Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 4 juin 2009

[Journée d'action des magistrats administratifs] Bienvenue dans l’univers fantastique des AJ !

Par une assistante de justice en CDD


Pour les non-initiés, l’ « Assistant de Justice » est un étudiant, titulaire d’un bac +4 en droit au minimum, auquel les juridictions (judiciaire et administrative) ont recours pour faire tout ce qu’un magistrat ne peut pas (faute de temps) ou ne veut pas faire. De la main d’œuvre à faible coût puisque notre salaire est … le SMIC. Au sein de la juridiction administrative, l’AJ est attaché à un président de chambre ou de tribunal, et a la charge de rédiger les « ordonnances », décisions par lesquelles le tribunal rejette la requête sans même regarder le bien fondé de la demande, parce qu’elle n’est pas introduite dans les formes requises (pas rédigée en français, défaut de conclusions, défaut de moyens… par exemple).

Lorsqu’il est devenu grand, c'est-à-dire lorsque son président estime qu’il est suffisamment qualifié, l’AJ peut être chargé du dossier dans son intégralité, sous contrôle d’un magistrat.



Ca, c’est la théorie. Mais tout bon juriste sait que de la théorie à la pratique, il y a beaucoup plus qu’un pas.



Car l’AJ près la juridiction administrative a une figure singulière. Il n’est en effet généralement plus étudiant. L’âge standard de fin d’études de droit, c’est 23/24 ans. Or, lorsque l’on veut être magistrat administratif, il faut attendre 25 ans pour passer le concours. Hé oui, c’est là l’une des bizarreries du concours de « conseillers de TA et CAA », et l’exception au sein de la fonction publique, un âge minimum. Trop jeune pour passer le concours, mais trouvant inutile de commencer une carrière ailleurs pour un ou deux ans, le jeune diplômé de droit public se tourne donc vers les postes d’AJ, si mal rémunérés, surtout que l’emploi est un temps partiel de 15 heures par semaine qui ne vous permet pas toujours d’exercer un autre « job », les incompatibilités étant similaires à celles appliquées aux magistrats. Beaucoup sont donc dans une situation précaire (après sondage, nous estimons les ¾ d’entre nous éligibles au RSA), ou encore chez papa-maman, alors même qu’ils ont tout le bagage nécessaire pour tenter leur chance directement au concours.

Mais ne désespérons pas ! La réforme du concours est annoncée… Avec introduction d’épreuves de culture générale et d’anglais, ce qui affole le diplômé des facultés de droit public : bah oui, la culture gé' (version concours administratif) ou l’anglais, c’est pas trop notre spécialité (ni celle des fac de droit d’ailleurs). Adressez vous à sciences po Paris pour ça, mais eux ne sont pas juristes…



Histoire d’en rajouter une couche sur le recrutement des magistrats administratifs, notons que parmi les effectifs, il y a des fonctionnaires en détachement, issus des autres grands corps de la fonction publique, certainement très compétents dans leur domaine, mais qui ne sont pas des « juristes », et qui ne savent pas faire la différence entre un moyen et une conclusion au début de leur fonction, malgré la formation intensive suivie, et finissent leur détachement sans avoir vraiment tout à fait saisi la distinction, pourtant fondamentale, entre le REP[1] et le plein contentieux[2]. Estimons nous heureux toutefois, ce ne sont là que des cas très minoritaires, et heureusement, les AJ sont là pour former leur magistrat (C’est du vécu!).

On peut aussi évoquer la figure de l’énarque ! Là encore, ne nous y trompons pas, ce sont des cas exceptionnels, mais qui font office de modèle. Car le recrutement « normal » du conseiller de TA se fait par la voie de l’ENA. Sauf que rares sont les énarques qui ont la vocation pour être juge administratif (sauf à sortir premier de LA grande école, et atterrir au CE). Souvent donc l’énarque fait une apparition éclaire au sein de la juridiction puis s’en va vers d’autres cieux plus glorieux (on rappellera qu’une ex-candidate à l’élection présidentielle fait partie du corps des conseillers de TA ; je vous demande pardon, elle n’a quasiment jamais exercé). Mais durant la transition, c’est sur les autres magistrats ou sur l’AJ que se reporte la charge de travail liée à l’absence de compétence juridique du dit énarque. Mais on ne peut véritablement le lui reprocher, car après tout, il n’a pas signé pour ça.



Alors pourquoi la juridiction administrative me direz vous ? Pour avoir passé quelques temps également dans l’ordre judiciaire, je dois avouer que c’est tout de même elle qui a ma préférence. Question d’affinité, peut être (bah oui, je suis une publiciste, et j’assume !). Mais il est aussi question de l’idée que l’on se fait de la Justice. La justice administrative est de qualité, encore relativement protégée (mais plus pour très longtemps) des manques de moyens et de personnel qui touchent gravement l’autre versant du 3° pouvoir. Chez nous, un dossier est vu au minimum par trois personnes : la greffière, qui reçoit la requête, en fait une première lecture, et donne la substance du dossier. Le magistrat rapporteur, chargé de faire à proprement parler le dossier et de proposer une solution aux deux autres magistrats de la formation de jugement. Et le commissaire du gouvernement, désormais rapporteur public, qui étudie une nouvelle fois le dossier, pour proposer publiquement et en toute indépendance SA solution du litige.

Lorsque la chambre ou le tribunal est bien géré, les dossier sont même tous vus par 4 ou 5 personnes : aux trois précédents, ajoutez l’AJ et le président de la formation de jugement.



Le justiciable peut donc être certain que sa voix a été entendue, et bien entendue. Souhaitons que cette situation perdure…

Notes

[1] Recours en Excès de Pouvoir : recours par lequel un administré demande au juge d'annuler une décision de l'administration le concernant plus ou moins directement.

[2] Dans ces recours, le juge ne juge pas simplement la légalité d'un acte. Il examine une demande portée contre l'administration, et a tous les pouvoirs d'un juge. Exemple : la mise en cause de la responsabilité des hôpitaux publics en cas d'erreur médicale.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Sudoku pendant que le rapporteur public parle

Par Granite Porphyroïde[1] , juge administratif


Me Eolas nous a proposé d’expliquer pourquoi nous ne remplissons pas des feuilles de Sudoku pendant que le rapporteur public parle. Je suis bien ennuyé pour répondre, car cette question renvoie à celle de l’utilité de l’audience dans un procès administratif, qui est faible à mon avis. Une présentation des acteurs est d’abord nécessaire.

Dans une chambre de tribunal administratif, il existe trois fonctions :
- le rapporteur, qui instruit les affaires, les enrôle à une audience[2] prépare une note analysant le bien fondé de la requête et rédige un projet de jugement ;
- le rapporteur public, qui présente des conclusions à l’audience sur le sens de la décision que devrait prendre, selon lui, le tribunal ;
- le président de la chambre, qui « révise » toutes les affaires.

Il y a en général deux rapporteurs par chambre. Ce sont eux qui détermine la productivité de la chambre, puisque ce sont eux qui décident quelles affaires enrôler.

Avant l’audience (entre 3 jours et une semaine avant) a lieu ce que l’on appelle une séance d’instruction (ou pré-délibéré et vous allez vite comprendre pourquoi). Lors de cette séance d’instruction, le rapporteur présente chacune de ses affaires, successivement mises en discussion. Son point de vue est notamment confronté à celui du rapporteur public (qui a déjà préparé ses conclusions en général, l’audience est une redite), ainsi qu’à celui du président.

Une curiosité : les trois personnes qui ont étudié le dossier (rapporteur, rapporteur public, président) ne sont pas les trois personnes qui délibéreront en fin de compte. Le rapporteur public n’a pas voix délibérative, et n’assiste d’ailleurs plus au délibéré.

Les trois personnes qui jugeront sont le rapporteur de l’affaire, le président de la chambre, et l’autre rapporteur, qui fait alors fonction d’assesseur, mot flatteur pour ne pas dire plante verte. Même avec la meilleure volonté du monde, il est parfois difficile de se faire une opinion sur un dossier que l’on n’a pas étudié, d’autant que les affaires qui passent devant la juridiction administrative sont généralement techniques, et qu’une audience peut être chargée. Pourtant, en cas de désaccord, c’est l’assesseur qui fera le partage, sachant qu’il peut être « mal vu » de « mettre en minorité » le président, c’est à dire de voter dans le sens contraire au sien. Certains présidents ne le supportent d’ailleurs pas ; certains assesseurs ne s’y exposent de toute façon pas.

Lors de la séance d’instruction une majorité sur une solution se dégage généralement. Il peut arriver aussi que l’on manque d’éléments pour décider. Dans ce cas, le juge peut faire une mesure d’instruction pour obtenir les éléments manquants. Mais, cela reporte bien souvent l’audience. Il peut aussi arriver qu’il n’y ait pas de majorité, notamment parce que la solution n’est pas nécessairement binaire (genre coupable / non coupable). Dans ce cas, la solution sera adoptée après l’audience, lors du délibéré.

Cependant, dans 90% des cas, une majorité est trouvée. Il peut y avoir encore des incertitudes sur la rédaction du jugement ou la manière de répondre à certains moyens. Mais le sens de la décision (annulation / rejet / condamnation à verser une indemnité) est acquis.

Dans ces conditions, l’audience ne sert pas à grand chose. Le sort du requérant est scellé mais l’on rend la justice dans les formes convenues.

Il n’y a rien de choquant à cela si l’on sait que la procédure est uniquement écrite. Ce qui veut dire que le requérant ne peut invoquer à l’audience de moyens nouveaux ou de faits nouveaux. Il peut simplement nous éclairer sur certains aspects du dossier. Mais, encore une fois, le contentieux administratif étant très technique, le factuel a peu d’importance. Cela ne veut pas dire que l’audience soit toujours inutile.

Il arrive (rarement) qu’elle fasse changer d’avis la formation de jugement[3]. En contentieux des étrangers, et surtout dans les contentieux d’urgence (référé, reconduites à la frontière) où la procédure est orale, l’audience a une réelle utilité. Pour le reste, c’est marginal.

Et pourtant, une succession de réforme a conduit à « dynamiser » l’audience. Le requérant a pu avoir à l’avance le sens des conclusions du rapporteur public pour pouvoir préparer ses arguments. Il peut envoyer une note en délibéré à la formation de jugement, après l’audience, pour attirer son attention sur tel ou tel point. Il peut désormais répondre au rapporteur public à l’audience, ce qui n’était pas le cas avant.

C’est salutaire mais le principe de la procédure écrite n’a pas été remis en cause. On est resté au milieu du gué : une importance nouvelle est accordée à l’audience, mais sans que cela change grand chose dans le traitement des dossiers. Dès avant l’audience, l’affaire est juridiquement figée. Dans ces conditions, l’audience s’apparente souvent à une pièce de théâtre, jouée pour le bénéfice des requérants, mais dont les principaux acteurs connaissent le texte à l’avance. Et si, malgré tout, on ne remplit pas des feuilles de sudoku pendant que le rapporteur public parle, c’est par respect du requérant.

Notes

[1] Le granite porphyroïde est un granite qui a en son sein des filons de porphyre, une roche magmatique filonienne, qui présente des grands cristaux de feldspath noyés dans une pâte aphanitique, faisant partie du groupe des andésites se présente essentiellement sous deux grandes formes : porphyre rouge antique, une andésite à faciès paléovolcanique dont les feldspaths et la pâte sont colorés par de l'épidote rose (piémontite), et le porphyre vert antique qui est une andésite à faciès paléovolcanique à pâte vert foncé, et à de nombreux grands cristaux de labradorite pseudomorphosés par de l'épidote vert pistache. Mentionnons aussi le porphyre bleu antique aussi appelé Estérellite. Le granit porphyroïde, tout particulièrement celui des Vosges (sous forme solide à Gerardmer et la Bresse, ou altéré et décomposé à Bains ou à Plombières), très utilisé au début du siècle dernier pour paver les villes, est très connu des étudiants en droit, pour son apport à la répartition du contentieux des contrats administratifs entre la juridictions administrative et la juridiction judiciaire.

[2] Non, il ne fait pas signer un contrat de 12 ans dans la Légion étrangères aux requérants pour se débarrasser d'eux. Enrôler veut dire inscrit au rôle, qui est le nom donné à la liste des affaires qui vont être examinée à une audience déterminée. Le terme de rôle a la même racine que rouleau : autrefois, on écrivait les listes et longs textes sur des rouleaux de parchemin, un peu comme les Sifrei Torah des synagogues. C'est de là que vient le terme enroler dans l'armée (le nom du soldat était inscrit au rôle du régiment, la liste qui servait à payer la solde) et le rôle du comédien, qui apprenait son texte sur des rouleaux manuscrits.

[3] Je confirme, ça m'est arrivé.Ce jour là, on sait qu'on a bien gagné ses honoraires de présence à l'audience.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Le petit rapporteur

Par Bill le Bottier, qui va se présenter lui-même.

Je suis rapporteur. Pas public. Je veux dire pas rapporteur public. Rapporteur tout court quoi !

A l'audience je suis celui qui fait un - bref - rapport. Oralement. Et publiquement.

Le rapporteur public lui, c'est différent, il conclue.

Et les parties répondent, publiquement, à ses conclusions.

Si elles le souhaitent. Parfois, en public, c'est pas facile de trouver ses mots.



Enfin, ça c'est pour le moment.

Parce que bientôt le rapporteur public conclura seulement quand il veut.

Du coup les parties répondront seulement quand le rapporteur public aura daigné leur adresser la parole.

Tant mieux, ça ira plus vite.



J'adorais ça au début. Je veux dire le métier. La justice.

Ca me stimulait.

L'éthique de la discussion, la collégialité, rendre la justice ... tout ça avait un côté exaltant.



Et puis c'est venu progressivement.

J'ai pas fait gaffe. Je crois même que j'ai cru pouvoir y échapper.

Et puis non.

A force d'augmenter les cadences, j'ai perdu le goût !

Plus le temps d'y trouver de l'intérêt.

Aujourd'hui je compte. Les dossiers.



D'ailleurs je ne dis plus que je rends la justice.

Juste que je travaille dans une juridiction.



Bon là il faut que je file en séance d'instruction.



La barbe.



J'ai plusieurs dossiers sur lesquels je sens bien que le rapporteur public va encore avoir des pions à avancer.

Faut dire qu'il est terrible, le mien. Il ne se contente pas de reprendre poliment ce que j'ai eu bien du mal à écrire.

Ah ça non !

Il se pique de donner son avis sur la pertinence de mes raisonnements !

On croit rêver ! Un morveux ! Il sort à peine de l'école.

Non, non y'a pas d'école chez nous !

Mais j'me comprends !



Quand je pense qu'en juge unique - avec ou sans rapporteur public - les jugements seraient déjà notifiés !

Le requérant n'aurait pas fait appel, faisant confiance à la justice de son pays.

Et moi je pourrais envisager sérieusement mes vacances.

Au lieu de les passer à réécrire des jugements parce la formation de jugement a décidé de me pomper l'air.



Et là on discute.

On retourne le dossier dans tous les sens.

Et voilà que machin donne son avis !

Personne ne le lui avait demandé pourtant.

Ah ça on pourra dire que la requête a été examinée sous toutes ses coutures !

Que la solution a été pensée, soupesée ...



En première instance, le but, c'est quand même que ça sorte non ?

On vide.

Et après les mécontents font appel. Enfin quand c'est possible.



Alors que là, on discute... on discute ...



Faudra que je parle de tout ça dans un groupe de travail !

Ca me fera sûrement du bien.



Parce que rapporteur - public ou pas, j'ai fait les deux - j'en ai marre.

Tout ce temps dans les mêmes fonctions : j'en peux plus !

Bientôt président.



Enfin tranquille.

Je crois.

Non ?

Comment ça il faudra donner la cadence ?

Et pourquoi pas sonner du clairon ?

[Journée d'action des magistrats administratifs] Mais que veulent ces juges sans robe ?

Par AD, Aide à la décision


Mais que veulent ces juges sans robe ?



Pour vous aider à comprendre les billets des magistrats, un petit lexique :



Aide à la décision (AD)



L’aide à la décision comporte les assistants de justice, certains fonctionnaires du greffe, des vacataires et stagiaire. Leur but est de décharger les magistrats d’une partie de leur contentieux.



Je suis un de ces «aide à la décision ». Je fais ce que les magistrats n’aiment pas faire, c'est-à-dire le contentieux de masse.



Qu’est ce que le contentieux de masse ? C’est un contentieux qui ne présente aucun intérêt pour les magistrats, sauf pour les stats.



Le contentieux de masse comprend, entre autres, le contentieux des APL (REP et plein contentieux), les permis de conduire, certains dossiers de pension (en particulier ce qui concerne les refus de bonification de pension pour enfants à charge) et les ordonnances de l’article R222-1 du code de justice administrative[1]

Certains dossiers d’étrangers sont également traités par les AD.



Pour donner un exemple concret : si vous être un conducteur contestant une décision d’annulation du permis de conduire ; ne vous faites pas d’illusion, votre dossier ne sera pas instruit par un magistrat. Un magistrat va relire le projet de jugement, le corriger plus ou moins (plutôt moins) et le signer, mais il sera instruit par un « aide à la décision ». (Pourquoi ? voir le mot "stats").



Conditions de travail



Les conditions de travail changent énormément d’un tribunal à un autre, voir d’une chambre à l’autre.

Les assistants de justice du TA de Paris ne travaillent pas dans les mêmes conditions que ceux d’un petit TA de Province. A Paris, ce sont des numéros parmi d’autre.



Pour ma part, je n’ai rien à redire : l’ambiance est très bonne dans la chambre et dans le tribunal.



Le principal problème reste la taille et la disposition des locaux. : Trop petit et mal organisés. On perd du temps à se promener dans le Tribunal et chercher les dossiers.



Greffe



Maillon indispensable et essentiel de la chaîne de jugement. C’est le véritable rempart entre l’extérieur et les magistrats (et aides à la décision).

Le greffe s’occupe de mettre le dossier en état d’être jugé. Il est également garant du respect du contradictoire.

Ce sont surtout des spécialistes de la procédure, des spécialistes qui examinent les requêtes sous toutes les coutures (pourquoi ? voir "stats").



J’en profite pour donner un conseil aux avocats et intervenants qui déposent des mémoires. Merci de bien respecter les consignes : établissez une liste de vos pièces jointes, numérotez-les, etc.

Mettez-vous les greffiers à dos (ça arrive à certains avocats) et vous risquez d’avoir des demandes de régularisation très souvent et de voir des dossiers atterrir sous la pile.



Informatique



En train de se mettre en place…

Les magistrats tapent tous leurs jugement eux même… Dans certains endroits, on développe l’accès à distance et le travail à domicile. Ces endroits sont encore très rares.

Dans les juridictions parisiennes, les requérants pour le contentieux fiscal peuvent saisir les juridictions par téléprocédure. (pourquoi ? voir "stats").



Stats



Vaste sujet… Les stats, c’est la raison d’être de tous.

Sortir un maximum de dossiers en un minimum de temps… Tenir les objectifs du projet de juridictions (sorte de contrat d’objectif pour la juridiction)…



Donc, la technique est simple : Travailler avec des aides à la décision, privilégier les ordonnances et les dossiers de JU (Juge Unique)



Il faut bien comprendre que le but des greffiers, aide à la décision et magistrat est d’amener le moins de dossiers possible à l’audience.



Une audience, c’est au minimum deux magistrats (un président et un rapporteur public) et un greffier. Le coût d’un jugement est donc supérieur à une ordonnance.

Une ordonnance est également traitée beaucoup plus rapidement qu’un jugement. On réduit donc le temps moyen de traitement d’un dossier.



Et travailler avec les AD peut être très rentables : On peut tourner à 100 dossiers par mois (dans les bons mois) et par aide à la décision.



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Pourquoi les magistrats font-il grève demain ?



Avant tout, je pense que le mouvement sera peu suivi (quoique si cinq magistrats font grève, ça fait un quart de grévistes sur le tribunal). Le contexte n’est pas le même que chez les p'tits pois d’en face : les magistrats administratifs sont moins exposés à la presse et aux critiques des politiques que les magistrats judicaires et il n’y a pas la question de la privation de liberté (sauf pour les RAF (reconduites à la Frontière) ou les référés liberté).

Le juge administratif est plutôt discret : ils n’ira pas manifester… Et même s’il le faisait, je ne pense pas que 15 personnes sans robes devant un bâtiment anonyme vont attirer la presse. De plus, les avocats ne seront pas solidaires : on les empêche de parler devant la juridiction administrative.



Les contraintes procédurales ne sont pas les mêmes non plus : la procédure est essentiellement écrite, les parties ne peuvent que produire de «brèves observations orales » à l’audience. D’ailleurs, il est indiqué sur les avis d’audience que la présence n’est pas obligatoire. Les audiences sont donc relativement courtes (on arrive à traiter 120 dossiers en une heure…). Il n’y pas de date limite pour lire les jugements[2].



La grève n’est pas une grève pour avoir plus de salaire… Ce n’est pas pour avoir moins de travail pour avoir le temps de glander.



Je sais que le slogan est « jugez vite, nous (le Conseil d'État) jugerons bien »… Mais les magistrats du STACAA ( service des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, prononcez « sta-ca-ha ») veulent juger bien… Donc, on emploie des AD pour pré-macher le travail.



La grève est là pour que chaque magistrat ait moins de dossier à sortir et plus de temps de traiter les correctement, pour que l’on consacre le temps nécessaire à chaque justiciable.



La grève est là pour qu’il y ait également plus de personnel dans les greffes et pour avoir le temps de mieux encadrer les aides à la décision.



Cela signifie qu’il faut soit avoir plus de personne, soit moins de matières à traiter, alors que l’inverse se produit : on réduit le nombre de magistrats et on augmente le nombre de contentieux (ex : le DALO, Droit Au Logement Opposable).

L’augmentation du nombre de dossiers devant les juridictions administratives dépend également des réformes annoncées dans d’autres administrations (confiscations des véhicules pour les conducteurs avec un permis annulé, déclaration d’impôts sans signature électronique, stats pour les arrestations d’étranger).



Pour résoudre le problème, le gouvernement créer des réformes : on remplace les invitations à quitter le territoire français (IQTF) et Arrêtés de reconduite à la frontière par voie postale par les Obligations de Quitter le Territoire… que viendra-t-il après ?



S’il fallait donner une revendication pour cette grève : avoir le temps de bien juger.

On pourrait créer un nouvel article dans le CJA, pour les magistrats administratifs.

Lorsqu'un nouveau conseiller arrive à son poste, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans tous les bureaux de la juridictions :

« La loi ne demande pas compte aux juges administratifs des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une statistique; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes, dès l'affectation du dossier, dans le silence et le recueillement de leurs bureaux et de chercher, dans le respect de la cadence, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les moyens soulevés contre l'administration et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Pouvez-vous juger rapidement ?" »

Si jamais le Conseil envisageait de créer un groupe de travail pour adopter ce texte, je rappelle que je ne suis pas sur mon lieu de travail. Merci de transmettre les droits d'auteurs à Eolas qui transmettra...

Notes

[1] Ces ordonnances visent à statuer sur un dossier sans l'envoyer à l'audience, soit que le recours soit manifestement irrecevable soit qu'il soit manifestement infondé ce qui commence à poser problème : ces ordonnances excluent tout débat sur ce sujet.

[2] Les juridictions administratives statuent traditionnellement par un “ Il en sera délibéré ” sans plus de précision.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Je suis devenu juge administratif un peu par hasard…

Par Juge Public


Je suis devenu juge administratif un peu par hasard, sans l'avoir anticipé... Il faut dire que « juge administratif », comme métier, c'est pas super affriolant a priori... ça fait pas rêver les foules... La preuve, peu de parents ont un jour entendu leur petit leur affirmer, les yeux brillants : « Papa, maman, quand je serai grand, je serai conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d'appel ! ». Ouais, parce que c'est comme ça qu'on s'appelle en vrai.

Et pourtant... Moi je l'adore mon métier ! Il me passionne !

Mais c'est un peu comme un secret, personne ne nous connaît, personne ne sait ce que l'on fait, à quoi l'on sert... Et en plus, personne ne nous croit quand on tente d'expliquer... Ah ! le visage incrédule de l'imprudent qui vient de nous demander : « Et, toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? ». Parce que, soit on explique pendant trois heures et ça plombe la soirée, soit on reste évasif, tout en étant obligé de jurer sur la tête de toute la famille (et encore, ça ne semble jamais assez !) que oui, ON EST INDEPENDANT, bordel !!! Et que non, le préfet ne nous appelle pas pour nous dire ce que l'on doit juger... et pour cause ! On l'annule, des fois, le préfet (enfin... ses actes). Et quand on est, comme moi, « rapporteur public » (l'ex- très mal nommé « commissaire du gouvernement »), c'est mission impossible pour faire comprendre qu'on n'est pas un procureur... et que l'on ne reçoit d'instruction de strictement personne... et qu'on n'est à l'initiative d'aucune procédure, ni d'aucunes poursuites...

Mais, alors, à quoi sert-il ce rapporteur public ?

Tout d'abord, son rôle diffère dans la pratique, selon que l'on se trouve au Conseil d'Etat, en cour administrative d'appel ou en tribunal administratif. En effet, plus on monte dans la hiérarchie des juridictions administratives et plus le nombre de personnes qui travaille chaque dossier est important (pour schématiser, l'on peut dire qu'en général, un dossier est travaillé par un rapporteur, puis un président révise le travail fait par le rapporteur et, enfin, le rapporteur public travaille le dossier). Au Conseil d'Etat, le rapporteur public a pour rôle essentiel de rappeler la jurisprudence, de proposer éventuellement une évolution de cette jurisprudence et d'indiquer, en tout indépendance (j'insiste !) la solution qui lui semble devoir être adoptée sur le dossier en cause.

En tribunal administratif, le rôle du rapporteur public est moins noble... Mais néanmoins absolument nécessaire... C'est son existence qui fait la particularité de la juridiction administrative et qui permet de préserver la qualité de ses décisions.

Je m'explique : en principe (c'est-à-dire sauf procédures d'urgence et requêtes irrecevables « sorties » par ordonnance) chacun des dossiers traités par les rapporteurs passe dans les mains du rapporteur public qui devra « conclure » dessus à l'audience. Chaque dossier bénéficie donc d'un double regard (le troisième regard, celui du président de chambre, étant de plus en plus rare et surtout rapide car les présidents en tribunal manquent cruellement de temps en raison des procédures d'urgence qu'il doivent assumer seuls - en tout état de cause, il est aujourd'hui rarissime que le président voie le dossier avant le rapporteur public).

Le rapporteur ne peut donc pas faire n'importe quoi avec son dossier, puisqu'il sait qu'un autre que lui l'ouvrira et regardera son travail. Pour autant, le rapporteur public n'a aucune supériorité hiérarchique sur les rapporteurs. Il s'agit purement et simplement d'un collègue, qui peut avoir moins d'ancienneté, à qui ces fonctions ont été confiées par choix du président du tribunal ou de la cour (en fait, de choix, il y a peu, puisqu'en général, on cherche les candidats !).

La nomination relève donc de la pure organisation interne et chacun exercera en principe au moins une fois les fonctions de rapporteur public dans sa carrière, ne serait-ce que pour savoir ce que ça fait ! Parfois peu de temps, parfois des années... C'est une question de personnalité, de caractère, d'organisation de son travail (les êtres bizarres qui parviennent à s'avancer dans leur travail et à avoir « des audiences d'avance » rechignent en général à exercer ces fonctions qui obligent à travailler à flux tendu...).

Ainsi donc, un dialogue va nécessairement s'engager entre ces deux collègues qui travaillent, successivement, les mêmes dossiers. Ce dialogue a bien sûr lieu dans les couloirs, autour de la machine à café,... Mais surtout lors de la journée (ou de la demie-journée, cela dépend des chambres et des tribunaux) consacrée à ce qu'on appelle le « pré-délibéré » ou « l'instruction », qui est une réunion pendant laquelle le président, les rapporteurs et le rapporteur public se réunissent et parlent ensemble de tous les dossiers inscrits à l'audience à venir (donc, à l'audience, l'ensemble de la formation de jugement a déjà connaissance de chacun des dossiers, mais cela ne veut pas non plus dire que les affaires sont déjà jugées : un nouveau débat s'engage, tout aussi animé, mais cette fois hors la présence du rapporteur public, après l'audience, lors du délibéré).

C'est là une particularité de la juridiction administrative : la réalité, l'effectivité de la collégialité. Et elle ne peut vraiment exister que parce que deux personnes au moins ont vu le dossier et qu'un débat réel peut donc avoir lieu. L'existence du rapporteur public en tribunal administratif fait obstacle à ce qu'un rapporteur expose, seul, le contenu d'un dossier en sachant que personne ne pourra le contredire...

Et la collégialité, c'est la meilleure garantie que je connaisse contre l'erreur et l'arbitraire !

Alors voilà, nous faisons grève aujourd'hui pour dire que l'on voudrait (un peu) plus de moyens pour continuer à juger en réelle collégialité sur TOUS les dossiers, parce que c'est la garantie de la qualité de notre justice. Et c'est cette qualité qui nous motive, qui nous rend fiers de notre travail et qui nous donne envie de continuer, même si personne ne sait qui nous sommes...

[Journée d'action des magistrats administratifs] Notre drame tient en un mot

Par un magistrat désabusé

Suite au message de Me Eolas s'étonnant de ne rien recevoir sur son blog, et devant le silence de mes collègues certainement fort occupés par l'instruction de leurs dossiers, je me lance, en regrettant qu'un débutant comme moi doive s'y coller alors que tant de vieux briscards qui auraientd es choses passionnantes à dire restent cois.

Notre drame tient en un mot : la statistique. La statistique et sa maman productivité.

La statistique, qui met en évidence des délais de jugement considérés comme inacceptables par le justiciable et les représentants du peuple qui votent nos budgets. Un délai de jugement est toujours trop long quand il excède quelques mois (hors urgences) et peut faire perdre beaucoup de son intérêt au jugement finalement rendu, alors que l'indu d'APL a été récupéré par la CAF depuis bien longtemps, alors que l'autorisation d'exploiter demandée a été rejetée 3 ans plus tôt, bref, alors que les carottes sont cuites. Tout magistrat qui se respecte en est bien d'accord et le déplore amèrement, mais il ne peut pas, avec le stock de dossiers dont il hérite (cela varie énormément d'un tribunal ou d'une chambre à l'autre, pour ma part c'était un peu plus de 300 quand j'ai démarré, mais les tribunaux d'Ile-de-France traitent des masses de dossiers qui n'ont rien à voir), les urgences à traiter d'abord et qui ne cessent de croître (référés, reconduites, DALO, OQTF à juger en 3 mois), et les vieux dossiers prioritaires, il ne peut pas, donc, accélérer autant qu'il le voudrait la manoeuvre. Les recrutements supplémentaires ne permettent malheureusement pas d'absorber ce contentieux de l'urgence croissant d'autant plus vite que l'Etat français s'est fixé des objectifs quantitatifs de reconduites à la frontière. La tendance était de toutes façons, avant le développement de cette politique, à l'accroissement du contentieux de l'urgence, qui répondait au besoin de préserver les droits des justiciables malgré les délais de jugement (qui se sont certes, réduits, mais pas assez). En résumé, la gestion par des objectifs quantitatifs dans une administration donnée fait naître inéluctablement le souci de mesurer et de piloter à grands renforts de stats' le travail des juridictions. C'est la maladie du siècle. Elle a ses bons côtés, mais elle nous en montre ici de mauvais.

Bref, malgré un effort quantitatif important, permettant la réduction des délais de jugement ou le maintien à peu près à flot des statistiques des juridictions submergées de recours contre les RAF (reconduites), OQTF et refus de titre de séjour, effort piloté grâce à des objectifs quantitatifs (n dossiers pas an et par magistrat, chacun devant finir, par exemple , les requêtes enregistrées en telle année) fixés aux magistrats par leur président de juridiction, le gestionnaire , à savoir le Conseil d'Etat, a dû se rendre à l'évidence : ça coince. Il y a un moment où un magistrat atteint son pic de productivité et où la bête, ensuite, ne lit ou n'écrit plus assez vite (ne parlons pas de réfléchir, même si la majorité d'entre nous y tient beaucoup) pour mener à bien le combat contre cette foutue stat'. (et pendant ce temps-là, les shadocks pompent pour augmenter le nombre de recours à l'autre bout de la chaîne : il faut donc réagir, et vite.)

QUe voulez-vous que fasse le gestionnaire ? Il fait avec ce qu'il a sous la main. En l'absence de recrutements lui permettant d'"éponger" le flot des requêtes et d'éviter la noyade, il décide de changer la méthode de travail.

Or, en quoi consiste la méthode de travail ? pour le contentieux de droit commun ( de mémoire, il ne concerne désormais plus que 30 % des requêtes) , il s'agit de faire instruire le dossier par un rapporteur, qui passe la balle à un rapporteur public qui examine le dossier à son tour, voire, en plus, à un réviseur (luxe ! ) qui fait ce que son nom suggère : il révise le dossier. Ensuite, la chambre/ section/ sous-section selon les degrés de juridiction se réunit et tout le monde discute des dossiers de tout le monde. Moralité, dans une juridiction de première instance, deux personnes au minimum ont examiné de façon approfondie le dossier, et ensuite le débat se déroule en formation collégiale, en séance d'instruction, ou en délibéré, ou pour les plus fêlés d'entre nous et les dossiers les plus difficiles, lors de ces deux séances. Quand la décision est arrêtée, il faut encore relire le dossier, de nouveau à deux, avec le président de la formation de jugement. Bref, au bout du compte, si tout va bien le dossier est bien traité, les points de droit correctement examinés, et l'appréciation des faits âprement discutée s'il y avait un doute.

Dans notre société où un sou (pardon , denier public) est un sou, du moins quand il s'agit de justice, (mais ailleurs aussi) et où les juridictions peinent à écluser ce "stock" contentieux qui ne cesse de s'accroître, cet entêtement à bien faire les choses passe pour un luxe criminel. En outre, le rapporteur public et le président de la formation de jugement parfois réviseur, doivent éplucher pour chaque audience les dossiers de chaque magistrat. à raison de 9 à 10 dossiers par magistrat et par audience, si on se met à balancer des marchés publics en veux tu en voilà, la situation devient intenable, non seulement pour le rapporteur qui peine sur sa stat' , mais surtout pour le rapporteur public et le Pdt de la formation de jugement.

Bien sûr, je ne parle pas ici des référés (juge unique car juge de l'urgence, on comprend la raison), ni de la reconduite à la frontière, ni des dossiers promis à l'ordonnance parce que la requête est irrecevable (sur l'appréciation de cette irrecevabilité, il pourrait y avoir des choses à dire, mais passons), la juridiction administrative, incompétente, etc..Je parle de ce truc qui s'appelle la collégiale et qui rend nos stats' si déplorable selon le gestionnaire.

Il a donc été décidé de changer la méthode de travail. Cela a commencé, bien sûr par tous les contentieux relevant du R 222-13 du CJA, contentieux relevant désormais du juge unique qui officie avec un rapporteur public. Ca fait encore trop, apparemment. On a donc refilé des dossiers aux assistants de justice, qui font ce que l'on appelle pudiquement de l'"aide à la décision" : en gros, ils préparent un projet de jugement et une note, qu'ils passent au rapporteur, chargé de les relire attentivement. Ce procédé, utile pour une vraie série où le rapporteur ne ferait que de la dactylo une fois jugée la tête de série, me paraît nettement plus discutable dans les OQTF. Mais passons, et gageons que nos collègues qui bénéficient d'une aide à la décision ont toujours le temps de relire convenablement les assistants de justice. Cependant, cela ne suffit toujours pas, le contentieux s'entasse, le justiciable s'énerve, le parlementaire grince des dents, et le gestionnaire consciencieux s'affole. Pour que le rapporteur public puisse encore accomplir pleinement sa tâche, comme on ne peut pas augmenter la main d'oeuvre, l'idée est donc de réduire le nombre de dossiers où ce rapporteur public intervient. Quant à la collégiale, même topo : voyez le temps que l'on gagnerait si au lieu de se réunir pour discuter de chaque dossier, on se limitait à ceux qui en "valent la peine" !

Mais comment fait-on, me direz-vous, pour déterminer les dossiers qui "valent la peine" de ceux qui ne "valent pas le coup" ? Et, au fait, quelle était la justification de l'existence de la collégiale ?

C'est ici que nous sommes confrontés à un véritable " choc des civilisations" : la culture du magistrat de base, ses principes, l'amour de son métier, qu'il l'ait choisi en connaissance de cause ou pas, (le résultat est souvent le même au bout du compte, car, ne serait-ce ce problème de statistique, c'est un métier très attachant) tout le pousse à rejeter l'idée selon laquelle certains dossiers (et derrière le dossier, il y a parfois des injustices, des malentendus, des drames) mériteraient moins la collégiale que d'autres.

De fait je l'ai souvent constaté : un dossier apparu comme simple dans la solitude du bureau, peut devenir un sacré sac de noeuds après son passage devant le rapporteur public ou en séance d'instruction, et vice versa. La collégiale met un coup de projecteur sur les ambiguités et incertitudes que la pression statistique pourrait masquer, et dépasse, s'il le faut en votant, la perplexité du magistrat confronté à un sac de noeuds juridique.

Autrement dit, elle est salutaire, et garante d'une certaine harmonisation - et donc de l'équité- des jugements rendus par une juridiction. Brassens disait qu'à plus de quatre on est une bande de cons. certes, cela arrive, mais cela arrive encore plus vite quand on est tout seul, et , reconnaissons-le d'expérience et de compétence diverses sur un contentieux donné. Bref la collégiale rétablit une forme d'équilibre.

Mais voilà : nous avons un autre problème. Notre gestionnaire bien aimé, lui, en qualité de juridiction suprême, traite des "vrais " dossiers, compliqués, médiatiques, bourrés de questions juridiques nécessitant l'attention des plus hautes sommités intellectuelles de l'Etat, ou du moins de l'administration, des types brillants triés sur le volet à la sortie de l'ENA. Comment peut-il comprendre deux secondes que de "pauvres" dossiers d'APL ou d'OQTF puissent nous retenir plus de deux minutes ? il ne comprend pas. A la limite, il peut trouver cela inquiétant. Mais voilà, il se trouve que le juge de première instance , lui, récupère des dossiers sans moyens bien qualifiés, avec des faits pas toujours clairs (ce que la réalité peut être emmerdante à ne pas vouloir se plier à nos belles catégories juridiques) , des documents un peu limite, des experts qui se contredisent. Il a pris la fâcheuse habitude de ne pas se ruer sur la solution juridique et de prêter attention à ce flottement entre ce qui est établi et ce qui ne l'est pas, à demander des pièces pour vérifier ou s'ôter des doutes, il a appris en s'y cassant les dents que son métier de juge de première instance était de déblayer, de vérifier, de qualifier, et seulement ensuite de répondre. Cela arrive moins souvent au juge d'appel et de cassation, plus souvent saisi de questions de droit, si le travail de 1ère instance a été bien fait ou si le dossier n'est pas trop complexe.

Alors forcément... il y a un hiatus dans la vision du métier entre le juge de cassation et celui de 1ère instance ou d'appel. Dans le fond, nous ne faisons pas exactement le même métier. Qui plus est, un magistrat de 1ère instance ou de cour d'appel a à peu de chances d'exercer son métier en qualité de juge de cassation, dès lors que ces deux catégories en relèvent pas du même corps d'administration et que le Conseil d'Etat est plus ouvert aux administrateurs civils qu'aux magistrats de TACAA. Pour ne rien arranger à nos problèmes de compréhension, évidemment, un membre du conseil d'état a à peu près autant de chances de travailler en qualité de rapporteur dans un TA que de faire pom-pom girl lors d'une rencontre de football américain.

Aurions-nous évité cette grève si ce fossé n'existait pas, ou bien la préoccupation du gestionnaire l'emporterait-elle sur le souci d'équité qui nous anime, et qu'il prend peut-être pour de l'attachement au "confort" de notre travail - qui n'est désormais plus du tout confortable ?

[Journée d'action des magistrats administratifs] Je crois que je vais jouer au roseau encore longtemps

PAr Naya


J’exerce mes fonctions dans un tribunal de taille moyenne qui affiche des délais de jugement « raisonnables » (un peu moins d’un an en moyenne), ce qui nous protège, moi et mes collègues, pour l'instant des dérives que l’on peut observer dans des juridictions surchargées de vieux et moins vieux dossiers.

Je me débrouille d’ailleurs pour « avoir de l’avance » c’est à dire travailler les dossiers avant qu’ils soient enrôlés, ce qui me permet de faire toutes les mesures d’instruction nécessaires sans avoir peur de provoquer un renvoi de l’affaire pour respecter le principe du contradictoire. Ainsi, je peux donner dans certain dossier tout son sens au caractère dit inquisitoire de l’office du juge administratif et c’est bien plus intéressant de juger ainsi, avec toutes les pièces nécessaires à la bonne compréhension du litige…plutôt que de jouer à chat perché avec la dialectique de la preuve ! Mais bon, encore faut-il avoir le temps, ne pas être noyé dans les dossiers… Alors, je ne prends pas forcément toutes les vacances auxquelles j’ai droit conformément à mon statut, je ne lis pas régulièrement les revues juridiques qui me permettraient de suivre les évolutions législatives et jurisprudentielles… Ma situation professionnelle, tant sur le plan de la charge du travail (qui est conséquente, mais me permet encore d’avoir des activités extra-professionnelles) que sur le plan des rapports avec mes collègues (sympatiques) est satisfaisante.



Pourtant, pourtant j’ai souvent la rage au ventre quand je pense à mon métier ou que j’en parle, quand je pense à ce qu’il devient dans les grosses juridictions, ce qu’il pourrait devenir dans les moins grosses …



1.La conception qu’ont nos dirigeants (chef d’Etat et gouvernement) de la Justice me met en colère. Je ne m’étendrais pas trop longtemps sur ce point, votre blog l’illustre assez régulièrement. Il y a en particulier cet attachement presque sacré aux chiffres, véritables dieux auxquels doit obéir toute gestion quitte à faire disparaître toute autre valeur.

Mais la position du conseil d’Etat, représenté par son vice-président ne font qu’accroître cette colère.

On pourra toujours dire que le conseil d’Etat ne décide pas des moyens que l’on veut bien accorder aux juridictions administratives, c’est tout de même lui qui prépare les réformes qui vont faire de ces juridictions des purs lieus de théâtre pour certains contentieux. Les membres du conseil d’Etat semblent bien se moquer de la justice, ce qui les intéressent c’est le droit. Et c’est bien ce qui rend leur position impardonnable, eux qui siègent au sein d’une cour suprême. A entendre ces grands modernisateurs de la juridiction administrative, seule la question de droit épineuse mérite une décision prise en collégialité ou un regard attentif d’un rapporteur public ; l’appréciation des faits, qui peut bien être la qualification juridique d’une situation au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, serait d’une importance de second rang qu’un juge devrait donc traiter seul avec toute sa subjectivité et dans la précipitation que lui impose la course aux dossiers (c’est à dire sans la sérénité ni le recul si nécessaire à la prise de distance avec nos propres préjugés).

La manière dont le conseil d’Etat parle du contentieux d’étranger me révulse. Il est révélateur d’un profond décalage avec ma conception de la justice, la place de celle-ci dans la société. La partie noble du métier du juge est, selon moi, celle qui l’amène à sauvegarder les libertés et les droits fondamentaux des personnes, celle qui le fait être un élément essentiel de la paix sociale. Et parce qu’il est selon moi important de penser le juge et sa fonction au sein de la société et non au sein d’un club de juristes, un dossier portant sur le droit au séjour d’un étranger en France où sur la mutation d’un agent public ne posant aucune question de droit en tant que telle peut être bien plus important qu’un dossier de marché public techniquement très compliqué.



2.Mais ma colère ne vient pas que des faits et gestes des gens de là haut…elle est également suscitée par le comportement d’un nombre important de mes collègues qui s’illustrent par leur lâcheté ordinaire, leur individualisme, leur carriérisme ou parce qu’ils se sentent autant juge qu’un sous préfet (d’ailleurs certains passent d’une fonction à l’autre sans être pour autant gênés). Comment comprendre que dans les grandes juridictions, des dérives importantes ont cours sans que les membres de ces juridictions s’en émeuvent ? Comment comprendre que si peu de personnes exerçant les fonctions de juge manifestent leur attachement aux garanties du droit au recours effectif lorsqu’on annonce une réforme qui peut avoir des conséquences si désastreuses pour la réalité de la justice administrative, lorsqu’on annonce une gestion des juridictions dirigées principalement par le nombre de dossier « à sortir des stocks » ?

C’est bien beau de râler dans les couloirs et de briller dans les soirées mondaines en se drapant du statut du juge, ça devient carrément dégueulasse quand dans le cadre de ses fonctions, on n’ose pas ou on ne se fatigue pas à dire non à la farce à laquelle on veut nous faire jouer (par exemple, prétendre juger quand on ne fait que signer des jugements rédigés par des vacataires en ayant regardé 5 minutes le dossier, être content des statistiques du tribunal alors qu’un nombre anormal d’affaire est réglé par des ordonnances de rejet… pour ne citer que quelques exemples de ce grand numéro de cirque que l’on nous propose).

Je remercie quand même au passage les collègues qui ont compris que le métier de juge était un grand métier, un métier de combat, même dans un bureau silencieux devant un ordinateur, et dont la présence est indispensable à mon moral.



3.Je pourrais également parler de la colère que suscitent certains avocats… bien que ça puisse être mal pris sur ce blog. Ah, ces auxiliaires de justice qui se contentent de raconter la vie de leur client en finissant par un « c’est pas juste », qui travaillent tellement bien leur dossier qu’ils arrivent à nous soutenir qu’un homme de nationalité angolaise qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement qui le destine vers l’Angola craint pour sa vie en cas de retour en Guinée… ces chers partenaires qui nous émeuvent par la citation de disposition du code du travail pour défendre des fonctionnaires…Bien évidemment, il ne faut pas généraliser, je connais pas mal de bons avocats, de très bons même, et de moins bons mais qui font un travail honnête…mais au nom du libéralisme qui imprègne la profession, il est quasiment impossible de protéger les justiciables d’avocats qui ont une notoriété d’escrocs au sein d'un tribunal, à tel point que l’on lance des paris à qui arrivera à annuler une décision contestée par une requête de Me untel…



4.A tout ça, s’additionne le mal-être qui naît chez moi quand je me retrouve à devoir vérifier la légalité de décisions prises en vertu de lois que je considère comme injustes. Alors même que j’ai fait grève contre le juge unique en 2007, je regrette parfois amèrement de ne pas être seule à pouvoir décider dans des affaires du contentieux d’étranger…



Voilà, je fais grève jeudi 4 juin pour les raisons qu’a avancées l’USMA, avec toute ma colère, parce que je tiens à l’existence d’une véritable justice dans notre pays comme à la prunelle de mes yeux.

En fonction des jours j’oscille entre la furieuse envie de changer de métier et la furieuse envie de me battre pour que ce métier corresponde le plus possible à mon idéal de justice et parce que j’y ai mis le sens de ma vie je crois que je vais jouer au roseau encore longtemps.

[Journée d'action des magistrats administratifs] Le clan des portes fermées

Par Pea n°251, juge administratif''


6 heures : « ... sur le quart nord-ouest de la France, avec quelques éclaircies en fin de journée. Côté températures, elles seront en légère baisse... ». Tu tapes sur le radio réveil jusqu'à ce qu'il s'arrête, le reprogramme pour ton amoureuse une heure plus tard, sautes du lit avant de changer d'avis, fonces sous la douche pour finir de te réveiller, enfiles tes vêtements préparés la veille, avales une grande tasse de café soluble (pas terrible, ça fait un moment que tu dois acheter une cafetière expresso) accompagné d'une poignée de croquettes prédigérées spécial petit déjeuner qu'on appelle communément céréales, hésites entre deux paires de chaussures (les mocassins noirs ou les marrons à lacet) comme si c'était le moment, embrasses tes chérubins dans leur sommeil et sors dans la fraicheur d'une aube nouvelle.

7h45 : tu es devant la porte du tribunal, tapes machinalement le code « 34JA», 34 comme le n° 34 de la rue du Paradis, adresse de ton lieu de travail et J A comme juridiction administrative, un code facile à se remémorer, le même depuis des années. Tu s renoncé à t'interroger sur son efficacité contre les éventuelles intrusions, personne n'ayant à ce jour tenté de voler les dossiers (dommage, autant de moins à faire !) ou les ordinateurs. Tu passes à ta case, oui, comme les profs ; pourtant et contrairement à eux tu as un bureau, et, s'il te plait, un bureau pour toi tout seul, mais on ne va quand même pas te monter ton courrier ou tes dossiers, faut pas pousser Mémé dans les orties. Quand ça déborde, on annexe l'appui de fenêtre tout près, à moins de finir par tomber sur un greffier compréhensif ou courageux qui apporte la pile tant attendue.

Dans l'ascenseur, tu voyages avec les poubelles qui se promènent d'étage en étage : la femme de ménage trouve qu'il est plus commode de les stocker provisoirement à cet endroit en attendant de les sortir. De 6 à 8, c'est son créneau horaire, t'as qu'à pas arriver si tôt.

Tu longes le couloir dans le noir à cause de cette fichue minuterie qui n'a pas été reliée à un détecteur de présence (trop cher).Tu arrives à ton bureau, il était temps, la pile a failli tomber plusieurs fois. Si ça tombe, c'est l'horreur, les dossiers se mélangent et il faut tout retrier. C'est pourquoi depuis longtemps tu as pris l'habitude d'élastiquer systématiquement tes dossiers, mais c'est fou ce que les élastiques peuvent disparaitre lorsque les dossiers circulent entre le greffe et le bureau du courrier. Tu allumes l'ordinateur qui s'échauffe pendant cinq bonnes minutes avant d'être opérationnel, téléchargeant des mises à jour diverses, te laissant ainsi le temps d'attaquer la pile. Un dossier te revient, l'ordonnance de clôture que tu avais demandée a été faite, il en rejoint une bonne vingtaine sur la table de décharge derrière toi, à étudier dès que la date de clôture sera dépassée. Le suivant : M. Jsuipapressémékanmaime te demande quand tu as l'intention d'enrôler son affaire, qui a bientôt deux ans ; est jointe la question du greffier : keskonluirépon ? Coup d'œil rapide : M. Jsuispapressémékanmaime n'est pas très âgé et ne donne pas de motif particulier comme un problème financier ou de santé qui justifierait un enrôlement plus rapide que la moyenne. Tu réponds au greffier : « encombrement du rôle » (parfois tu mets « comme d'habitude » mais là c'est un nouveau alors il risque de pas savoir) et tu ajoutes un commentaire à son intention : « j'ai encore une centaine de dossiers plus anciens ». Tu as 423 dossiers collégiaux en stock, soit si on part sur une hypothèse haute de 10 dossiers par audience à raison de 20 audiences par an plus quelques ordonnances, en supposant qu'on ne t'affecte plus une seule affaire nouvelle à compter d'aujourd'hui et « toutes choses égales par ailleurs » (puisque la justice et l'économie font aujourd'hui bon ménage), ça représente deux années entières de travail devant toi. Il vaut mieux ne pas y penser en démarrant le matin pour ne pas risquer d'être atteint d'un syndrome d'impuissance et de découragement rampant.

Le dossier d'après, c'est une affaire nouvelle qui t'est attribuée : tu parcours rapidement la requête, vérifies qu'il ne manque pas la décision attaquée, que le greffier a bien pointé et numéroté les pièces jointes, qu'il a indiqué le bon défendeur (hélas non : DDTEFP, alors que la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle est rattachée à la préfecture, il fallait donc marquer « le préfet »).

Les suivants viennent des assistants de justice, les AJ pour les initiés. (Oui, on dit aussi AJ pour l'aide juridictionnelle ; tout dépend du contexte.) Tu ne les appelles plus par leur nom parce qu'il y en a beaucoup, qu'ils changent tout le temps, qu'ils travaillent à temps partiel, pour tout le monde donc pour personne en particulier ; souvent pas d'interlocuteur précis, facile pour s'y retrouver. Et puis ils ont été regroupés dans une salle style open space, ça ressemble à une fourmilière, avec les galeries creusées sous les dossiers et l'interchangeabilité des ouvrières. Les AJ sont censés se passer les consignes, ce qui pourrait être efficace si leurs tâches et leurs donneurs d'ouvrage étaient moins variés. Ça fait penser aux pools des secrétaires très prisés il y a deux ou trois décennies, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'ils déresponsabilisaient les secrétaires et engendraient des pertes de temps importantes. Mais mettre les AJ dans les chambres, les intégrer dans les équipes encadrées par le vice-président ne semble pas être une évidence pour tout le monde.

On frappe à ta porte. Au début, lorsque tu étais arrivé dans ce tribunal, tu travaillais toujours la porte ouverte, signe d'accueil, d'ouverture et de disponibilité pour autrui. Comme de nombreux autres collègues, tu avais exercé un autre métier avant d'être juge ; tu travaillais alors en équipe, les portes de communication entre les bureaux toujours ouvertes, c'était une évidence. Au tribunal, il y a ceux qui travaillent porte ouverte et ceux qui travaillent porte fermée. La porte ouverte, c'est fort sympathique : les collègues passent la tête pour te dire bonjour, échanger quelques mots sur les réformes en cours, t'interroger sur ce que tu fais, prendre ton avis sur un dossier, t'inviter à prendre un café...Fort sympathique et intéressant mais perturbant lorsque tu mènes une réflexion longue sur une affaire (Oui ça t'arrive parfois) puisqu'il faut à chaque fois te replonger dans le dossier en essayant de retrouver tu en étais. Tu as donc rapidement tourné casaque et rejoint le clan des portes fermées, ceux qui tentent de s'isoler et qu'on ne peut déranger sans raison valable.

On frappe à ta porte, donc. Une jeune collègue, de reconduite, qui doit statuer sur la partie obligation de quitter le territoire d'un dossier que tu as à ton rapport pour la partie refus de titre de séjour (merci la réforme de 2006). Le requérant excipe de l'illégalité du refus de titre. Ta collègue a étudié le dossier, s'est fait une opinion mais aimerait savoir si tu la partages car si elle retient l'exception d'illégalité et que de ton côté tu proposes un rejet, alors même qu'en théorie rien ne l'interdit, en pratique ça fait désordre, surtout à deux mois seulement d'intervalle. Tu l'écoutes, l'interroges, feuillettes le dossier, son raisonnement te semble tenir la route.

Tu poursuis la pile jusqu'à épuisement, rectifiant des erreurs, demandant des pièces manquantes, vérifiant l'existence de dossiers liés, mettant en demeure le défendeur lorsqu'il tarde à produire, ça s'appelle faire de l'instruction. Puis tu retournes à ton écran et cette fois ce sont les mails : des lettres d'actualités juridiques (pas le temps de tout lire, tu repères les thèmes sur lesquels tu travailles le plus en espérant que les oublis seront rattrapés par les collègues), un mot de ton rapporteur public qui dit qu'il n'est pas d'accord avec la solution que tu proposes pour l'affaire 06 2543 Karensky et te donnes dix lignes d'explications. Tu imprimes le mail, extirpe le dossier Karensky de la pile de l'audience du 10 juin, le gardes sous le coude pour y réfléchir. Un collègue te demande si tu n'aurais pas, par hasard, conservé le dossier 07 4522 qui est passé à son rapport, ça ne te dit vraiment rien mais tu vérifies quand même (il y a des dossiers partout dans ton bureau, on ne voit que ça en rentrant, on se demande comment tu fais pour ne pas les égarer ; d'ailleurs, on est en train d'expérimenter la dématérialisation des dossiers, plus de papier, halte à la déforestation, c'est vachement bien pourvu qu'il n'y ait pas de pannes de réseau...). Le jour viendra où tu devras te faire opérer du canal carpien à force de taper toute la journée sur ton ordi et de manipuler la souris, mais tant que cette maladie n'est pas devenue une épidémie professionnelle reconnue, il n'y a aucune raison de te doter d'un logiciel à reconnaissance vocale, ça coute cher. Après, on pourra toujours dire qu'on ne savait pas, qu'on croyait que c'était la maladie des secrétaires, pas des juges sans secrétaire, tu ne joues quand même pas dans la même cour. D'ailleurs, on ne va pas non plus te payer des cours de dactylo, c'est indigne pour quelqu'un de ton rang, même les collègues ça les fait rigoler quand tu leur en parles, on est en France, hein, pas aux States ; et puis maintenant que tu as atteint une bonne vitesse de frappe avec deux doigts, il faudrait du temps avant que ça soit rentable. En plus, taka faire du copier-coller, c'est quand même plus rapide, quelle idée d'aller inventer autre chose que ce qui existe. Ne jamais oublier que le juge de base est là pour appliquer les solutions élaborées par d'autres, en appel ou en cassation - quitte à omettre ou minimiser cette autre évidence : le juge de base est le premier saisi donc le premier à statuer en cas de modification des dispositions légales (ce qui est plutôt fréquent, les lois et décrets n'étant pas immuables).

9 h : un café bien mérité avec les collègues qui viennent d'arriver. Tu es content, tu as réussi à tout écluser avant, tu vas pouvoir te mettre à bosser (ben oui, bosser, c'est faire des dossiers, le reste ne compte pas, c'est de l'échauffement). On en profite pour échanger : alors; la grève, t'en penses quoi ? T'as vu, l'AJDA a publié notre jugement 05 3256 Winch. Pertes de temps que tout cela, la statistique, Bon Dieu, la statistique ! ! !

10h30 : non, le café n'a pas duré une heure et demi, d'autres bricoles se sont rajoutées entre temps : des modifications dans les jugements à ton rapport après relecture par ton président de chambre - essentiellement des coquilles à rectifier, quelques maladresses de rédaction-, des jugements à signer. Puis tu as préparé ton prochain rôle : quels sont les dossiers devenus plus urgents qu'urgent, qu'il faut absolument que tu passes et qui sont en état d'être jugés ? Il faut en trouver des gros et des petits ; ce n'est ni au poids ni à l'épaisseur que ça ce joue, mais à la difficulté. Si tu ne mets que des affaires très compliquées, tu n'auras jamais le temps de « faire ta norme », c'est à dire d'en préparer 8 à 10. Mais évaluer la difficulté des dossiers en les parcourant rapidement est relativement aléatoire, tu n'es jamais à l'abri d'une surprise. Avec tout ça, toujours pas eu le temps de plonger vraiment dans l'étude d'un dossier.

A 10h30 tu te rends sans enthousiasme à l'assemblée générale des magistrats sur le projet de juridiction. C'est une nouveauté managériale que ce projet de juridiction, a priori très séduisante : chaque tribunal et chaque cour doit établir pour les trois années à venir un projet qui couvre tous les aspects de son fonctionnement : organisation du travail, relations avec les parties, rayonnement de la juridiction.. L'ensemble du personnel doit s'investir dans l'élaboration de ce projet et s'en approprier les grandes lignes. Sauf que les dés sont pipés dès le départ puisque la juridiction ne maîtrise ni les intrants (le nombre de dossiers dont elle sera saisie, toujours à la merci d'une réforme comme la mise en place du droit opposable au logement ou du revenu de solidarité active pour ne mentionner que les plus récentes), ni les objectifs à atteindre (le nombre de dossiers à sortir) puisqu'ils lui ont été assignés en haut lieu, ni les moyens notamment humains dont elle dispose. Le projet de juridiction, où comment sortir plus de dossiers à moyens constants. Les limites de l'exercice sautent aux yeux du béotien.

Ton président sait très bien que la charge de travail s'est nettement accrue au fil des ans : tes collègues et toi sortez environ 260 dossiers par personne et par an, ce qui, si on enlève les weekends et les congés, donne une moyenne de plus d' un dossier par magistrat et par jour, instruction, étude du dossier, audience, délibéré et rédaction du jugement compris, sans parler du temps passé à siéger dans des commissions diverses. Si certains dossiers ne te prennent pas une demi-journée, il t'arrive régulièrement de passer plusieurs jours sur une même affaire, par exemple pour les installations classées.

20 audiences par an à raison de 8 à 10 dossiers par rapporteur en formation collégiale, 10 à 12 en juge unique fonction publique et un minimum de 16 pour les contentieux très répétitifs comme les permis de conduire ou les aides personnalisées au logement. Ce qui fait ensuite monter la moyenne, ce sont toutes les affaires qui sortent par ordonnance.

Tout le monde est au taquet, il semble difficile d'en demander plus. De ce point de vue-là, ton président a un discours rassurant : « Il ne s'agit pas de travailler plus car je sais que vous travaillez déjà beaucoup mais il s'agit de travailler autrement pour produire plus. » C'est la nouvelle variante du célèbre « travailler plus pour gagner plus ». Car même en étant dans la moyenne des tribunaux, il faut quand même sortir plus de dossiers ; d'abord parce que les objectfis fixés par le gestionnaire parisien[1] sont en légère hausse chaque année, ensuite parce que, sous la pression, les tribunaux en queue de classement vont forcément remonter la pente. Donc la moyenne nationale va augmenter, c'est mathématique. Ton président n'ambitionne pas que ton tribunal rejoigne la tête du classement mais il voudrait qu'il reste dans la moyenne.

La discussion tourne vite court. Comment sortir plus de dossiers sans travailler plus, si ce n'est en consacrant moins de temps à chaque dossier ? La quantité, au détriment de la qualité. Tu te souviens d'ailleurs d'une inspection qui avait eu lieu dans les locaux de ton tribunal il y a quelques années et au cours de laquelle, dans la restitution qui avait été faite à l'ensemble du personnel, les inspecteurs avaient déclaré sans vergogne que l'essentiel n'était pas de juger bien mais de juger vite, que les justiciables se moquaient de la qualité de tes jugements, la seule chose qui les intéressait étant d'avoir une solution à leur litige et que l'appel était là pour rattraper tes inévitables erreurs.

Bon, évidemment, ça, on ne peut pas l'écrire et le discours officiel aujourd'hui est de faire toujours plus à qualité constante. Il est plus politiquement correct de mentionner une rationalisation des méthodes de travail grâce à une utilisation maximalisée de l'outil informatique (on exclut ici toute formation à la dactylographie pour les raisons évoquées plus haut mais on mentionne toutefois le logiciel à reconnaissance vocale, on va peut être étudier la possibilité d'envisager quelques achats ponctuels réservés aux magistrats les plus motivés), une harmonisation des pratiques (via l'extension de l'utilisation de modèles) et un recours encore plus systématique à l'aide à la décision (grâce aux stagiaires et assistants de justice qui seront dotés d'outils appropriés comme des guides méthodologiques). Comme ça tu n'auras plus qu'à signer les décisions prises par d'autres sur des modèles pré-établis...pourvu que ton affaire rentre dans les bonnes cases, sinon l'appel y remédiera. Finalement, ce n'est pas si difficile d'être juge, il suffit d'avoir un bon nombre de parapheurs à disposition et de savoir signer. Cantique à la productique, tu es allergique : tu aimes le travail bien fait et non la justice d'abattage... Mais tant qu'on ne veut pas dépenser plus...

Tu te souviens du dernier rapport publié par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, selon lequel, suivant les données de l'année 2006, la France dégringole dans le classement européen, passant du 18ème au 35ème rang, derrière l'Arménie, la Moldavie ou la Roumanie, que ce soit pour le budget de la justice rapporté au PIB par habitant ou pour le nombre de juges pour 100 000 habitants. Le rapport met l’accent sur le manque de moyens de la justice et son corollaire : la lenteur des procédures en France.

Le justiciable qui veut que tu juges vite et qui serait indifférent à la qualité du jugement rendu... Il faut dire seuls les initiés sont en mesure d'apprécier la qualité de la rédaction, que tu as parfois peaufinée pendant un bon moment, ce gaspillage de temps constituant un crime inavouable : le profane, bien souvent, ne comprend goutte à ton jugement : une seule phrase qui court sur plusieurs pages, de préférence bien ciselée et balancée, de quoi faire pâlir de jalousie les meilleurs journaliste du Monde, mais les « sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête », « le moyen manque en fait » et autres nonobstant ne sont pas traduits en langage vernaculaire. Ça fait pourtant quelques décennies que la messe n'est plus dite en latin. Le Concile Vatican II du Palais Royal est-il dans les tuyaux, la rumeur t'ayant rapporté qu'il est envisagé que le rapporteur public explique aux parties qui le demandent la solution finalement retenue ? Le tout à moyens constants, bien entendu, à l'heure où l'accueil du public est devenu une priorité dans les administrations, mais, toujours bien entendu, le tribunal n'est pas l'administration puisqu'il en est le juge.



12H15 : tu sors de la réunion, vaguement écœuré mais malheureusement pas surpris. Tu glisses quelques dossiers dans ta sacoche. Ça fait belle lurette que tu ne déjeunes plus le midi : amener son casse-croute, bof, il faut l'avoir préparé, les sandwichs plein de mayonnaise ne sont pas très digestes, un plat dans un restau du coin, ça prend trop de temps. Et puis le droit nourrit son homme. Tu rentres chez toi, tu vas enfin pouvoir te mettre au travail.

Notes

[1] Le Conseil d'État.

mercredi 3 juin 2009

Juges administratifs : le SJA suspend son appel du 4 juin, pas maître Eolas

Le SJA a suspendu son appel à la mobilisation pour demain. Ce n'est pas mon cas, mais pour le moment, la juridiction administrative brille par son absence. Trois contributions, dont une qui n'est pas d'un magistrat mais d'un expert. Il vous reste quelques heures pour sauver l'honneur du costard et cravate contre la robe et hermine.

Allons, n'avez-vous rien à dire sur votre métier ?

mardi 2 juin 2009

Éric Besson se prend une claque devant le tribunal administratif de Paris

…Et encore, on n'en est qu'au référé.

Il s'agit bien sûr du marché des centres de rétention.

Résumé des épisodes précédents.

L'article L.553-6 du CESEDA prévoit que les étrangers maintenus en rétention bénéficient d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de leurs droits (et préparer leur départ ajoute le texte, très cyniquement). L'article R. 553-14 (qui est le décret d'application de l'article L.553-6, le dernier décret en date étant du 22 août 2008) précise que

Pour permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, l'Etat passe une convention avec une association à caractère national ayant pour objet d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. L'association assure à cette fin, dans chaque centre des prestations d'information, par l'organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. Les étrangers retenus bénéficient de ces prestations sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur.

Les étrangers maintenus dans les locaux de rétention mentionnés à l'article R. 551-3 peuvent bénéficier du concours d'une association ayant pour objet d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits, à leur demande ou à l'initiative de celle-ci, dans des conditions définies par convention.

Depuis 1984, une association, le Comité Inter Mouvements Auprès Des Évacués (Le CIMADE, plus couramment appelé la CIMADE), assure ce service. Des permanents et des bénévoles de l'association assurent une présence quasi quotidienne, dans un local qui leur est réservé, informent les étrangers de leurs droits et le cas échéant les aident à les exercer. Ce dernier point, l'assistance, est crucial : le délai de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) est de 48 heures sans interruption possible et le recours doit être rédigé en français et soulever des arguments de droit pour avoir une chance de prospérer.

La CIMADE fait un excellent travail. Il fallait donc la punir. Le précédent ministre de l'immigration a donc feint de s'offusquer de ce “monopole” durant depuis 25 ans. Et au lieu d'agréer d'autres associations EN PLUS de la CIMADE, il a décidé de fractionner cette convention en huit lots attribués par voie de marché public. Pas d'hypocrisie, soyons clairs : il s'agissait d'écarter la CIMADE dont je le répète personne ne critiquait la qualité du travail, auquel s'ajoutait 25 ans d'expérience.

La CIMADE ne se laisse pas faire. Notons au passage qu'elle a le soutien du GISTI. Autant dire que le ministre de l'immigration a face à lui des juristes de haute volée (Je précise que je n'appartiens à aucune de ces associations ni ne suis leur avocat). La suite le démontrera.

Le 30 octobre 2008, le premier marché est annulé, au motif que le ministre avait sous-estimé le critère de la compétence juridique dans l'attribution du marché (estimé à 15%). C'est un camouflet pour Brice Hortefeux, qui refile le bébé à son successeur Éric Besson.

Un nouveau marché est passé, divisé en huit lots, dont trois sont attribués à la CIMADE. Celle-ci attaque le marché public devant le tribunal administratif de Paris selon la même procédure dite de référé-marché public qu'en octobre 2008. Cette procédure suppose que le marché ne soit pas encore signé et interdit au ministre de signer ce marché pendant un délai de 20 jours. L'audience se tient, est fort longue, et une association, le Collectif Respect dont nous allons reparler, demande un délai pour présenter sa défense. L'audience est renvoyée à quelques jours, au-delà du délai de 20 jours, le juge demandant au ministre de ne pas signer le marché pour permettre à cette audience d'aller à son terme.

Mes lecteurs connaissent la suite : le ministre se précipitera à son bureau le dimanche précédant la deuxième audience pour signer le marché, ce qui privait le juge du pouvoir de juger. Justification officielle : le nouveau marché entrait en vigueur aujourd'hui le 2 juin, il y avait urgence à signer le marché pour les associations. Le fait que ce marché sente l'illégalité à plein nez n'a bien sûr pas été pris en compte pour cette signature dans la précipitation.

Mais vous vous souvenez ? Je vous ai dit que le GISTI avait mis son nez dans cette affaire. Et le Groupement n'est pas tombé de la dernière pluie.

Il avait formé (aux côtés de l'Association des Avocats pour la Défense du Droit des Étrangers et le réseau ELENA) ce qu'on appelle un “ recours TROPIC ”, du nom du grand arrêt du Conseil d'État [Société Tropic Travaux Signalisation du 16 juillet 2007|http://www.conseil-etat.fr/ce/jurispd/index_ac_ld0724.shtml], qui permet à des tiers à un marché public justifiant d'un intérêt à agir de demander l'annulation d'un marché public quand bien même ils n'ont pas eux-même soumissionné à ce marché. Et ce recours, de droit commun, n'est pas affecté par la signature du marché par Éric Besson.

De plus, pour éviter les conséquences très lourdes qu'aurait une annulation prononcée dans plusieurs mois, ce recours Tropic a été accompagné d'un référé-suspension : les trois requérants demandaient au juge administratif de suspendre l'application du marché jusqu'à ce que sa légalité soit jugée. Il faut pour cela qu'il y ait urgence et qu'il existe un moyen sérieux mettant en doute la légalité du marché.

Et le 30 mai 2009, le juge des référés, accessoirement le même magistrat qui s'était vu dessaisi par la signature précipitée du marché, a suspendu le marché des droits de rétention. Bref, la déloyauté du ministre n'a servi à rien, le voici Gros Jean comme devant, avec son marché qui lui pète entre les doigts à 48 heures de son entrée en vigueur.

[Paragraphe mis à jour] : cette ordonnance de référé peut être lue ici(pdf). Le juge considère que la condition d'urgence est remplie car le marché prévoyait que les concurrents au marché devaient remplir une simple mission d'information sans imposer d'assistance juridique (c'est-à-dire que dans l'esprit du ministre, un simple présentoir avec des dépliants « Le recours en excès de pouvoir pour les nuls » et « le contentieux spécial de la reconduite à la frontière en bande dessinée » suffirait), contrairement à ce qu'exige la loi. Et il considère qu'il y a un doute sérieux sur la légalité du marché du fait de cette interprétation très contestable que fait le Ministre de l'immigration etc. des dispositions des articles L. 553-6 et R. 553-14 que j'ai cités ci-dessus (la loi n'exigerait que la mise à disposition de documentation et absolument pas une aide effective à l'exercice des recours) alors que les missions dont parle la loi incluent l'exercice effectif de leur droit à un recours. Le juge relève également les insuffisances manifestes des offres faites par deux candidats : Forum Réfugiés, qui se proposait simplement de mettre en rapport les étrangers avec des avocats ( Y'a les pages jaunes pour ça ; et le week end, ils font comment leur recours dans le délai de 48 heures ?) et le fameux Collectif Respect qui a au moins le mérite de la franchise : il ne proposait rien du tout.

La lecture de l'argumentation du ministère de l'immigration etc. fait froid dans le dos : c'est en tout cynisme la plus importante offensive contre les droits fondamentaux des étrangers en France depuis les lois Pasqua de 1993. Quand je vous dis que souvent, l'avocat doit se battre contre l'État pour défendre le droit, en voilà une sinistre illustration.

La suite des événéments ? Éric Besson a dû parer au plus pressé et, dès son chapeau avalé, va prolonger de trois mois le contrat de la CIMADE pour l'ensemble des centres, conformément au mode d'emploi que lui a donné le juge des référés (page 21 du pdf). Le tribunal administratif va annuler ce marché, c'est couru d'avance. Il y en aura donc un troisième. Soit cette fois le ministre arrête de tricher ou d'essayer d'imposer des candidats fantoches, et accepte le risque que la CIMADE se voit attribuer tous les lots parce que personne ne peut proposer mieux qu'elle. Soit il demande et obtient du Patron une loi sur mesure pour parvenir à évincer la CIMADE et mettre n'importe quoi à la place.

Je ne vous cache pas mon pessimisme.

Affaire à suivre.

Et bravo à ces incompétents sans crédibilité du GISTI.

Tribunal administratif de Paris, avec sa devise du jour : “ Judicat et Minister Mergitur ” : Il juge et le ministre coule. Éric Besson, abattu, écoute le jugement qui est rendu. Le juge lit un considérant : “ Considérant qu'en matière de foutage de gueule, le ministre a manifestement excédé ses pouvoirs…”. Le ministre rétorque : “ Même pas vrai ! Je fais appel. ”


Mise à jour 19h20 : j'ai rajouté des liens manquants dans la version initiale, veuillez accepter mes excuses pour cet oubli.


Mise à jour 21h30 : J'ai mis hors ligne le billet pour modifier le paragraphe central. Je vous dois des explications et des excuses. Je voulais absolument faire ce billet aujourd'hui, malgré un agenda très chargé, ce qui n'était pas raisonnable. Du coup, pressé par le temps, j'ai fait une erreur de débutant en lisant trop vite la décision, et en confondant les motifs de l'ordonnance avec la reprise de l'argumentation des requérants. Bref, j'ai cru que le juge parlait alors que c'était le demandeur, d'où une analyse erronée (pas à contre-sens, mais suffisamment erronée pour me faire monter le rouge au front). Mes sincères excuses. La leçon est apprise.

lundi 1 juin 2009

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, plus influente que la commission Léger ?

Par Gascogne


C'est la question que l'on peut se poser à la lecture de l'arrêt du 13 janvier 2009 dans l'affaire TAXQUET c. BELGIQUE. La Cour a en effet conclu à la "violation du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention".

Un des motifs allégués par le requérant portait sur l'absence de motivation de l'arrêt de Cour d'Assises l'ayant condamné à une peine de 20 ans de réclusion pour assassinat.

En la matière, la procédure belge est extrêmement proche de la procédure pénale française (Merci Nap'), à tel point que l'on retrouve au mot près dans l'article du code d'instruction criminelle traitant de la délibération des jurés d'assises des notions bien connues en droit français :

La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus ; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur dit point : "Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins" ; elle ne leur dit pas non plus : "Vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve, qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins ou de tant d'indices" ; elle ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction".

L'article du code de procédure pénal français, un des mieux écrits de ce code, le 353 dispose ceci :

Avant que la cour d'assises se retire, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations. La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interrogereux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ?.

Il semblerait que la Cour Européenne souhaite faire évoluer sa jurisprudence. Elle rappelle en effet que dans une affaire ZAROUALI c. Belgique, et plus près de nous dans l'affaire Papon c. France, si elle a pu accepter que la motivation des décisions de Cour d'Assises se résume aux réponses apportées aux questions prédéfinies, cela n'était que sous la condition que ces questions soient suffisamment précises pour équivaloir à une motivation.

La Cour va plus loin dans cet arrêt, accentuant encore les droits de la personne condamnée[1]. Elle précise que la motivation d'une décision est d'autant plus importante, pour que le condamné puisse accepter la décision, que l'on se trouve en première instance. Or, la Belgique ne connaît pas d'appel possible en matière criminelle.

Depuis l'affaire Zarouali, une évolution se fait sentir tant sur le plan de la jurisprudence de la Cour que dans les législations des Etats Contractants. Dans sa jurisprudence, la Cour ne cesse d'affirmer que la motivation des décisions de justice est étroitement liée aux préoccupations du procès équitable car elle permet de préserver les droits de la défense. La motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue un rempart contre l'arbitraire. Ainsi, certains Etats, à l'instar de la France, ont institué un double degré de juridiction pour les procès en assises ainsi que la mise en forme des raisons dans les décisions des juridictions d'assises.

Les autorités belges, même si elles ont saisi la Grande Chambre semble-t-il (bien que je n'ai rien trouvé dans l'agenda de la Grande Chambre), préparent une réforme de la procédure d'Assises qui pourrait être compatible avec cet arrêt, s'il venait à être confirmé. L'appel ne semble cependant toujours pas à l'ordre du jour (pour les rédacteurs du projet, l'apport des assesseurs professionnels est jugé marginal et disproportionné par rapport au coût que leur présence entraîne : les collègues français et belges apprécieront...). A noter également que la réforme en question se prépare depuis plusieurs années, ce qui nous change de la méthode française (ici, on propose comme un ballon d'essai, on réfléchi un peu sur la proposition, et on la vote sans se préoccuper des moyens de la mettre en oeuvre).

Mutatis mutandis, comme on adore dire dans les facultés de droit, il semblerait que la procédure d'Assises à la française ait quelques soucis à se faire. C'est peut être une des raisons pour lesquelles la commission Léger a proposé la motivation des décisions d'Assises.

La motivation des arrêts, si elle ne semble que peu sujette à la critique, n'irait cependant pas sans poser quelques problèmes : rédiger un arrêt demande une technicité que seul un magistrat, ou un greffier formé, sera capable d'avoir. Les jurés seront dés lors en partie dépossédés de leurs prérogatives, encore que le principe de rédaction par le magistrat professionnel fonctionne bien dans les juridictions connaissant l'échevinage. Je ne suis par contre pas persuadé qu'elle fera disparaître, comme semblent le vouloir certains avocats, le principe de l'intime conviction, qui n'est au final qu'un mode de preuve. Il s'agira simplement d'expliquer quelles preuves ou présomptions ont emporté la conviction des juges.

En tout état de cause, je suis assez favorable à tout ce qui peut permettre à une décision de justice d'être mieux comprise. Et je n'ai jamais adhéré au raisonnement consistant à penser que les jurés d'Assises ne doivent pas motiver leurs décisions, ni ne peuvent faire l'objet d'une procédure d'appel, car la représentation populaire ne peut se tromper. Certains procès récents ou anciens nous ont démontré le contraire.

Notes

[1] mode message subliminal on : comme quoi, vous voyez bien que les institutions européennes nous font progresser. Alors le 7 juin, votez...

dimanche 31 mai 2009

Heeding Gideon's call

Car il n'y a pas de jour où on ne peut se cultiver tout en pratiquant son anglais.

Je viens de passer un formidable moment en compagnie des étudiants de première année de droit de Yale à écouter Stephen B. Bright donner sa leçon, intitulée Heeding Gideon's Call: Defending Indigent Criminal Defendants. Stephen Bright est avocat pénaliste, spécialisé dans la peine de mort. Bref : un avocat qui sauve des vies, dont quelques unes innocentes.

Cette leçon de 48 minutes pose la problématique de la défense pénale des indigents aux États-Unis, en exposant les divers systèmes envisageables (conscription c'est à dire commission d'office, contractualisation c'est à dire des avocats s'engagent à assurer cette défense contre une rémunération par l'État, en plus de leur cabinet, public defendant, des avocats payés par l'État pour ne faire que cela) avec leurs inconvénients (désintérêt et incompétence des conscrits, conflit d'intérêt des contractuels, surcharge de travail et insuffisance de moyen des public defendants quand ce ne sont pas que les plus mauvais qui se résignent à cette carrière), mais surtout en rappelant les valeurs en jeu, qui vont bien plus loin que le simple problème de dépense publique qui, ici comme là-bas, semble seul préoccuper les autorités. Un réquisitoire impitoyable à l'égard des juridictions criminelles du sud des États-Unis, qui valident des condamnations à mort prononcées dans des conditions incroyables (mention spéciale à la cour d'appel qui a validé une condamnation à mort prononcée alors qu'il est établi que l'avocat de la défense s'est endormi à plusieurs reprises au cours de l'audience, car il n'était pas prouvé qu'il avait dormi aux moments important où son intervention aurait pu influer le cours du procès. Le client a finalement été exécuté) et qui montrent que la question raciale est loin d'être réglée (tel ce procureur de Louisiane qui a utilisé 16 de ses 22 récusations pour écarter les 16 jurés Noirs d'un procès et qui assura, la main sur le cœur devant la cour suprême de l'État que ce n'était qu'une coïncidence).

Le titre de la leçon (Entendons l'appel de Gideon, le jeu de mots avec l'allusion biblique à la victoire du prophète Gédéon —Gideon en anglais— sur les Madianites —Juges, 6-8—étant intraduisible) fait allusion à l'arrêt de la Cour Suprême Gideon v. Wainwright, 372 U.S. 335 (1963), qui a posé le droit constitutionnel à tout accusé à l'assistance d'un avocat. Clarence Earl Gideon a été condamné à 5 ans de prison pour cambriolage après s'être vu refuser le droit à l'assistance d'un avocat, que la loi de Floride réservait aux crimes capitaux. Celui-ci rédigea un recours devant la cour suprême des États-Unis, seul et au crayon à papier, qui conduisit la cour suprême à casser ce jugement et à le faire juger à nouveau, assisté d'un avocat, qui démontra son innocence et obtint son acquittement[1].

Vous pouvez la télécharger gratuitement sur iTunes en cliquant sur ce lien ou télécharger le MP3 sur cette page (Merci Julien). Ce cours exige un bon niveau d'anglais, mais pas une formation juridique : il s'adresse à des freshmen, des étudiants de première année (bien qu'une formation en anglais juridique ne fasse pas de mal).

Je vous laisse sur la conclusion de mon confrère Bright, qui est tout aussi valable en France :

« La chose qui compte le plus, réellement, est ce que vous aurez fait de votre vie pour combattre le racisme et la pauvreté ; et celle qui compte le moins, c'est combien vous aurez gagné en le faisant. »

Notes

[1] Je parle d'acquittement pour un délit car le jugement a été rendu par un jury.

samedi 30 mai 2009

En deux mots

Réussi :

Raté :


Bon, je n'arrive pas à faire des billets courts. Alors pour votre édification :

Le premier clip remonte au 2 février 2008. C'est une chanson écrite par William J. Adams alias will.i.am, membre des Black Eyed Peas, et mis en image dans les jours qui ont suivi le discours qu'elle reprend, le célèbre "Yes We Can" de Barack Obama.

Yes We Can n'est pas le slogan officiel de la campagne de Barack Obama, qui était "Change We Can Believe In". C'est le leitmotiv d'un formidable discours prononcé un soir de défaite, le 8 janvier 2008, lors des primaires du New Hampshire, remportées par Hillary Clinton. Ce n'était qu'une semi-défaite, l'avenir l'a démontré, car Barack Obama a fini deuxième, loin devant John Edwards, ce qui le propulsait, après son succès aux caucus de l'Iowa, comme le challenger face à la favorite Hillary Clinton, ce qui n'était pas évident au départ. La suite est désormais de l'Histoire.

C'est un cas assez unique de discours politique promu au rang d'œuvre d'art. Et qui a fait de cette phrase prononcée par une froide nuit d'hiver dans la Nouvelle Angleterre un slogan officieux mais plus connu que l'officiel (plutôt mauvais, il faut bien le dire).

Le second date de 2009. Il s'agit d'un lip dub, une forme de vidéos très à la mode… il y a deux ans. L'idée est née dans l'esprit de Jakob Lodwick, fondateur de Vimeo, qui s'était filmé marchant dans la rue de New York en train de chanter en playback la chanson Endless Dream du groupe Apes & Androids. Mais le premier vrai lip dub a été fait par l'équipe de Connected Ventures, une société gérant divers sites internets, sur la chanson Flagpole Sitta de Harvey Danger.

Lip Dub - Flagpole Sitta by Harvey Danger from amandalynferri on Vimeo.

La mode s'est répandue très vite et a été une façon pour les entreprises et écoles supérieures de se promouvoir, en montrant qu'il y a une ambiance sympa et qu'en même temps on reste pro.

Les quatres règles du bon lip dub sont : la spontanéité (on doit avoir l'impression que c'est un délire qui part comme ça), l'authenticité (les intervenants et les lieux semblent réels), la participation (on ne fait pas un lip dub tout seul) et l'amusement : tout le monde doit avoir l'air de se marrer (le plus facile étant qu'ils s'amusent réellement). Le clip de l'UMP viole trois de ces quatre règles, mais transgresse également la cinquième, non écrite tant elle était évidente : le lip dub doit être une chanson. Sinon, c'est comme faire un karaoké sur un discours politique, ou danser la tektonik sur Yvette Horner.

Moralité, voulant faire djeun'z et branché, l'UMP reprend un phénomène passé de mode et en plus le fait mal. Vous me direz que les clips des autres listes ne valent pas mieux. Je concède, sauf qu'il est moins humiliant d'être ringard dans le classissisme que l'être dans l'innovation. Vous ajouterez qu'elle peut s'en ficher, l'UMP, elle est déjà en tête dans les sondages, et surtout, c'est payé sur fonds publics.

Ça vous console, vous ?

Promis, bientôt, je vous parle du parlement européen. Ça nous changera de la campagne électorale.

vendredi 29 mai 2009

La guerre du dépôt

Une guerre souterraine se joue actuellement au palais, et les avocats, menés par les Secrétaires de la conférence, viennent de remporter une première victoire après plusieurs défaites.

D'abord, voyons le champ de bataille. Il se situe sous le palais et se divise en deux parties : le dépôt et la souricière.

Europe 1 a réussi à envoyer au dépôt (non, pas Vittorio de Filippis…) un journaliste muni d'un appareil photo qui raconte ce qu'il a vu et nous montre ces images.

Le dépôt, géré par la préfecture de police et donc du personnel de la police nationale, reçoit les personnes retenues par la police jusqu'à leur présentation à un magistrat qui décidera de leur sort (soit procureur qui les dirigera vers une comparution immédiate pour un jugement immédiat, un juge des libertés et de la détention pour un jugement plus éloigné dans le temps mais avec placement sous contrôle judiciaire, ou éventuellement une simple convocation sans autre mesure, ou un juge d'instruction déjà en charge du dossier).

La souricière, gérée par les gendarmes du palais, reçoit les personnes déjà incarcérées qui doivent comparaître devant un juge et prend en charge les locataires du dépôt lors de leur escorte vers le magistrat ou la salle d'audience. C'est un réseau de couloirs séparés du public qui aboutissent dans certaines salles d'audience, avec ici et là quelques cages, il n'y a pas d'autre mot, sans sanitaires, ou sont entreposés les personnes escortées.

Cela fait des années que l'état déplorable du dépôt est dénoncé, et pas que par ces chochottes droitdel'hommmistes que sont les avocats. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'y est mis aussi et c'est pas glorieux. Extrait de son rapport  :

22. En effet, les locaux de certains tribunaux donnent l’impression d’être vétustes et d’appartenir à un autre temps. Les bureaux des magistrats que j’ai visités m’ont paru étroits, ne procurant pas à leur(s) occupant(s) l’espace dont ils auraient besoin. Or, il est évident que les bureaux de magistrats ne servent pas seulement à étudier les dossiers. Les magistrats y reçoivent des parties et y tiennent même certaines audiences.

23. Une situation particulièrement pénible existe au sein de certains endroits appelés « dépôts ». Les dépôts sont des zones sécurisées composées généralement de cellules individuelles et collectives recevant les personnes détenues dans des lieux de privation de liberté – commissariats ou établissements pénitentiaires – et qui sont transférées dans les tribunaux en vue d’audiences ou d’autres besoins procéduraux. La spécificité des dépôts, qui sont placés de jure sous l’autorité du juge comme tous les locaux se trouvant dans l’enceinte des tribunaux, mais de facto sous celle de la police qui s’occupe de la garde des détenus, a pour conséquence qu’aucune de ces deux autorités ne se sentirait, selon mes interlocuteurs, complètement investie de la responsabilité de ces endroits.

24. Dès lors, la situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne. Afin d’étudier personnellement cette question, je me suis rendu dans le dépôt du Palais de justice de Paris et dans celui du TGI de Bobigny.

25. En ce qui concerne le dépôt du Palais de justice de Paris, il s’agit d’un très vieux bâtiment chargé d’histoire et l’endroit reflète les événements qui s’y sont passés au cours des siècles. Ceci étant dit, l’intérieur du dépôt de Paris continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française. Au même endroit se trouve d’ailleurs le centre de rétention des étrangers en instance d’expulsion, qui m’a frappé par les images qu’il reflète, images d’un autre temps et d’une époque que toute personne civilisée pourrait croire révolue en France, j’y reviendrai plus loin dans le chapitre consacré aux étrangers. Le dépôt, qui jouxte le centre de rétention s’en différentie bien peu, même s’il paraît qu’il a subi récemment un certain nombre de travaux.

C'était en 2006. Rien n'a changé, hormis le déménagement du Centre de Rétention, pour lesquels les mots étaient les plus durs, pour le nouveau site de l'École de police du bois de Vincennes.

La politique menée jusqu'à présent par la préfecture était “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

En novembre 2008, les avocats de Créteil ont réussi un joli coup. Ils ont demandé et obtenu qu'un juge du tribunal soit chargé d'aller visiter le dépôt de Créteil (35 ans et encore plus vétuste que celui de Paris). Ce dernier a rendu un rapport dantesque sur lequel se sont appuyés les avocats pour soulever une nullité du procès verbal de citation en comparution immédiate.

J'aime, chers mékéskidis, le regard que vous avez quand vous lisez ces mots et que votre bouche s'élargit pour laisser échapper un « Hein ? » un rien paniqué.

Je vous explique.

Un tribunal ne peut juger qui bon lui chante selon son humeur. Un juge ne peut statuer que s'il a été officiellement chargé de statuer. On dit que le juge est saisi. Un juge non saisi ne peut statuer et toute décision qu'il prendrait serait nulle. C'est une des premières choses que vérifie tout juge au début de l'examen d'un dossier : il s'assure de l'identité de la personne jugée, de l'existence de l'acte de saisine, et de sa compétence, c'est-à-dire s'il est bien le juge que la loi désigne pour statuer.

Un tribunal statuant sur une comparution immédiate est saisi par un document d'une ou deux pages s'appelant un procès-verbal de comparution immédiate. C'est un document signé par un procureur et constatant que devant lui se présente telle personne (identité complète), et qu'il lui fait savoir qu'il lui est reproché des faits de telle nature (date et lieu des faits, qualification légale, citation des textes légaux définissant et réprimant l'infraction), et mentionnant ses observations éventuelles. Puis l'acte constate si l'intéressé demande un avocat et lequel. Suit la signature de l'intéressé ou la mention qu'il refuse de signer. C'est ce document qui fait que le dossier est enfin accessible à un avocat, puisque le législateur estime que toutes les opportunités d'obtenir des aveux hors l'assistance d'un avocat sont désormais épuisées (et je ne suis qu'à peine ironique en disant cela).

L'argumentation des avocats cristoliens était la suivante et elle est astucieuse.

La convention européenne des droits de l'homme prohibe les traitements inhumains et dégradants, et l'article 6 exige le respect du droit à un procès équitable. Or une personne jugée en comparution immédiate, qui a passé 48 heures en garde à vue où elle n'a pu dormir que sur des bancs de bois ou de pierre, et une nuit au dépôt dans ces conditions vient de subir des traitements dégradants et est dans un état d'épuisement tel qu'elle ne peut assurer sa défense de manière satisfaisante.

Les avocats demandent donc au tribunal d'annuler ce procès verbal de comparution immédiate qui viole ces droits fondamentaux. La conséquence est que la procédure elle-même n'est pas annulée (tous les interrogatoires et perquisitions effectuées antérieurement à son passage au dépôt restent valables), seul l'est l'acte saisissant le tribunal. Dès lors que le tribunal n'est as saisi, il ne peut statuer : le prévenu est remis en liberté, libre au procureur de le citer à nouveau selon les formes de droit commun.

L'avantage de cette méthode sur la demande de délai pour préparer sa défense, qui est de droit et ne peut être refusée, est que le tribunal n'étant plus saisi, il ne peut plus décerner mandat de dépôt : le prévenu n'est plus prévenu et doit être remis en liberté, il ne peut être placé en détention dans l'attente de son procès. Elle suppose toutefois que le prévenu ait passé la nuit au dépôt, les déférés du matin arrivés à 11 heures et jugés à 16 heures ne subissant pas la même chose que ceux arrivés la veille à 20 heures.

Les bonnes idées étant par nature libres de droit (les mauvaises aussi, d'ailleurs, mais elles risquent moins la copie) le barreau de Paris, en la personne des secrétaires de la conférence, ministres de la défense pénale d'urgence, a aussitôt suivi la voie tracée par nos excellents quoique banlieusards confrères.

Le 26 février dernier, deux d'entre eux, choisis pour leur courage et le fait qu'ils n'ont pas d'enfants, sont descendus dans le méphitique cloaque aux fongus fétides, et ont rédigé un rapport remis au Conseil de l'Ordre (pdf).

Le 16 avril dernier, le bâtonnier himself, est allé plaider aux côtés du Cinquième secrétaire David Marais et devant la 23e chambre, celle consacrée aux comparutions immédiates, des conclusions visant au prononcé d'une telle nullité du procès verbal de comparution immédiate. Conclusions rejetées, pour des motifs que j'ignore encore. Premier revers. Mais un juge du tribunal de Paris a à son tour été mandaté pour aller visiter les lieux et faire un rapport pour ses collègues. Tout n'était donc pas dit. En attendant, le Bâtonnier invitait les avocats de permanence à continuer à déposer des conclusions de nullité dont vous trouverez le modèle ici.

Le deuxième a eu lieu le 13 mai, quand la 11e chambre de la cour d'appel de Paris a annulé les jugements du tribunal de Créteil qui avaient eux même annulé les procès-verbaux de comparution immédiate. Sans conséquence pour les prévenus qui avaient été depuis longtemps remis en liberté, mais un message clair pour les juges de Créteil : arrêtez de jouer à ça. Les motifs de la cour sont tout de même assez sidérants et un rien cyniques. La cour a, d'après ce que j'ai lu, constaté qu'effectivement, les conditions de détention dans le dépôt de Créteil étaient inacceptables et contraires aux droits de l'homme, mais qu'aucun texte du code de procédure pénale ne permettait au juge d'annuler un procès verbal de comparution pour ce motif. En somme, violer les droits de l'homme n'étant pas illégal en France, circulez, il n'y a rien à annuler. Deuxième revers, et de taille, car la cour d'appel de Paris est aussi compétente pour le tribunal de Paris.

Ce mercredi 27 mai, le député André Vallini a utilisé le droit que lui accorde la loi de visiter tous les lieux de détention pour se rendre au dépôt. Il a lui aussi pris des photos, visibles sur le site de France Info. Bravo monsieur le député.

Et pourtant, coup de théâtre. Hier, la 23e chambre, ayant reçu le rapport du magistrat envoyé au Dixième Cercle, a fait droit aux conclusions déposées par les avocats de la défense et annulé cinq procès-verbaux de comparutions immédiates.

Je vous rappelle que les cinq prévenus n'échappent pas aux poursuites mais reviendront libres pour être jugés selon le droit commun. Et même s'ils ne reviennent pas, ils seront valablement jugés en leur absence.

Et devinez quoi ?

Une demi-heure après que cette nouvelle a été connue, qu'annonce la Chancellerie ?

Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a décidé d'affecter en urgence une somme de 1 million d'euros pour rénover les locaux du dépôt du tribunal de grande instance de Paris.

Cette somme, s'appuyant sur les crédits du plan de relance décidé par le Gouvernement, permettra de financer deux tranches de travaux, qui débuteront dés le mois de juillet 2009, et qui porteront notamment sur la rénovation des cellules et des espaces communs.

Vous vous souvenez de ce que je vous disais ? “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

Mais bon, sans se faire d'illusions sur la sincérité du geste, ne boudons pas notre plaisir. À une semaine de son départ de la Chancellerie, Rachida Dati se comporte enfin en Garde des Sceaux. Il était temps que je puisse le dire un jour : bravo et merci.

mercredi 27 mai 2009

Avis de Berryer : Tomer Sisley

La Conférence Berryer revient !

Ce mercredi 3 juin, c'est debout qu'elle recevra recevra monsieur Tomer Sisley, humoriste et comédien, dont l'humour aura raison de Louise Tort, partagée entre éclats de rire et rougissement deuxième secrétaire en charge du rapport.

Les sujets seront répartis moitié-moitié :



- Peut-on rire debout?

- Faut il éviter les mélanges?

Ayant assisté à la dernière Berryer, j'adresse un appel aux candidats. Tout le monde n'est pas Desproges, et faire de la provocation n'est pas nécessairement faire de l'humour. Faites plus dans l'esprit que dans l'audace. Si vous êtes le seul à vous marrer, c'est pas bon. Ah, et un discours de Berryer, c'est 8 minutes, pas 20.

Les candidats peuvent joindre la délicieuse Rachel Lindon ( rachellindon[at]hotmail.com ), quatrième secrétaire et maître de cérémonie.

Plus d'infos sur le site de la Conférence.

mardi 26 mai 2009

Quand le gouvernement réinvente l'eau tiède

Le journal officiel Figaro se fait l'écho d'une annonce du ministre de l'intérieur annonçant triomphalement l'idée géniale qu'elle vient d'avoir après deux ans de cogitation intensive : désormais on va confisquer la voiture des conducteurs délinquants.

« La répression va s'accentuer sur les mauvais conducteurs. Le Figaro s'est procuré le texte présenté demain en Conseil des ministres par Michèle Alliot-Marie. »

Le cabinet de Christine Albanel leur a sans doute transmis l'e-mail.

« Parmi les mesures phares (NdEolas : humour !), la confiscation du véhicule est prévue pour sanctionner les comportements les plus graves. À ce jour, la confiscation, très peu appliquée, ne concerne que les conduites sans permis. »

Le juriste pénaliste est ici pris d'une quinte de toux, que je vous expliquerai dans un instant.

« • Conduite sans permis et grands excès de vitesse

« Multiplication des radars sur les routes, pertes de points en cascade : les conducteurs roulant sans permis sont de plus en plus nombreux aujourd'hui. Une infraction que les pouvoirs publics veulent combattre. Le nouveau texte rend donc «obligatoire» la confiscation du véhicule, une sanction jusqu'alors laissée à l'appréciation du juge. Ce dernier gardera toutefois une marge de manœuvre. S'il ne prononce pas la confiscation, le magistrat devra motiver sa décision.»

Avec en prime pour les lecteurs du Figaro un superbe enfonçage de porte ouverte :

« Trois catégories d'automobilistes sont visées. Ceux qui n'ont jamais passé leur permis, ceux qui prennent le volant malgré la perte totale de leurs points ou encore ceux dont le permis a été annulé par un juge.»

La quatrième et dernière catégorie, celle des automobilistes qui ont le permis, n'est fort heureusement pas concernée.

Remis de sa quinte de toux, le juriste chausse ses lunettes et ouvre son Code pénal, assailli d'un doute. Pendant qu'il tourne les pages, faisons un peu d'histoire. Ces dernières décennies, la conduite sans permis était une contravention, la plus haute, celle de 5e classe, soit depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 : 1500 euros, 3000 en récidive. La conduite sans permis se distinguait de délits révélant une attitude plus antisociale, comme la conduite malgré la suspension judiciaire du permis, qui est une peine. Le délinquant n'était pas puni pour ne pas avoir sollicité une autorisation supposant un contrôle de ses capacités, mais violait une interdiction qui lui avait été faite pour sanctionner un comportement dangereux.

Le nombre de décès sur la route restant trop élevé au goût du Gouvernement, celui-ci a décidé d'employer la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort. Et sachant que quel qu'il soit, hormis s'il est égal à zéro, le nombre de décès sur la route reste toujours trop élevé, vous devinez la suite.

Le virage (moi aussi, je sais faire de l'humour comme au Figaro) a eu lieu en 1992, avec l'entrée en vigueur du permis à points. Alors que jusque là, seuls des automobilistes ayant un comportement particulièrement dangereux (conduite en état alcoolique, blessures involontaires…) étaient frappés de la suspension voire du retrait du permis, le nouveau système a fait que des fautes plus vénielles pouvaient, par leur accumulation, aboutir au même résultat.

L'accidentologie étant peu affectée par cette nouveauté (comme l'ensemble des mesures répressives à une exception près, les radars automatiques, car ils font disparaître la conviction de l'impunité ), le gouvernement a continuellement créé de nouvelles infractions et augmenté le barème des pertes de points. Ainsi, le défaut de port de la ceinture, au début épargné car ne causant aucun danger à autrui, a été frappé d'une perte d'un point, puis aujourd'hui de trois points (soit plus que rouler sur le terre-plein central d'une autoroute !). Idem avec le téléphone portable à l'oreille. Au départ, ce n'était même pas une contravention (encore que l'obligation générale faite au conducteur de se maintenir à tout moment en mesure d'effectuer les manœuvres urgentes d'évitement, sanctionnée d'une contravention, pouvait probablement s'appliquer), aujourd'hui,c'est deux points. Résultat : vous démarrez en passant un coup de fil qui vous empêche de mettre votre ceinture : c'est la moitié de votre permis qui saute. Bonjour le sens des proportions. S'agissant de l'efficacité, je vous invite à regarder les habitacles des automobiles à Paris, de préférence les véhicules utilitaires aux heures de pointe. Résultat de cette course aux armements : le nombre de permis perdus par perte des douze points augmente continuellement, poussant de plus en plus de personnes à conduire sans permis en attendant de pouvoir le repasser.

Face à cet effet pervers de sa loi, le législateur aurait pu amender son texte. Au lieu de ça, il va recourir à la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

En mars 2004, la loi Perben II a fait de la contravention de conduite sans permis un délit puni d'un an de prison et 15.000 euros d'amende. Sans incidence notable sur le nombre d'infractions, qui semble même avoir augmenté depuis. Le Gouvernement aurait pu se dire que décidément cette méthode laissait à désirer, mais non : il en déduit toujours qu'il n'a pas du frapper assez fort.

Et donc, nous voilà en 2009. Après avoir utilisé sa fameuse méthode dite “néanderthal” sur des sujets comme les chiens dangereux ou les siffleurs de marseillaise, le Gouvernement tourne à nouveau son œil prédateur vers l'automobiliste. Il continue à conduire sans permis, se dit notre Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple. Que faire ? Réponse : la seule méthode qu'il connaisse, quand bien même elle a fait les preuves de son inefficacité : taper plus fort.

Bon, la prison, c'est pas possible, c'est complet. D'où l'idée géniale suivante : on confisque l'automobile. Ça, ça fait mal, ça empêche le délinquant de récidiver et en prime, ça finira dans les caisses de l'État puisque l'État la revendra (à un automobiliste sans permis, sans doute, pour que la boucle soit bouclée).

Sauf que.

Sauf que notre juriste s'est remis de sa quinte de toux, et a fini de tourner les pages de son code pénal. Et la pêche a été bonne à en juger par le sourire narquois qu'il arbore (sauf si c'est un magistrat, auquel cas le sourire sera sournois).

Et que dit-il notre bon Code pénal ?

Tout d'abord, l'article 131-6 du Code pénal nous apprend que

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de l'emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté suivantes :

(…)

« 4° La confiscation d'un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; …»

Or la conduite sans permis est passible de prison. La confiscation du véhicule est donc d'ores et déjà possible.

— Fort bien, me direz-vous, mais voilà au moins un intérêt du passage de la contravention au délit : la confiscation du véhicule est rendue possible.

À cela je vous rétorque article 131-14 du Code pénal :

« Pour toutes les contraventions de la 5e classe, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de droits suivantes peuvent être prononcées :

(…)

« 6° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit. »

Donc même quand rouler sans permis était une contravention, la confiscation était déjà possible.

— Certes, répliquerez-vous avec cet esprit critique qui me rend si fier de vous tout en me donnant envie de vous étrangler, mais c'est à la place de l'emprisonnement. Là, ce serait en plus.

En effet. Mais je n'avais pas fini.

L'article 131-21 du Code pénal précise que :

« La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

« La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.»

Donc, tous les délits punis de plus d'un an d'emprisonnement permettent de prononcer une confiscation du véhicule en plus de l'emprisonnement, à condition que ledit véhicule ait servi à commettre l'infraction ce qui, convenons-en, est relativement fréquent en matière de délit routier.

— Si fait, tenterez-vous une dernière fois, aux abois et sentant que l'hallali se lit là, mais la conduite sans permis ne fait encourir qu'un an de prison, donc la peine complémentaire générale ne s'applique pas.

Et vous avez raison. Pour les délits punis d'un an seulement, il faut que la loi le prévoit expressément comme peine complémentaire.

C'est précisément ce que fait l'article L.221-2 du Code de la route :

« I. - Le fait de conduire un véhicule sans être titulaire du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule considéré est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

« II. - Toute personne coupable de l'infraction prévue au présent article encourt également les peines complémentaires suivantes :

(…)

« 6° La confiscation du véhicule dont le condamné s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est le propriétaire.»

Bref, le Gouvernement se propose de faire voter ce qui existe déjà.

— Oui, mais cette fois, ce sera automatique, puisque la voix de son maître nous dit que cette confiscation, “ peu prononcée jusqu'à présent ”, sera désormais automatique en cas de récidive.

En effet. Et c'est là que le Gouvernement, avec cet avant-projet de loi soumis au Conseil des ministres, cesse de faire du droit pénal et commence à faire du foutage de gueule.

Voilà qu'il nous ressert encore une fois le plat froid et insipide comme une soupe anglaise du juge laxiste face au Gouvernement roide comme un if. Le juge n'est pas assez sévère, alors que le Gouvernement veut taper plus fort. Alors votons les peines plancher. Le juge devra prononcer un minimum. Et il décide de peines trop courtes, alors votons la rétention de sûreté pour garder les condamnés en prison au-delà de leur peine. Continuons dans la foulée avec la confiscation automatique. Si ça c'est pas du bon sens comme les juges savent même pas ce que c'est, hein ? À se demander comment on a fait pour mettre sept ans à y penser.

Car dans cette frénésie néanderthalienne, personne ne semble s'être simplement demandé pourquoi les confiscations sont si rares.

Alors que la réponse n'est vraiment pas compliquée.

Pour pouvoir confisquer le véhicule, encore faut-il que le délinquant soit le propriétaire du véhicule. On ne peut confisquer la chose d'autrui : nul n'est pénalement responsable que de son propre fait. Or celui qui n'a jamais eu le permis est rarement propriétaire du véhicule qu'il conduit. Vous me direz qu'on peut le mettre en cause comme complice. Oui, si on peut prouver qu'il savait que le conducteur n'avait pas le permis et qu'il lui a remis les clefs malgré cela. Si le conducteur a pris le véhicule sans autorisation, ou si le propriétaire ne lui a tout simplement pas demandé ses papiers avant de lui prêter sa voiture, pas de confiscation possible.

Ajoutons que le juge, cet animal à sang froid étranger au bon sens humain, a une curieuse manie. Quand une personne a volé une voiture pour la conduire alors qu'il n'a pas le permis, le juge ne confisque pas la voiture mais ordonne sa restitution au propriétaire (quand ça n'a pas été fait au stade de l'enquête de police).


Voter une confiscation automatique sera inefficace car il suffira de mettre la voiture au nom de l'épouse, du fiston, de la concubine, même s'il n'a pas le permis, puisqu'on peut être propriétaire d'un véhicule sans être titulaire du permis (on peut conduire sans permis sur un terrain privé comme un circuit automobile ou avoir un chauffeur, ce qui est le cas de tous les ministres qui pondent ces lois, d'ailleurs, ceci expliquant peut-être cela). Cette loi sera donc très facilement mise en échec.

Et face à cette inefficacité, je vous laisse deviner à quelle méthode va recourir le Gouvernement.

Une fille de style soutenu.

par Sub lege libertas


Cindy habite chez une tante qui a l’âge d’être sa grande soeur. Cindy ne cause à ses parents ni soucis, ni de sa vie ; d’ailleurs elle ignore leur adresse et toute leur existence, comme eux la sienne. Cindy a quinze ans et demi, un copain et déjà deux mois de tapin. Cindy ne s’en plaint pas et regimbe presque quand à minuit, des fonctionnaires de police lui trouvent sans doute trop d’enthousiasme mais aussi de jeunesse, la recueillent sur le trottoir où elle racole, couvée du regard depuis sa voiture par son copain tout juste majeur et un ami.

Cindy leur dit aux policiers et le leur répétera à longueur d’audition, qu’elle fait la pute sans que Dimitriu son copain l’y force. Il est même très gentil Dimitriu et elle lui donne un peu d’argent pour l’aider. De toute façon, elle seule peut payer les kébabs. Et quand les autres prostituées, les africaines qui tiennent ce coin de trottoir, comme un port franc de la luxure, ont voulu la corriger d’une concurrence malvenue sur le marché de la concupiscence tarifée, Dimitriu est intervenu, courageux mais pas téméraire avec Brandon son ami d’un jour, d’un soir, de galère. Depuis une semaine, Dimitriu et Brandon la déposent en voiture au bord de son caniveau et ils restent là pour surveiller la lune ; ça la rassure même, Cindy.

Dimitriu est interpellé sur son camp de misère au milieu de compatriotes. Il est proxénète de mineur. Ce n’est pas un pro, c’est net mais peu mineur pour la loi pénale. Dix ans d’emprisonnement encouru comme prix des kébabs partagés, du taxi bénévole direction un bout de trottoir et d’un billet de dix euros accepté par-ci par-là. Il ne le nie pas quand on le lui explique par le truchement d’un interprète. Il précise même qu’il savait que Cindy était “d’accord pour faire ça” et qu’il ne la tapait pas, ce qu’elle confirme ayant vendu ses charmes avant même de le rencontrer. Et Brandon, tout autant gardé à vue que Dimitriu, abonde. Pourquoi a-t-il donné un coup de main à Dimitriu ? C’est un ami qu’il avait rencontré il y a une semaine, depuis que sa femme l’avait largué en vidant son appartement. Après trois ans de vie, avec un enfant et sans aucune garde à vue comme avant. A la dérive, on se raccroche à la galère des autres, on pense sombrer moins vite... Oui, il savait que Cindy était prostituée et que Dimitriu la protégeait, mais n’y arrivait plus tout seul. Il est complice, il l’admet.

Cindy reverra plus tard son juge des enfants. Cindy ne comprendra pas pourquoi Dimitriu qui lui se souciait un peu d’elle, l’aimait même peut-être, est fautif. Les bonnes âmes diront qu’au moins la loi la protège d’un minable petit profiteur de son calvaire. Mais de quelle protection lui parle-t-on ? Ne rappelons pas que la majorité sexuelle est fixée à quinze ans et que la prostitution est légale, même si hypocritement la loi pénale punit le client d’une péripatéticienne mineure : pute mineure oui, mais sans client, merci. Cindy se foutrait bien de savoir son tapin légal ou dans les marges du Code pénal. Bien sûr la morale des bonnes gens réprouve le sexe tarifé et incline moins encore à approuver la prostitution chez les mineurs fussent-ils âgés de plus de quinze ans. Cindy ne cherche pas d’approbation. D’aucuns ajouteront que la misère et la mésestime de soi sont des contraintes qui rendent illusoires les pétitions de choix volontaire dans la pratique de la prostitution. Cindy n’a jamais connu les illusions de l’enfance et ne se croit pas si libre en fausse adulte.

Dimitriu et Brandon iront répondre de tout cela en comparution immédiate. Justice sera rendue. Plus tard, l’affaire est renvoyée. Bien défendus, Dimitriu et Brandon ressortent, interdits. Cindy est rentrée chez sa tante, du moins l’a-t-elle suivie en sortant du commissariat. Cindy n’est pas venu au Tribunal, pourtant c’est sur le chemin pour retourner à son tapin. Peut-être, espérera-t-elle y retrouver le soutien du regard de Dimitriu, voire Brandon. Non, ils sont sous contrôle judiciaire avec interdiction d’être à son contact. On l’entendrait presque murmurer : “Putain de Justice !”

vendredi 22 mai 2009

Délinquant né et suspect d’en être capable : l’enfant.

par Sub lege libertas


“Les enfants naissent libres de ne pas être délinquant et égaux en droit d’être soupçonné.” On pourrait ironiquement formuler ainsi le principe de la responsabilité pénale des mineurs en France à ce jour. Car avant même les interrogations techniques de Maître Eolas sur la possible ou l’impossible retenue etc. par des policiers d’un mineur âgé de 10 ans ou 6 ans, il faut rappeler que notre droit est totalement archaïque : il ne fixe aucune limite d’âge en deçà duquel la loi interdirait simplement de rechercher la responsabilité d’un mineur comme auteur d’une infraction pénale. Mais non, hurlez-vous : la majorité pénale est fixée à 13 ans par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante ! Il paraît même qu’il faut réform... Stop !!! reprenons calmement :

L’article 122-8 du Code pénal fixe comme critère de capacité pénale pour le mineur, c’est à dire pour être reconnu coupable d’un crime d’un délit ou d’une contravention, la notion de discernement. Quezaco ? Et bien seul un mineur “capable de discernement” quel que soit son âge peut être regardé par la justice comme auteur d’une infraction pénale.

Cela signifie que légalement rien (le bon sens peut-être, mais ce n’est pas une loi) n’interdit un procureur ou un officier de police judiciaire de suspecter un enfant de six ans d’un vol ; et de faire une enquête pour d’une part rechercher les preuves de sa culpabilité, mais aussi les éléments qui établissent son discernement, c’est à dire grosso modo sa capacité à distinguer le bien et le mal, ou plus simplement encore le fait qu’il avait conscience de l’interdit qu’il a violé. Donc, non seulement le policier pourra interroger l’enfant suspecté, mais pour ne pas se contenter de ce qu’il dit savoir de l’interdit, avoir recours à un avis de psychiatre ou de psychologue pour établir le discernement.

Cet état de notre droit est tout simplement scandaleux ! D’une part depuis 1989, la convention internationale des droits de l’enfant recommande aux Etats signataires de fixer un âge en deçà duquel aucune responsabilité pénale ne peut être recherchée (article 40 - 3°a de la convention). Bref, une immunité pénale sans enquête de police judiciaire possible à l’égard du mineur. D’autre part, il maintient en droit interne, la vieille notion de droit canon “d’âge de raison” (vous savez, vers sept ans, quoi!) Si elle avait un sens quand elle fut développée, il y a huit siècles (merci Saint Thomas d’Aquin et le IVe concile du Latran qui impose la confession (l’aveux des fautes) au laïc parvenu à cet âge), elle commence sans doute à manquer d’actualité... D’ailleurs, les experts requis pour trancher sur le discernement de l’enfant raisonnent somme toute avec le même substrat intellectuel que le droit canon, même si leur formulation est contemporaine.

Mais alors, dites vous, et ces seuils d’âge : 10 ans, 13 ans, 16 ans dont on entend parler chaque fois qu’on annonce qu’il faut réformer la fameuse ordonnance de 1945 ? Et bien, ils fixent juste des limites de contrainte possible à l’égard des mineurs :

  • - en deçà de 10 ans, le policier peut, comme pour un majeur, conduire en flagrance l’enfant au commissariat en avisant immédiatement ses parents ou l’y contraindre en enquête préliminaire, s’il n’est pas venu à une convocation. Le policier peut le retenir uniquement le temps de son audition avant de le remettre à ses parents et de leur donner connaissance de ses propos. La justice des mineurs, qui peut être saisie si le discernement est établi, peut condamner prononcer dit-on pour édulcorer, uniquement des mesures éducatives pouvant aller jusqu’à un placement tout de même.
  • - de 10 à 13 ans, le policier peut dans certains cas (assez larges en fait) avec l’accord préalable du procureur, retenir durant 12 heures le mineur au commissariat et même demander si nécessaire une prolongation de la retenue pour 12 heures de plus maximum. La justice des mineurs saisie - il y a là une présomption de discernement implicite - peut non seulement prononcer des mesures éducatives, mais aussi des sanctions éducatives (comme des interdictions de paraître dans certains endroits, des confiscations d’objet, des stages civiques ...)
  • - enfin à partir de 13 ans la garde-à-vue de 24 heures est possible, avec dans certains cas une prolongation, et la justice des mineurs peut condamner (là on le dit) à des peines dont l’emprisonnement dont le maximum est la moitié de la peine prévue pour les majeurs. Et à compter de 16 ans, pour faire simple, la situation du mineur se rapproche très fortement de celle du majeur pour sa garde-à-vue, le risque de peine encourue et la possibilité de détention provisoire.

Voilà, alors les policiers de Floirac ou Cenon sont zélés, certes. Ils ont peut-être une conception très ancienne de l’âge de raison par rapport au vol. Mais, ils n'ont pas choisi d’avoir un droit aussi peu protecteur de la petite enfance par rapport au questionnement pénal. Un espoir ? Et bien de façon incroyable oui, dans l'avant-projet de Code de la justice pénale des mineurs, qui pour le reste méritera des commentaires plus sévères (quand j'aurais le temps, Dadouche, help me). Si l’on en croit la mouture de travail, l’article 111-1 (le premier) affirmera que la responsabilité pénale n’est prévue que pour les mineurs âgé de treize ans et plus. Comme pour le confirmer, l’article 111-7 précisera que pour les mineurs de 10 à 13 ans, auteurs d’une infraction pénale, l’enquête de police ne vise qu’à établir les élements pour asseoir la responsabilité civile des parents. Jamais, je n’aurais pensé que la réforme tant annoncée pourrait avoir cette audace sur ce point... Demain peut-être en France un enfant pourra naître, non plus suspect possible, mais jusqu'à 13 ans, innocent.

Aux âmes bien nées, la retenue n'attend pas le nombre des années

Il y a des fois où je redoute d'arriver au bout de mes réserves d'indignation tant elles sont sollicitées. On avait déjà vu des policiers débarquer dans une classe de maternelle pour emporter deux enfants de 3 et 6 ans à expulser avec leur mère (vous ne me croyez pas ? C'est un horrible canard gauchiste qui le raconte), on avait déjà vu quinze gendarmes embarquer une famille avec un bébé de quatre mois pour placer tout le monde en rétention à 500 km de là. Six policiers entourent et escortent une fillette d'environ quatre ans, tache de rose au milieu du bleu nuit.

La série continue, cette fois ci sans aucun lien avec le droit des étrangers.

Une mère habitant Floirac, en Gironde, aperçoit un jour à l'école Louis-Aragon où va son fils une bicyclette ressemblant fort à celle que son fils s'était fait voler peu de temps auparavant. Elle va s'en plaindre auprès du directeur d'établissement, lui demandant de saisir cette bicyclette. Le directeur lui répond à juste titre qu'il n'en a absolument pas le pouvoir, cette affaire étant étrangère à l'établissement et concernant la vie privée des enfants. La mère n'en démord pas et va porter plainte à la police pour vol.

En Gironde, on ne plaisante pas avec le vol de bicyclette.

Deux voitures de police et six fonctionnaires vont donc attendre à la sortie le cycliste suspect. Âgé de dix ans. Et là, problème. Le vélo volé était vert, et celui du voleur présumé était bleu. Le gamin faisant défaut, c'est la littérature qui a volé, mais au secours de la force publique : si ce n'est toi, c'est donc ton cousin, âgé de six ans, qui lui a un vélo bleu. Que la mère du bambin spolié reconnaît comme étant un vélo volé à son fils il y a deux ans. Peste ! Ça sent la bande organisée. En tout cas, on cherchait un vélo d'un certain modèle vert, on a un vélo de ce modèle mais bleu, et on a un vélo d'un autre modèle mais vert. L'enquête progresse à grands pas. Tout le monde au commissariat.

Les enfants vont passer deux heures au commissariat, avant que la mère du voleur présumé n'arrive avec une attestation d'un sous-officier de l'armée de l'air jurant qu'il avait acheté lui-même le vélo suspect au gamin, ce que ce dernier expliquait depuis deux heures.

Au temps pour nous, dirent les policiers, remettant les enfants en liberté, une larme à l'œil à l'idée de ne pouvoir mettre une croix dans la case “affaire élucidée” des chiffres du commissariat, mais néanmoins consolés de pouvoir en mettre une voire deux dans la case “gardes à vue”, puisque ce critère fait partie des chiffres exigés par le ministère de l'intérieur dans cette culture du résultat qui fait tant de dégâts.

Les faits sont relatés par un article de la Dépêche.

En droit, que s'est-il passé ?

Rien que de très banal, dans un premier temps du moins. Un enfant mineur a été victime d'un vol de bicyclette (crime pour lequel je n'ai aucune sympathie, mes lecteurs savent pourquoi). Sa mère, titulaire de l'autorité parentale et en qualité de représentante légale, est allée porter plainte auprès de la police, précisant qu'elle avait cru reconnaître le vélo de son fils entre les jambes d'un des élèves de l'école primaire fréquentée par son fils.

L'officier de police judiciaire ayant reçu cette plainte a ouvert une enquête, en flagrance semble-t-il vu l'arrestation à la sortie de l'école, en se fondant sur l'article 53 alinéa 1er du code de procédure pénale : dans un temps très voisin de l'action, la personne placée en garde à vue était poursuivie par la clameur publique (en fait, la clameur de la mère de la victime, mais cela suffit). Une autre hypothèse est une enquête préliminaire, mais dans ce cas, il y aurait dû y avoir une convocation au commissariat non suivie d'effet pour permettre l'interpellation (article 78 du CPP) et la hiérarchie policière interrogée par la presse n'en fait pas état.

Il ne vous aura pas échappé, à vous du moins, que les mis en causes étaient mineurs. Très mineurs, même. La loi en tient compte, et c'est là que le bât me blesse.

Le plus âgé des deux avait dix ans révolus. Il ne pouvait donc être placé en garde à vue (c'est à partir de treize ans), mais, “ à titre exceptionnel ” dit la loi, retenu à la disposition d'un officier de police judiciaire. C'est l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945, celle que la belle du septième (arrondissement) veut réformer pour durcir allègrement.

Cependant, cet article précise que cette retenue ne peut avoir lieu qu'avec l'accord préalable et sous le contrôle d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants, pour une durée qu'il détermine et qui ne peut excéder douze heures (renouvelable une fois après présentation du mineur au magistrat). La durée a été respectée (la retenue n'a duré “ que ” deux heures) mais cela signifie qu'un magistrat a nécessairement donné son feu vert à la mesure (il n'avait pas à être consulté sur les modalités de l'interpellation à la sortie de l'école, je doute qu'il ait approuvé).

Autre problème : le bambin de 6 ans. Âgé de moins de dix ans, celui-ci ne peut en aucun cas faire l'objet d'une mesure de garde à vue ou de retenue ou de quoi que ce soit qui s'apparente à une arrestation (Ordonnance du 2 février 1945, article 4 toujours). À quel titre a-t-il été embarqué et gardé au commissariat ? L'article précise que l'enfant de dix ans attendait son petit frère à la sortie de la maternelle. Il eût été compréhensible que les policiers le prissent avec eux pour éviter qu'il ne se retrouvât livré à lui-même, mais il ne semble pas, à la lecture de l'article, que le cousin de six ans dût être escorté par notre faux voleur de bicyclette ; au contraire il ressort bien de cet article qu'il a été conduit au commissariat à cause des soupçons pesant sur son vélo vert (je sais, c'est compliqué, c'est de la délinquance organisée, n'oublions pas). En tout état de cause, le magistrat ayant autorisé l'interpellation de mini-Mesrine a-t-il été informé qu'il venait accompagné d'un enfant de six ans ?

Questions que je me pose mais auxquelles je ne peux apporter de réponses.

Le directeur départemental de la sécurité publique m'en propose une : c'est un non événement. “ Les services de police ont agi par rapport aux réquisitions d’une victime, sans excès d’aucune sorte. ” Si vous comptez sur l'État pour vous protéger, vous et vos enfants, demandez-vous donc avec Juvénal[1] qui vous protégera de l'État. Le bal des hypocrites est ouvert en tout cas au gouvernement qui feint d'être surpris des résultats de la politique qu'il a lui-même ordonnée (j'ai la flemme de faire des liens pour ça).

En tout état de cause, cette lamentable affaire, à la veille d'une grande réforme annoncée du droit pénal des mineurs qui n'ira certainement pas dans un sens de plus grande protection permet de rappeler opportunément un point essentiel qui, à lire les propos va-t-en guerre du gouvernement sur ce point, semble avoir été totalement oublié.

À côté des deux grandes catégories de mineurs qui retiennent l'attention du gouvernement, les enfants victimes et les enfants délinquants, il en existe une troisième, de loin la plus nombreuse : les enfants innocents. Ce ne serait pas plus mal que la loi les protège un peu aussi, ceux-là, quand bien même la seule menace qui pèse sur eux émane de l'État lui-même. Surtout à cause de cela, en fait.


Post-scriptum : un mot sur la photo d'illustration. Six policiers entourent une petite fille toute de rose vêtue. À gauche, un homme porte dans ses bras un petit garçon de deux ans, il est suivi de deux enfants de huit et treize ans environs. La police ne semble pas se soucier d'une possible tentative de fuite…C'est un recadrage de cette photo (AFP/Jack Guez). C'est une photo prise en 2006 à la sortie du tribunal administratif de Cergy Pontoise, d'une famille faisant l'objet d'une reconduite à la frontière avec placement en rétention. Les policiers entourent la fillette, et se désintéressent du reste de la famille, visible à gauche de la photo, dont aucun membre n'est menotté. C'est une technique couramment utilisée. L'escorte s'assure de la personne de la fillette. Ainsi, les policiers sont sûrs que la famille ne tentera aucune évasion, qui impliquerait d'abandonner cette petite fille. Les policiers justifient cette ruse habile en expliquant que “ c'est plus humain ainsi ”.

Notes

[1] Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ?

jeudi 21 mai 2009

Clap de fin

Au détour d'une de ces redoutables lois de simplification du droit dont le législateur raffole pour compliquer le travail des juristes (si vous croyez que je fais de l'ironie facile, lisez l'article 138 de la loi), en l'espèce la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, le législateur vient de mettre fin à la controverse née de la rédaction de l'article 67 du code de procédure pénale, dont Gascogne vous avait parlé ici.

Désormais, la loi exclut expressément l'enregistrement des gardes à vue en matière délictuelle (l'article 67 est désomrais ainsi rédigé : « Les dispositions des articles 54 à 66, à l'exception de celles de l'article 64-1, sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement. »).

Au passage, voilà comment, sous couvert de simplification et clarification, le législateur ôte de la loi une garantie de la défense (car cet enregistrement permettait à celui qui affirmait que ses aveux avaient été contraints ou faussés d'avoir une preuve) qui y était entrée, certes par accident, bien sûr par accident.

Amis juristes, parcourez bien cette loi, car elle change beaucoup de choses, et pas toujours dans un sens de simplification et de clarification.

Ainsi, désormais, la déclaration de nationalité du conjoint de Français depuis 4 ans se fera à la préfecture et non au tribunal d'instance. Sachant qu'il y a en France métropolitaine 95 préfectures et 473 tribunaux d'instance, je suppose que contraindre à un long déplacement est une simplification pour le législateur. Il y en a aussi pour l'indivision, la copropriété, les successions.

Comme d'habitude à chaque fois que le législateur simplifie le droit, l'aspirine est de rigueur.

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