation. Pas au milieu de la nuit, pas sur son portable, par une lettre, et aux heures de bureau.
Or André Ride a indiqué qu'il ne déférerait pas à cette convocation avant de savoir sur quelle base légale était émise cette convocation.
Admirez la souplesse dorsale : il fait convoquer un substitut au milieu de la nuit, quitte à la faire revenir de congé, alors qu'aucune faute ne peut être seulement soupçonnée puisque la loi a été appliquée à la lettre (aucune sanction n'a d'ailleurs été prise à l'encontre de ce substitut), mais quand vient son tour de s'expliquer dans des conditions bien plus respectueuses de sa qualité de magistrat, le voilà qui redevient juriste et s'inquiète de déférer à une convocation qui pourrait être dépourvue de base légale. De la part d'un ancien membre du CSM, on admire l'élégance.
Voilà la contradiction, l'attitude teintée de mauvaise foi, et l'opportunité politique, la convocation de Sarreguemines étant uniquement destinée à donner l'impression à la presse et à la famille du détenu décédé que quelque chose était fait et que des responsables seraient trouvés.
Las, juridiquement, il a raison, ce qui exclut l'attribution du prix.
Le CSM ne peut pas s'auto-saisir de questions mettant en cause l'indépendance de la magistrature, aucun texte ne lui en donne le pouvoir. Tout au plus peut-il adresser spontanément des avis au président de la République sur telle ou telle situation, pouvoir qu'il s'est arrogé sans qu'aucun texte ne le lui donne expressément, mais il n'a dans ces situations aucun pouvoir d'enquête et notamment d'audition auquel il serait obligatoire de déférer. C'est une lacune, aucun doute là-dessus, d'autant que dans l'hypothèse, qui n'est pas d'école, où c'est l'exécutif qui porte atteinte à l'indépendance de la justice, il ne faut pas compter sur le pouvoir législatif pour remplir sa mission de contrôle. L'équilibre des pouvoirs (terme plus propre que séparation des pouvoirs) est fort mal établi sous la Ve république, c'est un fait.
Enfin, il semblerait que ce soit du directeur de cabinet de la Garde des Sceaux (Que nulle convocation ne dérange jamais son divin sommeil) qu'a émané l'instruction de ne pas se rendre à la convocation sans avoir eu de précision sur la base légale. Et l'Académie Busiris ne souhaite pas distinguer quelqu'un qui ne serait qu'un lampiste.
Pour l'ensemble de ces raisons, et malgré l'enthousiasme qui l'a saisie au début de cette affaire, l'Académie, à la majorité absolue, dit n'y avoir lieu à prix Busiris, mais délivre un accessit avec encouragements : la récompense n'était pas loin.
Ce billet, écrit à 17:22 par Eolas dans la catégorie Prix Busiris a suscité :
lundi 3 novembre 2008
Non, le président de la République ne peut pas accorder l'asile
La semaine dernière, la France annonçait qu'elle était prête à accueillir un guerillero des FARC, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, qui avait déserté, emmenant avec lui un député démocratiquement élu kidnappé au nom du peuple.
Il existe une certaine ambiguïté sur la nature de cet accueil, et les propos rapportés par Le Point ne sont pas là pour éclairer :
La présidence de la République réaffirme sa volonté d'accueillir en France l'ex-guérillero Isaza , qui a permis la libération d'Oscar Lizcano, otage durant huit ans. Lundi matin, pourtant, une précision apportée par l'Élysée selon laquelle l'accueil se ferait "sous réserve de vérification de sa situation judiciaire" avait semé le doute sur l'octroi de l'asile politique à ce membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).
Jointe par lepoint.fr à ce sujet, la présidence explique : "Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc, mais à condition qu'ils soient repentis, et qu'ils ne soient pas sous le coup de procédures judiciaires où que ce soit dans le monde, notamment en Colombie et aux États-Unis." Toujours selon l'Élysée, ces restrictions ne posent pas de problème particulier. Il s'agit juste de s'assurer que le guérillero "bénéficie d'une loi sur les repentis votée par la Colombie qui a saisi l'équivalent du procureur général de Colombie pour en décider. C'est une question de procédure judiciaire".
Une phrase ne peut que me faire tiquer : « Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc ». Certes, la précision quant à l'absence de poursuites judiciaires à l'encontre d'Isaza, le geôlier repenti, ne remet pas en cause l'engagement du président de la République. C'est autre chose qui le remet en question.
Car l'asile politique échappe à l'État, et donc à son chef, qui a décidément bien du mal avec la notion d'indépendance à son égard.
Rappelons d'abord brièvement l'histoire du droit d'asile.
Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas d'instrument international unique visant à la protection des réfugiés. Chacun faisait ce qu'il voulait chez lui, et globalement, la France n'a pas démérité. C'est au début du XXe siècle que se pose la question de l'accueil des réfugiés, avec l'arrivée massive de deux émigrations dues à la fuite face à l'oppression : les Arméniens, à partir de 1915, et les Russes, à partir de 1917. La France créera deux offices de protection pour chacune de ces nationalité ; pour la petite histoire, l'office de protection des réfugiés russes s'est installé dans les locaux du Consulat de Russie, le Consul récemment nommé par le Tsar étant nommé président de cet office, étant le mieux placé pour traiter les demandes et distinguer les vrais réfugiés des agents envoyés par le nouveau pouvoir pour liquider des opposants politiques.
Dans les années 30, c'est l'arrivée encore plus massive d'Espagnols qui va conduire à la fusion des différents offices en un seul, chargé de traiter toutes les demandes de toutes les nationalités. Là encore, pour la petite histoire, cette fusion a entraîné une cohabitation difficile entre le service en charge des Russes et celui en charge des Républicains espagnols, situés à deux étages du même bâtiment, les premiers étant aussi blancs que les seconds étaient rouges.
Après la seconde guerre mondiale, la question des réfugiés a acquis une toute autre dimension. C'est par millions que l'Europe faisait face à des populations déplacées, certaines chassées par les nazis de pays désormais occupés par les soviétiques. Une convention va être signée à Genève le 28 juillet 1951 pour donner un statut spécifique et unique aux réfugiés, et leur donner les mêmes garanties où qu'ils se trouvent. Le Haut Commissariat des nations Unis aux Réfugiés (UNHCR) est créé à cette occasion.
Le principe est que tout État signataire doit accorder le statut de réfugié à toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
La France a unilatéralement élargi ses obligations et a créé une deuxième catégorie ouvrant droit au statut de réfugié, la protection subsidiaire (autrefois appelée l'asile territorial), qui concerne
toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :
a) La peine de mort ;
b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.
Article L.721-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Cependant, et c'est ici très important, tant la Convention de Genève que le CESEDA prévoit que des personnes répondant à ces critères se voient retirer ce droit si, s'agissant du droit d'asile, i lexiste des raisons sérieuses de penser :
a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
(Convention de Genève de 1951, article 1,F.)
et s'agissant de la protection subsidiaire, s'il existe des raisons sérieuses de penser :
a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;
b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;
c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;
d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.
D'où les prudentes réserves de la France quant à la virginité de son casier judiciaire. Notre joyeux guerillero entre en effet très probablement dans les clauses d'exclusion du statut de réfugié (ne serait-ce que parce que la séquestration est un crime), et appartient plus à la catégorie des bourreaux qu'à celle des victimes que le statut de réfugié est censé protéger.
Ce statut est, en France, octroyé par un Établissement public spécialisé, l'Office Français de de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), sis à Fontenay-Sous-Bois dans le Val de Marne (là). Cet établissement, rattaché traditionnellement au ministère des affaires étrangères, et depuis peu au ministère de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale, du développement solidaire et des crêpes au jambon, jouit d'une autonomie administrative et financière, et d'une inviolabilité qui s'apparente à celle d'une organisation internationale (ses archives sont par exemple d'une confidentialité absolue, y compris s'agissant des demandeurs déboutés).
L'OFPRA n'a donc d'ordre à recevoir de personne s'agissant de l'octroi ou du refus du statut de réfugié. Ses décisions de refus peuvent être attaqués devant une juridiction spécialisée, la Cour Nationale du Droit d'Asile, siégeant à Montreuil Sous Bois en Seine Saint Denis (là).
Bon, je dois à la vérité de dire que si l'OFPRA n'a pas d'ordre à recevoir, cela ne signifie pas que s'il en reçoit, il ne fait pas montre d'une certaine docilité. C'est avant tout une administration, et son directeur général a une carrière à gérer. Mais que diable, il y a des apparences à respecter.
Est-ce à dire que le Président ne peut rien promettre ?
Du tout. En droit des étrangers, il y a un principe essentiel : l'État est toujours libre de décider qu'Untel peut entrer et séjourner sur son territoire. L'État n'est JAMAIS tenu de refuser un visa ou un titre de séjour. Il est des cas où il est tenu de l'accorder et viole la légalité en le refusant, mais accorder un titre de séjour ne peut JAMAIS violer la légalité.
Simplement, cet étranger aura une carte de séjour, voire de résident (valable dix ans) mais pas le statut de réfugié.
Mais alors, sommes-nous en présence de ce pinaillage que les juristes affectionnent tant, l'Élysée a-t-il employé le terme d'asile pour simplifier, alors qu'il entendait parler d'un simple droit au séjour ?
Que nenni. Le statut de réfugié présente des avantages incomparables à ceux fournis par une simple carte de résident. Outre la liberté de circuler et de travailler; le réfugié jouit du droit à la protection de l'État où il est réfugié. Cette protection s'étend à sa famille proche dès lors qu'elle est exposée à des représailles. Elle lui permet de voyager partout dans le monde sous couvert d'un document de transport équivalent à un passeport, et où qu'elle soit dans le monde, a droit à la protection consulaire de la France comme un de ses ressortissants. Enfin, le réfugié est protégé dans tous les pays signataires de la Convention de Genève contre l'arrestation et l'extradition vers son pays d'origine.
Le statut de simple résident enfermerait de fait l'intéressé dans les frontières françaises, ne le met pas à l'abri d'une demande d'extradition, et peut lui être retiré par l'administration. On comprend qu'il fasse la moue.
Tous ces avantages font que le statut de réfugié est très prisé par les anciens dignitaires de régimes pas très respectueux des droits de l'homme. Pas les chefs d'État, ce ne serait pas discret. Mais vous seriez surpris de voir qui se promène avec une carte de réfugié délivré par la France. Et un peu honteux quand vous saurez que les victimes du régime de ces messieurs se voient, eux refuser la qualité de réfugié. Mais que voulez-vous, la France n'oublie pas ses amis, africains ou mésopotamiens. Et ne voit plus dans le statut de réfugié qu'une pesante et coûteuse obligation, que l'on peut heureusement de temps en temps rentabiliser en en faisant une monnaie d'échange.
Ce billet, écrit à 16:04 par Eolas dans la catégorie Les leçons de Maître Eolas a suscité :
jeudi 23 octobre 2008
23 heures, c'est mon tour…
Conte prophétique, histoire fictive d'éléments vrais, par Marcus Tullius Cicero, substitut
23 heures, c’est mon tour, …
Je patiente depuis une heure déjà dans l’antichambre du bureau de la Garde des sceaux, pendant que mon procureur subit l’interrogatoire des inspecteurs de l’IGSJ requis avec célérité par la ministre.
Mon estomac est vide depuis midi, et j’entends mon cœur qui bat. Je sais que si mes enquêteurs avaient procédé de la sorte contre un des gardés à vue, dont j’ai la responsabilité et le contrôle, ils auraient entendu parler de moi ! Mais, je sais qu’ils n’en ont jamais eu l’idée, simplement parce que mes policiers et gendarmes sont des gens responsables, honnêtes, loyaux, et humains, et savent qu’avec notre parquet on ne transige pas avec les droits humains, y compris avec le dernier des voyous.
Mais bon, depuis quelques temps j’avais le pressentiment que ça finirait par m’arriver…
Une fois de plus, un mineur - 17 ans - vient de se donner la mort dans la cellule de notre maison d’arrêt. C’est le 4ème pendu depuis le début de l’année. Lorsqu’on m’avait déferré après son interpellation ce garçon multirécidiviste, pour mettre à exécution un jugement de condamnation du tribunal pour enfants, j’avais pourtant indiqué sur sa fiche qu’il fallait prendre des précautions - on le fait systématiquement - qu’il se pourrait qu’il ait des tendances suicidaires - c’est souvent le cas chez les adolescents, ils passent de l’exubérance à la déprime la plus noire, surtout quand ils ont pris longtemps des stupéfiants - , appliquant sans état d’âme le nouveau décret du 10 octobre 2008 pris par la Garde des sceaux le lendemain matin d’un précédant suicide.
Je suis accablé des conséquences de ma décision d’incarcération. J’ai deux fils de 13 et 16 ans, ce n’est pas virtuel pour moi. J’ai mal pour ses parents, même s’il se peut que ses parents n’ont peut-être pas fait tout ce qu’ils pouvaient pour lui.
Ce qui me trouble le plus c’est que c’est pourtant la même Garde des sceaux, qui a rédigé une circulaire demandant aux parquets de requérir systématiquement les « peines planchers » contre les récidivistes et, en cas de refus par le tribunal de s’y conformer, de relever appel des décisions contraires. C’est la même qui a demandé que l’on fasse preuve d’une sévérité accrue contre les mineurs. C’est toujours elle qui dans la même semaine a convoqué cinq procureurs généraux - leur taux de peines planchers étant supposé inférieur à la moyenne nationale - pour explications, annoncé une réforme de la minorité pénale pour la faire passer de 13 ans à 12 ans, stigmatisé la violence des mineurs, certes bien réelle mais qui s’est soucié pendant des années d’une politique efficace contre le cannabis, consommé par eux depuis parfois l’âge de 10 ans !
J’ai encore en mémoire les mises en garde par le principal syndicat de magistrats qui dénonçait le risque de ces « peines planchers, loi inutile et dangereuse, qui restreint le pouvoir d’appréciation des magistrats et les met dans des situations humaines et professionnelles impossibles et porteuses de risques disciplinaires » (communiqué USM du 26 novembre 2007).
Je me pose et me repose sans cesse la question quand notre système a-t-il dérapé ?
*
Pourtant j’étais heureux et fier d’avoir intégré la magistrature 3 ans plus tôt. Bien sûr il y avait eu OUTREAU, mais c’était un petit juge seul, trop jeune, « manquant d’épaisseur » comme l’avait affirmé un membre de la commission d’enquête parlementaire. S’il l’avait dit, c’est qu’il devait y avoir du vrai, ne dit-on pas « il n’y pas de fumée sans feu », ce que me sussurait encore hier ma voisine, Madame MICHU - sainte femme -. De toute façon je n’étais pas concerné, j’étais parquetier, alors les problèmes d’un juge d’instruction… Et puis la justice française rend 4 millions de jugements chaque année. Un cas sur 4 millions, ça me semblait rester dans le domaine de l’exception qui confirme la règle, la justice est rendue par des hommes pas des dieux…
Mais je me souviens que j’avais été troublé. Je venais de quitter le barreau après une carrière de près de 20 ans associé d’un cabinet d’affaires. Au fur et à mesure de mon travail j’avais acquis le respect de mes pairs, de mes clients, des magistrats. Gagnant confortablement ma vie, j’avais à l’époque croisé le fer à la barre avec les grands … Il n’y a en qu’un que je n’avais pas beaucoup vu au barreau, c’était Maître SARKOZY, mais je crois qu’il ne plaidait pas vraiment beaucoup, même à l’époque. Je parle d’un temps ou Jean-Louis BORLOO était l’avocat de Bernard TAPIE, ou le développement durable, l’écologie, n’étaient pas sa tasse de thé, ou son client démantelait les entreprises qu’il achetait au franc symbolique et revendait 10 fois le prix par morceau … J’apprends que ce dernier va toucher 280 millions d’euros, parce que le Crédit Lyonnais avait, parait-il, fait un peu pareil avec sa société en faillite. J’apprends aussi que chaque arbitre de cet arbitrage, arraché à la procédure judiciaire par l’intervention de BERCY, gagnera 300.000 euros d’honoraires, alors que je perçois quarante six euros pour mes nuits de permanence. 46 euros pour partir la nuit sur une scène de crime, contrôler la garde à vue d’un mineur, prendre des décisions dans un demi sommeil...
Je savais que j’allais faire un métier d’abnégation, j’ignorais que je ferais un métier de chien ! Je suis passé du traitement d’avocat d’affaires à celui de substitut du second grade, par vocation, tardive certes mais puissante, par goût de servir la justice et mes concitoyens. Je ne dis à personne combien je gagne, j’ai trop honte, on me prendrait pour un raté, dans le meilleur des cas pour un fou, je ne sais pas comment expliquer à mes amis le désintéressement, la noblesse de servir, … et c’est d’autant plus difficile que nous sommes déconsidérés au plus haut niveau de l’Etat. D’ailleurs pour ne pas que nous puissions avoir la grosse tête, que l’on soit président, procureur, procureur général, juge ou substitut, nous voyageons en 2ème classe, dormons dans des hôtels Formule 1. Les préfets et autres hauts fonctionnaires nous regardent avec un rien de condescendance nous rendre à leurs réunions en véhicule de service, Renault Scénic, Peugeot 106. Il y a belle lurette qu’ils ont compris que les magistrats étaient les « petits pois » de la République.
Je crois que la devise des magistrats pourrait être puisée dans cette maxime de l’empereur MARC AURELE « habitue toi à tout ce qui te décourage ».
* * *
Vingt trois heures trente, ça commence à faire long… Ma chemise est trempée d’une froide sueur, je n’ai pas eu le temps de me changer ayant été convoqué en catastrophe, je me sens sale.
J’entends derrière la porte épaisse des éclats d’une voix aiguë, non maîtrisée. Je crois que c’est mon procureur qui se fait insulter. Les mots « incapables, incompétents, déloyal », fusent et résonnent. Deux gendarmes sont entrés dans le bureau. Si j’ai bien compris ils viennent, sur ordre, contredire mon chef sur un détail essentiel - le mineur a-t-il été interpellé chez un ami ou dans un squat ? Effectivement ça change tout ! – il se fait tancer comme un laquais de l’ancien régime. Je croyais que les gens de robe avaient peu ou prou contribué à la Révolution française, pour que tous les hommes soient traités avec humanité ?
J’ai dû rater un épisode…
Je suis perdu dans mes pensées. Je réfléchis à ce que je vais lui dire, si elle veut bien m’écouter. A 48 ans, ayant fait un passage dans l’armée je ne me souviens pas avoir jamais parlé à un de mes soldats de la sorte - j’aurais eu trop honte de dénaturer « Le rôle social de l’officier » prôné par LYAUTEY -, ni surtout à mes collaborateurs lorsque j’étais avocat associé. Non décidemment je n’aime pas ces méthodes fondées sur l’irrationnel, l’injuste, l’incohérent.
Petit, je détestais cette morale de LA FONTAINE « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » et me voici en passe de me faire « caraméliser » comme mon procureur et avant lui, mon procureur général, pour avoir appliqué une loi de la République !
Je prépare mon argumentation. Ce n’est pas possible, elle doit être mal informée, mal conseillée par sa pléthore de conseillers. D’ailleurs, ne lui a t-on pas rapporté récemment qu’il n’y avait eu que 90 participants au congrès national de l’USM à CLERMONT-FERRAND, alors que le nouveau président a été élu par plus de 750 voix dans un amphithéâtre de la faculté de droit, plein à craquer. On doit pouvoir s’expliquer entre personnes raisonnables et honnêtes. Mais il est vrai que dans son cabinet c’est la débandade depuis un an. Cela ressemble à un bateau ivre dans la tempête.
* * *
Minuit …
Je vais essayer de rappeler à l’ancienne substitut qu’elle a été, les jours et les nuits de permanence, à raison d’une semaine par mois, sans récupération, au contraire des policiers, gendarmes, douaniers, …. Ces nuits sans sommeils ou l’on est réveillé deux à trois fois en moyenne. Les enquêteurs agacés qui ne comprennent pas pourquoi notre voix est embrumée au téléphone. J’ai beau leur expliquer que je suis à la fois l’équipe de jour et de nuit, que tout à l’heure quand il fera jour je serai à la barre, assurerai l’audience devant le juge des libertés et de la détention pour la prolongation d’un détenu dont je ne connais pas le dossier, - je suis constamment en terrain mouvant, si je requiers la détention provisoire et que le mis en cause est innocenté la presse me reprochera « un disfonctionnement judiciaire », si je requiers un contrôle judiciaire (la liberté constitue la règle) et qu’il commet un nouveau délit, une autre partie de la presse critiquera « une nouvelle bavure judiciaire » -.
A t’elle encore en mémoire les 10 signalements quotidiens du Conseil général, des pédopsychiatres, des médecins, des assistantes sociales, des parents d’enfants,…, à ma collègue des mineurs qui a déjà 400 procédures en attente, concernant précisément des mineurs en danger. Signalements justifiés ou non, pour lesquels chaque matin elle oscille désagréablement entre l’impression de commettre un nouvel « OUTREAU », ou déceler une nouvelle affaire d’ANGERS, sans pouvoir toujours démêler le vrai du faux, le réel du fantasme, dans ce contentieux particulier de « la parole ».
Il faut que je puisse lui présenter quelques mots sur le courrier général : 25.000 procédures par an dans mon parquet pour sept magistrats, soit 3.500 procédures par tête,… une minute pour prendre une décision sous peine de crouler sous la masse. Peut-être ne sait-elle pas que pendant un an on s’est retrouvé à quatre, soit 7.000 procédures par personne ! A t’elle oublié si vite combien nous sommes démunis dans les parquets à qui on eu de cesse de charger la barque ? Nous n’avons ni greffier, ni secrétaire, ni dactylo, ni assistant, nous tapons tous nos réquisitoires, rapports d’appels au parquet général, de signalement, d’actualisation, notes, courriers aux justiciables, plaignants, mis en cause, avocats, mandataires, enquêteurs ? Qu’enfin on ne peut plus décemment, raisonnablement, humainement, traiter une telle masse sans aucun risque.
Je compare mon parquet avec celui de MONS (Belgique) d’un ressort équivalent. Il y a chez eux 40 magistrats et autant d’assistants de justice…
Va t-elle comprendre enfin que depuis que je suis magistrat, je suis en état d’insécurité juridique faute de connaître toutes les lois, « nul n’est censé ignorer la loi ». Cette blague !
La loi est folle, incompréhensible, c’est un babil redondant et contradictoire. Entre 1885 et 2000 (en 115 ans) il y a eu 21 textes concernant le régime et/ou l’application des peines. Entre 2000 et aujourd’hui (en 8 ans), 26 !
D’un gouvernement à l’autre on affiche d’autres priorités, souvent contradictoires entre elles, d’où cette extraordinaire impression de schizophrénie. La société actuelle veut tout et son contraire : la peine sans le risque de l’erreur, la présomption d’innocence sans le risque de la réitération, la réinsertion sans le risque de la récidive.
Après « OUTREAU », il ne fallait plus mettre personne en détention provisoire, une loi a même été votée supprimant le critère du trouble à l’ordre public pour les délits. Karine DUCHOCHOIS à la radio est devenue l’animatrice des nouvelles élégances judiciaires. Trois mois plus tard, on nous enjoignait de mettre en prison tous les mineurs et deux mois encore après de placer en détention un adulte qui avait photographié des sous-vêtements d’enfants à Eurodisney, en raison du trouble profond provoqué à l’ordre public, soit exactement le contraire de ce qui venait d’être voté ! C’est nous qui sommes profondément troubléS.
Magistrat du Ministère public, je porte dans les plis de ma robe, à l’instar de mes 2.000 collègues, la définition du jurisclasseur « Le ministère public est le représentant de la Nation souveraine, chargé d'assurer le respect de la loi. Magistrat à part entière, à ce titre garant à la fois des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société, le magistrat du ministère public bénéficie dans l'exercice de ses attributions, d'une délégation directe de la loi qui lui confère sa légitimité. Il ajoute ainsi à son autorité de magistrat la majesté de la puissance publique qu'il incarne, et agit, non pas au nom de l'Etat ni du gouvernement, mais en celui de la République, à qui l'ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté ».
Je sers la loi universelle, générale, impersonnelle. J’ai du mal avec la loi « siliconée », celle qui se moule à l’opinion publique, qui dure ce que dure les roses…
J’évoque MONTESQUIEU : « La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » (L'Esprit des Lois).
Ou encore « Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. »
On me répond : « Voici », « Gala », « Vsd », « Paris Match » !
Comme dirait mes enfants, « on est pas en phase », nous ne sommes tout simplement plus dans le même espace temps.
* * *
Minuit trente, me voici seul et responsable …
Pourtant je ne me suis jamais senti irresponsable, simplement je croyais que l’acte de juger, de décider, de trancher, était encadré par les voies de recours, pas la revanche !
Lorsque j’étais avocat j’étais assuré pour ma responsabilité professionnelle. Comme magistrat je n’ai aucune assurance et pas les moyens de m’en payer une et d’abord auprès de quelle compagnie ? Aucun assureur ne prendra en charge la responsabilité des magistrats, dont l’étendue variera évolue au gré des caprices, horions, quolibets, et lazzis des insatisfaits.
Et pourtant vous voulez malgré cela me rendre personnellement responsable des fautes lourdes, déni de justice, non respect des droits de la défense, mais aussi de la faute simple pour les tutelles, passible des recours des justiciables contre mes décisions - j’espère que vous avez prévu pour le nouveau CSM composé de nominés politiques (qui ont peut-être quelque compte à régler) du personnel… car il va être rapidement engorgé -.
Et oui, car nous sommes voués de par nos fonctions - à égale distance des parties nous commande notre devoir - à créer 50 % de mécontents par procès dans le meilleur des cas (en justice il y a toujours un gagnant et un perdant), quand ce ne sont pas 100 % de mécontents (celui qui n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait, celui qui ne voulait pas être condamné).
Tout ceci finira par me conduire, non plus à servir la loi mais, à me protéger...
* * *
Minuit quarante cinq… les portes claquent, j’entends le journal de « LCI » dans le bureau ministériel où trône un écran plasma allumé, illuminé devrais je dire, tel un néon sur les états d’âme des français …
Je dois pourtant au moins lui exposer que les magistrats de ce pays ont probablement, modestement mais efficacement, avec d’autres - les policiers, les gendarmes qui ont été publiquement remerciés par leur ministre -, sauvé la République 10 fois ! Elle n’est pas sans savoir qu’à chaque élection, chaque manifestation, sans même rappeler novembre 2005, des « sauvageons » embrasent nos voitures, nos commerces, nos villes. Et ce sont les policiers, les parquetiers, les juges qui maintiennent l’ordre et la justice dans nos cités, jusque tard la nuit. Sans merci de quiconque.
N’a t-elle plus en mémoire ces audiences harassantes de 20 à 30 dossiers s’achevant jusqu’à point d’heures et que l’on est bien forcé d’enrôler pour pouvoir évacuer un contentieux exponentiel dans lequel des hommes et des femmes expriment de plus en plus durement la haine des autres, de la société, leur égoïsme. Le stock d’affaires pénaleS augmente sans cesse. En 1968 il y avait 600.000 plaintes pénales pour 6.000 magistrats, en 2007 il y a 5.300.0000 plaintes et 8.000 magistrats, quasiment le même nombre qu’au Second Empire. Cela représente une augmentation de 900 % de la délinquance en 40 ans, pendant que le nombre de magistrats augmentait de 30 % sur la même période !
Or, contre toute attente vous avez décidé brutalement de supprimer la moitié des juridictions alors pourtant que la France entre 1958 et 2008 avait vu sa population augmenter de 16 millions, le nombre des recours aux tribunaux se multiplier à due proportion, de sorte qu’entre les permanences, les réquisitoires, les jugements, la masse du courrier, les audiences jusqu'à plus d'heures, les réunions, les opérations de-ci et delà, les nouvelles lois, les décrets appliquant les nouvelles lois, les circulaires de 60 pages expliquant les décrets appliquant les nouvelles lois, les lois à effet retard, tout ceci à moyens non pas constants, mais amputés et qu’il était devenu progressivement impossible de rendre la justice dans la sérénité.
D’où me vient cette sensation d’essayer de vider la mer avec une petite cuillère ? Dans son discours de rentrée solennelle de janvier 2007, le procureur de la République de PARIS écrivait que « les chiffres s’alignent comme autant de témoins objectifs de l’engagement méconnu de magistrats qui, au sein de cette institution spécifique qu’est le ministère public de notre pays, accomplissent sans relâche la mission que leur assigne la loi ».
Rien n’y fait pourtant. Quels que soient nos efforts, les journalistes, les politiques, nos concitoyens ont des œillères. Après avoir abandonné les profs, les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison, l’Etat caillasse les pompiers de la République qui tentent d’éteindre le feu dans la maison avec leurS pauvres codes désuets, leurs principes surannés d’indépendance, d’égalité.
Comment ne voit-il pas qu’après nous, il n’y a plus rien. Nous sommes les digues, les derniers remparts. Lorsque les bornes sont dépassées, disait Pierre DAC, il n’y a plus de limites.
Nous avons systématiquement tort et notre Ministre reste muette, sourde à nos angoisses.
* * *
Une heure du matin, ça bouge.
La porte s’ouvre et se ferme à intervalle régulier. Des rayons de lumières rendent plus sinistreS les ors de cette antichambre où nombre de serviteurs de l’Etat ont été brisés, peut-être comptabilisera-t-on bientôt les dépressions, démissions et suicides chez les magistrats ? Pour un juge BOULOUQUE crucifié dans la lumière, combien de drames familiaux restés dans l’intimité des familles…
Je réalise à cet instant que j’ai quitté ma famille depuis 3 ans, pour vivre dans une chambre de 15 m2, célibataire géographique… grandeur et servitude.
Je n’ai pas vu grandir mes enfants depuis ces dernières années, ni pu obtenir le réconfort de mon épouse lorsque j’étais parfois découragé après mes 30 dossiers à l’audience, mes 90 règlements et autant de rapports, signalements et plus encore de nuits perturbées.
Tout cela pour me retrouver accusé en ces hauts lieux. Coupable, sans procès équitable, sans avocat, d’avoir appliqué la loi, toute la loi, rien que la loi.
* * *
Une heure trente, ça se précise…
La porte s’ouvre. Mon procureur apparait. Il est livide, les yeux rougis. Ses lèvres tremblent. Il semble brisé. Les 5 inspecteurs l’entourent, le visage fermé.
On m’explique que je dois faire mon autocritique. Comme dans la Chine du grand Timonier. J’ai commis une grave faute. Je n’ai pas devancé ce que le Peuple attendait de moi. Je n’avais pas de boule de cristal.
Pourquoi ai- je la sensation de quelque chose d’absurde, de fou et de dérisoire à la fois ?
C’est décidé, tout ce cirque m’agace. Je suis passé de la déroute au dégoût, de la détresse à la rage.
Je mets un terme à cette gesticulation.
Je tourne les talons, formule une impolitesse et claque la porte. Il parait que jeudi il y a une mobilisation de la Justice dans toute la France.
Ce billet, écrit à 02:19 par Eolas dans la catégorie Magistrats en colère a suscité :
j'assiste à ça…
Par Veuxd'elle, assistant de justice dans un tribunal administratif
Je suis le petit assistant de justice qui se faufile derrière son magistrat ou sa présidente. Je suis à la fois trop près et trop loin pour savoir ce qui ne va pas mais je peux vous en dire deux mots.
Mon travail à moi, légalement, c'est d'apporter mon « concours aux travaux préparatoires réalisés par les membres » de la juridiction administrative (art. R.222-7 du code de justice administrative, abrégé CJA).
En réalité, sous le contrôle des magistrats, je traite les dossiers qui arrivent sur mon bureau, tout simplement parce qu'il n'y a plus assez de magistrat pour écouler le stock.
Alors on me dit que je dois faire comme les grands : une note, un projet de jugement et au suivant, une note, un projet etc… en droit des étrangers, beaucoup, des ordonnances[1], énormément.
Parce que la pression des chiffres, l'engorgement des tribunaux et l'usine à gaz du « droit » des étrangers à conduit à ça, donner ce contentieux à de jeunes juristes qui sortent des banc de la fac et n'ont pas imaginé une seconde, du haut de leur vingtaine d'année, qu'ils pourraient avoir une responsabilité aussi écrasante. Bien sûr, sous le contrôle des magistrats, eux-mêmes débordés et courant après leur « norme » (i.e. le nombre standard de dossier à traiter pour une audience, une dizaine en général, la justice est une histoire de statistique…).
Moi aussi j'ai ma norme et mon quota à écouler. Chaque jour j'ai cette petite cloche dans ma tête qui me dit « tu en es à combien là ? C'est tout, c'est moins que le mois dernier, allez mets un coup de cravache mon petit ». Très relaxant comme son de cloche…
Pourquoi ? Parce que nos gouvernants on eut l'ingénieuse idée de flatter le peuple dans ses plus bas instincts, la peur de l'autre, au détriment d'un idéal, une justice de qualité.
Alors ils ont restreint les conditions d'octroi, durci la législation et inventé des instruments juridiques merveilleux comme l'OQTF[2] qui permet, dans un même bout de papier, d'avoir trois décisions : refuser le titre de séjour, fixer le pays de renvoi et obliger à quitter le territoire.
Ingénieuse ? Pour les préfets certainement, ils gagnent du temps grâce à ce fameux bout de papier unique ; pour nous rien n'a changé. Il reste toujours trois décisions susceptibles de contenir chacune des illégalités qui leurs sont propres et qu'on doit examiner : ça c'est l'Etat de droit mais sous la pression des chiffres, ça c'est l'Etat démago des statistiques à gogo.
Qui y gagne à votre avis ?
Qu'est-ce qu'il en résulte ? oh, trois fois rien, hormis quelques jugements par-ci par là un peu discutables (j'aimerais souligner qu'ils restent assez rares tout de même), il est une conséquence directe qui me dérange beaucoup plus : pendant que toute l'énergie des magistrats et assistants est consacrée à la résorption de ce contentieux en explosion depuis ces dernières années (allant jusqu'à représenter 60% du stock d'une juridiction !!!!), les autres contentieux n'avancent pas. Et l'égalité du justiciable dans tout ça criera la brave dame ?
Si tu es un « dangereux étrangers » en situation irrégulière, rassure toi, tu seras jugé en moins de six mois[3]. Si tu es un contribuable qui souhaite contester la taxation d'office au titre de l'impôt sur le revenu, tu en as pour un ou deux ans. Tu as été charcuté par un chirurgien indélicat ? compte au minimum deux ans pour un jugement de première instance. Tu es menacé d'expropriation pour une cause dont tu penses qu'elle n'a d'utilité publique que l'étiquette ? Ne t'en fais pas, grâce aux contentieux des étrangers, tu risques fort d'être jugé dans trois ou quatre ans.
Le pire dans tout ça, c'est le gâchis. Je rêve d'intégrer ce corps[4], je m'y prépare d'ailleurs, mais comment rendre attractif la fonction de magistrat quand on promet aux impétrants le si excitant contentieux des étrangers comme presque unique horizon en début de carrière ? Autant dire, de suite, que ça en fait fuir plus d'un… des talents sacrifiés sur l'autel de la démagogie et des « bons chiffres » du gouvernement.
Ras le bol, qu'est-ce qui est le plus important : l'aura politique d'une personne assise sur une sorte de bulle spéculative ou VOTRE justice, celle qui est rendu au nom du peuple français et devrait être digne de celui-ci !
J'ai été recruté parce que j'avais au minimum une maîtrise de droit et des compétences qui me « qualifient particulièrement à l'exercice de ces fonctions » (L222-7 CJA). J'ai un DEA d'une grande université, cinq ans d'études derrières et la chance d'avoir pu consacrer mon temps à ça et pas, comme beaucoup d'autre, à travailler en même temps pour financer celle-ci. Je suis payé 8,80€ brut de l'heure, pour un contrat de 15h par semaine, c'est la norme. Ca ne me paye même pas mon loyer à Paris… heureusement, jeune actif, mes parents sont encore là.
Ha oui, pourquoi ne pas finir sur une note d'espoir : au prochain concours, il y aura certainement, comme chaque année, entre 30 et 40 postes d'ouverts.
Il y a environ 1000 magistrats administratifs et 8000 magistrats judiciaires pour 60 millions de citoyens en France. En Allemagne, pays qui a substantiellement la même organisation que nous, on dénombre 22 600 magistrats judiciaires, certes pour 82 millions d'habitants. Mais ça donne proportionnellement un magistrat judicaire pour 3600 citoyens là bas, quand on en compte 1 pour 7500 chez nous.
Alors si vous pensez qu'il est plus important de parler du bébé de Rachida, de la rétention de sûreté ou du chien de Michel qui a mordu Germaine et qui nécessitera une nouvelle loi, ce sera sans moi, je ne veux pas, je ne peux pas voir à ce point la République se désintéresser de ce qui est et restera toujours, quoiqu'on en dise, le troisième pouvoir et le garant des droits et libertés de nos concitoyens.
Notes
[1] Une ordonnance en droit administratif est le cauchemar de l'avocat : c'est une décision de rejet de la requête sans audience.
[2] Obligation de Quitter le Territoire Français, création de la loi Sarkozy II du 24 juillet 2006.
[3] En moins de trois mois pour une OQTF, en moins de trois jours pour une reconduite à la frontière.
[4] Des conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, la magistrature des tribunaux administratifs.
Ce billet, écrit à 02:14 par Eolas dans la catégorie Magistrats en colère a suscité :
jeudi 16 octobre 2008
Vu à la télé
Par Dadouche
20 h 55 : je m'installe devant ma télé.
Le programme est alléchant : Rachida Dati dans "A vous de juger". Arlette Chabot nous annonce "la ministre dont on parle le plus", celle dont "les dossiers soulèvent des polémiques".
Une remarque tout de même en passant à l'intention de France 2 : au tribunal, quand une femme "dans un état intéressant" se présente à la barre, on lui propose au moins une chaise. Enfin moi, ce que j'en dis....
S'ensuit une vingtaine de minutes sur "la femme et son oeuvre", avec des questions insistantes (et parfaitement déplacées) sur son état.
Enfin, on aborde les choses sérieuses. Et là, c'est l'illumination.
Je crois que j'ai enfin compris le malentendu.
Nous, magistrats, bêtement, quand on entend "Garde des Sceaux", on pense rédaction de projets de loi et de décrets, politique pénale, réflexion sur les équilibres de la procédure, budget, fonctionnement des juridictions, dialogue avec le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice. On pense utile quoi.
Le ministre place Vendôme, au conseil des Ministres et au Parlement à faire son job et nous dans nos tribunaux à essayer de faire le nôtre, et les sauvageons seront bien gardés.
Mais quand la Garde des Sceaux décrit sa fonction, elle donne la fiche de poste d'une VRP de la compassion, de la championne des victimes, de la terreur des malfaisants, de la reine du terrain : protéger les Français, sanctionner les multirécidivistes, rapprocher les Français de leur justice. C'est Rachida d'Arc, qui a entendu les voix de Nicolas Sarkozy.
"Ma place est sur le terrain".
La ministre cite quelques déplacement essentiels à sa fonction : la rencontre au centre hospitalier de Bordeaux avec une enfant violée qui a perdu sa mère et que la Justice est là pour protéger, la visite à la maison des adolescents, une visite (quand même) à la cour d'appel de Douai. En tout 120 déplacements depuis 18 mois.
Ce qu'elle aimerait qu'on dise d'elle ? "Elle a renforcé la justice, elle nous a protégés, elle a sanctionné les délinquants".
En fait, la Garde des Sceaux n'est pas ministre de la Justice. Elle EST la Justice. ELLE protège, ELLE sanctionne, ELLE assume.
Bon, entendons nous bien, quand elle protège, c'est du lourd. On ne parle pas de violence routière, de vols à l'arraché ou de petit trafic de shit. Non, son créneau, ce sont les pédophiles dangereux, les meurtriers en série, les vrais monstres.
D'ailleurs, elle voit des criminels partout, puisqu'elle nous ressert son antienne sur "les seuls mineurs incarcérés sont ceux qui ont commis des actes criminels". Il faut croire que le ressort où j'exerce est peuplé de mineurs qui ont violé, tué ou braqué, puisqu'il y en a en permanence à la maison d'arrêt. Curieux, moi j'ai plutôt prononcé des condamnations pour des vols aggravés, des violences, des extorsions, des mises en danger de la vie d'autrui ou des incendies.
Passons, relever toutes les erreurs ou approximations prendrait trop de temps.
Quelques perles tout de même : les mineurs en CEF sont alcooliques depuis l'âge de 11 ans (celle là est en récidive), la moitié des magistrats se sont mis en grève en 2000, "les mineurs ne vont en prison que pour des affaires criminelles, c'est le code qui le dit".
Il y a eu des fulgurances.... à la conclusion décevante : si la délinquance des mineurs continue à augmenter malgré la fermeté mise en oeuvre depuis 18 mois, contrairement à la délinquance des majeurs qui est en net recul grâce aux peines planchers, c'est parce que le texte n'est pas adapté, trop vieillot, fait pour les enfants de la guerre et non pour ceux de 2008. Ca ne peut évidement pas être (comme Elisabeth Guigou a osé le prétendre avec indécence en parlant de son fils adolescent alors qu'on lui parlait des criminels qui peuplent les prisons et les centres éducatifs) parce que pour les mineurs ce qui marche le mieux c'est l'éducatif (qui n'exclut pas l'autorité et la fermeté), et que ça marche encore mieux quand il y a des éducateurs pour faire de l'éducatif.
Soyons justes, une annonce intéressante tout de même : un code de la justice des mineurs. Ca ne sera pas du luxe d'avoir tout dans le même texte. Après, faut voir le contenu...
Et puis, elle a parlé de nous, les magistrats.
Bien forcée, puisque les deux principaux syndicats annoncent des actions la semaine prochaine à cause notamment des multiples atteintes à l'autorité judiciaire.
Alors là, les conseillers en com' ont bien travaillé.
Le congrès de l'USM (première organisation syndicale des magistrats, qui revendique 2000 adhérents et près de 65% des voix aux élection professionnelles), auquel tous les Gardes des Sceaux se sont rendus depuis des décennies, devient "une réunion de 90 magistrats à Clermont-Ferrand". Et elle, elle a préféré aller sur le terrain qu'assister à une réunion dans une cabine téléphonique. On voudrait juste savoir sur quel terrain elle était le 10 octobre dans l'après midi.
On évoque une certaine brutalité ? Elle répond exigence.
La carte judiciaire ? Ce sont les magistrats eux mêmes qui l'ont proposée. Traduction : des commissions alibi ont été réunies en urgence pendant l'été pour faire semblant de consulter alors que le projet était prêt depuis longtemps.
Le Procureur de Boulogne sur Mer a obtenu une mutation qu'il sollicitait depuis plusieurs années après un avis de non lieu à sanction rendu par le CSM ? En langue ministérielle ça se dit : "J'ai pris mes responsabilités, j'ai demandé au magistrat de quitter ses fonctions".
Sans parler du message subliminal qui suit : pour le Juge Burgaud, s'il n'y a rien, ça ne sera pas ma faute mais celle du CSM.
A la fin, j'ai fatigué. A 22 heures, j'ai éteint.
Pas envie de me taper Tapie en prime.
Le Bilan
Sur 1h10 d'émission, plus de 20 minutes sur "sa vie-son oeuvre-ses origines".
Des mots clés : victimes, mutirécidivistes, terrain, criminels.
Des mots absents (notamment dans la bouche d'Arlette Chabot) : budget, rapport de la CEPEJ, respect de l'autorité judiciaire.
Une empoignade avec Elisabeth Guigou sur le thème "mes chiffres sont meilleurs que les tiens et toi aussi t'en as bavé".
Un nom : Nicolas Sarkozy.
Moi j'aime bien la télé de service public.
Ce billet, écrit à 22:33 par Dadouche dans la catégorie Commensaux a suscité :
dimanche 5 octobre 2008
En vrac
Mon agenda risque fort de me tenir éloigné de mon blog cette semaine (si mes colocataires se sentent inspirés, c'est le moment).
Néanmoins, quelques infos en vrac qui ne peuvent attendre un retour à la normale.
► Le « gilet jaune » est entré en vigueur aujourd'hui. J'avais raison, l'arrêté ministériel nécessaire n'avait pas été publié, mais il avait bien été signé le 28 septembre, soit 48 heures avant l'entrée en vigueur. Les délais de parution au JO ont fait que le gilet jaune n'est entré de fait en vigueur qu'aujourd'hui, lendemain de la publication des arrêtés, conformément à l'article 1er du Code civil.
Merci à mes lecteurs qui m'ont signalé l'arrêté du 29 septembre 2008 relatif au gilet de haute visibilité (NOR : DEVS0819336A) et en ce qui concerne le triangle rouge, l'arrêté du 30 septembre 2008 relatif à la présignalisation des véhicules (NOR : DEVS0819338A).
Que faut-il en retenir ?
Pour le gilet, il n'a de gilet que le nom : tout vêtement ouvrant le haut du corps est considéré comme un gilet. Donc, pour les cyclistes hors agglomération un jour de pluie, un poncho peut être un gilet s'il est réfléchissant, comme ce modèle, sous réserve de sa conformité aux normes.
S'agissant des normes, justement, l'arrêté renvoie au code du travail. les normes sont les mêmes.
Et quelles sont-elle, ces normes ? Elles figurent à l'annexe II de l'article R.4312-23 du Code du travail, article 2.13. Oui, je sais, c'est super facile à trouver pour l'automobiliste moyen, mais le législateur adore ce genre chasse au trésor réglementaire. Je ne résiste pas au plaisir de vous recopier ici cette norme, tant elle est magnifique (les gras sont de moi) :
2. 13. Équipements de protection individuelle vestimentaires appropriés à la signalisation visuelle de l'utilisateur
Les équipements de protection individuelle vestimentaires destinés à des conditions prévisibles d'emploi dans lesquelles il est nécessaire de signaler individuellement et visuellement la présence de l'utilisateur comportent un ou plusieurs dispositifs ou moyens judicieusement placés, émetteurs d'un rayonnement visible direct ou réfléchi ayant une intensité lumineuse et des propriétés photométriques et colorimétriques appropriées.
Automobiliste, attention : avant d'acheter votre gilet qui n'est pas forcément un gilet sur le premier marché venu, vérifiez bien que les dispositifs soient judicieusement placés (exemple : devant les yeux = FAIL), et que les propriétés photométriques et colorimétriques soient appropriées, et n'hésitez pas à tancer vertement le ruffian qui voudrait vous refourger des propriétés photométriques inappropriées. On ne vous la fait pas, à vous. Vous lisez maître Eolas.
Bon, plus sérieusement, le salut vient d'un autre article du code du travail, l'article R.4313-61, qui impose au fabriquant de ces équipements une déclaration préalable de conformité aux normes européennes avant la mise sur le marché, et une attestation de conformité délivrée par un organisme habilité (arrêté du 18 décembre 1992, JO 31 p.18158). Ce sont ces normes européennes qui définissent de manière très stricte les propriétés de ces équipements, mais je vous confirme que rien n'impose à ce gilet d'être jaune.
Donc, à compter de ce jour, ça y est, vous pouvez être verbalisés.
► Sur le jugement de Jean Sarkozy :
Loi de Murphy des blogs. C'est quand vous aurez fait votre BSV[1] sur une décision de justice que quelqu'un publiera la décision, rendant votre travail grandement caduc. Cette fois-ci, c'est de Pascale Robert-Diard que vient le coup de poignard, qui a retranscrit la décision sur son indispensable blog.
Voici la motivation du jugement sur le fond :
(…)Le simple fait de relever le numéro d’immatriculation d’un véhicule terrestre à moteur, quelles qu’en aient été les circonstances, ne pouvait à lui seul constituer un élément suffisamment probant de nature à établir l’existence d’un accident de la circulation.
Des lecteurs se posaient la question de savoir comment la partie civile avait-elle pu avoir connaissance du numéro de scooter de Jean « Hellrider » Sarkozy. Le tribunal leur répond : peu importe, le fait d'avoir ce numéro ne prouve pas la réalité de l'accident qui est la condition d'existence du délit. Effet de la présomption d'innocence : la parole de la victime ne saurait suffire. Il faut d'autres preuves, qui ci faisaient défaut. Aucun témoin direct du choc (les passagers ont entendu un bruit et vu le scooter partir), l'attestation du passager n'établissant rien d'autre.
Et ce d’autant plus qu’il résultait:
- d’une première expertise (…) sollicitée par le conseil du prévenu aux fins de donner un avis technique relatif à la compatibilité et à la crédibilité des déclarations de M. B., ainsi qu’au regard des constatations effectuées par l’expert de la MAAF sur le véhicule BMW, qu’il “n’est pas possible que le scooter ait percuté l’arrière du véhicule car en cas de choc, la roue est engagée sous le pare-chocs et c’est le garde boue qui vient taper le haut du pare chocs et en aucun cas abîmer le bandeau latéral, comme cela a été constaté par l’expert de la MAAF et que les désordres constatés ne correspondent pas à l’accident déclaré le 14 octobre 2005 en ce qui concerne le point de choc”.
- et d’une seconde expertise d’un expert diligenté par le tribunal que: “dans le cas où le scooter de M. Sarkozy aurait percuté le véhicule BMW sur sa partie latérale gauche comme déclaré par M. B., des dommages auraient été occasionnés par la poignée de frein du deux roues sur l’aile arrière gauche et nous aurions trouvé des traces sur le bord extérieur droit du tablier avant du scooter (effet de miroir). L’équilibre de ce type de scooter étant précaire, le choc aurait sûrement provoqué la chute sur le côté, ainsi que celle de M. Sarkozy, ce qui ne semble pas avoir été le cas. La reconstitution que nous avons effectuée ne permet pas d’affirmer qu’il y a eu un choc entre les deux véhicules en cause car nous n’avons pas pu constater sur le scooter une quelconque trace ou déformation pouvant être imputable au choc prétendu”.
Par conséquent, dès lors que la matérialité même de l’accident dénoncé était formellement écartée, les infractions reprochées au prévenu ne sauraient être caractérisées.
La condamnation aux 2000 euros repose bien sur l'article 472 du CPP et traduit le reproche fait par le tribunal de l'entêtement à agir de la victime malgré un dossier vide. La demande était de 4000 euros, et faisait écho à la demande de la partie civile de 4000 euros au titre du préjudice moral.
La partie civile a décidé de faire appel, essentiellement explique-t-elle, pour demander l'infirmation de cette condamnation à 2000 euros. Ça s'appelle jouer à quitte ou double.
Notons au passage l'orthodoxie du jugement, qui déclare recevable la partie civile mais, eu égard à la relaxe du prévenu, le déboute de ses demandes. J'applaudis : trop de tribunaux déclarent à tort la partie civile irrecevable en cas de relaxe. La recevabilité dépend de deux choses essentiellement : les faits doivent être constitutifs d'une infraction, et la partie civile en être la victime directe. Si ces conditions sont remplies, elle est recevable. Mais si le prévenu est relaxé, que ce soit parce que les faits ne sont pas établis ou que le prévenu n'en est pas l'auteur, la partie civile est déboutée au fond.
► Le jugement de relaxe du Bâtonnier Hoarau :
Un confrère de l'île aux tribunaux tous saints m'a envoyé une copie du jugement, rédigé exceptionnellement pour l'audience de délibéré, l'affaire, fort médiatique, risquant de faire l'objet d'un appel.
Je publierai demain le texte du jugement, du moins les motifs complets. Sachez pour le moment que le tribunal a déclaré irrecevable la citation en considérant que les propos du bâtonnier étaient bel et bien couverts par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881… au bénéfice du doute.
En effet, le parquet présent à l'audience n'avait pas fait réserver l'action en diffamation. Cela ne rend pas moins recevable l'action sur plainte du garde des Sceaux, puisqu'elle était tiers à l'audience ; car plainte il y a bien eu, le 13 juin 2008, sous forme d'une instruction ministérielle adressée au directeur des affaires criminelles et des grâces (qui n'a jamais autant mérité son nom que depuis l'arrivée de l'actuelle Garde des Sceaux…).
Néanmoins, une réserve d'action conduit le greffier à citer précisément les propos tenus et les circonstances où ils ont été tenus, afin de permettre au tribunal de juger si l'immunité de l'article 41 s'applique ou si les propos sont extérieurs à l'affaire. Cela n'a pas été fait. Le tribunal ne peut que constater, d'après les notes d'audience du greffier, au demeurant fort longues, révélant la complexité de l'affaire, que le prévenu de la première affaire avait, dans le cadre de l'escroquerie qui lui était reprochée, produit des faux, et que les propos litigieux parlaient aussi de faux. Le bâtonnier Hoarau soulève qu'il tenait un raisonnement par analogie, tendant à relativiser la gravité des faits commis par son client. Aucun élément n'étant produit par l'accusation pour battre en brèche cette argumentation, le tribunal considère que ces propos, dans ce cas, « ne dépassaient pas les limites d'une défense légitime, et ne peuvent être considérés comme étrangers ni inutiles à la cause défendue ».
Soyez sages, bonne semaine, à bientôt.
Notes
[1] Billet Sans Visibilité
Ce billet, écrit à 12:43 par Eolas dans la catégorie General a suscité :
jeudi 2 octobre 2008
Brèves considérations sur la relaxe de Jean Sarkozy
Beaucoup de lecteurs m'assaillent pour que je les éclaire sur la relaxe dont a bénéficié le président du groupe UMP au Conseil général des Hauts de Seine, poursuivi sur citation directe par la partie civile pour un délit de fuite, relaxe accompagnée de la condamnation de la partie civile à lui payer 2000 euros pour « procédure abusive ».
Je vais essayer, mais après avoir posé une réserve importante : je n'ai pas eu accès au dossier. Si les explications procédurales que je vais donner sont certaines, les éléments de fait me viennent de la presse ; or les journalistes étant faillibles, sauf Aliocha, il est possible que des approximations se soient glissées dans leurs comptes-rendus.
Une autre réserve s'impose : la qualité de fils de P… du prévenu, et le caractère létal qu'a l'évocation du nom de son géniteur sur toute objectivité chez une portion non négligeable de mes concitoyens et la rédaction de Marianne, font que la culpabilité du prévenu était considérée comme axiomatique, et sa relaxe, forcément injuste. Qu'il soit clairement entendu que sur ce blog, tout le monde a droit à la présomption d'innocence, fût-il fruit des œuvres du Président de la République, ou juge d'icelui.
Rappelons brièvement les faits : le 14 octobre 2005, place de la Concorde à Paris 8e, une automobile de marque Bayerische Motoren Werke est emboutie par l’arrière par un scooter qui prend la fuite, le conducteur prenant, d'après le conducteur et son passager, soin de leur présenter son médius en extension. Les deux occupants de la voiture, Messieurs B. père et fils affirment avoir relevé le numéro du deux-roues à l’aide d’un téléphone portable, mais ne sont pas en mesure de reconnaître le conducteur coiffé d’un casque (ci-contre, une photo de Jean Sarkozy avec son casque, mais il est possible que ce ne soit pas le même).
Les dommages à la belle teutonne sont légers : 260,13 euros au titre des réparations engagées. Là, j'ai un premier problème. La presse relate que le numéro du scooter a été transmis à l'assurance qui aurait par trois fois relancé le fils de l'homme présidentiel.
Généralement, toute assurance auto a une franchise, une somme que l'assuré garde à sa charge et qui évite à l'assurance d'indemniser le dérisoire (ce qui exclut les dommages les plus fréquents, d'ailleurs). De plus, quand les dégâts dépassent le montant de la franchise, ou que l'assurance exclut toute franchise, les compagnies d'assurance, pour éviter des frais disproportionnés, ont l'habitude d'indemniser de leur poche leur assuré sans exercer de recours contre l'assurance adverse en dessous d'un certain montant (1500 euros environs pour les assurances habitation, m'a un jour expliqué l'avocat d'une compagnie d'assurance). Donc l'intervention de l'assurance me paraît curieuse.
En outre, que je sache, les assurances n'ont pas accès au fichier des immatriculations, seules l'ont les services de police. Donc faute de plainte, il est à mon sens impossible que l'assurance de l'automobiliste ait su à qui chanter pouilles. Mise à jour : mes lecteurs sont formidables, je suis indigne d'eux. Oui, les assurances ont accès au fichier des permis de conduire et des cartes grises, à certaines conditions (art. L. 330-2, 8° du code de la route).
Toujours est-il qu'une plainte finit par être déposée en février 2006. C'est semble-t-il à cette occasion (cette théorie est contestée par le prévenu relaxé), le propriétaire du scooter dont l'immatriculation correspond au numéro relevé est identifié.
L'enquête de police tourne court, le parquet ayant probablement décidé de classer l'affaire eu égard au préjudice modeste (dégâts matériels légers, pas de blessés) et à la légèreté de la preuve. Le parquet savait-il que le mis en cause était Jeannot les bouclettes au moment de la décision de classement ? Je l'ignore.
Le conducteur n'en démord pas et en fait même une question de principe, les plus coûteuses : il décide de saisir lui-même le tribunal correctionnel pour suppléer à la carence du parquet.
Premier apparté : que viens-je de dire ?
En procédure pénale, l'action publique, qui consiste à demander à une juridiction pénale (on dit aussi répressive sans aucun sens péjoratif) de juger les délinquants, peut être mise en mouvement soit par le parquet (c'est son rôle naturel), soit par la victime directe du délit. On peut le faire de deux façons : soit en saisissant d'une plainte avec constitution de partie civile le doyen des juges d'instruction, soit en saisissant directement le tribunal correctionnel : c'est la citation directe par la partie civile, que le parquet appelle des affaires « entre parties » ce qui est inexact car il est malgré tout concerné au premier chef.
La citation est dans ce cas rédigée par la partie civile (ou par son avocat, mais l'avocat n'est pas obligatoire pour une citation directe), qui prendra attache avec les services du parquet pour avoir une date et au besoin la chambre qui aura à connaître de l'affaire. Puis il fait délivrer la citation par huissier, comme pour une assignation au civil. À cette première audience, l'affaire n'est pas examinée au fond. Le tribunal vérifie la validité de la citation et fixe une consignation, une somme que la victime devra déposer au service de la régie du tribunal avant une certaine date, à peine de nullité de la citation. Le tribunal renvoie à une deuxième audience pour vérifier que la consignation a été déposée et fixer la date de jugement définitif, en accord avec les avocats des parties pour la durée de leur plaidoirie. Le parquet est libre de s'associer aux poursuites s'il estime le dossier solide et les faits graves, ou se contenter de bouder sur son estrade. Il devra quand même requérir à la fin de l'audience de jugement. Précisons que la victime admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle est dispensée de consigner.
La consignation vise à assurer le paiement d'une éventuelle amende pour abus de constitution de partie civile. Elle est intégralement restituée à la victime en cas de jugement de condamnation. Elle est restituée, amputée de l'amende, en cas de relaxe.
C'est donc notre automobiliste qui va mettre en mouvement l'action publique. Les qualifications retenues sont : délit de fuite, défaut de maîtrise du véhicule, dégradations légères, soit un délit et deux contraventions.
Le délit de fuite consiste en, quand on a causé un accident de la circulation (je mets en gras car le délit de fuite ne s'applique qu'en cas d'accident de la circulation, ce qui n'est pas toujours su), à quitter les lieux sans laisser ses coordonnées (pour faire simple: la loi distingue les obligations du conducteur impliqué selon qu'il y a ou non des blessés).
Les dégradations légères ne posent pas de problème, quant au défaut de maîtrise, c'est une contravention qui résulte automatiquement de la survenance d'un accident sauf force majeure. Si choc il y a eu, c'est que le conducteur ne maîtrisait pas son véhicule. CQFD, et c'est jusqu'à 750 euros d'amende.
Aux grands moyens répondent les grands moyens, puisque c'est un des meilleurs pénalistes de la place que Casque d'Or va recruter. Et l'affaire va basculer dans la démesure.
Deux expertises vont avoir lieu, pour examiner les traces d'impact sur la voiture et sur le scooter. Deux expertises. Ai-je besoin de préciser qu'aucun expert judiciaire ne se fera rémunérer moins de 260,13 euros pour une telle expertise ? Ces frais d'expertise ont dû être avancés par la partie civile, mais je n'ai aucune information là-dessus.
Elles vont conclure que les traces relevées sur la voiture ne correspondent pas au récit fait par la victime. Je ne sais pas si le scooter a seulement pu être examiné.
Toujours est-il que le tribunal se retrouve à l'audience avec, comme éléments à charge, la victime qui affirme avoir relevé le numéro du scooter, mais reconnaît ne pas avoir pu identifier le conducteur (qui seul est l'auteur des différentes infractions). À décharge, deux expertises qui concluent que le récit de la victime n'est pas corroboré par les constatations sur le véhicule. Et un parquet qui requiert la relaxe. Mon confrère Thierry Herzog n'avait pas besoin de mobiliser son talent pour obtenir la relaxe (même s'il l'a quand même fait, une heure durant, au moment de plaider).
Reste la question des 2000 euros.
Ils peuvent avoir plusieurs fondement juridiques.
Il peut s'agir d'une amende civile pour abus de constitution de partie civile (art. 392-1 du CPP) d'un montant pouvant aller jusqu'à 15000 euros, prélevé sur la consignation. Mais je ne pense pas que tel soit le cas puisque la presse laisse entendre que cette somme serait versée à Mini-Bling, les amendes civiles étant versées au Trésor Public, et cette amende doit être requise par le parquet, et les comptes-rendus d'audience étaient muets sur ce point.
Il peut s'agir de dommages-intérêts demandés par le prévenu relaxé (art. 472 du CPP) pour abus de constitution de partie civile.
Enfin, il peut s'agir d'une requête de l'article 800-2 du CPP, visant au remboursement des frais d'avocat du prévenu relaxé, indemnité en principe à la charge du Trésor, mais que le tribunal peut mettre à la charge de la partie civile.
J'opine pour la deuxième solution, puisqu'Easy Rider a déclaré que cette somme serait versée à une association pour les enfants malades, et mon confrère Herzog, s'il a gardé un cœur d'enfant, est en parfaite santé.
En quoi l'obstination de la victime a-t-elle pu être considérée comme abusive ? Difficile à dire pour moi qui ne connais pas le dossier ni n'étais présent à l'audience. L'attitude, les propos de la partie civile ont pu jouer.
Le fait de vouloir envers et contre tous amener au pénal une affaire sur un incident mineur comme il s'en produit des dizaines chaque jour, d'un préjudice de 260 euros, et de maintenir sa demande malgré une carence de la preuve et des expertises battant en brèche ses affirmations, sachant que le prévenu porte un patronyme illustre, qu'il était candidat aux élections cantonnales, et que la médiatisation de cette affaire a des conséquences politiques qui n'ont pu échapper à la partie civile et qui peuvent expliquer son obstination me paraît être une explication suffisante pour la décision des juges.
C'est une affaire regrettable à tout point de vue car il y a eu, d'un côté ou de l'autre, instrumentalisation de la justice (et elle a horreur de ça, vous n'avez pas idée), et les commentaires sur cette affaire montrent que tous les opposants au président ont pris fait et cause pour l'automobiliste, estimant que le fils de ne pouvait qu'être coupable, avec le nom qu'il porte (et donc la justice à la botte du pouvoir, vous savez, la justice qui vient de relaxer Hamé pour la troisième fois sur des poursuites voulues par le papa de).
Je ne souhaite à personne d'être jugé par le tribunal de l'opinion publique. Me reviennent les immortelles paroles de mon confrère Moro Giafferi (1878-1956) : « L'opinion publique, chassez-là du prétoire, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche. »
Ce billet, écrit à 15:35 par Eolas dans la catégorie Commentaire judiciaire a suscité :
lundi 29 septembre 2008
Bon ben alors, ça va bien ou pas ?
Rachida Dati, le 11 juin 2008 :
Depuis un an, nous avons lutté contre la récidive. C’était une attente des Français. Nicolas Sarkozy s’y était engagé. Nous avons mis en place des outils efficaces :
C’est d’abord, la loi sur les peines planchers. Elle a instauré un régime clair pour les récidivistes. Cette loi a déjà été appliquée : 9250 décisions rendues par les tribunaux, c’est la preuve que cette loi était nécessaire et attendue.
Propos pour lesquels il vous en souvient Rachida Dati avait écopé d'un prix Busiris en récidive.
Un commentateur disant être Guillaume Didier,porte-parole du Garde des Sceaux, avait répliqué que je commettais une erreur dans mes estimations, et que
Le taux d’application de 20 % avancé par Maître Eolas n’est donc pas exact, il dépasse les 50% comme le disait Madame Rachida Dati.
Dont acte, les peines planchers, c'est un grand succès.
Les photos de Rachida Dati en robe du soir à l'inauguration de la Biennale des antiquaires, l'autre semaine, n'ont pas été appréciées à l'Elysée. Les « amis » de la garde des Sceaux se sont empressés de faire savoir dans le Tout-Paris que le Président reprochait à sa ministre de ne pas s'occuper assez des peines planchers...
C'est un grand succès dont il faut s'occuper. Et relancer les groupies.
La ministre de la justice Rachida Dati a convoqué vendredi cinq procureurs généraux afin de leur faire savoir son mécontement.
Son mécontentement, vraiment ? Alors qu'en juin, elle était ravie ?
Elle s'inquiète en effet que le recours aux peines planchers soit le plus faible de France dans le ressort de leur Cour d'appel respective. Ces peines planchers sont réservées aux multirécidivistes majeurs ou bien mineurs de plus de 16 ans qui passent pour la troisième fois devant un juge.
Nope ; la deuxième fois suffit.
Rachida Dati invitera régulièrement les magistrats du Parquet à se justifier lorsque leurs résultats seront considérés comme préoccupants concernant tous les délits. Ainsi, de faibles condamnations pour violences conjugales vaudra au Procureur d'une juridiction donnée d'être convoquée Place Vendôme.
Et gare à vous si les époux de votre région sont plus respectueux de leur conjoint qu'ailleurs. Les anomalies statistiques seront considérées comme de la dissidence politique.
Ce billet, écrit à 17:23 par Eolas dans la catégorie Brève a suscité :
Nobody does it better…
Nicolas Sarkozy, le 13 octobre 2006 :
Je ne veux pas faire une discrimination positive sur des critères ethniques qui serait la négation de la République. Mais je veux que sur la base de critères économiques, sociaux, éducatifs, on mette tous les moyens nécessaires pour combler des écarts qui sont devenus insupportables et qui mettent en péril la cohésion nationale. Il faut aider ceux qui veulent s’en sortir à s’en sortir.
Ou éventuellement les empêcher d'entrer.
La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité (HALDE, mais on devrait dire HALDÉ), apprends-je via Michel Huyette (attention : site en Comic Sans), a rendu trois délibérations, non encore publiées sur son site, relevant trois cas de discrimination à l'embauche… à l'École Nationale de la Magistrature.
Ainsi, soit un poste vacant pour enseigner aux bébés embastilleurs[1] les mystères et gloires de la fonction de juge d'application des peines. Soit le magistrat A. et le magistrat B., tous deux candidats à ce poste.
Le magistrat A. a été quatre années juge d'application des peines (JAP). Le magistrat B., un an. Avant d'être JAP, le magistrat A. a exercé dans quatre postes différents, contre un seul pour le magistrat B. Le magistrat A. a enseigné en faculté et est déjà intervenu ponctuellement devant des auditeurs de justice, ce qui n'est pas le cas du magistrat B. Ajoutons que le magistrat A. comme le magistrat B. sont tous deux des femmes, ce qui exclut que ce critère soit pertinent. Le directeur de l'École, qui doit donner un avis, indique sa préférence pour le magistrat A.
Seulement voilà, le magistrat A. exerce des responsabilités dans le Syndicat de la magistrature (SM), clairement marqué à gauche.
Et, mystères de la vie, c'est le magistrat B. qui est pourtant finalement retenu par la Chancellerie (la décision relevant du Garde des Sceaux, qui n'a pas à indiquer les motifs de son choix).
Le magistrat A., supputant une discrimination de nature politique, saisit la HALDE, qui demande des explications. La réponse de la Chancellerie vaut son pesant de canapés Dalloyau : le magistrat B. a été préférée car… elle parle mieux l'anglais. Et Dieu sait que pour former des futurs JAP aux mystères de la computation de la mi-peine, l'anglais est indispensable.
Et par trois fois estimera la HALDE (délibérations 2008-186, 2008-187 et 2008-188), des membres du Syndicat de la magistrature présentant objectivement un meilleur profil que d'autres impétrants seront écartés au profit de candidat plus… politiquement corrects.
Pour citer Michel Huyette, dont je partage pleinement l'opinion :
Ce qui rend beaucoup plus mal à l'aise, c'est de savoir que les décisions telles les recrutements à l'Ecole de la magistrature sont prises au plus haut niveau du ministère de la justice, de fait par la ministre et ses plus proches collaborateurs. Or le premier cercle autour de tout Garde des sceaux est constitué de.... magistrats qui, la plupart du temps, obtiennent des postes prestigieux lorsqu'ils retournent en juridiction, notamment des postes de procureur général dans une cour d'appel. Or la ministre de la justice a demandé il y a quelques mois que dans chaque tribunal un membre du Parquet (un substitut du procureur de la République) soit spécialement chargé de traquer et de poursuivre devant les tribunaux correctionnels les auteurs de toutes formes de discrimination. Et ses proches collaborateurs quand ils deviendront procureurs généraux transmettront très certainement aux procureurs dont ils seront les supérieurs hiérarchiques des consignes de fermeté envers toute personne ayant décidé de mettre en œuvre un mécanisme discriminatoire, par exemple lors de l'embauche en entreprise.
Décidément, place Vendôme, l'air pince rudement, et il fait très froid.
Notes
[1] Le terme officiel est « auditeur de justice ».
Ce billet, écrit à 11:36 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit a suscité :
lundi 22 septembre 2008
Citation du jour
Nicolas Sarkozy, président de la République, s'adressant au pape Benoît XVI :
Et c’est en pensant à la dignité des personnes que nous affrontons la si délicate question de l’immigration, sujet immense qui demande générosité, respect de la dignité et en même temps prise de responsabilité.
Clap. Clap. Clap.
Via Autheuil.
Ce billet, écrit à 16:08 par Eolas dans la catégorie Droit des étrangers a suscité :
lundi 8 septembre 2008
Casse-toi, pov'délit
À son corps défendant, un citoyen de la Mayenne va enfin permettre de répondre à une question que nombre d'avocats, dont votre serviteur, se posaient depuis fort longtemps.
Hervé Éon, apprenant le passage par le palindrome chef-lieu de canton de la Mayenne, a décidé de lui tourner un compliment à sa façon, en brandissant sur le passage du présidentiel aréopage une pancarte avec ces quelques mots : « Casse toi, pov'con », allusion à une anecdote bien connue survenue lors du dernier salon de l'agriculture, où le président eu une réaction peu présidentielle à un propos peu civique.
Las, il n'eut guère le loisir de brandir son œuvre, étant interpellé à l'approche du train présidentiel, et conduit aussitôt au commissariat pour y être ouï.
Tout cela se termina avec une convocation en justice pour le 23 octobre 2008 pour offense au président de la République pour notre porte-pancarte, et un magnifique hors-sujet pour Rue89.
En effet, sous la plume de Chloé Leprince, le journal qui n'en est pas un rebondit sur cette anecdote pour parler de la hausse considérable des affaires d'outrage, sujet récurrent et sur lequel un pamphlet vient de sortir.
La discussion a son intérêt, tant le délit d'outrage pose problème, avec une regrettable confusion victime-enquêteur (la première étant le collègue de bureau du second), et un indéniable conflit d'intérêt (le policier qui s'estimera outragé et vous interpellera a un intérêt financier puisque vous allez l'indemniser, et un outrage, c'est une procédure qui se traite en quelques heures, un cambriolage, c'est une procédure qui se traite en plusieurs jours, pour faire toujours une croix dans la case ; voyez où est l'incitation). Leur nombre a presque doublé en dix ans, sans que le manque d'éducation de mes concitoyens me semble une explication convaincante.
Mais le sujet n'est pas là, et je ne vais pas commettre la même erreur que Chloé Leprince.
En effet, l'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée de service public est prévue par le Code pénal, à l'article 433-5.
Or comme le relève un autre article de Rue89, écrit par le principal intéressé, c'est ici une offense au chef de l'État qui est poursuivie, prévue par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881.
Mes lecteurs réagiront aussitôt en lisant cette date : mais oui, c'est la loi sur la liberté de la presse.
Il ne s'agit donc pas du même délit.
L'outrage est défini comme « les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public [ou dépositaire de l'autorité publique], dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. »
Ici, notre lavallois a brandi en public un écrit, en l'espèce une pancarte : l'outrage est inapplicable, car il y a publicité. C'est la loi sur la presse qui s'applique, et qui en l'espèce prévoit en son article 26 un délit spécial, le délit d'offense au Président de la République.
L'offense au Président de la République par l'un des moyens énoncés dans l'article 23[1] est punie d'une amende de 45 000 euros.
Le Président de la République a donc son article à lui, contrairement à la plèbe au reste de ses concitoyens, qui se contenteront du délit d'injure ou, selon, de diffamation. Ils sont moins sévèrement réprimés, mais surtout, l'injure peut être excusée en cas de provocation et la diffamation peut soit être couverte par l'exception de bonne foi soit par l'offre de preuve de la véracité des faits diffamatoires. Pas l'offense au chef de l'État.
Or ce délit pose un vrai problème de droit. Il a été créé à une époque où le Chef de l'État était sans pouvoir ni responsabilité, comme le sont les rois dans les royaumes parlementaires (Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas, Danemark, Suède, Belgique, encore que le roi Albert II soit amené à jouer un rôle politique bien malgré lui ces temps-ci) et dans les républiques parlementaires strictes que sont la République Fédérale d'Allemagne, l'Italie ou Israël (Angela Merkel, Silvio Berlusconi ou Ehoud Olmert ne sont que premier ministre ou équivalent ; les présidents de ces Républiques sont respectivement Horst Köhler, Giorgio Napolitano et Shimon Peres). De là vient d'ailleurs leur irresponsabilité politique (ils ne peuvent être renversés par une motion de censure).
Or depuis la Constitution du 4 octobre 1958, le Président de la République est devenu le personnage central de la vie politique. Il a des pouvoirs réels, et ceux qu'il n'avait pas, il les a pris. Il est en revanche demeuré irresponsable politiquement et pénalement. Le contreseing du premier ministre de l'article 19 prête à sourire, et quand on lit en dessous à l'article 20 que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, l'hilarité nous saisit. Les institutions ont intégré cette logique, faisant de la responsabilité du gouvernement devant l'assemblée une farce.
Bref, à occuper le devant de la scène, le président est devenu la proie des critiques les plus vives. Dans un pays où la liberté d'expression est reconnue comme un des droits les plus précieux de l'homme, comment peut-on faire bon ménage avec un délit qui punit toute offense, quelle qu'elle soit et sans possibilité d'excuse ?
La 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a déjà donné un élément de réponse quand, saisie de poursuites pour un délit cousin, le délit d'offense à chef d'État étranger, elle avait déclaré ce délit contraire à l'article 10 de la CESDH et dès lors constaté sa désuétude, déboutant un aréopage de grands démocrates en la personne de Messieurs les présidents de la République tchadienne Idriss Déby, de la République congolaise Denis Sassou Nguesso et de la République gabonaise Omar Bongo, à l'occasion de la sortie du livre Noir Silence. Qui arrêtera la Françafrique ? (F.-X. Verschave, les Arènes, 2000).
Le 25 juin 2002, la CEDH condamnait la France pour l'existence de ce délit (affaire Colombani c. France), délit qui a finalement été aboli par la loi Perben II du 9 mars 2004.
Mais il reste le délit d'offense à chef de l'État. Il était tombé quasiment en désuétude. Le Général de Gaulle n'avait fait engager des poursuites que 5 fois, et sous Pompidou, une fois seulement, je crois. Le Président Giscard d'Estaing a indiqué en début de mandat qu'il n'aurait jamais recours à ce délit, le considérant comme désuet (même si l'affaire des diamants de Bokassa lui a fait regretter ces propos) et Mitterrand n'a lui non plus jamais eu recours à ce délit, imité en cela par son successeur Jacques Chirac.
Et aujourd'hui, le procureur de la République de la Mayenne nous le ressort du formol ! Ce qui était une question d'école va donc être posée aux juges correctionnels de Laval : le délit d'offense au président de la République est-il conforme à l'article 10 de la CESDH ou doit-il rejoindre le délit d'offense à chef d'État étranger dans l'institut médico-légal des délits morts brutalement d'une exposition prolongée aux droits de l'homme ?
À titre personnel, je vois mal comment les juges vont pouvoir estimer que l'arrêt Colombani contre France ne s'applique pas ici tant la Cour européenne des droits de l'homme avait été claire :
(§69) : …le délit d'offense tend à porter atteinte à la liberté d'expression et ne répond à aucun « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction. Elle précise que c'est le régime dérogatoire de protection prévu par l'article 36 pour les chefs d'États étrangers qui est attentatoire à la liberté d'expression, et nullement le droit pour ces derniers de faire sanctionner les atteintes à leur honneur, ou à leur réputation, ou encore les propos injurieux tenus à leur encontre, dans les conditions de droit reconnues à toute personne.
Ici, on a le même régime dérogatoire, et le « besoin social impérieux » qui peut le justifier me paraît pour le moins évanescent.
Contre cette position, on peut faire observer que la cour, en 2002, entendait protéger la liberté de la presse, et non la liberté de manifester son opposition, et que c'est l'impossibilité pour le prévenu Colombani d'apporter la preuve de la vérité des faits qu'il avançait (le faible enthousiasme du roi du Maroc dans la lutte contre le trafic de cannabis) qui a chiffonné la cour, alors qu'ici, on est dans le domaine de l'injure, et que l'exception de vérité ne pourrait être invoquée, et le pourrait-elle d'ailleurs qu'elle ne serait d'aucun secours, car il est de notoriété publique que le Président Sarkozy n'est pas pauvre.
Mais l'article 26 de la loi de 1881 ne distingue pas selon que l'offense est injurieuse ou diffamatoire, et cet article forme un bloc. Je vois mal comment il pourrait être contraire à l'article 10 de la CESDH dans un sens mais pas dans l'autre.
Bref, il est bien possible que le Président Sarkozy, sans nul doute à l'origine de ces poursuites (je n'imagine pas un seul instant le procureur de la République de Laval prendre de lui-même l'initiative de déterrer un délit inutilisé depuis 34 ans car un olibrius a brandi une feuille A4 avec cette citation sur le passage du président), fasse avancer les droits de l'homme et la liberté d'expression, peut-être un peu malgré lui. Qu'il en soit néanmoins remercié, et Hervé Éon avec lui.
Notes
[1] Discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.
Ce billet, écrit à 14:47 par Eolas dans la catégorie Commentaire judiciaire a suscité :
mercredi 20 août 2008
Brice, le faucheur de Tchétchènes
Par Serge Slama, Maître de Conférences en droit public à l’Université Evry-Val-d’Essonne ; code HTML relu et corrigé par OlivierG.
Ambiance musicale :
Vous avez lu l’histoire des visas de sortie de Charlie. Comment il les a fait vivre. Comment ils sont morts, ressuscités puis de nouveau morts.
Ca vous a plus hein. Vous en d’mandez encore.
Et bien. Ecoutez l’histoire…
L’histoire des visas de transit aéroportuaires anti-réfugiésfraudeurs tchétchènes de Brice.
Comment il les a fait vivre.
Comment ils sont morts.
Et surtout comment il les a ressuscités par un prodigieux holdup juridique.
Avec l’aval du polic’man du Palais Royal.
Les Tchétchènes et Somaliens ennuient Brice et son ami Bernard
Alors
voilà.
Avec son
petit-ami Bernard
Un gars qui, autrefois était honnête, loyal et droit.
Brice avait un ennui.
L’ennui c’est que 474réfugiés fraudeurs tchétchènes ont réussi, à l’occasion d’une escale à l’aéroport de Roissy, à solliciter l’asile à la frontière en décembre 2007.
Cela a obligé Brice à les maintenir, dans des conditions inhumaines, pendant près d’un mois dans des aérogares puis dans un hangar de 1 600 m2 réquisitionné pour l’occasion.
Cela ennuyait Brice car il venait juste de déclarer – sans rire – à Jeune Afrique que s’il y a de moins en moins de demandeurs d’asile sollicitant l’asile en France c’est que la situation du monde s’est s’améliorée.
Qu’est-ce qu’on n’a pas écrit sur lui ? En réalité c’est un doux utopiste.
Mais il faut croire que c’est la société qui l’a abîmé.
Ce billet, écrit à 10:54 par Eolas dans la catégorie Commensaux a suscité :
jeudi 10 juillet 2008
De grâce...
Par Gascogne
Moi qui adore passer mon temps libre à critiquer le gouvernement et ses lois pénales, à tel point que d'aucuns ont pu voir dans ce blog le faux-nez d'un journal d'opposition, je m'en vais vous conter aujourd'hui pourquoi je suis entièrement d'accord avec une mesure déjà prise l'année dernière et qui devrait être reconduite cette année : la disparition de la grâce du 14 juillet.
Un petit mot technique tout d'abord : la confusion est souvent faite entre grâce et amnistie. Les deux mesures sont pourtant bien distinctes.
L'amnistie est prévue à l'article 133-9 du Code Pénal. Elle efface les condamnations, et en conséquence leurs effets, à savoir la peine prononcée. Il est interdit d'y faire référence. C'est une loi qui prévoit les infractions ou quanta de peine amnistiés. La loi, traditionnellement votée après une élection présidentielle, peut également prévoir que les mesures d'amnistie s'appliqueront par mesures individuelles. C'est ainsi que la loi du 3 août 1995 a pu prévoir dans son article 13 que les personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle dans les domaines humanitaires, culturels, scientifiques ou économiques pouvaient en bénéficier. Le domaine sportif a été rajouté dans la loi d'amnistie du 6 août 2002. Certains journaux satiriques de la famille des anatinae ont pu en déduire que cet ajout avait été fait dans le seul intérêt d'un célèbre sportif ceinture rouge et blanche et quadruple champion du monde de son état, très proche du Président de la République, et en indélicatesse à cette époque avec la justice.
La grâce quant à elle est une résurgence de l'Ancien Régime et du droit de grâce royale. C'est l'article 17 de la constitution du 4 octobre 1958 qui octroie ce droit au Président de la République. L'article 133-7 du Code Pénal dispose que "la grâce emporte seulement dispense d'exécuter la peine". La condamnation subsiste donc, et peut par exemple servir de premier terme à la récidive, mais le condamné n'exécutera pas la totalité de la peine.
Habituellement, le décret de grâce signé par le Président de la République pour le 14 juillet permettait à chaque condamné à une peine d'emprisonnement ferme en cours d'exécution de bénéficier de 15 jours de remises par mois dans la limite maximum de quatre mois. Si la personne était déjà incarcérée, elle pouvait donc voir sa date de fin de peine se rapprocher, et même sortir immédiatement de détention. Si la personne n'était pas encore incarcérée, elle pouvait voir sa peine purement et simplement ne pas être exécutée.
Le but de la grâce est essentiellement de désengorger les prisons.
Outre la violation manifeste de la séparation des pouvoirs, l'exécutif pouvant revenir sur une décision judiciaire, je n'ai jamais vu que des aspects négatifs à cette mesure.
Le condamné en attente d'exécution pouvait connaître un certain sentiment d'impunité, les tribunaux passant pour des tigres de papiers.
De plus, pour les détenus, les sorties de détention peuvent par ce biais se faire sans aménagement, alors que ces derniers sont les meilleurs moyens de lutte contre la récidive. Et une question essentielle se pose alors : si un condamné sortant avant sa fin de peine grâce à une décision du Président de la République récidive durant la période où il aurait dû être incarcéré, le Président doit-il payer pour sa faute ?
Enfin, la pratique du décret de grâce pouvait aboutir dans la période pré-estivale à des calculs d'apothicaires peu recommandables de la part des tribunaux : je veux qu'il fasse deux mois, je vais dont lui en mettre quatre...
Si les aménagements de peine doivent être multipliés pour faciliter la réinsertion des condamnés, et éviter la récidive, la grâce en tant que mode de gestion de la population pénale est à l'antipode de cette politique pénale.
Pour cette raison, je ne peux que rendre grâce au Président Sarkozy d'avoir rompu avec cette tradition.
Ce billet, écrit à 12:05 par Gascogne dans la catégorie Commensaux a suscité :
mercredi 25 juin 2008
Continuons à innover avec la naturalisation rétroactive d'application immédiate
Lu dans Carla Magazine Libération du 21 juin 2008 :
Libé : Donc «fais gaffe à toi, je suis italienne»…
Carla Bruni : Je pourrais vous le dire par exemple ! Mais je ne suis plus italienne depuis trois mois.
Libé : Vous êtes donc naturalisée française ?
Carla Bruni : Pas encore, la procédure est longue pour tout le monde, mais je suis désormais française.
Elle n'est pas (encore) naturalisée, car la procédure est longue —Ça je confirme, quatre ans facilement—, mais elle est déjà française.
Je voudrais pas poser de question idiote, mais… Pourquoi demander la naturalisation, si elle est française, alors ?
À moins que pour la fête de la musique, la première dame de France, à qui l'on prête quelque talent artistique, n'ait décidé de nous jouer du pipeau ?
Quelques précisions : si l'acquisition de la nationalité française par déclaration après mariage avec un Français rétroagit au jour de la demande quand bien même il faut un an au ministère de l'intérieur pour réagir, cette demande suppose quatre années de mariage (loi Sarkozy du 24 juillet 2006, modifiant l'article 21-2 du Code civil). Ça ne peut pas être par cette voie qu'elle a acquise la nationalité française.
Quant à la naturalisation, elle ne rétroagit pas, mais prend effet au jour de la signature du décret de naturalisation (article 21-15 du Code civil). Donc, pas de naturalisation, pas de nationalité.
Enfin, je ne suis pas obsédé par la nationalité de la première Dame de France. Je pense qu'elle n'a aucune importance en soi. Et sa nationalité italienne, État membre de l'UE, ne pose aucun problème particulier de déplacement, les obligations des italiens en matière de visas étant strictement les mêmes que pour les Français.
Non, ce qui me sidère dans cette affaire, c'est que même sur un point qui précisément n'a aucune importance, il puisse paraître préférable de mentir effrontément aux Français plutôt que de leur dire la vérité. Même sans prendre la moindre précaution pour avoir une histoire crédible. « Je ne suis pas encore naturalisée, mais je suis déjà française », vraiment… Là est le scandale, au-delà même de l'évident passe-droit dont bénéficiera l'épouse du président pour obtenir promptement sa carte d'identité, qui peut se comprendre sans nécessairement s'excuser.
Ici, il y a du vrai travail de journaliste à faire : démontrer le mensonge et demander au couple présidentiel les raisons de ce mensonge. Sommes-nous considérés comme trop xénophobes pour admettre l'idée d'une étrangère à l'Élysée ? Cette réponse-là m'intéresse, au plus haut point. J'aime savoir à partir de quelle importance on considère que la vérité n'est plus bonne pour moi. Visiblement, la barre est très basse, ces temps-ci.
Ce billet, écrit à 14:55 par Eolas dans la catégorie Tu pipeauterais pas un peu, toi ? a suscité :
jeudi 12 juin 2008
L'Europe a-t-elle imposé la semaine de 65 heures ?
C'est ce que ne craint pas d'affirmer l'Humanité à la Une. Sous mon billet allusif au référendum irlandais qui se tient aujourd'hui (fingers crossed), quelques nonistes ont repris l'antienne de l'Europe fossoyeuse des droits sociaux, quitte à m'interpeller en Espagnol :
[¿] creo que ent[i]ende el castellano, que piensa usted de este art[í]culo? no [h]e encontrado ning[ú]n articulo en Le Monde [ó] Le Figaro.[1] On ne doit pas faire peur à populace?
L'argument du «on nous cache tout on nous dit rien» a fait long feu, car Le Monde avait publié un article à ce sujet dans la langue de Molière 10 heures avant el grito escandalisado de mi nonisto. Pas grave. Quand on a raison, il ne faut pas se laisser décourager par les faits :
Il n'était placé ni en première page, ni en page Europe. Quant au second auquel il se réfère, daté de hier matin, il n'était pas visible en page Europe hier soir. Remarquez qu'aucun des articles n'est encore placé, (il est 13h41) en première page.
Puisqu'on vous dit que c'est un complot et qu'on vous cache tout, ne laissez pas une vulgaire publication dans un quotidien comme Le Monde vous faire changer d'avis : le peuple ne lit que la première page et le Sudoku, c'est pour ça que les nonistes pensent à sa place.
Et pendant cette démonstration du complot des élites médiatiques, la nouvelle principale, la semaine de 65 heures n'est pas discutée. Parlons plutôt de la minute de publication de l'article et du numéro de la page dans Le Monde, c'est bien plus intéressant. Vive les écrans de fumée.
Bon, arrêtons-là le noniste-bashing, si je m'écoutais, je ne ferais que ça du matin au soir tellement c'est drôle.
Alors, ce crime contre la démocratie et les 35 heures, cet assassinat de l'Europe sociale, cette victoire du dumping social, ça donne quoi en fait ?
Comme d'habitude en ce qui concerne le processus législatif européen, tous les documents sont disponibles, gratuitement. Encore faut-il aller les voir.
L'article 137 du traité instituant la Communauté Européenne prévoit que la Communauté soutient et complète l'action des États membres en vue d'améliorer le milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Parmi les objectifs de l'Union se trouvent la croissance et l'emploi. Oui, je sais, quelle horreur. Un plan quinquennal, appelé “agenda social” fixe régulièrement les axes de la politique sociale de l'Union. Le dernier agenda, adopté en 2006, a posé deux axes prioritaires : le plein-emploi et l'égalité des chances. Oui, c'est affreux.
Afin de favoriser la réalisation de ces objectifs tout en évitant une distorsion de la concurrence par du dumping social, l'UE fixe par voie de directive des normes minimales à respecter. Minimales, on ne parle pas d'harmonisation.
La dernière directive en date est la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Ce qui signifie que le projet a été adoptée en 2003, que c'est la 88e directive de cette année, qu'elle a été prise en application du Traité instituant la Communauté Européenne (nom actuel du Traité de Rome de 1957), et qu'elle a été adoptée selon la procédure de codécision, c'est à dire votée par les deux organes législatifs de l'Europe, le Conseil qui réunit les ministres compétents des 27 États membres (15 à l'époque) et le Parlement Européen.
Cette directive fixe un maximum du temps de travail hebdomadaire, heures supplémentaires comprises, à 48 heures ; plus exactement, elle reprend cette limite qui résultait d'une précédente directive de 1993 (93/104/CE). Elle a également instauré (art.3) un temps de repos minimum de onze heures entre deux périodes de travail que notre droit si progressiste ne connaissait pas (j'ai une copine qui travaillait à la Poste qui a dit merci à cette directive qui a mis fin à des journées qui finissait à minuit et reprenaient à 8 heures lors des changements de service de jour et de nuit). En tout état de cause, la directive précisait bien (art. 24) que :
Sans préjudice du droit des États membres de développer, eu égard à l'évolution de la situation, des dispositions législatives, réglementaires et contractuelles différentes dans le domaine du temps de travail, pour autant que les exigences minimales prévues dans la présente directive soient respectées, la mise en oeuvre de la présente directive ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs.
Bref : vous restez libre de vous organiser comme vous voulez, mais primo, vous respectez les normes minimales de cette directive, et deuzio, si votre législation actuelle est plus favorable pour les travailleurs, vous ne pouvez pas invoquer cette directive pour détériorer leur situation. Le dumping social de l'UE dans toute son horreur, le voilà.
Toutefois, l'Angleterre avait obtenu une clause d'opt-out (art. 22 de la directive) exemptant de cette durée hebdomadaire maximale en cas d'accord du salarié, le royaume de Sa Très Gracieuse Majesté ignorant cette barbarie continentale qu'est la durée maximale du travail.
L'UE est en train d'adopter la future directive qui remplacera celle de 2003. Cette procédure porte le nom de COD/2004/0209 : C'est une procédure de CODécision (vote du Conseil ET du parlement), lancée en 2004, c'est la 209e de l'année. La fiche Pre-Lex n'est pas à jour du Conseil du 10 juin au moment où j'écris ces lignes.
Le projet de directive a été adopté en première lecture par le parlement en mai 2005. Le Parlement a voté la suppression de la clause d'Opt-out.
Cependant, le Royaume-Uni a réussi à rallier à sa position des pays de l'Est, et le Conseil a rétabli sa clause d'Opt-out. Néanmoins, les pays opposés à cette clause d'exemption (parmi lesquels la France, l'Espagne, la Suède) ont obtenu que même en cas d'accord de dépassement des 48 heures posés par la directive, un maximum de 65 heures soit respecté, si le salarié donne son accord, et à condition que la loi garantisse que le salarié ne subira pas de préjudice sur sa carrière s'il ne donne pas son accord, qu'un registre soit tenu de ces périodes de travail et puisse être communiquées aux autorités à leur demande, et que la période de onze heures entre deux périodes de travail soit respectée. Le projet va repartir au Parlement européen (session de décembre 2008), ce qui promet des débats animés.
En outre, cette directive vise à tenir compte de deux arrêts de la CJCE : les arrêts SIMAP (2000) et Jaeger (2003), qui qualifiaient le temps de garde des médecins interne de temps de travail.
Le projet de directive prévoit donc de distinguer selon que la période de travail est continue ou comporte des périodes d'inactivité, ces dernières pouvant ne pas être décomptées du temps de travail maximal (mais sont néanmoins rémunérées).
Bref, on n'en est qu'au stade de l'adoption. L'Europe n'a rien voté, c'est un des deux organes législatifs qui a adopté un texte qui n'est pas définitif. J'ajoute que la mention des 65 heures comme maximum figure déjà dans le document initial qui date du 22 septembre 2004, le pseudo-scoop de l'Huma est un peu faisandé.
Enfin, la question que tout le monde se pose ici : les 65 heures en France , c'est pour quand ?
C'est pour jamais.
Il s'agit ici d'un maximum que la directive interdit de dépasser. Mais elle n'interdira pas aux États membres d'adopter des dispositions plus favorables, et elle ne touche pas à l'actuel article 24 de la directive qui interdit aux États d'invoquer cette directive pour aggraver la situation des travailleurs. Et d'ailleurs, quelle est la position du gouvernement français ?
«La France n’a pas l’intention d’abandonner la moindre de ses garanties sociales», a dit Xavier Bertrand, indique Libération, organe pro-sarkoziste s'il en est. Bref, si vous voulez travailler 65 heures, il vous faudra aller en Angleterre ou en Estonie.
— Oui, dira un noniste (une fois n'est pas coutume), mais il est là le dumping social européen : les ouvriers lituaniens… non, pas les lituaniens, on n'en a rien à foutre de ceux-là[2], même si j'en connais un, moi, de lituanien ; si les ouvriers estoniens et granbretons travaillent 65 heures, comment nos braves ouvriers aux 35 heures pourront-ils faire face ? C'est la fin de nos usines, elles vont toutes partir pour Riga ou York !
Alors que précisément, l'UE impose des limites : durée maximale, et surtout accord du salarié sans conséquence en cas de refus. Sans l'UE, vous croyez qu'on pourrait obtenir de telles garanties contre le dumping social ? Comparez avec le droit social chinois, pour voir. Pourtant, c'est un gouvernement de gauche qui est au pouvoir, là-bas…
Bref : un énième mensonge noniste, ou la énième preuve qu'ils ne comprennent rien à ce qu'ils jugent et condamnent, je ne sais pas lequel est le pire (au moins, un menteur peut s'arrêter de mentir, de temps en temps). L'Europe veut nous soumettre pieds et poings liés à l'ultralibéralisme ? Non, c'est tout le contraire. Mais que vaut un argument face à un cliché ?
Mais voyez : leur message a pris quelques minutes à être proféré. Entre convaincus, pas besoin de démonstration. Il m'a fallu près de deux heures pour rédiger ce billet et faire les recherches pour vous mettre les liens vers les documents pertinents. Vous voyez pourquoi c'est un combat perdu d'avance ? Parce que mes adversaires ne s'adressent pas à la raison, mais à la peur, à l'inquiétude, donnent quelques liens vers un article en langue étrangère et hop le tour est joué.
Mais ce n'est pas grave, je ne baisserai pas les bras, tout simplement parce que ce combat, je m'en fiche. Ce n'est pas à mes adversaires que je m'adresse. Ces billets s'adressent à mes lecteurs de bonne foi qui veulent comprendre l'Europe et ne gobent pas les couleuvres nonistes. Comptez sur moi pour vous mettre au régime sec.
Et maintenant, place aux complaintes des Caliméro du Non qui vont se plaindre de mon ton à leur égard et se garderont bien d'expliquer en quoi si si si, cette directive va bien imposer les 65 heures demain en France. Spanking time !
Notes
[1] Je crois que vous comprenez l'espagnol ?Que pensez vous de cet article ? Je n'ai pas trouvé un article dans Le Monde ou Le Figaro. Titre de l'article : Le Gouvernement qualifie la semaine de 65 heures «d'agression».
[2] Quelqu'un sait-il où on peut trouver une vidéo de ce grand moment de socialisme internationaliste ? Je n'ai pas réussi à la dénicher.
Ce billet, écrit à 14:04 par Eolas dans la catégorie Droit européen a suscité :
jeudi 22 mai 2008
Rions un peu
Je sais, il fait moche, les sirènes des pompiers sonnent partout sans raison, et Bertrand Delanoë vient de faire son coming-out libéral. Bref, la morosité nous guette.
Alors je vous propose deux choses qui, je l'espère, arriveront à vous arracher un sourire, et tant pis si d'habitude les billets légers sont réservés au dimanche.
Le premier, c'est cette désopilante vidéo sur le Tibet. Ce que serait la politique sans langue de bois (je ne puis créditer les auteurs, Youtube étant muet là dessus, si un lecteur peut m'aider à réparer cette injustice)Crédit : Le Groupe d'Action Discrète, merci Fanch Guy.
Le deuxième, c'est le commentaire du jour sur ce blog. Comme quoi la langue de bois peut être encore plus drôle que son absence.
Il est signé “PL”, et, passé à travers le filtre du shorter, donne :
Si Nicolas Sarkozy ne tient pas ses promesses, c'est parce que nous ne sommes pas en dictature.
Merci, PL.
Si j'ai le temps aujourd'hui, je vous ferai un billet sur la vraie fausse consécration du droit opposable au logement par le tribunal administratif de Paris. Il y a de quoi rire aussi.
Ce billet, écrit à 10:23 par Eolas dans la catégorie General a suscité :
mercredi 21 mai 2008
En France, les femmes battues sont protégées. Sauf les Algériennes.
S'il était encore besoin de démontrer que le droit et la morale sont deux choses distinctes, la Cour administrative d'appel (CAA de Paris) vient d'y pourvoir dans un arrêt du 3 avril dernier.
Les faits étaient les suivants. Madame X, ressortissante algérienne, avait épousé un Français, Monsieur Y. De ce fait, elle était titulaire d'un certificat de résidence valable un an renouvelable, délivrée par la préfecture du Nord (les époux Y habitaient près de Valenciennes).
Il faut en effet préciser que les ressortissants algériens sont soumis, pour leurs conditions d'entrée et de séjour en France, non pas au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) mais à une convention bilatérale, l'Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968. Cela jouera un grand rôle dans la suite du litige. Cet accord prévoit que le titre de séjour des algériens s'appelle un certificat de résidence, qu'il soit valable un an ou dix ans, et non une carte de séjour ou une carte de résident.
Monsieur Y ayant une tendance exagérée à confondre son épouse et un punching-ball, celle-ci l'a quitté et est allée vivre sur Paris pendant sa procédure de divorce. À l'expiration de son certificat de résidence, elle en a demandé le renouvellement à la préfecture de police. Le préfet de police a refusé ce renouvellement, car aux termes des stipulations[1] de l'Accord Franco-Algérien, article 6 :
Le certificat de résidence d'un an portant la mention ‘‘vie privée et familiale'' est délivré de plein droit :
(…) 2. Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (…) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2° ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux.
Or, constate le préfet, cette communauté de vie a cessé car madame est à Paris et monsieur à Valenciennes. Puisque le sud l'attire, qu'elle continue dans cet azimut jusqu'à Alger. Et de prendre le 10 juillet 2007 un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Madame X saisit le juge administratif en lui tenant à peu près ce langage : “ Certes, la communauté de vie a cessé de mon fait, mais que diantre, je recevais des coups. J'invoque donc la protection de la loi, puisque l'article L.313-12 du CESEDA dispose que :
Le renouvellement de la carte de séjour (…) est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, le préfet ou, à Paris, le préfet de police, peut accorder le renouvellement du titre.”
Et de produire le jugement de divorce rendu entre temps par le juge aux affaires familiales[2] de Valenciennes prononçant le divorce aux torts exclusifs de l'époux violent. La décision du préfet de police, qui n'a même pas examiné la possibilité de délivrer un titre en raison des violences conjugales est donc, conclut madame X, illégale.
Ce n'est pas ce que juge la CAA de Paris, par un raisonnement parfaitement juridique :
Certes, dit la cour, par l'article L.313-12 du CESEDA, la République offre (si elle le veut bien, notez bien que « le préfet peut accorder le renouvellement du titre ») sa protection aux époux battus, fussent-ils homme ou femme, à condition qu'ils soient étrangers.
Mais le CESEDA, comme nous l'avons vu, ne s'applique pas aux Algériens, qui relèvent de l'Accord Franco-Algérien de 1968. Or cet accord qui ne prévoit aucune stipulation en faveur du conjoint martyr. Fermez le ban et attachez vos ceintures, les issues de secours se trouvent à l'avant, sur les côtés et à l'arrière de l'appareil.
En conclusion, l'époux algérien battu ne peut bénéficier du renouvellement de son titre sauf à rester vivre avec son bourreau. La décision du préfet de police est confirmée, et l'OQTF, validée.
Je précise que madame X n'a pas eu d'enfant avec monsieur Y, sinon sa situation n'aurait pas posé de problème, elle aurait eu droit à un titre de séjour en qualité de mère d'enfant français.
Une petite citation pour clore ce billet.
"A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française."
Nicolas Sarkozy, le 29 avril 2007 à Bercy.
Sauf les Algériennes en France, vous aurez rectifié de vous même.
Source : CAA Paris, 3 avril 2008, n°7PA03996.
Notes
[1] Je vous interdis de dire en ces lieux qu'une loi ou un code stipulent : ils disent, prévoient, édictent ou disposent. Seul un contrat peut stipuler (du latin stipula, paille, le vendeur d'un champ devant remettre publiquement à l'acquéreur une poignée de paille du champ comme symbole du transfert de propriété), et une convention internationale est un contrat entre pays.
[2] Chapeau aux conseillers de la CAA de Paris qui parlent du juge aux affaires matrimoniales, juridiction qui a disparu depuis 1993…
Ce billet, écrit à 13:41 par Eolas dans la catégorie Droit des étrangers a suscité :
vendredi 9 mai 2008
Se moquer de nous, c'est réservé au mari.
Dans Paris-Match (Via David Abiker, lui même via un article très critique sur Bakchich.info), qui a bel et bien tourné la page Genestar, une attachée de presse journaliste fait un dithyrambe article sur la Prima Donna.
Ce passage relance la polémique sur la nationalité d'icelle.
En se mariant la belle Italienne a acquis la nationalité française. “Cela prend du temps [d’acquérir la nationalité française], même quand on connaît du monde”, dit-elle avec malice. Désormais, elle n’a plus à aller faire des heures la queue à la Cité - la dernière fois, elle portait son fils Aurélien en kangourou - pour renouveler sa carte de séjour.
Voilà qui confirme que Carla Bruni-Sarkozy serait donc bien devenue française.
Problème : elle ne peut avoir acquis la nationalité par déclaration en raison de son mariage car il faut attendre quatre années pour ce faire.
Seule la voie de la naturalisation lui semble ouverte. Naturalisation qui vu la situation personnelle de l'intéressée, je ne prle pas de son récent mariage mais du fait qu'elle vive en France depuis l'âge de cinq ans et soit mère d'un enfant français) ne pose pas de problème sur le principe : encore faut-il la demander (art. 21-15 du code civil), ou être mort en mission pour l'armée française au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel (art. 21-14-1 du même Code).
Or aucune demande de naturalisation n'a été déposée au nom de Carla Bruni. Il faut me croire sur parole, j'en ai eu confirmation (de même que j'ai eu confirmation qu'elle n'a pas été tuée en opération militaire).
Quelqu'un qui a accès au JO papier pourrait-il regarder les décrets de naturalisation de février à ce jour pour trancher la question ?
S'agissant de son traumatisme préfectoral, pour connaître le service des étrangers de la préfecture de Paris (au métro Cité, sise sur l'île du même nom, d'où sa désignation par métonymie), je confirme qu'il faut y attendre des heures, et que les très jeunes enfants, non encore scolarisés, s'y ennuient à mourir à côté de leurs parents angoissés qui viennent faire renouveler leur carte de séjour. Et encore a-t-elle oublié de mentionner qu'il n'y a en tout et pour tout qu'une toilette accessible au public qui a parfois l'heur d'être à l'opposé du service qui s'occupe de vous et que si vous êtes absent quand on vous appelle (ce que vous n'avez aucun moyen d'anticiper), vous avez perdu votre tour, il ne vous reste qu'à revenir. Donc on se retient.
Carlita a dû bénéficier à ses 18 ans (en 1985 - elle est de fin décembre, elle a dû l'avoir en 1986) d'une carte de séjour “CEE” valable cinq ans renouvelable de plein droit en 1991 par une carte de 10 ans ; valable jusqu'en 2001 (art. 7 du décret n°81-405 du 28 avril 1981 alors en vigueur, dispositions reprises à l'identique dans le décret n°94-211 du 11 mars 1994). Il est exact que ce renouvellement de plein droit ne dispense pas de la visite à la préfecture. Son expérience doit donc se résumer à trois visites en 1986, 1991 et 2001 (celle avec son fils en bandouillère).
Je comprends que ces expériences, pour espacées qu'elles fussent, aient été fort désagréables. Mais j'ose espérer qu'elle n'a pas convolé contre la promesse d'échapper désormais à cette funeste visite par une prompte acquisition de la nationalité française.
En effet, depuis la loi (Sarkozy, quelle intuition…) du 26 novembre 2003 (article 14), devenu l'article 121-1 du CESEDA, modifié par la loi (Sarkozy, il a bien préparé son coup) n°2006-911 du 24 juillet 2006 (art. 23) les ressortissants de l'Union Européenne sont dispensés de l'obligation de détenir un titre de séjour.
Même s'ils ne sont pas mariés à un président de la République.
Notez que cette théorie tient la route : elle n'aurait pas la nationalité française mais croirait l'avoir puisqu'effectivement, grâce à son mari, elle n'aura plus à aller à la préfecture de police. Notre président est machiavélique.
Ce billet, écrit à 11:56 par Eolas dans la catégorie Droit des étrangers a suscité :
vendredi 2 mai 2008
Quelle idée d'épouser un étranger avant le président de la République ! (Billet mis à jour)
NB : lire l'importante mise à jour à la fin de ce billet.
Jules reprend la nouvelle signalée par Embruns et dont je parlais tantôt : un Français ayant épousé un Hollandais et ayant demandé en conséquence de ce mariage la nationalité hollandaise se serait vu retirer sa nationalité française.
Jules a, je pense, vu juste quant à l'origine de ce retrait. Il s'agit de l'application de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités signée à Strasbourg en 1963, car une brève recherche ne m'a révélé aucune convention bilatérale sur ce sujet entre la France et les Pays-Bas.
Cette convention pose le principe qu'un citoyen d'un des pays signataires qui prend, par un acte de manifestation de volonté (déclaration, demande) la nationalité d'un autre pays signataire perd sa nationalité d'origine. Convention qui, en application de l'article 55 de la Constitution, prime sur la loi interne.
Ainsi la loi française, aujourd'hui l'article 23 du Code civil, mais déjà en vigueur à l'époque sous un autre nom, pose le principe suivant :
Toute personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l'étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants du présent titre.
Mais la Convention de Strasbourg primant sur cette loi, si cette acquisition concerne la nationalité d'un pays signataire, la Convention prime et la nationalité est perdue sans qu'il soit besoin d'une déclaration du Français déchu.
Le droit est la science des exceptions, disait un de mes professeurs à un auditoire incrédule. Comme il avait raison. Car cela se complique.
En effet, l'application rigoureuse de ce principe ayant abouti à des situations fort désagréables pour les citoyens français vivant à une époque où l'Europe devenait une réalité concrète (sans que quiconque ne semble se demander si ce n'était pas le principe même qui était absurde), des protocoles ont aménagé ce principe. La situation la plus fréquente était le cas de couples mixtes. Les enfants ayant les deux nationalités des parents, le parent vivant dans le pays qui n'était pas le sien pouvait trouver souhaitable d'acquérir la nationalité du conjoint et qui est aussi celle de ses enfants, pour participer à la vie politique locale, sans désirer pour autant perdre ses droits politiques dans son pays d'origine. À ceux qui froncent le nez, je dirai que les enfants nés de parents de nationalité différente sont généralement citoyens de ces deux pays et votent dans les deux s'ils le souhaitent. Pourquoi en irait-il différemment de leurs parents ? Pourquoi, par exemple, une italienne qui épouse un Français et souhaiterait pouvoir voter pour lui s'il voulait obtenir ou conserver une fonction élective devrait-elle obligatoirement renoncer à son droit à exprimer son choix dans les destinées de son pays de naissance ? Vous allez voir, mon exemple est tout sauf innocent.
Ainsi, le Deuxième protocole additionnel (STE 149) signé le 2 février 1993, prévoit qu'en cas de changement de nationalité par une manifestation de volonté consécutive à un mariage, les États signataires peuvent prévoir que la perte de nationalité ne joue pas.
Or tel était déjà le cas de la loi française : article 23 du Code civil. Exception à l'exception, on applique à nouveau le droit interne.
Pour notre amateur de pédales, les choses se compliquent à nouveau. Le droit français, à la différence du droit hollandais, ne reconnaît pas le mariage entre personnes du même sexe, la cause est entendue. J'insiste là-dessus : c'est le mariage entre personnes de même sexe qui est prohibé, pas le mariage entre homosexuels. Deux homosexuels peuvent parfaitement se marier, à condition que l'un fût homme et l'autre femme ; deux hommes à l'hétérosexualité inébranlable ne peuvent se marier ensemble.
Pour les autorités françaises, il y a donc acte de volonté pour obtenir la nationalité d'un autre pays signataire de la Convention de Strasbourg et pas de mariage, puisque celui-ci ne saurait être conforme à la loi française.
Cette position, à laquelle je n'adhère pas pleinement pour ne rien vous cacher, résulte d'une réponse ministérielle du 9 mars 2006 :
Pour être reconnu en France, le mariage conclu à l'étranger doit être valable tant au regard de la loi du lieu de célébration que de la loi personnelle de chacun des futurs époux qui en régit les conditions de fond. Le mariage suppose que la loi personnelle de chacun des futurs époux l'autorise. Ainsi, au regard de la loi française, deux Français de même sexe ne pourront valablement se marier à l'étranger, même si la loi du lieu de célébration reconnaît ce mariage, dans la mesure où leur loi personnelle, la loi française, le prohibe. Il en va de même du mariage d'un Français à l'étranger avec une personne étrangère de même sexe.
En droit international privé, cette solution est tout sauf évidente : il faudrait que la différence de sexe soit considéré comme une loi de police, ce qui à la lecture des décisions des mariés de Bègles est pour le moins douteux. Mais ceci est un autre sujet.
Revenons en à notre het vroegere Frans[1] : pour les autorités françaises, le raisonnement juridique est le suivant :
- Il y a acquisition d'une nationalité d'un pays signataire de la Convention de Strasbourg, dont l'article 23 ne s'applique pas.
- Il n'y a pas de mariage donc le deuxième protocole additionnel ne s'applique pas (donc pas de retour à l'article 23).
- Conclusion : il y a perte automatique de la nationalité française en application de l'article 1 de la Convention.
Toute la question repose sur la validité au regard du droit français du mariage hollandais entre un Français et Hollandais tous deux mâles. Et il y a ici compétence exclusive du juge judiciaire français, c'est vers lui que notre ex-concitoyen doit se tourner pour itérer en sa nationalité.
La loi est dure pour les couples mixtes, mais c'est la loi, et en France, terre républicaine, elle est la même pour tous.
Sauf si bien sûr elle contrarie un puissant, auquel cas, elle doit bien sûr être immédiatement écartée.
Car il vous souvient que le 2 de ce beau mois de février, le président de la République a épousé une jolie jeune femme, qui parmi ses innombrables qualités a celle d'être italienne.
Le président a un certain empressement à ce que son épouse devienne elle-même française. Des lapsus révélateurs de ses proches, dès le lendemain du mariage, indiquent clairement cet état d'esprit. Ladite épouse n'a rien contre l'idée, mais souhaite conserver sa nationalité italienne, ce qui est fort compréhensible. Qu'à cela ne tienne : l'Italie a ratifié le Deuxième protocole additionnel. La belle Piémontaise a épousé un Français, qu'elle déclare acquérir la nationalité française, et elle conservera l'italienne, me direz-vous.
Coquin de sort ! L'ancien ministre de l'intérieur qui, lui, avait une épouse française, a fait voter une loi repoussant à quatre ans la durée du mariage préalablement à une telle déclaration de nationalité. Quatre ans, la fin du quinquennat, autant dire : la fin de l'éternité pour l'actuel président, qui doit maudire l'ancien ministre.
Reste la voie de la naturalisation, qui, il va de soi sera expresse pour la talentueuse chanteuse.
Quale grande Catastrofe ! Une telle demande de naturalisation, qui doit émaner de la belle, est une manifestation de volonté, et la nationalité acquise ne serait pas la conséquence d'un mariage : elle perdrait donc sa nationalité italienne en application de la convention de Strasbourg.
Cette convention, qui pourrit la vie des Français qui osent trouver l'herbe plus verte dans les champs voisins depuis 45 ans, contrarie donc notre président, premier homme politique de premier plan qui se la voit appliquer.
La loi est dure, mais c'est la loi ? Alors, il suffit de faire en sorte que la loi ne soit plus la loi.
C'est ainsi que par une déclaration consignée dans une lettre du Ministre des Affaires étrangères et européennes de la France, en date du 3 mars 2008, enregistrée auprès du Secrétariat Général le 4 mars 2008, la France a dénoncé le chapitre I de la Convention de Strasbourg, avec effet au 5 mars 2009 (voyez cette page, cherchez le paragraphe France), conformément à l'article 12 de ladite convention. Oui, vous avez bien lu, cette Convention va être abrogée pour la France, par l'effet d'une décision prise un mois pile après le présidentiel mariage, ce qui permettra de naturaliser la belle turinoise dès le 6 mars 2009.
Notre pauvre Français Hollandais eût-il eu l'excellente idée de se marier après notre président de la République qu'il eût pu bénéficier de cette opportune abrogation, épouser son beau batave, déclarer vouloir acquérir la nationalité des tulipes et des polders, et ce tout en restant français, mariage ou pas mariage, puisque faute de convention internationale, c'est l'article 23 de notre Code civil qui s'applique.
En conclusion, ce que cette lamentable, plus que lamentable histoire révèle n'est pas une quelconque homophobie d'État. C'est un mal plus grave encore : c'est que nos présidents se prennent vraiment pour des rois. On avait vu le précédent modifier une Constitution pour le mettre à l'abri des affaires, et promulguer une loi en interdisant de l'appliquer. On avait vu le précédent faire mettre sur écoute ceux de ses concitoyens qu'il jugeait bon.
Espérait-on une rupture sur ce point qu'on est désormais fixé. Qu'une loi s'appliquant en principe à tous, qu'un Traité qui lui est même supérieur et exprime la souveraineté de la Nation sur la scène internationale vienne à contrarier le président et il perd immédiatement sa raison d'être. Quarante cinq ans durant, il a été interdit ou fait restriction aux Français d'acquérir une autre nationalité européenne sans perdre la leur. Que cette interdiction contrarie les projets du président, et un mois plus tard, elle sera abrogée.
Comment ne pas devenir cynique, après tout cela ?
PS : Ha, les nonistes, merci de garder pour vous vos pleurnicheries sur le Traité de Lisbonne. Le projet de Traité simplifié a été expressément débattu lors de la campagne présidentielle. C'est une part du débat public qui s'est traduit en actes, ce qui serait plutôt à porter au crédit du président. Inutile donc de faire de vaseuses analogies. Hors sujet, elles seront supprimées.
Mise à jour de 19 h00 : Quelques éléments supplémentaires :
- Sur le nouveau néerlandais : il serait arrivé aux Pays-Bas en 2002, se serait marié le 6 décembre 2003, et aurait déclaré acquérir la nationalité néerlandaise en 2006.
- Sur la dénonciation de la Convention : un élément qui peut laisser espérer une pure coïncidence, bien que j'en doute encore : le processus de dénonciation du chapitre I (le II, sur les obligations militaires restant en vigueur) a été lancé en 2003. En effet, seuls 13 États ont ratifié cette convention stupide (le 14e, le Portugal, ayant signé mais jamais ratifié). Des 13, l'Espagne a d'emblée écarté le chapitre I dans ses réserves de ratification. Il fallait donc que les 12 restant se mettent d'accord pour dire qu'on pouvait dénoncer le seul chapitre I, l'article 12 de la Convention ne permettant que la dénonciation de la Convention dans son ensemble, Chapitre I (double nationalité) et II (obligations militaires). L'accord des 12 a été obtenu en avril 2007, soit il y a un an.
Toujours est-il que depuis, un seul pays a effectivement dénoncé le chapitre I : la France, le 4 mars 2008. Un empressement contraire à sa tradition en la matière, il n'est que voir notre vitesse de ratification de la Convention européenne des droits de l'homme (signée en 1950, ratifiée en 1974, acceptation du recours individuel devant la Cour en 1981).
En fait, un élément très simple démontrerait que ma théorie du mal partout serait infondée : le fait que Carla Bruni ait d'ores et déjà été naturalisée. Quelqu'un sait-il si c'est le cas ? Les décrets de naturalisation ne sont pas publiés au JO.
Ajout express au 1er mai : Lire le très bon billet de Ceteris Paribus qui m'apporte une puissante contradiction. Je reviendrai sur ce billet, mais je suis retenu loin de mon ordinateur aujourd'hui.
Mise à jour du 2 mai : J'ai enfin le temps de réagir au billet de Ceteris Paribus. Sur la forme, je suis outré qu'un garçon sérieux et prometteur ose réunir autant de calembours et contrepétries par kilo-octet. Il y a des normes à respecter, seul moi suis autorisé à m'en affranchir. Sur le fond, il apporte un argument déterminant qui tend à prouver qu'en l'espèce, il y aurait bien pure coïncidence entre cette dénonciation et la nationalisation naturalisation de la première Donna de France : la loi italienne prévoit bien une dérogation à la perte automatique de la nationalité en cas d'acquisition volontaire d'une autre nationalité, dérogation autorisé par le deuxième protocole additionnel de la Convention de Strasbourg. Ergo, la nationalité ultramontaine de de la Signorina Sarkozy n'était absolument pas menacée par son intégration à la communauté nationale. Le crime perd son mobile, ma théorie s'effondre, et comme m'y invite Ceteris Paribus, je prie le Président de la République d'accepter mes excuses le jour où il apprendra l'existence de ce blog. Et vive la capacité auto-réglatrice des blogs.
Néanmoins, qu'il me soit permis de maintenir ma position sur un point qui devrait faire consensus : il est profondément regrettable qu'un Français se voit privé de sa nationalité pour avoir épousé un étranger mâle conformément aux lois de ce pays, par l'application, critiquable qui plus est, d'une Convention que la France s'apprêtait à dénoncer, ce après avoir lancé l'initiative même de cette dénonciation.
Enfin, c'est à mes lecteurs que je présente les excuses les plus sincères de les avoir un temps entraîné dans mon égarement. Je promets de redoubler de prudence à l'avenir et de faire relire tous mes billets à Ceteris Paribus avant publication.
Mise à jour du 2 mai à 15h30 : (Retiré).
Notes
[1] Anciennement français.
Ce billet, écrit à 15:36 par Eolas dans la catégorie General a suscité :
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