Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 21 septembre 2007

vendredi 21 septembre 2007

Prix Busiris à Monsieur Eric Ciotti

Bravo à Monsieur le député de la première circonscription des Alpes Maritimes. Au-delà de la puissante nausée qu'il a contribué à m'infliger, sa participation aux débats de l'infâme amendement 69 lui vaut ce prix qui récompense un des plus beaux mauvais traitements infligés au droit et à la simple raison entendu depuis longtemps dans cette enceinte, qui en a pourtant ouï de belles. Eric Ciotti, photo Assemblée nationale Je vous rappelle les critères d'attribution du prix : une affirmation juridiquement aberrante, contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit.

Cette récompense a été attribuée à l'unanimité des voix et au premier tour de scrutin, pour les propos tenus lors de la troisième séance du mercredi 19 septembre 2007 (que je restitue sans les interruptions pour lui conserver sa pureté, les gras sont de moi) :

M. Éric Ciotti. Le groupe UMP est très favorable à l’amendement n° 69… [Réduisant d'un mois à quinze jours le délai de recours devant la Commission des Recours des Réfugiés, NdR] (…) parce que notre pays se caractérise par sa tradition d’accueil de tous ceux qui souffrent et qui sont victimes, dans leur pays d’origine, d’atteintes à leur intégrité de par leur opinion politique ou leur statut. Cette vocation universelle de notre pays à faire de son sol un lieu d’accueil pour tous ceux qui sont martyrisés dans leur pays doit être réaffirmée, et ce texte y contribue. Les dispositions qui ont été introduites dans ce projet de loi vont dans ce sens et renforcent le caractère intangible de cette vocation, auquel, tout comme vous, nous sommes attachés.

Voici déjà l'affirmation juridiquement aberrante et contradictoire : Diviser par deux le délai de recours contribue à réaffirmer la vocation universelle de la France à faire de son sol un lieu d'accueil pour ceux qui sont martyrisés.

Mais pour que ce droit d’asile, pour que cette vocation universelle de la France demeure, il faut que ces demandes d’asile ne soient pas dévoyées. Or vous savez que, malheureusement, la demande d’asile a, au cours des années écoulées, souvent été l’objet de détournements et a fréquemment servi de vecteur à une immigration ne correspondant pas au statut de réfugié. Les dispositions adoptées depuis 2003 ont diminué le délai moyen de recours de vingt mois à quatorze mois en 2006. La France est le pays d’Europe qui possède la législation la plus généreuse en termes d’accueil. Et c’est bien. Nous nous en félicitons et nous nous en réjouissons, mais nous estimons aussi qu’il y a aujourd’hui une obligation d’harmonisation avec la législation européenne.

Monsieur le député nous gâte, en voici une deuxième. La France a la législation la plus généreuse en la matière (ce qui est faux, l'Espagne fait mieux, mais passons), et c'est bien, youpi, mais en fait non, car il faut harmoniser notre législation avec les pays les moins généreux. Car l'harmonisation, c'est plus important que ce qui est bien et dont il faut se réjouir. En prime, le député sous entend que les vrais demandeurs font leur recours en quinze jours, et les fraudeurs en trente, ce qui serait un critère pertinent pour les distinguer et éliminer les seconds.

Nous l’avons évoquée tout à l’heure à propos des tests ADN. Comment pouvoir prétendre, là encore, que la Grande-Bretagne, qui prévoit un délai de recours de dix jours et n’est pas pour autant caractérisée par un régime liberticide, devrait avoir une obligation plus forte que la France en ce domaine ? Nous sommes attachés à cette harmonisation.

En plus, vous le savez, nous serons confrontés à partir du 1er janvier 2008, du fait de l’aide juridictionnelle qui va entrer en vigueur pour les demandeurs d’asile, à une augmentation des recours. (...) C’est naturellement une bonne chose. (...) Cela va mécaniquement conduire à une augmentation des délais d’instruction des demandes d’asile. Le gain de temps – j’espère que vous vous en félicitez, monsieur Braouezec – que nous avions obtenu au cours de ces dernières années, notamment grâce à l’action du ministre de l’intérieur de l’époque, et qui allait dans le sens du renforcement du statut du demandeur d’asile, risque d’être perdu à partir du 1er janvier 2008. La réduction du délai de recours que proposent M. Mariani et M. Cochet est donc tout à fait pertinente, et nous la soutenons.

Et de trois, et à deux heures du matin, quelle santé ! Reprenons : Nous allons (enfin) accorder l'aide juridictionnelle aux demandeurs d'asile. Et c'est bien. Cela va les aider à présenter leurs recours. Et c'est bien. En plus, nous renforçons leur statut, et c'est bien. Mais du coup, ça va augmenter le nombre des recours. Car avant, on avait plein de demandeurs d'asile qui ne pouvaient pas exercer de recours faute d'argent, de connaître un avocat ou de parler la langue. Maintenant, ils vont pouvoir le faire. Et ça c'est mal, car les délais de traitement augmentent. Et le délai de traitement, c'est comme l'harmonisation, c'est plus important que la vocation universelle de la France à accueillir sur son sol les victimes des tyrans. Donc il faut compenser cette facilité en instaurant une difficulté supplémentaire.

Voilà qui en prime apporte la mauvaise foi. L'opportunité politique est enfin démontrée par le petit coup de langue sur "le ministre de l'intérieur de l'époque" qui a fait du si bon travail, ha, comme il nous manque, quelqu'un sait où il est passé ?

Félicitations pour votre prix, votre prestation contribue à réhausser encore sa valeur et sa nécessité.

Devine qui vient dîner ce soir ?

Ce soir, le XV de France affronte le XV au trèfle, l'équipe de la République d'Irlande, Poblacht na hÉireann comme on dit dans les pubs de Galway.

Son drapeau est celui-ci :

Drapeau des Quatre Provinces

Je vous sens surpris.

Et en effet, l'équipe d'Irlande présente la particularité d'être la seule équipe de cette coupe du monde à jouer sous un drapeau autre que son drapeau national, et à chanter un hymne (Ireland's call) qui n'est pas l'hymne national (Amhrán na bhFiann, la chanson du Soldat)[1]. Plus exactement, c'est la seule équipe bi-nationale.

L'équipe d'Irlande a en effet depuis longtemps achevé la réunification de l'Ile. Elle représente à la fois les joueurs de la République d'Irlande, et les joueurs d'Irlande du Nord (qui sinon joueraient dans la sélection anglaise, inconcevable). Et quand les joueurs au trèfle jouent, des acclamations d'encouragement montent aussi bien de Belfast que de Dublin... Magie du rugby, encore une fois.

Pour éviter que des joueurs nord-irlandais jouent sous le drapeau vert, blanc et orange qui est le drapeau de la République d'Irlande, l'équipe utilise donc ce drapeau, dit des Quatre Provinces, drapeau traditionnel qui réunit les armes des quatre provinces d'Irlande :

La croix rouge sur champ d'or avec en son centre un écu blanc et une main rouge représente l'Ulster (nord de l'Ile), qui ne se confond pas avec l'Irlande du Nord : une partie de l'Ulster est en République d'Irlande (le Comté de Donnegal). Ce drapeau est le mélange des armes des deux plus grandes familles nobles d'Ulster, les De Burgo (croix rouge sur champ d'or) et les O'Neill, la famille royale d'Ulster jusqu'à sa conquête par les Tudor.

Les trois couronnes représentent le Munster (sud de l'Ile), qui était autrefois composé des royaumes de Thomond, Desmond et Ormond.

Le drapeau composé d'un aigle et d'un bras armé est le drapeau du Connacht (ouest de l'Ile ; prononcer conaôt). L'aigle est celui du clan des Browns, qui dirigeait Galway (capitale du Connacht) et le bras armé est le symbole des O'Connor, qui dirigeait la région avant l'invasion normande.

La harpe, symbole de l'Irlande (vous la verrez sur les euros irlandais), est le drapeau du Leinster (est de l'Ile), où se trouve Dublin. C'est le premier drapeau des indépendantistes irlandais, lors de leurs premiers soulèvement en 1798 et dans les années 1830-1840, d'où son adoption comme symbole héraldiqueArmes de l'Irlande. Mais le vert étant trop associé aux catholiques irlandais, le drapeau tricolore sera adopté en 1917 par le Sinn Fein : le vert pour les catholiques, l'orange pour les protestant, partisans de Guillaume d'Orange à la bataille du Boyle le 1er juillet 1690, et le blanc pour symboliser la paix entre ces communautés.Draoeau de la République d'Irlande

Notons toutefois que l'International Rugby Board (IRB) a contribué à compliquer les choses : quand l'équipe joue à Dublin, elle peut lever le drapeau tricolore et jouer l'hymne national Irlandais après Ireland's call. Mais la tradition de jouer le God Save The Queen quand l'équipe joue à Belfast a été abandonnée, l'IRB estimant que dans ce cas, l'Irlande ne jouait pas à domicile.

Si la harpe est le symbole officiel de l'Irlande, son symbole le plus connu est aussi non officiel : c'est le trèfle. La légende dit que Saint Patrick, patron de l'Irlande et évangélisateur de l'île, a utilisé cette plante pour expliquer le mystère de la trinité aux païens. C'est ce symbole qu'arbore sur son plastron l'équipe de rugby irlandaise, sous la forme du logo de l'IRFU, l'Irish Rugby Football Union. Symbole de l'équipe d'Irlande Rappelons en effet que le nom officiel du rugby en anglais est le rugby football pour le sport en général, et le rugby union pour le rugby à XV (le rugby à XIII s'appelant rugby league).

L'équipe d'Irlande est une vieille connaissance, puisque nous l'affrontons chaque année dans le cadre du tournoi des Six nations. Jusqu'à l'entrée de l'Italie, l'Irlande était abonnée à la dernière place dans les années 90. Le début des années 2000 a été une période faste, grâce à des joueurs d'exception comme Keith Wood, maintenant retraité (il représentait l'Irlande à la cérémonie d'ouverture) ou Brian O'Driscoll, encore en activité. L'Irlande a ainsi fini 2e du tournoi cette année derrière la France, tout comme en 2006, en remportant la Triple couronne à chaque fois, c'est à dire en battant toutes les équipes britanniques dont l'Angleterre (dont une vitoire à Twickenham le 18 mars 2006, le lendemain de la Saint-Patrick, fête nationale irlandaise).

Cette période faste semble terminée, et le XV au trèfle ne semble pas au sommet de sa forme depuis le début de cette coupe du monde. Mais ce n'est pas un adversaire à prendre à la légère. Le match sera nettement moins déséquilibré que France Namibie. Mettez la Guinness au frais, et n'hésitez pas à aller voir ce match dans un pub irlandais. Les irlandais sont un public formidable, et il n'y a aucun antagonisme avec la France.

Et bien évidemment... ALLEZ LES BLEUS ! ! !

Notes

[1] Certes, l'Ecosse et le Pays de Galles font partie du Royaume-Uni, mais sont bien des nations autonomes inscrites en tant que telles aux fédérations internationales de football et de rugby.

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