Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Actualité du droit

Le droit fait parfois la Une des journaux. Il y a gros à parier qu'il se retrouvera alors ici.

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mercredi 28 mai 2008

Mais puisqu'on vous dit que le droit n'est pas prêt pour l'internet

L'un des lieux communs les plus largement répandus est celui de l'atavique inadéquation du droit aux réalités du monde actuel.

La dernière variation de ce cliché est liée à l'apparition de l'internet. Mon dieu : un espace sans frontière ! Les lois nationales sont obsolètes ! Si mon serveur est en Californie et qu'on me fait un procès en France, que va faire le droit ? Appliquer en France la loi californienne, peut-être ?

Comment ça, oui ?

Les parties [la société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF), la S. A. R. L. Google France et la société Google Inc., société de droit californien] sont d’accord pour dire que l’article 5 de la convention de Berne (…) doit s’appliquer au présent litige.

Pour apprécier l’étendue de la protection accordée à des délits complexes tels que des contrefaçons de droit d’auteur intervenant sur différents Etats signataires de la convention, il convient de se référer à la loi du pays sur le territoire duquel se sont produits les agissements incriminés. C’est la notion de lieu où le fait générateur de la contrefaçon a été réalisé qui est retenue pour déterminer la loi applicable au litige et non celle du lieu où le dommage est subi.

L’arrêt Lamore du 30 janvier 2007 consacre cette interprétation et dit que s’agissant d’une contrefaçon poursuivie en France du fait de la distribution du film WATERWORLD, le territoire où l’agissement délictueux a été généré doit être retenu et non celui où le dommage est subi, et décide en conséquence que la loi applicable est la loi américaine, celle du lieu de la conception, de la création et de la représentation du film.

Dans le présent litige, les agissements allégués de contrefaçon sont réalisés d’une part par la collecte des images et leur référencement par le moteur de recherches Google images et d’autre part par l’accès au serveur google.fr.

Il est manifeste que cette activité, à savoir celle de développeur de moteur de recherches, est l’activité centrale et première de la société GOOGLE Inc et que c’est donc le siège social de la société GOOGLE Inc qui est l’endroit où les décisions sont prises et où l’activité de moteur de recherches est mise en oeuvre au sein des locaux de la société GOOGLE Inc qui doit déterminer la loi applicable au litige.

En conséquence, il sera fait application de la loi américaine sur la protection des droits d’auteur et donc du Copyright Act de 1976.

Et hop, le tribunal de grande instance de Paris fait (notamment) application du fair use et exonère Google des accusations de contrefaçon en ce qui concerne le référencement et la conservation en cache d'œuvres graphiques.

Ah, mais non, m'objectera-t-on, je suis de mauvaise foi : manifestement, il y a eu une convention passée à Berne qui prévoit que dans les affaires liées à l'internet, on puisse appliquer la loi du pays où est le serveur dans le pays où le plaignant a accédé au serveur et saisi la justice. Donc le droit était dépassé, mais on a signé un traité international pour régler la question.

Et au fait, cette convention sur l'internet, on l'a signé quand ?

Le 9 septembre 1886, pourquoi ?

mardi 20 mai 2008

Les chênes qu'on abat…

J'emprunte mon titre à Malraux qui ne m'en voudra pas, s'agissant de rendre hommage à un gaulliste historique s'il en est, hommage qui exceptionnellement sera teinté d'un voile de déception. Je pense à Monsieur Pierre Mazeaud, invité ce matin sur France Inter de Nicolas Demorand.

Pierre Mazeaud est une figure de la Ve république. Issu d'une famille de grands juristes (Henri, Léon, Jean, et le petit dernier Denis qui montre que la race est loin de décliner), il a été magistrat, député de 1968 à 1973 et de 1988 à 1998, secrétaire d'État sous Pompidou et Giscard, Conseiller d'État, président du Conseil constitutionnel. À côté de tout cela, le fait qu'il ait atteint le sommet de l'Everest le 15 octobre 1978 apparaît naturel.

Actuellement, Pierre Mazeaud est chargé de mission par le président de la République (mais qui ne l'est pas, ces temps-ci ?) et à la tête d'une commission qui réfléchit sur les problèmes posés par la dualité de juridiction (administrative / judiciaire) dans le contentieux des étrangers et les moyens d'y remédier si ces problèmes sont réels.

Une brève explication s'impose. L'article 66 de la Constitution donne à l'autorité judiciaire[1] le rôle de défense des libertés individuelles. Le Conseil constitutionnel, interprète de la Constitution, en a déduit que le contentieux de la privation de liberté d'un étranger faisant l'objet d'une mesure administrative d'éloignement forcé appartenait au juge judiciaire exclusivement. Ainsi, quand un étranger frappé d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) ou d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) est placé dans un centre de rétention, il doit être présenté à un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention (JLD), qui décidera s'il y a lieu de le maintenir ou pas en rétention (sachant que la loi a restreint autant que possible sa liberté sur le sujet : notamment la liberté est l'exception et la privation de liberté le principe. Si vous ne me croyez pas, lisez l'article L.552-4 du CESEDA). Le JLD décide uniquement du maintien ou non en rétention. La validité de la décision d'éloignement est jugée quant à elle par le tribunal administratif (TA).
Cela a des conséquences pratiques néfastes, c'est certain.
Pour l'État, un surcoût : l'étranger doit être présenté à deux juges, parfois fort éloignés[2], en un laps de temps très court, et doit donc être escorté sur place.
Pour l'étranger, une perte de garantie de ses droits. En effet, la dualité des autorités fait qu'une arrestation complètement illégale (contrôle au faciès, pas de notification des droits, durée de la garde à vue dépassée) entraînera la fin de la rétention administrative qui en découle, et la remise en liberté de l'étranger MAIS curieusement sera sans incidence sur l'arrêté de reconduite à la frontière pris également dans la foulée, car c'est une décision purement administrative et distincte du placement en rétention qui seule porte atteinte à la liberté. L'argument tiré de la nullité de l'arrestation est irrecevable devant le TA.

À la suite des brillants travaux de la commission des lois sur le projet de révision constitutionnelle dont je me suis gaussé j'ai parlé ici, Pierre Mazeaud, dans Le Monde, rappelle à l'ordre son « ami »[3] Jean-Luc Warsmann, membre de sa commission, qui a voulu anticiper sur les résultats de ces travaux.

Pour enfoncer le clou, Pierre Mazeaud était donc reçu ce matin sur France Inter. Il va de soi que je guettais fébrilement l'avis du vieux sage, qui a atteint un stade de sa vie où il n'a plus rien à craindre de personne, ce qui lui assure la plus grande des libertés, lui qui n'a jamais eu le goût du licol.

Nicolas Demorand a profité de la présence d'un tel expert des institutions, membre de la Commission Balladur à l'origine de la loi dont discute actuellement l'assemblée, pour parler de cette réforme des institutions. J'étais aux anges, ma tartine à la main.

Et voilà que fut abordée la question de l'exception d'inconstitutionnalité, qui me tient à cœur. Fidèle à la conception gaulliste de la République, Pierre Mazeaud y est opposé. Je ne lui en tiens pas rigueur, la divergence d'opinion n'a jamais été un obstacle à mon estime. C'est l'usage d'arguments de bas niveau qui l'est. Et las, c'est précisément ce que j'ouïs.

Voici le corpus delicti. Attention, MP3 avec des vrais morceaux d'attaque ad hominem dedans.

Ah, le corporatisme des professeurs de droit, ces hiboux poussiéreux qui jamais ne sont sortis de leur faculté depuis mai 1968. Que c'est commode de moquer les hauteurs de l'intelligence : d'en bas, tout à l'air si petit. Et qu'importe si la plupart d'entre eux sont aussi avocats : le politique emprunte ceci au journaliste que l'honnêteté intellectuelle doit savoir s'effacer devant un bon mot.

Ah, Pierre ! Que ma tartine m'a paru fade après que tu m'as servi un tel brouet.

Répondons au seul argument dont il nous est fait don : l'insécurité juridique. L'annulation d'une loi dix ans après serait une telle insécurité juridique que le remède serait pire que le mal. Pardon, cher Pierre, mais sur ce coup, le praticien se gausse.

Précision de vocabulaire : on appelle en droit une exception un argument (on dit un moyen) qui vise à ce que le juge rejette la prétention adverse. Elle est une défense, et s'oppose à l'attaque, qu'on appelle l'action. Quand on dit que le juge de l'action est juge de l'exception, cela signifie que le juge qui est compétent pour statuer sur une demande peut statuer sur tous les moyens de défense qui vise au rejet de cette demande.

L'exception d'inconstitutionnalité vise à permettre à un justiciable de soulever comme argument que la loi qu'on essaye de lui appliquer serait contraire à la Constitution, et donc… illégale. Pensez donc : permettre au peuple souverain de contester devant ses juges le travail législatif de ses représentants : vous n'y pensez pas, on se croirait en démocratie.

L'argument de l'insécurité juridique ne tient pas, car cela fait longtemps qu'on pratique une telle exception au niveau inférieur de l'ordonnancement juridique, c'est à dire des décrets et décisions administratives individuelles : l'exception d'illégalité devant le juge administratif remonte aux arrêts Sieur Avézard (24 janvier 1902) et Poulin (29 mai 1908).

Tout administré peut attaquer devant le juge administratif tout acte de l'administration, qu'il soit individuel (décision d'annulation du permis de conduire par décès du douzième point) ou général (décret du gouvernement). Il agit donc, si vous avez suivi, par voie d'action. Ce recours est enfermé dans un délai de deux mois à compter de sa notification à l'intéressé si c'est une décision individuelle, de sa publication (J.O., registre des actes administratifs d'une préfecture, etc.) si c'est un acte général. Après ce délai, l'action est irrecevable (Bon, il y a des ruses pour rouvrir le délai, mais passons).

Cependant, un administré qui se voit appliquer un tel acte après expiration du délai de recours peut en contester la légalité par voie d'exception : en effet, comme il n'est pas possible de soulever une exception tant qu'un juge n'est pas saisi, l'exception n'est enfermée dans aucun délai : l'exception est perpétuelle, ce que les juristes qui ont fait leurs humanités disent Quæ temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum : si l'action est temporaire, l'exception est perpétuelle.

Par exemple, un automobiliste qui conteste aujourd'hui devant le tribunal administratif la légalité du retrait de ses points peut soulever l'illégalité de l'article R.223-1 du Code de la route, issu du décret n°2003-642 du 11 juillet 2003.

Bref, cela fait plus d'un siècle qu'on annule des actes de l'administration illégaux, sans que la sécurité juridique soit agonisante dans notre pays, car le juge a construit une jurisprudence subtile pour arbitrer entre la sanction de l'illégalité et le respect des situations individuelles acquises, au nom de la sécurité juridique, justement : ainsi, l'exception d'illégalité est largement ouverte pour attaquer un règlement, et plus restreinte pour une mesure individuelle : autorisation, nomination, etc.

Je n'entrerai pas dans les détails qui font les délices des étudiants de deuxième année (Ah, la théorie des actes complexes…), mais je précise qu'on sait distinguer entre une illégalité totale de l'acte et une illégalité résultant de l'application concrète à un cas précis, et je conclurai ce point en disant qu'on sait faire, en ajoutant que la sécurité juridique a bon dos quand on l'invoque pour couvrir une loi contraire à la Constitution, bref : les turpitudes du législateur. Que le législateur nous interdise ensuite de lui chercher noise pour notre propre bien révèle une mentalité qui rend urgente l'ouverture d'une telle voie de recours.

Enfin, le dernier argument moquant les professeurs de droit si ignorant des réalités pratiques du parlement (alors qu'ici même nous nous gaussions de l'ignorance crasse du législateur en matière de droit dès lors qu'il n'est pas praticien) pour écarter l'exception d'inconstitutionnalité mérite un coup d'œil curieux chez nos voisins et amis.

Bien des pays se sont dotés d'un tel contrôle. Le premier en ordre chronologique est les États-Unis d'Amérique. Et ça ne date pas d'hier mais du 24 février 1803. Oui, Napoléon n'était encore que Bonaparte que déjà les États-Unis avait un contrôle de constitutionnalité ouvert au citoyen.

William Marbury venait d'être nommé juge de paix dans le District de Columbia par le président John Adams, qui arrivait au terme de son mandat. Son successeur, Thomas Jefferson, a ordonné à James Madison, son Secretary Of State, de ne pas délivrer à William Marbury son acte de nomination. William Marbury saisit la cour suprême qui déclara qu'elle était compétente pour juger de la conformité des actes de l'exécutif (et du législatif) à la Constitution, et que ce refus était anticonstitutionnel. Las, droit et morale sont deux choses distinctes : la cour décida également qu'elle n'avait pas le pouvoir de forcer Madison à délivrer cet acte de nomination ; William Marbury ne fut jamais juge de paix du District de Columbia et James Madison fut le 4e Président des États-Unis.

Bref, on est loin de l'onanisme intellectuel d'éminents professeurs de Harvard : ce contrôle est né d'un cas concret.

D'autres pays se sont dotés par la suite d'un tel contrôle. J'en citerai deux : la République Fédérale d'Allemagne, deux ans après la fin du nazisme, et l'Espagne, trois ans après la mort de Franco. Là encore, ce ne sont pas des vieillards chenus qui ont pondu une thèse en latin, mais deux démocraties nées sur les cendres d'un régime autoritaire qui ont décidé de se munir des moyens de protéger leurs citoyens des abus potentiels de leurs dirigeants.

Mais l'attitude de l'État français ayant toujours été, tout au long de notre histoire, au-dessus de tout reproche, pourquoi, je vous le demande, pourquoi vouloir protéger les citoyens de ses lois si nécessairement justes, bonnes et parfaites, ou si elles ne devaient pas l'être, que diantre : et la sécurité juridique, ma bonne dame, montez dans ce wagon et plus vite que ça.

Ah, les temps ont changé, me dira-t-on : la République n'est plus composée que de vrais démocrates, et la Ve n'est pas l'État Français de Pétain. Certes, l'argument vaut pour aujourd'hui. Qu'il me soit permis de demander quid de demain, et de tiquer un brin sur aujourd'hui quand même.

Qu'il me soit permis de rappeler quelques faits.

L'élection du président de la République au Suffrage Universel a été décidée en 1962 au terme d'un processus contraire à la Constitution (un référendum de l'article 11 de la Constitution alors que la procédure de Révision est celle de l'article 89 : il fallait que le parlement y passe). Quatre ans après l'entrée en vigueur de la Constitution, toute son économie était bouleversée anticonstitutionnellement (vous voyez qu'on peut le caser, ce mot).

La loi antiterroriste de 2005, votée à la quasi unanimité, et qui porte de graves atteintes aux libertés individuelles, n'a pas été soumise au Conseil constitutionnelAu temps pour moi, elle le fut. Pas plus que la loi du 5 mars 2007 réformant la procédure pénale à la suite de l'affaire d'Outreau. Vous voyez le type de loi qui échappent à tout contrôle.

Un ancien garde des Sceaux a appelé les parlementaires à ne pas saisir le Conseil constitutionnel pour permettre à sa loi sur la récidive de s'appliquer immédiatement aux détenus à la suite d'un fait divers sordide[4].

L'actuel président de la République a demandé au premier président de la cour de cassation de réfléchir aux moyens de faire entrer immédiatement en vigueur la loi sur la rétention de sûreté à la suite de la décision du Conseil constitutionnel s'opposant à une application rétroactive au nom de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Pour reprendre une heureuse formule de mon ami Jules de Diner's room : L'aristocratie repose sur la méfiance des gouvernants à l'endroit du peuple. La démocratie repose sur la méfiance du peuple envers les dirigeants. Il serait temps de savoir quel est notre régime.

Notes

[1] La Constitution distingue le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et… l'autorité judiciaire, qui dès son apparition est mise sous la protection du président de la République comme un mineur incapable. Ô combien représentatif de l'état d'esprit de nos dirigeants.

[2] Un étranger reconduit par le préfet de la Seine Saint-Denis sera présenté au JLD de Bobigny puis au TA de Cergy Pontoise ; un étranger reconduit par le préfet des Pyréennées atlantiques sera présenté au JLD de Bayonne puis au TA de Pau, parfois dans la même journée, sachant en outre que le centre de rétention est à Hendaye.

[3] Quand un homme politique vous appelle son ami, c'est comme Judas qui embrasse le Christ.

[4] «Il y a un risque d'inconstitutionnalité», a dit M. Clément. «Les événements récents vont me pousser à le prendre et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus», a ajouté le ministre. Source : le Figaro

samedi 17 mai 2008

Juges administratifs, le législateur vous aime !

Je plaisante, naturellement. Il suffit pour s'en convaincre de lire le compte rendu de la Commission des lois du mercredi 14 mai 2008 à 16h15 (je graisse ; les hyperliens sont des ajouts de votre serviteur).

Après l’adoption d’un amendement rédactionnel du rapporteur, la Commission a été saisie d’un amendement du même auteur tendant à étendre le domaine de la loi à la constitution de blocs de compétence que la jurisprudence du Conseil constitutionnel rend aujourd’hui aléatoire. L’objectif de l’amendement est de permettre au législateur de simplifier, au nom de la bonne administration de la justice et du droit à l’accès au juge, la répartition des contentieux entre les deux ordres de juridiction, dans le respect de la compétence du juge judiciaire pour la protection des libertés individuelles.

Après avoir indiqué qu’il approuvait la volonté du rapporteur de remédier aux difficultés d’accès au juge compétent pour le justiciable, M. Arnaud Montebourg a estimé que la question de la modernisation de la justice administrative devait être posée à l’occasion de la réforme des institutions. Le défaut d’indépendance des magistrats administratifs, qui sont avant tout des fonctionnaires, ainsi que la double compétence du Conseil d’État, à la fois conseiller du Gouvernement sur la rédaction des actes administratifs et juge de la légalité de ces mêmes actes, a conduit ces dernières années à une multiplication de recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme qui ridiculisent notre pays[1]. À cet égard, et sans même évoquer la question des nominations au tour extérieur, les fonctions du commissaire du gouvernement, qui ne représente pas le Gouvernement mais s’exprime devant les juridictions en dernier sans qu’il soit possible de lui répondre, sont révélatrices de l’anomalie que constitue aujourd’hui le fonctionnement de la justice administrative française. Il s’est donc déclaré en faveur d’une clarification du rôle et de la situation du Conseil d’État dont la fonction juridictionnelle ne doit pas être consacrée par la Constitution.

Après avoir rappelé les critiques dont faisait l’objet la justice administrative de la part de nombre de parlementaires, notamment en raison du fait que le Conseil d’État, dans le domaine de la protection de l’environnement, n’a rendu dans les vingt-cinq dernières années aucune décision favorable aux associations de défense de l’environnement, M. Noël Mamère[2] a estimé que la confusion du rôle de contrôleur et de contrôlé qui caractérise le Conseil d’État était particulièrement nocive et devait amener à s’interroger sur le maintien de sa section du contentieux.

Mis aux voix, l’amendement a été adopté à l’unanimité.


Jean-Marc Sauvé a aussitôt souhaité réagir au nom du Conseil d'État :


Merci à Serge Slama pour l'info.

Notes

[1] Cher confrère, tout est question d'opinion, mais pour ma part, je pense que ce qui ridiculise notre pays, ce sont plutôt les condamnations prononcées pour torture, pour une loi votée au nom des handicapés et qui a nuît gravement à leurs droits, pour l'absence de recours effectif d'un demandeur d'asile refoulé à la frontière et renvoyé dans son pays d'origine sans qu'un juge ait seulement entendu parler de lui, plus que sur le refus, obstiné il est vrai, de communiquer les conclusions du commissaire du gouvernement ; mais il me semble qu'il y suffirait une simple loi, pas une révision de la Constitution. Mais bon, je suis demeuré avocat, moi, qu'est-ce que j'y connais...

[2] Cher confrère, je vous rappelle que depuis que vous avez prêté serment, vous avez une obligation de compétence (art. 1.3 du RIN) que n'ont pas vos petits camarades…

jeudi 15 mai 2008

Le prix du livre n'inclut pas le prix du timbre poste

La cour de cassation vient de rendre un arrêt qui casse l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant confirmé la condamnation du site alapage.com à payer 50.000 euros de dommages-intérêts au Syndicat de la Librairie Française (SLF) pour avoir violé l'interdiction de la vente à prime sur les livres posée par la loi Lang du 10 août 1981.

Quand on sait qu'Amazon a été condamné à la même chose, ça va sabler le champagne à Seattle.

Les faits étaient les suivants : Alapage, comme Amazon, vendent des livres sur internet. Or depuis une loi Lang du 10 août 1981, le prix du livre n'est pas libre en France : il est fixé par l'éditeur, la loi ne permettant au détaillant de le vendre qu'à un prix au maximum inférieur à 5% à ce prix là. De même, pour éviter le contournement de cette interdiction, la vente à prime est interdite, c'est à dire d'offrir avec le livre un bien ou un service gratuit de nature différente, sauf à ce que le même bien ou service soit proposé par l'éditeur lui-même à tous les détaillants (ce sont les livres que vous pouvez vous voir remttre portant la mention “exemplaire non destiné à la vente”). Loi faite pour protéger les libraires indépendants mais qui a surtout fait le succès des supermarchés du livre qui, eux peuvent appliquer ce rabais sans difficulté. Ceux qui en doutent n'ont qu'à aller chercher une librairie dans le quartier Latin.

Afin d'être attrayants, ces libraires en ligne ont fait une promotion consistant à offrir à l'acheteur les frais de port, au-delà d'un certain montant dans un premier temps puis quel que soit le montant. Ainsi, pour l'acheteur, l'opération est économiquement la même d'aller acheter un livre dans une librairie de quartier (pratiquant le rabais de 5%) que de commander en ligne.

Ce que le SLF a estimé contraire à la loi Lang. En effet, opinait-il, suivi en cela par le tribunal de grande instance de Créteil le 25 janvier 2005, lui-même approuvé par la 5e chambre de la cour d'appel de Paris le 23 mai 2007, les frais de port étant normalement à la charge de l’acheteur, le seul fait pour le vendeur, dans un but de promotion et d’incitation à l’achat, d’annoncer au client auquel le lie un contrat à titre onéreux, qu’il assume lui-même le paiement de la livraison et d’en faire un service gratuit caractérise la prime prohibée au sens des articles 6 de la loi du 10 août 1981 et L. 121-35 du code de la consommation. Et ces sites d'être condamnés à 50.000 euros de dommages-intérêts pour concurrence déloyale outre 5000 euros de frais de procédure .

N'en démordant pas, le libraire en ligne a porté le litige devant la cour de cassation. Bien lui en a pris, car la cour suprême lui donne raison.

En effet, la cour de cassation estime que les conseillers de la cour d'appel se sont trompés dans l'application de la loi, et ce par un raisonnement de pur droit des obligations dont l'orthodoxie réjouira les étudiants de deuxième année, qui feraient bien de potasser cet arrêt en vue de leurs partiels : en statuant ainsi, estime la cour de cassation, alors que la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du code de la consommation, la cour d'appel a violé la loi par fausse application.

Explications pour ceux qui n'ont pas connu le Shangri-La de la deuxième année de droit. La vente est un contrat dit synallagmatique : les deux parties ont chacune des obligations réciproques. L'acheteur doit payer le prix. Le vendeur doit délivrer la chose. Et le contrat se forme instantanément dès qu'il y a accord sur la chose vendue et sur son prix. Cet accord n'a à prendre aucune forme particulière, dès lors qu'il est univoque. Ce peut être une phrase : “Une baguette, s'il vous plaît” ; ce peut être un geste : prendre un livre en rayon et le tendre à la caissière, ou un clic de souris sur un bouton “acheter maintenant”. Peu importe qu'au moment précis où ces mots sont prononcés ou le geste accompli, le vendeur n'ait pas aussitôt réception du paiement. Peu importe que l'acheter n'ait pas aussitôt sa baguette ou son livre entre les mains : le contrat est formé et parfait, il ne reste plus qu'à l'exécuter.

Cela veut dire pour l'acheteur de payer. Tendre du numéraire au vendeur, ou user d'un moyen de paiement, chèque ou carte bancaire. Cela veut dire pour le vendeur de délivrer la chose, c'est à dire remettre matériellement un bien conforme au contrat. Si en nos jours électronqiues, le paiement est dématérialisé et sinon instantanné du moins immédiatement confirmé au vendeur, la délivrance, elle suppose la remise du bien généralement entre les mains de l'acheteur (on parle depuis le droit romain de traditio, qui a donné en français tradition, ce qui est transmis, et en anglais trade, le commerce).

Or les libraires en ligne sont constitués d'un serveur informatique qui gère le site en ligne et d'un entrepôt où sont stockés des livres et commandés les exemplaires plus rares avant d'être expédiés par voie postale à l'acheteur. Cet envoi postal constitue la traditio, la remise matérielle du contrat. C'est une obligation du vendeur, c'est même son obligation princiaple, l'essence du contrat. Dès lors, rien n'oblige l'acheteur à assumer ce coût (c'est possible, mais il doit y avoir consenti, donc être prévu dans le contrat), et si le vendeur prend à sa charge ce coût, il ne fait qu'exécuter son obligation de délivrance, ce qui ne saurait être assimilé à une prime, c'est à dire un service gratuit auquel aurait donné droit l'achat du livre.

Ceux qui veulent en savoir plus sur cette exception française qu'est la situation du livre en France pourront se reporter au livre que mon cher ami communard Hugues vient de sortir, disponible chez Amazon et chez fnac.com (pas trouvé sur alapage). Frais de port offerts, vous savez désormais pourquoi.

vendredi 2 mai 2008

Faute d'avoué, serons-nous à moitié pardonnés ?

Allez, en ce beau mois de mai, commémoration d'un mois d'émeutes, lançons un sujet qui fâche : faut-il sauver les avoués ?

—« Oui ! », crieront les avoués.

—« Non !», crieront bien des avocats auxquels ne se joindra pas votre serviteur.

—« C'est quoi un avoué ? » crieront de leur côté bien des lecteurs peu au fait des subtilités de la procédure d'appel en matière civile.

Je reprendrai ces cris dans l'ordre inverse de celui dans lequel ils ont été proférés[1].

Qu'est ce qu'un avoué ? Étymologiquement, l'origine est la même que le mot avocat : c'est celui qu'on appelle (ad vocat) à l'aide. Il s'agit d'une profession juridique, libérale et réglementée, car en France on aime les oxymores. Elle suppose pour son exercice d'être titulaire d'une charge, à l'instar des huissiers de justice et des notaires. Les avoués ont pour mission la représentation des parties devant la cour d'appel. Elles ont même le monopole de cette activité.

Je développe, rassurez-vous.

Devant le tribunal de grande instance (TGI), qui est la juridiction civile de droit commun, les parties ont l'obligation de se faire représenter. Elles ne peuvent pas comparaître en personne. La procédure est en effet écrite, c'est à dire que préalablement à l'audience de jugement, tous les arguments doivent avoir été échangés par les parties par écrit. À cette fin, il y a une phase préparatoire de l'audience, qu'on appelle “la mise en état”, comprendre la mise de l'affaire en état d'être jugée. Cette phase se déroule sous la surveillance d'un des juge du tribunal, qui prend le titre de juge de la mise en état (JME). Il convoque à intervalle régulier les représentants des parties, s'assure que la communication des arguments et pièces a eu lieu et peut au besoin enjoindre une partie à y procéder, et tranche seul toutes les questions de pure procédure, comme la nullité de l'assignation (on appelle ces questions de procédure qui peuvent mettre fin à l'action en justice sans que le fond soit abordé des “incidents”, et les audiences où ils sont examinés des “audiences sur incident”). L'idée est de s'assurer que quand l'affaire vient devant le tribunal au complet pour être jugée, il n'y ait aucun imprévu qui oblige à renvoyer l'affaire à un autre jour. Toutes les questions de procédure ont été purgées, tout le monde a présenté ses arguments ou a été enjoint de le faire et chacun ne peut donc s'en prendre qu'à lui-même en cas de carence. Cela va jusqu'à la vérification de l'agenda des avocats, pour éviter les chevauchements d'audience.

Cette procédure spécifique de mise en état, très technique, outre la nécessité d'échanger des écritures de manière certaine, et l'importance des litiges jugés par le tribunal de grande instance expliquent l'existence d'une représentation obligatoire.

Elle n'existe que devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel, et encore y a-t-il des exceptions (certaines procédures devant le juge aux affaires familiales, ou les procédures en référé ou devant le juge de l'exécution ne sont pas soumises à représentation obligatoire). Vous pouvez vous présenter en personne devant les juridictions de proximité (litiges civils jusqu'à 4000 euros), les tribunaux d'instance (litiges civils de 4001 à 10000 euros, tutelles, baux d'habitation ou crédits à la consommation quel que soit le montant en jeu, entre autres), les Conseils de prud'hommes (litige individuel lié à un contrat de travail ou d'apprentissage), le tribunal de commerce (litige où le défendeur est commerçant), et devant la plupart des juridictions pénales (il n'y a que devant la cour d'assises et pour une CRPC que l'assistance d'un avocat est obligatoire).

Jusqu'en 1971, cette fonction de représentation des parties était confiée aux avoués près les tribunaux de grande instance. Les parties pouvaient en outre prendre un avocat, mais ce n'était pas obligatoire. L'avocat, lui, était le seul qui pouvait plaider, c'est à dire exposer oralement l'argumentation devant le tribunal. On parlait “d'assistance des parties” par opposition à la “représentation” qui est plus forte puisqu'il y a substitution des personnes. Mais l'intervention de l'avocat n'était pas obligatoire.

La loi du 31 décembre 1971 a fusionné les deux professions d'avoué devant les TGI et d'avocat, faisant des avoués des avocats, et confiants à ceux-ci la charge de la représentation en justice. Désormais, devant le tribunal de grande instance, nous représentons ET plaidons.

D'ailleurs, il reste une trace de cette distinction. Un avocat ne peut représenter que devant le tribunal de grande instance de son barreau (Paris, Bobigny, Nanterre et Créteil forment de ce point de vue un barreau unique : je peux représenter en justice devant ces trois tribunaux de grande instance). Si j'ai une affaire devant le tribunal de grande instance de Perpignan ou de Versailles, je dois demander à un confrère du barreau local de prendre en charge cet aspect procédural. Cela s'appelle la postulation.

Ainsi, moi qui suis du barreau de Paris, si un de mes clients veut faire des misères à un adversaire demeurant à Framboisy, je demanderai à Maître Fantômette d'être mon postulant. L'assignation indiquera donc à mon adversaire que Monsieur LECLIENT lui fait un procès, qu'il est représenté par Maître Fantômette, avocat au Barreau de Framboisy, et qu'il a Maître Eolas, avocat au Barreau de Paris, comme avocat plaidant. Tout au long de la mise en état, j'enverrai mes conclusions à Maître Fantômette, qui les relira, les signera, et les notifiera au tribunal et à l'adversaire.

Cependant, les avoués près les cours d'appel ont refusé la fusion en 1971 et obtenu d'en être exclus. Cette distinction perdure donc devant la cour d'appel. Ainsi, si après avoir brillamment gagné mon procès devant le tribunal de grande instance de Framboisy, mon adversaire croit naïvement pouvoir récupérer le coup en appel, je recevrai une déclaration d'appel de Maître Vulcain, avoué, devant la cour d'appel de Moulinsart, dont dépend Framboisy. Maître Fantômette ne me sera plus d'aucun secours, il me faudra faire appel (si j'ose dire) à Maître Admiratrice, Avoué près la cour d'appel de Moulinsart. Je lui envoie la déclaration d'appel, et de son côté, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle notifiera à Maître Vulcain que s'il espère la victoire, il la trouvera en travers de son chemin.

La distinction entre les deux professions ne se résume pas à “ l'un écrit, l'autre parle, les deux facturent ”. L'avoué est en charge de la procédure : c'est lui qui fait la déclaration d'appel, rédige le cas échéant (je reviens sur cette réserve plus loin), signe et transmet les argumentations écrites (qu'on appelle “conclusions”) à l'avoué adverse et à la cour, est présent aux audiences de mise en état… Bref, quand vous faites appel, vous passez un fax à votre avoué et il s'occupe de tout jusqu'à l'audience où l'appel est jugé. L'avocat, quand il y en a un, est en contact direct avec le client.

Point important : si vous faites appel d'un jugement, vous n'êtes pas obligé de prendre un avocat. Vous êtes obligé de prendre un avoué.

Deuxième point important : le prix d'un avoué est tarifé (décret n° 80-608 du 30 juillet 1980 fixant le tarif des avoués près les cours d'appel, modifié par le décret n° 84-815 du 31 août 1984). Quel que soit l'avoué que vous choisissez, il vous coûtera le même prix (on parle d'émoluments et non d'honoraires en ce qui les concerne, l'émolument étant fixé par la loi et l'honoraire libre). Tout comme l'activité de postulation devant le TGI est tarifée, le décret fixant le tarif des avoués devant le TGI étant resté en vigueur (décret n°60-323 du 2 avril 1960 modifié par le décret n°75-785 du 21 août 1975 ).

Troisième et dernier point important : ces émoluments étant tarifés, ils sont compris dans les dépens, cette masse de frais annexes au procès qui sont automatiquement mis à la charge de la partie perdante. Donc si vous gagnez votre appel, votre avoué est censé ne rien vous coûter, et si vous perdez, vous supportez deux fois le prix (votre avoué et celui de l'adversaire).



Que reproche-t-on aux avoués ? L'assaut est répété : le dernier en date vient du rapport Attali, mais cela n'a rien de nouveau, puisque le parti socialiste avait déjà pris à son compte cette proposition en 2005 (vous noterez au passage ma brillante capacité de divination politique dans le deuxième paragraphe). Leur existence paraît une anomalie, un vestige d'un temps révolu. Ils feraient double emploi avec les avocats. Ils combinent de plus deux qualités qui sont mal vues aujourd'hui : ils ont un monopole et, titulaires d'une charge, sont un nombre restreint. D'où l'accusation de rente de situation. En ces temps de pouvoir d'achat en berne, les supprimer peut laisser croire à une économie pour le justiciable (ce qui est fort mal connaître les avocats que de croire qu'en leur confiant la charge de la procédure en appel, ils le feront gratuitement).

Du côté des avocats, les mots ne sont pas tendres, et là, les avoués devraient se demander s'ils ne sont pas en partie responsables de cette mauvaise réputation. Beaucoup d'avocats que j'ai interrogés sur la question ont qualifié leur avoué de simple “boîte aux lettres”, nombre d'entre eux mettant en doute leur compétence juridique. Une simple recherche sur internet m'a permis de trouver ces propos tenus par des avocats :

Il s'agit pourtant des boites aux lettres et des photocopieuses les plus chères de France, car sauf cas rares où l'avoué prend l'initiative de rédiger des conclusions d'appel (qui seront peu ou prou celles de première instance auxquelles on aura pris soin d'ajouter des "attendu que"), c'est l'avocat qui le fait, l'avoué se contentant de photocopier les conclusions et les signifier. (Millimaître, en ces lieux)

A quoi servent les avoués ?
A rien. (Polynice, qui développe son point de vue ici.)

En fait, cela traduit une incompréhension de ce qu'est réellement un avoué de la part des avocats, et de la part des avoués, un manque de travail de communication à l'égard des avocats, qui a laissé le malentendu s'installer.

Un avoué est un spécialiste. Un spécialiste de la procédure d'appel en matière civile. Et elle est potentiellement casse-gueule. Vous ne trouverez aucun avocat en France qui maîtrise aussi bien les articles 899 à 972 du nouveau Code de procédure civile. Et le succès de votre appel peut reposer sur un de ces articles.

Un avoué est un fin connaisseur de “sa” cour d'appel. Il y a fait toute sa carrière, il y est chez lui. Il connaît “ses” magistrats, leurs manies, leurs goûts et leur jurisprudence. Tel conseiller de la mise en état clôture à la première injonction non suivie d'effet. Tel autre refuse les renvois non motivés. Ce président est opposé à la jurisprudence de la cour de cassation sur le point en cause et serait prêt à rendre un arrêt contraire. Ne pas utiliser cette source d'information, c'est avancer les yeux fermés en espérant que son adversaire fera de même.

Un avoué est un juriste généraliste (même si certains avoués se sont faits une réputation dans certaines matières techniques). Il est censé rédiger les conclusions d'appel. Beaucoup d'avocats ont pris l'habitude de faire comme avec un confrère postulant devant le TGI, et lui envoyer des conclusions “prêtes à signer”. C'est vexant, et l'avoué vexé les signe et boude, donnant l'impression d'être une boîte aux lettres fort coûteuse. Pour ma part, avant de conclure, je demande son avis à mon avoué, et lui soumets mes projets de conclusions. Surtout si je suis appelant, c'est à dire que je n'ai pas obtenu ce que je voulais en première instance. Si j'ai commis une erreur que je n'ai pas comprise, je risque fort de la refaire en appel. L'avoué donne un deuxième avis sur un dossier, éclairé par la connaissance de la jurisprudence de sa cour.

Tenez, un exemple, qui remonte au premier dossier d'appel que j'ai suivi, pour celui qui fut mon maître.

Nous étions en appel d'un jugement nous ayant déclarés irrecevables à réclamer qui nous était dû, car nous ne démontrions pas notre qualité à agir. Notre client avait en effet racheté un portefeuille de contrats à une société, sans avoir acquis la dite société (ce qui aurait réglé le problème). Un coup de fil à l'avoué m'a confirmé qu'il suffisait de produire un mandat du dirigeant de la société ayant cédé le portefeuille de contrats donnant pouvoir à notre client d'agir en son nom pour établir notre qualité à agir. Ce qui fut fait, et nous gagnâmes en appel. Un problème simple en apparence, qui avait échappé à un avocat pourtant pointu en droit bancaire, au service juridique d'une grosse société financière, était apparu lumineux comme le soleil de midi à un avoué. Je n'irai pas parler d'économies à faire sur les émoluments de cet avoué.

Bref, chers confrères, faites bosser vos avoués, ils ne demandent que ça (ou sinon, changez-en). Cher maîtres (les avoués ont droit au titre), prenez l'initiative de faire des observations à vos avocats, même sur des projets de conclusion. Montrez votre savoir-faire.

Parce que, même si la proposition semble, comme le rapport Attali dans son ensemble, enterré sans tambour ni trompette, le ciel n'est pas dégagé : les avocats viennent de lancer sur votre profession une OPA hostile.

Allez, on se dit tout ce qu'on a sur le cœur en commentaires ?

Notes

[1] Je déconseille à tous les étudiants en droit de faire une telle annonce de plan dans leurs devoirs.

mardi 22 avril 2008

Affaires Fuzz et autres, réplique à Adscriptor

Dans un long billet, Jean-Marie Le Ray répond à mon billet “Affaires Fuzz, Dicodunet, lespipoles et autres : et si le juge avait raison ?

Je ne pensais pas pouvoir y répondre rapidement vu sa longueur, mais en fait, il s'avère que la partie argumentative, au demeurant intéressante, peut se résumer aisément, le reste n'étant que des scories atrabilaires contre le droit, accusé d'être contraire au “bon sens”, comprendre celui de Jean-Marie Le Ray, ou votre serviteur, accusé de n'être qu'un valet dudit droit. L'auteur me pardonnera de passer rapidement sur ces paragraphes qui n'ont d'autre intérêt que lui permettre de passer ses nerfs, et lui conseiller amicalement de se relire et élaguer la prochaine fois avant de poster, par respect pour son lectorat et surtout son interlocuteur, faute de quoi ce dialogue risque de terminer prématurément[1].

L'auteur de ce billet exprime son vif désaccord avec les décisions Olivier Martinez. J'espère ne pas trahir son argumentation en la reprenant ainsi.

À titre préliminaire, il reprend à son compte l'analogie funeste du kiosque à journaux, me reprochant de ne pas y répondre. En fait, j'y ai répondu en commentaire, et Narvic aussi de son côté. Je vais y répondre une dernière fois et rapidement parce que cette analogie, comme la plupart des analogies, est une perte de temps. Un kiosque à journaux est un édicule sur la voie publique qui vend des journaux. Pour y lire un journal, il faut acheter un exemplaire dont on devient propriétaire. Il n'y a pas de journaux gratuits en kiosques, ils sont distribués ailleurs, dans des présentoirs dans le métro et dans les boutiques. Car un kiosque à journaux fait partie d'un réseau de distribution qui n'inclut pas les gratuits. Le kiosquier n'a aucune liberté sur les journaux qu'il propose à la vente. Il doit vendre la presse d'extrême droite comme d'extrême gauche, la presse por-nographique comme la Vie du Rail. Cette absence de liberté l'exonère de sa responsabilité, c'est la loi, sauf s'il distribue des revues ne mentionnant ni directeur de publication, ni auteur, ni imprimeur. Enfin, en raison de leur différence de nature, la presse relève d'une loi spéciale, la loi du 29 juillet 1881, tandis que l'internet relève de la LCEN. J'ajoute dans la série des évidences invisibles au “bon sens” que les quotidiens sont retires du kiosque chaque jour, les hebdomadaires chaque semaine, et les mensuels chaque mois, tandis que sur internet, rien ne s'oublie, et que l'intégralité des numéros du Journal d'un avocat®, quatre ans de mépris et de morgue garantis sans un gramme de bon sens, est toujours disponible d'un simple clic dans la colonne de droite. L'analogie aurait quelque pertinence si on pouvait se servir gratuitement dans les kiosques à journaux, qui conserveraient en plus en réserve des exemplaires de tous les numéros qu'ils aient jamais détenus (ce qui suppose des kiosques de la taille de la bibliothèque nationale), le réseau de distribution espérant se rentabiliser uniquement par la publicité affichée sur les édicules. Vous voyez qu'on en est loin.

Donc, cette analogie n'est pas pertinente, et s'obstiner à comparer des situations sans rapport revient à changer les données du problème, donc renforce la confusion.

J'espère (sans trop y croire hélas) que nous en avons fini avec elle. En tout cas, je refuse de perdre mon temps à continuer à expliquer à des professionnels de l'internet la différence entre un site web et un kiosque à journaux. Surtout, mais là, cher Jean-Marie, vous l'avez cherché, quand vous écrivez plus loin dans le même billet, pour contester mon affirmation que la loi sur la presse de 1881 s'est bien adaptée à la radio puis à la télévision :

…qu'Internet n'a rien à voir ni avec la radio, ni avec la télévision ! Parce qu'Internet n'a rien à voir avec tout ce qui a précédé ... Internet.

Sauf avec les kiosques à journaux, le lecteur aura rectifié de lui-même.

Redevenons donc sérieux.

Le postulat de Jean-Marie Le Ray est que les sites comme Fuzz, Wikio, et je suppose, bien qu'ils ne soient pas cités, dicodunet et lespipoles, devraient être irresponsables de ce qu'ils publient car ils n'ont aucun degré de liberté sur leur contenu.

À l'appui de cette affirmation qui a de quoi surprendre, l'auteur explique que le contenu est composé d'infos au sens large, qui apparaissent soit en automatique via un flux RSS (Wikio, lespipoles, dicodunet) soit manuellement par les utilisateurs (Fuzz). Cette info peut être le titre seul, le titre accompagné d'une courte présentation ou l'intégralité de l'article, peu importe.

Cette apparition étant indépendante de la volonté de la personne qui exploite le site, elle exclurait sa responsabilité. Certes, reconnaît tout de même Jean-Marie Le Ray, il y a bien volonté en amont de s'abonner à tel flux, mais en aval, il est matériellement impossible d'en surveiller le contenu : Wikio invoque par exemple 4 millions d'articles indexés par mois. Cette impossibilité matérielle devrait aboutir à une impossibilité juridique d'engager la responsabilité des sites concernés, sauf à condamner à terme les sites d'agrégation, et, ce qui semble être pire encore pour l'auteur, “aller dans un sens totalement opposé à l'évolution d'internet”. Pour l'auteur, en conclusion, le “choix éditorial” est le choix, en amont, d'indexer tel flux, qui, s'il n'est pas illicite par sa nature, ne saurait engager la responsabilité de celui qui le reprend à raison d'un contenu ponctuel qui, lui, serait illicite. Quant à Fuzz, puisque l'éditeur du site ne peut supprimer a priori un lien qui est mis en ligne par un tiers,cela imposerait une validation préalable qui serait une tâche considérable ; et encore est-il douteux qu'en lisant qu'Olivier Martini et Kellé Mignone sont toujours amoureux et ont été vus ensemble à Paris, Éric Dupin aurait immédiatement compris qu'il s'agissait d'une atteinte à leur vie privée.

Je passe sur le reste du billet qui selon Pierre Chappaz, fondateur de Wikio, « fait honneur au web », où on apprend entre autres que son auteur « n'ose même plus aller pisser sans consulter d'abord le Code civil. Des fois que ça porterait atteinte à quelqu'un sans [qu'il ne] le sache'' ». Des fois, quand on lit ça, on se dit qu'expliquer le droit, c'est miction impossible.

Là où le raisonnement de Jean-Marie Le Ray est erroné est qu'il n'accepte que l'hypothèse d'une responsabilité immédiate, conséquence directe d'une faute, toute autre hypothèse étant invalidée comme “contraire au bon sens”, ce qui est un peu léger dans un débat qui, ne lui en déplaise, est essentiellement juridique. Selon Jean-Marie Ray, seule la personne ayant publié une information illicite comme résultat d'un acte volontaire (donc soit le site qui rédige l'original de l'article soit l'usager qui le reprend sur Fuzz) seraient responsable de son contenu. Tous ceux qui reprendraient la nouvelle mécaniquement (Wikio) ou offriraient à quiconque les moyens de la faire figurer sur leur site (Fuzz) seraient irresponsables car ils n'auraient pas commis de faute ; tout au plus auraient-ils fait encourir le risque à des victimes de contenus illicites de donner une chambre d'écho à ces contenus, sans qu'on puisse les en blâmer parce qu'ils ne sont au courant de rien. Le triomphe de l'autruche, en somme.

Le droit, qui, comme l'internet, cher Jean-Marie, s'écrit toujours avec une minuscule, admet depuis longtemps des hypothèses de responsabilité pour faute indirecte, pour faute de négligence, voire sans faute : tout le droit de l'indemnisation des accidents de la circulation repose sur un système excluant la recherche d'une faute. Et cela fait 23 ans que ça marche. Il en va de même depuis 110 ans pour la responsabilité du fait des choses (arrêt Teffaine, 1897), sans oublier la responsabilité du commettant du fait des préposés (de l'employeur pour les dommages causés par ses salariés dans l'exercice de leurs fonctions, si vous préférez), des parents du fait de leur enfant, etc. Bref, en matière civile, on peut être responsable sans nécessairement être fautif (il n'en va pas de même au pénal, mais les affaires Wikio, Fuzz et autres sont exclusivement civiles), dès lors que l'on cause un dommage.

Et c'est précisément ce que dit la loi en matière d'atteinte à la vie privée. Cette loi, l'article 9 du Code civil, prévoit que la publication d'une information portant atteinte à la vie privée cause nécessairement un dommage qui doit être réparé. Et aucune acrobatie intellectuelle sur la nature d'un flux RSS ne peut faire croire que cette information n'a pas été publiée sur Fuzz ou sur Wikio. De même que l'argument de Jean-Marie Le Ray qui croit avoir découvert que cette information ne portait pas en réalité atteinte à la vie privée des intéressés est une torsion brutale de la raison. Une relation sentimentale, comme sa fin ou sa reprise, relève de la vie privée. C'est du bon sens, pourtant.

L'informatique permet aujourd'hui des reprises d'information instantanées qui font qu'une info publiée sur un site peut être reprise en quelques minutes à des centaines d'exemplaire, et en quelques heures, à des milliers. Il y a même des outils pour surveiller ces phénomènes. Et les sites en cause, Fuzz, Wikio, lespipoles, dicodunet, se proposent d'offrir aux internautes un aperçu de ce dont on parle le plus, sous entendu : pas besoin de cavaler sur tous les sites d'actualité ou autres, vous trouverez ce dont on parle chez nous, classé par catégories.

Une de ces infos peut être illicite, porter atteinte à la vie privée, et sa publication causer un préjudice à qui en est victime. Sa reprise sur des centaines de site, fût-elle automatique, participe à ce préjudice. Chaque reprise aggrave ce préjudice. C'est une chose que le Courrier de l'Oise publie le récit de ma virée à la soirée mousse au Dépôt, c'en est une autre que cette info soit reprise par Libération, Le monde, le Figaro, Wikio et Mickey Magazine. Le fait qu'il y ait eu un être humain derrière chaque reprise dans la presse écrite et que ce ne soit que des automates informatiques qui l'aient fait sur l'internet n'est qu'une très maigre consolation, dès lors que dans les deux cas, ce sont des êtres humains qui ont accès à l'information ainsi diffusée.

Néanmoins, l'internet obéit à des spécificités techniques particulières, et la loi a pris en considération cet état de la technique. La LCEN a distingué trois intervenants sur l'internet : le fournisseur d'accès, l'hébergeur, et l'éditeur. Le FAI est en principe irresponsable, l'hébergeur est responsable à certaines conditions (d'information préalable du caractère illicite du contenu), et l'éditeur est pleinement responsable. Rappelons la définition de l'hébergeur : « La personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». La personne qui assure le stockage informatique. Par opposition à l'éditeur : « Personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne ». Dans l'esprit du législateur, l'hébergeur, c'était le propriétaire des serveurs qui loue un hébergement mutualisé, virtuel ou dédié. Et s'il est difficile de définir un visiteur de Fuzz comme une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public, il devient impossible de qualifier Gala.fr d'éditeur de Wikio. Cependant, la jurisprudence a accepté d'étendre le statut d'hébergeur à des sites comme Dailymotion ou Youtube, dont l'activité consiste à fournir un service de stockage de vidéos (Flickr aussi pour les photos, mais à ma connaissance il n'a jamais été poursuivi). Mais il reste un critère essentiel : le stockage (rappelons qu'on peut faire apparaître une vidéo hébergée sur Youtube ou Dailymotion par un lecteur embarqué). Le juge a refusé de considérer Fuzz et lespipoles comme un hébergeur (pour Wikio, la question reste entière, il n'a pas répondu) car ces sites n'étaient pas un simple site de stockage, et opéraient un vrai choix éditorial pour l'organisation des liens (lespipoles) ou en agençant différentes rubriques et décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site (Fuzz). Retour donc au droit commun.

Le juge se retrouve alors face à un dilemme. Une personne a subi un préjudice du fait d'une atteinte à sa vie privée. La loi dit qu'il a le droit d'être indemnisé. Mais la personne qui a véhiculé cette atteinte n'a fait que mettre en place une machine à reprendre des contenus (sans vouloir dénigrer Wikio ou Fuzz : je simplifie). Le juge a le choix entre refuser une indemnisation qui est légitime (qui est même exigée par la loi), et la mettre à la charge de quelqu'un qui n'a pas voulu causer ce dommage mais qui l'a causé en mettant en place les moyens qui l'ont permis. Cela n'a rien d'aberrant d'opter pour la deuxième branche de l'alternative ; la loi y pousse même.

Non, répond Jean-Marie Le Ray, il y a une troisième branche : mettre la réparation à la charge de celui qui a causé le dommage en premier. Gala.fr en l'occurrence. Le problème qui se pose pour le juge est que l'info a certes été publiée sur Gala.fr, mais aussi sur Fuzz et Wikio. Sur quel fondement dire que des trois, seul Gala est responsable, alors qu'il n'a même pas consenti à cette reprise de son contenu (accessoirement contraire à ses propres CGU ?) De quel droit Fuzz et Wikio diraient-ils : “oui, je l'ai publié, mais qu'il aille se plaindre à Gala et à Gala seulement” ? Pas de réponse hélas chez Adscriptor.

Bien sûr; rendre Gala.fr responsable y compris de la reprise de ses infos par des milliers de sites peut paraître à courte vue conforme au "bon sens", à l'honneur du web, et sauver les sites d'agrégation. À court terme.

À plus long terme, c'est les condamner.

Car mettre sur le dos des sites qui ne reprennent pas les informations d'autrui mais créent un contenu original indexé par Wikio, Fuzz et les autres, mettre sur leur dos disais-je, une responsabilité démesurée par rapport à leur propre audience, donc à leurs revenus potentiels, et le seul choix rationnel qu'il leur reste est de cesser la diffusion par flux RSS. Et si on leur met aussi sur le dos la responsabilité des reprises manuelles à la Fuzz, il ne leur reste plus qu'à fermer leur sites. Au moins, quand Gala publie sur papier l'info que Martini couche avec Mignonne, il n'est pas responsable si l'info est reprise sur TF1 (c'est TF1 qui est responsable). Un site internet deviendrait dès lors une source de responsabilité incontrôlable du fait de sites auxquels ils sont étrangers et n'ont aucun contrôle, et ils ne sont pas là pour fournir gratuitement du contenu et une assurance juridique à une myriade de sites. On ferme. Tarissement de la source. Mort de la poule aux œufs d'or (même si pour le moment elle ne pond pas beaucoup). Et Wikio Actualités, comme Fuzz, comme lespipoles deviennent des coquilles vides sans autre contenu que de la pub, ce qui du coup, il est vrai, devient cohérent avec leur absence de responsabilité.

Bref, cette troisième voie est pire encore que les deux premières.

Voilà le raisonnement juridique du juge : partir de la loi applicable, l'appliquer aux faits, voir si une ou plusieurs solutions s'offrent à lui. S'il n'y en a qu'une, l'appliquer. S'il y en a plusieurs, voir leurs conséquences, toutes leurs conséquences y compris à long terme (le “bon sens” lui est sujet à une myopie congénitale), et choisir la plus adaptée.

Ce n'est pas facile : on s'y met donc à plusieurs, après avoir fait de longues études. Et encore, on prévoit la possibilité de faire appel à des juges encore plus expérimentés si on a un doute. Signalons d'ailleurs que Fuzz a fait appel. Ceux qui ne comprennent pas et n'ont pas envie de faire l'effort de comprendre crieront à l'attentat au bon sens.

Qu'il suffise de se rappeler que le droit s'apprend à l'université, et le bon sens, au bistro.

Notes

[1] Qu'il envisage par exemple avant d'écrire que “je n'ai pas daigné répondre à son commentaire” que j'ai pu recevoir plus d'une centaine de commentaires ce jour là sur mon blog et qu'en outre, mon silence peut être plus dû à mon activité professionnelle qu'à ma nature méprisante envers autrui en général et Jean-Marie Le Ray en particulier ; cela fera du temps de gagné pour faire progresser le débat.

samedi 29 mars 2008

Avoir des principes, c'est bien ; les appliquer, c'est mieux.

Le Conseil constitutionnel vient d'invalider l'élection du député UMP du Rhône Georges Fenech. Magistrat de formation, fondateur du premier à ma connaissance (les magistrats syndicalistes qui me lisent rectifieront le cas échéant) syndicat de magistrat de droite, l'Association Professionnelle des Magistrats, il a toujours été un ardent partisan de l'autorité de l'Etat, de la répression sans faille (ce qui, je lui en donne acte volontiers, ne veut pas dire répression sans discernement), bref, du règne de la loi.

Cette invalidation s'accompagne d'une sanction d'un an d'inéligibilité, ce qui l'empêchera d'être candidat à sa propre succession. Georges Fenech ; photo Assemblée nationale. Service des archives, cela va de soi.La raison de cette invalidation est une entorse à la loi sur le financement de la vie publique. Cette loi, qui date de 1988, fait l'obligation à tout candidat de désigner un mandataire financier, association ou personne physique, qui recevra et manipulera tous les fonds destinés à financer la campagne électorale. Au terme de cette campagne, le candidat, élu ou non, doit déposer un compte de campagne complet auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Le défaut de dépôt (fréquent chez les battus n'ayant pas atteint des scores leur ouvrant droit au remboursement partiel des dépenses de campagne), le dépassement des plafonds légaux, le défaut de sincérité ou l'irrégularité y figurant entraîne automatiquement l'invalidation de l'élection et l'inéligibilité pour un an du candidat, constatée par le Conseil constitutionnel à la demande de la Commission. Il est ainsi absolument interdit au candidat de percevoir des fonds destinés à financer sa campagne, d'effectuer des paiements avec ces fonds, ou de financer lui même des dépenses liées à la campagne, le Conseil constitutionnel acceptant que « pour des raisons pratiques, il peut être toléré que le candidat règle directement de menues dépenses postérieurement à la désignation de son mandataire, ce n'est que dans la mesure où leur montant global est faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées ».

Or une militante UMP de la 11e circonscription du Rhône (Mornant, Givors, Condrieu, St-Symphorien d'Ozon) a réglé de sa poche des dépenses vivrières pour un montant de 6 261 € (Monsieur Fenech est un brillant orateur, et parler donne soif, mes interlocuteurs à la République des Blogs en savent quelque chose), soit tout de même, relève le Conseil, 8,17% des dépenses engagées et 7,60% du plafond légal. On est loin des "menues dépenses tolérées"...

Exit donc Georges Fenech. Celui-ci n'est pas content, et dans un communiqué de presse, s'estime « victime d'une procédure discriminante et sans appel », et « en appelle » au président Nicolas Sarkozy et au président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer à propos d'une « intolérable atteinte au suffrage universel ».

Pour patienter le temps que ces hautes autorités de l'Etat examinent sa requête et la rejettent, je propose à Georges Fenech un peu de lecture. Aux Editions Grasset, un livre de réflexion politique paru en 2002, intitulé Tolérance Zéro. Notamment, je l'invite à méditer ce passage.

La tolérance zéro veut ainsi marquer une rupture avec trente ans de tolérance sans bornes qui nous ont conduits à une impasse.(...) Prôner la tolérance zéro, c'est considérer que tout signe de faiblesse revient à encourager toute une population juvénile aguerrie au calcul du risque. Le rapport « coût/avantage » pour le fauteur de troubles doit tourner à son désavantage. (...) Trente ans après le big-bang de Mai 68 et son fameux slogan « il est interdit d'interdire », la tolérance sans bornes et la culture de l'excuse se sont insidieusement propagées dans toutes les sphères d'autorité. Le père, l'enseignant, le policier, le juge ont perdu leur « imperium ». Le rejet violent des institutions tient lieu de nouveau mot d'ordre pour des jeunes peu enclins à perpétuer les idéaux collectifs. (...) Quand l'Etat montre des signes de faiblesse c'est tout le pacte social qui est menacé !

L'auteur de ces lignes est un magistrat. Un certain Georges Fenech.

vendredi 21 mars 2008

Du droit de mourir

L'actualité récente s'est intéressée au cas d'une femme, Chantal Sébire, atteinte d'une maladie incurable et rarissime, un esthésioneuroblastome (tumeur évolutive du sinus et des cavités nasales), maladie qui l'avait mise dans une situation de grande souffrance physique et morale. Cette maladie l'avait en effet défigurée, rendue aveugle, et générait une grande douleur, mais n'affectait pas sa conscience. Elle se savait donc atteinte de cette maladie, se savait condamnée, et devait en outre subir cette situation pendant un laps de temps indéterminé. Au bout d'un désespoir que je ne puis qu'à peine imaginer et que donc je m'interdirai de juger, elle a exprimé le souhait que la médecine hâte sa fin.

Cette femme est décédée hier dans des circonstances non encore éclaircies[1]. A présent qu'elle est hors de portée de tout mal, les arguments passionnels n'ont plus voix au chapitre. Profitons-en donc pour voir ce que dit, à ce jour, la loi française, qui n'est pas si inhumaine qu'on veut bien la présenter.

Le principe est qu'il est interdit à quiconque d'ôter la vie à autrui, volontairement ou non. Par non volontairement, je pense au conducteur qui roule imprudemment mais n'a pas la moindre intention de faire du mal à qui que ce soit et qui provoque un accident mortel. Il n'avait pas la volonté de tuer, ce qui ne signifie pas qu'il n'est pas fautif. Il sera donc pénalement condamné pour homicide involontaire si une faute quelconque de sa part est avérée (sur ce sujet, voir ce billet). Le suicide n'est pas un délit en France, mais la provocation au suicide l'est, ainsi que la propagande (c'est à dire la publicité) de moyens, méthodes ou objets préconisés comme moyens de se suicider : code pénal, articles 223-13 et suivants. Le suicide n'étant pas un délit, celui qui aide autrui à se suicider ne peut être poursuivi comme complice, mais peut commettre un délit ou une faute disciplinaire si les moyens en questions sont réglementés (fourniture d'une arme à feu, prescriptions de médicaments à cette fin...) ou tout simplement une non assistance à personne en danger. Mais la question qui se pose ici concerne les personnes ne pouvant mettre fin à leurs jours, physiquement ou mentalement, et qui demandent qu'un tiers accomplisse le geste.

Ôter la vie volontairement est un meurtre. Le faire avec préméditation est un assassinat. La préméditation est "le dessein formé avant l'action de commettre un crime ou un délit déterminé" (Code pénal, article 132-72), caractérisé par l'écoulement d'un laps de temps suffisant entre la prise de décision et le passage à l'acte qui a permis à la raison de reprendre le pas sur la passion, et qui suppose donc que l'auteur a agi froidement, en connaissance de cause, ce qui démontre une dangerosité plus grande. Utiliser pour ôter la vie des substances létales est un empoisonnement, un crime spécifique, puni comme l'assassinat de la réclusion criminelle à perpétuité quand il est commis avec préméditation (code pénal, article 221-5).

Il y a des exceptions à cette interdiction absolue. La principale d'entre elles a disparu un beau jour d'automne 1981 : c'était la peine de mort. Il demeure quelques exceptions, comme la légitime défense[2], ou le commandement de l'autorité légitime (les soldats français engagés en Afghanistan et qui mènent une guerre dans le désintérêt complet des médias français ne commettent pas de meurtres tant qu'ils agissent dans le cadre des ordres reçus). L'état de nécessité (article 122-7 du code pénal) n'a à ma connaissance jamais été accepté comme excuse pour un cas d'homicide volontaire et n'a pas vocation à s'y appliquer : l'état de nécessité justifie la commission d'une infraction pour éviter un mal plus grand, or ôter la vie se situe au sommet de la gravité des actes réprimés dans notre société. Reste la contrainte (article 122-2 du code pénal) qui a été invoquée dans l'affaire Vincent Humbert, pour motiver un non-lieu. Cette décision demeure isolée, et n'ayant pas été soumise à la chambre de l'instruction[3], restera un cas d'espèce.

Comme vous le voyez, il n'y a pas d'exception thérapeutique, ou d'euthanasie, mot qui étymologiquement signifie "bonne mort". La loi française ne permet pas à un médecin de donner la mort à un patient comme acte de soin, même dans un cas où le patient souffre par la faute d'un mal incurable qui entraînera inévitablement sa mort - selon l'état actuel de la science.

Un tel médecin commettrait un assassinat ou un empoisonnement aggravé selon la méthode employée, car le geste médical est par nature prémédité, il n'est pas impulsif et instantané.

Face à de tels cas, aussi difficiles soient-ils humainement, les juges n'ont pas d'autre choix que d'appliquer la loi. Ce n'est pas à eux de se substituer au législateur sur une question de société qui relève par nature du parlement, lieu du débat par excellence sur des questions générales dans la République, ce qu'on a peut-être tendance à oublier ces dernières décennies. Toute la loi. En ce qu'elle leur impose de condamner, comme en ce qu'elle leur permet de condamner légèrement.

Ce qui aboutit à des affaires comme l'affaire Druais, où un médecin et une infirmière ont été poursuivis devant la cour d'assises de la Dordogne pour empoisonnement, pour avoir donné la mort à une patiente atteinte d'un cancer du pancréas en phase terminale par une injection de morphine et de potassium. Au bout de quatre jours d'audience, l'infirmière a été acquittée et le médecin condamnée à une peine d'un an de prison avec sursis et non inscription au casier judiciaire, soit moins que le minimum légal (qui est de deux ans pour un crime passible de la perpétuité : code pénal, article 132-18).

Un argument qui revient en boucle à chaque nouvelle affaire de ce type est que la France est en retard par rapport à ses voisins, et que son inaction serait scandaleuse.

Pourtant, en 2005, une loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, a été adoptée sur la question, et votée à l'unanimité des députés.

Que dit cette loi ?

Son dispositif tient principalement dans deux articles du Code de la santé publique. Pour résumer, la loi refuse l'euthanasie active, c'est à dire que la mort soit donnée à un patient ; mais elle permet au malade d'exprimer son choix de refuser la poursuite du traitement curatif qui n'a pour effet que de le maintenir en vie plus longtemps, auquel cas le médecin doit assurer un traitement uniquement palliatif, c'est à dire supprimant la douleur, laissant la nature faire son œuvre.

Détaillons.

Le premier article concerné est l'article L.1111-10 du Code de la santé publique :

Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, décide de limiter ou d'arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l'avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10.

La loi pose les conditions d'application : une affection grave et incurable, parvenue à une phase avancée ou terminale, une information préalable du patient pour recueillir son consentement éclairé. La loi prévoit également la possibilité de désigner une personne de confiance pouvant donner ce consentement si le malade n'était pas ou plus en mesure de le faire lui même.

Les soins en question sont décrits à l'article L. 1110-10 :

Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.

Oui, je sais, c'est vague, mais en l'espèce, nous sommes en matière médicale. La loi encadre le médecin qui en dernier lieu prend les mesures thérapeutiques précises en accord avec son patient. Ce que la loi impose, c'est que le traitement n'ait pas pour effet de hâter ou provoquer la mort, mais de supprimer la souffrance. Au besoin, si celle-ci triomphe des plus puissants des antalgiques, par le coma artificel. Amener le patient jusqu'au seuil, mais ne pas le lui faire franchir.

C'est là sans doute le point faible de la loi Leonetti : avoir trop délégué aux équipes médicales que les affaires passées ont plutôt rendu frileuses. Après tout, aucun juge ne les mettra jamais en examen pour avoir refusé de cesser un traitement... Avec des conséquences humaines parfois dramatiques.

En ce qui concerne Chantal Sébire, une possibilité légale existait donc pour elle de mettre un terme à sa souffrance. Pas à sa vie, à sa souffrance. Cela ne la satisfaisait pas. On peut là aussi le comprendre aisément. Concrètement, cela signifie coma artificiel, et absence de fourniture des nutriments nécessaires (par sonde gastrique). La grève de la faim médicalement assistée, avec l'efficacité que cela implique.

Chantal Sébire a décidé, seule ou poussée par son entourage, je l'ignore, de mener un ultime combat en faveur de l'adoption d'une législation permettant l'euthanasie active. Ce qui est un choix que je respecte.

Cela a supposé la médiatisation de son cas, c'est à dire de montrer son visage déformé par la maladie. Cela demande du courage, et cela aussi je le respecte. Je salue d'ailleurs l'élégance de la presse qui pour illustrer la nouvelle de son décès ne publie que des photos d'elle avec son visage d'avant la maladie.

Les démarches qu'elle a effectuées, notamment en saisissant un juge d'une demande en référé, visait à autoriser sa mort, par des moyens actifs. Exactement ce que la loi Leonetti n'a pas voulu autoriser. Le juge des référés n'a donc pu que rejeter sa demande : la loi lui interdisait d'y faire droit, sauf à se rendre complice d'un assassinat en rendant un jugement qui n'exonérerait nullement de leur responsabilité les médecins ayant procédé à l'acte mortifère. Son avocat n'étant autre que le vice-président de l'une des associations les plus actives dans la revendication de la légalisation de l'euthanasie, l'ADMD, Association pour le droit de mourir dans la dignité, je doute que ce résultat soit vraiment une surprise. Le but était d'échouer pour dénoncer le scandale. Mutatis mutandi, la tactique des mariés de Bègles.

C'est là que le juriste se heurte à la limite de sa compétence, et que s'il veut aller plus loin, il doit se dépouiller de ses oripeaux pour avancer nu comme ses frères humains. Le droit ne dit pas si l'euthanasie est bonne ou non, s'il est scandaleux que le droit français la refuse ou pas. Le droit dit : "à ce jour, elle est interdite, et punie de lourdes peines de prison. Si vous voulez l'autoriser, changez la loi".

Voilà qui explique l'impossible débat. Il est moral, au sens philosophique du terme qui est la recherche de ce qui est bon. Des valeurs contradictoires se heurtent, religieuses, philosophiques, car c'est aussi notre rapport à notre mort qui est en cause, et en outre la souffrance personnelle de chacun est mise sur la table. Ce billet d'Embruns, très touchant, en est la parfaite illustration.

Mais voilà qui savonne la pente qui conduit à considérer que celui qui n'est pas d'accord avec soi est forcément un salaud. Et s'il est une défaite pire que celle de la vie face à la maladie, c'est la défaite de la raison face à la passion.

Pour ma part, j'ai un cœur, même si je fais de mon mieux pour le cacher. L'agonie de Chantal Sébire m'a évidemment bouleversé. Elle m'en a rappelé d'autres, qui m'ont laissé des plaies ouvertes malgré les années passées. Mais je n'aime pas que l'on fasse pression sur moi par la prise en otage de mes sentiments. Les partisans de l'euthanasie ont tous dans leur cœur un cadavre décharné à qui ils ont promis de se battre pour que leur agonie devienne légalement évitable. Ils ont trouvé en Chantal Sébire une icône, une martyre, comme le fut en son temps Vincent Humbert, ou en Espagne Ramón Sampedro. Ils recruteront ainsi des nouveaux soutiens qui trouveront par cette voie une échappatoire à leur sentiment de culpabilité face à la souffrance de cette femme. Est-ce une victoire ?

Témoin de cette dérive : la prise en otage de la dignité, qui est la valeur au nom de laquelle les deux camps se déchirent. Mourir dans la dignitié pour les uns, toute vie est digne d'être vécue pour les autres. On ne va pas loin comme ça, mais assurément, on doit y aller dignement.

Votons l'euthanasie si nous la jugeons utile ou nécessaire, mais votons la sereinement, après avoir débattu paisiblement, comme dans une démocratie adulte. La bataille d'anathème n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Et le préalable indispensable est que les deux camps acceptent l'éventualité de leur défaite comme une issue acceptable.

Je crains que le chemin ne soit encore long.

Merci de faire en sorte qu'il commence en commentaires en évitant le genre "d'arguments" que je dénonce. Cela m'en épargnera la suppression.

Notes

[1] A ce sujet, le procureur de Dijon a ouvert une enquête de mort de cause inconnue (art. 74 du code de procédure pénale) qui vise à identifier les causes de la mort, afin de s'assurer qu'aucun crime n'a été commis.

[2] Soit la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. Code pénal, article 122-5.

[3] Dans cette affaire, les deux mis en examen étaient le médecin et la mère de la victime. Si le médecin déclara être soulagé de cette décision, tel ne fut pas le cas de la mère, qui voulait faire de cette affaire un cas médiatique pour la cause de l'euthanasie. Mais le code de procédure pénale ne permet pas à un mis en examen de faire appel d'un non lieu prononcé à son profit.

lundi 25 février 2008

De la rétention de sûreté et de l'absence de retenue de l'exécutif

Comme promis, je reviens plus longuement sur le projet de loi sur la rétention de sûreté et ses péripéties constitutionnelles.

Tout d'abord, sur la loi elle même (texte intégral avant censure). Elle se divise en fait en deux parties, dont la deuxième a été totalement escamotée par la première : elle porte sur la réforme des procédures pénales en présence d'un auteur des faits atteint de démence.

Dans le cas d'une information judiciaire, le juge d'instruction devra désormais informer les parties (y compris le procureur de la République) qu'il existe des raisons plausibles de prononcer une irresponsabilité pénale. Les parties pourront présenter leurs observations et dire si elles demandent que le prononcé de cette irresponsabilité soit confié à la chambre de l'instruction, après un débat public et contradictoire, où le mis en examen, du moins son corps, comparaîtra si "son état le permet". Si personne ne le demande, c'est le juge qui rendra une décision, non plus baptisée "non lieu" mais "ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" qui précise qu'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés. C'est exactement la même chose qu'une ordonnance de non lieu rendue en raison de la démence de l'auteur des faits, mais on a changé les mots et appelé ça une réforme. Un grand classique.

Notons que si l'état du mis en examen ne permet pas sa comparution, il ne fait pas obstacle à sa détention provisoire, qui ne prend fin que par l'effet de l'ordonnance (ou l'arrêt si c'est la chambre de l'instruction qui statue) d'irresponsabilité pénale.

La loi prévoit également les modalités du prononcé des jugements d'irresponsabilité pénale devant les juridiction correctionnelles ou les cours d'assises quand l'irresponsabilité n'est pas relevée dès le stade de l'instruction.

J'émets pour ma part une prudente réserve. Cette audience n'apportera rien au malade mental, c'est certain, mais ce n'est pas le but. Il s'agit d'une audience faite pour les victimes, une sorte de thérapie judiciaire. Les psychiatres nous expliquent que cela peut effectivement aider les victimes à tourner la page du traumatisme de l'agression, mais préviennent que dans certains cas, cela peut être ravageur pour les victimes. Cela, j'en suis témoin. Simplement, ce sera au procureur et surtout à l'avocat des victimes de choisir s'il y a lieu de faire subir cette épreuve à son client. Lourde responsabilité face à un auteur irresponsable. L'ironie pourrait prêter à sourire.

Mais cette partie de la loi n'est pas scandaleuse en soi. Attendons les premières audiences pour voir ce que la pratique en fera.

C'est la première partie de la loi, sur la rétention de sûreté, qui concentre l'attention, et les critiques.

Que dit-elle, cette loi, du moins telle qu'elle a été voté ?

Tout d'abord, elle définit le domaine d'application de la loi. Les conditions ci-dessous sont cumulatives.

Elle est censée s'appliquer "à titre exceptionnel", mais on sait qu'en matière de justice, l'exceptionnel peut avoir une fréquence qui défie les lois des probabilités (par exemple, la détention provisoire est censée être exceptionnelle...). Bref, cette mention n'engage à rien et surtout ne protège en rien.

Elle s'applique aux personnes condamnées pour les crimes suivants : meurtre ou assassinat (qui est un meurtre prémédité), de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration sur victime mineure ou des mêmes crimes commis sur une personne majeure à condition qu'ils soient aggravés - hormis l'assassinat qui est déjà au sommet des peines. Par exemple, le viol est aggravé quand il est commis sous la menace d'une arme, ou en réunion ; le meurtre est aggravé quand il est commis sur la personne d'un pompier, d'un concierge ou d'un avocat (ce dernier point me paraissant indiscutable) ; l'enlèvement est aggravé quand il s'accompagne d'une demande de rançon ou accompagne un autre délit (prise d'otage lors d'un braquage).

Elle s'applique si la peine prononcée est d'au moins quinze ans de réclusion criminelle.

Enfin, la cour d'assises doit prévoir lors du prononcé de la peine la possibilité de recourir à une rétention de sûreté à l'issue de la peine.

La mise en œuvre relève de l'usine à gaz. Accrochez-vous.

Un an avant la date prévue pour la libération, la Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sûreté examine le dossier de l'intéressé. Un mot sur la CPMS, pour montrer que le législateur affectionne l'imbrication des usines à gaz. La loi renvoie pour la définition de la CPMS à l'article 763-10 du code de procédure pénale, insérée par la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive (qui n'a rien à voir avec la loi sur les peines planchers d'août 2007, également destinée à lutter contre la récidive : le législateur a des idées géniales à un rythme effréné, ce n'est pas sa faute). Que dit cet article 763-10 ? Il nous parle de « la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté composée selon des modalités déterminées par le décret prévu à l'article 763-14 ». En effet, l'article 763-14 nous dit qu' «un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent titre. Ce décret précise notamment les conditions dans lesquelles l'évaluation prévue par l'article 763-10 est mise en œuvre ». Ce décret n'a, à ma connaissance, jamais été pris. Bref, la commission multidisciplinaire en question n'existe toujours pas, ce qui donne l'empressement du gouvernement à vouloir appliquer tout de suite sa loi un petit côté comique. A moins qu'en fait, le gouvernement ne soit du côté des assassins ? Rectification, le décret a bien été pris le 1er août 2007. Ce qui fait que je découvre avec désespoir que mon CPP Dalloz 2008 était déjà dépassé en août 2007, date de son dépôt légal...

Bon, supposons pour la suite de notre propos que cette Commission soit un jour créée. On n'est pas à une fantaisie près dans cette loi.

Cette commission doit évaluer si l'intéressé présente ou non une "particulière dangerosité", notamment sur la base d'une expertise psychiatrique réalisée par deux experts.

Si cette "particulière dangerosité", qui n'est pas définie par la loi et sera donc laissée à la discrétion des psychiatres, est retenue, la commission pourra proposer la mise en place de la rétention de sûreté, à deux conditions cumulatives :
les obligations pouvant être prononcées dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire (période de surveillance post-peine instaurée par une loi Guigou de juin 1998, qui commence à peine de s'appliquer pour les crimes vu la longueur des peines en question) ou une surveillance judiciaire (créée par la loi Clément du 12 juillet 2005, déjà citée, qui ne s'applique que pendant le laps de temps entre la libération et la fin de la peine telle qu'elle a été prononcée), ou de notification du domicile résultant d'une inscription au FIJAIS, sont insuffisantes ;
ET la rétention est l'unique moyen de prévenir la commission de ces infractions, dont la probabilité doit être "très élevée" (la loi là encore ne donne pas les instructions pour calculer cette probabilité).

Qu'advient-il de cette proposition ?

Elle est transmise au procureur général (le chef du parquet d'une cour d'appel) qui saisit la Juridiction régionale de la Rétention de Sûreté (JRRS). Merci au législateur d'avoir éviter le terme de commission s'agissant d'une formation de trois conseillers de la cour d'appel.

Trois mois avant la libération de l'intéressé se tient devant la JRRS une audience, au cours de laquelle l'intéressé doit être assisté d'un avocat. Il peut demander une contre expertise qui ne peut être refusée. L'audience se tient en principe à huis clos mais à la demande de l'intéressé elle peut être publique. La JRRS peut à l'issue de ce débat prendre une décision de placement en rétention de sûreté d'une durée d'un an, dans un établissement "médico-socio-judiciaire". Il ne lui manque que la mention "durable" pour être totalement hype. L'intéressé, désormais retenu, peut faire appel de cette décision devant la Juridiction Nationale de la Rétention de Sûreté (JNRS), formation spéciale de la cour de cassation. En outre, il peut saisir à nouveau la JRRS au bout de trois mois pour qu'il soit mis fin à sa rétention de sûreté (et rebelotte en cas de refus au bout de trois mois), celle-ci devant en tout état de cause y mettre fin dès que les conditions ne sont plus remplies, sans que la loi ne précise les modalités de cette saisine d'office.

La décision qui met fin à la rétention de sûreté peut, si la personne présente des risques de réitération, y substituer une mesure de surveillance de sûreté (SS), qui est en fait une surveillance judiciaire prévue par la loi du 12 décembre 2005, mais pouvant s'étendre au-delà de la peine telle qu'elle a été prononcée. Cette surveillance dure là encore un an renouvelable ; la violation des mesures de surveillance peut entraîner le placement en rétention de sûreté. La décision de placement sous Surveillance de Sûreté peut faire l'objet d'un recours devant la JNRS, mais il n'est pas possible d'en demander la levée avant terme, contrairement à la Rétention de Sûreté, la loi ne prévoyant pas une telle possibilité.

Enfin, point important : la rétention de sûreté est inapplicable à un prisonnier qui a bénéficié d'une libération conditionnelle : il relève alors du régime et de la surveillance de cette mesure (qui pour être accordée suppose que le juge d'application des peines ne redoute pas une réitération à la sortie, de toutes façons).

Voici en gros la loi telle qu'elle a été présentée au Conseil constitutionnel.

A un détail près : son article 13, article marqué du sceau de l'infamie dès sa numérotation. Le gouvernement voulait absolument que cette loi soit applicable immédiatement, tant on sait que l'actuel président veut écrire son action dans l'immédiat : or une loi dont les premiers effets n'auraient pas lieu avant au mieux une douzaine d'années, c'est inconcevable pour lui. D'où le recours à une rhétorique des plus nauséabondes : les personnes concernées sont des monstres, on publie même leur nom, et leurs futures victimes sont là, blotties, tremblantes d'effroi contre le président qui veut les protéger et "on" veut l'en empêcher. Et une nouvelle usine à gaz, que je vous décris rapidement car il serait dommage qu'un tel chef d'œuvre disparût dans les limbes où l'a envoyé la décision du Conseil constitutionnel.

Pour les personnes exécutant à la date du 1er septembre 2008 une peine entrant dans le champ d'application de la loi (15 ans pour un des crimes cités plus haut), l'article 13 prévoyait, à titre exceptionnel (je vous renvoie à ce je disais plus haut sur le sens à donner à ce terme), la possibilité de leur placement en Rétention de Sûreté selon les modalités suivantes :
Le procureur général de la cour d'appel dont dépend la cour d'assises qui a prononcé la condamnation (même si le condamné est détenu depuis presque quinze ans fort loin de là) demandait au juge d'application des peines son avis sur l'opportunité de la mesure, puis, quel que soit cet avis, saisissait la chambre de l'instruction de la cette cour d'appel qui faisait comparaître le condamné (amené donc exprès pour cela sous escorte) afin que se tienne un débat qui pouvait aboutir, si la cour constatait qu'il résultait de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de cette personne, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité, susceptible de justifier, à l'issue de sa peine, un placement en rétention de sûreté, que faisait-elle ? Elle avertissait cette personne qu'elle pourrait faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.

Une fois cet avertissement donné à grands frais, on retombait sur les rails de la procédure ordinaire avec saisine de la Commission Pluridiscinaire des Mesures de Sûreté.

C'est cette procédure d'avertissement solennel destiné à suppléer au fait que la cour d'assises n'avait pas donné son feu vert pour une éventuelle rétention de sûreté qu'a censuré le Conseil constitutionnel au motif (§10) que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Cependant, le Conseil n'a pas fermé toutes les portes à aune application immédiate, sauvant ainsi l'article 13 de l'annihilation. Il n'a pas censuré, mais sans expliquer pourquoi, le III de l'article 13, qui prévoit la possibilité de prononcer une Rétention de Sûreté lorsqu'une personne faisant l'objet d'une surveillance de sûreté après une surveillance judiciaire ou un suivi socio judiciaire, ne respecte pas ses obligations et que ce non respect révèle que le Surveillé présente "à nouveau" une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau une infraction.

Voici qui nécessite quelques explications.

La Surveillance Judiciaire (SJ) dont je parlais plus haut couvre la période de réduction de peine, c'est à dire entre la remise en liberté de la personne par l'effet des réductions de peine et la fin absolue de la peine. Exemple : Une personne est condamnée à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'un concierge (homicide volontaire aggravé, art.221-4, 4° du code pénal). Elle ne bénéficie pas d'une libération conditionnelle à mi-peine. Mais elle bénéficie d'un crédit de réduction de peine de 31 mois (trois mois pour la première année et deux mois par année supplémentaire). Elle pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire pendant ces 31 mois, jusqu'au 15e anniversaire de sa condamnation.

Le suivi socio-judiciaire (SSJ) est une période de suivi post-peine. Elle doit être prononcée lors de la condamnation et peut, pour les crimes, aller jusqu'à 20 ans. Il s'agit d'une création d'une loi Guigou de juin 1998. Elle a donc dix ans. Autant dire qu'elle commence tout juste à s'appliquer pour les crimes. Ce qui ne l'a pas empêché d'avoir été modifiée par la loi Perben II : pour les crimes postérieurs au 10 mars 2004 et puni de 30 ans de réclusion criminelle ou de la perpétuité, le SSJ est automatiquement de 30 ans, et peut être prononcé sans limitation de durée en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. La surveillance judiciaire et le suivi socio judiciaire sont compatible : le second commence quand la première prend fin.

Il nous faut donc dans cette hypothèse :
-Que le condamné ait purgé sa peine de détention ;
-Ait été l'objet d'une surveillance judiciaire ou d'un suivi socio judiciaire (ou des deux) ;
-Qu'à l'issue de ces deux mesures, sans qu'il ait bien sûr réitéré sinon il serait déjà incarcéré, la Commission Pluridisciplinaire qui n'existe toujours pas décide de le placer par période d'un an renouvelables sous surveillance de sûreté ;
-Qu'au cours de cette surveillance de sûreté, il ne respecte pas une de ses obligations ;
-Que cette violation de ses obligation révèle qu'il est très probable qu'il passe de nouveau à l'acte ;
-Et bien sûr qu'il ne soit pas mort de vieillesse dans l'intervalle parce que là on en est au moins à 20 ans après sa condamnation.

Il y aurait donc bien sanction, mais pour des faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui suffit à apaiser le courroux du Conseil.

Jules de Diner's Room a une autre théorie sur la bienveillance du Conseil sur cette disposition : cet article 13-III ne serait tout simplement pas applicable, puisqu'il reposerait sur une condition impossible matérialisée par les mots "à nouveau" : il faudrait EN OUTRE que le Surveillé ait déjà fait l'objet d'une mesure de Rétention de Sûreté pour justifier qu'il soit à nouveau d'une dangerosité telle qu'il faille le placer en Rétention de Sûreté. Je ne suis pas sûr que le Conseil ait voulu dire cela (le commentaire aux Cahiers ne le laisse pas croire) mais voici un superbe argument juridique pour les amis des assassins avocats de la défense confrontés à un risque de placement en rétention de leur client dont le seul crime est de trop aimer les enfants.

En tout cas, le président de la République semble quant à lui hors d'atteinte de tout risque de retenue, puisqu'il a fait savoir par l'ex futur maire de Neuilly qu'il allait demander à Vincent Lamanda, premier président de la cour de cassation, de réfléchir au moyen de faire entrer en vigueur immédiatement ces dispositions.

Las, le président se heurte à ce dont je parle souvent ici : cette psychorigidité des magistrats dès lors qu'il s'agit d'appliquer la loi. Le premier président a fait savoir, avant même de recevoir sa lettre de mission, qu'il refusait tout de gob toute remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel sous le fallacieux prétexte que la Constitution l'interdirait.

J'aurais encore beaucoup de choses à dire mais j'ai déjà été trop long. Je ferai un deuxième billet si nécessaire.

Une chose simplement. Bien que ce sujet mêle inextricablement politique et droit, tous les commentaires visant à attaquer la personne du président de la République, à invoquer les mânes d'un régime de sinistre mémoire mais disparu il y a 63 ans, ou les propos de charretier entendu au Salon de l'agriculture seront supprimés. J'ai un peu trop été pris pour un forum des colleurs d'affiche anti-Sarkozy ces derniers temps. Mon humeur n'est plus à la tolérance, la France perdu face à l'Angleterre.

A bon entendeur...

mercredi 16 janvier 2008

Le Légifrance nouveau est arrivé !

La version 2000 du site commençait à vieillir, voici la nouvelle version, qui rappelle immanquablement le fonctionnement des bases de données professionnelles, comme Lexis Nexis.

Il y a du bon et même du très bon : la possibilité de télécharger l'intégralité des codes au format PDF (prochainement), bref, j'aurai le CESEDA à jour sur mon Palm,et les versions futures des codes en cas d'entrée en vigueur retardée. Ainsi, pour le code de procédure pénale, on a la version d'aujourd'hui, et celles qui seront en vigueur le 1er mars 2008, le 7 mars 2008, le 1er juin 2008, le 10 septembre 2008 et le 1er janvier 2010 (Ce n'est pas un gag, voyez vous-même). Bref, c'est du voyage dans le temps qu'on nous propose.

Les liens s'établissent désormais par simple copier coller de l'adresse de la fenêtre de navigation, alléluia !

La navigation au sein d'un code est facilitée par une barre de navigation latérale, au lien d'un simple lien "suivant/précédent" sous l'article.

Par contre, les anciens liens vers un article unique ne sont pas conservés, tous mes vieux billets sont désormais bourrés de liens morts.

Je vais fureter et ferai une note un peu plus complète.

C'est une nouvelle ère qui commence. D'ores et déjà : bravo et merci pour le travail accompli par tous ceux qui ont travaillé dessus. L'ancien site était tellement obsolète que le résultat ne peut qu'être une amélioration, mais il y a eu un vrai travail de réflexion sur l'aspect pratique, et en quelques minutes, je vois que c'est nettement mieux qu'une simple mise à niveau. Merci du fond du coeur de la part de quelqu'un qui l'utilise tous les jours.

Et puis il n'y a que 17 erreurs de code, c'est bien mieux que certains.

vendredi 11 janvier 2008

Les mésaventures de l'Arche perdue

Les ennuis des membres de l'Arche de Zoé actuellement incarcérés en France en exécution de la condamnation tchadienne ne sont pas terminés.

En effet, trois d'entre eux (le logisticien, le médecin, et l'assistante du dirigeant de l'association ont été mis en examen dans le cadre d'une instruction ouverte en France) ont été mis en examen dans le cadre d'une instruction ouverte à Paris. Deux des membres de l'équipe ayant agi au Tchad ont été placés sous le statut de témoin assisté. Le dirigeant de l'association, encore hospitalisé à Fresnes, n'a pu encore être conduit devant les juges d'instructions en charge du dossier.

Quelques réponses aux questions que vous vous poserez sûrement :

- Sur quels délits l'instruction porte-t-elle ?

Trois, d'après la presse. Le plus grave est la tentative d'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier d'étrangers aggravée par la circonstance que cette aide a comme effet d'éloigner des mineurs étrangers de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel (art. L.622-1 et L.622-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), délit passible de 10 ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende. Le deuxième est le délit d'escroquerie (art. 313-1 du Code pénal), passible de 5 ans de prison, 375.000 euros d'amende, mais je ne sais pas sur quels faits porte cette infraction : serait-ce à l'égard des familles françaises invitées à financer l'opération ? C'est possible car le troisième délit est l'exercice illégal de l'activité d'intermédiaire pour l'adoption ou le placement en vue de l'adoption de mineurs de quinze ans (art. L. 225-19 du Code de l'Action Sociale et des Familles), passible d'un an de prison et 15.000 euros d'amende.

- Pourquoi à Paris ?

L'association l'Arche de Zoé a son siège à Paris. C'est là que ses activités sont domiciliées juridiquement, et que des actes constitutifs des infractions soupçonnées ont été accomplis.

- Quelle conséquences cela peut-il avoir sur le statut des détenus ?

En soi, aucun. Les détenus le sont pour des faits d'enlèvement, et purgent une peine définitive. Ils sont "détenus pour autre cause". Les juges d'instruction n'ayant pas demandé le placement sous mandat de dépôt des mis en examen (j'ignore s'il y a eu placement sous contrôle judiciaire, qui sont des mesures de surveillance et d'interdictions sans privation de liberté), cette mise en examen ne fera pas obstacle à des mesures d'aménagement de peine permettant la sortie des mis en examen. Les témoins assistés, quant à eux, ne peuvent pas faire l'objet d'une détention provisoire ni même d'un contrôle judiciaire.

- En cas de condamnation, les peines s'additionneront-elles entre elles ? Risquent-ils 16 ans de prison ?

Non. En droit français, quand un tribunal condamne un prévenu pour plusieurs délits, il prononce une peine unique pour l'ensemble des délits, dans la limite du maximum prévu pour le plus grave des délits, soit ici dix ans (article 132-3 du Code pénal). Idem pour les amendes.

- Ces peines s'additionneront-elles avec la peine tchadienne ?

Oui, mais à condition qu'elles soient fermes, et jusqu'à un maximum de dix ans. Quand une personne est condamnée à diverses peines de même nature à l'occasion de poursuites séparées, les peines s'additionnent dans la limite du maximum prévu pour le délit le plus grave (ici l'aide à l'entrée aggravée) : article 132-4 du Code pénal. Cependant, le tribunal français qui statuera pourra prononcer la confusion des peines qu'il prononcera avec la peine tchadienne, auquel cas toutes seront purgées en même temps et non à la suite les unes des autres. C'est aux avocats de veiller à présenter une telle demande, même si le parquet peut le faire lui aussi, et si le tribunal peut le décider d'office. Je ne pense pas qu'ici, le tribunal correctionnel ferait des difficultés pour ordonner la confusion des peines.

- Cela aura-t-il une influence sur l'audience du 14 janvier ?

Aucune. L'audience du 14 janvier ne vise qu'à adapter la peine tchadienne de travaux forcés à la loi française. Pas à refaire le procès de N'Djamena, ce dont le tribunal serait incapable, n'ayant pas le dossier, et surtout ce dont il n'a pas le droit, s'agissant d'une décision définitive. Je crains fort que les espoirs nourris par la défense sur ce point ne soient vains. Pour le reste, les mis en examen et a fortiori les témoins assistés sont présumés innocents, et cette instruction est sans incidence sur la question dont est saisi le tribunal de Créteil. C'est pourquoi les juges d'instruction n'ont pas attendu cette audience pour procéder aux mises en examen.

- Et finalement seront-ils jugés à Paris ou à Créteil ?

A Paris, là où l'instruction est menée. Le procès de Créteil n'a lieu que pour l'adaptation de la peine, Créteil étant le tribunal compétent sur la ville de Fresnes, dans le Val de Marne, lieu de détention des prisonniers dont la peine doit être adaptée. Si vous gardez à l'esprit qu'il s'agit de deux procédures totalement distinctes, portant sur des délits séparés, tout sera clair pour vous.

NB : J'ai à dessein évité de citer le nom des personnes impliquées, qui sont présumées innocentes, et dont l'identité n'a en réalité aucun intérêt en ce qui nous concerne, puisque nous faisons du droit et pas du fait divers. Merci de respecter cette règle dans les commentaires.

Et bon week end à tous.

jeudi 10 janvier 2008

Mise à jour sur la rétention de sûreté.

Le projet de loi sur la rétention de sûreté mais pas seulement a été adopté hier par l'assemblée. Comme c'était prévisible, la rétention de sûreté a été élargie par les députés, toujours prêts à faire le sale boulot, aux crimes d'enlèvement (soit sept jours ou plus, en deçà, c'est un délit), et concerne tous les crimes commis sur des mineurs, même plus de 15 ans, et sur des victimes majeures pour les seuls crimes d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé ou d’enlèvement ou de séquestration aggravé.

Cette extension aux enlèvements me paraît totalement stupide. Les kidnappeurs qui ne violent ni ne tuent leur victime (puisque s'ils le font, ils tombent sous le coup de la rétention de sûreté telle que prévues dans le projet initial) le font pour des motifs crapuleux, de l'argent la plupart du temps. Ils ne présentent donc aucun trouble mental et aucun psychiatre ne recommandera jamais leur rétention dans un centre socio-médico-judiciaire.

L'extension à tous les mineurs et aux majeurs dans un certain nombre de cas n'est pas anodine : le projet de loi visait expressément les pédophiles dans l'exposé des motifs. Or les criminels pédophiles ne s'attaquent pas à des mineurs de 16 ou 17 ans, pas plus qu'à des adultes. En outre, d'un point de vue prophylactique, puisqu'on nous rebat les oreilles qu'il s'agit d'une mesure de sûreté et rien d'autre, je ne vois pas en quoi, quand la victime est majeure, il faut l'apparition d'une circonstance aggravante pour ouvrir la possibilité d'une rétention de sûreté. Étrangler une jeune fille de 20 ans dans la rue ne révèle aucune dangerosité durable, mais étrangler une concierge, oui ? Manifestement, le législateur ne connaît pas ma concierge !

Les autres changements notables sont les suivants :

- Le critère de la rétention de sûreté est précisé : elle vise la personne qui présente, en raison d’un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une de ces infractions [Meurtre ou assassinat ; torture ou actes de barbarie ; viol ; enlèvement ou séquestration].

- L'expertise réalisée pour la commission multidisciplinaire (la première à statuer, qui propose au procureur général mais ne décide pas) sera réalisée par deux experts au lieu d'un.

- Les commissions qui statuent sont baptisées commission régionale de la rétention de sûreté (CRRS) pour celle au niveau de la cour d'appel qui décide de la mesure et de sa mainlevée, et commission nationale de la rétention de sûreté (Oui, CNRS...) pour celle statuant en appel au niveau de la cour de cassation (je suis pris de vertige devant le contresens contenu dans cette phrase, mais telle est la loi).

- Un condamné dont la libération conditionnelle a été révoquée peut faire l'objet d'une rétention de sûreté. Cela me semblait aller de soi dans le projet initial, mais autant être clair.

- Si la CRRS n'a pas statué sur la demande du retenu visant à ce qu'il soit mis fin à sa rétention dans les trois mois de la demande, celui-ci est mis en liberté d'office. Cela évitera que les rétentions durent uniquement à cause de l'engorgement des la cour d'appel.

Ha, et contrairement à ce que j'indiquais, le gouvernement a déclaré l'urgence sur ce texte. Pour des effets qui ne pourront à mon sens avoir lieu avant 2020 à 2023. C'est n'importe quoi. Quousque tandem abutere, Governatus, patientia Parlamentaria ?

A suivre au Palais du Luxembourg.

mercredi 9 janvier 2008

Retenez-moi ou je fais un malheur

L'Assemblée nationale a commencé aujourd'hui l'examen du projet de loi n° 442 relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental.

Deux points sont abordés, qui suscitent la polémique, forcément, car ils ne figuraient pas au programme du candidat Sarkozy (dont la relecture au bout de six mois de présidence est intéressante) mais semblent bien avoir été décidés en réaction à des faits divers, ce qui n'est jamais la meilleure inspiration pour le législateur. Et comme souvent, on découvre un décalage entre le discours ferme, voire rigide, du présigouvernement, et la réalité du texte, qui est plutôt modéré.

Le projet de loi, susceptible de modification au cours des débats parlementaires, se divise en trois parties sans lien logique entre elles, ce qui démontre l'aspect bricolage du texte. Et vous allez voir que le bricolage devient acrobatique parfois.

La première concerne donc cette fameuse rétention de sûreté, seul point que j'aborderai ici (je reviendrai sur le jugement des irresponsables, c'est un grand moment d'émotion).

De quoi s'agit-il ? Pour faire court, de la possibilité de maintenir enfermé au-delà de sa peine un criminel considéré comme étant encore particulièrement dangereux.

Plus en détail, ce dispositif s'appliquerait aux personnes remplissant deux conditions cumulatives : avoir été condamnées pour des faits de meurtre, assassinat (qui est le meurtre commis avec préméditation), actes de torture ou de barbarie ou viol, commis sur un mineur de quinze ans (soit âgé de quinze ans ou moins) ; et avoir pour ces faits été condamné à une peine d'au moins quinze années de réclusions criminelle.

Pour ces personnes, un an avant la date prévue de sortie, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, créée par la loi du 12 décembre 2005, doit se prononcer "au vu de tous les éléments utiles" et après une expertise médicale. La rétention de sûreté peut être envisagée par la commission si deux conditions sont réunies : 1°, les mesures existantes (inscription au FIJAIS, injonction de soin, placement sous surveillance électronique mobile) apparaissent insuffisantes pour prévenir le risque de réitération, et 2°, que la rétention soit l'unique moyen de prévenir cette réitération, dont la probabilité doit être "particulièrement élevée".

La loi est muette sur les règles de calcul de cette probabilité et il y a gros à parier que le mathématicien de service sera... l'expert psychiatre.

Le bricolage commence. Et il ne s'arrête pas là. La commission pluridisciplinaire ne va pas décider du placement en rétention de sûreté. Elle va décider s'il y a lieu ou non de faire une proposition motivée au procureur général du lieu de détention de la personne, qui pourra alors saisir... une commission régionale (Ha, que deviendrait la République sans ses commissions qui peuvent décider qu'il faudrait peut être saisir une commission ?) composée de trois juges de la cour d'appel dont un ayant rang de président de chambre.

Première incise : pourquoi ne pas appeler cela une chambre, plutôt qu'une commission, puisqu'elle statuera comme nous allons le voir après un débat contradictoire, l'avocat du condamné entendu ? D'autant plus qu'en 2002, une chambre de l'application des peines a été créée pour connaître des appels des décisions des juridictions d'application des peines (JAP statuant seul ou tribunal de l'application des peines). Pourquoi ne pas utiliser ce qui existe, plutôt que créer à chaque fois un nouveau truc appelé commission ? Oui, c'est vrai, il faut savoir que ça existe, le fait de l'avoir voté il y a 4 ans n'étant pas suffisant en soi. Fin de la première incise.

La loi ne précise pas si le procureur général est tenu par cet avis motivé. La rédaction semble indiquer que oui (« La commission régionale est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté » ; en droit le présent de l'indicatif vaut impératif.), mais le principe de l'opportunité des poursuites s'applique-t-il ? Un amendement parlementaire réglant la question serait le bienvenu (à bon entendeur, mes lecteurs assistants parlementaires salut).

Une fois cette commission régionale saisie, au plus tard trois mois avant la date de sortie prévue, elle statue comme une juridiction : un débat contradictoire, c'est à dire où les parties (le procureur général, demandeur de la rétention de sûreté d'un côté, le condamné et son avocat de l'autre) exposent leur position et répliquent à celle de l'autre, un débat contradictoire disais-je a lieu, puis la commission décide de l'éventuel placement en rétention de sûreté, en retenant les mêmes critères que ceux posés pour la commission multidisciplinaire (qui a dit « double emploi » ?) : mesures existantes insuffisantes, probabilités de récidive particulièrement élevées. Un recours est possible devant, mais oui vous avez deviné, une commission, composée de trois magistrats de la cour de cassation. Un pourvoi est possible contre cette dernière décision.

Deuxième incise : là encore, un problème se pose, et il est corsé. Faire de la cour d'appel la juridiction de premier degré de la rétention de sûreté impose de faire de la cour de cassation une juridiction d'appel. Or elle demeure compétente en cas de pourvoi. Je ne suis pas sûr et certain que la cour européenne des droits de l'homme considère le pourvoi en cassation portée devant la même juridiction, même autrement formée, comme un recours devant un tribunal impartial au sens de l'article 6 de la Convention. Autre problème : l'existence de ce pourvoi contraindra le Premier président de la cour de cassation à choisir des conseillers extérieurs à la chambre criminelle, spécialisée dans la matière pénale, pour former cette commission d'appel, puisque la chambre criminelle aura à connaître des pourvois en cassation contre les décisions de la commission d'appel. On marche sur la tête. Et là où ça devient un casse tête (donc un casse pied puisqu'on marchait déjà sur la tête), c'est qu'en cas de cassation, la règle veut que l'affaire soit renvoyée à une juridiction de même rang pour être jugée à nouveau. Or ici, il n'y a qu'une juridiction d'appel au niveau national, et elle n'est composée que de trois magistrats ! Bref, personne pour rejuger l'appel, sauf au premier président à désigner trois magistrats ad hoc pour examiner le nouvel appel, autant dire trois conseillers totalement inexpérimentés en la matière. Là encore, il y a du travail parlementaire à faire pour rendre le processus viable. Fin de la deuxième incise.

La rétention de sûreté peut être écartée, et le dossier renvoyé au JAP qui pourra utiliser les moyens existant actuellement pour surveiller le condamné. Rappelons que depuis la loi du 12 décembre 2005, on peut imposer à un condamné bénéficiant de réductions de peine une surveillance judiciaire dont la durée ne peut excéder ces réductions de peine, qui s'analysent en réduction d'incarcération (un condamné condamné en 1999 à 15 ans bénéficie de 3 ans de réduction de peine, il est libérable en 2011 ; il pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire de 2011 à 2014 – je simplifie pour l'exemple).

Si elle est décidée, cela signifie qu'au jour prévu pour la libération, le condamné sera aussitôt placé dans un centre, je cite « socio-médico-judiciaire de sûreté ». Ca n'existe pas encore, c'est renvoyé à un décret en Conseil d'Etat. Il faut dire qu'on a le temps, comme vous allez voir. Ce placement est décidé pour une durée d'un an, renouvelable un nombre illimité de fois. La commission régionale peut également décider du placement sous surveillance électronique mobile pour une durée identique (un an), renouvelable là encore un nombre illimité de fois.

Un mot sur le placement sous surveillance électronique mobile: il ne s'agit pas du bracelet électronique, qui impose au condamné d'être présent à son domicile à des plages horaires déterminées. La surveillance électronique mobile est une sorte de GPS indiquant en permanence la position du porteur et permettant de créer des zones d'exclusion (écoles, domicile de la victime, etc...). Il n'est pas très discret pour ce que j'en ai vu (un bracelet semblable au bracelet électronique, de la taille de la montre du président de la République, et un émetteur qui se porte à la ceinture de la taille d'une boite de cigare, sachant qu'il y a une batterie à l'intérieur. Voir le dossier de presse du ministère de la justice.

La rétention de sûreté ne fait pas obstacle aux règles relatives à la libération conditionnelle. Il faut préciser qu'il y a incompatibilité absolue entre les règles d'octroi de la libération conditionnelle et celle de la rétention de sûreté en ce qui concerne la dangerosité du condamné.

La rétention de sûreté étant privative de liberté, elle ne pourra s'appliquer qu'aux condamnations prononcées après son entrée en vigueur. C'est à dire pas avant 2020 au mieux, puisqu'elle ne s'applique qu'aux peines de 15 ans au moins (mois 31 mois de crédit de réduction de peine si le détenu ne pose pas de problème en prison)

Un mot avant de conclure, et ce sera ma troisième incise, sur un débat un peu trop vite escamoté par le gouvernement : la constitutionnalité de l'article 12 du projet, qui prévoit une entrée en vigueur immédiate, c'est à dire une application aux peines en cours d'exécution, de l'article 2, qui prévoit la possibilité de maintenir la surveillance judiciaire (le condamné est libre mais sour surveillance électronique mobile) au delà de la durée de la peine prononcée. La Constitution, et précisément la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et la convention européenne des droits de l'homme en appui, prohibent d'appliquer des peines plus graves que celles qui étaient prévues quand les faits ont été commis. C'est un droit de l'homme fondamental. Si vous grillez un feu, vous savez que vous commettez une contravention de la 4e classe et que vous risquez 750 euros d'amende. Si le lendemain un loi en fait un délit passible de dix ans d'emprisonnement, vous ne pouvez pas être condamné à une telle peine : on ne pourra au pire vous condamner qu'à 750 euros d'amende.

Le gouvernement invoque la décision du conseil constitutionnel 2005-527 DC du 8 décembre 2005 sur la loi sur la récidive, qui considérait que la surveillance judiciaire, dont j'ai déjà parlé, était applicable aux peines en cours même si elle n'existait pas au moment où les faits ont été commis car il s'agissait d'une mesure de sûreté et non d'une peine (considérants 10 et suivants). Là, le Gouvernement va droit dans le mur et je doute qu'il puisse l'ignorer.

En effet, rappelons que la surveillance judiciaire ne peut à ce jour excéder la durée des réductions de peine du condamné. Et c'est précisément en relevant ce point que le Conseil écarte l'inconstitutionnalité pour atteinte au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (considérants 13 à 15) :

13. Considérant, en premier lieu, que la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ;

14. Considérant, en second lieu, que la surveillance judiciaire, y compris lorsqu'elle comprend un placement sous surveillance électronique mobile, est ordonnée par la juridiction de l'application des peines ; qu'elle repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité ; qu'elle a pour seul but de prévenir la récidive ; qu'ainsi, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction ;

15. Considérant, dès lors, que le législateur a pu, sans méconnaître l'article 8 de la Déclaration de 1789, prévoir son application à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi (...).

Bref, le conseil disait : votre loi crée une mesure de sûreté modalité d'exécution de la peine, elle ne permet pas de faire durer la peine au-delà de la durée prononcée par le tribunal. Elle durcit l'octroi des mesures de retour à la liberté : je n'ai rien à y redire, ces mesures étant par nature favorables à un détenu. Qu'elles le soient un peu moins n'empêche qu'elles demeurent favorables.

Ici, la loi crée une possibilité de privation de liberté pour une durée indéterminée, les périodes d'un an étant renouvelables de manière illimitée jusqu'au décès du condamné, et la déclare applicable à des faits où cette possibilité n'existait pas au moment où ils ont été commis. C'est une mesure moins favorable au condamné, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'imagine pas un seul instant que le Conseil constitutionnel laissera passer une chose pareille sous prétexte qu'on l'aurait affublé du cache-sexe de « mesure de sûreté », surtout quand on sait qu'y siège un ancien premier président de la cour de cassation (et un condamné en puissance diront les mauvaises langues, ce que je ne suis pas).

En somme, le gouvernement se prépare à nous refaire le coup de la réductibilité des intérêts d'emprunt, dit le coup de la bonne du curé : « J'voudrais bien, mais j'peux point ». Puisque cette prolongation de surveillance judiciaire ne concerne que les condamnés à quinze ans au moins, elle n'entrerait concrètement en vigueur que douze ans après le vote de la loi au mieux, quand les condamnés à quinze ans commenceront à devenir libérables. Pour un président qui inscrit son action dans l'immédiateté et le résultat instantané, le voilà contraint de se projeter dans l'avenir, pire : dans l'après lui, et on sait que ce n'est pas dans la nature du personnage. Sauf à aligner trois mandats. Pensée qui referme ma troisième incise.

Pour conclure, que penser de ce projet de loi ?

Sur la forme, vous avez vu qu'il est mal ficelé. Un travail parlementaire intelligent peut régler cela, mais il y a du travail. Tant mieux, parce que pour le moment, le parlement est plus réduit au rôle de machine à signer que de machine à légiférer.

Sur le fond, Robert Badinter, pour qui mes lecteurs savent que j'ai le plus profond respect, émet des critiques vigoureuses. Philippe Bilger, avocat général pour qui je n'ai pas moins de respect, le prend à rebrousse-poil et approuve le principe, sans entrer dans le détail du texte, estimant probablement que ce n'est pas son rôle de magistrat, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en pense pas moins.

Pour ma part, hormis l'aspect entrée en vigueur immédiate, ce projet ne me scandalise pas sur le principe. Il faut garder à l'esprit qu'il ne concernera qu'un très petit nombre de condamnés. Philippe Bilger parle d'une dizaine de personnes. Le chiffre me semble réaliste. Ses conditions, que j'ai rappelées plus haut, sont très restrictives (Liste de crimes réduite, même si elle sera appelée à grossir, on connaît bien le moteur à deux temps au Gouvernement ; peine minimale de quinze années ; dangerosité avérée avec une réitération très probable, et aucune autre mesure de surveillance ne permettant d'y pallier). Des sûretés existent, et rien n'a plus besoin de sûreté qu'une mesure de sûreté : le dossier est forcément réexaminé une fois par an, et le retenu peut demander sa libération trois mois après la dernière décision de maintien. La décision appartient à l'autorité judiciaire et à elle seule.

L'existence d'individus intrinsèquement et à l'heure actuelle incurablement dangereux ne peut pas être ignorée. Je suis d'accord avec Philippe Bilger quand il dit qu'au nom de bons sentiments, la société ne doit pas être sans armes pour assurer la sécurité de ses membres face à un danger évident dont elle a connaissance. L'angélisme en matière pénale fait des victimes humaines. Et en l'état actuel du texte, le risque de voir une personne injustement retenue me semblent particulièrement faibles ; m'indigner alors même que les conditions exactes de cette rétention, qui n'est pas un maintien en prison, c'est-à-dire les possibilités de visite, de communication vers l'extérieur, de liberté de circulation dans l'établissement sont inconnus me paraît prématuré. Enfin, cette menace de rétention constitue enfin le levier qui manquait pour faire pression sur les condamnés qui refuseraient de suivre un traitement en prison, préférant « compter les jours ». Cette attitude ne leur garantirait plus un retour inéluctable à la liberté.

Je n'adhère pas aux critiques émises par Robert Badinter. Il parle de changement radical du droit. L'usine à gaz proposée par le gouvernement s'inscrit au contraire dans une longue tradition de montages invraisemblables. Le sénateur critique l'abandon de la règle « pas de prison sans crime » au profit d'un emprisonnement pour un crime virtuel, qu'il est susceptible de commettre. Mais la rétention n'aura pas lieu dans un établissement pénitentiaire, et ne peut avoir lieu que si un crime a bien été commis au départ. La non rétroactivité de la loi pénale fait que les futurs retenus auront su au moment du passage à l'acte que les faits les exposeraient à une telle mesure. Quant à affirmer que ce projet de loi revient à « garder quelqu'un en prison parce que des psychiatres auront dit 'vous savez, il va peut-être récidiver un jour' », cela va à l'encontre du texte qui dit que la probabilité de réitération doit être « particulièrement élevée ». Je suis d'accord pour constater que ce calcul de probabilité, je ne sais pas trop ce qu'il veut dire. Mais au moins, je sais ce qu'il ne veut pas dire. Ce n'est pas un simple peut être. Et en tant qu'avocat, il m'incombera d'y veiller.

vendredi 28 décembre 2007

Que va-t-il arriver à l'Arche de Zoé ?

Un titre en alexandrin pour faire le point sur cette affaire maintenant que le procès au Tchad est terminé.

Il ne s'agit pas ici de rejuger l'affaire : je ne dispose d'aucun document, uniquement les informations données par la presse. Il s'agit de voir comment va se résoudre le problème juridique du rapatriement de six Français condamnés à l'étranger à huit ans de travaux forcés et 6 millions d'euros de dommages-intérêts. Le jugement étranger est-il exécutable en l'état en France ? Comment cel se passe-t-il ?

Bref, nous allons faire du droit international. Et rien d'autre.

Les relations entre Etats souverains se reconnaissant mutuellement comme tels sont exclusivement contractuelles. Soit un accord prévoit le règlement d'une situation, soit un accord spécial est conclu pour régler un problème ponctuel. Le premier réflexe du juriste est de rechercher si un tel contrat existe entre la France et le Tchad.

Et la réponse est oui : il s'agit de l'Accord en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Tchad signé le 6 mars 1976 (par Jacques Chirac, premier ministre, signe du renouvellement du personnel politique en France...) et entré en vigueur le 1er mars 1978.

Et précisément, c'est l'article 29 de cet accord qui détient la clef, en réglant la question du transfèrement (c'est le terme juridique) de détenus :

Si l'une ou l'autre Partie contractante en fait la demande, tout ressortissant de l'un des deux Etats condamné à une peine d'emprisonnement ou à une peine plus grave sera, sous réserve de son consentement, remis aux autorités de l'Etat dont il est ressortissant.
Les frais de transfèrement sont laissé à la charge de la Partie requérante.

Notez bien la rédaction. Si la France en fait la demande (par le Garde des Sceaux, via le ministre des affaires étrangères) et que les six condamnés sont d'accord, point qui ne pose aucun problème, le transfèrement est de droit. Il ne peut pas être refusé par les autorités tchadiennes. Cette affaire étant ce qu'on appelle une affaire "signalée", c'est à dire suivie au plus près par les autorités gouvernementales tchadiennes, on peut donc supposer sans risque de se tromper que ce transfèrement devrait aller très vite (on parle d'aujourd'hui ou de ce week-end au plus tard).

Et une fois en France ?

C'est la Code de procédure pénale qui prend les choses en main. Dès leur arrivée en France, ou au plus tard dans les 24 heures, ils seront présentés au procureur de la République du lieu d'arrivée (s'ils viennent sur Paris, ce sera Bobigny en cas d'atterrissage à Roissy ou au Bourget, Créteil en cas d'atterrissage à Orly, ou Versailles en cas d'atterrissage à Villacoublay)[Mise à jour : le gagnant est le procureur de Versailles, l'avion étant attendu à Villacoublay]. Le procureur constatera leur identité, l'accord des Etats et des intéressés sur leur transfèrement, et requerra leur incarcération immédiate. C'est l'article 728-3 du Code de procédure pénale (CPP) .

Première question : la condamnation prononcée par les autorités tchadiennes est-elle valable en France ? La réponse est oui. Il s'agit d'un principe général du droit international découlant du respect de la souveraineté de l'autre État, la justice étant l'expression de cette souveraineté. C'est l'article 728-4 du CPP qui pose ce principe et ses exceptions :

La peine prononcée à l'étranger est, par l'effet de la convention ou de l'accord internationaux, directement et immédiatement exécutoire sur le territoire national pour la partie qui restait à subir dans l'Etat étranger.
Toutefois, lorsque la peine prononcée est, par sa nature ou sa durée, plus rigoureuse que la peine prévue par la loi française pour les mêmes faits, le tribunal correctionnel du lieu de détention, saisi par le procureur de la République ou le condamné, lui substitue la peine qui correspond le plus en droit français ou réduit cette peine au maximum légalement applicable. Il détermine en conséquence, suivant les cas, la nature et, dans la limite de la partie qui restait à subir dans l'Etat étranger, la durée de la peine à exécuter.

En l'espèce, l'alinéa 2 va trouver à s'appliquer. Les six condamnés se sont vu infligés une peine de huit années de travaux forcés pour des faits qualifiés de tentative d'enlèvement de mineurs (103 précisément) tendant à compromettre leur état civil, faux et usage de faux en écriture publique et grivèlerie, faits prévus et réprimés par les articles 43, 286, 45, 46, 191 et 312 du code pénal tchadien.

Or les travaux forcés ont été abolis en France par une ordonnance du 4 juin 1960 (je crois) et remplacés par la réclusion criminelle. Et le nouveau code pénal a limité le régime carcéral de la réclusion criminelle aux seules peines supérieures à dix années. Donc, la peine de huit années de travaux forcés sera convertie en huit années d'emprisonnement. On ne va pas rouvrir Saint Laurent du Maroni pour eux. Le tribunal correctionnel du lieu de détention devra à mon sens être saisi pour convertir la peine de travaux forcés en emprisonnement simple (à moins que la conversion ne soit automatique par l'effet de l'ordonnance de 1960, je ne suis pas sûr de moi à 100%).

Pour la suite de l'exécution de la peine, les aménagements et réductions de peine sont décidées par les juges français en application du droit français, mais la grâce et l'amnistie relèvent du seul droit tchadien. Donc le président Sarkozy ne pourra pas les gracier, à supposer qu'il en ait envie. Seul Idriss Déby aura ce pouvoir.

Et que dit le droit français de l'exécution de la peine ? Tout d'abord, s'agissant d'une condamnation à huit années, les condamnés échappent à la période de sûreté, qui aurait été automatique en cas de peine de dix ans (ce qui avait été requis). Cette période de sûreté égale à la moitié de la peine fait obstacle à toute permission de sortie ou liberté conditionnelle.

Les condamnés vont donc bénéficier d'un crédit de réduction de peine (CRP) de 17 mois (trois mois pour la première année, deux mois pour les suivantes). Ce qui amène leur date de fin de peine au 25 juillet 2014. Le juge d'application des peines pourra leur faire bénéficier de réductions supplémentaires de peine (RSP) pouvant aller jusqu'à 24 mois (trois mois par an car ils ne sont pas en récidive) s'ils montrent des efforts sérieux de réadaptation sociale (article 721-1 du CPP).

Enfin, une fois arrivé à mi-peine (c'est à dire qu'il leur restera autant de temps à effectuer qu'ils en ont déjà passé en détention), ils pourront demander à bénéficier d'une libération conditionnelle, ce qui suppose qu'ils puissent justifier d'un domicile et d'un travail, et que leur comportement en détention ait été satisfaisant. Si des condamnés sont parents d'un enfant de moins de dix ans avec qui ils vivaient habituellement, ils peuvent présenter une demande de libération conditionnelle dite "parentale" sans condition de délai.

Pratiquant les juridictions d'application des peines, je peux vous dire qu'il ne suffit pas de demander ces mesures pour les obtenir. Un dossier de libération conditionnelle, surtout parentale, se monte : il faut des preuves de domicile, des promesses d'embauche solides par des entreprises ayant pignon sur rue qui connaissent la situation du condamné.

Bref, je suis incapable de vous dire quand sortiront les condamnés. Sans réduction supplémentaire de peine, la mi peine se situe début février 2011. Vu leur profil, on peut raisonnablement poser le premier trimestre 2011 comme date la plus tardive. Et le pifdeolassomètre™, après avoir constaté le sens du vent, la position des étoiles, et contemplé le vol des oiseaux, m'indique qu'une sortie dans moins d'un an est peu probable, même pour une libération conditionnelle parentale, vu la gravité des faits et le quantum de la peine.

Reste la question des dommages-intérêts.

Juridiquement, cela ne regarde pas l'Etat français. C'est aux familles des enfants de faire exécuter le jugement en France selon les voies d'exécution de droit : des saisies par huissier.

Politiquement, il y a gros à parier que l'Etat français mettra la main à notre poche, et encore plus gros à parier qu'Idriss Déby touchera la majeure partie de cette somme.

Mais le président de la République actuel sait qu'une opération de comm' n'a pas de prix. Surtout quand ce n'est pas lui qui paye.

Quoi ? J'avais dit que je ne ferai que du droit international et rien d'autre ? Oh, ça va. Les résolutions, à cette époque, vous savez ce que c'est.

mercredi 19 décembre 2007

Le divorce sans avocat ?

Comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, le Gouvernement vient d'annoncer qu'il envisage une réforme du divorce. Il y avait en effet urgence : la grande réforme du 24 mai 2004 (adoptée par un large consensus droite-gauche) est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Ce Gouvernement a un vrai sens des priorités. Ajoutons d'ailleurs qu'à l'occasion de la discussion de cette réforme, une déjudiciarisation du divorce par requête conjointe avait déjà été envisagée avant d'être abandonnée, pour des raisons qui demeurent valables aujourd'hui, et que je reprends plus bas.

La profession est en colère et réagit vivement. Trop à mon sens, notamment à l'égard des notaires, tant cette annonce ressemble par trop à un mouchoir rouge pour la profession, châtiée pour son indocilité chronique depuis plusieurs mois, et une façon de jouer facilement la carte du corporatisme des avocats (« ils défendent leur bout de gras ») contre le consommateur client électeur (« Ca vous coûtera moins cher, puisque la plupart du temps vous devez AUSSI passer chez le notaire »). Des gens intelligents par ailleurs n'ont pas tardé à mordre à l'hameçon.

Moins d'indignation et plus de pédagogie n'auraient pas fait de mal ici. Côté lobbying, nous avons des leçons à prendre des notaires. Ils ne vont pas bousculer des CRS et respirer du gaz lacrymogène, et leurs résultats sont meilleurs.

Bien sûr, une telle réforme serait une calamité financière pour les cabinets spécialisés dans le divorce (sur les 152000 divorces prononcés annuellement, quasiment la moitié sont par requête conjointe ; s'ils donnent lieu à perception de moins d'honoraires, le volume compense). Dans un premier temps, du moins. A moyen terme, j'en doute, vous allez voir. En tout état de cause, nonobstant ma sympathie pour mes confrères œuvrant en la matière, ce ne put être un argument regardé comme pertinent pour refuser la réforme. Les revendications catégorielles de maintien de rentes de situation m'exaspèrent, même quand elles émanent de ma profession.

Que penser de cette réforme ? Pour le moment, pas grand'chose, puisqu'elle n'est qu'une idée, et qu'une mission a été confiée à Monsieur le professeur Guinchard à ce sujet, illustre professeur de droit dont le nom est connu de tous les étudiants et ex-étudiants en droit. Attendons de lire avec profit les résultats des travaux de cet universitaire.

Pour les plus impatients d'entre vous, voici les données du problème, et les difficultés auxquelles cette réforme se heurtera à mon avis.

A titre de prolégomènes, je précise que si j'ai une expérience en matière de divorce par requête conjointe, l'activité de mon cabinet n'en dépend absolument pas. Je prie mes lecteurs de me faire le crédit de ce que je ne défends pas mon pré carré en vous invitant à me suivre dans les cabinets des Juges aux Affaires Familiales.

Rappelons tout d'abord qu'il existe deux grandes catégories de divorce : les divorces contentieux d'une part et le divorce « par consentement mutuel », dont le vrai nom est en réalité divorce par requête conjointe, d'autre part.

Le divorce par requête conjointe concerne des époux qui sont d'accord sur tout : ils veulent divorcer, et se sont mis d'accord sur toutes les conséquences du divorce. Cela inclut la répartition des biens, les relations pécuniaires (prestation compensatoire versée par le conjoint qui a la meilleure situation financière à l'autre qui a sacrifié des opportunités professionnelles pour son couple) et surtout les modalités d'exercice de l'autorité parentale : résidence habituelle des enfants, droit de visite et d'hébergement ou garde alternée, etc...).

Les divorces contentieux concernent toutes les autres situations, de la guerre ouverte (et parfois d'une violence psychologique effroyable) aux époux qui sont d'accord pour divorcer mais n'arrivent pas à se mettre d'accord sur tout, en passant par les époux séparés dont l'un se satisfait très bien de la situation actuelle et n'a pas envie de se compliquer la vie.

Les divorces contentieux ne sont pas concernés par la réforme envisagée, seul le divorce par requête conjointe l'est.

Un divorce par requête conjointe, ça se passe comment ? Comprendre : quand vous n'êtes pas président de la République ?

En apparence (notez bien le « en apparence », tout le problème est là), très simplement. Les époux peuvent prendre un seul avocat pour les deux, puisqu'il n'y a pas de contentieux, étant précisé que l'avocat unique étant avocat des deux, si les choses dégénèrent, il ne peut plus assister un des époux contre l'autre. Il doit se retirer du dossier qui sera repris par deux confrères, et le divorce devient contentieux.

L'avocat doit rédiger deux actes, dont un tient du formulaire : la requête en divorce. C'est un document qui présente les époux, résume leur situation personnelle et familiale (date du mariage, régime matrimonial, nombre et âge des enfants, métiers, revenus et patrimoine des époux) et se conclut en demandant au juge de les recevoir pour prononcer leur divorce.

Le second est la convention de divorce. Et c'est là que s'exerce l'art de l'avocat.

Cette convention doit tout prévoir sur les conséquences du divorce. Cela va de détails comme le paiement des impôts dus en commun ou la prise en charge des honoraires de l'avocat, à des points essentiels comme les règles applicables à la garde des enfants.

Assez souvent, les époux arrivent au premier rendez-vous avec un projet de convention, qu'ils ont piqué dans un quelconque magazine grand public ayant fait un dossier spécial divorce, en laissant entendre qu'il ne nous reste qu'à signer et à demander des honoraires très modérés. Pour moi, c'est une situation que j'aime beaucoup, car après dix minutes d'analyse des problèmes posés par ce document passe-partout qui en voulant servir à tout le monde n'est utile à personne, problème qui sont souvent de vraies bombes à retardement, d'ailleurs, les clients ont parfaitement compris à quoi je sers et ce que représentent mes honoraires.

En six mots : à des années de contentieux évitées.

L'avocat apporte sa connaissance de la loi et son expérience en matière de contentieux pour transformer les explications des clients sur leur accord en un texte relativement bref (on dépasse rarement les six pages, l'essentiel étant consacré aux enfants), clair (comprendre : lisible et compréhensible par les clients) et qui règle sans équivoque n'importe quelle situation sans léser un seul des époux. Car ces règles s'appliqueront « sauf meilleur accord », c'est à dire que si les parents se mettent d'accord entre eux, ils peuvent faire ce qu'ils veulent, mais qu'un désaccord survienne (suite à un malentendu, les deux parents ont pris leur mois de juillet et travaillent le mois d'août, et ils veulent tous les deux partir avec leur bambin), et la solution se trouve dans la convention (dans notre exemple, la convention prévoit que tel parent a le mois de juillet les années paires, et qui l'a les années impaires ; il n'y a plus qu'à regarder un calendrier pour avoir la réponse). Et cela va jusqu'à la désignation du parent tenu d'aller chercher ou ramener les enfants, où et à quelle heure.

C'est là, lors de ce premier rendez-vous, où on va beaucoup écouter les clients et poser de nombreuses questions, que va se nouer l'essentiel du dossier. Après, ce sont des projets soumis aux clients, commentés, des réponses à leurs questions, des rectifications, et quand c'est signé l'essentiel est fait.

Ajoutons qu'en cas de patrimoine commun à liquider (époux soumis au régime de la communauté universelle ou de la communauté réduite aux acquêts, qui concerne les époux qui se sont mariés sans contrat de mariage), notamment s'il y a des biens immobiliers, les époux doivent préalablement au dépôt de la requête en divorce, aller chez un notaire faire préparer un état liquidatif de la communauté qui doit être annexé à la requête. Cet état liquidatif partage le patrimoine commun en deux parts égales (en principe) et précise qui est à qui (le manoir à Deauville pour Madame, le chalet à Courchevel pour Monsieur). Naturellement, l'Etat prélève son écot au passage, parce que... c'est comme ça, il n'est pas obligé d'attendre que vous soyez mort pour se servir, après tout. Si le patrimoine commun est inexistant (un sofa Ikea et un frigo...),les époux peuvent se contenter d'une mention dans la convention de divorce précisant que les biens mobiliers ont déjà fait l'objet d'un partage amiable et qu'il n'y a pas lieu à liquidation. Un estimation du mobilier doit être fournie pour les services fiscaux, qui peuvent réclamer un droit d'enregistrement ; ce sera même systématique en cas de prestation compensatoire.

L'avocat n'a plus qu'à déposer la requête en deux exemplaires, signés par lui et par les époux, ainsi que deux exemplaires de la convention de divorce et l'état liquidatif notarié. Le juge aux affaires familiales, qui statue à juge unique, convoque les deux époux et l'avocat à l'audience de divorce.

L'audience a lieu dans son cabinet. Rien ne ressemble moins à une audience qu'une audience de divorce. Le juge ne porte pas la robe, et siégeant sans greffier en toute illégalité mais il n'y a qu'en fonctionnant illégalement que les tribunaux arrivent à tourner (Hé oui, on en est là), c'est lui-même qui va chercher les époux dans la salle d'attente. Il reçoit d'abord chacun des époux seuls, sans avocat, pour un bref entretien où il doit s'assurer que la décision est réfléchie, qu'aucune réconciliation n'est possible, et que le divorce n'est pas imposé à l'un des époux. En effet, au même titre qu'il faut consentir librement à son mariage, il faut consentir à son divorce par requête conjointe : comme le nom l'indique, les deux époux doivent être demandeurs.

Une fois les deux époux reçus en tête à tête, le juge les reçoit tous deux avec leur avocat, et, si son examen de la convention de divorce ne lui a pas révélé de problème (le juge doit, en vertu de la loi ,s'assurer d'une part qu'aucun époux n'est lésé par les modalités du divorce, qui, à l'instar du mariage, se fait entre personnes égales, et d'autre part s'assurer que l'intérêt des enfants, qui eux, ne sont pas représentés à la procédure, est respecté), prononcera le divorce et homologuera la convention, c'est à dire lui donnera la même force qu'un jugement. Si au contraire il n'est pas d'accord avec la convention, il y a deux possibilités.

Soit le changement qu'il estime nécessaire est mineur, et peut être apporté immédiatement, par rature ou ajout manuscrit paraphé par les parties, et les époux et l'avocat sont d'accord, et la modification est apportée immédiatement (je l'ai vu dans une convention que je n'avais pas rédigée, où l'avocat a cru pouvoir insérer une clause stipulant que la pension alimentaire n'était pas due pour le mois des vacances d'été ou le parent débiteur de la pension hébergeait l'enfant ; le JAF a fait ôter cette mention, la mensualisation de la pension étant faite dans l'intérêt du débiteur qui est lui-même payé mensuellement et non du créancier de la pension ; en outre, il y a des frais qui courent que l'enfant soit présent ou pas).

Soit le changement est majeur et ne recueille pas l'accord des parties, et le juge rejettera la requête en divorce. Les époux pourront en présenter une nouvelle une fois une solution trouvée, ou devront utiliser la voix contentieuse.

Cette audience est très rapide, d'autant que d'autres demandes attendent, et dépasse rarement les dix minutes, entretiens en tête à tête compris. On peut estimer que plus cette audience est courte, et plus cela démontre que l'avocat a bien fait son travail : une convention conforme à la loi et à la jurisprudence, équilibrée, et bien rédigée.

A la sortie du cabinet du juge, les époux sont divorcés, mais pas encore aux yeux des tiers. Il y a une formalité de publicité à accomplir, qui est effectuée par l'avocat : une copie certifiée conforme du jugement et de la convention sont envoyées à la mairie où le mariage a été célébré pour qu'il soit mentionné en marge de l'acte de mariage et en marge de l'acte de naissance des époux, seul moyen de pouvoir se marier à nouveau (il y en a qui ne se découragent jamais).

Ceci étant posé, la réforme envisagée viserait à confier au Notaire, qui doit déjà en principe dresser l'état liquidatif, la charge de rédiger aussi la convention de divorce, de lui donner force exécutoire, et d'effectuer les formalités de publicité et de communication au fisc. Les modalités exactes ne sont pas arrêtées.

En apparence, cela semble plus simple. Après tout, le notaire est par essence un rédacteur d'acte, et les notaires font ça très bien. De plus, il est de son rôle légal de recueillir des consentement éclairés. C'est même cela qui donne à ses actes, que l'on qualifie « d'authentiques » par opposition à « sous seing privé », leur force, qui est la même qu'un jugement, ou un constat d'huissier. Le Notaire est comme un poisson dans l'eau dans les rapports patrimoniaux et leurs conséquences fiscales. C'est son métier, et personne ne le fait mieux que lui (même si un avocat peut le faire aussi bien...).

De plus, c'est devant le notaire que l'on va pour le contrat de mariage. Pourquoi ne pourrait-il défaire ce qu'il a aidé à conclure ?

Plus économique, cela reste à voir. Les notaires sont eux aussi chefs d'entreprise, ils payent les mêmes charges que nous, et leurs employés ne sont pas bénévoles. Ce surcroît de travail (qui se compte en heures) fera l'objet d'un surcroît d'honoraires. Seuls ceux qui croient que les avocats se font grassement payer à ne pas faire grand chose dans un divorce par requête conjointe croiront à l'argument de l'économie et déchanteront rapidement.

D'autant que les notaires n'ont pas l'expérience du contentieux post-divorce (révision de la prestation compensatoire, de la pension alimentaire ou des modalités de la garde des enfants ; il concerne aussi ceux qui n'ont jamais été mariés) et ne l'auront jamais puisque leur métier n'est pas la représentation en justice. En la matière, ce sera du pilotage sans visibilité, ou alors ils consulteront un avocat pour cette partie de la convention, et l'avocat chassé par la porte rentre par la fenêtre.

De même, en ce qui concerne l'intérêt, personnel, pas patrimonial, des enfants, le notaire n'est pas compétent, de par sa formation et sa pratique, pour s'assurer de son respect. Ce n'est pas son métier, et je ne suis pas sûr qu'ils veuillent se mettre sur le dos cette nouvelle responsabilité.

Et quand il n'y a pas d'enfants, et que les époux ont des situations identiques, et des revenus équivalents ? Dans ce cas, oui, un divorce extra judiciaire est parfaitement envisageable. A votre avis, est-ce que cela recouvre la majorité des cas ? Pourtant, la loi ne distingue pas les procédures suivant les situations personnelles des époux.

Sur l'argument du contrat de mariage, il ne résiste pas à l'examen. Un contrat de mariage est une convention qui règle des rapports patrimoniaux futurs (le contrat de mariage est, à peine de nullité, antérieur au mariage), suspendus à l'existence d'un mariage. Ce n'est pas le notaire qui marie, de même que quand il liquide le patrimoine commun, il ne divorce pas les époux. En matière de régimes matrimoniaux, la liberté des époux, donc du notaire, est encadrée : les règles sont strictes et il n'existe que quatre régimes : la communauté universelle (tout ce qui est est à toi est à moi, tout ce qui est à moi est à toi), la séparation de bien (tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à toi est à toi), la communauté réduite aux acquêts (tout ce que nous acquerrons, sauf par héritage, sera à tous les deux), et la participation aux acquêts (il faut avoir une maîtrise de droit pour le comprendre, c'est le régime des juristes). Les époux ne peuvent apporter que des modifications à la marge (apporter des biens à la communauté, se faire des donations dans cet acte puisqu'il est notarié). Le notaire peut conseiller aux époux le régime le plus adéquat (déconseiller la communauté universelle si Monsieur veut travailler dans le capital-risque...), leur en expliquer le sens et rédiger un contrat qui sera un jeu d'enfant à liquider à la dissolution du mariage. Un époux peut refuser de signer le contrat, et s'il le faut de se marier. La conséquence est : il ne s'engage pas. Le divorce consiste à s'assurer que les époux sont profondément d'accord pour divorcer, qu'aucun n'est lésé par les modalités de la séparation, et que l'intérêt des enfants est aussi préservé. Si un époux n'est pas d'accord, il peut refuser de divorcer ; mais la conséquence est ici fort différente : s'il refuse de divorcer, il reste engagé. L'analogie avec le contrat de mariage ne tient donc pas et ne démontre pas la pertinence de l'idée.

Enfin, pour les divorcés en puissance, c'est une perte d'une sacrée sécurité, qui ne leur coûtait rien : l'intervention du juge. Tous les actes du divorce sont relus et corrigés, gratuitement (la procédure de divorce ne donnant lieu à perception d'aucun droit, frais ou taxe par le tribunal) par un magistrat spécialisé dans les affaires familiales. C'est quand même pas mal, comme garantie, non ? Quelle que soit la compétence de l'avocat, ou du notaire, un point de vue neutre, extérieur et compétent peut révéler des chausses-trappes qui auront échappé à la vigilance de l'avocat, parce que le magistrat aura déjà eu à trancher sur une difficulté identique. Outre cette correction gratuite, le juge est plus à même de s'assurer que l'intérêt des enfants est respecté, tout simplement parce que ce sont eux qui jugent les contentieux nés d'arrangements bancals pris dans l'intérêt des parents et non des enfants (nous voyons tous des parents vivant à plus de 100 km l'un de l'autre qui se sont mis d'accord pour une garde alternée une semaine chez l'un une semaine chez l'autre, ou vouloir une telle mesure parce qu'elle fait qu'il n'y a pas de pension alimentaire à payer, même si les enfants dormiront tous dans la même chambre chez un de leurs parents).

En fait, et c'est là l'aspect tragique de cette réforme, son seul intérêt est pour l'Etat : elle détourne des tribunaux une masse importante de dossiers (à mon sens uniquement provisoirement, le contentieux post-divorce va croître rapidement), libérant ainsi des moyens humains, afin d'éviter une fois de plus d'augmenter les moyens de la justice, mais de répartir un peu ces moyens pour camoufler plus la pénurie.

Bref, nous avons ici une fausse bonne idée, rendue séduisante par son aspect de sanction d'une profession un peu trop rebelle actuellement. Taper sur les avocats est toujours populaire.

Je ne suis pas sûr pour autant que ce soit le signe d'une République vertueuse.

vendredi 7 décembre 2007

Assassine-t-on le Code du travail ?

J'ai été invité par plusieurs lecteurs à me pencher sur l'accusation que porte l'opposition contre le gouvernement de vouloir profiter de la recodification du Code du travail pour faire passer subrepticement des atteintes majeures aux droits de salariés.

Ces accusations étant relayées par des inspecteurs du travail, elles sont revêtues du sceau de l'autorité. Et si elles étaient avérées, ce serait fort grave, car il y aurait une véritable forfaiture du gouvernement.

Tout d'abord, qu'est ce que la recodification du code du travail ?

Désolé pour le barbarisme, mais il s'impose. Dans une louable volonté de clarifier le droit, les gouvernements successifs (et cela remonte à la IVe république, avec une nette reprise depuis la fin des années 80, et une nouvelle accélération depuis 1999) ont décidé de compiler des lois et décrets épars traitant d'un même sujet sous forme de codes. Le droit est inchangé, c'est simplement la loi n°tant de telle date qui devient le Code du Truc et du Bidule. On parle de Codification « à droit constant ».

Ne prenez pas cet air là. Je vous assure que le législateur est persuadé que changer un numéro d'article, et de substituer une date par un nom sans rien changer d'autre, ça simplifie. Et vous voulez voir jusqu'où il pousse sa volonté de simplifier jusqu'à l'incompréhensible ? Désormais, les codes ne commencent plus par un banal article premier, suivi d'un affligeant article 2[1]. Non. Un Code étant divisé en livres, titres et chapitres, chaque article commence par un numéro à trois chiffres, les centaines indiquant le numéro du livre, les dizaines celui du titre, et les unités celui du chapitre; suit un tiret et le numéro d'ordre dans la section. Par exemple, le mouvement insurrectionnel est défini à l'article 412-3 du Code pénal : il s'agit du 3e article du chapitre 2 ("Des autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national") du titre premier (" Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation") du livre 4 (" Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique") du Code pénal. Alors qu'avant, c'était l'article 97 du code pénal. Ce n'était vraiment pas clair.

Ainsi, les nouveaux codes commencent tous au numéro 111-1. Car c'est plus clair comme ça. Ha, et pour simplifier encore plus, on ajoute devant le numéro une ou deux lettres qui indiquent si les dispositions relèvent du domaine de la loi organique (LO) loi (L), du décret en conseil d'Etat (R., pour règlement au sens de l'article 37 de la Constitution), du décret en Conseil des ministres (D), de l'arrêté ministériel (A) ou de la circulaire (C). Sauf dans le code pénal, car il n'y a pas de simplification digne de ce nom sans exceptions arbitraires.

Et c'est ainsi que la loi du 11 mars 1957 est devenue le code de la propriété intellectuelle par la loi du 1er juillet 1992 (ce qui n'empêche de nombreux éditeurs de promettre les dix enfers du Feng Du à ceux qui copieraient cette œuvre en violation de la loi de 1957), et que l'ordonnance du 2 novembre 1945 est devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) par l'ordonnance du 24 novembre 2004. Ordonnance, car une loi de 1999 permet au gouvernement, pour faciliter ce mouvement de codification, de procéder par ordonnances pour opérer ces codifications, à condition qu'elles soient à droit constant, c'est à dire qu'elles ne changent rien à l'état du droit. Une loi postérieure doit ratifier cette ordonnance, ce qui permet au parlement d'exercer un contrôle sur cette action du gouvernement.

Ce mouvement de "simplification" ne s'arrête pas là. Dans sa furie simplificatrice, des codes déjà existants sont recodifiés, c'est à dire qu'on réécrit les articles, on les découpe ou les recoupe, et on y inclut des lois autonomes que le législateur d'alors n'avait pas pris la peine d'intégrer dans un code. Ce fut le cas du Code de commerce en 2000, et c'est le cas du code du travail aujourd'hui. Attention : le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 n'est pas une recodification, c'était bien un nouveau code pénal, réécrit depuis le début (et une vraie réussite de simplification, hormis cette stupide numérotation à rallonge). Cette "simplification" consiste à réécrire le plan du code, à remplacer la numérotation par une numérotation à 4 chiffres (avec une division en partie au dessus du livre) et à couper les articles trop longs, ce qui fera passer le code de 1800 à 3500 articles. Ce travail de simplification, pour être parfaitement compris, s'accompagne d'un mode d'emploi... de 33 pages réalisé par le ministère du travail. Je vous jure que je n'invente rien.

Alors, ces prolégomènes étant enfin achevés, y a-t-il réforme sous couvert de codification à droit constant ?

Voyons les arguments présentés à l'appui de cette accusation.

Le blog "Un strapontin à l'Assemblée Nationale", tenu par un journaliste permanent auprès de la chambre basse, fait un très utile compte-rendu de la séance mouvementée (et qui a agacé Authueil) où le fer a été porté. Alain Vidalies, député du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, dit "ratissons large", député de la 1e circonscription des Landes, et avocat ce qui ne gâche rien, donne trois exemples, repris d'un argumentaire du syndicat FSU.

Il y en a deux qui, je le dis tout de gob, sont à la limite du ridicule.

La première : les dispositions sur le temps de travail passeraient de la partie consacrée à la santé du salarié à celle consacrée à la rémunération. C'est débattre de quelle étagère doit recevoir un bibelot. Le bibelot lui même reste inchangé.

La deuxième : dans la définition des compétences des inspecteurs du travail, on aurait remplacé les mots "inspecteurs du travail" par "autorité administrative compétente", ce qui désigne le directeur départemental du travail, qui ne bénéficie pas des garanties des inspecteurs du travail. Cette affirmation est erronée : il n'est que de lire les articles L.8112-1 et suivants du nouveau code du travail.

La troisième, qui est la seule vraiment juridique : le nouveau code distinguerait désormais entre les licenciements de moins de dix salariés et de plus de dix salariés pour faire bénéficier de la priorité au rembauchage. En effet, dans le cas d'un licenciement pour motifs économiques, le salarié licencié bénéficie s'il en fait la demande d'une priorité de rembauchage pendant un an : tout nouveau poste créé dans l'entreprise et compatible avec sa qualification doit lui être proposé en premier. Or dans le nouveau code du travail, les règles applicables aux licenciements pour motifs économiques de moins de dix salariés en l'espace de trente jours, et à ceux de dix salariés ou plus en trente jours ont été séparés en deux sections distinctes. Et la priorité de rembauchage est prévue à l'article L.1233-45 nouveau, qui figure dans la section consacrée aux licenciements "10+". Conclusion de l'honorable parlementaire : cette priorité ne s'applique plus aux licenciements de moins de 10 salariés, ce qui est un changement du droit.

Et là encore, ça ne tient pas. Car la section consacrée aux licenciements de moins de dix salariés contient un article L.1233-16 qui renvoie expressément à l'article L.1233-45 sur la priorité de rembauchage, qui s'y applique donc bel et bien.

L'opposition s'émeut encore de la transhumance d'environ 500 dispositions de la partie législative à la partie réglementaire, partie qui peut être modifiée par un décret du gouvernement. Là encore, il n'y a rien de scandaleux ni d'anormal. La constitution définit précisément le domaine de la loi (art. 34) et prévoit que tout ce qui ne rentre pas dans ce domaine relève du pouvoir réglementaire, c'est à dire du décret. Si une loi contient des dispositions qui relèvent en fait du décret, la disposition reste valable (alors qu'un décret qui empiète sur la loi est nul) mais sera traitée comme si elle avait été prise par un décret et pourra être modifiée par un acte réglementaire. C'est ainsi que le gouvernement Villepin avait escamoté à la va-vite la disposition traitant du rôle positif de la colonisation votée par un député qui aime son prochain s'il aime les femmes : il avait demandé au Conseil constitutionnel de constater que cette disposition était en fait réglementaire et non législative, puis l'avait abrogé par décret. Cette requalification est donc conforme à la Constitution ; ajoutons que l'accusation de vouloir les modifier discrètement par décret relève du pur procès d'intention, et qu'en outre cette requalification permettra à toute personne concernée, à commencer par les syndicats, de contester la légalité de ces modifications devant le Conseil d'Etat, ce qui est tout de même une meilleure protection que l'impuissance de l'opposition au parlement.

Bref, pour le moment, mais le débat reste ouvert, je n'ai pas découvert une modification du code du travail entre les deux textes.

Et, in cauda venenum, cette stratégie qui consiste à profiter de la complexité d'une réforme impossible à appréhender pour le grand public pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas et tenter d'effrayer l'opinion publique en affirmant que c'est la Géhenne, me rappelle de douloureux souvenirs référendaires. Et ça marche : les Don Quichotte habituels qui voient un géant dès lors qu'ils ne comprennent pas un texte ont déjà enfourché Rosinante...

Notes

[1] Seuls rescapés à ce jour : le Code civil, le code de procédure pénale et le code général des impôts.

mardi 4 décembre 2007

I robot

Arrêtons de pleurer sur la carte judiciaire. Les tribunaux, c'est has-been, c'est trop XIXe siècle. La justice du XXIe siècle sera online.

[Orange] va débuter, pour une durée de trois mois, un test en grandeur nature d'une borne d'accès qui permettra de réaliser des procédures judiciaires en téléadministration. Baptisé « Point visio-public », cet équipement est « un accueil administratif virtuel bénéficiant d'un accès internet, installé dans un espace public permettant aux citoyens un accès de proximité à la justice ».

Je vous jure que ce n'est pas une blague.

Concrètement, il se présente sous la forme d'une borne intégrant un écran, un scanner (pour les documents juridiques), une caméra et une imprimante. Le citoyen est censé pouvoir effectuer ses démarches judiciaires, consulter des informations directement à l'écran, recevoir des documents, les signer et dialoguer avec un correspondant à distance en visioconférence.

Il y a même une photo. L'argument marketing donne le vertige (je graisse) :

« Via cet échange en temps réel, fondé sur la relation humaine, les démarches administratives sont simplifiées et les déplacements inutiles et fastidieux évités », souligne Orange.

La « relation humaine » qui fonde cet échange étant, rappelons-le, un écran, un scanner, une caméra et une imprimante. A ce rythme là, bientôt, quand on utilisera un Sex Toy, on nous dira que c'est une relation sexuelle.

Alors, une initiative audacieuse d'une entreprise innovante ? Et non, c'était prévu depuis longtemps :

Développé par les Orange Labs, le Point visio-public est destiné à être généralisé si la phase expérimentale se révèle positive. La convention d'expérimentation a été signée par Rachida Dati, ministre de la Justice, et Didier Lombard, P-DG du groupe France Télécom. Cette convention s'inscrit dans le programme de modernisation de la Justice lancé par la ministre, qui prévoit notamment l'informatisation de toutes les juridictions au 1er janvier 2008.

Cool. Je pourrai plaider par SMS ?

[Via Paxatagore, lui même goguenard.]

vendredi 16 novembre 2007

Réforme de l'aide juridictionnelle : les pauvres paieront !

Le Garde des Sceaux, ministre de la justice, qui trouvait sans doute qu'elle ne se prenait pas assez de critiques avec sa réforme de la carte judiciaire a décidé de remettre le couvert.

Lors du débat sur le projet de budget de la justice, jeudi 15 novembre, la garde des sceaux Rachida Dati a provoqué la colère de l'opposition en évoquant la possibilité d'instaurer une franchise sur l'aide juridictionnelle, qu'elle a qualifiée de "ticket modérateur justice", pour les personnes à bas revenus qui en bénéficient. L'aide juridictionnelle permet aux personnes ayant de faibles revenus de faire valoir leurs droits en justice. L'aide, fournie par l'Etat, peut être totale ou partielle selon le niveau de ressources dont la personne dispose.

Interrogée par le socialiste Jean-Michel Clément sur la revalorisation de l'aide juridictionnelle perçue par les avocats qui défendent des clients à faibles ressources, Mme Dati a répondu en citant un rapport réalisé par le sénateur UMP de la Sarthe Roland du Luart. "Nous nous inspirons de ce rapport qui a fait des propositions en matière d'aide juridictionnelle notamment, peut-être, en instaurant une franchise sur l'aide juridictionnelle ou un 'ticket modérateur'", a-t-elle déclaré.

Ha, le rapport du Luart, assurément promis à un brillant avenir car il a l'intelligence de proposer plein de solutions... pour faire payer les autres que l'Etat. Notamment la brillante idée de faire financer l'augmentation de l'AJ... en taxant les avocats. Vivement la taxe sur l'essence pour compenser la hausse du prix du pétrole.
Et que dit-il, ce rapport, sur ce point ?

Le rapport envisage plusieurs niveaux du ticket modérateur, de 5 à 40 euros, mais le sénateur penche plutôt pour 15 euros, un montant proche du forfait hospitalier (16 euros). En seraient cependant dispensés les plus pauvres, à savoir les étrangers en situation irrégulière et tous ceux qui touchent les minima sociaux, ainsi que les mineurs et les victimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne.

Le premier qui m'explique en quoi le forfait hospitalier est une bonne référence pour le ticket modérateur de l'aide juridictionnelle gagne un an d'abonnement à mon flux RSS.

Bon bon bon. Respirons et prenons un peu de recul.

L'aide juridictionnelle (AJ) est la prise en charge par l'Etat des frais de justice : huissier, expert, et avocat. Elle peut être totale ou partielle.

L'AJ totale est accordée aux personnes dont les revenus (salaires + loyers, pensions alimentaires, etc, sauf aides sociales) n'excèdent pas un certain plafond. Pour 2007, ce montant est de 874 euros par mois pour une personne seule, plus 157 euros par personne à charge à concurrence de deux, et 99 euros pour les suivantes. En cas de vie de couple, les revenus des deux s'additionnent.

Pour les personnes gagnant entre 875 et 1311 euros par mois (mêmes correctifs pour personnes à charge), il y a l'aide juridictionnelle partielle, qui implique des honoraires réduits payés à l'avocat. Cette prise en charge partielle va de 85% à 15%, ce pourcentage représentant la fraction de l'indemnité versée à l'avocat par rapport à celle qui lui aurait été payée si l'aide juridictionnelle avait été totale : par exemple, l'indemnité pour assister un prévenu devant le tribunal correctionnel est d'environ 200 euros ; si mon client bénéficie de l'AJ partielle à hauteur de 15%, je toucherai... 30 euros de l'Etat, à moi de négocier mes honoraires complémentaires avec mon client. Les frais d'huissier et d'expertise restent intégralement pris en charge par l'Etat.

Pour plus de détails, voir ce billet. Les montants sont anciens, mais rassurez -vous, ils n'ont pas trop augmenté depuis. Et pour une illustration des absurdités du système actuel, dont la réforme n'est pas d'actualité, voir ce billet.

Bref, il y a déjà un ticket modérateur (l'AJ partielle), dont sont dispensés les plus pauvres (qui ont l'AJ totale) : ce sont les honoraires convenus avec l'avocat (par une convention écrite et validée par le bâtonnier qui s'assure de leur montant raisonnable et conforme aux usages). Ca fait réfléchir avant d'agir et rémunère directement l'avocat qui prête son concours. Mais le problème, c'est que ce ticket modérateur n'est pas touché par l'Etat. Ho, il en touche sa part, rassurez-vous.

Donc l'idée est de faire un autre prélèvement. Et de restreindre le nombre de ceux en étant dispensés. Faire payer les pauvres, c'est une nouvelle mode.

Ces pauperes pauperi inter pauperibus pauperrimi ex pauperibus[1], qui sont-ils ?

- Les bénéficiaires des minima sociaux (RMI, minimum vieillesse). Cela peut se comprendre.

- Les mineurs. Certes, quand on a 17 ans, 15 euros, c'est pour les clopes ou le shit, par pour un avocat.

- Les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, ainsi que leurs ayants droit[2]. Pardon ? Et pourquoi, je vous prie ? Les victimes de crime ont déjà droit à l'AJ totale sans conditions de ressource, même si elles payent l'ISF. Et en prime, on leur fait un cadeau de 15 euros. A quand le ticket de métro et le pin's parlant du président promettant d'aggraver les peines encourues pour ce crime ? Quand on s'est fait violer, quand son enfant s'est fait assassiner, payer 15 euros sur les dizaines de milliers qu'on va recevoir, c'est obscène ? Par contre, quand on gagne 10 euros de plus que le RMI par mois et qu'on risque de se faire expulser de son logement qui vient d'être vendu, on peut bien payer le ticket modérateur à l'Etat pour être défendu contre la perspective de la rue ou des foyers, c'est la moindre des choses ? C'est ça la logique de "responsabilisation" du sénateur du Luart qui a séduit le Garde des Sceaux ? On ne sait jamais, ce SDF en devenir est peut-être un procédurier quérulent ?

La commisération affichée à l'égard des victimes vire à l'absurde. Ce n'est pas nouveau, mais désormais, on ne fait même plus l'effort de le cacher. Quand on compare cela à la façon dont sont traitées les victimes de l'Etat, je pense notamment aux personnes contaminées par le VIH, l'hépatite C ou la maladie de Creutzfeldt-Jakob par l'hormone de croissance lors de traitement administrés par des établissements publics, on n'a pas le cœur à rire, quand bien même ce serait la meilleure chose à faire.

Notes

[1] Pauvres parmi les pauvres. Enfin, j'espère que c'est ce que ça veut dire.

[2] Ce sont les héritiers de la victimes si elle est décédée : ses enfants, à défaut ses parents, à défaut ses frères et sœurs. Il exercent l'action de la victime en réparation de son préjudice.

jeudi 15 novembre 2007

La décision du conseil constitutionnel sur la loi Hortefeux

Touché, et coulé, voilà résumé en deux mots la décision du Conseil constitutionnel rendue ce jour, par les onze sages, Jacques Chirac faisant son entrée au Conseil constitutionnel en qualité d'ancien président.

1) Touché, c'est l'article sur les tests ADN.

Le Conseil l'a validé mais avec une réserve d'interprétation. C'est une technique inventée par le Conseil, pour éviter d'annuler un article quand il peut être interprété de façon à ne pas être contraire à la Constitution.

Cette réserve est de taille : la loi ne peut avoir pour effet de créer des règles d'état civil spéciales, donc discriminatoires, à l'égard de certains étrangers.

La conséquence tirée en est double. La loi, pour permettre le recours à un test ADN, exige plusieurs conditions. Des conditions d'ordre général tout d'abord : ce dispositif est expérimental pour 18 mois et prendra fin, sauf nouvelle loi le prolongeant, le 31 décembre 2009 ; dans ce délai, il ne s'applique qu'à certains pays dont la liste sera fixée par décret. Des conditions propre à chaque dossier enfin : que l'acte d'état civil (acte de naissance...) soit inexistant, ou qu'il existe un doute sérieux sur l'authenticité de l'acte produit, doute qui n'est pas levé par la possession d'état conformément à l'article 311-1 du Code civil (l'enfant doit porter le nom de son père supposé, être traité par lui comme son fils, et être considéré comme tel par tous). Il faut enfin que ce test soit autorisé par le tribunal de grande instance de Nantes. Pourquoi Nantes ? Parce que c'est là que sont les services du ministère des affaires étrangères s'occupant des visas. Ironie de l'histoire : Nantes était le premier port négrier de France. On n'échappe pas facilement à son destin...

Le Conseil trouve à redire à cet article : tout d'abord, le recours à la possession d'état ne sera possible que si ce mode d'établissement de la filiation existe dans la loi du pays concerné. Je ne suis pas sûr que cette réserve soit favorable aux étrangers dont le pays ne connaît pas la possession d'état, si du coup les consulats passent directement à la case "refus de visa".

En outre, si ces étrangers établissent leur filiation conformément à la loi qui s'applique à leur nationalité, l'administration sera tenu de s'y plier et ne pourra pas demander un test ADN en plus. Ces tests ne seront donc qu'un mode de preuve subsidiaire, proposé uniquement à un étranger sollicitant un regroupement familial et ne pouvant établir sa filiation par la preuve prévue par la loi du pays dont son enfant a la nationalité, ou si l'administration démontre le sérieux de ses doutes sur l'authenticité de l'acte produit. Se pose ici un problème de compétence. La contestation du doute de l'administration sera-t-il de la compétence du juge judiciaire nantais ? Ou du juge administratif selon la tradition française ? Cette loi fait-elle exception à la compétence administrative ? Ce serait somme toute logique, puisqu'en matière d'état civil, c'est le juge judiciaire qui est compétent. La loi n'est pas claire là dessus.

Ainsi interprétée, la loi ne peut être utilisée par l'administration pour remettre en cause toute filiation qui lui semble simplement douteuse sans qu'elle ait à s'expliquer sur les raisons de son scepticisme, mais seulement proposer un tel test à la place du refus de visa pur et simple, test qui sera autorisé finalement par le juge après débat contradictoire. Bref, le test ADN sera une exception.

2) Coulé, c'est l'autorisation de collecte de données ethniques à des fins statistiques.

Le conseil la juge contraire à la Constitution, pour deux raisons, chacune suffisante en soi.

Première torpille, procédurale, qui porte peut être bien la signature de l'Amiral Debré : cet amendement parlementaire est sans rapport avec l'objet de la loi. C'est la condamnation de ce qu'on appelle les « cavaliers législatifs ». Or les statistiques ethniques en question pouvant s'appliquer aussi bien aux Français qu'aux étrangers, on se demande ce que cet amendement venait faire là. Au fait, devinez qui l'avait déposé ?

Et une deuxième torpille, histoire d'enfoncer le clou. En effet, le Conseil a inversé l'ordre logique de l'examen de la constitutionnalité de cet article. Le simple défaut de lien avec la loi aurait pu suffire, sans même s'interroger sur le contenu de l'article. Mais non. Le conseil commence par examiner l'article, avant de constater que de toutes façons, il n'avait même pas à le faire. Il y a clairement un message, au cas où l'amendeur fou serait tenté de trouver une loi ayant assez de lien avec son projet pour l'y accoler.

En tout état de cause, dit le Conseil, l'article 1er de la Constitution, qui interdit toute distinction d'origine, de race ou de religion, interdit toute collecte de données sur une base ethnique. Donc même si une loi spéciale était votée, ce serait niet. Au passage, cela devrait donner à réfléchir les constitutionnalistes à la petite semaine qui se disent choquées de voir le mot "race" dans la Constitution, en se refusant à lire les mots "sans distinction de" qui le précèdent. C'est grâce à la présence de ce mot qui les dérange que des lois qui les dérangeraient bien plus ne peuvent être votées. A bon entendeur...

L'opposition ayant soulevé seulement ces deux points, et le Conseil n'ayant rien vu dans la reste du texte d'assez grave pour l'obliger à se saisir lui-même, le reste de la loi est validée sans discussion. Vous l'avez deviné, l'essentiel de la loi se trouve bien dans ces articles, qui n'ont pas eu l'heur d'intéresser l'opposition. Je vous ferai un topo de la loi IIA (Immigration, Intégration et Asile) prochainement. Vous verrez que les tests ADN, c'était un hochet, qui a très bien fonctionné.

lundi 5 novembre 2007

La réforme de la carte judiciaire - rapport d'étape

Image de la couverture d'un album de "Martine", la collection pour enfants de Gilbert Delahaye et Marcel Marlier. On y voit Martine, entourée d'enfants sages et concentrée, qui discute avec un adulte de ce qui figure sur une grande feuille blanche étalée devant elle sur la table. Titre de l'album : "Martine redessine la carte judiciaire".

J'avais déjà parlé de cette réforme ici, quand elle était annoncée dans son principe. A présent que les détails commencent à être connus (plus de la moitié de la réforme a été révélée), il est temps de faire un retour dessus.

Premier constat : la montagne annoncée accouche d'une souris. On est très loin de l'objectif, il faut le dire irréaliste, d'un tribunal de grande instance par département et d'une cour d'appel par région.

En fait, cette réforme se résume essentiellement à la suppression massive de tribunaux d'instance (il y en a 476 à ce jour) et de commerce dans les régions rurales, et de quelques petits tribunaux de grande instance, choisis sur des critères assez obscurs. Les suppressions de cours d'appel annoncées (Bourges, qui a une faible activité, Metz, qui ne s'étend que sur un seul département et trois tribunaux de grande instance) n'ont pas eu lieu.

A Paris et en région parisienne, là, on sombre dans l'incompréhensible. Les magistrats comme les avocats souhaitaient un regroupement des 20 tribunaux d'instance en quatre pôles nord, sud est et ouest, tant le problème du transport ne se pose pas hors période de grève (et encore, il y a vélib). Il n'en sera rien. Quand on sait que trois tribunaux d'instance parisiens traitent moins de 500 dossiers par an (1er, 2e et 4e arrondissements), contre plus de 1000 pour la plupart des tribunaux de la région, comme celui de Vincennes, pourtant supprimé pour être regroupé avec Nogent Sur Marne (lui aussi à plus de 1000 dossiers par an). L'argument semble avoir été que Vincennes et Nogent Sur Marne sont à deux stations de RER, ce qui est exact, à ceci près que le tribunal est à 1,2 km de la gare de RER.

Mais Paris n'a pas à se plaindre, par rapport au ressort de la cour d'appel de Bourges, qui va passer de 12 à 4 tribunaux d'instance. La civilisation de l'automobile n'est pas près de disparaître.

La réforme voulait regrouper les tribunaux de grande instance en vue de l'apparition des pôles de l'instruction le 1er janvier 2010 (les instructions seront menés par trois juges d'instruction travaillant de conserve et devant délibérer à trois sur les décisions les plus importantes) ce qui menaçait tous les tribunaux ayant moins de trois juges d'instruction. On se dirigerait en fait vers la suppression d'une vingtaine sur 181. De ce point de vue, on est loin de l'ambition affichée au départ.

On notera au passage un virage à 180° par rapport au président précédent, qui ne jurait que par la proximité et avait même créé un "juge de proximité", qui ne méritera plus guère son nom quand les habitants de Chateau-Chinon devront faire 64 kilomètres pour faire juger leur contentieux de 250 euros à Nevers.

Enfin, et c'est ce qui suscite la grogne des avocats, c'est la concertation annoncée qui est une vaste farce. Un Comité Consultatif National a été créé et n'a jamais été consulté avant les premières annonces. Les avocats en ont donc claqué la porte il y a quinze jours.

Bref, le Garde des Sceaux a réussi le tour de force de prendre une réforme qui n'était pas contestée dans son principe, même si l'argument du vieillissement de la carte judiciaire est fallacieux, et en produisant pourtant un résultat inférieur à ce qui était annoncé de prime abord, à se fâcher avec à peu près tous les acteurs de la justice.

Pourquoi dis-je que l'argument du vieillissement de la carte judiciaire est fallacieux ? Parce qu'il consiste à dire : « cette carte date de 1958 et n'a pas été révisée depuis alors que la France a changé. Je vais donc moderniser tout ça, en laissant entendre que ceux qui ne seront pas d'accord sont des notables corporatistes qui voudraient vivre dans les années 50 ». D'une part, le projet de départ était d'aligner la carte des tribunaux de grande instance sur la carte des départements qui date de 1790. On se demande où est la modernisation. D'autre part, la carte a été modifiée, et parfois en profondeur, depuis 1958. Citons par exemple la création de la cour d'appel de Versailles en 1975, et des tribunaux de grande instance de Bobigny, Créteil et Nanterre à la même époque, tribunaux qui aujourd'hui sont parmi les plus gros de France. Enfin, la population de la France n'a pas diminué depuis 1958, pas plus que le nombre d'actions en justice, au contraire. L'évolution de la législation du travail, plus protectrice du salarié, et la libéralisation du divorce en 1975, ont considérablement augmenté la charge de travail des conseils de prud'hommes et des tribunaux de grande instance pour ne prendre que deux exemples. Une réforme cohérente aurait voulu que l'on déplaçât des juridictions isolées vers des nouveaux pôles urbains, et qu'on en augmente plutôt le nombre. Or c'est tout le contraire. On concentre et centralise. C'est aller à contresens de l'histoire.


Crédits : Martine Cover Generator

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