Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 30 septembre 2009

L’âme damnée pour la liberté de jouer.


par Sub lege libertas


Dieudonné M’bala M’bala me fait autant rire que Brice Hortefeux parlant des auvergnats. Cependant à la différence du dernier malgré qu’il en eût, le premier fait profession de saltimbanque. Il est d’ailleurs propriétaire - me semble-t-il - d’un théâtre à Paris quand l’autre est occupant précaire d’un ministère. Et, comme tout comédien ou baladin, il est en tournée, le second faisant quant à lui tourner dans nos villes et campagnes ses cars de C.R.S.. Or, c’est de car qu'il va être question, puisque notre professionnel des planches itinérantes a décidé de se produire dans un bus aménagé en théâtre ambulant. Il y joue une pièce intitulée Sandrine, qui évoque la violence conjugale. On promet au spectateur de découvrir « une savoureuse galerie de personnages », permettant d'aborder des sujets « sensibles mais plus sociaux que politiques ».

Or, Dieudonné, précédé d’une satanique réputation, n’est pas le bienvenu dans les salles de spectacle, ni même dans les villes où il veut faire profession de comédie. Un avocat observateur de la vie locale lilloise nous apprend que la maire de Lille a voulu s’opposer à la tenue du spectacle. Elle a dégainé comme flingue et pétoire, un arrêté d’interdiction de stationnement de véhicule de plus de trois tonnes cinq sur la place où l’intéressé avait déclaré vouloir de stationner son bus-théâtre et pour faire bonne mesure de barrage à l'infame, un autre arrêté interdisant cette réunion publique comme contraire à l’ordre public. Le Tribunal administratif saisi par l’histrion errant a suspendu ces arrêtés. Le spectacle s’est joué à guichet fermé.

Je ne sais pas la motivation retenue par le juge administratif et je me range volontiers à sa solution. Mais, j’en ai trouvé une toute simple qui nous permet, quoi qu’on pense de l’artiste vagabond, de revenir aux principes fondamentaux de notre République. Car le maire de Lille s’égare en faisant de la police de voirie, là où il est question du droit pour un comédien de monter ses tréteaux, peu important que les planches de scène mobile soit le plancher d’un autobus. Vous connaissez mon goût pour l’antique. Alors, rappelons que l’article premier de la loi du 13 janvier 1791 toujours en vigueur dispose :

Tout citoyen pourra élever un théâtre et y faire représenter des pièces de tous les genres, en faisant préalablement à l’établissement de son théâtre, sa déclaration à la municipalité des lieux.

Ce texte ne dit qu’une chose : le Théâtre est libre ! Comme l’est la presse qui attendra 1881 pour le voir affirmer. Déclarer préalablement l’établissement d’un théâtre - fût-il temporaire ou ambulant, ce n’est pas demander l’autorisation préalable de tenir scène. Est juste prohibé de le faire sans avoir averti. Pour le reste, le spectacle tombe sous le coup des lois sur la liberté d’expression en public. S’il les viole, c’est a posteriori que le comédien, une fois le rideau baissé, quittera les planches, pour le parquet du Tribunal. Mon seul regret est de n’avoir que Dieudonné et son âme damnée[1] pour rappeler la liberté de jouer.

vendredi 18 septembre 2009

Dissolution de la dissolution : réaction en commission des lois

Les députés de la commission des lois ont abordé au cours de la réunion de la commission du 16 septembre dernier l’affaire de la suppression de la peine de dissolution des personnes morales coupables d’escroquerie.

Il ressort des explications du président de la commission, Jean-Luc Warsmann que c’est bien lui qui a introduit cette disposition, qui n’a pas été voulue par la Chancellerie. Au passage, on se demande naïvement de ce que la Chancellerie ait son mot à dire dans une proposition de loi qui est purement parlementaire, la Chancellerie pouvant déposer des projets de loi, et elle ne s’en prive pas. Évidemment, il faut y lire l’aveu de ce que cette proposition de loi a été pour l’essentiel rédigée par les services du Gouvernement.

Le président Warsmann réfute toute influence de l’Église de Scientologie dans cette affaire, et je veux bien le croire. Il explique avoir voulu rétablir une échelle des peines cohérente, ayant relevé huit infractions plus sévèrement punies que l’escroquerie pour lesquelles la dissolution était écartée par la loi. Sauf que la rédaction choisie écarte la dissolution pour l’escroquerie en bande organisée, qui est punie du maximum délictuel (10 ans de prison pour une personne physique). En fait, cette phrase trahit à mon sens ce qu’a été son erreur d’appréciation : après avoir rappelé que personne n’avait parlé de la Scientologie lors des débats (il faut dire que personne n’a parlé de cet article lors des débats), il ajoute

D’autre part, l’incrimination d’escroquerie porte généralement sur des affaires concernant le droit commercial ; quand il s’agit de personnes morales, ce sont plutôt des entreprises qui sont concernées, pas des associations.

Où l’on voit que la droite a toujours pour les entreprises commerciales les yeux de Chimène et pour la justice les yeux de Stevie Wonder.

Le président Warsmann a donc tremblé à l’idée qu’une entreprise condamnée pour une petite escroquerie puisse être dissoute, jetant à la rue des employés innocents. Où l’on voit que l’on peut faire la loi sans avoir une bonne idée de son application. Et que le législateur n’a décidément aucune confiance dans les juges.

La peine de dissolution est la peine de mort des personnes morales. Les juges savent parfaitement tout ce que cela implique. Liquidation du patrimoine qui est dévolu à l’État, licenciement économique du personnel, etc. C’est donc la peine la plus élevée applicable aux personnes morales. Et comme le principe de personnalisation des peines (chaque peine doit être adaptée entre autres à la personnalité et la situation personnelle du condamnée) s’applique aussi aux personnes morales, elle n’est prononcée que dans des cas extrêmes (8 fois ces 10 dernières années). Et qu’est-ce qu’un cas extrême ? C’est une personne morale qui n’a été constituée QUE dans l’objet de réaliser une ou des escroqueries, ou dont la seule activité consiste à réaliser ces escroqueries, qui n’ont aucune utilité sociale (étant entendu qu’une société commerciale a une utilité sociale). Aucun juge n’envisagera un seul moment de dissoudre une société commerciale florissante qui emploie de nombreux salariés parce que son PDG a fait des fausses fiches de paie pour permettre à sa nièce enceinte de bénéficier des indemnités journalières du congé maternité.

Voilà la conséquence tragique de cette défiance du législatif et de l’exécutif envers les juges. En voulant retirer une arme dangereuse aux juges, dont ils n’ont jamais fait un mauvais usage en 15 ans mais on sait jamais, on provoque des conséquences inattendues.

Heureusement, nos parlementaires croient à la vertu de l’exemple et assument courageusement leur responsabilité.

Vous avez deviné, je plaisante. Non seulement Jean-Luc Warsmann va dire que ce n’est pas sa faute, mais en plus il va dire que celui qui a fait une bourde, en fait, c’est le magistrat du parquet.

Vous ne me croyez pas ?

Chapitre un : ce n’est pas ma faute.

D’abord, la vertu outragée, ou, “j’ai peut-être merdé mais ce n’est pas une raison pour me parler comme ça”.

Pourriez-vous faire savoir à M. Ayrault, de ma part, qu’il a dépassé toutes les limites acceptables lors de la conférence de presse qu’il a donnée : suggérer que le président de la Commission des lois que je suis ait pu faire preuve de « complaisance » à l’égard de l’Église de scientologique est proprement écœurant.

Bon, on peut avoir ses susceptibilités, et je veux bien admettre que la violence de l’indignation causée par cette affaire a été disproportionnée à l’égard de Jean-Luc Warsmann, qui a dû en prendre plein la figure. Tout le monde, à commencer par un avocat, et même un député, peut commettre une erreur, ou faire quelque chose sans envisager toutes les conséquences, Que je sache, Jean-Luc Warsmann a une excellente réputation à l’assemblée : c’est un député honorable, actif et bosseur, respectueux de l’opposition et ouvert ; je ne pleurerais pas si l’Assemblée était composée de 577 Jean-Luc Warsmann. Mais commencer par se plaindre quand on est pris en faute n’est pas forcément ce qu’on peut attendre à ce niveau de responsabilité.

Ensuite : c’est pas vraiment moi, c’est plutôt tout le monde.

Comme je l’ai indiqué, la rédaction qui a été adoptée est celle de la proposition de loi que j’avais déposée – je l’assume totalement. Et je le répète : cette disposition n’a jamais fait l’objet de la moindre observation ou de la moindre remarque au cours du processus législatif. Étienne Blanc peut en attester, et c’est également ce que montrent les mails que j’ai de nouveau consultés depuis que cette polémique a été lancée par certaines personnes avant tout préoccupées de se faire de la publicité.

Arrêtez-moi ou je fais un malheur et ce sera votre faute, en somme.

Il est vrai que dans cette affaire, aucun garde-fou n’a fonctionné. Comme on l’a vu, personne n’a eu l’idée de démanteler l’article en question pour réaliser que le 33° pouvait avoir des conséquences sur cette affaire en cours, mais aussi mettre à l’abri tous les mouvements sectaires s’étant rendus coupables d’escroquerie. Mais l’absence de garde-fou effectif n’autorise pas à se comporter comme un fou. Et le fait que tout le monde soit fou à l’assemblée n’est pas non plus une excuse.

Bref, conclut le président Warsmann :

je voudrais remercier ceux qui ont évoqué la notion d’erreur collective et la nécessité d’être solidaire.

Tant il est vrai qu’en politique, on aime assumer les erreurs des autres.

Mais la meilleure défense, c’est l’attaque. Haro sur le baudet. En fait, c’est le procureur qui a fait n’importe quoi.

Chapitre II : Blâmez le procureur

Là, je m’insurge : c’est une atteinte au monopole de la profession d’avocat.

Le problème, vont dire les députés, ce n’est pas que la dissolution ait été supprimé comme un seul homme (un Monsieur Jourdain en l’occurrence), mais que le procureur l’ait requis ! Dame ! S’il avait requis autre chose, personne n’aurait relevé la disparition de la peine.

La première salve vient de Dominique Perben (UMP), ancien garde des sceaux :

Ne simplifions pas à l’extrême : si le Parquet n’a pas suivi l’évolution de la loi, ce n’est pas la faute de la Commission. Il aurait été tout à fait été possible de requérir une mesure d’interdiction. Notre commission n’a pas à endosser une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Le Parlement a exercé sa responsabilité ; c’est maintenant à la chancellerie qu’il revient d’expliquer comment le Parquet a pu être conduit à requérir une sanction qui n’existait plus.

Et pourquoi pas saisir le CSM au disciplinaire, pendant qu’on y est ?

Ce n’est plus haro sur le baudet, c’est le coup de pied de l’âne. L’assemblée connaît ses classiques.

Jean-Luc Warsmann n’a plus qu’à jouer les grands seigneurs en volant au secours du parquetier, sans oublier quand même de froncer les sourcils : il a en effet horreur des erreurs des autres.

S’agissant des réquisitions du Parquet, on peut penser que le magistrat concerné s’est servi d’une version « papier » du code, qui n’était pas à jour, au lieu de consulter la version électronique. Sans cela, le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie. L’intérêt de cette mesure est qu’elle permet de viser les activités localisées dans d’autres pays que le nôtre, contrairement à la peine de dissolution. Si le Parquet avait requis cette mesure, aucune polémique n’aurait vu le jour ; la presse aurait sans doute trouvé, au contraire, que le Parquet y allait fort.

Comme Dominique Perben, je souhaiterais que la chancellerie nous explique ce qui s’est passé au Parquet de Paris : comment se fait-il qu’une peine n’existant plus ait été requise ?

Mais il n’y a qu’à demander, monsieur le président. Parce que les magistrats ne lisent pas mieux le JO que les députés ne lisent les propositions de loi. Les parquetiers n’ont pas le temps de prendre leur stylo et de griffonner en marge de leurs codes tous les changements géniaux que vous votez sans réfléchir. Le seul article 124, celui qui contenait la disposition funeste, modifie 53 articles du code pénal (et deux du code de procédure pénale). Et la version électronique met quelques semaines à être mise à jour. Enfin, vu que personne n’a réalisé ce qu’il votait, qui donc était censé avertir le procureur qu’une peine avait disparu à quinze jours de l’audience ? Rappelons que même l’avocat de la Scientologie n’avait pas soulevé dans sa plaidoirie que la peine requise était juridiquement impossible.

Là, je trouve Jean-Luc Warsmann gonflé, et je pèse mes mots.

Non seulement il n’assume pas sa responsabilité bien qu’il affirme le contraire puisque pour lui, c’est une responsabilité collective (et quand c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne), mais en plus, il se scandalise que le parquet ne réalise pas immédiatement ce que lui même ne réalisera que quand la MIVILUDES sortira l’affaire.

C’est un peu comme l’affaire Hortefeux : la faute est lamentable mais excusable ; ce qui est pire que tout, ce sont les excuses invoquées. Un épisode qui ne grandit pas ceux qui y sont mêlés.

Et pour les fines bouches, il y a un chapitre 3.

Chapitre 3 : de toutes façons, il y a pire : il y a une peine moindre.

Plusieurs intervenants vont se rassurer en disant que de toutes façons, il reste la possibilité de prononcer la peine d’interdiction d’exercice, qui à la limite serait même mieux que la dissolution (on se demande alors pourquoi cet empressement à la rétablir).

Jean-Paul Garraud (UMP) :

Que le Parquet ait commis une erreur dans ses réquisitions, comme cela arrive parfois, cela n’empêchera nullement la juridiction de jugement de prononcer des peines d’interdiction à l’encontre de l’association en cause, ce qui aura à peu près le même effet.

“À peu près”. On appréciera la rigueur juridique du législateur en action.

Daniel Vaillant (SRC) :

Mais force est de reconnaître qu’il existe un véritable problème, lequel ne résume pas à une défaillance de vigilance sur ce texte. Le Parquet n’a pas fait les réquisitions qui convenaient. Nous devons également nous demander, sur le fond, si la dissolution est un meilleur instrument de lutte contre les sectes que l’interdiction.

Heureusement, toute raison n’a pas encore déserté le Palais-Bourbon :

Alain Vidalies (SRC) :

D’un point de vue juridique, on ne peut pas prétendre, comme l’a suggéré Jean-Paul Garraud, que l’interdiction emporte des effets identiques à ceux d’une dissolution. Si la loi faisait mention de deux peines distinctes, c’est qu’il y avait une différence de degré. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les membres de l’UMP ici présents : sont-ils d’accord avec la garde des sceaux, qui affirmait hier la nécessité de réintroduire la dissolution dans l’arsenal pénal ? Il me semble que c’est notre devoir de le faire.

François Bayrou (non inscrit) :

Il me vient toutefois une question de Béotien : la dissolution n’emporte-t-elle pas une conséquence différente en matière patrimoniale ? Si tel est le cas, on voit quel est l’intérêt pour les entités relevant de la scientologie d’échapper à la dissolution.

Les critiques sont pertinentes. La dissolution et l’interdiction ne sont pas du tout la même chose.

C’est pourtant ce que vont tenter de démontrer Jean-Luc Warsmann et Étienne Blanc, les Laurel et Hardy de la séance :

Jean-Luc Warsmann :

Le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie.

Amusant d’ouïr le président fustiger ce procureur qui requiert des peines illégales avant de lui suggérer de requérir une peine illégale.

L’article 131-39, 2° du code pénal prévoit la peine d’interdiction, ainsi définie. le tribunal peut prononcer

2° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;

Une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. La loi ne permet pas de prononcer une interdiction de toute activité. Seulement de certaines, celles qui ont permis la commission de l’infraction. Et comment définit-on une activité sectaire ? Un tribunal ne peut pas interdire à l’Église d’enseigner la dianétique, l’enseignement de la parole de L. Ron Hubbard ou la fascinante vie et œuvre de Xenu, dictateur de la Confédération galactique qui a commis un génocide sur notre planète à coups de bombes nucléaires dans les volcans de Hawaï (je n’invente rien). Ce ne sont pas des activités professionnelles ou sociales, et la liberté de conscience s’y oppose.

Étienne Blanc : 

Les faits reprochés à l’Église de scientologie sont susceptibles de recevoir plusieurs qualifications juridiques. Elle est poursuivie pour escroquerie, mais elle pourrait également l’être pour abus de biens sociaux et pour vol.

Heu… Non. D’abord, la qualification des faits a fait l’objet d’un débat au cours de l’instruction, et si d’autres qualifications étaient possibles, elles auraient pu être relevées jusquà la clôture des débats. Ensuite, l’Église de scientologie étant une association, elle ne peut commettre d’abus de biens sociaux, réservé aux dirigeants de droit et de fait de sociétés commerciales de capitaux (S.A., SARL, SAS). Et ça donne des leçons aux parquetiers. 

S’agissant de l’Église de scientologie, organisation qui dispose de ramifications partout dans le monde – au Danemark, en Suisse ou encore en Belgique –, l’arme de la dissolution ne serait qu’un sabre de bois : nous ne pouvons pas dissoudre des associations ayant leur siège dans des pays étrangers. L’outil le plus opérant, c’est l’interdiction d’exercer ses activités.

Eh oui : on ne peut pas dissoudre des assocations situées à l’étranger mais on peut leur interdire toute activité. Magie vaudou. 

Argument à côté de la plaque : l’Église de Scientologie est composée en France d’associations loi 1901 toutes domiciliées sur le territoire de la République. Il suffit de lire le JO

Mais laissons travailler les députés. Ils doivent encore adopter définitivement la loi HADOPI 2, pour nous montrer que quand ils veulent, ils peuvent faire du bon travail. 

Heu, non, oubliez ce que je viens de dire.

samedi 12 septembre 2009

Oh, la douce saveur de l'ironie

«Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmé. Lorsque vous faites vos courses au supermarché, lorsque vous retirez de l’argent au guichet ou que vous utilisez les transports en commun, vous êtes déjà filmés. Qui cela dérange-t-il ?»

Brice Hortefeux, lors de son déplacement à Sartrouville, le 9 septembre 2009,

Monsieur le ministre, vous êtes vraiment sûr que la vidéo ne peut pas déranger ceux qui n’ont rien à se reprocher ?

[Via Versac Meilcour]

L’arroseur arrosé, Louis Lumière, 1895. On n’a pas fait plus drôle depuis.

mardi 2 juin 2009

Éric Besson se prend une claque devant le tribunal administratif de Paris

…Et encore, on n'en est qu'au référé.

Il s'agit bien sûr du marché des centres de rétention.

Résumé des épisodes précédents.

L'article L.553-6 du CESEDA prévoit que les étrangers maintenus en rétention bénéficient d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de leurs droits (et préparer leur départ ajoute le texte, très cyniquement). L'article R. 553-14 (qui est le décret d'application de l'article L.553-6, le dernier décret en date étant du 22 août 2008) précise que

Pour permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, l'Etat passe une convention avec une association à caractère national ayant pour objet d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. L'association assure à cette fin, dans chaque centre des prestations d'information, par l'organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. Les étrangers retenus bénéficient de ces prestations sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur.

Les étrangers maintenus dans les locaux de rétention mentionnés à l'article R. 551-3 peuvent bénéficier du concours d'une association ayant pour objet d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits, à leur demande ou à l'initiative de celle-ci, dans des conditions définies par convention.

Depuis 1984, une association, le Comité Inter Mouvements Auprès Des Évacués (Le CIMADE, plus couramment appelé la CIMADE), assure ce service. Des permanents et des bénévoles de l'association assurent une présence quasi quotidienne, dans un local qui leur est réservé, informent les étrangers de leurs droits et le cas échéant les aident à les exercer. Ce dernier point, l'assistance, est crucial : le délai de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) est de 48 heures sans interruption possible et le recours doit être rédigé en français et soulever des arguments de droit pour avoir une chance de prospérer.

La CIMADE fait un excellent travail. Il fallait donc la punir. Le précédent ministre de l'immigration a donc feint de s'offusquer de ce “monopole” durant depuis 25 ans. Et au lieu d'agréer d'autres associations EN PLUS de la CIMADE, il a décidé de fractionner cette convention en huit lots attribués par voie de marché public. Pas d'hypocrisie, soyons clairs : il s'agissait d'écarter la CIMADE dont je le répète personne ne critiquait la qualité du travail, auquel s'ajoutait 25 ans d'expérience.

La CIMADE ne se laisse pas faire. Notons au passage qu'elle a le soutien du GISTI. Autant dire que le ministre de l'immigration a face à lui des juristes de haute volée (Je précise que je n'appartiens à aucune de ces associations ni ne suis leur avocat). La suite le démontrera.

Le 30 octobre 2008, le premier marché est annulé, au motif que le ministre avait sous-estimé le critère de la compétence juridique dans l'attribution du marché (estimé à 15%). C'est un camouflet pour Brice Hortefeux, qui refile le bébé à son successeur Éric Besson.

Un nouveau marché est passé, divisé en huit lots, dont trois sont attribués à la CIMADE. Celle-ci attaque le marché public devant le tribunal administratif de Paris selon la même procédure dite de référé-marché public qu'en octobre 2008. Cette procédure suppose que le marché ne soit pas encore signé et interdit au ministre de signer ce marché pendant un délai de 20 jours. L'audience se tient, est fort longue, et une association, le Collectif Respect dont nous allons reparler, demande un délai pour présenter sa défense. L'audience est renvoyée à quelques jours, au-delà du délai de 20 jours, le juge demandant au ministre de ne pas signer le marché pour permettre à cette audience d'aller à son terme.

Mes lecteurs connaissent la suite : le ministre se précipitera à son bureau le dimanche précédant la deuxième audience pour signer le marché, ce qui privait le juge du pouvoir de juger. Justification officielle : le nouveau marché entrait en vigueur aujourd'hui le 2 juin, il y avait urgence à signer le marché pour les associations. Le fait que ce marché sente l'illégalité à plein nez n'a bien sûr pas été pris en compte pour cette signature dans la précipitation.

Mais vous vous souvenez ? Je vous ai dit que le GISTI avait mis son nez dans cette affaire. Et le Groupement n'est pas tombé de la dernière pluie.

Il avait formé (aux côtés de l'Association des Avocats pour la Défense du Droit des Étrangers et le réseau ELENA) ce qu'on appelle un “ recours TROPIC ”, du nom du grand arrêt du Conseil d'État [Société Tropic Travaux Signalisation du 16 juillet 2007|http://www.conseil-etat.fr/ce/jurispd/index_ac_ld0724.shtml], qui permet à des tiers à un marché public justifiant d'un intérêt à agir de demander l'annulation d'un marché public quand bien même ils n'ont pas eux-même soumissionné à ce marché. Et ce recours, de droit commun, n'est pas affecté par la signature du marché par Éric Besson.

De plus, pour éviter les conséquences très lourdes qu'aurait une annulation prononcée dans plusieurs mois, ce recours Tropic a été accompagné d'un référé-suspension : les trois requérants demandaient au juge administratif de suspendre l'application du marché jusqu'à ce que sa légalité soit jugée. Il faut pour cela qu'il y ait urgence et qu'il existe un moyen sérieux mettant en doute la légalité du marché.

Et le 30 mai 2009, le juge des référés, accessoirement le même magistrat qui s'était vu dessaisi par la signature précipitée du marché, a suspendu le marché des droits de rétention. Bref, la déloyauté du ministre n'a servi à rien, le voici Gros Jean comme devant, avec son marché qui lui pète entre les doigts à 48 heures de son entrée en vigueur.

[Paragraphe mis à jour] : cette ordonnance de référé peut être lue ici(pdf). Le juge considère que la condition d'urgence est remplie car le marché prévoyait que les concurrents au marché devaient remplir une simple mission d'information sans imposer d'assistance juridique (c'est-à-dire que dans l'esprit du ministre, un simple présentoir avec des dépliants « Le recours en excès de pouvoir pour les nuls » et « le contentieux spécial de la reconduite à la frontière en bande dessinée » suffirait), contrairement à ce qu'exige la loi. Et il considère qu'il y a un doute sérieux sur la légalité du marché du fait de cette interprétation très contestable que fait le Ministre de l'immigration etc. des dispositions des articles L. 553-6 et R. 553-14 que j'ai cités ci-dessus (la loi n'exigerait que la mise à disposition de documentation et absolument pas une aide effective à l'exercice des recours) alors que les missions dont parle la loi incluent l'exercice effectif de leur droit à un recours. Le juge relève également les insuffisances manifestes des offres faites par deux candidats : Forum Réfugiés, qui se proposait simplement de mettre en rapport les étrangers avec des avocats ( Y'a les pages jaunes pour ça ; et le week end, ils font comment leur recours dans le délai de 48 heures ?) et le fameux Collectif Respect qui a au moins le mérite de la franchise : il ne proposait rien du tout.

La lecture de l'argumentation du ministère de l'immigration etc. fait froid dans le dos : c'est en tout cynisme la plus importante offensive contre les droits fondamentaux des étrangers en France depuis les lois Pasqua de 1993. Quand je vous dis que souvent, l'avocat doit se battre contre l'État pour défendre le droit, en voilà une sinistre illustration.

La suite des événéments ? Éric Besson a dû parer au plus pressé et, dès son chapeau avalé, va prolonger de trois mois le contrat de la CIMADE pour l'ensemble des centres, conformément au mode d'emploi que lui a donné le juge des référés (page 21 du pdf). Le tribunal administratif va annuler ce marché, c'est couru d'avance. Il y en aura donc un troisième. Soit cette fois le ministre arrête de tricher ou d'essayer d'imposer des candidats fantoches, et accepte le risque que la CIMADE se voit attribuer tous les lots parce que personne ne peut proposer mieux qu'elle. Soit il demande et obtient du Patron une loi sur mesure pour parvenir à évincer la CIMADE et mettre n'importe quoi à la place.

Je ne vous cache pas mon pessimisme.

Affaire à suivre.

Et bravo à ces incompétents sans crédibilité du GISTI.

Tribunal administratif de Paris, avec sa devise du jour : “ Judicat et Minister Mergitur ” : Il juge et le ministre coule. Éric Besson, abattu, écoute le jugement qui est rendu. Le juge lit un considérant : “ Considérant qu'en matière de foutage de gueule, le ministre a manifestement excédé ses pouvoirs…”. Le ministre rétorque : “ Même pas vrai ! Je fais appel. ”


Mise à jour 19h20 : j'ai rajouté des liens manquants dans la version initiale, veuillez accepter mes excuses pour cet oubli.


Mise à jour 21h30 : J'ai mis hors ligne le billet pour modifier le paragraphe central. Je vous dois des explications et des excuses. Je voulais absolument faire ce billet aujourd'hui, malgré un agenda très chargé, ce qui n'était pas raisonnable. Du coup, pressé par le temps, j'ai fait une erreur de débutant en lisant trop vite la décision, et en confondant les motifs de l'ordonnance avec la reprise de l'argumentation des requérants. Bref, j'ai cru que le juge parlait alors que c'était le demandeur, d'où une analyse erronée (pas à contre-sens, mais suffisamment erronée pour me faire monter le rouge au front). Mes sincères excuses. La leçon est apprise.

mardi 12 mai 2009

Marché des centres de rétention : la grande classe du ministre

Éric Besson a accompli un exploit de taille : il a réussi à me faire oublier ma chère Rachida avant même qu'elle soit nommée in partibus. Car outre sa capacité à nier la réalité et à salir les irréprochables, il sait afficher le même mépris du juge que la belle de Strasbourg (que mille Zwatschgawaajer enchantent sa Mühl).

Je vous avais narré que le marché des centres de rétention, en cours de réattribution dans le but évidant d'empêcher la CIMADE d'avoir cette précieuse vision globale de ce qui s'y passe, avec au passage une association sous-marin de l'UMP qui se retrouve attributaire du marché des centres de rétention les plus ignobles de la République, ceux de l'Outre-mer, était soumis au juge administratif de Paris.

La procédure de contestation d'un marché public se fait sous la forme d'un référé, c'est à dire d'une procédure en urgence jugée par un juge unique sans rapporteur public, mais qui n'est pas vraiment un référé car le juge statue bien au fond : il annule le marché, il ne prend pas de mesures provisoires jusqu'à ce que la formation normale du tribunal (qui est collégiale : trois juges plus un rapporteur public) statue.

La loi prévoit un délai maximum de 20 jours pour que le juge statue. Il peut pendant ce délai enjoindre le ministre de ne pas signer l'attribution du marché le temps pour lui de statuer; C'est ce qu'a fait le juge administratif de Paris.

Hélas, à l'audience du 6 mai dernier, des pièces et arguments produits à la dernière minute ont contraint le juge à différer sa décision : il ne pouvait pas statuer sans que lui et les parties aient pris connaissance de ces éléments le fameux Collectif Respect a estimé que sa mise en cause était tardive et a demandé un délai (Le récit complet de l'audience se trouve sur le blog de Serge Slama). Ce qui a contraint le juge à reporter la suite de l'examen de cette affaire au-delà du délai de 20 jours, à l'audience de mercredi 13 mai. Le juge a donc demandé au ministre d'attendre encore un peu, afin d'éviter le risque qu'un marché illégal ne soit signé (car la signature du marché le rend définitif, le juge perd son pouvoir de statuer).

Que croyez-vous qu'il arriva ?

Le ministre est revenu à son bureau un dimanche pour signer le marché avant que le juge ne puisse rendre sa décision. Si ça, c'est pas la grande classe…

Oh, oui, c'est tout à fait légal (quoique le droit à un recours effectif garantie par la CSDH me paraît quelque peu mis à mal). Le délai de 20 jours était passé. Le ministre pouvait légalement signer. Il demeure qu'il n'y avait aucune urgence à signer ce marché un dimanche, puisque le service de soutien juridique est effectivement assuré dans les centres de rétention, par la CIMADE. Le seul intérêt de la manœuvre est d'empêcher le juge de statuer sur la légalité de ce marché, qui était pour le moins douteuse (une association qui postulait a bénéficié d'une grosse subvention qui lui a permis de financer sa candidature, une autre a été créée par un chargé de mission du ministère qui attribue le marché…). Quitte à lui aire un bras d'honneur au passage. Comme disait ma grand-mère, une sainte femme, c'est quand on n'a pas le cul propre qu'on a hâte de se torcher.

Là, je voudrais m'adresser à ceux de mes lecteurs qui ne partagent pas mon combat en faveur du droit des étrangers. Je respecte votre opinion favorable à une politique de fermeté, fût-elle même implacable pour les plus rigoureux d'entre vous, quand bien même j'estime qu'elle repose sur des prémices fausses, et à condition qu'elle ne serve pas de cache-sexe à de la pure xénophobie. Mais il ne s'agit même pas ici de savoir quelle politique doit être appliquée. Trouvez-vous normal et acceptable qu'un ministre méprise ainsi la demande d'un juge (qui statue au nom du peuple français, cela figure sur tous ses jugements) pour signer un marché très probablement illégal, favorisant une association fantoche visiblement inféodée au pouvoir, dans le but d'écarter une association trop insoumise et critique qui fait pourtant remarquablement bien son travail depuis plus de 20 ans ? La politique de fermeté que vous approuvez justifie-t-elle qu'on foule au pied ainsi le respect dû au juge ? Peut-on dire que c'était légal de signer pour justifier la signature d'un marché illégal ? La fin que vous approuvez justifie-t-elle ces moyens fort peu républicains ? Faudra-t-il que la République sacrifie jusqu'à son âme pour pouvoir remplir des quotas de reconduites ?

Effets de manche, exagération d'un avocat qui plaide sa cause, direz-vous. Vraiment ?

Écoutez donc bien cet extrait du journal de 8 heures sur France Inter ce matin. La journaliste vient de parler de cette affaire et conclut en soulignant l'escalade verbale sans précédent qui oppose le ministre aux associations (le GISTI traitant Éric Besson de menteur, et la CIMADE qualifiant cette signature de “ méthode de voyou ”, et dans les deux cas j'ai du mal à leur donner tort ; Brice Hortefeux était un ministre d'une autre envergure, quelle que soit mon désaccord avec la politique qu'il a menée). Écoutez bien ce qu'elle révèle, l'air de ne pas y toucher.

Alors ? Votre soutien à cette politique couvre-t-il aussi les démarches auprès des médias pour censurer leur contenu ? J'ose espérer que sur ce coup là, nous serons dans le même camp.

Allez, puisqu'il faut savoir rire de tout :

Salle d'audience du tribunal administratif de Paris, la même que celle du dessin illustrant l'annonce de la suspension de la signature sous un précédent billet. Le juge a disparu, son siège étant monté sur ressort et quelqu'un ayant déclenché le mécanisme d'éjection. Éric Besson fait face au requérant, à présent bien seul, et lui dit : « J'ai fait reconduire le juge aux frontières de la légalité. Pour l'occasion, la devise du tribunal a été modifiée : « Judicat quando Sinunt » : Il juge quand on le laisse faire.

mardi 25 novembre 2008

Coût estimé d'une reconduite à la frontière : 20.970 euros par personne reconduite.

Quel est le dangereux gauchiste droitdel'hommiste qui veut que toute la misère du monde vienne en France, au besoin de force, et saboteur de caténaires par dessus le marché qui a fait ce calcul ?

Le sénateur UMP des Hautes Alpes Pierre Bernard-Reymond, de la Commission des Finances de la chambre haute. En prenant comme référence le nombre de personnes effectivement reconduites, et le total des fonds publics affectés à cette politique.

Là.

D'ailleurs, pour bien vous montrer qu'il appartient à la majorité, il affirme juste au-dessus que cette politique est néanmoins nécessaire. Et pourquoi ?

Parce que le Président l'a dit :

La lettre de mission du Président de la République assigne au ministre de l'immigration de prendre « les dispositions nécessaires pour simplifier considérablement les procédures d'éloignement » et de se fixer « des objectifs exigeants en termes de reconduite à la frontière ».

C'est en vain que vous chercherez une autre démonstration de la nécessité de cette politique ruineuse (alors qu'il y en a une : la démagogie électorale).

Au passage cette perle de Brice Hortefeux, magnifique :

Selon M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire lors de son audition devant la commission élargie de l'Assemblée nationale en date du 29 octobre 2008 : « je précise que si nous fixons des objectifs chiffrés, c'est pour rendre le message compréhensible. Quand une autorité dit : “ Attention, si vous venez sans y être autorisé, sans respecter notre législation, cela risque de mal se passer ”, le message est inaudible. Mais si elle dit : “ Si vous venez sans nous demander l'autorisation, 25 000 d'entre vous repartiront ”, alors, le message est compris ; non seulement ici, mais aussi dans les pays d'origine - où je me rends fréquemment pour discuter avec les associations et expliquer pourquoi nous agissons ainsi ».

J'adore le “ 25.000 d'entre vous ”. Tout y est : l'amalgame des étrangers en une masse selon la technique du “si ce n'est toi c'est donc ton frère”, l'absurdité (si 100 personnes viennent sans être autorisées, faudra-t-il faire venir 24 900 étrangers pour qu'ils puissent repartir, pour que le compte soit bon ? Ou faut-il venir à 26000 pour que 1000 titres de séjour soient délivrés ?), et le champ sémantique des représailles.

D'ailleurs, depuis trois ans que la méthode “ audible ” est employée, l'immigration irrégulière a chuté, n'est-ce pas ?

mercredi 19 novembre 2008

Prix Busiris attribué à Brice Hortefeux

Si André Ride a échoué au pied du podium, c'est quatre à quatre que Brice Hortefeux a grimpé les trois marches pour arriver au sommet et recevoir un prix bien mérité, conquis de haute lutte ce matin sur RTL, face à Jean-Michel Aphatie. Brice Hortefeux sur RTL le 23 juillet 2008

Les propos récompensés sont les suivants. Ils ont été prononcés dans le cadre d'une interview relative à une affaire révélée par la station luxembourgeoise d'une femme camerounaise menacée de reconduite à la frontière à la suite du décès de son enfant français (je détaille les faits plus bas).

Après avoir affirmé d'entrée de jeu au début de l'interview (ce sont ses premières paroles hormis le bonjour adressé à son hôte), en réponse à la question « Y avait-il eu erreur d'appréciation de la part du préfet ? » :

Tout d'abord, en terme d'erreur, je voudrais soulever un point de forme. (…) Qu'est-ce que j'ai entendu hier à l'antenne de RTL ? (…) Une affirmation assénée… assénée concernant effectivement la situation d'une jeune femme étrangère, affirmation assénée sans vérification préalable, sans contact avec les services préfectoraux, des Hauts de Seine, comme vous venez de le citer, sans interrogation auprès de mon ministère[1] et un reportage donnant la parole à tous sauf à l'administration ;

le Ministre de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale et du développement solidaire (M3I pour les intimes et les paresseux ; je suis les deux) finit par conclure :

Le rôle d'un ministre (…) est de rectifier les dysfonctionnements de l'administration quand il y en a (…) et j'ai donc décidé de confirmer l'autorisation de séjour de l'intéressé.

Tenez, je vous ai fait le montage.

Décomposons les composants du prix : l'affirmation juridiquement aberrante, c'est tout simplement celle du dysfonctionnement. La préfecture a parfaitement appliqué la loi en la matière. L'article R. 313-36 du CESEDA impose à l'étranger de justifier à chaque renouvellement annuel de sa carte de séjour qu'il remplit toujours les conditions de sa délivrance, faute de quoi ce renouvellement peut être refusé, et en pratique l'est systématiquement. On comprend que le ministre ait du mal à assumer publiquement la politique en la matière quand elle frappe des mères frappées par la perte de leur enfant, mais la qualifier de dysfonctionnement est faux, et pas très charitable pour ce pauvre préfet des Hauts de Seine (comme s'il n'avait pas assez de moi pour lui faire des malheurs). Ce qui caractérise la mauvaise foi.

La contradiction se résume par le rapprochement des propos : le problème qui a fâché Brice tout rouge, c'est que RTL ait « asséné » qu'il y avait un problème et n'ait pas demandé à la préfecture de s'exprimer. Mais bon, c'est vrai, il y a bel et bien eu un problème qui a obligé le ministre à intervenir pour le réparer.

L'opportunité politique est manifeste, et est admirablement mise en valeur par cette inutile charge contre les journalistes qui en l'occurrence ont bien fait leur travail (et je suis prêt à parier que le journaliste avait appelé la préfecture des Hauts de Seine qui n'a pas souhaité faire de déclaration et a dû l'inviter à appeler le patron, selon une technique de transfert hiérarchique grâcieux qu'en droit administratif on appelle la patate chaude).

Détaillons un peu le droit en la matière pour édifier notre ministre bien aimé, avant de conclure, après toutes ces railleries, par un petit hommage qu'il mérite néanmoins.

Il s'agit donc d'une femme camerounaise arrivée irrégulièrement (c'est à dire sans visa) en France en 2001, et qui a été régularisée en 2004 à la suite de la naissance de son enfant, né d'un père français et donc lui-même français. En tant que mère d'un enfant français, elle bénéficiait d'un droit au séjour, issu de l'article L.313-11, 6° du CESEDA.

Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (…)

6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 [être entré en France muni d'un visa long séjour] soit exigée.

Notons pour les adeptes de la théorie des clandestins pondeurs qu'il ne suffit pas d'avoir un enfant né en France pour être régularisé : il faut que cet enfant soit lui même français, donc que son père soit français (art. 18 du Code civil) ou né en France et que l'enfant soit aussi né en France (art. 19-3 du Code civil), et qu'il faut prouver à la préfecture que l'on participe effectivement à l'éducation de l'enfant (pension alimentaire, droit de visite et d'hébergement). Car ne croyez pas qu'être français suffise en soi à pouvoir grandir auprès de ses deux parents quand on a eu le mauvais goût d'avoir un des deux étranger (étranger hors Union Européenne s'entend).

Dans notre affaire, un titre de séjour avait été délivré à la mère de l'enfant. Malheureusement, le nourrisson est mort à l'âge de trois mois d'une infection. Néanmoins, le titre de séjour de cette dame a été régulièrement renouvelé. Pourquoi ? Je l'ignore. Juridiquement, la préfecture n'avait à compter du décès de l'enfant plus aucune obligation de renouveler ce titre. Elle pouvait néanmoins le faire, je rappelle que l'administration est libre de régulariser qui elle souhaite sans avoir à s'en justifier.

Arrive 2008 et le préfet des Hauts de Seine s'avise que le bambin est mort. Il prend donc une décision de refus de renouvellement du titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français sous un délai d'un mois. Cette décision peut faire l'objet d'un recours suspensif dans le délai d'un mois qui doit être jugé dans un délai de trois mois (pourquoi ? Parce que le législateur a décidé que rien n'était plus urgent pour les tribunaux administratifs que le contentieux des étrangers qui veulent rester. Le contentieux fiscal ? Le contentieux des marchés publics ? Le contentieux de l'indemnisation des victimes de transfusion et des accidents médicaux ? Ils peuvent bien patienter un an de plus.).

A priori, cette décision paraît légale. Sous réserve de la situation actuelle de cette dame (qui a eu deux autres enfants mais qui ne sont pas français précise Jean-Michel Aphatie en début d'interview, ce qui en soi ne crée aucun droit au séjour) et surtout que la préfecture n'ait pas délivré une carte de séjour en connaissant le décès de l'enfant : la jurisprudence ne permet pas à la préfecture de revenir sur une telle délivrance discrétionnaire par application de la théorie des droits acquis : CAA Douai, 20 déc. 2002, n°01DA00657, Kalloga. Mais le ministre emploie le terme d'autorisation de séjour, ce qui laisse à penser qu'en fait, la préfecture avait délivré des titres provisoires à répétition pendant la durée de l'examen de la demande de carte de séjour. Mais là, je commence à faire de la divination, et ce n'est pas toujours mon fort.

Nouvelle illustration du caractère rigoureux jusqu'à l'absurde du droit des étrangers en France. Que ce soit une mère qui a perdu son enfant, une veuve, une femme battue si elle a le malheur d'être algérienne (non pas que les femmes d'une autre nationalité soient bien mieux protégées), ou un étranger déjà en partance pour chez lui, tout est bon pour atteindre les 26000 expulsions par an.

Un hommage néanmoins à Brice Hortefeux. Malgré la maladresse de la forme, justement récompensée par ce prix, ce qu'il a fait, user de son pouvoir hiérarchique pour tempérer une application rigoureuse mais selon toute vraisemblance légale de la loi, c'est très bien. Éviter des mois de procédure à cette femme qui ne fait de mal à personne et élève ses deux enfants en essayant de se remettre de l'insurmontable, cela mérite malgré toute mon ironie un coup de chapeau et un merci pour elle.

Notes

[1] Ce qui est accessoirement inexact, le M3I avait été contacté la veille par RTL et avait répondu qu'il désirait s'informer de ce dossier avant de répondre officiellement.

mercredi 20 août 2008

Brice, le faucheur de Tchétchènes

Par Serge Slama, Maître de Conférences en droit public à l’Université Evry-Val-d’Essonne ; code HTML relu et corrigé par OlivierG.


Ambiance musicale :


Vous avez lu l’histoire des visas de sortie de Charlie. Comment il les a fait vivre. Comment ils sont morts, ressuscités puis de nouveau morts.
Ca vous a plus hein. Vous en d’mandez encore.
Et bien. Ecoutez l’histoire…
L’histoire des visas de transit aéroportuaires anti-réfugiésfraudeurs tchétchènes de Brice.
Comment il les a fait vivre.
Comment ils sont morts.
Et surtout comment il les a ressuscités par un prodigieux holdup juridique.
Avec l’aval du polic’man du Palais Royal.

Les Tchétchènes et Somaliens ennuient Brice et son ami Bernard

Alors voilà.
Avec son petit-ami Bernard
Un gars qui, autrefois était honnête, loyal et droit.
Brice avait un ennui.

L’ennui c’est que 474réfugiés fraudeurs tchétchènes ont réussi, à l’occasion d’une escale à l’aéroport de Roissy, à solliciter l’asile à la frontière en décembre 2007.

Cela a obligé Brice à les maintenir, dans des conditions inhumaines, pendant près d’un mois dans des aérogares puis dans un hangar de 1 600 m2 réquisitionné pour l’occasion.

Cela ennuyait Brice car il venait juste de déclarer – sans rire – à Jeune Afrique que s’il y a de moins en moins de demandeurs d’asile sollicitant l’asile en France c’est que la situation du monde s’est s’améliorée.

Qu’est-ce qu’on n’a pas écrit sur lui ? En réalité c’est un doux utopiste.

Mais il faut croire que c’est la société qui l’a abîmé.

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lundi 7 juillet 2008

Entrer, rester ou partir

J'écoutais ce dimanche, comme chaque dimanche, l'Esprit Public, sur France Culture. Pour la dernière émission de la saison, l'orage que l'on sentait monter entre Max Gallo et Jean-Louis Bourlanges a enfin éclaté, avec l'aspect rafraîchissant des pluies d'été, mais aussi cet aspect aussi violent qu'éphémère, sur le premier thème de l'émission, à la suite de l'affirmation audacieuse du second que Charles de Gaulle était un exemple de l'antimilitarisme de droite dont on feint ces jours-ci de redécouvrir l'existence. Le biographe du Général a pris la mouche et a eu un mot malheureux pour qualifier cette affirmation, qui a donné lieu en réplique à une superbe démonstration d'artillerie de la part de Jean-Louis Bourlanges qui laissera le pauvre Max sonné. Un moment savoureux, à la 15e minute et 59e seconde du fichier Real Audio®.

C'est la deuxième partie de l'émission qui a particulièrement retenu mon attention, puisqu'elle traitait de la question de l'immigration.

Au cours de son intervention, Yves Michaud, philosophe, directeur de l'Université de Tous Les Savoirs, a exposé ce qui serait selon lui un paradoxe :

Las, las ! Cette affirmation, dans un débat au demeurant de qualité, est comme une verrue sur le nez d'une belle. Il gâche un peu l'ensemble.

Cela illustre surtout la méconnaissance du droit des étrangers, droit ô combien complexe il est vrai (notamment un des rares à cheval sur les deux ordres de juridiction) qui fait que même des esprits d'honnêtes hommes (au sens humaniste) qui se penchent sur la question n'arrivent pas à y retrouver leurs petits. Il faut dire que sa complexité se double d'une dose infinie d'hypocrisie qui ferait rougir de honte Tartuffe. Le petitesse a tendance à égarer les grands esprits.

Voici donc un rapide vade mecum des fondamentaux, comme on dit dans le noble art du rugby, du droit des étrangers, pour savoir de quoi on parle.

Prolégomène : n'oubliez jamais que le droit est la science des exceptions. Chaque principe a les siennes… sauf exceptions, naturellement.

ENTRER

Tout étranger (les ressortissants de l'UE ne sont plus vraiment des étrangers et bénéficient de règles spécifiques ; disons qu'en gros, ils vont où ils veulent et restent le temps qu'ils veulent. Oui, sauf exceptions, naturellement) désirant entrer en France doit être muni d'un certain nombre de documents, dont le défaut entraînera son refoulement à la frontière. Ces documents sont, essentiellement : un document de voyage (en principe un passeport, par exception une carte d'identité ou un document assimilé : carte de réfugié ou d'apatride, par exemple), le cas échéant revêtu d'un visa (j'y reviens), les justificatifs des raisons de son séjour (travail, tourisme), la preuve qu'il dispose des moyens de subvenir à ses besoins, y compris son retour dans son pays d'origine, et d'une assurance prenant en charge ses éventuelles dépenses de santé.

Le visa est une autorisation préalable délivré par l'État (par son consul, en fait) d'entrer sur son sol. On en distingue deux types (pour simplifier) : le court séjour, trois mois au plus, et long séjour, plus de trois mois avec vocation à rester. Le visa court séjour est encadré au niveau européen par les accords de Schengen (y compris la liste des pays dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa, fixé par un règlement européen, le règlement (CE) n°539/2001 du 15 mars 2001 modifié), qui unifient les règles de délivrance et la validité dans tout l'espace Schengen (prenez les 27 pays de l'UE, vous ôtez le Royaume-Uni et l'Irlande, mettez de côté Chypre, la Roumanie et la Bulgarie qui en font partie mais attendent des jours meilleurs pour appliquer les accord, et vous ajoutez la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Lichtenstein, ces deux derniers pays devant appliquer les accords en novembre prochain). Le visa long séjour reste de la compétence de chaque État selon ses règles propres.

Je laisse de côté la question des demandeurs d'asile, qui ont un droit au séjour pendant la durée de l'examen de leur demande s'ils se présentent à la frontière (Convention de Genève de 1951) : la politique de la France consiste donc, depuis des décennies, à empêcher les demandeurs d'asile d'atteindre sa frontière, et pour ceux qui l'atteignent, à faire semblant d'examiner leur demande en 48 heures pour la rejeter avant de les réexpédier à leur point de départ, dans des conditions qui ont valu à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l'homme en avril 2007 (la loi Hortefeux de novembre 2007 a tenté de remédier à cette situation).

Le refus d'entrée sur le territoire est une décision prise par la police aux frontières. Elle impose à la compagnie de transport qui a amené l'étranger de le reconduire à ses frais au point de départ : cet éloignement s'appelle un réacheminement. En attendant, l'étranger est placé en zone d'attente, les fameuses ZAPI de Roissy. L'hôtel Ibis dont parle Yves Michaud était la ZAPI 1, aujourd'hui fermée. Il ne s'agit pas d'un centre de rétention, et les étrangers qui s'y trouvent ne sont pas en situation irrégulière puisque juridiquement ils ne sont jamais entrés sur le territoire. Il s'y trouve aussi bien des demandeurs d'asile que des touristes ou des scientifiques venus faire une conférence mais qui ont une sale tête.

RESTER

Le visa vaut autorisation de séjour pour la durée de sa validité. Un étranger qui souhaite rester en France au-delà de son visa doit demander un titre de séjour (TS) à la préfecture du département où il établit son domicile.

Il existe deux types de titre de séjour, les formels et les informels (la classification est de votre serviteur). Ce que j'appelle les informels sont des titres précaires, à très courte durée, délivrée par la préfecture quand elle n'a pas le choix mais n'a pas encore décidé de délivrer un titre de séjour formel : ce sont les Autorisations Provisoires de Séjour (APS) et les Récépissés. Une APS régularise temporairement la situation d'un étranger mais n'engage pas la préfecture. C'est classiquement le cas d'un étranger qui a obtenu l'annulation d'une décision d'éloignement sans avoir établi qu'il bénéficiait d'un droit au séjour. Le juge ordonne à la préfecture de réexaminer le dossier et dans l'intervalle, de régulariser l'étranger pour ne pas le laisser dans l'illgéalité parce que les préfectures sont engorgées. Le récépissé, lui, implique que le préfet a décidé de délivrer le titre de séjour, mais n'a pas eu le temps de fabrication du titre (qui est sécurisé comme nos cartes d'identité). Il vaut régularisation, et donne les mêmes droits que le titre qui va être délivré.

Les titres formels, car prévus par la loi, sont la carte de séjour, valable un an, et la carte de résident, valable dix ans, qui succède généralement à plusieurs années de carte de séjour. Pour les algériens, on parle de certificat de résidence d'un an ou de dix ans.

Les préfets sont en principe libres de délivrer ou de refuser de délivrer un titre de séjour. Cette politique se règle d'abord au niveau d'instructions du Gouvernement, mais aussi au niveau de la loi qui prévoit des cas où le préfet « peut » délivrer une carte. Soyons clairs, la politique actuelle est : quand le préfet « peut » délivrer, il faut lire qu'il « peut aussi ne pas » délivrer et appliquer cette interprétation.

Cependant, la France a, dans un moment d'égarement, signé des textes internationaux, supérieurs donc à la loi française, qui lui imposent de respecter les droits de l'Homme. Or, les étrangers sont des Hommes.

Il y a donc des cas où l'étranger a un droit au séjour, où le préfet ne peut légalement lui refuser son titre de séjour. Ces cas sont à l'article L.313-11 du Code de l'Entrée et de Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA). Certains sont objectifs. Citons le cas de l'étranger marié à un Français (mais pas à un étranger en situation régulière…), parent d'un enfant français, ou devenu majeur et qui a vécu en France depuis l'âge de treize ans (les mineurs sont dispensés de titre de séjour, ils ne peuvent être en situation irrégulière, ils dépendent de la situation de leurs parents). D'autres sont plus subjectifs, c'est-à-dire laissent une part d'appréciation à l'administration, appréciation qui peut être contestée devant le juge. C'est le cas du 7° de l'article L.313-11[1], qui est l'arme principale des avocats en droit des étrangers.

Se maintenir en France sans avoir un des titres le permettant (visa en cours de validité, ou plus de trois mois pour les étrangers dispensés de visa ; titre de séjour ; APS ou Récépissé) est, contrairement donc à ce qu'affirme Yves Michaud, un délit, prévu et réprimé par l'article L.621-1 du CESEDA :

L'étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l'étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de la peine d'emprisonnement.

C'est ce que ne manquent jamais de rappeler les braves gens pour qui « la loi est la loi », sauf quand on est assistante sociale violant le secret professionnel, puisque le droit est la science des exceptions, n'est-ce pas ?

Ce délit n'est à ma connaissance jamais poursuivi seul en tant que tel. Il relève du gadget législatif (et d'alibi légaliste à la xénophobie, mais passons). En effet, la plupart des petits délits, tels que le vol (puni de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende ; vous voyez que le séjour irrégulier, puni d'un an de prison est dans le délit microscopique), ne peuvent être assortis d'une peine d'interdiction du territoire. Donc, quand le prévenu d'un vol est de nationalité étrangère et en situation irrégulière, le parquet ajoutera la prévention de séjour irrégulier uniquement pour permettre le prononcé de l'interdiction du territoire (qui sera parfois la seule peine prononcée). C'est ce qu'on appelle abusivement « la double peine» et dont l'ancien ministre de l'intérieur a réussi à faire croire à la suppression. J'en ris encore.

C'est le premier aspect gadget, l'aspect astucieux. Le deuxième aspect gadget, qui est le plus hypocrite, sera décrit dans notre troisième volet.

PARTIR

L'étranger a vocation à partir à l'expiration de son visa ou quand les conditions de délivrance de son titre ont disparu (exemples : le conjoint est décédé, où l'époux étranger, s'il est algérien, ne supportait plus de recevoir des coups). Au besoin, l'administration peut employer la force pour cela. C'est ce qu'on appelle de manière générale l'éloignement forcé.

Pour éloigner un étranger, il faut pour cela un titre, un ordre d'une autorité administrative ou judiciaire, définitif, c'est à dire qui n'est plus suceptible de recours ou pour lesquels les recours ont été exercés en vain.

La peine d'interdiction du territoire est un titre permettant l'éloignement forcé. Comme toute peine d'interdiction, elle peut faire l'objet d'une requête en demandant la levée (art. 702-1 du code de procédure pénale). C'est le seul titre judiciaire.

Les autres titres sont administratifs. Il s'agit d'un arrêté d'expulsion si l'étranger présente un risque de trouble à l'ordre public (Fichu secret professionnel ; j'en aurais à vous raconter, des scandales de l'expulsion), d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) pris avec un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre, ou d'un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF).

Je vais m'attarder sur ce dernier car c'est là que notre hypocrite gadget est mis à contribution.

Nous sommes dans l'hypothèse où l'étranger est contrôlé dans la rue ou dénoncé par une assistante sociale. La police contrôle son identité, constate qu'il n'est pas muni d'un titre autorisant son séjour, et aussitôt, le place en garde à vue pour 24 heures. Le parquet est aussitôt informé de l'arrestation de ce dangereux délinquant et décidera aussitôt de ne rien faire. Oui, rien. Les parquets ont mieux à faire que poursuivre des étrangers en situation irrégulière. Par exemple, s'occuper de ce qu'ils considèrent à raison comme de vrais délinquants.

Mais alors, notre étranger, que lui arrive-t-il ? Il reste en garde à vue. Car aussitôt, la préfecture est informée de l'arrestation de cet étranger. Et en moins de 24 heures (même les dimanches et fêtes), le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, assorti d'un arrêté de placement en Centre de Rétention Administrative (CRA). Aussitôt cet arrêté notifié à l'étranger, le parquet classera sans suite le dossier de séjour irrégulier.

Bref, le délit de séjour irrégulier ne sert que de prétexte pour garder à vue l'étranger le temps que le préfet prenne ses arrêtés. À aucun moment, le parquet n'a l'intention de poursuivre cet étranger.

L'arrêté de placement en CRA vaut pour 48 heures, au-delà desquelles le maintien doit être ordonné par un juge judiciaire : ce sont les audiences 35bis dont je vous ai parlé récemment. L'arrêté de reconduite peut aussi être attaqué devant le tribunal administratif, mais dans un délai de 48 heures, recours qui doit être jugé dans les 72 heures, par un juge unique, sans commissaire du gouvernement rapporteur public. Je ne connais pas de contentieux qui nécessite une telle vivacité d'esprit et une pareille connaissance du contentieux administratif général et des règles spécifiques du droit des étrangers : la procédure est orale et vous pouvez soulever à l'audience tous les moyens que vous voulez (la jurisprudence administrative a assoupli au maximum cette procédure enfermée dans des carcans de délais très stricts). J'ai déjà connu l'attente angoissante dans la salle des pas perdus du fax qui doit m'apporter la preuve dont j'ai besoin pour obtenir l'annulation, le président du tribunal ayant fait passer devant les autres dossiers pour me donner le plus de temps possible. Les personnels des tribunaux administratifs et les juges eux-même méritent un hommage pour les facilités données à la défense dans un contentieux où la loi l'a voulue la plus impuissante possible. L'audience d'Eduardo était une audience sur la légalité d'un tel arrêté (ses parents étaient libres, c'était le temps révolu des APRF par voie postale).

L'erreur d'Yves Michaud est donc bien excusable : comment peut-on deviner que le séjour irrégulier est un délit quand il n'est pas traité comme un délit ?

Enfin, à quelque chose malheur est bon : cela m'aura permis de poser les bases nécessaires pour me lancer enfin dans mon explication de la directive « retour », qualifiée par mon ami Hugo Chávez de « directive de la honte » ce qui en soi devrait déjà suffire à la plupart de mes lecteurs pour deviner qu'il n'en est rien.

Notes

[1] [La carte de séjour d'un an est délivrée de droit] à l'étranger (…) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus(…).

jeudi 26 juin 2008

Brèves pour les publicistes

Amis juristes qui taquinez le droit public, quelques nouvelles pour vous.

Adieu, monsieur le commissaire du gouvernement.

Désormais, le magistrat administratif chargé de présenter devant les juridictions administratives une proposition de solution au litige, proposition étayée en droit mais présentée en son seul nom et en toute indépendance, s'appellera le rapporteur public. Il s'agit d'une spécificité de la justice administrative française, et d'une garantie fondamentale pour les justiciables, surtout ceux qui ne sont pas assistés d'un avocat (auquel il ne se substitue pas, mais il peut inviter le tribunal à soulever d'office des moyens d'ordre public et ordonner et clarifier des arguments un peu épars et peu juridiques). C'est pour cela que le gouvernement envisage de le retirer du contentieux des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF ; il est d'ores et déjà absent des procédures expresses contre les APRF[1] et les RATATA. Oui, le gouvernement —Loi Hortefeux du 20 novembre 2007— a inventé un truc qui s'appelle le RATATA[2], qui relève de la compétence de la PAF[3] et du BAF[4] : qui a dit qu'il manquait d'humour ?).

Plus d'infos sur cette métamorphose chez Frédéric Rolin.

Adieu, Code des marchés publics.

Et bonjour, code des marchés publics. Notre infatigable vigie du palais Bourbon nous annonce une prochaine réforme du Code éphémère : je vous rappelle que la mouture actuelle date du 4 août 2006. À vos aspirines.

Notes

[1] Arrêtés préfectoraux de Reconduite à la Frontière

[2] Refus d'Admission sur le Territoire Au Titre de l'Asile

[3] Police Aux Frontières

[4] Bureau de l'Asile aux Frontières

vendredi 20 juin 2008

Brice l'Haruspice

Il m'épatera toujours.

Brice Hortefeux, notre Ministre de tout ce qui flotte (que ce soit dans notre cœur, en haut d'une hampe ou dans la Marne), annonce triomphalement que le nombre d'étranger clandestins a diminué de 8% en un an. Pas 7%, pas 9% : 8%.

Le nombre de clandestins. Peste. J'ignorais qu'on avait fait un recensement. Y a-t-il aussi un annuaire ?

J'adore quand le gouvernement annonce sans rire des résultats que nul ne peut vérifier : ils sont toujours à sa gloire, comme le monde est bien fait.

Mais il y a plus drôle encore : c'est quand il essaie de donner sa méthode pour sonder l'insondable.

Un chiffre qu'il obtient à partir de quatre indicateurs.

Il observe d'abord que le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), de septembre 2006 à mars 2008, a reculé de 6,2 %. Ensuite, le nombre de reconduites à la frontière s'est accru en un an, du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, de 31 %, atteignant 29 729. Par ailleurs, sur la même période, 22 403 personnes ont été refoulées à l'entrée du territoire, soit une diminution de 3 %, "signe que notre politique de dissuasion commence à porter ses fruits". Enfin, 26 400 demandeurs d'asile ont été déboutés en 2007 contre 32 000 en 2006.

Mettez tous ça dans un marmite, ajoutez de la bave de crapaud mort d'insolation et trois feuilles de mandragore, laissez mijoter, et abracadabra : vous avez 8%, un beau chiffre, meilleur résultat “depuis une génération”, ajoute le ministre, qui décidément s'est dit que si on peut jouer du pipeau, on peut aussi bien jouer du tuba.

Parce que déduire de la baisse d'attributions de l'AME qu'il y a moins d'étrangers, c'est déjà audacieux en soi. On fera remarquer que la seule déduction qui peut en être faite est… qu'il y a moins d'étrangers qui la demandent, et que le fait de donner son nom et une adresse à une administration, dans le sain climat qui règne ces temps-ci a de quoi décourager même des étrangers bien malades. La peur est une explication tout aussi valable que l'absence. Et pour parler chiffres, l'AME, c'est 192.000 bénéficiaires. 6,2%, c'est 11.900 personnes. Ces 192.000 excluent les étrangers présents depuis moins de trois mois, ceux qui ne peuvent prouver trois mois de séjour (les SDF, par exemple) et ceux qui gagnent leur vie et payent des impôts (les salariés clandestins par exemple, et ceux qui travaillent avec la carte de séjour d'un autre).

En outre, le nombre de reconduites à la frontière aurait augmenté, et le nombre d'étrangers refoulés à la frontière aurait diminué. Que l'augmentation du nombre de reconduites fasse baisser le nombre de clandestins, je l'admets volontiers. Mais le fait qu'on refoule moins d'étrangers à la frontière peut aussi vouloir dire qu'il y en a plus qui entrent. Le nombre global d'étrangers se présentant à la frontière a-t-il diminué ? On ne le sait pas. Ce n'est cependant pas impossible car, il faut lui rendre cet hommage, la Police aux Frontières déploie en effet un zèle remarquable pour dissuader les étrangers de venir en France. Même les scientifiques. Même les touristes.

Le Monde a fait un remarquable travail en analysant la méthode de calcul des certains chiffres. La conclusion est impitoyable : Brice Hortefeux a gonflé les chiffres de l'immigration de travail. Méthode bien connue pour le chômage : si on ne peut changer la réalité, on change de formule de calcul.

Bref, ce n'est plus du tuba, c'est de la fanfare.

Mais bon, après tout ce n'est qu'une question de vase communiquant : on baisse artificiellement des chiffres pour en faire augmenter d'autres, ceux des sondages. Communication, tout n'est que communication. La preuve : notre président, quand il fait son mea culpa, reconnaît des erreurs… de communication. Et que dit l'entraîneur de l'équipe de France de football après une humiliante élimination, dernière de son groupe ? Qu'il a commis une erreur… je vous laisse compléter la phrase.

lundi 28 avril 2008

Soyez plus compétents que le président de la République

L'affaire des sans-papiers grévistes, soutenus par des syndicats, a retenu l'attention des médias, qui semblent sincèrement surpris de découvrir que des étrangers travaillent, payent des impôts, et les cotisations sociales sur leur salaire, sans être régularisés, et ce parfois depuis fort longtemps.

Je passerai rapidement sur le fait que la lecture de mon blog leur aurait appris cet état de fait depuis au moins septembre dernier, en rappelant au passage que même ceux qui ne déclarent pas de salaire participent néanmoins au financement de l'État.

Rappelons que même si la pensée de leur présence vous insupporte, ces étrangers ne font rien d'autre qu'être là. Ils travaillent, pour la plupart, payent leur loyer, leurs impôts (l'Etat n'a RIEN contre les étrangers quand il s'agit de payer la taxe d'habitation ou quand ils supportent la TVA sur leurs achats). Ceux qui commettent des délits relèvent de la juridiction pénale et de la peine d'interdiction du territoire : ils n'entrent absolument pas dans le circuit décrit ici.

Quand je dis au moins, c'est que déjà en septembre 2005, je citais un exemple concret :

En effet, au même instant, une avocate se débat désespérément pour que les parents d'Eduardo ne soient pas reconduits à la frontière. Elle explique au juge administratif, preuves à l'appui, que les parents d'Eduardo sont arrivés en France il y a six ans de cela, que cela fait quatre ans qu'ils sont locataires de leur appartement, qu'ils payent leurs impôts, qu'Eduardo va à l'école de son quartier, maternelle puis primaire, où il a appris le Français qu'il parle sans accent.

Enfin, gaudeamus, la presse l'a enfin découvert et des journalistes se demandent pourquoi celui qui leur concocte leur salade de chèvre chaud, cotise aux ASSEDIC, à une caisse de retraite, à l'assurance maladie, lays la CSG, la CRDS et bien souvent l'impôt sur le revenu, et ce depuis des années (j'ai un dossier avec des avis d'imposition remontant à 2000) ne pourrait se voir doter d'un titre de séjour.

Je répète ces mots : d'un titre de séjour, ils sont importants.

La loi, le fameux Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France [ou après l'expiration de son visa s'il est soumis à l'obligation de détenir un visa], être muni d'une carte de séjour ». Le fait de se maintenir en France sans détenir cette carte est un délit, le délit de séjour irrégulier qui consiste essentiellement à être là. Notons qu'il n'existe à ma connaissance aucun délit concernant les Français leur faisant encourir de la prison du seul fait de ne pas détenir un quelconque document administratif sans qu'aucun agissement particulier ne soit exigé. Le défaut de permis n'est un délit que si on conduit un véhicule. Le défaut de carte d'identité n'est pas une infraction, ce document n'étant pas obligatoire. Point que je souhaite rappeler tant dès que l'on fait montre d'un tant soit peu de compassion à l'égard des étrangers sans papier on entend invariablement « Mais enfin, rappelons quand même que ce sont des délinquants, on ne va quand même pas les plaindre ». Le délit, c'est d'être là, pas de faire de tort à qui que ce soit.

Ce titre de séjour (TS) peut être soit une carte de séjour temporaire (CST) valable un an, soit une carte de résident (CR) valable 10 ans et renouvelable de plein droit, délivrée aux étrangers qui ont vocation à l'installer définitivement sur le territoire (par exemple, l'époux étranger d'un français qui n'a pas souhaité prendre la nationalité française).

Le titre de séjour n'a aucun rapport avec la nationalité française, hormis le fait que l'absence de cette dernière impose la détention du premier. Demander une régularisation, c'est demander la délivrance d'un titre de séjour. Pas la nationalité française. Un ancien ministre de l'intérieur, à l'origine de deux profondes réformes du droit des étrangers, est censé le savoir. D'où ma stupeur d'entendre cet échange lors de la présidentielle conférence de presse télévisée. Si quelqu'un peut d'ailleurs me fournir une transcription de la première phrase du président en réponse à la deuxième question d'Yves Calvi, juste avant « je ne suis pas un roi, moi » (0:47-0:48 de la vidéo), je lui en saurai gré.

L'erreur est humaine, persévérer est diabolique, réitérer[1]… présidentiel ? Par trois fois, le président se réfugie derrière les conditions préalable au dépôt pour une demande de naturalisation (une demande d'attribution de la nationalité française par décision de l'autorité publique) pour laisser entendre qu'il existe des conditions qu'il suffit de respecter pour être régularisé. C'est faux.

La République, heureusement, ne repose ni sur la bonne foi ni sur la connaissance encyclopédique de ses dirigeants, donc peu importe laquelle est ici prise en défaut. Mais le meilleur moyen d'éviter qu'on abuse de l'ignorance des citoyens est qu'on les instruise. Je vous propose donc de m'accorder un peu de votre attention afin que ce billet fasse de vous des gens plus compétents en la matière que le président de la République.

La vision répandue ces dernières décennies sur les étrangers est celle d'une troupe d'indésirables, le fort chômage qu'a connu la France étant la preuve que les étrangers sont de trop, ceux-ci prenant supposément le travail des Français. C'est la théorie du gâteau : l'économie d'un pays est un gâteau dont on se répartit les parts, le grand nombre de part entraînant plus de pauvreté. C'est une vision naturellement fausse, puisqu'elle fait abstraction du fait que chaque personne participant à une économie est aussi bien pâtissier qu'affamé. Et cette situation ressurgit invariablement à chaque crise économique. Car l'hostilité de la France à l'égard des étrangers est contraire à sa tradition, et vous allez voir dans le voyage historique que je vous propose combien cette tradition l'a façonnée.

En effet, sous la Révolution (1789-1804), et la Restauration (1815-1830), la France a été très accueillante avec les étrangers (l'Empire a eu une politique d'intégration des pays étrangers, c'est un peu différent, et l'expérience a tourné court). Ainsi, la Constitution rédigée par la Convention le 24 juin 1793 prévoyait dans son article 4 que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. » On ne parlait même pas de leur exiger un permis d'être là.

De même, sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier, roi des Français, si vous préférez), la France a accueilli plus de cent mille immigrés venus des pays d'Europe centrale chassés par les révolutions de 1830. Elle accueillera aussi des Italiens fuyant les incessantes guerres d'indépendance de ce pays. Parmi eux, Giuseppe Gambetta, épicier qui s'installera à Cahors, dont le fils deviendra avocat, homme politique et donnera la République à la France sur les décombres du Second Empire, au nez et à la barbe de la majorité royaliste à l'Assemblée.

La Seconde République (1848-1851) vote une grande loi sur les étrangers le 3 décembre 1849. Ce cadre légal restera en vigueur jusqu'en 1938, mais sera régulièrement amendé. Elle prévoit que le ministre de l'intérieur peut expulser tout étranger séjournant en France. C'est cette loi qui crée le délit de séjour irrégulier, qui suppose que l'étranger soit resté ou revenu en France malgré une décision d'expulsion. Aucune mesure coercitive autre que la menace de la prison n'est prévue. Les étrangers ne sont pas alors soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour. C'est cette loi qui invente l'expression de “conduite à la frontière” pour désigner ces décisions discrétionnaires.

Le Second Empire (1851-1870) instaure quant à lui dès 1851 le droit du sol : l'enfant d'étrangers né en France est Français (ce n'est plus le cas aujourd'hui contrairement à une croyance populaire tenace).

C'est la IIIe république qui opérera le premier virage vers le droit des étrangers moderne, à l'occasion de la crise économique de la fin du XIXe siècle, à l'époque où qui plus est la République est frappée d'énormes scandales politico-financiers (Affaires de Panama, des Fiches, des Décorations…). Les étrangers (auquel il faut assimiler les juifs, qui, bien que citoyens français, sont sans cesse présentés comme des éléments exogènes par l'extrême-droite) sont pointés du doigt et servent de boucs émissaires aux difficultés de la France, la responsabilité de la classe politique étant naturellement exclue. Comment ça, ça vous rappelle quelque chose ?

Cela va jusqu'à de véritables pogroms contre les Italiens dans le sud de la France : à Aigues-Mortes en août 1893, une véritable chasse à l'homme a lieu dans la ville, à coups de pierres et de bâtons, faisant officiellement huit morts et cinquante blessés (plus de cinquante morts selon les journalistes du Times anglais ayant assisté aux émeutes et ayant décrit une sauvagerie générale). Face à ces crimes, la réaction de la République sera inflexible : les accusés de ces faits seront acquittés par la cour d'assises et la loi du 28 août 1893 institue le registre d'immatriculation des étrangers et fait interdiction aux employeurs d'embaucher un étranger n'ayant pas satisfait aux formalités légales. C'est la naissance de la carte de séjour temporaire mention salariée, qui existe encore aujourd'hui.

Plus tard, le décret du 21 avril 1917 crée la carte d'identité d'étranger, ancêtre de la carte de séjour, établie par le préfet. Pendant ce temps, Lazare Ponticelli se battait pour la France. Parmi les premiers titulaires, le père de Patrick Devedjian, actuel secrétaire général de l'UMP, qui a fui la Turquie en 1919 en raison du génocide arménien.

La première guerre mondiale et la grippe espagnole laissent la France exsangue, et elle ouvre largement ses frontières pour faire venir la main-d'œuvre dont elle a besoin. En 1924, les organisations patronales, avec l'accord du gouvernement, fondent la Société générale d'immigration, qui introduira en France en l'espace de quelques années, pas moins de cinq cent mille travailleurs étrangers, en majorité Italiens, Espagnols et Polonais. Parmi ces Polonais, un juif du nom de Stanisław « Simkha » Gościnny, qui s'installera à Paris, 42 rue du Fer-à-Moulin. Son fils René sera le créateur des Dalton, de Rantanplan (pas de Lucky Luke), d'Iznogoud, du Petit Nicolas, des Dingodossiers, et surtout d'Astérix, le plus franchouillard des héros Français.

Mais le chômage refait son apparition avec le ralentissement annonçant la crise de 1929. Et la législation refait de l'étranger la variable d'ajustement, quand ce n'est pas le responsable des malheurs des Français, malgré la politique courageuse et visionnaire du gouvernement.

La loi du 11 août 1926 réglemente le travail des étrangers en France et prévoit, sur la carte d'identité d'étranger, l'apposition de la mention « travailleur », subordonnée à la production d'un contrat de travail, le titulaire ne pouvant changer d'emploi avant l'expiration du contrat.

Arrive la crise de 1929. La France est durement touchée. Devinez qui va payer l'addition ?

La loi du 10 août 1932 institue un contingentement de la main-d'œuvre étrangère par profession ou branche de l'industrie ou du commerce. Cette tentative de réponse à la crise économique s'accompagne d'une limitation des entrées d'étrangers sur le territoire français et d'un refus de régularisation des « clandestins ». Oui, la législation qu'on applique encore aujourd'hui (art. 40 de la loi Hortefeux) sous le nom d'immigration “choisie” est héritée d'une législation d'urgence face à la crise de 1929, dont l'Histoire a montré l'efficacité.

Je passerai rapidement sur la politique de Vichy en la matière : au-delà des législations de circonstances mettant en place une politique ouvertement raciste et spécialement les lois anti-juives, soulignons que le gouvernement de Pétain reviendra rétroactivement sur les naturalisations accordées depuis 1927 et organisera un régime de travaux forcés pour les étrangers “en surnombre”.

La Libération voit une remise à plat de toute la législation française, et le droit moderne des étrangers est né à cette époque : le CESEDA n'est que la codification à droit constant opérée en 2004 d'une ordonnance du 2 novembre 1945.

Il s'agissait, selon les mots du Général De Gaulle, « d'introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d'immigration dans la collectivité française ». Il faut dire qu'en 1945, les économistes estiment à un million et demi les besoins de main-d'œuvre pour reconstruire le pays. La France accueille largement de la main d'œuvre étrangère, notamment venue des pays d'Europe de l'Est fuyant l'occupation soviétique. Parmi eux, un fils de fonctionnaires hongrois dont les propriétés à Alattyán avaient été confisqués. Il s'appelait Nagybócsai Sárközy Pál, et je vous ai parlé de son fils au début de ce billet.

Malgré la volonté et la nécessité d'ouvrir les portes à l'immigration, ce régime, bien plus simple que l'actuel, va rapidement montrer ses limites, les employeurs préférant recourir à de la main d'œuvre irrégulière et régulariser sa situation après coup. Ce sera le début d'un absurde cycle de régularisations massives - promesse que cette fois c'est fini - durcissement de la législation - régularisation massive. La première aura lieu dès 1948. La dernière à 2006, et la prochaine est en préparation.

Les Trente Glorieuses augmentent les besoins de main d'œuvre et jusque dans les années 60, la France va largement puiser dans les réserves des anciennes colonies et protectorats, où une population, jeune, francophone et connaissant l'administration française est disponible. Parmi eux, un maçon marocain, Mark Dati, arrivera en France en 1963. Sa fille Rachida deviendra magistrat et Garde des Sceaux.

Aujourd'hui, l'obtention d'un titre de séjour par un étranger voulant venir travailler en France est très difficile, et longue (sauf s'il est footballeur professionnel). L'accumulation de barrières administratives a entraîné un accroissement du recours à de la main d'œuvre en situation irrégulière. L'image du patron exploitant sans vergogne des étrangers sous-payés plutôt que des Français trop chers est un pur cliché, version marquée à gauche du cliché marqué à droite de l'étranger volant l'emploi des Français. J'ai reçu assez d'employeurs voulant obtenir la régularisation d'un de leurs employés, qui prenaient en charge mes honoraires, et m'expliquaient leurs années de galère sans trouver celui dont ils avaient besoin jusqu'à ce qu'ils rencontrent celui dont ils demandent la régularisation pour savoir que les deux sont aussi faux l'un que l'autre et révèlent plus les préjugés de celui qui les véhicule.

Mais au fil des alternances, les deux versions de ce cliché ont conduit à ajouter sans cesse des obstacles à la régularisation, même si des signaux existaient déjà révélant l'existence de secteurs “en tension” ne trouvant pas de main d'œuvre. C'est un secret de Polichinelle que la restauration et le bâtiment reposent sur une main d'œuvre en grande partie étrangère sans papier. André Daguin, président de l'Union des Métiers de l'Industrie Hôtelière (UIMH) estime à 50 000 le nombre de ces salariés clandestins dans son secteur. Soit deux fois le nombre d'étrangers qui vont probablement et à grands frais être reconduits à la frontière.

Gouverner, c'est parler clairement, expliquer ses choix. Pas feindre par trois fois de ne pas comprendre la question parce que la réponse contredit trente années de politique à l'égard des étrangers, dont trois lois en quatre ans voulues par l'actuel titulaire de la fonction présidentielle.

J'espère vous avoir armés pour que vous ne vous laissiez plus abuser par de si piètres esquives.

Notes

[1] Rappelons que l'itération est accomplir une deuxième la même action, et que réitérer est le faire une troisième fois.

jeudi 22 novembre 2007

Bilan rapide de la loi Hortefeux

Je viens de saccager d'annotations colorées mon beau CESEDA tout neuf (puisse Vincent Tchen qui me lit me pardonner, c'était un cas de force majeure), car la loi MIIA, dite loi Hortefeux, ou encore loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile est parue au JO d'hier et entrée en vigueur aujourd'hui. Comme je l'avais dit précédemment, les tests ADN n'ont été qu'un hochet médiatique qui a été très efficace.

La loi fait 64 articles. Ils sont numérotés de 1 à 65, mais le 63, celui des statistiques ethniques, a succombé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel et a disparu corps et bien de la version publiée de la loi.

Comme d'habitude en la matière, il s'agit d'une loi modificative de textes existant. Autant dire que vous aurez beau lire la loi, vous ne pourrez pas comprendre ce qu'elle dit sauf à lire également le CESEDA. Pour rebondir sur un débat en commentaires, c'est exactement comme le traité de Lisbonne. C'est pratique, car cela permet de faire des coups en douce et de laisser l'opposition s'acharner sur un hochet.

Par exemple, les tests ADN.

S'agissant d'une création législative, il fallait inclure dans la loi toutes les règles relatives à ces tests. Cela facilite la mobilisation de l'opposition. C'est donc un amendement n°36 de l'amendeur fou qui a introduit le principe dans le texte :

« Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, les agents diplomatiques ou consulaires peuvent, en cas de doute sérieux sur l’authenticité ou d’inexistence de l’acte d’état civil, proposer au demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois d’exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d’une filiation biologique déclarée avec au moins l’un des deux parents.

« Les conditions de mise en œuvre de l’alinéa précédent, notamment les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à des identifications par empreintes génétiques, sont définies par décret en Conseil d’État. »

Mobilisation médiatique, concert au zénith, des sénateurs motivés, et cela devient finalement l'article 13 de la loi :

« Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée.

« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

« Si le tribunal estime la mesure d'identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa.

« La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d'identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l'Etat. (...)

Vous voyez la transformation. Ajoutons à cela les réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel, et vous verrez que quand Thierry Mariani se réjouit de l'adoption de son amendement, il est comme le père d'une fille à soldats enceinte qui assure qu'elle est encore pucelle.

Mais en tout état de cause, cet article est bien plus sexy à tout point de vue qu'un article comme l'article 25, par exemple :

L'article L. 221-3 du même code est ainsi modifié :

1° Dans le premier alinéa, les mots : « quarante-huit heures » sont remplacés par les mots : « quatre jours » ;

2° Le second alinéa est ainsi modifié :

a) La troisième phrase est supprimée ;

b) Dans la dernière phrase, les mots : « ou de son renouvellement » sont supprimés.

Allez me remplir un Zénith avec ça... Je n'oserais même pas inviter Emanuelle Béart à s'émouvoir avec moi.

Et pourtant, je dois confesser que cet article me contrarie un peu plus que les tests ADN.

Tenez, voici cet article L. 221-3. Les parties supprimées sont rayées, les parties ajoutées sont en gras. Nous sommes dans l'hypothèse d'un étranger qui arrive à la frontière française et aussitôt se jette dans les bras des policiers pour demander l'asile politique. Face à ce dément dangereux qui croit être arrivé dans une terre accueillante, aussitôt, la police lui refusera l'entrée en France, et le parquera dans une zone d'attente. Il est privé de liberté, par une décision d'un policier.

Article L. 221-3 : Le maintien en zone d’attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures quatre jours par une décision écrite et motivée d’un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire.
Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l’état civil de l’intéressé et la date et l’heure auxquelles la décision de maintien lui a été notifiée. Elle est portée sans délai à la connaissance du procureur de la République. Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée. Lorsque la notification faite à l’étranger mentionne que le procureur de la République a été informé sans délai de la décision de maintien en zone d’attente ou de son renouvellement, cette mention fait foi sauf preuve contraire.

Je vous rappelle qu'un assassin d'enfants ne peut être retenu par la police que 24 heures, durée renouvelable une fois avec l'autorisation préalable d'un magistrat, durée à l'issue de laquelle il devra avoir été vu par un magistrat qui décidera de son sort dans les 20 heures. Donc 68 heures maximum, avec deux interventions d'un magistrat. Un homme qui n'a rien fait hormis demander sa protection à la France sera privé de liberté 96 heures par simple décision policière sans avoir vu l'ombre d'un magistrat, le procureur étant juste informé de cette mesure, par un simple coup de téléphone généralement, procureur qui n'aura ni le temps ni les moyens de s'interroger sur son bien-fondé. Même le crime organisé est mieux traité. Il faut choisir ses priorités, c'est ce que fait le législateur.

Certes, avant, c'était 48 heures renouvelables, maintenant, c'est directement quatre jours. N'empêche. Le message est clair.

Au bout de ces quatre jours, il sera enfin présenté à un juge, le juge des libertés et de la détention, qui pourra le maintenir huit jours en zone d'attente, durée renouvelable une fois pour un maximum de 20 jours.

Et pourquoi ce dangereux énergumène est-il ainsi privé de liberté ? Pour qu'il puisse déposer sa demande... de demande d'asile. En effet, puisqu'il n'a pas été admis à entrer sur le territoire, il ne peut effectuer de demande d'asile auprès de l'OFPRA. Il s'agit donc pour les autorités administratives de décider s'il faut le laisser entrer en France pour qu'il puisse présenter sa demande d'asile, bref si cette demande est manifestement infondée ou non. Jusqu'à il y a peu, si l'administration considérait que la demande était manifestement infondée, c'était le retour direct au pays. Sans aucun recours possible. Avec une place assise tous conforts. France, terre d'asile.

La France a donc eu l'honneur de se faire condamner par la cour européenne des droits de l'homme : CEDH, 26 avril 2007, AFFAIRE GEBREMEDHIN [GABERAMADHIEN] c. FRANCE, n°25389/05 pour cette absence de recours effectif contre une décision qui peut avoir pour conséquence de l'envoyer à la mort alors qu'aucun juge n'aura jamais eu connaissance de ce dossier. A ce sujet, je relève l'argumentation en défense du gouvernement (§66) :

le Gouvernement soutient notamment que le recours requis n'a pas à être suspensif de plein droit : il suffirait qu'il ait un effet suspensif « en pratique ». Or tel serait le cas de la saisine du juge administratif des référés, puisque les autorités s'abstiendraient de procéder à l'éloignement avant que ledit juge ait statué.

C'est un mensonge. J'ai assez de preuves dans mes dossiers de réacheminements (c'est le terme consacré) d'étrangers non-admis après ma saisine du tribunal administratif en référé et avant l'audience pour savoir que cette soi-disant abstention de procéder à l'éloignement, c'est du vent. D'ailleurs, le demandeur, et l'ANAFE qui était intervenue au procès ont contesté cette affirmation, qui n'a pas été retenue par la cour. Au-delà du sentiment de malaise de voir la France mentir à la cour européenne des droits de l'homme pour se défendre, vous avouerez une chose : si le gouvernement ment sur ce point, c'est qu'au fond, il sait que ses pratiques sont contraires aux droits de l'homme, mais préfère les dissimuler plutôt que les changer.

C'est en France, c'est aujourd'hui. Et on vous parle des tests ADN...

A la suite de cette condamnation, la France n'a eu d'autre choix que de modifier sa législation, d'autant plus que les JLD de Bobigny, invoquant cette jurisprudence, ordonnaient systématiquement que les étrangers soient admis à entrer en France pour éviter une violation de leur droit à un recours effectif. Et Bobigny, c'est Roissy Charles de Gaulle...

Et la vengeance de la France est terrible.

Un recours suspensif contre la décision rejetant la demande de demande d'asile comme manifestement infondée est désormais possible et il est suspensif. Il doit être exercé dans les 48 heures de la décision, et doit être motivé, et rédigé en Français. La décision tombe un vendredi soir ? Bonne chance pour trouver un avocat et un interprète : vous avez jusqu'au dimanche soir. Le recours doit être examiné dans les 72 heures par un juge du tribunal administratif (ça tombe bien, ils ont du temps libre pour le contentieux des étrangers). Et last but not least : si le refus d'admission sur le territoire tombe à la fin du délai légal de privation de liberté (soit 20 jours), et que l'étranger ose exercer un recours alors qu'il lui reste 4 jours ou moins de privation de liberté, sa privation de liberté est automatiquement prorogée de 4 jours. Raffinement dans la perversion : en demandant à être remis en liberté, il signe sa privation de liberté pour quatre jours supplémentaires (article L.222-2 du CESEDA).

Alors récapitulons : nous avons une autorité policière habilitée à priver de liberté quatre jours sans contrôle effectif de l'autorité judiciaire ni voie de recours. Nous avons un recours suspensif à former dans un délai très bref (48 heures), en français et qui doit être motivé, c'est à dire qui doit indiquer les arguments soulevés à l'encontre du refus d'entrée en France, recours dont l'exercice peut avoir pour effet automatique d'allonger de quatre jours une privation de liberté, là aussi sans contrôle du juge ni recours. Tiens, on pourrait se demander si tout cela est bien conforme à la Constitution.

On aurait pu.

Mais les parlementaires qui ont saisi le Conseil constitutionnel n'ont pas jugé bon de s'interroger là-dessus. Ils n'ont concentré leurs critiques que sur les tests ADN et les statistiques ethniques. Voyez le recours des députés, et celui des sénateurs, qui sont identiques au mot près, et d'une indigence juridique qui ferait honte à des étudiants en droit de première année.

Les hochets ont bien servi.

Et à part ça ?

Ho, trois fois rien.

Les magistrats administratifs et judiciaires qui siégeaient dans les Commissions du titre de séjour, qui doit rendre un avis quand un préfet envisage un refus de renouvellement de titre dans des cas graves, disparaissent. Pas besoin de juristes, ces empêcheurs de reconduire en rond. Désormais, ces commissions sont composées d'un maire et de deux personnalités "qualifiées" sans autre précision, choisies discrétionnairement par le préfet, donc forcément majoritaires. Hop, un souci de moins. (art. L.312-1 du CESEDA).

Les parents proches (parents, conjoint, enfants), âgés de plus de 16 ans et de moins de 65 ans, d'un étranger résidant régulièrement en France qui veulent le rejoindre devront d'abord passer un examen de français et de connaissance des valeurs de la République (pourquoi un demandeur d'asile doit être enfermé, alors qu'un maire de Paris peut taper dans la caisse et devenir président de la République, tout ce qui fait qu'on est un pays civilisé, quoi). S'il le rate, il devra suivre une formation de deux mois maximum et repasser l'examen. Bref, le retour des pères blancs. On va vous faire entrer dans l'histoire de gré ou de force, c'est moi qui vous le dis.

Ha, oui. Et les tests ADN, bien sûr.

jeudi 15 novembre 2007

La décision du conseil constitutionnel sur la loi Hortefeux

Touché, et coulé, voilà résumé en deux mots la décision du Conseil constitutionnel rendue ce jour, par les onze sages, Jacques Chirac faisant son entrée au Conseil constitutionnel en qualité d'ancien président.

1) Touché, c'est l'article sur les tests ADN.

Le Conseil l'a validé mais avec une réserve d'interprétation. C'est une technique inventée par le Conseil, pour éviter d'annuler un article quand il peut être interprété de façon à ne pas être contraire à la Constitution.

Cette réserve est de taille : la loi ne peut avoir pour effet de créer des règles d'état civil spéciales, donc discriminatoires, à l'égard de certains étrangers.

La conséquence tirée en est double. La loi, pour permettre le recours à un test ADN, exige plusieurs conditions. Des conditions d'ordre général tout d'abord : ce dispositif est expérimental pour 18 mois et prendra fin, sauf nouvelle loi le prolongeant, le 31 décembre 2009 ; dans ce délai, il ne s'applique qu'à certains pays dont la liste sera fixée par décret. Des conditions propre à chaque dossier enfin : que l'acte d'état civil (acte de naissance...) soit inexistant, ou qu'il existe un doute sérieux sur l'authenticité de l'acte produit, doute qui n'est pas levé par la possession d'état conformément à l'article 311-1 du Code civil (l'enfant doit porter le nom de son père supposé, être traité par lui comme son fils, et être considéré comme tel par tous). Il faut enfin que ce test soit autorisé par le tribunal de grande instance de Nantes. Pourquoi Nantes ? Parce que c'est là que sont les services du ministère des affaires étrangères s'occupant des visas. Ironie de l'histoire : Nantes était le premier port négrier de France. On n'échappe pas facilement à son destin...

Le Conseil trouve à redire à cet article : tout d'abord, le recours à la possession d'état ne sera possible que si ce mode d'établissement de la filiation existe dans la loi du pays concerné. Je ne suis pas sûr que cette réserve soit favorable aux étrangers dont le pays ne connaît pas la possession d'état, si du coup les consulats passent directement à la case "refus de visa".

En outre, si ces étrangers établissent leur filiation conformément à la loi qui s'applique à leur nationalité, l'administration sera tenu de s'y plier et ne pourra pas demander un test ADN en plus. Ces tests ne seront donc qu'un mode de preuve subsidiaire, proposé uniquement à un étranger sollicitant un regroupement familial et ne pouvant établir sa filiation par la preuve prévue par la loi du pays dont son enfant a la nationalité, ou si l'administration démontre le sérieux de ses doutes sur l'authenticité de l'acte produit. Se pose ici un problème de compétence. La contestation du doute de l'administration sera-t-il de la compétence du juge judiciaire nantais ? Ou du juge administratif selon la tradition française ? Cette loi fait-elle exception à la compétence administrative ? Ce serait somme toute logique, puisqu'en matière d'état civil, c'est le juge judiciaire qui est compétent. La loi n'est pas claire là dessus.

Ainsi interprétée, la loi ne peut être utilisée par l'administration pour remettre en cause toute filiation qui lui semble simplement douteuse sans qu'elle ait à s'expliquer sur les raisons de son scepticisme, mais seulement proposer un tel test à la place du refus de visa pur et simple, test qui sera autorisé finalement par le juge après débat contradictoire. Bref, le test ADN sera une exception.

2) Coulé, c'est l'autorisation de collecte de données ethniques à des fins statistiques.

Le conseil la juge contraire à la Constitution, pour deux raisons, chacune suffisante en soi.

Première torpille, procédurale, qui porte peut être bien la signature de l'Amiral Debré : cet amendement parlementaire est sans rapport avec l'objet de la loi. C'est la condamnation de ce qu'on appelle les « cavaliers législatifs ». Or les statistiques ethniques en question pouvant s'appliquer aussi bien aux Français qu'aux étrangers, on se demande ce que cet amendement venait faire là. Au fait, devinez qui l'avait déposé ?

Et une deuxième torpille, histoire d'enfoncer le clou. En effet, le Conseil a inversé l'ordre logique de l'examen de la constitutionnalité de cet article. Le simple défaut de lien avec la loi aurait pu suffire, sans même s'interroger sur le contenu de l'article. Mais non. Le conseil commence par examiner l'article, avant de constater que de toutes façons, il n'avait même pas à le faire. Il y a clairement un message, au cas où l'amendeur fou serait tenté de trouver une loi ayant assez de lien avec son projet pour l'y accoler.

En tout état de cause, dit le Conseil, l'article 1er de la Constitution, qui interdit toute distinction d'origine, de race ou de religion, interdit toute collecte de données sur une base ethnique. Donc même si une loi spéciale était votée, ce serait niet. Au passage, cela devrait donner à réfléchir les constitutionnalistes à la petite semaine qui se disent choquées de voir le mot "race" dans la Constitution, en se refusant à lire les mots "sans distinction de" qui le précèdent. C'est grâce à la présence de ce mot qui les dérange que des lois qui les dérangeraient bien plus ne peuvent être votées. A bon entendeur...

L'opposition ayant soulevé seulement ces deux points, et le Conseil n'ayant rien vu dans la reste du texte d'assez grave pour l'obliger à se saisir lui-même, le reste de la loi est validée sans discussion. Vous l'avez deviné, l'essentiel de la loi se trouve bien dans ces articles, qui n'ont pas eu l'heur d'intéresser l'opposition. Je vous ferai un topo de la loi IIA (Immigration, Intégration et Asile) prochainement. Vous verrez que les tests ADN, c'était un hochet, qui a très bien fonctionné.

vendredi 2 novembre 2007

None Shall Pass ! (2)

On savait déjà que la France n'était plus une terre d'accueil. On apprend que ce n'est même plus une terre de transit.

Bertrand Delanoë, maire de Paris, auquel se sont associés d'autres maires et élus locaux français, a adressé, mercredi 31 octobre, une lettre à Nicolas Sarkozy pour protester contre le refus des autorités françaises de délivrer des visas de transit à plusieurs "élus et hauts fonctionnaires africains".

(...)

Sept maires camerounais invités en Corée ont déploré, dans un courrier à M. Delanoë, "l'attitude humiliante" du consulat général de France à Yaoundé, qui leur a "purement et simplement" refusé un visa de transit. Ils ont dû rallier la Corée du Sud à bord de Suisse Air, en transitant par l'Allemagne, la Suisse et la Chine, "sans exigence de visa aéroportuaire" de la part de cette compagnie, précisent-ils.

Bon, c'est une gaffe. Heureusement, le ministre du drapeau et des métèques assume courageusement.

Brice Hortefeux, ministre de l'immigration et de l'identité nationale, a saisi, mercredi, le directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France pour connaître les "motifs" du rejet de visa par la France, "si tel a bien été le cas".

Car le directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France est assurément responsable des problèmes de visas pour les maires camerounais qui veulent aller en Corée.

« C'est pas moi, M'sieur... »

vendredi 18 mai 2007

Brèves considérations sur notre nouveau gouvernement

L'équipe gouvernementale a été annoncée. Pour info, c'est ici.

Le retour d'Alain Juppé me laisse réservé. Surtout en numéro 2 du gouvernement. C'est à ma connaissance le deuxième (Mise à jour : troisième. Il y avait aussi Michel Debré. Merci à mes vigilants lecteurs) ancien premier ministre qui accepte de rempiler comme simple ministre, avec Laurent Fabius (premier ministre du 17 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 27 mars 2000 au 5 mai 2002). Mais surtout, il devient ministre d'Etat deux ans et demi après sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la cour d'appel de Versailles (nettement plus mesurée dans ses propos que le tribunal correctionnel de Nanterre) ayant à cette occasion relevé que « Il est regrettable qu'au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l'occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n'ait pas appliqué à son propre parti les règles qu'il avait votées au parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n'ait pas cru devoir assumer devant la justice l'ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés. » Le candidat Sarkozy avait annoncé une moralisation de la vie politique. Le président Sarkozy a l'air moins pressé. A rapprocher de l'investiture de Christian Vanneste dans le nord, alors que le même candidat Sarkozy déclarait dans le Figaro le 31 janvier (Via Embruns, lui même via Guy Birenbaum) que « Il ne sera pas réinvesti aux législatives. Je condamne fermement ce qu’il a dit. Je ne veux ni de près ni de loin être associé à des propos homophobes. Depuis des années, j’accomplis un travail en profondeur sur l’ordre, le travail, la responsabilité, le respect. J’ai trop souffert d’une droite qui ne défendait pas ses idées pour prendre le risque de saboter cet effort en acceptant des propos caricaturaux ». Bref, je fais la moue.

Brice Hortefeux est donc le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Mon nouvel adversaire devant les juridictions administratives. Enchanté. Comptez sur moi pour vous faire toutes les misères possibles. Les premières viendront sûrement du transfert de compétence du ministre de l'intérieur au ministre de l'immigration : il y a des nullité pour incompétence dans l'air. Miam. Pour ma part, je n'appellerai jamais le ministre "ministre de l'identité nationale". L'identité nationale n'étant pas une administration, je l'amputerai de ce titre dans chacune de mes requêtes, qui seront dirigées contre le "ministre de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement". C'est mesquin, je sais.

Rachida Dati est notre nouveau garde des Sceaux. Une magistrate, qui a exercé trois ans, si je ne m'abuse, dont un au parquet économique et financier d'Evry. Bien. Elle a vécu de l'intérieur le fonctionnement de la justice, notamment pénale. C'est une expérience précieuse. Et en plus, elle est beaucoup plus agréable à regarder que l'ancien Garde des Sceaux (Ce doit être parce qu'ils n'ont pas le même coiffeur). Enfin, elle n'a jamais été députée, donc elle ne devrait donc pas avoir en réserve SA loi qu'elle veut faire passer toutes affaires cessantes pour avoir une loi Dati au J.O. Enfin, avoir un garde des sceaux qui s'appelle Rachida, fille d'un marocain et d'une algérienne, ça a de la gueule. N'oubliez pas la justice administrative, Madame Dati, elle est importante.

Bernard Kouchner ministre des affaires étrangères. Lui qui animait la grève de la fac de médecine de Paris en mai 1968, le voilà dans le gouvernement de celui qui veut tourner la page. Après le translucide Douste Blazy, ça va faire un choc. J'espère que ça tiendra. Bernard Kouchner a une forte personnalité, qui risque d'irriter le président de la République, il va devoir cohabiter avec le nouveau Conseil National de Sécurité, et le Quai d'Orsay n'est pas réputé pour s'adapter aisément à des changements de personnalité. Je lui souhaite bon courage, parce que si son tandem avec Jean-David Levitte marche, la France pourrait bien avoir une diplomatie diablement efficace.

Eric Besson secrétaire d'Etat à la prospective et évaluation des politiques publiques. Cela veut dire qu'il va compter ses trente deniers, je suppose, et reste affecté au chiffrage. Spectaculaire trajectoire de l'auteur de "l'inquiétant Monsieur Sarkozy". Je ne luis prédis pas un long avenir au gouvernement, quels que soient ses qualités professionnelles. En politique, on aime les Timarque mais pas les Alcibiade.

Bernard Kouchner est le doyen du gouvernement à 67 ans, la cadette est Valérie Pécresse, qui fêtera ses 40 ans le 14 juillet prochain.

Reste à voir quels ministres survivront au remaniement de juin prochain, le gouvernement en place présentant traditionnellement sa démission après l'élection d'une nouvelle assemblée nationale.

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