Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 24 septembre 2009

jeudi 24 septembre 2009

Commentaire sur Voile Sur La République

France 2 diffuse ce soir un reportage, de la série “Infrarouge”, sur le thème de l’Islam en France, notamment à Lille.

Un passage vient d’être consacrée à l’affaire de cet Algérien inhumé contre l’avis de sa famille.

C’est peu dire que la présentation a été tendancieuse, comme à chaque fois qu’on donne la parole à la partie perdante.

Pour ceux que cette affaire aurait choqué, je l’avais expliquée en détail dans ce billet. Vous verrez qu’il y a une explication autre que la classique “la République cède face aux intégristes”. Mais c’est pas vendeur, c’est sûr. C’est du droit, c’est chiant.

Magist’ rature : Tu copies, t’es collé !


par Sub lege libertas


Un lecteur facétieux, et il n’est pas le seul, de ce blog attire notre attention sur une décision angoumoisine qui goûte peu qu’un juge d’instruction bien instruit du miracle informatique du copier/coller y trouve le moyen efficace de produire une ordonnance de renvoi devant un tribunal en reprenant, fautes d’orthographe comprises, la prose géniale, forcément puisqu’émanant, du Parquet. Comme cela ne lasse pas d’étonner les mékeskidis de découvrir que le respect de la procédure pénale n’est pas une ardente obligation, mais le froid devoir du magistrat, reprenons les éléments techniques de l’histoire pour en savourer la rigueur. Nous découvrirons ainsi la vie secrète d’Instrucastor et Proclux, les Dioscures de la procédure pénale.

Un juge d’instruction doit lorsqu’il estime son information judiciaire terminée, demander au procureur de prendre des réquisitions sur le règlement du dossier. En clair, une fois le boulot du juge fini à ses yeux, il sollicite l’avis du Parquet sur l’affaire. Ce n’est pas de la courtoisie, c’est la loi, et c’est logique puisque c’est le procureur qui a saisi le juge pour chercher les éléments à charge et à décharge concernant la commission d’une infraction et puisque c’est lui qui devra soutenir l’accusation si l’affaire doit être renvoyée devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises. Le procureur peut d’ailleurs à ce stade faire plusieurs choses.

D’abord ne rien faire : c’est mal, mais comme le législateur ne peut souffrir que le cours de la justice soit ralenti par un procureur paressant, le juge d’instruction peut après un délai de trois mois si personne n’est détenu provisoirement dans l’affaire, ou de un mois s’il y a un détenu, terminer son dossier en se passant de l’avis du procureur. Il n’y a sans doute que dans un parquet au pied marin que l’on prend le risque de voir le juge d’instruction mener seul sa barque au port.[1]

Ensuite retourner à l’envoyeur : c’est l’arroseur arrosé. Le juge estime avoir fini, le procureur lui demande de continuer ses investigations notamment en réalisant de nouvelles mesures d’instruction. Comme il n’y a pas de raison que le procureur soit plus entendu qu’un avocat qui peut faire aussi ce type de demande, le juge peut refuser par une ordonnance motivée et clore son dossier.

Enfin régler le dossier : c’est le grand oeuvre, le réquisitoire définitif de règlement. Deux hypothèses se présentent alors :

Primo, le procureur peut alors demander au juge de dire qu’il n’y a pas lieu à suivre : c’est le non-lieu. Bref, le procureur ne voit pas comment il peut aller devant un tribunal avec le dossier pour accuser quelqu’un car :
- soit il n’y a pas eu d’infraction commise,
- soit on n’a pas réussi à prouver suffisamment l’existence de tous les éléments de l’infraction,
- soit on n’a pas identifié l’auteur de l’infraction,
- soit on a un doute raisonnable sur l’implication d’un suspect…
Soit un peu de tout cela et pourquoi pas saupoudré de problèmes juridiques du genre prescription…

Secundo, le procureur peut demander le renvoi devant une juridiction d’une ou plusieurs personnes mises en examen, parce qu’il existe à leur encontre des charges suffisantes pour être soupçonnées d’avoir commis une ou plusieurs infractions précises qualifiées en droit et circonstanciées en fait. Le mékeskidi comprend alors : on a de fortes raisons de penser objectivement que Thomas Cusatort a - par exemple - commis un vol précédé accompagné ou suivi de violence au préjudice de Germaine Pamonsac - Chemmoy le 14 juillet 2009 à Cognac, alors il ira s’en expliquer au tribunal correctionnel… d’Angoulème, tiens nous y revoilà !

Cela rappelé, qu’est-ce qui peut bien chiffonner la robe angoumoisine ? C’est qu’après avoir sollicité l’avis du Parquet, après - non je n’oublie pas, cher maître Eolas - avoir recueilli les observations des avocats des mis en examen ou parties civiles sur l’avis du procureur, le juge doit prendre une ordonnance doctement rédigée pour clôturer son dossier et décider du remède à administrer aux suspects : non-lieu ou renvoi. /mode PaPrésidendelaRépublikMéPartiCivil / Un juge indépendant décide de renvoyer au tribunal le coupable, enfin je ne veux pas dire présumé…, ni innocent. /fin du modePPRMPC/. Et voilà alors que le juge est soumis à la tentation… non pas de donner tort au procureur, parce qu’éventuellement un avocat lui a écrit qu’il rêve à haute voix, cela s’appelle requérir. Ce n’est pas une tentation, c’est un supplice : il faut répondre point par point aux arguments du procureur.

Le supplice pourrait paraître doux si le Parquet se contentait en guise de réquisitoire définitif d’une ou deux phrases lapidaires, un peu stéréotypées, pour conclure en cochant sur un formulaire soit “requiert renvoi” soit “requiert non-lieu”. Seulement la pratique et la loi qui entre temps a ajouté que les réquisitions du Parquet doivent être motivées, ont conduit les parquetiers à faire du réquisitoire définitif, une pièce de bravoure. Ce n’est plus un avis, c’est un digeste : on y résume l’ensemble du dossier, les faits, les investigations réalisées. C’est l’accusation future qui décrit à l’imparfait le présent état de la procédure pour en prédire l’avenir.

Alors la tentation l’emporte : non seulement le juge se range aisément aux prédictions détaillées du procureur, mais comme tout cela est bien chantourné, loin de vouloir être original, il préfère la copie. Bien sûr, nous savons tous depuis l’école qu’on ne copie pas sur son voisin. Et je récuse par avance deux objections : non ce n’est pas parce qu’on pense la même chose d’un dossier, qu’on n’a pas une façon propre de penser, de présenter ses arguments, son raisonnement. Non le manque de temps n’est pas une excuse : c’est une réalité, mais c’est par manque de temps que le juge d’instruction a de plus en plus délégué l’information aux enquêteurs sur commission rogatoire ; si la décision finale sur la suite à donner à son travail de magistrat indépendant est déléguée au Parquet, autant le supprimer.[2]

D’ailleurs, le législateur avait imposé au juge de motiver son ordonnance. Et comme il pressentait peut-être sa motivation chancelante, il avait, dans un article 184 du Code procédure pénale, spécifié que l’ordonnance indique de façon précise les motifs pour lesquels il existe ou non contre la personne mis en examen des charges suffisantes. Alors, comme la loi disait qu’il fallait des motifs précisément détaillés, les juges ont contourné en cédant à la tentation de la copie. Soit le greffier retapait in extenso le texte du Parquet - en corrigeant d’ailleurs les fautes d’orthographe éventuelles. Soit il photocopiait les pages du réquisitoire et ne retapait que la page de garde et la finale pour la signature du juge. Je me souviens bien de ces opérations ciseau-colle à la photocopieuse unique au début de ma carrière…

Comme même cela prenait du temps, il y avait la formule magique : vu le réquisitoire définitif du Procureur de la République en date du …dont nous adoptons les entiers motifs, attendu qu’il en résulte contre X… charges suffisantes d’avoir à … le … (qualification juridique de l’infraction) Par ces motifs(sic) Ordonnnons… On ne copiait même plus, on disait au lecteur : va lire la copie du voisin !

Il restait aux avocats un seul espoir pour soulever l’irrégularité de l’ordonnance du juge pour défaut de motivation : que le greffier oublie de rajouter “dont nous adoptons les entiers motifs”… J’ai vu, il y a près de dix ans, deux présumés trafiquants d’héroïne qui, après plus de deux ans de détention provisoire, sont sortis libres de l’audience grâce à la lecture minutieuse par leur avocat de cette seule ligne manquante. Puis, l’ordinateur est arrivé et les disquettes de réquisitoire ont circulé, et bientôt les mails. La ficelle du copier-coller a délié des derniers scrupules du bricolage. On pouvait même uniformiser la police de caractère !

Mais le 5 mars 2007, le législateur a complété l’article 184 du Code de procédure pénale, car il avait autorisé les avocats à faire des observations sur les réquisitions du procureur. Alors il a cru bon devoir ajouter au sujet de la motivation du juge : Cette motivation est prise au regard des réquisitions du ministère public et des observations des parties qui ont été adressées au juge d’instruction en application de l’article 175, en précisant les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen. Il faut donc pour le juge répondre non seulement aux arguments du procureur mais aussi de l’avocat. Et en plus, il lui faut lister les arguments à charge et à décharge, ce que le Parquet ne fait pas culturellement sauf parfois certains traîtres génétiques dont je suis. Fin de la récré, on ne copie plus !

Et si on copie ? Et bien les juges angoumoisins ont raison de rappeler les exigences de la loi et d’en faire une stricte application : t’as copié, tu t’y recolles ! En effet, l’irrégularité de l’ordonnance pour insuffisance de motifs conduit à l’application de l’article 385 alinéa 2 du Code de procédure pénale : dans le cas où l’ordonnance qui a saisi le Tribunal n’a pas été (…) rendue conformément aux dispositions de l’article 184, le tribunal renvoie la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d’instruction afin que la procédure soit régularisée. Bref, le juge reprend sa copie, en ajoutant quelques lignes… au laïus du procureur : fors l’honneur, point de temps perdu !

Notes

[1] Pour mieux comprendre aller lire ici, çà et .

[2] Ce propos peut paraître très Léger à votre comité de lecteur, mais comme je ne peux rêver à haute voix que le nombre de magistrats soit haussé au niveau nécessaire pour qu’ils puissent réellement être à la hauteur d’exigence de leur fonction…

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