Par Justice, juge des enfants, invité de ce blog. Mes lecteurs se souviendront de cette première contribution il y a un an déjà.
L’idée fait son chemin et on peut reconnaître aux hommes politiques leur persévérance … En effet, chacun se souvient des arrêtés communément appelés « couvre feu pour les mineurs » pris par certains Maires, soucieux de la protection des mineurs : Sorgues, Gien, Dreux, Orléans, etc..
Celui de la commune de Cagnes-sur-Mer (50.000 habitants) , pris le 28 décembre 2000, exigeait par exemple que les enfants mineurs de moins de treize ans devaient être accompagnés par une personne majeure entre 22 heures et 6 heures du matin, lorsqu’ils se déplaçaient dans trois secteurs géographiques de la commune. Cet arrêté prévoyait également que tout mineur non accompagné serait conduit au commissariat de police qui prendrait contact avec les parents et que ceux-ci s’exposaient aux poursuites pénales sur la base de l’article R. 610-5 du Code pénal
Aujourd’hui, Brice Hortefeux, Ministre de l’Intérieur, lance une « réflexion » autour d’un couvre-feu ciblé sur des mineurs délinquants:
«je suis de plus en plus partisan d’une mesure qui aurait le mérite de la simplicité, de la lisibilité et de l’efficacité : qu’un jeune de moins de 13 ans qui aurait déjà commis un acte de délinquance ait une interdiction de sortie nocturne s’il n’est pas accompagné d’un adulte »
Il s’agit, ni plus ni moins, de la même idée, vous l’aurez noté … un peu comme du copier coller.
Mon propos n’est pas d’aborder la légalité de tels « couvre-feu ». Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se pencher sur ce point (pdf).
Non, il s’agit plutôt, en tant que juge des enfants, de se questionner sur l’intérêt d’une énième loi en matière de sécurité (qui serait d’ailleurs difficilement applicable mais c’est un autre problème) sachant que l’objectif affiché est : la protection des mineurs de moins de 13 ans trainant le soir …
Nos concitoyens doivent en effet savoir que, depuis 1945, il existe en France un magistrat spécifiquement chargé de la délinquance des mineurs. Vous me direz, il n’a rien à voir dans l’affaire puisqu’un gamin de 12 ans, livré à lui-même la nuit dans les rues, n’a pas forcément commis de délits. Et vous avez raison ! C’est précisément pour cela que le législateur, dès 1958, a étendu la compétence du juge des enfants aux mineurs en danger. Depuis 51 ans, ce magistrat a la lourde charge de protéger les mineurs confrontés à une situation de danger au sein de leur famille.
Alors, pourquoi donc ne pas parler du juge des enfants lorsque l’on se préoccupe réellement de la protection des mineurs livrés à eux mêmes ? A chacun de se faire sa réponse. Peut-être pense-t-on qu’il est inefficace puisque par définition les mineurs commettent toujours plus de délits (je vous invite quand même à aller consulter les derniers chiffres officiels commentés sur la délinquance des mineurs ; ils sont de 2007 mais je n’y peux rien, ce sont les derniers …) et trainent en bande la nuit !
Il serait quand même intéressant de savoir comment est traité le problème de ces gamins en France car nous en sommes tous d’accord, un enfant de 12 ans n’a rien à faire dans les rues en pleine nuit. De nombreuses questions méritent alors d’être posées sur ses conditions d’éducation. C’est le boulot du juge des enfants et des services travaillant à ses côtés que d’y répondre.
Des « sanctions » existent contre les parents défaillants, allant du retrait de l’autorité parentale (article 378-1 du code civil) à la condamnation devant un tribunal correctionnel s’ils ont, par leur comportement, mis en danger leur enfant (article 227-17 du Code Pénal).
Mais la difficulté doit avant tout passer par une « aide » pour ces parents qui ne savent pas ou plus donner de bons repères à leur enfant.
L’assistance éducative, c’est à dire la saisine du juge des enfants, est donc pleinement justifiée.
Il faut espérer que les communes particulièrement confrontées à ces « gamins du soir » alertent les services sociaux et le Procureur de la République. Dans ce cas, on voit mal pourquoi le débat vient d’être lancé de cette façon aussi biaisée.
Pour parler de ce que je connais, à savoir les moyennes agglomérations, je n’ai jamais reçu une information de la Police m’informant qu’un jeune avait été contrôlé dans la rue en pleine nuit. Peut-être que le problème n’existait pas dans ces départements… Il faut alors s’en réjouir !
Commençons par « exploiter » (à l’heure où la fonction du juge des enfants est ponctuellement remise en cause pour les volets répressif et protecteur qu’elle comporte) le dispositif de protection de l’enfance qui existe en France. Signalons aux Procureurs de la République ces gamins errants, ces « gamins du soir » et demandons aux travailleurs sociaux d’évaluer leur situation familiale. Certains diront : mais nous n’aurons pas suffisamment de moyens ! Est-ce dire que les Préfets, les Policiers en auront de meilleurs ? Au surplus, une fois le gamin raccompagné dans sa famille par des policiers, le problème demeurera entier …