Journal d'un avocat

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samedi 11 mai 2013

Du mariage pour tous (3e partie) : après la bataille

La modération est fatale. Rien ne réussit comme l’excès.
Oscar Wilde


Troisième et avant-dernier billet de ma trilogie en quatre billets sur le mariage pour tous, officiellement connu sous le nom de mariage entre personnes de même sexe. Un dernier volet sera consacré à la décision à venir du Conseil constitutionnel.

Des raisons professionnelles m’ont empêché de consacrer à mon blog le temps nécessaire pour le nourrir, d’où un long silence, qui aura au moins la vertu d’avoir laissé du temps au temps, au tumulte de s’apaiser, et à présent que le texte définitif a été adopté, de nous pencher sur la version finale de cette loi, pour répondre aux arguments des opposants.

Oh, je ne me fais guère d’illusion. Débat il y a eu, nul ne peut honnêtement dire le contraire, mais triste et pauvre débat, où les anathèmes, les slogans et surtout la Communication ont remplacé la Raison et les arguments. Michel Serres a raison de dire que le débat démocratique est stérile par nature. Soit la question est simple et clivante, comme celle-ci, et le débat vire au pugilat, ou elle est complexe et le débat meurt d’ennui.

Heureusement, il reste les blogs, où les deux camps sont réconciliés : on peut y avoir des débats sur des sujets ennuyeux virant au pugilat.

La loi à venir sera donc connue comme la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Voici son texte définitif tel qu’il est soumis au Conseil constitutionnel. Elle devrait passer la rue de Montpensier sans subir trop d’outrages. Nous y reviendrons le moment venu.

Que dit la loi ?

Pour l’essentiel, cette loi pose clairement que la différence de sexe n’est plus une condition pour se marier, et en tire les conséquences en neutralisant grammaticalement les articles du Code civil qui étaient rédigés en impliquant nécessairement la différence de sexe des époux.

Elle précise que les mariages homosexuels conclus à l’étranger seront reconnus en France, même ceux passés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi et que les Français domiciliés à l’étranger pourront épouser quelqu’un de leur sexe soit au consulat soit, si ce n’est pas possible, en France, dans la commune de leur choix.

Aussi surprenant que cela puisse paraître au regard des prises de position des opposants à ce texte, la loi est muette sur la filiation et quasi muette sur l’adoption (elle ne modifie que quelques règles d’attribution du nom de famille et ouvre un nouveau cas d’adoption par le conjoint, l’adoption simple de l’enfant adoptif par adoption plénière, cas qui profitera aussi aux couples de sexe différent). Le reste n’est que des disposition dites de coordination, c’est à dire la mise en conformité de textes que les modifications apportées par la loi priveraient de sens s’ils étaient laissés en l’état. C’est que, comme je l’avais déjà expliqué dans un précédent billet, l’adoption par un célibataire était déjà ouverte aux homosexuels, seule l’adoption par un couple étant réservé aux couples mariés. Le fait de permettre à deux personnes de même sexe de se marier leur permet automatiquement d’adopter ensemble, sans qu’il y ait quoi que ce soit à changer à la loi.

Voilà pour l’essentiel. Ajoutons qu’au titre des droits créés, elle permet désormais à un salarié homosexuel de refuser sans sanction une mutation dans un pays où l’homosexualité est un crime, pour l’anecdote. Difficile d’y voir la fin de la civilisation française, me direz-vous. Mais c’est parce que les arguments essentiels des opposants à cette loi se trouvaient dans ce qu’elle ne disait pas, mais impliquait selon eux. Soit. Allons donc dans les terres du non-dit et voyons ce qu’il en est.

Que ne dit pas cette loi ?

Je ne pense pas trahir la pensée des opposants à ce projet de loi en disant que leur rejet de cette loi se cristallise autour de trois points : la famille, par le changement qu’elle apporte au mariage, la parentalité, puisqu’elle va institutionnaliser le fait que deux hommes ou deux femmes puissent avoir un lien en commun avec un enfant, et la bioéthique, car cette loi impliquerait nécessairement des changements dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la Gestation Pour Autrui (GPA). Tous les arguments soulevés par les opposants se rattachent à une de ces trois catégories.

Pour résumer, première catégorie : cette loi en changeant la définition du mariage changerait la nature de cette pierre angulaire de la famille, ce qui aurait des conséquences aussi graves qu’imprécisément exprimées. Deuxième catégorie : cette loi nierait la filiation père-mère dont nous sommes tous issus, brouillant ainsi les repères ; elle priverait les enfants du droit à avoir une père et une mère, en ce qu’elle permettrait que des enfants soient adoptés par deux hommes ou par deux femmes, les privant d’un référant de l’un ou l’autre sexe, ce qui nuirait immanquablement à leur développement harmonieux, l’explication de ce sacrifice de l’intérêt de l’enfant au profit de la satisfaction du désir d’un couple homosexuel étant la manifestation de l’apparition d’un droit à l’enfant. Enfin, et c’est l’argument le plus juridique, cette loi voulue au nom de l’égalité impliquerait nécessairement, au nom de cette même égalité, de permettre à un couple de personnes de même sexe d’enfanter, ce qui signifie devoir permettre la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, et, une inégalité apparaissant du coup avec les couples d’hommes, il n’y aurait d’autre choix que de légaliser la gestation pour autrui (GPA), seul le statu quo ante de l’interdiction du mariage homosexuel pouvant maintenir fermée cette boite de Pandore.

Encore une fois, je ne prétends pas à l’exhaustivité de l’argumentation des nombreux et très actifs opposants à cette loi. Je me concentre sur le cœur de leur argumentation, celui qui est partagé par tous (le rejet assumé des homosexuels est un exemple d’argument qui n’est pas partagé par tous les opposants, et je le compterai pour rien, même si le déni qui est apparu autour de la réalité de ce rejet chez bien des opposants est assez spectaculaire).

J’ai ici une bonne nouvelle pour les adversaires de cette loi, qui aura le mérite de les consoler de son adoption et de sa prochaine entrée en vigueur : aucun de ces arguments ne tient.

La fin du mariage tel que nous l’avons connu

Je ne m’attarderai pas sur la réfutation de cet argument, qui a déjà fait l’objet de mes deux premiers billets. Le mariage est inchangé par cette loi, hormis les articles qui, d’après la Cour de cassation, impliquaient implicitement mais nécessairement la disparité des sexes. Rappelons que jamais un texte n’a expressément interdit le mariage entre deux personnes de même sexe. Même la définition coutumière de l’Ancien Droit, repris dans les Institutes de Loysel, qui pose la définition du mariage apparent, ignore cette condition : « Boire, manger, et coucher ensemble c’est mariage ce me semble ». Déjà au XVIIe siècle, la précision de la différence de sexe était superflue.

Le Code civil a une liste de cas où le mariage est prohibé : il s’agit du trop jeune âge, de l’existence d’un précédent mariage non dissous, et de la proche parenté. Les trois prohibitions traditionnelles du mariage de l’impubère, de la polygamie et de l’inceste. La loi nouvelle n’a pas eu besoin de les modifier. Elle ne lève pas une interdiction, elle lève une ambiguité. Que mes lecteurs qui, comme moi, sont mariés se rassurent : rien, absolument rien ne changera à leur situation et à leurs droits. Le mariage civil reste l’union de deux êtres qui décident de lier intimement leurs destins, de s’engager respectivement à s’assister, se secourir, et s’être fidèles, et à régler le sort de leurs biens futurs. Le mariage religieux n’est pas touché par cette loi, puisque la laïcité interdit d’intervenir dans des règles théologiques. Quant au fait pour un adversaire de cette réforme de mal vivre le fait de s’inscrire dans une institution désormais ouverte aux homosexuels, je ne puis répondre que deux choses : primo, apprenez à vivre avec, on ne va pas interdire à des gens de se marier parce que cela vous pose un problème ; secundo : arrêtez de dire que vous n’êtes pas homophobe.

La parentalité, ou : un papa, une maman, oui je parle comme un enfant

La filiation, qui est le lien de droit unissant un être humain à ses deux géniteurs, est absolument inchangée par cette loi, et pour cause. La loi humaine peut beaucoup, mais elle est incapable de renverser celles de la génétique : à l’heure où j’écris ces lignes, pour engendrer un être humain, il faut un homme et surtout une femme. L’enfant ne naît pas du mariage (plus d’un primogène sur deux naît hors mariage en France), il ne naît pas de l’amour (l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps si cette condition était nécessaire), il naît de l’accouplement, de la rencontre de deux gamètes, un mâle et un femelle, le tout aboutissant dans un environnement favorable au développement de l’embryon, à savoir un utérus. Le taux d’être humain né ainsi est de l’ordre de 100%, il n’y a qu’un cas documenté faisant exception à cette règle, mais la fiabilité de cette documentation est sujette à controverse.

La loi dont il s’agit ici ne change rien à cette situation, qui ne relève pas du droit mais du fait. Le voudrait-elle qu’elle ne le pourrait point, mais ça tombe bien, elle n’en avait pas l’intention.

Le Code civil fixe les règles permettant d’établir le lien de filiation avec le père et la mère, car ce lien entraîne des conséquences juridiques très importantes : la filiation engendre l’autorité parentale, les obligations réciproques des parents et des enfants, et fait de l’enfant le continuateur juridique de la personne de son auteur (c’est le terme juridique qui désigne les père et mère biologiques) puisqu’il a vocation à recueillir la succession (notez le terme succession, qui indique bien que cela s’inscrit dans le cycle des générations) de celui-ci.

Pour faire bref, il ne peut y avoir simultanément que deux liens de filiation : un maternel et un paternel. Dans le cas d’un couple marié, l’établissement de ce lien est très simple et se fait sans intervention des parents : la mention du nom de la mère dans l’acte de naissance établit ce lien, et le mari est présumé être le père : sa paternité est établie par cette présomption. Dans le cas d’un couple non marié, la règle change pour le père (pas pour la mère) : il doit reconnaître sa paternité, ou à défaut la mère peut la faire établir en justice, afin de le contraindre à assumer financièrement la charge de son enfant, et à permettre à celui-ci d’hériter le moment venu.

Et la loi sur le mariage pour tous ne change rien à ces règles, même mon ami Koztoujours, opposant à cette loi, est obligé d’en convenir, même si par coquetterie il feint de soutenir le contraire.

Donc rassurez-vous, chers opposants à cette loi : un enfant restera conçu par un homme et une femme. Mais cela ne veut pas dire qu’il a forcément “un papa et une maman”, pour reprendre le registre de vocabulaire régressif adopté dans les manifestations et encore moins qu’il aurait « droit à un père et une mère ». Ce droit n’a jamais existé que dans votre imagination.

Et l’article 7 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) ? Ce traité international, ratifié par la France, ne proclame-t-il pas le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ? Non. Il proclame, voici l’article 7 en entier, c’est moi qui graisse : L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

« Dans la mesure du possible ». Ces cinq mots renferment la clé de beaucoup de choses dans cette controverse. Car dans la mesure du possible, un enfant sera toujours élevé par ses parents. C’est quand ce n’est pas possible, et malheureusement c’est souvent le cas, que des solutions alternatives sont envisagées.

Paternité biologique, paternité sociologique

La rencontre d’un homme et d’une femme n’est nécessaire qu’au stade de la conception. Le géniteur, ou la génitrice, peut ne pas avoir la vocation d’être père ou mère, ou pour le premier ignorer qu’il a conçu un enfant ou décéder avant la naissance. Et même si cet auteur défaillant peut être contraint à assumer ses obligations envers cet enfant, rien ne peut l’obliger à l’aimer, à le recevoir, à s’en occuper. Et face à ce parent absent, un autre peut apparaître et prendre sa place, c’est le beau-père ou la belle-mère, terme impropre car il désigne en fait le père ou la mère du conjoint ; en français, le nouveau compagnon de la mère s’appelle le parâtre, et la compagne du père, la marâtre. Hélas, les contes de fée ont eu raison de ces jolis mots qui ont pris un sens trop péjoratif pour être revendiqué.

L’augmentation considérable du nombre de familles recomposées (elles ont toujours existé : Blanche Neige et Cendrillon ont grandi dans une famille recomposée) a conduit les sociologues à distinguer entre deux paternités : la paternité biologique, qui se limite à la transmission du patrimoine génétique mais suffit à fonder le lien juridique de filiation (le juriste est féru de certitude plus que d’amour), et la paternité sociologique, qui est le comportement de celui qui n’est pas le père ou la mère mais se comporte comme tel. C’est celui qui est présent et aide l’enfant à se construire en le bordant le soir et en lui racontant une histoire, en le consolant quand il a du chagrin, en lui apprenant à faire du vélo sans les roulettes ou à contrer un rush Zerg. À tel point que l’enfant peut finir par considérer ce parâtre ou cette marâtre comme son véritable parent, jusqu’à vouloir en prendre le nom, ce qui est impossible. Cet état de fait est sociologiquement admis, et même approuvé, et la loi a ouvert certains droits au parent sociologique en cas de séparation d’avec le parent biologique pour lui permettre de maintenir des liens affectifs avec cet enfant qui n’est pas le sien : c’est lui le tiers visé par l’article 371-4 du code civil. Notons que cet enfant a pourtant affectivement deux pères et une mère ou deux mères et un père, qui peuvent avoir des droits sur lui, et personne n’enfile de sweat-shirt à capuche rose pour autant. À croire que le problème se pose uniquement en présence d’homosexuels. Mais ce n’est qu’une impression trompeuse, puisque les opposants se défendent d’être homophobes, et qui suis-je pour les contredire ?

Le problème serait en fait, m’expliquent les opposants, l’identité des sexes sous le même toit, ce qui ne concerne exclusivement les homosexuels que par une coïncidence cocasse. Admettons la coïncidence, mais passons l’argument au crible de la Raison.

L’adoption par un couple homosexuel

La réforme funeste serait donc de permettre à deux personnes de même sexe d’adopter un enfant.

Rappelons que juridiquement, rien n’interdit à un homosexuel d’adopter, surtout depuis que la France a cessé (ou est censée avoir cessé) sa politique de discrimination systématique, même si ce ne fut pas facile. Le problème se pose pour l’adoption dans le cadre d’un couple homosexuel. L’impossibilité est incidente : elle est due au fait que la loi ne permet l’adoption par un couple que si celui-ci est marié. Cet obstacle va être levé, et deux hommes ou deux femmes mariés ensemble vont pouvoir avoir adopter un enfant, ou, ce qui sera l’hypothèse la plus fréquente, l’époux pourra adopter l’enfant de son conjoint sans que celui-ci se voit dépouiller de son autorité parentale. À suivre les débats parlementaires, qui furent de haute volée, cette perspective a profondément troublé l’opposition à ce texte.

Je ne reviendrai pas sur l’adoption, déjà abordée dans le billet précédent, sauf sur un point qui était erroné (j’ai rectifié mon billet). Rappelons que l’adoption peut prendre deux formes : l’adoption simple, la seule prévue par le Code civil de 1804, et la plénière, créée par une loi de 1966 qui brise le lien de filiation existant et y substitue définitivement un lien de filiation adoptive fictif. Contrairement à ce que j’écrivais dans mon précédent billet, l’acte de naissance original de l’enfant est cancellé et un nouveau est inscrit dans les registres de l’état civil. Rien dans les copies intégrales qui en sont délivrées ne mentionne son caractère fictif, seuls l’officier d’état civil et le procureur de la République, en charge de la surveillance de la tenue de ces registres et y ayant donc un accès direct, peuvent le savoir mais ils sont tous deux tenus au secret.

L’adoption simple ne pose pas de problème, en vérité. Elle crée un lien entre l’adoptant et l’adopté tout en laissant subsister sa filiation biologique avec ses deux parents. Toutefois, ces parents biologiques sont dépossédés de l’autorité parentale qui est transférée à l’adoptant ou aux adoptants. Seule exception : si l’adoptant adopte l’enfant de son conjoint, ce conjoint conserve son autorité parentale, faute de quoi l’adoption perdrait tout son intérêt.

L’adoption plénière est plus brutale en ce qu’elle crée une filiation fictive. Les opposants en tirent argument : comment diable cette fiction tiendra-t-elle en présence de deux hommes ou de deux femmes ? L’enfant ne sera pas dupe une seconde, contrairement à l’enfant adoptif d’un couple hétérosexuel qui aura le bonheur de vivre dans le mensonge peut-être toute sa vie. La réponse que j’apporterai est la suivante : cette fiction tiendra autant que quand un couple hétérosexuel européen adopte un petit africain ou asiatique. Pas une seconde. Et alors ? Faut-il interdire l’adoption interraciale pour maintenir cette précieuse fiction ? Personne ne le pense, et puis, qui donc défilait en nombre au cri de « on ne ment pas aux enfants » ? Que ces amoureux de la vérité dite aux enfants (je suppose que les leurs n’ont jamais cru au Père Noël…) se réjouissent : l’adoption par un couple homosexuel rend impossible tout mensonge aux enfants. Voilà un excellent argument pour qu’ils soutiennent cette loi.

L’absence de référent sexuel

Je mentionne cet argument pour mémoire. Il n’est pas juridique, mais psychanalytique. Cet argument est ramené à sa juste valeur par cet article de Sylvie Faure-Pragier, publié dans Le Monde. La théorie de la nécessité d’une mère et d’un père pour l’équilibre psychique est démentie chaque jour par les orphelins de père et de mère, qui surmontent leur chagrin et deviennent des être humains complets et équilibrés, merci pour eux, ou par les enfants de veuf ou veuves, ou par les parents célibataires. Quant à l’argument que ces enfants seraient plus sujets que d’autres à devenir eux-même homosexuels par imitation (en supposant que ça soit mal d’être homosexuel, ce qui est exclu puisque les opposants nient toute homophobie, et qui suis-je pour les contredire?), il suffira de constater que l’imitation de leurs parents hétérosexuels n’a pas découragé les homosexuels de devenir ce qu’ils sont.

À ce sujet, il me semble nécessaire de dissiper un malentendu qui semble répandu chez les antis : il n’a jamais été question de retirer des enfants à des familles hétérosexuelles épanouies pour les confier de force à des couples homosexuels. L’adoption concerne essentiellement trois groupes d’enfants : les pupilles de l’Etat, les orphelins étrangers et les enfants du conjoint. Les pupilles de l’Etat sont des enfants situés en France et abandonnés, ayant perdu leur famille ou ayant été retirée de celle-ci car ils y étaient en danger. Tous ne sont pas juridiquement adoptables, et tous ceux l’étant sont généralement très rapidement placés dans une famille en vue de leur adoption plénière (800 par an environ pour 25000 candidats agréés, couples et individus mélangés). Les enfants étrangers sont ceux de l’adoption internationale (la Russie étant un des principaux pays d’origine) et les enfants du conjoint étant un cas à part, puisqu’ils sont déjà dans une famille, et que cette adoption vise à permettre aux deux parents d’agir en tant que tels. C’est dans cette dernière catégorie que se situera la très grande majorité des adoptions homosexuelles, c’est-à-dire pour officialiser une situation existant déjà. Pour les pupilles de l’État, l’agrément préalable permet de s’assurer que l’enfant sera accueilli dans les meilleures conditions ; quant à l’adoption internationale, les pays ayant ouvert l’adoption aux homosexuels, comme la Belgique et l’Espagne, n’ont pas connu de diminution des adoptions internationales, au contraire.

L’abominable homme des neiges théorie du gender

Des nombreux moments de rigolade qui ont accompagné mon écoute des débats parlementaires, la référence récurrente à la théorie du genre, ou pour souligner son abomination, prononcée en anglais du gender n’a pas été le moindre. C’est une superbe illustration du néant argumentatif que ce débat a pu atteindre, quand les adversaires à cette loi n’ont eu d’autre recours que d’inventer un ennemi imaginaire, ce qu’en rhétorique on appelle l’homme de paille.

La théorie du genre serait, selon ses détracteurs (vous verrez qu’elle n’a que des détracteurs) une théorie qui nierait la différence des sexes pour n’en fait qu’un acquis social, et voudrait qu’hommes et femmes soient parfaitement identiques et interchangeables, et par conséquence combattrait toute allusion, y compris dans la loi, à cette différence pourtant inscrite dans la nature. La loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe serait frappée du sceau de l’infamie en étant un avatar de cette théorie, qui ne visait qu’à faire disparaître du code toute allusion à la différence des sexes.

Illustration avec cette intervention toute en finesse et en analyse du député Xavier Breton, lors de la 3e séance du 3 février 2013 :

M. Xavier Breton. Cet amendement revient sur la question cruciale de l’altérité sexuelle. Sur les bancs du Gouvernement et de la majorité, vous niez la reconnaissance de l’altérité sexuelle dans notre droit. Vous êtes les porte-parole de l’idéologie du gender, à moins que vous n’en soyez les prisonniers.

Que promeut cette idéologie ? Elle prétend que le seul chemin pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, que nous souhaitons toutes et tous sur ces bancs, ne vous en déplaise, c’est de supprimer les différences en les niant. En fait, vous êtes incapables de penser ensemble l’égalité et la différence.

Le problème, c’est que les différences, notamment corporelles, subsistent. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas lutter contre les stéréotypes qui conduisent à des inégalités et à des injustices.

Mais est-ce qu’au-delà ou en deçà de ces stéréotypes, il reste une différence entre un homme et une femme ? Entre un père et une mère ? Pour un enfant, un père est-il la même personne qu’une mère ? Une mère est-elle la même personne qu’un père ? Pour vous, oui ; pour nous, non.

Voici l’amendement n°3279 en question. Je vous laisse chercher le rapport entre son contenu et le discours tenu pour le défendre.

La réalité est que la théorie du genre n’existe pas. Ce qui existe sont les études de genre (gender studies) : il s’agit d’un domaine de recherche interdisciplinaires visant, je cite wikipédia, une réflexion sur les identités sexuées et sexuelles, répertoriant ce qui définit le masculin et le féminin dans différents lieux et à différentes époques, et s’interrogeant sur la manière dont les normes se reproduisent jusqu’au point de paraître naturelles. Ce n’est que cela, un sujet d’étude, et c’est déjà beaucoup. Il nourrit des réflexions, des critiques, des controverses, et la connaissance de ce que nous sommes en sort grandie. Il est triste de voir dans le pays de Descartes un sujet d’étude transformée en idéologie pour secourir une argumentation qui se sent trop boiteuse avec les faits.

La bioéthique, ou le syndrome de Frankenstein

Dans le Frankenstein de Mary Shelley, le docteur Frankenstein, scientifique de génie, crée la vie, mais sa créature finit par le détruire. Le syndrome de Frankenstein, en sciences, désigne cette peur que le progrès scientifique se retourne contre nous et nous détruise. Cette phobie est très répandue, et se pare volontiers du vocable de principe de précaution pour sous couvert de bon sens refuser tout progrès, au cas où, on ne sait jamais. Le doute interdisant la réflexion. Et la bioéthique lui a fourni un terrain très fertile.

Une précision d’entrée de jeu : le projet de loi déposé comme celui adopté ne traitent pas de la question de la bioéthique. Une réforme est envisagée, ce qui est normal puisque c’est un sujet en perpétuelle évolution et surtout les trois textes de bioéthique (1994,2004 et 2011) ont été adoptés sous une majorité de droite et ont un fort penchant conservateur. La gauche a son mot à dire aussi, et n’a jamais eu l’occasion de le dire. Un projet de loi sur la famille est censé fournir un véhicule législatif adéquat pour rouvrir ce débat, mais je crains fort qu’il ne soit mort-né, le Gouvernement ayant été échaudé par le mariage pour tous et ayant eu son compte de sweat à capuche rose et de bougies en profile pic sur Twitter.

Quels étaient les points soulevés par les opposants à ce texte ? Ils étaient de deux ordres : l’extension de la PMA et la légalisation de la GPA. Étant entendu que ces points ne figuraient pas dans le projet de loi, les opposants, sans se laisser décourager, arguaient qu’ils y étaient contenus en germe, que l’évolution induite par le mariage homosexuel impliquait inéluctablement ces deux points. Malheureusement pour mes lecteurs qui seraient favorables à une telle évolution, les anti-mariages pour tous vous nourrissent de faux espoirs.

La procréation médicalement assistée (PMA)

La PMA est légale, contrairement à la GPA, mais limitée strictement dans son domaine. Il s’agit des techniques médicales permettant à une femme apte à porter une grossesse à terme de pallier les difficultés l’ayant empêché d’y parvenir. Cela recouvre des techniques simples de stimulation hormonales, et surtout toutes les techniques de fécondation in vitro suivi d’insémination artificielle, où l’embryon est fécondé avant d’être implanté, lorsque c’est l’homme qui s’avère être l’origine du problème (au besoin, on prend du sperme de donneur anonyme). La règlementation se trouve aux articles L.2141-1 et suivants du Code de la santé publique. L’article L.2141-2 précise que « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué. »

Un couple : la loi bioéthique de 2011 a supprimé la condition d’être un couple marié, mais maintenu la condition d’être de sexe différent, rappelé à l’alinéa suivant. La PMA ne peut viser qu’à remédier à l’infertilité pathologique du couple, infertilité médicalement constatée. Et l’identité des sexes comme l’orientation sexuelle n’étant pas une cause pathologique d’infertilité ni même une pathologie. Continuons avec l’alinéa 2 :

« L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »

La PMA a ceci de commun avec une relation sexuelle qu’elle n’est légale que tant que dure le consentement. Les différences sont qu’elle prend beaucoup plus de temps pour aboutir et est nettement moins plaisante. Juridiquement, la loi pose que l’enfant conçu par PMA est l’enfant du couple, même si l’homme n’a pas fourni le sperme, et lui interdit de contester sa paternité, même si, biologiquement, il ne l’est pas.

La crainte exprimée par les opposants au projet de loi est que la PMA ne soit ouverte aux couples de femmes mariées et qu’elles pourraient demander à ce qu’une d’entre elles, voire les deux, soient fécondées avec du sperme de donneur. Cette crainte ne repose sur rien, puisque leur infertilité n’est pas pathologique, et surtout depuis 2011, le mariage n’est plus une condition sine qua non pour accéder à la PMA, donc le fait d’être mariées ne changera absolument rien à leur situation juridique. Si elles n’ont pas accès aujourd’hui à la PMA, elles ne l’auront pas plus avec l’entrée en vigueur de cette loi. Je ne puis dire avec certitude que la loi ne permettra jamais à une femme célibataire ou à un couple de femmes d’accéder à la PMA, mais je peux dire avec certitude qu’en l’état, elle ne le permet pas et que rien n’est prévu pour que cela change dans un avenir proche.

La gestation pour autrui, ou « les mères porteuses »

La gestation pour autrui est un contrat qui consiste pour une femme, ou “mère porteuse”, à porter un embryon à terme et à s’en défaire à la naissance au profit d’une personne ou d’un couple identifié (appelons le “le commanditaire”), puisque dans la mesure du possible l’embryon sera conçu avec les gamètes du ou des commanditaires. Cette pratique a toujours été illégale en droit français. D’abord, au plan civil car elle constitue une convention portant sur l’état des personnes (ici sa filiation), ce qui est interdit car l’état des personnes est indisponible : un contrat qui porterait sur lui serait nul (Civ. 1Re, 13 décembre 1989, Alma Mater, bull. I. n°387) ; et ensuite au plan pénal puisque l’article 353-1 du code pénal ancien (promulgué en 1958, c’est-à-dire avant même que l’insémination artificielle rende possible la GPA, et repris à l’article 227-12 du nouveau code pénal) réprimait le fait d’inciter de quelque façon que ce soit une femme à abandonner son enfant à naitre ou à s’entremettre dans une telle affaire : une association ayant pour objet de commettre ce délit ne pourrait qu’être déclarée illicite CE, 22 janvier 1988, association Les Cigognes, n°80936 . Enfin, pour la Cour de cassation, la mère est celle qui accouche, peu importe ce que dit l’ADN. Une autre femme ne peut se prétendre mère, ce qui voue à l’échec toute convention de mère porteuse. J’insiste sur les mots “pour la Cour de cassation”. Cela ne signifie pas que les juges n’accepteront jamais une autre solution. Mais il faut que ce soit la loi qui l’impose ; en attendant, elle s’en tient aux solutions traditionnelles. Rien, lisez-moi bien, rien, aucun principe supérieur ou fondamental n’interdit à la France de légaliser et encadrer la GPA. Et c’est là que va naitre un problème : il y a des pays où la loi prévoit bien cette situation.

La GPA est en effet légale dans divers pays, notamment dans plusieurs États américains, l’Illinois étant réputé pour avoir la législation la plus libérale en la matière (elle permet la GPA rémunérée, demandée par des individus seuls ou des couples de même sexe, et l’adoption par les parents commanditaires est une simple formalité), et la GPA y est devenu un service comme un autre. Une intervention préalable du législateur est en effet indispensable pour résoudre préalablement les difficultés que pose cette pratique : quel est le statut de la mère porteuse (contrat de travail ? Prestation de service ?) Comment protéger chaque partie, et établir le lien de filiation avec les parents commanditaires, et la renonciation à ses droits par la mère porteuse ? Sans oublier les obligations réciproques des parties : aspects financiers (prise en charge des frais de santé, rémunération éventuelle de la mère), la femme porteuse doit-elle pouvoir garder l’enfant, comment se résout le conflit qui en résulte ? En cas de grossesse à risque qui prend et comment sont prises les décisions, etc. Sans oublier bien sûr la question de la GPA pour des couples d’hommes : possible ou pas ? La GPA doit-elle être réservée à des cas d’infertilité médicalement constatés comme la PMA, ou la GPA de confort doit-elle être admise ? Le débat est passionnant pour les juristes, et il devrait l’être pour les citoyens. Las. La France a choisi la facilité en interdisant tout cela d’un trait de plume et en se drapant dans des discours grandiloquents sur la marchandisation du corps, la location d’utérus, et l’enfant marchandise face à toute volonté d’ouvrir le débat. On l’a vu dans ces débats : les opposants au projet accusaient, faussement, les parlementaires de la majorité de vouloir légaliser la GPA, ce qui permettait de les accuser de tous les maux, le ridicule n’ayant pas arrêté tous les députés. Bref tout pour éviter une réflexion sereine, ce n’est vraiment pas à la mode ces temps-ci.

L’Illinois, la Californie, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada anglophone (le Québec nous a imité en interdisant la GPA) et la Belgique, pour citer quelques exemples, ne sont pas des terres de barbares et la civilisation n’a pas pris fin quand la GPA y est devenue légale. Elle est en effet la seule alternative en cas de stérilité absolue de la femme, ou de son impossibilité physiologique de mener une grossesse à terme, quand bien même elle produirait des ovocytes viables pouvant être fécondés par les spermatozoïdes de son compagnon : il faut que la grossesse ait lieu dans un autre utérus, lequel, en l’état actuel de la science, ne peut être que celui d’une femme. Refuser la GPA, c’est dire aux couples stériles : tant pis pour vous, je ne supporte pas l’idée que vous puissiez avoir un enfant autrement que comme moi j’ai été fait. Tout ça pour votre bien, et le bien de vos enfants qui grâce à moi ne verront jamais le jour. Elle est pas jolie ma bougie ?

Alors pendant qu’en France, on s’admire dans notre immobilisme, d’autres pays ayant compris que cette pratique n’est pas mauvaise en soi permettent d’y avoir recours, et les parents désespérés qui ont la chance d’avoir les moyens vont dans ces pays obtenir ce que leur pays leur refuse. Jusqu’à il y a peu, trois décisions de la Cour de cassation interdisaient de transcrire à l’état civil français les actes de naissance étrangers établissant un lien de filiation avec un enfant issu d’une GPA. Cas assez unique où on fait payer les enfants la faute supposée des parents (en considérant qu’ils serait fautif de faire en Californie ce que la loi californienne permet), au nom de l’intérêt des enfants, sous les applaudissements de la foule. La fameuse circulaire Taubira a mis fin à cette situation en demandant aux consulats étrangers d’enregistrer ces actes et en interdisant aux parquets d’engager les procédures en nullité de ces transcriptions. Je ne puis qu’applaudir. La situation précédente revenait à ce que des enfants aient, dans le cas le plus médiatisé, un acte de naissance californien indiquant que leur père était M. X, citoyen français (de fait il était biologiquement leur père) et leur mère, Mme Y, son épouse (sans lien biologique avec elles), mais pas d’acte équivalent à l’état civil français, ce qui compliquait chacune de leurs démarches et leur interdisait concrètement de se prévaloir de la nationalité française, qu’elles avaient pourtant en tant qu’enfant de Français. Que la Cour de cassation conclue que cela était parfaitement conforme à l’intérêt de l’enfant m’a toujours laissé songeur, et un peu tremblant à l’idée qu’elle était aussi la juge en dernier ressort de l’intérêt de mes enfants.

La situation actuelle est plus supportable, mais reste une tartufferie : cachez moi cette GPA que je ne saurais voir. Tôt ou tard, on ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la GPA, et que la loi, faute de pouvoir interdire et faire respecter cette interdiction partout sur Terre dès lors que cette pratique est légale ailleurs, l’encadre en France. Quand serons-nous assez mûrs pour cette réflexion, qui devra commencer par qualifier correctement les choses et cesser de parler hors de propos de location du corps humain ? Peut-être quand les enfants nés d’une GPA seront devenus si nombreux que nous ne pourrons plus feindre de ne pas entendre leurs rires ?

NB : Full disclosure : je n’ai jamais été avocat dans un dossier de transcription d’acte de naissance d’un enfant né par GPA et ne suis pas concerné par la GPA à titre personnel, j’ai fait mes enfants à l’ancienne. J’exprime ici une opinion strictement personnelle issue de ma seule réflexion.

Quid nunc ?

Dans une semaine environ, le Conseil constitutionnel va rendre sa décision sur la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Elle devrait passer sans dommages l’examen du Conseil et entrer en vigueur très vite, puisqu’aucun décret d’application n’est nécessaire pour cela, et les textes règlementaires que cette loi demande pour éviter toute difficulté et dire aux officiers d’état civil quoi faire sont déjà prêts. Des couples d’hommes et de femmes vont se marier, les premiers sous les caméras, les seconds dans la discrétion, les troisièmes dans l’indifférence, et la victoire de ceux qui ont voulu ce texte sera totale. Et nous pourrons enfin parler d’autre chose sur ce blog, ce qui sera fait très bientôt, l’actualité législative étant riche.

PS : vous m’avez manqué.

mardi 15 janvier 2013

Du mariage "pour tous" (1re partie)

“Even if I did hate gay people, I’d want them to get married, put them through the same hell the rest of us have to go through.”[1]
Mayor Randall Winston, in Spin City.


Le Gouvernement, conformément à une des promesses électorales du président Hollande, présente au Parlement un projet de loi dit “de mariage pour tous”, qui porte mal son nom puisqu’il n’oblige pas tout le monde à se marier. D’ailleurs ce n’est pas son nom officiel, c’est le nom que les communicants lui ont donné. Son vrai nom est projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, ce qui est l’avantage d’être plus clair puisque c’est exactement ce dont il s’agit.

Comme d’habitude, il est vain de vouloir comprendre un débat juridique sans commencer par ouvrir un livre d’histoire. Je ne dirai jamais assez combien ces disciplines sont cousines et n’exhorterai jamais assez les étudiants en droit à choisir les matières historiques, qui sont les seules dont le programme survivra intact à la décennie suivant votre départ de la fac.

Une brève histoire du mariage

Il est frappant de constater que le mariage est une des plus vieilles institutions de l’humanité avec la propriété. La liberté et l’égalité sont des bébés à côté : si elles sont pluricentenaires, le mariage, lui, est plurimillénaire. La preuve qu’il remonte aux tous débuts de l’humanité est qu’il existe dans à peu près toutes les cultures et les civilisations, avec les mêmes caractéristiques essentielles : il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme, exclusive (des cultures connaissent la polygamie, la polyandrie, ou l’éducation en commun des enfants, mais cela reste une exception dans l’histoire humaine), à durée indéterminée (mais qui prend fin avec la mort, c’est là aussi un point assez universel), dont l’objet essentiel est la reproduction, mais qui comporte aussi un aspect patrimonial certain : le mariage règle le sort des biens présents et à venir, leur gestion, et leur répartition à la dissolution du mariage.

Dans la Bible, la mention du mariage apparaît dès le chapitre 3 de la Génèse : les premiers époux sont Adam et Ève. Le mariage apparaît ainsi symboliquement en même temps que l’Humanité.

Pour prendre des sources plus séculières, le Code d’Hammurabi (1750 av; J.-C., avant l’âge du fer), remontant aux tous débuts de la civilisation babylonienne, et plus ancien texte juridique connu, consacre une bonne partie de ses développements au mariage, et notamment ses aspects patrimoniaux (§128 sur les effets d’un mariage passé sans contrat préalable par exemple). Mais on sait que le mariage était déjà une institution courante depuis un millénaire et demi, puisque Narmer, premier roi d’Egypte et fondateur de la Première Dynastie (3200 av. J.-C, on parle ici du néolithique) était marié à la reine Neithhotep.

Le mariage tel que nous le connaissons est l’héritier du mariage romain, mariage qui a lui-même connu bien des évolutions entre la Rome archaïque et le bas-Empire (on parle de plus d’un millénaire d’histoire). La Rome archaïque ne connaissait qu’une forme de mariage : le mariage cum manum (avec la main). La femme passait de la famille de son père à celle de son mari et elle perdait tout lien avec lui. Le pouvoir discrétionnaire de vie et de mort sur celle-ci passait également du père au mari. L’enlèvement des Sabines, mythe fondateur de Rome, illustre bien cette conception quasi-patrimoniale de l’épouse (il faut dire qu’à sa fondation, Rome tenait plus de la tribu barbare que de l’Empire rayonnant). Le mariage sin manum (sans la main) va apparaître et va finir par supplanter le cum manum : la femme reste dans la famille de son père, qui du coup a son mot à dire en cas de désir homicide du mari (ce pouvoir homicide disparaitra peu à peu, en se limitant d’abord à 4 cas, avant de disparaître purement et simplement), et quand le divorce va se libéraliser, la femme divorcée retournera dans la famille de son père. Ce lien durable entre deux familles est un des effets du mariage qui sera aussi recherché dans les familles puissantes ou riches : il scelle une union durable, qui prendra chair sous forme d’un enfant appartenant aux deux familles. Cet aspect sera particulièrement développé en Europe ou tout traité s’accompagnera d’une hyménée, ce qui remplacera avantageusement la tradition germanique des otages. Ainsi, les souverains des grandes puissances d’Europe qui mettront le continent à feu et à sang en 1914 étaient-ils tous cousins: Georges V était cousin germain du Tsar Nicolas II, et cousin du Kaiser Guillaume II, ayant la même grand-mère, la reine Victoria.

La grande évolution suivante du mariage sera dû à l’influence du christianisme, qui devient religion officielle de l’Empire à la fin du 4e siècle. Le mariage est un sacrement, il devient indissoluble sauf par la mort, et il est donné par chaque époux à l’autre, en présence d’un prêtre et in face ecclesiæ, en face de l’église. Le droit romain classique ne connaissait aucun formalisme au mariage : les époux cohabitaient et couchaient ensemble, ça suffisait ; le droit canon va exiger que le mariage soit célébré publiquement et en présence d’un prêtre, et sera consigné par écrit : c’est la naissance de l’état civil). Le même droit canon, qui va s’appliquer dans toute l’Europe jusqu’à la Réforme et dans les pays catholiques après cela, va exiger, à peine de nullité, que le consentement des époux soit sincère (le Sacrement ne peut être donné que de son plein gré et sincèrement), et que l’Union soit consommée et fertile. Le mariage a pour l’Église comme objet essentiel (mais certainement pas unique) la conception d’enfants.

La Révolution française va bouleverser tout cela en retirant à l’Eglise, soupçonnée d’être contre-Révolutionnaire (ce qui la rendra farouchement contre-révolutionnaire) le monopole du mariage en 1792, pour le confier à des officiers publics, et légalisant le divorce jusqu’à son abrogation en 1816 (NON, ce n’est pas Napoléon qui a abrogé le divorce, le Code civil de 1804 prévoyait bien le divorce). Mais cette sécularisation du mariage laissera perdurer des liens : ainsi, le droit civil exige une célébration publique du mariage, en présence d’un officier d’état civil (maire ou adjoint), et les prohibitions religieuses de l’inceste (prohibition du mariage entre proches parents, mais à un niveau moindre que pour le droit canon (3e degré au civil contre 4e pour le droit canon), et de la polygamie seront conservées, et même un rituel sera mis en place, la lecture d’extraits du Code civil remplaçant celle des Saintes Écritures. Le principe que le mariage civil doit précéder le mariage religieux sera posé en 1792 et perdure encore aujourd’hui (même si votre serviteur lui a fait un pied de nez en ne se mariant qu’à l’Église, et ce en toute légalité ; mon côté punk).

Soulignons dès à présent, car je vais y revenir, que le Code civil de 1804 ne mentionne pas l’identité des sexes des époux comme cause de prohibition du mariage. En 1804, il était évident que le mariage ne concernait qu’un homme et une femme (chabada chabada), et même Cambacérès, rapporteur du texte devant le corps législatif et homosexuel notoire, n’aurait pas eu l’idée qu’il en aille autrement.

Le divorce sera rétabli en 1884 par la loi Naquet, mais seulement pour faute. Détail amusant : cette loi sera durement combattue par les conservateurs, au nom de la défense de la famille : cette loi devait mettre fin à la natalité et entraîner le déclin inéluctable et la disparition de la France faute d’enfants (cette préoccupation à l’égard des enfants prendra tout son sens en 1914 quand éclatera cette guerre que ces mêmes conservateurs on préparé pendant 40 ans) . C’était surtout son caractère émancipateur de la femme qui dérangeait, car la femme obtenant le divorce aux torts exclusifs de son mari pouvait obtenir une substantielle compensation assurant son indépendance financière. De nombreux magistrats démissionnèrent pour ne pas avoir à appliquer cette loi, qui restera quasi inchangée pendant 90 ans.

En 1975, le divorce est élargi au consentement mutuel, et à la rupture de la vie commune, et la grande réforme de 2004 facilitera encore le divorce, sans le bouleverser en profondeur. Sachant qu’en 1975 a également été adoptée la loi sur l’IVG, les conservateurs n’ont pas passé une excellente année et devaient déjà considérer l’humanité comme perdue.

En 1999, la loi sur le PaCS créera une union civile allégée à côté du mariage, et consacrera l’existence du concubinage dans le Code civil, créant ainsi trois modes d’organisation de la vie commune ; du moins pour les coupes de sexe différent. Les couples homosexuels n’en ont que deux, et les deux moins protecteurs. La mobilisation contre sera là aussi très importante, avec les mêmes arguments : protection de la famille et du mariage, et surtout, surtout, pas d’homophobie, même si la, disons…spontanéité des manifestants met à mal cette profession de foi.

Quelques chiffres car il en faut

Aujourd’hui, plus de la moitié des enfants qui naissent en France naissent dans un couple non marié : en 2009, sur 801 134 enfants nés, 376 204 sont nés dans un couple marié, 424 930 sont nés dans le péché, soit 53%. Le rééquilibrage est spectaculaire pour le 2e enfant (57% naissent dans un couple marié) et quant au 3e, il nait à 71% dans une famille mariée. De fait, l’INSEE constate que l’enfant vient désormais avant le mariage.

Quant aux mariages, leur nombre n’a pas connu de variation sensible du fait du PaCS. Après avoir connu un pic dans les années 2000, le nombre de mariage est revenu à son niveau du début des années 90 (leur nombre annuel oscillant entre 250.000 et 290.000). Le nombre de PaCS a connu une progression constante est passé de 22 271 la première année (5412 de même sexe, 16859 de sexe opposé) à 205 558 en 2010 (9 143 de même sexe, 196 415 de sexe différent), soit quasiment le même nombre que les mariages. Le PaCS n’a donc pas diminué le nombre de mariages, mais a fourni un statut à des couples qui visiblement ne souhaitaient pas se marier, et la proportion des couples hétéros est largement supérieur à celui des couples homosexuels. La vraie victime du PaCS, c’est le concubinage, semble-t-il. Chiffres complets sur le site de l’INSEE.

La France a conservé, nonobstant ces variations, un taux de natalité élevé, de l’ordre de 2,1, le 2e d’Europe. La disparition de l’humanité, à commencer par le peuple français, ne semble donc pas à l’ordre du jour.

Une très brève histoire contemporaine de l’homosexualité

Oui, encore des prolégomènes, mais qui veut comprendre se condamne à apprendre. Celui qui veut vous faire peur a besoin de votre ignorance, cela explique l’absence de pédagogie sur ce texte de la part de ses adversaires (il en allait de même sur le PaCS en 1999).

Le Code pénal de 1810 ne connaissait aucun délit lié à l’homosexualité ni à des relations sexuelles “contre nature” comme les États-Unis ont pu en connaître (ce n’est qu’en 2003 que la Cour Suprême a interdit les lois pénalisant les relations homosexuelles librement consenties). Ce n’est qu’en 1942 qu’un délit va être créé frappant les relations homosexuelles consenties avec un mineur de 21 ans (comprenez : âgé de moins de 21 ans), alors que les relations hétérosexuelles avec un mineur sont légales dès l’âge de 15 ans), loi voulue par l’Amiral Darlan suite à un scandale dans la marine ; un fait divers, une loi est une vieille tradition. Ce délit sera conservé à la Libération jusqu’en 1982 (l’âge de 21 ans étant baissé à 18 ans en 1974 avec l’âge de la majorité civile).

La fin des années 70 est un tournant majeur. Le SIDA, qui ne porte pas encore ce nom, fait son apparition, poussant les homosexuels à s’organiser et se soutenir mutuellement, car à l’époque, la maladie, non traitée, peut tuer en quelques mois. C’est la naissance d’une conscience communautaire et d’une certaine solidarité. La première manifestation d’homosexuels a lieu le 4 avril 1981, à la veille de l’élection présidentielle, pour demander l’abrogation des délits discriminant les homosexuels (promesse de campagne du président Mitterrand). Ce sera fait en 1982.

La tragédie que sera le SIDA frappe durement les homosexuels, qui se trouvent confrontés aux conséquences dramatiques de l’absence de tout statut légal pour les unions homosexuelles : les legs faits au survivant sont frappés de 60% de droits de succession après un abattement de 1500€, il n’a pas de droit au maintien dans le logement, même s’il peut payer le loyer, et si rien n’a été prévu, le compagnon se retrouve sans droit à rien, et souvent la famille du décédé n’est pas vraiment très affectueuse et compréhensive.

Ces drames additionnés leur donneront l’énergie de ceux qui n’ont rien à perdre, et la revendication de la reconnaissance de leurs couples sera une constante.

En 1993, le Code de la sécurité sociale permet aux concubins homosexuels d’être ayant droit d’un cotisant, au même titre que les concubins hétérosexuels (ça paraît anecdotique aujourd’hui, ça ne l’était pas à l’époque).

En 1999, le PaCS est une demi-victoire. C’est une légalisation de l’union, avec des droits en cas de décès, mais ce n’est pas le mariage, nous allons voir la différence.

Vint alors la controverse de Bègles.

En 2004, le député maire de Bègles, Noël Mamère, décide de lancer un pavé dans la mare et de célébrer un mariage entre deux hommes. Son argument est que le Code civil ne pose nulle part la condition de différence de sexe, alors que les conditions de validité (absence de parenté, absence de mariage précédent non dissous, consentement) sont très clairement posées. Donc, le mariage homosexuel serait légal sans que nul ne s’en soit jamais avisé.

Le parquet s’opposera à cette célébration, mais le maire passera outre le 5 juin 2004, et le parquet assignera les époux devant le tribunal de grande instance pour faire annuler ce mariage. Le 19 avril 2005, la cour d’appel de Bordeaux confirmera cette annulation par un arrêt très précisément motivé, relevant que la rédaction de certains articles laisse entendre sans ambiguïté que le législateur n’a envisagé que l’union d’un homme et d’une femme (ce qui en 1804 était en effet probable), et que c’est au législateur de modifier cela, pas au juge de le faire par une interprétation renversant le sens même du texte, arrêt que la Cour de cassation approuvera le 13 mars 2007.

L’ouverture en 2008 de la possibilité de contester la constitutionnalité d’un texte par le biais d’une QPC ouvrira une nouvelle possibilité de recours qui sera promptement empruntée, et le Conseil constitutionnel se ralliera à cette position dans sa décision 2010-92 QPC du 28 janvier 2011. Le fait de réserver le mariage aux personnes de sexe différent n’est pas discriminatoire (ce qui est juridiquement exact : les homosexuels peuvent se marier entre eux, à condition d’être de sexe différent, même si cela gâche tout l’intérêt de la chose pour eux, tout comme deux hétérosexuels ne peuvent se marier entre eux s’ils sont de même sexe), et seul le législateur peut changer cela, le salut ne viendra pas du prétoire.

Et ce fut 2012 et l’élection de François Hollande, qui a fait de cette modification législative une de ses promesses de campagne. Voilà comment nous en sommes arrivés là.

Ces prolégomènes sont à présent terminés, mais aussi ce billet pour le moment, la suite sous (très) peu avec l’analyse de ce que dit, et surtout de ce que ne dit pas ce projet de loi.

Note

[1] Même si je haïssais vraiment les homosexuels, je voudrais quand même qu’ils puissent se marier, pour qu’ils connaissent l’enfer que nous vivons”

samedi 9 octobre 2010

Le tribunal correctionnel de Brest a-t-il violé la loi ?

Il y a une semaine de cela, la presse relatait une histoire sans intérêt hormis le fait qu’elle impliquait le réseau social Facebook, très à la mode actuellement, ce qui rendait cette histoire susceptible d’intéresser leurs lecteurs.

Pour faire court (je vais développer par la suite), un jeune homme état d’ivresse en Bretagne (where else ?) circule en voiture avec un ami. Cet ami conduit, ce qu’il ne devrait pas faire, puisqu’il fait l’objet d’une suspension du permis de conduire. Suspension compréhensible puisqu’il s’engage gaillardement dans un sens interdit, ce qui n’est pas bien, sous les yeux de gendarmes, ce qui n’est pas malin. Contrôle, immobilisation du véhicule, et notre dionysiaque bigouden léonard est rentré chez lui à pied, et une fois arrivé, sous le coup de la colère, a jeté quelques mots sur sa page Facebook exprimant son ressentiment à l’égard de la  maréchaussée bretonne.

Six mois plus tard – cela a son importance-, la gendarmerie découvrait à Plouzané, au rond point Kerdeniel (Ah, l’exotisme des noms bretons), une voiture accidentée et en flammes, dont la plaque d’immatriculation encore lisible a permis de découvrir qu’elle appartenait à notre héros. Ayant vainement tenté de le contacter, la gendarmerie a consulté sa page Facebook, accessible à tous (probablement en tapant son nom dans Google), et a découvert sa saillie éthylique. Elle a aussitôt exprimé la modération de son approbation de ces propos en allant arrêter ce jeune homme qui fut placé en garde à vue. Il était convoqué devant le tribunal pour outrage, et, n’ayant pas jugé utile de se présenter ou de se faire représenter par un avocat, a pris trois mois ferme.

J’ai aussitôt froncé les sourcils et haussé les épaules. J’ai pensé que l’affaire avait été mal relatée par la presse, comme cela arrive hélas trop fréquemment en matière de justice.

Jusqu’à ce que Rue89 publie de larges extraits de la décision. Et là, mea culpa, l’affaire semble bien avoir été correctement rapportée, ce qui me fait dresser les quelques cheveux qui me restent sur la tête. Je crains fort qu’emporté par son enthousiasme, le parquet n’ait poursuivi une infraction non constituée, et surtout, l’enthousiasme du parquet étant toujours communicatif quand aucun avocat n’est présent, que le tribunal ne l’ait suivi sur le chemin de l’illégalité.

Si je me trompe, je remercie mes lecteurs de pointer du doigt mon erreur ; si je ne me trompe pas, j’attire l’attention du parquet de Brest sur le fait qu’il peut encore faire appel lundi pour réparer sa bévue.

Voici en effet ce que nous apprend le jugement.

« Le 28 mai 2010 à 3 heures 40, les gendarmes de X étaient sollicités pour intervenir au rond-point de Kerdeniel à PLOUZANE où se trouvait un véhicule en feu et accidenté, abandonné sur place.

Le véhicule était identifié comme appartenant à M. X.

Sans nouvelles de l’intéressé, les enquêteurs consultaient le lendemain après-midi sa page Facebook et constataient la présence de la phrase suivante :

“ BAIZE LES KEPI NIKER VS MERE BANTE DE FILS DE PUTE DE LA RENE DES PUTE… NIKER VS MERE VS ARIERE GRAN MERE ET TT VOTRE FAMILLE BANDE DE FILS DE PUTE DE VS MOR ”

Après investigations poussées de votre serviteur, il s’avère que ce n’est pas du breton, mais bien du français. La frustration du scripteur l’a fait trébucher sur la syntaxe. On y perçoit en vrac une synecdoque par laquelle l’auteur en désignant le couvre-chef, se propose en fait d’avoir une relation sexuelle contre nature avec la personne située juste en dessous, sans solliciter son consentement, affirme que ceux qui portent ledit couvre-chef pratiqueraient l’inceste avec leur génitrice (ils seraient donc tous frères), qui se serait en son temps livrée à la prostitution, rencontrant à cette occasion une véritable reconnaissance par ses pairs, et cette activité professionnelle serait à l’origine de la conception des gendarmes en question. Les femmes de leur famille seraient en outre dotées d’une longévité exceptionnelle, ce qui permettrait aux activités incestueuses de sauter la barrière des générations. Ces relations consanguines seraient d’ailleurs étendues aussi aux collatéraux. L’invocation finale de la mort laisse le lecteur sur sa faim, tant elle n’apparaît guère en cohérence avec ce qui précède. On perçoit néanmoins le souci d’être désobligeant.

M. X entendu par les gendarmes le 4 juin 2010 leur donnait les explications suivantes : un ami à lui s’était fait contrôler sans permis et devait passer en comparution immédiate pour ces faits ; cela l’avait énervé ; il était ivre et avait écrit sur son Facebook la phrase précédemment citée ; il ajoutait qu’il devait regagner son domicile à bord du véhicule de son camarade, lequel avait emprunté un sens interdit et s’était fait arrêter par les gendarmes ; il s’était donc retrouvé au Faou sans chauffeur et à pied.

Il était convoqué à l’audience correctionnelle du 1er octobre 2010 par remise d’une convocation par officier de police judiciaire ; il ne se présentait pas à l’audience.

Le chef d’escadron Y, ès qualité représentant de l’ADM Brigade de Gendarmerie (Corps de soutien technique et administratif de la gendarmerie, NdA) se constituait partie civile et sollicitait l’allocation de la somme de 1 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi par l’institution qu’il représente. »

Le tribunal constate d’un simple phrase que le délit est constitué et reconnu par l’intéressé. Retenez bien cela, c’est ici que le tribunal se fourvoie, faute de discussion sur l’infraction. Je vais graisser le passage important de la suite.

« Attendu que M. X a déjà été condamné à une peine de 3 mois d’emprisonnement assorti du sursis par le Tribunal pour enfant de Brest le 9 décembre 2009 pour des faits d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique et refus d’obtempérer.

Attendu qu’il ne s’est pas présenté à l’audience pour s’expliquer sur les faits et qu’il n’a par ailleurs pas tenu compte de l’avertissement qui lui avait été donné il y a moins d’un an pour des faits de même nature.

Attendu qu’en tenant des propos outrageants à l’égard de la gendarmerie sur Facebook, facilement accessible à tous, il a gravement porté atteinte à la dignité et au respect dû à cette institution dont le travail quotidien s’exerce souvent dans des conditions difficiles.

Attendu que la présence à l’audience du chef d’escadron Y, Commandant de la Compagnie de Gendarmerie de…, démontre s’il en était besoin l’importance accordée par l’institution qu’il représente à ce type d’outrage dont elle a été l’objet de la part de M. X.

Qu’en conséquence, seule une peine d’emprisonnement ferme apparaît de nature à faire comprendre à M. X, quels que soient les mobiles avancés par lui, que l’on ne peut banaliser un tel comportement, surtout qu’il avait déjà été averti par la justice pour des agissements similaires. »

Par ces motifs, le tribunal prononce une peine de trois mois de prison ferme, et 750 euros d’amende.

Eh bien à la lecture de ce jugement, je puis affirmer que le tribunal s’est trompé lourdement, et qu’il aurait dû relaxer le prévenu. Pour une raison purement juridique.

L’outrage est défini à l’article 433-5 du Code pénal. Je graisse le passage important, vous allez tout de suite comprendre.

Constituent un outrage (…) les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Et oui. Non rendus publics. Et pourquoi ? Je suis sûr que mes lecteurs les plus anciens ont déjà deviné : parce que s’ils sont rendus publics, c’est une injure publique, relevant de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Et l’injure publique envers l’armée de terre, dont relève la gendarmerie, est punie de 12000 euros d’amende (article 33 de la loi de 1881), mais en aucun cas elle ne peut être punie de prison. Ce qui fait que par voie de conséquence, elle ne pouvait légalement fonder une garde à vue : article 67 du code de procédure pénale.

Mais enfin et surtout, la prescription de ce délit étant de trois mois (article 65 de la loi de 1881), et l’écrit litigieux ayant été découvert six mois plus tard, l’injure ne pouvait plus être poursuivie.

Le tribunal correctionnel de Brest aurait dû relever le caractère public des propos, qu’il constate pourtant dans son jugement en disant qu’ils étaient accessible à tous, constater que l’outrage n’était pas constitué, et qu’il n’était pas saisi de faits d’injure, qu’il ne pouvait requalifier hors la présence de prévenu, qu’en tout état de cause, l’action aurait été prescrite, et relaxer le prévenu.

Sauf à ce que quelqu’un m’explique en quoi je me suis trompé, si un magistrat ou un confrère brestois me lit, je l’invite à attirer l’attention du parquet sur cette décision de façon à ce qu’il interjette appel (le délai expire ce lundi 11). Je ne doute pas qu’il le fera. Aussi peu sympathique soit ce prévenu, s’il y a une chose que le parquet exècre plus que les jeunes imbéciles qui outragent simultanément la gendarmerie et la langue françaises, c’est les décisions de justice illégales.

Surtout s’il en est à l’origine.

vendredi 30 avril 2010

L'interdiction de la burqa dans l'espace public

Semaine burqa, désolé pour mes lecteurs, car j’ai parfaitement conscience de rentrer dans le jeu d’une opération de com’ gouvernementale. Mais le débat a lieu, et j’ai la faiblesse de penser que ma contribution, heureusement améliorée par les commentaires éclairés de mes lecteurs, peut y contribuer de façon modératrice.

Le gouvernement a fait connaître la teneur du futur projet de loi, qui sera très court (deux articles, vous voyez, quand il veut, il peut), et pénal.

L’article premier disposerait (et non stipulerait, lu dans un dépêche Reuters, terme réservé aux contrats et traités internationaux) que nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage, sous peine d’une amende de deuxième classe (150 euros max, 35 euros si on lui rend applicable la procédure d’amende forfaitaire). La peine complémentaire du stage de citoyenneté (131-16, 8°) est prévue pour cette contravention.

L’article 2 punirait celui qui impose le port d’un tel vêtement (je n’ai pas hélas la partie de l’article qui définit le vêtement, c’est pourtant une partie intéressante) par la «violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité», d’une peine de prison jusqu’à un an et 15 000 euros d’amende.

Le Figaro rapporte les propos suivants du rédacteur du projet de loi. Je crois qu’ils se passent de tout commentaire. Mais ce n’est pas une raison pour que je me retienne.

«Au nom des principes, nous avons opté pour une interdiction totale, explique un des rédacteurs du projet. Mais nous avons décidé des peines légères, car ces femmes sont souvent victimes.»

C’est une nouveauté : désormais, on punit les victimes. Mais d’une peine modérée, hein, on n’est pas des barbares non plus.

Sur la peine d’emprisonnement prévue pour le délit de port imposé du niqab :

[c’est une peine] «qui clarifie notre intention: cette loi n’est pas faite pour protéger la société française de l’islamisme mais bien les femmes et leurs droits».

Autre nouveauté : on peut mettre des gens en prison pour clarifier l’intention du gouvernement. Tant il n’est rien de pire en République qu’un malentendu.

Et là, un prix Busiris qui se perd, puisqu’on ne peut le décerner à un anonyme :

Le gouvernement n’a pas souhaité clarifier plus avant les bases de l’interdiction, qui repose implicitement sur la dignité ou encore ce que le Conseil d’État dans son étude avait appelé l’«ordre public immatériel», qui intègre la protection des valeurs de notre société.

«De toute façon, le Conseil d’État n’a trouvé aucun motif qui permette, selon lui, l’interdiction totale. Donc nous ne sommes pas étendus sur les fondements», résume un des auteurs du projet de loi.

Les bras m’en tombent. “C’était trop compliqué de rendre légal notre projet, alors on s’est dit : on s’en fout”.

Décidément, la politique est un monde qui m’est par trop étranger. Retournons vite faire du droit.

Sur ce projet de loi, tout d’abord.

Dès l’article premier se pose un problème constitutionnel. Ce n’est pas à la loi de prévoir des contraventions, qui relèvent du domaine réglementaire, c’est à dire du décret. On ne respecte pas la hiérarchie des normes. Dans ce cas, ce n’est pas trop grave, la constitution prévoit une procédure pour que le Conseil constitutionnel requalifie les dispositions législatives en dispositions réglementaires, qui peuvent dès lors être abrogées ou modifiées par un décret (art. 37 al. 2 de la Constitution). C’est comme ça que l’article de loi vantant le rôle positif de la colonisation avait été enterré sans fleur ni couronne. Mais qu’on en appelle la voix vibrante aux valeurs de la République et que dès l’article premier, on s’essuie les semelles sur la Constitution me paraît peu cohérent.

Ensuite, cet article premier crée un nouveau concept, qui va donner lieu à controverse : celui “d’espace public”. Qu’est-ce que c’est, où commence-t-il, ou finit-il ? Il exclut le domicile familial, c’est à peu près la seule certitude qu’on peut avoir. Ça tombe bien, c’est le seul lieu ou le port du niqab ne s’impose pas, sauf visite d’un homme extérieur à la famille proche.

L’article punit toute tenue “destinée à dissimuler le visage”. Donc une tenue qui dissimule le visage sans que cela soit sa destination, mais une conséquence accessoire, n’est pas concernée. Cela va donner lieu à des controverses byzantines. Les casques intégraux des motards ne sont pas concernés, de même que les masques anti-viraux, que Mme Bachelot se rassure. Ils dissimulent certes le visage, mais ce n’est pas leur destination. En revanche, tombent sous le coup de la loi les femmes portant le niqab ou la burqa, ainsi que les touaregs portant le chèche, les clowns et Lady Gaga.

L’article 2 instaure un délit. Nous sommes bien dans le domaine de la loi. Ça ne veut pas dire qu’il ne pose pas de problème, vous allez voir.

Il punit celui (ou celle, mais on se comprend, hein) qui impose le port d’un vêtement destiné à dissimuler le visage par “la violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité”.

Je voudrais dissiper un malentendu, tant le gouvernement a l’air pointilleux sur ce point. Le fait d’user de violence ou de menace à l’encontre d’autrui, surtout si c’est sa compagne ou son épouse, est déjà puni par la loi. Et plus sévèrement.

La loi punit ainsi les violences commises sur son conjoint (ou sa maîtresse si on habite à Nantes) même si elle n’ont pas causé d’incapacité totale de travail (des violences verbales suffisent) de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende : article 222-13, 4bis° du code pénal.

De même, la menace de commettre des violences est punie des mêmes peines quand elle est faite avec l’ordre de remplir une condition (“porte le niqab” -condition- “ou je t’en colle une” -menace de violence), peines portées à 5 ans et 75 000 euros quand il s’agit d’une menace de mort. Article 222-18 du code pénal.

Vous vous souvenez de la règle “les lois spéciales dérogent aux lois générales” ? Mais si, c’est la règle qu’invoquent les parquetiers pour expliquer que la détention provisoire est possible en cas de comparution immédiate même pour des peines encourues inférieures à trois ans. Eh bien en appliquant la même logique, le fait de battre sa femme ou de la menacer de mort pour qu’elle porte la burqa sera moins sévèrement réprimé que si c’était parce que le couscous a été fait avec du poulet (ce qui convenons-en est une abomination).

Le législateur n’a rien appris de la loi sur l’inceste.

Restent deux hypothèses, l’abus de pouvoir ou d’autorité.

Nouveau problème. Depuis 1965, l’époux n’a plus ni pouvoir ni autorité sur son épouse. Les époux sont strictement égaux en droit. Donc l’époux n’a ni pouvoir ni autorité dont il pourrait abuser. L’autorité morale qui lui reconnaitrait son épouse en vertu de ses croyances religieuses ne constitue pas l’autorité prévue par la loi, les croyances religieuses ne pouvant pas avoir de conséquences, positives ou négatives, sur l’application de la loi pénale. Laïcité oblige.

On a donc un article qui allège la répression dans deux cas, et en crée deux inapplicables. De la bien belle ouvrage. On se prend à rêver de ce qu’aurait été un article 3.

jeudi 25 mars 2010

On ne répond pas aux questions qu’on se pose pas.

Par Sub lege libertas


Il n’y a pas mieux qu’un prétoire pour fantasmer sur la société et ses maux. D’ailleurs le café du commerce, qui en est le miroir aux suspensions d’audience, se remplit de ces brèves de sociologie judiciaire, de ces « faits » zemmouriens.

N’y voit-on que ce qu’on regarde, comme le demande Maître Eolas ? Importe-il tant d’analyser ce qu’on vient y regarder, même pour dissiper des illusions d’optique qui grossiraient l’importance de la couleur de la peau alors que la faiblesse des ressources serait un critère plus pertinent pour expliquer la présence sur le banc des prévenus de tel ou tel ? Et s'il valait mieux fermer les yeux, sortir des choses vues, pour s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu ? Alors les réponses différeraient.

Tentons l’expérience, en décentrant le débat des vaguement désignés “trafiquants” vers les agresseurs sexuels sur mineurs au sein de leur famille, les nouveaux monstres actuels, les « pédophiles incestueux ». Au quotidien dans ma région septentrionale, on ne voit guère dans le prétoire, accusés de ces choses, ni moult bons bourgeois, cadres dynamiques à la peau qui craint le soleil plus rare sous ces latitudes, ni d’ailleurs de nombreux méditerranéens du sud, ni de cohorte de sub-sahariens. Est-ce un « fait » qu’au Nord, seul le petit blanc inactif, alcoolique et pauvre soulage sa misère sexuelle sur sa progéniture ? On le lisait certes dans les tribunes du Parc des Princes, mais...

Et si la question n’étaient pas : “le maintien de structures familiales traditionnelles et d’interdits religieux forts quant à la sexualité et la consommation d’alcool diminuent fortement la prévalence du risque incestueux dans les familles issues de l’immigration maghrébine ou d’Afrique équatoriale ?” Des sociologues ou démographes ne rappellent-ils pas que le plus souvent, l’émigration vers l’Europe déstructure le tissu familial et s’accompagne aussi rapidement de l’adoption de comportements similaires à ceux des populations du pays d’accueil, à supposer d’ailleurs que cette acculturation n’a pas déjà eu lieu en grande partie dans le pays d’origine, ouvert aux cultures occidentales par l’effet de la mondialisation ?

Et si la question n’étaient pas non plus : “est-ce que la promiscuité, conséquence d’une précarité sociale plus accrue dans les bassins de population septentrionaux, fortement touchés par le chômage structurel de masse, favorise l’inceste dans des familles nombreuses recomposées au sein desquelles le désœuvrement alcoolisé et la déshérence des schémas familiaux traditionnels émoussent le sens moral ? ”.

Si les questions étaient :

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car dans ce type de milieu, l’enfant abusé sur-couvé dans la famille aurait moins d’interlocuteurs pour l’écouter, contrairement aux familles pauvres ou précaires très suivies par les services sociaux ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car un travailleur social ayant une suspicion se rassurerait plus facilement au sujet la situation de malaise de l’enfant, grâce à l’explication fournie par le parent agresseur sexuel maîtrisant bien l’art de conversation et ayant une image de notable ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car le mal être de l’enfant ferait l’objet par la famille d’une prise en charge par un psychologue, qui pourrait voir dans les dires de l’enfant un récit fantasmatique des relations familiales et conseiller une orientation vers le médecin de famille pour une prise de psychotrope ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car si l’enfant abusé en devient agressif à l’égard d’autrui ou de lui-même, ses parents le feront hospitaliser dans le meilleur service d’une clinique psychiatrique recommandé par relations familiales ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent entre soi ?
— Voit-on dès lors moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent aussi entre soi, qu’éventuellement la menace d’un « renvoi au pays » de l’enfant qui viendrait à s’en plaindre suffit à maintenir le silence pour cet enfant dont toutes les attaches sont sur notre sol où il est né ?

— Voit-on d’ailleurs un(e) jeune maghrébin(e )ou africain(e) abusé(e) dont les parents sont en situation irrégulière, comme lui /elle le cas échéant, aller porter plainte, alors qu’on a encore récemment vu récemment qu’une jeune adulte scolarisée et battue par son frère a bénéficié en s’en plaignant d’un vol affrèté par le ministère préféré de ce blog ?
— Voit-on aussi moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car le repli sur soi de certaine de ces familles peu insérées quoiqu’acculturées, mais sollicitant donc peu les services sociaux, contribue paradoxalement à enclore l’enfant dans son silence comme un fils ou une fille de la bourgeoisie ?

Et si je pose ces questions, ce n’est pas que la réponse est « c’est un fait ». Ce ne sont qu’hypothèses à vérifier, qui plus est sur des situations rarement observées ou observables par le magistrat, rapportées à la quantité de celles qu’il lui est donné de voir. Mais ces questions, le magistrat du parquet ne se les pose guère quand il traite journellement sa pile de signalement de suspicion de faits incestueux transmis par les services sociaux et concernant d’abord des familles précaires usagers de ce type de structures.

Dès lors la question ne pourrait-elle pas devenir cyniquement au sujet de ces pédophiles incestueux potentiels qu’on ne voit pas en correctionnelle :

— Faut-il que je saisisse la Brigade des mineurs du Commissariat du centre ville pour mener d’initiative une enquête du chef de non dénonciation de crime ou délit d’atteinte à l’intégrité corporelle et atteintes sexuelles aggravées, en entendant tous les élèves de l’Institut *** qui ne m’a jamais adressé en cinq ans le moindre signalement concernant ses pensionnaires ?
— Si je ne le fais pas alors que la rumeur, c’est à dire une personne digne de foi désirant garder l’anonymat comme le noteraient les policiers, ou un courrier anonyme reçu opportunément le rapporte, est-ce parce que « sociologiquement » ce type de faits se déroulent plus souvent dans d’autres milieux ?
— Et si je le fais et que l’enquête ne prouve rien, pourrai-je conclure que la « pédophilie incestueuse » se manifeste essentiellement dans les famille pauvres, « c’est un fait » ?

Ce que traite la justice pénale n’est pas un miroir de la société, c’est une effraction du regard collectif sur... ses marges.

Alors reprenons les « trafiquants » zémmouriens « factuellement » noirs ou arabes. Comprenons d’abord qu’il s’agirait de trafiquants de stupéfiant, et que le chroniqueur semble d’ailleurs plus désigner le dealer de rue qui aurait vocation à être repéré ou contrôlé facilement par la police en patrouille, plus que le chef de réseau propriétaire de six immeubles de rapport, ayant huit sociétés immatriculées au registre du commerce avec pour gérant sa femme, sa mère, ses filles et cousines, le tout servant au blanchiment de l’argent du trafic. Remarquons d’ailleurs, pour désespérer E. Zemmour, que celui-ci aussi, qui a l’air très organisé, peut être un maghrébin ou un africain, le monopole de l’intelligence - fût-elle dévoyée - n’étant pas réservé au petit blanc de banlieue devenu éditorialiste.

Alors quelles sont quelques unes des questions auxquelles on ne répond pas, si l’on se contente d’observer avec l’avocat général Bilger que les dealers de rue fréquentant la correctionnelle à Paris seraient souvent des noirs ou des arabes, ou des pauvres dans l’approche eolassienne :

— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car fournissant des clients de leur milieu, ils se donnent rendez-vous, non sous le nez de la police, Place Stalingrad sur laquelle ils zoneraient camés, mais à l’hôtel particulier de la famille dans une Cité privée de Passy où l’on entre au volant d’une voiture luxueuse après avoir indiqué au vigile discret le nom du propriétaire auquel on rend visite ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car opérant en appartement dans les beaux quartiers, loin de vivoter uniquement de leur deal avec comme ressource officielle au mieux le R.S.A., leur petit commerce est une récréation lucrative parallèle à une activité légale ou une visibilité sociale qui ne les rend pas suspect ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle car je n’ai pas souvenir, à l’époque lointaine où j’y vivais, que le préfet de police de Paris sollicitât beaucoup de réquisitions de contrôles d’identité à la sortie des établissements de nuit sis dans les rues adjacentes aux Champs Elysées ou du côté du Polo de Bagatelle ou du Tir au pigeon, de sorte que les consommateurs de produits stupéfiants invités par les services de police à indiquer leur fournisseur sont plutôt ceux qui se fournissent chez Momo fiché à la police et opérant à la Porte de la Chapelle ?

Il est temps que pour parler de notre société nous en quittions le spectacle, fût-il judiciaire. Ou s’il l’on veut parler de notre société au travers de ce prisme, que n’interroge-t-on pas le spectacle judiciaire sur ce qu’il ne représente pas ?

Alors honte sur nous non à cause de ceux qui sont attraits en justice et peu me chaut leur couleur de peau. Mais le règne de la loi ne garantit notre liberté que si nous y sommes tous soumis à égalité. Honte sur nous pour ceux-là seuls que l’on se garde de conduire devant leurs juges. Et « c’est un fait », il y en a.


Je ne recevrai pas de commentaires. Le débat avec le maître des lieux se poursuivra sous son billet, qui précède, en cliquant là !

dimanche 28 février 2010

Les PG flingueurs

Par Gascogne et Eolas (très aidés par un certain Monsieur Audiard)


Suite au changement de loi concernant la procédure pénale, la Ministre de la Justice de Framboisy madame Chimère Mariole-A-Ri, apprend que, conformément au texte (« Si la chancellerie s’aventurait à donner des ordres de non-poursuites d’une affaire, le procureur général (PG) - qui est nommé en conseil des ministres - pourrait s’y opposer. De même, le procureur pourra s’opposer à des instructions qui seraient “contraires à la recherche de la vérité” de son PG. Un substitut pourra agir de même à l’égard de son procureur », selon Le Monde.), un procureur, nommé Gascogne, à choisi de désobéir et de poursuivre des siens amis. Furieuse, elle se rend au tribunal du magistrat, accompagnée de son procureur général Sub Lege, bien décidée à régler ses comptes. La joyeuse équipe arrive, alors que les magistrats et avocats locaux sont en plein buffet de l’audience solennelle de rentrée.

Dans la salle des pas perdus


MAITRE EOLAS : Charmante soirée, n’est ce pas ? Vous savez combien ça va nous coûter ? 200 dossiers d’AJ. Tarif 2010.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE, jetant un œil aux procédures d’amendes forfaitaires : Y’en a qui gaspillent, et y’en a d’autres qui collectent … Hein ? Qu’est ce que vous dites de ça ?
 
LE JUGE PAXATAGORE, pensif près du buffet : Faudrait encore des dossiers en CRPC, ils partent bien ceux-là.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE,  tendant un gros sac à Maître Eolas : Voilà vos copies de pièces en retard … et avec quelques unes en avance en plus. (Maître Eolas avise un trou dans la robe du procureur Gascogne) La ministre et le proc’ général ont essayé de flinguer mon juge d’instruction, oui, maître.
 
MAITRE EOLAS : Ce n’est pourtant pas leur genre.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Et ben ça prouve qu’ils ont changé de genre. Voilà.
 
LE JUGE PAXATAGORE, sortant d’une boîte à biscuit un code de procédure pénale 2010 : Quand ça change, ça change, faut jamais se laisser démonter.
 
MAITRE EOLAS :Vous croyez qu’ils oseraient venir ici ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Les politiques ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît.
 
La ministre et le procureur général entrent au tribunal.


LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : T’es sûre que tu t’es pas gouré de crèche ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI: J’me goure jamais, en rien.
 
FANTOMETTE, les accueillant à la porte en titubant (de joie) : Bonjour, justiciables. Avocat choisi ou commis d’office ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Rien !
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Si c’est notre budget qu’ils sont en train d’arroser les petits comiques, ça va saigner ! … Dites donc mon brave.
 
LE JUGE PAXATAGORE : Madame ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Il est là, l’taulier ?
 
LE JUGE PAXATAGORE : Qui demandez-vous ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Le procureur Gascogne.
 
LE JUGE PAXATAGORE : Le procureur Gascogne… ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : … Gascogne l’emmerdeur, Gascogne le malhonnête, c’est comme ça que j’l’appelle moi.
 
LE JUGE PAXATAGORE : Ah, lui. Si ces messieurs-dames veulent bien me suivre …
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Et comment. (au procureur général) Alors, tu viens dis !
 
LE JUGE PAXATAGORE,indiquant la salle des pas-perdus : Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer.
 
 
Dans la salle des pas-perdus



LA MINISTRE MARIOLE A RI : Bougez pas ! Les mains sur la table. J’vous préviens qu’on a la puissance politique d’un Taser® et des députés de calibre 49-3. L’IGSJ est avec nous.
 
LE JUGE PAXATAGORE, dégainant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : Si ces messieurs-dames veulent bien me les confier…
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Quoi ?
 
LE JUGE PAXATAGORE : Allons vite, quelqu’un pourrait venir, on pourrait se méprendre, et on jaserait à Strasbourg. Nous venons déjà de frôler l’incident avec l’arrêt Medvedyev.
 
Le ministre et le procureur général, tout penauds, remettent leurs instructions écrites et leurs projets de loi à Maître Eolas.

LE PROCUREUR GASCOGNE, au ministre : Tu sais ce que je devrais faire ? Le tweeter, rien que pour le principe …
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Tu ne trouves pas que c’est un peu trop fréquenté ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : (Au ministre) J’te disais que cette démarche ne s’imposait pas. (Au procureur) Au fond maintenant, les diplomates prendraient plutôt le pas sur les hommes d’action. L’époque serait aux tables rondes et à la détente. Hein ? Qu’est ce que t’en penses ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : J’dis pas non. (Il s’assoit et commence à trier des procédures arrivées au courrier)

LA MINISTRE MARIOLE A RI : Bé dis donc, on est quand même pas venu pour faire du chiffre ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Pourquoi pas ? Il n’y a plus de substitut placé pour ça. Au contraire, les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse. Surtout lorsqu’elles constituent le premier pas vers des condamnations fructueuses. Hein ? … (Maître Eolas lui donne une pile de dossiers) Merci.
 
Les yeux du ministre sont attirés par un exemplaire du Rapport Léger trainant sur la table, ouvert à la page suppression du juge d’instruction).

LE PROCUREUR GASCOGNE : Maître Eolas, vous avez oublié de planquer les motifs de fâcherie.
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Oh, procureur Gascogne…
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Tu connais la vie monsieur Sub Lege…. Mais pour en revenir au travail manuel, ce que vous disiez est finement observé. Et puis, ça reste une base.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ça, c’est bien vrai. Si on connaissait mieux la réalité du terrain, on aurait moins souvent la tête aux bêtises.
 
Fantômette fait irruption en titubant (de fatigue) dans la salle des pas-perdus …

FANTOMETTE : Bonjour. Mais il est où le juge Paxa ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Qu’est ce que vous lui voulez ?
 
FANTOMETTE : Y’a plus de prévenus au dépôt et y’a plus de mises en examen !
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Maître Eolas, donnez lui des CI, allez …
 
FANTOMETTE : Pas d’AJ ! Des prévenus solvables ! Vos CI vous pouvez vous les…
 
MAITRE EOLAS :… Allons cher confrère ! Monsieur le procureur Gascogne vous dit qu’il n’y a plus que des compas, un point c’est tout.
 
FANTOMETTE : Vous n’avez qu’à m’en donner, en me recommandant à vos clients… (elle tend la main vers les dossiers de Maître Eolas)

MAITRE EOLAS : Touche pas au grisby, salope !!
 
Elle ressort en titubant (de surprise).

LE PROCUREUR GENERAL : Des clients persos, à c’t’âge là !
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : C’est un scandale hein ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Nous par contre, on est des adultes, on pourrait peut être se faire un petit dossier médiatique ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Ça, le fait est. Maître Eolas ?
 
MAITRE EOLAS : Seulement, le tout-venant a été piraté par les mômes commis d’office. Qu’est ce qu’on fait, on s’risque sur le bizarre ? (Il sort un dossier de la nouvelle loi sur l’inceste). Les faits datent des années 80. Ça ne va rajeunir personne.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ben nous voilà sauvés !
 
MAITRE EOLAS : Sauvés… Faut voir.
 
LE JUGE PAXATAGORE, de retour d’audience, avisant le dossier : Tiens, vous avez sorti le formol ?
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Pourquoi vous dites ça ?
 
MAITRE EOLAS, goguenard : Eh ! (Il lui tend un PV d’audition du prévenu)

LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Il a pourtant un air honnête.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Sans être franchement malhonnête, au premier abord, comme ça, il a l’air assez curieux.
 
MAITRE EOLAS :Il date du Périgourdin, du temps des grandes heures ; seulement on a dû modifier la fabrication des magistrats depuis, y’a des piou-pious qui devenaient indépendants. Oh, ça faisait des histoires.
 
Ils lisent le Code pénal actualisé de la loi sur l’inceste, sur la répression des violences de groupe et sur la prévention de la récidive criminelle (trois lois votées en moins d’un mois)

LA MINISTRE MARIOLE A RI : Faut reconnaître, c’est du brutal !
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE : Vous avez raison, il est curieux hein ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : J’ai connu un roi de Pologne qu’en promulgait des pareils au petit déjeuner.(Un temps de réflexion) Faut quand même admettre que c’est plutôt un Code gaulois. (Il tousse)

Ils continuent à lire.

LA MINISTRE MARIOLE A RI : Tu ne sais pas ce qu’il me rappelle ? C’t’espèce de drôlerie qu’on instruisait dans une petite taule du Ch’Nord, pas tellement loin d’Hazebrouck. Les codes rouges et la taulière, une blonde komac. Comment qu’elle s’appelait, non de dieu ?
LE PROCUREUR GASCOGNE : Lulu la nantaise.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : T’as connu ?
 
LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE, le nez dans le Code : J’lui trouve un goût de démagogie.
 
MAITRE EOLAS : Y’en a.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI,continuant sa discussion avec le procureur Gascogne : Et bien c’est devant chez elle que Clems le cheval s’est fait dessouder.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Et par qui ? Hein ?
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ben v’la que j’ai pu mon CASSIOPEE.
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Par Ed, un fondu qui travaillait qu’à la dynamite.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Toute une époque !
 
MAITRE EOLAS, perdu dans ses pensées : D’accord, d’accord, je dis pas qu’à la fin de sa carrière, Anatole, il avait pas un peu baissé. Mais n’empêche que pendant les années terribles, sous Besson, il faisait sauter des procédures à tout va. Il a quand même vidé tout un centre de rétention.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI : Ah ? Il était avocat?
 
MAITRE EOLAS : Non, JLD. Soit à c’qu’on t’dit !
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI, fondant en sanglots : J’ai plus ma tête …
 
MAITRE EOLAS : Il avait son secret, le loup.
 
LA MINISTRE MARIOLE A RI (se lève précipitamment) : C’est où, le dépôt ?
 
LE JUGE PAXATAGORE : A droite, au fond du couloir.
 
MAITRE EOLAS, visiblement ému : Et … Et … Et … une ramette de 500 pages, une cartouche de toner, il te sortait 250 refus de maintien en rétention ; un vrai magicien, Anatole. Et c’est pour ça que je me permets d’intimer l’ordre à certains préfets salisseurs de réputation qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde ! (Il regarde en coin le reste des convives pour juger de l’effet de sa plaidoirie)

LE PROCUREUR GENERAL SUB LEGE, toujours dans son Code : Vous avez beau dire, y’a pas seulement que de la démagogie, y’a autre chose. Ce serait pas des fois de l’amateurisme ? Hein ?
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Si, y’en a aussi.
 
Un peu plus tard ; maitre Eolas s’est endormi pendant la lecture d’un assommant rapport de synthèse. On pose le tome 2 sur la table.

LE PROCUREUR GASCOGNE, repoussant le dossier en soupirant : J’prendrais bien quelque chose de consistant moi !
 
LE MINISTRE MARIOLE A RI, revenant dans la salle des pas-perdus : Dis donc, elle est maquée à un jaloux la Fantômette ? Je faisais un brin de causette, le genre réservée —tu me connais : j’suis pas celle d’avant. V’là tout à coup qu’un p’tit chroniqueur judiciaire est venu me chercher ! Les gros mots : « indépendance de la justice », « secret professionnel », « droits de la défense » et tout !
 
LE PROCUREUR GASCOGNE : Quoi ! Monsieur Specq ! Ça suffit pas de lui faire franchir les portes du prétoire, faut p’t’être le faire passer au travers !
 
LE JUGE PAXATAGORE, philosophe : Je serais pas étonné qu’on ferme notre tribunal…

mardi 9 février 2010

La loi sur l'inceste est publiée au JO

Alea jacta est.

La loi sur l’inceste dont je vous parle dans mon billet précédent est publiée au JO de ce jour, et est ainsi devenue la loi n°2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux (NOR: JUSX0908032L ).

Elle entre donc en vigueur demain mercredi à zéro heure.

À vos conclusions, chers confrères.

(PS : Merci à Bartabas de me l’avoir signalé).

lundi 8 février 2010

Un nouvel exemple de malfaçon législative

Mon excellent confrère, tellement excellent qu’il mériterait d’être parisien, Maître Mô a levé un lièvre qui, si je ne partage pas ses conclusions fort pessimistes (mais optimistes pour certains de nos clients) révèle sans nul doute un nouveau cas spectaculaire de malfaçon législative, encore plus beau que l’abrogation de la dissolution pouvant frapper la Scientologie sans que personne ne le remarque.

Tout a commencé quand madame Marie-Louise Fort, député UMP de la 3e circonscription de l’Yonne (Sens et alentours) s’est avisée avec horreur et stupéfaction que le code pénal ne contenait pas le mot « inceste ». Entendons-nous bien. Il réprime effectivement l’inceste, et ce depuis sa première édition en 1810, mais n’utilise pas ce mot, préférant le très juridique terme de viol ou agression sexuelle “aggravé par la qualité de son auteur d’ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime”, et le cas échéant la minorité de 15 ans de la victime, même si le cumul de ces circonstances n’aggrave pas la répression (20 ans de réclusion criminelle sont encourus pour le viol aggravé, la loi réservant le degré au dessus, 30 ans de réclusion, si le viol a entraîné la mort de la victime sans intention de la donner, et la perpétuité quand le viol est accompagné de tortures et actes de barbarie) : art. 222-24 du Code pénal.

Marie-Louise Fort a donc rendu un rapport déposé en janvier 2009 (pdf), reprenant largement les conclusions d’un précédent rapport du député Christian Estrosi.

Oui, Christian Estrosi, je sais.

En voici des extraits choisis.

Premier temps : quoi de mieux pour aveugler le législateur que de noyer ses yeux de larmes ?

Maire de Sens, j’ai été confrontée à la situation particulièrement douloureuse et émouvante de victimes d’inceste luttant pour « recouvrer la vie ». Les accompagner a été pour moi l’occasion de mesurer le poids du tabou qui les écrase en même temps que leurs proches.

Déjà, quand un député commence à parler de lui sous prétexte de parler des victimes dès le premier paragraphe de son rapport, on peut craindre le pire. Surtout quand il ajoute :

Enfin, la dernière phase de la mission a été un temps de réflexion et de synthèse. Car travailler à lutter contre l’inceste est humainement ébranlant et philosophiquement questionnant. (sic.)(Rapport, page 3).

Moi, c’est la syntaxe que je trouve questionnante philosophiquement.

Et en effet, la catastrophe est annoncée dès la page 11 :

La présente mission, considérant que l’inceste n’est pas seulement la circonstance aggravante d’un viol ou d’une autre agression sexuelle mais aussi un élément constitutif de ceux-ci, suggère pour sa part d’intégrer la notion de l’inceste aussi dans la définition de ces infractions.

ceci étant justifié par l’argument hautement juridique suivant :

La mission souhaiterait rappeler que la loi a le pouvoir de casser le tabou en le nommant.(rapport, p.12)

La loi-Brice de Nice, en somme.

Pourquoi, une catastrophe ?

Parce que la loi n’est pas une psychothérapie à portée générale. Elle doit poser des règles, qui s’inscrivent dans un ensemble de règles préexistant, dans lequel elles doivent s’insérer sans dommage pour l’édifice. C’est du travail de précision.

Et un point fondamental du droit pénal est qu’un élément constitutif d’une infraction ne peut être en même temps une circonstance aggravante de cette infraction.

Ainsi, le code pénal définit des infractions de base, dites simples. Si elles sont commises dans certaines circonstances énumérées par la loi, elles deviennent aggravées, et la peine encourue est plus élevée. Certains variantes de l’infraction peuvent être tellement spécifiques qu’elles font l’objet d’une définition autonome : on parle alors d’infraction qualifiée.

Prenons l’exemple du vol.

Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. C’est l’art. 311-1 du Code pénal qui pose la définition. Ce vol est le vol simple. L’élément matériel est l’appréhension de la chose, qui suppose que l’auteur s’en saisisse physiquement (pirater votre compte PayPal n’est pas un vol, mais une autre infraction, selon la méthode employée). L’élément moral est la conscience que la chose appréhendée ne nous appartient pas, peu importe qu’on sache à qui elle est : il suffit qu’on soit certain qu’elle n’est pas à nous.

Le vol est puni de trois ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende : art. 311-3 du code pénal.

L’article 311-4 du Code pénal prévoit toute une liste de circonstances qui font du vol un vol aggravé. Ces circonstances peuvent être liées à la façon dont la chose est appréhendée (usage de violences légères), au lieu où le vol est commis (gares et transports en commun), à la victime (personne vulnérable comme des personnes âgées, hein, m’sieur Hortefeux ?). Une circonstance aggravante fait passer la peine encourue à 5 ans, deux circonstances à sept ans et trois à dix ans (exemple : un vol commis avec violences, sur une personne âgée, par effraction nous emmène déjà au sommet de l’échelle des peines correctionnelles). Ce sont les vols aggravés.

La loi prévoit en outre des vols spécifiques faisant l’objet d’une répression autonome : les vols qualifiés. Il s’agit du vol commis par un majeur avec la complicité de mineurs (art. 311-4-1 du code pénal), du vol accompagné de violences importantes (art. 311-5 du Code pénal) ou du vol à main armée (art. 311-8 du code pénal). La distinction est importante, surtout dans notre affaire d’inceste, car les circonstances aggravantes du délit simple ne s’appliquent pas au délit qualifié qui est une infraction autonome. Et un délit qualifié peut avoir ses propres circonstances aggravantes : tel est le cas du vol en bande organisée (art. 311-9 du code pénal).

Vous saisissez maintenant la catastrophe annoncée quand le député annonce que ” l’inceste n’est pas seulement la circonstance aggravante d’un viol ou d’une autre agression sexuelle mais aussi un élément constitutif de ceux-ci”. Le député va faire de l’inceste un viol ou une agression sexuelle qualifiée pour “nommer la chose et casser le tabou”. Fort bien, mais va-t-il penser à adapter la peine encourue ?

La réponse est dans la proposition de loi déposée par le même député, et qui a été définitivement adoptée le 26 janvier 2010, en attente de publication, faute pour le Conseil constitutionnel d’avoir été saisi de cette loi.

La loi crée un nouvel article 222-31-1 au Code pénal ainsi rédigé :

Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Nous avons donc un article qui crée deux infractions qualifiées, donc autonomes.

Et que prévoit la loi pour la répression ?

Rien. Pas un mot. La loi crée deux infractions et ne les réprime pas. Amusant pour une loi qui veut casser un tabou en le nommant de faire ainsi de la peine encourue un tabou en ne la nommant pas.

Conséquence de cette loi ?

Toute la question est là et les avocats pénalistes se frottent les mains. Car il va y avoir controverse, décisions contradictoires, jusqu’à ce que la cour de cassation y mette bon ordre dans quelques années.

L’hypothèse de Maître Mô est la plus orthodoxe juridiquement, mais vous allez voir que la cour de cassation est capable de souplesse pénale en la matière.

Pour lui, ce viol qualifié n’étant pas spécifiquement réprimé, il emprunte la pénalité du viol simple (il reste un viol, qui est puni de quinze ans de réclusion criminelle nous dit l’article 222-23 du code pénal), puisque la circonstance aggravante de commission par ascendant (au sens large, j’inclus les personnes ayant autorité), lui est non seulement inapplicable en tant qu’infraction autonome mais en plus est devenue élément constitutif de l’infraction.

Conclusion de mon septentrional confrère : la loi a allégé les peines de l’inceste,ce qui est une curieuse façon de lutter contre lui. Et le même raisonnement vaut pour l’agression sexuelle (je rappelle que l’agression sexuelle exclut tout acte de pénétration sexuelle, qui serait un viol : ce sont les attouchements et caresses, subis ou donnés sous la contrainte).

Juridiquement, le raisonnement tient parfaitement.

Sur le blog Dalloz, Emmanuelle Allain en tient un autre, auquel j’ai tendance à me rallier : il ne s’agirait que d’une loi d’affichage, qui ne change rien à l’état du droit, comme le législateur aime tant en faire tout en jurant qu’il va arrêter d’en faire. Il suffira pour cela que la jurisprudence, et en dernier lieu la cour de cassation, décide que l’article 222-31-1 du Code pénal ne prévoyant aucune peine, le mot inceste n’est qu’une décoration ajoutée sur l’intitulé du crime comme la guirlande sur le sapin, qui reste fondamentalement ce qu’il a toujours été : un viol aggravé par la qualité de son auteur.

Ce ne serait pas la première fois que la cour de cassation ferait prévaloir l’efficacité de la loi et la volonté du législateur sur la rigueur juridique et le texte effectivement voté. Un problème similaire s’était posée en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal : le législateur avait abrogé l’ancienne circonstance aggravante de torture et acte de barbarie et créé un nouveau crime de torture et acte de barbarie. La non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (ce qu’est une loi créant un nouveau crime) aurait dû s’opposer à ce que les faits antérieurs au 1er mars 1994 fussent jugés sous cette qualification. Mais la cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 11 mai 2005, que cette infraction nouvelle assurait en fait la continuité de l’incrimination, sans guère s’expliquer sur cette étrange continuité par la nouveauté. Je pense que dans notre affaire, la cour de cassation tordra un peu le texte pour le faire coller avec la volonté clairement exprimée du législateur de lutter contre l’inceste et non d’en alléger la répression.

Mais je ne me gênerai pas pour soutenir la position de Mô devant les juridictions. Vous savez mon attachement à la rigueur juridique. Que la Cour de cassation tranche, puisque le Conseil constitutionnel n’annulera pas cette loi comme il l’aurait probablement fait pour les lois qui ne légifèrent pas qui lui sont soumises.

En attendant, bien sûr, ce seront les victimes qui paieront les mots cassés. Que Dieu les protège du législateur qui veut les protéger. Leurs bourreaux, le parquet s’en charge.

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