Dans quatre jours, la Coupe du Monde de football va commencer. Je sais, ce n’est pas un scoop. D’autant qu’elle revient avec une régularité de métronome chaque fois que nous sommes à équidistance de deux années bissextile.
Comme tous les quatre ans, la même fièvre va s’emparer d’une bonne partie de l’humanité, et un agacement profond va saisir le reste d’icelle. Et je vais ouïr et lire les mêmes rengaines qui n’ont absolument rien de nouveau. Alors, c’est à cette part de l’humanité, du moins de mon lectorat que je souhaite m’adresser.
Loin de moi l’idée de prétendre, en un billet, vous faire aimer le football. Mon enthousiasme pour le ballon rond est d’une modération qui ferait passer le plus placide des centristes pour un dangereux exalté. Mais j’espère à tout le moins vous expliquer pourquoi cet événement est loin d’être dépourvu d’intérêt, et mérite au pire votre bienveillante indifférence.
Le football, au-delà de toutes les critiques que l’institution est devenue, et qui sont fondées (notamment son aspect économique démesuré, qui fait que la Coupe du Monde ne connaît in fine qu’un seul vainqueur : la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), reste un phénomène unique au monde de par son universalité.
Universalité car c’est sans doute le sport le plus pratiqué au monde, grâce à sa simplicité (il suffit d’un ballon pour jouer et de cinq minutes d’explication pour assimiler les règles, sauf celle du hors jeu, où il faut Bac+4) et à sa faible dangerosité (il n’y a en principe pas de contact physique).
Universalité aussi car c’est une compétition véritablement mondiale. Il n’est pas un pays, aussi modeste soit-il, qui ne puisse s’il le souhaite prendre part à cette compétition. En effet, 208 pays sont affiliées à la FIFA, soit 16 de plus qu’à l’ONU et 5 de plus que le Comité International Olympique (il n’y a que l’athlétisme qui ait plus de pays affiliés, avec 213.
Car cette coupe du Monde se passe en deux parties. La première partie, qui commence trois ans avant la deuxième, voit tous les pays qui s’alignent (cette année, quatre ont manqué à l’appel : les Philippines, le Laos, Brunei, et le Bhoutan) s’affronter par zones géographiques. Même la Palestine a une équipe de football qui a participé aux qualifications (malheureusement, elle a été éliminée suite à un forfait face à Singapour du fait du refus d’Israël de laisser sortir l’équipe, équipe dont trois joueurs ont été tués au cours de l’opération Plomb Durci ; vous voyez que le football illustre pleinement l’actualité). Passons sur les règles complexes de sélection, mais à la fin, il ne peut en rester que 32. C’est la deuxième partie qui va commencer le 11 juin.
Ces 32 équipes sont réparties en huit groupes de 4 équipes qui sont toutes s’affronter une fois, ce qui garantit trois matches à chaque équipe. Une victoire rapporte trois points de classement, un match nul, un point à chaque équipe, une défaite, zéro. Des ex aequo sont départagés à la différence de buts marqués contre buts encaissés. Les deuxièmes de chaque groupe affronteront des premiers d’autres groupes en une série de matchs où cette fois il n’y a plus de matchs nuls possible, une des équipes devant être éliminée à la fin du match, au besoin après les fameux tirs au but. On parle de huitièmes de finale, quarts de finales, demi- finales et la finale, qui sera jouée le 11 juillet.
Cette finale sera regardée partout dans le monde, y compris dans les monastères tibétains.
“La belle affaire”, me direz-vous. “L’humanité se passionne pour un événement futile qui est une perte de temps et une affaire de gros sous”.
Une affaire de gros sous, sans nul doute. Futile, certainement. C’est là précisément tout son intérêt.
Bien sûr, nous pourrions hypocritement souhaiter que l’humanité saisisse chaque seconde pour philosopher et disserter métaphysique. Mais il est bon aussi que l’humanité se passionne pour du futile. Ce qui serait mauvais serait qu’elle ne passionnât que pour du futile, et n’en déplaise aux plus pessimistes d’entre vous, on en est loin.
Mais là, oui, elle va se passionner pour cet événement qui au fond n’est qu’un jeu et c’est formidable.
C’est là la dernière universalité du football, et la plus belle. Car c’est un intérêt commun qui transcende les barrières sociales. Dans les bars, des inconnus commencent à discuter comme de vieux amis. Dans les commissariats, les soirs de match, les policiers donnent les scores aux gardés à vue. Un peu de fraternité républicaine entre hommes que tout sépare pourtant.
Alors, quand dans les jours qui viennent, vous entendrez passer en klaxonnant des voitures dans la rue, célébrant bruyamment la victoire de leur équipe (ça ne devrait pas trop vous déranger cette année), plutôt que de maugréer des remarques désobligeantes, haussez les épaules en souriant et partagez un peu de leur allégresse. Elle ne peut pas vous faire de mal.
En tous cas, j’implore votre patience, car de foot, je parlerai ici. Et des à-côtés, car il n’y a pas de bonne coupe du monde sans ses controverses (Ah, la main d’Henry, comme j’aurais aimé trouver le temps de faire ce billet sur l’arbitrage qui vous aurait expliqué en quoi la qualification de la France était valide et ne saurait être remise en question) et son lot d’injustice. On peut même parler droit.
En tout cas, je reprendrai mes “Devine qui vient dîner ce soir” pour présenter nos adversaires d’un soir, et ces billets seront, avec mon accord, repris sur Rue89.
Si cela vous insupporte, manifestez votre mécontentement de la manière la plus cruelle : ne lisez pas le billet et passez à autre chose. Inutile en tout état de cause de laisser un commentaire rageur sur le désintérêt que malgré mes explications cette coupe du Monde provoque chez vous. Car le désintérêt des autres pour ce genre de commentaires n’a rien à envier au vôtre.
Il va de soi que mes billets purement juridiques continueront pendant la Coupe. Alors un peu de patience et de tolérance. Notre République en a bien besoin. J’y reviendrai.