Je viens de saccager d'annotations colorées mon beau CESEDA tout neuf (puisse Vincent Tchen qui me lit me pardonner, c'était un cas de force majeure), car la loi MIIA, dite loi Hortefeux, ou encore loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile est parue au JO d'hier et entrée en vigueur aujourd'hui. Comme je l'avais dit précédemment, les tests ADN n'ont été qu'un hochet médiatique qui a été très efficace.
La loi fait 64 articles. Ils sont numérotés de 1 à 65, mais le 63, celui des statistiques ethniques, a succombé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel et a disparu corps et bien de la version publiée de la loi.
Comme d'habitude en la matière, il s'agit d'une loi modificative de textes existant. Autant dire que vous aurez beau lire la loi, vous ne pourrez pas comprendre ce qu'elle dit sauf à lire également le CESEDA. Pour rebondir sur un débat en commentaires, c'est exactement comme le traité de Lisbonne. C'est pratique, car cela permet de faire des coups en douce et de laisser l'opposition s'acharner sur un hochet.
Par exemple, les tests ADN.
S'agissant d'une création législative, il fallait inclure dans la loi toutes les règles relatives à ces tests. Cela facilite la mobilisation de l'opposition. C'est donc un amendement n°36 de l'amendeur fou qui a introduit le principe dans le texte :
« Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, les agents diplomatiques ou consulaires peuvent, en cas de doute sérieux sur l’authenticité ou d’inexistence de l’acte d’état civil, proposer au demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois d’exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d’une filiation biologique déclarée avec au moins l’un des deux parents.
« Les conditions de mise en œuvre de l’alinéa précédent, notamment les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à des identifications par empreintes génétiques, sont définies par décret en Conseil d’État. »
Mobilisation médiatique, concert au zénith, des sénateurs motivés, et cela devient finalement l'article 13 de la loi :
« Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée.
« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.
« Si le tribunal estime la mesure d'identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa.
« La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d'identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l'Etat. (...)
Vous voyez la transformation. Ajoutons à cela les réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel, et vous verrez que quand Thierry Mariani se réjouit de l'adoption de son amendement, il est comme le père d'une fille à soldats enceinte qui assure qu'elle est encore pucelle.
Mais en tout état de cause, cet article est bien plus sexy à tout point de vue qu'un article comme l'article 25, par exemple :
L'article L. 221-3 du même code est ainsi modifié :
1° Dans le premier alinéa, les mots : « quarante-huit heures » sont remplacés par les mots : « quatre jours » ;
2° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) La troisième phrase est supprimée ;
b) Dans la dernière phrase, les mots : « ou de son renouvellement » sont supprimés.
Allez me remplir un Zénith avec ça... Je n'oserais même pas inviter Emanuelle Béart à s'émouvoir avec moi.
Et pourtant, je dois confesser que cet article me contrarie un peu plus que les tests ADN.
Tenez, voici cet article L. 221-3. Les parties supprimées sont rayées, les parties ajoutées sont en gras. Nous sommes dans l'hypothèse d'un étranger qui arrive à la frontière française et aussitôt se jette dans les bras des policiers pour demander l'asile politique. Face à ce dément dangereux qui croit être arrivé dans une terre accueillante, aussitôt, la police lui refusera l'entrée en France, et le parquera dans une zone d'attente. Il est privé de liberté, par une décision d'un policier.
Article L. 221-3 : Le maintien en zone d’attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder
quarante-huit heuresquatre jours par une décision écrite et motivée d’un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire.
Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l’état civil de l’intéressé et la date et l’heure auxquelles la décision de maintien lui a été notifiée. Elle est portée sans délai à la connaissance du procureur de la République.Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée. Lorsque la notification faite à l’étranger mentionne que le procureur de la République a été informé sans délai de la décision de maintien en zone d’attenteou de son renouvellement, cette mention fait foi sauf preuve contraire.
Je vous rappelle qu'un assassin d'enfants ne peut être retenu par la police que 24 heures, durée renouvelable une fois avec l'autorisation préalable d'un magistrat, durée à l'issue de laquelle il devra avoir été vu par un magistrat qui décidera de son sort dans les 20 heures. Donc 68 heures maximum, avec deux interventions d'un magistrat. Un homme qui n'a rien fait hormis demander sa protection à la France sera privé de liberté 96 heures par simple décision policière sans avoir vu l'ombre d'un magistrat, le procureur étant juste informé de cette mesure, par un simple coup de téléphone généralement, procureur qui n'aura ni le temps ni les moyens de s'interroger sur son bien-fondé. Même le crime organisé est mieux traité. Il faut choisir ses priorités, c'est ce que fait le législateur.
Certes, avant, c'était 48 heures renouvelables, maintenant, c'est directement quatre jours. N'empêche. Le message est clair.
Au bout de ces quatre jours, il sera enfin présenté à un juge, le juge des libertés et de la détention, qui pourra le maintenir huit jours en zone d'attente, durée renouvelable une fois pour un maximum de 20 jours.
Et pourquoi ce dangereux énergumène est-il ainsi privé de liberté ? Pour qu'il puisse déposer sa demande... de demande d'asile. En effet, puisqu'il n'a pas été admis à entrer sur le territoire, il ne peut effectuer de demande d'asile auprès de l'OFPRA. Il s'agit donc pour les autorités administratives de décider s'il faut le laisser entrer en France pour qu'il puisse présenter sa demande d'asile, bref si cette demande est manifestement infondée ou non. Jusqu'à il y a peu, si l'administration considérait que la demande était manifestement infondée, c'était le retour direct au pays. Sans aucun recours possible. Avec une place assise tous conforts. France, terre d'asile.
La France a donc eu l'honneur de se faire condamner par la cour européenne des droits de l'homme : CEDH, 26 avril 2007, AFFAIRE GEBREMEDHIN [GABERAMADHIEN] c. FRANCE, n°25389/05 pour cette absence de recours effectif contre une décision qui peut avoir pour conséquence de l'envoyer à la mort alors qu'aucun juge n'aura jamais eu connaissance de ce dossier. A ce sujet, je relève l'argumentation en défense du gouvernement (§66) :
le Gouvernement soutient notamment que le recours requis n'a pas à être suspensif de plein droit : il suffirait qu'il ait un effet suspensif « en pratique ». Or tel serait le cas de la saisine du juge administratif des référés, puisque les autorités s'abstiendraient de procéder à l'éloignement avant que ledit juge ait statué.
C'est un mensonge. J'ai assez de preuves dans mes dossiers de réacheminements (c'est le terme consacré) d'étrangers non-admis après ma saisine du tribunal administratif en référé et avant l'audience pour savoir que cette soi-disant abstention de procéder à l'éloignement, c'est du vent. D'ailleurs, le demandeur, et l'ANAFE qui était intervenue au procès ont contesté cette affirmation, qui n'a pas été retenue par la cour. Au-delà du sentiment de malaise de voir la France mentir à la cour européenne des droits de l'homme pour se défendre, vous avouerez une chose : si le gouvernement ment sur ce point, c'est qu'au fond, il sait que ses pratiques sont contraires aux droits de l'homme, mais préfère les dissimuler plutôt que les changer.
C'est en France, c'est aujourd'hui. Et on vous parle des tests ADN...
A la suite de cette condamnation, la France n'a eu d'autre choix que de modifier sa législation, d'autant plus que les JLD de Bobigny, invoquant cette jurisprudence, ordonnaient systématiquement que les étrangers soient admis à entrer en France pour éviter une violation de leur droit à un recours effectif. Et Bobigny, c'est Roissy Charles de Gaulle...
Et la vengeance de la France est terrible.
Un recours suspensif contre la décision rejetant la demande de demande d'asile comme manifestement infondée est désormais possible et il est suspensif. Il doit être exercé dans les 48 heures de la décision, et doit être motivé, et rédigé en Français. La décision tombe un vendredi soir ? Bonne chance pour trouver un avocat et un interprète : vous avez jusqu'au dimanche soir. Le recours doit être examiné dans les 72 heures par un juge du tribunal administratif (ça tombe bien, ils ont du temps libre pour le contentieux des étrangers). Et last but not least : si le refus d'admission sur le territoire tombe à la fin du délai légal de privation de liberté (soit 20 jours), et que l'étranger ose exercer un recours alors qu'il lui reste 4 jours ou moins de privation de liberté, sa privation de liberté est automatiquement prorogée de 4 jours. Raffinement dans la perversion : en demandant à être remis en liberté, il signe sa privation de liberté pour quatre jours supplémentaires (article L.222-2 du CESEDA).
Alors récapitulons : nous avons une autorité policière habilitée à priver de liberté quatre jours sans contrôle effectif de l'autorité judiciaire ni voie de recours. Nous avons un recours suspensif à former dans un délai très bref (48 heures), en français et qui doit être motivé, c'est à dire qui doit indiquer les arguments soulevés à l'encontre du refus d'entrée en France, recours dont l'exercice peut avoir pour effet automatique d'allonger de quatre jours une privation de liberté, là aussi sans contrôle du juge ni recours. Tiens, on pourrait se demander si tout cela est bien conforme à la Constitution.
On aurait pu.
Mais les parlementaires qui ont saisi le Conseil constitutionnel n'ont pas jugé bon de s'interroger là-dessus. Ils n'ont concentré leurs critiques que sur les tests ADN et les statistiques ethniques. Voyez le recours des députés, et celui des sénateurs, qui sont identiques au mot près, et d'une indigence juridique qui ferait honte à des étudiants en droit de première année.
Les hochets ont bien servi.
Et à part ça ?
Ho, trois fois rien.
Les magistrats administratifs et judiciaires qui siégeaient dans les Commissions du titre de séjour, qui doit rendre un avis quand un préfet envisage un refus de renouvellement de titre dans des cas graves, disparaissent. Pas besoin de juristes, ces empêcheurs de reconduire en rond. Désormais, ces commissions sont composées d'un maire et de deux personnalités "qualifiées" sans autre précision, choisies discrétionnairement par le préfet, donc forcément majoritaires. Hop, un souci de moins. (art. L.312-1 du CESEDA).
Les parents proches (parents, conjoint, enfants), âgés de plus de 16 ans et de moins de 65 ans, d'un étranger résidant régulièrement en France qui veulent le rejoindre devront d'abord passer un examen de français et de connaissance des valeurs de la République (pourquoi un demandeur d'asile doit être enfermé, alors qu'un maire de Paris peut taper dans la caisse et devenir président de la République, tout ce qui fait qu'on est un pays civilisé, quoi). S'il le rate, il devra suivre une formation de deux mois maximum et repasser l'examen. Bref, le retour des pères blancs. On va vous faire entrer dans l'histoire de gré ou de force, c'est moi qui vous le dis.
Ha, oui. Et les tests ADN, bien sûr.